SKYDOLL ON A RETROUVÉ NOA

LES BEAUX ÉTÉS UNE ODEUR DE MADELEINE SPIROU PAR FEROUMONT MUNCH AVANT MUNCH

JUIN 2016 - GRATUIT GEN˚SE DÊUN CRI

( Édito ( e nÊest malheureusement pas du C côté des librairies quÊil faudra chercher lÊévénement BD en cette fin de printemps. La BD devenant de plus en plus un achat ÿ cadeau Ÿ, les grosses cartouches sont réservées à la fin de lÊannée. Au sortir de lÊhiver, les vaches sont donc maigres. Tiens, dÊailleurs, lÊan pro- chain, pour parler de lÊactualité BD, peut- être quÊon changera la périodicité de Zoo, en ne publiant quÊun seul numéro sur le premier semestre, et 20 entre septembre et décembre. Chiche ! Non, lÊévénement BD est plutôt à recher- cher du côté des grandes maisons de vente aux enchères. En effet, il y a quelques jours, et à seulement une semaine dÊinter- valle, ChristieÊs (en collaboration avec la Galerie Daniel Maghen) et SothebyÊs (en

collaboration avec Bernard Mahé) ont © Barbucci et Canepa / SOLEIL procédé à deux nouvelles ventes aux enchères de centaines dÊoriginaux BD parmi lesquels on trouvait du Franquin, du Hergé, du Giraud⁄ Preuve que la BD fait recette et attise les convoitises. ¤ lÊheure où sont écrites ces lignes, nous nÊen connaissons pas les résultats, mais nul doute quÊelles auront attiré du monde. En attendant, découvrez les quelques paru- tions intéressantes de la saison, au pre- mier rang desquelles le nouveau tome de SkyDoll, par Barbara Canepa et Alessandro Barbucci, fluvre quasi séminale dÊun uni- vers Soleil étrange, qui démarra il y a plus de 15 ans. OLIVIER THIERRY 06 - SKYDOLL

Zoo est édité par Arcadia Media ( ( 45 rue Saint-Denis Zoommaire 75001 Paris Envoyez vos contributions à : Juin 2016 [email protected] Directeur de la publication & rédacteur en chef : Olivier Thierry Rédacteur en chef adjoint : ACTU BD Olivier Pisella, [email protected] 08 - LES BEAUX ÉTÉS : des étés qui sentent la madeleine 10 - UN TOUT PETIT BOUT DÊELLES : plus jamais ça Conseillers artistiques : 12 - HOMICIDE : embedded avec la crimÊ de Baltimore © Image Comics, Inc. All rights reserved. Kamil Plejwaltzsky, Howard LeDuc 14 - LA GRANDE GUERRE DE CHARLIE : la der des ders Rédaction de ce numéro : 16 - LES FILS DÊEL TOPO : topographie des Fils dÊEl Topo Olivier Pisella, Julien Foussereau, Jérôme 18 - MUNCH AVANT MUNCH : naissance dÊun cri MPH : PAGE 28 Briot, Kamil Plejwaltzsky, Thierry Lemaire, 19 - LE RAPPORT DE BRODECK : noire broderie Jean-Philippe Renoux, Michel Dartay, Yaneck 20 - SPIROU par Feroumont Chareyre, Cecil McKinley, Hélène Beney, 21 - LE PORT DES MARINS PERDUS Jean-Laurent Truc, Boris Jeanne, Gersende 22 - TERMINUS : tout le monde descend Le logo ÿ coup de cflur Zoo Ÿ distingue les Bollut, Philippe Cordier, Olivier Thierry, 24 - LES OGRES-DIEUX : sanguin, mais pas con Thomas Hajdukowicz, Boris Henry, Louisa albums, films ou jeux vidéo que certains Amara, Zapp Brannigan, Vladimir Lecointre, de nos rédacteurs ont beaucoup appréciés. Greg Soudier Publicité : RUBRIQUES Retrouvez quelques planches de certains • [email protected], 06 08 75 34 23 04 - AGENDA NEWS : et Manara recréa BB !, Pandora... • Geneviève Mechali, 26 - COMICS : Glénat Comics, MPH, The Autumnlands albums cités par Zoo à lÊadresse [email protected] 32 - & ASIE : Les Enfants de la Baleine, Gate... www.zoolemag.com/preview/ Couverture : 39 - SEXE & BD : Orgies Barbares T.4 Le logo ci-contre indique ceux dont les © Alessandro Barbucci et Barbara Canepa Abonnements et administratif : planches figurent sur le site. [email protected] CINÉ & DVD Collaborateurs : Yannick Bonnant et Audrey Retou 40 - THE WITCH : péché originel

JEUX VIDÉO Dépôt légal à parution. Imprimé en Espagne par TIBER S.P.A. 42 - UNCHARTED 4 : de lÊélargissement du couloir pyrotechnique Les documents reçus ne pourront être retournés. Tous droits de reproduction réservés.

www.zoolemag.com * Prochain numéro de Zoo : 4 juillet 2016 Zoo est partenaire de : en bref A genda N ews

LÊactu de la BD sur France Culture ET MANARA RECRÉA BB !

e jeune Milo Manara fut fortement L impressionné par les premières appari- tions de Brigitte Bardot sur le grand écran. Elle y incarne la sensualité féminine et le charme, et il assista à l'épanouissement de sa carrière, puis

© Radio France / Christophe Abramowitz à son engagement en faveur de la nature. © Manara - courtesy Millon

TEWFIK HAKEM Avec l'autorisation officielle de BB, il a réalisé 25 Tous les vendredis au petit matin aquarelles qui rendent hommage à sa beauté des dans ÿ Un autre jour est possible Ÿ années 60. Ces peintures ne sont pas provocatrices, (6h-6h30), Tewfik Hakem dévoile lÊactualité de la bande dessinée en Milo Manara a eu l'idée de la représenter en com- compagnie des auteurs de France pagnie des animaux qu'elle défend. Une exposition et dÊailleurs. présentera ces belles pièces inédites en commençant Réécoutez et podcastez les derniers entretiens sur par Saint-Tropez, bien sûr, puis ensuite à Paris et franceculture.fr : Andrea Ferraris enfin à Bruxelles, où aura lieu la vente aux enchères pour Churubusco (Éditions Rackham) ; le samedi 12 juin en duplex de Paris. Les mises à prix Rachid Mekhlouf, Kris et Bertrand Galic pour Un maillot pour lÊAlgérie devraient être de l5 000 €. (Collection Aire Libre, Dupuis). JEAN-PHILIPPE RENOUX Et retrouvez ce mois-ci à lÊantenne : Florence Dupré La Tour pour Cruelle (Éditions Dargaud) ;  Renseignements sur millon.com Thierry Van Hasselt, auteur de Vivre à FranDisco (Éditions Frémok) ; Thomas Azuélos pour Le Comité (Éditions Cambourakis) ; Sébastien Vassant pour sa BD Politique Qualité (Éditions Futuropolis). Pour en savoir plus, suivez TOUT LE MONDE France Culture sur Twitter @franceculture et Facebook 14-18 au musée de Meaux Inauguré en 2011, le SUR LE DIVAN Musée de la Grande Guerre du pays de iv Strömquist est très loin dÊavoir en France la Meaux, plus grand notoriété dont elle jouit dans son pays. LÊInstitut musée français sur © Coatalem et Loustal / CASTERMAN L la Première Guerre suédois de Paris a donc la bonne idée de propo- mondiale, a toujours ser une exposition de cette artiste protéiforme, capable soutenu la BD. Jugez dÊévoluer aussi bien dans le milieu de la bande dessinée plutôt : lÊinstitution que dans celui du théâtre, de la radio et de la télévision. possède sur ses murs une fresque PANDORA Avec ÿ Le divan de Liv Ÿ, allusion à une sorte de salon de réalisée par Tardi, elle a organisé une lecture, est montré un panorama des travaux de la dessi- exposition de planches originales de La a publication de revues mensuelles à suivre dans natrice qui portent notamment sur les rapports homme- Grande Guerre de Charlie de Pat Mills et les kiosques ne semblant guère rentable, Joe Colquhoun, elle abrite une chronique L femme, les questions de genre, et dont lÊhumour caustique, BD mensuelle sur son site Internet et sa Casterman subissait néanmoins des demandes distancié et très référencé, atteint sa cible. ¤ découvrir. remarquable collection permanente est d'auteurs désireux de s'offrir une récréation entre la THIERRY LEMAIRE issue en grande partie dÊun don de Jean- conception de deux longs albums. La formule du livre- Pierre Verney (conseiller scientifique et coscénariste dudit Tardi). Quoi de plus revue ayant les faveurs du public, l'éditeur lance une nou- normal donc que le musée décide de velle publication semestrielle uniquement distribuée en programmer une journée sur le 9e art et librairie. Titre : Pandora, en clin d'flil à un personnage fémi- la Grande Guerre, dÊautant plus quÊen cette période de centenaires successifs, nin imaginé par Hugo Pratt. ¤ l'intérieur, presque uni- les albums qui traitent du sujet abondent. quement des récits complets de BD, sans personnages Le samedi 28 mai prochain, rendez-vous connus, et pourtant autonomes. On retrouve évidemment est pris sous la grande nef du musée où les auteurs connus du catalogue ÿ adulte moderne Ÿ, Rossi,

sont reconstituées deux tranchées, © Habba Källebo-Neikter/Galago présentés un char et divers véhicules, et Tripp, Mattotti, Götting, Bajram et Mangin, Loustal et accrochés deux aéroplanes. Coordonnée Prudhomme, ainsi que l'incontournable Bastien Vivès. avec le site casesdhistoire.com, cette journée proposera les habituelles séances Avec en prime, puisque la boîte de Pandore offre tou- de dédicaces, un atelier jeune public, trois jours des surprises, les apparitions d'auteurs venus d'ailleurs, tables rondes (sur le documentaire Là où comme le Japonais Otomo, Blutch et Pirus, Dupré la Tour, poussent les coquelicots, sur la Grande Guerre dans la BD et sur le rapport Alfred, Killoffer et Menu. Un sommaire assez hétéroclite entre réalité historique et fiction) et la où l'on ressent l'ambition de son rédacteur en chef Benoît projection du long métrage dÊanimation Mouchart qui a su utiliser sa culture d'ancien responsable Cafard. LÊoccasion dÊavoir un panorama de la programmation artistique du FIBD. Le bon rapport des productions sur le thème, de rencontrer des auteurs et de continuer à qualité-prix de cet ouvrage sans publicité constitué de marteler quÊelle aurait dû être la der des créations originales devrait inciter à la découverte. ders. ÿ Les Rencontres BD du Musée de la JPR  Grande Guerre Ÿ, le 28 mai, rue ÿ LE DIVAN DE LIV Ÿ Lazare Ponticelli 77100 Meaux, 5 €  PANDORA N°1 Institut suédois, 11 rue Payenne 75003 Paris, THIERRY LEMAIRE collectif, Casterman, 264 pages couleurs et n&b, 18 € jusquÊau 23 octobre 2016

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E n C ouverture LE RETOUR DE LA POUPÉE CÉLESTE Il aura fallu attendre quelques longues années pour lire enfin la suite des aventures de Noa dans ce quatrième tome de Sky·Doll. Inutile de dire combien ce Sudra était donc ardemment attendu par les fans, sa sortie faisant figure d’événement ! En exclusivité pour Zoo, Barbucci et Canepa nous disent quelques mots sur ce grand retour !

e succès phénoménal de Sky·Doll réside peut- L être dans lÊalchimie profonde de sa nature, fluvre de contraste absolu apte à séduire autant le grand public amateur de divertissement de qualité que les fans exigeants de science-fiction dys- topique. Un grand écart magnifique entre un dessin charnel et cartoonesque, accompagné de douces

couleurs acidulées, et un propos terrible et déchirant © Barbucci et Canepa / SOLEIL qui nÊen oublie pas pour autant lÊhumour. La ren- contre entre ce récit sombre et humaniste et ces images douces et chatoyantes sÊopère ici de manière assez... miraculeuse. On ne peut quÊêtre touchés par la condition et la destinée de Noa, adorable être synthétique en quête dÊidentité dans un univers où le fanatisme religieux et la dictature mercantile des médias dirigent les consciences... Avec Sky·Doll, Barbucci et Canepa ont perverti le système en intro- duisant Orwell, Huxley et K. Dick au sein dÊun monde disneyen. SUDRA

Lorsque nous avions quitté Noa, elle était perturbée par les révélations et choix qui se présentaient à elle : la possibilité de rencontrer enfin celui qui lÊa créée, et lÊacceptation de pouvoir vivre un amour naissant vivre un épisode brutal où lui seront révélés ses liens tombée malade et pendant un an jÊai été incapable de en tant que ÿ non-vivante Ÿ. Nous la retrouvons réels avec le génie des miracles et la papesse Agape. travailler). Et puis nous avions besoin de nous retrou- maintenant, elle et ses acolytes, sur la planète poly- Cette suite contient donc des événements primor- ver un peu chacun de notre côté et de nous exprimer thésiste Sudra dont lÊouverture aux différentes diaux quant à notre connaissance de cet univers, sur dÊautres projets. Cette pause était nécessaire et croyances ne signifie pas pour autant quÊelle soit un dans des cheminements et accomplissements plus nous a permis de mieux explorer une part intérieure havre de tolérance. Pour Noa, cÊest tout de même une personnels quÊaventureux. Une aventure qui nÊest pas de nous-mêmes afin de nous comprendre. Nous pause dans ses aventures, lui permettant dÊexister terminée, mais qui vient de trouver ici certains de ses avions travaillé tant dÊannées ensemble, sans jamais ainsi que dÊavoir le courage dÊaimer... Mais elle va aussi jalons fondamentaux. Et puis... cÊest toujours aussi nous arrêter... ¤ force de toujours travailler à 1000 %, beau ! En attendant la version couleur qui sortira le on finit par se sentir ÿ vide Ÿ, et alors il nÊest plus pos- 15 juin prochain, un tirage limité en noir et blanc avec sible de donner aux autres le meilleur de nous-mêmes. cahier spécial est dÊores et déjà proposé par lÊéditeur. Personnellement, jÊavais besoin dÊun nouveau moteur, de voyager, dÊexplorer. Il mÊétait nécessaire de redé- INTERVIEW couvrir le monde avec un regard différent. Et je suis née à nouveau, grâce à cette énergie neuve, en 2007, Pouvez-vous nous dire pourquoi il sÊest passé autant avec les deux collections que je codirige aujourdÊhui de temps entre les sorties des tomes 3 et 4 de avec Clotilde Vu : Métamorphose et Venusdea. Ce Sky∙Doll ? nÊest quÊensuite que le destin nous a à nouveau réu- Alessandro Barbucci : Oui, nous avons eu besoin nis sur une route commune : Noa nous manquait, mais dÊune longue pause pour nous dédier à dÊautres pro- surtout, Alessandro et moi tenions à boucler cette jets. Nous avons tous les deux un parcours profes- série pour nos lecteurs. sionnel varié : la BD, bien sûr, mais aussi lÊillustration, lÊanimation, la publicité⁄ nous nÊaimons pas nous Comment avez-vous travaillé sur ce nouvel album ? enfermer dans un seul projet, ni dans un seul moyen Avez-vous changé des choses dans vos implica- de communication. Mais jÊavoue que nous nÊavions tions respectives, pour cette histoire ? pas prévu une si longue pause, le temps sÊest écoulé BC : La partie initiale (idées et écriture) est un vrai à une vitesse folle. ping-pong entre Alessandro et moi. Mais lÊhistoire a Barbara Canepa : Il y a eu une pause due à la fatigue commencé à sÊécrire toute seule, pratiquement tout

© Barbucci et Canepa / SOLEIL du bouclage du T.3 (à la moitié du livre, je suis de suite. La difficulté a été de condenser trois livres

6 E n C ouverture en un afin de répondre à des interrogations que nous comptions traiter plus tard. Nous jetons tous deux des idées sur le papier et élaborons des rapports croisés entre les personnages, leurs motivations, leurs raisons dÊagir ou de réagir, sans jamais perdre le fil rouge de notre histoire principale. Pour nous, lÊaspect psy- chologique est fondamental. Nous nous immergeons

énormément dans chacun des protagonistes pour © Barbucci et Canepa / SOLEIL écrire au mieux les dialogues, un peu comme le feraient des acteurs ! Alessandro dessine des story- boards déjà très précis où peuvent figurer les dia- logues. CÊest dans la phase suivante que les textes défi- nitifs arrivent. Pour ma part – cela dépend des albums –, je cherche des références concernant les costumes, les coiffures, et graphiquement, quand je le peux, je suggère des idées concernant les scènes importantes que jÊaimerais faire. Et bien évidemment, Alessandro me donne aussi des références. LÊunivers naît lors de cette phase aussi bien graphique que ÿ coloristique Ÿ. Le reste est facile à comprendre : les dessins sont dÊAlessandro et les couleurs sont les miennes. Je cherche toujours à trouver des solutions chromatiques nouvelles, je déteste me répéter.

