La Dernière Donne Du Président
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CHRISTIAN DURANTE MICHEL CHAMARD LA DERNIÈRE DONNE DU PRÉSIDENT éditions alain moreau am 5, rue eginhard 75004 paris 272-51-51 © by Editions Alain Moreau 1985 I.S.B.N. 2-85209-019-8 AVERTISSEMENT AU LECTEUR Un ouvrage de politique-fiction s 'appuyant par définition sur des personnages réels évoluant dans une situation imaginée mais nullement invraisemblable, il nous a paru intéressant d'imbriquer étroitement le vrai et le faux. C'est pourquoi nombre d'extraits d'articles ou de déclara- tions ont été réellement écrits ou prononcés dans des circonstances très proches de celles exposées dans notre livre. Les lecteurs intéressés pourront les retrouver dans les périodiques et ouvrages cités dans notre bibliographie, en fin de volume. PROLOGUE ercredi 31 décembre 1986. Dans le salon doré de l'Élysée, M qui fut le bureau du général de Gaulle et qui est celui de François Mitterrand depuis le 21 mai 1981, les techniciens de la SFP s'affairent depuis plusieurs heures pour préparer la retransmission télévisée de la traditionnelle allocution des vœux du président de la République au peuple français : disposition des caméras, réglage des projecteurs et des micros. La routine... Envahi de câbles, de caisses et de matériels divers, le bureau du chef de l'État finit par ressembler à un débarras d'usine, où s'entrecroisent consignes et jurons. En pareille circonstance, le chef de l'État se réfugie dans le bureau de Jean-Claude Colliard, son directeur de cabinet, jusqu'au moment fatidique. Dix-neuf heures quarante. Nathalie Duhamel, chef du service de presse de l'Élysée, assise derrière le bureau du président, a fait baisser l'intensité des spots pour que son patron ne soit pas ébloui. Elle se lève et s'en va. François Mitterrand va arriver. Les vœux de fin d'année, diffusés à vingt heures, sont généralement enregistrés en milieu d'après-midi. Aujourd'hui, Nathalie Duhamel a fait prévenir que le président parlerait en direct. Personne ne s'en est étonné : le chef de l'État compte ajouter à la solennité de son allocution l'émotion et la force du direct. Il est vrai que ces vœux pour 1987 risquent de n'être pas banals. On en a tant vu durant l'année qui s'achève... Chapitre I LA NUIT DU GRAND CHANGEMENT — Ils ont gagné, monsieur le président ! Jacques Attali n'a pu résister. En dépit des consignes péremptoires données l'avant-veille par le chef de l'État à ses collaborateurs, il a décroché son téléphone et appelé François Mitterrand. Il est dix-neuf heures vingt, en ce sinistre dimanche 16 mars 1986, noyé depuis le matin sous des trombes d'eau ininterrompues. Un quart d'heure aupa- ravant, Roland Cayrol l'a appelé à l'Élysée pour l'informer des premières estimations recueillies par Colette Ysmal et lui pour la Sofres : malgré la nouveauté du mode de scrutin (la seule expérience de proportionnelle qu'ait connue la France depuis 1958 est celle des élections européennes, en 1979 et 1984, mais à l'échelle nationale), les bureaux-test utilisés comme d'habitude par les deux chercheurs de la Fondation des sciences politiques ont permis de dresser un premier bilan, qui ira en s'affinant. A l'occasion de ces élections législatives, la droite est en train de reconquérir le pouvoir, après moins de cinq ans d'exil. Attali s'y attendait, comme la plupart des hôtes de l'Elysée : il l'avait confié à des proches la veille. Il était venu dans son grand bureau, voisin de celui de son patron, dès le début de l'après-midi, plus par désœuvrement que par nécessité. Avait-il besoin, sans s'en douter, de l'ombre du président, à défaut de sa présence ? La pluie qui heurte violemment les vitres l'a empêché de profiter de la vue sur le parc de l'ancien hôtel d'Evreux, pour une fois qu'il était oisif 1. Conseiller spécial du président de la République. et incapable de se plonger dans ses dossiers. C'est pour dissiper cette angoisse diffuse qu'il s'est décidé à joindre François Mitterrand. Tant pis pour l'éventuelle algarade ! Au bout du fil, la voix du président, que Danielle Mitterrand est allée chercher, est sèche et impatiente : — Vous attendiez-vous à autre chose ? Le chef de l'État écoute néanmoins les estimations que lui communique son conseiller spécial. Attali veut finir sur une note optimiste : — On ne sait pas encore s'ils pourront se passer de l'apport de Le Pen. François Mitterrand hausse les épaules : — Demain, il fera jour. Le couple présidentiel a quitté Paris tôt la veille, et gagné Latché, avec un rapide aller et retour vers Château-Chinon, en avion, le dimanche matin, pour voter. Dans sa chronique du Journal du Dimanche, Michel Schifres a évoqué de Gaulle et l'échec du référendum de 1969 : le général avait aban- donné l'Élysée dès le vendredi soir pour n'y plus