Ruralia Sciences sociales et mondes ruraux contemporains

08 | 2001 Varia

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ruralia/364 ISSN : 1777-5434

Éditeur Association des ruralistes français

Édition imprimée Date de publication : 1 septembre 2001 ISSN : 1280-374X

Référence électronique Ruralia, 08 | 2001 [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2005, consulté le 29 février 2020. URL : http://journals.openedition.org/ruralia/364

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Tous droits réservés 1

Éditorial (à ceux qui lisent les éditoriaux)

Jean-Luc Mayaud

1 Avec cette livraison, Ruralia entre dans sa 5e année. Le pari lancé en 1997 nous semble gagné, au moins provisoirement : Ruralia existe, a trouvé son lectorat et devient une revue de référence pour tous ceux qu'intéresse le rural des XIXe, XXe et XXIe siècles. Mais cette revue semestrielle n'existerait pas sans tous ceux qui, par leur travail bénévole, l'ont fait et la font vivre : les membres du comité de rédaction, les experts sollicités pour leur avis à propos de chaque article soumis à la revue, l'équipe qui prépare la copie pour l'imprimeur nous y reviendrons et notre brillant responsable du site internet, Marin Dacos.

2 La décision de créer Ruralia a été prise lors du comité directeur de l'Association des ruralistes français qui a suivi son renouvellement au cours de l'assemblée générale statutaire convoquée pendant le colloque de Dijon, à l'automne 1996 1. Le premier numéro (1-1997) 2 a été livré au colloque de Poitiers, les 29, 30 et 1er octobre 1997 3. Depuis, ce sont 56 articles, 48 positions de thèse et 60 critiques d'ouvrages qui ont été publiés 4. Ils rendent compte, dans la pluridisciplinarité, de la recherche et des débats relatifs à l'espace rural contemporain européen. L'appel à de multiples auteurs nationaux ou étrangers, la diversité des comptes rendus de lectures, le souci d'informer et de discuter des avancées méthodologiques attestent notre volonté de large ouverture sur les multiples disciplines rassemblées autour de Ruralia. Si nous ne pouvons raisonnablement envisager d'augmenter le nombre des articles, nous tenons à maintenir notre politique éditoriale et à laisser ouvertes les pages de Ruralia aux agronomes, anthropologues, économistes, ethnologues, juristes, historiens, géographes, politologues, sociologues confirmés l'ordre alphabétique est de rigueur comme aux productions de qualité proposés par des chercheurs plus jeunes et des étudiants. 3 Comme les précédents, ce 8e numéro de Ruralia s'efforce de saisir selon des approches scientifiques diverses la totalité de la période dite contemporaine. Eugenia Bournova et Georges Progoulakis, historiens grecs de l'économie, ouvrent ce volume par une première synthèse sur l'évolution du monde rural grec au cours d'un long XIXe siècle. Nombreuses sont les pistes de recherche proposées, et l'on espère bientôt lire quelques

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études réalisées à une échelle plus fine, qui permettront de fructueuses comparaisons. Indispensable, l'ouverture aux ruralités « étrangères » est encore amorcée avec le compte rendu de l'ouvrage dirigé par Lourenzo Fernández Prieto sur la Galice rurale contemporaine et avec « l'immigration française à Jersey », objet de la thèse de Michel Monteil. Signalons aussi que nous n'enfermons pas Ruralia dans la seule Europe : la thèse de Moez Bouraoui est construite sur une comparaison entre le plateau de Saclay et la plaine tunisienne de Sijoumi ; celle de Martine Chalvet embrasse la forêt méditerranéenne. De même, notre définition du rural se veut large et ouverte : en témoignent le compte rendu de l'ouvrage de Corinne Boujot sur « le venin » et la position de thèse de Clotilde Bodiguel sur « les pêcheurs des provinces maritimes du Canada ». 4 La question des facteurs de développement technique est abordée par Michel Vanderpooten, dont la thèse est consacrée à une relecture minutieuse de la littérature agronomique, de l'Antiquité au XIXe siècle, et par l'ouvrage dirigé par Dominique Rivière sur le machinisme agricole. À travers la figure du généticien Louis Blaringhem, Marion Thomas nous plonge dans l'épopée de la génétique mendélienne en montrant que l'histoire des sciences ne peut se lire dans l'opposition construite entre théorie et empirisme. Autre regard sur les mutations du rural, la « révolution agricole » et ses lendemains avec deux belles productions des sociologues Pierre Alphandéry et Marcel Jollivet : la thèse de l'un comme l'ouvrage de l'autre livrent avec honnêteté et recul de passionnantes analyses sur l'épopée rurale du second XXe siècle, mais aussi sur la sociologie dite rurale et leur propre itinéraire de sociologue. Quelles que soient les disciplines, l'écriture scientifique n'échappe pas au monde dans lequel s'inscrivent les chercheurs. À cet égard, les réflexions des jeunes géographes Emmanuelle Bouzillé- Pouplard, Corentin Cottineau et Virginie Danilo à propos du colloque organisé en hommage à Jean Renard constituent un instructif témoignage. Il en est encore ainsi de Gaston Roupnel, historien des campagnes françaises, que Philip Whalen, jeune chercheur américain, redécouvre avec passion : l'article qu'il a proposé à la rédaction de Ruralia ne manquera pas de susciter des réactions. Les pages de notre revue sont ouvertes à tous et la publication de ce texte contribuera à la préparation du « colloque Roupnel » organisé à Dijon en décembre 2001 dont nous publions l'appel à communication. Recherche vivante, recherche capable c'est bien le moins de livrer ses sources : au risque de surcharger la lecture, Ruralia ne limite pas les notes infrapaginales, livre pour chaque numéro une bibliographie récente (382 références pour ce numéro) et rend compte du guide de recherche pour l'agriculture du département de la Vienne publié par Frédéric Chauvaud. 5 Développement, « modernisation », avons-nous écrit, mais aussi barbarie et destruction : l'œil du géographe Philippe Boulanger s'exerce à la lecture des paysages de guerre en Picardie, dans le canton de Lassigny : les reconstructions et les réappropriations prennent des formes diverses et posent le problème des « lieux de mémoire ». L'enjeu mémoriel est également politique : nous publions la position de thèse de Jean-Paul Pellegrinetti sur « la Corse et la République » et rendons compte des actes du colloque de Rome de 1997 sur « la politisation des campagnes au XIXe siècle ». 6 Le succès du 24e colloque de l'ARF, « Territoire prescrits, territoires vécus » (Toulouse, octobre 2000) 5 a révélé la forte fréquentation de ce thème de recherche. Ruralia permet à Martin de La Soudière de publier de pertinentes réflexions sur la naissance de ce champ de la recherche : ce texte inédit datant de 1986 a été complété avec bonheur par

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son auteur et nous avons tenu compte des contraintes typographiques que ce difficile exercice impliquait. Annie Bleton-Ruget, quant à elle, œuvre dans la pluridisplinarité pour retracer la construction de la Bresse louhannaise pendant le temps long des XIXe et XXe siècles. Cette belle histoire d'un territoire et des acteurs de sa fabrication nous semble apporter d'utiles éléments. Elle est complétée dans cette livraison par la position de thèse de Martine Chalvet sur la construction de la forêt méditerranéenne et par le compte rendu de l'ouvrage de Radu Dragan sur les représentations roumaines de l'espace en fait sur quelques villages du sud-est de la Valachie. Reste que la définition des territoires est large, elle aussi. Le lien au lieu passe également par le produit « de terroir » : Ali Aït Abdelmalek et Christian Chauvigné sont ainsi allés « Faire l'andouille à Guémené », tandis que Marion Demossier, spécialiste des vignobles bourguignons, analyse en ethnologue participante mais ô combien distante le rôle de l'AOC Hautes- Côtes dans la redéfinition du produit et du territoire. 7 Cette bien rapide présentation du 8e numéro de Ruralia avait pour but de suggérer la richesse des champs de recherche dont nous prétendons rendre compte. Reste à revenir à la trivialité des aspects financiers et techniques de la revue de l'ARF. Le pari de l'équipe de Ruralia était de développer la revue tout en limitant son budget de fabrication. Nous espérions atteindre l'équilibre financier. Ce n'est pas encore le cas : nos recettes-abonnement sont en trop légère augmentation et celles des ventes au numéro ne progressent pas suffisamment. La recherche de subvention que nous devons maintenant entreprendre est donc absolument vitale. Il importe également que chaque lecteur fasse un geste militant : abonner et faire abonner à Ruralia amis, collègues, étudiants, bibliothèques, équipes de recherche. De notre côté, nous continuons à nous efforcer de limiter les frais de production de la revue en préparant ses pages sur support informatique afin qu'elles soient prêtes à clicher par l'imprimeur. Pendant près de cinq années, le rédacteur en chef a assuré seul ce travail pour chacune des 1 832 pages publiées, aidé pour les indispensables relectures finales par Aurélie Dombes, excellente étudiante en histoire (et en correction typographique), et de Maryannic Cornec, depuis son arrivée au Centre Pierre Léon, UMR lyonnaise du Centre national de la recherche scientifique où elle occupe les fonctions de bibliothécaire. Prenant en pitié les membres surchargés de la petite équipe, Laurent Clavier, historien détaché au CNRS, a rassemblé plusieurs étudiants, doctorants et post-doctorants, fabriqué un « guide typographique » et mis au point plusieurs fonctions informatiques afin de faciliter la mise aux normes des textes. Ainsi renforcée, l'équipe en est encore à rôder ses pratiques, mais chacun de ses membres, mêlant compétence et action militante au service de la diffusion de la science, a assuré au mieux les tâches qui lui avaient été confiées. Le lecteur comprendra que notre gratitude émue aille aux correcteurs et relecteurs de ce numéro de Ruralia : Jean-Pierre Aguerre 6, Laurent Clavier 7, Gaëlle Charcosset 8, Pierre Cornu 9, Marin Dacos 10, Aurélie Dombes 11, Caroline Gilberte 12, Renaud Gratier de Saint-Louis 13, Laurent Le Gall 14, Corinne Marache 15, Viera Rebolledo-Dhuin 16, Charlotte Villain 17 et, pour la vérification ou la traduction de l'anglais, Fabrice Bensimon 18. À tous un grand merci, dans l'espoir que tant d'efforts seront récompensés par l'accroissement du nombre de nos abonnés et de nos lecteurs, et dans la fidélité à la mission de l'ARF, qu'a présidée de 1991 à 1993 notre collègue et ami Louis Lorvellec, à la mémoire de qui nous rendons hommage avec Maryvonne Bodiguel, notre présidente. Jean-Luc Mayaud rédacteur en chef

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NOTES

1. Les cultures en milieu rural. Inventions, usages, transmissions, 20e colloque de l'ARF, Dijon, 1996, co-organisé avec l'ENESAD. 2. Les lecteurs désireux d'acquérir ce numéro le tirage est en voie d'épuisement peuvent s'adresser à la rédaction. 3. Les violences rurales au quotidien, 21e colloque de l'ARF, Poitiers, 1997, co-organisé avec l'Université de Poitiers. L'impression et la mise en vente des actes sont imminentes. 4. Grace à Marin Dacos, les résumés des articles, la totalité des positions de thèse et l'intégralité des comptes rendus sont gratuitement disponibles sur le site internet de Ruralia : http://www.revues.org/ruralia/ 5. Les actes de ce colloque, seront bientôt publiés, ainsi que ceux des colloques « Éleveurs et animaux » et « Agrarismes et agrariens ». 6. Professeur d'histoire-géographie, doctorant Université Lyon 2. 7. Agrégé d'histoire, doctorant I, Chargé de recherche CNRS (UMR 5599, Lyon 2). 8. Professeur d'histoire-géographie, doctorante Université Lyon 2. 9. Agrégé d'histoire, post-doctorant Université Lyon 2. 10. Agrégé d'histoire, allocataire de recherches, doctorant Université Lyon 2, Moniteur, Université d'Avignon. 11. Étudiante, Université Lyon 2. 12. Allocataire de recherches, doctorante Université Lyon 2 13. Professeur d'histoire-géographie, doctorant Université Lyon 2. 14. Agrégé d'histoire, doctorant Université Lyon 2. 15. Agrégée d'histoire, allocataire de recherches, doctorante Université Bordeaux 3. 16. Étudiante, Université Paris X-Nanterre. 17. Étudiante, Université Paris IV. 18. Maître de conférences en études anglo-américaines à l'Université Paris X-Nanterre.

INDEX

Mots-clés : Editorial

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Articles

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Le monde rural grec, 1830-1912

Georges Progoulakis et Eugenia Bournova

1 Nous présenterons ici l’historiographie de l’économie rurale grecque, de façon nécessairement résumée et schématique. La période étudiée court de la fondation de l’État grec au début des Guerres balkaniques qui annoncent la Première Guerre mondiale et marquent, pour la zone balkanique, le passage « du long XIXe au court XXe siècle » 1. Si nous ne travaillons pas à partir de sources, nous avons traité statistiquement certaines informations pour établir un bilan élémentaire des connaissances et des questions relatives à ce sujet. Les sources, largement plus nombreuses que les ouvrages, demeurent ouvertes et le lecteur compétent pourrait en faire une longue liste. Au niveau de l’historiographie, manquent des recherches centrées sur un village ou sur une région restreinte, fondées sur des sources inédites et étudiant les rapports entre économie, mentalités et politique au niveau local. La mise en avant des rapports concernant la propriété foncière constitue une approche qui n’a été adoptée que par une minorité de chercheurs contemporains. Leurs études laissent parfois entrevoir, derrière la masse de données quantitatives présentées, une absence du social.

De la révolution à la première réforme agraire (1871)

Les premières années après la révolution : le changement du régime de la propriété foncière

2 Dans le milieu rural, la principale conséquence de la révolution de 1821 est la transformation radicale du régime de la propriété foncière. Avant la révolution, dans les régions du Péloponnèse et d’Eubée — sur lesquelles nous avons des renseignements relativement précis — les chrétiens, largement majoritaires, ne possédaient qu’un tiers ou tout au plus la moitié des terres cultivées.

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Figure I : Distribution des terres selon la religion dans le Péloponnèse et l’île d’Eubée, vers 1820 2

Péloponnèse Eubée

Population Population Population Population chrétienne musulmane chrétienne musulmane

Part de la population 85,50 14,50 92,10 7,90 totale (%)

Part de la surface de 33,30 66,70 56,94 43,06 terres (%)

Taille moyenne des 3,25 62,83 9,03 80,11 exploitations (en stremmas)

3 Les anciennes propriétés musulmanes se trouvaient pour la plupart dans les plaines, plus fertiles. Aux lendemains de la révolution, leur abandon déclenche une véritable « colonisation agraire » : les populations des montagnes émigrent massivement vers les plaines 3.

Le régime judiciaire : terres publiques et terres privées

4 Il est bien connu que, contrairement à l’Occident, les terres de l’Empire ottoman, en friche ou cultivées, appartenaient par défaut à l’État. Le cultivateur n’en avait que le droit de possession (nomé) et de transfert héréditaires, à la condition toutefois d’avoir payé ses impôts. À cette règle générale échappaient deux catégories : les terres plantées d’arbres et les vignobles — qui appartenaient à l’État mais dont les plantations elles- mêmes étaient propriété du cultivateur qui avait le droit de les revendre — et les terres servant de lieux de culte musulmans (vakoufs) 4.

5 À la fondation de l’État grec, ce régime judiciaire est modifié. L’application du droit de conquête, l’introduction du droit romain (ne reconnaissant que la propriété absolue et non les propriétés multiples de la terre) et les traités internationaux provoquent la formation d’un paysage agraire complexe. Selon le droit de conquête, les anciennes propriétés ottomanes publiques et les terres jadis cultivées par des musulmans qui avaient émigré passent entre les mains de l’État grec. Ces terres, dites terres nationales, se situent pour la plupart dans le Péloponnèse ou dans la partie occidentale de la Grèce continentale. Au cours de la révolution, elles ont été hypothéquées par les gouvernements grecs, pour garantir les emprunts extérieurs indispensables au financement de la guerre d’indépendance 5. Selon les projets officiels, ces terres doivent être par la suite distribuées aux paysans, lorsque la situation le permettra. D’autre part, les Grecs occupant des terres avant la révolution, à titre de tesarruf (droit de possession héréditaire et transmissible), deviennent propriétaires, à condition de présenter les justificatifs ottomans. Dans l’est de la Grèce continentale et en Eubée, régions qui n’ont pas été occupées par les forces révolutionnaires, les anciens cultivateurs musulmans reçoivent l’entière propriété des terres cultivées après la fondation de l’État. À leur

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départ, ils les vendent à des Grecs ayant fait fortune à l’étranger, les seuls étant en mesure d’effectuer de pareils achats. C’est ainsi que sont créées les premières grandes propriétés foncières — qui ne représentent cependant que 5 % de l’ensemble des terres. Enfin, l’Église orthodoxe devient pleinement propriétaire des terres qu’elle exploitait déjà. 6 Nos connaissances sur la répartition des terres par catégories demeurent incomplètes. Bien que les chiffres manquent de précision, on peut estimer que les possessions de l’État couvrent entre 1/3 et 2/3 des terres cultivées, celles de l’Église orthodoxe environ 1/4 6. Les petites et grandes propriétés privées n’occupent donc pas plus de la moitié de la surface cultivées. Les terres nationales constituent, depuis la fondation de l’État, le principal champ de conflit entre l’État et les paysans qui aspirent à se les approprier — surtout dans le cas de plantations qu’ils peuvent, si nécessaire, revendiquer légalement devant les tribunaux. De plus, une disposition du droit byzantino-romain — le droit de prescription acquisitive — donne la propriété de la terre à qui l’occupe (y compris arbitrairement) depuis 30 ans sans interruption. Cependant, l’appropriation des terres publiques n’a pas été systématiquement organisée par les notables régionaux et n’a pas conduit à la formation de grandes propriétés sur ces territoires 7. 7 On peut ainsi distinguer trois catégories de cultivateurs-producteurs. Le cultivateur- producteur qui cultive sa propre terre conserve la totalité de sa production, après versement en nature de l’impôt d’État représentant 10 % du produit brut (dîme). Celui qui cultive la terre publique (c’est-à-dire les terres nationales) verse à l’État propriétaire 15 % de son produit en guise de loyer (impôt d’usufruit) en sus de la dîme. Le cultivateur de terres privées, après versement de la dîme, doit laisser au propriétaire environ la moitié de la récolte si ce dernier lui a cédé les graines et le bétail indispensables, un tiers de la production si le propriétaire n’a pas participé aux frais de culture 8.

Productions et cultures

2 8 En 1861, la densité de la population s’élève à 24 habitants par km , alors qu’en Angleterre elle s’établit à 30 et en à 40 habitants par km2. Dans ces conditions, une partie importante des terres reste en friche.

9 En Grèce, comme dans d’autres pays méditerranéens, les principales cultures sont alors les céréales, l’olivier et la vigne. Sur les 7,5 millions de stremmas cultivés, six sont plantés en céréales, blé (40 %) et maïs (22 %) notamment. Compte tenu de la jachère bisannuelle, les céréales ne poussent chaque année que sur trois millions de stremmas 9. Les plantations occupent le million et demi de stremmas restant, un tiers en vignobles et presque un autre tiers en oliveraies.

Figure II : Usage des terres, 1861 10

En milliers de stremmas %

Terres cultivées 7 435 16,27

Terres irrigables en friche 11 748 25,71

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Terrains montagneux ou non cultivables 18 599 40,71

Forêts 5 419 11,86

Étangs 833 1,82

Villes, villages, routes, rivières etc.1 653 3,62

TOTAL 45 687 100,00

10 L’érudit philhellène Frédéric Thiersch décrit en 1833 l’équipement technologique du paysan grec aux lendemains de la révolution : « Le paysan grec possède ordinairement pour labourer sa terre, une charrue et une paire de bœufs (zeugariou) avec quelques ânes pour transporter les produits de ses champs. La forme de la charrue correspond encore aujourd’hui exactement à la description qu’en a fait Hésiode ; depuis trois mille ans rien n’y a été changé. C’est la dent de fer qui ne fend que la surface de la terre à la profondeur à peu près de trois pouces. Pour employer la charrue, il suffit de deux bœufs ; […] des paysans grecs, un tiers seulement en possède une paire ; […] plusieurs en possèdent en commun ou n’en ont pas du tout, et se voient forcés de labourer la terre à la houe. Généralement, on n’engraisse pas les terres, et l’on ne connaît d’autre moyen de faire reprendre des forces au sol, que de le laisser reposer deux ou trois ans après une récolte » 11.

Figure III : Rendement des céréales, 1860 12

11 Si le rendement (production/semence) du blé variait selon la qualité des terres, il s’élevait cependant en règle générale à 6/1 et était pratiquement égal à celui de l’agriculture française. Ce fait apparemment paradoxal dérive de l’abondance des terres dans le royaume grec et de la possibilité de n’en cultiver que les plus fertiles, produisant 100 kg de céréales par stremma.

Le surplus 13

12 Au recensement de 1861, la population agricole est composée de 150 000 familles pour 675 000 personnes, soit en moyenne 4,5 personnes par famille 14. La paysannerie dans son ensemble possède six millions de stremmas cultivés en céréales. La moyenne familiale s’élève donc à 40 stremmas, pour moitié en jachère, qui produisent 2 000 kg, d’après la rendement estimé plus haut. À cette époque, une personne consomme annuellement 200 kg de céréales. L’utilisation de la production se répartit comme suit 15 :

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Figure IV : Production et surplus d’un cultivateur de céréales, milieu du XIXe siècle

production familiale annuelle 2 000 kg 45 %

conservés comme semences 333 kg 17 %

impôt d’État (dîme) 200 kg 10 %

surplus 1 (cultivateur propriétaire de sa terre) 567 kg 28 %

impôt d’usufruit 300 kg 15 %

surplus 2 (cultivateur de terres d’État) 267 kg 13 %

13 Les cultivateurs de céréales conservent donc entre 28 % et 13 % de leur production, selon qu’ils sont propriétaires de leurs terres ou qu’ils cultivent des terres d’État. Mais que représentent en réalité ces données ? 567 kg de céréales correspondent vers la fin des années 1850 à 43 salaires agricoles, alors que 267 kg représentent 20 salaires seulement. « Les salaires agricoles [étaient] en général plus élevés que ceux des autres nations » 16.

Les difficultés de pénétration des rapports capitalistes dans le milieu rural

14 Ces chiffres expliquent la difficulté de pénétration des rapports capitalistes dans l’agriculture grecque du XIXe siècle. Le bénéfice maximal que l’on peut en attendre ne peut excéder 28 %. Encore faudrait-il pour cela être propriétaire des terres, et trouver des ouvriers agricoles se contentant des céréales nécessaires à la subsistance de leur famille comme salaire. Des salaires aussi bas n’existent pas. Les informations dont nous disposons indiquent au contraire des salaires agricoles élevés, surtout aux moments de pointe des travaux agricoles (récoltes, cueillette des olives, etc.). Ceci est sans doute lié à l’existence de terres libres, et à une indifférence générale face au travail salarié. Autre obstacle pour les investisseurs, le réseau routier est déficient. Il rend le coût du transport prohibitif. En pratique, la voie navale est la seule solution. Ainsi, en 1868, le blé produit dans la région de Livadia est vendu 33 % plus cher sur le marché d’Athènes. Une décennie auparavant, cette différence avait atteint 100 %. Dans ces conditions, la capitale importe des céréales de Turquie et de Russie, tandis que le blé du Péloponnèse et de la Grèce continentale reste invendu 17.

15 L’exemple du blé montre le morcellement du territoire grec en petits marchés distincts. Aux jours de fête religieuse régionale, les foires permettent les contacts. Elles durent jusqu’à huit jours. L’agriculteur venu vendre son vin ou son huile d’olive y achète quelque tissu, ou un peu de fer pour fabriquer, souvent lui-même, sa charrue 18. Il y rencontre l’éleveur. Celui-ci ne passe pas sa vie dans les limites étroites de son village natal. Les bergers, 40 000 au recensement de 1861, sont organisés en groupes indépendants, les « tséligata » 19. L’été en montagne et l’hiver dans les plaines, ils se déplacent constamment. Assez répandu, l’élevage nomade des moutons et des chèvres

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ne nécessite aucune infrastructure et couvre les besoins du pays en laine. « Un bon champ abandonné servira toujours de pâturage et le pâturage nourrira toujours le bétail », notait en 1800 le consul français Beaujour 20. En revanche, peu ou pas d’élevage de gros bétail, qui nécessite des installations fixes et des terres privées. 16 Salaires élevés et morcellement du marché constituent ainsi deux facteurs défavorisant l’investissement agricole. Le brigandage qui ravage les campagnes grecques tout au long du XIXe siècle en est un troisième. À proximité du village d’Achmétaga, en Eubée, l’anglais E. Noel avait acquis à bon prix un domaine ayant sans doute appartenu à des Ottomans. En 1855, raconte-t-il, onze brigands envahissent le village, « ils sont entrés dans les maisons des paysans et ils ont cassé toutes les armes qu’ils ont pu y trouver. Puis, ils ont rassemblé toutes les femmes dans la cour de la maison de Noel et ils s’y sont divertis pendant quatre heures, en mangeant, en buvant et en dansant. Les brigands ont arraché l’argent et les argenteries qu’ils ont trouvé dans cette résidence […] ainsi que divers objets trouvés dans les maisons des paysans » 21.

Les crises

17 Les intempéries, qui peuvent détruire une grande partie des récoltes, constituent la principale menace pour une économie ainsi formée de petites unités de production autarciques. La crise peut affecter une région restreinte ou bien l’ensemble du territoire, comme en 1851. Si l’on en croit les sources fiscales, un hiver particulièrement rigoureux fait alors chuter la production de 60 % par rapport 1849 22. Dans ces situations, les unités de production sont en déficit. L’État s’obstine malgré tout à prélever les impôts, ce qui avive les tensions sociales. Ainsi naissent des mouvements sociaux ruraux, dont les objectifs se précisent. Entre 1852 et 1854, la révolte dite « du boucher Papoulakos » — la plus importante de la période — se transforme en un mouvement de protestation religieuse. Son leader se limite à un discours incitant les croyants à la lecture du livre de psaumes et à la persévérance face à la corruption de l’Église orthodoxe par les hétérodoxes 23.

Figure V : Versement de l’impôt sur le blé (en milliers de kiles de Constantinople) 24

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L’alimentation et les hommes

18 Comme partout en Europe, le pain constitue le principal élément de l’alimentation. Lorsque le blé fait défaut, on le fait d’orge. Outre les céréales, l’alimentation du paysan comprend des légumes frais et secs préparés à l’huile d’olive, du fromage (surtout dans les régions d’élevage) et des poissons salés. Le vin est produit et consommé sur l’ensemble du territoire. La viande d’agneau ou de porc reste un plat de fête dans la plupart des régions ; volailles et gibier complètent les besoins familiaux en viande. Les bovins, utiles aux travaux agricoles, ne sont sacrifiés que lorsqu’ils sont trop vieux pour travailler 25. Dans l’ensemble, l’alimentation du paysan est en grande partie dictée par les coutumes religieuses ou par la rareté de certains produits. Il est défendu de manger de la viande, des œufs et des produits laitiers le mercredi et le vendredi, ainsi qu’en période de jeûne 26.

19 Nos paysans, tout comme les habitants des villes, meurent jeunes : l’espérance de vie ne dépasse pas 35 ans. En 1861, la mortalité s’élève à 26,5 ‰ et la mortalité infantile à 198 ‰ : un enfant sur cinq meurt avant d’atteindre l’âge de un an. Ces chiffres dépassent légèrement ceux de la France pour la même période (23 et 180 ‰). Le paludisme constitue l’une des principales causes de décès pour les paysans vivant près de lacs ou d’étangs. On meurt aussi couramment de typhus, de scarlatine (variante mortelle de la grippe), ou de maladies pulmonaires (bronchite, pneumonie). La vaccination contre la variole est obligatoire à partir de 1835, mais un habitant sur deux y échappe. Ainsi variole, rougeole et gastro-entérites expliquent une mortalité infantile qui demeure très élevée tout au long du XIXe siècle. Le recul ne s’amorce qu’avec la pasteurisation et la généralisation de l’emploi d’eau bouillie.

Figure VI : Mouvement naturel de la population grecque, 1860-1910 27

20 Cependant, grâce à une forte natalité — environ 40 ‰ tout au long du XIXe siècle — et malgré l’émigration, la population vivant à l’intérieur des premières frontières de l’État grec a pratiquement doublé entre 1830 et le début du XXe siècle.

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Agriculteurs, imposition et hommes politiques

21 Il existe toutefois un domaine de l’économie agricole où l’investissement du capital s’avère lucratif à court terme : la perception des impôts. L’État l’afferme à des particuliers, comme avant la révolution. Le système, constamment modifié selon les régions et les périodes (jusqu’en 1940), reste complexe. Les preneurs payent à l’avance. Soutenus par l’armée, ils perçoivent les impôts en nature (jusqu’en 1863) auprès des paysans, et en commercialisent le fruit à la ville voisine 28. La tension qui accompagne les prélèvements a laissé de nombreux témoignages 29.

22 Il ne s’agit toutefois pas d’un phénomène régi par les lois de la théorie économique « pure », selon laquelle l’homo economicus agit dans le seul but d’optimiser ses revenus. Fort du pouvoir que lui accorde sa fonction, le percepteur d’impôts peut favoriser ses amis et réprimer ses adversaires politiques. Afin d’obtenir le poste désiré, le notable local doit être en mesure de contrôler le réseau d’imposition de sa circonscription électorale— ou tout au moins d’éviter que ses adversaires ne le fasse —, ce qui se révèle parfois coûteux. La perception de la plus grande partie du surplus, destinée à la caisse publique, dépend ainsi largement de facteurs extra-économiques 30. 23 Durant cette première période, 90 % des revenus publics proviennent du milieu rural. Le transfert de surplus du producteur direct à l’État conduit à la formation d’un énorme appareil bureaucratique : en 1880, la Grèce compte sept fois plus de fonctionnaires par habitant que l’Angleterre 31. Il est vrai que l’industrie est inexistante et l’autoconsommation prépondérante : hormis la capitale, les seules villes de plus de 10 000 habitants sont Patras et Hermopoulis. Dès lors, l’État constitue de loin le rouage le plus important de redistribution des valeurs. Les employés supérieurs de la fonction publique forment un groupe social dominant. Ils usent d’un pouvoir assis sur le contrôle de l’argent public — et non sur la propriété — pour élargir leur réseau clientéliste, négligeant la réalisation de travaux d’infrastructure sans bénéfice à court terme.

Après 1871 : un monde en mouvement

Le raisin de Corinthe et la première réforme agraire

24 Ce monde apparemment immobile commence à se transformer à partir du milieu du siècle, avec la hausse de la demande anglaise en raisins de Corinthe. En effet, la consommation de pudding se répand alors jusqu’aux couches moyennes et pauvres de la société anglaise. Cette augmentation entraîne l’extension rapide de la culture du raisin sec en Grèce, plus lucratif que les céréales. Vers le milieu des années 1860 un stremma semé de blé, au rendement de 6/1, ne rapporte à son propriétaire que 20 drachmes, un stremma de raisin sec 90 drachmes — quatre à cinq fois plus 32.

25 Cultiver le raisin de Corinthe ne demande qu’une bêche, équipement modeste. Mais c’est un investissement à long terme, car la vigne ne fructifie qu’au bout de cinq à sept ans. Il est alors important d’être propriétaire de la friche convertie en vignoble. Le régime des terres publiques constitue sur ce point un obstacle et complique les choses. À la majorité de la population, qui ne possèdent pas de terres privées, le régime d’« implantation » offre une première solution. À la première récolte, le propriétaire et le cultivateur d’un terrain planté en vignoble s’en partagent la propriété, pour moitié

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chacun. Seconde solution, la terre publique peut être privatisée. C’était l’esprit de la loi « de la dotation des familles grecques », votée en 1835. Dans la pratique, cette loi a échoué, pour deux raisons. D’une part, les prix de vente des terres ont parus trop élevés. D’autre part les agriculteurs ont refusé de payer pour recevoir les titres de terres dont ils réclamaient l’usufruit. Mais la situation a changé depuis. La validation légale de la propriété des cultures s’avère désormais urgente. L’action du premier ministre Koumoundouros en 1871 conduit à la première réforme agraire de l’État grec. 26 La loi de 1871 donne à ceux qui la cultivent la propriété de la terre publique. S’ils ne sont pas intéressés, d’autres habitants du village ne possédant pas de terres nationales en bénéficient. La valeur de chaque lot est fixée par un comité. Le paiement s’effectue en 26 versements annuels. Un propriétaire ne peut recevoir plus de 80 stremmas, 40 pour des terres irriguées. Plus de 2,5 millions de stremmas sont ainsi distribués à 350 000 familles entre 1871 et 1911 : l’expansion du raisin sec entraîne le morcellement des terres publiques en une mosaïque de petites propriétés 33. Parallèlement, elle est à l’origine de la monétarisation de l’économie rurale, et du lien commercial entre régions productrices de raisin et marchés européens.

La conjoncture du raisin sec

27 La demande provient d’abord des consommateurs traditionnels du produit : l’Angleterre et, en second lieu, l’Autriche-Hongrie. Dans le nord du Péloponnèse, principale région productrice, les terres cultivées, la production et les exportations doublent. En 1878, le raisin sec, seul produit que l’État puisse placer sur le marché international, représente 80 % du total des exportations. Un événement imprévisible provoque une nouvelle croissance de la demande : le phylloxéra, qui touche les vignes françaises à partir de 1870. Les Français utilisent alors le raisin de Corinthe comme substitut pour faire du vin (staphidite). Bien que la crise viticole en France soit à l’évidence passagère, les vignobles s’accroissent d’un tiers entre 1878 et 1911.

Figure VII : La culture de la vigne, 1860-1911 34

1860 1867 1878 1888 1911

Étendue des cultures (milliers de stremmas) 220 280 435 620 600

Pourcentage sur l’ensemble des étendues cultivées 5,7 6,5

Production (millions de litres) 109 137 211 327 334

Valeur des exportations de raisin sec(milliers de drachmes) 14,1 21,0 41,7 52,4 46,7

Pourcentage sur la valeur de l’ensemble des exportations (%) 52,38 43,13 79,48 54,77 33,16

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Figure VIII : Production et exportation de raisin sec, 1860-1911 35

28 La production française reprend grâce à l’introduction de plants californiens. Elle bénéficie à partir de 1892 de mesures protectionnistes. Une crise de surproduction typique et irrévocable éclate alors en Grèce. L’extension des cultures cesse, mais la crise se prolonge. Entre 1893 et 1911, malgré la réduction de 10 % des surfaces et de la production, 20 % des raisins restent invendus. 29 La crise du raisin de Corinthe touche surtout les couches supérieures du milieu rural. En appliquant la logique établie plus haut, nous avons calculé le revenu du « producteur type » de raisin sec — qui ne constitue qu’une partie du revenu du cultivateur direct.

Figure IX : Production et revenu d’un cultivateur de raisins secs, 1878 36

surface moyenne de terre cultivée 15 stremmas

production moyenne (550 litres/stremma) 8 250 litres

revenu (0,18 drachmes/litre à l’exportation) 1 485 drachmes

Coût du minimum vital en céréales pour une famille de cinq personnes 351 drachmes (0,35 drachmes/kg)

30 Contrairement aux cultures céréalières destinées à l’autoconsommation, nous avons ici affaire à une production destinée au marché. Il faut donc soustraire le bénéfice des commerçants. Nous ne possédons que de rares indices pour l’estimer. Dans l’hypothèse avancée par Alexis Franghiadis, il s’élève à 50 % du prix d’exportation lorsque le commerçant achète par avance la récolte. Il reste alors au cultivateur 740 drachmes, soit le double du prix des céréales nécessaires aux besoins annuels d’une famille de cinq personnes. Après la crise, la production ayant été réduite de 10 % et les invendus s’élevant à 20 %, le revenu restant au cultivateur baisse jusqu’à 520 drachmes. Il demeure ainsi une fois et demie supérieur aux besoins en céréales. Ainsi, même lorsque le producteur est obligé de vendre par avance sa récolte à des usuriers, cas extrême, le

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surplus revenant au foyer (50 %) reste le double de celui du cultivateur de céréales qui travaille sa propre terre (25 %, voir supra).

Figure X : Revenu du cultivateur de raisin sec et minimum vital (1891-1913) 37

31 En réalité, à partir de 1891 (début de la crise), le revenu du « cultivateur type » se situe entre la ligne A (dans l’hypothèse de l’absence de profit commercial ce qui fait pousser le revenu théorique vers le haut) et la ligne B (valable dans le cas de récoltes vendues par avance). Dans ce seul second cas, nous pouvons considérer que certaines années (1894‑1898, 1902‑1904, 1908‑1909) les revenus provenant du raisin sec ne suffisent pas à l’achat des céréales indispensables — si toutefois l’agriculteur se fournit entièrement sur le marché. La crise ne concerne directement que 5 à 8 % de la population — cultivateurs et commerçants de raisin sec. Elle touche cependant rapidement l’ensemble de l’économie sous forme de crise du change : le raisin de Corinthe constitue en effet le principal produit d’exportation. La valeur des exportations des années 1892‑1895 chute de 75 % par rapport à celle de 1891 et le prix de la livre sterling passe, pour la même période, de 32 à 45 drachmes 38.

Figure XI : Prix du raisin sec, 1885-1912 (en livres par milliers de litres) 39

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32 Pour les agriculteurs du nord du Péloponnèse, c’est une crise de l’espoir. Depuis 1865, toute une génération a été élevée dans l’idée qu’elle pourrait augmenter ses revenus en étendant ses cultures. Ceux qui plantent des vignes vers 1885 sont les premiers à affronter la réalité crue d’un marché qui ne peut continuer à s’élargir indéfiniment. 33 Pour résoudre la crise, l’État cherche à limiter l’offre afin de stabiliser les prix en baisse. Il impose une « rétention » de l’ordre de 15 % sur les quantités exportées, et fonde la Banque viticole, chargée de gérer les surplus et de les distribuer à prix favorables aux industries vinicoles locales 40. Les résultats de ces mesures sont dérisoires. Il faut attendre 20 ans pour qu’à la faveur d’une hausse générale des prix en Europe le raisin retrouve son cours de 1890.

Les agriculteurs, le raisin sec et le marché

34 Le paysage des régions productrices sort transformé de cet âge d’or du raisin sec. Outre le changement du régime de la propriété foncière, c’est l’établissement de liens entre l’exploitation agricole et le marché qui constitue le changement le plus important, entraînant la monétarisation de celui-ci. Dans des économies à haut degré d’autoconsommation, le surplus ne change de mains que sous forme d’impôt ou de rente foncière en nature. La monétarisation met en scène un nouveau personnage, le négociant, qui établit le contact entre le producteur direct et le marché extérieur. L’agriculteur vend sa production à prix « ouvert » à un négociant local qui marchande avec ses collègues à l’étranger et touche un pourcentage fixé à l’avance en guise de commission. Mais les cours varient sur l’année. Élevés lors de la mise sur le marché des premières grappes, ils s’affaissent ensuite pour ne remonter qu’après la vente de la grosse part de la production. L’usage du crédit entre négociants et les variations des taux de change autorisent les spéculations. Aux bénéfice « logiques et légaux » s’en ajoutent ainsi d’autres plus obscurs, et le négociant s’approprie une part du surplus supérieure à celle annoncée. La situation oligopolistique du négoce le favorise : en 1879, deux maisons de commerce contrôlent la moitié des exportations depuis Patras, le plus grand port exportateur de raisin sec en direction de la France 41.

35 Aux côtés de la nouvelle couche sociale des négociants apparaissent des familles riches dont les revenus proviennent de l’exploitation de la terre. Le mécanisme est simple. Elles financent les agriculteurs les plus pauvres, en général à un taux de 10-12 %, jusqu’au moment où les terres cultivées deviennent rentables. Puis elles partagent le vignoble avec eux. Il faut alors trouver des ouvriers pour cultiver les vignes conservées. Les immigrés des pays voisins (chrétiens de l’Empire ottoman, Italiens et Bulgares) viennent suppléer au manque de main d’œuvre locale. Mais la solution trouve vite ses limites : en 1880, le salaire ouvrier représente 26 kg de blé. Il suffit donc d’un mois de travail pour assurer le minimum vital annuel d’une famille de quatre personnes. Le tableau qui suit montre l’absence d’accumulation de capitaux dans ce secteur, le plus commercialisé de la production agricole. Le phénomène perdure jusqu’au moins 1880, empêchant la formation de grandes propriétés foncières.

Figure XII : Répartition de la terre dans la région de Aigion, 1864-1880 42

Année 1864 1880

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Foyers agricoles Étendue de la terre Foyers agricoles Étendue de la terre

10‑50 stremmas 75,69 % 40,74 % 76,69 % 42,31 %

50‑100 stremmas 11,12 % 14,82 % 18,69 % 35,46 %

>100 stremmas 13,19 % 44,46 % 4,62 % 22,23 %

36 Même après l’éclatement de la crise, la petite propriété maintient sa position : à partir de 1900, l’émigration transatlantique au départ des régions productrices de raisin sec ne dépasse pas la moyenne nationale 43.

Les chiftliks de Thessalie

37 En 1881, avec l’annexion de la Thessalie, la question de la grande propriété foncière se pose pour la première fois en Grèce. Cette région faiblement peuplée compte 270 000 habitants, soit 21 habitants par km2, contre 33 pour le reste du pays. Les pâturages occupent l’essentiel des terres. Depuis 1856 et les réformes du Hatti- Humayun reconnaissant le droit de propriété, de grandes propriétés foncières (les chiftliks) y ont été créés par vente des terres publiques de l’État ottoman. Après le traité de Saint-Stéphane (1878), leurs propriétaires musulmans, prévoyant l’annexion imminente, s’empressent de les vendre à des boursiers et banquiers de la diaspora grecque de Constantinople : Zappas, Zographos, Sygros etc. La perspective de l’annexion et la faible rentabilité des terres font baisser prix jusqu’à 10‑14 drachmes par stremma — contre 600 à 700 drachmes le stremma de vignes dans le Péloponnèse 44.

38 Rassemblés dans la plaine, les quelques 580 chiftliks couvrent 6 millions de stremmas, soit 2/3 des terres cultivées. Le tiers de la population y vit. Les domaines mesurent entre 3 000 et 50 000 stremmas, voire plus. La petite propriété domine en revanche dans les 270 chefs-lieux de montagne, aux caractéristiques comparables à celles des autres régions grecques 45. 39 Une moitié de la superficie du chiftlik est consacré à la culture des céréales, le reste est en pâturages. Le propriétaire cède une partie des terres au cultivateur (colligos) contre la moitié de la récolte si les semis ont été fournis. Pour éviter les frais de surveillance, ils préfèrent souvent ne pas les fournir et se contenter du tiers de la production. 11 000 familles de colligoi s’intègrent dans ce système économique, ainsi que 7 000 familles de parakentedes, aides-ouvriers agricoles permanents ou saisonniers travaillant pour le propriétaire foncier ou pour les plus aisés des colligoi. 40 Comme pour le producteur de céréales du Péloponnèse et le producteur de raisin sec, on peut établir le revenu-type du colligos. Nous nous appuyons ici sur les comptes de Georgios Zografos, grand négociant d’Odessa et boursier à Constantinople. Il a acquis 64 000 stremmas pour 540 000 drachmes. 400 familles de colligoi vivent sur ce domaine. Comme dans toute la Thessalie, la moitié des terres sont couverte de forêts, d’étangs et de pâturage. L’autre moitié est cultivée par les colligoi à raison de 80 stremmas par famille — 40 semés, autant en jachère 46.

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Figure XIII : Production et surplus d’un colligos de Thessalie, fin du XIXe siècle

production familiale annuelle (110 kg par stremma) 4 000 kg

conservés comme semence (hypothèse d’un rendement de 7/1, soit 15 kg par stremma) 600 kg

production brute 3 400 kg

minimum vital 900 kg

part du propriétaire foncier (1/3, semis non fournis) 1 333 kg

impôt (quantité maximale calculée) 100 kg

Surplus 1 067 kg

41 1 067 kilos restent donc à la disposition des familles, soit 26 % de la production brute. Pour comparer avec l’agriculteur péloponnésien, il faut compter que ce dernier, producteur direct, est accablé d’impôts; et que le système fiscal a été modifié dans les décennies précédentes 47. La différence entre le produit brut du colligos de Thessalie et celui du cultivateur du Péloponnèse s’élève alors à 60 % 48.

42 Selon nos sources, le propriétaire, autre pôle de l’économie du chiftlik, se limite au rôle de rentier. Il refuse de réinvestir une part de ses bénéfices dans la terre et participe ainsi à la persistance des conditions archaïques de l’agriculture en Thessalie. 43 Après l’annexion, des problèmes apparaissent entre les nouveaux propriétaires des chiftliks, financiers grecs de la diaspora dont l’État veut attirer les capitaux, et les colligoi qui représentent 5 % de l’ensemble de la population. Les premiers soutiennent qu’ils ont la pleine et entière propriété des terres qu’ils ont achetées. Ils tentent de forcer les agriculteurs à signer des contrats de location annuelle, qui autorisent le propriétaire à renvoyer le cultivateur en cas de non renouvellement. De leur côté, les colligoi réclament la distribution des terres dont ils ont, selon la législation ottomane, le droit perpétuel et héréditaire de possession. Cette clause exclut leur renvoi du chiftlik 49. Devant cette situation, l’État prend parti pour les propriétaires : « Imposer la distribution des terres aux cultivateurs, c’est chasser de Grèce les capitaux de la diaspora », déclare au parlement le premier ministre Charilaos Trikoupis. Grâce à la résistance des agriculteurs, l’expulsion massive de cultivateurs est évitée. Mais deux nouvelles mesures profitent aux propriétaires. L’impôt « sur les animaux de charrue » remplace la dîme sur les céréales. Beaucoup moins lourd, ce nouvel impôt ne pèse que sur les producteur, épargnant les propriétaires fonciers. Parallèlement, la suppression de la douane de Thessalie favorise le développement de l’élevage nomade dans la région. Les grands propriétaires tirent alors plus de profit de la location des terres comme pâturages. Les cultures de céréales diminuent ainsi entre 1885 et 1897, et la Thessalie ne devient finalement pas ce grenier à blé de la Grèce auquel beaucoup aspiraient. Le déficit de la balance des céréales décuple entre 1850 et 1910, passant de 15 000 à 150 000 tonnes, et les céréales importées couvrent désormais le tiers de la consommation nationale 50.

