LE MENTEUR DE MARSEILLE ? Du Même Auteur
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LE MENTEUR DE MARSEILLE ? Du même auteur : La Guerre des casinos (Belfond, 1992). Philippe Belin LE MENTEUR DE MARSEILLE ? JJACQUES A C Q U E S CRANCHER 98. RUE DE VAUGIRARD 15006. PARIS ISBN 2-733904-82-5 © 1995, by Jacques Grancher, Éditeur Paris. Tous droits de traduction et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou par- tielle, par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans le présent ouvrage, faite sans l'autorisation de l'éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. Seules sont autori- sées, d'une part, les reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collec- tive, et d'autre part, les courtes citations justifiées par le caractère scientifique ou d'information de l'œuvre dans la- quelle elles sont incorporées (loi du 11 mars 1957 art. 40 et 41 du Code pénal art. 425). « L'homme est de glace aux vérités Il est de feu pour les mensonges. » (« Le gland et la citrouille », Jean de la Fontaine) Première partie L'ENQUETE I VENDREDI 13 - Tapie ne fera rien contre moi, vous ne croyez pas? Jean-Pierre Bernès regarde le paysage défiler par la fenêtre de ma voiture. La banlieue est mouillée d'une pluie fine. Nous sommes le vendredi 13 janvier 1995. Je le raccompa- gne à l'aéroport d'Orly tandis que la nuit tombe comme le rideau d'un théâtre. - Tapie se demande comment Collard va organiser votre défense. J'imagine qu'il prépare sa stratégie en fonction de ce que vous avez décidé de dire. - De toute façon c'est moi qui possède les cartes maîtres- ses et ça Bernard le sait ! Il ne peut pas m'attaquer, je vous assure il ne peut rien faire ! Il sera obligé de reconnaître mon innocence. S'il me charge, je l'expose à mon tour. - Le premier qui allume la mèche sait à l'avance que tout prendra feu? - Exactement ça ! Sur ce terrain j'ai l'avantage : si je n'al- lume pas, ils n'oseront pas trop m'attaquer et je dois pouvoir bénéficier d'une position d'observateur pendant les premiers jours du procès. - Ne vous faites pas trop d'illusions, vous ne pourrez revenir sur vos premières déclarations. Je pense qu'en res- tant sur la défensive, vous vous exposez à des ennuis. - Non, Tapie aussi doit sauver sa tête. C'est pour ça que je serai mis hors de cause. Celui qui peut se faire le plus de soucis c'est Jean-Jacques Eydelie, pas Bernard ! » Bernard ! Bernès l'appelle «Tapie» lorsqu'un voile har- gneux recouvre son regard. Quand il prononce son pré- nom, et seulement à cette occasion, il se remémore sans doute les moments d'éternité qu'il a connus à ses côtés ; ses yeux brillent alors d'un éclat étrange. Tapie a représenté et représente toujours pour Bernès un idéal. Il fut son homme de confiance, son bras droit, presque... un frère. Tapie a-t-il profité de l'admiration que lui vouait Bernès ? Bernès a été l'ami et le confident d'un des hommes les plus puissants de France. Tapie ne manquait jamais, par exemple, de l'inviter aux fêtes données pour le tout-Paris dans son hôtel particulier, de lui souhaiter son anniversaire le jour exact avec des mots emplis d'affection, joints à des promesses d'amitié à vie. Tapie a su charmer également l'entourage de Bernès et no- tamment sa compagne. Le reste de la famille partage cette affection quasi idolâtre et tout ce petit monde, inconditionnel de l'homme d'affaires, ne souhaite qu'une seule chose, pendant la période glorieuse, voir « Bernard» devenir un jour président de la République. Orly approche. Comment interpréter la réponse étrange de Bernès à une question que je risque à tout hasard : - Votre dépression provient de l'affaire ou de Tapie ? - De Tapie. Lorsque je suis sorti de prison je suis allé directement le rejoindre sur le «Phocéa». Il y avait plu- sieurs personnes qui m'attendaient... Quand j'arrive tout le monde m'embrasse, je tombe dans les bras des uns et des autres, je vous passe les détails. A peine arrivé, on m'explique qu'il faut mettre au point une défense implacable. Moi je suis encore sous le choc, je ne sais pas où j'habite, mais je continue à faire confiance à Tapie. On m'assoit, on me prend la main et on me dit : « Signe là c'est la seule solution ! » Je signe. C'était ma démission. Auparavant on fera signer à ma femme un faux témoignage. - Et vous avez accepté ! ? - Bien sûr que j'ai accepté, je n'étais pas dans mon état normal, je n'y comprenais rien mais comme Tapie ne m'avait jamais lâché