revenir, et c'est de Colombey, quelques heures après le verdict des urnes, qu'il avait fait connaître sa décision de se démettre de ses fonctions. « François Mitterrand a-t-il songé au précé- dent de Colombey ? » s'interroge Michel Schifres. Les chaînes de radio et de télévision n'ont pas osé formuler d'aussi impertinentes supputations, sauf Bernadette d'Ange- villiers sur Radio-Solidarité (« La voix de l'opposition » a lancé un tonitruant : « Nous espérons bien que le loup de l'Élysée se fera ermite dans les Landes et qu'il s'y fera oublier »), mais à tout hasard ont dépêché à proximité de Latché une cohorte d'équipes de reportage, pour la plus grande satisfaction des bistrots les moins éloignés des barrages de gendarmerie qui protègent la quiétude prési- dentielle. Dans l'hypothèse d'une allocution en direct depuis « la bergerie », la SFP a même expédié la fameuse grue qui, cette fois, est arrivée à temps, malgré le déluge. Réfugiés devant leurs petits écrans, faute de soleil, les Français ont toutefois pris la peine d'aller voter. Tout au long de la journée, les bulletins d'information ont fait état d'une participation électorale très élevée : de l'ordre de 86 %, largement plus que pour le premier tour des lé- gislatives du 14 juin 1981 (70,4 %), davantage que pour celui des élections de 1978 (83,4 %). On approche du taux incompressible des 12 à 13 % d'abstentionnistes irréduc- tibles : tous les camps en présence semblent donc s'être mobilisés pour le combat décisif. Le réveil du « peuple de gauche », tant attendu par Jean Poperen, l'expert électoral du PS, depuis quatre ans que s'est achevé « l'état de grâce », se manifesterait-il ? En attendant la réponse à l'énigme, les téléspectateurs ont droit, selon les chaînes, à la mi-temps d'un match du championnat de France de rugby, au septième épisode d'un feuilleton australien sur le capitaine Cook ou à une rediffusion de « L'Avare » par la Comédie- Française, dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon. François Mitterrand a passé l'après-midi à converser avec sa femme et François de Grossouvre le seul de la bande des intimes qu'il ait emmené avec eux à Latché ce jour-là. Quand Attali a téléphoné, Grossouvre était en train de raconter une histoire de chasse. Laurent et Françoise Fabius ont voté au Grand-Quevilly le matin, puis sont rentrés à Paris, à temps pour aller revoir « Johnny Guitar » dans un cinéma du quartier Latin. Moins décontracté, Lionel Jospin, accompagné de Bertrand Delanoë et de Georges Sarre a fait le tour des mairies d'arrondissement de la capitale avant d'aller s'enfermer dans son bureau, rue de Solférino. Georges Marchais s'est engouffré de bonne heure dans l'immeuble du PC, place du Colonel-Fabien et personne ne l'a vu de toute la journée. Après avoir déjeuné à la mairie de Lyon avec Francisque Collomb qui l'y avait invité, Ray- mond Barre a regagné sa permanence du cours Vitton. Il y a écouté de la musique : la Symphonie militaire de Haydn et la Messe du couronnement de Mozart. Jean-Marie Le Pen aussi a sorti des disques, chez lui, dans sa villa de Saint-Cloud. Entouré de ses filles et de deux « copains » des années dures, François Brigneau et Roger Holeindre il s'est 2. Conseiller du président de la République de 1981 à 1985. Il était plus spécialement chargé des services spéciaux et des missions de confiance à l'étranger. L'abandon officiel de ses fonctions à l'Elysée n'empêche pas cet intime de François Mitterrand de conserver une grande influence. 3. Bertrand Delanoë, député PS de Paris en 1981, responsable des fédérations du PS. Principal lieutenant de Lionel Jospin. Georges Sarre, député PS de Paris en 1981, l'un des chefs historiques du Cérès (l'aile gauche du PS), président du groupe socialiste à l'hôtel de ville de Paris. 4. Sénateur-maire CDS de Lyon. 5. François Brigneau, éditorialiste à Minute et animateur du quotidien d'extrême droite Présent. Roger Holeindre, ancien sous-officier parachu- tiste, militant particulièrement actif de l'Algérie française. Aujourd'hui grand reporteur et responsable du service d'ordre du Front national. mis dans l'ambiance des interventions de la soirée en passant un disque de ses propres discours édité par la Serp, la firme d'enregistrements historiques qu'il a fondée. Le président du Front national a ensuite regardé sur son magnétoscope un film allemand de Wolfgang Petersen, qu'il apprécie fort : « Le bateau ». Revenu pour quelques heures dans son château de Chanonat, Valéry Giscard d'Estaing, devant un feu de cheminée, s'est plongé avec délice dans le philosophe et stratège chinois Sun Tzu, que lui avait recommandé l'écrivain Vladimir Volkoff au hasard d'une rencontre, lors d'une vente de livres : « Ceux qui sont experts dans l'art de la guerre soumettent l'armée ennemie sans combat.