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44 En 1920 il ne reste que 470 chiftliks, contre 580 en 1880. Les cultivateurs, en vendant les surplus disponibles après prélèvement de la rente foncière, ont pu racheter les autres domaines.

L’émigration

45 Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la population grecque a augmenté de moitié. Après les Guerres balkaniques, l’annexion de nouveaux territoires et l’excédent naturel la font doubler, malgré l’émigration.

46 De nombreux témoignages et recensements confirment l’existence de courants migratoires vers les villes de l’Empire ottoman et d’Égypte 51. Selon certaines estimations, celles-ci voient leur population grecque s’accroître de 500 000 personnes au cours du XIXe siècle, contre 200 000 pour les centres urbains grecs — capitale comprise. Ainsi la présence hellène à Constantinople double au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, pour atteindre les 250 000 âmes — un habitant sur quatre ; même croissance à Smyrne, où les 120 000 grecs forment la moitié de la population. La communauté d’Alexandrie passe de 5 000 personnes en 1840 à 75 000 vers 1900. Athènes compte alors 170 000 habitants. Pour les candidats ruraux à l’émigration, l’étranger offre de meilleures perspectives professionnelles que les villes de Grèce. 47 Sur une génération, cet important mouvement migratoire concerne plus de 10 % de la population masculine rurale — un homme sur trois familles. Il ne cesse qu’avec les Guerres balkaniques. La plupart des migrants sont issus de régions où prédomine la petite propriété : Péloponnèse, îles Égées, parties montagneuses de Thessalie. Le départ à l’étranger d’un des membres de la famille rééquilibre en partie la croissance démographique, et en évitant le morcellement concourt au maintien des petites exploitations familiales. 48 Vers la fin du XIXe siècle, les États-Unis s’ajoutent à la Méditerranée orientale comme destination d’émigration. Entre 1900 et 1910, 25 000 personnes émigrent en moyenne chaque année, et le total atteint 400 000 en 1930. La précarité de la migration est une nouveauté qui caractérise ce mouvement massif. Ceux qui s’expatrient en ont conscience, et ne rompent pas leurs liens familiaux. La petite propriété, qui n’était pas fragilisée par l’excédent de population, profite de leurs envois d’argent périodiques.

Des changements dans la continuité

49 Mise à part la culture du raisin sec, dont nous avons longuement parlé, le plus important changement de l’agriculture grecque s’opère lentement, imperceptiblement. On peut le situer entre 1860 et 1910. L’agriculteur grec abandonne alors, avec plusieurs siècles de retard sur ses collègues européens, la jachère bisannuelle au profit de la jachère sur trois ans. Les jachères n’occupant plus qu’un tiers des terres, les deux tiers restants sont cultivés alternativement de blé et d’autres céréales — orge, maïs, avoine. Cette innovation n’a aucun coût pour le producteur, sinon l’abandon de coutumes héritées de ses ancêtres. Elle permet une croissance de la production sans extension des terres cultivées. C’est ainsi que l’accroissement de la population (80 %sur la période dans les limites territoriales de 1833) n’entraîne aucune crise de subsistance, ou du moins aucune véritable disette. Si 35 % des céréales consommées sont importées, les importations par tête en volume demeurent en 1910 au même niveau qu’en 1870 52.

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Figure XIV : Étendue et production des céréales dans les limites du territoire de 1833 53

Céréales : terres cultivées et production 1860 1911 Variation %

Terres cultivées en céréales (millions de stremmas) 2,80 4 42,86

Terres en jachère (millions de stremmas) 2,80 1,70 -39,29

Total terres (millions de stremmas) 5,60 5,70 1,79

Production (en tonnes) 266 000 378 000 42,11

Production/stremma cultivé (en kg) 95 94,5 -0,53

Production/stremma cultivé en céréales (en kg) 47,50 66,32 39,61

50 L’amélioration des réseaux de transport constitue le deuxième changement important. Le gouvernement Tripoukis entreprend dans les années 1880 de doter le pays d’un réseau routier structuré. Toujours insuffisant, il remplace les routes reliant des villes de province entre elles. Entre 1883 et 1892, 1 346 kilomètres de routes sont ouverts, contre 547 pour les deux décennies précédentes. Dans le même temps, les lignes de chemin de fer, qui se limitaient à la desserte de Patras (pour le raisin sec du Péloponèse) et de Volos (pour le blé de Thessalie), sont complétées : 700 kilomètres supplémentaires sont construits 54. L’utilité de ces travaux est incontestable. Le coût des transport diminue et les marchés locaux s’unifient progressivement. Cependant, malgré les efforts de modernisation, les résistances d’un monde rural toujours aussi attaché au village natal limitent leur efficacité. Les foires locales se multiplient, passant de 40 en 1840 à 85 en 1909 55.

51 Autre changement important, la dîme, versée jusqu’en 1863 en céréales, l’est désormais en liquide. Le paysan doit vendre lui-même une partie de sa production 56. Mais ce contact imposé avec le marché n’a pas d’effets spectaculaires. La part commercialisée reste assez modeste, plus encore lorsqu’après 1880 l’impôt sur la production est remplacé par l’impôt sur les animaux de trait. Dans l’ensemble, l’imposition qui pèse sur l’agriculteur baisse constamment : 10 drachmes en moyenne en 1870, 6,5 drachmes en 1910. Le pouvoir de celui qui perçoit les impôts en sort affaibli. Il régresse dans la hiérarchie sociale du monde rural 57. 52 * * *

53 Ainsi, l’économie rurale grecque se présente sous trois aspects différents, que nous avons présenté ici sous forme de trois portraits-types de paysans. Bien sûr, ceux-ci étaient en réalité plus complexes que nous les avons décrits. Les paysans cultivaient parallèlement le blé, la vigne et l’olivier ; ils disposaient d’un certain nombre de têtes de bétail. Les surplus de leur exploitation étaient, eux aussi, variables. Il ne s’agit pas d’insister sur le niveau précis de ces surplus, mais plutôt sur la logique régissant les unités productives représentées ici par ces trois groupes de cultivateurs. 54 Le petit propriétaire du Péloponnèse ou de la Grèce continentale ne produit pas pour le marché. Il ne cherche donc pas à augmenter sa production, au contraire : il aspire à

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l’autarcie, à couvrir ses propres besoins adaptés à l’environnement social dans lequel il vit son quotidien. Il n’est pas désintéressé par le marché, mais n’a pas la possibilité d’agir en producteur de marchandises. Le député Calligas l’avait d’ailleurs bien noté en 1882 : « [L]e transport du blé de l’Akarnanie au port représente un coût tel que le blé importé de Russie s’avère moins cher. C’est la raison pour laquelle l’agriculteur n’a aucun intérêt à semer des quantités supérieures à celles qui couvrent ses propres besoins en céréales ». 55 Contrairement aux céréales, le raisin sec, produit de luxe, peut supporter le coût supplémentaire du transport, y compris vers l’étranger. Son producteur est donc bien intégré dans la logique du marché. Mais l’augmentation de la production connaît dans ce cas ses limites : la superficie de la terre cultivable par unité familiale et le rendement du produit par stremma. Des salaires agricoles élevés défavorisent l’extension de la culture en réduisant les profits. 56 Le paysan de Thessalie produit lui aussi pour le marché, mais pour des raisons différentes : intégré dans le mécanisme de l’économie du chiftlik, économie de marché par définition commercialisée, il doit produire des quantités supérieures au minimum vital afin d’éviter son éventuelle expulsion. Mais cette procédure de commercialisation forcée entraîne des inégalités parmi les paysans. Elle conduit à la formation d’une couche supérieure des colligoi dont les membres exploitent des surfaces excédant les possibilités de travail d’une simple famille agricole, comme le confirme la présence des parakentades. Aisés ou pauvres, les colligoi aspirent à la propriété de la terre qu’ils cutlivent. Ils sont en même temps les premiers à encadrer le mouvement agraire de Thessalie. Ils y participent activement, en organisant des rassemblements, en publiant des brochures et des journaux, en se faisant représenter au parlement par des députés avocats militants de la question agraire. La réaction des propriétaires fonciers, voire le meurtre du leader des militants agraires M. Antypas, créent des tensions qui mènent en 1910 à la première intervention sanglante de l’armée contre les agriculteurs révoltés, dans le village de Kiléler.

NOTES

1. Eric John HOBSBAWN, Age of extrems. The short twentieth century, 1914‑1991, Londres, Éditions Michael Joseph, 1994. 2. Eleni BELIA, «Statistika tou ellinikou Kratous kata to 1830» [« Éléments statistiques sur l’État grec en 1830 »], dans Mnimosyni, volume 7, 1978-1979, pp. 291-319. 1 stremma = 0,1 hectare. 3. Vassilis PANAYOTOPOULOS, Plithismos kai oikismoi tis Peloponnisou, XIIIe‑XVIIIe aionas [Populations et hameaux du Péloponnèse, XIIIe‑XVIIIe siècles], Athènes, Archive historique/Banque commerciale de Grèce, 1985, pp. 213‑214 : « L’unification institutionnelle et économique du pays a créé de nouvelles perspectives : elle a entraîné l’amélioration des conditions dans lesquelles était pratiquée l’exploitation de la terre et a favorisé le développement de l’agriculture ainsi que la restructuration de l’ensemble

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du réseau urbain à l’échelle nationale […]. C’est ainsi que s’est formée une vague d’émigration vers les plaines fertiles du Péloponnèse… ». 4. Citons à titre indicatif : Halil INALLCIK, The Ottoman Empire. The Classical Age 1300‑1600, Londres, Weidenfeld and Nicolson, 1973, XII-257 p. ; Robert MANTRAN [dir.], Histoire de l’empire ottoman, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1989, 810 p. ; Sencer DIVITCIOGLU, « Modèle économique de la société ottomane (les XIVe et XVe siècles) », dans La Pensée, n° 144, 1969 ; Bistra CVETKOVA, « L’évolution du régime féodal turc de la fin du XVIe au milieu du XVIIIe siècle », dans Études Historiques, n° 1, Sofia, 1960 ; Bruce McGOWAN, Economic Life in Ottoman Europe : Taxation, Trade and the Struggle for Land, 1600‑1800, Cambridge/Melbourne/Paris, Cambridge University Press/Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 1981, 226 p. 5. Andreas ANDREADES, Istoria ton ethnikon daneion. Proto meros : ta daneia tis anexartisias (1824‑1825) [Histoire des emprunts nationaux. Première partie : Les emprunts de l’indépendance (1824‑1825)], Athènes, Éditions Karavias, 1986 (1 ère édition 1904). 6. William W. McGREW Land and Revolution in Modern Greece, 1800‑188 : the Transition in the Tenure and Exploitation of Land from Ottoman Rule to Independence, The Kent State University Press 1985, 339 p. ; Theodoros SAKELAROPOULOS, Thesmikos metaschimatismos kai oikonomiki anaptixi : kratos kai oikonomia stin Ellada 1830‑1922 [Transformation institutionnelle et développement économique : État et économie en Grèce 1830‑1922], Athènes, Éditions Exantas, 1991 ; Dimitris PSYCHOYOS, To zitima ton ethinon gaion [La question des terres nationales], Athènes, Banque agraire de Grèce, 1994. 7. Chrissos EVELPIDES, Oikonomiki kai koinoniki istoria tis Ellados [Histoire économique et sociale de la Grèce], Athènes, 1950. 8. Ce fut aussi le cas avant la révolution : voir à ce propos Spyros ASDRACHAS, « Eisagogi : provlimata oikonomikis istorias tis tourkokratias » [« Introduction : problèmes d’histoire économique de la domination ottomane »], dans I oikonomiki domi ton balkanikon xoron (XVe‑XIXe aionas) [La structure économique des pays balkaniques (XVe‑XIXe siècles)], Athènes, Éditions Melissa, 1979. 9. Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai pliroforiai peri Ellados [Renseignements politographiques sur la Grèce], Athènes, Imprimerie nationale, 1867, p. 52. 10. Idem. 11. Frédéric THIERSCH, De l’état actuel de la Grèce et des moyens d’arriver à sa restauration, Leipzig, Éditions F.‑A. Brockhaus, 1833 ; traduction grecque I ellada tou Kapodistria, Athènes, Tolidis, 1972, tome 1, pp. 293‑294. 12. Source : Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai…, ouv. cité, p. 60. 13. Nous définissons le surplus comme la différence entre les valeurs produites par une exploitation agricole et les valeurs indispensables à sa reproduction. Les besoins du foyer se limitent au minimum vital, aux graines indispensables à l’obtention de la même production l’année suivante, à l’imposition et à la somme versée, s’il y a lieu, au propriétaire de la terre. 14. Se référant à l’année 1861, Alexandros Mansolas propose une taille moyenne générale des familles, sans pour autant faire la distinction entre population rurale et population urbaine ; selon ses calculs, cette famille moyenne était constituée de 4,86 personnes ; Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai…, ouv. cité, p. 13. 15. Ces données sont valables à condition d’admettre un rendement de l’ordre de 6/1.

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Rendement 5/1Rendement 6/1Rendement 7/1production annuelle1 666 kg2 0002 333minimum vital 900 kg900900semences333333333dîme166200233surplus 1 (cultivateur propriétaire)267567867Impôt d’usufruit250300350surplus 2 (cultivateur de terres d’État)17267517Étant donné que chaque stremma nécessite 16,66 kg de semis, une exploitation d’une superficie totale de 40 stremmas arriverait tout juste à couvrir le minimum vital du foyer (après versement de la dîme et de l’impôt d’usufruit) si le rendement baissait à 5/1, alors que dans le cas de terres plus fertiles (rendement 7/1), le surplus restant serait le double. 16. Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai…, ouv. cité, p. 51‑52 ; voir aussi la note précédente. 17. Giorgos MITROFANIS, H kinisi ton timon tou stariou stin Ellada. Exoteriko emporio kai kratiki paremvasi (1860‑1912) [Le mouvement des prix du blé en Grèce. Commerce extérieur et intervention de l’État (1860‑1912)], Athènes, Fondation culturelle de la banque nationale de Grèce, 1991, pp. 96‑97. 18. François GOS, L’agriculture en Thessalie, petite étude d’économie rurale et d’agriculture comparée, Paris, Éditions G. Masson, 1884, 109 p. 19. Le tséligato, coopérative d’éleveurs, est dirigé par un berger à qui l’on cède des troupeaux qu’il emploie en guise de capital à ses affaires personnelles. Selon Konstantinos Karavidas, ce système favorise tout particulièrement les petits éleveurs qui ont « du mal à louer du pâturage et à vendre leurs produits par leur propres moyens » ; voir Konstantinos KARAVIDAS, Agrotika. Meleti sigritiki [Questions rurales. Étude comparative], Athènes, Imprimerie nationale, 1931, p. 37. 20. Louis Auguste Félix de BEAUJOUR, Tableau du commerce de la Grèce formé d’après une année moyenne, depuis 1789 jusqu’en 1797, Paris, A. Renouard imprimeur, 1800, 2 volumes, 338 p. et 333 p. 21. Voir Giannis S. KOLIOPOULOS, Lestes : he Kentrike Hellada sta mesa tou 19ou aiona [Brigands. La Grèce centrale au milieu du XIXe siècle], Athènes, Éditions Hermes, 1979. Plusieurs facteurs entraînent selon lui la persistance du brigandage tout au long du XIXe siècle : la non-possession de terres d’une grande partie de la population ; les conflits entre éleveurs nomades et paysans, qui obligent les premiers à recourir à la protection et la défense de leurs intérêts par des bandes puissantes ; et la formation de la terre des frontières grecques ; idem, p. 16. 22. Theodoros SAKELLAROPOULOS, Oi kriseis stin Ellada, 1830‑1857 : oikonomikes, koinonikes, kai politikes opseis [Les crises en Grèce, 1830‑1857], Athènes, Éditions Kritiki, 1994, tome 2, pp. 83‑94. 23. Kaiti APONI-TSICHLI, Agrotikes exegerseis stin Papaia Ellada : 1833‑1881 [Révoltes paysannes dans la Grèce : 1833‑1881], Athènes, Éditions Papazisis, 1989, pp. 284‑312. 24. 1 kile de Constantinople = 28 kg, selon Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai…, ouv. cité, p. 62. 25. Clon STEPHANOS, La Grèce au point de vue naturel, ethnologique, anthropologique, démographique et médical, Paris, Éditions G. Masson, 1884. 26. Anna MATTHAIOU, Aspects de l’alimentation en Grèce sous la domination ottomane : des réglementations aux discours normatifs, Francfort/Berlin/Paris, Éditions P. Lang, 1997, 390 p. 27. Taux en ‰. Graphique fondé sur les estimations de Vassilios VALAORAS, « A Reconstruction of the Demographic History of modern Greece », dans The Milbank Memorial Fund Quartely, tome 38, volume 2, 1960.

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28. Giorgios B. DERTILIS, Atelesphoroi e telesphoroi ? Phoroi kai exousia sto neoelleniko kratos [Efficaces ou inefficaces ? Impôts et pouvoir dans la Grèce Moderne], Athènes, Éditions Alexandreia, 1993. 29. En voici un exemple : en 1841, « Monarchidès, l’un des envoyés spéciaux chargés de l’inspection de l’administration locale, a reporté à Mavrocordatos […] les protestations pleines de désespoir des paysans contre les locataires d’impôts avides […]. Les juges des tribunaux administratifs se faisaient graisser la patte et se prononçaient en échange contre les paysans importunés… » ; John Anthony PETROPULOS, Politics and Statecraft in the Kingdom of Greece 1833‑1843, Princeton, Princeton University Press, 1968, 646 p., (traduction grecque, p. 519). 30. Nous ne connaissons pas d’étude se fondant sur des données quantitatives et visant à mettre en avant le taux de bénéfice du capital investi dans le domaine des finances publiques. Frédéric THIERSCH, De l’état actuel de la Grèce…, ouv. cité, évoque un bénéfice moyen égal à 40 %, variant entre 20 % les années de mauvaise récolte et 60 % les années prospères. 31. Konstantinos TSOUKALAS, Koinoniki anaptixi kai kratos : i sinkrotisi tou dimosiou chorou stin Ellada [Développement social et État. La formation du domaine public en Grèce], Athènes, Éditions Themelio, 1981, p. 86. 32. Ces chiffres sont obtenus en comparant les données concernant le blé d’Alexandros MANSOLAS, Politeiografikai…, ouv. cité, p. 58, portant sur l’ensemble du territoire (maximale 6,87 et minimale 5,33 drachmes/kile turc = 22,8 kilos) ; et celles concernant le raisin sec de Petros PIZANIAS, Oikonomiki historia tis Hellinikis stafidas, 1851‑1912 [Histoire économique du raisin sec grec, 1851‑1912], Athènes, Idryma Ereunas kai Paideias tis Emporikis Trapezas, 1988, p. 31. 33. Aristote D. SIDERIS, I georgiki politiki tis Ellados (1833‑1933) [La politique agricole de la Grèce (1833‑1933)], Athènes, 1933. 34. Source : Petros PIZANIAS, Oikonomiki historia…, ouv. cité, p. 31 et p. 134. 35. Les prix du raisin sec sont tirés de Petros PIZANIAS, Oikonomiki historia…, ouv. cité. À propos du blé, voir Giorgos MITROFANIS, H kinisi ton timon tou stariou…, ouv. cité, p. 124. 36. D’après les calculs d’Alexis FRANGHIADIS, Peasant agriculture and Export Trade : Currant Viticulture in Southern Greece, 1830‑1893, thèse de doctorat, Institut universitaire européen, Florence, 1990, pp. 34‑35. 37. Pour les prix du raisin, voir Petros PIZANIAS, Oikonomiki historia…, ouv. cité ; pour ceux du blé, voir Giorgos MITROFANIS, H kinisi ton timon tou stariou…, ouv. cité, p. 124.. 38. Pour la valeur des exportations, voir Ministère de l’Économie, Bulletin statistique, Le commerce entre la Grèce et les États étrangers 1887‑1912, Athènes ; pour le taux de change, voir Michalis RIGINOS, Le mouvement du change et des monnaies dans les marchés grecs 1856‑1912, Athènes, Fondation culturelle de la Banque nationale de Grèce, 1997. 39. Petros PIZANIAS, Oikonomiki historia…, ouv. cité. 40. Kaiti ARONI-TSICHLI, To stafidiko zitima kai oi koinonikoi agones [La question du raisin sec et les luttes sociales : Péloponnèse, 1893‑1905], Athènes, Éditions Papazisis, 1999. 41. Thanasis KALAFATIS, Agrotiki pisti kai oikonomikos metasximatismos sti B. Peloponniso [Crédit agricole et transformation économique dans le Péloponnèse du Nord], Athènes, Fondation culturelle de la Banque nationale de la Grèce, 1990‑1992, 3 tomes. 42. Source : Thanasis KALAFATIS, Agrotiki pist…, ouv. cité, tome B, p. 78.

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43. Alexander KITROEF, « Émigration transatlantique », dans Christos HATZIIOSSIF [dir.], Elliniki istoria tou 20ou aiona [Histoire de la Grèce du XXe siècle], Athènes, Éditions Bibliorama, 1999, tome A1. 44. Demetrios K. TSOPOTOS, Gi kai georgoi tis Thessalias kata tin turkokratian [Terre et agriculteurs de Thessalie durant la domination ottomane], Athènes, Éditions Epikairotita, 1983 ; G. PACHYS, To en Ipeiro agrotikon zitima [La question rurale en Épire], Athènes, 1982 ; Kostas VERGOPOULOS, To agrotiko zitima stin Ellada. I koinoniki ensomatosi tis georgias [La question rurale en Grèce. L’assimilation sociale de l’agriculture], Athènes, Éditions Exantas, 1975, pp. 116‑162. 45. Recensement agricole de l’année 1911. Tome 1 : Thessalie et Arta, Athènes, 1914. 46. Kostas MOSKOF, I ethniki kai koinoniki sinidisi stin Ellada [La conscience nationale et sociale en Grèce, 1830‑1909], Athènes, Éditions Kastaniotis, 1988 (1ère édition Salonique, 1972). 47. Voir infra. 48. Ces données sont largement inférieures à celles proposées par Vangelis Prontzas. Nous avançons que l’exploitation agricole moyenne de Thessalie s’étend sur 80 stremmas et que chaque stremma nécessitait 15 kg de semis. Selon lui, il faut 29 kg de blé par stremma, et la surface moyenne cédée à chaque unité cultivatrice est de l’ordre de 550 stremmas. D’après ses chiffres, un rendement de 5/1 correspondrait à une production familiale de 29 tonnes. Voir Vangelis PRONTZAS, Oikonomia kai gaioktissia sti Thessalia (1881‑1912) [Économie et propriété foncière en Thessalie (1881‑1912)], Athènes, Fondation culturelle de la banque nationale de Grèce,1992, pp. 241 et 243 ; et Recensement agricole de l’année 1911…, p. XIII. 49. À propos des arguments des paysans, voir G. PACHYS, To en Ipeiro agrotikon zitima…, ouv. cité ; à propos de ceux des propriétaires fonciers, voir Konstantinos KARAPANOS, H Dimokopia agonizomeni na dimiourgisi agrotikon zitima en Eipiro kai Thessalia [La Démagogie dans la lutte de création de la question rurale en Épire et en Thessalie], Athènes, 1882. 50. Giorgos MITROFANIS, H kinisi ton timon tou stariou…, ouv. cité, p. 115‑116. 51. Konstantinos TSOUKALAS, Dépendance et reproduction. Le rôle social des appareils scolaires en Grèce, thèse sous la direction de Nicolas Svdronos, Université Paris 1 Panthéon‑Sorbonne, 1975 ; à propos des communautés grecques d’Asie Mineure, voir Sia ANAGNOSTOPOULOU, Mikra Asia, 19os ai.-1919 : hoi hellenorthodoxes koinotetes : apo to Millet ton Romion sto helleniko ethnos [Asie Mineure, XIXe siècle-1919 : les communautés grecques orthodoxes], Athènes, Éditions Hellenika grammata, 1997 ; et Alexander KITROEFF, « Émigration transatlantique », art. cité. 52. Giorgos MITROFANIS, H kinisi ton timon tou stariou…, ouv. cité. 53. Source : idem, p. 116. À propos des terres en jachère en 1911, voir Kostas KOSTIS, Agritiki oikonomia kai Georgiki Trapeza : ta tekmiria [Économie rurale et banque agraire. Les documents], Athènes, Fondation culturelle de la Banque nationale de la Grèce, 1990, tableau 27. 54. Maria SYNARELLI, Dromoi kai limania stin ellada, 1830‑1880 [Routes et ports en Grèce, 1830‑1880], Athènes, Fondation technologique et culturelle/ETBA, 1989 ; Lefteris PAPAYANNAKIS, Oi ellinikoi sidirodromoi (1882‑1910) [Les chemins de fer grecs (1882‑1910)], Athènes, Fondation culturelle de la banque nationale de Grèce, 1990. 55. Euagelia VOUTSOPOULOU, « Ville et foire », dans I neoelliniki poli. Othomanikes klironomies kai elliniko kratos [La ville grecque moderne : héritages ottomans et État grec], Athènes, Éditions Mnimon, 1985, tome B, p. 439.

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56. Aristote D. SIDERIS, I georgiki politiki…, ouv. cité. 57. Giorgios B. DERTILIS, Atelesphoroi e telesphoroi ?…, ouv. cité.

RÉSUMÉS

Après la Guerre d'indépendance grecque, la quasi-totalité des terres occupées jusqu'alors par des musulmans est passée entre les mains du jeune État, qui décide de leur transformation en « terres publiques ». C'est précisément sur ces terres, accessibles à tout preneur prêt à verser 15 % de son produit à la caisse publique, que les paysans produisaient leur blé, vin ou huile, produits formant une trilogie typiquement méditerranéenne. Cette société paysanne quasiment égalitaire et autosuffisante fut bouleversée à partir de 1870, en raison de la crise du phylloxéra en France, qui a entraîné une forte extension de la culture du raisin sec. Les portes du marché international, ainsi que de ses turbulences, s'étaient ouvertes aux produits agricoles grecs. Dix ans plus tard, l'annexion par l'État grec de la Thessalie, une région où prédominait la grande propriété, est venue renforcer le problème des paysans sans terre, d'où la formation du premier mouvement agricole dans le nord du pays. Dans cet article, nous souhaitons saisir l'ampleur de ces changements ainsi que les réactions des groupes politiques dominants.

The rural world in Greece, 1830-1912 The aim of this paper is to investigate the transformations undergone by the Greek peasant society in the 19th century and how the Greek political powers and governments of the period reacted. After the Greek War of Independence, most of the land formerly occupied by the Muslims was in the hands of the young Greek state. It decided to transform them into "public lands". This produced opportunities for land redistribution (the "lands" were offered by the state to peasants with a rent of 15% of the crop), thus influencing the conditions of ownership and production in the Greek peasantry, and leading to the prevalence of the category of small producers with respect to the three typically Mediterranean products: wheat, wine and olive oil. The balance that was created in this almost egalitarian and self-sufficient peasant society was overturned during the 1870s as a result of the phylloxera crisis in France, which resulted into a large extension of the lands for currant cultivation. In this manner, Greek agricultural production became interrelated with the international market and its fluctuations. Ten years later, the annexation by Greece of the region of Thessaly in which the private ownership of large parts of land prevailed, had altered the dominant pattern of ownership. In particular, it raised the problem of peasants with no property, provoking the formation of the first peasant movement in the north of the country.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle Index géographique : Grèce

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« Pays » et nom de pays. L'invention de la Bresse louhannaise (XIXe- XXe siècles)

Annie Bleton-Ruget

1 L'officialisation des « pays », promus et reconnus comme des territoires légitimes par les lois d'aménagement et de développement du territoire de 1995 et de 1999, remet à l'ordre du jour un terme qui ne présente pas les signes de la nouveauté et dont la charge de sens est lourde 1. Les textes législatifs, qui identifient — à travers un niveau de découpage spatial suggéré plutôt qu'imposé — des espaces ruraux à revitaliser, font explicitement référence, pour justifier la mise en œuvre de ce nouveau découpage, à des facteurs d’homogénéité (géographie, histoire, espace économique, ou encore culture rurale locale et caractéristiques spécifiques du paysage et du patrimoine 2) susceptibles d'en fonder la pertinence. Les commentaires qui ont accompagné la première expérimentation de la politique des pays, au lendemain de la publication de la loi du 4 février 1995, ont laissé transparaître dans le discours des initiateurs de l'opération l'image de territoires préconstitués, à retrouver dans la continuité de leur existence naturalisée 3.

2 Cette naturalisation des « pays », au sens que lui donne Marcel Roncayolo 4, n'est pas, elle non plus, une donnée nouvelle. Les premières réflexions engagées au début du siècle sur de nouveaux découpages du territoire national, dans la perspective d’un projet global d’aménagement auquel l'école de géographie française a largement prêté son concours, ont débouché sur des résultats de même nature 5. Si l'on peut comprendre qu'une telle opération soit demeurée largement opaque aux contemporains compte tenu de l’environnement social et idéologique dans lequel elle avait pris place, il n'en va plus de même aujourd'hui. Les vingt années qui viennent de s'écouler ont vu les sciences sociales travailler en profondeur sur les rapports des groupes sociaux à la « localité » et les processus de construction des territoires d'appartenance, ainsi que sur la nécessité d'une relecture de l'histoire d'un territoire national dont la représentation est restée longtemps exclusivement globalisante. L'outillage conceptuel et méthodologique susceptible de rendre intelligible les

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opérations à l'œuvre dans l'invention des « pays » est aujourd'hui disponible. Appliqués à des pays « historiques », ces outils permettent de les réinscrire dans les rythmes spécifiques de la vie sociale et politique des moments qui les ont vus se mettre en place, et ainsi d’espérer les arracher à l'éternité d'une origine supposée. C'est la proposition que nous faisons ici.

Territoires et sciences sociales

3 Pour comprendre l'opération de naturalisation des « pays », et les risques toujours renaissants d'une telle dérive, le rappel de la conjoncture historique dans laquelle ces processus sociaux et scientifiques de lecture des espaces ruraux trouvent leur place est nécessaire.

Les « pays » de Foncin et de Vidal de la Blache

4 C'est au tournant du siècle que les « pays » font leur apparition à la fois dans des projets de réforme administrative et dans la littérature scientifique issue de l'école vidaliennne. Pierre Foncin publie, en 1898, Les pays de France. Projet de fédéralisme administratif et Paul Vidal de la Blache ouvre, en 1903, L'Histoire de France de Lavisse par un Tableau de la géographie de la France qui est une « peinture de la France des pays » 6, avant de revenir l'année suivante sur la question des « pays » dans un article publié dans la Réforme sociale, l'organe des Leplaysiens.

5 Le terme trouve sa place dans des préoccupations qui sont celles d'une première entreprise globale d'aménagement du territoire et dans un travail de réflexion sur les niveaux spatiaux les plus appropriés à ce remodelage, dans un temps où les changements économiques invitaient à penser de nouveaux découpages territoriaux associés à des fonctionnalités propres. Dans ce dispositif, si la région est pensée comme un cadre adapté à la modernité 7, les pays sont destinés à qualifier une ruralité qu'il importe d'identifier et de valoriser. 6 Placés en position d'experts 8, les géographes inaugurent l'usage du terme, à un moment où ils sont aussi à la recherche d'une légitimité universitaire 9 et d'une pédagogie adaptée aux exigences d'un enseignement civique. Dans le concert des sciences humaines naissantes, ils participent, en privilégiant l'appartenance territoriale plutôt que l'identification à la catégorie professionnelle, à la mise en œuvre d'une morphologie sociale concurrente de celle que propose la sociologie durkheimienne. Face au projet réformateur de cette dernière, projet accordé aux réalités nouvelles de la division du travail et de l'anomie des sociétés industrielles, la géographie vidalienne des pays offre le pendant ruraliste et conservatoire d'une France des « genres de vie ». 7 À la recherche de fondements légitimes sur lesquels appuyer l'existence des pays, les géographes convoquent tour à tour l'ancienneté de leur existence 10, les liens qu'ils tissent entre les hommes et leur milieu 11, les représentations vernaculaires dont ils sont porteurs 12. C'est peut-être cette accumulation de sens qui a contribué, à terme, à en faire des entités naturelles inscrites dans l'éternité d'une origine immémoriale. Le projet politique de décentralisation qui anime Pierre Foncin, comme la nécessité, pour les vidaliens, de trouver de nouveaux cadres de collecte et de découpage en rupture avec la vieille géographie historique, scellent le sort des pays. À la fois constats et

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modèles, ils se trouvent renvoyés à une existence préconstituée, en dépit des tentatives faites par Lucien Gallois pour approcher la question des sentiments d'appartenance dans une démarche qui inaugurait une véritable « ethnoscience » 13. 8 Passé le tournant du siècle, après avoir fait l'objet d'une intense sollicitation, les pays sont abandonnés comme niveau pertinent de lecture de l'espace national et laissés à la banalisation d'un usage flou. La revendication localiste qui émerge au même moment, portée par un mouvement social organisé 14, s'exprime en faveur d'un cadre régional. Cette revendication renvoie à d'autres univers sociaux que ceux qui avaient été furtivement entrevus, à travers les pays, par des géographes que leur perception de la ruralité rendait peu perméables à son identification, sinon dans la forme d'un modèle à valoriser et à entretenir 15.

Les sociétés locales et leurs territoires

9 Il aura fallu le retournement de conjoncture des années 1970-1980, peut-être aussi l'éloignement historique d'un temps où le régionalisme évoquait les compromissions avec le régime de Vichy, qui en avait fait un des éléments constitutifs de l'idéologie de la Révolution nationale 16, pour pouvoir travailler sur l'épaisseur sociale d'un « local » qui ne soit pas qu'une tranche d'une réalité nationale plus facile à appréhender à petite échelle 17.

10 Au tournant des années 1970 et 1980, les sociologues rencontrent le « local », comme en témoignent les nombreux travaux qui lui sont consacrés à cette époque 18. C'est notamment le cas des chercheurs mobilisés par le programme de l'Observatoire du changement social et culturel 19. La lecture des groupes sociaux qui les anime, et qui s'inscrit en marge de la conception classique des classes sociales et de la place du local dans le procès capitaliste, les conduit à la rencontre d’un « changement complexe » 20. Face au ralentissement de la croissance, à la montée du chômage et à la réduction de la mobilité géographique qui accompagne les reconversions sociales, la localité se trouve investie de valeurs positives par des acteurs sociaux le plus souvent issus des nouvelles classes moyennes salariées, comme les enseignants et les « militants moraux », ou encore les salariés du secteur tertiaire 21. Cette rencontre du local et de nouvelles couches sociales susceptibles de s'y investir, auxquelles les sociologues étaient liés par leur propre position sociale, offrait la possibilité d’une perception dynamique de la localité, en rupture avec celle jusque-là dominante d'un local ancien, voire archaïque 22. 11 Pratiquement à la même époque, les spécialistes de la sociologie des organisations, qui avaient d'abord relu ce local ancien comme un frein à la rationalisation préconisée par les premières mesures de décentralisation des années 1960-1970, mettent au jour la complexité du « pouvoir local » 23. Derrière son fonctionnement propre, fait de négociations, d'interdépendance entre les élites politico-administratives locales et nationales, et d'assouplissement des règles nationales, c'est le mythe de la centralisation administrative qui s'affaiblit, ainsi que le discours normatif du droit en matière de fonctionnement des rapports centre-périphérie 24. Quelques années plus tard, la décentralisation, qui a redistribué le pouvoir de décision à des autorités élues et au champ de compétences élargi, contribue à modifier l'équilibre de ces rapports et favorise l'étude d’un « pouvoir local » 25 resté jusque-là le parent pauvre de la science politique française 26.

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12 Dans ce concert de relocalisation, une réflexion plus théorique sur « l'objet local » 27 apporte une légitimité nouvelle à un objet largement dévalorisé, en introduisant l'idée de la nécessaire prise en compte de la complexité des niveaux d'échelles pour comprendre les sociétés. Cette réflexion ouvre aussi sur la perspective d'autres modes de découpage et de lecture des sociétés, en rappelant que le modèle du classement socioprofessionnel, jusque-là largement en vigueur, était un classement récent, produit des sociétés contemporaines salariées 28. Le repérage de modes de découpage localisés invite aussi à en examiner les conditions de production et les usages 29. Élaborées par des sociologues à la recherche d'outils de compréhension des sociétés de leur temps, ces grilles d'analyse aident à penser le local « ancien, silencieux et souterrain » 30, autrement que comme une forme archaïque et résiduelle, dès lors qu'il a eu, en son temps, sa propre actualité. 13 Partis des mêmes constats de l'importance des acteurs dans la production du « local », ce sont les géographes praticiens de la géographie sociale 31, ou théoriciens de la dimension spatiale du social 32, qui donnent aux bornes floues du « local » la rigidité des limites du territoire 33. La notion s'introduit dans le vocabulaire de la géographie dans les années 1980, avec de grandes variations de sens 34, pour connaître une fortune qui ne s'est plus démentie depuis, probablement du fait de son glissement des usages scientifiques aux usages sociaux. Reprise par la sociologie du politique, elle a aidé à mettre à jour les investissements sociaux qui pouvaient accompagner l'appropriation, la délimitation, la dénomination d'un espace d'appartenance, avant de devenir un terme opératoire pour penser les processus de sémantisation qui s'attachent aux activités et aux productions politiques 35. En faisant appel à des processus cognitifs, la référence territoriale mobilisée par les acteurs sociaux met en jeu des représentations diversement construites dans lesquelles les groupes porteurs sont censés se reconnaître. La prise en compte de cette dimension culturelle pour comprendre les processus de construction de territoires a ouvert la voie à l'analyse de la dimension historique de leur mise en œuvre. Dans le même temps, le souci d'inscrire l'étude des groupes sociaux localisés dans des niveaux d'échelle différents a offert l'opportunité de retravailler à la compréhension des processus d'articulation entre les niveaux de territorialité et de repenser historiquement le rapport local/national.

L'inscription des territoires locaux dans le territoire national : la part des historiens

14 C'est aux historiens, qui n'ont jamais tout à fait abandonné leur rôle de « dire la nation », que revient, dans cette même conjoncture, la tâche de relire dans le passé national les formes et les étapes de la construction de niveaux de spatialité longtemps considérés — du moins dans la représentation officielle — comme appartenant à un tout homogène. Au cours des années quatre-vingt, l'étude des processus de construction d’identités territoriales particulières commence au niveau infra-national de la région. Le contexte, déjà évoqué, qui est celui de la relocalisation des sociétés, est aussi celui de la revendication d'autres modes et niveaux d'exercice du pouvoir. Le rejet de l'autorité de l'État central ne s’y limite pas toujours à des programmes de réforme administrative et se manifeste parfois dans le refus d'une régionalisation pensée comme une simple adaptation des cadres territoriaux de l'État. Dans les régions à

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identité culturelle forte, le régionalisme autonomiste s'exprime à travers l'exhibition de territoires d'appartenance à une histoire souvent singulièrement reconstruite.

15 Nous devons à cette époque une relecture du régionalisme historique qui est un instrument de connaissance des modalités complexes de structuration du territoire national, dès lors qu'est abandonnée la lecture juridique de l'homogénéité territoriale nationale 36. L'attention portée par les historiens aux contenus des représentations régionalistes, et l'inscription de celles-ci dans des processus sociaux et dans des temps historiques, a contribué à mettre au clair les stratégies qui ont entouré la production du discours régionaliste et les modes d'accrochage du local au national qui y présidaient. Elle a aussi été un salutaire exercice de méthode pour échapper à la version essentialiste du régionalisme politique et militant 37. 16 Cette amorce, vue d'en bas, de déconstruction du territoire national, qui offre les outils de lecture des matériaux culturels et des investissements sociaux à partir desquels celui-ci avait pu être construit dans sa phase républicaine, se trouve légitimée dans les années 1980‑1990 par le retour d’une histoire nationale inspirée par l’effet des changements ayant affecté la « nation France » 38. À la relocalisation des sociétés des années 1970‑1980 succèdent, dans les années 1980‑1990, les interrogations sur la place et le devenir d'une ex-grande puissance étatique et impériale devenue une puissance de taille moyenne intégrée dans un espace européen 39. Alors que « la désagrégation du modèle national hérité du XIXe siècle bouleverse les perceptions de la France comme territoire » 40, le moment est venu de l'analyse historique de la construction de l'espace français, parfois aussi de sa patrimonialisation 41. Nous en avons tiré une connaissance approfondie de certaines étapes qui ont été déterminantes 42, des groupes qui y ont participé 43 et des matériaux culturels qui y ont présidé 44. 17 Si cette histoire reste, aujourd'hui encore, largement une histoire vue d'en haut, imposant la perspective de la centralité de l'État et des institutions nationales, ou encore des catégories cognitives et de l'outillage mental des catégories dominantes qui ont travaillé à la production de l'espace et à l'invention du territoire national, elle offre aussi les outils indispensables pour ouvrir une histoire des territoires locaux qui ne soit pas étrangère à l'échelle nationale dans laquelle ils ont pris forme. Encore faut-il, pour cela, décentrer l’histoire de la construction d’un espace national qui a été celle des villes, ou perçue de leur point de vue. Parce que la ville a longtemps incarné aux yeux des aménageurs, comme à ceux des politiques progressistes, l’image de la modernité, c’est à partir d’elle que se sont construites les représentations valorisées de l’espace et que s’est organisé l’aménagement du territoire. La tentative d'approche de la ruralité telle qu'elle s'est manifestée au début du siècle dans l'émergence des « pays » n'a pas contribué, à travers la tentation de la naturalisation, à éclaircir les modalités spécifiques de construction des espaces ruraux au sein du territoire national. Il n'est pourtant pas impossible aujourd'hui d'en tenter l'histoire.

La construction d'un « pays » : les notables bressans et leur territoire (XIXe-XXe siècles)

18 Les théoriciens des « pays » du début du siècle ont, pour certains d'entre eux, comme Pierre Foncin, fait du « pays-arrondissement » le fondement d'une France à réaménager et y ont vu un espace dont la force structurante devait être recherchée, pour en expliquer la cohérence, dans l'ancienneté d'une existence historique mythique.

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Les géographes vidaliens se sont attachés, pour leur part, à trouver dans l'examen de dénominations populaires construites en référence à des environnements géographiques la marque d'espaces d'appartenance. L'analyse historique de ces espaces permet de montrer, en suivant le fil conducteur des dénominations locales, qu'au moment où les experts s'emploient à les modéliser, les « pays » sont le produit du siècle qui vient de s'écouler, qu'ils se sont engendrés au cœur même de la nation française en construction et qu'ils sont devenus, y compris dans les cadres politico-administratifs, des territoires fonctionnels générateurs d'identité.

L'exhibition du territoire : l'émergence de la Bresse louhannaise

19 C'est sous le Second Empire, en 1863, dans un contexte de batailles ferroviaires, qu'apparaît, dans l'arrondissement de Louhans, par le truchement d'un comité de défense de la Bresse « louhannaise », une dénomination nouvelle porteuse d'un autre rapport au territoire. Jusqu'alors, les terres bressanes, situées « outre-Saône », dans le département de Saône-et-Loire, continuaient d'être désignées, selon l'appellation héritée de l'Ancien Régime, sous la dénomination de « Bresse chalonnaise » 45. Cette appellation, toujours en vigueur dans la première moitié du XIXe siècle, évoquait encore l’époque de l’attachement administratif de ce territoire à Chalon-sur-Saône, alors même que la ville de Louhans 46 était devenue, depuis la Révolution, le chef-lieu d’un arrondissement et avait vu l’implantation d’un tribunal en ses murs. L'émergence de cette nouvelle dénomination est le produit d'une situation complexe, et le recours à cette nouvelle forme d’identification exprime la revendication d'une identité territoriale, géographiquement circonscrite et susceptible d’être inscrite dans des caractéristiques propres à être exhibées comme spécifiques.

