CHRISTIAN DURANTE MICHEL CHAMARD

LA DERNIÈRE DONNE DU PRÉSIDENT

éditions alain moreau am 5, rue eginhard 75004 272-51-51 © by Editions Alain Moreau 1985 I.S.B.N. 2-85209-019-8 AVERTISSEMENT AU LECTEUR Un ouvrage de politique-fiction s 'appuyant par définition sur des personnages réels évoluant dans une situation imaginée mais nullement invraisemblable, il nous a paru intéressant d'imbriquer étroitement le vrai et le faux. C'est pourquoi nombre d'extraits d'articles ou de déclara- tions ont été réellement écrits ou prononcés dans des circonstances très proches de celles exposées dans notre livre. Les lecteurs intéressés pourront les retrouver dans les périodiques et ouvrages cités dans notre bibliographie, en fin de volume.

PROLOGUE

ercredi 31 décembre 1986. Dans le salon doré de l'Élysée, M qui fut le bureau du général de Gaulle et qui est celui de François Mitterrand depuis le 21 mai 1981, les techniciens de la SFP s'affairent depuis plusieurs heures pour préparer la retransmission télévisée de la traditionnelle allocution des vœux du président de la République au peuple français : disposition des caméras, réglage des projecteurs et des micros. La routine... Envahi de câbles, de caisses et de matériels divers, le bureau du chef de l'État finit par ressembler à un débarras d'usine, où s'entrecroisent consignes et jurons. En pareille circonstance, le chef de l'État se réfugie dans le bureau de Jean-Claude Colliard, son directeur de cabinet, jusqu'au moment fatidique. Dix-neuf heures quarante. Nathalie Duhamel, chef du service de presse de l'Élysée, assise derrière le bureau du président, a fait baisser l'intensité des spots pour que son patron ne soit pas ébloui. Elle se lève et s'en va. François Mitterrand va arriver. Les vœux de fin d'année, diffusés à vingt heures, sont généralement enregistrés en milieu d'après-midi. Aujourd'hui, Nathalie Duhamel a fait prévenir que le président parlerait en direct. Personne ne s'en est étonné : le chef de l'État compte ajouter à la solennité de son allocution l'émotion et la force du direct. Il est vrai que ces vœux pour 1987 risquent de n'être pas banals. On en a tant vu durant l'année qui s'achève...

Chapitre I LA NUIT DU GRAND CHANGEMENT

— Ils ont gagné, monsieur le président ! Jacques Attali n'a pu résister. En dépit des consignes péremptoires données l'avant-veille par le chef de l'État à ses collaborateurs, il a décroché son téléphone et appelé François Mitterrand. Il est dix-neuf heures vingt, en ce sinistre dimanche 16 mars 1986, noyé depuis le matin sous des trombes d'eau ininterrompues. Un quart d'heure aupa- ravant, Roland Cayrol l'a appelé à l'Élysée pour l'informer des premières estimations recueillies par Colette Ysmal et lui pour la Sofres : malgré la nouveauté du mode de scrutin (la seule expérience de proportionnelle qu'ait connue la depuis 1958 est celle des élections européennes, en 1979 et 1984, mais à l'échelle nationale), les bureaux-test utilisés comme d'habitude par les deux chercheurs de la Fondation des sciences politiques ont permis de dresser un premier bilan, qui ira en s'affinant. A l'occasion de ces élections législatives, la droite est en train de reconquérir le pouvoir, après moins de cinq ans d'exil. Attali s'y attendait, comme la plupart des hôtes de l'Elysée : il l'avait confié à des proches la veille. Il était venu dans son grand bureau, voisin de celui de son patron, dès le début de l'après-midi, plus par désœuvrement que par nécessité. Avait-il besoin, sans s'en douter, de l'ombre du président, à défaut de sa présence ? La pluie qui heurte violemment les vitres l'a empêché de profiter de la vue sur le parc de l'ancien hôtel d'Evreux, pour une fois qu'il était oisif 1. Conseiller spécial du président de la République. et incapable de se plonger dans ses dossiers. C'est pour dissiper cette angoisse diffuse qu'il s'est décidé à joindre François Mitterrand. Tant pis pour l'éventuelle algarade ! Au bout du fil, la voix du président, que Danielle Mitterrand est allée chercher, est sèche et impatiente : — Vous attendiez-vous à autre chose ? Le chef de l'État écoute néanmoins les estimations que lui communique son conseiller spécial. Attali veut finir sur une note optimiste : — On ne sait pas encore s'ils pourront se passer de l'apport de Le Pen. François Mitterrand hausse les épaules : — Demain, il fera jour. Le couple présidentiel a quitté Paris tôt la veille, et gagné Latché, avec un rapide aller et retour vers Château-Chinon, en avion, le dimanche matin, pour voter. Dans sa chronique du Journal du Dimanche, Michel Schifres a évoqué de Gaulle et l'échec du référendum de 1969 : le général avait aban- donné l'Élysée dès le vendredi soir pour n'y plus revenir, et c'est de Colombey, quelques heures après le verdict des urnes, qu'il avait fait connaître sa décision de se démettre de ses fonctions. « François Mitterrand a-t-il songé au précé- dent de Colombey ? » s'interroge Michel Schifres. Les chaînes de radio et de télévision n'ont pas osé formuler d'aussi impertinentes supputations, sauf Bernadette d'Ange- villiers