JOURNÉE DE FORM’ACTION 2012 ACTES LE DROIT À L’ÉDUCATION avec Terre des Hommes , Unesco, Solidarité Femmes et La Parole errante.

.. Dessin d’enfant philippin

Éditeur : TdHF – Délégation. du Doubs Contact . Terre des Hommes Doubs Lucile Garbagnati, Jérôme Cardot 3 rue Beauregard, 25000 Besançon, tél. 03 81 51 76 06 [email protected] www.terredeshommes.fr

Avec le soutien de l’UFR SLHS, Université de Franche-Comté

JOURNÉE DE FORM'ACTION 2012 Délégation du Doubs de Terre des hommes France 14 avril 2012, UFR SLHS, Besançon

ACTES

LE DROIT À L'ÉDUCATION

Éditeur : Délégation du Doubs Jérôme Cardot, Lucile Garbagnati

Composition : Jérôme Cardot Crédit photographique : DD 25, Terre des hommes France Illustration de couverture : Dessin d'enfant philippin procuré par Philrights Sommaire

Avant-Propos L'éducation « l'utopie nécessaire », Lucile GARBAGNATI, Déléguée du Doubs de Terre des Hommes-France...... 3 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté « Il n’y a de richesses que d’hommes », Allocution de M. MAGNIN-FEYSOT, vice-président du Conseil Régional de Franche-Comté...... 9 Pour la réussite éducative et citoyenne des jeunes doubiens, la politique du CG25, Allocution de M. GAUTHIER, vice-président du Conseil Général du Doubs...... 14 À Besançon, tout pour bien accompagner nos citoyens parmi les plus jeunes, Allocution de Mme SCHOELLER, première adjointe de la ville de Besançon...... 19 Pour l'éducation du XXIème siècle L’éducation au service d’un humanisme du savoir, de l’action et de la coopération, Georges HADDAD, Directeur, Recherche et Prospective en Éducation, Secteur de l’Éducation, UNESCO...... 24 Le droit à l'éducation, Didier AGBODJAN, maître de conférences de droit à l'université catholique de Lyon...... 31 Échanges avec le public...... 40 Expériences de la société civile Le rôle de la formation pour les populations pauvres dans les pays du Sud, Emmanuelle BERTRAND, Chargée de mission de Terre des Hommes-France...... 61 Échanges...... 68 « Contre toutes les violences faites aux femmes, pour l'égalité et le respect entre les hommes et les femmes », Stéphanie GENETAY, intervenante à Solidarité Femmes74 Échanges...... 80 Une histoire d'« écoute et d'écho », Stéphane GATTI, La Parole errante...... 83 Échanges...... 98 L'envie d'aller plus loin Publications de Terre des hommes France...... 102 Concrétiser cette form'action...... 103 Bulletin d'adhésion...... 104

2 Avant-propos L'éducation « l'utopie nécessaire »

Lucile Garbagnati

Déléguée du Doubs de Terre des Hommes-France

3 Avant-propos L'éducation « l'utopie nécessaire »

La form'action une forme d'éducation populaire Cette journée de form'action, « se former c'est déjà agir » fait suite à celle de 2011 : Qu'est ce que les DESC ?*1 Elle correspond aux missions de Terre des Hommes-France de sensibiliser et de former le grand public sur les DESC de façon à ce qu'il devienne des citoyens actifs.

Dans un contexte de mondialisation, que transmettre à qui ? pour quoi ? Quelle signification quelles relations existent entre des termes comme instruction, formation, éducation ? Quelle est la portée de l'art. 26 de la Déclaration des Droits de l'homme : « 1. Toute personne a droit à l'éducation... 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalités humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales... »

Au seuil de cette publication, la délégation du Doubs de Terre des hommes France, tient à présenter ses remerciements les plus sincères et les plus vifs aux intervenants : Georges Haddad, directeur de l'unité de recherche et de prospective du secteur de l'éducation de l'Unesco, Didier Prince Agbodjan, maître de conférences de droit, à l'université catholique de Lyon, Emmanuelle Bertrand, chargée de mission à Terre des hommes France, Stéphanie Genetay, intervenante à Solidarité Femmes à Besançon, Stéphane Gatti, plasticien, vidéaste, cinéaste, cheville ouvrière de la structure La parole errante à Montreuil. Ils interviennent tous à titre bénévole et affirment ainsi l'importance qu'ils accordent à la connaissance des expériences et des réflexions qu'ils mènent mettant en pratique ce qu'ils expliquent dans leur exposé.

Nos remerciements s'adressent aussi à nos élus, sans doute bien surmenés en cette période d'élection présidentielle : Marie Noëlle Schoeller, Première adjointe de la Ville de Besançon, Pierre Magnin Feysot, Vice président de la Région de Franche- Comté en charge des relations internationales, Noël Gauthier, Vice-président du Conseil général du Doubs. Leur présence atteste que l'intérêt des collectivités locales pour l'éducation en général, et en la circonstance pour la formation continue, n'est pas un vain mot.

* NDLR : Pour l'ensemble de l'ouvrage, titres, intertitres et notes sont de la Rédaction. 1 Publication Terre des hommes France, Délégation du Doubs. Pour se procurer l'ouvrage, contacter : [email protected]

4 Lucile Garbagnati

Nous remercions aussi l'UFR SLHS, alias la Faculté des Lettres, de nous recevoir gracieusement, en nous accordant le maximum de facilités.

Ainsi, tous les intervenants s'inscrivent dans une démarche d'éducation populaire et citoyenne : ils interviennent à la demande d'une association de solidarité internationale, qui a pour seul objectif d'agir pour que chaque habitant(e) de la planète puisse « vivre digne », selon la devise de l'association.

La présence de nombreux participants, dont des représentants des clubs UNESCO de Dijon, de la maison de la négritude à Champagney, des délégations du Jura, d'Alsace, et même de l'Hérault de Terre des hommes-France prouve la conscience qu'a la société civile des défis que représente le Droit à l'éducation.

Ensemble, intervenants et participants, expriment leur intérêt pour ce qui est ressenti comme le moteur du développement et du changement : l'éducation et ses objectifs : Pour quoi ? Pour qui ? Comment ?

Terre des hommes France et la formation Terre des Hommes est une ONG de solidarité internationale aconfessionnelle, apolitique qui, au cours de presque 50 ans a évolué de l'aide directe à l'enfance en détresse à la défense et à la promotion des DESC, droits économiques et sociaux et culturels. Cette évolution est le fruit d'une réflexion sur les causes du sous- développement et du mal-développement et les moyens pour les éradiquer L'application des DESC, s'est révélée être un outil efficace pour la réalisation d'un développement juste et durable, où chaque être humain puisse « vivre digne ».

Cette méthode, est mise en œuvre avec les partenaires d'Asie, d' Afrique, d'Amérique latine sur place, et en France, par des journées de form'action, parce que se former c'est déjà agir. Se familiariser avec ces droits, c'est mieux assurer son rôle de citoyens, citoyennes, responsables. A une époque de troubles, de difficultés et de choix individuels et collectifs cruciaux, il apparaît indispensable de prendre le temps d'établir une distance avec les manières de voir et les expériences habituelles, de s'attarder sur ce que véhicule le terme « éducation », et par là même le mécanisme de la transmission, et notre conception de la culture.

5 Avant-propos L'éducation « l'utopie nécessaire »

L'éducation : savoir, agir, partager Le visuel de cette journée de form'action est le dessin d'un petit philippin produit lors d'un atelier organisé par l'ONG Philrights, que soutient Terre des Hommes. Un enfant souriant est au centre d'une ronde de tous les moyens d'accès au savoir, traditionnel : le livre, ou moderne : la télévision, la radio, l'informatique sans oublier l'écriture.

L'image donne à voir la réflexion de Georges Haddad sur les « nouveaux défis pour l'éducation au XXIème siècle. En effet, dans le monde connecté d'aujourd'hui, il faut affronter le passage « d'un ordre hiérarchique à des ordres transversaux et à leur coordination », de manière à pouvoir partager des codes socioculturels communs et harmoniser leurs comportements. « Il faut donc savoir pour agir et agir pour savoir ». Dans ce système de réseaux enchevêtrés, il faut « coopérer et coordonner les évolutions de chacun des réseaux » pour assurer à chacun sa viabilité en harmonie avec celle de tous les autres. « Il faut donc savoir et agir ensemble. » Plus que jamais l'éducation est une priorité. Elle nécessite l'investissement de tous, et un financement public pour créer et organiser des réseaux de savoirs et d'acteurs de l'éducation et de l'apprentissage. Dans un monde où la connaissance semble acquise, le défi est aussi de développer le désir de savoir et d'y répondre par une éducation permanente pour tous. Paradoxalement, apprendre c'est aussi désapprendre, établir une distance critique par rapport à soi-même, à ses acquis, c'est troquer l'incertitude de la découverte contre la certitude des idées reçues, et de ce fait, c'est faire l'apprentissage de la tolérance.

Ce projet répond pleinement à l'article 26 de la Déclaration des droits de l'homme : « 1. Toute personne a droit à l'éducation... 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales... », ce que confirme Didier Agbodjan. En effet, la législation internationale promulguée par l'ONU et confirmée par différentes conventions veille à la mise en place d'un système éducatif juste et cohérent de la maternelle au lycée. Mais comme, elle n'est pas contraignante, il en résulte une situation très contrastée entre les pays riches et les pays pauvres, et au sein des pays riches des inégalités énormes comme l'attestent les rapports de l'UNICEF.

6 Lucile Garbagnati

Témoignages et expériences

Les politiques des institutions locales : Région de Franche- Comté, Département du Doubs, Mairie de Besançon. Les politiques menées par la Région de Franche-Comté, le département du Doubs, la ville de Besançon, dans la limite de leurs attributions respectives, font ressortir la nécessité d'une politique volontariste. Elle développe, au-delà de l'indispensable entretien et rénovation des bâtiments, par des dispositifs variables et adaptés, la gratuité de l'éducation, elle ouvre les jeunes à la culture et à la relation internationale pour les sortir des limites de leur environnement, faciliter le dialogue, la tolérance.

Les acteurs de la société civile Ces objectifs sont également illustrés par les témoignages de différents acteurs de la société civile. Emmanuelle Bertrand montre comment Terre des hommes-France, association de solidarité internationale et ses partenaires, impulsent et développent les capacités des populations pauvres et exploitées par l'éducation aux droits. Les artisans maliens, les femmes togolaises, mayas, indiennes, apprennent leurs droits et les revendiquent, les fonctionnaires et les politiques eux-mêmes découvrent la loi qu'ils doivent faire appliquer. Il s'agit de « savoir pour agir » pour accéder à la dignité humaine. Stéphanie Genetay, intervenante à Solidarité Femmes, souligne l'importance de démonter très tôt les stéréotypes qui nourrissent les relations hommes/femmes, filles/garçons. Dans cette entreprise de prise de conscience des habitus, le discours théorique est inopérant alors que le théâtre interactif, qui invite à jouer les situations vécues, débloque la parole. Il s'agit d'« agir pour savoir ». Et c'est bien ce que soutient Stéphane Gatti avec les différentes expériences de La Parole errante auprès des exclus : les incarcérés, les sans-papiers, les sans-toits, les lycéens des quartiers pauvres. Partout, il s'agit de « désapprendre » ce qui a été inculqué et imposé par la société, la stratification inéluctable et inexpugnable, le poids de l'échec accumulé, pour retrouver avec la possibilité de la parole, une capacité créatrice. C'est mettre en œuvre les démarches de Lucien Bonnafé, de Jacques Rancières, de Gilles Deleuze.

7 Avant-propos L'éducation « l'utopie nécessaire »

« En écoute et en écho », la parole des participants « En écoute et en écho » pour reprendre l'expression de Lucien Bonnafé, les participants exposent leurs expériences et leurs interrogations sans s'égarer dans de vaines digressions. Ils pointent l'importance du financement et la nécessité de la formation tout au long de la vie. La question du genre est aussi vivement commentée. Il est en effet notable, qu'elle soit envisagée dans la plupart des exposés. Si le numérique n'a pas été évoqué lors des « témoignages », un participant, reprenant les exposés de G. Haddad et de Marie Noëlle Schoeller, souligne la profondeur de la fracture numérique et son aggravation de façon générale, et dans notre pays même. Un débat très passionné sur les jeux numériques et leur incitation à la violence a entraîné une réflexion sur ce phénomène croissant. La violence virtuelle des jeux vidéo, celle réelle des agressions, résulte de la pression croissante de l'école elle- même. Par les échecs répétés qu'elle inflige , elle fabrique des frustrations et des sentiments de spoliation irréversibles. Plutôt que d'insister sur les échecs ne vaudrait- il pas mieux mettre en avant les réussites comme « modèles » à diffuser à reproduire et adapter ?

« L'utopie nécessaire » Pour tous, intervenants et participants, l'éducation à tous les âges de la vie est la condition de survie de la planète. Elle est l'outil qui permet le changement des mentalités, sans lequel rien ne peut évoluer. Elle nécessite une dynamique de la connaissance et de l'action au service de tous, par tous et pour tous. Elle s'inscrit dans une philosophie humaniste. Elle souligne le bien-fondé de la formule de « l'utopie nécessaire ».

« Personne n'éduque autrui, personne ne s'éduque seul, les hommes s'éduquent ensemble par l'intermédiaire du monde. » (Paulo Freire. (1974), Pédagogie des opprimés suivi de Conscientisation et révolution, : Maspero)

8 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

« Il n’y a de richesses que d’hommes »

Pierre Magnin – Feysot

Vice-président du Conseil régional de Franche-Comté Délégué aux relations internationales

9 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

Merci Mesdames et Messieurs pour votre accueil, votre engagement militant pour « le droit à vivre dignes ».

Je vous transmets les meilleures pensées de Marie-Guite Dufay, Présidente de la Région de Franche-Comté et vous dis que c’est un plaisir pour nous que de répondre à votre invitation, que de montrer notre intérêt pour votre initiative, pour ces journées de form’action sur les droits humains (économiques, sociaux et culturels) en 2011 et plus précisément sur le droit à l’éducation qui nous rassemble aujourd’hui.

Est-ce le 300ème anniversaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau qui vous a amenés à choisir ce thème de l’éducation ? Est-ce le 250ème anniversaire de la parution de son ouvrage Émile, de l’éducation ? Je sais que vous n’êtes pas inscrits dans la commémoration ni la célébration et que votre réflexion est davantage tournée vers le présent et vers l’avenir, davantage vers la formation pour l’action.

Il en est de même pour tous les droits, le droit à l’éducation se construit progressivement, au fil des siècles : Le 18ème siècle, avec les philosophes des Lumières, perçoit l’éducation comme responsable à la fois du bonheur collectif et du progrès social ; Le 19ème siècle, avec la IIIème République en France, rend l’école obligatoire, gratuite et laïque pour les enfants de 6 à 13 ans. Le 20ème siècle voit l’acceptation universelle des droits de l’homme comme principes directeurs. L’accès à l’éducation s’est considérablement développé depuis la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l'homme. La majorité des jeunes du monde vont aujourd’hui à l’école. Les adultes analphabètes sont plus nombreux dans le monde qu’en 1948 mais leur nombre va aujourd’hui en diminuant et dans toutes les régions du monde, leur pourcentage a baissé.

Nous ne pouvons cependant nous contenter de ce constat et notre ambition pour le 21ème siècle doit être de voir le droit à l’éducation pleinement respecté dans les faits. Notre planète compte encore plus de 800 millions d’adultes qui ne savent pas lire, ni

10 Pierre Magnin – Feysot

écrire et près de 100 millions d’enfants en âge d’être scolarisés n’ont pas accès à l’école et parmi eux, de nombreuses filles, victimes de discrimination et de pesanteurs culturelles. Le droit à l’éducation ne peut se résumer à des chiffres car, dès l’origine, il a été envisagé sous un angle qualitatif aussi bien que quantitatif.

Il nous faut de même prendre en compte la place de plus en plus importante prise par l’éducation dans la vie des individus à mesure que s’accroît son rôle dans la dynamique des sociétés modernes. « Le temps d’apprendre est désormais celui de la vie entière » et, c’est dans ce sens, que travaille le Conseil régional de Franche- Comté.

Le Conseil régional de Franche-Comté et les Lycées La première des compétences qui lui a été transférée, ce sont les lycées. La Région doit en assurer l’entretien, le fonctionnement et l’équipement, l’État ayant en charge tout ce qui relève de la pédagogie et du personnel enseignant. La Région va au-delà de ses compétences légales qui sont pourtant lourdes (61 lycées, 1 600 000 m2, 1400 agents des lycées, 40 000 lycéens à accueillir) : la gratuité des manuels scolaires, le fonds régional pour l’équipement des lycéens en section professionnelle, le premier équipement pour les apprentis ont été mis en place. Un fonds social des lycéens a été créé pour la restauration. Le FRAPIL, Fonds régional d'aide aux projets innovants des Lycées, soutient les projets éducatifs des lycées complété par d’autres dispositifs : Lycéens au cinéma, Musiques actuelles au lycée, Arts vivants au lycée… Une parenthèse pour noter que nous voyons à travers les interventions d’élus de collectivités municipales, départementales et régionales des approches communes et des dispositifs complémentaires au bénéfice des jeunes. Pour la Région, c’est aussi le dispositif de tutorat entre étudiants et lycéens, les dispositifs de mobilités internationales… autant d’actions volontaristes pour faire vivre concrètement le droit à l’éducation, apporter une ouverture culturelle, développer l’autonomie et la responsabilité des jeunes, contribuer à l’épanouissement de la personnalité humaine.

Un service public régional de la formation tout au long de la vie Notre politique d’éducation et de formation intègre aujourd’hui l’ensemble des compétences régionales en matière de formation initiale et continue, la formation

11 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté professionnelle et d’abord celle des demandeurs d’emploi, la formation par alternance (10 000 apprentis), les formations sanitaires et sociales…. et pour rendre effectif ce droit, la Région vient de mettre en place un Service public régional de la formation tout au long de la vie. Celui – ci s’appuie sur trois principes fondamentaux : l’égalité : gratuité de la formation, individualisation des parcours, accessibilité à la formation avec des aides à la restauration, aux déplacements, à l’hébergement la continuité de l’offre de formation sur le territoire et dans la durée la transparence demandée aux organismes de formation et leur engagement dans une démarche qualité

L'investissement humain La Région a longtemps été considérée comme une collectivité d’investissement. Depuis la loi de décentralisation de 2004, ce sont aujourd’hui les dépenses de fonctionnement qui sont prépondérantes dans le budget régional (2/3). Les analystes comptables, les experts déplorent de voir les budgets de fonctionnement gonfler. Peut- être faudrait-il s’entendre sur le sens du mot : « investissement » ! Pour notre part, nous avons la faiblesse de penser que les dépenses éducatives, les dépenses de formation sont des investissements, des investissements humains.

« Il n’y a de richesses que d’hommes », disait le philosophe Jean Bodin au XVIème siècle. Cette pensée est intemporelle, il nous appartient de la faire vivre en investissant dans l’humain. Cette pensée est aussi universelle et voilà pourquoi dans le cadre de notre appel à projets de Développement solidaire, Solidarité internationale, nous avons ainsi apporté notre soutien à Récidev, Réseau Citoyen pour le développement, pour son action en faveur de l’éducation au développement et à deux associations régionales qui s’attachent à faire vivre le droit à l’éducation en Afghanistan et au Bénin.

En recherche pour le Lycée de demain. En disant cela, j’ai conscience de ne pas répondre à tous les questionnements qui sont les vôtres. Je veux simplement vous apporter le témoignage d’un élu local. Je veux ajouter ne pas faire dans l’autosatisfaction et vous dire que nous sommes toujours en recherche

12 Pierre Magnin – Feysot

– pour mettre en place un budget participatif dans les lycées (démarche de démocratie participative) – pour faire évoluer nos établissements et définir le lycée de demain comme un campus de la formation avec une carte des formations adaptée aux réalités locales, aux bassins d’emploi et de vie.

Je vous remercie de votre attention et ne doute pas que vos échanges seront nourris, féconds et qu’ils vous rendront plus forts pour agir, pour faire respecter, pour faire appliquer le droit à l’éducation pour tous, partout dans le monde.

13 Pour la réussite éducative et citoyenne des jeunes doubiens : la politique du CG25

Noël Gauthier

Vice-Président du Conseil Général du Doubs

14 Noël Gauthier

Bonjour Mesdames, Bonjour Messieurs,

Le département du Doubs « Ami des enfants » Le 9 février dernier, puis le 14 février, le Conseil Général du Doubs et l'UNICEF concrétisaient une convention de partenariat faisant ainsi de notre Assemblée le deuxième département « Ami des Enfants ». C'est la reconnaissance d'abord du dynamisme et de l'engagement du CG25 en faveur de l'enfance, actions souvent volontaristes et non obligatoires, mais c'est aussi un engagement du CG à confirmer ces bonnes dispositions sur la durée.

Le CG25 est, en effet, un acteur essentiel de la politique de l'enfance et de la jeunesse puisqu'il y consacre près de 20% de son budget annuel, sois plus de 100 millions d'euros en direction des collégiens (environnement et action éducative), de la santé, de l'éducation, du soutien à la famille (accueil petite enfance comme relais parentaux...) et plus de mille enfants confiés au Président du CG via le service de Protection de l'enfance.

La question qui nous occupe aujourd'hui est celle de l'éducation, du droit à l'éducation. Vous comprenez que cette préoccupation nous engage d'autant plus que l'UNICEF et la Convention internationale des droits de l'enfant, CIDE, en font un axe prioritaire.

Les prérogatives législatives du Département Les projets « Doubs 2010 » et maintenant « Doubs 2011 » déclinent successivement et sur la durée une politique éducative claire et volontariste. Les objectifs poursuivis sont le développement et l'épanouissement des élèves via une scolarité réussie et facilitatrice d'intégration de nos jeunes dans le monde adulte et la vie professionnelle. Le CG25 développe une politique que je ne crains pas de qualifier d'ambitieuse, avec des entrées et des programmes diversifiés, mais dont la complémentarité vise à la réussite éducative et citoyenne des jeunes doubiens.

15 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

Ainsi 21 200 collégiens sur 45 collèges publics sont concernés par les prérogatives législatives du Département (investissement, fonctionnement, entretien, restauration scolaire) mais aussi par des actions spécifiques et originales telles « Cantines pour tous » pour l'accès aux repas ou « Doubs passport » pour l'accès à la pratique sportive. L'accès à l'éducation pour tous c'est aussi la gratuité des transports (moins d'un tiers des départements français la pratique encore) et l'offre adaptée et spécialisée aux élèves en situation de handicap (440 élèves concernés, 1,4 M€).

L'éducation , elle se défend aussi par la qualité des établissements accueillant les collégiens : 21 établissements ont été restructurés dans le Doubs, trois sont en restructuration pour une livraison en 2012, deux opérations sont en appel d'offres sur Montbéliard et Besançon, ainsi que le démarrage des travaux sur le collège Diderot à Besançon dans le cadre de l'ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine).

L'entretien courant des bâtiments, c'est cette année, 18 chantiers pour 489000€ environ.

La restauration scolaire est, éducativement parlant, un vaste chantier auquel s'est attelé le Département du Doubs : • actions sur l'hygiène et la sécurité alimentaire • actions sur l'équilibre nutritionnel • développement des filières courtes d'approvisionnement • « Cantines pour tous » et politique tarifaire définie par le CG.

Les nouvelles technologies de la Communication et le Numérique participent des obligations incontournables de l'éducation. Le département prend sa part d'équipement avec les serveurs, le câblage et les équipements informatique (5 200 postes, 85% des salles équipées, 500 000€ de dépenses annuelles), et le déploiement des ENT, Espace Numérique de Travail, pour favoriser l'établissement de nouveaux liens entre collèges et familles (vie scolaire, notes, cahiers de textes en ligne).

16 Noël Gauthier

En terme d’Éducation, le CG25 veille à maintenir de bonnes relations avec l’Éducation Nationale et ses représentants avec, toutefois, une constante vigilance sur les obligations régaliennes telles les moyens en postes d'enseignants ; les mesures de carte scolaire, les projets de fusion d'établissements, les moyens renforcés pour les zones d'éducation prioritaire.

Des dispositifs complétant ou suppléant les actions de l'école Cela étant dit, l'épanouissement et l'accomplissement « citoyens » ne peuvent se concevoir sans des dispositifs complétant ou suppléant les actions de l'école. Ainsi de nombreux dispositifs ont été mis en place qui ont vocation à étoffer le bagage culturel, sportif ou citoyen de nos jeunes élèves. Je le rappelle : • « Doubs passport » (400 bénéficiaires) • Soutien à l'UNSS, Union Nationale du Sport Scolaire. • Les programmes : Collège au spectacle, au cinéma, au musée, avec l'art contemporain. • Un soutien aux actions culturelles, scientifiques et d'éducation à l'environnement.

Un élément qui regroupe tous les collèges du Doubs, le Conseil Général des Jeunes, qui termine sa troisième mandature avec, depuis six ans, nombre de projets conçus et conduits par des élèves juniors et un travail en CGJ, (16 au total concernant 8 000 jeunes).

Politique d'éducation au développement et à la solidarité internationale : les « Tandems solidaires » Pour conclure ce panorama, j'ouvrirai à la politique d'éducation au développement et à la solidarité internationale. Elle fait partie des programmes de l'école primaire jusqu'au lycée. En partenariat avec l'Inspection académique et un chargé de mission, le programme « Tandems solidaires » permet aux classes ou établissements engagés de bénéficier d'une aide forfaitaire de 500 euros par action.