20 Cette revendication d'une identité territoriale qui recentre l'espace local sur la petite capitale qu'est la ville de Louhans se formule très précisément dans le deuxième Second Empire. C’est le moment où se structure de manière nouvelle l'espace régional, avec l'achèvement de l'implantation du réseau ferroviaire du PLM et la mise en place des liaisons ouest-est reliant l'axe nord-sud au réseau de la France de l'Est et de la Suisse 47. La conjoncture est aussi celle de dix années de difficultés économiques qui, entre 1847 et 1857, affectent l'économie et la société locales 48. La revendication s'inscrit dans un contexte qui perturbe le fonctionnement d'une région agricole vivant d'une petite économie marchande et l'image du territoire qu’elle véhicule est un instrument destiné à consolider une forme ancienne d'organisation spatiale qui se polarisait autour du centre louhannais 49. Les projets ferroviaires, alors à l’œuvre dans la vallée de la Saône, semblent privilégier, aux yeux des Louhannais, les intérêts des villes voisines : Chalon- sur-Saône et Dole, et risquent de modifier l'équilibre local de la hiérarchie urbaine par une remise en cause de l'organisation de circuits de commercialisation qui avaient de longue date fait la fortune de la ville de Louhans 50. 21 Cette revendication d'une identité territoriale qui trouverait son point d'ancrage autour de la ville de Louhans, et de sa fonction de capitale locale, mobilise dans un premier temps la bourgeoisie louhannaise. L'élément moteur de cette dernière est constitué, au chef-lieu d'arrondissement, par le groupe des professions libérales qui s'est fait le porte-parole des intérêts d'un ensemble plus large : celui des propriétaires fonciers et des négociants. C'est ce groupe que l'on voit se manifester dans les délibérations du conseil municipal de Louhans, dans celles du conseil d'arrondissement,

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dont la présidence est tenue par des Louhannais, ainsi que dans les correspondances multiples adressées aux autorités supérieures, lors d'une première bataille ferroviaire menée de 1861 à 1866 51. Dans un second temps, dans les années 1866‑1870, avec un succès qui n'est cependant pas total, cette bourgeoisie urbaine tente d’associer à de nouvelles démarches en faveur d'un deuxième axe ferroviaire nord-sud passant par Louhans (croisant le premier au droit de la ville), la bourgeoisie des bourgs ruraux, notamment celle qui se trouve implantée dans les chefs-lieux de canton. 22 Si la bourgeoisie locale, qu'elle soit louhannaise ou rurale, est le milieu dans lequel s'affirme cette revendication d'une identité territoriale, la revendication prend forme autour d'un individu. Véritable « entrepreneur d'identité » 52, ce dernier révèle à elle- même la notabilité locale en lui fournissant les instruments par lesquels penser sa spécificité et la formuler dans une revendication identitaire. Le processus d'invention de cette identité inscrite dans un territoire est une entreprise complexe. Porte-parole des intérêts bressans dans la bataille ferroviaire du Second Empire, après avoir été le député de l'arrondissement de Louhans sous la Monarchie de Juillet, l’entrepreneur d'identité n'est en rien socialement représentatif de la bourgeoisie locale. Ancien député d'opposition jusqu'en 1848, historien et publiciste sous la Monarchie de Juillet, Alceste Chapuis de Montlaville appartient à une notabilité provinciale intégrée aux cercles du pouvoir par des fonctions de préfet sous la Seconde République et au début du Second Empire 53. Déchargé dans les années 1860 de toute responsabilité administrative après son entrée au Sénat, le baron Chapuis de Montlaville n'en est pas moins un excellent connaisseur des rouages de l'administration d'État, au moment où il se met en quête d'une circonscription électorale pour son fils. C'est dans ce contexte, au début des années 1860, qu'il est l'introducteur local d'un comité de défense de la Bresse, comité destiné, comme le montre sa composition, à faire valoir les revendications locales en matière de chemin de fer et à fédérer le rapprochement entre la bourgeoisie locale, les derniers représentants de l'aristocratie et quelques « parachutés » de la candidature officielle. C’est dans ce cadre que l'entreprise de production d'identité cimente des regroupements sociaux et associe des intérêts divers, sous l'apparence d'un consensus idéologique qu'elle contribue à susciter. 23 Bonapartiste agrarien et défenseur d'un ordre social mis à mal par les événements de 1848, le baron Chapuis de Montlaville offre à la bourgeoisie locale, dans la revendication identitaire qu'il contribue à faire émerger en son sein, une image d'elle- même largement construite dans les mailles d'un univers culturel qui est celui du monde social auquel il appartient. C'est ainsi que la territorialisation de cette identité proposée trouve sa justification dans la défense d'une ruralité supposée préserver les fondements de la société 54. Mais, dans le même temps, la représentation territorialisée de l'identité proposée à la bourgeoisie locale trouve aussi ses conditions de possibilité dans la matérialité de l'environnement géographique et des pratiques sociales de cette dernière, cette territorialisation lui permettant de défendre, à travers une Bresse « louhannaise », une organisation spatiale locale anciennement constituée et menacée par les prétentions d'autres villes, et l'autorisant à investir le territoire dans des enjeux locaux de pouvoir 55. L'usage local de la dénomination Bresse louhannaise, étendu hors des limites du Louhannais à partir des années 1863‑1864, témoigne du succès de l'entreprise 56. Quelques années plus tard pourtant, après que le baron ait abandonné la scène locale en léguant à la société bressane des matériaux culturels susceptibles d'être

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investis dans la revendication d'une spécificité bressane, on constate que derrière l'apparent consensus circulaient des représentations différentes de la territorialité. 24 Si le démontage de la mobilisation sociale qu’a pu susciter la revendication d’un territoire bressan centré autour de Louhans permet de comprendre en quoi ce dernier renvoie aux nécessités d'un consensus obligé qui, dans une période de crise, a contraint les éléments d’un groupe à exhiber leur unité comme un instrument d'auto- reproduction, la saisie du territoire, à travers les représentations de l'espace mises en jeu dans les batailles ferroviaires, permet, elle, d'identifier la variété des matériaux susceptibles d'entrer dans l'invention d'une identité locale. L'entreprise identitaire du baron Chapuis de Montlaville a largement mobilisé, pour faire exister une spécificité bressane, des traits ethnographiques 57. D'origine savante, une telle perception ethnographique, en cours d'élaboration et de diffusion dans les couches dirigeantes de la société 58, était illisible pour les Bressans d'alors. En revanche, le contexte des transformations politiques et institutionnelles de la fin du Second Empire 59 permet à la notabilité locale de mettre en œuvre ses propres représentations de l'espace local et de mobiliser d'autres signes identitaires accordés à sa propre existence sociale. Loin des matériaux ethnographiques, c'est la mémoire d'un territoire effectif et l'imaginaire collectif de l'expérience de la mise en place d'un espace politico-administratif qui cimentent, dans la notabilité, les modes de représentation de l'espace local. 25 La mise en relation étroite des représentations de cet espace autocentré et des pratiques sociales dont il est porteur fait apparaître, en dépit de l'apparente unanimité de la revendication territoriale, la coexistence de modalités conflictuelles de contrôle de l'espace au sein du groupe apparemment homogène de la bourgeoisie locale. L'individualisation et la caractérisation de ces modes de contrôle permettent de cerner les diverses composantes de la société locale à l’œuvre dans les batailles ferroviaires. Le constat de la force mobilisatrice du rapport au territoire et l’hypothèse que la société locale se serait construite à travers l’organisation de l’espace invitent à tenter de comprendre comment se sont historiquement engendrées l’une et l’autre.

La mémoire d'un territoire : les processus sociaux et politiques de construction de l'espace

26 La reconstruction d'itinéraires sociaux-spatiaux, menée à partir de traits sociaux et de rapports à l'espace caractéristiques des diverses composantes de la bourgeoisie saisie dans les batailles ferroviaires 60, permet de comprendre comment s'est articulée la double histoire des groupes et de l'espace. Considérés à la fois comme des parcours généalogiques, destinés à éprouver la durée de vie des groupes considérés, et comme des distances à parcourir entre des lieux plus ou moins valorisés, ces itinéraires décrivent le double positionnement social et spatial de groupes qui ont su, ou pas, pu, ou pas, jouer de situations historiques stratégiques pour renforcer, défendre ou abandonner leurs positions.

27 Cette démarche prosopographique et généalogique nous permet de mettre à jour comment, dans un espace rural au sein duquel se localise une toute petite unité urbaine, la ville de Louhans, se consolide d'abord, à la faveur de la Révolution et de l'Empire, une bourgeoisie urbaine d'Ancien Régime. Ce groupe, composé essentiellement d'hommes de loi, parlant au nom d'une bourgeoisie foncière et marchande dont il est économiquement et socialement solidaire, est déjà présent dans

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les institutions urbaines que la ville accueillait sous l'Ancien Régime (la mairie, le grenier à sel et la subdélégation) 61. Capable de maîtriser, par des relations privées attachées à la détention de la propriété, l'espace rural placé dans l'aire d'attraction immédiate de la ville, et d'y incarner l'autorité par le biais de la justice seigneuriale 62, il n’a cependant jamais été en mesure, avant la Révolution, d’y faire reconnaître dans des formes plus institutionnalisées — notamment à travers un bailliage royal en vain revendiqué — ses capacités de contrôle 63. C’est avec les innovations administratives mises en place par la Révolution qu’il obtient enfin sa reconnaissance : l'implantation dans la ville de l'administration d'un district et d'un tribunal lui offre la possibilité non seulement de confirmer sa domination sur la ville, mais aussi d'inscrire sa marque sociale dans l'organisation de l'espace local durant les années 1790‑1792. 28 À travers les pratiques administratives de ce groupe social se constitue un modèle d’organisation de l'espace qui structure de manière hiérarchisée les rapports entre le centre et les autres composantes de l'espace local. Ce modèle, que la disparition du district sous le Directoire n’entame pas vraiment, et que la période napoléonienne fait plus que confirmer, trouve jusqu'à la fin de la Restauration la source de sa réactivation dans les effets de la centralité judiciaire attachée à la présence du tribunal. C'est probablement ces effets de centralité, et l'image sociale qui s'y attache, qui expliquent la reproduction, autour du tribunal, de cette bourgeoisie urbaine d'Ancien Régime, continuée et perpétuée dans une quasi-parfaite endogamie pendant toute la première moitié du XIXe siècle et jusqu’au temps de La fin des notables 64. 29 L'étude des itinéraires sociaux et spatiaux des familles implantées dans l'espace rural permet de suivre les éléments d'un autre groupe et son engendrement à travers d'autres rapports à l'espace. La mise en place des premières réformes administratives de la période révolutionnaire, comme l'installation des mairies, ou celle des justices de paix, découpe de manière institutionnalisée l'espace rural et assure ainsi la promotion d'une bourgeoisie des bourgs ruraux. Déjà présente, et souvent de longue date, dans des villages qui concentraient les principales activités économiques et sociales du plat pays, cette bourgeoisie trouve dans l'implantation des chefs-lieux de cantons et la répartition des justices de paix la reconnaissance de son autorité sociale locale, et souvent aussi la consolidation et la légitimation de cette dernière dans des découpages cantonaux qui recouvrent singulièrement les limites de son implantation patrimoniale 65. Le premier découpage cantonal est ainsi, dans le district de Louhans, la matérialisation des zones d'influence des notaires, auxiliaires de la justice seigneuriale pour la plupart, dont la Révolution a fait des juges de paix. Le malthusianisme social de la bourgeoisie urbaine louhannaise, sa faiblesse numérique et le poids incontestable de l'espace rural dans la représentation élective du district, font de la bourgeoisie rurale un groupe appelé à participer de manière précoce à la gestion de l'espace local : dès 1790, ces bourgeois ruraux administrent le district aux côtés de la bourgeoisie louhannaise, sous sa tutelle et en assurant le relais entre le centre et les « localités ». 30 L'épisode de l'accentuation de la Révolution, entre 1792 et 1794, épisode qui s'est parfois traduit en d'autres lieux par l'arrivée dans les administrations locales d'une nouvelle couche sociale issue du monde urbain, se manifeste ici par la prise de contrôle de l'administration du district par la bourgeoisie rurale. C'est à ces bourgeois ruraux que revient la tâche d'administrer et de mobiliser le district pendant le temps de la crise de 1793, du gouvernement révolutionnaire et aussi celui qui suit de la « régénération » thermidorienne, jusqu'à la disparition du district, alors que la vieille

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bourgeoisie louhannaise est tenue à l'écart. C’est en sollicitant, au niveau cantonal, à travers les juges de paix, les officiers des gardes nationales et ces multiples commissaires affectés au règlement des affaires délicates, représentants d’une couche sociale qui leur était proche et familière, que ces bourgeois ruraux sont parvenus à leurs fins. L'ascension sociale dont bénéficie alors leur groupe s'affiche, pour certains d'entre eux, au cœur de l'espace local dans une résidence au chef-lieu qui vient consacrer leur réussite. Mais à la faveur de cette étape de la Révolution, c'est tout le groupe qui, dans sa capacité à gérer des circonstances politiques difficiles, acquiert un nouveau capital social fait d'expérience politique, de contacts avec les administrateurs locaux et d'aptitude à répondre aux ordres de l'administration sans trop mécontenter les populations soumises aux exigences de cette dernière. 31 Se constitue ainsi, à la faveur de la Révolution, un nouvel espace social local dans lequel la bourgeoisie louhannaise d'Ancien Régime, qui a longtemps tiré son existence des formes de contrôle social et politique attachées à son statut urbain, entre en concurrence avec une nouvelle bourgeoisie dont une fraction s'est implantée, à son tour, à Louhans, mais dont l'essentiel du groupe continue de conserver un ancrage rural. Cette nouvelle bourgeoisie a expérimenté de manière précoce, et ensuite renouvelée, les liens unissant le chef-lieu du district/arrondissement et la matrice cantonale dans laquelle elle ne cesse de se renforcer, à travers la justice de paix, le contrôle des municipalités cantonales, la présidence des assemblées cantonales de l'Empire, et enfin la maîtrise des mandats cantonaux électifs à partir de 1833. Le groupe s'est construit dans un maillage de réseaux sociaux et familiaux entièrement organisés dans la matrice administrative qui unit les cantons au chef-lieu, maillage qui achève de se constituer dans les réseaux politiques de l'opposition locale à la Restauration. Cette alliance sociale d'une bourgeoisie urbaine de seconde origine et de bourgeois ruraux qui lui sont le plus souvent apparentés, s'impose sous la Monarchie de Juillet comme la force structurante de l'arrondissement, dans un espace rural dont l’organisation et la représentation passent par un va-et-vient entre le chef-lieu et les composantes cantonales. 32 Lorsque l'on rencontre, sous le Second Empire, la revendication d'une Bresse louhannaise dans laquelle l'espace politico-administratif sert de bornage du territoire, c'est l'existence des structures territoriales de l'arrondissement qui est en jeu : celles qui ont porté en elles, et de manière conflictuelle, l'existence d'une bourgeoisie d'Ancien Régime qui trouvait dans le centre urbain les instruments de sa reproduction, tandis qu'une bourgeoisie rurale inscrivait la sienne dans les mailles d'un espace politico-administratif étendu aux limites de l'arrondissement. Face à ce qui est alors vécu comme une menace extérieure, menace que matérialise un tracé ferroviaire qui risque de ne pas reproduire les lignes de force de l'organisation de l'espace local, les représentants de l'une et de l'autre de ces bourgeoisies peuvent légitimement se retrouver dans la revendication d'une identité territoriale qui associe le centre louhannais à un espace rural saisi dans un découpage administratif.

La construction républicaine du « pays » et ses remises en cause

33 Apparue au milieu du XIXe siècle, dans la revendication d'une identité territoriale, la fortune de la nouvelle dénomination, et avec elle celle des représentations de l'espace à l’œuvre dans la notabilité locale, n'est pas nécessairement promise à un long avenir. Passé le temps de son émergence, la dénomination aurait pu tomber en désuétude. Si

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elle a pu demeurer opératoire quasiment jusqu'à nos jours, c'est qu'elle a trouvé les conditions de sa perpétuation en s'imposant non plus seulement comme l'expression d'un mode de découpage de l'espace local, mais également comme la représentation d'un territoire rural original. Dans la seconde moitié du siècle, la dénomination se charge progressivement de sens et le territoire qu'elle désigne se voit pourvu d'attributs symboliques propres à susciter l'attachement des Bressans eux-mêmes et, parmi eux, de la population paysanne dans son ensemble, demeurée jusque-là à l'écart des préoccupations des notables en matière d'aménagement du territoire.

34 Cette opération complexe est le produit de la conjonction d'un ensemble de dispositions historiques. Certaines sont de portée nationale : l'installation de la Troisième République et le projet républicain de construction d'une identité nationale à usage du peuple 66. D’autres sont d'envergure locale : la capacité de groupes sociaux locaux à se faire les porte-parole et les relais de ces programmes. La mobilisation locale qui s'était manifestée sous le Second Empire, et qui avait été l'élément déclencheur de la revendication d'une identité bressane, trouve là les circonstances favorables à sa perpétuation dans des cadres et sous des formes intégrables dans un dispositif national. Elle s'inscrit désormais dans les processus de mise en œuvre d'une démocratie représentative et de diffusion du modèle républicain de la nation française. 35 Dans le contexte de l'installation de la Troisième République, la rupture de l'apparent consensus local qui avait porté les revendications ferroviaires est rapide et définitive. La stratégie de ralliement républicain offre à la bourgeoisie louhannaise de seconde origine, et à ses alliés des bourgs ruraux, les circonstances favorables à une conquête politique de l'espace local, entièrement inscrite dans le maillage politico-administratif. La mise en action des réseaux socio-politiques que ces groupes avaient construits de longue date permet à leurs représentants les plus actifs et aux familles les plus chargées de légitimité d'écarter définitivement du pouvoir local les derniers descendants de la bourgeoisie louhannaise d'Ancien Régime, et d'associer à l'entreprise la couche supérieure de la paysannerie et du monde rural, présente désormais dans les mairies 67. Le contrôle par ce groupe de la Société d'agriculture de l'arrondissement achève de le placer en position hégémonique dans l'espace local, alors que la rencontre d’un territoire constitué et d'un porte-parole légitime 68 offrent les conditions d’une production symbolique du territoire d’appartenance. 36 Les modalités d'engendrement de cette construction symbolique sont lisibles dans le croisement des activités politiques et érudites de celui qui a été consacré comme l'inventeur de la Bresse louhannaise 69, même s’il n'en fut que le porte-parole et l'efficace propagandiste. Médecin louhannais, notable érudit et député radicalisant, avant d’être sénateur, Lucien Guillemaut ne fait jamais officiellement référence au local dans ses professions de foi ou dans ses discours officiels. L'idéologie territoriale est cependant le non-dit efficace de son discours politique, notamment lorsque les circonstances qui accueillent ce discours ne sont pas celles de la compétition électorale. Cette idéologie territoriale trouve ses lieux d'expression dans des circuits parallèles qui sont autant d'instruments efficaces de l'entreprise politique : les concours agricoles, lieux de médiation entre la notabilité locale et la population paysanne méritante ; les innombrables inaugurations propices aux interventions vantant les mérites de la « petite patrie » ; certaines commémorations grâce auxquelles cette dernière peut être officiellement mise en scène — comme celle qui accompagne l'érection d'un monument consacré aux morts de l'arrondissement lors de la guerre de 1870, monument dénommé

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localement « La Bressane » — ; les pages du Bulletin de la Société d'agriculture de l'arrondissement de Louhans, bulletin tenu par Lucien Guillemaut lui-même et qui lui sert à la pré-publication de ses travaux érudits ; enfin, loin de la Bresse elle-même, les banquets de la Flamusse, société d'originaires regroupant les Bressans de Paris. 37 Tenue à l'écart du langage politique officiel, la Bresse louhannaise, cette « petite patrie » immédiatement proche et familière et susceptible de susciter les adhésions les plus spontanées, assure ainsi à son porte-parole les bienfaits d'une reconnaissance immédiatement réinvestie en profit politique, dans le même temps où elle est le lieu d’une entreprise persistante de construction d’une identité républicaine. 38 Si la « petite patrie » fait partie intégrante de la grande et procède de la même essence, c'est parce que, comme le montrent les travaux savants que Lucien Guillemaut consacre à la Bresse louhannaise, les modèles culturels qui avaient servi à produire les représentations du territoire national dans la première moitié du XIXe siècle sont descendus dans la petite notabilité de province où ils peuvent être repris pour construire une identité républicaine du territoire local 70. La mise en œuvre, par des petits notables érudits, des représentations du territoire qui sont à l’œuvre dans l'idéologie républicaine achève ainsi, par métonymie, de construire le territoire local sur le modèle du territoire national : territoire borné par des limites politico- administratives mais susceptible d’être naturalisé (les frontières naturelles et le pays), identifié dans une dénomination qui le fait exister comme une entité organique (la France/la Bresse louhannaise) et pensé comme porteur d'une spécificité qui n'exclut pas l'universalisme (ce qui se décline au plan national selon le couple unité/diversité et localement dans le double registre progrès/tradition). 39 Consolidé dans les années 1890‑1900, ce modèle est resté vivace de manière tardive. Les nostalgies commémoratives d'après la Première guerre mondiale y contribuent, mais les circonstances d'une réforme administrative, qui, en 1927, fait disparaître l'arrondissement de Louhans, réactivent une fois encore la mémoire d'un territoire menacé — sans que, cette fois, la bourgeoisie locale trouve les forces suffisantes pour mobiliser derrière elle l'ensemble de ses composantes et d'éventuels alliés, signifiant ainsi l'épuisement de la dynamique sociale qui l'avait portée, dans le même temps où elle avait porté celle du territoire. La Bresse louhannaise survit, pendant l'Entre-deux- guerres, mais réfugiée dans les structures politiques et électorales d'encadrement du territoire que font vivre conjointement le radicalisme local et le scrutin d'arrondissement. L'épuisement du modèle républicain et l'affaiblissement des couches sociales qui en avaient été les principales bénéficiaires — comme les petites bourgeoisies de province dont l'existence sociale était étroitement liée à la paysannerie et au monde rural — permettent alors l'émergence de représentations concurrentes du territoire et la mise en œuvre de nouveaux usages de ce dernier. 40 La Bresse fait bien l'objet d'une entreprise de ce type. Progressivement engagée après la Première guerre mondiale, avant d'atteindre son apogée dans les années 1930, cette nouvelle opération d'invention d'un territoire bressan n'a plus les caractéristiques de la démarche totalisante du modèle républicain qui avait associé pratiques politiques, matériaux culturels et pratiques sociales locales. Dans un projet explicitement revendiqué comme régionaliste, différents acteurs sont à l'œuvre : des érudits, qui fournissent de nouveaux modèles savants pour appréhender le territoire, des animateurs culturels qui en assurent la popularisation et la vulgarisation, des experts agricoles qui sont capables de les réinvestir dans des initiatives de valorisation de

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produits agricoles à l’image fortement territorialisée, enfin des notables susceptibles d'en saisir les attendus idéologiques et d'en tirer les profits politiques. 41 La délégitimation des limites de la Bresse louhannaise et des représentations qui les accompagnaient s'introduit en Bresse à travers les travaux de Gabriel Jeanton, un magistrat ethnographe, qui popularise le modèle géographique vidalien de la région naturelle et introduit une unité nouvelle dans la perception du territoire bressan : le milieu naturel. Dans ce dispositif, la revendication régionaliste est celle du retour à une unité originaire, une grande Bresse jusqu'alors déchirée par des divisions politiques et administratives jugées néfastes 71. L'histoire du territoire, qui avait tant soutenu le modèle républicain, s'efface au profit de ses caractéristiques ethnographiques, dont Gabriel Jeanton assure la collecte érudite. Le problème des frontières et des limites n'est pas absent de ses préoccupations lorsqu'il en inventorie les principaux marqueurs : aires linguistiques (Bresse du franco-provencal), types d'habitat (toits pentus et plats, tuiles plates ou creuses), ou encore formes du chapeau bressan. Mais la préoccupation est plus idéologique que scientifique, dans l’évocation d'un Midi mythique en voie de disparition. Et c'est ce discours de la nostalgie qui finit par s'imposer comme mode de lecture du territoire bressan : « pays » riche de traditions et menacé par la modernisation 72. 42 Entre nature et traditions, l'importation d’images savantes du pays territorialise de manière nouvelle l'image de la ruralité, ouvrant sur des usages qui ne sont plus ceux du projet républicain d'intégration de l'agriculture et de la paysannerie à la collectivité nationale. Les défenseurs des traditions, regroupés derrière Gabriel Jeanton et son Association pour la renaissance des fêtes populaires, y trouvent l'occasion d'une mise en scène folklorisée de la ruralité, propre à satisfaire les attentes d'une bourgeoisie inquiète d'une conjoncture de crise 73. Présents localement dans une fraction de la bourgeoisie tenue à l'écart de la gestion des mandats politiques, et soucieuse de nouveaux investissements culturels, ces « traditionalistes » participent au Groupe folklorique bressan, qui, en 1937, anime les festivités au Centre rural de l'Exposition internationale 74. De manière conjointe, dans une circulation des nouveaux modèles du territoire qu'il n'est pas toujours aisé de percevoir, s'impose, parmi les experts agricoles, les professionnels de la filière avicole ou encore certains notables locaux à la recherche de nouvelles formes de valorisation de leur territoire d'intervention, l'image homogénéisée d'un territoire naturel auquel accrocher les limites d'une aire de production, celle de la volaille de Bresse. À l’image du pays-arrondissement, chère aux aménageurs du début du siècle, répond celle du pays-label attachée à des enjeux beaucoup plus explicitement économiques. Les conditions qui avaient été celles de l’émergence et de la construction d’une Bresse louhannaise semblent alors historiquement épuisées.

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43 Sur ce constat de l’épuisement de la dynamique sociale qui avait porté la dénomination, nous ne pensions pas voir revenir la Bresse louhannaise comme un territoire explicitement revendiqué. Or, la prise en charge, au printemps 1995, par les acteurs locaux, de la politique des pays initiée par la loi du 4 février 1995 sur l’aménagement et le développement du territoire, remet pourtant à l’ordre du jour la question des dénominations territoriales et de leurs enjeux. En réponse aux sollicitations officielles,

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un premier projet d’expérimentation d’un pays de Bresse voit le jour, au cours de l’année 1995, sous l’invocation de la Bresse louhannaise. Aujourd’hui remis en cause dans son contenu et ses limites, ce projet s’est vu opposer celui du pays de la Bresse bourguignonne 75. Ces deux projets concurrents manifestent, derrière les dénominations respectives, des perceptions différentes du territoire et de ses fonctions d’espace rural. Au regard d’une étude menée sur la construction historique des « pays », leur examen offre une remarquable occasion de validation de la force des représentations qui s’attachent aux espaces ruraux — espaces naturalisés et/ou conservatoires de formes historiques anciennes —, ainsi que la confirmation de la nécessité de soumettre ces représentations à l’épreuve d’une démarche historique.

NOTES

1. Voir à ce propos les interrogations de Jean RENARD, « Le retour des pays », dans Sciences humaines, février-mars 1995, p. 46. 2. Circulaire du ministère de l’Intérieur aux préfets « sur la mise en place d’une organisation du territoire fondée sur la notion de pays », 21 avril 1995. 3. C'est le cas notamment du préfet Bernard LEURQUIN, conseiller du délégué à la DATAR et grand lecteur de Fernand Braudel, dans l'ouvrage qu'il consacre à la mise en place de la politique des pays, La France et la politique de pays. De nouveaux outils pour le développement et l'aménagement des territoires, Paris, Éditions Syros-CNFPT, 1997. 4. « La naturalisation ne provient pas (seulement, ajoutons-nous) de l'importance attachée au sol et au climat, mais de la négation implicite de l'histoire par la découverte d'un ordre éternel des champs et d'une sagesse paysanne, toujours identique à elle- même ». Marcel RONCAYOLO, « Le paysage du savant », dans Les lieux de mémoire, tome II, La Nation, Pierre NORA [dir.], Paris, Éditions Gallimard, 1986, p. 488. 5. Vincent BERDOULAY, La formation de l'école française de géographie (1870‑1914), Paris, Bibliothèque nationale/Commission nationale des travaux historiques, 1981 et Paul CLAVAL [dir.], Autour de Vidal de la Blache. La formation de l'école française de géographie, Paris, Éditions du Centre nationale des la recherche scientifique, 1993. 6. Jean-Yves GUIOMAR, « Le Tableau de la géographie de la France de Vidal de la Blache », Pierre NORA [dir.], La Nation, dans Pierre NORA [dir.], Les lieux de mémoire, Paris, Éditions Gallimard, 1984-1992, 3 tomes, 7 volumes, tome 2, volume 1, p. 580. 7. Marie-Claire ROBIC et Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, « La France au seuil des temps nouveaux. Paul Vidal de la Blache et la régionalisation », dans L’Information géographique, volume 59, n° 2, 1995, pp. 46‑56. 8. Nicole MATHIEU, « Les riches heures de la notion de pays », dans Bertrand HERVIEU, Pierre MACLOUF et Philippe MERLANT [dir.], Le local dans tous ses états : décentralisation et développement. La grande bataille du septennat — Autrement, février 1983, p. 29. 9. Sur le conflit des disciplines, les rapports entre histoire, sociologie et géographie, voir Charles-Olivier CARBONNEL et Georges LIVET [dir.], Au berceau des Annales, le milieu strasbourgeois. L'histoire en France au début du XXe siècle, Actes du colloque de Strasbourg, 11‑13 octobre 1979, Toulouse, Presses de l'Institut d'études politiques, 1979, 293 p.

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10. C'est l'argument avancé par Pierre Foncin pour justifier, dans son projet de réforme administrative antidépartementaliste, le bien-fondé du pays-arrondissement. Dans cette configuration, ce dernier trouve ses origines dans une filiation naturelle qui va du pagus gallo-romain au diocèse mérovingien et au mandement carolingien ; filiation que ne récusent nullement les historiens et d'abord ceux des Antiquités nationales comme Camille Jullian. Voir à ce propos : Didier GONZALEZ, « L'idée de pays dans la géographie et la culture françaises au tournant du siècle », dans Paul CLAVAL [dir.], Autour de Vidal…, ouv. cité, pp. 123‑139. 11. C'est la version vidalienne du pays. 12. Géographe de l'école vidalienne, Lucien Gallois est celui qui a approché au plus près la question du savoir populaire en matière d'identification des pays dans un ouvrage publié en 1908 ; Lucien GALLOIS, Régions naturelles et noms de pays. Étude sur la région parisienne ; Jean-Claude Chamboredon a fait une analyse très fine et très éclairante de cet ouvrage : Jean-Claude CHAMBOREDON, « Cartes, désignations territoriales et sens commun géographique : les noms de pays selon Lucien Gallois », dans Études rurales, n° 109, 1988, pp. 5‑53. 13. Pour reprendre l'expression utilisée par Jean-Claude Chamboredon à propos de l'étude menée par Gallois autour des noms populaires. 14. C'est en 1900 qu'est créée la Fédération régionaliste française, par Jean-Charles Brun, fédération dont Foncin, Vidal et Gallois ont été membres. Sur le régionalisme, on relira l'ouvrage d'Anne‑Marie THIESSE, Écrire la France. Le mouvement littéraire régionaliste de langue française entre la Belle époque et la Libération, Paris, Presses universitaires de France, 1991, 314 p. 15. Voir à ce propos l'article consacré par Ronald Hubscher aux représentations de la paysannerie à l'œuvre chez les historiens et les géographes, notamment dans la période concernée par l'émergence des pays ; Ronald Hubscher, « Historiens, géographes et paysans », dans Ruralia, revue de l'association des ruralistes français, n° 4, 1999, pp. 83‑99. 16. Christian FAURE, Le projet culturel de Vichy, Paris, Centre national de la recherche scientifique/Presses universitaires de Lille, 1989. 17. Les historiens ont été particulièrement sensibilisés à ces questions, dans le sillage de la tradition labroussienne. Sur la portée et les limites de l'histoire locale ou régionale, on relira l'article de Jacques ROUGERIE, « Faut-il départementaliser l'histoire de France ? », dans Annales. Économies, sociétés, civilisations, tome 21, n° 1, janvier-février 1966, pp. 178‑193. 18. Bertrand HERVIEU, Pierre MACLOUF et Philippe MERLANT [dir.], Le local dans tous ses états…, ouv. cité. 19. Centre nationale de la recherche scientifique, Action thématique programmée « Observation continue du changement social et culturel », L'esprit des lieux. Localités et changement social en France. Programme d'observation du changement social, Paris, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1986, 352 p. 20. André BURGUIÈRE, « Le changement social, brève histoire d'un concept », dans Bernard LEPETIT [dir.], Les formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Éditions Albin Michel, 1995, p. 257. 21. Voir la synthèse qu'en fait Dominique BORNE, Histoire de la société française depuis 1945, Paris, Librairie Armand Colin, 1990, 187 p. 22. Marcel JOLLIVET, « Le développement local, mode ou mouvement social ? », dans Économie rurale, n° 166, mars-avril 1985, pp. 10‑16.

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23. Pierre GRÉMION, Le pouvoir périphérique. Bureaucrates et notables dans le système politique français, Paris, Éditions du Seuil, 1976. 24. Jacques CAILLOSSE, « Le "local" objet juridique », dans Albert MABILEAU [dir.], À la recherche du local, Actes du colloque de Paris, 30‑31 mai 1991, Paris, Éditions L’Harmattan, 1993, pp. 111‑151. 25. Sylvie BIAREZ, Le pouvoir local, Paris, Éditions Economica, 1989, 306 p. 26. Les historiens de la période révolutionnaire se sont rapidement emparés de ces conclusions, voir Jean-Pierre JESSENNE, Pouvoir au village et Révolution : Artois, 1790‑1848, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires de Lille, 1987. 27. C'est le titre qui avait été retenu pour la publication d'un colloque tenu en mai 1975, dans lequel sa disparition était alors largement pronostiquée ; Lucien SFEZ [dir.], L'objet local. Actes du colloque de Paris, 30‑31 mai 1975, 10/18, Paris, Union générale d’éditions, 1977, 445 p. 28. Comme l'ont montré Alain DESROSIÈRES et Laurent THÉVENOT, Les catégories socio- professionnelles, Paris, Éditions La Découverte, 1996, 125 p. 29. Voir sur l'ensemble de la question les contributions du colloque sur l'identité et l'appartenance organisé en 1984 à Montpellier à l'initiative du Centre de recherche sur les logiques sociales et les stratégies symboliques, dans Identité locale-identité professionnelle. Actes du colloque organisé par le CREL, Montpellier, 7‑9 novembre 1984 — Sociologie du Sud-Est. Revue des sciences sociales, n° 41‑44, juillet 1984 – juin 1985. 30. Pour reprendre la formule de Marcel JOLLIVET, « Le développement local… », art. cité, p. 13. 31. On rappellera qu'un certain nombre d'entre eux ont été activement engagés dans les années 1960 et 1970 dans les opérations d'aménagement du territoire. Parmi ceux- ci, André Frémont, représentatif du courant ; voir André FRÉMONT, La Région, espace vécu, Paris, Presses universitaires de France, 1976. 32. Jacques LÉVY, L'espace légitime. Sur la dimension géographique de la fonction politique, Paris, Presses de la FNSP, 1994, 442 p. 33. Comme le souligne implicitement le géographe Bernard KAYSER, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental, Collection U, Paris, Librairie Armand Colin, 1989, p. 213. 34. Marcel RONCAYOLO, « Territoire et territorialité », dans Territoires, n° 1, Laboratoire de sciences sociales, École normale supérieure, 1981 ; texte repris dans Marcel RONCAYOLO, La Ville et ses territoires, Folio Essais, Paris, Éditions Gallimard, 1990, chapitre 9. 35. Pierre BOURDIEU, « L'action proprement politique […] vise à produire et à imposer des représentations (mentales, verbales, graphiques ou théâtrales) du monde social qui soient capables d'agir sur ce monde en agissant sur la représentation que s'en font les agents sociaux », dans : « Décrire et prescrire. Note sur les conditions de possibilité et d'efficacité politique », dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 38, 1981, p. 69. 36. Anne-Marie THIESSE, Écrire la France…, ouv. cité. 37. Particulièrement éclairant est l'article de Maurice AGULHON, « Conscience nationale et conscience régionale en France de 1815 à nos jours ». dans Histoire vagabonde, vol. II, Idéologie et politique dans la France du XIXe siècle, pp. 144‑174. La reprise critique de certaines outrances du temps a inspiré les travaux de Jean-François CHANET qui ont fait la démonstration des limites de la stigmatisation de l’école républicaine, L'école républicaine et les petites patries, Paris, Éditions Aubier, 1996, 426 p.

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38. Voir André BURGUIÈRE et Jacques REVEL [dir.], Histoire de la France, Paris, Éditions du Seuil, 1989, 4 volumes ; et Pierre NORA [dir.], Les lieux de mémoire, ouv. cité. 39. Henri MENDRAS, La Seconde Révolution française, 1965-1984, Paris, Éditions Gallimard, 1988, 329 p. 40. Thierry GASNIER, « Le local », dans Pierre NORA [dir.], Les France, dans Pierre NORA [dir.], Les Lieux de mémoire, ouv. cité, tome 3, volume 2, p. 464. 41. C'est l'écart qui sépare l'étude de la construction de l'espace, telle qu’elle a été menée dans le premier volume de L'Histoire de la France, et la territorialisation spontanément retenue par Pierre NORA dès lors que la mémoire s'est substituée à l'histoire. Dans les Lieux de mémoire, le volume 2 de La Nation est consacré au territoire et s'ouvre ainsi : « Qui dit nation dit conscience des limites, enracinement dans la continuité d'un territoire et donc mémoire. Spécialement en France » ; Pierre NORA, « Présentation », dans Pierre NORA [dir.], Les Lieux de mémoire, ouv. cité, tome 2, volume 2, p. 9. 42. Marie-Vic OZOUF-MARIGNIER, La représentation du territoire français à la fin du XVIIIe siècle d'après la formation des départements, Paris, Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, 1989 ; et Bernard LEPETIT, Les villes dans la France moderne (1740‑1840), Paris, Éditions Albin Michel, 1988, 490 p. 43. Comme le montrent Louis BERGERON, « Les espaces du capital », dans André BURGUIÈRE [dir.], L’espace français, dans André BURGUIÈRE et Jacques REVEL [dir.], Histoire de la France, ouv. cité, tome 1, pp. 289-371 ; et Marcel RONCAYOLO ,« L’aménagement du territoire, XVIIIe‑XXe siècle », idem, pp. 511‑560. 44. Pour ne prendre que cet exemple, on rappellera les travaux de Marie-Noëlle BOURGUET, Déchiffrer la France. La Statistique départementale à l'époque napoléonienne, Paris, Éditions des Archives contemporaines, 1989, 476 p. 45. C’est sous cette dénomination qu’elle figure dans les travaux savants de la première moitié du XIXe siècle, voir Jules GUILLEMIN, Dictionnaire topographique de la Bresse chalonnaise, Chalon-sur-Saône, Imprimerie Dejussieu, 1866 ; et dans la partie qui lui est consacrée dans Camille RAGUT, Statistique du département de Saône-et-Loire, Mâcon, Imprimerie Dejussieu, 1838. 46. Le statut urbain de cette dernière tient moins à son importance démographique (2 712 habitants en 1786 et 3 659 en 1863) qu’à sa fonctionnalité et à l’image que les petites élites urbaines qui la contrôlent entendent en donner. Bien que située au- dessous du seuil retenu par Bernard Lepetit, sa morphologie sociale est celle des villes de la France moderne. Bernard LEPETIT, Les villes dans la France moderne…, ouv. cité. 47. François CARON, Histoire des chemins de fer en France. Tome 1 : (1740‑1883), Paris, Librairie Arthème Fayard, 1997 ; et plus précisément sur la France de l’Est, Marcel BLANCHARD, Une bataille de réseaux. Besançon, L’Est et le PLM (1842‑1860), Montpellier, 1937. 48. Sur cette question, voir Pierre LÉVÊQUE, Une société en crise. La Bourgogne au milieu du XIXe siècle (1846‑1852), Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales/ Éditions Jean Touzot, 1983, 592 p. 49. Cette revendication s’inscrit dans une représentation de l’espace local qui exprime la position de centralité à laquelle Bernard Lepetit fait référence à propos des petites capitales locales. 50. La longévité des schémas de défense des modalités de structuration des espaces locaux est perceptible dans la mise en relation de textes destinés à en faire valoir le bien-fondé. On a ainsi pu constater l’homologie entre un Mémoire concernant le commerce

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qui pourrait se faire par le moyen de la Seille [la rivière de Louhans, NDLR] si elle était rendue navigable, rédigé en 1783 (Arch. dep. Saône-et-Loire, C. supplément, subdélégation de Louhans) et celui de la chambre consultative d’agriculture de l’arrondissement produit en 1861 pour faire valoir la nécessité d’une liaison ferroviaire est-ouest passant par Louhans ( Arch. mun. Louhans, registre spécial). 51. La plupart des documents produits par les batailles ferroviaires figurent dans le registre spécial ouvert à cet effet et conservé dans les arch. mun. Louhans. 52. L'expression est empruntée à Howard S. BECKER, « Les territoires de l'identité. Être juif à Abreville », dans Genèses, n° 11, mars 1993, pp. 111‑136. 53. On trouvera une biographie « locale » dans Jean MARTIN et Gabriel JEANTON, Répertoire des familles notables de Tournus et de sa région, Mâcon, Protat, 1915, pp. 72‑74. Il est aussi connu comme préfet, Bernard LE CLÈRE et Vincent WRIGHT, Les préfets du Second Empire, Paris, Librairie Armand Colin, 1973, p. 204. 54. En témoigne le contenu de l’intervention qu’il fait devant le Sénat, lors de la séance du 13 avril 1863, pour défendre un chemin de fer de la Haute-Bresse, Moniteur universel, 1863, p. 645. 55. L’analyse conjointe de l’élection cantonale partielle de 1862, qui voit la défaite dans le canton de Saint-Germain-Bois du candidat officiel, Gustave Chapuis de Montlaville, battu par un petit notable, médecin et maire d’une commune excentrée du canton, et de l’élection législative, au cours de laquelle Gustave Chapuis de Montlaville est élu dans une circonscription taillée pour lui et dont le découpage reproduit les limites des conflits autour des implantations ferroviaires, permet d’apercevoir l’implication des enjeux territoriaux dans les modalités du contrôle politique. 56. C’est la politique d’implantation de chemins de fer départementaux, menée par le préfet et le conseil général de Saône-et-Loire, qui contribue à cette popularisation. 57. Lors d’un concours agricole organisé à Louhans en 1865, le député Gustave Chapuis de Montlaville déplore la disparition du costume bressan et invite les jeunes bressanes « à en être fières, à le garder, à le reprendre, car c’est une parure qu’elles tiennent de leurs mères diligentes, c’est le plus charmant attribut de [leur] nationalité », dans Journal de Saône-et-Loire, 14 septembre 1865. 58. Lors de l’exposition de 1867, la commission impériale établit une classe consacrée « aux costumes populaires des diverses contrées ». On peut voir dans cette initiative l’officialisation du recours à la folklorisation comme mode de représentation de la ruralité, voir Isabelle COLLET, « Les premiers musées d’ethnographie régionale en France », dans Muséologie et ethnologie, Paris, Éditions de la Réunion des musées nationaux, 1987, 291 p. 59. Parmi celles-ci les lois départementale de juillet 1866 et municipale de juillet 1867, la libéralisation du régime de la presse et du droit de réunion qui font, d’une certaine manière, écho au Programme de Nancy de 1865. 60. Ces généalogies de groupes ont été construites à partir de fichiers biographiques établis grâce à une série de documents officiels : rôles de taille de la ville de Louhans et des communautés rurales en 1789, Statistique personnelle de 1810, liste des notables d’Empire saisis à travers les collèges électoraux, listes électorales de la Monarchie censitaire, notices individuelles des conseillers généraux et d’arrondissement établies par l’administration, documents auxquels nous avons ajouté les renseignements nominatifs fournis par les annuaires départementaux, les dictionnaires biographiques du XIXe siècle, ainsi que des généalogies de familles, dont certaines avaient été faites au XIXe siècle à la demande des familles qui les ont conservées jusqu’à nos jours.

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61. Les caractéristiques sociales du groupe peuvent être réinsérées dans le tissu urbain de la Bourgogne d’Ancien Régime, voir Christine LAMARRE, Le fait urbain dans l’ancienne France. Les petites villes en Bourgogne au XVIIIe siècle, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1994. 62. Nous avons pu apprécier les aires d’influence de ces bourgeois louhannais à l’occasion de la rédaction des cahiers de doléances, lorsqu’ils ont présidé les assemblées d’habitants, Annie BLETON-RUGET, Les cahiers de doléances de la Bresse bourguignonne, Pierre-de-Bresse, publications de l’Écomusée de la Bresse bourguignonne, 1989. 63. L’histoire des revendications louhannaises en matière d’administration s’inscrit tout à fait dans le schéma d’analyse des rivalités urbaines mis en évidence par Ted MARGADANT, Urban Rivalries in the French Revolution, Princeton, Princeton University Press, 1992, 511 p. 64. La mise en place du gouvernement d’ordre moral, en 1873, entraîne pour un ultime épisode le retour de ce groupe à la tête de la municipalité louhannaise, avant que les succès républicains ne le conduisent à une totale marginalisation. La fin des notables, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Daniel Halévy, est ici celle de la bourgeoisie urbaine d’Ancien Régime. 65. C’est ce que montre la mise en relation de ces circonscriptions et la géographie des cahiers-modèles qui ont circulés dans les campagnes lors de la rédaction des cahiers de doléances. 66. Gérard NOIRIEL, Population, immigration et identité nationale en France. XIXe-XXe siècles, Paris, Éditions Hachette, 1992, p. 100. 67. Comme le montre l’histoire mouvementée des élections municipales entre 1870 et 1878. L’importance des maires dans le maillage territorial est une des conséquences de la politique républicaine d’égalité territoriale. Le renforcement des structures territoriales passe dès lors dans la capacité des groupes sociaux locaux à assurer leur intégration aux lignes de force déjà en place. 68. Nous avons examiné les sources territoriales de la légitimité politique dans un article, « Le territoire en politique », dans Jean-Luc PARODI et Claude PATRIAT [dir.], L’Hérédité en politique, Paris, Éditions Economica, 1992, 263 p., chapitre 3. 69. « C’est à son effort tenace […] que sont dus aujourd’hui l’éclatante prospérité et le renom de votre Bresse louhannaise pour me servir de l’appellation que, dit-on, l’honorable sénateur créa lui-même et qui devait avoir une si heureuse fortune », discours du préfet de Saône-et-Loire à l’occasion du service funèbre de Lucien Guillemaut, le 14 avril 1917, dans Annales de l’académie de Mâcon, tome 20, 1916‑1917, p. 356. 70. Nous avons examiné cette question dans un article, « Identité locale et notabilité républicaine : Lucien Guillemaut, inventeur de la Bresse louhannaise, 1879‑1912 », dans Les acteurs locaux dans la construction des territoires, École normale supérieure-Géophile, Fontenay-Saint-Cloud, 20 mai 1999, pp. 47‑53. 71. Il s’agit ici de dénoncer les découpages administratifs entre la Bresse de Saône-et- Loire et la Bresse de l’Ain, hérités de la Révolution, et de déplorer l’histoire de ces deux entités bressanes ayant appartenues l’une au duché de Bourgogne puis au royaume de France, l’autre à l’Empire avant de rejoindre plus tardivement le royaume. 72. Bresse noire et verte, Verda apud Nera, Bourg-Louhans, Protat, 1936. 73. On retrouve ces préoccupations dans l’inspiration régionaliste qui préside à la construction du Centre régional de l’Exposition internationale de 1937, voir Shanny

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PEER, « Les provinces à Paris : le Centre régional à l’exposition internationale de 1937 », dans Le Mouvement social, n° 186, janvier-mars 1999, pp. 45-67. 74. Nous avons analysé les significations complexes de ce Centre rural et des images de la ruralité qu’il véhiculait, « Agrarisme républicain, ethnographie folkloriste et régionalisme, quand Romenay s’exposait à Paris en 1937 », dans Pierre PONSOT [dir.], La Bresse, Les Bresses, de la préhistoire à nos jours, Saint-Just, Éditions A. Bonavitacola, 1998, pp. 225‑234. 75. Cette nouvelle dénomination a fait son apparition dans les années 1980, dans le sillage de la création d’un Écomusée de la Bresse bourguignonne (dont les limites de la sphère d’intervention excédaient celles de l’arrondissement) et dans le cadre de la promotion du territoire dans un environnement régional.