je me suis dit qu'il agissait dans nos intérêts communs. - En avez-vous parlé au juge? - Il n'avait qu'à venir m'entendre sur Marseille ! » Alors que Bernès se trouvait dans un hôpital psychiatrique pour soigner sa dépression, il écrit sur les conseils de son avocat au juge Beffy. Cette lettre ne sera pas suivie d'effet. Je décide de rompre le silence qui s'est installé dans la voiture : - Est-il envisageable qu'avant le procès Tapie tente de vous contacter ? - C'est possible...» C'est possible en effet mais Tapie ne peut pas, en réalité, risquer une telle opération à moins de le faire dans le dos de l'avocat de Bernès. Ce dernier me coupe dans mes pensées : - La pression monte de plus en plus, c'est vraiment din- gue. - C'est supportable ou pas ? - Mais je suis solide ! Rappelez-vous de la confrontation dans le bureau du juge à Valenciennes. Juste avant la fin de la confrontation j'ai croisé aux toilettes l'un des avocats de la partie adverse, il m'a dit : «Vous êtes très fort!» - Et face à Tapie, vous pensez tenir le coup? - Vous ne me connaissez pas bien ! » Peut-être. Mais j'imagine déjà les deux hommes se toiser droit dans les yeux pendant le procès, et je ne suis pas sûr que Tapie ne prenne l'ascendant. Bernès a beau arguer alen- tour de sa pugnacité retrouvée, il donne l'impression surtout de s'en convaincre lui-même. - Je vais m'en sortir, vous ne croyez pas ? Il a besoin d'être rassuré, une nouvelle fois. - Car je dois être relaxé ! D'abord parce qu'on s'est servi de moi et que je le prouverai. Ensuite c'est la seule décision de justice qui puisse me permettre de retourner au football. Avec une relaxe, la radiation à vie que m'a infligée la fédéra- tion saute immédiatement. Je veux retourner au football ! - Et si vous obtenez la relaxe, qui sera condamné ? - Eydelie, il n'a cessé de mentir. - Et Tapie ? - Complicité de corruption. » Nous arrivons à l'aéroport. Bernès est à l'heure. - Vous m'appelez ce week-end? me lance-t-il. – Bien sûr! Une dernière chose... Comment ça se passe lorsque les gens vous reconnaissent? - C'est terrible. Il y a ceux qui n'arrêtent pas de vous dévisager, ceux qui se retournent sur votre passage avec mépris. Et puis vous en avez certains qui glissent un mot gentil, qui vous font oublier les autres. » Il s'éloigne. Déjà deux personnes se retournent et s'arrê- tent en parlant à voix basse. Regardent-elles un coupable ou un innocent? 2. LES RÉVÉLATIONS IMPOSSIBLES Lorsque l'on enquête sur une affaire comme celle qui nous préoccupe, on se retrouve souvent bloqué pour une raison ou pour une autre. Un président de club vous donne une information mais vous interdit de citer son nom. Un journa- liste vous certifie que tel joueur a touché de l'argent pour provoquer un penalty pendant un match mais si vous en parlez, la carrière de ce dernier est terminée. Un avocat vous confie un élément important du dossier mais, impos- sible de le publier, car cela ferait du tort à son client. Et ne parlons pas des bruits et des rumeurs qui parfois vous met- tent sur une bonne piste. Alors que faire pour vous faire partager ces informations? Eh bien nous allons imaginer un personnage. Le témoin idéal, un homme qui baigne dans le milieu du football et qui colporte les informations, les enquêtes de police et les confidences des uns et des autres, sans oublier de transmettre ces fameuses rumeurs qui empoisonnent la vie quotidienne des salariés du football. Appelons cet indicateur Monsieur Emile. Ce monsieur est avocat de formation, mais il fut joueur professionnel puis entraîneur et enfin président de club. Il exerça même à un moment le métier de journaliste. Cet homme pourrait, c'est vrai, ne représenter que des ragots colportés par ceux qui veulent nuire au football en général et à Tapie en particulier. Cependant le lecteur est en droit de savoir ce qui se dit sur les affaires du ballon rond. Si Monsieur Emile n'existe pas dans la réalité, il n'en demeure pas moins qu'il sait de quoi il parle. Précisons à toutes fins utiles que Monsieur Emile répond à nos questions après avoir rencontré deux magistrats, deux présidents de clubs, quatre joueurs, six avocats, deux poli- ciers et cinq journalistes. - Monsieur Emile, Tapie savait-il avant de prendre la présidence de l'OM que certaines choses n'étaient pas très claires dans le football ? - On s'est vite chargé de le lui faire savoir. Il s'est de plus entouré de personnalités qui connaissaient parfaitement le milieu.