La Petite Religieuse De La Rue Mouftard.Docx
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La petite religieuse de la rue Mouffetard. EPISODE 1 On peut facilement confondre une religieuse en chocolat avec une religieuse tout court. Tout comme une religieuse en chocolat, le personnage de notre histoire a une petite tête bien pleine, un corps bien développé en fin de croissance. Nourrie depuis sa plus tendre enfance aux croissants et aux pains au chocolat, notre amie du jour regrette souvent que la collerette blanche que d’antan l’on portait autour du cou, ne soit plus à la mode. Complexée par son cou qu’elle trouvait trop gras, Shirel Mulouze aurait beaucoup aimé porter cet accessoire tout au long de l’année. Notre petite religieuse était certes, petite par la taille mais possédait une intelligence aussi large que ses hanches. Elle possédait une ouverture d’esprit étonnante qui, à l’aube de ses 19 ans, lui avait permis de se faire des tas d’amis de toutes religions confondues. Lors des conversations qui portaient sur les croyances et pratiques de chacun, pour éviter les frictions, en bonne pâte, Shirel changeait son degré de religiosité au gré de l’interlocuteur qu’elle avait en face d’elle. Par exemple, devant son oncle officiant dans une très très grande synagogue de Paris, notre petit chou à la crème affirmait être très religieuse. Par contre avec son ami Omar, officiellement athée, mais officieusement observant du ramadan, elle revendiquait être à peine intéressée par la spiritualité. D'ailleurs, chaque fois que le petit groupe d’amis abordait le thème de la religion, son amie Ortance Duval trouvait cela ringard, dépassé, austère et ennuyeux : « Si la religion était amusante, cela se saurait ! Tout le monde en pratiquerait une ! Et puis, la bible ou autres ne sont que des milliers de feuilles écrites et interprétées par des milliers d’hommes, de mille manières différentes ». En entendant le mot mille, Shirel Mulouze avait toujours l’eau à la bouche. Son esprit vagabondait vers son gâteau préféré qui n’était autre que le mille-feuilles. En un éclair de pensée, elle laissa tomber ce qu’elle était en train de faire, et se dirigea aux petits trots vers sa boulangerie fétiche « Aux bonnes bouchées » où tous les desserts lui étaient autorisés. Eh oui, aussi bizarre que cela puisse paraître pour une fille aussi gourmande que Shirel Mulouze, elle respectait scrupuleusement les lois alimentaires de sa religion, mangeant strictement Cacher. Ce qui ne plaisait pas du tout à Ortance Duval qui trouvait cela abusé, débile, nul et archaïque ! Portée par l’envie, il suffisait à Shirel de dévaler les escaliers de son immeuble pour rejoindre son endroit préféré au monde. En arrivant au premier étage, la voix agacée de son amie résonnait en elle : « Mais enfin, je ne vois pas ce qu’il y a d’interdit à prendre tes pauses gourmandes dans ma boulangerie ! Un flan reste un flan ! Du lait, des œufs, du sucre vanillé, de la farine, du sucre ! Je te jure sur ma tête qu’il n’y pas de 1 porc ! » En passant devant le miroir de son immeuble, Shirel pensa à son port de tête et se remit droite ! Cinq secondes plus tard, elle posait enfin le pied au palais de tous ses plaisirs et déglutit de bonheur. L’odeur enivrante du bon pain venait de lui chatouiller divinement les narines. Qu’il était agréable d’avoir une boulangerie au rez-de-chaussée de son immeuble. En apercevant, la petite du 5e étage, Madame Bérosse, la boulangère sourit de toutes ses dents mal alignées. Ne se souciant pas des clients déjà présents qui faisaient la queue pour être servis, elle cria de sa voix forte et chaleureuse : –Ah voilà, ma cliente préférée. Messieurs, dames, laissez passer mon petit baba au rhum. Je la connais depuis qu’elle est haute comme trois pommes. Alors mon ange, qu’est-ce-que je te sers aujourd’hui ? Gênée par les regards appuyés de cette clientèle de quartier, Shirel demanda presque à voix basse : _Un mille-feuille, s’il vous plaît. –Tout de suite mon coeur. Je suis contente de te voir car j’ai une surprise pour toi. Se retournant pour attraper quelque chose Madame Bérosse cria à tue-tête : –Regarde ma fille, je te montre la toute dernière création de Lucien. –Lucien !? Votre Lucien !? –Oui, mon petit chéri est tout juste revenu de son école de pâtisserie. Qu’est-ce que je suis fière ! Il vient d’obtenir son diplôme et peut désormais concourir pour devenir l’un des meilleurs pâtissiers de France. En attendant, tu vas adorer ce qu’il a préparé ! Effectivement, le gros macaron à la framboise saupoudré de sucre glace rehaussé de fruits