RÉSUMÉS

Dans le contexte qui est celui du « retour » des pays, l’étude travaille à la compréhension de la construction des pays « historiques » proposés au début du siècle comme des modèles d’organisation des espaces ruraux. À partir d’un exemple, la Bresse « louhannaise » dans le département de Saône-et-Loire, l’analyse met en œuvre les outils des sciences sociales pour montrer les rapports des groupes sociaux à un territoire d’appartenance structuré dans les mailles d’un espace politico-administratif. L’abandon d’une perspective classiquement chronologique permet le démontage de l’histoire du territoire et la mise en évidence des différentes temporalités qui ont accompagné son émergence et sa mise ne crise.

The "Pays" and there names: the invention of the Bresse "louhannaise" (XIXth and XXth centuries) In a sociological and cultural context which is known in France as the “retour des pays” (return to the little homelands), our study aims at understanding the intellectual construction of the so- called “historical regions”; these were proposed at the beginning of the XXth century as organization patterns for the rural areas. Interpreting the particular case of the Bresse “louhannaise” (named after a small region around Louhans, in the department of Saône-et- Loire), our analysis makes use of various social sciences tools, in order to show how the local social groups contributed to shape a territory of common belonging (“territoire d'appartenance”) within the administrative and political boundaries. Leaving aside the traditional chronological approach has made it possible to re-interpret the history of this small region and to make conspicuous the various rhythms which accompanied its emergence and decline.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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Le paysage de guerre dans le canton de Lassigny (Oise)

Philippe Boulanger

« Le front est là, cette limite immense, comme une côte ; il a son ressac, le canon, son écume, les fumées, ses fanaux et ses phares, les fusées (plus belles que les étoiles) ; il a ses albatros, ses mouettes, ses frégates : nos grands oiseaux frelons qui ronflent au ciel, et comme la mer enfin il a ses cimetières de marins, sur les falaises normandes ; j’en sais ici qui sont pareils. Cette guerre est une forme, une aspiration nouvelle dans la nature, qui est entrecroisement infini d’aspirations et de formes ; elle s’ajoute, s’ingère, elle ne dérange rien… » Daniel Halévy 1 1 En France, la Première Guerre mondiale, plus que la Seconde, bouleverse des paysages dans lesquels des hommes continuent de vivre. Pendant quatre années, une ligne de front de plusieurs dizaines de kilomètres de profondeur, étendue sur 750 kilomètres de la mer du Nord à la Suisse, devient une sorte de nouvelle frontière entre les nations armées, infranchissable et pourtant anéantie par la force déchaînée de l’artillerie et la volonté des hommes. « Cette guerre est une forme », écrit Daniel Halévy, « une aspiration nouvelle dans la nature, qui est entrecroisement infini d’aspirations et de formes ; elle s’ajoute, s’ingère, elle ne dérange rien […] ». Or, cette nature, élément oublié de l’histoire, préserve dans son essence les traces du conflit plus longtemps encore que les mentalités secouées pour quelques générations par les séquelles d’un tel écrasement de violence. Nature déchirée, paysage destructuré, topographie chaotique semblent caractériser un ordre nouveau de l’espace après la guerre. Encore aujourd’hui, le paysage de guerre traduit les degrés de violence des hommes et s’offre à nous comme le dernier « être » vivant de cette période, comme un lieu de mémoire constamment en mutation mais conservant profondément les marques des combats.

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Par définition, il se révèle au travers de la perception des traces du conflit qu’il offre à l’observateur dans un espace donné. Il renvoie à la capacité de l’homme de façonner un espace par des forces qui conduisent à la destruction, puis à la reconstruction. Sans atteindre le même niveau d’intensité qu’à Verdun, les Éparges ou l’Argonne dans la Meuse (nord‑ouest de la Lorraine), ces traces sont partout visibles à des degrés de perception divers dans le paysage du canton de Lassigny. Au nord‑est du département de l’Oise, ce canton rural se situe au cœur du massif de la « Petite Suisse », ardemment convoité par les armées allemandes et françaises en raison de la disposition de ces collines offrant une position stratégique de choix pour contrôler le sud du plateau picard. De 1914 à 1917, puis de nouveau à partir du printemps 1918, cet espace, ordonné et rythmé par les travaux agricoles, se place, par le hasard des événements, dans une tourmente aux conséquences presque indélébiles. Quelles sont les inscriptions de la Première Guerre mondiale dans ce paysage rural en particulier, à l’écart des grandes offensives du front de l’Ouest ? L’approche de ce type de paysage conduit à s’interroger sur plusieurs notions, celle d’abord de l’espace du front dans lequel se sont déroulés les combats, celle ensuite des formes perceptibles de la guerre dans le paysage et, enfin, celle qui conduit à considérer ce dernier « être » vivant du conflit comme un patrimoine identitaire et culturel sous‑estimé.

Un espace de guerre instable

La fixation de la ligne de front

2 Il faut attendre plusieurs semaines pour voir se cristalliser la ligne de front proprement dite. Du 3 août jusqu’à la mi‑septembre 1914, la guerre se caractérise par des mouvements divers des armées allemandes et alliées dans tout le nord et le nord‑est de la France. Après la bataille de la Marne (5‑12 septembre), l’armée du général Maunoury, qui constitue l’aile gauche de l’armée française sur la rive droite de l’Aisne et de l’Oise, reçoit pour objectif de contourner l’aile droite allemande dans le massif dit de « la Petite Suisse », au nord‑est du département de l’Oise. L’opération échoue et les armées se font face tout en tentant de déborder l’adversaire, pour le prendre à revers, en direction du nord. Cette manœuvre de débordement conduit au changement d’orientation du front. Suivant un axe est‑ouest de Belfort à Lassigny, le front s’étend désormais du sud au nord jusqu’à Arras, à partir de la « Petite Suisse » (document 1).

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Document 1. Le front de la guerre 1914-1918 en Picardie

3 La ligne de front se fixe ainsi à la mi‑septembre 1914 au cœur de la Picardie, dans le canton de Lassigny, suivant un axe nord‑ouest/sud‑est, comme le présente le document 2. Elle apparaît au nord‑ouest du canton par le bois de Loges, s’oriente vers Canny-sur-Matz en le contournant par l’est, pour traverser plus au sud Plessis-de-Roye, petit village à un kilomètre au sud du bourg de Lassigny. Elle coupe ensuite vers le sud‑est le bois étendu de Thiescourt et quitte à l’est la circonscription cantonale au niveau du bois du Buisson aux Renards. En somme, elle se situe à l’extrémité nord de l’Ile-de-France, au nord‑est de l’Oise, à la limite de l’Aisne (à l’est) et de la Somme (au nord).

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Document 2. La ligne de front dans le canton de Lassigny d’octobre 1914 à mars 1917

4 L’installation du front dans cette partie de la Picardie est rendue favorable par la disposition du relief qui joue un rôle déterminant dans la tactique de l’armée française. Au milieu de la plaine picarde, vaste étendue favorable traditionnellement aux invasions, se dresse le massif de la « Petite Suisse » caractérisé par ses vallons et ses collines boisées. Il forme de fait un véritable obstacle naturel aux déplacements des armées et un atout pour des aménagements défensifs grâce à la présence de zones forestières importantes, comme le bois de Thiescourt en son centre, et de promontoires offrant des sites d’observation favorables. La butte de l’Écouvillon atteint 182 mètres d’altitude et celle du Plémont s’élève à 163 mètres. Ce massif de dimensions modestes, eu égard au massif de moyennes montagnes des Vosges sur lequel s’installe également la ligne de front, est considéré comme un site d’exception sur un plan tactique comme sur un plan stratégique, et devient un secteur militaire déterminant pour la poursuite de la guerre du côté français. Son relief permet des aménagements militaires de défense difficiles à créer dans la plaine picarde. Le site offre donc des avantages naturels et permet aux deux armées de s’installer solidement tant à la surface du sol que dans les anciennes galeries de mines qui accueillent de véritables casernements au cœur du dispositif militaire du front. 5 Le massif de la « Petite Suisse » apparaît donc comme un espace de guerre convoité et défendu par les deux armées avec acharnement. Après les combats meurtriers du 30 mars au 1er avril 1918, dont l’enjeu est la prise de la butte du Plémont par les Allemands, un officier français note la raison essentielle du sacrifice des régiments de la 77e division d’infanterie française : « Le massif de la Petite Suisse, en effet, est bien le dernier obstacle naturel, qui, sur la rive droite de l’Oise, couvre Compiègne et Paris. C’est là qu’il fallait arrêter l’ennemi » 2.

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6 À partir du mois d’octobre 1914, le front s’organise pour plusieurs années. Les armées françaises et allemandes s’enterrent dans des tranchées boueuses et des sites difficiles à préserver en bon état d’occupation sous un climat humide et dans une terre argileuse. Quotidiennement, les soldats effectuent des travaux d’aménagement et d’entretien de leurs positions respectives. Le secteur se révèle relativement calme, selon les rapports quotidiens des officiers français. Quelques attaques sont déclenchées dans les derniers mois de 1914 sans atteindre de véritable ampleur, comme celles de novembre provoquées par l’armée allemande, qui échouent. Elles tendent à prendre généralement un site précis et réunissent des moyens réduits. L’objectif étant d’améliorer les sites d’observation pour contrôler l’ennemi 3. Mais ces attaques se manifestent essentiellement au début de la guerre de position qui s’installe dans l’ensemble du front en France. Les rapports des années 1915 à début 1917 mentionnent surtout les travaux d’aménagement de tranchées et commencent le plus souvent par « journée calme ». Par exemple, le rapport du 5 janvier 1917 de la 120e division d’infanterie française qui stationne provisoirement dans le canton de Lassigny précise « rien à signaler ». L’artillerie est peu active et effectue des tirs de réglage. Les troupes occupent leur temps à la « continuation des travaux en cours » et notamment à la remise en état des tranchées et boyaux endommagés par les bombardements et la pluie. On signale également des déplacements de trains du côté allemand, des « allées et venues de groupes allemands » ainsi que des tirs de mitrailleuses localisés 4. Quelques « coups de main » sont aussi organisés au début 1917, dont la mission consiste tantôt à faire des prisonniers, tantôt à « nettoyer » certains abris. Mais ces opérations brèves réunissent une dizaine d’hommes sans atteindre une échelle étendue. 7 La ligne du front se renforce donc durant cette période de calme qui s’étend jusqu’au printemps 1917. Elle présente alors une disposition précise en termes d’aménagement militaire. De part et d’autre du no man’s land qui s’étend sur 100 à 200 mètres de profondeur, chaque partie comprend trois positions, divisées elles‑mêmes en trois lignes de tranchées. Du côté allemand, la première position se situe sur une ligne reliant le bois de Loges au bois du Buisson en traversant Plessis-de-Roye. La deuxième position s’installe deux à trois kilomètres en arrière, sur une ligne Amy (au nord‑ouest du canton) à Évricourt (au sud‑est). Elle est doublée d’une position protégeant surtout des villages destinée à faciliter les contre-attaques, organisée à Sceaucourt, Lagny, Candor et Avricourt. Enfin, la troisième position se localise à l’est du canton, suivant un axe nord‑ouest/sud‑est lui‑même organisé à l’est de la ville de Noyon. Du côté français, la première position suit l’orientation de la ligne de front allemande. Elle traverse Canny-sur-Matz, Plessis-de-Roye, le Haut-Bocage, L’Écouvillon, puis la montagne de Campello. La deuxième position se localise à cinq kilomètres vers l’ouest, suivant l’axe Élincourt-Marguerite, Mareuil-la-Motte, Gury, Roye-sur-Matz. La troisième s’installe en dehors des limites du canton et constitue la zone de repos des unités qui remontent de la première ligne. Elle se localise sur une ligne reliant Conchy-les-Pots, Orvillers-Sorel et Cuvilly à cinq ou sept kilomètres de la deuxième position. En somme, l’espace de guerre s’étend de part et d’autre du no man’s land sur dix à quinze kilomètres de profondeur, soit une trentaine de kilomètres en comprenant les deux secteurs allemand et français. 8 Installée à la mi‑septembre, la ligne de front demeure un espace de guerre établi jusqu’au printemps 1917. À partir de cette période, elle devient instable et l’enjeu d’affrontements plus âpres.

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L’instabilité de la ligne de front

9 À partir du 20 mars 1917, cet espace de guerre dans lequel les armées se sont durablement organisées change de localisation. En mars 1917, les troupes allemandes effectuent un repli jusqu’à la ligne Hindenburg située à 40 kilomètres vers l’est. Le canton de Lassigny cesse de devenir une position avancée dans la guerre. Dès la mi‑mars, ce repli allemand débute à la surprise des patrouilles de reconnaissance françaises qui occupent les avant‑postes allemands abandonnés 5. Le 21 mars, la troisième armée française reçoit l’ordre de préparer l’occupation de la région abandonnée et de s’installer sur la ligne de la vallée de Bray-Saint-Christophe, canal Crozat, basse vallée de Concy 6. Dans leur retraite, les troupes allemandes qui tendent à réduire la dimension de leur front, procèdent à des destructions importantes et à la tactique de la « terre brûlée ». Les villages de Guy, Lagny et Candor, entre autres, qui accueillaient les unités au repos et les postes de commandements, font l’objet de destructions systématiques, tout comme les champs d’arbres fruitiers, détruits à la dynamite. La remise en état n’attendra pas la fin de la guerre cependant. Dès le printemps 1917, les premiers travaux de remise en culture sont entrepris par des soldats tandis que des villageois commencent à revenir pour reconstruire leurs maisons dévastées. Cette période d’accalmie demeure néanmoins toute provisoire.

10 Un an plus tard, la ligne de front s’installe de nouveau dans le canton de Lassigny sur les mêmes lignes de tranchées, ou presque, que celles des années 1914‑1917. Le 21 mars 1918, l’armée allemande lance une offensive décisive entre l’Oise et la Scarpe, précédée de violents bombardements. 37 divisions de l’armée Von Hutier bousculent les défenses françaises et britanniques. Elles franchissent le canal de Crozat le lendemain et menacent directement la ligne Noyon-Lassigny-Montdidier découverte. La route de l’Ile-de-France est ainsi ouverte. Pour contrer l’avance allemande, plusieurs divisions françaises sont ramenées de toutes les parties du front (Champagne, Lorraine, Alsace, Flandre) et arrêtent le 5 avril l’avance allemande dans le massif de la « Petite Suisse », qui joue le même rôle défensif qu’en septembre 1914. L’armée du général Humbert oppose une résistante féroce et contrecarre tous les assauts allemands dans le bois de Thiescourt comme à la butte de Plémont (30 mars‑1er avril). La division du général Pellé se distingue en particulier dans le village de Plessis-de-Roye, où des combats au corps à corps permettent de reprendre le terrain conquis par l’armée allemande. Pendant plusieurs semaines, les deux armées procèdent à de nouveaux aménagements militaires. On signale des « travaux allemands au nord et à l’est du Bois Impénétrable [nord‑ouest de Lassigny]. L’ennemi semble vouloir relier nos anciennes premières lignes au sud de Canny-sur-Matz à ses anciennes premières lignes vers la Tour Rolland [position d’une mitrailleuse allemande au nord‑ouest de Lassigny] avec la voie ferrée comme ligne de raccord ». « Une grande activité aérienne allemande » est aussi remarquée avec le passage de 24 appareils 7. 11 Le canton de Lassigny devient pour la seconde fois un espace de guerre, à la différence qu’il se caractérise entre mars et août 1918 par des combats intenses, dus à la détermination des deux adversaires. Le 9 juin, une nouvelle offensive allemande est déclenchée pour réduire le saillant de Compiègne qui rend fragile l’avancée allemande au Chemin des Dames lancée le 27 mai. Elle doit enfoncer les lignes françaises entre Montdidier et Noyon pour se diriger vers Compiègne, située au sud de Lassigny. L’avance allemande reste lente malgré une violente préparation d’artillerie et la

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concentration de treize divisions dans cette opération. Dans le secteur de Lassigny, elle se heurte à la résistance des cuirassiers à pied. La butte du Plémont est ainsi occupée après quatorze assauts allemands. La première position française se retire derrière la deuxième, puis quitte ce secteur, après de violents bombardements et l’attaque des tanks allemands. Le massif de la « Petite Suisse » entre dans la zone allemande dès le 10 juin tandis que la ligne de front se fixe provisoirement à dix kilomètres au nord de Compiègne, au niveau du ruisseau du Matz, à l’extrémité sud du canton. 12 À partir d’août 1918, le massif de la « Petite Suisse » devient de nouveau un champ de bataille. Le 9 août, est lancée une offensive française face à des troupes allemandes épuisées, permettant de dégager la ville de Compiègne et d’enfoncer les lignes allemandes. Le 11 août, le massif de Thiescourt est repris après avoir été contourné à l’ouest par la 70e division 8. Le 15 août, l’armée de Humbert se situe à quelques centaines de mètres de Lassigny tandis que les Allemands réoccupent pour la deuxième fois leurs tranchées de 1914 9. Le 21 août, la butte du Plémont est reprise ; le 22, Lassigny est occupé tandis que l’armée allemande bat en retraite jusqu’à la ligne Hindenburg. Le 27 août, trois divisions poursuivent leur manœuvre et libèrent, village par village, le terrain occupé par les dernières unités allemandes couvrant la retraite de leur armée 10. À la fin du mois d’août, le canton de Lassigny paraît définitivement libéré. Il cesse de devenir un espace de guerre, un glacis militaire après presque quatre ans de face à face. Le bilan des destructions peut débuter et fait alors apparaître l’impact des affrontements et les conséquences de la présence irrégulière de la ligne de front.

L’ampleur des dévastations en 1918

13 Le bilan matériel et humain de la guerre dans le nord‑est de l’Oise révèle l’ampleur de la guerre. Le canton de Lassigny s’est trouvé au cœur de la ligne de front d’octobre 1914 à mars 1917, en mars et avril 1918, puis en août 1918. Cette partie de la Picardie a été à la fois victime des bombardements d’artillerie et de l’aménagement militaire de chaque camp (réseaux de tranchées), mais aussi des pillages et des destructions volontaires des maisons et des cultures lors de la retraite allemande de mars 1917 et d’août 1918. Elle appartient au secteur du département de l’Oise le plus touché par les destructions issues de la guerre.

14 Les 23 communes du canton sont endommagées voire totalement détruites (habitations et zones de culture). Les villages situés au cœur de la ligne de front sont totalement dévastés, comme Plessie-de-Roye. D’autres villages ont subi les passages des troupes tantôt allemandes tantôt françaises, comme Candor, Plesnières, Plessis-Cacheleux, Thiescourt, Guy, où parfois seules les caves peuvent encore abriter les habitants de retour dans les restes de leurs maisons. Les dommages agricoles amputent toutes les activités traditionnelles dans ce canton rural. Les zones de culture doivent être remises en état. Dans l’Oise, on estime que 162 781 hectares doivent être reconstitués, soit un tiers de la surface totale du département, et sans doute une grande partie de la surface du canton de Lassigny. 2 403 kilomètres de routes et 288 ouvrages d’art sont à réaménager 11. Onze millions de mètres carrés de fils de fer barbelés sont à enlever, presque dix millions de mètres cubes de tranchées à combler 12. Selon Hugh Clout, le nombre des exploitations et établissements privés touchés par la guerre dans le département s’élève à 8 900 unités complètement détruites, 4 661 gravement détruites et 22 700 partiellement détruites 13. Les cantons situés sur la ligne de front

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appartiennent au secteur le plus touché et présentent un paysage lunaire, ne laissant apparaître aucune maison en état. Les destructions peuvent atteindre jusqu’à 90 % des maisons. La guerre a suscité aussi le déplacement de la population qui n’a pas systématiquement rejoint sa commune d’origine après la guerre. En novembre 1918, 300 000 habitants sont recensés dans l’Oise contre 411 000 en 1911, soit une perte de 27 %. On peut considérer que cette dernière proportion est en‑deçà de la réalité quant au canton de Lassigny, entièrement évacué, puis bénéficiant d’une politique de reconstruction importante. 15 Les dégâts humains et matériels sont considérables et l’œuvre de reconstruction entreprise dans l’Entre-deux-guerres, comme l’a montré Hugh Clout, doit permettre de reconstituer la vie rurale d’avant-guerre. Que reste‑t‑il aujourd’hui des traces des hostilités dans le paysage ? La reconstruction a‑t‑elle été totale au point que les marques de l’acharnement des combats dans cette partie du front aient complètement disparu ?

Les inscriptions de la guerre dans le paysage

16 Les inscriptions de la guerre dans le paysage du canton de Lassigny témoignent des combats acharnés qui s’y sont déroulés. Entonnoirs recouverts par la végétation, boyaux et tranchées à peine visibles, habitations en ruines en sont les derniers éléments vivants. Ces éléments apparaissent discrètement toutefois au visiteur non averti, car les efforts de reconstruction effectués depuis 80 ans tendent à effacer progressivement une topographie jadis chaotique. « Un champ de bataille, écrivait Julien Gracq 14, revisité vingt ou trente ans après la guerre relègue l’événement qui l’a marqué dans un plus‑que‑passé, un irréel passé qui demanderait pour le signifier un temps inédit du verbe, tout comme le grenier de l’enfance plein de toiles d’araignée […] garde pour nous les traces non pas d’une étape de la croissance, mais d’un état biologique autre et d’un cycle vital clos ». L’univers de la guerre au quotidien s’éloignerait bel et bien de nous si le paysage ne devenait un lieu de mémoire à part entière, dont il faut déchiffrer la signification. La force des destructions dans l’espace, encore visibles en plusieurs sites du front, ne suffit cependant pas à figer le paysage de guerre de manière définitive. Les inscriptions de la violence s’effacent lentement avec le processus d’érosion de la nature ou par l’action de l’homme. « Rien du mode de vie étrange, poursuit Julien Gracq, expérimenté un moment dans ces lieux de violence élémentaire n’éveille plus en nous le mouvement familier qui en rouvrirait l’accès au souvenir : chemins et haies, fermes, canaux, ponceaux, écluses, regagnent l’anonymat des signes conventionnels d’une carte d’État‑major ». Quelles sont aujourd’hui ces inscriptions dans le paysage ? Que reste‑t‑il de cette « violence élémentaire » dans cet espace de guerre ?

La nouvelle identité des maisons et des villages picards

17 La première forme de cette violence dans le paysage apparaît incontestablement dans la disposition du village et l’architecture des maisons. Entre autres géographes, Vidal de la Blache, avant la guerre, avait mis en évidence l’aspect original et spécifique de l’habitat rural en Picardie 15. Sur le plateau picard comme dans la « Petite Suisse », l’habitat demeure groupé à l’exception de quelques grandes fermes et de hameaux

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isolés. Les villages, dont les noms se terminent souvent en « court », révélant leur origine agricole, sont nombreux (Thiescourt, Cannectancourt, etc.), distants les uns des autres de deux ou trois kilomètres, organisés autour du bourg de Lassigny dont le nombre d’habitants dépasse le millier. S’étendant tout en longueur à partir de l’axe central que constitue la rue, ils forment des villages-rues aérés et composés d’exploitations de tailles différentes. La ferme agricole présente une disposition traditionnelle qui témoigne d’une adaptation aux rigueurs de l’hiver. Elle comprend un ensemble de bâtiments (habitation, écurie, étable, grange, bergerie, colombier, poulailler) organisés autour d’une cour carrée et fermée. Seule la grange est apparente depuis la rue tandis que la maison se situe face à l’imposante porte d’entrée de la ferme.

18 Lorsque la guerre s’achève dans le canton de Lassigny, presque tous les villages sont arasés par la violence des combats et demandent une reconstruction. Comme dans d’autres régions touchées par la guerre, ces reconstructions ne reproduisent pas exactement le village d’autrefois et s’inspirent de nouveaux modèles d’aménagement. Les raisons en sont diverses : l’application des conditions d’hygiène (ouverture vers l’extérieur pour accroître la luminosité intérieure, remplacement du torchis sur les façades), le dépeuplement provisoire au début de l’Entre-deux-guerres, l’influence des plans d’urbanisme permettant la mise en place de trottoirs et d’une place dégagée devant la mairie ou l’école. L’évolution du village de Fresnières situé dans le nord‑ouest du canton constitue un exemple significatif de ces mutations. Celui‑ci présente cette originalité d’être localisé sur la première ligne allemande de 1914 à 1917, aux abords de la route Roye-Lassigny. Cerné dans sa partie sud par un lacis de tranchées et boyaux, protégé par plusieurs couvertures de fils barbelés, Fresnières est un des bastions de défense allemands qui font face aux lignes françaises installées dans le bois des Loges, à 300 mètres. Une carte d’état‑major française de janvier 1917 (document 3) illustre l’importance de ces aménagements militaires qui sont la cible régulière de l’artillerie française. Fresnières n’est occupé qu’après le repli des Allemands en mars 1917 et sort bouleversé de trois années de guerre. D’après la carte du Service géographique de l’armée de 1890 (document 4), le village apparaît de taille modeste, étendu tout en longueur de part et d’autre de la rue. La disposition de l’habitat conduit à observer sa vocation essentiellement agricole car le village est composé principalement de fermes à cours carrées. Après la destruction totale du village de 1914 à 1917, Fresnières s’est dépeuplé et semble avoir perdu l’essence même de son organisation collective. En 1928, il comprend seulement une dizaine d’habitations dispersées, à une époque où la reconstruction est entamée depuis dix ans.

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Document 3. L’aménagement de la première ligne de tranchées allemandes au sud de Fresnières en janvier 1917

Document 4. Le village de Fresnières de 1890 à 1996

19 Aujourd’hui, Fresnières recense cent habitants et s’est rebâti progressivement depuis les années 1950, en faisant apparaître des mutations majeures. Tout d’abord, tous les

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emplacements ne sont pas encore réoccupés, laissant ainsi apparaître des interstices de verdure entre deux maisons et, parfois, une ancienne cave à ciel ouvert de deux à trois mètres de profondeur. L’architecture des maisons et celle du village sortent bouleversées de la guerre. Les grandes fermes sont en effet reléguées, pour la quasi totalité, aux périphéries du village. Les maisons individuelles, de taille restreinte car fort coûteuses dans l’après-guerre pour des familles de réfugiés, se sont développées. Elles comprennent un petit jardin sur la rue, un portail et une clôture. Elles ont perdu leur vocation agricole, comme en témoignent leur taille modeste, les matériaux de construction utilisés et le style architectural inspiré du courant dominant dans les années 1920 et 1930. Le trottoir a conquis l’espace public devant les façades des habitations comprenant désormais plusieurs ouvertures. La présence de styles des années 1970‑1990 conduit à imaginer aussi que l’occupation d’espaces non reconstruits entre 1918 et 1940 continue de s’effectuer par des péri-urbains à la recherche d’un cadre de confort rural. 20 Les bâtiments collectifs ne sont pas épargnés. L’église détruite est reconstruite en 1929 et 1930 à l’emplacement originel. Le recours à l’architecte Prêtre confirme la volonté des habitants de rebâtir le village dans son état d’avant-guerre comme en témoigne le style néo‑roman du bâtiment religieux. Seul l’ancien cimetière laisse supposer, aux abords de la nouvelle église, l’ampleur des dégâts. Quelques dalles de granit abandonnées dans un terrain défriché et non occupé, ainsi qu’une topographie laissant deviner l’emplacement des tranchées, font supposer qu’un nouveau cimetière a été aménagé sur un autre site, précisément à la périphérie ouest du village. La mairie et l’école communale affichent, en revanche, un tout autre style, nettement influencé par l’art nouveau. Un bâtiment fondé en 1890 et reconstruit en 1926 rassemble ces deux institutions et confirme tout à la fois l’importance des destructions et les efforts de la reconstruction. En somme, la guerre a dévasté entièrement le village mais a suscité un aménagement créant un dégagement et une aération inconnus dans le passé, tant par la recherche d’un nouveau confort que dans la disposition des maisons devenues résidentielles. En cela, ce village est révélateur des nouveaux genres de vie des habitants de l’Entre-deux-guerres, ne laissant pas de traces significatives de la guerre, sinon par l’ancien emplacement du cimetière. 21 Tout autre est le village de Plessis-de-Roye (appelé jadis Plessier-de-Roye), situé à faible distance au sud de Lassigny. La première ligne française s’y dresse de 1914 à 1917, puis de nouveau en mars‑avril 1918 où l’armée allemande s’élance de Lassigny pour le conquérir. Le village sort de la guerre en grande partie détruit (document 5). L’église, le château cerné de douves, la mairie comme les maisons sont dévastés. À la différence de Fresnières, Plessis-de-Roye se reconstruit presque entièrement, donnant l’impression d’un ensemble cohérent. Sa recomposition sur le site originel, nettoyé des obus et ferrailles, contrairement à d’autres types de reconstruction en Lorraine, exprime ainsi l’attachement profond des habitants à leurs maisons et à leurs terres. Il comprend même aujourd’hui de nouveaux habitants issus de la ville, qui construisent dans les derniers espaces libres. Si de nouveaux matériaux de construction sont utilisés, le style de la ferme à cour carrée reste dominant et constitue l’essentiel des habitations d’après-guerre. Une fois de plus, s’exprime la volonté de reproduire le village d’autrefois le long de l’axe central. Seuls le château et l’église laissent supposer qu’un paysage de guerre, lunaire et chaotique, a pu caractériser le site autrefois. Le premier reste dans son état de 1918. Ne demeurent que les douves, une partie du grand portail et quelques façades criblées par des éclats d’obus, d’un ensemble dont on suppose les

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proportions importantes. L’église n’est rebâtie qu’en partie mais dans le style originel, dénué de toute innovation. L’ancien porche en pierre de taille, épargné, ouvre sur des ruines appartenant à la nef détruite. Seule la partie de la nef proche du chœur a été reconstruite, probablement avec des matériaux récupérés.

Document 5. La commune de Plessis-de-Roye

22 Si à Plessis-de-Roye et à Fresnières les inscriptions de la guerre restent discrètes, d’autres éléments témoignent au contraire d’un esprit d’inventivité qui se perçoit dans tous les villages détruits totalement ou partiellement. Les matériaux des bâtiments ont évolué. Le toit de chaume, le torchis recouvrant les façades sont remplacés par des matériaux moins coûteux et facilement exploitables. La brique et la tuile plate, fabriquées désormais mécaniquement, deviennent la base de la reconstruction et créent une unité visuelle nouvelle dans le village. Seuls quelques quartiers d’habitations ont préservé leurs caractères originels et laissent supposer qu’ils ont été épargnés par la guerre. À Cannectancourt, certaines maisons présentent cette spécificité au côté des nouvelles constructions de briques ou, plus contemporaines, en béton. Dans de rares cas, la pierre de taille, provenant des carrières alentour, se mélange avec la brique. Des façades de fermes à cour carrée se composent ainsi d’une base en brique complétée par des parties en pierre de taille. Ce genre de témoignages de la guerre et de la reconstruction se retrouve dans les villages situés à l’arrière de l’ancienne première ligne allemande. Enfin, il faut aussi souligner l’existence de maisons en bois, composées d’un toit de tôles, contemporaines de la reconstruction, et destinées à accueillir les premiers réfugiés 16. Établies avec l’aide des différents services de la reconstruction, qu’ils soient français, britanniques ou américains, ces maisons sont de taille restreinte, de forme carrée et limitées au rez-de-chaussée (document 6). Elles se composent d’un jardin potager, d’une fenêtre sur chaque face et d’une seule entrée. Leur style se retrouve avec différentes variantes (en tôle ondulée par exemple) dans toute la Picardie touchée par la guerre. Ces maisons ont pratiquement disparu

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dans le canton de Lassigny. Seul un cas, à la périphérie de Lassigny, demeure dans un bon état d’entretien extérieur. Elle confirme l’aménagement de différents quartiers de ce type de maisons dans le bourg, qui n’ont pas résisté aux constructions en brique. 23 Les inscriptions de la guerre se montrent discrètes dans le canton de Lassigny. Seules les innovations introduites par la reconstruction laissent supposer au premier abord l’ampleur des dévastations. Thiescourt, Lassigny, Canny-sur-Matz, entre autres exemples, présentent l’originalité d’une reconstruction inspirée du style art nouveau, propre aux années vingt pour tous les établissements publics (mairie, école, église) (document 8). Si, dans l’ensemble, le village picard préserve sa cohérence dans l’organisation des maisons à partir de l’axe central, il ne donne plus cette impression d’unité traditionnelle. Les fermes à cour carrée ne constituent plus les constructions dominantes, laissant supposer que les activités humaines comme les genres de vie sortent à leur tour bouleversés de quatre ans de guerre.

Les nouvelles activités rurales

24 À la veille de la guerre, le canton rural de Lassigny rassemble essentiellement des activités agricoles et industrielles. La population vit d’abord de l’exploitation agricole, en partie fondée sur la culture de la betterave et des céréales, ainsi que sur l’élevage bovin et ovin. Toutes les tailles d’exploitations sont d’ailleurs représentées. 17,6 % d’entre elles comprennent une superficie de 1 à 10 hectares, 24,7 % de 10 à 40 hectares, 57,7 % de plus de 40 hectares. Les grandes exploitations se situent surtout dans l’ouest du canton, c’est‑à‑dire sur le plateau picard où domine l’openfield. Dans le massif de la « Petite Suisse », au relief plus vallonné et élevé, les exploitations agricoles sont moins nombreuses, consacrées surtout à l’élevage et à l’exploitation forestière de hêtres et de peupliers. L’activité industrielle, elle aussi présente dans le canton, est orientée surtout vers l’exploitation de la pierre de taille. Plusieurs mines et carrières sont en activité à la veille de la guerre, comme celles situées à l’est de Gury et à l’ouest de Thiescourt.

25 Au lendemain de la guerre, plusieurs mutations interviennent dans l’activité socio‑économique du canton. L’emplacement de la ligne de front conduit d’abord au nouvel aménagement des terres dévastées, marquées de trous d’obus ou contenant encore plusieurs explosifs intacts. Dans la quasi‑totalité de l’espace de guerre, ces terres sont remises en culture grâce aux efforts des différents services de reconstruction dans l’Entre-deux-guerres. En effet, les travaux de désobusage et de déblaiement des ferrailles s’achèvent au début des années 1930 au point que les zones dites rouges, c’est‑à‑dire reconnues depuis 1919 comme inconstructibles, sont relativement rares dans le paysage 17. Pourtant, différentes parcelles de terres cultivées avant 1914 font apparaître les séquelles des hostilités. Au nord‑est de Canny-sur-Matz, les inscriptions de la guerre demeurent encore intactes et relatent la violence des combats de première ligne. Étendue à plusieurs hectares à la périphérie du finage, la zone non reconstructible est devenue soit une aire de pacage pour des bovins empruntant dans le pré le tracé des tranchées, soit une aire interdite au public et destinée à l’exploitation forestière. Ce phénomène n’est pas propre à cette partie du front. Dans d’autres secteurs, comme dans le canton de Blâmont en Meurthe-et- Moselle, la zone rouge est reconvertie en domaine forestier, sous contrôle de l’Office national des forêts, dans la mesure où toute exploitation agricole susciterait des travaux d’aménagement coûteux et dangereux. L’extension de la forêt, de hêtres ou de

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peupliers, concerne surtout les secteurs marqués par l’acharnement des combats. La butte du Plémont (163 mètres d’altitude), consacrée pour moitié à la forêt affouagère et pour l’autre au pacage des bêtes avant 1914, devient un site militaire de choix. Elle permet de contrôler les mouvements des armées sur le plateau picard, à l’Ouest, ou venant de Noyon vers l’Est. Armées françaises et allemandes s’acharnent à occuper ou à réoccuper ce site important par des assauts successifs. La butte ressemble en 1918 à un paysage lunaire, entièrement dévasté, où s’élèvent de rares troncs d’arbres. Aujourd’hui, plus qu’ailleurs peut‑être, les marques de la guerre n’ont toujours pas été effacées. Les côtes restent creusées par des centaines de trous d’obus, à peine comblés par les nouvelles couches d’humus, tandis que le sommet laisse apparaître encore l’organisation défensive extérieure et souterraine. Compte tenu du degré de dévastation, le domaine du Plémont, destiné uniquement à l’exploitation forestière (document 5), est géré aujourd’hui par l’Office national des forêts. 26 Néanmoins, dans l’ensemble, les terres anciennement agricoles sont remises en état, tout en étant réorganisées par un programme de remembrement à partir de 1919. À Fresnières, par exemple, les champs situés soit dans le no man’s land, soit sur les premières lignes allemandes, ne présentent aucune trace précise de la guerre (document 9). Trous d’obus, tranchées et boyaux ont été comblés, piquets et fils de barbelés ont été retirés au point de ne rien laisser supposer de la guerre. Moins important sur un plan matériel, bien que l’événement ait eu un grand retentissement moral après le repli de l’armée allemande en mars 1917, la destruction à la dynamite des arbres fruitiers de Canny-sur-Matz n’est plus perceptible aujourd’hui. Les arbres remplacés dès l’après-guerre, ne rendent aucunement compte de l’ampleur des destructions matérielles à proximité de la ligne de front. 27 Si les activités agricoles ont permis de réinvestir la quasi‑totalité de l’espace de guerre, il en va tout autrement des autres activités économiques, et en particulier de l’exploitation des carrières. À la veille de la guerre, les versants des collines de la « Petite Suisse » sont exploités pour la pierre de taille de qualité et recouvrent des réseaux de galeries souterraines. Dans la plupart des cas, ces galeries ont accueilli des soldats des deux camps, transformées en cantonnement militaire et en lieu de vie pour soldats de première ligne. Les galeries dites des Chauffours, situées dans la commune de Thiescourt, représentent l’un des témoignages de cette vie souterraine, où le passage des soldats français est révélé par des sculptures et dessins sur pierre de grande qualité 18. Ces exploitations à ciel ouvert ou souterraines sont l’objet de destruction systématique à un moment donné de la guerre. À la fin des années 1920, toutes ou presque sont fermées, puisque les galeries sont en partie effondrées par le poids des bombardements ou par destruction volontaire lors du repli des Allemands. En outre, la pierre de taille devient difficilement exploitable. Les tailleurs de pierre se font rares, même si une main‑d’œuvre jeune et provenant du sud de la Loire émigre en Picardie pour trouver un premier travail dès le début des années 1920 19. L’exploitation devient aussi onéreuse dans un contexte où les réfugiés sont dénués de tout bien et richesse, où les indemnités de guerre versées par l’État tardent à venir. Un autre matériau moins coûteux et plus facile d’exploitation s’impose alors : la brique. Dans toute la Picardie touchée par la guerre, différentes briqueteries sont créées et produisent quantité de briques destinées aux bâtiments, publics ou privés. Celle de Suzoy, dans le canton de Noyon, semble avoir participé directement à la reconstruction des villages dans le canton de Lassigny.

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28 Enfin, un autre domaine économique évolue dans l’Entre-deux-guerres. Les transports, et notamment les transports ferroviaires, semblent perdre une position déterminante dans le canton. Un réseau de lignes secondaires traverse encore en 1928 la plupart des villages, reliant Montdidier à Noyon par Lassigny, l’aérodrome de Roye-Amy à Canny- sur-Matz par Fresnières 20. Ces voies ferrées semblent avoir été construites non pas à la fin du XIXe siècle, (la carte du Service géographique de l’armée de 1890 ne les mentionne pas), mais par l’armée française afin de ravitailler au mieux les troupes de première ligne. Elles se seraient étendues avec l’avance de l’armée française soit après le premier repli allemand de mars 1917, soit à partir d’août 1918. Dans les années 1930, les réseaux secondaires, trop coûteux d’entretien malgré un rôle socio‑économique important en milieu rural, sont démantelés et remplacés par des chemins vicinaux. Cette évolution apparaît nettement à Fresnières où la voie ferrée est devenue une nouvelle route bitumée. Seules les traverses de chemin de fer, utilisées comme piquets de clôture par les propriétaires voisins, témoignent de l’existence de cet ancien mode de transport. La disparition de ces réseaux secondaires suppose une évolution des échanges entre villages du canton dont il apparaît bien difficile de mesurer les conséquences socio‑économiques. Tout juste est‑il possible de souligner la disparition, une fois de plus, des inscriptions de la guerre qui ne renvoient pas, dans ce dernier cas, à la destruction. 29 Si les marques de la guerre tendent à s’effacer dans le paysage, il en existe d’autres dont la vocation consiste justement à en entretenir le souvenir, sous des formes diverses et volontaires. Quels sont les lieux de mémoire dans le paysage du canton de Lassigny ?

Les lieux de mémoire de la guerre dans le paysage

30 Les lieux de mémoire de la guerre dans le paysage se définissent comme les manifestations volontaires de conserver le souvenir des combats et des destructions de la part des associations ou des collectivités locales. Dans le canton de Lassigny, trois types de lieux peuvent être distingués nettement et sont liés étroitement par leur fonction dans l’espace.

31 Existent d’abord les cimetières militaires français et allemands qui sont situés le plus souvent à la périphérie des villages. La discrétion de leur emplacement est liée à la faible information présentée aux visiteurs pour les retrouver, à l’exception des cimetières allemands, indiqués par plusieurs panneaux au bord des routes. Deux cimetières sont aménagés dans le canton, dont un rassemble des tombes des deux armées. Le plus important est manifestement celui de Thiescourt comprenant 2 359 sépultures, dont 1 095 allemandes 21. Celles‑ci se présentent sous la forme de plaques de granit gravées des noms des soldats, dressées à la verticale et alignées soigneusement. Elles appartiennent à des soldats morts entre 1914 et 1916 et semblent correspondre à la partie la plus ancienne de ce cimetière à laquelle sont intégrées des tombes de soldats français morts surtout lors de la contre-offensive d’août 1918 22. Un deuxième cimetière allemand se localise à Lassigny et se distingue du précédent tant par le nombre des soldats enterrés (1 777 hommes) que par l’époque des inhumations (surtout juillet‑août 1918) et la sobriété des croix noires, de taille modeste et difficilement alignées. Les cimetières militaires appartiennent bel et bien aux lieux de mémoire de la guerre dans le paysage. Ils signalent directement non seulement la

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présence d’anciens combats à l’emplacement du front, mais aussi la dimension humaine de la guerre. 32 Un deuxième type de lieux de mémoire se rencontre fréquemment sur les bords des routes par les monuments dédiés au sacrifice des armées françaises. Huit sont installés à l’emplacement de la ligne de front. La présence de monuments français apparaît particulièrement riche de signification tant sur la guerre que sur l’après-guerre. D’abord, ceux‑ci ne relatent que les faits d’armes français, les monuments allemands étant inexistants dans le canton comme dans d’autres parties du front en France. Ils pourraient appartenir, selon la classification établie par Antoine Prost, à la catégorie des monuments dits civiques 23. Ils sont dépouillés de signes patriotiques ou pacifistes et tendent à rappeler un moment déterminant de la guerre sur le front. Deuxièmement, ces monuments se caractérisent par la diversité des formes et des tailles. Celui de Canny-sur-Matz correspond au modèle le plus diffusé. Il se présente sous la forme d’un obélisque en granit de 1,50 mètre de haut environ (document 7). Un casque de poilu sculpté surmonte ce monument sur lequel se lit une inscription en rapport avec le fait d’armes. Celle‑ci, gravée puis peinte à la peinture d’or, est illisible, du fait de l’érosion. Celui de Fresnières se présente sous la forme d’un vaste monument de 4 mètres de hauteur, en forme de croix imposante, auquel sont associés les noms des soldats morts de la commune. Celui de Plémont se compose d’une stèle de granit sobre sur laquelle est apposée une plaque de marbre rappelant le sacrifice du 4e régiment de chasseurs à pied devant les quatorze assauts du 9 juin 1918. Troisièmement, une dernière expression singularise ces monuments, qui ne se retrouve pas dans d’autres partie du front en France. Le style de l’apostrophe employée sur les plaques interpelle directement le visiteur et accentue le sens donné par le monument dans l’espace. « Passant souviens‑toi » est‑il écrit sur la plaque de marbre du monument de Plémont, « Ils sont là fauchés par la mort au cours d’une ardente défense. Ô passants, enviez leur sort. Ils ont régénéré la France » peut‑on lire sur le monument en granit de la forêt de Thiescourt. Les huit monuments aux morts recensés dans le canton de Lassigny se localisent tous sur l’ancienne ligne de front et témoignent de l’effort de mémoire des combats acharnés dans le paysage. 33 Enfin, un dernier lieu de mémoire, plus rare, se rencontre au travers des ruines des bâtiments collectifs. Ces pierres sorties de terre témoignent de la présence des violents combats directement dans le paysage. Ils semblent laissés dans l’état de 1918 comme pour manifester volontairement l’action des hommes. Se rencontre parfois une plaque commémorative expliquant la présence de ces ruines. À Plessis-de-Roye, une partie des restes de l’église détruite demeure à côté de la nouvelle construction (document 11). Deux plaques de marbre érodées sont posées sur l’une des façades donnant sur une nef en plein air. La première mentionne que « ces deux piliers de la porte s’ouvrent sur le cœur de la France en mars‑avril 1918 avec la division Berlot. Le 56e bataillon de chasseurs de Driant commandant Hermet en tête comme au bois des Caures A TENU. Honneurs aux braves et paix aux morts ». La seconde fait référence aux combats du 30 mars 1918. À l’écart, gisent les ruines du château, dont on peut imaginer l’importance des proportions par les restes des façades. Oubliées, elles n’ont bénéficié d’aucun travail d’aménagement apparent, témoignant ainsi de l’abandon d’un site probablement riche d’activités par le passé. De fait, seules les ruines de l’église et du château de Plessis-de-Roye dans le canton s’imposent comme un véritable lieu de mémoire des combats de la guerre (document 10). Dans les autres villages du canton,

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les ruines des églises, des mairies ou des écoles ont totalement disparu pour laisser place à de nouvelles constructions.