Justement, les ambiances chromatiques des scènes se passant sur Sudra sont plus chaudes que dans les autres lieux des albums précédents... BC : Je voulais réaliser des atmosphères très ÿ Hindi Ÿ : Sudra est une planète dont lÊaspect externe est très coloré, joyeux, mais avec une autre partie qui est à lÊexact opposé. JÊespère quÊon ressentira ce dua- lisme. En revanche, dans la dernière partie du livre, je nÊai voulu jouer que sur deux tons : le blanc – sym- bole virginal mais aussi de la naissance – et le rouge – celui du sang et de la mort. CÊest un livre très com- plexe au niveau de la mise en couleurs... En revanche, le dernier livre qui clôturera la série sera éthéré. Ce ne sera plus moi qui en assurera la réalisation, mais Cyrille Bertin, qui mÊa aidé pour ce volume. Je peux affirmer sans le moindre doute quÊil fera un livre splendide. Je serai cette fois-ci plus dans lÊombre, mais toujours là comme auteur, à assurer la continuité des couleurs de la série !

Contrairement aux trois premiers albums centrés sur le monothéisme, ce 4e album se situe sur Sudra, une planète polythéiste. Vouliez-vous élargir votre cri- tique à toute croyance ? AB : Bien sûr, on ne veut épargner personne ! Pour ma part, je suis athée rationaliste, donc je pose toutes les religions et croyances variées sur le même plan. moment. Personnellement, je ne sais pas trop où Noa rythme fou ! Sans compter plusieurs participations à Aucune nÊa plus de vérité ni de légitimité que les ira dans le futur ; on pourrait encore changer dÊavis des projets dÊanimation, et Monster Allergy qui revient autres. En tout cas, Sudra sÊinspire en grosse partie de plusieurs fois. de temps en temps. Dans tout ça, jÊai eu deux enfants, lÊhindouisme. Plusieurs passages du livre sont ins- BC : SkyÛDoll a été conçu pour faire six volumes, mais déménagé deux fois et enterré deux chats. De quoi pirés dÊexpériences que nous avons vécues pendant un au vu des divers engagements que nous avons et des sÊoccuper. CÊest seulement quand jÊai repris Noa avec voyage en Indonésie. Certaines réflexions des per- différents projets qui arrivent lÊannée prochaine, nous mon crayon que je me suis sonnages sont la transcription de nos propres avons préféré concentrer lÊhistoire en cinq livres au rendu compte que, oui, elle réflexions dÊalors. total – le 4e tome fait dÊailleurs 50 pages. CÊest pour les mÊavait manqué. CÊétait mêmes raisons que nous allongerons le tout dernier comme retrouver une vieille Avez-vous décidé dÊun nombre dÊalbums pour volume afin de pouvoir convenablement développer amie dont tu connais par Sky∙Doll ou préférez-vous laisser les choses toute la richesse de lÊunivers de la série. cflur les expressions, la voix, ouvertes ? Avez-vous une fin en tête ? pouvant même anticiper ses AB : Le gros problème que nous avons eu avec Après ces quatre albums, que ressentez-vous envers réponses⁄ SkyÛDoll, cÊest quÊon avait déjà décidé de la fin de lÊhis- Noa ? Vos sentiments ont-ils évolué envers elle ? toire au début du projet, en 1998. Mais, entre-temps, Vous a-t-elle manqué, durant ce silence ? PROPOS RECUEILLIS PAR CECIL MCKINLEY nous avons vécu, évolué, changé dÊavis mille fois et⁄ AB : ¤ vrai dire, je nÊai pas eu beaucoup de temps pour on nÊaimait plus le premier final ! On a dû essayer de la nostalgie, ces dernières années. JÊai travaillé sur trouver une nouvelle fin qui respecte les bases déjà plusieurs nouvelles séries : Chosp, que jÊai écrit entiè-  SKY•DOLL, T.4, SUDRA, jetées dans lÊhistoire, mais qui corresponde aussi plus rement, puis ma participation à Lord of Burger avec dÊAlessandro Barbucci et Barbara Canepa, à notre mentalité dÊaujourdÊhui. Le sujet reste la reli- Arleston et Alwett au texte, et surtout Ekhö Monde Soleil, 56 p. couleurs, 14,95 € gion, donc un sujet très sensible, surtout en ce Miroir avec Arleston et Lebreton, quÊon a produit à un (tirage limité : 64 p. n&b, 24,95 €)

7 A ctu B d Des étés qui sentent la madeleine Zidrou et Lafebre excellent dans l’art de captiver avec des petits riens, et de transformer de simples vacances estivales en expédition sur la lune. C’est encore le cas pour le tome 2 des Beaux Étés, une ode à la famille et à l’empathie. Tendre et revigorant. © Zidrou et Lafebre / DARGAUD

Êan dernier, la lecture du pre- ment de lÊArdèche, sur fond de couple FALDÉRAULT DU QUOTIDIEN qui passent un été de rêve, seuls dans un L mier volume des Beaux Étés au bord de la rupture et dÊune tante Lili décor de carte postale. Hasards, amitié, avait été une sorte dÊenchan- restée au pays en mauvaise santé. Alors Pour ce deuxième volume on aurait pu amour, poésie, joie de vivre, cette his- tement. Publié en septembre, lÊalbum que certaines familles préfèrent sÊattendre à dérouler le fil chronolo- toire a tout dÊun film de Claude Sautet. avait le goût dÊune rentrée des classes, emprunter les autoroutes pour arriver gique des aventures estivales de la LÊimportant nÊest pas dans les événe- quand on raconte aux copains avec plus vite sur leur lieu de villégiature, famille Faldérault. En réalité, pas du ments qui sÊy déroulent mais dans les fierté ou nostalgie toutes les belles les Faldérault eux ont un faible pour les tout. CÊest en 1969, oui lÊannée de Je relations entre des personnages admi- choses quÊon a pu vivre pendant les routes de traverse, les petits chemins tÊaime⁄ moi non plus, que nous convient rablement ciselés. Le réalisme des situa- vacances estivales. Et pour cause. Car qui sentent la noisette, les détours qui Zidrou et Lafebre. Paulette est tout juste tions et des dialogues des Beaux Étés le titre signé Zidrou et Lafebre dérou- réservent toujours des surprises. Les conçue et le rituel du départ en donnera dÊailleurs sûrement à certains lait les souvenirs dÊun couple, et pré- surprises, les Faldérault, cÊest leur car- vacances est déjà bien en place : Mado lecteurs une impression de déjà-vu avec cisément lÊété quÊils passèrent avec leur burant. Avec lÊimagination, dont toute et les enfants attendent de pied ferme leur propre vie. CÊest bon de lire une BD quatre enfants dans le sud de la France la famille est particulièrement bien que Pierre ait terminé sa dernière comme on mange une madeleine. pendant lÊannée 1973, oui celle de La pourvue. La faute peut-être à Pierre, le planche en retard pour partir au petit THIERRY LEMAIRE Maladie dÊamour. Une épopée en 4L père, dessinateur de bande dessinée matin dans la fameuse 4L rouge. depuis la Belgique jusquÊau départe- enchaîné à sa table à dessin pour pro- Commence alors lÊodyssée vers le soleil duire les planches de Zagor ou de Papa du sud de la France, rythmée par les clown. Il faut dire quÊil est un peu haut facéties de Pierre et Mado, et le hasard perché le chef de famille, un peu barré, des rencontres. Car sÊil y a bien une dans la lune. Prêt à toutes les imita- chose quÊil faut retenir des Beaux Étés, tions, visuelles et sonores, pour faire cÊest que lÊaltérité nÊest pas une maladie rire ses enfants. Prêt à toutes les inven- de peau. Non, dans ces pages, lÊAutre tions pour les faire rêver. Pas de doute avec un grand A est au contraire la avec ce père-là, les étoiles dans les source dÊopportunités inattendues, de © Zidrou et Lafebre / DARGAUD yeux de Julie, Louis, Nicole et Paulette coups de main inespérés, de moments ne sont pas prêtes de sÊarrêter de magiques et de souvenirs (encore eux) briller. Soutenu et même encouragé inoubliables. CÊest une philosophie de par Mado, la mère, Pierre déploie un vie chez les Faldérault, qui ne les a réel talent de comédien, avec il est jamais déçus. Ainsi, le couple de vrai une certaine tendance au caboti- retraités avec qui ils font amis-amis nage. Le départ en vacances est alors (après avoir malencontreusement planté LES BEAUX ÉTÉS, T.2 vécu comme le début dÊune chasse au leur tente de camping en pleine nuit LA CALANQUE trésor et un simple voyage en 4L dans sur leur potager) va leur indiquer le de Zidrou et Lafebre, le sud de la France offre à toute la Graal : une crique paradisiaque incon- Dargaud, 56 p. coul., 13,99 € famille des souvenirs pour la vie. nue des touristes. Et voilà les Faldérault

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zoom A ctu B d

Macaroni !, de Campi et Zabus LÊimmigration italienne a laissé une trace indélébile dans la société belge, et PLUS JAMAIS ÇA pas seulement avec Salvatore Adamo, Lara Après Le Montreur d’histoires et Tourne-disque, Zidrou et Raphaël Beuchot terminent leur trilogie Fabian ou africaine par un récit âpre et lumineux consacré à l’excision. Frédéric François. AujourdÊhui, bon nombre de Belges se ue, un travailleur chinois souviennent que leurs ascendants ont employé dans une concession quitté lÊItalie après la guerre pour venir Y travailler en Belgique dans les mines de forestière au Congo, aperçoit charbon. CÊest lÊévocation dÊun de ces sur Antoinette, sa bien-aimée, les dom- migrants que propose Thomas Campi. mages corporels causés par lÊexcision Un vieil homme qui sÊest brûlé les poumons à descendre sous terre et qui quÊelle a subie. Désormais sensibilisé à garde quelques rancflurs du passé. Mais cette pratique, il soutient Antoinette la présence de son jeune petit-fils va pour que sa fille, Marie-Léontine, nÊen lentement faire tomber les barrières et remonter les souvenirs. Touchant. fasse pas à son tour les frais. © Beuchot et Zidrou / LE LOMBARD Dupuis, 144 p. couleurs, 19 € Un tout petit bout dÊelles est un récit à THIERRY LEMAIRE teneur sociale et politique sans être un manifeste. Comme toujours avec Intégrale Hugo, de Bédu Ouh, que Zidrou, le scénario – co-écrit ici par voilà une belle Raphaël Beuchot – entremêle les sujets madeleine pour et se révèle dense. Si lÊhistoire est les bédéphiles ! située dans un contexte bien actuel Né en 1981 dans les pages – la présence dÊentrepreneurs et de du magazine travailleurs chinois en Afrique –, elle Tintin, Hugo évoque des actes et des situations qui est un petit troubadour dépassent ce contexte : lÊexploitation courageux, des ressources du continent africain espiègle et tendre, flanqué de ses amis par des compagnies étrangères, le res- lÊours Biscoto et de Narcisse, la petite créature volante à lÊaccent italien. pect des coutumes, la violence phy- Arrêtée en cours de route après cinq sique et psychologique comme lÊin- années dÊexistence (Bédu étant parti compréhension et lÊindignation qui sique quÊil avait au moment des faits. Quant au dessin de Raphaël Beuchot, faire Les Psy chez Dupuis), la série au graphisme impeccable nous avait peuvent en découler⁄ Les phrases à double sens éclairant sur il combine une approche assez brute, manqué, et lÊon ne sÊen rend vraiment les sentiments dÊun personnage ou sur proche du croquis et riche en traits compte quÊen la retrouvant ! Cette UN RÉCIT RICHE ET DENSE une situation, comme les détails – par- appliquée à certains éléments (murs, intégrale nous permet de redécouvrir ses histoires, sa douce folie fantastique fois cocasses – en disent plus que de sols, parties de corps⁄) avec un sens et moyenâgeuse. Cerise sur le Hugo : Ample et homogène, le récit utilise longs discours. Ainsi, quand un de lÊépure. Cela correspond bien à une préface racontant lÊenvers du décor des procédures particulièrement per- Français nommé François Mitterand cette histoire qui parle de manière (signée Patrick Gaumer). Indispensable. Le Lombard, 304 p. couleurs, 34,95 € tinentes : la mise en abîme (les dessins précise que son nom sÊécrit ÿ avec un seul assez directe, mais avec délicatesse, HÉL˚NE BENEY dans les dessins), lÊadresse au lecteur, „r‰. Rien à voir avec lÊautre ! Ÿ, Yue ne sait dÊune blessure intime et de la violence des effets de zoom dÊune case à une pas de quel ÿ autre Ÿ il est question : il physique et sociale avec laquelle elle LÊAdoption, T.1, Qinaya, autre, des illustrations en pleine page nÊen faut guère plus pour suggérer la est infligée. de Zidrou et Monin établissant une respiration – tout à fait diminution de lÊinfluence des Euro- On dit que BORIS HENRY lÊarrivée dÊun judicieuse lorsque la situation est ten- péens en Afrique. La chute, assez sur- enfant bouleverse due –, tandis que lÊhistoire contée par prenante, conduit le récit encore une famille. Gabriel un personnage peut le ramener au phy- davantage vers la fable sociale. nÊaurait jamais imaginé à quel point cette affirmation allait être vraie pour lui ! Lorsque son fils et sa belle-fille adoptent une petite Péruvienne de 4 ans, le vieux grincheux voit dÊun mauvais flil cette irruption dans sa retraite. Malheureusement pour lui qui nÊa jamais eu le temps dÊêtre père, le rôle de grand-père va lui

tomber dessus aussi sûrement quÊun © Beuchot et Zidrou / LE LOMBARD coup de foudre ! Mais le destin va jouer avec les liens quÊils ont irrémédiablement noués⁄ Attention, cette fabuleuse nouvelle série, sur un excellent scénario de Zidrou et un dessin impeccablement parfait de Monin fera fondre le plus endurci des UN TOUT PETIT lecteurs ! Poétique, joyeuse, tendre mais BOUT DÊELLES aussi poignante, cette première partie nous cueille par la précision du récit de Raphaël Beuchot de la vie. Simplement magnifique. Bamboo, coll. Grand Angle, et Zidrou, Le Lombard, 62 p. couleurs, 14,90 € 104 p. couleurs, 17,95 € HB

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A ctu B d EMBEDDED AVEC LA CRIM’ DE BALTIMORE Plutôt qu’à celle d’un polar, c’est à la lecture d’un documentaire que nous invite Philippe Squarzoni avec Homicide. Adapté du roman de David Simon, le récit plonge le lecteur dans une année d’enquête des policiers de la criminelle de Baltimore. Une histoire captivante, qui ausculte la police de l’époque.

altimore, 1988, une ville où près de 250 B homicides sont comptabilisés chaque année. Le lieu idéal pour un récit où pour-

suites en voitures alternent avec fusillades en pleine © Olivier Roller rue et interpellations musclées ? Tututut, David Simon nÊest pas de cette trempe-là. Le journaliste américain nÊa pas en tête un énième Starsky & Hutch quand il sÊimmerge dans les rangs de la brigade cri- minelle de Baltimore pour scruter, analyser et témoi- gner du quotidien de ces policiers, confrontés quasi quotidiennement à la découverte dÊun cadavre. Car le minutieux travail dÊenquête des inspecteurs est bien loin des séquences spectaculaires des nou- veaux chevaliers au grand cflur et qui nÊont jamais peeuuuur de rien. Ennuyeux la paperasse, les enquêtes qui nÊavancent pas, la répétition et la monotonie du (vrai) métier dÊofficier de police ? Pas pour David Simon (futur scénariste de la série The Wire) qui signe en 1991 avec son livre Homicide: A Year on the Killing Streets un succès de librairie. ÿ En lisant les pages du roman de Simon, et notamment le chapitre deux, se souvient Philippe Squarzoni, je voyais exac- tement comment ça se racontait en bande dessinée. Ce qui ne mÊé- tait jamais arrivé avant. JÊai travaillé à partir du texte anglais, vraiment très bien écrit. Outre le reportage, qui est très intéres- sant, ce style faisait partie de lÊenvie de lÊadapter. Ÿ Le temps de contacter David Simon pour lui demander lÊau- torisation, et le projet est sur les rails. COLLABORATION À DISTANCE

LÊauteur a dÊailleurs activement participé à la réali- sation de lÊalbum en tant que conseiller technique. ÿ Je lui ai envoyé pas mal de mails avec des séries de questions, précise Philippe Squarzoni. Il me répondait rapidement. Mais je ne lui ai rien montré avant dÊavoir fini lÊalbum, pour pouvoir poser mon univers sans mÊarrêter à des questions de détail qui aurait pu surgir. Ÿ Grâce à sa mémoire phé- noménale, le romancier a été dÊun grande aide pour la partie graphique. ÿ Je lui ai envoyé un tableau avec tous les personnages en lui demandant leur physionomie, leur âge, leur coupe de cheveux, si ils fumaient, etc. De façon à avoir des silhouettes proches de la réalité. Près de 30 ans après les faits, David peut décrire précisément sur une page et demi lÊintérieur dÊun commissariat ! Il mÊa également envoyé une photo avec tous les chefs de la brigade, prise le soir de la sortie du roman. Ÿ En ce qui concerne les objets et les décors, représen- tatifs de lÊannée 1988, Philippe Squarzoni a fait le choix dÊun dessin peu détaillé afin de privilégier les visages des personnages. Des recherches sur Internet ainsi que le visionnage de la série télé Homicide (tirée du livre et diffusée de 1993 à 1999 sur NBC) ont permis de recoller les éléments indispensables, ici un téléphone, là une voiture. PHILIPPE SQUARZONI