17 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

Le principe consiste à mettre en binôme une association locale de solidarité internationale et un collège de son secteur pour permettre à des élèves de vivre une expérience sur toute une année scolaire. L'objectif étant en fin de parcours de rendre compte de leur travail par le biais d'une action collective, d'un cahier, ou de tout autre forme de restitution. Cette année neuf collèges sont engagés dans le programme. L'intérêt des collèges semble constant, le poste de référent auprès du Cercoop alloué par le Rectorat, M. Sylvain Legou, paraissant y être pour beaucoup.

Vous pourrez peut-être, lors de vos pérégrinations dans le Doubs, voir et apprécier le beau travail de l'association sportive du collège J.Courtois de Saint Hippolyte, devenue propriété du CG 25 et appelée à voyager dans tout le territoire doubien.

Vous le comprenez, par ces multiples engagements et réponses aux questions éducatives, le département du Doubs souhaite s'inscrire résolument dans la formation des citoyens du XXIe siècle, peut-être débarrassés des miasmes du XXe, avec la prudence et le nécessaire recul qui sied à des citoyens avisés et responsables.

18 « À Besançon, tout pour bien accompagner nos citoyens parmi les plus jeunes »

Marie-Noëlle SCHOELLER

Première Adjointe au Maire

19 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

Mesdames et Messieurs en vos grades et qualités,

Chers amis, chères amies,

Je suis très heureuse d’être parmi vous aujourd’hui. Je représente Jean-Louis FOUSSERET, Maire de Besançon, Président du Grand Besançon qui ne peut être présent, mais qui m’a chargée de vous transmettre toutes ses amitiés et ses encouragements pour les actions que vous menez. J’aurais eu moi-même un réel plaisir à partager la journée avec vous, sur un sujet qui m’est cher, mais d’autres charges électives m’appellent.

Le droit à l’éducation, thème de votre journée, est – me semble-t-il – l’un des enjeux majeurs pour le XXIe siècle, d’autant qu’il s’agit du droit à l’éducation pour tous.

Les compétence légales de la commune À Besançon, comme dans toutes les villes, nos compétences légales en matière d’éducation portent sur les locaux, les bâtiments scolaires, le mobilier, le matériel pédagogique, les personnels chargés de l’entretien et de l’accompagnement des enfants plus petits. On peut dire que l’action municipale concerne les enfants des écoles maternelles et élémentaires, c’est-à-dire les 3-11 ans. J’ajoute que la question du périscolaire nous appartient pour partie, mais j’en parlerai plus tard.

La mixité sociale dans les établissements Ici, nous défendons âprement la mixité sociale dans les établissements, l’aide aux enfants les plus en difficulté, le droit à l’éducation de tous. Nous le faisons non par idéologie, mais par conviction, parce que « vivre ensemble » est aussi le pari majeur des années qui viennent. On constate qu’au-delà de la scolarisation « dans les meilleures écoles » avec les meilleurs outils, la réussite des élèves dès le plus jeune âge passe tout à la fois par le brassage social et par l’accompagnement des familles. À Besançon, nous privilégions l’inscription dans les écoles de secteur. Nous avons une politique de périmètre scolaire qui vise à éviter que des écoles n’en viennent à accueillir que les enfants captifs des quartiers. C’est-à-dire ceux pour

20 Marie-Noëlle SCHOELLER lesquels les familles ne peuvent obtenir ni dérogation, ni inscription dans les écoles privées, en un mot une école de relégation. Il est de l’intérêt de tous, y compris des milieux favorisés, de fréquenter une école aux publics qui s’équilibrent socialement et scolairement. Lors des opérations de carte scolaire menées par l’Éducation nationale, les interventions du Maire sont guidées par ce principe de mixité.

Un Programme de Réussite Éducative (PRE) Bien accompagner les enfants, c’est aussi bien accompagner leurs parents. C’est pourquoi nous nous sommes attachés, dès 2006, à construire un Programme de Réussite Éducative (PRE) grâce auquel nous apportons l’aide individualisée aux enfants de 3 à 17 ans qui se trouvent dans les plus grandes difficultés scolaires, sociales et quelquefois éducatives. Plus de 1000 enfants ont bénéficié de ce dispositif qui est salué par tous. Il ne s’agit pas là d’être à la place de l’école, ni des parents, mais de travailler à la valorisation des compétences de l’enfant et de sa famille, lui permettant ainsi de livrer et montrer leurs points de réussite. La Ville porte attention à tous les éléments de la vie quotidienne qui permettent la réussite des petits Bisontins et les élu-es ont adopté depuis longtemps une politique volontariste en faveur des plus jeunes. Par exemple, Besançon dès 2002 a souhaité réduire la fracture numérique et doter chaque élève de classe de CE2 d’un ordinateur et d’un accès internet. Ce plan d’équipement informatique propose un cartable électronique qui permet de retrouver à la maison les mêmes logiciels que ceux utilisés à l’école. Il permet aux parents d’entrer en relation directe avec les enseignants. C’est donc bien convaincue de l’importance de l’éducation et de l’enjeu de la scolarisation que la Ville s’engage aux côtés de l’Éducation nationale, des enseignants, et des partenaires associatifs parmi lesquels les associations « amies » de l’école, pour tenter de créer les conditions de la réussite de tous. Mais, si apprendre relève du temps de l’école, l’éducation relève – elle – de tous les temps : dans et hors l’école.

21 Expériences de politiques de l'éducation en Franche-Comté

Les temps périscolaires et l’éducation populaire Les temps périscolaires sont ceux de l’éducation populaire. Ils sont ceux du vivre ensemble, de l’échange, et du partage. Ils sont autant de moments de connaissance de l’autre, de l’apprentissage des règles de vie commune, des pratiques culturelles, des leçons informelles, des activités créatives, et du respect mutuel.

Ces moments hors l’école sont ceux qui permettent aux enfants d’accéder à des activités de qualité, de côtoyer d’autres camarades de tous horizons, de s’enrichir les uns des autres. C’est ce que les familles trouvent dans les maisons de quartier, les centres de loisirs, les maisons associatives, les manifestations sportives et culturelles etc.

La Ville a adopté une tarification sociale basée sur le quotient familial et sur un taux d’effort proportionné pour les familles, appliquée aux tarifs de la restauration scolaire, et aux activités péri-éducatives. Par exemple : une heure en crèche vaut 12 centimes d’euro. Pour un coût minimal d’1€50, on permet d’assurer aux élèves, chaque jour, au moins un déjeuner de qualité, équilibré. Ce principe de tarification sociale concerne aussi les activités des mercredis et des vacances scolaires, les activités culturelles et sportives qui sont ainsi rendues financièrement accessibles à tous. Par ailleurs, il n’y a plus d’abonnement aux bibliothèques municipales, elles sont désormais gratuites pour les enfants comme pour leurs parents. Vous savez toute l’importance qui est celle de la lecture dans la réussite scolaire.

À Besançon, un enfant sur trois vit dans une famille dont le revenu est en dessous du seuil de pauvreté Notre analyse des besoins sociaux, présentée en février 2012, nous donne un éclairage crucial mais ô combien douloureux sur la population bisontine.

En effet, nous y avons découvert qu’un enfant sur trois vit dans une famille dont le revenu est en dessous du seuil de pauvreté et dans la répartition des 0-17 ans, ce sont les 0-5 ans les plus nombreux.

22 Marie-Noëlle SCHOELLER

À Besançon, terre de solidarité, de fraternité et d’innovation sociale, cette photographie de la grande précarité d’une partie de la population nous renforce dans nos convictions à développer les mesures sociales en faveur des familles, principalement en direction des plus fragiles. On sait que les effets de l’exclusion des enfants de la vie sociale traversent parfois plusieurs générations ; il est donc fondamental de tout faire pour l’éviter.

Je viens d’essayer de vous montrer qu’à Besançon, nous nous donnons pour priorité la place de l’enfant dans la société, complétée par un plan municipal pour la jeunesse. Tout pour bien accompagner nos citoyens parmi les plus jeunes.

L’ensemble des questions éducatives doit être au cœur des politiques publiques locales, comme nationales. Dans un monde où la connaissance prime, l’éducation et la formation des femmes et des hommes est la première de toutes les ressources d’un pays. Ainsi, il est normal que les collectivités se positionnent et défendent les projets qui permettent à chacune et à chacun de trouver sa place. Pour y parvenir, l’éducation doit être une priorité et donc, comme à Besançon, l’ensemble des questions éducatives doit être au cœur des politiques publiques locales, comme nationales.

Permettez-moi de vous féliciter pour le choix du thème de réflexion de cette journée.

23 L’éducation au service d’un humanisme du savoir, de l’action et de la coopération

Georges Haddad,

Directeur ED/ERF, Unesco

Exposé d'après l’intervention de Georges Haddad, Directeur, Recherche et Prospective en Éducation (ED/ERF), Secteur de l’Éducation de l’UNESCO suivi des échanges avec l'auditoire

Relu et corrigé par son auteur

24 Georges Haddad,

L'intervention de M. Haddad est basée sur un texte qui doit être publié par l'UNESCO, Savoir pour Agir, Agir pour Savoir, Savoir et Agir ensemble. Nous en proposons en conséquence les grandes lignes pour pouvoir situer les questions de l'auditoire et leurs réponses. Cet échange montre la valeur de la réflexion qu'elle a suscitée.

Avant propos – Ma première élève Je vais vous raconter tout d'abord, et c'est peut-être le plus important de ce que j'aurai à vous dire lors de cette journée consacrée au droit à l'éducation, l'histoire de ma première élève. Lorsque j'ai commencé à aller à l'école, chaque soir lorsque je rentrais à la maison ma mère me demandait ce que j'avais appris, je le lui racontais, et elle s'intéressait à mon travail comme le font toutes les mères. Puis lorsque j’entrais au collège, j'appris que la France n’aurait pas respecté une promesse faite à ma mère : elle-même avait été une élève brillante à l'école primaire, dans la Tunisie colonisée, et son instituteur l'avait recommandée pour une bourse, afin qu'elle puisse suivre des études, et tout d'abord entrer au collège. Quelques mois plus tard, une lettre promettant la bourse sollicitée était arrivée, et ma mère se préparait à entrer au collège. Cependant la bourse n'est jamais arrivée : c'est ainsi que ma mère s’est crue oubliée par la République, qui n'a jamais versé la bourse promise. Lorsque j'avançais dans mes études, au collège, au lycée, je continuais à raconter à ma mère ce que j'avais appris dans la journée, ce qu'elle n'avait pu apprendre elle- même vingt ou trente ans plus tôt puisqu'elle n'avait pas reçu cette fameuse bourse. Plus tard, par sa volonté et son courage, ma mère a pu passer son bac, et même poursuivre des études supérieures. Plus tard encore, elle reçut un appel de sa propre mère, restée en Tunisie, qui lui demandait de venir très vite la voir. L'appel était si pressant que ma mère s'y est rendue de toute urgence. À son retour, j'ai vu ma mère en larmes. Très inquiet, je lui demandai ce qui se passait, imaginant que ma grand-mère était décédée. La réalité était tout autre : Odette, ma mère, me rassura, sa mère allait bien... Alors pourquoi ces larmes ? Eh bien sa mère lui avait appris la vérité sur cette bourse jamais arrivée. La bourse attendue fut bien attribuée, et un conseil de famille s'était alors réuni. Ce conseil de famille avait conclu que, puisque les frères aînés de ma

25 L’éducation au service d’un humanisme du savoir, de l’action et de la coopération mère, moins brillants ou motivés par les études, n'avaient pas été au collège, ma mère n'irait pas non plus. La République n'avait pas trahi ma mère, la bourse était bien arrivée, mais c'est sa famille qui avait décidé qu'elle n'étudierait pas afin de ne pas se distinguer des mâles de la fratrie.

Présentation Georges Haddad est le Directeur de la Recherche et de la Prospective en Éducation au sein de l'UNESCO ; à ce titre sa mission est de mettre en exergue les grandes orientations de l'Éducation pour les années à venir. Il a d'abord présenté les conclusions générales des deux précédents rapports mondiaux sur l’éducation produits par l’UNESCO, celui d’ « Apprendre à être » (1972) et celui de Jacques Delors « L'éducation : un trésor est caché dedans » (1996).

Si tous deux mettent en évidence des enjeux et des solutions communes – il s'agit d'adapter les êtres humains au monde qui les entoure – il n'empêche que le monde a changé. Il s'est mondialisé. La détérioration de l'environnement atteint des points de non-retour. Il va à une vitesse croissante et il ne cesse de se complexifier, du fait des découvertes scientifiques, de la présence de plus en plus indispensable de l'informatique et d'internet. Le cerveau humain sera-t-il capable de s'adapter physiologiquement et socialement à cette accélération dont il est le responsable ? Cette expansion exponentielle, sans frein, accroît les inégalités entre les riches et les pauvres au niveau individuel et collectif créant une fracture croissante au fur et à mesure que les uns enchaînent les découvertes et maîtrisent les nouvelles techniques et que les autres les subissent, développant un sentiment de frustration. Le défi de l'adaptation se double donc de celui de la justice qui dépend d'une éducation accessible à tous, seule capable de résoudre les problèmes de la planète. « Parmi les solutions potentielles s'impose celle d'une organisation souple en réseaux tant sur le plan des savoirs que sur le plan des acteurs qui prend sous nos yeux la relève des organisations hiérarchiques ».

26 Georges Haddad,

Le rapport d'Edgar Faure : L'éducation permanente Le rapport d'Edgar Faure en 1972 souligne que « la situation que nous considérons est entièrement nouvelle, on ne peut lui trouver aucun précédent. Car elle ne procède non pas, comme on le dit trop souvent, d’un simple phénomène de croissance quantitative, mais d’une transformation qualitative qui atteint l’homme dans ses caractéristiques les plus profondes, et qui, en quelque sorte, le renouvelle dans son génie ». De ce fait « l’enseignement moderne exige que soit ranimée la motivation naturelle qui porte l’homme vers la connaissance, et en même temps, que soit désenclenché l’automatisme diplôme-emploi que l’économie de beaucoup de pays (même développés) ne pourra pas toujours garantir. » L'emploi reste un problème majeur qui ne peut être résolu que par une « éducation permanente » de façon à réunir l'homo sapiens et l'homo faber en un homo conors, « l'homme total ».

Le rapport Jacques Delors : « L'utopie nécessaire » Presqu'un quart de siècle plus tard, le rapport Jacques Delors s'attache davantage aux aspects sociaux et éthiques. Au moment où s'accélèrent les dérégulations en tous genres, il défend « l'utopie nécessaire ». Il souligne que « ne pas prendre garde aux contraintes socioculturelles et aux mécanismes immunitaires des groupes sociaux en tendant vers un seul modèle conduit à des phénomènes de rejet d’une réforme qui nécessite de fait un écheveau de systèmes éducatifs convenablement coordonnés ». L'éducation ne peut se limiter à un seul moment de la vie, elle concerne tous les âges de la vie. Cela implique un coût qui ne peut se réduire au seul financement mais à « des sacrifices de nature diverse que la société doit consentir » et tout particulièrement celui du temps. « Ce n’est pas seulement un mécanisme financier dont il faut préciser les modes de fonctionnement et leur faisabilité, mais un ensemble de systèmes de droits et de devoirs attribués à chaque citoyen de ce monde ».

Ces deux rapports montrent la voie à suivre et à développer à notre époque. Dans le monde connexionniste d'aujourd'hui, il faut affronter le passage « d'un ordre hiérarchique à des ordres transversaux et à leur coordination » de manière à partager des codes socioculturels communs et à harmoniser leurs comportements. Il faut donc Savoir pour agir et Agir pour savoir. Dans ce système de réseaux enchevêtrés, il faut coopérer pour coordonner les évolutions de chacun des réseaux en vue d’assurer à chacun sa viabilité en harmonie avec celle de tous les autres. Il faut donc savoir et agir ensemble.

27 L’éducation au service d’un humanisme du savoir, de l’action et de la coopération

Savoir pour Agir, Agir pour Savoir, Savoir et Agir Ensemble, tel pourrait donc être un fil conducteur utile pour analyser dans un cadre cohérent l’éducation permanente de chacun des êtres humains de cette planète leur permettant de survivre et de progresser dans l’enchevêtrement des réseaux dans lesquels ils évoluent.

Le défi majeur : savoir vivre ensemble dans un monde juste Dans notre monde connecté et instantaneïsé, « Savoir vivre ensemble », implique de connaître les codes socioculturels pour éventuellement les faire évoluer voire s'en dégager si nécessaire. Ce processus implique à la fois d'apprendre et de désapprendre, ce qui exige du temps et de la maturation.

L'informatique et internet développent l'instantanéité, l'ubiquité, l'universalité des savoirs, ce qui nécessite de la part de l'homme de maîtriser le temps et de coordonner ses rythmes cognitifs. Il faut passer de la juxtaposition des savoirs à un ensemble cohérent par une coordination des échanges, de la communication et de la transmission.

Un cadre de solutions : mise en réseaux, allocation équitable Plus que jamais l'éducation est une priorité. Elle est l'affaire de tous les jours et de chacun : enfants, parents et professionnels. Elle doit organiser les relations sociales dans un monde virtuel propice à l'individualisme, inventer de nouveaux modes sociaux d'allocation du temps éducatif. L'enjeu des fonctions éducatives dans la société doit être escorté par le prestige social dû à leur importance.

Le plus important dans la transmission des savoirs reste d'éveiller le désir de savoir en ne négligeant aucune des possibilités ni des sources de la transmission. En même temps qu'apprendre, il faut apprendre à désapprendre, et ainsi, promouvoir l'apprentissage au respect et à la tolérance par la mise en valeur des richesses de la diversité dans toutes ses composantes.

Dans ces conditions, comment adapter l'évaluation des savoirs et des

28 Georges Haddad, compétences acquis, ceux des enseignants comme ceux des apprenants ? Comment annihiler les dérives perverses de la notion d'excellence souvent privée de fondement ou de sens ?

Dans cette perspective, comment financer le bien public de l'éducation pour tous, pour que se réalise l'égalité des chances à la naissance ? Le financement direct par l'impôt doit éviter l'écueil de l'« éducation de l'ombre » c'est-à-dire celle de l'ingérence, de l'inflation des cours particuliers forts coûteux et trop souvent réservés aux plus aisés. Mais cette logique implique aussi de renverser la direction du Brain- Drain, de la fuite des cerveaux des pays pauvres vers les pays riches.

La solution serait de mettre en place des réseaux de réseaux de savoirs, et d'acteurs de l’éducation et de l’apprentissage dans le cadre de l'éducation permanente pour tous, avec une allocation équitable, tout en renforçant leur résilience et coordonnant leurs rythmes d'évolution.

Production, transmission et applications des savoirs La question de fond reste celle de la recherche. La recherche se planifie-t-elle ou se pilote-t-elle ? Pour qui ? Pour quoi ? Comment ? Son but est-il d’anticiper sur les nouveaux besoins ou de répondre à des besoins reconnus ? Qui évalue l’utilité potentielle des découvertes à la société ? Jusqu'où peut aller son autonomie et la confiance qu'on lui accorde ? L'application de la recherche met en lumière les relations subtiles entre l'innovateur et l'entrepreneur, et la planification de leur développement. Pour permettre cette articulation, la PME apparaît comme un lieu propice à encourager par un équivalent universel du Small Business Act2 américain.

Dans ce contexte, l'adaptation de l'humanité aux nouvelles conditions de vie qu'elle s'est créées, la priorité de la recherche doit être accordée aux sciences cognitives dans les approches individuelles et collectives. Elle concerne le

2 Le Small Business Act est une loi du Congrès des États-Unis votée le 30 juillet 1953, modifiée à de nombreuses reprises, et visant à favoriser les petites et moyennes entreprises dans le tissu économique du pays. D'après Wikipedia.

29 L’éducation au service d’un humanisme du savoir, de l’action et de la coopération fonctionnement du cerveau avec les recherches sur l'inné et l'acquis, la mémorisation, le langage, la compréhension, les mathématiques, le processus de métaphorisation etc. ; c'est-à-dire développer la métacognition : la connaissance sur les processus de la connaissance. Comment désapprendre pour mieux apprendre et mieux comprendre?

Coopération L'ensemble de ces propositions ne peut se réaliser que par une coopération pour mettre en œuvre des codes culturels partagés.

On peut donc résumer le projet de l'éducation au XXIème siècle par la formule :

« Savoir pour agir, agir pour savoir, savoir et agir ensemble »

30 Le droit à l'éducation en tant que droit fondamental : contenus et enjeux à la lumière des textes internationaux

Didier Prince-Agbodjan

Maître de conférences en droit international des droits de l'Homme, Université catholique de Lyon

31 Le droit à l'éducation en tant que droit fondamental : contenus et enjeux à la lumière des textes internationaux

Le droit à l'éducation est énoncé dans les textes fondamentaux tant en sa substance que dans ses finalités. En tant que droit fondamental, le droit à l'éducation appelle un ensemble d'obligations, à la charge les États dont nous, citoyens ou membres de la société civile, sommes partie prenante dans un système démocratique.

Le substrat fondamental du droit à l'éducation La Déclaration universelle des droits de l'homme (ci-après DUDH), en son article 26 al. 1 et 3, et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après PIDESC), en son article 13, énoncent la substance générale du droit à l'éducation. La substance du droit à l'éducation est particulièrement précisée avec force détails dans la Convention internationale des droits de l'enfant (ci-après CIDE), en ses articles 28 et 29. Il faut noter que plusieurs textes complémentaires de fond et de politique internationale enrichissent de leurs apports la réalisation effective du droit universel à l'éducation. Au nombre des textes complémentaires, on relève essentiellement ceux produits par l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, (ci-après UNESCO) dans ses œuvres de promotion de l'éducation, la science et la culture ; ceux par le fonds des Nations Unies pour l'enfance (ci-après UNICEF) au service de la promotion de l'enfance et enfin ceux édictés par l'Organisation internationale du travail (ci-après OIT) qui promeut des normes internationales du travail. Dans l'ensemble, on peut distinguer plusieurs éléments fondamentaux définissant la substance du droit à l'éducation.

Droit à l'éducation primaire, élémentaire et fondamentale : caractère obligatoire pendant 9 à 12 ans avec un droit d'accès gratuit Avant l'éducation de base, il y a le droit a l'éducation préscolaire, qui, tout en ne constituant pas stricto sensu une école au sens traditionnel, participe de la formation de l'enfant par une série d'activités de socialisation. L'éducation préscolaire a été conçue en lien avec la nécessité de prise en charge des enfants dans la société industrielle pendant que les parents travaillent. Les recherches contemporaines sur la petite enfance montrent, notamment en sociologie, en psychosociologie et en neurosciences, que l'éducation préscolaire assure des fonctions sociales, interculturelles et préventives à travers son œuvre de socialisation précoce. Beaucoup d'études sur les différences de soins des enfants en matière de garde et d'éducation à la

32 Didier Prince-Agbodjan maison et en milieu de garde, concluent à l'influence majeure du système d'éducation préscolaire sur le développement social, affectif, sanitaire, physique, cognitif et langagier de l'enfant. L'éducation préscolaire est donc progressivement devenue un droit fondamental. L'Internationale de l'Éducation3 considère qu'il s'agit d'un droit humain et d'un bien public universels, donc à rendre accessibles à tous les enfants, y compris ceux relevant des minorités, des populations autochtones et des migrants.

L'éducation de base vise de façon cumulative : – la préparation à la vie citoyenne (intégration civique et politique) ; – la satisfaction des « besoins éducatifs fondamentaux » : apprendre à écrire et à compter, connaître les éléments scientifiques et technologiques dans leur application à la vie quotidienne, y compris apprendre à apprendre (article 1er de la Déclaration mondiale relative à l'éducation pour tous) ; – la préparation à la vie active (intégration professionnelle, économique et sociale). L'éducation de base doit être faite dans la langue maternelle et en respectant les exigences du multilinguisme : permettre à tous les apprenants de comprendre la culture et la langue de l'ensemble de la collectivité tout en n'excluant pas les exigences du multilinguisme, notamment l'étude d'une langue étrangère afin de répondre, aux impératifs du monde international et du travail. La CIDE considère que l'éducation de base, sauf spécificités, devrait se faire en langue maternelle « au moins dans sa phase initiale ». La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) en son article 45, s'intéresse aux enfants migrants: les membres de la famille des travailleurs migrants bénéficient, dans l'État d'emploi, de l'égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne l'accès aux institutions et aux services d'éducation, sous réserve des conditions prescrites; l'accès et la participation à la vie culturelle. Dans un deuxième alinéa, l'article 45 considère que les États d'emploi doivent mener, en collaboration avec les pays d'origine, une politique visant 3 NDLR : L'Internationale de l'Éducation se compose d'organisations d'enseignants et d'employés de l'éducation et de la recherche qui défendent les principes du syndicalisme indépendant et aspirent à mettre en valeur la démocratie, les droits de l'homme et la justice sociale dans leurs nations, à améliorer les conditions de vie et de travail de leurs membres et à faire progresser l'éducation par l'action syndicale. Elle est composée de 394 organisations membres, actives dans 171 pays et territoires et affirme représenter plus de 30 millions d'enseignants et plus généralement de personnes travaillant dans l'éducation. (Wikipedia)

33 Le droit à l'éducation en tant que droit fondamental : contenus et enjeux à la lumière des textes internationaux

à faciliter l'intégration des enfants des travailleurs migrants dans le système d'éducation local, notamment pour ce qui est de l'enseignement de la langue locale. Enfin, sur la question de la langue d'enseignement, les États d'emploi doivent faciliter pour les enfants des travailleurs migrants, l'enseignement de leur langue maternelle et de leur culture et des programmes spéciaux d'enseignement dans leur langue maternelle, au besoin en collaboration avec les États d'origine.