Un patrimoine mis en valeur ?

Un contexte peu favorable à sa mise en valeur

34 Depuis les années 1980, les notions de lieux de mémoire et de patrimoine ont pris un sens accru au sein de notre société. Un certain nombre de sites ont bénéficié d’un aménagement particulier afin de répondre à une demande plus forte que par le passé d’entretenir la culture et l’histoire locales. Dans ce cadre, l’histoire de la Première Guerre mondiale en Picardie devient un centre d’intérêt important, attirant une nouvelle génération de visiteurs et de passionnés. La muséographie connaît un essor certain et met en valeur l’une des grandes offensives du front de l’Ouest, celle de juillet 1916 dans la Somme. Le Mémorial de Péronne s’inscrit dans cette évolution depuis le début des années 1990 et est devenu l’un des pôles majeurs culturels dans la région.

35 Malgré cet essor de la mise en valeur des grands sites de la Première Guerre mondiale, aucun aménagement, même à titre de projet, n’est encore conçu pour développer la lecture du paysage de guerre sur l’ensemble de la ligne de front en Picardie, comme dans les autres régions traversées par la ligne de front. Le canton de Lassigny paraît être un exemple significatif d’un manque d’initiatives dans cette direction. Aucun indice ne renseigne véritablement sur l’étendue de l’espace de guerre pour les visiteurs curieux de ne pas se limiter à la fréquentation des musées locaux. Dans ce contexte déjà peu favorable, d’autres conditions sont réunies pour expliquer l’absence totale de mise en valeur. La première d’entre elles renvoie au théâtre des opérations durant la guerre. D’autres champs de bataille, bien plus importants par le poids des effectifs et des armements engagés, ont suscité un intérêt prioritaire, en l’occurrence ceux de la bataille de la Somme. Le canton de Lassigny fait alors figure de secteur calme et par conséquent n’attire pas l’attention des éventuels visiteurs. La deuxième pourrait venir directement des habitants du canton, ne désirant pas nécessairement transformer leur univers quotidien en un paysage de mémoire et d’identité de la guerre. Il se peut également que l’ignorance même de l’existence de la ligne de front dans leur environnement ne leur permette pas de saisir la spécificité de ce type de paysage. Une dernière raison peut intervenir, tout simplement financière : l’investissement financier comme matériel ne serait pas forcément rentable dans un aménagement ludique et éducatif du paysage de guerre. Les priorités d’aménagement répondent à d’autres besoins ou, dans le cadre culturel de la guerre, restent aujourd’hui limitées à l’aspect historique. L’approche spatiale est reléguée au dernier rang des préoccupations, tant du fait de la difficulté à réunir des acteurs de différents niveaux (communes, conseil général, conseil régional) que de l’effort financier pour un résultat peut‑être décevant. Pour ces diverses raisons, la situation actuelle ne fait pas apparaître la notion d’espace de guerre, et encore moins celle de paysage de guerre.

Une timide mise en valeur

36 Le paysage de guerre dans le canton de Lassigny n’attire pas puisque les infrastructures d’information sont quasi‑inexistantes. Paradoxalement, pour pouvoir suivre une route

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des grands sites militaires et obtenir ainsi un aperçu du champ de bataille, il faut se reporter au seul guide touristique consacré au tourisme de la Grande Guerre et publié en 1921 24. Le guide Michelin du secteur Noyon-Roye-Lassigny offre la particularité de proposer des circuits de découverte des traces de la guerre. Les cartes et photographies panoramiques donnent la possibilité de visualiser et de recomposer une partie de ce paysage dans une dimension spatiale et temporelle. En revanche, aucun guide ne mentionne aujourd’hui les sites de la guerre pour des raisons déjà mentionnées précédemment 25. Les documents touristiques offerts par l’office du tourisme de la région Picardie renvoient systématiquement à la visite du Mémorial de Péronne et à d’autres musées dont aucun ne se situe d’ailleurs dans le massif de la « Petite Suisse ». Si le conseil régional de la Somme a publié un guide proposant des parcours touristiques « sur les traces de la Grande Guerre », aucune source ne permet de comprendre que la ligne de front s’étend vers le sud et traverse le canton de Lassigny 26. Outre les déficiences de renseignements dans les guides, les sources d’orientation et d’informations sur l’emplacement des sites militaires dans le canton sont aussi inexistantes. Seul un faible nombre de panneaux précisant la localisation des cimetières allemand (Lassigny) et français (Thiescourt) souligne la présence de la guerre autrefois. Aucun effort n’est effectué pour désigner les sites les plus significatifs de la guerre, comme la Tour de Roland, située à la périphérie nord‑ouest de Lassigny, au bord de la route Lassigny-Roye 27, ou la butte de Plémont dont les installations militaires demeurent inconnues au simple visiteur.

37 Dans ce vide d’informations, il existe malgré tout des associations dont les efforts tendent à préserver la mémoire de la guerre dans le canton. La première d’entre elles est la plus ancienne et a pour vocation d’entretenir les monuments et cimetières militaires français sur l’ensemble du territoire national. Le Souvenir français, créé en 1872, comprend aujourd’hui 1 400 comités et 200 000 membres. Sa finalité réside dans la mission de « conserver la mémoire de ceux et celles qui sont morts pour la France, tout au long de son histoire, ou qui l’ont honorée par de belles actions ; veiller et participer à l’entretien de leurs tombes, ainsi que des monuments élevés à leur gloire, tant en France qu’à l’étranger ; transmettre le flambeau du souvenir aux générations successives » 28. Dans le canton de Lassigny, l’ensemble des monuments liés à la Première Guerre mondiale sont effectivement soigneusement entretenus. L’association participe directement au maintien dans le paysage des dernières traces de la guerre. 38 La seconde association a une vocation patrimoniale. Créée en 1996 et siégeant à Noyon, elle est dirigée par des bénévoles passionnés qui s’entourent de spécialistes et d’historiens de la guerre. L’association « Patrimoine de la Grande Guerre » s’inscrit dans une dimension nouvelle et s’appuie sur un concept qui s’inspire des Guides Michelin des champs de bataille de l’après-guerre. La restauration des monuments et le développement d’un « tourisme de mémoire » dans l’Oise constituent ses deux principaux axes d’activités 29. Elle tend également à protéger les sites de la guerre et à s’assurer le droit exclusif de leur mise en valeur en proposant des conventions à des particuliers ou aux collectivités locales. Les carrières dispersées dans le massif de la « Petite Suisse », telles celles de Mareuil-la-Motte, constituent des sites prioritaires pour entretenir les sculptures des soldats réalisées dans le calcaire. Elle connaît actuellement un succès croissant tant en raison du dynamisme de ses membres fondateurs que grâce à une forte demande locale et régionale pour la découverte de cette forme d’histoire locale. Elle offre, entre autres exemples, la possibilité de suivre

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sept circuits situés essentiellement dans le canton de Noyon, ouverts à certaines occasions et proposés par les offices de tourisme de Picardie. À ce jour, rien ne permet de dire que la lecture du paysage de guerre s’inscrit au cœur des activités de cette association. Elle n’en demeure pas moins une structure œuvrant pour la préservation de la mémoire de la guerre, qui peut avoir un impact dans le paysage rural du canton sur le long terme.

Des possibilités importantes de mise en valeur

39 Grâce aux activités de cette association, le patrimoine de la grande guerre pourrait connaître un succès important, d’autant que les possibilités de mise en valeur ne manquent pas dans le canton de Lassigny. La proximité de l’autoroute Paris‑Lille, et celle de Paris, situé à 70 kilomètres environ, apparaissent comme des avantages notables pour élargir la sphère de rayonnement et attirer des visiteurs provenant d’autres régions. La diversité des sites militaires et celle du relief, comprenant le massif original de la « Petite Suisse » au cœur du plateau picard, sont des atouts pour une approche diversifiée du paysage de la Grande Guerre.

40 Les moyens de lecture de cette forme de paysage restent encore à établir. Des circuits pédestres complétés par des tables d’orientation et des panneaux d’informations précis sur le paysage de guerre, et pas seulement sur les faits historiques, permettraient d’offrir une perception à la fois ludique, éducative et attractive. Ils aborderaient différents thèmes du conflit, tant en ce qui concerne la guerre de position que l’importance stratégique du massif de la « Petite Suisse » sur le front. Les éléments de mise en valeur de ce patrimoine paysager apparaissent nombreux mais nécessiteraient, de toute évidence, la mobilisation de plusieurs acteurs (résidents, universitaires, conseils général et régional). La finalité ne réside pas alors dans la mise en valeur systématique de tous les aspects de la guerre dans ce canton. Elle se situe dans la méthode de compréhension du conflit dans sa dimension spatiale. Parce que le paysage de guerre est le dernier élément vivant du conflit, il faut apprendre à en maîtriser la lecture pour compléter la dimension historique et de plus en plus abstraite en raison de la disparition des derniers témoins de cette période. Cette approche se veut précisément concrète et mériterait la mise en place de projets d’aménagement qui valoriseraient sans nul doute un patrimoine quelque peu oublié et ignoré. 41 * * *

42 « Le front est là, cette limite immense, comme une côte » écrivait Daniel Halévy 30. La présence du front a marqué la mémoire de l’écrivain comme celle de millions d’hommes. Elle a aussi bouleversé un ordre de la nature et des hommes, un paysage, en somme, qu’il soit urbain ou rural. Elle a introduit une forme de chaos dans l’espace, perceptible par les cinq sens, dont les inscriptions sont demeurées dans la plupart des cas jusqu’à nous, plus ou moins discrètement, toujours présentes toutefois pour celui qui veut y prêter attention. La notion nouvelle de paysage de guerre se veut être une autre approche de la Première Guerre mondiale. Elle propose de comprendre les traces de la guerre dans le paysage et les mutations engendrées par la violence dans l’espace. Dans le canton de Lassigny, les quatre années du conflit ont laissé une empreinte indélébile, tant sont encore profondes les séquelles des dévastations, non seulement dans le paysage, mais aussi dans l’identité picarde. Le paysage de guerre devient au final le dernier élément vivant du conflit mondial. Il constitue aujourd’hui un véritable

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patrimoine collectif qui tarde à être apprécié à sa juste valeur et pourrait, si les moyens étaient réunis, devenir un lieu culturel important dans cette partie rurale de la Picardie.

Document 6. Maison de bois à la sortie est de Lassigny datant de l’immédiat après-guerre et destinée à accueillir les premiers réfugiés

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Document 7. Monument signalant la présence de l’ancienne première ligne de front française à Canny-sur-Metz

Document 8. Église de Thiescourt reconstruite dans l’Entre-deux-guerres

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Document 9. Emplacement des anciennes premières lignes allemandes au sud du village reconstruit de Fresnières

Document 10. Partie nord du château en ruine de Plessis-de-Roye

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Document 11. Église de Plessis-de-Roye en partie reconstruite dans l’Entre-deux-guerres

NOTES

1. Daniel HALÉVY, L’Europe brisée, journal de guerre 1914‑1918, Paris, Édition de Fallois, 1998, 392 p., cité p. 167. 2. Serv. hist. de l’armée de terre (Service historique de l’armée de terre), Rapport du 3e bureau de l’État‑major de la 77e division d’infanterie, 16 avril 1918. 3. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 515, rapport d’un officier du 105e régiment d’infanterie, 26e division d’infanterie, 13e corps d’armée, 25 septembre 1914. Tous les aménagements de défense ne sont pas forcément favorables. Un officier français note que les lignes françaises dans le secteur de Plessis-en-Roye, fin septembre 1914, sont encore trop exposées aux tireurs allemands. « Toute notre ligne de tranchées est dominée par les lignes de tranchées ennemies, ce qui rend la progression très difficile. Les tireurs allemands sont invisibles, il nous est impossible d’ajuster un tir. Leurs fractions sont complètement dissimulées dans l’intérieur du Bois […] ». 4. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 2156, compte‑rendu des événements, rapport du 5 janvier 1917, 120e division d’infanterie, État‑major. 5. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 2156, État‑major de la 120e division d’infanterie. Compte‑rendu des événements du 14 mars 1917 : « Une patrouille du 86e régiment d’infanterie a pénétré ce matin dans un petit poste qu’elle a trouvé inoccupé et abandonné probablement depuis assez longtemps. Un abri a été fouillé. On a retrouvé une pioche, une grenade, des chargeurs et quelques cartes postales anciennes ».

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6. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 2156, rapport du quartier général de l’armée, 3e armée, État‑major, 3e bureau, 21 mars 1917. 7. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 2001, compte rendu du 1er avril 1918, rapport de l’État‑major de la 77e DI. 8. Serv. hist. de l’armée de terre, 24 N 2202, rapport de l’État‑major, 34e corps d’armée, 9 août 1918. 9. Serv. hist. de l’armée de terre, 22 N 2543, compte rendu du 12 août 1918, 2e corps de cavalerie, État‑major, 2e bureau : « L’ennemi semble marquer un temps d’arrêt sur ses anciennes positions de 1914. Il a déclenché dans la journée de violentes contre‑attaques sur Le Censeur et le Bois des Loges. […] Durant la nuit, la circulation a paru assez importante sur toutes les routes autour de Noyon […] ». 10. Serv. hist. de l’armée de terre, 22 N 1898, ordre particulier d’opération, 34e corps d’armée, État‑major, 3e bureau, 27 août 1918. La manœuvre de ces divisions s’organise d’ouest en est. La 165e division d’infanterie (secteurs de Balny et Candor) au nord, la 121e division d’infanterie au centre (secteur de Plessis-Cacheleux, Sceaucourt-Lagny), la 70e division d’infanterie au sud : « L’ennemi a commencé son repli devant le front de la 1ère armée dont la droite a dépassé la route Crapeaumesnil-Roye ». 11. Ministère des Travaux publics, Statistique générale, La reconstitution de la France dévastée, s.l., s.d. (1930 ?). 12. R. MEISSEIL [dir.], La Picardie dans la Grande guerre, 1914‑1918, Amiens, Association des professeurs d’histoire et de géographie de l’académie d’Amiens, 1986, 250 p. 13. Hugh CLOUT, After the ruins, Restoring the Countryside of Northern France after the Great War, Exeter, University of Exeter Press, 1996, 332 p. 14. Julien GRACQ, Carnets du Grand Chemin, Paris, Éditions José Corti, 1992, pp. 143‑144. 15. Paul VIDAL de LA BLACHE, Tableau de la géographie de la France, Paris, Éditions La Petite Vermillon, 1994 (1ère édition 1903.), 559 p., chap. 1, 2e partie. 16. Les matériaux de ces baraquements de bois proviennent généralement des anciens camps militaires de l’armée française et, parfois, de l’armée britannique, mis à la disposition des réfugiés français. Rassemblés pour établir les premières maisons, destinées à être remplacées par de nouvelles habitations, ils permettent d’accueillir les réfugiés dans des quartiers provisoires à la périphérie des villes détruites. Celle de Lassigny témoigne de l’existence de l’aménagement originel de cette première phase de reconstruction effectuée dans l’urgence. 17. Hugh CLOUT, After the ruins..., ouv. cité. Dans les dix départements touchés par la guerre, les zones sont classées en trois catégories selon l’importance des destructions : bleue, réservée aux zones des dégâts limités, jaune prévoyant d’importants travaux, rouge pour désigner les dévastations les plus intenses. 18. Philippe BONNET‑LABORDERIE, « Les Chauffours », dans R. MEISSEIL [dir.], La Picardie dans la Grande guerre…, ouv. cité. 19. Philippe BOULANGER, Géographie historique de la conscription et des conscrits de 1914 à 1922, Thèse de doctorat en géographie sous la direction de Jean-Robert Pitte, Université Paris IV‑Sorbonne, 1998, 2 volumes, 612 f°. 20. Le document 4 fait référence à l’emplacement de l’une de ces voies en 1928 au nord‑ouest de Fresnières. 21. Un ossuaire rassemble 388 corps de soldats inconnus, dont 298 Allemands. 22. Cette nécropole nationale dépend du secrétariat d’État aux anciens combattants pour la partie française.

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23. Antoine PROST, « Les monuments aux morts », dans Pierre NORA [dir.], Les Lieux de mémoire, Bibliothèque illustrée des histoires , Paris, Éditions Gallimard, 1984, pp. 195‑228. 24. Guides illustrés Michelin des champs de bataille, Noyon-Roye-Lassigny, Clermont‑Ferrand, 1921, 63 p. 25. Le guide de tourisme Michelin sur la Flandres-Artois-Picardie ignore par exemple les lieux de bataille dans le canton. Guide Michelin, Flandres-Artois-Picardie, Paris, Pneu Michelin, 1994 (3e édition), 220 p. 26. Comité départemental du tourisme de la Somme, La Somme sur les traces de la Grande guerre, Amiens, 1998 (3e édition), 31 p. 27. Ce promontoire de terre de cinq à six mètres de haut, offrant un panorama dégagé sur plusieurs kilomètres de lignes françaises, a été un obstacle militaire allemand important. 28. Bulletin du Souvenir français. 29. En mai 1999, sur le plateau Saint-Claude au sud‑ouest du canton, le Souvenir français et l’association Patrimoine de la Grande Guerre ont remis en état deux monuments et une plaque pour rappeler le sacrifice des soldats du 9e régiment de cuirassiers qui ont arrêté l’avancée allemande le 9 juin 1918. « Une plaque et deux monuments sortent de l’oubli sur le plateau Saint-Claude », dans Oise Hebdo, n° 272, 19 mai 1999. 30. Daniel HALÉVY, L’Europe brisée..., ouv. cité.

RÉSUMÉS

Le canton de Lassigny, dans le nord-est du département de l’Oise, se transforme en un vaste champ de bataille de 1914 à 1918. La ligne de front s’y établit. Après le conflit, les inscriptions de la guerre dans le paysage n’ont pas totalement disparu, tant dans les formes de l’habitat que dans la mise en valeur agricole.

War landscapes in the district of Lassigny (department of Oise) From 1914 to 1918, the district of Lassigny in the north-east of the department of Oise (France) became a large battlefield. After the conflict, the signs of war did not completely disappear in the landscape, as well as in the dwellings or in the cultivation patterns.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle Index géographique : Oise

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La mise en lumière des travaux de Gaston Roupnel (1871-1946) en vue de la « Préface » inédite de l’Histoire de la campagne

Philip Whalen

« À l’image matérielle des choses, correspond une réalité morale ». Gaston Roupnel, La ville et la campagne. « Depuis l’origine de ces campagnes, l’homme ne marche jamais sur cette terre que sur la trace des pas anciens ». Gaston Roupnel, Histoire de la campagne française. 1 Les travaux de Gaston Roupnel appellent à une révision historiographique. Il s’agit de placer son nom auprès de ceux des pionniers de l’histoire sociale française — Lucien Febvre, Henri Hauser, Georges Lefebvre et Marc Bloch 1. Reconnaître ses apports multidisciplinaires à l’histoire bourguignonne n’est pas renier l’influence considérable des Annales de Marc Bloch et Lucien Febvre. Il s’agit plutôt d’élargir notre regard : son cursus et ses centres d’intérêts éclairent une des pistes de recherches ouvertes durant cette fertile période de l’historiographie française, peu connues car à l’écart du mouvement des Annales 2. Lucien Febvre a pourtant reconnu la contribution de Roupnel aux études « vivantes » d’histoire : « [A]près le très beau livre de mon collègue, ami et co-directeur des Annales, Marc Bloch, si solidement assis sur des bases d’histoire comparée — le vôtre, si sensible, si vivant, si plein d’une expérience incomparable des réalités campagnardes — après le livre d’un homme qui a su lire remarquablement les textes, ce livre d’un homme qui a su lire la terre elle-même. […] Votre livre est plein de choses neuves, vivantes et fortes », écrit-il après avoir lu l’Histoire de la campagne française (1933) 3.

2 Roupnel est l’un des pères fondateurs de l’histoire sociale française. Nombres d’auteurs français citent régulièrement son parcours, auteurs aussi éminents et variés que Fernand Braudel, Marc Bloch, Emmanuel Le Roy Ladurie, Robert Mandrou, Roland Mousnier, Paul Claval, Michel Vovelle ou Jean Meyer. Son héritage reste néanmoins

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incompris des deux côtés de l’Atlantique 4. L’analyse qui suit veut réhabiliter Roupnel comme personnage public et intellectuel aux multiples facettes, protagoniste respecté des débats contemporains autour de l’identité de la « France vraie », pionnier innovant d’une « histoire totale » de la France régionale 5, et penseur original aux idées profondes et iconoclastes 6. 3 Dans sa première monographie, La ville et la campagne (1922) 7, consacrée à l’histoire économique et sociale précoce de la région dijonnaise aux lendemains de la Guerre de trente ans, Roupnel associe un relativisme géographique vidalien au modèle de l’investigation sociale synthétique de la Revue de synthèse d’Henri Berr. Peu après, L’ Histoire de la campagne française (1932) et La Bourgogne, types et coutumes 8 (1936) élargissent sa vision de la France rurale et de l’histoire régionale tout en anticipant les préoccupations et les approches qui ont été associées depuis à l’école des Annales. Comparés au projet des Annales, les intérêts de Roupnel sont autant diversifiés, ses méthodes aussi innovantes — sinon davantage —, son style plus poétique, son regard plus spirituel, et ses conclusions tout aussi perspicaces. La dette contractée par l’école des Annales auprès de tels historiens provinciaux attend d’être dévoilée. 4 Bien que Roupnel mette l’accent sur l’origine bio-sociale régionale des groupes sociaux dans tous ses ouvrages, sa méthodologie se teinte progressivement d’accents vidaliens, annalistes ou durkheimiens, ce qui l’amène à les adopter en première analyse. Mais l’utilisation systématique de modèles cohérents dans l’analyse de la France sociale du début du XXe siècle met en évidence la limite d’une logique associant rigueur scientifique et sciences humaines : elle ne revêt un caractère essentiel que parce qu’elle fait ressortir des arguments crédibles. Roupnel adopte une approche divergente : il emploie un modèle intuitif et holistique définissant les relations entre le genre humain, la nature et les mondes spirituels. Son critère de vérité est alors la cohérence 9. De même, Roupnel s’applique à faire comprendre la mentalité paysanne en terme d’inné, de primitif, et d’une conscience panenthéistique collective qu’il appelle « l’âme paysanne » 10. Dans l’analyse de la société agraire (Histoire de la campagne française), il intègre la dimension spirituelle aux déterminants conventionnels conditionnant les attitudes sociales des villageois. Dans un essai rédigé comme « Préface » au manuscrit originel de L’histoire de la campagne française, il explique son projet et aborde la plupart des thèmes et des sujets caractéristiques de ses travaux 11. 5 « Cet ouvrage nous entraîne loin des conceptions de l’ancienne histoire narrative et descriptive. Non sans humour parfois, l’auteur en fait un procès auquel souscriront tous ceux qui s’affligent de voir l’histoire nous instruire sans profit, mais non sans danger, et l’homme ne prendre l’expérience des âges que pour en altérer le présent et en troubler l’avenir ». « À cette conception ancienne, l’auteur n’a pas la prétention d’en vouloir substituer une autre. Mais il s’efforce d’ajouter aux manières traditionnelles de comprendre l’histoire certaines façons nouvelles d’apprécier, ou plutôt d’ordonner les événements. Différentes sciences se sont partagé l’étude systématique de l’homme et de son passé. Apercevoir sous ces activités variées l’unité d’une seule recherche, reconnaître que toutes les manifestations de vie de l’être s’influencent les unes les autres, que l’évolution politique ou sociale a sa correspondance dans la vie morale, voire même dans le comportement physique de l’être, mettre cette unité de recherches au compte d’une seule discipline intellectuelle — que nous appellerons "l’histoire" faute d’autres noms à lui donner — donner ainsi à l’histoire tout l’homme à comprendre et à aimer… voila le but que s’est proposé l’auteur ». « L’histoire ainsi comprise, instituée

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dans cette autorité et cette unité, n’est plus la simple mémorialisation du passé. Elle devient une sorte de science où se fait la vigoureuse synthèse des origines, des déterminations et des destinées de l’homme social. Elle apparaît ainsi autre chose qu’une spéculation de l’esprit. Elle se manifeste comme une puissante faculté d’entente et de durée — l’organisme collectif de direction de l’humanité. L’histoire et l’historien en devraient réaliser une grandeur complète faite à la mesure de ces nouveaux devoirs et de ces nouveaux droits. Successivement donc, dans toutes les réalités historiques, dans les créations politiques et sociales, aussi bien que dans les puissantes habitudes constructives, et dans le mouvement spirituel qui entraîne l’humanité et en ordonne les systèmes et les âges, partout l’auteur prétend nous faire entrevoir d’abord, nous rendre évidents ensuite la manifestation et l’agencement raisonné d’une force de coordination et de direction ». « Quelle est cette direction ? […] L’auteur pense que cette évolution dirigée a ses fins propres, ses destinées préparées. C’est de cet avenir illuminé que l’humanité reçoit sa route. Libre à chacun d’interpréter ce finalisme comme l’expression des lois de la Nature, ou [d’]introduire, dans ce mouvement que semble régler la pensée, la sagesse d’une raison dont la nôtre n’est qu’un faible et misérable reflet ». « Cette conception de l’histoire semble recevoir sa force probante de la lumière qu’elle donne. Aussi, sans craindre de nous lasser, l’auteur revient à maintes reprises sur les mêmes faits historiques pour nous habituer à en prendre à chaque fois des contemplations différentes. Et selon que les événements interviennent ainsi dans l’histoire sociale ou le témoignage de l’évolution morale, ils nous présentent des physiognomonies variées, et des faces complémentaires dont ils semblent prendre leur volume, leur relief, leur signification supérieure, une place nouvelle dans l’ordre humain ». « Cet ouvrage qui a parfois les allures d’un pamphlet, et qui d’autres fois semble vouloir propager quelque chose du frisson lyrique dont vibre l’âme lointaine des destinées, peut-il, comme il le prétend, non seulement nous enseigner une méthode nouvelle d’exploration du passé, mais en être lui-même la démonstration et le contrôle, en prenant sur les âges détruits un droit assez fort pour en juger les temps actuels et en préjuger l’avenir ? » « Cela peut s’admettre si la vie collective de l’Humanité est vraiment une croissance "dirigée". Mais alors, avec quelle souveraine autorité nous parlerait une histoire où tout se passe comme si elle méditait les événements et préméditait les hommes » 12. 6 Comme ce texte l’indique, les croyances métaphysiques qui permettent à Roupnel de concevoir un monde « nature » sont écologiques et spirituelles. En s’employant à démontrer que la nature est la manifestation objective, simultanée et immédiate de l’absolu et de l’esprit, Roupnel dépasse un idéalisme subjectif très en vogue dans la philosophie du XIXe siècle. Son orientation spirituelle le rattache à une tradition ésotérique qui lui survit entre sciences modernes, idéologie politique et dogme religieux. Ses idées anticipent clairement celles de Pierre Teilhard de Chardin 13. « [O]n trouvera entre Siloë et la thèse spiritualiste de Teilhard de Chardin publiée plus tard et son "point oméga", de remarquables convergences. Chacun considérant que l’apport scientifique forme une synthèse prospective qui unit la croyance et la connaissance », écrit André Parinaud 14. Appliquant les préceptes holistes d’un tradition moniste, Roupnel dépeint l’être humain dans une relation unitive et unitaire avec les mondes naturel et spirituel où la connaissance de soi est phénoménologiquement révélée au niveau d’une sensation immédiate 15. 7 Son épistémologie, peu utilisée dans l’enseignement académique, n'est pas conventionnelle. En plus de l’utilisation récurrente de sensations corporelles, qui

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renvoie à l’épistémologie du corps promu par les élèves féministes modernes, il adopte une forme de perception mystique ou non-discursive. Similaire au Sadhana bouddhiste, cette pratique, bien que revêtant un caractère mystérieux pour un grand nombre de ses critiques académiciens — d’hier et aujourd’hui — permet à Roupnel de s’appuyer sur une tradition philosophique de l’intuition et de la connaissance subjective, traitée dans les travaux de Henri Bergson, Carl Young, Ernest Cassirer, Lucien Levy-Bruhl, Maurice Halbwachs, et Gaston Bachelard. Ce dernier, qui dédie toute une réplique à la Siloë de Roupnel — L’Intuition de l’instant —, souligne qu’il a beaucoup appris de Roupnel : « [j]e sais vivre » écrit-il, « l’inoubliable [Roupnel] me l’a appris — la dialectique des étendues champêtres et des étendues boisées ». 8 Roupnel veut que cette méthode soit à la fois universelle et à la portée des gens ordinaires 16. Son populisme ressort par un ton, une éthique, une épistémologie et une politique. Ses articles de journaux les plus probants, qui ne minimisent en rien la richesse ou la complexité des efforts humains, sont ceux qui traitent de divers sujets et champs d’analyse sous un angle populaire et démocratique. À l’image d’un éducateur, il démontre que les activités les plus importantes et profondes de l’être humain sont à la portée de tous. Convaincu que l’art bénéficie à tous 17, Roupnel met l’accent sur ses origines modestes :« L’Art n’est pas l’apanage spirituel des privilégiés de la fortune et de la société. Par sa nature et par ses origines sinon par ses résultats il est même plus près de l’âme populaire que de l’esprit lettré. L’Art, en effet est tout près du peuple ignorant ; et il y a en lui quelque chose qui le ramène vers la simplicité populaire comme vers son origine » 18. 9 Dépassant la simple affirmation que le peuple détient l’habileté, l’aptitude et le talent nécessaires pour accéder au monde de l’esthétique et de l’intellect, Roupnel privilégie radicalement la position du Peuple. Il redéfinit les pratiques épistémologiques et méthodologiques, conventionnellement détenues par les experts officiellement désignés, en termes de préoccupations populaires, perspectives et approches 19. Ainsi réplique-t-il aux intrusions pernicieuses des nouveaux « experts » en attaquant dans un article la « nouvelle cuisine » de son temps. « L’érudition a toujours été indigeste », argumente-t-il, tandis que « la bonne cuisine, la vrai cuisine, ce n’est pas tant cela que la simple cuisine pot-au-feu » 20 ; et de conclure avec humour que les nouveaux gourmets sont des gourmands ayant perdu l'appétit. Il étend à un registre plus académique — histoire et géographie — cette position dans « La géographie au village », en affirmant que les aptitudes nécessaires « viennent » naturellement à ceux qui vivent en milieu rural 21. L’orientation populiste se confirme lorsque, se séparant à nouveau des règles académiques, il emploie de façon innovante le roman populaire comme outil narratif pour enquêter symboliquement et dépeindre métaphoriquement les éléments constitutifs de « l’âme paysanne ». Ses narrations existentielles mettent en scène des personnages terre-à-terre mais guidés par la spiritualité, dont les anecdotes lyriques ont pour fonction de servir de guide moral pendant la crise rurale de la France de l’Entre-deux guerres 22. 10 Ses travaux sur la relation fonctionnelle entre pratiques traditionnelles agraires et identité culturelle de « La France des vieux terroirs » reflètent les centres d'intérêt de l'époque. Il cherche à y établir un paradigme, authentique et exclusif, de ce qu’être Français signifie 23. Ainsi définit-il la « vraie France » comme une société agraire stable, dont les fondements sont un labeur collectif, des pratiques traditionnelles, et une téléologie organique. Cette représentation, fruit de ses recherches socio-historiques,

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débouche sur une construction imaginative, persuasive et lyrique, qui veut contribuer aux débats sur la modernité et la tradition de la France du début du XXe siècle. De même adopte-t-il, en décrivant sa société idyllique, le point de vue d’un régionaliste, mettant l’accent sur le rôle des genres, les politiques participantes, l’ordre social et la mise en œuvre d’un développement économique durable. Certes, sa théorie intégraliste sur l’identité de la « vraie France » peut être perçue comme fondamentalement conservatrice, en ce qu’il cherche à cerner une majorité culturelle sur la base d’un héritage ontologisé. Ses idées ne s’accordent cependant pas à celles de théoriciens réactionnaires ou fascistes, tels que Frédéric Mistral, Maurice Barrès ou Charles Mauras. Par ailleurs, il adhère aux valeurs libérales et à l'économie de marché, ce qui l'éloigne des socialistes radicaux, communistes ou syndicalistes. Il se rapproche ainsi du radicalisme, mais ce mariage de raison sonne faux, malgré huit années consacrées à la Dépêche (radicale) de Toulouse comme colonniste. Ses fréquentes références aux politiques égalitaires, à l’agriculture écologique, au pacifisme, aux mariages interraciaux et à la spiritualité ne cadrent pas avec l’idéologie de la Troisième République 24. 11 Malgré l’immense succès de ses travaux — en particulier Nono, Histoire de la campagne française, et La Bourgogne, types et coutumes — le monisme intuitif de son champ épistémologique et de sa méthodologie 25 a déçu les universitaires qui insistaient pour que des méthodologies scientifiques soient obtenues par professionnalisation des disciplines 26. De même, son approche des pratiques populaires et des personnes ordinaires ne concordait pas avec les paradigmes de l’establishment universitaire, qui considérait les sujets à haut niveau social comme seuls dignes d’études, et qui privilégiait avant tout la théorie sur la pratique. La tradition historiographique française n’a pas su apprécier les voies alternatives ouvertes par d’innovants universitaires provinciaux comme lui. L’évolution de sa réputation académique le montre, tout comme les positions culturelles, idéologiques et méthodologiques adoptées par les universitaires français dans l’Entre-deux guerres — et maintenues depuis. 12 Les aspects épistémologiques, méthodologiques, métaphysiques, stylistiques et thématiques des travaux de Roupnel, qu’ils aient été admis ou rejetés, tracent la vie et les travaux d’un historien français du début du XXe siècle au parcours original. Ils montrent aussi les modes adoptés par de nombreux intellectuels provinciaux pour participer à un discours social le plus large possible. Ils renvoient enfin au contexte culturel et intellectuel qui conditionne le développement de la profession d’historien, entre le positivisme du XIXe siècle et la naissance des Annales. 13 Pour comprendre ce que Roupnel apporte à l’enseignement français de l’Entre-deux guerres, il faut l’imaginer en guide local de la Bourgogne historique et rurale. Son habileté à identifier et à articuler la signification de l’existence bourguignonne fonde son succès. « [I]l faut donc bien aimer ce pays et en être tout franchement, tout simplement et se laisser aller à lui, et abandonner son âme au généreux souffle qui vous porte » 27, écrit-il, précisant ainsi son rapport au milieu bourguignon. Pour Jean-Jacques Brousson, auquel Roupnel accorde en 1946 son dernier entretien, « il n’y a pas eu, dans toute notre littérature régionaliste, de vocation mieux remplie que celle de Gaston Roupnel. Son œuvre est une » 28. Pour Georges Chabot, historien bourguignon, il « possède le don merveilleux de nous mettre sans effort dans l’intimité de la vie rurale » 29. Henri Drouot, autre historien bourguignon, note que l’unité qui transparaît

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dans ses travaux reflète l’unité de sa vision rurale : « L’âme populaire et campagnarde surtout. C’est la constante de son œuvre depuis le mémoire qu’il écrit en 1895 sur le régime féodal dans le bourg de Chatillon-sur-Seine […] jusqu’à son cours public de cet hiver. […] Si l’unité des œuvres de notre écrivain bourguignon est certainement dans la recherche de l’humain, leur charme majeur, leur vertu maîtresse ne sont-ils pas de nous ramener toujours, par tous les chemins, avec une discrète fidélité et un éclatant amour, à cette source pure, primitive, de la vie des hommes : la campagne » 30. Roupnel identifie les éléments sociaux et économiques de leur passé, évoque les vertus de leurs traditions culturelles et, de façon générale, vante les bénéfices spirituels de la vie agraire 31. Son régionalisme est à la fois viscéral et intellectuel. En 1934, il exprime dans un entretien son attachement à « la terre profonde » et se fait l’écho du sentiment populaire : « La France reste une société de formation rurale qui a le goût de la vie simple et qui ne rougit généralement point de ses origines. Il suffit d’une partie de chasse pour que le Bourguignon dijonnais renie son quartier Saint-Michel, se remette à l’omelette au lard et au parler lent ; qu’il se réintéresse aux récoltes et aux rendements, au prix de la viande sur pied. Et faut-il rappeler que la plupart des petits fonctionnaires et employés n’aspirent à la retraite que pour retourner vivre dans leur pays natal et y planter littéralement leur choux » 32. 14 L’analyse historique du Dijonnais, menée sous plusieurs angles, l’amène à penser que le régime agraire bourguignon n’est pas seulement un état « naturel » — «[d]ans le tumulte du passé, la vie rurale nous apparaît la stable formation qui donne la structure et la simplicité à la société. Elle nous apparaît le signe clair sur l’horizon de l’histoire » — mais, ce qui est plus important, qu’il représente la relation logique et symbiotique entre un peuple et un paysage en évolution sur plusieurs milliers d’années. Tout au long de ses œuvres, il explique pourquoi, pour des raisons spirituelles et écologiques, les Bourguignons ruraux ne peuvent échapper à la logique des traditions agraires. Henri Drouot souligne cette qualité du regard : « [d]ans sa chair comme dans ses livres, qu’il s’agisse des forces obscures qui soutiennent un Dijon naissant ou des besoins spirituels d’une race paysanne, ou des convenances éternelles de la vie rurale, c’est bien toujours à l’âme des sociétés humaines qu’il consacre son labeur » 33. Et Roupnel le dit clairement : « [c]e sont les institutions nées de la terre qui nous ont fait notre société d’Europe. C’est sur cette campagne au ferme dessin que se déterminent la condition de l’individu et les réalités sociales. C’est sur ces rustiques contours que la société moula ses formes et construisit ses groupes. Et l’éparpillement de ces formations était la conséquence de cette multiplicité des cadres » 34. Sans doute Paul Adam avait-il un tel passage à l’esprit lorsqu’il observa que « Roupnel a été l’historien lyrique de la paysannerie française » 35. Enseignant, écrivain, viticulteur et notable local, Roupnel consacre l’œuvre de sa vie à interpréter et à promouvoir de façon constante ce qu’il identifie comme l’« antique et éternelle détermination » de la Bourgogne rurale 36. 15 Bien qu’il enseigne et écrive à Dijon, à une époque où la plupart des analystes de la campagne française tiennent un discours moralisateur, Roupnel ne prône pas le « retour à la terre » 37. Pour proposer des perspectives, il s’appuie sur les faits historiques et relie avec poésie et spiritualité l’homme et l’environnement rural, en un vaste ensemble interprétatif fait de variables, de conjonctures et de constantes 38. Son enseignement, quoique nostalgique et sentimental, reste trop érudit et sophistiqué

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pour être réduit à une résurgence du folklore, de la paysannerie ou du syndicalisme rural 39. 16 Tôt reconnu et acclamé par la critique, par les professionnels et par ses lecteurs et auditeurs, sa carrière a souffert de la négligence et de l’incompréhension des politiques de promotions au sein de la profession. Bien que l’intervention des universitaires dans les débats d’intérêt général, lors de conférences ou des lectures publiques, soit une tradition universitaire, le style et les manières de Roupnel étaient perçus comme trop rustiques par des institutions professionnelles restées très parisiennes. Ses talents, hétérogènes et manquant de préciosité, ne pouvaient satisfaire les goûts parisiens de l’époque 40. De plus, sa carrière académique coïncide avec le mouvement de professionnalisation du métier d’historien, de spécialisation des disciplines et de délimitation des champs disciplinaires au sein des sciences sociales et humaines. Cela ne l’a pas empêché de jouer un rôle important. Dans tout les aspects de sa vie et carrière — de la personnalité locale à la « lumière » régionale, du viticulteur de la Côte d’Or à l’universitaire dijonnais — il fut guide culturel et interprète historique du Dijonnais et de la Bourgogne. Ainsi, sa carrière, dans son cadre régional, doit être reconnue comme une intervention importante dans le projet culturel de la mairie de Dijon des années 1920 et 1930 41. « Jamais groupe de populations françaises n’a bénéficié d’une enquête aussi complète, aussi approfondie, aussi sincère, traduite de manière aussi vivante », remarque Henri Hauser, autre Bourguignon, à la lecture de sa thèse. « Le hasard a bien fait des choses — le hasard, c’est-à-dire la curiosité passionnée de l’auteur pour son coin de terre où il vit » 42. 17 Les travaux de Roupnel s’intéressent aux tensions conventionnellement maintenues entre la ville et la campagne 43 ; entre le passé et le présent du monde rural français 44 ; entre les sphères spirituelle et matérielle de l’existence humaine 45 ; entre la rigueur des méthodologies exigées par les études érudites et le besoin d’un public qui pense pour lui-même 46 ; autant qu’à la relation entre l’université d’une région et les sociétés savantes du lieu 47. « M. Roupnel », note un journal dijonnais en 1924, « rattache l’Université au pays où elle siège, à cette province si riche en souvenirs, qui est la sienne et dont il devenu l’un des animateurs. Il contribue, avec une science unissant la clairvoyance au sentiment, à mettre en lumière le génie racial » 48. Le doyen et le recteur de l’université de Dijon affirment de leur côté que les talents de Roupnel, alors au sommet de sa carrière de professeur d’histoire, littérature et patois bourguignon à la faculté des lettres, « dépassent les limites de la Faculté » et qu’il est « une des forces les plus fécondes de la Faculté de l’Université » 49. 18 Roupnel est d’abord un indépendant et « libre penseur » 50. Jean Richard, autre historien bourguignon, se rappelle d’« un professeur qui surmontait les cloisons artificielles que crée la spécialisation » et qui n’était ni « esclave des programmes, ni des horaires » 51 ; ce qui n’allait pas sans quelques désavantages. Ainsi Pierre Chaunu remarque-t-il, dans la « Postface » à l’édition de l’Histoire de la campagne française de 1974, que « la classe "historienne", le milieu d’existence des historiens universitaires, Sorbonne en tête, pardonne mal à Gaston Roupnel de transgresser les lois du groupe et du genre. On ne lui pardonne pas le succès de Nono, ou du Facteur Garain » 52. Pour Pierre Trahard, qui aborde le thème de la nature et la réputation régionaliste des travaux de Roupnel dans son compte rendu d’une réédition du Vieux Garain, « [j]adis on [lui] a reproché son provincialisme, j’entends son attachement à la province : comment consacrer un écrivain qui ne vit point à Paris ? » 53 Roupnel avait anticipé ses critiques

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en avouant : « [p]eut-être aurais-je fourni une plus éclatante carrière si j’avais été à Paris. Cependant je m’aime mieux ici, chez nous. La côte est mon climat » 54.