12 A ctu B d © Squarzoni, d’après Simon / DELCOURT

MORNE ORDINAIRE jet. Le découpage et la mise en scène, très travaillés, contribuent à immerger Une fois le tableau dressé, ne restait le lecteur. ÿ Les effets de retour dÊimages ou plus quÊà y faire évoluer les lieutenants de symétrie montrent la monotonie, lÊabsence dÊAddario et Stanton, les sergents dÊavancement dÊune enquête. Ils sont faits pour Landsman, Nolan et Childs, et tous les être vus. Ils sont effectivement plus visibles que autres membres de la brigade crimi- dans mes précédents albums. Il peut y avoir nelle de Baltimore. Avec un quotidien également une redondance entre le texte et partagé de manière inégale entre les lÊimage qui est voulue. Ça dit quelque chose. Ÿ scènes de crime, les enquêtes et la Un dessin plus dans la synthèse que fichue routine administrative. Des dÊordinaire pour simplifier la recons- temps morts plus que des cadavres, des titution, lÊinfluence du cinéma holly- heures devant la machine à écrire woodien notamment dans les scènes autant que des enquêtes sur le terrain, de nuit où des phares apparaissent en telle est en effet la réalité du métier. arrière-plan, les clins dÊflil au dessi- Pourtant, grâce au talent dÊécriture de nateur Brian Michael Bendis pour un David Simon, cette monotonie ne cadrage fixe matérialisant des déteint pas sur la lecture. ¤ travers un moments de temps suspendu, le rythme lancinant porté par un récit moindre détail concourt à plonger le choral très réussi, le reportage dévoile lecteur dans la lourde ambiance de la son épaisseur, sa richesse, sa vision poli- Baltimore du crime. Tout comme la tique. On y découvre les dysfonction- palette de couleurs, qui navigue entre nements des services de police, lÊob- teintes brunes et grises. ÿ On sÊest mis session du chiffre, les luttes de pouvoir dÊaccord avec Drac la coloriste. Là encore, je et derrière tout ça des hommes, avec voulais aller vers la synthèse, quÊil nÊy ait pas leurs forces et leurs faiblesses, en droite plein de matières, dÊéclairages. Il fallait garder ligne de ces documentaires BD qui ont cette idée de monotonie, cassée par le rouge du fait la réputation de Philippe Squarzoni sang. Pas beaucoup dÊéchappées, pas de ciel (Torture blanche, Dol, Saison brune). Mais bleu. Il y a une idée dÊenfermement. Finalement, cette fois avec une approche un peu que lÊenquête soit résolue ou pas, ça ne change différente. ÿ Je ne crache pas dans la soupe pas grand-chose. Bien sûr pour les policiers et mais je trouve que le récit documentaire BD à la les familles des victimes, mais il y aura toujours première personne devient une ritournelle. Les 240 homicides par an. CÊest quelque chose auteurs viennent des mêmes horizons, donc on dÊimplacable. Ÿ entend toujours un peu la même voix. Prendre THIERRY LEMAIRE le point de vue des hommes de la brigade, racon- ter par les yeux du sergent Landsman, ça per- met de rentrer dans la tête de gens qui nous sont vraiment très différents. Ÿ SYNTHÈSE ET SOBRIÉTÉ

Bien sûr, Philippe Squarzoni nÊest pas étranger non plus à la réussite du pro-

HOMICIDE © Squarzoni, d’après Simon / DELCOURT de Philippe Squarzoni, dÊaprès David Simon, Delcourt, 128 p. coul., 16,50 €

13 A ctu B d La der des ders de Charlie Suite et fin des aventures du jeune Bourne avec le dixième tome de La Grande Guerre de Charlie, une épopée dans la boue du conflit mondial signée Pat Mills et Joe Colquhoun. Retour sur une série pamphlet devenue un classique.

l nÊy a pas de secret. Pour quÊune plutôt de dénoncer lÊabsurdité du I série traverse les années, devienne conflit, dans ses causes et son déroule- un classique et parvienne à fasci- ment, et de considérer le soldat, quel ner de nouveaux lecteurs à 30 ans dÊin- que soit son camp, comme une victime tervalle, il faut quÊelle possède un certain dÊintérêts qui le dépassent. Un travail © Pat Mills et Joe Colquhoun / DELIRIUM nombre de qualités. Arrivé au dernier dÊéquilibriste pour Pat Mills, car La épisode de La Grande Guerre de Charlie Grande Guerre de Charlie est publiée à lÊori- après dix tomes et mille planches, il est gine en épisodes dans lÊhebdomadaire temps de faire le point sur cette chro- Battle, dont le titre résume bien le goût nique au long cours de la Première de ses lecteurs pour des récits guerriers. HIÉRARCHIE bien réels. Charlie Bourne, ÿ héros de la Guerre mondiale et de détailler ce qui ¤ raison de trois pages toutes les classe populaire Ÿ selon les propres mots en fait une histoire à part. Publié en semaines, lÊépopée du jeune Charlie Lire La Grande Guerre de Charlie, cÊest de Pat Mills, est la caisse de résonance Grande-Bretagne dans la première moi- Bourne rend donc justice aux sans non seulement avoir un panorama des de lÊextraordinaire absurdité doublée tié des années 80, le récit créé par Pat grades, au rythme des combats inces- principaux événements du conflit dÊinjustice dÊune guerre considérée de Mills et Joe Colquhoun est, comme les sants et des tombes creusées pour y mondial de 1916 (date dÊincorpora- manière illusoire comme ÿ la der des albums de Tardi sur le même sujet parus recevoir les corps des copains de tran- tion de Charlie Bourne) à 1919 (car le ders Ÿ. Ce goût amer dans la bouche, en France un peu plus tard, un jalon chées. Cette contrainte scénaristique jeune homme participe au combat des ce sentiment de gâchis sans fin, le lec- dans la représentation de la Guerre de de trois planches par épisode impose Russes blancs contre lÊarmée sovié- teur les garde intensément en tête une 14 en bande dessinée. Le parti pris du des séquences courtes qui ont parfois pu tique), mais cÊest aussi faire une visite fois la dernière page tournée. Et cÊest scénariste va à contre-courant des frustrer le scénariste et aurait pu donner guidée de lieux et de bataillons divers peut-être là la plus grande réussite de feuilletons dessinés qui parlent de à la narration un côté un peu haché. et variés, souvent surprenants par leur la série. guerre dans les publications militaires Même si le rythme est dicté par la fonction même, leur équipement ou THIERRY LEMAIRE ou les petits formats de lÊépoque. LÊidée nécessité dÊavoir une acmé toutes les les anecdotes qui leur sont liées. Ce ici nÊest pas de glorifier lÊhéroïsme et le trois pages, lÊhistoire publiée en recueil qui est encore plus remarquable pour courage des troupes britanniques, mais garde cependant une grande fluidité. le public français, cÊest que la série concerne le corps expéditionnaire bri- tannique, forcément moins connu des lecteurs hexagonaux. Est notamment souligné un phénomène beaucoup plus présent outre-Manche qui est la différence marquée de classes sociales à lÊintérieur de lÊarmée. Le décalage entre les officiers, majoritairement issus de lÊaristocratie, et le reste des effectifs britanniques est bien plus fla- grant que dans le camp français. Et © Pat Mills et Joe Colquhoun / DELIRIUM les conséquences peuvent atteindre des sommets dÊiniquité dÊun côté et de ressentiment de lÊautre. Si certaines situations décrites dans La Grande Guerre LA GRANDE GUERRE de Charlie apparaissent comme carica- DE CHARLIE, T.10 turales (des ordres assassins ou des punitions disproportionnées par de Pat Mills et Joe Colquhoun, Delirium, exemple), elles sont contre toute 112 p. n&b, 22 € attente inspirées par des témoignages

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Luisa, ici et là, de Carole Maurel Luisa est une trentenaire qui piétine. En vieillissant, elle TOPOGRAPHIE a peu à peu renoncé à ses ambitions artistiques (elle est photographe culinaire) et ne trouve pas de DES FILS D’EL TOPO mec quÊelle puisse supporter plus de quelques semaines. Elle est pourtant loin de la Sorti en 1970, le film El Topo suscita l’engouement des critiques et des vedettes branchées, remise en question jusquÊau jour où elle lançant même la mode des cinémas de minuit à New York. Jodorowsky nous en propose la suite découvre à sa porte la Luisa de 15 ans quÊelle était. Quel est ce miracle (ou dans une nouvelle série d’albums. El Topo signifiant la taupe en espagnol, creusons le sujet ! cauchemar) ? Sa version dÊelle ado lui rappelle ses ambitions de vie et surtout oète, mime, acteur et drama- ses préférences sexuelles inavouées⁄ Voici le pitch de cette sorte de Camille P turge, Jodorowsky (que lÊon redouble version BD ! Drôle, pertinent surnommera par la suite sim- et au graphisme impeccable, lÊalbum plement Jodo) avait profité dÊun long souligne la difficulté de lÊacceptation de soi, à tout âge. séjour au Mexique pour y tourner ce La Boîte à Bulle, 272 p. couleurs, 30 € film, sorte de western-tequila ésoté- HÉL˚NE BENEY rique où un tueur professionnel, presque aussi habile à la gâchette que LÊInversion de la courbe

Lucky Luke, tout de cuir noir vêtu, © Jodorowsky et Ladrönn / GLÉNAT des sentiments, de Peyraud Robinson affrontait quatre Maîtres afin de Thévenin est un dépasser les limites de sa conscience ÿ loser vintage Ÿ (mais peut-être aussi pour être sûr de désabusé dÊune cinquantaine conserver les faveurs de sa belle). Puis dÊannées. il sÊacharnait à libérer un groupe dÊin- Propriétaire firmes, handicapés et mutilés mis à dÊun magasin de lÊécart par dÊégoïstes villageois. CD/DVD à lÊère dÊInternet et des télécharge- ÉQUILIBRE ET PURETÉ ments, il est de nouveau célibataire et se persuade que cÊest ce quÊil souhaite. CÊest surtout un CÊest dÊailleurs là que commence lÊal- égocentrique à côté de ses pompes ! bum. Après lÊimmolation dÊEl Topo, Mais, comme dans lÊflil dÊun cyclone, ses deux fils, Caïn et Abel, vont donc Robi va se retrouver au cflur dÊune tempête dÊévénements qui vont sÊaffronter ; comme leurs prénoms lÊin- changer sa vie... Comédie romantique diquent, ils ont des caractères et burlesque à la française, le nouveau opposés. Fidèle à son habitude, Jodo one-shot de Peyrault est rafraîchissant. Mixant polar, amour, famille et remise ironise sur les hommes de religion, en question, cet album choral nous fait ÿ ces bandits hypocrites déguisés en maîtres La rencontre dÊune jeune femme qui va quelques doutes sur le message forte- passer un excellent moment. spirituels Ÿ, mais il aborde aussi à nou- oser lui tendre un bol dÊeau bénite va ment codé de Jodo (symboles et méta- Futuropolis, 192 p. couleurs, 26 € HB veau le thème de la quête de lÊéquilibre changer sa vie. phores, allusions à la Bible, ésotérisme et de la pureté. Maudit par son père, et métaphysique), mais tout sÊéclaircira Mr. MooMoo, de Pow Caïn nÊest plus visible par les humains, ÉSOTÉRISME ET MÉTAPHYSIQUE sans doute par la suite ! Il faut passer et il cherche à retrouver sa normalité. JEAN-PHILIPPE RENOUX outre le titre pas Le dessinateur mexicain Ladrönn très vendeur, le dessin cartoony illustre cette série. Fortement remar- qui fait plus qué chez Marvel à lÊépoque de la penser à Shaun publication de quelques comics le mouton quÊà Milo Manara, (notamment plusieurs Cable et une le fait que le mini-série écrite par Pacheco, Les personnage Inhumains), il tourna volontairement le principal soit un bonhomme en dos au rythme de production effréné forme dÊfluf, et que toute la BD est des publications américaines pour se sans parole. Une fois quÊon se sera © Jodorowsky et Ladrönn / GLÉNAT consacrer à de la peinture et à la publi- risqué à lire les premières pages, donc, on ne refermera pas le livre avant la fin, cation dÊalbums aux Humanoïdes tant lÊhistoire de Mr. MooMoo est Associés, comme la mini-série Final passionnante, fascinante, touchante. Mr. Incal qui se situe dans le futur de John MooMoo cherche lÊamour, croit lÊavoir trouvé, croit lÊavoir perdu, fait toujours Difool. Mais alors quÊil y adoptait un le même cauchemar, baise avec une trait à la Mflbius, il livre ici des salope, se souvient de son enfance⁄ planches plutôt inspirées de Boucq et Lorsque lÊauteur fait parler les Gir. Plus de réalisme et dÊombres, de personnages, il se contente de mettre de petits dessins dans quelques rares travail sur la matière, des gros plans LES FILS DÊEL TOPO, T.1 bulles. Mais de petits dessins ô expressifs, un certain impact dans le CA˛N combien évocateurs dÊémotions. mouvement ! Tout simplement merveilleux. de Jodorowsky et Ladrönn, Monsieur Pop Corn, 88 p. coul., 12 € Ce traitement graphique relativement Glénat, 64 p. coul., 14,95 € OLIVIER THIERRY classique laisse tout de même planer

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Jérôme K. Jérôme Bloche, l'intégrale T.4, de Dodier Cette intégrale méritée présente sous une forme atypique pour l'éditeur (noir NAISSANCE D’UN CRI et blanc, aucune préface, format idées révoltantes. Rien de neuf sous le légèrement réduit) soleil, la radicalité ayant toujours cho- les enquêtes récentes de qué la morale et le bourgeois. notre jeune détective. On se souvient qu'après des premiers albums co-écrits DRAMES FAMILIAUX par Le Tendre et Makyo, le dessinateur reprit l'ensemble de la série en main, sans coup férir ! L'univers de la série Son séjour parisien, et les rencontres était campé, Dodier s'y sent fort à l'aise. artistiques quÊil y fait à lÊâge de 26 ans, Le jeune Bloche est passionné par les enquêtes, il porte un imper à la Bogart, confortent Edvard Munch dans la mais il ne boit pas d'alcool et il roule en direction picturale quÊil prend. Mais le Solex (mais il a tout de même une amie grand public nÊest pas encore prêt. hôtesse de l'air.). Ses enquêtes Réactions de dégoût et annulations concilient infortunes, distractions et judicieuses déductions. Une lecture de ses expositions ponctuent ses ten- tout public distrayante , pleine de tatives de percer dans le métier. Le subtilité nonchalante. jeune homme ne rebrousse pas chemin Dupuis, 326 p. n&b, 24 € MICHEL DARTAY pour autant. Il continue à tracer son sillon, plombé par un cercle familial Les Nains, T.4, de Nicolas qui se disloque année après année. La Jarry et Jean-Paul Bordier tuberculose emporte tour à tour sa Oösram, général de mère et sa sflur. La pneumonie ter- l'Ordre du Bouclier, voit sa vie basculer rasse son frère (de constitution fra- pour avoir caché gile, Munch mourra dÊailleurs de la à son roi l'or même maladie, mais à lÊâge de 80 ans). remporté lors de la dernière guerre La dépression ronge son autre sflur. contre les Elfes. Comment sÊétonner alors que lÊan- Banni du royaume © Giorgia Marras / STEINKIS goisse et la mélancolie soient aussi avec sa famille, il devient un sans-ordre, un errant, présentes dans les toiles du Nor- dépossédé de tous ses biens. Pourtant, Le cheminement d’un artiste vers son œuvre est toujours très végien ? Munch avant Munch montre bien des années plus tard, devenu instructif. Avec Munch avant Munch, Giorgia Marras décrit le très bien le contexte et le caractère de fermier, une nouvelle erreur de sa part cette éclosion ainsi que les difficultés le fera se rappeler au souvenir de son parcours accidenté d’Edvard Munch avant sa reconnaissance roi. Porté par la culpabilité de ses actes auprès du grand public. Une belle évocation. rencontrées par le peintre pour sÊépa- et l'amour pour sa famille, Oösram nouir artistiquement et personnelle- s'engage alors dans une nouvelle quête e chemin vers la postérité est tain courage au natif dÊÅdalsbruk pour ment. Heureusement pour lui, il reçoit pour faire du peuple des Errants le cinquième Ordre des Nains. Nouvelle L souvent pavé de sacrifices et surmonter les critiques, le mépris et la le soutien de certains esprits avisés pierre à lÊédifice des Terres D'Arran, ce de souffrance. CÊest le cas violente étroitesse de vue de ses comme les dramaturges Henrik Ibsen nouveau tome ravira à coup sûr les fans pour Edvard Munch, auteur du fameux contemporains. Ce que propose et August Strindberg. De quoi donner de la série. Soleil, 56 p. couleurs, 14,95 € Cri, tableau (dont il existe cinq ver- Munch avant Munch, cÊest de parcourir du baume au cflur avant dÊobtenir la GREG SOUDIER sions) célébré dans le monde entier, les années charnières du peintre, au reconnaissance du public. ÿ La grande devenu symbole universel de ÿ lÊan- sortir de son adolescence. Celles des habilité de Munch réside dans sa capacité à Les Trois Grognards, T.1, goisse existentielle Ÿ (et accessoire- choix radicaux. Comme celui de sÊen- sonder les côtés les plus obscurs de la vie Ÿ, de Salsedo et Hautière ment la toile la plus chère de lÊHistoire gager dans une aléatoire carrière de souligne un personnage dans lÊalbum. 1805 : Napoléon irait bien faire un avec une vente à 120 millions de dol- peintre dès lÊâge de 16 ans. Ou de fré- Un talent qui dérange forcément. tour avec ses lars). LÊartiste norvégien, précurseur quenter un cercle dÊanarchistes norvé- troupes en de lÊexpressionisme, est un de ces giens aux idées larges et aux mflurs THIERRY LEMAIRE Angleterre. Honoré est noir, de Saint- peintres qui ont fait considérablement libres qui modèle son esprit mais Domingue, évoluer le 3e art, mais à quel prix ! Il inquiète ses proches. Son père méde- ex-lieutenant et en aura fallu une sacrée dose de persévé- cin traite en effet ces intellectuels de prison. Il aimerait rance, de force de caractère et un cer- bohémiens, dÊimpies, de fainéants aux bien régler ses comptes avec le Corse qui a écrasé dans le sang la révolte des ses amis sur son île des Caraïbes. CÊest ce quÊon lui propose. Libéré, il rejoint en uniforme lÊarmée française à Boulogne et va se faire des copains, un gringalet et une armoire à glace. Il ne lui reste plus quÊà voler les plans de bataille de Napoléon et les donner à une belle brune. Un peu

trop simple. Hautière, après Un Homme © Giorgia Marras / STEINKIS de joie et le New York des années 20, passe au feuilleton historique avec des mousquetaires grognards qui ont de la surface et de lÊhumour. Salsedo, dÊun trait clair, sait aussi accentuer quand il le faut le côté caricatural des personnages. Avec ce premier tome, MUNCH AVANT MUNCH les bases sont posées et lÊaventure peut prendre son envol, au pas rythmé de la Grande Armée. de Giorgia Marras, Casterman, 56 p. couleurs, 14,95 € Steinkis, 120 p. bichro., 18 € JEAN-LAURENT TRUC