sur Radio-Solidarité (« La voix de l'opposition » a lancé un tonitruant : « Nous espérons bien que le loup de l'Élysée se fera ermite dans les Landes et qu'il s'y fera oublier »), mais à tout hasard ont dépêché à proximité de Latché une cohorte d'équipes de reportage, pour la plus grande satisfaction des bistrots les moins éloignés des barrages de gendarmerie qui protègent la quiétude prési- dentielle. Dans l'hypothèse d'une allocution en direct depuis « la bergerie », la SFP a même expédié la fameuse grue qui, cette fois, est arrivée à temps, malgré le déluge. Réfugiés devant leurs petits écrans, faute de soleil, les Français ont toutefois pris la peine d'aller voter. Tout au long de la journée, les bulletins d'information ont fait état d'une participation électorale très élevée : de l'ordre de 86 %, largement plus que pour le premier tour des lé- gislatives du 14 juin 1981 (70,4 %), davantage que pour celui des élections de 1978 (83,4 %). On approche du taux incompressible des 12 à 13 % d'abstentionnistes irréduc- tibles : tous les camps en présence semblent donc s'être mobilisés pour le combat décisif. Le réveil du « peuple de gauche », tant attendu par Jean Poperen, l'expert électoral du PS, depuis quatre ans que s'est achevé « l'état de grâce », se manifesterait-il ? En attendant la réponse à l'énigme, les téléspectateurs ont droit, selon les chaînes, à la mi-temps d'un match du championnat de France de rugby, au septième épisode d'un feuilleton australien sur le capitaine Cook ou à une rediffusion de « L'Avare » par la Comédie- Française, dans une mise en scène de Jean-Paul Roussillon. François Mitterrand a passé l'après-midi à converser avec sa femme et François de Grossouvre le seul de la bande des intimes qu'il ait emmené avec eux à Latché ce jour-là. Quand Attali a téléphoné, Grossouvre était en train de raconter une histoire de chasse. Laurent et Françoise Fabius ont voté au Grand-Quevilly le matin, puis sont rentrés à Paris, à temps pour aller revoir « Johnny Guitar » dans un cinéma du quartier Latin. Moins décontracté, Lionel Jospin, accompagné de Bertrand Delanoë et de Georges Sarre a fait le tour des mairies d'arrondissement de la capitale avant d'aller s'enfermer dans son bureau, rue de Solférino. Georges Marchais s'est engouffré de bonne heure dans l'immeuble du PC, place du Colonel-Fabien et personne ne l'a vu de toute la journée. Après avoir déjeuné à la mairie de Lyon avec Francisque Collomb qui l'y avait invité, Ray- mond Barre a regagné sa permanence du cours Vitton. Il y a écouté de la musique : la Symphonie militaire de Haydn et la Messe du couronnement de Mozart. Jean-Marie Le Pen aussi a sorti des disques, chez lui, dans sa villa de Saint-Cloud. Entouré de ses filles et de deux « copains » des années dures, François Brigneau et Roger Holeindre il s'est 2. Conseiller du président de la République de 1981 à 1985. Il était plus spécialement chargé des services spéciaux et des missions de confiance à l'étranger. L'abandon officiel de ses fonctions à l'Elysée n'empêche pas cet intime de François Mitterrand de conserver une grande influence. 3. Bertrand Delanoë, député PS de Paris en 1981, responsable des fédérations du PS. Principal lieutenant de Lionel Jospin. Georges Sarre, député PS de Paris en 1981, l'un des chefs historiques du Cérès (l'aile gauche du PS), président du groupe socialiste à l'hôtel de ville de Paris. 4. Sénateur-maire CDS de Lyon. 5. François Brigneau, éditorialiste à Minute et animateur du quotidien d'extrême droite Présent. Roger Holeindre, ancien sous-officier parachu- tiste, militant particulièrement actif de l'Algérie française. Aujourd'hui grand reporteur et responsable du service d'ordre du Front national. mis dans l'ambiance des interventions de la soirée en passant un disque de ses propres discours édité par la Serp, la firme d'enregistrements historiques qu'il a fondée. Le président du Front national a ensuite regardé sur son magnétoscope un film allemand de Wolfgang Petersen, qu'il apprécie fort : « Le bateau ». Revenu pour quelques heures dans son château de Chanonat, Valéry Giscard d'Estaing, devant un feu de cheminée, s'est plongé avec délice dans le philosophe et stratège chinois Sun Tzu, que lui avait recommandé l'écrivain Vladimir Volkoff au hasard d'une rencontre, lors d'une vente de livres : « Ceux qui sont experts dans l'art de la guerre soumettent l'armée ennemie sans combat. Ils prennent les villes sans donner l'assaut et renversent un Etat sans opérations prolongées. » Quant à Jacques Chirac, après avoir couru d'un bureau de vote à l'autre dans toute la Corrèze, trempé et crotté, il a roulé à fond de train vers Brive où l'attend l'avion d'Europ Falcon Service qu'il a utilisé pendant la campagne électorale et qui doit le ramener vers la capitale... Présentant les titres du journal vespéral de TF 1, avancé pour la circonstance à dix-neuf heures trente, Jean-Claude Bourret, la mine particulièrement réjouie, annonce : — Dans une demi-heure, très précisément, notre direc- teur de l'information, Alain Denvers, vous donnera des