NOTES

1. André Meynier écrit par exemple : « [l]’histoire en France n’aborde sa grande mutation que vers 1930‑35. Jusque-là, elle est restée surtout politique, diplomatique, biographique. Ce n’est que lentement qu’elle s’enrichit de préoccupations sociales ou démographiques. Pendant longtemps, celles-ci restent l’apanage de quelques fortes individualités isolées, Henri Hauser, Georges Lefebvre par exemple » ; voir André MEYNIER, Les Paysages agraires, Paris, Librairie Armand Colin, 1958, p. 75 ; Michel VOVELLE, Idéologies et mentalités, Paris, Éditions François Maspero, 1982, p. 213 ; Ronald HUBSCHER, « Historiens, géographes et paysans », dans Ruralia, n° 4, 1999, pp. 83‑99, s’arrête malheureusement juste avant l’époque de Roupnel. 2. Il en va de même des contributions de Roupnel aux études du folklore, que même Shanny Peer estompe : « Lucien Febvre and Marc Bloch, founders of the Annales school of historiography, were among the first to predict and encourage the blossoming of folklore studies in France » oubliant La Bourgogne, types et coutumes de Roupnel, paru en 1936 ; voir l’admirable travail de Shanny PEER, France on Display : Peasants, Provincials, and Folklore in the 1937 Paris World’s Fair, Albany NY, State University of New York Press, 1998, p. 140. 3. « Fonds Roupnel, » MS 455, Lettre de Lucien Febvre à Gaston Roupnel, s.d. [1933]. 4. Voir entre autres Marc BLOCH, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, Librairie Armand Colin, 1969 (1ère édition 1931), p. XVI ; Robert MANDROU, Introduction à la France moderne. Essai de psychologie historique, 1500‑1640, Paris, Éditions Albin Michel, 1961, pp. 376‑377 ; André MEYNIER, Les paysages agraires, ouv. cité, p. 192 ; Roland MOUSNIER, La stratification sociale à Paris en 1634, 1635, 1636, Paris, Éditions A. Pedone, 1976 ; Roland MOUSNIER, Les institutions de France sous la monarchie absolue, 1598‑1789, Paris, Presses universitaires de France, 1974, volume 1, p. 50 ; Jean MEYER, Études sur les villes en Europe occidentale, Paris, Éditions SEDES, 1983, p. 206 ; Jean MEYER, La France moderne, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1985, p. 507 ; Fernand BRAUDEL, « La réalité du capital », dans Les jeux de l’échange. Civilisation matérielle, économie et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles, Paris, Librairie Armand Colin, 1979, p. 207 ; Paul CLAVAL, La géographie culturelle, Paris, Éditions Nathan, 1995, p. 371 ; Emmanuel LE ROY LADURIE, Les paysans de Languedoc, Paris, Éditions Mouton, 1966, volume 1, p. 677 ; Emmanuel LE ROY LADURIE [dir.], Histoire économique et sociale de la France, Paris, Presses universitaires de France, 1970, volume 2, p. 745 ; Jean JACQUART, Emmanuel LE ROY LADURIE et Hugues NEVEUX, L’âge classique des paysans, dans Georges DUBY et Armand WALLON [dir.], Histoire de la France rurale, Paris, Éditions du Seuil, 1975, volume 2, p. 607 ; Pierre de SAINT JACOB, Les Paysans de la Bourgogne du nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Paris, Éditions Les Belles lettres, 1960 ; Jean-Marc MORICEAU, Les fermiers de l’Ile-de-France, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1994, p. 993 ; Roger CHARTIER, Guy CHAUSSINAND-NOGARET et Hugues NEVEUX, La ville classique, dans Georges DUBY [dir.], Histoire de la France urbaine, Paris, Éditions du Seuil, 1981,

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5 volumes, volume 3, p. 631 ; et Michel VOVELLE, Idéologies et mentalités, ouv. cité, p. 213. Les travaux de Roupnel sont mentionnés dans Patrick HUTTON [dir.] Historical Dictionnary of the Third French Republic, London, Aldwyd Press, 1986, volume 1, p. 289, avec ceux de Gaston Bachelard, Maurice Blondel et Édouard Estaunié, comme étant des individus notables du milieu culturel de Dijon ; mais ne se trouvent pas aux côtés de ceux d’Henri Berr, Marc Bloch et Lucien Febvre dans Jacques JULLIARD et Michel WINOCK [dir.], Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éditions du Seuil, 1996. 5. « L’histoire totale » de Roupnel voulait appréhender tout ce que « l’homme unit dans son existence » ; Gaston ROUPNEL, La ville et la campagne au XVIIe siècle : études sur les populations du pays dijonnais, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1922, p. 1. 6. Pour une étude approfondie sur ce thème, voir Philip WHALEN, The Life and Works of Gaston Roupnel, Dissertation, University of California at Santa Cruz, mars 2000. 7. Gaston ROUPNEL, La ville et la campagne…, ouv. cité. 8. Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1932, et Gaston ROUPNEL, La Bourgogne, types et coutumes, Paris, Éditions des Horizons de France, 1936. 9. « Partout cette campagne apparaît ainsi l’origine unique, et par conséquent s’avère construction systématique et fondation rationnelle. Partout le sol porte témoignage de cette unité de l’œuvre ; partout s’y affirment l’identité des desseins et l’analogie des résultats » ; Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, ouv. cité, pp. 17‑18. 10. « Cet être qui se suffit ne doit rien à personne. Il ne doit rien au village, au canton, au département. Nul syndicat ne l’accapare ; nul système collectif ne l’encadre ; nul esprit corporatif ne l’anime. Mais de toutes les farouches rudesses de ces contraintes, cette terre, cette glèbe qui fixa l’homme par ses liens de glaise, lui communiqua son isolement et lui impose son indépendance » ; Gaston ROUPNEL, Histoire et Destin, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1943, p. 214. Sur Teilhard de Chardin, voir Norman GEISLER’S, « Foreword », dans David LANE, The Phenomenon of Teilhard : Prophet for a New Age, Macon GA, Mercer University Press, 1996, p. VII. 11. Cet essai, non publié à ce jour, est ici retranscrit dans son intégralité. Le manuscrit ne porte pas de date, mais le papier est aussi jauni que le reste du texte. 12. « Fonds Roupnel, » MS 13 B. 13. « [qu’il] m’a été permis de prendre connaissance des manuscrits du Père Teilhard de Chardin. Cette haute pensée a exercé sur moi une influence dont on trouvera plus d’une fois le témoignage dans le présent ouvrage » ; Gaston ROUPNEL, Nouvelle Siloë, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1945, p. 19. Pierre TEILHARD DE CHARDIN, Le phénomène humain, Paris, Éditions du Seuil, 1955 — le manuscrit date de 1940. 14. André PARINAUD, Gaston Bachelard, Paris, Éditions Flammarion, 1996, p. 80 ; lire aussi cette lettre de Roupnel : « Il est une dette que j’ai trop incomplètement payée. C’est tout ce que de dois à la pensée du R. P. Teilhard de Chardin. Ce sont les manuscrits du père Teilhard de Chardin qui m’ont ouvert les yeux à de nouvelles vérités, qui ont rendu une flamme à une âme obscurcie par la douleur, qui ont rendu une vie à des forces spirituelles presque accablées. Quatre lignes de notes au bas d’une page sont une bien faible reconnaissance du bienfait spirituel que j’ai reçu de ces manuscrits, si humbles de format, si pleins, si triomphants de richesses spirituelles. À les lire, il m’a semblé que tout ce qui était encore des ébauches disjointes dans ma pensée, prenait forme et cohésion, et qu’un tressaillement en sortait. Reprenant alors mon essai ancien, il m’a semblé être rappelé tout à fait au Credo de mon Enfance. La science poussée à son extrême logique prenait sens et vie en ce Credo de chrétien. L’Incarnation, la

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Rédemption, la Résurrection, la Communion, ont pris le Monde entier en charge. Ce nouvel esprit soufflait de ces manuscrits usagés. Les lisant, je me prenais à détester la suffisance avec laquelle l’auteur que je fus prenait confiance de son œuvre imparfaite. Je n’aurais sans doute jamais l’honneur et la joie de rencontrer le R. P. Teilhard de Chardin. Mais je serais heureux si quelqu’un voulait bien dire de quelle aide morale il me fut, et que je suis fidèlement de sa suite » ; Gaston Roupnel, lettre du 17 janvier 1946 reproduite dans Claude CUÉNOT, Pierre Teilhard de Chardin, Paris, Club des Éditeurs, 1958, pp. 459‑460. 15. « Il existe une solution qui n’est pas pour autant une méthode et encore moins une technique : observer sans effort, avec une attention vigilante en fonction de l’ici et du maintenant. Observer sans analyser, sans expliquer. Observer pour comprendre. Comprendre se fait toujours dans ce que Gaston Bachelard, à la suite de M. Roupnel, l’auteur de Siloë, nommait l’intuition de l’instant » ; René BARBIER, « Krisnamurti et l’esprit de comparaison, » dans Krisnamurti et l’éducation à la fin du XXe siècle, Symposium International, Université Paris 8, 1995, p. 4. 16. Gaston BACHELARD, La poétique de l’espace, Paris, Presses universitaires de France, 1957, cité par André PARINAUD, Gaston Bachelard…, ouv. cité, p. 383. 17. « l’Art est la sincérité […] Il ramène la vérité et la santé dans la sensation et l’émotion […] Il nous apprend à voir et à écouter l’Univers » ; Gaston ROUPNEL, « Discours à la distribution des prix de l’école de Beaux-arts de Dijon », dans Le Bien public, 14 juillet 1925, et dans Le Progrès de la Côte d’Or, 14 juillet 1925, p. 3. 18. Gaston ROUPNEL, « L’Art et le Peuple », dans La Dépêche de Toulouse, 31 août 1922, p. 1. 19. « Il n’est pas un professeur ou un savant qui ait droit à l’isolement d’un cabinet muré ou d’une tour d’ivoire. Toutes les portes s’ouvrent sur un couloir commun » ; Gaston ROUPNEL, « L’université et la région », dans Mémoires de l’Académie de sciences, arts et belles-lettres de Dijon, n° 1, 1923, pp. 125‑140 et 130. 20. Gaston ROUPNEL, « La trêve du cuisinier », dans La Dépêche de Toulouse, 29 décembre 1921, p. 1. 21. Gaston ROUPNEL, « La géographie au village », dans La Dépêche de Toulouse, 28 août 1923, p. 1. 22. Voir Gaston ROUPNEL, Nono, Paris, Librairie Plon, Nourrit et Cie, 1910 ; Le Vieux Garain, Paris, Éditions E. Fasquelle, 1913 ; et Hé ! Vivant !, Paris, Éditions Stock, Delamain et Boutelleau, 1927 ; lire aussi Gaston ROUPNEL, « La repopulation et la vie agricole », dans La Dépêche de Toulouse, 4 août 1922 : « Si on voulait énumérer les causes, on en finirait pas » ; cité dans Daniel HALÉVY, Visites aux paysans du Centre, 1907‑1934, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1978 (1934). Plus tard, Roupnel parle ainsi de la crise : « [h]élas !. l’histoire à laquelle nous assistons en France, c’est celle qui correspond à nos paysages vides, à nos campagnes dépeuplées » ; Gaston ROUPNEL, Histoire et destin, ouv. cité, p. 209. 23. Sur les conflits concernant la construction d’un identité culturelle, voir : Maurice AGULHON, The Republic in the Village, Cambridge MA, Harvard University Press, 1982 (traduction de La République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Plon, 1970, 543 p., réédition Paris, Éditions du Seuil, 1979) ; Shanny PEER, France on Display…, ouv. cité ; Herman LEBOVICS, True France. The Wars over Cultural Identity, 1900‑1945, Ithaca NY, Cornell University Press, 1992 ; Eugen WEBER, Peasants into Frenchmen. The Modernization of Rural France, 1870-1914, Stanford California, Stanford University Press, 1976 (traduction française : La fin des terroirs. La modernisation

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de la France rurale, 1870-1914, Paris, Librairie Arthème Fayard/Éditions Recherches, 1983, 844 p. ) ; Caroline FORD, Creating the Nation in Provincial France. Religion and Political Identity in Brittany, Princeton, Princeton University Press, 1992 ; et Peter SAHLINS « The Nation in the Village. State Building and Communal Struggles in the Catalan Borderland during the Eighteenth and Nineteenth Centuries », dans Journal of Modern History, n° 60, 1988, pp. 234‑263. 24. La tendance « radicale » de Roupnel apparaît clairement dans son article « En bloc » où il critique les extrêmes droite et gauche ; Gaston ROUPNEL, « En bloc », dans La Dépêche de Toulouse 3 décembre 1921, p. 1. 25. Ces derniers étant perçus comme la conséquence logique et naturelle de ses croyances hétérogènes et illustrant sa propre réponse à une approche contemporaine néo-kantienne pour résoudre les dualités qui décimèrent les sciences contemporaines humaines et sociales 26. Shanny PEER, France on Display…, ouv. cité, p. 139. 27. Gaston ROUPNEL, « Discours à la distribution des prix… », art. cité, p. 3. 28. Jean-Jacques BROUSSON, « Gaston Roupnel », dans Les Nouvelles littéraires, 23 mai 1946. 29. Georges CHABOT, « Gaston Roupnel. Histoire de la campagne française », dans Annales de Bourgogne, n° 5, 1933, p. 279. 30. Henri DROUOT, « L’historien », dans Le Bien Public, 7 janvier 1931, p. 6. 31. Georges Chabot a aussi écrit que « M. Roupnel chante le glèbe, la terre qui adhère à la charrue et nourrit le blé » ; Georges CHABOT, « Gaston Roupnel… », art. cité, p. 284. 32. Henri VILLEMOT, « Entretien avec Gaston Roupnel », dans La Bourgogne d’Or, décembre 1934, reprit par Henri MAGNIEN, Présentation du cinquantenaire de la mort de Gaston Roupnel, Centre social de Gevrey-Chambertin, 1996. Roupnel emploie l’expression « terre profonde » dans Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, ouv. cité, p. 132. 33. Henri DROUOT, « L’historien, » dans Le Bien public, 7 janvier 1931, 5‑6. 34. Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, ouv. cité, p. 376. 35. Paul ADAM, « Postface », dans Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, Librairie Plon, 1974, p. 371. 36. Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, Éditions Ernest Leroux, 1932, p. 156. 37. Un bon exemple de la persistance d’une perspective ruraliste en Bourgogne est offert dans les travaux d’Henri Vincenot. Sur ce point, voir Anne-Marie FERLET, La terre bourguignonne dans l’œuvre d’Henri Vincenot, Thèse sous la direction de Marie-Claire Blancquart, Université Paris 4, octobre 1993. 38. Roupnel croit que le centre spirituel et l’avenir de la France résident dans le monde rural : « l’avenir de cette campagne est en effet lié à la fois à une fidélité du régime et à une fidélité de l’esprit ». La vie rurale — « Cette âme, c’est la vie même qui l’élabora. Ce sont ses activités » — inculque « les deux vertus du paysan français : prudence et esprit d’épargne ». « Notre pays sera armé pour les luttes de la vie agricole dans le Monde. Avec sa vieille campagne composée de toutes choses, il pourra tenir tête aux pays qui n’ont que leur immensité d’un sol et leur massive fortune d’un produit et d’un jour » ; Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, ouv. cité, p. 381 et p. 402. Voir aussi Jean MOISSONNNIER, « Chronique agricole. L’agriculture et le redressement financier », dans La Croix du Tarn, 24 mars 1946. Emmanuel Le Roy Ladurie souligne « cette volonté de retrouver le dialogue archaïque des hommes et du sol. Car il n’est pas sûr que nous

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puissions, sans traumatisme grave, nous couper complètement de cette longue expérience rurale dont G. Roupnel a voulu retrouver ici le visage authentique » ; Emmanuel LE ROY LADURIE, « Postface », dans Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, Librairie Plon, 1974, p. 360. 39. Voir, Robert PAXTON, Vichy France, Old Guard and New Order 1940‑1944, New York, Columbia University Press, 1972, pp. 200‑209. 40. Fritz Ringer note que « the typically most eminent French Intellectuals of the Nineteenth century was the free-lance writer or publicist, rather than the research scholar or scientist. Indeed. this French « man of letters » often had no university-level education at all, although he probably held the secondary baccalaureate » ; Fritz RINGER, Fields of Knowledge : French Academic Culture in Comparative Perspective, 1890‑1920, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 74. 41. Ce projet culturel est très bien étudié par Philippe POIRRIER, Municipalité et culture au XXe siècle : des beaux-arts à la politique culturelle. L’intervention de la municipalité de Dijon dans les domaines artistiques et culturels, Thèse sous la direction de Pierre Lévêque, Université de Bourgogne, 1995, 2 volumes. Les travaux de P. Poirrier m’ont beaucoup aidé à insérer les activités de Roupnel dans la vie municipale dijonnaise. 42. Henri HAUSER, « Comptes Rendus », dans Revue historique, n° 142, 1923, p. 254. 43. Voir Gaston ROUPNEL, La ville et la campagne…, ouv. cité ; et Gaston ROUPNEL, « La repopulation et la vie agricole », dans La Dépêche de Toulouse, 4 août 1922, p. 1. 44. Voir Gaston ROUPNEL, « La repopulation et la vie agricole », art. cité ; Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, ouv. cité ; et Gaston ROUPNEL, La Bourgogne …, ouv. cité. 45. Voir Gaston ROUPNEL, Siloë, Paris, Éditions Stock, 1927 ; « L’Art et le peuple », art. cité ; et Gaston ROUPNEL, Nouvelle Siloë, ouv. cité. 46. Voir Gaston ROUPNEL, « La censure et l’opinion », dans La Dépêche de Toulouse, 30 juillet 1916 ; Gaston ROUPNEL, « La question du grec et du latin », dans La Dépêche de Toulouse, 29 août 1916 ; Gaston ROUPNEL, « Vers l’égalité », dans La Dépêche de Toulouse, 15 octobre 1919 ; Gaston ROUPNEL, « La géographie au village », art. cité ; et Gaston ROUPNEL, « Universitaire d’hier et demain », dans La Dépêche de Toulouse, 11 juin 1916. 47. Voir Gaston ROUPNEL, « Discours prononcé à la séance de clôture du congrès des sociétés savantes de France tenu à Dijon en 1924 », dans Mémoires de l’Académie de sciences, arts et belles lettres de Dijon, Annexes, 1924, pp. 23‑33 ; Gaston ROUPNEL, « La réforme des universités », dans La Dépêche de Toulouse, 2 février 1923 ; et Gaston ROUPNEL, « De quoi meurent les universités », dans La Dépêche de Toulouse, 3 décembre 1923. 48. Georges DROUX, dans Le Miroir dijonnais et de Bourgogne, n° 49, 1924, pp. 1113‑24. 49. Archives nationales, 24698, « Dossier professionnel ; Notice personnelle ». 50. Henri DROUOT, « Mort de Gaston Roupnel », dans Mémoires de l’Académie de sciences, arts et belles lettres de Dijon, n° 46, 1943, pp. 98‑99. 51. Jean RICHARD, « Gaston Roupnel historien », dans Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles lettres de Dijon, n° 120, 1973, p. 49. 52. Gaston ROUPNEL, Histoire de la campagne française, Paris, Librairie Plon, 1974, p. 377. 53. Pierre TRAHARD, « Gaston Roupnel. Le Vieux Garain », dans Le miroir dijonnais et de Bourgogne, n° 20, 1940, pp. 275‑76. 54. Gaston ROUPNEL, « Quelques propos », dans Le Bien public, 7 janvier 1931, p. 6.

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RÉSUMÉS

Ancré dans une étude des travaux philosophique, historique, géographique, littéraire, régionaliste et journalistiques de Gaston Roupnel (1871-1946), et appuyé sur de nouveaux documents inédits, cet article offre un aperçu des contributions de ce Bourguignon aux sciences sociales et humaines françaises du début du vingtième siècle. Il discute l’évolution « apparente » de son œuvre — depuis son travail pionnier en histoire socio-économique de la France rurale jusqu'à son approche philosophique et spirituelle de la géographie et de l'identité françaises — à travers des méthodes novatrices qui ont été célébrées par certains contemporains et jugées insuffisamment « scientifiques » par d’autres.

Bringing to light the works of Gaston Roupnel (1871-1946), for the new preface to his Histoire de la campagne française Relying on the study of Gaston Roupnel’s (1871-1946) philosophical, historical, regional, literary and journalistic works– along with new archival evidence– this article provides an overview of this Burgundian scholar’s contributions to the French social and human sciences of the first half of the twentieth century. It discusses the “apparent” evolution, from his pioneering work in socio-economic rural history to his philosophical and spiritual examination of French geography and identity through the use of innovative methodologies praised by some of his contemporaries and deemed insufficiently “scientific” by the more conventional scholars of his era.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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Louis Blaringhem (1878-1958), un généticien néo-lamarckien

Marion Thomas

1 Né dans une famille rurale du Nord de la France, ancien élève de l’École normale supérieure, professeur à la faculté des sciences de Paris et membre de l’académie des sciences, Louis Blaringhem (1878‑1958) semble avoir suivi la carrière assez « classique » d’un scientifique de la IIIe République. Cependant, une étude plus précise de sa biographie fait apparaître une personnalité originale qui se démarque de la communauté scientifique française de la première moitié du XXe siècle. Deux points en particulier de sa biographie peuvent être avancés pour soutenir ce point de vue. Le premier repose sur l’attitude de Louis Blaringhem par rapport aux débats sur l’hérédité ranimés après la redécouverte des lois de Mendel en 1900. D’abord distant par rapport aux partisans de la génétique naissante, Blaringhem infléchit sa position et sera l’un des premiers à enseigner la génétique mendélienne en France. Le second point met en évidence la volonté, assez paradoxale de la part d’un universitaire, de collaborer avec le monde agricole. Cette collaboration conduira notamment Louis Blaringhem à travailler de 1904 à 1924 sur l’amélioration des orges de brasserie.

2 Par ailleurs, cette étude a soulevé différentes questions auxquelles nous tenterons de répondre dans cet article. Nous montrerons comment l’exemple de Louis Blaringhem illustre la résistance de la communauté française à l’introduction du mendélisme en France et contribue à ce qu’il est courant d’appeler le retard de la biologie française de la période 1900‑1930 1. Mais, au-delà de ce constat négatif, de la notion d’obstacle et de la référence à une histoire qui condamne, qui se cristallise autour des refus et qui néglige les périodes de crise et de révolution scientifique, nous préférons privilégier l’idée de styles de recherche 2 concurrents. Cela nous permettra d’envisager le travail de Louis Blaringhem non pas comme une impasse mais comme une alternative au mendélisme, dans tous les cas comme l’expression d’une autre manière de faire la science. 3 De plus, cette étude nous a permis de réfléchir à l’idée de démarcation entre science théorique et science empirique. Nous montrerons que cette distinction n’est pas toujours pertinente, qu’il n'existe pas toujours de ligne de partage nette entre

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« spécialistes » et « amateurs » et que la coupure radicale que l'on établit, pour l'époque contemporaine, entre scientifiques et non-scientifiques, entre professionnels et non- professionnels, n'est peut-être pas toujours éclairante, en particulier lorsque l’on travaille sur des périodes antérieures à la Seconde Guerre mondiale. À travers l’étude des travaux scientifiques de Louis Blaringhem, nous montrerons qu’il s’établit, au contraire, des échanges entre science empirique et science fondamentale.

Louis Blaringhem, défenseur d’un style de science français

4 L’étude des travaux scientifiques de Louis Blaringhem, en particulier sa thèse de 1907 sur l’action des traumatismes sur la variation et l’hérédité, révèle un style de recherche français, à la fois dans le choix de son objet mais aussi dans une pratique scientifique héritée des traditions de recherche bernardienne et lamarckienne.

Un objet scientifique hérité des traditions de recherche du XIXe siècle

5 En choisissant d’étudier une plante monstrueuse : le maïs dégénéré, Louis Blaringhem inscrit son travail de thèse dans des problématiques de recherche issues du XIXe siècle.

6 Jean-Marc Drouin s’est intéressé à la question du monstrueux 3 dans le domaine végétal et évoque l’engouement pour ce sujet chez les botanistes du XIXe siècle 4. Jusqu’à cette époque, les fleurs monstrueuses, objets de tous les soins par les horticulteurs, sont le plus souvent perçues avec méfiance par les botanistes. Elles viennent en effet perturber la sage ordonnance qu’ils essaient d’élaborer pour décrire le tableau de la nature. Ainsi, Linné, dans sa Philosophica botanica (1751) affirme que les fleurs multiples n’ont rien de naturel et que ce sont des monstres. Plus tard, Lamarck dans les « Principes de botanique » qui ouvre la Flore française, a l’occasion de rappeler qu’une grande partie des fleurs cultivées sont « des monstres végétaux » que la botanique n’a pas « à craindre » mais dont elle n’a surtout rien à en apprendre. 7 Cette attitude semble se renverser avec le travail d’Augustin-Pyramus de Candolle (1778-1841) qui réussit à revaloriser les fleurs monstrueuses aux yeux des botanistes 5. Peu à peu, les botanistes-philosophes développent un intérêt prononcé pour ces individus anormaux, inclassables, dans lesquels ils voient comme des expériences faites par la Nature pour leur propre compte. Charles Naudin (1815-1899) est un représentant de ce renouveau. Dans un article de la Revue horticole 6, il évoque son engouement pour les monstruosités végétales ou plus précisément pour ce qu’il appelle le « moral » des plantes c’est-à-dire à des « particularités de caractère ou de mœurs » — nous dirions aujourd’hui de structure et de comportement — qui ne se réduisent pas à leur valeur ornementale. Optimiste, il va même jusqu’à déceler dans cet intérêt « quelque chose de philosophique » tout au moins l’expression d’une solidarité, d’une union entre horticulteurs et botanistes. 8 On comprend pourquoi Blaringhem qui voue une admiration à Charles Naudin et qui connaît de manière exhaustive les études botaniques du XIXe siècle, n’a aucune appréhension à travailler sur une plante monstrueuse. De même, son choix du « maïs dégénéré » peut apparaître comme une application au monde végétal du travail

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qu’Alfred Giard (1846-1908), son professeur à la Sorbonne, réalise sur des formes tératologiques d’animaux marins. 9 Cette reconnaissance de l’étrangeté, de l’anomalie, de l’exceptionnel favorise l’irruption de l’empirique dans un discours scientifique académique et génère en cela de nouveaux problèmes et de nouvelles perspectives scientifiques. À une échelle plus fine, on peut déceler cette présence de l’empirique dans un discours scientifique officiel : devant les membres de l’académie des sciences, Blaringhem utilise le terme horticole d’« affolement » 7 pour décrire ses recherches et évoque l’appellation de maïs « dégénéré » (en précisant que le terme a été forgé par les agriculteurs pour désigner la plante métamorphosée) pour décrire l’objet de son étude.

Une démarche expérimentale bernardienne

10 Par ailleurs, dans sa thèse sur l’action des traumatismes sur la variation et l’hérédité, Blaringhem se montre fidèle à la conception bernardienne de la science expérimentale. D’observateur sur un terrain rural — Blaringhem constate que le maïs en bordure des chemins présente des métamorphoses dans son inflorescence terminale —, il passe à une hypothèse — le traumatisme est engendré par le passage d’animaux ou de véhicules agricoles —, pour la soumettre à une expérience : dans son laboratoire parisien, il va tenter de reproduire ces anomalies et d’en étudier l’éventuelle transmission héréditaire. On est bien en présence des trois moments de la méthode expérimentale bernardienne : observation, hypothèse/raisonnement expérimental, expérience.

11 Louis Blaringhem applique donc sur un modèle végétal la méthode mise à l’épreuve par Claude Bernard sur des animaux. On assiste à une véritable mise en expérience des végétaux : sectionnée, tordue, la tige de maïs est soumise à des traumatismes violents, qui parfois détruisent la plante ou provoquent le développement surabondant de rejets. Blaringhem pour valider son hypothèse va jusqu’à graduer la violence des mutilations et à déterminer l’époque la plus convenable pour la meilleure réussite de son expérience. 12 Dans l’explication des phénomènes observés, Blaringhem ne néglige pas non plus les aspects physiologiques et la notion fondamentale de milieu intérieur formalisée par Claude Bernard dans l’Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. En effet, « l’affolement » provoqué par la mutilation des tiges herbacées s’explique par des troubles osmotiques (variations du milieu intérieur), troubles d’autant plus intenses que les mutilations (facteurs externes) sont plus violentes. 13 De même, la recherche d’une loi expérimentale fortement associée au projet bernardien 8 oriente le travail de Louis Blaringhem. Soucieux d’aboutir à une loi générale, Blaringhem réitère l’expérience des traumatismes sur d’autres plantes cultivées comme l’orge, l’avoine ou le sorgho. Il finit par énoncer la loi biologique suivante : « Grâce aux mutilations, on peut mettre la plupart des végétaux dans un état « d’affolement » qui est pour les horticulteurs, la période de la vie de l’espèce qui fournit les nouvelles variétés. Parmi les plantes que des mutilations ont mis dans un état d’« affolement », état qui correspond à un déséquilibre du type moyen, un certain nombre représentent des anomalies partiellement héréditaires. Dans leur descendance, celles-ci fournissent, en outre des graves anomalies, des plantes normales ayant repris leur équilibre ancestral et de très rares individus présentant des anomalies légères. Ces

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dernières sont totalement héréditaires et constituent des variétés nouvelles et stables » 9.

D’une filiation néo-lamarckienne à une combinaison avec le mutationnisme

14 Enfin, soulignons que Louis Blaringhem fort de l’enseignement de Félix Le Dantec (1869-1917) à l’École normale supérieure et de celui d’Alfred Giard à la Sorbonne 10, est fortement lié à la communauté scientifique française néo-lamarckienne de la fin du XIXe siècle. Plus précisément, sa recherche s’inscrit dans la tradition de l’école de botanique expérimentale de Gaston Bonnier (1853-1922) 11 et de Julien Costantin, (1857-1936), ses deux professeurs à l’École normale supérieure. D’inspiration lamarckienne, cette école défend l’idée d’un transformisme expérimental. Une grande partie des recherches est tournée vers l’étude de l’influence de différents facteurs naturels externes sur la structure de l’état des plantes, sur les fonctions, les organes et les échanges végétaux. Gaston Bonnier a, par exemple, réussi à donner à des plantes originaires de la plaine des caractères de plantes alpines en les cultivant 25 ou 30 ans en montagne. La recherche de nouvelles variétés de maïs entreprise par Blaringhem repose bien sur des présupposés lamarckiens : la croyance en la toute puissance de l’environnement, en la capacité d’adaptation des êtres vivants aux modifications du milieu et en l’héritage des acquis.

15 Cependant si dans sa thèse, Louis Blaringhem affirme des conceptions lamarckiennes très fortes, il se propose de les combiner avec la théorie des mutations d’ (1848-1935). Blaringhem a travaillé avec le botaniste hollandais lors de stages d’études entre 1905 et 1913 et cette rencontre l’a influencé de manière déterminante dans son travail sur le maïs. En effet, de Vries ne s’était pas prononcé sur les causes de la mutation et avait seulement émis l’hypothèse d’une « mutabilité périodique, rare et difficile à observer ». Blaringhem, lui, va se donner l’objectif de parachever la théorie de de Vries en montrant que les facteurs du milieu jouent un rôle dans le déclenchement des mutations 12. 16 Cette idée n’est pas sans heurter les positions défendues par ses professeurs qui voient dans le mutationnisme, sinon une menace, pour le moins une théorie qui, en niant les changements lents, gradués et insensibles comme générateurs du polymorphisme des espèces, déstabilise l’édifice lamarckien. Félix Le Dantec affiche une position très radicale et rejette la théorie du botaniste hollandais. Alfred Giard, plus modéré, y voit un cas intéressant mais non fondamental de création des espèces et continue de penser que les agents extérieurs du milieu, baptisés « facteurs primaires de l’évolution » 13 sont prépondérants. 17 Ainsi, au-delà de l’idée « d’affoler une plante » par de brusques changements d’existence et de créer de la variation, Blaringhem propose de déterminer, d’anticiper des variations définies par la maîtrise des mutations. Les quatre lignées de maïs mutées qu’il obtient en final semblent donner raison à son ambition. 18 La démarche et la pratique scientifique de Louis Blaringhem s’inscrivent, nous espérons l’avoir montré, dans des traditions de recherche bernardienne et néo-lamarckienne. Louis Blaringhem appartient donc à un groupe local de recherche, illustré par une communauté de savants et d’étudiants formés autour de ce que l’on peut appeler de « patrons ». Ce sont dans ce cas précis Alfred Giard, Félix Le Dantec, Gaston Bonnier ou

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encore Julien Costantin, avec, en arrière fond, les figures de Charles Naudin, de Claude Bernard voire de . Dans un tel contexte, l’idée de style scientifique nous paraît appropriée puisqu’il reprend « la désignation commode d’un ensemble de pratiques qui individualisent la production des connaissances » 14 et inclut ici des préférences intellectuelles mais aussi des pratiques et des discours de légitimation (nous détaillerons ce point ultérieurement). 19 Mais, au-delà de l’adhésion à un style de recherche français profondément héritier du XIXe siècle, Louis Blaringhem apparaît aussi comme un scientifique ouvert à des styles de pensée scientifiques étrangers. Il participe à l’introduction de la théorie des mutations de de Vries en France, tant sur plan théorique — il est le traducteur de Espèces et variétés, leur naissance par mutation 15 — que sur un plan pratique — sa thèse sur le maïs. Cependant, si Louis Blaringhem reconnaît les travaux de Hugo de Vries, il semble en négliger certains aspects notamment la « redécouverte des lois de Mendel » 16. Comment expliquer une telle omission ? Doit-on accuser la prédominance d’un style de recherche français comme seul vecteur de résistance à de nouvelles théories scientifiques ? Quelles furent les autres facteurs expliquant cette attitude protectionniste ? N’y eut-il pas d’autres acteurs de la science qui, de manière plus obscure et isolée, contribuèrent à introduire le mendélisme en France ?

L’introduction du mendélisme en France, 1900‑1930

Une communauté scientifique française résistante

20 Jean Gayon et Richard Burian ont montré dans un article récent 17 que, si le mendélisme n’avait pas été accepté en France avant la Première Guerre mondiale, ce n’était pas faute d’avoir été largement connu et discuté 18. En fait, il y aurait eu comme coexistence de plusieurs styles de recherche dans l’espace scientifique français du début du siècle. Pour preuve, la publication de la thèse de Louis Blaringhem la même année et dans le même périodique 19 que le Mémoire de Mendel.

21 Cette concurrence des styles scientifiques est encore plus accusée sur la scène internationale où le souci d’affirmer une identité nationale semble être comme exacerbé et tente de s’exprimer plus fortement. Ainsi, lors de la Quatrième conférence internationale de génétique, à Paris, en septembre 1911, Blaringhem défend une attitude qui corrobore les styles de recherche déjà identifiables dans sa thèse. Elle se traduit notamment par un communiqué sur l’hérédité en mosaïque de Charles Naudin. Louis Blaringhem y affirme que les règles mises en évidence en 1861 par le botaniste français permettent d’appréhender les phénomènes héréditaires de manière plus large que les lois de Mendel : « J’ai voulu profiter aussi de cette circonstance pour rendre hommage au savant français Charles Naudin, contemporain de Mendel, qui est arrivé à la théorie de ségrégation des caractères dans les cellules sexuelles des hybrides quelques années avant Mendel » 20. 22 Ainsi, au début du siècle, une attitude frileuse par rapport à la redécouverte de lois de Mendel semble être partagée par la communauté scientifique française et Louis Blaringhem n’est pas un cas isolé. En prétendant que les lois de Mendel ne s’appliquent que dans des cas exceptionnels d’hérédité, il affiche une attitude modérée qui s’inscrit entre deux positions extrêmes : un rejet radical, illustré notamment par la personnalité de Félix Le Dantec et une attitude partisane comme peut la défendre Lucien Cuénot

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(1866-1951). Pour Le Dantec, les déterminants héréditaires mendéliens sont assimilables à des microbes, à des accidents ajoutés à l’hérédité normale comme une maladie le serait à la physiologie normale de l’individu 21. Aussi rejette-t-il le mendélisme (puis plus tard la génétique chromosomique de Morgan) pour ses caractères purement formels, « non physiologiques », en un mot métaphysiques 22. Lucien Cuénot, au contraire, semble accorder une importance au renouveau du mendélisme et il l’applique dans sa recherche fondamentale. Pour reprendre une expression de Jean Rostand, il fut l’un, sinon « le seul généticien de notre pays » 23 entre les années 1900 et 1930.

Des voies marginales d’introduction du mendélisme en France

23 Si le mendélisme ne s’impose pas dans le paysage institutionnel français, il est cependant reconnu voire mis en pratique par des acteurs isolés.

24 Revenons sur le cas de Lucien Cuénot que nous venons d’évoquer précédemment. À Nancy, loin de Paris et des réseaux établis, Lucien Cuénot s’efforce d’appliquer les lois de Mendel aux animaux et travaille sur l’hérédité de la couleur du pelage et de la sensibilité aux tumeurs chez la souris. Arrêté dans sa recherche par la destruction de son matériel de travail pendant la Première Guerre mondiale, et ne supportant pas l’affront d’être définitivement distancé par l’école de Morgan, Lucien Cuénot finira par abandonner définitivement ses recherches mendéliennes. 25 L’agronome Félicien Bœuf semble lui aussi œuvrer pour la reconnaissance et l’introduction du mendélisme en France. Fort de son expérience dans les colonies françaises d’Afrique du Nord (il a travaillé sur l’amélioration des blés algériens), il sera à l’origine de la création de la première chaire de génétique à l’Institut national agronomique de Paris, en 1936. 26 Enfin, Philippe de Vilmorin, digne représentant de la grande famille des semenciers français, affiche son intérêt pour les lois de Mendel et ne manque pas de faire connaître ses travaux à l’académie des sciences : « Ayant entrepris depuis une dizaine d’années une série d’expériences dans le but de vérifier l’exactitude des résultats de Mendel, j’ai été amené à étudier quelques caractères qu’il avait laissés en dehors de ses investigations. L’étude de ces caractères confirme d’ailleurs pleinement la théorie, quoiqu’ils présentent parfois certaines applications analogues à celles que Bateson, Punett, Tschermak, Cuénot, Lock, etc. ont trouvées et expliquées dans différentes variétés d’animaux et de plantes » (l’auteur fait référence à la proportion 9/7 obtenue au lieu de 3/1) 24. 27 Ainsi, s’interroger sur l’introduction du mendélisme en France pendant les années 1900-1930 nous conduit à réfléchir sur les acteurs de la science. Dans le cas de l’introduction du mendélisme en France, il semble que ces derniers n’appartiennent pas à la communauté scientifique académique mais travaillent au contraire de manière obscure, cachée, loin des réseaux officiels et institutionnels, dans des espaces scientifiques géographiquement indépendants comme la province ou l’étranger ou encore le monde agricole. Chacun de ces acteurs mériterait une étude plus approfondie, étude que nous n’avons pas pu mener dans le cadre de cet article.

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Une voie peu valorisée : la recherche agricole

28 Contrairement à l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Scandinavie ou encore les États- Unis, la France entre les années 1900 et 1930 semble négliger la construction d’interactions solides entre la biologie académique et la recherche en agriculture 25.

29 Mises à part les relations tissées par la famille des Vilmorin qui voit dans la nouvelle génétique un moyen d’assurer sa survie sur le marché international des semences et qui tente de trouver des adeptes parmi la communauté scientifique académique, peu d’échanges semblent en effet exister entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Pour preuve la Quatrième conférence internationale de génétique, organisée à l’initiative de l’illustre famille française : elle n’atteindra pas ses objectifs de grande messe internationale et Blaringhem lui-même rapportera « qu’au cours de la Conférence de génétique de Paris de 1911, de nombreux savants étrangers illustres avaient pris part alors que les Français étaient peu nombreux et leur communication encore plus rares » 26. 30 À l’instar des Vilmorin, Louis Blaringhem semble être l’exception française et travailler pour une collaboration entre recherche fondamentale et recherche empirique. De manière plus pertinente Blaringhem, après une collaboration avec le monde agricole semble infléchir sa position par rapport au mendélisme et en devient l’un de ses défenseurs face à une communauté scientifique française toujours méfiante. Quels arguments avancer pour expliquer une telle évolution ? Comment expliquer, que d’une défense d’une science française et d’une sous-estimation de la puissance de l’outil mendélien, Blaringhem devienne l’un des premiers à enseigner la génétique mendélienne en France ? 31 Pour tenter de répondre à cette question, nous allons étudier le travail de Blaringhem sur l’amélioration des orges de brasserie et essayer de montrer comment peut s’opérer une influence de la science empirique vers la science théorique enseignée à l’université.

De la recherche agricole à l’enseignement de la génétique mendélienne

La collaboration avec la SECOBRA

32 En 1904, alors qu’il est occupé par sa thèse sur le maïs, la Société d’encouragement pour la culture des orges de brasserie (SECOBRA) propose à Louis Blaringhem de travailler sur l’amélioration des orges de brasserie. Blaringhem qui souffre de l’exiguïté de son laboratoire pour entreprendre les cultures en grand de lignées tératologiques de maïs accepte la proposition à la condition de partager des parcelles louées pour les orges avec des cultures de maïs.

33 L’industrie de la brasserie au début du siècle est en pleine expansion et sa force économique et politique a été consacrée lors de l’Exposition universelle de 1900. Objet de rationalisation, de standardisation grâce aux nouveaux procédés de fermentation mis au point par Pasteur, cette industrie alimente des enjeux financiers toujours plus puissants. Objet politique, elle s’inscrit dans une concurrence avec les bières produites en Allemagne, le grand vainqueur de la guerre de 1870.

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34 La nécessité de travailler avec un produit toujours plus homogène semble être une des exigences principales des malteurs et brasseurs français. En effet, de la régularité de la germination des grains d’orge dépend l’obtention d’un produit homogène à l’arôme et au degré alcoolique constants. L’utilisation de semences pures semble répondre à une telle exigence et Louis Blaringhem est envoyé en Suède, à la station expérimentale de Svalöf, pour étudier les procédés d’obtention de céréales pures améliorées. Sur ce terrain étranger, le jeune chercheur est sensibilisé à des méthodes nouvelles, notamment le procédé de sélection par pedigree. Cette technique consiste à détecter un individu aberrant (en fait un individu mutant) présentant des caractéristiques intéressantes pour la culture (résistance à la verse, à la gelée, aux maladies, beauté des grains, régularité de germination…), puis à isoler sa descendance pendant des générations successives. En final, on obtient des lignées pures dont les descendants n’offrent pas entre eux de différences plus grandes que celles que l’on peut trouver entre les fragments d’un même individu multiplié à l’infini. Contrairement à la sélection continue, ce procédé permet de conserver des qualités exceptionnelles sur plusieurs générations, car les espèces nées par mutation sont stables et ne dégénèrent pas. 35 Blaringhem applique le procédé de sélection par pedigree à des variétés d’orge françaises et arrive, après plusieurs années d’effort interrompues par la guerre, à mettre au point seize formes d’orge nouvelles adaptées au sol et au climat français. Il conclut : « l’étude du perfectionnement des sortes pedigree d’orge montre qu’il est possible de préparer en une dizaine d’années des crûs purs et contrôlables d’orges de brasserie en partant des semences du pays » 27. Ainsi, par le transfert d’une technique étrangère et le biais de la recherche agricole, Louis Blaringhem intègre en France de nouveaux concepts scientifiques. La réussite de l’amélioration des orges de brasserie confirme la fécondité du concept de mutation forgé par de Vries, mais aussi celui de lignées pures de Johannsen, ainsi que des méthodes scientifiques qui prennent en compte les lois de Mendel. 36 Ce transfert de technique validant des théories scientifiques nouvelles n’est pas sans déclencher un comportement protectionniste. Soucieux d’acclimater cette technologie étrangère auprès de la communauté scientifique française réticente, Blaringhem, une nouvelle fois, a recours à un précurseur. Il montre que les travaux de Louis Pasteur sur les corps chimiques puis sur les micro-organismes s’inscrivent comme anticipation de ceux de Johannsen sur les semences pures de plantes. « Ces lignées pures de céréales se rapprochent des lignées pures de micro-organismes dérivées dans les cultures en ballon de Pasteur, de la multiplication indéfinie d’une cellule unique, qu’on empêche de vieillir par le renouvellement aussi fréquent que possible du milieu nutritif » 28. La référence à Pasteur est-elle uniquement le cheval de Troie permettant l’introduction de savoirs théoriques et pratiques étrangers dans un paysage scientifique frileux aux idées nouvelles ? Ou obéit-elle à une simple rhétorique, l’allusion à Pasteur apparaissant alors comme la référence obligée pour tout scientifique qui veut se faire respecter par ses confrères ? Il nous est difficile de trancher et seule une comparaison avec d’autres discours scientifiques de légitimation pourrait nous y aider.

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La génétique entre dans les institutions

37 L’année 1928 semble marquer une étape importante dans la carrière de Louis Blaringhem. Après un échec en 1923, Blaringhem entre enfin à l’Académie des sciences, dans la section botanique, à la succession du siège laissé vacant par la mort de Léon Guignard. Il a cinquante ans, sa carrière vient d’atteindre un point culminant. Mais c’est aussi à partir de cette date que le rythme de ses publications s’émousse et que sa carrière s’infléchit vers des fonctions plus administratives. Cependant, Blaringhem poursuit son activité d’enseignement. Sa trajectoire universitaire est brillante : en 1922, il est nommé maître de conférences à la Sorbonne où il obtiendra en 1930 une chaire à titre personnel. Fort de cet appui, Blaringhem enseigne la génétique mendélienne à l’ENS puis à la Sorbonne, dans une France, qui, contrairement à l’Allemagne, l’Angleterre et les États-Unis ne peut se vanter d’une quelconque reconnaissance institutionnelle de la génétique et qui devra attendre l’année 1946 pour que cette nouvelle discipline trouve sa place en Sorbonne 29.

38 Blaringhem affiche aussi sa volonté d’introduire les lois de Mendel à travers des publications. Il figure au nom des auteurs de manuels universitaires — parmi lesquels Guyenot, Morgan, Rostand — qui au milieu des années 1920 publient des ouvrages synthétiques traitant de génétique. Son ouvrage Principes de l’hérédité mendélienne publié en 1928 s’inscrit dans ce dynamisme de publications. 39 Comment expliquer cette volonté d’enseigner la génétique mendélienne ? Doit-on y voir la liberté d’un scientifique qui, fort du prestige de son élection à l’Académie des sciences et d’une reconnaissance de la communauté scientifique française, peut se permettre d’avancer une approche plus validée par des expériences de terrain que par un formalisme théorique ? Et ne doit-on pas envisager la longue expérience de terrain dont Blaringhem peut se vanter à la fin des années 1920 comme le fondement de sa conviction d’enseigner la génétique mendélienne, en avance par rapport à une communauté scientifique toujours frileuse ? 40 En effet, sa mission pour l’amélioration des orges de brasserie a été un succès. Dès 1912, Blaringhem envisage d’étendre la méthode éprouvée pour les orges de brasserie à d’autres secteurs de l’agriculture et de l’industrie alimentaire : « les minotiers comme les féculiers peuvent adopter [les méthodes d’amélioration] pour les blés et pour les pommes de terre. Le tabac, le houblon, le lin, les légumineuses, les plantes fourragères et les herbes des prairies peuvent être perfectionnés par des procédés analogues » 30. Dès 1919, ses compétences en matière d'amélioration de productions végétales seront à nouveau mises à l’épreuve : la Société des rouisseurs et des teilleurs du Nord le sollicite pour entreprendre sur les lins à fibres des expérimentations analogues à celles qu'il a menées avec succès sur les orges. Il arrive à sélectionner six lignées qui sont distribuées aux producteurs. 41 De plus, entre les années 1920 et 1926, Blaringhem réalise de nombreux séjours à l’étranger. Au cours de ses missions dans les colonies d’Afrique du Nord, il est en contact avec d’anciens élèves devenus chefs de service de botanique dans les capitales des États coloniaux français. Il ne cesse d’entretenir sa préoccupation de perfectionner les plantes cultivées par la sélection ou l’hybridation. 42 Ainsi, par sa longue collaboration avec la SECOBRA pour l’amélioration des orges de brasserie, ses relations avec les agronomes comme Émile Schribeaux, directeur de la station expérimentale de Versailles ou encore Auguste Chevalier (1873-1956), sa

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pratique de l’enseignement technique 31, ses missions dans les colonies d’Afrique du Nord entre 1920 et 1926 32, ou encore ses origines rurales qui l’attacheront toute sa vie à son terroir natal du Nord de la France, Louis Blaringhem semble avoir le profil rare d’un biologiste universitaire capable d’éprouver, sur un terrain moins noble que celui du laboratoire, l’efficacité de l’approche génétique mendélienne et de recourir à des modèles empiriques pour justifier un enseignement universitaire. Ce n’est certainement pas le formalisme de l’école de Morgan, dont « il dédaigne les efforts » 33 mais beaucoup plus une expérience de terrain, qui saura le convaincre de la puissance de l’outil mendélien. 43 Cependant, nous resterons prudents et conscients de la nécessité pour étayer une telle thèse d’approfondir notre recherche et de vérifier dans quelle mesure les lois de Mendel étaient appliquées en recherche agricole. Une enquête sur les archives des stations expérimentales françaises et coloniales nous permettrait de confirmer cette hypothèse.