Droit, dans toute la mesure possible, à l'éducation de base pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme (alphabétisation) La convention de l'UNESCO concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de lʼ enseignement (1960), recommande aux États d'« encourager et intensifier par des méthodes appropriées l'éducation des personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme, et leur permettre de poursuivre leurs études en fonction de leurs aptitudes » (article 4 c.). L'article 13 1. d) du PIDESC (1966) s'inscrit dans ce même ordre d'idées: « l'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme ». Le Cadre d'action de Dakar en 2000 se fonde sur le même principe. Du point de vue théorique, les évolutions normatives font aujourd'hui de l'alphabétisation un droit fondamental au même titre que les autres composantes du droit à l'éducation.

Droit à un enseignement secondaire généralisé et de différentes formes dont celle technique et professionnel Le droit à l'enseignement secondaire doit être accessible à tous par tous les moyens appropriés avec instauration progressive de la gratuité. On peut relever ici une approche pragmatique qui laisse une place spéciale aux connaissances scientifiques et technologiques et à l'éducation technique et professionnelle, surtout pour leur application concrète à la vie quotidienne dans une dimension utile et pratique. Cette approche revêt à la fois le caractère transversal des connaissances techniques et la dimension spécialisée des formations professionnelles. Il y a ici un lien indispensable avec le droit au travail (art 6-2 du PIDESC) qui s'exerce à partir de la formation et en vue du « développement économique, social et culturel constant et (du) plein emploi productif ». Certaines conventions de lʼ OIT permettent de faire le lien entre la formation technico-professionnelle et les domaines de l'emploi, de la

34 Didier Prince-Agbodjan productivité, du développement des secteurs spécifiques de l'économie, du bien-être et aussi du recyclage des professionnels en fonction des mutations sociales.

Le droit d'accéder aux études supérieures, en pleine égalité et en fonction des mérites ou des capacités de chacun par tous les moyens appropriés Le droit à l'enseignement supérieur n'est pas affirmé de façon absolue. Par son énoncé, il semble que le principe de sélectivité est la règle fondamentale même si le texte oblige les États à une instauration progressive de la gratuité. Outre ces droits spécifiques en lien avec les différents niveaux d'éducation, sont constitutifs de la substance des droits à l'éducation, d'autres droits d'ordre performatif.

La substance performative du droit à l'éducation Il s'agit tour à tour des droits suivants : – Le droit au développement du réseau scolaire à tous les échelons – Le droit à un système de bourses (et de tarifications sociales) pour faciliter l'accessibilité universelle à l'éducation, lutter contre les inégalités, les discriminations ou exclusions – Le droit à l'amélioration continue des conditions matérielles du personnel enseignant. La Recommandation conjointe UNESCO/OIT concernant la condition du personnel enseignant (1966) et la Recommandation de lʼ UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de lʼ enseignement supérieur (1997) sont intervenus face à l'état peu reluisant des conditions matérielles des enseignants. A partir de ces textes, des mécanismes de contrôle ont été mis en place afin de garantir à lʼ ensemble des enseignants des conditions à la hauteur de leur rôle social. – Le droit pour les parents de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants, de choisir « des établissements autres que ceux des pouvoirs publics, mais conformes aux normes minimales prescrites ou approuvées par l'État » (article 13-3 du PIDESC).

Les finalités d'épanouissement en pleine capacité et de fraternité humaine Les finalités du droit à l'éducation l'inscrivent dans un nœud d'exercice des autres droits fondamentaux. Le nœud de capacités que déroule l'éducation porte sur trois

35 Le droit à l'éducation en tant que droit fondamental : contenus et enjeux à la lumière des textes internationaux

éléments : le plein épanouissement de la personne humaine et la réalisation d'une vie digne, le développement de capacités physiques et mentales suivant ses dons et aptitudes, le développement de l'esprit de fraternité humaine dans une approche constructiviste. Le droit à l'éducation, dans sa jouissance et dans son exercice vise le plein épanouissement de la personne humaine et la réalisation d'une vie digne. La DUDH, en son article 26-2 considère que « l'éducation doit viser le plein épanouissement de la personnalité humaine et le renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales […] ». Dès le préambule de la DUDH, l'enseignement et l'éducation sont convoqués comme moyens de conscientisation en vue du respect des droits de l'homme qui sont un idéal commun à tous les peuples, toutes les nations, tous les individus et tous les organes de la société : « L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l'homme comme l'idéal commun […] afin que tous les individus et tous les organes de la société, […] s'efforcent, par l'enseignement et l'éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d'en assurer, par des mesures progressives[…], la reconnaissance et l'application effectives... ». Le lien entre le plein épanouissement et la dignité est plus précis dans le PIDESC dont l'article 13-1affirme : […] l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. L'article 26 de la DUDH ainsi que le Rapport Delors de l'UNESCO, L’Éducation : un trésor est caché dedans (1996) confirment l'éducation de base comme le moyen d'atteindre le plein épanouissement de la personne humaine. L'éducation de base développe des capacités significatives à savoir la capacité de compréhension, l'esprit critique, la capacité de respecter les valeurs humaines, d'être tolérant et solidaire, de vivre une citoyenneté démocratique, d'avoir le sens de la justice et de l'équité ; et plus généralement le développement de capacités physiques et mentales suivant ses dons et aptitudes. Le PIDESC précise dans son article 13-1 que l'éducation doit permettre à toute personne « de jouer un rôle utile dans une société libre ». Les articles 28 et 29 de la CIDE dans le même sens, reconnaissent à l'éducation une fonction d'épanouissement de la personnalité de l'enfant ainsi que de développement de ses dons et aptitudes mentales et physiques. L'exercice du droit au développement assure également le développement de l'esprit de fraternité humaine. En effet, outre l'épanouissement individuel, l'éducation vise le développement relationnel et le rapport à l'autre dans une approche constructiviste. L'éducation doit favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes culturels, y compris dans la relation aux

36 Didier Prince-Agbodjan membres de groupes ethniques ou religieux. Elle s'inscrit dans la perspective du développement des relations et activités de maintien de la paix.

Les obligations de respecter, protéger et satisfaire le droit à l'éducation De façon générale, l'État doit éviter de prendre des mesures nationales ou d'adhérer à des conventions internationales entravant la pleine jouissance et exercice des droits à l'éducation. L’État doit protéger le droit à l'éducation en empêchant que des tiers tels les parents, employeurs (interdiction des pires formes de travail des enfants, OIT, 1999) et groupes religieux ou communautaires, violent les droits en question sur son territoire. Cette obligation est valable pour tous ceux qui relèvent de la juridiction d'un État. L’État doit fournir un service public d'éducation de qualité répondant aux « obligations fondamentales minimales » avec le maximum des ressources disponibles et en ayant recours à des stratégies adéquates. De façon spécifique, les obligations de l'État peuvent être détaillées à travers les éléments qui suivent.

Les obligations de mise à disposition des moyens d'éducation Les États doivent fournir doter leur territoire d'établissements dʼ enseignement en nombre suffisant et mettre à disposition des conditions matérielles suffisantes et non discriminatoires de fonctionnement : bâtiments, toilettes tant pour les filles que les garçons, approvisionnement en eau potable, des enseignants bien formés et percevant des salaires adéquats, matériels et équipements pédagogiques tels que la bibliothèque, les ordinateurs et du matériel informatique. Les lieux d'enseignement doivent être raisonnablement accessibles du point de vue physique (dans les quartiers, avec des aménagements adéquats pour les personnes en situation de handicap). Le devoir de rendre accessible l'éducation permet, en cas de choix d'éducation à distance, que les technologies modernes soient disponibles.

Les obligations de non discrimination et d'inclusion Les États doivent rendre les établissements dʼ enseignement et les programmes éducatifs accessibles à tous, sans discrimination, ni exclusion, ni inégalités notamment à l'égard des groupes les plus vulnérables, y compris les minorités. L'accessibilité universelle nécessite des politiques et programmes qui n'excluent pas en raison du genre, de l'ethnie, de la nationalité, de l'origine, de la langue, de la religion, de l'opinion politique ou toute autre opinion, de la condition économique,

37 Le droit à l'éducation en tant que droit fondamental : contenus et enjeux à la lumière des textes internationaux sociale ou physique. Du point de vue économique, la gratuité doit être absolue pour lʼ enseignement primaire, et être progressivement établie pour lʼ enseignement secondaire et lʼ enseignement supérieur. La convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, dans son article 30, reconnaît à tout enfant de travailleur migrant, le droit fondamental d'accès à l'éducation préscolaire et scolaire publics sur la base de l'égalité de traitement avec les ressortissants de l'État Ce droit est reconnu pleinement aux enfants même si leurs parents ou eux-mêmes sont en situation irrégulière quant au séjour ou à l'emploi.

Les obligations de qualité La Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de l'enseignement, premier instrument juridiquement contraignant, à traiter de la qualité de l'enseignement (dès 1960) oblige les États à « assurer … la qualité de l'enseignement dispensé » (article 4). Les États doivent, sur la forme et le contenu de lʼ enseignement, prévoir des programmes et méthodes pédagogiques pertinents. L'éducation doit être, en qualité, acceptable et adaptable pour la société contemporaine, les parents, élèves et étudiants en fonction des besoins et sous réserve des finalités fondamentales de lʼ éducation. L'intérêt supérieur des apprenants constitue le principe structurant en cas de conflits entre les intérêts des parties prenantes.

Les Obligations de coopération et d'assistance internationale Le droit à l'éducation entraîne des obligations internationales pour l'État Les programmes et fonds des Nations Unies ou des organisations internationales autres, les programmes bilatéraux, doivent aider à la mise en œuvre du droit à l'éducation. Les politiques et programmes bilatéraux ou multilatéraux qui ne relèvent pas de la promotion du droit à l'éducation, doivent mettre tout en œuvre pour ne pas, directement ou indirectement, faire obstacle à l'exercice universel du droit à l'éducation. Les pays en développement et les populations autochtones souffrent de certains cadres de coopération internationale dans le système économique globalisé. La mondialisation et ses relations asymétriques, malgré la reconnaissance des principes d'adaptabilité, d'acceptabilité, d'adéquation culturelle, de souplesse et de variété, ont des conséquences négatives sur le droit à l'éducation. Les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le FMI, devraient, en particulier, mieux travailler à préserver la protection du droit à lʼ éducation dans leurs politiques et accords ainsi que dans les programmes dʼ ajustement structurel ou dans le cadre des mesures face à la crise de la dette.

38 Didier Prince-Agbodjan

Conclusion De nombreux obstacles sont dressés face à l'exercice universel du droit à l'éducation. L'UNICEF en 2010 constate que les situations de handicap, la misère et la pauvreté constituent encore des motifs d'exclusion, de discrimination ou d'inaccessibilité à la scolarisation. Au sein du système scolaire, les enfants issus de familles défavorisées, de groupes minoritaires et des populations autochtones ont toujours relativement moins de chances de réussite. Même dans les pays développés, des zones de relégation persistent, d'où en France par exemple, les récents programmes de réussite éducative. Beaucoup d'enfants sont encore astreints au travail forcé au niveau domestique, dans l'agriculture, les ateliers ou les mines. Les enfants en situation de handicap ont moins de chances que les autres d'être scolarisés. En France, malgré la loi du 11 février 2005 qui affirme le principe de l'inscription de tout enfant porteur d'un handicap à l'école de son quartier, 20 000 à 40 000 enfants en situation de handicap ne seraient pas scolarisés par difficultés d'accès ou pour absence de personnel d'accompagnement.

Bibliographie UNESCO, Réunion d'experts sur une définition opérationnelle de l'éducation de base (17 et 18 /12/ 2007) UNESCO, Cadre d'action de Dakar (2000) UNESCO, Déclaration mondiale sur l'éducation pour tous (1990) UNESCO, Convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de lʼ enseignement (1960) Internationale de l'Éducation, Document politique sur l'éducation, Congrès (2011) Internationale de l'Éducation, Résolution sur l'éducation de la petite enfance, Congrès (1998) Internationale de l'Éducation, Document stratégique sur l'Éducation de petite enfance (2011) OIT, Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail (1998) OIT/UNESCO Recommandation concernant la condition du personnel enseignant (1966)

39 Échanges et questions avec le public

40 Échanges et questions avec le public

NG4 : Eh bien, sachant que je serai parmi vous jusqu'à midi, j'avais quelques questions à jeter en pâture après ces deux interventions.

« Fragilité et puissance » La première concerne le thème « fragilité et puissance » : effectivement, l'éducation c'est aussi permettre à nos enfants, à nos adolescents, de comprendre ce monde qui s'accélère technologiquement, et Georges Haddad a montré que maintenant le progrès technologique est quasiment exponentiel. Qu'est-ce qu'on voit ? On a parlé de réseau, d'accord avec son environnement social, économique, et on s'aperçoit effectivement qu'en dehors des organisations hiérarchiques habituelles, il y a ces réseaux. On a des gamins qui ont une maîtrise technologique impressionnante, et en même temps des manques culturels criants. Et je rebondis donc sur cette interrogation, comment fait-on ici en termes d'éducation ? c'est une interrogation primordiale, car elle concerne directement la construction intellectuelle de nos gamins. Sur le droit, et les question de droit à la famille, de droit de la famille à choisir, et en même temps, comme vous l'avez mis en évidence, Monsieur Agbodjan, ces obligations qui sont faites à la famille : pour le coup, il y a là aujourd'hui de vraies interrogations sur la situation des parents. J'ai abordé sommairement, dans les rapports de parents à la structure scolaire, cette notion d'accueil ou de non accueil, d'invitation ou de convocation, d'ouverture de l'école. Ce sont des interrogations aujourd'hui : comment respecter le droit des uns, et comment respecter aussi ce qui est dû à la formation de l'enfant.

Les questions aussi de finalité. Alors, en terme de finalité éducative, tout le monde s'entend bien : on va former un adulte responsable, autonome etc. Là, on est dans le discours ! Parce que la réalité, et ce qui nous rattrape avec la crise économique aujourd'hui, c'est moins une finalité de développement intellectuel, culturel et social qu'une finalité professionnelle. Et là je pose la question de l'orientation. Quand vous parlez de droit fondamental technique, technologique, qu'est-ce qui se passe dans nos écoles primaires ? Est-ce qu'on a une approche technologique ? Je vais vous citer une petite anecdote : j'ai eu dans le passé la responsabilité d'une petite commune, j'étais maire et j'avais proposé aux enseignants de créer une serre et

4 N.G : Initiales pour M. Noël Gauthier, vice-président du Conseil Général du Doubs.

41 Échanges et questions avec le public un petit atelier. C'était en lien avec des ingénieurs en retraite, en lien avec une association sportive (des modèles réduits de voitures pour des courses automobiles) ; on a acheté une petite voiture, et on pensait que, dans le développement harmonieux, et dans le cadre d'une orientation efficace et assumée, on pouvait mettre des gamins devant la terre, devant le cambouis, devant des aptitudes un peu particulières, la conduite de la voiture, le réglage de la voiture, et à un moment donné, un excellent élève de français, de maths, qui est en plus un excellent régleur ou mécanicien, vous imaginez ce qu'il acquiert comme potentiel, comme estime de lui-même. Ça n'a pas marché. Ça n'a pas marché parce que c'est compliqué. C'est pas dans les programmes. Et puis les parents n'aiment pas trop. Lorsque le gamin rentre avec du cambouis sur les mains, ils disent : « Il ne va pas faire cela mon gamin ! », l'école c'est la filière noble... Et le résultat, c'est qu'il n'y a pas de travail d'orientation. L'orientation, elle se fait en fin de troisième, seulement par la négative. Ce ne sont que des portes qui se ferment. Vous avez parlé de l'apprentissage. Bien sûr que c'est une filière noble, l'apprentissage. À condition de l'avoir choisi. À condition d'être dans ce qui correspond à mes orientations, mes aptitudes et mes dispositions personnelles. Pourquoi un excellent élève ne ferait pas un excellent boulanger ? Mais non, ce n'est pas comme ça que ça se passe.

Vous l'avez compris, quand j'ai présenté la politique du département, on est dans une volonté ; après, c'est vrai aussi qu'on a la grande interrogation : démocratisation de l'enseignement et égalité des chances. Aujourd'hui, est-ce qu'on n'est pas plutôt dans « massification de l'enseignement et protection des élites » ? Vous parliez de rapports. Un rapport qui est intéressant, c'est le rapport PISA 5 ; il est intéressant, parce qu'on constate que 150 000 élèves sortent en France, en fin de troisième, sans qualification. 15% des élèves en très grande difficulté, on ne sait pas les traiter depuis vingt ans, on ne sait pas les aider depuis vingt ans. Comparaison : les élites françaises sont parmi les meilleures, européennes ou mondiales. Question, que je mets en pâture aussi, quand on parle d'obligation des États de mettre les moyens. Vous avez raison, ce n'est pas forcément de l'argent. C'est effectivement une optimisation, une rationalisation. Est-ce que c'est fait ? Voilà un peu les interrogations

5 PISA est une enquête menée tous les trois ans auprès de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de l’OCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle évalue l’acquisition de savoirs et savoir-faire essentiels à la vie quotidienne au terme de la scolarité obligatoire.

42 Échanges et questions avec le public que vous m'avez renvoyées ce matin, en vous écoutant très attentivement, et je ne manquerai pas de me procurer les deux rapports, et j'attends avec impatience le troisième, le vôtre. Voilà sommairement mes réactions, mes réflexions, et je vais rappeler quand même la modestie du Conseil général dans ses actions parce qu’on essaie de faire mais finalement, le nombre de gens touchés est minime. Quand vous faites un Conseil général des jeunes, vous êtes avec soixante-dix gamins, sur un département de 540 000 habitants... Donc soyons aussi humbles dans l’auto- gratification de nos actions. Voilà ce que je voulais vous dire, et vous remercier encore d'avoir accueilli le Département dans vos réflexions de ce matin, parce que je repars avec effectivement un bagage et des questionnements auxquels peut-être on est en capacité de répondre en partie ; parce que nous avons des rendez-vous réguliers avec des gens qui s’appellent le Législateur, et je crois que les territoires ont cette mission de renvoyer au Législateur la connaissance qu'ils ont du terrain et des difficultés du terrain.

Les tandems solidaires [Q] Je voulais vous poser une question sur les « tandems solidaires ». Pourriez- vous être un peu plus précis ? À Dijon, en Bourgogne, on va essayer de vous copier...

[NG] D'abord, ce n'est pas nous copier, je dois à l’honnêteté de dire que c'est une démarche nationale, de l’Éducation nationale. Nous avons été parmi les premiers à répondre à l'appel d'offres. La vocation des « tandems solidaires », c'est d'éduquer à la solidarité internationale. On a donc une association locale, qui intervient en solidarité internationale, en tandem avec un collège ou un établissement scolaire. On peut avoir un éducateur, un professeur d'éducation physique ou un professeur de sciences de la vie et de la terre, une classe, deux classes ou un petit club qui rencontrent cette association locale, ce qui donne de la proximité, de la capacité à travailler assez rapidement ensemble, un projet, une thématique. Le Département intervient modestement, chaque action reçoit un soutien de 500 euros. Il y a donc, pour cette année, neuf tandems solidaires, donc neuf établissements et neuf associations qui se sont mis en marche. Donc les gamins, avec les associations, vont construire un projet, depuis le concept jusqu'à la réalisation, en passant par la budgétisation, la recherche des aides, des soutiens. Les tandems solidaires sont intéressants par cette notion de projet, qui semble fondamentale dans la mise en action. Ils devront rendre compte, soit par des

43 Échanges et questions avec le public rapports d'étapes si le projet est sur plusieurs années, ou par une restitution ultime du projet. Par exemple, l'association sportive du collège Jacques Courtois6, a, dans un premier temps, monté une première action de micro-crédit portant sur l'accès à l'eau, avec une très belle exposition qui va circuler dans le Doubs. Cette année, en concrétisation de la troisième année du projet, sept élèves iront sur le site, à l'étranger, voir le résultat de leur travail, de leur engagement, de leur mobilisation. À leur retour ils raconteront l'expérience. Donc les tandems solidaires, c'est cela : mettre en synergie des acteurs locaux de la solidarité internationale avec des collégiens pour les amener à prendre conscience d'une part de leur capacité à faire et d'autre part de cette ouverture nécessaire sur le monde et sur les autres. Je voudrais dire qu'on retrouve aussi cela chez nos collégiens – et aussi avec les élèves du primaire ou même dans les lycées – le collège est un monde cruel, un monde très dur, mais c'est un monde plein de générosité. L'enthousiasme des gamins lorsqu'on leur propose une notion de projet et d'ouverture sur l'autre est assez fabuleux. Et je crois qu'il nous faut promouvoir cette notion de « je m'empoigne par la main et j'y vais ». C'est très formateur aussi d'avoir l'interrogation en amont, la construction, et puis la satisfaction d'avoir mis en œuvre ou la conscience qu'on ne peut pas tout faire. Les projets et les tandems solidaires permettent aussi de se rendre compte qu'il y a certaines choses qu'on ne peut pas faire, qu'on a aussi des limites. [Q] Ça se fait sur toute la durée du collège ? Ça débute au niveau de la sixième ou cinquième ? [NG] Ça peut débuter n'importe quand, en troisième aussi. [Q] Ils perdent le projet quand ils arrivent au lycée ? Ou est-ce que c'est suivi ? [NG] Les projets sont menés sur une année scolaire ; mais si on démarre en sixième, on peut avoir une projection jusqu'à la troisième, il peut y avoir tous les ans une alimentation d'un projet ou d'une orientation ; mais je crois que parmi nous, il y a quelqu'un qui pourrait nous en parler très très bien, n'hésitez pas à la questionner, c'est

6 Collège Jacques Courtois, 25190 Saint Hippolyte

44 Échanges et questions avec le public

Vanessa Campan, du Cercoop7, un partenaire vraiment incontournable pour toutes les actions de coopération décentralisée.

7 Le CERCOOP Franche-Comté (CEntre de Ressources pour la COOPération décentralisée en Franche-Comté) est un dispositif régional multi acteurs qui soutient, développe et anime la coopération décentralisée en Franche-Comté. Courriel : [email protected]

45 Échanges et questions avec le public

Éducation et virtuel : comment maîtriser cette nouvelle accélération qui touche à la nature profonde de l'humain ? [Q] Je change de perspective, et cette question s'adresse à M. Haddad. En adoptant une perspective historique pour nous parler des finalités de l'éducation, vous avez souligné la difficulté pour l'esprit humain à s'adapter au changement de perspective. Tant qu'il ne s'est agi que de variations techniques ou industrielles, elles restaient extérieures à l'homme. Mais avec le virtuel, on assiste à une variation qui touche à la nature profonde de l'homme. On assiste en fait à une dé-réalisation. Par exemple, la confusion entre les jeux vidéo et la réalité – il y a des exemples à foison dans la réalité, par exemple des fusillades – comment maîtriser cette nouvelle accélération qui touche à la nature profonde de l'humain ?

Repenser les rythmes éducatifs, créer les conditions d'une maturation [GH] À mon avis c'est une question essentielle, qui positionne les vrais défis de l'éducation. Je vais même être un peu iconoclaste : il va falloir repenser, révolutionner nos systèmes éducatifs. Je vais expliquer pourquoi.

La croissance de la masse des connaissances. Aujourd'hui la masse des connaissances croît à une vitesse exponentielle, dans tous les domaines : sciences, arts, sciences humaines et sociales, technologies... Comme je l'ai dit, on a aujourd'hui des outils pour rendre ces connaissances accessibles à tous, et ce sera encore plus vrai demain, y compris dans les pays en développement, dont les jeunes pourront accéder à ces connaissances. La question que je me pose aujourd'hui est qu'on a gardé les mêmes rythmes éducatifs, alors qu'on demande aux jeunes d'acquérir des connaissances qui évoluent et croissent sans cesse ; cela se fait souvent au détriment de nombreuses connaissances traditionnelles, de plus en plus oubliées aujourd'hui, celles qui permettaient par exemple à l'instruction civique de transmettre des valeurs, des comportements, des positionnements, de développer une forme de rationalité critique, c'est-à-dire une pensée durable, évolutive, un esprit citoyen qui se positionne par rapport à tous ces savoirs qu'on essaie d’accumuler de plus en plus.