estimations très attendues sur les résultats de ce scrutin législatif. Une très bonne soirée en perspective. Vingt heures. Dans un décor de l'inamovible Moretti, où les portraits des principaux chefs de partis voisinent avc des tableaux de noms et des cartes électroniques représentant départements et régions, Denvers ne respire pas la gaieté. Dans un sourire crispé, il révèle les estimations en pour- centage, qui s'inscrivent sur un écran tandis qu'un « ca- membert » multicolore se dessine progressivement sur un autre : Extrême gauche : 0,6 % ; Parti communiste : 12,9 % ; Parti socialiste et MRG : 22,9 % ; Total gauche : 36,4 % ; Ecologistes : 3,3 % ; UDF : 23,9 % ; RPR : 26,3 % ; Front national : 9,3 % ; Divers droite : 0,8 % ; Total droite : 60,3 %. A quelques dixièmes près, les chiffres ne changeront plus au cours de la soirée. Denvers enchaîne sur les estimations en sièges qui, elles non plus, ne varieront pas : 359 pour l'Union des libéraux (qui associe RPR, UDF et CNI), 145 pour le PS, 47 pour le PC ; nouveau venu au Palais-Bourbon, le Front national obtient 26 sièges. Un écran s'allume dans le décor figurant la répartition au sein de la future Assemblée : sur fond de travées, des tranches de couleur se surimposent sur l'hémicycle. Le rose des socialistes et le rouge des communistes paraissent bien chétifs à côté du bleu des libéraux tandis qu'un mince filet noir concrétise l'accès de l'extrême droite au club très fermé des parlementaires : la « bande des quatre » compte désormais un membre de plus. Pierre-Luc Séguillon, toujours très sémillant, enchaîne pour un commentaire à chaud : — Pour la première fois depuis près de trente ans, les Français ont élu leurs députés à la proportionnelle. Les résultats démontrent que cela n'a rien changé au paysage politique : la bipolarisation reste la règle dans le pays. L'éditorialiste de TF 1 poursuit son analyse : le scrutin à l'échelon départemental, et non national comme le récla- maient les communistes, a laminé les petites listes. Le score des écologistes prouve une fois de plus que lors de scrutins importants, les électeurs votent utile avant tout. La réforme électorale adoptée l'an dernier n'a contribué qu'à réduire les gains en sièges de la droite. C'est une sévère défaite pour la majorité sortante, plus sévère encore que ce que l'on attendait. La gauche a perdu 19 points par rapport à 1981, à son apogée, mais aussi 12 par rapport à 1978. Les communistes, déjà en perte de vitesse voici cinq ans, reculent à nouveau de plus de 3 points. Quant au PS, avec ses partenaires du MRG, il perd près de 15 points sur 1981, période de « l'état de grâce », et un point et demi sur 1978. Le pari socialiste de constituer un pôle de rassemblement à 30 % est perdu. Que va faire désormais le président Mitterrand face à la nouvelle majorité parlementaire ? Celle-ci a proclamé tout au long de la campagne électorale qu'elle appliquerait intégralement son programme si elle revenait au pouvoir, que le président quitte l'Élysée ou qu'il y reste. Dès l'an passé, ce dernier avait annoncé qu'il ne s'en irait pas et qu'il ne « resterait pas inerte » lors de sa cohabitation avec la droite. La marge de manœuvre de François Mitterrand se révèle étroite. L'opposition sortante a largement dépassé la majorité absolue des sièges, qui est de 289 ; le RPR et l'UDF n'ont nul besoin de l'apport du Front national, qui n'a même pas obtenu les trente élus nécessaires à la constitution d'un groupe à l'Assemblée. Il est vrai que l'on ne connaît pas exactement quel sera le poids, au sein de cette majorité, des députés barristes, hostiles à la cohabitation. — La balle est désormais dans le camp du chef de l'État, conclut Séguillon. Au même moment, dans les états-majors politiques, on essaie d'en savoir plus, d'obtenir des précisions. On refait dix fois les mêmes calculs. Au siège du RPR, 123, rue de Lille, dans le bureau du « patron », au quatrième étage, les caciques chiraquiens se pressent autour de Jacques Chirac, les yeux fixés sur l'écran de télévision. La pièce est vaste, tapissée de beige et meublée « design », en palissandre. Les portraits dédicacés de De Gaulle et de Pompidou voisinent avec un tableau d'art moderne aux couleurs vives. La boîte de conserve marquée « Air de Corrèze » et la maquette de tracteur qui ont trôné si longtemps dans la pièce ont fait place à une statuette japonaise et à des masques polyné- siens. La porte qui donne sur le bureau de Jacques Toubon est restée ouverte et, par la fenêtre, on aperçoit la place de la Concorde illuminée. Les traits tirés, fatigué par une cam- pagne électorale qu'il a menée comme toujours tambour battant à travers la France, la main droite ayant triplé de volume, comme d'habitude, pour s'être tendue des milliers de fois vers les grappes chaleureuses de sympathisants aux sorties de meetings marseillais, lillois ou strasbourgeois, dans les rues commerçantes de , Auch ou Valen- ciennes, dans les champs de foire corréziens, bretons ou charentais, le maire de Paris est heureux. Il plaisante avec Jacques Toubon et Charles Pasqua, tandis