18 A ctu B d © Larcenet, d’après Claudel / DARGAUD

NOIRE BRODERIE

Manu Larcenet termine son adaptation du roman de Philippe Claudel comme il l’a débutée : brillamment. i ce deuxième tome du gestes ou objets liés au personnage S Rapport de Brodeck est dans la représenté sont alors saisis de près, continuité du premier – qui mettant en avant les nombreux traits fut lÊune des bandes dessinées mar- qui peuvent les constituer. Le dessin quantes de 2015 –, il va encore plus sÊattache également aux décors, en loin. Cela provient dÊabord de lÊhis- particulier pour y fondre – y noyer ? toire : au fil des pages, la rédaction du – les personnages qui sÊy trouvent. Par rapport dans lequel Brodeck conte ce ces partis pris, Manu Larcenet saisit et qui a conduit à lÊassassinat de lÊétran- dévoile le cheminement physique et ger avance, et cela génère un flot de mental du dénommé Brodeck. Au souvenirs, donc des flash-back. Des final, le lecteur sort bouleversé⁄ et éléments jusquÊici restés dans lÊombre groggy. sont désormais révélés et il en découle BORIS HENRY un certain suspense, lÊhistoire se rap- prochant alors du thriller. OMBRES ET LUMIÈRES

Ce tome prend toujours davantage lÊaspect dÊun cauchemar éveillé et se révèle encore plus terrifiant que le précédent – cÊest dire ! –, notamment grâce aux choix narratifs et graphiques adoptés par Manu Larcenet. Le dessin de ce dernier semble avoir pris une nouvelle ampleur, par son trait comme par son travail sur la lumière. Fascinant de bout en bout, celui-ci est sans doute dÊautant plus impressionnant LE RAPPORT DE BRODECK, T.2 quÊil repose sur un noir et blanc de Manu Larcenet, contrasté évoquant tour à tour la gra- dÊaprès Philippe Claudel, vure ou le théâtre dÊombres. Le dessin Dargaud, 168 p. n&b, 22,50 € colle souvent aux corps ; visages,

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Sex Story, de Philippe Brenot et LÕtitia Coryn Après Il était une fois... la vie, lÊespace ou en encore les L’habit ne explorateurs, voici lÊhistoire de la sexualité, avec dans le rôle de Maestro – uniquement en fait pas le groom voix off cette fois-ci –, Diantre, voilà que l’auteur du Royaume imagine les noces de Fantasio avec une riche héritière. Philippe Brenot, psychiatre et anthropologue. Si la comparaison avec L’éternel complice de Spirou aurait-il décidé de faire une croix sur l’aventure ? la série animée sÊimpose, cÊest parce quÊun ton léger et un humour bon enfant égaient les pages de Sex Story, sans jamais nuire à sa vocation pédagogique. Accompagné du dessin charmant de LÕtitia Coryn, Brenot balaie dans ce copieux ouvrage plusieurs millénaires de sexualité, entre avancées et reculs, luttes et répressions, croyances et découvertes. Découpé en courts chapitres, lÊalbum donne parfois une légère impression de survol, mais

dispense surtout une vue dÊensemble © Éditions Dupuis, 2016 – Feroumont particulièrement instructive sur le sujet. Les arènes BD, 208 p. couleurs, 24,90 € OLIVIER PISELLA

La Jeunesse de Thorgal, T.4, Berserkers, de Yann et Surzhenko CÊest bien dessiné, bien écrit, bien rythmé. Un bon produit commercial. Dont se dégage une furieuse absence de poésie, de romantisme, u détour dÊune planche de La qui pousse légitimement lÊéditeur à mul- de femmes au premier plan, de de surprise. Colère du Marsupilami, dernière tiplier les projets. Preuve en est lÊallé- Seccotine à la patronne acariâtre, en Le suspense en est dÊautant plus absent A que cette série se déroulant dans le aventure en date de la série chant planning des deux années à venir passant par une flic surexcitée et la passé, on sait déjà ce quÊil adviendra supervisée par le duo Yoann et constitué dans le désordre de Fondation propre mère de Spirou ! Avec un talent des personnages : Thorgal et Aaricia Vehlmann, un Zantafio goguenard ten- Z par Lebeault et Filippi, Sumaya par pour le découpage des scènes dÊaction survivront aux écueils et se marieront. Bref, peu de marge de manfluvre pour tait de faire croire au groom quÊil avait Hardy & Zidrou, Ptirou par Verron et qui rappelle son expérience dans lÊani- le scénariste. Les multiples références effacé tout souvenir de son mariage. Sente, et La Gorgone bleue par Dany et mation, lÊauteur du Royaume éloigne pro- érudites à la mythologie nordique ne Une boutade que Benoît Feroumont Yann, ainsi que des suites de La Femme visoirement Spirou de son éternel com- comblent pas le sentiment de vide. Sans faute et sans génie. transpose lui à Fantasio pour son album léopard et du Journal dÊun ingénu. plice, trop occupé à roucouler avec sa Le Lombard, 48 p. couleurs, 12 € carte blanche qui étoffe la collection promise, et glisse un message salutaire OLIVIER THIERRY ÿ Spirou par⁄ Ÿ, qui confie les rênes GIRL POWER sur lÊégalité des sexes dont le propos de la série à un ou deux auteurs le temps reste, hélas, toujours dÊactualité. Jeanne dÊArc, de Le Gris, dÊun album. Chaque auteur sÊapproprie LÊaction du neuvième one-shot prend GERSENDE BOLLUT Noé et Gaude-Ferragu et bouscule les codes de lÊunivers, sans place à Bruxelles, à lÊautomne 1942. La collection ÿ Ils ont fait incidence sur la série-mère. Des huit Recherchées activement par la Gestapo, lÊHistoire Ÿ, albums parus jusquÊà présent, Le Groom deux femmes rajeunissent miraculeuse- souvent un peu vert-de-gris de Schwartz et Yann et Le ment grâce au pouvoir dÊun étrange ÿ scolaire Ÿ dans la Journal dÊun ingénu dÊÉmile Bravo trô- bijou⁄ Retour au monde contempo- construction de nent en tête des ventes avec respecti- rain, où Fantasio est sur le point de ses récits, offre vement 92 000 et 100 000 exemplaires convoler avec lÊhéritière dÊun magnat avec Jeanne dÊArc un album écoulés à ce jour. Un succès irrésistible de la presse féminine, tandis que Spirou très dynamique, fait équipe avec Seccotine pour débus- à lÊangle quer une voleuse de bijoux. Ne pas se scénaristique intéressant. Même si le fil chronologique déroulé, celui des fier aux apparences : tel pourrait être le exploits de la Pucelle dÊOrléans, est leitmotiv de cet album malicieux. De la classique, lÊaccent est porté sur le même manière que la couverture fleur ressenti des deux principaux protagonistes. Après un début dÊépopée bleue est trompeuse, les voleurs ne sont irrésistible, Jeanne va de déceptions en pas toujours ceux que lÊon croit, et les désillusions. Malgré son admiration femmes entendent sÊaffranchir des éti- pour la jeune femme, Charles VII se quettes que certains hommes (à com- résout quant à lui à obéir à la raison © Éditions Dupuis, 2016 – Feroumont FANTASIO SE MARIE dÊÉtat. CÊest cette touche mélancolique mencer par le héros) leur collent encore. (et le dessin !) qui fait la réussite de Sur un ton badin, lÊalbum démonte en de Benoît Feroumont, lÊalbum. effet les clichés sexistes et impose même Glénat / Fayard, 56 p. couleurs, 14,50 € Dupuis, 72 p. coul., 14,50 € THIERRY LEMAIRE une vraie parité avec une multiplication

20 A ctu B d Y’A DES MARINS QUI CHANTENT... La mer, l’amour, la mort, sont au rendez-vous du Port des marins perdus. La mer trop calme ou trop furieuse ; l’amour parfois partagé mais toujours inassouvi ; et la mort qui parfois sait se montrer patiente, pour que certains destins puissent s’accomplir…

n 1807, un naufragé dÊune quinzaine E dÊannées a été secouru par le HMS Explorer, navire britannique. De son passé, le garçon a tout oublié sauf son prénom et quelques images fugitives, incompréhensibles. Engagé comme simple mousse en attendant de rejoindre la côte anglaise, Abel montre de solides compétences

de marin et même en matière de combat naval⁄ ce et Radice / GLÉNAT © Turconi qui attise le mystère autour de sa personne. Et la méfiance, car le jeune homme semble capable dÊapercevoir le mythique et redouté ÿ port des marins perdus Ÿ au large dans la brume. Ce nÊest pas un bon présage. Comme lÊexplique un vieux loup de mer dÊun air sombre, ÿ Le port des marins perdus appa- raît et disparaît dans la brume, mais il nÊest pas donné à tout le monde de le voir⁄ Ceux qui lÊont atteint ne sont jamais reve- nus pour en parler. Parce que cÊest pas toi qui choisis dÊentrer dans le port⁄ CÊest le port qui te choisit ! Ÿ OCEANO NOX

Conçu sous la forme dÊun ÿ opéra graphique en 4 actes Ÿ, Le Port des marins perdus a obtenu le prix du meilleur roman graphique en Italie (son pays dÊorigine) au fes- tival de Lucca 2015, lÊéquivalent transalpin du festi- val dÊAngoulême (créé en 1965, il est dÊailleurs son devancier, a servi de modèle à Angoulême, et Lucca revendiquait en 2015 une audience de 240 000 visi- teurs, qui en fait la convention BD la plus importante dÊEurope. Bref, la récompense nÊest pas anecdotique). Les auteurs sont un couple à la ville, Teresa Radice pour le scénario et Stefano Turconi au dessin. Ils ont JETEZ L’ENCRE ! derrière eux une dizaine dÊannées dÊexpérience chez Disney, et on trouve dans leur bibliographie une Si le scénario sÊautorise une certaine noirceur, le des- adaptation ÿ à la sauce Mickey Ÿ de LÊ˝le au trésor de sin est, même dans les scènes les plus poignantes, R.L. Stevenson. Du reste, le présent ouvrage rend lui dÊune incroyable légèreté. École Disney oblige, aussi hommage au créateur de Long John Silver, en Turconi dessine comme il respire, avec une grande appelant Stevenson un des protagonistes⁄ La com- spontanéité. Ses personnages, bateaux et paysages paraison sÊarrête là, car sÊil comporte son lot dÊem- semblent croqués sur le vif, avec beaucoup dÊai- bruns, de tempêtes et de combats, ce nÊest pas un récit sance, de délicatesse et de fluidité. Et pour que le de pirates, mais une grande histoire dÊamour, dÊami- trait naturel du dessinateur et sa dynamique soient tié et de trahison ; racontée avec romantisme et dans restitués nus, la totalité des 320 planches de ce un souci constant de poésie et de musicalité, avec de livre sont réalisées en purs nombreuses citations de poètes anglais de lÊépoque crayonnés, sans passer par un dont William Blake, Samuel Coleridge et William encrage qui aurait risqué dÊalour- Wordsworth⁄ et plus curieusement de Pablo dir lÊensemble. Le livre est donc Neruda. Très émotionnelle, lÊécriture verse parfois une belle réussite et offre un beau dans une certaine grandiloquence, mais parvient tout moment de lecture et de contem- de même à atteindre son objectif : créer une relation plation. forte avec les personnages et toucher le cflur du JÉRłME BRIOT lecteur. LÊoriginalité du récit est aussi de ne pas uni- quement dire lÊattachement des marins aux océans, mais de montrer également leurs relations ambiguës  LE PORT DES MARINS PERDUS avec la terre, ceux qui y vivent, les amours quÊils y lais- de Stefano Turconi et Teresa Radice, sent, les familles qui les y attendent. Glénat, coll. Treize étrange, 320 p. n&b, 22 €

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Un Juste de Guillon et Cénou Beaucoup dÊhommes et de femmes ont eu un grand rôle dans le TERMINUS, sauvetage de famille juives pendant la Deuxième Guerre mondiale. Tandis que beaucoup ont TOUT LE MONDE DESCEND reçu la reconnais- sance via la médaille des Justes entre les Nations, tant Il y a quelques années, les éditions Ankama (sous la direction d’Olivier Vatine et en partenariat dÊautres sont restés dans lÊombre et tombés dans lÊoubli⁄ Afin de rétablir la avec Comix Buro) ont créé une collection de BD autour des œuvres de Stefan Wul, un vivier de vérité de lÊHistoire, Myriam Lévy, sauvée scénarios… Le nouveau titre est Terminus 1, histoire entre piraterie, amour et space opera. ainsi que sa famille par Fernand et Aurélie Cénou, fera tout pour réparer cette injustice. Ces deux familles sont liées pour lÊéternité. Basé sur lÊhistoire de lÊarrière grand-père du dessinateur, cet album mêle petite et grande histoire afin de rappeler que lÊhumain passe avant tout. La Boîte à Bulles, 160 p. n&b, 18 € HÉL˚NE BENEY

The Last of Us - American Dreams, de Neil Druckmann

et Faith Erin Hicks / ANKAMA et Ponzio, d’après Wul © Le Tendre En 2013, la parution sur PlayStation 3 du survival horror The Last of Us, du studio responsable de la saga Uncharted et, les trentenaires sÊen souviennent, de la série Crash Bandicoot, créait lÊévénement. En attendant le probable deuxième volet dÊun jeu vidéo ventilé à dix millions dÊexemplaires à travers le monde (succès justifié), lÊéditeur Omaké Books a la bonne idée de traduire le comic-book dérivé intitulé American Dreams, paru outre-Atlantique dans la foulée du jeu, qui relate les origines de lÊamitié entre Ellie et Riley, deux adolescentes téméraires. Bien ficelée, lÊaventure réserve quelques sueurs froides, notamment lors dÊun assaut dÊinfectés. our les retardataires, Pierre de guêpes dÊor, il se sert de ses dons de lÊOiseau du temps⁄), dont ce premier Omaké Books, 116 p. couleurs, 15 € Pairault (né dans les années télépathie pour de minables arnaques. tome démarre vite et bien. Dépassez ZAPP BRANNIGAN P 20 à Paris et mort en 2003), ¤ la suite dÊune partie qui tourne mal, vos a priori, car voici encore une excel- Tonnerre de bulles !, n°11 alias Stefan Wul, est lÊun des piliers de il retrouve une vieille connaissance, la lente pépite pour ÿ Les Univers de Le dernier numéro la populaire collection Anticipation de célèbre sorcière rousse, flamboyante Stefan Wul Ÿ. de la revue est Fleuve Noir. Une collection dans pirate dans sa jeunesse. LÊarnaqueuse a HÉL˚NE BENEY consacré à Juliette laquelle les plus grands auteurs de SF un projet : récupérer un trésor dans les Derenne, Roosevelt, Brucero et à Jean- des années 60-70 se firent les dents⁄ montagnes de la planète Walden. Un Yves Mitton. Pour Un maître pour pléthore dÊartistes, dont cimetière de vaisseaux spatiaux toute une beaucoup dans le milieu du Neuvième contient assez de Palladium pour sÊas- génération, Mitton fut le dessinateur de Art (Mflbius, Mézières, Druillet⁄). seoir sur un gros pactole jusquÊà la fin héros costumés à Wul a écrit 11 romans et donc autant de ses jours. la française ou de séries fortement dÊincontournables de la littérature du imprégnées par lÊinfluence des comics genre à découvrir en bande dessinée ! PHOTORÉALISME américains. On lui doit notamment un très honorable épisode (en deux Depuis quatre ans, les adaptations (sept parties) du Surfer dÊArgent paru séries à ce jour) sÊenchaînent avec un Julius se laisse embarquer, mais lors du uniquement en France, dans les pages haut niveau dÊexigence. voyage interstellaire, il sauve in extre- de Nova. Pour dÊautres, cÊest grâce à son inventivité que Blek le roc parvint à se mis une voyageuse clandestine. La pure renouveler et à passer le cap des GUÊPES jeune femme va forcément changer sa années 70. Bien quÊil fut longtemps en vie et bouleverser légèrement sa tra- marge de la production classique, son apport a donc été indéniable. CÊest à Cette fois-ci, cÊest le duo Le Tendre et jectoire⁄ travers un long entretien, sous forme Ponzio qui sÊattaque à Terminus 1. On y Un excellent début de série, dont le dÊabécédaire, que le dessinateur nous découvre les aventures de Julius, arna- graphisme ultra-réaliste (photoréaliste TERMINUS 1, T.1 fait découvrir lÊétendue de son parcours et son attachement aux queur à la petite semaine, qui végète en même) peut dérouter au premier abord LÊHOMME ¤ LA VALISE éditions Lug. Les nostalgiques de trichant dans des parties de poker. Son les fans du dessin franco-belge. Strange et les amateurs de Vae Victis problème ? Il nÊa rien dÊune crapule Pourtant, il serait dommage de se pri- de Le Tendre et Ponzio, apprécieront. mais doit bien vivre⁄ Capable de lire ver du plaisir de cette super adapta- dÊaprès Stefan Wul, Les Petits Sapristains, 64 p. couleurs, 6 € € KAMIL PLEJWALTZSKY dans les pensées à la suite dÊune attaque tion de Serge Le Tendre (La Quête de Ankama, 56 p. coul., 13,90