Génétique et eugénisme

44 À la veille de la Seconde guerre mondiale, Blaringhem est définitivement rallié à la cause mendélienne et s’affiche clairement lors de manifestations publiques. Au Palais de la découverte, lors de l’Exposition internationale de 1937, il déclare de manière emphatique : « Les lois de Mendel mises en valeur en 1900 par les naturalistes De Vries, Von Tschermak et Correns, sont pour les naturalistes comme pour les sélectionneurs l’équivalent des principes d’Euclide pour les géomètres et les architectes » 34. Et, plus loin, sans hésitation, abandonnant le souci de modération et de restriction qui le caractérisait jusqu’alors, il énonce : « Tous les problèmes de l’amélioration des plantes, de leur ajustement aux exigences de la culture moderne et des industries de transformation, de la définition rigoureuse des types nécessaires pour faciliter les échanges avec contrôle […], l’acclimatation comme la résistance aux maladies, doivent être étudiés en tenant compte des lois énoncées par Gregor Mendel à la suite de ses études sur les pois. Les mêmes principes trouvent dans le perfectionnement des races animales et dans l’Eugénique, science des perfectionnements corporels et mentaux de l’homme, des applications pleines de promesses pour l’avenir » 35. Le lien entre amélioration des plantes et perfectionnement des races animales et humaines, entre génétique et eugénique, est apparemment établi. Selon Jean Gayon et Richard Burian, ce fut l’un des facteurs expliquant le retard de la biologie française entre 1900 et 1930 36. Il apparaît donc, qu’à la veille du deuxième conflit mondial, l’un des obstacles à l’introduction du mendélisme en France ait cédé. Blaringhem une nouvelle fois semble être le promoteur d’une telle alliance. Une étude plus approfondie sur l’origine de ce passage du modèle végétal au modèle humain serait elle aussi nécessaire.

45 * * *

46 L’étude de la biographie de Louis Blaringhem aura permis, nous l’espérons, de mettre en évidence une manière de faire la science, un style français de recherche dans les années 1900 à 1930. D’un côté Louis Blaringhem semble répondre à toutes les exigences que l’on peut attendre d’un scientifique français : une carrière brillante inscrite dans une trajectoire royale qui mène de l’École normale supérieure à l’Académie des sciences, un souci affiché de se fondre dans la communauté scientifique française, qui

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se traduit par la recherche de précurseurs (Naudin, Sageret, ou encore Pasteur) et une attitude protectionniste face aux théories scientifiques étrangères. 47 D’un autre côté, il est ce biologiste qui affiche un intérêt constant pour combiner science empirique et science théorique et dont l’œuvre entretient en permanence un dialogue entre la théorie et la pratique. Dans sa thèse de 1907, le choix de son objet scientifique révèle son affinité pour le monde agricole, et son désir de marier observation empirique et théorie nouvelle de l’hérédité. Dans son travail sur les orges, Blaringhem s’efforce d’introduire par le biais de l’amélioration des plantes de nouveaux concepts théoriques. Du terrain rural à la thèse universitaire, de la station expérimentale de Svalöf à l’enseignement de la génétique en France, Louis Blaringhem affiche donc tout au long de sa carrière la volonté de combiner approches empiriques et théoriques et semble effacer toute démarcation, toute frontière entre science fondamentale et science appliquée. 48 Nous espérons aussi que grâce au parcours original de ce personnage nous aurons montré que les acteurs de la science ou ceux qui la font avancer, ne sont pas toujours les gardiens de la science institutionnelle (ou s’ils le sont, ils travaillent en dehors de ce champ comme le fait Louis Blaringhem) et que la démarcation entre professionnels et non-professionnels, entre scientifiques et amateurs n’est pas toujours éclairante pour comprendre l’avancement de la science, notamment dans les périodes antérieures à la Seconde Guerre mondiale. 49 Dans le cas de l’introduction du mendélisme en France, il serait intéressant de revenir sur ces voies indépendantes des chemins institutionnels et par lesquelles le mendélisme semble avoir trouvé, en France, au début du XXe siècle, un terreau plus favorable. Dans une telle perspective, l’étude de l’impact de l’empire français sur la transformation des disciplines biologiques universitaires pourrait s’avérer fructueuse. De même, une enquête plus approfondie sur la recherche agricole pourrait permettre de confirmer 37 le fait que les acteurs de la science peuvent appartenir à des réseaux parallèles, plus obscurs mais non moins féconds 38.

ANNEXES

I. Sources non publiées : Archives de l'Académie des sciences Dossier biographique sur Louis Blaringhem. Archives nationales AJ 16, 5733, ministère de l'Éducation nationale, Dossier personnel. Archives de l'École normale supérieure

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61 AJ 232, Dossiers individuels des élèves de l'École normale supérieure classés alphabétiquement et par promotion (1897‑1903). Communication par extrait pour le dossier de Louis Blaringhem. 61 AJ 25, Concours d'entrée, section sciences (1897‑1903). 61 AJ 48, Liste des agrégés lettres et sciences (1891‑1903). 61 AJ 170, Concours d'entrée 1898 — Sciences. Archives du CNAM Dossier du professeur Louis Blaringhem. II. Sources publiées Louis BLARINGHEM, « Anomalies héréditaires provoquées par des traumatismes », dans Comptes-rendus à l'Académie des sciences, Séance du 6 février 1905, pp. 378‑380. Louis BLARINGHEM, « Action des traumatismes sur la variation et l'hérédité », dans Mémoires de la Société de biologie de Paris, tome 59, Paris, 1905. Louis BLARINGHEM, « La notion d'espèce. Application aux progrès de l'agriculture et de l'industrie des notions nouvelles sur l'espèce », dans La Revue des idées, 15 mai 1905, Paris. Louis BLARINGHEM, « Mutations et traumatismes », dans Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, 1907. Louis BLARINGHEM, Action des traumatismes sur la variation et l'hérédité, Paris, Librairies Félix Alcan et Guillaumin réunies, 1908. Louis BLARINGHEM, L'amélioration des crûs d'orge de brasserie, Paris, Éditions SECOBRA, 1910. Louis BLARINGHEM, Les transformations brusques des êtres vivants, Bibliothèque de philosophie scientifique, Paris, Éditions Ernest Flammarion, 1911. Louis BLARINGHEM, « Le rôle des traumatismes dans la production des anomalies héréditaires », dans Comptes-rendus à l'Académie des sciences, tome 152, 1911, pp. 1609‑1611. Louis BLARINGHEM, Quatrième conférence internationale de génétique. Tome 1 : Les problèmes de l'hérédité. Tome 2 : Les problèmes de biologie appliquée, Paris, Éditions de la Revue politique et littéraire et de la Revue scientifique, 1912. Louis BLARINGHEM, Le perfectionnement des plantes, Bibliothèque de culture générale, Paris, Éditions Ernest Flammarion, 1913. Louis BLARINGHEM, Les problèmes de l'hérédité expérimentale, Bibliothèque de philosophie scientifique, Paris, Éditions Ernest Flammarion, 1919. Louis BLARINGHEM, Pasteur et le transformisme, Paris, Éditions Masson et Cie, 1923. Louis BLARINGHEM, Principes et formules de l'hérédité mendélienne, Paris, Éditions Gauthier-Villars et Cie, 1928. Gaston BONNIER et Charles FLAHAULT, Observations sur les modifications des végétaux suivant les conditions physiques du milieu, Paris, 1918.

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Julien COSTANTIN, Le transformisme appliqué à l'agriculture, Collection Bibliothèque scientifique internationale, Paris, Librairies Félix Alcan et Guillaumin réunies, Paris, 1909. Julien COSTANTIN, « Préface », dans Louis BLARINGHEM, Pasteur et le transformisme, Paris, Éditions Masson et Cie, 1923. Julien COSTANTIN, « L’hérédité acquise, ses conséquences horticoles, agricoles et médicales », dans Scientia, Biologie, n° 12, 1901. Hugo de VRIES, Espèces et variétés, leur naissance par mutation, traduit de l'anglais par Louis Blaringhem, Bibliothèque scientifique internationale, Paris, Librairies Félix Alcan et Guillaumin réunies, 1909. Alfred GIARD, Controverses transformistes, Paris, Éditions C. Naud, 1904. Alfred GIARD, L’évolution des êtres organisés, Leçon inaugurale prononcée le 22 novembre 1888. Alfred GIARD, La castration parasitaire et son influence sur les caractères extérieures chez les Crustacés décapodes. Alfred GIARD, Controverses transformistes, Paris, Éditions C. Naud, 1904. Félix LE DANTEC, « Alfred Giard et son œuvre », dans Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, Extrait du tome 42, Éditions P. Klincksieck, Paris, 1909. Cet ouvrage comprend : Félix LE DANTEC, « Notice biographique » ; Maurice CAULLERY, « L’œuvre scientifique d’Alfred Giard » ; Étienne RABAUD, « Lexique des principaux termes créés par Alfred Giard » ; et la « Liste chronologique des publications d’Alfred Giard ». Félix LE DANTEC, La crise du transformisme. Leçons professées à la Sorbonne en novembre et décembre 1908, Nouvelle collection scientifique, Paris, Librairie Félix Alcan, 1909. Félix LE DANTEC, Lamarckiens et darwiniens, Paris, Librairie Félix Alcan, 1899.

NOTES

1. Pour une analyse plus approfondie de cette période, on pourra se reporter à Jean GAYON, « La France à l’ère du mendélisme (1900‑1930) », dans Redécouverte des lois de Mendel, Colloque Académie des sciences, Paris, 23‑25 mars 2000. 2. Pour approfondir la notion de style en histoire des sciences, on pourra se reporter notamment à l’article de Jean GAYON, « De la catégorie de style en histoire des sciences », dans Alliage, n° 26, printemps 1996, pp. 13‑25. Nous retiendrons dans cet exposé la catégorie de « style scientifique » dans le cadre d’une histoire locale des sciences et privilégierons deux niveaux d’analyse : le groupe local de recherche et la nation. 3. Jean-Marc DROUIN, « Le "moral" des plantes : introductions, hybridations et monstruosités végétales au XIXe siècle », dans Journal d’agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, nouvelle série, volume 37, n° 1, 1995, pp. 5‑16. 4. Cependant, il existe des travaux antérieurs, notamment ceux du botaniste amateur Duchesne, dans les années 1760 sur les fraisiers monophylles (Histoire naturelle des fraisiers, publiée en 1766) ou plus antérieurs encore, l’observation en 1590 par un apothicaire d’Heidelberg d’une chélidoine présentant des variations par rapport au

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type. Ces exemples sont extraits de Louis BLARINGHEM, Les transformations brusques des êtres vivants, Bibliothèque de philosophie scientifique, Paris, Éditions Ernest Flammarion, 1911. 5. De CANDOLLE, Mémoires de la Société d’Arcueil. Sous « le nom de monstruosités, nous confondons en général tout ce qui sort de l’état habituel des êtres ». 6. Charles NAUDIN, « Plantes nouvelles introduites en horticulture », dans La Revue horticole, 1852. 7. Le Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue XIXe et XXe siècles (1789‑1960), Éditions du Centre national de la recherche scientifique, 1973, tome 2, donne la définition suivante du terme : en horticulture, emploi intransitif : « Pousser des feuilles sans fleurir, en parlant d’anémones ». Attesté également par Bescherelle, le mot se rattache à fou « qui pousse de manière sauvage », qui se trouve dans les expressions herbes folles et branches folles. Louis Blaringhem souligne lui-même cet emprunt au vocabulaire horticole par l’emploi de guillemets. 8. « L’essence et le but des sciences expérimentales résident dans la connaissance de la loi de formation ou de génération et d’entretien et de nutrition (qui n’est que la force formatrice ou génératrice continuée) des corps ou des phénomènes » ; Claude BERNARD, Principes de médecine expérimentale, Paris, Éditions Masson et Cie, 1947 : ou encore : « L’expérimentateur veut surprendre le secret des lis du créateur pour devenir, comme on l’a dit, le contremaître de la création ; il veut créer des phénomènes nouveaux et soumettre les éléments à sa volonté » ; idem, p. 135. 9. Louis BLARINGHEM, Mémoires de la Société de biologie de Paris, tome 59, 1905, pp. 456‑457. 10. Rappelons que dans sa leçon d’ouverture de la troisième année du cours d’évolution à la Sorbonne, — la chaire d’évolution des êtres organisés y a été créée en 1888 —, Alfred Giard affirme de plus en plus, avec un discours sur l’hérédité des modifications somatiques acquises, la dominance de l’inspiration lamarckienne au sein de son enseignement. 11. Louis Blaringhem reçoit un soutien matériel de la part de ses professeurs de l’école normale supérieure. Gaston Bonnier l’aide notamment dans la réalisation matérielle de ses cultures en grand en mettant à sa disposition des parcelles dans son laboratoire de Fontainebleau. 12. Il faut entendre la mutation comme synonyme de variation créatrice d’espèces. 13. Encore appelés « facteurs lamarckiens de l’évolution ». 14. Jean GAYON, « De la catégorie … », art. cité, p. 15. 15. Hugo de VRIES, Espèces et variétés, leur naissance par mutation, traduit de l'anglais par Louis Blaringhem, Bibliothèque scientifique internationale, Librairies Félix Alcan et Guillaumin réunies, Paris, 1909. 16. Hugo de VRIES, Comptes-rendus Académie des sciences, 26 mars 1900 : « Sur la loi de disjonction des hybrides ». Bien que cet article ne mentionne pas le nom de Mendel, il fut le premier acte officiel de la « redécouverte des lois de Mendel ». 17. Jean GAYON et Richard BURIAN, « The French School of Genetics », dans Ann. Rev. Genet., n° 33, 1999, pp. 313‑349, en particulier la partie intitulée « French biologists and genetics, 1900‑1930 », pp. 314‑318. 18. À travers trois domaines d’études : six périodiques scientifiques analysés sur la période 1900‑1930, les comptes-rendus de la Conférence internationale de génétique de 1911, mais aussi la création des chaires de génétique, la publication de manuels et enfin

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la recherche fondamentale, Jean Gayon et Richard Burian analysent la résistance à l’introduction du mendélisme en France. 19. Le Bulletin scientifique de la France et de la Belgique dont Alfred Giard est le rédacteur en chef apparaît comme un bastion du Néo-lamarckisme qui publie et critique un nombre important de travaux réalisés selon des méthodes mendéliennes comprenant notamment la traduction du mémoire de Mendel de 1865 dans un numéro de 1907. 20. Louis BLARINGHEM, « Sur l’hérédité en mosaïque », dans Quatrième conférence internationale de génétique. Tome 1 : Les problèmes de l’hérédité. Tome 2 : Les problèmes de biologie appliquée, Paris, Éditions de la Revue politique et littéraire et de la revue scientifique, 1911, p. 101. 21. Félix LE DANTEC, La crise du transformisme, 7e leçon professée à la Sorbonne en novembre- décembre 1908, Paris, Éditions Félix Alcan, 1909 : « Les expériences d’hérédité mendélienne prouvent que, à côté du patrimoine héréditaire capable de reproduire les mécanismes vivants, il peut y avoir dans l’œuf des microbes qui déterminent chez l’être provenant de l’œuf, des caractères surajoutés […]. Les caractères mendéliens sont des maladies chimiques ou diathèses, voilà tout ». 22. Pour Jean Gayon et Richard Burian, ce recours aux impératifs de la philosophie comtienne et cette valorisation d’un esprit scientifique français fortement positiviste est un des éléments majeurs de résistance à l’introduction du mendélisme en France. Voir Jean GAYON et Richard BURIAN, « The French School… », art. cité, pp. 317‑318. 23. Jean ROSTAND, Lucien Cuénot, Homme d’autrefois et d’aujourd’hui, Paris, Éditions Gallimard, 1966, p. 155. 24. Philippe de VILMORIN, « Recherches sur l’hérédité mendélienne », dans Comptes- rendus de l’académie des sciences, tome 151, 1910, pp. 548‑551. 25. Jean GAYON et Richard BURIAN, « The French School… », art. cité, p. 318. 26. Louis BLARINGHEM, « Introduction », dans Louis BLARINGHEM, Quatrième conférence internationale…, ouv. cité. 27. Louis BLARINGHEM, L’amélioration des crûs d’orges, Éditions SECOBRA, Paris, 1910. 28. Louis BLARINGHEM, Pasteur et le transformisme, Paris, Éditions Masson et Cie, 1923, pp. 185‑186 ; une référence analogue existe dans Le Perfectionnement des plantes, p. 67 ; De même, dans Louis BLARINGHEM, « Les lignes pures et les pedigree », dans Hybrides sexuels et mosaïques, L’œuvre de Mendel et Naudin présentée au Palais de la découverte, Exposition Internationale-Paris-1937, Éditions Masson et Cie Éditeurs, p. 6, il présente les travaux de Johannsen sur les lignées pures comme une « application évidente des techniques pastoriennes ». 29. La première chaire universitaire fut créée en 1946, à la Sorbonne, pour Boris Ephrussi. 30. Louis BLARINGHEM, « Conférence donnée à l’assemblée générale des ingénieurs sortis de l’Institut agricole de d’État, tenue le 10 mars 1912, au palais du Cinquantenaire, à Bruxelles », dans Annales de la brasserie et de la distillerie de l’Institut Pasteur, pp. 342‑343 et pp. 366‑372. 31. Louis Blaringhem sera successivement Chargé de cours de botanique agricole à la Faculté des sciences de Paris, de 1907 à 1922 puis, parallèlement Professeur d’agriculture au CNAM, pendant dix ans, de 1912 à 1922. Plus bref mais non moins important, Louis Blaringhem sera chargé d’une enquête sur l’enseignement technique à l’Université de Harvard, aux États-Unis, en 1919. 32. Lors de ces missions, il rencontrera notamment Félicien Bœuf à Tunis.

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33. « Je crois que les règles de Mendel peuvent néanmoins rendre des services pour l’analyse des cas particuliers examinés ici, mais qu’il faut se garder d’en faire un usage sans réserves. En particulier, leur utilité dans l’étude du problème de la répartition des sexes est discutable et l’expression des liaisons de caractères figurés par les chromosomes, soutenue par l’École de Morgan, paraît quelque peu forcée » ; Louis BLARINGHEM, Principes et formules de l'hérédité mendélienne, Paris, Gauthier-Villars et Cie, 1928, p. X. De même dans un éloge funèbre prononcé pour la levée du corps de Louis Blaringhem, Lucien Plantefol affirmera qu’il « importait peu à Louis Blaringhem d’apparaître dans les Congrès de Génétique comme un attardé qui ne veut pas utiliser les méthodes de la science » et de « dédaigner l’effort du généticien Morgan ». 34. Louis BLARINGHEM, « Avant-propos », dans Louis BLARINGHEM, Hybrides sexuels et mosaïques. L'œuvre de Mendel et de Naudin, présentée au Palais de la Découverte, Exposition Internationale, Paris, 1937, Paris, Éditions Masson et Cie, 1937. 35. Ibidem. 36. Jean GAYON et Richard BURIAN, « The French School… », art. cité, p. 318. 37. Des études ont déjà été faites sur la famille de Vilmorin. Voir Jean GAYON et Doris T. ZALLEN, « The Role of the Vilmorin Company in the Promotion and Diffusion of the Experimental Science of Heredity in France, 1840‑1920 », dans Journal of History of Biology, n° 31, 1998, pp. 243‑262. 38. Bibliographie complémentaire : Denis Buican, Histoire de la génétique et de l'évolutionnisme en France, Paris, Presses universitaires de France, 1984 ; Christophe Charle et Eva Telkes, Les professeurs de la Faculté des sciences de Paris. Dictionnaire biographique, 1901‑1939, Histoire biographique de l'enseignement, Paris, Institut national de la recherche pédagogique/Centre national de la recherche scientifque, 1994, pp. 42‑44 ; Jean Gayon et Doris T. Zallen et Richard M. Burian, « The singular fate of Genetics in the History of French Biology, 1900‑1940 », dans Journal of History of Biology, volume 2, n° 3, 1988, pp. 357‑402 ; Jean-Louis Fischer et Villiam Schneider [dir.], Histoire de la génétique. Pratiques, techniques et théories, Paris, Édition ARPEM, 1989 ; Claude Blanckaert, A. Diara, F. Dougherty, J.‑L. Fischer, G. Gohau, A. Lagarde, G. Laurent, J. Roger, J.‑C. Sillard, M. Viré, et K. Wellmann, Les Néo-lamarckiens français .— Revue de synthèse, n° 95‑96, juillet-décembre 1979 ; Annuaire des anciens élèves de l’École normale supérieure, Notices nécrologiques d’Alfred Giard, Gaston Bonnier, Van Thieghem, Félix Le Dantec, Julien Costantin, Paul ; Patrick TORT [dir.], Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Paris, Presses universitaires de France, 1996.

RÉSUMÉS

Louis Blaringhem (1878-1958) présente la figure originale d’un biologiste universitaire français qui, après avoir négligé l’impact de la redécouverte des lois de Mendel, sera l’un des premiers à enseigner la génétique mendélienne en France et qui, tout au long de sa carrière, entretiendra

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une collaboration étroite avec le monde agricole. L’étude de sa biographie nous a permis d’interroger la notion de style de recherche en histoire des sciences et de revisiter le débat autour de l’introduction du mendélisme en France. Cette étude nous a aussi conduit a montrer que la coupure que l’on établit entre science empirique et science théorique n’est pas toujours éclairante, en particulier pour des périodes antérieures à la Seconde Guerre mondiale, mais qu’au contraire, il existe un dialogue et des échanges entre ces deux domaines.

Louis Blaringhem (1878-1958), neo-Lamarckian genetician The following paper deals with the biography of Louis Blaringhem (1878-1958), an earlier twentieth-century French biologist. He was initially sceptical as to the validity of the rediscovered laws of Mendel and put allegiance to the Lamarckian inheritance of acquired characters and de Vries’s theory of mutation. However, in the inter-war period Blaringhem became a staunch adept of Mendel and was one of the first professors to teach his genetics at the Sorbonne. He was also involved in applied science and especially worked in improving crops. The study of his biography offers the opportunity for a reassessment of the notion of a national scientific style; this debate relates to the introduction of Mendel’s theories in France, and the inherent tension between pure and applied science.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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« Faire l’andouille à Guémené ». La confrérie des « goustiers de l’andouille » : entre marketing et célébration identitaire

Ali Aït Abdelmalek et Christian Chauvigné

1 Au commencement était l’andouille… Pas n’importe quelle andouille : celle de Guémené-sur-Scorff (Morbihan). Une andouille singulière, conçue par enfilages successifs de chaudins, fumée au feu de bois, et dont la succulence faisait des envieux. Les copies non conformes se mirent à pulluler au point que les gourmets, ne sachant plus à quel saint se vouer, erraient d’étal en étal à la recherche du divin mets. Seule, la mobilisation salutaire des gardiens de la tradition pouvait remettre sur la voie de l’extase « andouillicque » les palais égarés. Fort de cette divine mission, les goustiers de l’andouille établirent qu’une fois l’an serait révélée à la face du monde la vraie, la bonne, l’authentique andouille… Tel pourrait être le discours épique et mythique, donnant sens à la création de la confrérie des goustiers de l’andouille, à l’accomplissement de ses rituels et autres célébrations. Un produit du terroir, à la recette jalousement gardée et transmise de génération en génération, menacé de contrefaçons constituerait, dans cette perspective, le point d’ancrage et d’émergence d’une réalité sociale aux multiples facettes s’incarnant dans la confrérie et dans la fête. La confrérie se donne explicitement pour but de défendre la qualité du produit, d’en assurer l’authenticité et sa promotion ; la fête, celui d’en célébrer les valeurs 1. En apparence la réalité paraît conforme au mythe — en apparence seulement.

2 Si le travail de l’artisan guémenois fabriquant l’andouille s’effectue par habillage en couches successives du produit, celui du sociologue ou du psychosociologue procéderait plutôt à l’inverse, au risque du dévoilement. Mais il est, comme nous le verrons, des réalités qui dépassent la fiction et il ne nous reviendra pas de désenchanter ce tout petit monde.

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Une andouille qui n’existait pas

3 Au commencement était l’andouille — mais quelle andouille ? La question peut paraître impertinente tant s’impose à l’évidence que nous parlons ici de l’andouille de Guémené. Mais c’est précisément sur le sens de cette appellation que porte toute l'ambiguïté. Sémantiquement, lorsque l’on parle d’andouilles, la locution « de Guémené » s’oppose à celle « de Vire » pour signifier une différence dans le processus de fabrication qui se traduit jusque dans la structure du produit ; alors que la méthode guémenoise procède par enfilage, celle de Vire procède par emplissage 2, formes concentriques à la coupe pour l’une contre formes réticulaires pour l’autre. Ces deux modes de fabrication ne sont pas spécifiques aux localités qui leur ont donné leurs noms, et ceci depuis des siècles. Sur l’origine de l’appellation, l’histoire n’a pas laissée de traces et nous n’avons pas découvert de dépositaires d’une tradition de fabrication, localisée dans le terroir et héritée par filiation depuis plusieurs générations. Ainsi la dénomination « andouille de Guémené », est à saisir comme andouille façon (à la manière de) Guémené, intégrée au patrimoine national, et ne supposant aucune localisation particulière de fabrication.

4 Prenant un autre point de vue, peut-on dire que, parmi les « andouilles de Guémené », l’andouille guémenoise se distingue par des caractéristiques propres ? Répondre par l’affirmative supposerait de montrer d’une part qu’elle possède des qualités spécifiques que l’on ne retrouve pas ailleurs et d’autre part que sur ce plan elle est homogène quels que soient les producteurs. Sur ces deux points, tous les observateurs, y compris les membres de la confrérie, ont du mal à trouver des arguments convaincants, même si chez ces derniers l’affirmation se fait plus sentencieuse. Entendons-les. 5 L’absence de spécificité peut être directement exprimée : « Je pense qu’on peut trouver dans les environs, peut être même à une certaine distance, de l’andouille de Guémené artisanale qui vaille l’andouille qui est produite ici ». De manière plus défensive cela donne : « Ailleurs elle n’a pas ce goût, elle n’a pas ce fumet, je pense que c’est un produit tout à fait local ; il y a peut être des produits semblables, enfin qui s’approchent de très près sur les communes environnantes, c’est possible mais c’est l’andouille de Guémené ». L’argumentation oppose le produit artisanal au produit industriel : « On trouve sûrement chez de bons charcutiers ailleurs des andouilles d’aussi bonne qualité mais dans le domaine industriel non ». Cette idée, plusieurs fois exprimée, souligne en contrepoint la non-différenciation des andouilles artisanales : « Qui a goûté à l’andouille de Guémené ne veut plus goûter à l’andouille de Guémené qu’on trouve dans les supermarchés », « On a vu un peu partout fleurir des andouilles indiquant "andouilles de Guémené" mais qui étaient souvent des andouilles industrielles et les gens d’ici, qui quand même l’apprécient pas mal, constataient que ce n’était pas de l’andouille, c’était la façon Guémené mais qui n’était pas jusqu’au processus total de la fabrication, n’aboutissait pas à la qualité de l’andouille de Guémené ». Si la spécificité est difficile à établir, hors la référence à l’andouille industrielle, la copie est particulièrement dure à accepter lorsqu’elle caricature, au delà du produit, la culture régionale : « Moi, il m’est arrivé de me fâcher à Paris, dans des grands magasins, où on avait des gens de Guémené qui vendaient de l’andouille de Guémené avec le costume breton et ces gens là se disant de Guémené n’ont jamais été à Guémené, ne connaissaient pas un mot de breton, ils étaient habillés en bretons et ils habitaient Sarcelles quoi, ils n’avaient jamais été bretons de leur vie et ils ne savaient même pas comment se faisait l’andouille, et ça je trouve que c’est un peu grave… ».

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6 Et que dire de l’homogénéité ? Seules les positions sont homogènes pour dire que le produit ne l’est pas ; même si cela ne va pas sans quelques effets de rhétorique. Du plus direct : « Entre les deux producteurs Guémenois ce n’est pas la même finition ni le même fumage… il y a une question de clientèle aussi, certains préféreront l’une… », avec des variantes : « La norme, méthode Guémené elle est conservée ; la méthode est toujours la même jusqu’au fumage, mais bon ce qu’il y a au niveau ingrédients et tout ça, ça change, c’est ça, autrement la méthode est la même », à des expressions plus contradictoires : « Ils ont chacun leur façon mais c’est la même technique », « Chacun a son petit tour de main, mais bon c’est une histoire de cuisson, une histoire de dessalage des boyaux, c’est un petit peu, chacun a son petit truc. Comme tous les artisans que ce soit le sabotier, le charbonnier... Chacun a son petit tour de main, mais c’est pratiquement la même ». L’observation nous a montré que « le petit truc » va jusqu’à travailler sur une matière première différente ; des deux producteurs rencontrés, l’un prend du chaudin de truie, l’autre de porcelet, l’un des cochons plus gros déclassés, l’autre du verrat. La différence constatée est même revendiquée au nom de l’artisanat : « De toute façon faut pas que ce soit le même non plus, il y a toujours le tour de main ; l’essentiel c’est que ce soit artisanal », « c’est tout à fait normal, c’est une production artisanal, donc les principes de production sont les mêmes mais alors il y a quand même de multiples étapes dans la production, fumée un peu plus, poivrée un peu plus, la laisser plus longtemps au séchage, y a tout cela qui fait que même inconsciemment ils n’arrivent pas tout à fait au même résultat et que l’andouille de l’un n’est pas tout à fait l’andouille de l’autre… », et de quelques références épicuriennes : « Elles sont différentes, je compare tout ça au vin, vous pouvez avoir deux vins excellents et auxquels vous attribueriez la même note et qui n’ont pas, ce n’est pas la même qualité, et il est vrai que l’un fait de l’andouille qui est plus corsée, qui est plus compacte, plus dense peut être, l’autre a une andouille qui est plus moelleuse et que j’apprécie, vous voyez, c’est une affaire de goût également ; au départ l’andouille qui était moelleuse ça m’a un petit peu surpris et le goût se fait au bout d’un certain temps, et maintenant j’apprécie l’un et l’autre ; et c’est d’ailleurs pour l’andouille un obstacle à franchir, je pense que le goût doit s’éduquer et qu’il arrive que des gens achètent de l’andouille, entendant parler de la renommée de l’andouille, et puis lorsqu’il vont la consommer, "ah, ils disent, c’est pas fameux", vous avez le même problème avec les meilleurs vins, vous allez donner à une personne non éduquée en vin et qui va dire "c’est pas fameux ce vin", le processus de la gustation, je ne sais pas si le mot existe, et bien c’est un processus également conscient, il ne faut pas avaler l’andouille, il faut savoir la consommer, et ça se consomme pas en quantité considérable ». En définitive, l’un va même jusqu’à dire que les différences constatées ne sont pas importantes si les consommateurs ne sont pas en situation de s’en apercevoir : « Je ne pense pas que ce soit vraiment important à ce niveau là puisque il n’y aura pas deux andouilles, une andouille de X et une andouille de Y sur une même table ». 7 Au terme de cette analyse, il est donc difficile de prétendre qu’il existe une andouille guémenoise avec des caractéristiques homogènes et spécifiques. Sans doute, peut-on dire, comme le suggère l’un des membres de la confrérie, que la population de Guémené exerce à l’égard du produit une exigence de qualité qui se traduit positivement sur le plan de la fabrication : « Ici nous avons tout de même une population qui n’appréciera pas n’importe quelle andouille et donc inconsciemment les producteurs locaux sont obligés de se soumettre à cette qualité, maintenant y a le renom également bien sûr ». Cela est insuffisant pour conclure à l’existence d’une « andouille de Guémené »

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guémenoise, même si celle-ci est en devenir et que la confrérie peut jouer un rôle non négligeable dans son émergence. En quelque sorte, ce n’est pas l’andouille qui fait exister la confrérie mais la confrérie qui fera exister l’andouille.

Une confrérie en trompe-l’œil

8 Au commencement n’était pas l’andouille, mais la confrérie. Tenir pour vrai une telle affirmation conduit à s’interroger sur ce qui fonde en nature et en origine cette entité sociale particulière que constitue la confrérie ; pour peu que l’on exclue l’hypothèse de la génération spontanée. Mais cela nous amène aussi, par une étude du genre (la confrérie), à vérifier comment celle des goustiers de l’andouille en actualise ou non les traits pertinents.

9 Sous deux formes distinctes, corporations pieuses ou communautés assurant la gestion de paroisses, les confréries (« confrairies » dans les textes anciens) apparaissent au Moyen Âge. Elles constituent les prémices de la protection sociale par la promotion de la mutualité. Elles s’affirment comme un cadre social fortement intégrateur. D’un côté, elles figurent comme « groupements religieux des patrons » à l'exclusion des ouvriers. Ce caractère leur donne une grande supériorité sur la corporation, car il plie les maîtres à une plus grande probité, à l'exercice de la mutualité, à l'assistance envers les veuves et les orphelins, à une discipline autant morale que professionnelle. On rencontre en Bretagne des corporations doublées de confréries, qui choisissent leur saint patron. Les prévôts des confréries surveillent l'application des règlements et appliquent, le cas échéant, les amendes prévues. De l’autre côté, l'histoire rurale nous montre, dès le XIVe siècle, des villages solidement structurés en confréries, organisant leurs activités collectives et tenant scrupuleusement leurs comptes. Il faut souligner ici que l'évocation des confréries demeure associée aux formes de la piété chrétienne traditionnelle 3. En témoignent de vieux registres, des bâtons sculptés ou des bannières brodées, quelques peintures murales ou vitraux découverts au hasard de la visite d'une église — autant de traces matérielles qui rappellent l’époque médiévale. De quoi les confréries étaient-elles responsables ? D'abord, de l'entretien de l'église, puis de l'enclos, puis en définitive de la surveillance des communaux et même de tout le terroir villageois. Elles édictaient des règlements de police rurale et, de cette façon, définissaient et exerçaient un droit de ban. C'est ainsi que, en maints endroits, l'administration proprement municipale fut précédée par celle de la confrérie, et le maire par le syndic (ou le clerc qui tenait les livres). En somme, ces confréries sans charte ni statuts étaient régies seulement par l'expérience et la tradition. Elles étaient gérées par des prieurs, recteurs, syndics ou procureurs, élus soit par l'assemblée de tous les habitants soit par des « conseillers » déjà désignés. Ces magistrats communaux portaient des signes distinctifs de leur dignité (bâton, chapeau, bannière de procession). Sociétés d'entraide mutuelle, les confréries furent très tôt l'amorce de véritables communes, dont elles avaient déjà les principaux pouvoirs. 10 Ces confréries ont donc connu un véritable « âge d'or », entre le XIIIe et la fin du XVe siècle : aux côtés de la famille, de la paroisse ou de la communauté d'habitants, elles constituent un cadre de vie coutumier, mais qui, à l'inverse de ces derniers, est librement choisi par celui qui vient le rejoindre. 11 La vie sociale de la confrérie s’institue autour de la fête, du banquet, des chapitres et des intronisations. Dans la confrérie, la sociabilité est une valeur centrale, en raison de

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sa nature associative et de son caractère électif. Toute confrérie suppose en effet un minimum d'organisation collective, ne serait-ce que pour la gestion des fonds, mais bien plus encore pour la préparation et l'organisation de la fête annuelle. Être de confrérie c'est, du Moyen Âge à nos jours, appartenir à telle ou telle compagnie, mais c'est avant tout participer chaque année à la fête que celle-ci organise, avec le plus grand déploiement de pompe que ses moyens lui permettent. Suivons le déroulement de cette réunion qui mêle dévotions et réjouissances. Dès le matin, les confrères se rendent en cortège vers l'église (il ne saurait y avoir de confrérie sans saint patron ni célébration d'une messe régulière au moins annuelle). Ensuite, ils partagent un repas en commun, suivi de la tenue du « Chapitre » et de l’« intronisation des nouveaux membres ». 12 Si l’on s’en tient aux formes perceptibles de la vie sociale de la confrérie des goustiers de l’andouille, celles qui se donnent à voir publiquement, force est de constater une grande parenté avec les pratiques ancestrales des confréries. Fête, messe, procession et intronisation sont au rendez-vous. Singularité toutefois, le rituel d’intronisation se fait publiquement, alors que la tradition en fait une manifestation interne à la confrérie. La pratique s’assujettit ici à des considérations publicitaires : « Les intronisations, les chapitres se font en petits groupes, à Guémené cela se fait en public et devant toute la population, ailleurs c’est très fermé. Je pense que c’est plus profitable pour faire valoir un produit ». L’intronisation est, par ailleurs, l’occasion d’une mise en scène burlesque où le public est davantage invité au rire qu’au recueillement. La cérémonie n’a rien de cérémonieux et le Grand chambellan qui l’anime ne se prend pas au sérieux. Comme il le souligne : « Je n’accorde pas une grande importance à ces rituels de chevalerie ». On retrouve cette tendance à la dérision dans les coulisses, dans la vie sociale interne à la confrérie : « Je peux vous dire, on a rigolé pendant une heure et demi deux heures, c’était à la création en 1994 et la "grande échotière" d’huîtres était venue pour nous faire répéter notre chapitre et les costumes on les a eus ce soir là, donc chacun essaye son costume, tout, j’peux vous dire que c’était unique et après il a fallu choisir nos noms, alors là on a passé une soirée extra ». « La confrérie… c’est au niveau folklore un petit peu ». 13 Hors la fête et la participation à des manifestations organisées par d’autres confréries, la confrérie des goustiers de l’andouille n’a aucune activité propre : « La confrérie se limite à cette fête dans l’année et elle participe tout de même à un certain nombre de fêtes à caractère gastronomique comme la fête de l’huître, la fête du poulet… Il m’arrive d’y aller, il faut participer à l’activité du groupe… en tant que confrère, l’autorité au grand maître, remarquez que c’est pas une position désagréable d’être un petit peu en retrait et de regarder les choses… ». Ni organisation formelle, ni sociabilité conviviale ne cimentent la communauté des confrères : « y a jamais eu de réunions, il y a eu une réunion au départ bien entendu, mais depuis il n’y a pas de réunions », « y a pas de réunions, c’est très informel tout ça, il n’y a pas de compte rendus, cela se passe dans un cercle de camaraderie, tout le monde se fréquente, donc il n’y a pas besoin d’avoir quelque chose de plus formel », « les décisions se prennent de manière informelle ; s’il faut que la confrérie soit représentée, on cherche qui est libre, cela se passe plus verbalement », « il y a quelques réunions mais ce n’est pas aussi formalisé que ça, on se voit constamment, on dit "comment on va faire ? Comment on s’organise ?" c’est pas aussi rigide… On fait quand même des comptes rendus et puis quand on se retrouve

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"qu’est-ce que ça a donné où on était" et puis pour la fête ne serait-ce que pour les aspects financiers ». 14 Les membres de la confrérie n’ont pas eu jusqu’à présent l’occasion de se retrouver à l’occasion d’un repas (en dehors des manifestations), « ça pourrait se produire, c’est une idée », « on l’a fait avec les gens qui travaillent mais le bureau seul on l’a jamais fait ; mais on va quand même le faire parce que depuis 89 on a mouillé nos maillots, mais ça fait du bien de se retrouver entre gens du bureau », « on se rencontre à l’occasion des manifestations ». Si des moments festifs sont organisés entre l’ensemble de ceux qui participent à l’organisation des fêtes, il n’en existe pas de spécifiques aux membres de la confrérie. Comme le souligne un confrère : « ce n’est pas parce qu’on est dans la confrérie que l’on forme un cercle fermé ; il y a des relations affinitaires ». 15 Pour saisir le sens de l’apparente contradiction qui veut que la vie sociale de la confrérie soit d’autant plus pauvre que ses membres se rencontrent plus facilement, il faut savoir que la confrérie est une émanation du comité de la Cavalcade 4 et qu’elle y reste attachée sur le plan institutionnel et financier. On observe d’ailleurs dans les discours une relative indifférenciation entre les deux entités : « tout le comité de la Cavalcade est dans la confrérie mais tous les membres de la confrérie ne sont pas dans le comité de la Cavalcade ; il n’y a aucune différence entre les réunions du Comité des fêtes et les réunions de la confrérie, ce sont les mêmes réunions » ; « à part cette fête de l’andouille, ce comité est aussi Comité des fêtes et nous nous retrouvons pour d’autres sujets » ; « la confrérie vit sur les bénéfices de la fête de l’andouille et de la cavalcade » ; « les activités de la confrérie sont financées par le Comité des fêtes, les résultats de la cavalcade, les bénéfices qui viennent financer les activités. Les membres cotisent et puis les intronisations rapportent entre 400 à 600 francs par impétrant. Il n’y a qu’une seule comptabilité pour le Comité des fêtes et la confrérie mais avec des budgets différenciés ». La confrérie n’a donc pas d’existence en dehors de sa propre mise en scène ; elle est de ce fait peu comparable à ses ancêtres. Et pourtant, elle tourne ! 16 Au sein de la confrérie trois niveaux sont maintenant repérables : les « maîtres » (treize), les « écuyers » (trois) et les « intronisés » ou « chevaliers » (une centaine). Seuls les « treize » peuvent décider, « c’est le conseil magistral ». Pour le moment, les chevaliers n’ont pas d’avantages particuliers, mais comme l’annonce le « grand maître » : « plus tard on compte faire un chapitre uniquement avec eux comme cela se fait dans d’autres confrérie ; c’est rare d’avoir la fête et le chapitre en même temps » ; cela donnerait sûrement de la consistance à la confrérie. « Celui qui s’engage dans la confrérie aujourd’hui s’engage à promouvoir l’andouille de Guémené et que celle là... surtout pas celle de Vire ; il va s’engager aussi à aller à l’extérieur si on le demande, enfin selon la disponibilité de chacun », « pour rentrer dans la confrérie au départ y a rien eu, c’était pris dans les gens du comité de la Cavalcade bien entendu puisque c’étaient les fondateurs, il faut quand même savoir un petit peu défendre le produit… rien au départ, maintenant il y a les écuyers à partir de cette année, c’est à dire c’est des gens qui sont appelés à être maîtres goustiers et qui le seront au bout de trois ans parce qu’on va leur demander un certain nombre de services, d’aller justement dans un certain nombre de réunions d’autres confréries, les foires commerciales... », « l’écuyer, c’est pour éviter que les gens rentrent comme ça dans la confrérie et ensuite abandonnent toute activité à l’intérieur, puis y a une sorte de période probatoire et c’est pourquoi on a décidé de créer un sous ordre, la cour des écuyers pour qu’ils prouvent bien leurs qualités, leur volonté de participer ». Au regard des évolutions

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récentes, la confrérie semble se structurer et tendre vers un modèle plus proche des formes classiques du genre. 17 En définitive, la confrérie, comme l’andouille, est en devenir, sans doute parce que leurs destins sont liés et que l’une ne peut réellement exister sans l’autre. L’authenticité est un point d’ancrage de leur relation et un vecteur de leur possible émergence.

La recette de l’authenticité

18 Si l’andouille guémenoise n’a pas encore d’existence matérielle 5, elle dispose déjà d’un espace symbolique matérialisé par différentes manifestations sociales (la confrérie, la fête). Ainsi, par les représentations qu’elles suscitent, ces manifestations participent à la construction de l’image sociale du produit. Par ce stratagème, l’idée d’une andouille authentiquement guémenoise s’impose en valorisant les produits fabriqués localement. Reste que pour produire les effets de développement économique attendus par les acteurs locaux, d’autres stratégies leur apparaissent nécessaires afin de mieux faire correspondre image et réalité. La construction de l’authenticité opérée par la confrérie apparaît in fine comme la résultante de trois composantes principales : la légitimation, la sacralisation, la normalisation.