qu'Alain Juppé et Jean Tibéri devisent avec André Passeron, le spécialiste du RPR au Monde, qui s'est discrètement glissé dans le saint des saints. Dans un coin de la pièce, Alain Marleix, pendu au téléphone, note fébrilement les résultats transmis par les fédérations, dont il a la charge rue de Lille, tandis que les experts électoraux, Jacques Chartron et Jean Colonna, se 6. Jacques Toubon, député de Paris, maire du XIII secrétaire général du RPR. Charles Pasqua, sénateur des Hauts-de-Seine, président du groupe sénatorial RPR. Alain Juppé, adjoint au maire de Paris, l'un des experts économiques de Jacques Chirac. Jean Tibéri, député-maire RPR du V arrondissement, premier adjoint au maire de Paris. livrent à de mystérieux calculs sur des bouts de papier couverts de chiffres. Le chef du service de presse, la blonde et souriante Lydie Gerbaud, fait la navette entre le bureau et la salle du deuxième étage où les journalistes attendent les premières déclarations devant un buffet campagnard co- pieusement garni. A la suite d'un spot publicitaire vantant une marque de moutarde, Pasqua rigole : — Chirac, ça déménage ! Quelle culotte ils prennent en face ! — Alors, la Corrèze ? jette le maire de Paris à Marleix. — Vous êtes élu, réplique Toubon, hilare. Chirac hausse les épaules : — On sait si on a un deuxième siège ? — Charbonnel devrait passer mais il a chaud aux fesses. Domenech a fait un bon score avec l'UDF. — Amédée a encore frappé, sourit Chirac, que les foucades de l'ancien sportif agacent et amusent à la fois. Tibéri demande à quelle heure les premiers résultats sur Paris vont tomber. Pasqua s'intéresse aux Hauts-de-Seine, Juppé aux Landes, son département natal. — Et le Rhône ? demande Toubon. J'espère que Noir a damé le pion aux barristes. Colonna s'approche de Chirac et lui glisse : — D'après nos calculs, nous devrions avoir 191 sièges et l'UDF 168. Pasqua, qui a tendu l'oreille, joint les mains au-dessus de sa tête, en signe de victoire. Puis il décroche son téléphone, compose un numéro : — Vous pouvez envoyer le podium, fait-il. Sur ces mots sibyllins, le président du groupe sénatorial RPR raccroche et descend rejoindre les journalistes, tandis que Toubon file rue Cognacq-Jay pour le premier « plateau » de la soirée. Au siège du Front national, la consternation règne. On ne croyait pas vraiment aux 80 députés promis par « Jean- Marie », ni aux 15 %, mais le choc est rude : pas même le 7. Jean Charbonnel, maire RPR de Brive, ancien ministre de De Gaulle et Pompidou. Amédée Domenech, ancien international de rugby, président de la fédération radicale de Corrèze. 8. Député RPR de Lyon depuis 1978. Et à ce titre, adversaire direct de . score des européennes de 1984, où l'extrême droite avait fait jeu égal avec le PC. — Le tassement est net, déplore Jean-Marie Le Chevallier — Les cons, fulmine Roger Holeindre, élu, lui, en Seine-Saint-Denis. L'ancien baroudeur d'Indochine et d'Algérie étouffe de fureur. Jean-Marie Le Pen, à nouveau député de Paris, trente ans après sa première élection sur une liste poujadiste, essaie de remonter le moral des troupes : — Les résultats ne sont que partiels : la région parisienne peut corriger en hausse. Au premier étage du 1 de la rue de Villersexel, dans le bureau de François Léotard, tendu de beige, avec un tableau représentant Fréjus et une kyrielle de photos du secrétaire général du PR (avec son frère, Philippe, sur le marché de Fréjus, avec Giscard, avec le rugbyman Rives), c'est l'euphorie. Difficile de dire qui a le sourire le plus éclatant de Michel d'Ornano, Alain Madelin, Gérard Longuet, Jac- ques Dominati les dirigeants du PR, d'Anne Méaux, collaboratrice de Giscard, ou de Capucine Fandre et Géraldine Martiano, les attachées de presse de Léotard. Tous viennent bourrer le dos de « Léo » de grandes claques chaleureuses. Sur la table ovale en marbre, Roger Chinaud11 se livre à quelques estimations, crayon en main : — Les barristes convaincus ne devraient pas être plus de 65. On en aurait donc 100 à nous. — J'aimerais voir la tête de Soisson ricance d'Ornano. Féal de toujours de Valéry Giscard d'Estaing, l'ancien 9. Ancien chef de cabinet de Jacques Dominati, alors secrétaire général des républicains indépendants. Devenu l'un des principaux lieutenants de Jean-Marie Le Pen. Elu à l'Assemblée européenne en 1984. 10. François Léotard, député-maire PR de Fréjus, secrétaire général du parti républicain. Michel d'Ornano, député PR du Calvados, ancien ministre de Giscard d'Estaing, dont il est l'un des proches. Il a mené les négociations au nom du PR pour les investitures UDF en 1985. Alain Madelin, député d'Ille-et-Vilaine, numéro deux du PR. Gérard Longuet, ancien député de la Meuse, trésorier du PR. Jacques Dominati, député- maire PR du III arrondissement, ancien secrétaire d'Etat de Giscard, président du groupe UDF à l'hôtel de ville de Paris. 11. Maire PR du XVIII arrondissement, ancien président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, expert électoral du PR. Député européen en 1984. 