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A ctu B d SANGUIN, MAIS PAS CON Formidable portrait d’une dynastie de géants cruels et dégénérés, Les Ogres-Dieux d’Hubert et Gatignol situe son second tome chez les humains. Lesquels, loin de se rebeller contre leurs maîtres, sont occupés à conspirer les uns contre les autres…

un récit parallèle au premier. Demi-Sang est lÊhistoire de Yori Draken, cet humain né des amours extraconjugales entre un Noble-né et une domestique puis renié par son père. Parti de rien, ambitieux, prêt à tout et avide de vengeance, Yori montera tout en haut de lÊéchelle sociale humaine, à force de manfluvres poli- tiques et de compromissions. Dans la

© Éditions Soleil, 2016 – Hubert, Gatignol capitale des Ogres-Dieux, il occupera le poste de Chambellan et sera donc, pour ses congénères, la ÿ Main des Dieux Ÿ, chargé dÊorganiser le quotidien à la cour des Ogres et de satisfaire toutes les requêtes de la famille royale. Mais entre le caractère irritable et imprévisible des Ogres-Dieux et les conspirations de ses rivaux Nobles-nés qui le jalousent et ne le reconnaissent pas comme un des leurs, Yori sÊest choisi un chemin très dangereux. Comme dans le précédent volume, la narration propose des intermèdes tex- tuels, issus cette fois du ÿ Livre des cham- bellans Ÿ, qui permettront de découvrir ccupés à manger des hommes Gatignol avec des noirs et blancs dÊune les amateurs de mythologie ou de les attraits, mais aussi les risques liés à O comme les Français se repais- élégance bouleversante, la saga fascine contes et légendes, et les lecteurs et cette fonction tellement convoitée. sent de grenouilles, les par sa beauté esthétique, par la cruauté spectateurs de Game of Thrones⁄ Originalité supplémentaire, Demi-Sang immenses Ogres-Dieux, servis par une de son histoire et par sa forme inhabi- partage quatre planches avec Petit. Car armada de laquais humains, sont en plein tuelle. Le récit du destin de Petit est LA MAIN DES OGRES-DIEUX oui, les lecteurs du tome 1 ont déjà vu repas lorsque la Reine qui ne se savait entrecoupé de chapitres extraits du Yori dans le tome précédent, pages 99 même pas enceinte, accouche. ¤ son ÿ Livre des aïeux Ÿ, qui sont autant de ⁄ mais pas de quoi les assouvir totale- à 101 et page 104 ! LÊhistoire étant cette échelle, le bébé fait la taille dÊune olive. contes (sous forme de textes illustrés) ment, tant le premier tome suscite de fois centrée sur lui, nous allons assister Il présente donc des proportions tout-à- nous permettant de comprendre lÊas- questions sur cet univers visiblement aux coulisses et voir comment cet intri- fait ÿ humaines Ÿ. Pour le Roi, cÊest une cension et le déclin de la race des très riche. Heureusement, Hubert et gant manipule jusquÊaux Ogres eux- infamie. ¤ force de consanguinité, Ogres-Dieux, grâce à lÊhistoire de cer- Gatignol ont repris du service pour un mêmes pour accomplir sa vengeance puisque leur gigantisme leur interdit tains de ses membres. De quoi ravir deuxième volume. Pas une suite, plutôt et obtenir toujours plus de pouvoir. de trouver à se marier en dehors de leur propre cercle familial, la race des JÉRłME BRIOT Ogres ne cesse de dégénérer. Chaque nouvelle génération est plus petite et plus débile que la précédente⁄ mais là cÊen est trop ! Pour échapper à la colère de son époux, la Reine sÊempare du nouveau-né, le met dans sa bouche et prétend lÊavoir avalé. En réalité il nÊen est rien. Cet enfant quÊelle a baptisé ÿ Petit Ÿ, la Reine le confie à sa tante © Éditions Soleil, 2016 – Hubert, Gatignol Desdée, ogresse gigantesque qui se refuse à consommer de la chair humaine, pour quÊelle le protège et lÊé- duque. Car Petit pourrait bien être un nouveau ÿ Fondateur Ÿ : capable de par sa taille de sÊaccoupler avec des humaines, il pourrait bien être celui par qui la race des Ogres retrouvera LES OGRES-DIEUX, T.2 toute sa vigueur et sa puissance dÊantan. DEMI-SANG Tel est le début du premier tome des Ogres-Dieux. Conte dÊune cohérence de Bertrand Gatignol et Hubert, Soleil, quasi mythologique imaginé par 152 p. n&b et or, 22,95 € Hubert, mis en scène et en images par

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C omics GLÉNAT COMICS : un label défricheur Alors que les super-héros américains s’enlisent parfois dans des scénarios médiocres, une tendance est en train de s’enraciner durablement chez les lecteurs de comics. Cette dernière mélange les genres, les talents et les influences ; le plus souvent pour le meilleur.

est né dÊune rencontre prophétique entre Jacques Glénat, Jean Paciuilli (D.G. Glénat), Benoît Cousin (Directeur éditorial BD) et le duo que je forme avec mon vieux compère Jean-David Morvan – lors dÊun dîner à Angoulême, en 2014. Nous travaillions alors avec Jean-David sur des développements de projets typés comics (achats de droits et créations origi- nales) entre les États-Unis, lÊEurope et le Japon. De fil en aiguille, nous avons étudié plusieurs formes de AND TYLER CROOK © 2016 GLÉNAT. partenariats possibles. LÊenvie de relancer une activité Glénat Comics plus ambitieuse est née au cours de cette réflexion. HARROW COUNTY HARROW COUNTY™ © 2015-2016 CULLEN BUNN Le montage final est simple, jÊassure la direction es éditions Delcourt avaient pressenti cette opérationnelle et éditoriale du label, Jean-David L lame de fond en misant sur des séries hors mÊépaule en qualité de consultant externe. Cela fait normes (Walking Dead, Echos, Girls, Velvet, etc.) ; de nombreuses années que nous collaborons à des Glénat Comics nÊest pas en reste avec ses parutions projets communs sous des formes diverses. Il inter- récentes. Olivier Jalabert, responsable éditorial de la vient davantage au niveau créatif et moi sur un plan collection, explique ce phénomène à travers son plus économique. Nous travaillons en revanche les implication au sein de la collection quÊil dirige. réflexions et synergies en commun. On se com- plète bien. INTERVIEW monstres qui peuplent notre enfance. Nous tou- Quelle est la ligne éditoriale du label ? chons à plusieurs genres, mais nous maintenons le Comment est né le label Glénat Comics ? JÊaime bien comparer Glénat Comics à une sorte cap dÊun lectorat plutôt adulte. Olivier Jalabert : Dans sa version actuelle (que lÊon dÊincubateur de nouvelles tendances du médium amé- baptise affectueusement 2.0 chez nous), je dirais quÊil ricain ; ça fait chic et choc, mais cÊest assez vrai dans Souhaitez-vous créer des collaborations entre le sens où il réunit plusieurs objectifs : mettre en artistes américains et français ? NOTRE SÉLECTION GLÉNAT COMICS avant de nouvelles séries dÊauteurs renommés, révé- Tout à fait, cÊest même bien avancé (sourire). Je dirais ler les talents de demain, mais également développer que nous arrangeons déjà des mariages entre auteurs armi les titres passés, nous avons déjà exprimé dans des créations originales internationales. Nous de différentes cultures narratives (comics américains, P nos pages tout le bien que nous pensions de publions des fluvres dans des genres très variés : bande dessinée européenne et roman graphique Lazarus, Drifter ou encore Orphelins. ¤ ces trois séries, comédie truculente (Sex Criminals), récits engagés japonais) et nous comptons poursuivre en ce sens. il faut ajouter Letter 44, The Bunker et Ragnarök. The Bunker met en place un suspense passionnant sur fond (The Infinite Loop, Bitch Planet), western surnaturel (Pretty de science-fiction à la Philip K. Dick (Le Voyageur de lÊin- Deadly), thriller dystopique (Lazarus), science-fiction connu). En dépit dÊun dessin un peu rebutant pour un lec- (Drifter), humour fantastique (Rumble, Shaolin Cowboy), torat adulte, Ragnarök propose en fin de compte une his- récit intimiste (Heart in a Box), policier (Polar, Dead

toire décalée par rapport à tout ce qui a pu se faire en Letters), fantastique (Day Men)⁄ Tous les genres sont © 2016 GLÉNAT. matière de fantasy. permis, mais nous restons sur une démographie plutôt Du côté des sorties plus récentes, ou à paraître pro- ado-adultes. Nous nous évertuons en outre à ouvrir chainement, Rumble surprend par son originalité et sa de plus en plus les comics à un lectorat féminin. richesse, Lady Mechanika déploie un univers et une intrigue steampunk très réjouissants et Lady Killer Dans quelles directions pensez-vous vous engager ? convainc grâce à un dessin remarquable et une narra- Nous avons un programme de créations originales tion pour le moins politiquement incorrecte. qui vont voir le jour dès la fin 2016. Je peux vous Un peu plus tard, cet été, les lecteurs pourront appré- citer, par exemple, HadrianÊs Wall de Kyle Higgins, 1 cier deux séries fantastiques de qualité : Harrow County, Alec Siegel et Rod Reis . Il y aura aussi un western avec son atmosphère lugubre à souhait et lÊexcellent spatial intitulé, Le Haut Palais de Mike Carey et Peter Robbie Burns: Witch Hunter – une histoire fantastique très Gross2 et Lowlifes, un récit uchronique dans une efficace (certainement influencée par lÊfluvre de Mike Europe du XVe siècle fantasmée, signé Brian Mignola) qui remporte un grand succès critique en Buccelatto et Alexis Sentenac3. Nous avons égale- Angleterre. Pour finir, nous attirons votre attention sur ment à notre programme Sukeban Turbo de Sylvain lÊarrivée en fin dÊannée de The Wicked + The Divine, un © 2015-2016 JOËLLE JONES AND JAMIE S. RICH. DARK HORSE BOOKS ® 4 récit impressionnant, plébiscité outre-Atlantique pour Runberg et Victor Santos , une histoire de gang de ses ambitions. motocyclistes, mais aussi Croquemitaines de Matthieu KP Salvia et Djet5, un récit fantastique au sujet des LADY KILLER

26 C omics LADY MECHANIKA © 2015 Joe Benitez. All Rights reserved. 2016 GLÉNAT. MECHANIKA LADY

LADY MECHANIKA Ne pensez-vous pas que ce type de que cette tendance est en train de démarche pourrait enfin permettre sÊenraciner dans les habitudes de lec- aux créations françaises de pénétrer ture. La reconnaissance critique ainsi durablement le marché américain ? que les ventes démontrent que le Oui, tout à fait (sourire entendu)... Je marché français a répondu favora- pense que cÊest de cette façon quÊil blement à notre arrivée. Notre label faut aborder les choses, comme je le est encore très jeune et nous sommes croyais déjà il y a quelques années dans une position de challengers bien quand jÊai participé activement au sûr, mais nous espérons que la ligne montage dÊun partenariat entre Marvel éditoriale que nous avons choisie et Soleil pour la publication de plu- saura toucher à la fois le public des sieurs séries aux États-Unis. Ce nÊétait comics existant mais également cap- encore que des prémices, mais la ten- ter des lecteurs qui nÊauraient pas dance a évolué et elle est encore plus spontanément acheté de récits de favorable aujourdÊhui il me semble. super-héros. ¤ en juger par lÊactivité Les passerelles sont plus solides. grandissante sur les réseaux sociaux (nos pages Facebook, Twitter, Quel constat faites-vous après les Instagram) et notre site Internet dédié deux années dÊexistence de ce pro- glenatcomics.com, le public se jet ? Les lecteurs répondent-ils pré- montre de plus en plus actif et inté- sent en dépit de lÊoffre imposante de ressé par notre production. Nous nÊen la concurrence ? sommes encore quÊaux débuts bien Les comics de création originale sûr, mais cÊest déjà un joli premier (comics de genre) sont en train de pas de franchi. se développer fortement. DÊailleurs, si PROPOS RECUEILLIS PAR on observe le comportement des KAMIL PLEJWALTZSKY grands auteurs, on sÊaperçoit quÊils sont en train de développer leurs 1 Trio dÊauteurs qui compose la série C.O.W.L. propres séries indépendantes en 2 Auteurs des séries Lucifer et The Unwritten marge de leur travail pour les majors. chez DC / Vertigo. Nos premiers succès avec les séries 3 Le premier a travaillé sur Batman et le second sur Siberia 56. Lazarus, Letter 44 (nominée à Angou- 4 Ibid, sur Millenium et Polar. lême 2016) ou Sex Criminals attestent 5 Ibid, sur 7 Heros et Djet.

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Harley Quinn et Power Girl, de Palmiotti, Conner et Roux En reprenant le personnage La drogue, dÊHarley Quinn, Jimmy Palmiotti et Amanda Conner ont tout simplement créé la série la plus déjantée et c’est mal. Mais... réjouissante du moment chez Comment ça « mais…. » ?! Serait ce l’avis de Mark Millar ? Il nous fait suivre la vie d’un dealer DC, faisant feu de tout bois dans un qui prend une nouvelle drogue (enfin, datant un peu, mais redécouverte) qui lui donne un super mélange de tendresse et dÊirrévérence hilarante, ne reculant devant rien pour pouvoir : la vitesse ! Fini les araignées radioactives qui vous font coller aux murs, le truc c’est de nous faire rire. Ainsi, dans le dernier trouver LA bonne drogue. Drôle d’idée ! tome paru en France, Harley a profité que Power Girl soit devenue amnésique pour lÊentraîner dans des aventures édifiantes. La présente mini- série nous décrit ce qui sÊest passé entre deux cases de cet arc mémorable : toujours aussi délirant ! Urban Comics, 152 p. couleurs, 15 € CECIL MCKINLEY

Hellboy, T.15, de Mignola & co En 1956, Hellboy était en mission © Image Comics, Inc. All rights reserved. au Mexique et a disparu pendant quelques mois : quÊa-t-il fait durant cette ÿ absence Ÿ ? Lui- même semble ne plus se souvenir de tout, mais heureusement que Mignola est là pour nous raconter ce qui sÊest passé... et le programme est plutôt bariolé : luchadores, vampires, sorcières, momie aztèque et autres créatures étranges... Un chouette album servi par onnez-moi le monde ! Ou au fonctionne. La super vitesse est certai- lent divertissement, qui toutefois ne se plusieurs artistes, et non des moindres, moins le monde des comics ! nement le super pouvoir le plus dur à hisse à aucun moment au niveau de puisquÊautour de Mignola nous D CÊest, en substance, ce que rendre en dessin, et il sÊen sort très JupiterÊs Legacy qui est, à ce jour, lÊun de retrouvons Corben, les frères Bá et Moon, ainsi que Mike McMahon. Le tout nous crie Millar depuis quelques bien, jouant avec les effets dÊimages ses meilleurs travaux (le génial Frank diablement bien mis en couleurs par années. Depuis que tout ce quÊil touche, arrêtées et un découpage cinémato- Quitely nÊy est pas pour rien). Dave Stewart ! que tout ce quÊil écrit, se transforme graphique. Du Millar habile, même si moins mor- Delcourt, 152 p. couleurs, 15,95 € CMCK en or et / ou en films. dant quÊà lÊaccoutumée, et du Fegredo en Il faut dire que le gars est malin. Il sait BULLET TIME grande forme, ça reste une drogue 100% Star Wars - écrire pour son époque, voire même douce. Chewbacca, de Gerry un peu en avance sur elle (histoire de Sous lÊemprise du ÿ MPH Ÿ, Roscoe et PHILIPPE CORDIER Duggan et Phil Noto créer le besoin). Il a un sens aigu de lÊin- ses potes de Detroit tourneront-ils Il est grand, trigue et des dialogues, et surtout, il super vilains, ou bien Robin des bois ? ne parle sait que la BD est un art visuel avant Faites confiance à Millar. Tous les tra- qu'avec des grognements tout. ¤ lÊinverse de scénaristes stars (ou vaux de lÊÉcossais aux doigts dÊor sont et triche au prétendus tels) qui écrivent puis dai- des récritures dÊicônes américaines sabbac. C'est gnent laisser illustrer leurs scripts, (Superman, Batman, Flash Gordon⁄) aussi un de ceux qui ont Millar écrit pour son dessinateur, jouant ou des dérivés modernisés (Kick Ass et fait sauter de ses forces. Il sÊentoure des meilleurs Spidey par exemple). Il tord les mythes, l'étoile noire, dans le business : Quitely, JG Jones, mais contrairement à quelquÊun comme la station de combat de Gibbons, Romita Jr, Parlov, Murphy, Milligan (lÊun des meilleurs scénaristes l'Empereur. Immonen, Capullo (un projet en cours de langue anglaise), il affiche un amour Chewbacca de réalisation)⁄ Sur MPH, cÊest lÊex- pour le genre super-héros sous son le Wookie a quitté les rebelles et Han Solo pour une mission qui ne regarde cellent Duncan Fegredo qui sÊy colle. apparente ironie et ses excès. Sur ce que lui. Mais tombé en panne sur une Son trait oscille entre le cartoon et le titre, il sÊagit bien sûr dÊun clin dÊflil à planète, le voilà amené à défendre la réalisme. Un sens du détail poussé, une Flash (ou Vif Argent / Pietro chez le population locale contre un esclavagiste. Nouvelle proposition attention focalisée sur les attitudes et le concurrent) dans une version plus bad canon avec l'univers Star Wars. Chewie mouvement, qui en font lÊun des dessi- boy. y est montré une fois de plus comme nateurs les plus intéressants depuis des Mark Millar veut créer son univers de courageux, avec un cflur énorme. années. Aussi bonne soit sa reprise du comics, le ÿ Millarverse Ÿ (le prochain C'est le Wookie qu'on aime. On ne le MPH comprend pas plus en comic-book qu'à HellBoy de Mignola, elle nous a trop Marvel Universe ?) et MPH est une l'écran, mais on l'aime toujours. Surtout longtemps privés de son style naturel, pierre de cet édifice. Mais ce nÊest pas de Mark Millar et Duncan dessiné par le talentueux Phil Noto. développé depuis la maxi série hors la pierre la plus solide. CÊest une partie Fegredo, Panini Comics, Panini Comics, 112 pages couleurs, 13 € 128 p. couleurs, 14,95 € YANECK CHAREYRE normes Enigma. Il est de retour, et ça des fondations, au mieux. Un excel-