46 Échanges et questions avec le public

Des connaissances de plus en plus superficielles Or on a gardé les mêmes rythmes d’apprentissage. Première question, est-ce que cela a un sens aujourd'hui, alors que nous vivons de plus en plus vieux, que nous sommes de plus en plus en mesure de rester créatifs, productifs etc. tout au long de nos vies, grâce aux progrès de la médecine et de l’hygiène – surtout dans les pays riches – est-ce que cela a un sens aujourd'hui de maintenir le baccalauréat à dix-sept ans ? Que signifie ce baccalauréat à dix-sept ans lorsqu'on impose à des jeunes – et je le vois à travers mes enfants – des connaissances de plus en plus superficielles par le peu de temps qu’on consacre à leur transmission? Je prends l'exemple de mon fils, qui était à Louis le Grand – on a parlé des grands lycées – il en a souffert et il m'en veut encore aujourd'hui. Il me dit « Tu n'aurais jamais dû me mettre à Louis le Grand, ce n'est pas pour moi, c'est un lycée qui m'a détruit. » Et il m'a aussi dit : « Je ne comprends pas : en terminale, on m'a parlé de la théorie de la Relativité, de la physique quantique... tout ça en une heure, une heure et demie ! Qu'est-ce que je sais de ces théories ? » Cette illusion du savoir, qu'on impose aux jeunes, engendre les conditions d’une extrême fragilité ! Alors vous avez parlé de l'élite, bien sûr l'élite arrive toujours à surnager par rapport à ces questions. Mais le droit à l'éducation, c'est le droit à une vraie éducation, qui ne soit pas une illusion éducative. Et de plus en plus aujourd'hui nous allons vers l'illusion de l'éducation et du savoir, qui crée des déséquilibres flagrants, et qui font que les jeunes de plus en plus prennent leurs distances par rapport au monde éducatif, parce qu'ils n'y trouvent pas les réponses aux questions qu’ils se posent et encore moins des saisons d’espérer. Donc, première question, est-ce que la temporalité de nos systèmes éducatifs doit rester la même ? Je pense que non : il va falloir repenser les temps et les rythmes éducatifs, pour permettre au système éducatif d'accompagner, de conduire – éduquer, c'est conduire – de conduire les jeunes et les moins jeunes vers un accès à la connaissance réel, qui ne soit pas une illusion, une superficialité du savoir comme celle dans laquelle nous nous situons. Se pose en particulier la question du diplôme : que signifie aujourd'hui un diplôme, qu'il soit universitaire ou autre ? Il ne signifie presque plus rien. Que ce soit la licence, le mastère, voire même le doctorat qui est en train de perdre de sa signification et de sa valeur, aujourd'hui c'est quelque chose qui se situe dans une temporalité : 3-5-88. Que signifie ou représente aujourd'hui ce 3-5-8 ?

8 Aussi appelé LMD (licence/master/doctorat) le dispositif 3-5-8 vise à organiser la délivrance des diplômes dans l'enseignement supérieur européen autour de seuils à Bac + 3 ans, Bac + 5 ans ou Bac + 8 ans.

47 Échanges et questions avec le public

Michel Woronoff, qui est un littéraire, me le dit régulièrement, il me le disait déjà il y a vingt ans : « Le doctorat en sciences humaines ça ne peut pas se faire en trois ans ou en quatre ans ». Alors qu'en mathématiques, tout peut aller vite, en mathématiques on est presque vieux après quarante ans... mais dans les autres sciences, la biologie, la physique, la chimie, etc., il s’impose une nécessité de maturation, d'expérimentation, de progression...

« L'éducation de l'ombre », « Le chagrin d'école » Je le dis clairement : le vrai défi mondial de l'éducation, c'est de repenser les rythmes éducatifs, de repenser les missions éducatives et de créer les conditions d'une maturation réelle. Maîtrisons ce temps, qui s'est imposé aujourd'hui de manière dictatoriale à notre humanité, et qui crée des angoisses profondes chez les parents. Parce que l'éducation, ce n'est pas seulement la souffrance des enfants, c'est la souffrance des parents, il faut voir comment ceux-ci se positionnent... Si vous avez eu l'occasion d'aller en Corée du Sud, l'éducation est devenue un psychodrame national ! Quelle est la vie d'un jeune coréen de huit, neuf, dix ans ? Il se lève à six heures du matin, à sept heures il est déjà en train de prendre des cours privés dans une institution privée, à huit heures et demie il est à l'école, publique ou privée, ensuite lorsqu'il rentre à la maison vers cinq heures il a juste le temps de prendre un goûter, et ensuite il retourne dans une institution privée – on appelle cela « shadow education », l'éducation de l'ombre – ainsi ce n'est même pas le système public qui s'opposerait ainsi au système privé, c'est une éducation de l'ombre qui se met en place, pour permettre à ces jeunes d'aller le plus vite possible, de la manière la plus compétitive possible, au risque de les détruire. Le nombre de suicides des jeunes en Corée est incroyable, et en forte croissance... Est-ce que c'est ce type de société que nous voulons ? Est-ce que nous voulons une éducation qui fragilise la confiance, qui annihile le désir, qui détruit l’amour du savoir ? L’éducation de l'ombre, en Corée, représente, tenez-vous bien, plusieurs milliards d'euros par an ! Au Japon, c'est plus encore. En France, on en est déjà à quelque dizaines de milliards. J'ai la chance de vivre dans un immeuble bourgeois, dans le septième arrondissement de Paris près de l'UNESCO. Je tiens à vous dire que chaque soir l'immeuble est investi d'une cohorte de tuteurs qui viennent s'occuper des enfants à des tarifs que vous ne pouvez même pas imaginer. À tel point que les enseignants du lycée proche de mon domicile me disent : « Nous avons perdu toute autorité, les gosses nous rejettent : mon tuteur a dit ceci, qu’il faut rédiger ou raisonner ainsi... ». Le rejet de l'enseignant s'installe. Et là aussi, c'est une responsabilité politique, au sens général de la politique. Il va falloir repenser notre système éducatif, et en particulier ces rythmes éducatifs par rapport à ces savoirs qui s’accumulent et croissent.

48 Échanges et questions avec le public

Mon fils me disait : « Oui, la théorie de la Relativité, je connais : j'ai fait une heure en terminale » ; alors qu'on sait aujourd'hui que pour comprendre la théorie de la Relativité, il faut des années d'études supérieures! Que même les grands physiciens à l'époque d'Einstein avaient des difficultés à comprendre la théorie de la Relativité, combien de temps a-t-il fallu pour que cette théorie s'impose ? Ou encore la mécanique quantique, « la mécanique quantique, je connais, j'ai fait une demi- heure »... Voilà, c'est ainsi, on est dans l'illusion du savoir.

Alors, comme l'a dit M. Gauthier, il reste notre élite. Et la France a toujours cette capacité à produire son élite. Mais 99% des jeunes aujourd'hui vivent dans l'illusion. Et on leur fait croire que l'éducation va les amener vers une vie citoyenne meilleure, vers un emploi. C'est trop souvent illusoire ! Il va donc falloir que nous repensions l'éducation, c'est un vaste chantier qui ne pourra pas se situer au niveau national, c'est un chantier mondial, et c'est pourquoi l'UNESCO doit reprendre sa mission qui est d'être ce lieu où vont se débattre, pour les vingt années à venir, les grands enjeux de l'éducation par rapport à tous ces paramètres qui font que l'éducation est et restera toujours la priorité des priorités. Il n'y a pas de développement, à quelque niveau que ce soit, sans une éducation capable de répondre à cela. Alors je vois une réelle souffrance éducative, je vois ce « chagrin d'école » – Daniel Pennac9 avait écrit ce très beau livre – je trouve qu'il y a de plus en plus de chagrin à l'école, chagrin des enseignants, chagrin des enfants, chagrin des parents, et cette angoisse qui font que nous devons revenir impérativement sur ces questions fondamentales.

L'éducation et le monde virtuel : retrouver l'éducation artistique, un des enjeux fondamentaux de l'éducation de demain. Alors vous m'avez posé la question sur le virtuel, je trouve que le virtuel c'est aussi une façon d'oublier la réalité du monde dans lequel on vit, et parfois d'échapper justement à ce monde réel qui est en train de perdre toute sa poésie et parfois son sens. A cette fin, il va falloir en particulier renforcer l’éducation artistique et aux humanités, et ne pas former uniquement des professionnels, mais faire en sorte que toutes les disciplines se retrouvent. Ainsi, je crois que l'éducation transdisciplinaire englobant les arts et les sciences

9 Chagrin d'école, Daniel PENNAC, Paris, Gallimard 2007.

49 Échanges et questions avec le public humaines représente l'un des enjeux fondamentaux de l'éducation de demain, pour redonner le sens de l'harmonie, de la beauté, et faire en sorte que nos futurs scientifiques eux-mêmes soient portés par ces valeurs, par cette capacité à appréhender le monde avec curiosité, dans une quête permanente de beauté et de vérité. L'éducation et le monde virtuel : développer le sens de la responsabilité critique Il est alors bien vrai que le monde virtuel prend de plus en plus d'importance dans le monde réel, nous formons des jeunes qui demain pourront appuyer sur n'importe quel bouton pourvu qu'on leur en donne l'ordre, cela devient un jeu, et c'est un des gros défis aujourd'hui pour l'éducation, de développer l'esprit critique, le sens de la responsabilité critique. Nous voyons des jeunes et des adultes qui sur des jeux informatiques font éclater la tête ou le corps d’humains virtuels, perdant ainsi toute forme d'humanité et de contrôle.

La violence des jeux vidéo, un faux problème

Le temps passé sur les jeux [Q] Je voulais juste rebondir sur ce qui a été dit sur les jeux vidéo, moi qui ai joué aux jeux vidéo. À chaque fois qu'on les pointe comme un facteur de violence, j'ai l'impression qu'on me désigne comme un tueur en puissance. Or je pense réellement que la violence des jeux vidéo est un faux problème. Le problème principal pour l'éducation, c'est le temps que passent des enfants de quatorze, quinze ans qui ont surtout besoin de courir dehors et de se défouler. Je pose la question à mes élèves – je suis enseignant : « Tu as joué jusqu'à quelle heure hier soir ? – jusqu'à deux heures. – Tu as ta console dans ta chambre ? – oui... » Et cela se répète régulièrement dans une classe, dans un collège de ZEP.

Violence : Images des jeux vidéo et « images de vérité » Au-delà de ça, s'il y a une éducation à l'image à faire, et elle est à faire, elle doit porter sur les discours qui se veulent « de vérité ». Beaucoup plus qu'une éducation à l'image ou à l'écran concernant les jeux vidéo, les élèves savent bien que c'est de la fiction. D'ailleurs, quel enfant n'a jamais joué à la guerre, sans qu'on dise de lui qu'il est violent ? Les jeux vidéo ne sont qu'un autre mode de support. La vraie éducation est à faire sur les images qui se veulent « de vérité » : les journaux télévisés, beaucoup plus à mon sens que sur ce que les élèves perçoivent très bien comme étant des fictions.

50 Échanges et questions avec le public

Violence du système scolaire Par ailleurs, pour revenir à la violence des jeux vidéo, je voudrais aussi la comparer à la violence du système éducatif français, qui à mon sens est beaucoup plus violent que quelques images, fussent-elles un peu sanglantes, sur un écran. Quand chaque jour on dit à un élève qu'il est mauvais, parce que c'est ce qu'on fait chaque fois qu'on rend un devoir, je n'en suis pas spécialement heureux. Le fonctionnement par notes, même accompagnées d'appréciations encourageantes, relevant les efforts, est désespérant. Car, au bout du compte la note est 3, et l'élève a 3 depuis le début de sa scolarité. Chaque jour, chaque fois qu'on lui rend une copie, on lui dit « tu es mauvais ». Par l'absence d'orientation, comme l'indiquait monsieur Gauthier, par l'absence d'autres filières, ou parfois elles existent, mais les parents ne veulent pas que leur enfant les suive. Cette violence-là, violence sociale, violence du système éducatif, me semble beaucoup plus préoccupante pour l'envie des élèves, vous avez parlé tout à l'heure de l'envie, du désir d'apprendre. En rendant de telles notes à des élèves tout au long de leur scolarité on casse ce désir-là, et c'est beaucoup plus important que des questions de jeux vidéo.

[GH] Je voudrais réagir très rapidement ; ce que vous venez de dire correspond à un article que je viens d'écrire intitulé « Que faut-il enseigner et comment évaluer les connaissances ? » qui aborde justement le problème des notes, de cette « répression » par la note. Mais, je ne suis pas totalement d'accord avec vous, parce que dans ces jeux vidéo, on propose à ces jeunes de devenir des acteurs et des metteurs en scène de la violence. Ils ne reçoivent pas uniquement la violence par une image, on leur demande d'être des créateurs de violence. On leur offre un jeu où ils devront faire exploser le maximum de têtes d'ennemis potentiels, on ne les met pas devant un film qui se déroulerait sous leurs yeux, c'est eux qui écrivent le scénario du film, et dans ce scénario la violence est extrême ! Ainsi on ne leur demande pas d'être des spectateurs passifs d'une violence, réelle ou virtuelle, on leur demande à travers ce jeu d'être des créateurs de violence. Et c'est là le danger. Alors effectivement, comme vous le dites, 99% des jeunes ont la capacité à surmonter cela, à ne pas rester passifs ; mais 1%, cela suffit déjà, un millième cela suffit déjà. Et je peux vous dire qu'il y a aujourd'hui dans nos sociétés des jeunes qui seront capables de faire n'importe quoi, pour peu qu'on leur en donne les moyens.

51 Échanges et questions avec le public

L'égalité devant l'éducation / La fracture devant l'éducation [Q] J'ai été totalement accablé par un article paru dans le Monde vendredi10 : Les moyens attribués renforcent les inégalités ; notre éducation n'est pas nationale : l’État favorise les plus privilégiés. Par exemple on nous dit que l’État a dépensé 47% de plus par élève d'un lycée parisien que pour un élève de l'académie de Créteil. Je pourrais évidemment reprendre toute une série de chiffres de cet article, basé sur un pré-rapport de la Cour des Comptes en 93 pages, et je pense qu'il est très important pour chacun d'entre nous de le regarder. Bien sûr, cela pose des problèmes : les inégalités sont encore augmentées par les différences de richesse entre les régions ; je salue bien sûr, en bon Comtois que je suis, la région de Franche-Comté, mais je vois néanmoins qu'à Champagnole, aucun élève n'a, ce qui est possible à Besançon, un petit ordinateur qui lui est remis à l'école primaire. J'habite à Champagnole, sur le plateau, ma fille habite à Besançon et ses petites filles ont droit à leur ordinateur, mais est-ce ça notre République ? Est-ce que le droit à l'éducation ne suppose pas une égalité pour tous, et les mêmes chances pour tous ? Je regarde la région de Franche- Comté : a-t-elle une idée de ce qu'elle donne par élève comtois, par rapport à ce que donne la région Alsace ? par rapport à la moyenne nationale ? par rapport à la région Corse ? On sait que c'est le Limousin qui donne le moins pour les enfants du primaire, mais en Limousin il n'y a aucun revenu, aucune richesse ! En républicain que je suis, ça m'irrite, pour ne pas dire davantage.

[LG] Je crois que vous donnez du grain à moudre, à la suite de ce que Georges Haddad nommait « la fracture », et l'exemple que vous donnez est franco-français, et là c'est à nous d'agir...

L'éducation tout au long de la vie [MW]11 Premièrement, comme professeur, j'ai toujours pensé que ma tâche était

10 Le Monde, Vendredi 13 avril 2012, Les moyens attribués renforcent les inégalités par Maryline Baumard. 11 Michel Woronoff est professeur de grec honoraire à l'université de Franche-Comté. Il a été président de cette université. Il a créé le service commun de l'Université Ouverte de Franche-Comté. Il a rencontré Georges Haddad, président de l'université Paris 1 à la Conférence des Présidents d'université (CPU).

52 Échanges et questions avec le public de conduire chacun au maximum de ses possibilités ; et que ce ne soit entravé ni par la localisation géographique ni par l'origine sociale. La deuxième chose, c'est que vous parlez tous beaucoup des élèves ; j'aimerais qu'on parle aussi un peu des adultes. Je pense qu'il y a un droit à l'éducation tout au long de la vie, et je serais heureux, Georges, de participer à ce rapport sur l'éducation. Il se trouve que j'ai eu une mission confiée par Edgar Faure, dans les années 1983-1984, de faire un rapport avec Jean-Claude Fontaine sur « Les outils du savoir », les conditions de l'innovation. L'idée de Faure, qui avait de temps en temps des intuitions géniales, c'était de dire qu'il n'y a pas d'innovation, s'il n'y a pas un milieu qui permette l'innovation. C'est-à-dire qu'il faut éduquer les parents. J'ai eu une expérience tout-à-fait extraordinaire : un patron pêcheur breton qui avait quitté l'école à quatorze ans – on était en train de mettre en place dans l'Ouest des Universités ouvertes, des Universités pour tous – il est venu en disant : « J'ai quitté l'école à quatorze ans, maintenant on la quitte a seize ans, la République me doit deux ans ». Je crois que c'est à méditer.

Regarder du côté des expériences positives : [Q] : Je m'occupe d'emploi, de formation, de lutte contre l'illettrisme ou plutôt d'alphabétisation durable comme le conçoit l'UNESCO. Je pense qu'il est aussi intéressant qu'on regarde ce qui marche. On met en place, comme l'a dit M. Woronoff, des dispositifs qui marchent, des actions intéressantes : il y a des expérimentations entre l'école des Beaux-Arts et l'ENSMM, des programmes de lutte contre l'illettrisme avec le Conseil général, on travaille avec des structures d'insertion par l'activité économique pour éviter les systèmes cloisonnés, donc j'aimerais que plutôt que de regarder tout ce qui ne va pas, nous regardions les expériences positives que nous mettons en place, les uns avec les autres.

Un moyen pour faire évoluer l'UNESCO. Je travaille aussi sur des programmes internationaux mis en place via le Ministère du travail, et je souhaite interpeller M. Haddad qui a dit : « Comment faire changer l'UNESCO pour qu'elle ne soit pas seulement une structure administrative ? » Je pense que c'est en mettant en avant les expériences qui marchent sur le terrain, qu'on ira vers une excellence de l'éducation qui prenne en compte les parents, les enfants, les spécificités de chaque territoire, et moi aussi ça m'intéresse de collaborer à de tels programmes, puisque vous nous avez dit que votre porte est ouverte.

53 Échanges et questions avec le public

Comment s'informer sur l'UNESCO ? [Q] J'ai une question complémentaire : comment pouvez-vous nous informer ou comment pouvons-nous nous tenir informés de ce qui se fait à l'UNESCO puisque vous nous ouvrez votre porte, que vous voulez venir sur le terrain, comment peut-on créer des échanges ?

L'UNESCO c'est nous, c'est vous, c'est nous tous. [GH] Je réponds tout de suite parce que c'est important. Je vais être un peu rude dans ma réponse. L'UNESCO a été créée par les Nations Unies. L'UNESCO c'est nous, c'est vous, c'est nous tous. Et le fait que vous posiez cette question prouve bien que nous avons perdu le sens de l'UNESCO. Or l'UNESCO c'est le lieu dans lequel chacun, chaque pays, chaque collectivité doit venir bénéficier d'un vrai débat citoyen sur ces enjeux essentiels que sont l'éducation, la science et la culture. Et je tiens à vous dire ma tristesse d’une France moins dynamique dans ces domaines par rapport à l'UNESCO. N’oublions pas que Léon Blum s'est battu pour que l'UNESCO soit à Paris, alors qu'elle avait été créée à Londres en 1945, il s'est battu pour que le français reste une des langues officielles de l'UNESCO, alors qu'on n’y parle pratiquement plus le français, et lorsque je présidais la Conférence des présidents d'universités, très rares étaient mes collègues moi compris qui savaient ce que l'UNESCO faisait ou s'intéressaient à l'UNESCO. C'est un mal français. Soudain, on réalise l’existence de l’UNESCO et on demande : « Qu'est-ce qu’elle peut faire pour moi ? » ; mais vous, qu'est-ce que vous devez faire pour l'UNESCO ? Il y a un lieu, un espace on peut lui rendre visite en permanence, on peut participer à des actions, tout cela est rendu public, mais l'UNESCO, en France, est considérée comme une sorte de musée, qu'on côtoie, mais qu'on ne fréquente pas. Lorsque je vais en Afrique, en Amérique latine, en Asie, il y a une considération pour l'UNESCO qui est bien différente de celle que l'on voit en France. Même en Europe : en Allemagne, en Italie ; ou ailleurs, en Chine, en Inde, au Brésil…, je vous assure que l'UNESCO représente une institution d’une importance unanimement reconnue. Alors que dans la plupart des pays, être ambassadeur de son pays auprès de l'UNESCO, représente encore un honneur, un privilège : j’ai eu le sentiment qu’il n’en était plus tout à fait de même en France. C'est à nous, citoyens du monde, de mener un mouvement fort pour que l'UNESCO soit plus reconnue et mieux soutenue. Je vous le redis, c'est une responsabilité citoyenne. Si nous perdons l'UNESCO, l'humanité le regrettera amèrement. Il va donc falloir nous engager plus encore, au travers des clubs UNESCO, des écoles associées, des Chaires UNESCO, des réseaux UNITWIN et de

54 Échanges et questions avec le public tous les grands programmes mis en œuvre par l’Organisation. A cet égard, je suis curieux de savoir s’il existe des écoles associées UNESCO à Besançon et dans le Doubs.

UNESCO : « Savoir pour agir, Agir pour savoir ». D'abord pour pouvoir s'impliquer il faut se tenir au courant, bien sûr. Il faut avoir la meilleure information, il faut aller la chercher : « savoir pour agir, agir pour savoir ». [Public] Il faut que ça vienne aussi des deux sens ! [GH] Bien sûr ! Il y a les sites UNESCO sur lesquels on peut naviguer et avoir toutes les informations importantes, et puis l'UNESCO ce n'est pas seulement les États membres, c'est les associations, les ONG, qui viennent et qui interviennent dans les débats, au Conseil exécutif, à la Conférence générale, et dans toutes sortes de manifestations. Il est ainsi possible d’intervenir, Terre de Hommes en particulier doit prendre part aux débats à l’UNESCO. Il existe des réseaux scolaires associés à l’UNESCO intitulés « les écoles associées ». Là aussi c'est une façon d'intervenir auprès de l'UNESCO, et de faire en sorte que les écoles primaires, ou même les collèges et les lycées, participent à cette dynamique du dialogue et du partage. Les Chaires UNESCO que j’ai mentionnées précédemment, furent créées par Federico Mayor12. C'est aussi une façon originale d'intervenir et de contribuer aux missions de l’UNESCO. Il en existe près de 800 aujourd'hui qui regroupent plus de 7 000 institutions universitaires dans le monde associées à des partenaires aussi bien du secteur public que du secteur privé.

L'UNESCO, une dimension citoyenne, à tous les niveaux Donc l'UNESCO, c'est tout un ensemble simple et complexe à la fois à dimension politique et culturelle. Vous comprendrez donc que je ne peux pas vous donner toutes les réponses possibles et souhaitées. Mais je crois qu'il faut que vous interveniez. Il y a une responsabilité à intervenir en faveur des programmes et des missions de l’UNESCO. Par exemple, nous avons en France un débat présidentiel. Je pense que l'éducation y est trop faiblement abordée, la dimension culturelle trop faiblement évoquée. Pourquoi ne pas demander aux candidats quel sera le rôle de la France par rapport à l'UNESCO, leur demander ce qu'ils comptent faire pour

12 Féderico Mayor fut Directeur général de l'UNESCO de 1987 à 1999. Il développa le programme Culture de la paix et obtint que l'Assemblée générale des Nations Unies déclare l'an 2000 « Année internationale pour la Culture de la paix ».

55 Échanges et questions avec le public améliorer le rôle de la France en termes de solidarité, de coopération, d'implication au niveau mondial. Monsieur Gauthier en a parlé, Didier en a parlé aussi, sur le droit à l'éducation. Qui pose ces questions aujourd'hui dans notre débat national ?

La porte ouverte [Public] Vous avez dit : « venez donc à Paris, la porte vous est ouverte ». Eh bien moi, jamais je n'aurais franchi les portes de l'UNESCO. Pourquoi ? parce que cela reste une affaire de spécialistes. Or là, vous m'avez subitement ouvert les yeux en ouvrant votre porte ! Ça ne veut pas dire qu'on va tous aller frapper à votre porte, mais je vous assure que j'irai voir sur le site de l'UNESCO...

[GH] Et intervenez, participez... Interpellez la Commission nationale auprès de l'UNESCO, qui est là pour cela !

[Q] Je remercie Terre des Hommes d'avoir organisé cette journée, parce que je repars avec cette information, et croyez-moi, le site de l'UNESCO, je vais le fréquenter...

[GH] Venez, l’UNESCO vous accueillera avec plaisir, c’est son devoir...

« Savoir désapprendre », « Savoir déconstruire » [Q] En tant que membre de la Fédération française des clubs UNESCO, on travaille de manière très rapprochée avec l'UNESCO et les thématiques de l'UNESCO. Vous savez sans doute qu'à la tête de l'UNESCO il y a actuellement une Directrice générale, Irina Bokova. Elle a mis en avant deux thèmes, qui sont d'ailleurs deux questions : l'Afrique et le genre. À partir de ce que vous avez dit sur « savoir désapprendre », « savoir déconstruire », je souhaite poser une question sur le fond. Il me semble que lorsqu'on cherche à éduquer, il y a un moment où cette éducation déconstruit un certain nombre de croyances, de valeurs. Je pensais à la question du genre : comment réussir à déconstruire, à remettre en question, en nous-mêmes et chez ceux à qui on destine l'enseignement ? Comment remettre en cause des éléments consubstantiels à la famille, à la société, à la culture ? Je parle par exemple de ce dramatique refus qu'un certain nombre de sociétés, dont la société française, ont face au genre. Essayez de parler, dans l'Éducation nationale, dans les établissements

56 Échanges et questions avec le public scolaires, au niveau des élèves, de cette thématique du genre, de cette représentation ancrée dans l'esprit des adultes et des enfants selon laquelle un homme doit avoir telle fonction sociale, une femme, une autre fonction, c'est valable pour la France, on n'y arrive pratiquement pas. Il y a un blocage complet dans la société française – mais ce n'est pas la seule – sur cette thématique-là. Or l'UNESCO l'a mise en avant au même titre que l'Afrique. Il y a du fond, là qui me semble essentiel, et qu'on a toujours du mal à aborder. On parle de questions matérielles, de questions techniques, mais des questions de fond comme le décalage nécessaire qu'on a dans sa tête concernant les fonctions sociales générées, ça, on n'y arrive pas.

[GH, après un silence] Vous voulez que je réponde ?