12. Député-maire PR d'Auxerre, ancien ministre de Giscard, il est devenu l'un des chefs de file du courant barriste à l'UDF. ministre de l'Industrie n'a jamais pardonné à l'ancien ministre des Sports d'avoir « trahi ». Les barristes sont déjà au courant. Et pas étonnés. Des négociations acharnées, département par département, ont opposé les partisans de l'ancien Premier ministre aux fidèles de l'ancien président de la République pour la composition de listes UDF, dosées comme un cocktail : un doigt de PR, un doigt de CDS, une pincée de radicaux, un soupçon d'adhé- rents directs. Les barristes n'ont pas pu imposer une majorité des leurs parmi les éligibles : ils ont dû céder, malgré la menace (vite estompée) de constituer des listes à part. Au 176 du boulevard Saint-Germain, le bureau vert, meublé Empire, de Raymond Barre est vide : l'ancien Premier ministre dîne à Lyon. Dans une pièce voisine, Philippe Mestre, en compagnie de deux autres anciens de Matignon, Jean-Claude Casanova et Pierre-André Wiltzer13, jette des notes sur une feuille, en prévision d'un débat en fin de soirée. Le député de Vendée lève la tête pour regarder Arlette Chabot qui, sur TF 1, égrène la longue litanie des élus et des réélus : — Parmi les membres du gouvernement élus ou réélus : Laurent Fabius en Seine-Maritime, Gaston Defferre dans les Bouches-du-Rhône, Jean-Pierre Chevènement à Belfort, Edith Cresson dans la Vienne, Jean-Michel Baylet dans le Tarn-et-Garonne, Pierre Joxe en Saône-et-Loire. Sont élus ou réélus Lionel Jospin à Paris, Georges Marchais dans le Val-de-Marne, Charles Fiterman dans le Rhône, Jacques Chirac en Corrèze, Jacques Toubon à Paris, François Léotard dans le Var, Charles Hernu, Jean Poperen et Raymond Barre dans le Rhône, Louis Mermaz en Isère, Valéry Giscard d'Estaing dans le Puy-de-Dôme, les anciens Premiers mi- nistres Pierre Mauroy dans le Nord, Michel Debré à La Réunion, Pierre Messmer en Moselle, Jacques Chaban- Delmas en Gironde. Toujours parmi les élus ou réélus : Jacques Godfrain (RPR, Aveyron), Jean-Claude Gaudin (UDF, Bouches-du-Rhône), Pascal Arrighi (Front national,

13. Philippe Mestre, député UDF de Vendée, ancien directeur de cabinet de Raymond Barre à Matignon. Il est le chef d 'état-major de celui-ci. Jean-Claude Casanova, universitaire, ancien conseiller de Barre à Matignon pour les dossiers d'éducation, éditorialiste à L'Express. Pierre-André Wiltzer, ancien chef de cabinet de Barre à Matignon. Bouches-du-Rhône), Jean-Marie Le Pen (Front national, Paris). Dans le bureau du premier secrétaire du PS, 10, rue de Solférino, autour de Lionel Jospin, Jean Poperen, Domi- nique Strauss-Kahn, Bertrand Delanoë et Marcel Debarge font grise mine. Au rez-de-chaussée, les invités, massés dans la cour et salle Marie-Thérèse Eyquem, trouvent un goût amer aux canapés et aux petits fours. Dès vingt et une heures trente, tout le monde aura été poussé vers la sortie et les portes se refermeront très vite sur le dernier carré qui ne veut pas croire aux estimations. Quant au bureau politique du PC, enfermé loin de toute oreille indiscrète dans l'immeuble de « Fabien », il siège sans désemparer depuis dix-neuf heures. Les journalistes venus aux nouvelles sont, courtoisement mais fermement, encadrés jusque dans les toilettes par les « gros bras » cégétistes. C'est à vingt heures cinquante qu'Alain Denvers lance le premier débat télévisé sur TF 1. Roland Leroy apercevant Le Pen, s'en va sans un mot, sous les rires de Toubon et Jean Lecanuet, tandis que Lionel Jospin feint de s'absorber dans ses notes. Denvers choisit d'ouvrir le feu sur le chef de file du Front national : — Moins de 10 % des voix, moins de trente élus, vous devez être déçu ce soir, monsieur Le Pen ? A quoi attribuez- vous votre défaite ? — Notre défaite ? Nous n'avions aucun député, nous en avons 26. Nous avons des dizaines de conseillers régionaux, nous faisons partie de la majorité qui met fin à cinq ans de dictature marxiste, vous appelez ça une défaite ? Nous pouvions attendre plus, bien sûr, mais nous avons été victimes d'un matraquage audiovisuel jamais vu : toute une propagande a tendu à faire apparaître le Front national sous les traits du diable. Le syndicat des nantis a joué à plein, encore une fois. La gauche, bien sûr, mais les amis de

14. Jean Poperen, député du Rhône, numéro deux du PS, dont il est l'expert électoral. Dominique Strauss-Kahn, commissaire général adjoint au Plan, conseiller économique de Lionel Jospin. Marcel Debarge, sénateur-maire du Pré-Saint-Gervais, chargé des relations entre le PS et les autres formations de gauche. 