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Civil War, de Millar et McNiven Pour profiter de la sortie du film à succès du même nom, Panini propose une QUI SONT LES BÊTES ? nouvelle version de la mini-série originale, du Kurt Busiek, scénariste américain loué tant pour ses même nom aussi, sortie il y a près travaux pour Marvel que pour ses productions de dix ans. On personnelles, revient aujourd’hui avec une nouvelle retrouve donc les sept épisodes écrits par Mark création à la frontière entre Millar et dessinés par Steve McNiven, ce qui permet de jouer au jeu des sept fantasy et SF. Plongez donc différences, car le film n'est pas une dans un nouvel univers où la adaptation fidèle. De l'eau a passé sous les ponts : à l'époque, des personnages magie décroît, et où l’avenir comme Punisher, Daredevil, Fantastic dépend de la réalité d’une Four et les X-Men participèrent à l'histoire, alors qu'ils n'interviennent mythologie passée. pas dans le film (raison de droits !). Vous aurez donc là l'occasion d'une lecture alternative, même si de a terre des Automnales est nombreux événements furent relatés séparée en deux sociétés dis- dans des titres qui ne figurent pas dans L tinctes d'animaux anthropo- cette compilation. En prime, la mort de Captain America, et quelques textes de morphes qui ne se croisent guère. Dans mise en perspective. les airs, les magiciens font vivre de Panini Comics, 312 p. couleurs, 25 € grandes cités flottantes, dans la proxi- MICHEL DARTAY mité des dieux. Sur le sol, les moindres Marvel Deluxe Uncanny vivent sans magie et sans raffinement. X-Force, T.2, de Remender, Mais les ressources magiques se font de Brooks et Opeña plus en plus rares et il va falloir trouver Quand on prend une solution. Une magicienne icono- des mesures claste propose dÊaller chercher lÊêtre extrêmes, il faut mythique à lÊorigine de la magie pour savoir assumer. Et quand les Uncanny quÊil réactive celle-ci. Mais cette quête X-Force ont tué à travers le temps passé risque dÊavoir

Apocalypse, ils ne des effets inattendus. © Image Comics, Inc. All rights reserved. pensaient pas que cela amènerait leur comme un miroir pour nous. Ces ani- que deux artistes sont à lÊfluvre. partenaire Angel à QUELLE VÉRITÉ DANS LE PASSÉ ? maux sont tellement humains quÊon The Autumlands, ce sont près de 200 prendre sa place. projette bien volontiers nos réactions, pages de lecture. Mais quand on C'est désormais contre un des leurs qu'ils doivent se battre Kurt Busiek avait montré avec Astro nos rejets, sur leurs comportements au referme le livre, quÊon prend le temps de s'ils veulent pouvoir sauver la planète. City quÊil aimait créer des mondes fil des pages. Dusty, le jeune qui rêve digérer ce quÊon a lu, on se rend compte Deuxième partie de l'énorme run de Rick parallèles afin de pouvoir les question- dÊavenir. Gharta, lÊiconoclaste qui ose quÊon est devant un univers à la richesse Remender sur Uncanny X-Force, avec des histoires toujours aussi épiques, et ner ensuite. Il renouvelle lÊexpérience faire bouger les lignes. Sandorst, le telle quÊon renouvellerait bien plusieurs toujours aussi questionnantes. L'équipe en créant un univers peuplé dÊanimaux politicien opportuniste. Bompied, lÊes- fois cette expérience. enchaîne les situations désastreuses, et anthropomorphiques évolués, avec leur croc prêt à jouer sur tous les tableaux... YANECK CHAREYRE cela laisse des traces sur les différents membres. Pour un lecteur de super- société parfaitement décrite. Une Ils sont nous. QuÊils soient animaux héros, c'est juste 200 pages de bonheur, société inégalitaire, un monde en désé- nÊest que prétexte. Kurt Busiek a des superbement mises en dessin par un trio quilibre où, lorsque nous le découvrons, choses à dire sur le genre humain, des d'artistes extrêmement convaincant. les magiciens sont déjà prêts à tout critiques à formuler. Il le fait avec des Panini Comics, 216 p. couleurs, 20 € YANECK CHAREYRE tenter pour lÊempêcher de sombrer. Ce animaux, comme il lÊa fait avant avec ÿ tout Ÿ, cÊest lÊenjeu de la série. CÊest des super-héros. Miracleman, T.4, cette plongée dans le passé mythique de Gaiman et Buckingham qui va vraisemblablement déboucher L’ÉCLOSION D’UN TALENT GRAPHIQUE Lorsque le premier tome sur de nombreuses révélations inatten- de Miracleman est dues. The Autumlands est une très belle fluvre, sorti il y a deux Car cÊest le cflur du propos de Kurt une histoire passionnante à suivre. Mais ans, nombre de Busiek : la mythologie est-elle à cÊest aussi un dessin qui nous subjugue fans se sont réjouis à juste titre, prendre au premier degré ou nÊest-elle dès la couverture. Un trait précis, mais pouvant enfin que lÊévolution de la mémoire collec- pas un trait en finesse. Il y a une élé- lire les épisodes tive ? Évidemment, les Automnaux gance animale, de lÊénergie dans ce originels dÊAlan Moore sur cette vont êtres amenés à douter. Leur grand coup de crayon. Il y a des imperfec- série mythique. Nul Champion, lÊincarnation de la magie, va tions, mais elles constituent presque doute que ce tome 4 va bénéficier du sÊavérer très différent de ce quÊils atten- une signature que lÊon aime à retrouver. même engouement, puisquÊil propose rien de moins que les fameux épisodes inédits daient. Et on pourrait transposer faci- Benjamin Dewey est publié aux États- en France jadis écrits par Neil Gaiman. lement toutes ces questions dans notre Unis depuis 2007, mais il semble que THE AUTUMNLANDS, T.1 Depuis, Marvel ayant récupéré les droits monde, dans notre époque. Si les chré- cette série est celle qui va lui permettre DE GRIFFES ET DE CROCS de cette série, Gaiman va enfin pouvoir tiens ramenaient Jésus à travers le d'exploser au grand jour et de marquer conclure une aventure qui a commencé... de Kurt Busiek, Benjamin il y a près dÊun quart de siècle ! Inutile de temps, qui sait quel homme ils trouve- durablement le public. Il est par ailleurs dire quÊon attend tout ça avec grande raient en lieu et place du mythe qui a secondé par une coloriste à la justesse Dewey et Jordie Beillaire, impatience ! été construit ? incroyable, Jordie Beillaire, dont le sens Urban Comics, Panini Comics, 176 p. couleurs, 17,50 € 215 p. couleurs, 10 € CECIL MCKINLEY CÊest aussi une histoire qui se construit de la lumière est tel quÊon ne perçoit pas

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M angas & A sie LE PEUPLE MAUDIT DE L’ARCHE PERDUE Les Enfants de la Baleine d’Abi Umeda est une série de fantasy hantée par la perte, mêlant mélancolie et inspiration épique. Sa richesse thématique et son traitement soigné méritent même l’attention des mangaphobes.

ni moins dire que ÿ convient aux lec- teurs de Télérama et de Zoo Ÿ.

Le premier tome sÊouvrait sur une céré- monie funèbre, puis prenait le temps dÊune douce promenade de présenta- tion du cadre et de ses personnages, et sÊinterrompait sur un déchaînement de violence. Ces changements de rythme sont le reflet dÊune fluvre investie, où les effets sont maîtrisés afin de rendre au mieux les émotions de protagonistes détaillés, évoluant dans un univers vrai- semblable. Les thèmes abordés, qui vont des questions morales régissant lÊemploi de la violence défensive aux problèmes liés à lÊimmobilisme dÊune société gérontocratique, sont égale- ment dÊune grande diversité, sans même KUJIRA NO KORA WA SAJYO NI UTAU © 2014 Abi Umeda / Akita Publishing Co. SAJYO NI UTAU WA NO KORA KUJIRA aborder les implications psychanaly- tiques des sables de lÊoubli desquels finissent toujours par remonter ce quÊon voulait y enfouir⁄ Il est dÊailleurs ques- tion dÊune faute originelle des ancêtres. Les amateurs auront repéré quÊAbi Umeda a été fortement marquée par la lecture de Nausicaa de Miyazaki, preuve que les géants de la forêt laissent par- ur un océan de sable qui il cause souvent des dégâts en utilisant boulé. Tout dÊabord parce que parmi fois sÊépanouir les pousses du futur à S semble sans limites dérive son saimia, si bien quÊil est surnommé cette jeunesse à la dérive certains ne se leur côté. une île flottante : ÿ la Baleine ÿ le destructeur Ÿ. Ses dons véritables satisfont pas de lÊordre établi et de VLADIMIR LECOINTRE de glaise Ÿ. ¤ son bord survit dans résident en effet ailleurs, en tout cas au cette sensation de fatal confinement, lÊaustérité une population de quelques début du récit : véritable graphomane, ensuite par lÊirruption intrigante, puis centaines dÊindividus. La plupart des éprouvant sans cesse le besoin dÊé- brutale, du monde extérieur. habitants de la Baleine possèdent un crire, il est de fait devenu le scribe de pouvoir – le saimia – qui sÊapparente à la Nef. ¤ 14 ans, il a sans doute déjà ÉMOTIONS ET ACTION de la télékinésie, dont lÊutilisation sÊac- traversé la moitié de son existence et compagne dÊarabesques scintillantes. cette perspective induit chez lui la Dans un paysage éditorial dominé par La contrepartie pour les possesseurs de volonté de noter les moindres événe- la répétition et la standardisation, la ce don semble être une espérance de ments à bord de la Baleine pour lÊins- série en cours dÊAbi Umeda se vie ne dépassant guère les 30 ans. La truction des générations futures. Lui- démarque par son ton très personnel. gestion des affaires de la Cité sur le même nÊa rien à se mettre sous la dent Au premier chef sÊimpose son long terme justifie ainsi que le com- quand il cherche à comprendre dÊoù caractère inclassable : parfois catalo- mandement soit confié à ceux qui vient son peuple autarcique et sÊil guée comme shôjo, parce que la man- vivent le plus longtemps, ceux qui existe dÊautres sociétés au-delà de la gaka a déjà fluvré dans le genre, mais nÊont pas de pouvoir, les ÿ non-mar- mer de sable⁄ Les Anciens en effet aussi en raison de lÊimportance qués Ÿ. restent extrêmement secrets sur le accordée aux émotions, elle recèle passé et sur le monde extérieur. pourtant un bon lot de scènes dÊaction 30 ANS D’ESPÉRANCE DE VIE et de personnages flamboyants qui ne Ainsi les jours sÊécoulent dans une dépareraient pas dans un shônen. Enfin, Le héros de lÊhistoire en est aussi le apparente harmonie, régis par des tra- son traitement graphique et la gravité LES ENFANTS narrateur. Chakuro est un adolescent ditions et des rituels bien assimilés. des problèmes abordés la rattachent DE LA BALEINE,T.3 qui, bien que ÿ marqué Ÿ, ne maîtrise Le culte des disparus et le contrôle aussi à des genres plus adultes. Son dÊAbi Umeda, que très maladroitement son pouvoir : des émotions semblent en être les clés. éditeur français la range dÊailleurs dans € ne parvenant pas à contrôler ses effets, Tout cela va évidemment être cham- sa collection seinen, ce qui veut ni plus Glénat, 192 p. n&b, 6,90

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M angas & A sie En attendant l’impact Pour les gens normaux, le mois de juillet signifie le retour de l’été ; mais pour les autres, otakus, cosplayeurs, geeks et asiatophiles, juillet c’est Japan Expo, manifestation forte de presque 250 000 visiteurs l’année dernière, et qui remet à l’honneur la distribution de prix décernés aux meilleurs mangas et animés : les Japan Expo Awards. Présentation des lauréats en forme de teasing pour le 17e impact… RELOOKING APRÈS L’ÉCLIPSE

n nÊavait plus vu les Japan Expo Awards O depuis 2012. LÊexercice pouvait avoir du sens à une époque où les mangas étaient peu connus du public et des médias, et il fallait sou- ligner à quel point Naruto, Fruits Basket, Monster, Vagabond, Bleach et One-Piece (les lauréats de 2006 : une dream team !) pouvaient avoir de lÊintérêt – ce que / Éditions Cornélius 2015 © Tatsumi les chiffres de vente ont démontré ensuite. Maintenant que mangas et animés font partie inté- grante de la culture populaire française, pas facile de passionner les foules pour des distinctions qui nÊap- portent pas grand-chose à des licences déjà bien ins- tallées. Il y a donc eu impasse sur les éditions 2013 à 2015, et les voilà qui reviennent en 2016 sous une nouvelle forme1. Un nouveau look dÊabord, puisque ce sont des ÿ Darumas Ÿ que lÊon décerne : un daruma est une statuette votive bouddhiste, bien connue des fans de Pokémon, que lÊon achète dans un temple pour obtenir quelque chose, généralement espoir et réussite. Ensuite, la formule est elle aussi rénovée, puisque sÊil y a toujours un jury de spécia- liste pour décerner des prix aux mangas et animés (exit les jeux vidéo), un vote du public par Internet a également été organisé, et 23 271 votants ont participé à lÊélection des Darumas du Public. Les catégories ont également été refondues, afin de gagner en lisibilité côté public (en , on sÊen CETTE VILLE TE TUERA, DE YOSHIHIRO TATSUMI (CORNÉLIUS) tient à trois : seinen, shôjo, shônen), et afin de mettre en (Kana), une histoire dÊamour contrariée par un fabrication (célébrant donc le travail dÊisan manga). valeur ce que la critique peut apporter côté profes- drame et lÊentrée au lycée ; meilleur shônen à Tokyo Le jury animés a remis son Daruma dÊor à Terror in sionnel (7 catégories en manga, 6 en animé). Ghoul (Glénat), récit de la difficile coexistence entre Resonance de Shinichiro Watanabe, ÿ le thriller terroriste les humains et les monstres mangeurs de chair du réalisateur de Cowboy Bebop Ÿ (rien que pour ça, on LE PUBLIC A BON GOÛT humaine (!). Pour les animés, le public a distingué y va), et a désigné Garden of Words comme meilleur Psycho Pass 2 comme meilleure série originale (récit scénario, One-Punch Man pour la meilleure réalisation Ainsi, pour le public le meilleur shônen fut Ajin dÊanticipation qui lorgne Minority Reports), LÊAttaque (et yÊavait du boulot⁄), LÊAttaque des Titans pour le (Glénat), cette histoire dÊimmortel poursuivi par des Titans comme meilleure adaptation (de gros meilleur chara-design (cÊest-à-dire la définition gra- tout le monde ; meilleur shôjo à Blue Spring Ride monstres veulent manger de petits humains), et Le phique des personnages et autres éléments du récit), Voyage de Chihiro comme meilleur film/OAV (et vous Kill la Kill pour la meilleure bande originale (musique me direz, il était temps !). dÊHiroyuki Sawano), et les Mamoru Hosoda Animation Works pour la meilleure édition (ce qui récompense LES SPÉCIALISTES le travail de Kazé pour mettre en valeur le travail du créateur dÊAme et Yuki et du Garçon et la Bête, entre Nos collègues professionnels ont donc eu un petit peu autres). © by MAPPA / @ © by MAPPA plus de travail, dans des catégories adaptées à leur Bref, que du bon ! expertise. Daruma dÊor, le grand vainqueur est Last BORIS JEANNE Hero Inuyashiki de Hiroya Oku (Ki-oon), mais furent 1 NDLR : si les Japan Expo Awards ont été interrompus il également récompensés Ajin (Glénat) comme y a trois ans, c'est aussi parce que ses organisateurs ont meilleure nouvelle série, Cette ville constaté que ces prix ne mobilisaient ni les éditeurs, ni la presse, ni les libraires. L'impact était faible, probablement te tuera pour le patrimoine à cause du calendrier de remise : Japan Expo ayant lieu en (ambiance Angoulême), Radiant juillet, tout le monde partait ensuite en vacances. (Ankama) pour le manga inter- Ainsi, dans la nouvelle formule, les prix sont annoncés en avril et la médiatisation se fait au moment où cela a national (ben oui, yÊa pas que les des chances de ne pas passer inaperçu, preuve en est de Japonais qui font du manga), notre article... Demokratia (Kazé) pour le meilleur scénario, Bride Stories (Ki-oon)  JAPAN EXPO 17E IMPACT pour le meilleur dessin, et enfin du 7 au 10 juillet 2016 au Parc TERROR IN RESONANCE, DE SHINICHIRO WATANABE Cuty Honey pour la meilleure des Expositions de Paris-Nord Villepinte