La question du genre [GH] Il m’est difficile de répondre en toute objectivité à une question aussi complexe. Tout à l'heure je vous ai parlé de ma mère. Plus généralement, je crois que c'est une question très générale et très profonde, et dont les réponses – s’il en existe – demanderont beaucoup de temps, de créativité et de sincérité. Il faudra aller au fin fond de l'esprit humain atteignant les zones culturelles, historiques, politiques qui font que la question du genre est une question éminemment complexe, qui concerne les tréfonds de l'esprit humain. Cependant, il ne faudrait pas pour autant que la question du genre devienne une dictature. Je vais pour cela vous donner un exemple très simple : j'ai proposé récemment un article et je me suis rendu compte qu'il y avait à l'UNESCO ceux qu’on appelle « les censeurs du genre ». L'article a été initialement bloqué, parce que je citais une phrase de Paul Éluard, qui était un féministe convaincu et qui écrivait: « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second, un imbécile ». Que voulait dire Paul Éluard ? Que c'est bien de le faire une fois, mais ramener systématiquement la femme à un état végétal, aussi prestigieux soit-il, c'est faire preuve de machisme et de bêtise. Eh bien, à l'UNESCO on m'a dit : « cette phrase est équivoque donc on ne pourra publier votre article si vous la conservez... » Que répondre ? Ce n'est pas moi qui l'ai écrit, c'est Paul Éluard. Qu'à cela ne tienne, j'ai changé la phrase d'Éluard et j'ai proposé la suivante : « Le premier qui compara la lune à un astre lumineux était un poète, le deuxième, un béotien ». On sait très bien que la lumière ne vient pas de la lune mais du soleil. Ainsi, l'article est passé. Il faut donc veiller à ce que tout cela ne crée pas des dérives. Je suis totalement

57 Échanges et questions avec le public partie prenante et engagé dans ce combat, mais que cela se fasse à partir d’un vrai débat, serein, et ne devienne pas une obsession qui fausse complètement les enjeux et les réponses que nous pouvons y apporter.

L'Afrique, c'est d'abord une affaire d'Africains ! De la même façon, pour l'Afrique, vous l'avez dit, l'Afrique est une priorité. Est- ce que vous considérez que l'UNESCO fait assez pour l'Afrique, que nous en faisons nous-même assez pour l'Afrique ? C'est devenu là aussi une sorte d'obsession, qui cache la réalité de notre capacité à travailler pour l'Afrique, avec les Africains. L’Afrique, c'est d'abord une affaire d'Africains ! D'abord les écouter, écouter ce qu'ils veulent, et les aider à développer ce qu'ils ont envie de développer. Mais là aussi, à l'UNESCO, « priorité Afrique », en devenant obsession, fausse le vrai débat. Des gens viennent donner des leçons, viennent imposer des principes, des visions souvent éloignés des réalités africaines sans débat en profondeur. De la même façon, que pour le genre, c'est devenu une sorte de contrainte qui fausse le vrai débat.

L'UNESCO doit se déconstruire Pour cela, il va falloir que l'UNESCO se déconstruise et soit capable d'aborder ces questions de manière cohérente, subtile, non pas en imposant des dogmes, des critères et surtout en faisant disparaître les censeurs, les inquisiteurs, les donneurs de leçons qui faussent le débat et qui s'accrochent à ces moyens de pouvoir. Alors il nous faut découvrir ces inquisiteurs, et les mettre en situation d'expliquer pourquoi ils se comportent de cette manière. Je n'ai pas de réponse toute faite à ce problème, mais il est clair que le débat ne fait que commencer, et que la question du genre particulièrement durera, tant qu'il y aura des hommes et des femmes ! Il est évident que l'homme et la femme, au niveau intellectuel, au niveau des capacités, sont absolument équivalents. Je le répète, cela relève de quelque chose de plus profond qu'il va falloir analyser sans relâche en allant au plus profond des racines de l'esprit humain pour essayer de faire apparaître les réalités.

La fragilité de l'être humain : « Le but ultime de l'éducation, c'est de transformer l'animal humain en ce qu'il doit absolument devenir, un homme » Pour terminer je souhaite faire référence au livre de Stefan Zweig « Le monde

58 Échanges et questions avec le public d'hier, mémoires d'un européen »13 qui par la puissance de son analyse reste pour moi une référence en ce qu’il décrit la fragilité extrême de l’être humain confronté aux idéologies et aux nationalismes exacerbés. Je vais à cet égard vous raconter une anecdote : je venais d'être élu président de l'Université Paris I, et dans un pays qui pourrait être n’importe quel pays, après la chute du régime dictatorial, il y a eu un affrontement terrible entre la majorité nationale et une minorité très puissante culturellement, intellectuellement, économiquement. Un jour j'ai assisté à la télévision à la diffusion d'un reportage terrible, qui m'a rendu malade, j'en souffre encore en y pensant, où l'on voit un groupe de jeunes prendre à partie un homme de la minorité et le mettre à mort en lui faisant exploser la tête, comme dans les jeux vidéo, avec des barres de fer. L'homme est en train d'agoniser, les jeunes partent, et puis, on ne sait pourquoi, un des agresseurs revient – je décris les choses telles qu'elles sont dans ce reportage – et, au lieu de laisser cet homme vivre ses derniers instants comme il le peut, pensant à sa mère, à sa femme, à ses enfants, à ses amis, pour l'humilier encore plus dans son agonie, il lui écrase les parties intimes. J'ai retrouvé les deux reporters et leur ai demandé d'aller faire un reportage pour retrouver cet homme. Les reporters me répondent: « -Mais il est mort. » « - Non, pas le mort, celui qui a fait cela. Je veux que vous alliez le retrouver ». Je leur ai donné les moyens pour assurer cette mission, ils sont partis, et dix jours après ils m’ont téléphoné : « - Georges, on ne sait plus quoi faire car nous avons retrouvé l'homme, on a fait un reportage, mais on a été repéré, notre vie est en danger ». « - Votre vie est plus importante, tant pis, rentrez... » Ce reportage aurait été extrêmement utile dans toutes les écoles du monde, particulièrement auprès des éducateurs, pour montrer l’extrême fragilité de l'humain ; mais il n'a pas pu être diffusé. Quand les reporters sont revenus, ils m'ont raconté que l’homme retrouvé apparaissait dans le reportage le visage caché, dans sa vie de tous les jours. Cet homme-là était un enseignant d’école primaire, il avait des enfants, prônait la plus grande humanité et affirmait à quel point l'éducation était importante, pourtant, cet homme-là a fait ce qu'aucun animal ne ferait... Donc extrême fragilité. Sommes-nous sûrs de ne jamais basculer, face à l'idéologie, quelle que soit l'éducation que vous avez reçue ? Ne l'oublions pas, les 13 Éditions Le livre de Poche (1993)

59 Échanges et questions avec le public grands poètes du siècle précédent, Hofmannstahl et d'autres, pris dans les idéologies guerrières et nationalistes, étaient devenus des poètes engagés, prônant la violence, la haine … ! Que faisaient tous ces intellectuels allemands – l'Allemagne, un des pays le plus éduqué de la planète – entre 1940 et 1945, lorsque le nazisme a pris le pouvoir – prétendument pour répondre à l'humiliation du peuple allemand après la première guerre mondiale – qu'ont-ils fait ? Où étaient-ils, ces intellectuels, ces artistes ? Certains se sont tus, certains se sont révoltés, mais malheureusement la majorité s’est au mieux réfugiée dans une grande passivité. Répétons-le, le Monde d'hier reste pour l’essentiel le Monde d'aujourd'hui et sera à coup sûr en grande partie le Monde de demain... L'éducation, aussi élaborée et développée soit-elle, ne nous préserve pas de cette barbarie qui nous guette et nous menace en permanence. Hannah Arendt, que tu as citée tout à l'heure, avait écrit cette phrase d’une portée permanente : « Le but ultime de l'éducation, c'est de transformer l'animal humain en ce qu'il doit absolument devenir, un Homme ». Nous mesurons jour après jour l’immensité de la tâche.

60 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France

Emmanuelle Bertrand

Chargée de mission – Terre des Hommes France

61 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France

Introduction Créée en 1963, Terre des Hommes France est une association de solidarité internationale, loi 1901, reconnue de bienfaisance. Pour Terre des Hommes France, vivre dignes passe par le respect des droits économiques, sociaux et culturels conformément à la Déclaration universelle des droits de l'Homme. Elle soutient des associations et des réseaux d’associations engagés dans des programmes axés sur le travail, l’insertion professionnelle, la santé, l’éducation et la reconnaissance de la diversité culturelle. Terre des Hommes France agit aussi en réseau avec d'autres associations en France et en Europe pour la reconnaissance des droits économiques, sociaux et culturels. Le mode opératoire de TDHF est le partenariat avec des associations qui appuient des populations pour qu’elles soient en mesure de revendiquer elles-mêmes leurs droits. Pour Terre des hommes, la Formation c'est donner aux populations les moyens d’être elles-mêmes actrices de leur développement.

Formations professionnelles et organisations collectives L’éducation primaire est un droit universellement reconnu, et figure dans les constitutions de nombreux pays. Pourtant, nombreux sont encore les enfants qui n’y ont pas accès, soit parce qu’il n’y a pas d’école à proximité, soit parce que leur famille n’a pas assez de ressources pour les y envoyer. Pour permettre à tous ces jeunes qui n’ont pas pu être scolarisés de trouver tout de même un emploi décent, Terre des Hommes France et ses partenaires ont mis en place des actions de formation professionnelle « hors circuit », accessibles aux personnes (jeunes et adultes, hommes et femmes) n’ayant pas suivi de cursus scolaire normal.

La formation professionnelle étant également une fonction que l’État doit pouvoir assurer (certains pays disposent même d’un ministère de la formation

62 Emmanuelle Bertrand professionnelle), les formations professionnelles assurées par Terre des Hommes France n’ont pas vocation à s’inscrire dans la durée. Elles s’accompagnent toujours d’une action de plaidoyer auprès des autorités locales et nationales pour que l’État garantisse, à terme, l’accès à la formation professionnelle pour tous et toutes. Par exemple :

Au Mali, les formations techniques Au Mali, l’association Guamina (partenaire de Terre des Hommes France) est à l’œuvre depuis 2005 pour renforcer la filière de l’artisanat. L’artisanat est un secteur professionnel et économique très important au Mali, pourtant il n’existait pas, il y a quelques années encore, de formation professionnelle publique pour les artisans, dont la plupart ont appris à exercer « sur le tas », dans des conditions souvent très en deçà des normes nationales et internationales. Guamina, en partenariat avec Terre des Hommes France, a d’abord commencé par assurer des formations professionnelles pour tous les jeunes hommes et toutes les jeunes femmes non scolarisés, afin de leur donner les moyens d’exercer leur profession dignement. Les formations touchaient à la fois aux techniques professionnelles à proprement parler (menuiserie métallique, menuiserie bois, mécanique, etc.), et aux méthodes d’organisation professionnelle (gestion d’un atelier, rôle des chambres des métiers, comment travailler dans la légalité, etc.). Ces actions de formations professionnelles ont toujours été accompagnées d’actions de plaidoyer, afin d’impliquer les décideurs (ministère de l’artisanat, ministère de la formation professionnelle, assemblée nationale permanente des chambres des métiers…) dans la formation. Les chambres des métiers ont été peu à peu impliquées dans les formations, et aujourd’hui, grâce aux actions conjointes entre Guamina, les assemblées régionales et l’assemblée nationale des chambres des métiers, et le concours du ministère de l’artisanat, un Fonds d’appui à la formation et à l’apprentissage a été créé, et est géré par l’assemblée nationale permanente des chambres des métiers. Aujourd’hui, les formations professionnelles sont donc majoritairement assurées grâce à des fonds publics. Guamina accompagne encore les chambres des métiers communales, notamment celles de Bamako et de Ségou, pour qu’elles puissent, d’ici 2014, assurer elles-mêmes la gestion des besoins en formation des artisans, et devenir garantes du respect des droits des artisans et artisanes qu’elles représentent. La formation professionnelle est une étape essentielle pour lutter contre la pauvreté. En contribuant à l’augmentation des revenus, elle offre aux familles des

63 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France conditions de vie meilleures et par voie de conséquence, elle accompagne le changement des mentalités : les populations comprennent tout l’enjeu de se former.

Les formations spécifiques pour les populations désavantagées Les formations professionnelles parfois ne suffisent pas pour garantir un emploi aux personnes formées. Cela est particulièrement vrai pour des populations que la société ne souhaite pas voir sortir de la pauvreté et s’épanouir. On parle notamment des populations autochtones, intouchables, rurales… et au sein de chacune, les femmes doivent bénéficier d’une attention toute particulière pour leur statut éternellement inférieur à celui des hommes, dans toute société. Pour toutes ces populations, et pour les femmes au sein de chacune (même parmi les populations qui ne sont pas socialement désavantagées), les formations professionnelles ne peuvent pas être le seul moyen pour aboutir à un développement juste, équitable et durable. Terre des Hommes France et ses partenaires développent des formations sur les droits pour ces populations, pour qu’elles puissent prendre leur développement en main. Cet aspect de la formation est primordial à Terre des Hommes France, et se situe au cœur de ses actions. Par exemple :

Au Togo, formation professionnelle et égalité sociale Au Togo, avec le soutien du ministère français des affaires étrangères, Terre des Hommes France appuie la formation professionnelle de femmes rurales, dans les domaines de la conservation et la transformation alimentaire. Mais les femmes n’avaient auparavant pas de revenus pour les activités agricoles qu’elles exerçaient, elles étaient des aides « gratuites » de leurs maris. Terre des Hommes France et son partenaire Sotchi ont donc mis en place un système de formation des femmes sur leur développement personnel et la prise de confiance en elles, de formation des hommes sur l’égalité sociale entre hommes et femmes, et de formation des autorités locales sur l’importance qu’elles soutiennent les actions de renforcement des femmes pour que cela puisse aboutir.

Au Guatemala, formation à la citoyenneté des femmes mayas Au Guatemala, le mouvement Tzuk Kim pop, partenaire de Terre des Hommes France, appuie les populations mayas à l’ouest du pays, pour qu’elles aient

64 Emmanuelle Bertrand connaissance de leurs droits, et qu’elles soient en mesure de les revendiquer. Cela passe par des formations à la citoyenneté, pour que des représentantes des communautés mayas puissent participer au sein d’espaces démocratiques tels que les conseils municipaux et comités de développement local. Le mouvement Tzuk Kim pop appuie en priorité les femmes dans ses actions.

Formation des travailleurs et travailleuses exploités/es sur le droit du travail Pour parvenir au développement à long terme, il est vital que les populations puissent participer au développement de leur pays. Cependant, l’articulation entre le développement de la collectivité (comprendre : la société en général) et le développement individuel (entretien de la famille, épanouissement personnel, pouvoir de décider de son avenir, pouvoir choisir sa vie…) est également primordiale. Il ne s’agit donc pas de former des populations pour qu’elles puissent ensuite mieux être exploitées. Terre des Hommes France et ses partenaires entendent par travail, « travail décent ». Cela signifie que le droit du travail doit être respecté pour toutes les catégories de travailleurs et de travailleuses. Pour y parvenir, ces derniers doivent connaître leurs droits et savoir s’organiser pour qu’ils soient respectés. C’est ce que Terre des Hommes France et ses partenaires essaient de mettre en œuvre ensemble. Par exemple :

En Inde, État du Karnataka, soutien aux ouvrières En Inde, l’association Fedina accompagne les ouvrières indiennes dans les négociations avec leurs employeurs. Les femmes sont formées sur leurs droits, et encouragées à se syndiquer pour ne pas continuer à subir les abus dont elles sont continuellement victimes. En 2010, l’État du Karnataka a proposé un projet de loi pour faire passer le temps de travail de 48 à 60 heures par semaine, sans augmentation des salaires pourtant indécents. Pour faire face aux employeurs peu scrupuleux qui ont tenté d’imposer cette nouvelle forme d’exploitation, Fedina a mobilisé les syndicats de son réseau pour former des centaines de travailleuses sur leurs droits. Avec d’autres collectifs, des actions de lobbying ont aussi été menées auprès du parlement du Karnataka. Une importante mobilisation qui a ainsi permis de suspendre ce projet de loi.

Aux Philippines, soutien aux mineurs Philrights, association philippine, renforce également les populations autochtones

65 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France qui travaillent dans les mines, pour qu’elles puissent travailler dans des conditions décentes. En effet, ces populations sont embauchées en priorité pour ces travaux difficiles, sales et difficiles (en anglais : les 3 D) car elles ne connaissent pas leurs droits, ont besoin d’argent, et sont socialement marginalisées (donc peu susceptibles d’être défendues ou soutenues par les autres populations et décideurs). Philrights les forme sur leurs droits et les aide à s’organiser pour qu’elles puissent les défendre.

Au Mali, soutien aux artisans Guamina au Mali forme également les artisans sur leurs droits. Les artisans, comme on l’a vu, sont souvent autodidactes. Leur statut souvent inexistant les rend vulnérables, et exploitables à merci. Guamina les forme sur leurs droits pour qu’ils puissent exercer dans la légalité d’une part, et s’organiser pour défendre leurs droits. Ainsi, en 2011, les artisans de Bamako ont pu dénoncer l’administration fiscale qui les imposait doublement, et obtenir une exonération d’impôt pour l’année suivante.

Formation des populations à la citoyenneté active Terre des Hommes France et ses partenaires mènent depuis près de 50 ans une lutte contre la pauvreté et les inégalités dans les pays du Sud. Cette lutte s’est traduit par un appui aux organisations locales et un soutien direct aux populations. Mais les actions entreprises n’ont de sens que si elles œuvrent pour un réel changement social. L’enjeu final est donc de former à la citoyenneté des hommes et des femmes qui, réunis en réseaux, alliances et plates-formes, peuvent alors véritablement peser sur les politiques publiques. Ces actions sont présentes dans tous les projets soutenus par Terre des Hommes France. Par exemple :

Au Guatemala Le mouvement Tzuk Kim pop forme les populations mayas sur leurs droits et les accompagne dans leurs actions de revendication. Les populations mayas représentent plus de 80% de la population dans la région du projet, et pourtant la discrimination continue. Il est vital que la société guatémaltèque respecte toutes les populations qui la composent, sans hiérarchie, et en acceptent les composantes (langue, traditions, cultures) comme une richesse et non comme un signe de sous-développement. Le mouvement Tzuk Kim pop intervient auprès des mayas pour que les hommes et les femmes qui composent ces communautés soient fiers de leur culture et représentent leurs intérêts au niveau des espaces de décision et de concertation.

66 Emmanuelle Bertrand

Au Mali L’un des axes de formation de Guamina cherche à renforcer les artisans pour qu’ils puissent s’investir dans les comités de développement locaux, et influencer les plans de développement locaux, afin que leurs besoins et intérêts y soient pris en compte.

Aux Philippines Philrights poursuit le même objectif, auprès des populations urbaines, rurales et autochtones que l’association soutient.

Au Mexique Nos partenaires se sont organisés en un réseau national qui, partant des luttes locales pour le respect des droits (luttes contre les féminicides, contre les mégaprojets industriels, etc.), en font des revendications sur le plan national pour que les droits économiques, sociaux et culturels soient intégrés dans les politiques publiques.

En Inde comme au Mexique La configuration de l’État en État fédéral rend les actions difficiles à mettre en œuvre au niveau national, les actions locales aboutissant souvent plus aisément.

Formation des fonctionnaires des gouvernements sur les droits Enfin, dans les pays où cela est possible, il est également important de former les fonctionnaires de l’administration publique sur les droits économiques, sociaux et culturels, pour qu’ils sachent ce qu’ils ont la responsabilité de protéger, respecter et mettre en œuvre. C’est notamment le cas au Mali, aux Philippines et au Mexique.

Conclusion Partant du constat d’un échec de l’accès à l’éducation pour tous et toutes dans de nombreux pays, les actions de Terre des Hommes France ont cherché à pallier ce déficit par des formations professionnelles, mais également par des formations sur le droit du travail, en droits et citoyenneté (à la fois pour les titulaires de droits que pour les garants de ces droits), tout en prenant en compte les discriminations propres à

67 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France chaque société (populations autochtones, populations intouchables, populations rurales, etc.), et en ayant une attention particulière pour les femmes.

Échanges avec Emmanuelle Bertrand

L'évaluation des projets [Q] Merci de votre exposé très pédagogique. Vous avez parlé de deux projets séduisants, en avez-vous fait de réelles évaluations ? Pour des gens de terrain, dans les projets que nous avons menés en Inde par exemple, cette émancipation des femmes, même si « woman empowerment » recouvre une notion plus large que le terme français, a d'une part conduit à une montée de la violence dans les foyers, et d'autre part quand les femmes travaillent à l'extérieur, ce n'est pas leur mari qui fait le travail nécessaire à la maison, cela conduit à un deuxième emploi d'autres femmes. J'aurais donc voulu savoir – j'admire le travail que vous faites, ce n'est pas la question – comment évaluez-vous les projets ? . C'est ma première question. Deuxièmement, vous avez parlé du droit de la famille, ou en tout cas des contrats de mariage, avez-vous prévu de la formation à la gestion, et si oui, y a-t-il des banques de femmes, comme il en existe au Mexique ? et vous avez aussi un peu parlé de formation à la bonne gouvernance (nationale et locale) des élus, des candidats...

[EB] On fait des évaluations des projets, bien sûr... Le projet dont je vous ai parlé, au Togo, est un projet pilote. C'est donc pour nous un nouveau type de projet. Nous en sommes à la troisième année du projet, et nous avons une procédure de suivi de l'avancement du projet. Parmi les éléments qui sont suivis, l'un de nos indicateurs est un « suivi de parcours de vie ». Un échantillon représentatif des femmes a été sélectionné, et nous l'interrogeons régulièrement, nous lui posons exactement les mêmes questions tout au long du projet pour en suivre l'évolution. Parmi les questions posées on s'intéresse à la vie du foyer : « Comment ça se passe à la maison ? ». Pour l'instant, puisque ces suivis de parcours de vie sont confidentiels, ils sont gérés par des animatrices locales, et je n'y aurai accès qu'à la fin du projet, dans six mois. Je ne peux donc pas vous dire quels problèmes le projet a pu induire. Ce que je sais c'est que lorsqu'il y en a eu, par exemple lorsqu'un mari a compris, mais un peu tard, les conséquences du projet : « Tu vas avoir de l'argent de l'argent à toi, ce n'est pas de l'argent que tu mets intégralement dans le foyer... » et qu'il empêche sa femme de continuer avec le projet, il y a un travail de médiation, d'abord de renforcement de la

68 Emmanuelle Bertrand femme – on lui donne des arguments à faire valoir auprès de son mari – et si ça ne marche pas on le reçoit.

[Q] Vous avez des bilans intermédiaires qui doivent être consultables quand même ? [EB] Bien sûr ! [Q] ... et le renforcement de la femme passe aussi par l'éducation du mari d'abord. [EB] Oui, c'est ce que je disais : il y a des formations des maris. Mais certains ne viennent pas, on ne peut pas les contraindre à venir, et oui, dans ces cas-là on fait quand même... [DPA14] Peut-être qu'on n'a pas assez de recul encore. [EB] Oui, on commence sur ce type de travail. Ce projet est financé et encouragé par le ministère des Affaires étrangères, ce qui nous imposait des obligations quant à l'affectation des fonds. La priorité était à l'insertion économique, à la formation professionnelle et à un appui à l'installation professionnelle. Donc tout ce qu'on a pu mettre dans la formation, en plus, celle des femmes et des maris, on l'a mis. Après, on fait avec les moyens qu'on nous donne. [DPA] Je peux compléter, étant franco-togolais, puisqu'on parle du Togo que je connais un peu... À côté de ce projet, il y a depuis vingt ans maintenant un projet d'une association de femmes juristes de formation alternative au droit, qui est bien implanté dans les territoires. Et puis il y a tout un travail de ces mêmes femmes et acteurs autour du code de la famille. Mais bon, dans le cas de Terre des Hommes on n'a pas encore le recul pour mesurer. [EB] Par ailleurs, un suivi est réalisé tout au long du projet. Nous sommes en partenariat, avec une autre association française spécialisée dans les questions de « genre » et questions d'égalité homme- femme, qui est intervenue pour former les équipes d'accompagnement de ces femmes-là. Elles sont à même de les suivre à la fois collectivement et individuellement, sur le développement personnel, sur la confiance en elles, les questions d'égalité. En plus de cela, dans le projet, on a recruté une « experte genre », issue d'une association togolaise spécialiste sur les questions de genre. Cette personne intervient à la fois sur la formation et sur l'accompagnement. S'il n'y a pas eu une formation en amont des maris, il y a eu une large sensibilisation sur le projet, on a présenté le projet à tout le monde. Tout au long du projet le suivi 14 Didier Prince Agbodjan, Président de Terre des hommes France.

69 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France permet de détecter le moindre problème et de réagir : il suffit par exemple de voir qu'une femme arrive en retard aux réunions de formation, et qui se tait alors que d'habitude elle parle beaucoup, ou qui au contraire devient tout à coup très revendicative alors qu'avant elle ne l'était pas, ça se voit tout de suite. Personnellement, je ne sais pas si je saurais le remarquer, mais les accompagnatrices sont capables de le détecter. Immédiatement, et tout de suite, à l'issue de la réunion, elles pourront aller voir cette femme, évoquer le problème qu'elles perçoivent – il y a une relation de confiance entre l'accompagnatrice et les femmes – et ensuite un travail de dialogue s'établit. Donc on n'avait pas le bagage pour bien anticiper tous les problèmes dès le début du projet, mais, avec les moyens à notre disposition, on a mis en place un dispositif d'accompagnement et de gestion au fur et à mesure du projet.