15. Directeur politique de L'Humanité, ancien député communiste de Rouen. M. Chirac, ceux de M. Giscard d'Estaing n'ont pas été les derniers à frapper. — Revendiquez-vous une part dans la défaite de la gauche ? — S'il n'avait pas existé de Front national, un certain nombre de citoyens auraient pu être tentés de régler en dehors de lui et par la violence les problèmes qui se posaient à eux. Grâce à nous, la gauche socialo-marxiste a été abattue dans la légalité. Au RPR et à l'UDF d'en tenir compte. S'ils préfèrent en revenir à des combinaisons de type centriste plutôt que de gouverner avec le Front national, le peuple français va penser qu'il s'agit de foutriquets. Jacques Toubon intervient avec sa fougue de bulldozer : — Le RPR, l'UDF et le CNI ont conclu dès le printemps 85 un accord de gouvernement : les signataires de cet accord ont obtenu à eux seuls la majorité absolue, en voix et en sièges. Nous n'avons pas à tenir compte de l'extrême droite : nous n'en voulons pas dans notre majorité. — Il n'appartient pas à un apparatchik de définir les limites du gouvernement, c'est le peuple qui s'est prononcé, hurle le nouveau député de Paris. Vous devriez tenir compte du verdict des urnes : tout le reste n'est que bouillie pour les Russes ! Denvers se tourne vers Jospin : — Vous voici désormais minoritaires. Le président de la République a laissé entendre qu'il tiendrait compte du suffrage populaire et cohabiterait avec une majorité de droite. Et vous ? Nerveux, Jospin réplique : — Le président de la République aura à apprécier la décision qu'il devra prendre. Nous, nous n'avons pas assez de sièges ni d'alliés pour gouverner, à partir de nos valeurs, sur une politique de gauche : nous serons donc dans l'opposition. C'est clair. — Même si le président a besoin d'une union sacrée contre ceux qui voudraient le forcer à quitter l'Elysée ? — Nous n'allons tout de même pas choisir une droite contre une autre. Tout sourire dehors, Lecanuet intervient : — Il va bien falloir choisir un camp. Vos amis d'hier, les communistes, ne vous ont pas fait de cadeau dans cette campagne. — Vous feriez mieux de vous préoccuper de vos propres amis, réplique Jospin. Nous restons favorables au rassem- blement des forces populaires, le PC est libre de choisir et non pas contraint de l'accepter. — Où sont les roses d'antan de l'union de la gauche ? ricane Le Pen. Il ne reste du bouquet des épousailles qu'épines et gratte-cul ! Jospin ignore l'interrupteur et apostrophe Toubon : — Votre victoire est celle de la réaction. Vous allez pratiquer une politique de restauration, abolir les acquis sociaux sous la pression des groupes capitalistes et de l'extrême droite fascisante. — Parlons-en, de vos acquis, rétorque Toubon. Les chômeurs sont deux fois plus nombreux qu'en 1981, les prestations sociales ont perdu du pouvoir d'achat, l'insécu- rité continue. La France du socialisme, ça a été le chômage et le bingo. Vous avez raison, nous allons revenir sur tout cela : pour nous, la vraie priorité est d'engager immédiate- ment l'inversion du processus de socialisation progressive de la France. Jean Lecanuet enchaîne : — Les Français ont voulu se débarrasser du socialisme. L'ampleur de la victoire de l'opposition républicaine est incontestable. Pour une fois, inclinez-vous devant l'expres- sion du sentiment populaire, monsieur Jospin. Encore que je ne sois pas homme, moi, à prétendre que vous avez tort parce que minoritaire. — Le problème de la cohabitation ne va-t-il pas poser un problème dans vos troupes ? demande Denvers au président de l'UDF. — Il est normal que M. Mitterrand dise : « Je reste » et que la majorité lui dise : « Partez ». La dynamique de notre refus dictera à M. Mitterrand son comportement : une si large victoire de l'UDF et du RPR devrait rendre impossible son maintien à l'Elysée. — Le masque du légalisme commence à craquer, coupe le premier secrétaire du PS. Vous vous étiez réparti les rôles pendant la campagne : les « bons républicains » d'un côté, avec MM. Chirac et Giscard d'Estaing, les « purs et durs » derrière M. Barre. A présent, vous vous retrouvez tous d'accord avec M. Barre : vous voulez chasser le chef de l'État. Qui peut croire que le président de la République se pliera à votre volonté d'intimidation ? Nous ne sommes pas en 1958. M. Barre a tort de se prendre pour , il a tort de prendre François Mitterrand pour René Coty. — Nous gouvernerons sans compromis, affirme Toubon. Si, avec ses propres convictions, Mitterrand a le sentiment que les nôtres sont fondées sur la recherche de l'intérêt général, il pourra peut-être les admettre. A lui de décider. Mais il est évident que nous préférerions qu'il s'en aille. Le débat se poursuit sur Antenne 2, à vingt et une heures trente. André Lajoinie refuse d'y participer car Jean-Pierre Stirbois, le secrétaire général du Front national, est présent. Le nouvel élu des Hauts-de-Seine (adjoint au maire RPR de Dreux, il ne s'est pas présenté en Eure-et-Loir en raison du faible impact du Front dans le département) stigmatise l'attitude des évêques qui a fait perdre un grand nombre de voix à son parti. Poussé dans ses retranchements par Bernard Rapp, l'animateur du débat, Delanoë explique que « la voiture du PS peut très bien avoir deux conducteurs », Fabius et Jospin. — C'est une automobile socialiste, interrompt Charles Pasqua. Il y a deux handicapés au volant. Quant à François Léotard, il estime que « François Mitterrand ne va pas pouvoir rentrer à l'Elysée comme si rien ne s'était passé ». Jean-Louis Lescène fait le point sur les élections ré- gionales, qui ont eu lieu le même jour, par listes départe- mentales. Là aussi, c'est la débâcle pour les socialistes : le PS ne sera en mesure de sauver que trois des six régions qu'il contrôlait, le Nord, le Limousin et Midi-Pyrénées. Les présidences des conseils régionaux de Languedoc-Roussil- lon, Auvergne et (avec l'appoint indispensable du Front national, qui y a fait « un carton ») Provence-Côte d'Azur vont tomber dans l'escarcelle de la droite, qui détient la majorité dans vingt-trois des vingt-six régions métropoli- taines. A vingt et une heures cinquante, une intervention en direct du siège du PC coupe la parole à Delanoë au moment où il demande :