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M angas & A sie AlphaPolis - SATORU SAO SATORU - © TAKUMI YANAI © TAKUMI

GÉOPOLITIQUE ET DRAGONS En France, lorsque l’on pense au manga, la fantasy n’est pas le premier genre qui nous vient à l’esprit. Non pas par manque de bons titres, mais plutôt par manque de visibilité. Gageons que Gate, au-delà de la porte, dont les volumes 1 et 2 sont sortis le 12 mai chez Ototo Manga, rectifie ce tir. près lÊattaque du quartier de Ginza, à Tokyo, son bestiaire. CÊest ce traitement dÊun point de vue comme locaux (la fille de lÊEmpereur prend A par une armée de dragons et dÊorcs – vite ÿ normal Ÿ de choses fantastiques qui rend ce manga conscience de la faiblesse de son monde face au repoussée –, le Japon est devenu le seul notable. nôtre) importants. Le tout est servi par le dessin de point dÊaccès vers un monde parallèle médiéval-fan- En outre, le déséquilibre entre les forces en présence Satoru Sao qui jongle bien entre style comique et vio- tastique. Conscient de la faiblesse de son armée est intéressant. QuÊil sÊagisse de puissance militaire (les lence graphique. (somme toute relative, en comparaison à des armées quelques soldats japonais équipés dÊarmes modernes Ces deux premiers volumes sont une bonne mise en de type médiévale), le Japon envoie un corps expé- sont bien plus puissants que les hordes médiévales) bouche pour cette série qui a bénéficié dÊune diffu- ditionnaire sur ce nouveau territoire pour y établir des ou diplomatique, la distribution des cartes est inégale. sion animée en 2015 sur la plateforme Wakanim. contacts diplomatiques et économiques. Malgré tout, lÊhumanisme des soldats japonais, qui On attend donc de voir comment va se dérouler la Le lieutenant Itami, glandeur et geek notoire, fait font tout pour épargner leurs opposants, est bien suite, les premiers enjeux majeurs ayant été posés. Un partie de ce corps. Il est à la tête dÊune troupe de peu de chose face à lÊhorreur de la guerre décrite au manga à recommander aux amateurs de fantasy sor- reconnaissance, pour sécuriser la région du portail de fil du manga. QuÊil sÊagisse de luttes locales, ou de tant des sentiers battus, et pas effrayés par quelques cet autre monde, et participer à lÊeffort diplomatique. frappes préventives de lÊarmée japonaise sur des scènes tout de même bien violentes. Bonne pâte et malgré tout bon soldat, lui et son unité armées ennemies, le combat entraîne systématique- THOMAS HAJDUKOWICZ (une douzaine de personnes) vont rapidement se ment mort et désolation. retrouver à protéger des populations civiles atta- Le déséquilibre créé par lÊarrivée des forces japo- quées par un dragon. Après cette attaque, une dizaine naises a mis en déroute le régime autoritaire impérial, de locaux (dont une elfe, une jeune mage et une et ça et là, des seigneurs de guerre locaux apparais- demi-déesse) rejoignent sa troupe. Ils vont lÊaider à sent, pillant, violant et tuant les populations civiles. mieux comprendre ce monde et à établir des contacts Ça nÊest pas sans rappeler certains événements récents avec les différentes autorités du coin. dans le Maghreb ou le Proche et Moyen-Orient. L’ART ABJECT DE LA GUERRE JEU DE TRÔNES

Avec Gate, nous ne sommes pas dans la fantasy à pro- Le scénario de Takumi Yanai tient pour lÊinstant bien prement parler. Les soldats japonais, omniprésents la route. Sous des dehors un peu rigolards incarnés par dans lÊhistoire, apportent une connexion très terre-à- Itami, on découvre des enjeux géopolitiques terriens  GATE, AU-DEL¤DELAPORTE, T. 1 ET 2 terre à un monde peuplé dÊhumains ruraux, dÊelfes, de (les États-Unis et la Chine montrent un intérêt poussé de Takumi Yanai et Satoru Sao, nains⁄ tout ce que Donjons et Dragons compte dans pour les ressources potentielles du nouveau monde) Ototo Manga, 192 p. n&b, 7,99 €

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M angas & A sie Plumes d’anges et encres numériques Platinum End, nouveau manga du duo à succès formé par Takeshi Obata et Tsugumi Ohba, porte un titre mystérieux (la fin du pla- tine ?). La série est le fer de lance de la stratégie numérique des éditions Kazé. près sÊêtre fait souffler One- volonté de mettre à disposition des A Punch Man par Kurokawa et fluvres inédites en France comme jus- My Hero Academia par Ki-oon, tification de lÊinfraction aux droits dÊau- les éditions Kazé, éditeur de Viz Media teur. De son côté, le lecteur avide de Europe, lui-même filiale de lÊempire connaître la suite dÊun manga passion- éditorial Shueisha, ont réussi à faire nant ne peut plus se réfugier derrière sa comprendre à leur état-major quÊil nÊé- légitime curiosité pour justifier le pira- tait peut-être pas totalement cohérent tage : une offre légale existe, plus rapide de laisser les plus beaux fleurons du que le scantrad. Reste à savoir si la frac- Shônen Jump1 partir systématiquement tion des lecteurs qui ont lÊhonnêteté chez des éditeurs hors groupe. Message dÊacheter les mangas papier quÊils ont lu reçu : Platinum End, le nouveau titre du en ligne sur des sites de scantrad, tandem Obata + Ohba quÊon atten- accepteront dÊacheter à la fois la version dait plutôt chez Kana à lÊinstar des deux numérique puis la version physique du précédents (Death Note et Bakuman) est même titre. Ou si le manga numérique donc publié sous la bannière Kazé. ne risquera pas dans ce cas de canni- Platinum End reprend certains thèmes baliser les ventes du manga papier. de Death Note, en les inversant. Tout

PLATINUM END © 2015 by Tsugumi Ohba and Takeshi Obata / Sueisha Inc. Ohba and Takeshi END © 2015 by Tsugumi PLATINUM JÉRłME BRIOT commence par une chute. Pas celle dÊun carnet fatal jeté par un démon des 1 Le Shônen Jump est lÊhebdomadaire de la morts aux pieds dÊun lycéen psycho- Shueisha où des séries mythiques comme pathe, mais la chute de Mirai Kake- Dragon Ball, Naruto et One Piece ont été créées, entre autres succès. Le tirage actuel hashi, collégien suicidaire qui se jette est de 3 millions dÊexemplaires par numéro. du toit de son collège. Il est rattrapé in LA référence manga. extremis par Nasse, ange de son état, qui 2 Super-sentai : séries où une équipe de héros en armures colorées se bat contre des pour lui redonner goût à la vie lui trans- monstres. Kamen Rider, Bioman, Ultraman et met trois pouvoirs. Une paire dÊailes compagnie. 3 scantrad : vocable par lequel on désigne pour pouvoir se déplacer nÊimporte où. la mise en ligne et la traduction de man- La flèche rouge de Cupidon qui rend gas du japonais vers lÊanglais, puis de amoureux pour 33 jours celui ou celle lÊanglais vers le français ; parfois directe- sur qui elle est tirée. Et enfin la flèche ment du japonais au français. blanche, mortelle pour qui la reçoit. Fort bien⁄ mais il y a une contrepar- tie. CÊest en réalité une compétition : dat. Car Dieu sent que sa fin approche, End sur les plateformes légales exis- Nasse et 12 autres anges ont reçu pour et cherche un successeur pour les deux tantes, au prix de 0,99 € par chapitre, mission de choisir chacun un candi- prochains millénaires. Mirai nÊa aucune le jour même de leur parution dans le envie de participer à un quelconque Shônen Jump. Sachant que chaque tournoi. Mais a-t-il vraiment le choix, volume relié du manga comporte trois quand lÊun des 13, déguisé en person- chapitres. nage de super-sentai2 commence à tuer LÊexpérience a plusieurs mérites. Le ses concurrents ? marché du manga a certes retrouvé quelques couleurs en 2015, avec une SIMULCAST progression de + 3 % par rapport à 2014, mais ce chiffre ne fait quÊapaiser Le titre étant très attendu (Death Note des années de décroissance, largement sÊest vendu à plus de 2 millions dÊexem- attribuable à la démocratisation des plaires en France, rappelons-le !), lÊédi- tablettes numériques conjuguée avec teur en profite pour une expérience la profusion des sites de mangas éditoriale inédite de publication syn- scannés en toute violation des droits chronisée des chapitres de ce manga en dÊauteur. La publication dans un France et au Japon ! Par quel miracle ? contexte légal (et payant), simultanée PLATINUM END, T.1 Une coopération serrée avec les avec la parution japonaise dans le équipes japonaises, et grâce au numé- Shônen Jump, coupe lÊherbe sous les pieds de Takeshi Obata et Tsugumi Ohba, rique : les lecteurs francophones peu- des groupes de ÿ scantrad Ÿ3, qui reven- Kazé, 192 p. n&b, 6,99 € PLATINUM END © 2015 by Tsugumi Ohba and Takeshi Obata / Sueisha Inc. Ohba and Takeshi END © 2015 by Tsugumi PLATINUM vent trouver les chapitres de Platinum diquent souvent leur passion et la

38 S exe & B d DES FESSES À CONFESSE Le quatrième tome d’Orgies barbares d’Erich Hartmann vient de paraître. La série confirme les qualités que notre magazine lui prête depuis son démarrage, ainsi que sa place parmi les meilleurs titres des éditions Tabou. © Hartmann / TABOU

SEXE FORT finissent pas épuisés ou désarmés, ils leur arrivent de se rallier à leur cause ou de préférer, pour de es différents tomes dÊOrgie barbares fonc- bon, la volupté à la violence. Le dessin et les scé- L tionnent invariablement sur le même narios de Hartamnn brillent par leur efficacité ; modèle. Dans chaque album, plusieurs la pornographie y est totalement assumée, que ce histoires imbriquées dÊerotic fantasy mettent en soit à travers le réalisme et le soin apporté aux des- scène des donzelles de toutes sortes avec des sins ou lÊoutrance des plans et des séquences. Le guerriers, mages, maraudeurs ainsi que diverses tout est servi avec humour, connivence et déri- créatures toutes aussi fabuleuses que lubriques. La sion. plupart du temps, les héroïnes survivent aux dan- gers qui les guettent en usant de leurs charmes ou SEXE FAIBLE de leur sensualité. Quand leurs adversaires ne Même si les albums ne se distinguent pas vérita- blement des autres, lÊauteur sÊamuse à chaque fois à développer une thématique particulière. Le tome trois qui lorgnait la parodie et le détournement fait place à un nouvel album où lÊhypocrisie religieuse

© Hartmann / TABOU est mise à mal. Bien évidemment, Hartmann se plaît à user des vieux fantasmes tournant autour du châtiment des pécheresses, de la virginité des novices et de la profanation du sacré. On notera cependant que, quel que soit le tome, lÊauteur sÊamuse à bouleverser lÊordre des choses en remet- tant la vérité à sa place, cÊest-à-dire en clamant systématiquement la victoire de la femme sur lÊhomme. La violence du sexe fort serait donc pour Hartmann un aveu de faiblesse. De là à imaginer que la religion fut souvent lÊun des instrument de cette violence, il nÊy a quÊun pas... Orgies barbares est certes une suite de récits fripons, mais elle nÊest pas pour autant creuse.

KAMIL PLEJWALTZSKY

 ORGIES BARBARES, T.4 par Erich Hartmann, Tabou, 64 p. coul., 15 €

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Rosalie Blum de Julien Rappeneau © Universal Pictures © SND

Adaptation de la BD éponyme de Camille Jourdy (récompensée à Angoulême notamment), ce premier film de Julien Rappeneau, scénariste et fils de.., est une belle surprise. Fidèle à la BD mais sachant également prendre des libertés, ce joli conte réaliste évoque lÊatmosphère dÊAmélie Poulain. Servi par des comédiens très talentueux, Kyan Khojandi (bien plus que ÿ le mec de Bref Ÿ, vu aussi dans Lou) démontre toute lÊétendue de son talent, de la comédie à lÊémotion pure, Noémie Lvovsky, toujours sur le fil, superbe, et la jeune Alice Isaaz, à suivre de près. Un délicieux moment. En salles LOUISA AMARA Ouragan PÉCHÉ ORIGINEL de Cyril Barançon Entre le documentaire À une époque où le genre horrifique aligne industriellement les sursauts poussifs et les clichés instructif et le pathétiques, The Witch fait figure d’anomalie bienvenue. Robert Eggers signe un premier long- film poétique, Ouragan suit la métrage époustouflant de maîtrise dans sa gestion crescendo de l’angoisse sans jamais sacrifier naissance de Lucy, cyclone l’aspect psychologique. dévastateur, au large des côtes u sein de lÊhorreur cinémato- mier de William laissent franchement posé un regard furtif et un peu inces- africaines, sa graphique contemporaine, à désirer tandis que le quotidien de tueux sur sa sflur pubère. Appuyé par course à A travers les zombies, vampires et Thomasin, lÊainée de la fratrie aux une direction artistique racée, emprun- lÊAtlantique suivie de près par les loups-garous se taillent la part du lion. portes de ce que lÊon nÊappelle pas tant aux fluvres baroques de Georges scientifiques de la Nasa et du Centre Or, la figure maléfique de la sorcière, encore lÊadolescence, est rythmé par de la Tour, des frères Le Nain ou de National des Ouragans (Miami) jusquÊà son arrivée à Cuba, en Louisiane, etc. très présente dans lÊimaginaire de bien les fréquents rappels parentaux quant à Francisco Goya, et une musique ensor- On se laisse porter tant lÊimage est des cultures, peine à se frayer une place. la condition humaine éternellement celante par sa dissonance et son sublime, avec une 3D immersive, malgré Bien que son réalisateur ait clairement lestée par le péché. Un jour, Samuel, le caractère sinistre, The Witch sÊinvite sans des conditions de tournage dantesques, la voix envoûtante de Romane exprimé que The Witch ne serait jamais cadet à lÊétat de nourrisson, disparaît crier gare à la table de lÊépouvante interprétant un texte inspiré de La Mer le tremplin pour lÊinstallation dÊune subitement sous la surveillance de sophistiquée, démoniaque, celle qui et le Vent, beau texte de Victor Hugo, franchise, il déploie de sérieux argu- Thomasin. Était-ce un loup ? Ou autre sÊinfiltre dans les esprits, quÊils soient sans oublier la magnifique musique de Yann Tiersen, les témoignages ments pour sÊinstaller dans le panthéon chose de bien plus inquiétant ? surnaturels ou pollués par le dogme émouvants des habitants, du Sénégal du cinéma dÊépouvante. Du haut de ses religieux serinant ad nauseam le péché à Cuba. Une vraie pépite. 32 ans, Robert Eggers a tellement DES BIENFAITS DE L’AMBIGUÏTÉ originel. Sortie le 8 juin LA impressionné le jury de Sundance JULIEN FOUSSEREAU lÊannée dernière quÊil a empoché le prix Ce qui démarque The Witch du tout- Bone Tomahawk de la meilleure réalisation avec ce pre- venant de lÊépouvante réside dans sa Inédit dans nos contrées, Bone mier film hallucinant par son sens mala- volonté de puiser les origines de la ter- Tomahawk dif du détail, sa forte identité audiovi- reur mentale quÊil provoque à la fois pourrait se suelle malgré un budget dérisoire et dans lÊinconnu à tendance fantastique définir comme un western avec une son intelligence dans lÊécriture allant et dans le malaise que dégagent les rap- touche dÊhorreur. jusquÊà sÊinspirer dÊarchives historiques ports humains entre les membres de Un shérif pour ses dialogues. cette famille recluse. Et ce, sans jamais accompagné de quÊun aspect ne prenne le pas sur lÊautre. quelques hommes organise une SORCELLERIE OU PURITANISME ? Car Robert Eggers se garde bien dÊin- mission de jecter la moindre dose dÊironie ou de sauvetage dans un territoire occupé par 1630, en Nouvelle-Angleterre, une second degré : The Witch terrifie autant des Indiens cannibales et troglodytes. Pour sa première réalisation, S. Craig famille se fait chasser dÊune colonie par ses trouées fantasmagoriques que Zahler prend son temps pour poser fortifiée car son approche ultra rigoriste par lÊeffroyable poids de lÊintégrisme le décor et démontre des talents de des Évangiles offense la communauté religieux et patriarcal tempêtant sous dialoguiste hors du commun relevés par un casting de premier choix. Mais Bone puritaine dont elle fait partie. William, les crânes des protagonistes. En cela, Tomahawk emporte définitivement le Katherine et leurs cinq enfants embar- rendre crédible la notion de damna- morceau dans son dernier acte dÊune quent dans une carriole pour fuir leur tion et de péché auprès dÊun auditoire THE WITCH incroyable sauvagerie, sans jamais tomber dans la complaisance. ¤ deuxième persécution au cours de leur bercé depuis des siècles par le rationa- découvrir au plus vite tant il est existence après celle subite sur le Vieux lisme des Lumières constitue un véri- de Robert Eggers, avec Anya ahurissant que cette pépite nÊait pas Continent. Ils sÊétablissent alors dans table tour de force ; par exemple, ce Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate trouvé le chemin de nos salles. une clairière à lÊorée dÊune forêt pour le sentiment terrible que lÊenfer appar- Dickie..., épouvante / horreur, Un Blu-ray M6 Vidéo 1h32, sortie le 15 juin JULIEN FOUSSEREAU moins touffue. Hélas, les talents de fer- tient déjà à un jeune garçon pour avoir