La citoyenneté active Concernant « la banque des femmes ». Dans les groupements, il y a évidemment une formation en gestion, il n'y a pas que la formation technique professionnelle mais aussi toute la formation en gestion de l'entreprise, création du plan d'affaire, gestion du plan d'affaire etc. Il y a aussi des formations à la bonne gouvernance, à ce qu'on appelle pompeusement la « démocratie participative », je dis « pompeusement » parce qu'on en est loin... Il y a aussi tout le travail que j'ai évoqué concernant la formation à la citoyenneté active, pour que les femmes puissent s'investir dans les comités locaux de développement. Il reste qu'on ne peut pas tout faire d'un coup : par exemple, au Guatemala, avant la mise en place de notre projet, tout le travail d'éducation professionnelle, le travail d'éducation homme / femme etc. avait déjà été fait... et nous sommes arrivés pour la formation à la bonne gouvernance, la formation à la citoyenneté active, pour que les femmes s'investissent dans les comités de développement locaux. Mais c'est en général progressif : les femmes ne peuvent pas, tout d'un coup, partir d'une situation où elles ont un foyer à gérer, sont à la maison, et donnent de temps en temps un coup de main à leur mari, à « il faut que j'aille me présenter aux élections, que je travaille, que je gagne de l'argent, que je gère mon micro-crédit... » Cela ferait beaucoup trop d'un coup – c'est en tout cas comme ça que nous le voyons, peut-être que cela changera avec la pratique – car il s'agit de mettre en place un processus évolutif.

70 Emmanuelle Bertrand

[Q] Concernant le « budget participatif » que vous avez évoqué, quelle est la différence avec la « démocratie participative », est-ce une façon d'impliquer plus les gens ? Par ailleurs quelle est la part – puisqu'à Porto Allegre par exemple, quand on parle de « budget participatif », il s'agit réellement d'une part du budget de la ville que la population peut gérer – est-ce ce principe qui est mis en œuvre ou bien s'agit-il plus simplement de participer aux décisions, et dans ce cas-là ce pourrait être simplement donner son avis, dont il sera tenu compte... ou pas... En résumé, y a-t-il une influence réelle des citoyens sur les choix budgétaires ? [EB] Ça dépend où... Au Mali, je crois – mais je peux me tromper – que c'est juste participer à l'élaboration du budget. Ce n'est pas une partie de la population qui gérerait elle-même un budget, c'est participer à des séances de concertation sur l'élaboration du budget de la commune. C'est le moment où chaque acteur fait valoir ses besoins et fait des propositions, en général chiffrées : « Nous avons fait une estimation, il y a besoin de tant pour l'éducation, tant pour la santé... » Les différents secteurs expriment les besoins, qui sont généralement pris en compte au niveau communal : on est à petite échelle, les gens se connaissent : celui-ci est le voisin, ses enfants aussi vont à l'école... On a plus de problèmes à faire valoir les besoins des uns et des autres au niveau national : à cette échelle, les gens sont moins pris en compte ; mais oui, à petite échelle, cela porte ses fruits. Mais bien sûr, du point de vue des principes, « démocratie participative » ne se limite pas au budget annuel...

Mêmes problèmes là-bas et ici [Q] Juste une remarque à la suite de cet exposé très riche : en vous écoutant, plusieurs fois, je me suis dit : « Mais il n'y a pas que là-bas qu'il y a des problèmes, ici aussi ». La vie des femmes en France – certaines d'entre elles – qui, après leur formation, ayant des enfants, ont du mal à trouver un travail à cause de difficultés qui sont sensiblement les mêmes... [EB] Tout à fait... Cela rejoint aussi ce que disait M. Haddad tout-à-l'heure : les problèmes ne sont pas qu'au sud... Mais chaque association a son objet social, et nous n'avons pas vocation à intervenir en France. En France on intervient seulement par le plaidoyer, ce qui représente déjà un gros travail. Il y a des associations, par exemple sur la question des femmes – et là nous sommes en période électorale, donc c'est le moment de faire valoir ses revendications – et il se trouve qu'il y a quand même des associations féministes en France qui mènent aussi des campagnes sur les droits des femmes. Voyez par exemple le site « égalité 2012 » (http ://www.egalite2012.fr/) qui réalise un décryptage des programmes de tous les candidats à la présidence, selon le

71 Le rôle de la formation pour les populations appuyées par les partenaires de Terre des Hommes France point de vue de l'égalité homme-femme. Il y a eu le 7 mars à La Cigale, une salle de spectacle à Paris, une interpellation des candidats à la présidence par les associations féministes, programme à l'appui.

[Q] Est-ce que vous travaillez avec Echoppe (http ://www.echoppe.org/) ? [EB] Nous les connaissons bien, nos partenaires les connaissent aussi... Mais c'est à eux de décider s'ils veulent travailler avec Echoppe ou d'autres structures organisant le micro-crédit.

Citadines et rurales au Togo [MW] Est-ce que la situation des femmes – là je me tourne vers Didier – est exactement la même à Lomé et à Lama-Kara ? Parce que mon souvenir de Lomé, c'est que vous aviez de redoutables femmes d'affaires, les fameuses « mamas Benz », qui possédaient toute la flotte de taxis de Lomé, et qui n'avaient absolument pas besoin de conseils en gestion, qui géraient parfaitement leur affaire. [EB] Ce n'est pas ces femmes-là qui sont accompagnées. [MW] Oui, je m'en doute ! Ce que je veux dire, c'est que vous n'arrivez pas là dans un territoire où le statut des femmes est un statut diminué. Ce qui m'a toujours frappé dans mon expérience africaine, c'est la prodigieuse autonomie et la capacité d'entreprise de la femme africaine, si on compare à d'autres populations. Je pense qu'on peut s'appuyer là-dessus. [EB] La situation des femmes concernées par le projet n'est pas du tout la même à Lomé et à Kara. Tout d'abord on est à Lomé en zone urbaine, à Kara en zone rurale, ce qui entraîne des modes de vie différents. Notre projet touche à Lomé beaucoup de femmes célibataires, qui vivent seules dans un appartement qu'elles louent, ou qui vivent chez leurs parents, et assez peu de femmes mariées avec enfants, alors qu'à Kara elles sont toutes mariées avec enfants. Les femmes visées par le projet représentent une cible très spécifique : après une formation initiale dans des techniques industrielles, elles n'ont pas pu exercer le métier correspondant à cette formation pour des questions de pression sociale. On fait intervenir des « modèles » de femmes exemplaires, qui ont réussi par ailleurs, qui, parties de rien, on réussi à monter leur entreprise, pour témoigner. Elles ne sont pas forcément prêtes à réaliser un accompagnement suivi, mais peuvent venir de temps en temps pour témoigner sur leur expérience, les appuis et les obstacles qu'elles ont rencontrés...

72 Emmanuelle Bertrand

[DPA] Oui, le projet cible des situations spécifiques qui ne sont pas représentatives de la situation des femmes au Togo ; et il est vrai que Kara est une ville récente, où il reste beaucoup de poids traditionnels qui peuvent faire obstacle à la mise en œuvre des droits. Par ailleurs, le fait de voir des proximités entre les situations sociales en France et dans les pays du Sud, c'est très important aujourd'hui : il n'y a plus de Nord ou de Sud, tout ceci en raison de la mondialisation qui installe un système-monde, qui frappe tout le monde ! Pour la campagne électorale actuelle en France, c'est très important. On continue de croire qu'il y a un Sud, un Nord... mais il y a seulement un système, multipolaire, qui frappe un peu partout : la Grèce, aux portes de l'Europe de l'Ouest, cela signifie que le Sud l'a déjà envahie. C'est un nouveau défi qui pose question à tous.

Technologie et émancipation [LG] Je voudrais simplement conforter ce que tu as dit lorsque tu parles de mondialisation... Dans cette mondialisation, il y a toute cette relation dont on a parlé ce matin autour de la possibilité de tout savoir sur tout. Ce qui m'a frappée dans mes déambulations extra-bisontines, c'est la force du téléphone portable. C'est assez curieux de voir au bord du Sahara, à l'extrême nord du Mali dont on parle beaucoup actuellement, comme à 5 000 mètres d'altitude dans l'Himalaya, comme sur les bords du Pacifique, tout d'un coup des gens qui sont analphabètes, frappent sur les touches de leur appareil, et ont accès à l'autre bout du pays, voire du monde. Et ce peut être dans la langue de communication officielle ou dans la langue maternelle. Cette expérience, qui se renouvelle constamment, me laisse chaque fois pleine de stupéfaction. Je pense que ces relations extrêmement rapides témoignent de la mondialisation, certes, mais aussi d'un nouveau type de relation par l'apprivoisement de la technique. Le téléphone portable est utilisé par tout le monde les autochtones, les touristes, les voyageurs professionnels. Je pense en particulier à ces femmes qui sont extrêmement ouvertes au Mali et en Himalaya, qui tout en étant analphabètes, ont une relation à la modernité, une capacité d'adaptation, de compréhension étonnante.

73 « Contre toutes les violences faites aux femmes, pour l'égalité et le respect entre les hommes et les femmes »

Stéphanie Genetay

Intervenante à Solidarité Femmes

74 Stéphanie Genetay

Solidarité Femmes J’interviens à Solidarité Femmes sur les questions de prévention de comportements sexistes auprès de jeunes d’établissements scolaires, de structures d’éducation populaire, de maisons de quartiers. J'utilise le théâtre interactif, les jeux de rôles, les contes auprès de jeunes publics en milieu scolaire ou périscolaire ou auprès des adultes.

Ces actions sont financées dans le cadre de programmes de prévention de la délinquance, de contrats urbains de cohésion sociale avec des partenaires État et Ville.

Le cœur de la mission de Solidarité Femmes est de travailler autour des questions de violences conjugales. C’est un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale qui accueille, écoute, accompagne et héberge des femmes victimes de violences conjugales. L’association s’est engagée depuis à peu près dix ans sur la prévention pour interroger le vivre ensemble des garçons et des filles. Comment intervenir en amont de ces violences ? Au début c'était assez expérimental, en travaillant auprès des jeunes sur les violences, en parlant des violences. Puis Solidarité femmes s'est rendu compte que cela avait peu d'impact auprès de jeunes qui n'étaient pas encore en couple, qui pouvaient connaître les violences dans leur milieu familial, mais qui n'étaient pas concernés dans leur propre situation de vie.

La méthode : Le théâtre forum. Nous nous sommes formés au théâtre forum, méthode de théâtre interactif, et nous intervenons depuis maintenant cinq années auprès d’adolescents ou jeunes adultes. Nous partons toujours de leur vécu par des saynètes qu’ils jouent au sujet des relations garçons-filles. Nous échangeons ensuite sur ce qui a été montré. On intervient à partir de situations qu'ils nous donnent ; on travaille en utilisant le jeu pour apprendre à être ensemble, à vivre ensemble. Quand on intervient au collège, on s'aperçoit que pour les garçons et les filles, même un jeu simple comme se mettre en cercle et se donner la main, c'est très compliqué. Garçons et filles ne peuvent pas se toucher, même entre garçons. Les filles entre elles ont moins de réticence à se donner la main. L'objectif est de se situer, dans son corps, en face de l'autre, avec l'autre, de se faire confiance; on peut amener cela par des jeux de théâtre, et conduire petit à petit à d'autres possibles. Par le biais du jeu, chacun est amené à écouter,

75 « Contre toutes les violences faites aux femmes, pour l'égalité et le respect entre les hommes et les femmes » prendre la parole, connaître son corps, savoir l’utiliser comme mode d’expression, développer la confiance en soi et en l’autre, oser dire et oser faire.

Comment ouvrir à d'autres possibles ? Comme l'a dit une personne du public, on pourrait reprendre les propos d'Emmanuelle pour les appliquer à la France, sur la difficulté de vivre entre hommes et femmes, et aussi de sortir de ses tâches habituelles. On a tous été éduqué avec certaines tâches, certaines fonctions, soit dans le milieu professionnel, soit au sein de la famille, où les hommes ont certaines tâches et les femmes certaines autres. Même si, bien sûr cela change, on reste ancré dans ce schéma depuis des générations.

Comment ouvrir à d'autres possibles ? C'est notre thème principal. On n'arrive pas avec nos chiffres sur les violences, sur les stéréotypes, que l'on connaît par ailleurs. Il ne s'agit pas d'apporter une morale aux jeunes, mais plutôt de jouer avec eux : « Tiens, si on fait autrement, qu'est-ce qui se passe ? » Après avoir fait des petits jeux de théâtre pour mettre en confiance, on les amène à jouer de courtes scènes. On a trois heures pour entrer pratiquement dans notre type d'intervention. On dispose de trois heures avec eux, pendant lesquelles ils sont amenés à jouer des scènes sur ce qu'ils peuvent vivre.

Les « soucis » Ce qu'on va retrouver en collège/lycée, ou dans les maisons de quartier, pour cette tranche de treize à dix-sept, dix-huit ans, c'est tout ce qui concerne l'apparence physique, le contrôle du frère ou de la sœur – depuis deux ans, le contrôle du frère sur la sœur devient très, très, fort – des éléments généraux sur la jalousie, sur l'homosexualité. Même si la société semble avancer sur ces questions, on s'aperçoit qu'au collège c'est bien souvent très, très difficile, avec beaucoup de violence renvoyée sur l'homosexualité, à travers des questions de religion, à Morteau la religion catholique, à Besançon, la religion musulmane, mais ce n'est pas spécifique d'une population précise.

La violence Il y a aussi des questions autour de la résolution de conflits, qui passe par la violence. On a parlé ce matin des jeux vidéo, je trouve que les jeux vidéo sont une

76 Stéphanie Genetay illustration d'un cas plus général, de nos codes sociaux. En ce moment il y a non seulement les jeux vidéo, il y a aussi les clips. Les clips que regardent les adolescents sont impressionnants, qui font revenir à des hommes machos, musclés, le torse bombé, et autour d'eux des filles qui dansent, de très belles femmes, qui dansent pour cet homme, et qui se mettent dans des positions plus que suggestives. On est proche d'une pornographie de clips. Voilà, il y a donc cette violence plus générale que les jeux vidéo, dans l'ensemble de la société. Donc ces jeunes arrivent avec ça, et la résolution de conflit se passe toujours par la violence : « Il m'a mal regardé... » et très vite on part dans des extrêmes.

La jupe Bien sûr on peut aborder d'autres thèmes, par exemple la question de la jupe. Pour les femmes qui ont connu les années soixante-dix, cela peut paraître surprenant. Les garçons ont un discours stéréotypé. Je fais ici des généralités, bien sûr il y a aussi des garçons qui s'en défendent, mais beaucoup de garçons vont dire : « Une fille en jupe, c'est un pute, et si elle est violée, elle l'a bien cherché », c'est vraiment des propos qu'on entend régulièrement. Mais ce discours stéréotypé, on l'entend des filles également. Il est véhiculé par les filles comme par les garçons. Les filles ne sont pas uniquement des victimes qui subiraient la loi des garçons. Les deux peuvent véhiculer ce genre de discours.

L'échange et la confiance On travaille sur cette base, sur ce qu'ils nous donnent. Ensuite, on échange avec eux, on discute sur ce qu'ils nous ont dit, ce qu'ils nous ont envoyé. Et ensuite, on pousse l'action plus loin, on leur demande de revenir sur leur scène, et de voir comment ça pourrait se passer mieux – il n'y a pas de surprise, la fin des scènes se passe toujours mal ! On essaie donc de retravailler avec eux, voir de quelle autre façon, cela aurait pu se passer. On part du principe que garçons et filles voudraient que ça se passe mieux. On le voit, quand on arrive à entrer un peu plus dans leur intimité. Les garçons en arrivent à avouer : « C'est pas drôle de toujours jouer le héros ». Les filles aussi. C'est souvent surprenant, parce que dans les groupes on peut avoir un discours de fille qui va ramener les garçons à leur image traditionnelle : « Ben non, un garçon, ça ne peut pas pleurer ! » ou « Un garçon, s'il pleure, c'est pas un vrai mec ». Et ce sont les garçons qui, petit à petit, osent, quand la parole est suffisamment en confiance, dire : « Oui, finalement, nous aussi on peut pleurer, nous aussi ce serait bien parfois qu'on ne soit pas que des héros ! »

77 « Contre toutes les violences faites aux femmes, pour l'égalité et le respect entre les hommes et les femmes »

Persistance et regain des stéréotypes J'ai parlé ici de façon très générale, mais bien sûr selon les groupes cela peut être très différent, on peut avoir aussi d'autres réactions selon les milieux sociaux. Ce n'est pas forcément politiquement correct de le dire. Mais suivant les milieux sociaux, ou entre les classes de centre-ville et les classes de quartiers plus populaires, on aura des discours très différents. Si j'interviens, pour ceux qui connaissent Besançon, au lycée Pasteur, sur l'homosexualité, ce sera très bien accepté, alors que dans la plupart des cas, aussi bien dans un collège de campagne que dans un quartier populaire, ce sera beaucoup plus difficile. Mais globalement, depuis quelques années – et d'autres associations ou professionnels qui travaillent auprès des jeunes le disent aussi – on sent quelque chose qui se referme : les garçons d'un côté et les filles de l'autre. Par exemple on entend un discours de jeunes filles qui veulent se réaliser, ou avoir l'impression de se réaliser dans la maternité, ce que l'on n'entendait plus. Il y a dix ans, pour s'émanciper, on passait, par le travail. Sans développer un discours sociologique, on peut se dire que la difficulté sociale fait que certaines jeunes filles peuvent se dire : « Finalement je vais me réaliser, je vais pouvoir m'exprimer par la maternité. » De la même façon, pour les garçons, le côté « gros dur, viril », on le ressent davantage ces dernières années qu'il y a dix ans. On sent vraiment ces clivages-là.

L'interactivité pour amener à la parole Mon outil de travail qu'est le jeu de rôle, l'interactivité permet vraiment à des jeunes de s'exprimer. Dans l'éducation, dans les cours, dans l'éducation nationale, il y a des profs qui jouent avec l'interactivité mais il y a un programme bien défini. On sent bien que, quand on arrive trois heures dans les cours, cela crée une bouffée d'air. Les professeurs, l'équipe pédagogique – ce matin en parlant des mauvais élèves, un professeur disait : « Je mets des mauvaises notes, et j'ai beau encourager l'élève, c'est quand même des mauvaises notes » – l'équipe pédagogique nous dit souvent : « Tel élève, je suis vraiment surpris. Tout à coup je sens qu'il a une réflexion, qu'il a osé dire des choses, qu'il a eu la liberté de parole ». L'outil permet cela, on est dans le jeu. Même si au départ ils sont dans des réticences, – au collège, si tout à coup on commence à jouer, à se donner la main, ça peut paraître un peu difficile – il y a vraiment toujours quelque chose qui lâche. Quand c'est parti ça permet un autre mode d'expression, ça ouvre à l'échange. On n'est pas dans l'éducation artistique pure, pour travailler sur un spectacle, mais vraiment pour amener à la parole.

78 Stéphanie Genetay

Ouvrir à la liberté de la parole En résumé, il s’agit de sensibiliser les jeunes au respect mutuel, à la promotion de comportements non-sexistes. Nous essayons avec eux de repérer les stéréotypes dans lesquels nous sommes enfermés en lien avec les images de l’homme et de la femme et du couple. Le débat permet de reprendre des propos qui ne sont pas forcément discutés ou repris dans le milieu scolaire ou familial. Ce type d’intervention permet à chaque élève d’être acteur, de donner une liberté de paroles et de dire les choses.

Les thèmes mis en scène et repris lors de la discussion abordent : – les stéréotypes liés au sexe (le refus de jouer au foot avec une fille, faire de la danse pour un garçon…) – la trahison – la jalousie – la protection de la sœur par le frère – l’apparence vestimentaire (symbolique de la jupe) – la protection de l’intimité avec les nouveaux modes de communication (Facebook, téléphone portable..) – la résolution des conflits par la violence (un regard qui ne nous convient pas, une discussion de son ou sa petit-e ami-e avec un inconnu) – la difficulté d’exprimer des sentiments pour un garçon

Le débat sur les thèmes abordés lors des scènes permet ensuite afin d’amener de la distance et de la réflexion. Souvent l’équipe pédagogique est étonnée de la liberté de paroles, de la maturité de certains élèves qu’elle découvre sous un nouvel aspect.

79 Échanges avec Stéphanie Genetay

[GH] Ce que je voulais dire spontanément – je ne suis pas un spécialiste de ces questions – je crois qu'il y a un vrai défi permanent, et je parle d'expérience. Je viens d'une société méditerranéenne, très traditionaliste. Je vous ai parlé de l'effort des femmes pour s'éduquer et aller vers une libération – et je crois qu'il faut aussi repenser le rapport mère-fils, qui est très important dans ces sociétés.

Le rapport mère-fils Je ne peux pas aller trop loin dans ce que je vais vous dire, mais j'ai rencontré dans ces sociétés dont je suis issu des comportements absolument incroyables des mères – y compris de mères qui avaient reçu une éducation – par rapport à leur fils, et en particulier sur un thème qui était fondamental dans ces sociétés : la virginité des filles. Et je me souviens de ma grand-mère, qui a pourtant été très moderne dans son parcours, qui venait m'expliquer, quand j'avais seize, dix-sept ou dix-huit ans, qu'il

80 Stéphanie Genetay fallait à tout prix que ma femme soit vierge, et que je ne pouvais pas prendre les rejets des autres. C'est la réalité, il ne faut pas se le cacher ! Il y a donc tout un travail à faire, pas seulement pour éduquer les femmes dans leur comportement par rapport à leur mari, ou par rapport à la société, mais aussi dans la façon dont elles accompagnent leurs enfants. Leurs filles aussi. Et j'ai remarqué que des femmes auxquelles on avait permis de « se libérer » de certains facteurs contraignants, sociaux, économiques, culturels, lorsqu'elles se retrouvaient dans leur milieu familial, dans leur matrice familiale, se comportaient totalement autrement : elles avaient une façon de concevoir l'éducation de leurs propres enfants très différente de ce qu'on aurait espéré obtenir.

Le rapport aux Livres Saints Et j'ajoute un deuxième facteur qui me paraît important : je crois qu'on ne se libérera vraiment que si l'on reconsidère les trois Livres fondamentaux des religions juive, chrétienne et musulmane, la Torah, les Évangiles et le Coran. Tant qu'on n'aura pas une réécriture – si c'est possible – une réappropriation de ces textes, ça ne marchera pas ! Le facteur religieux devient aujourd'hui de plus en plus important, y compris dans des familles très développées. À tous les niveaux, on sent qu'il y a un retour identitaire et, qu'on le veuille ou non, que ce soit la Torah, que ce soit le Coran ou que ce soit les Évangiles, la place de la femme dans ces Livres-là mérite vraiment une approche qu'il va falloir reconsidérer, parce qu'elle est inacceptable ! Et tant qu'on n'aura pas le courage de reprendre cela, à mon avis tout ce qu'on fera ne sera que marginal. [applaudissements]

L'obsession de la virginité [SG] Pour faire écho à ce que vous disiez, je fais également des interventions auprès de groupes de femmes – hors du cadre de Solidarité femmes – et c'est effectivement une question qu'on aborde très souvent. Et je n'ai pas parlé de la virginité, mais ça revient tout le temps, suivant les classes où on intervient ; cette question nous est renvoyée par les jeunes qui se disent de religion musulmane...

[GH] Mais pas simplement... Vous savez que c'est un viol affectif, un viol moral, sur l'enfant, le garçon. Je connais des garçons qui sont complètement paumés par rapport à ça, et qui retrouvent dans leur milieu traditionnel, même en France, dans ces

81 « Contre toutes les violences faites aux femmes, pour l'égalité et le respect entre les hommes et les femmes » communautés qui sont en train de se replier, cette obsession de la virginité. Et c'est une souffrance ! Et moi j'appelle ça le viol sur le garçon. C'est un viol moral, affectif, qui ne vient pas des mères mais de tout l'environnement, qui crée des problèmes énormes ! Je me souviens de jeunes qui n'en pouvaient plus d'être à ce point oppressés, et les mères, ou les pères, qui demandaient : « Est-ce qu'elle est vierge ? » Et là, le jeune garçon se sentait complètement perdu dans la relation amoureuse qu'il avait. J'ai connu des couples qui n'ont pas pu survivre. Cela existe encore aujourd'hui, avec les retours identitaires et religieux qui sont actuellement très forts, y compris dans nos banlieues, dans nos villes et dans nos communautés, qu'elles soient juive, musulmane ou chrétienne.

[SG] Et c'est important, quand on aborde ces questions-là, que ce soit avec les jeunes ou avec les mères, de rappeler qu'en France, il n'y a pas si longtemps, dans la religion catholique, l'injonction était la même : il fallait saigner pour la première fois. Dire à ces mères ou à ces garçons : « Il y a cinquante ans, c'était pareil, ce n'est pas une fatalité, on peut changer les choses », et rappeler aussi, que, physiquement, les jeunes filles ne sont pas obligées de saigner la première fois. On voit toujours les jeunes filles demander : « Comment on va faire ? » et leur rappeler ce qui se passait en France, ce qu'on retrouve dans les livres depuis le Moyen Âge, aller chez le boucher prendre une petite fiole de sang – excusez-moi d'être crue – ou de se faire saigner et leur dire que ce n'est pas seulement dans la religion musulmane, que les choses peuvent évoluer.

82 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ?

Stéphane Gatti, La parole errante

Intervention retranscrite, relue par son auteur

83 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ?