16. Député de l'Allier, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale. — Que vont dire à présent les communistes aux hommes et aux femmes qui leur ont encore fait confiance ? Au grand complet autour de Georges Marchais, le bureau politique arbore l'air solennel des grands jours. On discerne toutefois on ne sait quel pétillement dans l'œil de Gaston Plissonnier, le chef de file des « durs ». De sa voix de baryton, Marchais lit un long texte : — Ces résultats confirment ce que notre parti n'a cessé de dire. La politique menée par le gouvernement socialiste a enfoncé le pays dans la crise. La gauche tout entière en fait les frais aujourd'hui. La seule chose qui compte désormais est de savoir quelle politique sera mise en œuvre. Le parti socialiste semble s'arranger fort bien de sa défaite, qui favorise une cure d'opposition de deux ans afin de tenter de se refaire une virginité. Laisser les mains libres à la droite constitue une capitulation. Il existe une autre politique que celle qu'a mise en œuvre le gouvernement socialiste et qu'un gouvernement de droite va continuer dès demain. Nous tendons la main aux millions d'hommes, de femmes, de jeunes aujourd'hui déçus, déroutés et qui s'interrogent. Il faut avancer dans la voie d'un large rassemblement. Face aux champions de la résignation, les travailleuses et les travailleurs disposent d'un recours : le parti communiste français. Dix minutes plus tard, depuis la mairie de Chamalières, qu'il a cédée à son suppléant Claude Wolff en 1974, mais qui reste pour lui un symbole, Valéry Giscard d'Estaing adresse un « message aux Français » : — La France est en attente de sa mutation. Elle la craint et la désire à la fois. Rien ne pourra plus être comme avant. On va chercher à faire croire à nouveau qu'il existe un « peuple de droite » qui attendait dans l'ombre de venir occuper le pouvoir. L'alternance sera réussie si elle sait être une alternance raisonnable, ce que n'a pas su être celle de 1981. Cette alternance ne sera durable que si elle sait être convaincante, si elle est capable de développer une force d'entraînement réunissant une majorité croissante. Le poison de la division est la seule menace qui pèse sur le succès de la nouvelle majorité. La déclaration de Chirac, depuis la rue de Lille, ne tombe que vers vingt-deux heures trente. Le président du RPR affirme : — Les élections ont donné une majorité cohérente et déterminée, ayant clairement fait un choix de société. Tout doit être mis en œuvre pour que la politique sur laquelle elle a été élue se fasse sans compromission. Je suis tout à fait décidé à soutenir un gouvernement qui aura pour ambition de redresser le pays sur la base des engagements pris, sans aucune espèce de compromis avec les socialistes. Ce sera la responsabilité de M. Mitterrand lui-même de faire ses choix : s'il veut s'opposer au programme de la majorité, ce sera à lui de prendre la responsabilité d'ouvrir une crise de régime. Mais ceux qui veulent que la majorité réussisse n'ont aucun intérêt à jouer les masochistes et à trouver des thèmes de division en son sein. Le « masochiste » mis en cause par le maire de Paris dîne tranquillement à Lyon, chez « Nandron », au bord du Rhône, en compagnie de sa collaboratrice locale, Anne- Marie Comparini, et d'Alain Mayoud17, réélu comme lui député du Rhône. Au dessert, ils seront rejoints par le fidèle Jacques Alexandre, ancien porte-parole du Premier mi- nistre, toujours affairé : il arrive de la préfecture, muni des derniers chiffres. Surpris à la sortie du restaurant par une journaliste de Rhône-Alpes qui lui demande ce qu'il pense de la soirée, Barre glousse de plaisir : — Les ris de veau aux truffes étaient très bien. Comme la jeune femme insiste à propos de la cohabita- tion, l'ancien Premier ministre lui glisse, un sourire béat sur les lèvres, comme un collégien qui en raconte une bien bonne : — On ne joue pas avec la fonction de président de la République comme on joue de l'accordéon. Et Barre s'engouffre dans sa voiture. Le point de vue barriste, c'est Mestre qui se charge de le fournir lors de l'ultime débat sur TF 1, à vingt-trois heures. L'ancien directeur de cabinet du Premier ministre répète pour la trentième fois en un an : — Nous ne voulons ni putsch, ni défenestration, ni nous substituer au président de la République. Mais nous n'accepterons pas que le président continue de diriger le pays alors qu'il ne dispose pas de la confiance populaire.

