Un Stylo En Or »
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« Un stylo en or » Des paysannes intouchables chantent Ambedkar, leur libérateur Poétique d’une mémoire de soi Guy Poitevin en collaboration avec Hema Rairkar Edité par Bernard Bel INDE ET MAHARASHTRA [carte-maharashtra.psd] Les districts du Maharashtra. Chacun d’eux porte le nom de la ville qui abrite son centre administratif, sauf Raigarh (centre Alibag) et Sindhudurg (centre Kudal). Mumbai a été appelée « Bombay » de l’époque coloniale jusqu’en 1995. Translittération et prononciation du mar円†h¥¥¥ La langue marå†h¥ moderne s’écrit, comme l’hind¥, avec l’alphabet d„vanågar¥ (du sanskrit). Nous utilisons dans cet ouvrage la translittération romane proposée en 1988 par la National Library de Calcutta et consignée dans la norme ISCII (Bureau of Indian Standards, 1991). La prolongation des voyelles est marquée par un surlignement, exemple Ë versus u. En accord avec la norme, mais contrairement à un usage répandu, nous surlignons aussi la voyelle ‘„’ ( , code ISCII 172) bien qu’on ne puisse la désigner comme « prolongée ». Cette singularité est justifiée par l’existence d’un ‘e’ bref (code 171) spécifique aux langues du sud de l’Inde. Le point diacritique au-dessous d’une consonne occlusive (ex. ∂, †) dénote une prononciation rétroflexe (langue recourbée). Les consonnes ∫, ñ et ˆ servent à nasaliser la voyelle qui les précède à des points d’articulation différents. Particularités du marå†h¥ La différence entre voyelles longues et brèves est moins marquée en marå†h¥ qu’en hind¥. La voyelle muette du marå†h¥ est proche du ‘e’ muet du français [ђ], bien qu’on la transcrive ‘a’ comme il est d’usage en hind¥ et en sanskrit. Ainsi, au Maharashtra, le mot « dalit » (opprimé) se prononce « delit » avec le ‘e’ de « petit ». Pour les consonnes, on peut s’approcher de l’usage marå†h¥ en adoptant les règles suivantes : • Devant a, å, o et u, les consonnes c ( ), j ( ) et jh ( ) se prononcent respectivement « ts », « dz » et « dz-h » (occlusives alvéolaires), alors que devant i elles se prononcent comme en hind¥, « tch », « dj » et « dj-h » (occlusives palatales). Il n’y a pas de règle simple devant „. • Devant a, å, o, u et „, la consonne s ( ) se prononce « s », comme en hind¥, mais devant i elle se prononce souvent « sh ». La prononciation des autres consonnes est régulière. Noter cependant : • g se prononce toujours « g » quelle que soit la voyelle suivante. • ß et ∑ se prononcent indistinctement « sh ». Le marå†h¥ reconnaît une consonne rétroflexe ¬ ( ) distincte de l ( ). 5 PREFACE Ambedkar B.R. (1891-1956) : souvent appelé Baba, Babasaheb ou Bhim par ses disciples. Reçoit une formation d’homme de loi aux Etats-Unis. Fut le rédacteur de la Constitution Indienne (1950). Né dans la caste des intouchables mahår du Maharashtra, il s’imposa comme le premier leader national de la cause des intouchables à partir des années vingt. Maltraité dans l’exercice de ses fonctions parce qu’intouchable, il fonda un mouvement pour tous les opprimés (il n’employait pas le mot dalit à leur sujet), avec le slogan : « Instruisez-vous, éveillez-vous, organisez- vous ! » Il mena contre l’intouchabilité un combat dont le radicalisme le poussa en 1956, avec des millions de ses disciples, surtout mahår, à se convertir au bouddhisme. Ces Mahår convertis constituent aujourd’hui, essentiellement au Maharashtra, les communautés appelées néo-bouddhistes (6,4% de la population de 1 [poster3.psd] l’État, 4 millions environ en Inde en 1978) . Au début du XXe siècle en Inde, une distance incommensurable reste à parcourir aux exclus du système des castes pour l’accès à une existence digne2. Un jeune avocat Måhar, B.R. Ambedkar — le premier à réussir la course d’obstacles vers l’éducation supérieure, son père étant militaire dans l’armée coloniale — s’engage sur la trace des réformateurs sociaux du siècle précédent. Toutefois, sa stratégie se désolidarise très tôt de celle des leaders issus des hautes castes pour s’appuyer exclusivement sur l’action politique et la conquête de droits constitutionnels pour les minorités opprimées. Au parti du Congrès, les gandhiens reconnaissent le besoin d’émancipation des intouchables (rebaptisés harijan, « enfants de Dieu »), mais ils tiennent avant tout à préserver « l’unité de la société hindoue », entendant par cela sa division « naturelle » en quatre castes (varˆa) instaurée un millénaire plus tôt par le brahmanisme. Gandhi se focalise en réalité sur la dimension religieuse de l’intouchabilité, et plus particulièrement sur le problème de l’accès aux temples3. Ambedkar et les siens refusent de croire à un processus intégrateur qui dépendrait du bon vouloir de la classe dominante, et dont le seul moteur serait l’élévation spirituelle dans une société harmonieuse et consensuelle. Après quelques hésitations, Ambedkar se prononce en faveur d’un électorat séparé pour les intouchables — dispositif déjà en place depuis 1909 pour les musulmans —, seul moyen selon lui de mettre en marche une dynamique de participation des minorités à la vie politique. Ce projet contredit celui d’un 1 Guy Poitevin in Kamble (1991), glossaire, p. 266. 