Je voudrais dédier mon intervention à ma mère, car j'ai une histoire semblable à celle de Georges Haddad. Lorsque ma mère a eu sa bourse pour entrer au lycée, sa propre mère lui a dit : « Tu n'iras pas au lycée, tu ne prendras pas ta bourse. Chez nous les filles n'ont pas besoin d'aller à l'école pour mener leur vie. » Et ça a été réglé... Je crois que je n'ai vu cette grand-mère qu'une fois dans ma vie, et j'ai admiré la force de caractère de ma mère qui a su garder vive sa haine, et ne jamais passer de compromis avec une femme qui avait eu un tel comportement.

Radio Égalité : une radio web dans des lycées d’Île- de-France Dans le prolongement de ce qui a été dit, parmi les nombreux travaux de la Maison de l'Arbre et de la Parole errante, le Conseil régional d'Île-de-France nous a commandé cette année un travail sur l'égalité dans les lycées. Il s'agit d'une traversée des lycées d'Île-de-France où l'on travaille sur l'égalité hommes ↔ femmes, puisque, de Condorcet à Rosanvallon15, un des critères de l'égalité, c'est précisément l'égalité hommes ↔ femmes et nous avons monté une radio web, appelée « Radio égalité ».

Dans les Lycées d’Île-de-France, l'égalité n'existe absolument pas Je tiens à rendre d'abord hommage à tout le travail fourni par le personnel des lycées, enseignant et administratif, souvent excellent, mais pour pouvoir aussi dire le constat terrible qui vient en traversant les lycées d'Île-de-France : l'égalité n'existe absolument pas. Le travail de tri et de discrimination qui est fait entre lycée classique et lycée professionnel est terrible, les gens qui sont en lycée professionnel, les enseignants, se sentent méprisés, les enfants aussi, et on y ressent donc une terrible atmosphère de fin de règne.

Parmi la quinzaine de lycées où nous sommes allés, il y a le lycée Hélène Boucher (Paris XXe). On y recrute des élèves ayant au moins 16 de moyenne. Effectivement avec eux, on peut imaginer un travail sur l'égalité : on leur fait lire le livre de Pierre Rosanvallon sur les égaux, on va l'interviewer au Collège de France, il n'y a pas de soucis. Mais dans d'autres lycées c'est différent : on peut recevoir un coup de boule d'un élève en plein entretien... L'étonnement vient lorsqu'on nous dit ensuite

15 Pierre Rosanvallon, La Société des égaux, Le Seuil, 2011.

84 Stéphane Gatti, La parole errante que c'est la faute des parents. Nous, à la Parole errante, quand on prend des loulous pour travailler pendant un an, ils sont là, ils travaillent... C'est-à-dire qu'il me semble qu'un système pervers s'est installé dans l’Éducation nationale. Pour moi c'est inconcevable, on peut dire ce qu'on veut de la société, lorsque nous faisons ce travail- là avec des jeunes en difficulté, ils récupèrent une façon d'être, dynamiques, ouverts, ils sont dans la dynamique d'un projet. Est-ce que ça veut dire que l'Éducation nationale n'a plus de projet ?

Que disent les lycéens ? On a constaté que dans les lycées, effectivement, on parle beaucoup de l'égalité, de la parité... Que disent les lycéens ? Deux choses principalement : le droit, c'est un mur qui protège, mais la loi ne suffit pas à changer les mentalités ; on peut pondre une loi sur les jupes dans les HLM, ça ne changera pas quoi que ce soit. La question qu'ils posent, c'est : « Comment bouger les mentalités ? » Comment les femmes vivant dans les cités, qui maintiennent cette idée, obscurantiste à nos yeux, de la femme soumise, vivent dans une sorte de tolérance, de consensus général... C'était l'avis d'une jeune agrégée, première génération, qui avait été recrutée par les socialistes pour être élue, et qui se traite elle-même de « potiche ethnique » en disant « et après je n'ai plus servi : ils ont choisi une malienne associative ». Eh oui : les maliens, les beurettes etc. sont très instrumentés dans le jeu politique français.

On a donc découvert deux choses : cette histoire de mentalités, et une deuxième qui m'a beaucoup plus surpris. Lorsqu'on demandait : « Qu'est-ce qui à votre avis a changé entre les filles et les garçons », une réponse était : « Les bandes de filles... les bagarres, devant les lycées, de bandes de filles ». Ce que j'ignorais complètement. C'est ce qu'ils appelaient, et j'en étais un peu effaré, « l'égalité vers le bas ». Il n'y a pas seulement l'égalité émancipatrice, celle qui permet le partage, mais il y a aussi tous les comportements de violence verbale, de violence physique, que peu à peu, et c'est peut-être un moyen résilient, pour leur survie, les filles mettent en place, avec une cruauté et une violence qui valent bien celles des garçons.

La discrimination sexiste Par ailleurs, dans les lycées professionnels, la discrimination sexiste fonctionne à plein : la répartition se fait en classes de filles et classes de garçons : dans une formation d'électromécaniciens il n'y a que des garçons, dans une formation d'hôtesses il n'y a que des filles, et parmi elles il y avait un africain qui venait

85 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? d'arriver, et qui ne comprenait pas pourquoi il se trouvait dans cette classe. Il le prenait avec philosophie, disant : « Je m'organiserai lorsque j'aurai passé mon bac ». L'encadrement des lycées oriente les enfants vers telle ou telle formation : « Non, non, vous ne pouvez pas aller là, vous êtes une fille... ». À chaque fois, les lycéens s'interrogent à ce sujet. La radio leur sert au moins à cela, à une prise de parole. On s'est ainsi rendu compte que dans certaines classes, aucun des élèves garçons n'avait choisi cette formation. Ils ne savent pas pourquoi ils sont là... Et pour ceux ou celles qui arrivent à aller dans la formation de leur choix, ils sont confrontés à de grosses difficultés. On a interviewé une jeune fille qui voulait être câbleuse électricienne, et elle était bonne en lycée classique. Mais à l'issue de sa formation, elle n'a pas trouvé de stage, pas d'entreprise qui veuille d'une fille pour ce métier-là, et elle dû faire son stage au sein du lycée.

Personne n'est responsable de rien On est donc dans une situation délétère, non pas parce qu'il n'y aurait pas d'enseignant, ou d'administratif, il y a en général tout ce qu'il faut, mais personne n'est responsable de rien. Du coup, si vous allez intervenir dans un lycée par l'intermédiaire du proviseur, vous n'avez pas accès aux professeurs, vous pouvez travailler avec le CPE et le responsable du CDI, mais pas avec les enseignants. Et si votre intervention est sollicitée par des enseignants, c'était par exemple le cas au lycée Hélène Boucher, vous avez accès à trois ou quatre professeurs, et autant de classes, ça se passe bien, mais le proviseur ne fera rien pour aider. Ce qui a été joli pendant les six mois de ce travail c'est qu'à chaque fois on arrivait comme un pavé dans la mare. On voyait comme les choses se passaient, on était vu comme des agitateurs... Parmi nos activités, outre la radio, du théâtre, nous tirions des affiches, dans le hall du lycée. Ce qui fait que pendant deux heures, tous les enseignants voyaient l'affiche, qu'ils fussent pour ou contre : certains passaient avec un mépris souverain, des élèves s'arrêtaient, commentaient ce qu'avaient fait les autres. Et pendant deux heures, publiquement, on savait qu'il y avait un atelier sur les discriminations homme ↔ femme, sur la question de l'égalité dans ce lycée.

Le constat de la désolation Ce n'est pas totalement négatif, mais c'est vrai que le constat c'est la désolation qui règne dans ces lycées... Je comprends l'indignation de la personne qui parlait ce matin des ordinateurs dont sont équipées les écoles d'une ville et pas celles d'une autre. Les billets de transport dans la région parisienne sont hors de prix ! On m'a

86 Stéphane Gatti, La parole errante retiré mon permis – je suis aussi un délinquant à ma manière, je n'avais plus de point – et, pendant un an, j'ai dû aller travailler dans ces lieux en prenant les transports en commun. C'est effrayant : pour aller voir quelqu'un à Villiers-le-Bel, il faut deux heures, ça coûte les yeux de la tête, on comprend alors la fraude. Djamel, qui vient de Trappes, disait dans un entretien : « J'ai jamais payé, mais il fallait que j'y aille, à Paris ! » On comprend la révolte provoquée par des raisons multiples, et au bout du compte c'est effectivement très, très difficile. Il vaut mieux habiter avenue de Breteuil pour aller au cinéma et s'intéresser aux musées, mais sinon on est littéralement poussé à la délinquance.

La parole errante16

Le lieu La Parole errante c'est un objet curieux. Nous avons un énorme lieu à Montreuil, au métro Croix-de-Chavaux, qui fait 800 m², plus trois bâtiments où l'on peut faire du théâtre, organiser des expositions, tirer des affiches...

L'équipe L'équipe, composée d'Armand Gatti, mon père, poète, écrivain, Hélène Châtelain, réalisatrice, et Jean-Jacques Hocquard, notre administrateur, qui a été au bureau national de l'UNEF, et qui m'a mandaté ici : « Stéphane, notre travail sur la culture a à voir avec l'éducation populaire. »

L'éducation populaire C'est une chose qui a disparu, mais qui était extrêmement importante dans la génération juste avant la mienne. J'ai vu de nombreux ouvriers, balayeurs etc. qui participaient à des stages de théâtre l'été, montaient des spectacles avec des metteurs en scène professionnels, et beaucoup d'entre eux sont devenus des comédiens notoires du théâtre français, comme l'acteur français Georges Staquet, de son vrai nom, Jules Lehingue. Il était originaire du Nord, il remplissait les wagons de charbon à l'âge de quatorze ans et jouait la comédie pour une troupe d'amateurs de son village. Ce mouvement de l'éducation populaire qui était extrêmement puissant après-guerre, était avant 1968 très fraternel. Il décloisonnait l'accès à la culture. Et il a été pour beaucoup dans la postérité du festival d'Avignon.

16 www.la-parole-errante.org

87 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ?

La Parole errante et l'« accueil inconditionnel » La maison de l'Arbre (le lieu qui accueille Armand Gatti et son œuvre « La Parole errante ») accueille elle-même des gens très divers : des troupes de théâtre, qui font du forum-théâtre, une revue, « la revue Z », et aussi Emmaüs... Pourquoi Emmaüs ? Je travaillais avec un ami, Mustapha, directeur d'un foyer Emmaüs, au moment où a éclaté, en 2009, la polémique dite de l'« accueil inconditionnel », c'est la doctrine d'Emmaüs. On accueille tout le monde, sans condition. Et pour le gouvernement, c'était insupportable qu'Emmaüs accueille des sans papiers... Et il y a eu une telle bronca des milieux catholiques traditionnels, que Sarkozy a dû faire marche arrière. Même si par ailleurs, à Marseille, ont été arrêtés le directeur d'Emmaüs et d'autres personnes hébergées, le gouvernement n'a pas réussi à faire retirer l'« accueil inconditionnel » des statuts d'Emmaüs.

L'« accueil inconditionnel » et la culture de l'entre soi Pour beaucoup, la culture, c’est le lieu de la cooptation, le lieu du entre soi, il y a par exemple des émissions de télévision magnifiques qui le montrent. Par exemple : « Comment entre-t-on dans une galerie de peinture ? » Quels sont les codes qui empêchent que l'on entre dans une galerie ? Les gens disent « Moi je ne veux pas acheter quelque chose », comme si c'était comme une épicerie, où l'on entre pour prendre son Coca. Si tu ne prends pas ton Coca, tu n'entres pas, tu restes dehors. Et là, c'était pareil, tu n'entres pas dans la galerie de peinture. C'est vrai qu'une galerie de peinture, c'est impressionnant, il y a toujours une personne, au milieu, qui s'approche de vous avec un grand sourire, qui vous demande ce qui vous intéresse. Là, vous ne savez pas trop, vous regardez, et si vous ne savez pas immédiatement lui dire : « Je viens juste regarder », vous vous sentez obligé de partir. Et c'est pareil pour le théâtre. À Gennevilliers, avec Bernard Sobel et les gens du théâtre, ils étaient allés chercher des gens de Gennevilliers pour qu'ils racontent pourquoi ils ne venaient pas. C'est juste une question de code. Et pour peu que ce jour là le texte, cela arrive, soit particulièrement hermétique, on a directement la réponse : « Ah ce n'est pas pour nous ». En invitant Emmaüs dans nos locaux, nous avons surtout voulu mettre au milieu de nos pratiques la question de l'accueil inconditionnel.

88 Stéphane Gatti, La parole errante

La parole errante, un lieu à l'image d'un homme : Armand Gatti17 Nous travaillons quasiment sans cahier de charges. Pour que vous compreniez comment on a pu atteindre ce degré de liberté dans le faire, dans les initiatives, dans la façon de travailler, je dois d'abord dire que cela tient d'abord beaucoup à la personnalité d'Armand Gatti, le poète et homme de théâtre, dont la vie est faite de violentes cassures. Il est né dans un bidonville à Monaco, le Tonkin. Son père était balayeur, sa mère femme de ménage. Comme il était brillant, on l'a mis au séminaire pour qu'il puisse faire ses études. Ensuite, il s'est retrouvé au lycée Louis II de Monaco. Sur la côte d'Azur, c'est presque le lycée Louis le Grand. Pas tout à fait, mais c'est réservé à l'élite, et lui, le fils de balayeur, était là. Comme il était poète et déjà survolté, il a cru bon de partager ce qu'il pensait de l'établissement en écrivant « La Légende des siècles au lycée Louis II ». Ce ne fut pas du goût du proviseur qui, deux mois avant les examens, l'a renvoyé. Mon grand-père venait de mourir. Dante, Armand Gatti est parti au maquis, il est entré dans la Résistance. Mon père dit : « La seule chose que ma mère m'ait dite avant que je parte c'est : Dans la vie, n’oublie pas les pauvres ». Il est parti, il a fait la Résistance, a été prisonnier, s'est évadé, est devenu parachutiste, a été parachuté à Groningen, en est revenu. Après la guerre, il est devenu journaliste, a reçu le prix Albert Londres et puis il fait une carrière dont rêvent les jeunes auteurs de théâtre, il est monté par Jean Vilar. Il est massacré par la critique. Tous les articles parus sur le Crapaud-Buffle (1959) étaient négatifs : « Qu'il arrête ! ». Il a continué. Il a commencé à faire des films. Il a été monté par tous les théâtres nationaux, ce qui à l'époque était une aventure formidable. Arrive Mai1968, où il monte La Passion en violet, jaune et rouge sur le franquisme. Franco porte plainte parce qu'un théâtre national a le statut d'ambassade, et de ce fait, c'est la France qui insulte Franco. De Gaulle demande à Malraux, alors ministre de la culture, d'interdire la pièce au TNP. Gatti reçoit un mouvement de soutien de tous les dirigeants de théâtres en France. Malraux précise que « C'est seulement dû au statut d'ambassade du TNP, vous pouvez monter la pièce dans n'importe quel autre théâtre. » Mais aucun directeur n'a accepté. Il y a très peu d'hommes de théâtre interdits en France, les autres exemples remontent très loin dans le temps. Gatti quitte donc la France provisoirement et il s'exile en Allemagne, à Berlin,

17 Pour ne pas alourdir l'appareil de notes, nous nous limiterons à ce qui nous a paru indispensable. Le lecteur peut se reporter au site : www.la-parole-errante.org, très complet, qui lui donnera toutes les informations nécessaires.

89 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? avec une bourse de poète. Il commence alors à travailler avec des gens, des étudiants, des ouvriers, et c'est là qu'il commence à expérimenter une autre forme de théâtre qu'il poursuit jusqu'à maintenant. Ce rejet de l'institution le pousse à imaginer une autre façon de pratiquer le théâtre. Travailler avec des collectifs. Documenter le projet pour permettre à chacun de construire son point de vue sur le texte final. Les comédiens de Berlin, les étudiants de Bruxelles, les ouvriers de Peugeot seront les premiers groupes où cette nouvelle écriture va s'épanouir.

Les fondements de la Parole errante : l'expérience du génocide et de l'explosion nucléaire d'Hiroshima J'ai entendu, ce matin, le conférencier dire qu'en droit, quand on arrive à l'université, la sélection doit s'opérer d'elle-même ; dans notre culture, à la Parole errante, « sélection » est un mot maudit. Je le dis tout de suite car, dans les principes inculqués par mon père, il faut insister sur ces deux points concernant l'éducation : – la société la plus policée, la plus éduquée d'Europe, l'Allemagne, a enfanté le génocide des juifs dans les chambres à gaz d'Auschwitz. Donc, si l'éducation est une question en soi, pas une finalité : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? – l'autre point, c'est Hiroshima : la fine fleur des physiciens, des mathématiciens, se sont réunis aux États-Unis concevoir un engin qui allait déclencher un génocide nucléaire : le débat est toujours au centre de la communauté physicienne.

La synagogue de Saint Dizier, le poids du génocide des juifs.18 Je fais souvent des expériences dans l'est de la France, et la première chose que je fais, c'est d'aller voir la synagogue. Parce que les synagogues dans les villes et villages de l'Est sont des lieux de mémoire active, elles sont vides, elles sont la trace du génocide encore aujourd'hui, et le moins qu'on puisse faire, dans le cadre d'une action culturelle, c'est d'emmener la population là. Et quand on essaye d'emmener la population dans une synagogue, on s’aperçoit de beaucoup de choses. Dans la ville où je travaille, à Saint-Dizier, j'ai rencontré Jules Lévy qui a survécu à la rafle. Toute sa famille est morte à Auschwitz. Il m'a dit : « Je te passe la clé ; de toutes façons on n'est pas onze, il n'y a pas le miniane (quorum de 18 La totalité du travail réalisé à Saint-Dizier est visible sur le site: lentretenir.org.

90 Stéphane Gatti, La parole errante dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office), donc on ne peut pas faire la prière ». J'ai répondu « Bien. Tous les ans je ferai une exposition là, j'y montrerai mon travail. » Et là, c'est le début des ennuis : plus personne ne venait voir les expositions, même si c'était une synagogue sans les textes sacrés, c'est-à-dire plus vraiment une synagogue, c'était juste un bâtiment de pierre. Plus personne ne voulait venir, les profs nous disaient : « Vous savez, on aura des ennuis s'il se sait qu'on emmène les enfants dans une synagogue. » Finalement il n'y avait que les officiels qui venaient dans la synagogue. C'est dire le poids d'hostilité, je n'irai pas jusqu'à dire d'antisémitisme, le poids d'hostilité qui existe en France. Et je le dis avec d'autant plus de facilité que je ne suis pas juif. Je pense que la question du peuple élu est centrale.

Un génocide nucléaire Lors d'un projet mené avec des « loulous » à Genève, en 1998-199919, on est allé travailler au CERN20, et je vous assure que pour les physiciens américains qui travaillent au CERN, il y a toujours un fort conflit idéologique contre Heisenberg. Du point de vue américain, il est hors de question de ne pas diaboliser Heisenberg. Prix Nobel tout jeune, il a été accusé par les nazis de faire de la « physique juive ». Mais il a continué, ses adversaires physiciens nazis militants sont morts. Finalement, pendant la seconde guerre mondiale, il a été chargé du programme visant à créer des armes nucléaires pour l'Allemagne. Ça n'a jamais fonctionné, et certains disent que c'était de la résistance passive, d'autres disent que non, qu'il n'y est simplement pas arrivé. Mais ensuite, il s'est retrouvé fondateur du CERN : ce n'est pas rien, le CERN c'est l'utopie européenne. C'est un lieu magnifique où la communauté scientifique se retrouve pour partager des recherches. Quand Gatti est allé au CERN, il a décidé que sa nouvelle écriture de La Traversée des langages n'éluderait pas les questions posées par Heisenberg. Gatti avait lu les textes de Catherine Chevalley21, où elle explique qu'Heisenberg connaissait le réseau la Rose blanche, et qu'il était impossible qu'il ait réellement

19 Voir : Armand Gatti à Genève, 2003, La Parole errante. 20 1998-1999 « Les Incertitudes de Werner Heisenberg. Feuilles de brouillon pour recueillir les larmes des cathédrales dans la tempête et dire Jean Cavaillès sur une aire de jeu », créé à Genève dans les locaux de la CIP avec vingt-cinq genevois, auxquels se sont rajoutés quelques français. Publication : Genève, édition Métropolis. 21 Le manuscrit de 1942 de Werner Heisenberg - introduction et traduction de Catherine Chevalley, Paris, Éditions du Seuil, 1998.

91 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? collaboré à un programme nazi ; de plus, il n'a jamais pris sa carte du parti, contrairement à Heidegger. Ce qui était insupportable pour les Américains, c'est qu'avant la guerre, Heisenberg est allé voir Niels Bohr, et je suis sûr qu'il lui a dit : « Je ne vais pas construire la bombe atomique pour qu'elle soit lancée sur l'Allemagne ». Et pour les Américains, c'est intolérable qu'on puisse avoir cette pensée. Que des savants étrangers aux USA puissent avoir des doutes sur le bien fondé de leur collaboration avec ce pays. Notre passage là-bas a été mouvementé, lorsqu'on émettait cette hypothèse, « Vous savez, Heisenberg, c'est peut-être plus compliqué... » Cette idée là est essentielle pour nous, elle dit notre rapport au savoir, notre rapport à la technique, notre rapport au monde.

Lucien Bonnafé, l'écoute et l'écho Une figure importante de notre démarche, c'est Lucien Bonnafé. C'est un psychiatre, lié avant-guerre aux surréalistes, qui est entré au début de la guerre à la fois dans la Résistance et au Parti Communiste. Il a été nommé à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban dans la Lozère. Bonnafé y a accueilli de nombreux clandestins qui fuyaient le régime allemand, parmi lesquels Tristan Tzara, Georges Sadoul... Paul Éluard y a écrit ce magnifique poème Le cimetière des fous.22 Et avec François Tosquelles, il est le fondateur de la psychothérapie institutionnelle, qui a radicalement transformé le fonctionnement des hôpitaux psychiatriques français. Quand j'ai eu la chance d'interviewer Lucien Bonnafé, à l'occasion du centenaire de Paul Éluard, il nous a raconté ce qu'était sa pratique de psychiatre : une question d'écoute et d'écho. Cette idée forte illustrait parfaitement pour nous ce que devait être aussi la création culturelle. Lucien Bonnafé mettait l'écoute de la poésie au cœur de sa pratique psychiatrique. Un psychiatre, ou un psychanalyste qui est capable d'écouter la poésie, est capable d'écouter ses patients. Pour nous, c'est presque un dogme : mettre la parole du poète au centre de toute démarche.

J'ai fait trois sites internet pour suivre notre travail : – Lire Lucien Bonnafé : http://www.lire-lucien-bonnafe.org – Saint-Dizier : une histoire d'écoute et d'écho : http://www.lentretenir.org/

22 Le Lit, la table, Paul Éluard, 1944.

92 Stéphane Gatti, La parole errante

– Le blog à palabres, un travail avec toutes les associations africaines et latino américaines d'Île-de-France http://www.blog-a-palabres.org.

Rancière : La méthode de La parole errante Mai 68 s'est posé la question de la transmission dans tous ses états. Je pense que le seul ouvrage de philosophie qui ait été écrit sur mai 68 c'est celui de Jacques Rancière, Le Maître ignorant23, et il y a un deuxième livre que j'ai lu récemment, qui éclaire d'un autre jour notre rapport à la technique et à la mort, celui de Günter Anders. En 1968, ma première université est la faculté de Vincennes qui vient d'être créée. Un merveilleux projet d'Edgar Faure, où l'on rencontre tout ce qu'il est possible de rêver comme enseignants : Deleuze, Badiou... et où sont menées des expériences qui ressemblent furieusement à ce que nous ferons. J'avais un ami qui étudiait les mathématiques, c'était un « loulou ». Il avait été tourneur, il avait son CAP. Il s'était fait embrouiller par l'OAS, il avait volé des armes pour l'OAS, avait été arrêté comme droit commun. En 1968 il décide de faire du théâtre : il va au Chêne noir, une compagnie de l’époque à Paris, et il arrive à Vincennes, parce qu'il considère que l’État lui devait quelques années d'études. Il s'inscrit en philo et en maths – moi je l'ai rencontré en philo. Il suit les cours de maths, et les enseignants le trouvent brillantissime. Ils le nomment moniteur, et ils lui donnent des problèmes mathématiques à résoudre devant et avec ses étudiants, sans lui donner d'explication : il lui faut découvrir la clé avec ses étudiants. Et il l'a fait pendant deux ans.