17. Député-maire PR de Saint-Romain-de-Popei, spécialiste des dossiers agricoles à l'UDF. Ceux qui veulent la cohabitation ne pourront gouverner qu'incomplètement puisqu'ils resteront soumis à l'autorité d'un président de la République dont les options ne sont pas les leurs. A Jean Poperen, réélu dans le Rhône, qui lance qu'« après la cohabitation, il y aura le retour à l'ancien régime », Alain Juppé, nouveau député de Paris, rétorque : — Il faut bien montrer que nous voulons changer de cap et provoquer un électrochoc, susciter un véritable sursaut psychologique en accréditant l'idée de rupture totale avec le socialisme. Quant à André Lajoinie, qui est resté sur le plateau où ne figure aucun « fasciste », il lance à Poperen : — Fabius a pratiqué une politique qui a cédé aux exigences des capitalistes : il y a eu une sorte de Munich devant le capital. Les Champs-Elysées ont été envahis par une foule en liesse brandissant des drapeaux tricolores et hurlant des slogans vengeurs contre le régime mourant. Place de l'Hôtel-de- Ville, une marée humaine déborde sur la rue de Rivoli et le quai de Gesvres pour s'amasser devant un car-podium drapé de tricolore. Pasqua avait réservé celui-ci dès le vendredi matin et fait entreposer dans un garage municipal, à Levallois. Line Renaud, Chantal Goya, Gérard Lenorman s'y succèdent dans un show improvisé, aux accents d'un orchestre déchaîné. La journée diluvienne a fait place à une nuit printanière, chaude et lumineuse, ce qui fait s'exclamer Philippe Clay, qui anime la fête : — C'est le contraire de la Bastille ! Au rappel de la douche qui s'était abattue le 10 mai 1981 sur les « barbus » et les « instituteurs » fêtant le « passage de la nuit à la lumière », comme l'avait clamé Jack Lang, la foule hurle de joie. Quelques incidents, comme le saccage d'une permanence socialiste, rue Montorgueil, traduisent chez certains un désir de vengeance qui inquiète les chefs de la nouvelle majorité. Avant même les résultats, Chirac s'était opposé lui-même à ce qu'un jeu de massacre représentant les dignitaires socialistes (dont François Mit- terrand) soit installé lors de la fête de l'hôtel de ville : — Nous ne sommes pas là pour refaire un congrès de Valence. Pas question de faire tomber des têtes, même de carton. Tous ne partagent pas cette sérénité. A Marseille, plu- sieurs centaines d'excités fêtent à leur façon le triomphe du Front national, qui a remporté cinq sièges sur seize : matraques ou barres de fer à la main, badge « Touche pas à mon peuple » sur la poitrine, ils se ruent sur la Canebière et frappent à toute volée les « bronzés » qui se trouvent sur leur passage. Les CRS dont Gaston Defferre a doté sa ville lorsqu'il était au ministère de l'Intérieur sont repliés sur le quai de l'Hôtel-de-Ville, afin de protéger la mairie en cas de coup de main. La situation devient si préoccupante que Jean-Claude Gaudin qui a obtenu lui aussi un beau succès pour l'UDF et se considère moralement comme le maire de Marseille depuis les municipales « charcutées » de 1983, se rend sur le Vieux Port, mégaphone en main, pour tenter de rétablir le calme. L'énervement est d'ailleurs des deux côtés. En début de soirée, au moment des premiers résultats, cinq Nord- Africains ont assommé dans le train Toulon-Marseille deux jeunes gens au crâne rasé et violé leurs compagnes : les deux garçons étaient des élèves du collège militaire d'Aix, de retour de permission, que leur aspect physique a fait prendre pour des « racistes ». Un délit de sale gueule, en quelques sorte ! Invité de Philippe Caloni, le lundi matin sur France-Inter, François d'Aubert réélu en Mayenne, commente la vic- toire tant attendue : — La confiance ne reviendra pas sur notre bonne mine.

nationale.18. Député PR de Marseille, président du groupe UDF à l'Assemblée 19. Député de Laval, l'un des chefs de file barristes au sein du PR.

Dimanche 16 mars 1986, 20 heures : nette victoire de la droite aux élections législatives. Pour la première fois dans l'his- toire de la V République, le chef de l'Etat se trouve confronté à une majorité parlementaire hostile. La balle est dans le camp de François Mitterrand qui nomme Jacques Chaban- Delmas Premier ministre. Une nouvelle donne pour un nouveau jeu politique. Le maire de Bordeaux doit louvoyer entre les récifs barristes, giscardiens et chiraquiens. Quant au prési- dent de la République, il l'avait promis : il ne demeure pas inerte. Au cœur de cette mêlée : la France. Première victime de cette période de déstabilisation : le gouvernement. En dix mois, le chef de l'Etat a abattu tous ses atouts : il ne dispose plus d'arme. Le voici seul face à lui-même. Michel Chamard, 36 ans, journa- liste parlementaire à « Valeurs ac- tuelles », puis à « Magazine hebdo », où il était chef du service politique. Actuellement au service politique du « Figaro ». Christian Durante, 33 ans, journa- liste au « Figaro magazine » et au « Quotidien de Paris », puis rédac- teur en chef adjoint de « Magazine hebdo »; il est actuellement chargé des arts, spectacles et communica- tion aux « Nouvelles littéraires ». Couverture : Crayon feutre I.S.B.N. 2-85209-019-8

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