rouges que Madame Bérosse désignait, donnait drôlement envie. Le problème était que Shirel se rappelait très bien du gros Lucien. Il n’avait fait que la tourmenter pendant toute leur enfance. Elle avait été bien trop contente d’entendre de la bouche de la mère d’Omar, qui l’avait répété à la mère d’Orlane, qui l’avait dit à sa tante, qui l’avait enfin confié à sa mère, que Lucien était parti pour trois ans à Arcachon dans une école pour apprendre le métier de pâtissier. Le savoir de retour l'embêtait pas mal. Cependant, elle dut mettre de côté sa crainte car Shirel était confrontée à un très gros dilemme plus urgent : elle était venue acheter un mille-feuille et rien de plus ! Déjà qu’avec cette douceur, elle faisait un gros écart sur son régime, alors avec deux gâteaux entiers, ce ne serait pas du tout raisonnable ! Pendant un jour de la semaine quelconque, cet acte isolé serait une pure folie, une catastrophe calorique, un suicide insulaire mais alors à la vielle de la nouvelle année juive, cela aurait des conséquences des plus terribles ! 2 À compter de ce soir même et pendant les deux jours prochains jours, son programme se limitera à manger, boire, prier et dormir. Sans compter que nous étions au tout début du mois de septembre et les semaines suivantes, seraient ponctuées de jours chômés où plusieurs fois par semaine, elle allait avoir droit à des menus de fêtes ! Sa mère, Evelyne, et ses quatre grandes sœurs étaient comme à l’heure d’habitude chaque année, aux alentours des mêmes dates, chez elle, en train de cuisiner plus que de raison. Malgré tout, en bonne gourmande qu’elle était, Mademoiselle Mulouze, ne put s’empêcher de saliver devant la dernière création de Lucien Bérosse. C’est alors que notre petite religieuse qui adorait aussi le chocolat, plissa le front pour entamer un calcul complexe de calories qui comprenait ces deux écarts ainsi que les traditionnels cigares aux miel de Vanessa (irrésistibles !), les roulés au miel de Jennifer (exceptionnels) et les desserts sucrés à la grenade de Pamela (fabuleux!). Seul Séphora viendrait avec sa salade de quinoa que personne ne goûtait à l’exception de son fils Noah et de son mari Andréa de Rotshild (oui comme la célèbre famille !). Shirel réfléchissait tellement fort, que la cliente d’à côté pouvait entendre son raisonnement : « Si je saute le repas de ce midi, ne mangeant rien jusqu’à ce soir, ne prenant qu’un cigare, à la place de deux… non impossible, partons sur trois. Donc, si je fais l’impasse sur le poisson et ne prends qu’un tout petit bout de viande, cela donnerait un total de… » _ Alors tu le prends ou pas ? Je n’ai pas toute la journée ma biche ! « Non Shirel ! Non ! Ce ne serait vraiment pas raisonnable ! Sois forte et ton fessier te remerciera ! », lui cria une partie de sa conscience, section fitness/ bien-être/ complexe. - Non, juste le mille-feuille s’il vous plaît. Pour bien appuyer sur le gros cœur de notre amie, le visage défait, la mine triste, l’air des plus déçu, Madame Bérosse attrapa une boîte en carton au-dessus de la pile posée sur le comptoir, tout en marmonnant quelques mots. – Ça ne va pas faire plaisir à Lucien. Lui qui se faisait une joie de te faire goûter son travail. Mais que veux-tu !? On pense faire plaisir et voilà le résultat. Ah vous les jeunes, vous ne vous rendez pas compte à quel point vous faites de la peine. - Oh non Madame Bérosse, je ne voulais en aucun cas… - Ne t’en fais pas, je ne vais rien lui dire. C’est le rôle d’une mère de protéger son fils d’éventuelles déceptions. Il comptait sur toi pour obtenir ton avis et réajuster sa recette afin de le proposer à nos prochains clients. Un macaron à la framboise de cette qualité, cela ne se refuse pas quand même. –Mais je suis au régi… 3 – Si nous devenons la risée du quartier, je ne dirai pas que c’est en partie de ta faute. – Bon très bien. Très bien ! Je vais prendre le macaron ! Tout en remplissant la boîte, Madame Bérosse affichait un visage triomphal ! L’un des clients avait vu à des kilomètres le manège culpabilisateur de ce chef d’entreprise qui avait depuis le départ prévu une boite en carton pouvant contenir deux gâteaux ! La boulangère remercia chaudement sa plus fidèle cliente. –Tu ne peux pas me faire plus plaisir mais attention ne vas pas dire après que je t’ai forcé la main après ! Tiens ma mie. Cela fera 9,90 euros. –Tenez. –Tu vas te régaler. –Comme toujours Madame Bérosse. –Tu me noteras ce que tu en penses dès que tu auras fini le macaron, d’accord !? Même un texto fera l’affaire. –Très bien. – Et passe le bonjour à ta mère de ma part.