Dix plus tard, Jacques Rancière sort son livre Le maître ignorant, une biographie philosophique. C'est ce que raconte Rancière, sur le véritable héros de mai 68 qui n'était Lénine ni Marx ni Trotsky, mais Philippe Jacotot. Cette histoire de Jacotot éclaire tout notre travail depuis vingt ans. Jacotot, c'est un brillant officier de la République et de l'Empire qui est un enseignant qui enseignait le français en Europe – à ce moment-là, les enseignants français rayonnaient largement sur le territoire européen – et il doit se rendre en Hollande pour enseigner à des étudiants hollandais. Et des raisons militaires l'empêchent d'y aller. Il adresse alors un message aux étudiants : « Étudiez Télémaque, et quand j'arriverai je verrai où vous en êtes. » Un mois, deux mois, trois mois passent... Il arrive, rencontre ses étudiants, et voit qu'en leur donnant un texte 23 Le Maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle, Fayard 1987 – 10/18 Poche, 2004

93 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? d'une extrême difficulté, les étudiants non seulement se sont appropriés la langue française, mais ils l'ont fait dans une langue extrêmement savante, pas en passant par les bredouillages « je veux, papa, maman... », par lesquels on passe habituellement lorsqu'on aborde une langue. Il est alors ébloui, et décide de continuer à les faire travailler ainsi. Cela se passe si bien qu'il théorise cela en disant : « La transmission, ça ne marche pas ; ce qui marche, c'est l'appropriation. Il n'y a pas de possibilité d’entrer dans la connaissance sans appropriation. » Il a présenté ce point de vue dans plusieurs universités européennes, devant des mandarins qui se sont soulevés : « Qu'est-ce que c'est que ce pitre ? Il veut enseigner le Flamand sans connaître un mot de Flamand ! ». À quoi il répond : « Ça ne marche jamais aussi bien que quand je ne connais pas moi-même le sujet, et que je le découvre avec mes étudiants ; les étudiants découvrent cent fois mieux que quand je sais, et que je viens leur apporter ma connaissance. »

Là-dessus, Rancière construit toute une théorie selon laquelle il n'y a pas de savoir, il n'y a qu'appropriation ; il donne l'exemple de la langue maternelle : les enfants parlent assez rapidement une langue extraordinaire, alors qu'il n'y a pas eu de transmission, mais juste appropriation, et que les enfants captent la langue, presque comme des prédateurs. Il théorise cela, et cela rejoint, d'une certaine façon, les questions que l'on s'est posées au moment de mai 68 à l'université de Vincennes en particulier. Depuis, les habitudes sont revenues, et on ne s'est plus posé la question d'une transmission différente.

Les chantiers et l'appropriation par les stagiaires D'une certaine façon, nous avons fait avec Gatti du Jacottot sans le savoir. Nous avons essaimé cette façon d'entrer en création dans les endroits les plus divers : à Marseille avec les loulous, à Toulouse, mais aussi bien dans des écoles, à l'IAD (Institut des arts de diffusion), dans un collège à Ris-Orangis, à l'université de Rochester, au CERN, à Ville Évrard, à Besançon, avec à chaque fois un travail qui exige du temps. C'est le seul luxe que nous ayons, que nous demandons : du temps. Effectivement, quand on travaille avec des étudiants cela dure deux mois, avec des loulous, neuf mois, et pendant cette durée on leur demande énormément. Il n'y a pas de concession. Lorsqu'on était à Marseille, la réflexion menée portait sur le fascisme, différents types de fascisme, fascisme italien, fascisme français, fascisme allemand, ce que cela mettait en route, quelles réflexions cela faisait naître... C'était compliqué, il fallait les faire entrer dans des nuances qu'ils ne comprenaient pas toujours, et pendant neuf mois on a réfléchi là-dessus, et on a d'ailleurs fait un film qui retrace le

94 Stéphane Gatti, La parole errante processus. On y voit qu'après trois mois, il faut encore du temps pour que le thème prenne corps... et malgré tout, ils sont allés jusqu'au bout. Les textes de Gatti sont des textes lourds à porter, denses. Gatti n'autorise aucune facilité dans le langage, son écriture est extrêmement complexe. Et eux, en entrant progressivement dans le processus de création, prennent le texte en main, et à la fin ils jouent le texte en public, pendant plusieurs jours.

Comment se réalise ce processus d'appropriation ? À Marseille, le processus d'appropriation était compliqué. Si on leur disait : « Dans cette histoire-là – celle du fascisme italien – choisissez un personnage », ce qui était dangereux, c'est qu'en jouant Bombacci, la Petacci, Mussolini, son gendre Ciano etc... des processus d'identification opéraient. Ils jouaient le rôle de ces personnages, en avaient étudié la vie, ils les comprenaient. À un moment donné dans le cadre de la pièce, une mise en garde a été écrite. Nous ne faisons pas de la « formation » au sens habituel du terme. Nous disons aux participants, qu'ils soient loulous ou étudiants : « On ne va pas faire de vous des cabotins, notre but n'est pas de faire de vous des comédiens pour aller sur les scènes de théâtre ; le but est que vous soyez dans un projet qui est mené à son terme ». Et ils le savent : ils ont été au lycée mais n'ont pas fait d'études, se sont arrêtés en cours de route, c'est la première fois qu'ils mènent quelque chose à son terme, qu'ils le suivent jusqu'au bout. Leurs proches ont assisté aux représentations et peuvent constater le travail qu'ils ont fait sur eux-mêmes. Ce temps passé là n'est pas une formation en tant que telle, il y en a une après, avec des éducateurs spécialisés, qui mettent au point un projet. On passe alors sous les fourches caudines de la formation la plus classique. Gatti procède de la même façon avec des loulous qu'avec des étudiants, pour lui, réellement, il n'y a pas de différence. Ici à Besançon24, il y avait des étudiants qui venaient du monde entier, et « ô miracle, ô chance », il y en avait en écoles d'ingénieurs. Le travail ne se fait pas sur l'identification aux personnages, mais là, comme c'était sur Cavaillès, sur la théorie des quanta, les idéogrammes chinois... tous les étudiants s'appropriaient les thèmes, faisaient des exposés les uns aux autres, les ingénieurs expliquaient, et il y avait un vrai travail d'échange de connaissances. Ces créations avec des étudiants ont ouvert des chantiers, soit sous forme de mémoires, soit sous forme de créations : par exemple Mathieu Aubert, qui était en formation d'ingénieur, et qui est devenu metteur en scène à Montpellier.

24 Coulisses Hors série n°3, Gatti à Besançon, PUFC 2005.

95 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ?

Il y a des choses différentes qui se passent mais c'est toujours le même processus : comment une personne qui vient là s'approprie en cours de route la démarche, pour s'émanciper elle-même dans un projet qu'elle va imaginer, qui sera son propre projet.

Günter Anders25 On a ce grand lieu à Montreuil qui était fermé pour des raisons de sécurité, de non conformité aux normes, il a fallu faire ces travaux. Le lieu a été ré-ouvert avec La traversée des langages, cette œuvre consacrée au résistant Jean Cavaillès, qui compte quatorze pièces, onze cents pages, une œuvre énorme, qui parle du langage scientifique et de Jean Cavaillès. D'autre part, Mathieu Aubert a présenté, à cette occasion, une mise en scène de La Cigogne, une pièce de Gatti sur Hiroshima. C'est volontairement que nous avons fait se télescoper ces deux textes de Gatti que trente ans séparent. Langage scientifique et bombe atomique. Chaque travail sur un texte de Gatti convoque sa propre bibliothèque. À cette occasion, j'ai affiché depuis six mois sur la façade de notre lieu des textes entiers de Günter Anders. Il était le mari de Hannah Arendt, et souhaitait sortir du langage scientifique, car il « ne voulait pas faire des petits pains pour les boulangers ». Il voulait s'adresser à tout le monde. Il a donc d'abord écrit un roman, puis différents textes. Parce qu'il était juif, il a fui l'Allemagne, puis la France, il est allé aux États-Unis. Le bombardement de Hiroshima a changé radicalement le cap de ses réflexions. Il a pris immédiatement conscience que la philosophie était morte, qu'il fallait se consacrer à réfléchir sur Hiroshima, la science et la technique. Le projet actuel de la technique est d'exister de façon autonome et elle se développe de façon suicidaire, sans que plus personne ne contrôle ce qui est en train de se passer. Il a écrit immédiatement après 1945, il a tenu une correspondante avec l'officier qui a lâché la bombe sur Hiroshima, il a écrit plusieurs livres autour de cette histoire. Plus tard Adorno lui a proposé de s'installer à Francfort, mais comme il ne voulait plus retourner en Allemagne il est allé en Autriche, où il a continué à être un écrivain réfléchissant sur la philosophie, tout en n'en faisant pas. Jusqu'en 1990, il n'avait pas été traduit en France. Cela me rend triste, car j'aurais pu le lire depuis vingt ans, c'est fondamental, et la catastrophe de Fukushima montre à quel point il avait raison dès 1945.

25 Günter Anders (1902-1992). Ses ouvrages sont traduits depuis 1990. Dernier ouvrage traduit : L'Obsolescence de l'homme, t. 2 : Sur la destruction de la vie à l’époque de la troisième révolution industrielle, trad. Christophe David, éditions Fario, Paris, mars 2011.

96 Stéphane Gatti, La parole errante

Ce garçon-là a beaucoup à voir avec nous, nous ne sommes pas des universitaires, nous sommes des gens « de terrain », qui travaillons avec des étudiants, avec des ouvriers, avec des loulous sur des projets un peu complexes, toujours en dehors des institutions, pour formuler des questions. Parce que vous savez, dans la tradition mosaïque, « Adam, quoi ? », le mot, c'est la question, c'est « quoi », « quoi, la terre ? », c'est une question, Adama.

L'homme est une question Au départ, l'homme est une question. Notre pratique, c'est formuler une question, partout, et en dehors des institutions. C'est vrai que quand on entend tout ce que pourrait faire l’UNESCO, on rêve. Et puis, quand on entend ce qu'il est possible de faire dans les lycées et les écoles, on rêve aussi. Et puis il y a la réalité. Et dans la réalité, plus que jamais il nous faut être extrêmement vigilants pour que ça ne dérape pas totalement. Et nos petits efforts – quelqu'un disait ce matin : « Il faut dire ce qu'il y a de bien » – je suis d'accord, il faut faire l'inventaire de toutes ces petites initiatives menées en France où des gens essaient de faire des choses, les mènent à leur terme, et ne pas être en permanence dans la négativité sinistre qui domine et est entretenue par les médias. On est dans la dictature médiatique, prévue par Chomski, illustrée avec talent par les italiens qui sont à l'avant-garde de ce côté avec Berlusconi au pouvoir... J'ai fait comme Armand Gatti, j'ai donné des noms qui articulent notre vision du monde : Jacques Rancière, Chomski, Jean Cavaillès, Günther Anders, Lucien Bonnafé. Avant d'être des philosophes, des psychiatres, des linguistes, ce sont des lutteurs. Beaucoup d'histoires se croisent, qui nous ont permis de monter des projets concrets, avec des gens concrets, dans les institutions et avec des subventions, ce n'est pas juste un rêve, c'est quarante ans de pratique.

97 Échanges avec Stéphane Gatti

Quel rapport avec Emmaüs ? [Q] Vous disiez que Emmaüs était dans les mêmes locaux que vous ; menez-vous des expériences avec eux ? Ou bien êtes-vous simplement voisins ?

[SGa] Non, non, avant qu'ils viennent chez nous, à la Parole errante à Montreuil, on avait déjà fait trois créations avec eux.

Une partie des SDF qui campaient sur les bords du canal St Martin à l'initiative des enfants de Don Quichotte et qui répondaient à l'appel : « le campement doit durer plusieurs jours et le but est de se faire rejoindre par un maximum de bien logés qui pourront ou non ramener leur propre tente. Rejoignez nous donc avec votre tente, des vivres, des duvets », sont allés à la fin du mouvement dans un foyer Emmaüs qui s'est ouvert au métro Saint Jacques. Je connaissais Moustapha qui était en charge de ce foyer. On a mis en place un atelier d'affiches pour réfléchir avec ces..., on dirait aujourd'hui indignados qui avaient massivement investi le camping du canal, pour comprendre comment un tel mouvement avait pu se déclencher. On s'est rendu compte, comme cela arrive rarement, que les médias avaient été détournés : l'annonce de cette occupation sur les quais du canal à la télévision a fait que des gens qui vivaient mal dans des appartements qu'ils payaient très chers sont allés camper au canal. Et là, soutenus par la force du mouvement social, ils ont enfin pu avoir des interlocuteurs : ils ont été pris en charge. Ils se sont retrouvés dans un circuit d'insertion. L'atelier a duré six mois : ont été réalisés un film, des affiches une exposition et un livre. Maintenant, c'est différent. Nous avons invité Emmaüs à s'installer dans nos locaux pour questionner cette notion d'accueil inconditionnel. Malheureusement, Emmaüs a aussi les problèmes de notre époque, ils doivent resserrer leur budget, ils

98 Stéphane Gatti, La parole errante sont dans des problèmes de réorganisation, de redéfinition. Quand nous avons commencé à travailler avec Emmaüs, il y avait dans l'équipe une tendance qui défendait la nécessité d'une action culturelle. Et quelles que soient les organisations, il y a toujours ce terrible balancier : d'un côté, ceux pour qui la culture est un luxe, et de l'autre ceux pour qui c'est une nécessité. Pour l'équipe qui était en charge jusqu'il y a deux ans, c'était une nécessité, et pour l'équipe actuelle c'est un luxe.

Quelle est la valeur ajoutée de l'expérience théâtrale ? [Q] Pour avoir monté il y a une dizaine d'années une opération un peu similaire avec la compagnie de théâtre Bacchus, et des personnes qui étaient en insertion, pouvez-nous dire ce qu'ont dit les gens de Emmaüs de cette expérience avec vous ? Dans notre expérience, on s'était rendu compte d'une valeur ajoutée en terme de mieux-être parce que la parole est libérée, parce que les gens sont vus pas seulement comme des demandeurs d'emploi, des « cas sociaux » ou des personnes en structure d'insertion.

[SGa] Le travail qu'on a fait avec Emmaüs est particulier, ce n'est pas du théâtre, mais nous avons mené plusieurs expériences avec des personnes précaires. À Marseille, en 1993, pendant la création de Marseille Adam-Quoi, il y avait 75 stagiaires qui venaient de l'ANPE. Ils ont travaillé avec nous pendant neuf mois : matin kung-fu, après-midi répétitions, soir répétitions, à un rythme d'enfer. Seules deux stagiaires sont parties en cours de route sur 75. Lorsque l'expérience s'est terminée, ils étaient regonflés. Rien que par le fait d'avoir tenu le coup. C'est le fruit d'une discipline spartiate. On s'occupe du corps, pas pour le muscler mais pour le soigner. On a découvert à Marseille qu'il ne fallait pas seulement s'adresser à la tête des stagiaires mais qu'il fallait aussi soigner leur corps, d'ailleurs l'assistant de Gatti, Baldwin de la Bretèche, passait autant de temps à emmener les stagiaires à l'hôpital qu'à veiller au bon déroulement des répétitions. Cela est devenu une donnée de notre travail : ces jeunes qui nous étaient confiés par l'ANPE, qui étaient réellement délabrés physiquement, il ne fallait pas simplement leur raconter de belles histoires, il fallait les amener se faire soigner, il fallait prendre rendez-vous chez le médecin, il fallait faire tout le travail médical préalable pour qu'ils puissent faire un mouvement de kung-fu correct. On ne s'attendait pas du tout à ça. Si bien que, l'année suivante, quand on s'est lancé dans une nouvelle création à Strasbourg26 avec une centaine de

26 1994-95 À Strasbourg, avec quatre-vingts stagiaires, dans les entrepôts de la SNCF,

99 La parole errante : qu'est-ce qu'on fait avec l'éducation ? stagiaires, on a invité une antenne permanente de Médecins du Monde à s'installer sur place, dans nos locaux de répétition à la Laiterie. Les stagiaires pouvaient donc aller simplement consulter... Donc, c'était une remise en forme complète afin de leur permettre de pouvoir réellement participer à l'expérience. Parce que c'est vrai que pour participer à des répétitions qui durent quatre, cinq, six heures sur scène, il faut être costaud physiquement, sinon on ne peut pas. En plus le théâtre de Gatti est extrêmement physique : c'est une chorégraphie sur scène, sur une base de kung-fu, des mouvements, une amplitude et une précision du geste, il faut qu'ils soient là... La valeur ajoutée, c'est qu'ils sont réellement là. Après, il y a d'autres exemples. Gatti travaille avec les loulous dans les prisons. C'est vrai, mais Gatti n'est pas seulement là : il était auparavant dans les théâtres nationaux, vous étiez tous très jeunes ou pas encore nés. Il y a passé la moitié de sa vie. Après avoir été interdit en 1968 à Chaillot, il a inventé d'autres lieux de travail. Là, s'affirme son choix d'être du côté de l'exclusion, quelle qu'elle soit : l'exclusion psychiatrique, les taulards, les jeunes dans la rue. Gatti est allé à Fleury-Mérogis, au moment où s'ouvrait une petite fenêtre à l'intérieur de l'institution pénitentiaire, pour que des projets culturels y prennent place. Gatti est un des premiers, à Fleury-Mérogis27, à mener un tel projet. Jack Lang est venu le soutenir, c'était une grosse opération médiatique. Il y avait donc onze détenus. Raoul Sangla, qui faisait un documentaire pour Antenne 2, a demandé à l'un des détenus qui participaient à la création : « Qu'est-ce qui se passe avec Armand Gatti ? » Et le détenu de répondre avec un fort accent parisien : « Avec Gatti, ce que je voudrais dire avant tout, c'est qu'il nous a enrichis de trois cents mots ». C'est magique ! Que quelqu'un puisse dire cela ! Cette création s'est faite sur un temps assez court. C'était un projet de trois mois pour le bicentenaire de la Révolution, et le projet d'insertion était très bien construit. Il y avait une remise à niveau pendant six mois, et après ils entraient au CFPTS qui forme les techniciens du spectacle à Paris, une excellente école, et on avait obtenu dix places pour les dix détenus – c'était inouï. Sur les dix, six sont retournés en taule et quatre sont entrés dans le métier. Et il paraît que c'est une performance : selon les statistiques, au bout de six mois, les dix seraient retournés en prison. D'ailleurs, quand je suis arrivé pour travailler à la maison d'arrêt de Strasbourg, j'ai rencontré la femme qui s'occupait de l'insertion, je lui ai raconté ce qu'on faisait, comment on travaillait. Une semaine après, je l'ai revue, je lui ai demandé ce qu'elle faisait, et elle m'a répondu : « Je pars : depuis dix ans que je Armand Gatti écrit et met en scène Kepler, le langage nécessaire qui devient, le jour de la représentation Nous avons l’art afin de ne pas mourir de la vérité. Nietzsche. 27 1989 Armand Gatti célèbre le bicentenaire de la révolution à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, en y créant, avec des détenus, Les Combats du jour et de la nuit.

100 Stéphane Gatti, La parole errante travaille ici, pas une seule fois je n'ai réussi ce que vous avez fait à Fleury-Mérogis ; alors, j'ai décidé de faire un autre métier. »

On n'est pas des spécialistes de la vente et de la promotion de notre travail, mais ce sont de vrais projets de création théâtrale. Au festival d'Avignon 28, avec les loulous d'Avignon, au musée lapidaire, on a joué dix jours avec un succès phénoménal. Cette année là, c'était le spectacle qu'il fallait voir à Avignon – dans le in, pas le off – et comme il y avait trop de médias, Gatti les laissait dehors. Le journaliste d'Antenne 2 a attendu toute la journée pour pouvoir faire ses entretiens. On n'est pas dans le caritatif. Que ce soit avec des étudiants, des loulous, des ouvriers, des taulards, on travaille comme si c'était avec des comédiens professionnels. Il n'y a pas de différence. C'est ce qu'ils ressentent, eux. Ils voient Gatti à la télé le soir. Et le matin, ils reviennent, effarés : « Gatti leur a parlé comme il nous parle à nous ». Il n'avait pas deux langages. Il n'avait pas un langage pour leur parler le matin à eux, les loubards de Marseille, et un autre pour parler à l'animateur de télévision le soir, non, il parlait pareil, sans qu'il y ait de hiérarchisation, or, eux sont archi-habitués à cela : les niveaux de langage des pseudo-experts qui les ont toujours regardés de haut. Dans ce type de travail, il y a une dimension importante : on ne choisit pas les participants. Ça n'a l'air de rien, aussi bien les étudiants que les loulous, on ne les choisit pas. On dit juste : « On fait cette expérience-là, il peut y avoir 25 personnes ». C'est l'ANPE qui les envoie. La personne du stage de réinsertion est là, supervise, décide, mais l'équipe qui va créer ne choisit pas les gens qui sont là. S'ils veulent être là, c'est bien, s'ils ne veulent pas, ils peuvent partir. Le luxe, – qui a disparu aujourd'hui – c'est qu'ils étaient payés. Ils recevaient à peu près le RMI, mais comme souvent ils habitaient chez leurs parents, ça leur permettait de vivre. Sinon, six mois, c'est intenable : ils avaient tous entre 17 et 20, 25 ans. Voilà, c'est une belle entreprise, et comme nous avons travaillé avec des groupes énormes, ça a permis à Gatti de développer un aspect de son théâtre : écrire des pièces de théâtre pour cinquante personnes. Parce que pour nous, l'existence même de ces stages a été un luxe, c'était formidable d'avoir tous ces jeunes, avec leur générosité, leur capacité, leur potentialité, qui étaient là et qui défendaient le travail comme nous l'aurions fait.

28 1991 Invité par Alain Crombecque, à l’occasion du 20e anniversaire de la mort de Jean Vilar, Armand Gatti crée à Avignon, au musée lapidaire Ces Empereurs aux ombrelles trouées avec un groupe de « jeunes de la banlieue » avignonnaise.

101 Publications de Terre des Hommes France Halte à la mondialisation de la pauvreté. Ouvrage collectif, Préface de Jopés Bengopa, et Coordination et présentation par Maribel Wolf. Karthala, 1998. Les Droits économiques sociaux et culturels (DESC) Exigences de la société civile. Responsabilité de l'État. Ouvrage collectif. Coordination et présentation par Maribel Wolf. Karthala, 2003. Terre Précieuse, photographies et textes de Romain Philippon, Focus Terre des Hommes, 2004. La Colombie écartelée : Le difficile Chemin vers la paix. Maribel Wolf, Karthala, 2005. Défi, revue trimestrielle de Terre des Hommes France. Actes de la journée de Form'action « Qu'est-ce que les DESC ? Qu'est-ce que les droits humains ? » Terre des Hommes France, Délégation du Doubs, 2011. Regards croisés sur la solidarité, Jihad Elnaboulsi, Virginie Donier, Dominique Jacques-Jouvenot, Terre des Hommes France, Délégation du Doubs, 2011. Brochures disponibles sur le site http://www.terredeshommes.fr/ Les droits économiques, sociaux et culturels, 3ème édition, mise à jour septembre 2009. Brésil – Halte au désert vert, 2004. Mexique – stop aux zones de non-droits ! , 2007. Les publications du programme Agir pour les DESC sont téléchargeables sur http://www.agirpourlesdesc.org/francais/ressources/publications-et-ouvrages/ Programme Agir pour les DESC, coordonné par Terre des Hommes France, Des politiques publiques basées sur les droits - Expériences de la société civile à travers le monde, 2011. Programme Agir pour les DESC, coordonné par Terre des Hommes France, Méthodes de mobilisation pour faire respecter ses droits. Illustrations autour des droits au logement, à la terre et à l’alimentation, 2011. Programme Agir pour les DESC, coordonné par Terre des Hommes France, Méthodes d’exigibilité des droits économiques, sociaux et culturels, Actes des rencontres de Bamako (2008) et de Bangalore (2009). Programme Agir pour les DESC, coordonné par Terre des Hommes France, Rapport alternatif sur les droits économiques, sociaux et culturels. Guide méthodologique, 2009.

102 Pour concrétiser cette form'action ➢ Adhérer : 35€ pour les personnes imposées, déductibles de vos impôts, et 10€ pour les non imposées ; ➢ Faire un don : déductible de vos impôts ; ➢ Faire une commande : Cartes, bougies, chocolats, livres, soit directement au siège de Terre des Hommes (voir site) soit à la délégation.

Participer aux activités de la délégation : ➢ Donner un coup de main lors des manifestations Exemple : tenue de stand, participer à l'organisation ; ➢ Contribuer à la collecte de fonds : Exemple : Vendre ou en prendre en dépôt vente : bougies, cartes, chocolats ; ➢ Faire connaître l'association : Exemple : en l'invitant dans votre quartier, en l'invitant sur votre lieu de travail : école, CE, COS... ➢ Vous inscrire à la Course des héros ou soutenir nos coureur(ses) Pour plus de détails voir le site www.terredeshommes.fr ➢ Diffuser les campagnes d'opinion ➢ Donner vos idées

CONTACT : Terre des Hommes France, Délégation du Doubs Centre Pierre Mendès-France, 3 rue Beauregard 25000 Besançon – Tel. 03 81 82 17 89 [email protected]

103 Bulletin d'adhésion Renvoyez ce bulletin à Terre des Hommes France, Délégation du Doubs Centre Pierre Mendès-France, 3 rue Beauregard 25000 Besançon,

104

Le droit à l'éducation : « L'utopie nécessaire » Journée de form'action 2012

Terre des Hommes est une ONG de solidarité internationale qui défend et promeut les DESC, droits économiques sociaux et culturels. Se familiariser avec ces droits, c'est mieux assurer son rôle de citoyen/ne/s responsables. C'est pourquoi Terre des Hommes organise des journées de « form'action ». Dans un contexte de mondialisation et d'accélération des rythmes, l'éducation est une question taraudante. Que transmettre ? À qui ? Pour quoi ? Quelle est la portée de l'article 26 de la Déclaration des Droits de l'homme : « 1. Toute personne a droit à l'éducation... 2. L'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales... » Les exposés théoriques et les exemples pratiques des politiques menées par les institutions élues et des actions de la société civile montrent que l'éducation, c'est l'affaire de tous, pour tous, avec tous. Ainsi l'article 26 de la Déclaration des droits de l'homme demeure pour le XXIème siècle une « utopie nécessaire », un chantier réalisable. Lucile Garbagnati

Édition Terre des Hommes France – Délégation du Doubs Centre Pierre Mendès France, 3 rue Beauregard, 25000 Besançon [email protected] Impression Ville de Besançon et Université de Franche-Comté – juin 2012 ISBN : 2-9523236-1-5 / EAN : 9782952323611 Prix conseillé : 3 €