2 Les autobiographies sont des témoignages incontournables du statut des intouchables dans le monde indien. Entre autres, Kamble (1991) ; Pawar (1990) ; Poitevin (1996 ; 2002d) ; Viramma & Racine (2001). 3 Jaffrelot (2000), p. 106. 6 électorat unique avec sièges réservés, dont les représentants seraient de facto cooptés par les électeurs majoritaires des classes dominantes. Les Anglais lui donnent raison, mais Gandhi le fait plier sous la menace d’un jeûne à mort : c’est le « pacte de Poona » (1932), qui scelle la rupture politique entre le Congrès et le mouvement ambedkarien. En 1936, Ambedkar fonde l’Independent Labour Party et publie le discours (censuré) « Annihilation of Caste » qui démontre le radicalisme de son projet de réforme sociale. Les échecs électoraux de l’ILP et l’exclusion persistante des intouchables de la vie politique le conduisent à reprendre le combat pour l’émancipation des intouchables au sein de la Scheduled Caste Federation (1942), stratégie qui atteindra aussi ses limites. À la fin de sa vie, il décide d’élargir la base électorale de son mouvement en fondant le Republican Party of India. Dernier coup de théâtre dans la politique du leader charismatique, sa conversion au bouddhisme aux côtés d’un demi-million de gens de sa caste4, deux mois avant sa mort. Elle reflète l’ambivalence de l’idéal de cet homme et son pragmatisme dans le combat politique. J’esquisserai deux explications5. La première relève de la perception d’Ambedkar, la seconde de celle de « son peuple6 », celui que nous donnent à entendre les chants des paysannes. Ambedkar défendait une thèse selon laquelle « les intouchables [seraient] les descendants d’anciens bouddhistes et […] donc dotés d’une identitée séparée, extérieure au système des castes et hostile à sa logique puisque le bouddhisme est une religion égalitaire7. » La d¥k∑å (conversion) du 14 octobre 1956 figure donc à la fois, pour les intouchables, la sortie définitive du dharma brahmanique et le retour légitime à une identité religieuse qu’Ambedkar espérait renouveler sur le mode de la laïcité8. Le char de guerre arrive, le char a des chenilles Notre Bh¥m a libéré les bouddhistes. Ce renouveau du bouddhisme a été un échec partiel. Djallal Heuzé en dresse un réquisitoire dans son essai (en annexe9) : le néobouddhisme ambedkarien est devenu « une religion ennuyeuse et bureaucratique où les femmes n’ont rien à faire … Le broyage, par deux bouts, menace plus souvent les femmes que le grain. » Une deuxième raison de la conversion d’Ambedkar au bouddhisme est à rechercher dans les aspirations populaires exprimées par les chanteuses maharashtriennes. Elles ont été pendant des siècles imprégnées de cette 4 Le mot « caste » désigne ici un clan ou une communauté endogame (jåti). Exclus du système de quatre castes religieuses (varˆa), les intouchables sont divisés en de très nombreuses jåti désignant un secteur d’activité professionnelle assigné à la naissance. 5 Keer (1962), p. 478-502, donne un récit détaillé des circonstances qui ont amené à cette conversion un homme affaibli par la maladie, en rupture avec les cadres de son mouvement et profondément déçu par son faible impact sur les masses laborieuses. 6 Ambedkar s’identifiait à Moïse sauvant son peuple, ibid., p. 490. 7 Jaffrelot (2000), p. 78. 8 « Neither soul nor god can save the society », déclarait-il sur l’antenne de la BBC en mai 1956, cf. Keer (1962), p. 487. 9 Des contraintes éditoriales nous ont obligé à déplacer cet essai vers l’annexe (sur le cederom). D’autres fragments du manuscrit ont été déplacés pour les mêmes raisons. Ces aménagements sont signalés dans le corps du texte. 7 ferveur religieuse, la bhakti, qui consiste à rechercher l’immersion dans une présence divine libératrice. Ambedkar vient libérer les Mahår de la bhakti des Brahmanes. Leur foi religieuse doit trouver un autre chemin que celui de Pandharpur, symbole par excellence de leur non-existence puisque l’accès au temple — point focal de leur désir — leur est interdit. Certes, Ambedkar a enjoint les siens de « créer un autre Pandharpur par une vie vertueuse, un service désintéressé et un sacrifice sans tâche pour la cause des opprimés ». Mais les femmes mettent à profit une conversion des mots, si ce n’est des esprits, pour focaliser leur ferveur sur le libérateur. Cette bhakti renouvelée a besoin, pour se déployer pleinement, de la canonisation de leur héros « sur le trône d’Indra » et comme « ami de Bouddha ». Ce thème est développé par Guy Poitevin au chapitre 7, puis en annexe dans l’essai « Le héraut du Dhamma de Bouddha ». Båbåsåh„b est décédé, le roi d’Amérique est venu aux funérailles Il a déchiré le brocart du pan de sari, il l’a pris sur ses genoux.