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zoom J eux V idéo

Dark Souls III From Software DE L’ÉLARGISSEMENT DU

© From Software COULOIR PYROTECHNIQUE A Thief’s End, quatrième volet des aventures de Nathan Drake censé clôturer pour de bon la saga From Software conclut avec ce troisième volet la saga Dark Souls Uncharted, pointe enfin le bout de son disque et, avec lui, les promesses de crapahutages explosifs devenue en lÊespace de quelques années dans une actualité vidéoludique terne. Et il est grand temps. lÊaction RPG de référence pour ceux désireux dÊen découdre avec un titre Les trois épisodes sur PlayStation 3 ne les prenant pas par la main, pour donner dans lÊeuphémisme. Dark Souls développèrent une mythologie narra- III repose toujours sur un ton et une tive propre à la série, avec ses atta- atmosphère prenant le pas sur chants seconds couteaux. lÊensemble de lÊhistoire, à savoir une évolution dans un monde hostile, lugubre et labyrinthique. Il incorpore L’ILLUSION DE LIBERTÉ toutefois un type de gameplay beaucoup plus rapide et axé sur lÊesquive et la parade hérité de lÊexclusivité PS4 La parenté hollywoodienne est perti- Bloodborne. Ainsi, les amateurs de la nente à plus dÊun titre car, comme série des Dark Souls considèreront Godard considérant le cinéma comme cette clôture comme un accomplissement. ÿ ⁄un mensonge à 24 images par seconde. Ÿ, Uncharted a su dÊentrée titiller la fibre Disponible sur PC, PS4 et Xbox One © Naughty Dog / Sony Computer Entertainment JULIEN FOUSSEREAU archéologique livrée avec fouet et Ratchet & Clank fedora des joueurs avec son appel au Sony Computer Ent. bourlingage permanent. Alors quÊil ne Chacun chez soi sÊagit que dÊune illusion dans la mesure et les lombax où il ne quitte jamais un couloir par- seront bien gardés. faitement balisé. Tout le talent de Accompagnant Naughty Dog a été dÊhabiller ce couloir la sortie de avec un luxe de détails et dÊeffets atmos- lÊinconséquent phériques. Cependant, les reboots de film éponyme (cf. précédent Tomb Raider par Crystal Dynamics ont numéro) – à depuis chatouillé les narines de Nathan moins que ça ne Drake en élargissant le sentier parsemé soit lÊinverse –, Ratchet & Clank rebooté sur PS4 sÊen dÊembûches pour y réinjecter un peu de tire davantage avec les honneurs. Cette ce sentiment dÊerrance. Après un troi- exclusivité PS2 à lÊorigine se voit sième volet un poil fainéant, lÊoccasion réadaptée au gameplay moderne alors que ce type de platforming 3D était est trop belle avec A ThiefÊs End de voir tombé en désuétude depuis quelques Nathan sortir de sa retraite pour années. En outre, lÊenveloppe visuelle de eux ans et demi depuis lÊen- sonne instantanément culte, lÊIndiana reprendre sa couronne et dÊaffiner tou- Ratchet & Clank sÊavère être de toute beauté grâce à son moteur graphique D trée de plain-pied dans lÊère Jones interactif surgi de nulle part. jours plus une recette qui serait lÊéqui- rutilant et vous avez là un titre idéal des consoles PlayStation 4 / libre idéal entre cinéma musclé et jeu pour ravir petits et grands enfants. Xbox One, lÊexclusivité killer se faisait L’ART DE NE PAS CHOISIR vidéo. Exclusivement sur PlayStation 4 JF sérieusement attendre. Pour rappel, JULIEN FOUSSEREAU une ÿ exclu Ÿ est un jeu édité directe- Enfin pas tout fait de nulle part. Très tôt Battleborn ment par un constructeur console et rachetée par Sony quand elle se lança 2K Games limité à sa seule machine. Autrement dans le jeu vidéo, la société califor- Tourné vers le multijoueur dit, un produit dÊappel afin dÊopter nienne Naughty Dog fut parmi les pre- compétitif et pour un système plutôt quÊun autre. mières à comprendre les enjeux dÊune coopératif, Or, sur ce point, les exclus proposées troisième dimension dans le game design Battleborn cible clairement les tant par Sony que par Microsoft nÊont avec Crash Bandicoot et Jak & Daxter. Mais jeunes ados guère convaincu sur cette période. la franchise Uncharted, démarrée en avec sa direction Tout juste un Bloodborne et des remaste- 2007, les fit entrer dans une nouvelle artistique rappelant les ring à foison des succès PlayStation 3 dimension. Mélangeant les codes dÊun dessins animés du chez Sony tandis que Microsoft a jeu dÊexploration à la Tomb Raider avec samedi matin. Battleborn regorge dÊidées commencé à redéployer sa stratégie lÊaction dÊun shoot and cover nerveux à la de gameplay et de game design, mais avec un partage de ses licences entre et semble trop souvent dépourvu dÊun Gears of War, Uncharted: DrakeÊs Fortune grand concept à même de les la Xbox One et les PC sous Windows surtout Uncharted 2: Among Thieves firent structurer. Il découle de ces choix une 10. CÊest pourquoi il était grand temps office de révolution en refusant de pri- orientation nerveuse et frénétique que Naughty Dog, la perle des studios vilégier le gameplay nerveux de jeu de tir privilégiant le shoot en mouvement plutôt que la stratégie dÊéquipe. ¤ du géant japonais, rentre dans lÊarène. au détriment dÊun sens du storytelling UNCHARTED 4 certains moments, Battleborn peut se Et ce ÿ méchant chien Ÿ a un pedigree directement inspiré des blockbusters A THIEFÊSEND révéler particulièrement jouissif. qui parle pour lui. Rien que sur PS3, hollywoodiens. Les gamers sÊattachèrent Seulement, il nÊest pas rare dans le Naughty Dog / Sony même temps de ressentir une forme deux chefs-dÊfluvre dans leur do- immédiatement à Nathan Drake, aven- Computer Entertainment, de perplexité à force de marteler maine : lÊémouvant post-apocalyp- turier charismatique, aussi à lÊaise dans tir à la 3e personne / sempiternellement le même bouton. tique The Last of Us et Uncharted 2: la grimpette et la distribution du plomb Disponible sur PC, PS4 et Xbox One aventures, exclusivité PS4 JF Among Thieves, shooter à la troisième per- que dans lÊart de la vanne bien sentie.

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En pages suivantes, les bonus de Zoo juin 2016

Il s’agit d’articles n’ayant pu trouver de place dans la version papier. Certaines pages peuvent cependant être incomplètes, car maquettées uniquement pour cette version numérique. zoom A ctu B d Black c’est Noir, mais en moins bien Avec Black Dog, Jean-Claude Götting et Jacques de Loustal revisitent un polar publié quatre ans plus tôt. Une adaptation qui, par ses choix artistiques, affadit l’œuvre originale. Dommage.

Êest à un exercice de style C assez particulier et inédit auquel sÊest prêté Jean- Claude Götting en revisitant une de ses bandes dessinées pour réaliser Black Dog. Cette fois, contrairement à Noir (la BD en question), il nÊest plus tout seul aux commandes puisque le dessin est

entre les mains de Jacques de Loustal, © Götting et Loustal / CASTERMAN dans des teintes beaucoup plus colorées que lÊoriginal, qui suintait le polar avec un noir et blanc des familles. Mais que ce soit dans lÊun ou lÊautre album, il y a toujours quelque chose de pourri dans la petite ville de Solteras, dont on soupçonne quÊelle est située au sud des États-Unis. Et ce nÊest pas dû à une chaleur étouffante qui fait les choux gras du magasin Gordon Cooling, spé- cialiste des climatiseurs. CÊest plutôt lÊattitude des habitants de la bourgade qui laisse à désirer. Les commerçants alternent entre hypocrisie et mépris envers leurs clients, M. Deville règne tel un mafieux sur le business local et traite sa jeune épouse comme une poule tiale se dévoile petit à petit, dans des ambiance est toutefois installée, même de luxe. Cette dernière le lui rend bien scènes placées dans un désordre chro- si elle nÊa pas la force de Noir. Quant puisquÊelle fricote avec tous les jeunes nologique, avec comme fil rouge lÊen- à lÊintrigue, elle a du mal à surprendre hommes qui passent à sa portée. Et quête de lÊinspecteur Clarke sur la le lecteur malgré son côté déstruc- cÊest le cas de Stefan Slovik, ex-plon- mort de Slovik (et la régulière appari- turé. Arrivé à la fin du volume, sans geur dans un restaurant chinois, ex- tion du gros chien noir de Mme véritable climax, il reste sur sa faim, mécano dans un garage, et nouveau Deville). Mais on ne sent pas Loustal comme si le récit avait tout juste tueur à gages pour le tout puissant M. très à lÊaise dans le découpage en trois démarré, et se demande quand même Deville. Fraîchement débarqué aux bandes et dans la représentation dyna- quel est lÊintérêt véritable dÊune telle États-Unis de sa Pologne natale, Stefan mique des personnages. En revanche, adaptation. nÊaurait pas dû mettre le doigt dans dès quÊentrent en scène des grandes THIERRY LEMAIRE lÊengrenage de la violence. cases contemplatives accompagnées dÊun récitatif, on devine le dessina- LE PLAT RÉCIT teur beaucoup plus à sa main. Ce qui nÊempêche pas de regretter cette La bonne idée du scénario est une palette de couleurs vives qui fait pâle déstructuration narrative qui invite le figure face au noir et blanc puissant de lecteur à la vigilance. La situation ini- lÊalbum original. Une certaine © Götting et Loustal / CASTERMAN BLACK DOG de Götting et Loustal, Casterman, 90 p. coul., 18 €

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Le Cinéma dÊanimation Fantaisies aériennes en France et poésie funèbre © StudioCanal X-Men : Apocalypse s’envisage comme la conclusion d’une trilogie placée sous le signe de ¤ lÊoccasion du festival dÊAnnecy qui se l’apprentissage des mutants au sein d’une uchronie, un « run » cinématographique au final plus tiendra du 13 au 18 juin prochain, cette intéressant que les épisodes originaux. Et surtout un des derniers vestiges d’un savoir-faire série documentaire en trois parties revient sur lÊhistoire du cinéma menacé depuis quelques années par l’hégémonie Disney. dÊanimation hexagonal, de Fantasmagorie dÊÉmile Cohl en 1908 à la production e premier Spider-Man réalisé aux multiples facettes et mondialement reconnue au début des années 2000. L par Sam Raimi avait coulé Bien construite, cette série réalisée par dans le marbre une manière Alexandre Hilaire nÊoublie pas les de concevoir les origin stories de super- passages obligés sur les incontournables Paul Grimault et Michel Ocelot. Mais héros. Au point de lasser les specta- son approfondissement sur les raisons teurs un minimum exigeants tant le expliquant pourquoi des poudrières de sentiment dÊassister à un décalque de ce Century Fox © Twentieth talents comme Folimage ou La Fabrique ont permis de prospérer sans jamais modèle sur lÊécrasante majorité des pro- brader leur expertise et leur savoir- ductions ultérieures était prégnant. faire technique. Surtout, elle martèle ce Cela nÊavait pas été le cas des premiers que lÊon répète sans cesse dans nos X-Men de Bryan Singer dans les années pages : le cinéma dÊanimation nÊest pas un sous-genre infantile mais une facette 2000 qui se révélaient trop centrés sur du 7e art parmi les plus pures. le personnage de Wolverine. Or, ces Diffusion le 13 juin sur Ciné + Famiz Disponible en DVD chez Doriane Films films passaient à côté du mythe fon- JULIEN FOUSSEREAU dateur de lÊopposition intellectuelle entre Charles Xavier et Erik Lehnsherr, Tout en haut du monde Rémi Chayé et alias Magneto, sur la place des mutants son équipe sont dans le monde. Cet impair avait été loin dÊavoir volé corrigé avec flamboyance par X-Men : le Prix du public au dernier festival le commencement. Là, Matthew Vaughn dÊAnnecy. Ce parvenait enfin à atteindre un subtil voyage au bout équilibre entre canons attendus dÊune on se doute bien quÊil nÊest pas là pour scène élégante et truffée dÊidées, ou du monde dÊune machinerie hollywoodienne piratés par jouer à la marelle. lÊidentité de sa direction artistique por- adolescente de la bourgeoisie russe son penchant pour la fantaisie pop lor- tant la patte de Singer. On pourrait pour laver gnant lÊespionnage Bondien et une part SANS WOLVIE, presque y voir là un acte de résistance lÊhonneur de son grand-père disparu de fragilité, dÊambiguïté salutaire dans LA FÊTE EST PLUS FOLLE censé différencier un film de cinéma dans sa conquête du Pôle Nord convoque les nobles figures de Jules les rôles clés. of the Future Past, sa hollywoodien populaire et éclairé dÊun Verne et Jack London. La poésie suite directe, marquait certes le retour Oui, X-Men : Apocalypse nÊest pas exempt produit sans âme, pâle photocopie de lumineuse de sa direction artistique et de Bryan Singer aux affaires. Et bien de scories. Certains deus ex machina photocopies, destiné à gonfler le résul- la finesse psychologique de ses personnages démontrent que les plus que ce dernier ait signé un volet infé- feront lever au ciel les yeux pointilleux tat net de la division merchandising de beaux films dÊanimation peuvent rieur, il réussissait à creuser ce sillon et le méchant du jour manque de pro- lÊempire médiatique dont il est issu. sÊadresser à tous sans les abêtir. Sur bénéfique pour la saga. fondeur, peu aidé par un design ridicule. lÊéditorial, on saluera le beau travail de JULIEN FOUSSEREAU Diaphana proposant un commentaire X-Men : Apocalypse ne trompe pas sur la audio et un making of exhaustif sur la AUX ORIGINES marchandise et demeure un blockbus- production du film. DU JUGEMENT DERNIER ter hollywoodien avec son lot de mor- Un DVD Diaphana ceaux de bravoure, dÊimageries info- JF 10 ans ont passé depuis les événe- graphiques et de pyrotechnies Panique à Needle Park ments de Days of the Future Past, lÊécole spectaculaires. Pourtant, Bryan Singer Carlotta réédite des surdoués de Charles Xavier se nÊabandonne pas sa thématique fétiche en support Blu- ray un des trois développe tranquillement. Magneto et obsessionnelle de lÊHolocauste par- films a renoncé à ses projets eugéniques semant son fluvre depuis toujours. indispensables pour vivre incognito en Pologne, heu- Découle de cette dernière de sombres de Jerry reux avec femme et enfant. Les choses visions et un jonglage habile entre fan- Schatzberg. Plus que le film qui se gâtent lorsque des adorateurs de la taisie aérienne et sens de la poésie révéla Al Pacino, divinité égyptienne En Sabah Nur funèbre dans son imaginaire destruc- Panique à Needle découvrent les restes de son tombeau teur. Il sait enfin utiliser judicieusement Park est une chronique dans les profondeurs souterraines du le talent de Michael Fassbender pour infernale de la descente aux enfers dÊun Caire et le réveillent accidentellement donner à Magneto un sens tragique à la couple héroïnomane dans le Manhattan après des millénaires en sommeil. Car mesure de ce personnage complexe. crasseux des années 70. CÊest aussi une histoire dÊamour, terrible, dans laquelle En Sabah Nur se révèle être le mutant Surtout, en des temps où la saturation X-MEN : APOCALYPSE les sentiments authentiques sont peu à zéro ayant accumulé une force incom- de films de super-héros interconnectés, peu cannibalisés par la violence et le mensurable et une batterie de pou- pour ne pas dire ÿ taylorisés Ÿ comme de Bryan Singer, avec Michael désespoir qui vont de pair à la voirs destructeurs inimaginables. une machine débiterait du boudin sur Fassbender, James McAvoy, soumission pour lÊhéroïne. Al Pacino et Jennifer Lawrence... 2h23 Kitty Winn y sont bouleversants. DÊailleurs, son nom de guerre est un tapis roulant, X-Men : Apocalypse fait Un Blu-ray Carlotta Actuellement en salles Apocalypse et, avec un blaze pareil, du bien par la fluidité de sa mise en JF

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