19 La légitimation est à l’œuvre dans les activités publiques de la confrérie. Elle s’élabore sous une double référence interne et externe : d’un côté la revendication de l’enracinement, de la tradition ; de l’autre le soutien de personnalités qui apportent leur notoriété à l’entreprise. L’enracinement, c’est d’abord celui des membres de la confrérie, pour la plupart Guémenois de souche ou occupant une place sociale (liée à l’activité professionnelle ou à l’engagement associatif) bien identifiée dans la commune. Il rend crédible la compétence à discourir sur l’andouille par l’expérience qu’il suppose : « Moi, j’ai connu l’andouille étant tout jeune, c’était même une fabrication familiale, c’était mon père qui la fabriquait ; un cochon était tué une fois l’année et il fabriquait la valeur de trois ou quatre andouilles qui étaient fumées dans la cheminée », « Quand j’étais jeune on en mangeait mais moi j’en mange rarement ». La tradition ne semble renvoyer, sur le plan des pratiques sociales collectives et communautaires, ni à la production, ni à la consommation ; elle s’affirme comme une signification implicite de l’existence de la confrérie et de ses rites. Dans ce contexte, les intronisations fonctionnent comme un système de reconnaissance inversé : ce sont les impétrants qui apportent du crédit à la confrérie. Parmi les chevaliers on trouve des élus locaux, un ambassadeur, des célébrités (le skieur Grospiron, médaillé olympique, …) : « De toutes les catégories… ce qu’il faut c’est des gens qui soient aux commandes, c’est tout ». Le rayonnement de la confrérie des goustiers de l’andouille est une des conditions de la valorisation du produit et de la croyance en son caractère authentique. 20 La mobilisation de la croyance n’opère pas uniquement par les effets de légitimation ; elle est présente dans l’intégration, qui se réalise au cœur même de la fête, entre le sacré et le profane. À l’image des anciennes confréries qui cherchaient protection auprès d’un saint patron, la confrérie des goustiers de l’andouille s’est rangée sous la bannière de Notre-Dame de la Fosse : « Avec la paroisse on se réunit quelque temps avant pour voir ce que l’on va faire le jour de la fête, on a associé le Pardon pour que ce soit une fête totale ». Les confrères assistent à la messe et participent à la procession du Pardon. Comme le souligne Guy Jumel : « La fête de l’andouille, à peine née, y gagne en

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honorabilité par l’authenticité de la manifestation religieuse » 6 ; la fête de l’andouille, certainement, mais plus encore la confrérie et au delà le produit qu’elle promeut. On peut parler d’un véritable transfert d’authenticité qui s’opère par la sacralisation implicite de l’andouille. 21 Contrairement aux deux premières composantes, la troisième inscrit son action dans l’adaptation de la réalité afin de mieux la faire correspondre à l’image revendiquée. C’est à ce niveau, où les enjeux se font plus prégnants, que l’on observe le plus de contradictions et où le consensus s’effrite. Jusqu’où les goustiers peuvent-ils prétendre modifier ce qu’ils sont censés consacrer ? Mais à l’inverse, quelle tolérance sont-ils supposés afficher à l’égard des écarts aux canons qu’ils professent ? Difficile dilemme pour ceux qui doivent montrer la voie aux consommateurs tout en valorisant la production locale. Tout d’abord notons le souci du client : « Ce qu’il faudrait c’est ne pas tromper le consommateur qui sait qu’il y a une fabrication spéciale qu’est respectée ; faudrait peut être commencer par faire une association des fabriquants », idée reprise d’un autre point de vue : « Dans le domaine de la production, de la commercialisation, il y a sans doute beaucoup de choses à faire mais faut franchir justement le cap, faut savoir regrouper, tout en gardant sa liberté personnelle dans la production mais là c’est un cap plus difficile à franchir, et c’est là justement où l’on trouve les problèmes de culture ». Les confrères ne semblent pas avoir économisé les efforts de persuasion en ce sens :« On a assez à s’occuper, je crois qu’on a fait l’essentiel, nous d’abord on est pas du métier et c’est à eux de s’associer, je leur ai déjà dit, on les appuiera, mais faut que chacun garde sa place ». Ceci vaut pour la tentative d’obtention de l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) : « Le but au départ était essentiellement la défense du produit et puis essayer d’obtenir l’AOC ; la défense du produit part de la manière de faire, de la technique et donc on peut obtenir le produit artisanal qu’on appelle l’andouille de Guémené ». La démarche ne pourra aboutir compte tenu des normes très strictes qui président à son attribution : « D’après ce que j’ai entendu, on ne peut pas obtenir de label pour la bonne raison que les boyaux qui servent à faire de l’andouille viennent d’ailleurs ». Toutefois cette expérience a permis de mettre en évidence la difficulté à envisager la production d’un cahier des charges entre les producteurs : « on a essayé de faire les premiers pas mais bon si entre fabriquants d’andouilles ils ne s’arrangent pas alors... ; parce que nous on est vraiment pas beaucoup de fabriquants d’andouilles dans la confrérie... », ce qui conduit la plupart des membres de la confrérie à adopter une position très prudente : « Ce n’est pas le rôle de la confrérie, il faut laisser cela aux professionnels, […] si la confrérie peut être un soutien, c’est très bien », « on ne pouvait pas avoir d’AOC, enfin nous c’est pas notre secteur, c’est le domaine des charcutiers », « non, c’est pas notre affaire, c’est l’affaire des professionnels, nous on est là pour prévaloir l’aliment et au delà la région. Les charcutiers auraient pu se grouper pour en parler et puis ça n’a jamais été fait ». Certains goustiers se refusent même à émettre un avis sur la fabrication : « On est pas là pour dire à un tel ou à un tel de mettre plus de poivre ou plus de sel dans son andouille, c’est pas notre problème ; nous en tant que bénévoles on essaie de valoriser notre produit ». Le rôle premier de la confrérie est bien de faire valoir l’andouille de Guémené et la commune : « valoriser l’andouille de Guémené pour élargir sa commercialisation ». « Le rôle de la confrérie pourrait être de promouvoir ce produit et, pourquoi pas, à terme faire qu’il y ait des créations d’emploi... alors là ce serait le rêve », mais le label paraît être à beaucoup comme un passage obligé : « ce serait bien si on arrivait à obtenir ça, ce serait bien pour Guémené car on est quand même une petite commune »,

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et à défaut d’AOC, un label apposé par la confrérie pourrait être une solution acceptable : « Pour le label, c’est à discuter entre les charcutiers et la confrérie… une sorte de label interne… Cette andouille est reconnue comme de qualité par la confrérie, ce serait peut être un moyen ». Une telle stratégie suppose de s’appuyer sur la notoriété de confrérie et d’avoir l’appui des producteurs : « On pense donner un agrément, "andouille agréée par les goustiers de l’andouille", maintenant ce qui va se faire, je ne sais pas exactement, on se réunira à ce sujet certainement incessamment… encore faut- il que les goustiers de l’andouille soient bien connus, il faut déjà que l’on se fasse bien connaître avant et une fois qu’on se sera bien fait connaître, je pense qu’on pourra délivrer des labels ». Décidément, la normalisation n’est pas la voie la plus facile et il est probable que la confrérie des goustiers de l’andouille aurait préféré s’en tenir à la gestion du symbolique plutôt que d’avoir à s’affronter à ces considérations matérielles, même si la construction de l’authenticité est à ce prix. Mais au fond est-ce là le plus important ? 22 Et si, dans l’existence de la confrérie des goustiers de l’andouille, la confrérie et l’andouille étaient secondaires ? Et si, leur point d’émergence, la fête, était à la fois leur avènement et leur dissolution dans un mouvement plus vaste qui leur donnerait sens ? Et si, seule, la fête existait ?

La fête comme célébration de l'identité locale

23 Au commencement était la fête — origine et accomplissement. La fête, comme creuset et réceptacle de la vie villageoise, moment de mise en scène d’un soi collectif, tourbillon qui renouvelle, en la cristallisant, l’identité locale, aurait généré l’andouille guémenoise et la confrérie ? Ce récit peut paraître en bien des points extravagant et dépasser dans la fabulation notre mythe liminaire. Et pourtant c’est bien la fête qui précède la confrérie et contribue à sa création, et non l’inverse. Cette assertion se vérifie à un double niveau, renvoyant dans le contexte guémenois à deux occurrences du mot « fête » : la « fête de l’andouille » et la « fête du village », ancestralement associée au Pardon de Notre-Dame-de-la-Fosse dont elle est le dernier avatar. C’est au nom de la fête qu’est convoquée l’andouille pour tenir lieu d’emblème à Guémené-sur- Scorff.

24 Reprenons le fil de l’histoire. Aussi loin que remonte le souvenir des Guémenois, le Pardon a été associé à la fête du village. Faute d’avoir su se distinguer des autres manifestations alentour, cette dernière au cours des années récentes fait de moins en moins recette jusqu’au jour où les organisateurs décident d’arrêter : « Une année on avait fait une course cycliste et il y avait peu de monde, alors l’année prochaine, pour faire comprendre les Guémenois on va rien faire… On a rien fait le jour du pardon… ah le scandale ! ». Une telle mise en cause de la tradition émeut le village et c’est sa plus haute autorité qui plaide, auprès des organisateurs, une reprise : « Monsieur le maire est venu trouvé le comité de la Cavalcade pour demander de faire quelque chose le jour de cette fête là, à nous de faire ce qu’on voulait mais de ne pas laisser cette fête là tomber, c’est là qu’a démarré la fête de l’andouille, et après la confrérie ». C’est entre les membres du bureau du comité de la Cavalcade, lors d’un rassemblement convivial qu’émerge l’idée : « La fête de l’andouille c’est parti d’une foire que l’on a fait chez un copain et c’était parti de la Sainte Zézette… pourquoi on ferait pas une fête de l’andouille », c’est parti comme ça, ça s’est développé ». Ce n’est que bien plus tard que

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la confrérie est née : « Ce week-end où il y avait rien, on était de méchoui ensemble, c’est là que l’idée de la fête de l’andouille, on en a parlé et puis c’est parti quoi, et au bout de deux ans, moi j’ai pensé à faire la confrérie et eux aussi étaient d’accord ». 25 Dès l’origine de l’idée, l’andouille sert de faire‑valoir à la communauté locale : « On s’est servi de l’andouille, car c’était un produit qui était élaboré localement, mais il est évident que ça été fait pour promouvoir la notoriété de Guémené ». Le lien sémantique établit entre l’andouille et ce village rend cette stratégie possible : « L’andouille est un symbole fort de Guémené », « c’était un support pour développer la fête de Guémené, pour développer Guémené ». La création de la confrérie n’est que la poursuite de la même stratégie sous une autre forme : « On l’a fait en parallèle avec la fête et pour le pays aussi », « ça valorise d’abord Guémené et pis après y a l’andouille, parce que Guémené sans andouille… », « j’espère qu’elle va vivre longtemps et que la fête va encore se développer et faire connaître Guémené à l’extérieur, c’est surtout ça », et la finalité identitaire ne fait aucun doute : « Cela aurait pu se traduire par autre chose qu’une confrérie centrée sur l’andouille ». L’andouille et la confrérie ne sont que les moyens périphériques à la fête de la célébration de l’identité communale. 26 La fête fonctionne ici, de manière typique, comme une véritable célébration du lieu, de l'espace et de l'identité locale. En témoigne le programme édité et largement distribué qui rappelle que les temps forts sont le défilé, le repas (midi et soir) où l’andouille figure en bonne place, les intronisations, le concours de boules, la démonstration de danses folkloriques, un fest-noz. Si faire découvrir l’« andouille » est une des préoccupations revendiquées des organisateurs, les producteurs d'andouille exposant le résultat de leur savoir-faire, il faut évoquer aussi la ferveur du Pardon, qui débute la manifestation. Les fêtes religieuses, faut-il le rappeler, ont toujours été des repères facilement mémorisés dans la vie rurale. Ainsi la fête mobilise toutes les références de la vie sociable du village : « C’est une fête totale des Guémenois… c’est la fête de tout le monde ». Pour ce faire, les moyens sont importants : « On amène au Pardon des Bagads, des cercles celtiques, des confréries… ». On dépasse largement la valorisation d'un produit artisanal ; un fabricant d'andouilles souligne même que « les touristes ont l'impression de participer à une fête bretonne puisqu'il y a du folklore, des groupes bretons… ». Mais comment rendre compte d’une telle aspiration identitaire ? 27 Lorsqu'elle s'inscrit dans l'espace géographique, la fête contribue à l'organisation du territoire, en particulier au niveau local. En effet, la société locale, qui est marquée par le principe de proximité (« on se connaît, on se côtoie, on peut approcher ses élus »), et qui est définie par l'existence d'intérêts spécifiques liés à son territoire, est toujours menacée par l'environnement centralisé, par une logique centrale 7. Les plans à long terme ne sont pertinents que dans leurs résonances locales et sur la qualité du bien- être concret et total. Totalité, c'est là un autre principe qui marque la vie locale : travailler, se recréer, consommer, se cultiver, se reproduire, etc., multiplicité de fonctions imbriquées qui font de la vie locale ce « phénomène social total » cher à Marcel Mauss 8. Enfin, la persistance est une donnée remarquable de la vie locale qui résiste à toutes les incohérences des multiples réformes qui se sont succédées depuis le mouvement communal du Moyen Âge, sa vigueur continue d'étonner : résistance à la désintégration et aux fusions, attachement incroyable et identification profondément enracinée des habitants à « leur » commune, affirmation de spécificités culturelles, telles le folklore, les spécialités culinaires (l'andouille par exemple), etc. Ainsi, la société localisée revendique une identité, et est marquée par la proximité, la totalité et la

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persistance ; sa logique vise, à l'instar de Guémené-sur-Scorff, la défense d'intérêts liés au terroir ; elle s'oppose nettement à la centralité, à l'homogénéisation culturelle, à la mondialisation. 28 Sur un plan politique, la confrontation des logiques locales et centrales se révèle à travers les mouvements sociaux, le thème des programmes électoraux, les contrastes entre résultats d'élections municipales et nationales, les stratégies partisanes pour la sélection des candidats et la composition des listes. La question de mouvements sociaux (associatifs, ruraux, écologiques, ethniques…) comme expression de réactions locales à la logique jacobine aurait mérité à elle seule un large développement. Cruciale aujourd'hui, elle était latente hier, et Alexis de Tocqueville en avait déjà décelé l'importance : « Chez les peuples démocratiques, il n'y a que par l'association que la résistance des citoyens au pouvoir central puisse se produire… » 9. Les résultats de notre recherche montrent l'importance numérique des militants associatifs à Guémené-sur-Scorff ; importance qui contraste avec le manque de légitimité de ces associations — hormis la Cavalcade et la confrérie — comme acteurs politiques, les difficultés de communication avec les pouvoirs officiels (préfecture), l'absence de participation aux décisions. 29 On notera, ici, que l'apolitisme, concernant les élections municipales, est encore largement brandi comme symbole : du caractère strictement local des candidats par opposition au central, et d’« union » par rapport aux divisions sociales et partisanes. Ce discours apolitique traverse la plupart des associations locales, et en particulier la confrérie : « Entre nous, on rigole de nos différences politiques… Cela permet aux gens de se souder autour de la fête ; on laisse tout à la maison ce jour là. Dans notre comité, y'a pas de politique, autrement, j'arrête tout de suite », même si apparemment, hors du Comité, demeurent quelques irréductibles… « tout le monde s’y retrouve, il peut y avoir un peu de bagarre mais la bagarre qu’il y a, c’est avec des gens qui ne sont pas intelligents..., c’est des gens qui ne foutent rien du tout pour la fête et qui viennent critiquer la fête mais dans son ensemble, qui mélangent la fête de l’andouille, qui mélangent Pardon, qui mélangent listes électorales, tout est mélangé et c’est des gens qui ont des positions soit de gauche, soit de droite ». 30 Si le sens de la fête ne fait pas mystère comme union (communion) identitaire au delà des clivages économiques et politiques, si elle est à l’origine concrète de la résurgence de l’andouille au pinacle de l’emblématique communale et de la confrérie des « goustiers de l’andouille », si elle constitue, dans sa matérialité, l’expression tangible de la complexité des relations et des rapports sociaux fondateurs de la vie sociale communale, elle n’aurait pu assurer sa mutation ni ne saurait se développer sans un support social conférant à l’opération toute sa légitimité. Cela nous amène à nous demander si les confrères n'occupent pas une place originale dans l'espace social local.

Un cœur de réseau

31 La fête de l’andouille ne tient son existence qu’à l’initiative et à l’engagement d’un petit groupe d’individus, dont une des particularités est d’être fortement inscrits et à de multiples niveaux dans la vie sociale communale. À défaut de considérer la confrérie comme la pierre angulaire des différentes manifestations qui nous ont été données à voir, force est de constater qu’elle est habitée par les forces vives qui les engendrent. Celles-ci constituent, avec la fête, les éléments les plus patents de la réalité étudiée. Au

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regard de l’inscription de ses membres dans de nombreuses activités communales et surtout de l’éventail couvert par ces activités, l’appartenance au comité de la Cavalcade et à la confrérie ne semble pas être le pur fruit du hasard. L’inventaire de cet investissement sociable est impressionnant : handball, football, cyclisme, yoga, animations de quartiers, club d’ancien, bibliothèque municipale, amicale laïque, paroisse, Union des commerçants, centre communal d’action sociale, pompiers, conseil municipal… À croire que chaque association, chaque collectif organisé de la commune, s’est fait représenter au sein de ce petit groupe. En fait toute la sociabilité communale semble se constituer en un vaste réseau, fruit de réseaux enchevêtrés, et se condenser dans cette entité sociale qui en constituerait le cœur. Ce phénomène peut trouver son explication dans la difficulté à mobiliser les bonnes volontés : « On est dans un petit pays, les bénévoles on les trouve tout le temps, c’est toujours les mêmes... déjà nous, on s’occupe du bal des pompiers, c’est à dire on a tellement l’habitude de travailler ensemble que pour nous ça va de soi », « je vais vous dire tout ça c’est lié, c’est une histoire de bénévolat », ou encore dans une culture du dévouement : « Beaucoup sont pompiers, plus de la moitié, les pompiers sont bénévoles et ils prennent sur leur temps pour aller rendre service aux autres et pour la fête de l’andouille c’est exactement la même chose ; pour la fête de la cavalcade, qu’est-ce qui se passe, le pompier doit être disponible, c’est un esprit… Je ne veux pas dire que la cavalcade ne tournerait pas sans les pompiers ni la fête de l’andouille… disons que les pompiers c’est une organisation qui tourne, c’est des gars sur qui on peut compter, c’est pas l’armée, c’est pas ça, m’enfin quand on a besoin d’eux ils répondent présents… c’est une communauté ». Mais il faut comprendre que c’est le positionnement particulier de ce petit groupe qui lui donne sa légitimité et assure à ses actions la félicité. Pour saisir les mécanismes de ce jeu social, il est opportun de préciser ce que réseau signifie.

32 Le concept de réseau permet de comprendre pourquoi une localité possède ou non la capacité d'agir collectivement. Au lieu d'interpréter les comportements des individus à partir de leurs attributs intrinsèques (sexe, âge, qualification, profession…), l'analyse de réseau prend pour prémices la structure des relations dans lesquelles ces individus sont insérés et met l'accent sur les modalités d'accès aux ressources et aux informations. Précisons que nous entendons par réseau local, un ensemble de centres de décisions — individus et groupes — reliés entre eux par la multi-appartenance d’individus à deux ou plusieurs de ces centres. Il s'agit d'un réseau si : 33 1) le résultat de leurs actions est déterminé conjointement ;

34 2) ils sont fréquemment en contact, du fait des responsabilités et des préoccupations professionnelles ou bénévoles qu'ils assument en commun ; 35 3) ils partagent au moins le sentiment de pouvoir mieux accomplir les tâches qui leur sont dévolues en obtenant soit une meilleure information, soit des compromis ou des accommodements de la part d'autres membres du réseau. 36 En fait, les réseaux sont le reflet d'une réponse organisée, même lorsqu'elle n'est pas tout à fait consciente, à la complexité (toujours accrue) du système social. Ils se distinguent de diverses façons des autres formes d'organisation : ils sont peu ou vaguement hiérarchisés et chaque individu y reste libre de s'occuper d'affaires sans rapport avec le réseau. Il faut, ainsi, qu'un réseau, de même que toute autre organisation, soit doté de certaines normes minimales communes et du sentiment d'une tâche à accomplir, même s'il peut également y avoir conflit quant aux fins poursuivies. Mieux sera perçu le fait de l'interdépendance, et plus le réseau et ses

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éléments seront denses et étendus localement. Cette prise de conscience est essentielle à l'établissement initial des contacts, encore que des amitiés antérieures ou la formation de relations familières puissent avoir leurs effets. Qui plus est, la conscience de l'interdépendance des membres, au sein de la confrérie par exemple, joue un rôle important dans l'entretien du réseau, parce qu'elle stimule la circulation de l'information et favorise les accommodements indispensables. Le réseau répond à une forme de division du travail, qui est à la base de la société aujourd'hui. Les relations qui s'établissent entre les membres d'une confrérie, fortement structurée, conditionnent les actes individuels au sein de cette « institution ». Une structure qui fonctionne en réseau, tout d'abord structurée « ad hoc », se transforme en véritable système, au fur et à mesure de son institutionnalisation, de sa légitimation. 37 En définitive, le réseau se caractérise par la redondance de ses connexions et repose sur des liens de sociabilité : la relation y existe pour elle-même, la personnalisation est grande, « l'autre est un nom propre, et non pas une cote ». Les relations interpersonnelles sont, par définition, bilatérales et assez spontanément polyvalentes, d'où leur tendance à s'organiser en réseau plutôt qu'en appareil : « On se réunit quelque temps pour voir ce que l'on va faire ». Le réseau a des frontières ouvertes mais, dans le même temps, les individus y jouent des rôles spécialisés (relations finalisées). Toutes ces caractéristiques se retrouvent bien dans le fonctionnement de la confrérie. 38 La confrérie est elle même prise dans le réseau des confréries ou la légitimité de chacune est garantie par la participation des autres aux fêtes et chapitres : « De nombreux déplacements sont organisés, à l'occasion de manifestations organisées par d'autres confréries, des fêtes des dégustations… Cela fait partie de notre travail, on représente l'andouille à travers le France… ». 39 L'étude des réseaux est, au fond, une psycho-sociologie de la communication : elle porte sur les conditions de milieu dans lesquelles la communication s'exerce. Les systèmes sociaux, y compris les plus petits — la confrérie par exemple —, sont généralement des structures d'emprise dissymétrique ; l'action exercée par les différents agents constituants les uns sur les autres est inégale. « Action » s'entend ici en un sens très général : les membres de la confrérie sont inégaux en capacité d'attraction, d'agrément, de persuasion, capacité d'intervention directe et indirecte sur autrui. Dans la mesure où ces inégalités d'action sont senties comme des critères d'inégalité de valeur dans un système donné, on peut souligner l'existence d'une hiérarchie dans le groupe, qui fonctionne — en tant que structure d'affinité — avec ses vedettes, ses élites ou, tout au moins, ses leaders. Les faits observés à Guémené confirment cette analyse : la confrérie comme le comité de la Cavalcade se constituent autour de quelques personnalités qui sont à l’origine de toutes les initiatives. 40 Réseau provient étymologiquement du latin retis (filet). En témoigne encore aujourd'hui l'adjectif réticulaire. Issu d'une métaphore banale caractérisant une description topologique, il s'est progressivement enrichi de l'idée de communication et de la notion d'information. On oppose ainsi, dans les sciences sociales, l'organisation en réseau à l'atomisation de l'individualisme du marché. En fait, le réseau fait émerger de l'anonymat des individus qui ont, entre eux, certaines affinités. Ces individus sont devenus, progressivement, des relais vers d'autres — les amis de nos amis. À Guémené, comme dans tous les territoires locaux, la multiplication des liens inter-individus et inter-groupes aboutit à un véritable réseau qui solidarise l'ensemble, la confrérie apparaissant comme la « cellule-mère », le « cœur du réseau ». Si donc le réseau tient sa

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puissance d’intervention et sa légitimité de son enracinement dans toutes les ramifications de la vie sociable communale, il reste à découvrir le sens de ses choix et les ressorts de la motivation qui ont conduit par étapes successives à créer la confrérie des « goustiers de l’andouille ». Comment cette petite communauté, au sein de laquelle se sont créées au cours du temps des relations d’amitié, dont les membres gèrent des intérêts multiples et pour certains contradictoires, a pu trouver avec l’andouille, la fête de l’andouille, la confrérie des « goustiers de l’andouille », un espace de consensus social à son image ? Quelle est la dynamique qui tout à la fois sacralise l’andouille, invente une tradition et subsume les oppositions liées aux intérêts économiques et politiques ?

Cet obscur désir de l’objet

41 L’andouille suscite, au Pays de Guéméné-sur-Scorff, un bel appétit collectif. Et nous ne parlons pas ici uniquement du « divin mets ». L’unité se fait autour de l’andouille comme symbole identitaire, mais elle est susceptible de se fragmenter dans le prisme des autres composantes sociales de l’expression andouillicque : économique, politique, culturelle, religieuse. Dans la localité, tout le monde « aime » l’andouille ; pas nécessairement pour les mêmes raisons. La diversité des motifs trouve à se fondre dans l’alchimie du verbe des « goustiers de l’andouille ». Si l’andouille est au centre de l’iconographie communale et si la confrérie peut offrir légitimement un espace de ritualisation de ses valeurs, c’est aussi que l’identification des habitants au produit préexiste à sa mise en scène sociale : « Les gens s’identifient, ils en plaisantent, mais il faudrait peut être pas aller trop loin dans la plaisanterie parce qu’ils diraient "on plaisante sur l’andouille...", mais ils sont fiers finalement de voir ce produit chez eux et je crois qu’il y a l’authenticité, ils vont peut être pas jusqu’à s’identifier à l’andouille mais je crois que c’est un produit dont ils tiennent à garder un certain sérieux ». Il n’est pas simple de s’identifier au produit compte tenu de la connotation sociale qu’il porte, mais l’andouille est un vecteur de notoriété pour cette petite commune et l’identification à la commune suppose d’en assumer l’image.

42 Au delà des aspects identitaires, mis en évidence au cœur de la fête, la valorisation de l’andouille s’actualise sous d’autres dimensions. La confrérie s’est donné pour mission de « défendre la qualité de ce produit et d'en assurer l'authenticité et sa promotion » 10. L’énoncé fleure bon le marketing de terroir et laisse percevoir la visée économique. Les quelques activités de la confrérie sont d’ailleurs fortement sous-tendues par ce caractère commercial. La promotion de l’andouille s’organise à l’extérieur, lors des chapitres d’autres confréries,où les confrères font déguster le produit local. Quatre, cinq, six personnes sont déléguées si c’est possible. Chacun effectue au moins un déplacement tous les deux mois. La confrérie a été cette année représentée dans une vingtaine de lieux : « Cela fait partie de notre travail, on représente l’andouille à travers la France », et ce sont les moyens financiers qui constituent les freins d’une ambition plus large : « On est même invités à Sarrebruck, mais ça fait un peu loin, on a pas de budget, c’est une réunion internationale ». Cette vocation est investie au quotidien par certains confrères particulièrement prosélytes : « Je ramène à tous mes collègues de l’andouille de Guémené, parce que j’ai mes commandes, j’ai mes clients… ». 43 L’intérêt financier que trouvent les fabriquants dans ces dispositions est clairement identifié par tous : « On a profité de faire ce truc là, c’est bon pour le charcutier ce

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qu’on fait […]. Les producteurs sont membres comme les autres, m’enfin lorsque l’on sort, ils apportent des andouilles, ils les font déguster et c’est pour eux une opération commerciale aussi… ». La dissymétrie constatée est d’autant mieux acceptée qu’elle intègre une contrepartie implicite dans la légitimité qu’apportent les fabriquants à la démarche des goustiers : sans leur connivence, pas de confrérie. En dernier ressort, si les producteurs peuvent se passer de la confrérie, l’inverse n’est pas vrai. À la lumière de cette analyse, l'extrême prudence affichée par les membres de la confrérie (non fabriquants) pour prendre position sur des critères de qualité de production n’est que l’expression de cette situation de dominance. L’enjeu de la normalisation analysé de ce point de vue ne manque pas de sel, dans la mesure où elle s’imposerait et où les confrères se trouveraient en situation de certifier la qualité, la relation se rééquilibrerait en faveur des non-producteurs. 44 L’intérêt économique se situe aussi au niveau de la commune prise dans son ensemble. Faire reconnaître le produit, c’est à terme augmenter la production et ainsi appuyer le développement local : « Le rôle de la confrérie pourrait être de promouvoir ce produit et pourquoi pas à terme faire qu'il y ait des créations d'emplois… alors là ce serait le rêve ». Mais cette grande ambition se heurte aux logiques personnelles des producteurs qui souhaitent affirmer leur singularité et se positionnent en concurrents dans l’espoir de tirer le meilleur parti de l’ouverture du marché : « Ici on est très individualiste finalement, au fond on fait la fête ensemble… mais y a un secteur où il y a une barrière, on dit attention ça... et je crois finalement que c’est également dans le domaine de la production, de la commercialisation, il y a sans doute beaucoup de choses à faire mais faut franchir justement le cap, faut savoir regrouper ». Faute d’avoir la taille critique pour appeler une consommation plus forte, l’élargissement de la demande se fait attendre et les afflux ponctuels de commandes (notamment au moment de la fête) conduisent à des ruptures de stock. À ce jeu, les stratégies des fabriquants se neutralisent et le développement se fait attendre. 45 Le rôle de la valorisation de l’andouille, dans le développement local, dépasse l’impact direct sur les intérêts des producteurs d’andouilles. La notoriété de la commune accroît sa capacité d’attraction sur des populations plus ou moins éloignées : « C’est bon aussi pour le pays, pour les retombées touristiques ». Aussi l’ensemble des commerçants de la commune ont à profiter des actions menées par la confrérie des « goustiers de l’andouilles » et plus généralement de la réputation gastronomique locale ; l’Union des commerçants ne s’y trompe pas et apporte son aide à l’entreprise. La municipalité comme les acteurs économiques ne peuvent de ce fait qu’appuyer l’initiative, la soutenir et l’encourager ; comme le souligne le maire : « Je pense que la confrérie anime Guémené pendant quelques journées et on en parle durant l’année de temps à autres et je crois que c’est une fonction qui est indispensable à une localité comme celle-ci ». 46 S’il n’est pas très étonnant de voir associer l’andouille avec des intérêts économiques, ancrés dans le monde matériel, il n’en est pas de même de l’alliance qu’elle exhibe avec des pratiques spirituelles. Le mélange des fêtes profane et religieuse conduit à faire participer les « Goustiers de l’andouille » et les autres confréries, en tenue d’apparat, à la messe et au Pardon. Cette pratique qui constitue une forme de sacre implicite des valeurs revendiquées par les confréries n’est pas du goût de tous : « Il y a quand même une certaine catégorie du clergé qui, je le sens, n’apprécie pas toujours… Les autres s’adaptent et puis ils voient quand même que leurs édifices religieux sont restaurés… Mais j’ai vu certaines fois certains prêtres intervenir, demander à ce qu’il y ait un peu

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de sérieux, un peu de silence, ne pas s’abandonner à l’intérieur de la chapelle à trop de libertés ». Les écarts concédés à la liturgie ne sont pas gratuits et les privautés semblent soigneusement délimitées ; mais nous aurions tort d’interpréter cela comme une simple adaptation à une pression locale : il s’agit là d’une véritable stratégie de reconquête des ouailles : « Il faut dire que les deux fêtes se cassaient la figure, automatiquement si la fête populaire ne marche pas, il va de soi qu’à la messe y a pas grand monde non plus ; et là demain matin je ne sais pas si l’église sera suffisamment grande et pourtant elle est grande ». Ainsi la paroisse bénéficie directement de l’intégration du Pardon et de la fête de l’andouille : « ça donne une plus belle fête pour le pardon, donc tout le monde est content ». Les réticences à ce rapprochement ne sont d’ailleurs pas venu exclusivement de ce côté : « Il y avait un noyau dur (de gauche) qui a fait des remous parce qu’on voulait s’associer avec le Pardon, mais ça y est c’est fini... mais faut pas le répéter ». Aujourd’hui tous le monde se félicite du succès de la manifestation, même si chacun est libre d’interpréter, comme il le souhaite, le sens des cérémonies. 47 De multiples motivations viennent s’enchevêtrer pour donner l’image de cette aspiration consensuelle qui porte et légitime les activités de la confrérie. Les bénéfices attendus se déclinent en fonction des positions occupées : tel membre « a envie d'exister et de se réaliser en organisant » ; les pompiers trouvent l’occasion de montrer leur dévouement à la commune et à ses habitants ; les intronisés, par l’affichage publique de leur soutien, soulignent leur participation à un réseau social et territorial (élus locaux, patrons de petites ou moyennes entreprises, cadres supérieurs et professions libérales se succèdent ainsi, plusieurs fois photographiés et montrant leur attachement à l'andouille de Guémené) et en attendent quelque reconnaissance. 48 L’unanimisme manifeste, relevé à l’égard de l’andouille, de la confrérie des « goustiers de l’andouille » et de la fête de l’andouille, se construit sur des fondations diverses mais fortement solidaires. On a longtemps à tort assimilé la communauté locale (rurale) à un espace de sociabilité consensuelle. Le niveau communal connaît lui aussi des relations sociales conflictuelles, faites de cassures, de clivages et de préjugés ; la peur, l'envie et la jalousie entre les membres y sont fréquentes. Il convient de rappeler que les relations de coopération et les conflits ne s'excluent pas nécessairement. À partir de nos observations à Guémené, on peut affirmer que la première de ces formes de sociabilité est plus forte pour tout ce qui concerne les activités de la confrérie. À travers elles, la communauté locale réalise une sorte de « communication interne et externe ». Plus encore, les interdépendances économiques et identitaires conduisent, dans ce registre, la population à une intégration fonctionnelle et symbolique. Ainsi conçue, l'Andouille renvoie bien à un enjeu central pour la communauté locale, système social formé d'une pluralité d'individus et de groupes organisés en quête de symboles partagés.

La confrérie : une focale diffractante

49 Saisie comme entité sociale, objet d’étude, la confrérie des « goustiers de l’andouille » se dérobe à l’analyse, et ne laisse entrevoir qu’une réalité fuyante, en trompe-l’œil avons-nous dit. Et pourtant, ce qui la produit (le réseau) et ce qu’elle produit (la fête) possèdent une réelle consistance, comme si elle ne prenait forme que par son extériorité. Ceci nous a conduit à chercher du sens, moins dans la structure ou dans le

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fonctionnement de la confrérie elle-même, que dans la fonction sociale qu’elle remplit au sein de son environnement.

50 En amont, elle fait montre d’une puissante capacité à condenser les aspirations locales, à rassembler les ambitions, à faire converger les intérêts, en un faisceau d’éléments disjoints qui se fusionnent en son sein. Car, et c’est là une de ses limites, le regroupement qu’elle opère ne vaut pas pour conjugaison des éléments. La jonction n’est pas la fusion. Ambitions, intérêts, aspirations, demeurent privatifs. Chaque Guémenois, chaque groupe local peut se retrouver en elle et y être représenté, sans que les logiques de chacun se trouvent transformées par cette entité qui est censé servir les intérêts de tous. En aval, l’image qu’elle restitue se décompose en de multiples fragments et peut toujours, de ce fait, être réinterprétée dans le sens voulu par chacun des acteurs. C’est aussi à ce titre qu’elle fonctionne comme une formidable machine à produire de l’identité collective. Le sens de l’identification est laissé à la discrétion des intéressés. Les commerçants, les paroissiens, les citoyens, les élus, trouvent là un espace de confrontation consensuelle fondée sur l’illusion spéculaire, mais qui ne produit pas que des effets imaginaires. 51 Le petit monde de la « confrérie des goustiers de l’andouille » se révèle à l’analyse plus enchanteur que son mythe. Il laisse deviner des jeux de résistance à la désintégration sociale par le renouvellement des rites, des sources de croyances et de reconnaissance identitaire 11.

NOTES

1. L’étude de la confrérie des goustiers de l’andouille doit être restituée dans un vaste mouvement de confréries de ce type : le boudin de Mortagne-en-Perche, les tripes de Longny-en-Perche, etc. ! À ce sujet, voir aussi : « Ô Andouille mirifique », dans Picrochole, n° 3‑4, 1996/1997, 172 p. 2. « L’andouille de Guémené n’est pas un emplissage en vrac, c’est le résultat d’un habillage, c’est de la haute couture ». Jean MOËC, « L’andouille », dans Picrochole (revue du CéRAC), n° 2, Rennes, 1995, p. 118. 3. Encore que le christianisme n'en ait pas, semble-t-il, le monopole. 4. La « cavalcade » est une autre manifestation guémenoise qui se déroule au printemps. 5. Ce qui ne suppose pas, bien sûr, qu’il n’y ait pas d’excellentes andouilles fabriquées à Guémené-sur-Scorff (ce que nous avons pu vérifier in situ). 6. Guy JUMEL, « La fête de l’andouille », dans Picrochole, n° 2, Rennes, 1995, p. 121. 7. On sait qu'en France, un environnement politico-administratif englobe les collectivités locales ; sa texture est marquée par des caractéristiques bien spécifiques : la centralisation et la rigidité. 8. Marcel MAUSS, Sociologie et anthropologie, Paris, Presses universitaires de France, 1983 (1950), 482 p.

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9. Alexis de TOCQUEVILLE, La démocratie en Amérique, Paris, Éditions Gallimard, 1951 (1835), p. 318. 10. Voir Prospectus distribué lors de l'Édition 1996. 11. Bibliographie sélective : Nicole EIZNER [dir.], Voyage en alimentation, Paris, ARF Éditions, 1995, 318 p. ; Maurice HALBWACHS, La mémoire collective, Paris, Presses universitaires de France, 1968, 204 p. ; Bernard LACROIX, L'utopie communautaire, Paris, Presses universitaires de France, 1981, 225 p. ; Claude LÉVI-STRAUSS, L'identité, Paris, Presses universitaires de France, 1983 (1977), 344 p. ; Placide RAMBAUD, Société rurale et urbanisation, Paris, Éditions du Seuil, 1969, 343 p. Pour une approche ethno- sociologique, voir également le rapport de l’étude menée par les membres du CéRAC (Rennes-Nantes-Angers) qui est publié dans la Revue Picrochole, n° 3-4, 1996/1997, 172 p.

RÉSUMÉS

La confrérie des « goustiers de l'andouille », de Guémené-sur-Scorff (Morbihan), se donne explicitement pour but de défendre la qualité du produit, d’en assurer l’authenticité et la promotion ; la fête annuelle, celui d’en célébrer les valeurs. En apparence la réalité paraît conforme au mythe.. ., en apparence seulement ! Il sera question, ici, de l'andouille, de la confrérie, de la fête, mais aussi d'identité et de communauté locales, de sociabilité villageoise et de réseau associatif.

"Making traditional sausages (andouilles) at Guémené". The Guild of Sausage Tasters: from marketing a product to celebrating identity The clearly stated goal of the Guild of Chitterling Sausage tasters (andouilles), Guémené-sur- Scorff (Morbihan, Brittany) is threefold: to defend the quality of their product, to ensure its authenticity and to assure its promotion. Their annual fête is a celebration of all the qualities of this sausage. Ostensibly, the reality seems indistinguishable from the myth.. . but all is not what it seems. Beyond questions about the sausage, the Guild and the celebrations, there is also the question about the identity of the local community, the social nature of the village and its community networks.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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Territoires, produits et identités en mutation : Les Hautes-Côtes en Bourgogne viticole

Marion Demossier

1 Pour marquer les Grands jours de Bourgogne 1 à l’aube de ce nouveau millénaire, le bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne initia un débat sur les enjeux et perspectives liés aux vins dans l’appellation. Lors de la discussion qui prit place entre les intervenants et le public, le président du syndicat des appellations d’origine contrôlée (AOC) de Mâcon soutint que l’AOC signifiait avant tout, « le droit d’être différent ». Le droit à cette différence, souvent évoqué dans le discours des professionnels, s’inscrit dans l’histoire d’un vignoble de terroirs qui compte aujourd’hui plus de 108 appellations différentes sur 400 environ répertoriées pour la France 2 entière. Ces 108 appellations recouvrent globalement trois grandes catégories : les AOC régionales, les AOC communales et les grands crus. Quatre cépages en définissent l’aire de production 3. Tant sur le plan du paysage, de l’ampélographie, des caractéristiques géologiques et pédologiques des parcelles, des savoirs et des techniques mis en œuvre que des groupes qui y vivent, une remarquable diversité définit cette zone de production appelée la Bourgogne viticole. Souvent évoquée par les géographes comme une mosaïque de terroirs, elle se présente au consommateur moyen comme une unité complexe et hiérarchisée. Dans cet espace si contrasté, le vignoble de la Côte bourguignonne — situé entre Marsannay et Santenay — a pesé de tout son poids historique dans la construction du produit et du territoire tout en favorisant la création d’un certain nombre de synergies dans les aires viticoles voisines et ce notamment dans le vignoble périphérique des Hautes-Côtes de Beaune et de Nuits.

2 Le vignoble des Hautes-Côtes, ainsi nommé péjorativement par certains Arrières-Côtes 4, couvre globalement 22 communes de Côte-d’Or et 7 communes de Saône-et-Loire. Un certain nombre de caractéristiques témoigne de la spécificité de ce vignoble. Si l’ensemble du territoire Hautes-Côtes a bénéficié de deux appellations distinctes — Hautes-Côtes de Beaune et Hautes-Côtes de Nuits — depuis 1961, trois communes de ce territoire se sont vu attribuer dès 1937 une AOC communale particulière : Auxey-

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Duresses (1937), Saint-Romain (1947) et Saint-Aubin (1937). De plus, depuis 1937, les appellations Bourgogne incluaient déjà cette zone de production mais sans la reconnaître sous une appellation distincte 5. Ainsi, le vignoble des Hautes-Côtes ne se présente pas d’emblée comme une unité sui generis mais plutôt comme un terroir dont l’aspect prototypique définit sa spécificité. De plus, la reconnaissance d’appellations communales distinctes au sein de cet ensemble témoigne de l’influence de stratégies caractéristiques du vignoble de la Côte, et notamment du rôle du négoce dans ce processus de valorisation de certains crus et villages emblématiques. Auxey, Saint- Romain et Saint-Aubin ont souvent été cités dans les documents historiques qui font référence au commerce des vins de Bourgogne comme des vignobles distincts et séculaires 6 bénéficiant déjà d’une clientèle prestigieuse. 3 À cette zone relativement homogène s’oppose le vignoble hiérarchisé et extrêmement complexe de la Côte. Ces deux territoires renvoient plus largement à des gammes de produits relativement différentes, à des terroirs distincts, à des communautés de production marquées dans leur organisation et à une histoire particulière. L’éclairage des processus qui ont permis l’émergence du vignoble des Hautes-Côtes et des produits typiques de cette micro-région ne peut se faire qu’en regard des changements qui ont affecté le monde viticole dans son ensemble, et en particulier la Côte bourguignonne. À la lumière de ces changements, les Hautes-Côtes offrent l’exemple d’un terroir qui a su se faire reconnaître autant par les producteurs que par le public comme un acteur légitime du territoire bourguignon. Le produit « vins des Hautes-Côtes », en se redéfinissant comme un produit de qualité associé à un terroir particulier, a su légitimer sa position au sein du vignoble bourguignon tout en revendiquant une position unique et originale. 4 Cet article se propose donc d’analyser les stratégies identitaires qui ont joué sur ces deux types de territoires — Côtes et Hautes-Côtes — afin d’examiner les processus de différenciation et d’homogénéisation à l’œuvre à l’échelon micro-local. En quoi ces deux vignobles se différencient-ils aujourd’hui ? Quel rôle a joué l’AOC dans la construction, la différenciation et l’emblématisation du produit « Hautes-Côtes » et de son territoire ? Dans quelle mesure les politiques d’accompagnement et de développement économique ont-elles conduit à une intégration de cette zone viticole dans une aire d’appellation plus large, et du même coup à un gommage de ces particularités ? Peut-on parler d’une homogénéisation de ces territoires suite à leur valorisation par les AOC ? Et enfin, cette reconnaissance de l’AOC et du terroir a-t-elle contribué à un remodelage de ce territoire en transition ? 5 Une approche comparative de ces deux vignobles et une évaluation des processus d’homogénéisation et de différenciation qui les marquent se doivent de replacer ces deux ensembles géographiques dans un contexte socio-historique plus large. L’histoire contemporaine du vignoble bourguignon est définie par un certain nombre de changements qui ont marqué le remodelage des vignobles et des unités de production. Tout d’abord, le viticulteur bourguignon 7, suite à la crise phylloxérique, aux crises viticoles, aux guerres et aux chocs pétroliers, a progressivement accaparé la filière de production détenue alors par le négoce local. Le développement de la mise en bouteilles et de la vente directe au domaine 8 ou, plus récemment, la création d’un négoce attaché au domaine viticole démontrent cette progressive prise en main des étapes de la filière de production par le viticulteur 9. Parallèlement, le commerce des vins, en s’internationalisant, s’est trouvé confronté à une compétition mondiale croissante.

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D’où la nécessité de trouver des marchés spécifiques auxquels des produits nouveaux et de qualité pouvaient répondre. C’est dans ce cadre que le vignoble des Hautes-Côtes s’est en partie réinventé sous l’effet fédérateur des syndicats des Hautes-Côtes et de l’AOC 10. Bénéficiant de l’image attachée aux vins de Bourgogne, les vins des Hautes- Côtes ont proposé des vins de terroir, à prix raisonnable, à une clientèle urbaine et internationale croissante. La cave coopérative des Hautes-Côtes 11 et la Maison des Hautes-Côtes ont cherché par des stratégies commerciales diverses à imposer l’appellation sur le marché des vins de Bourgogne. Le négoce beaunois en refusant de commercialiser cette nouvelle appellation, leur a donné la possibilité de « prendre leur bâton de pèlerin et d’aller vendre directement leurs produits » 12. La vente directe a donc été la stratégie qu’ils ont privilégiée en majorité alors que la cave coopérative s’attaquait au marché international et à la grande distribution. La niche économique ainsi créée a largement porté le phénomène « vins des Hautes-Côtes ». Les différentes étapes qui ont marqué le remodelage de ce territoire peuvent être analysées à partir de trois thèmes que nous examinerons en détail : la mutation d’un territoire entre friche et vigne, la construction collective et syndicale d’un produit et enfin, le poids d’une histoire paysagère.

Entre la friche et la vigne, territoire et terroir en mutation

6 Il est indéniable que l’obtention de l’appellation d’origine Hautes-Côtes a joué un rôle primordial dans l’orientation viticole de ce territoire. Autrefois décrites comme Arrières-Côtes, les Hautes-Côtes se présentent comme une zone située entre la Côte et la Montagne, étagement de compartiments basculés et dénivelés dans lesquels l’érosion a dégagé des couloirs parfois arrosés. André Déléage notait en 1942 que « les arrières côtes de Beaune et les arrières côtes de Nuits […] sont comme autant de pays à part » reconnaissant leurs caractéristiques individuelles et le manque d’unité géographique 13. Ce constat est répété par Robert Laurent, auteur de l’ouvrage Les vignerons de la Côte d’Or au XIXe siècle, qui décrit celle-ci comme discontinue et marquée par l’existence de trois ensembles de côtes nettement distincts, isolés les uns des autres par des plateaux tabulaires couverts de bois ou de chaumes déserts 14. Dans son livre Le vignoble de la Côte bourguignonne, Rolande Gadille différencie à nouveau les riches versants de la Côte des vignobles sporadiques des Hautes-Côtes 15. Selon cette géographe, la diversité des conditions géopédologiques et des complexes microclimatiques est plus grande encore que dans la Côte. C’est en partie pourquoi l'histoire viticole de ce territoire composite est indissociable d'une tradition de polyculture et d'élevage. Le type de viticulture décrit par les érudits et historiens locaux s’apparente alors à une viticulture ordinaire peu attachée à la qualité et tournée vers l'autoconsommation, y compris pour certains secteurs viticoles connus depuis le XVIIIe siècle 16. Il est intéressant de noter que les producteurs ont choisi d’insister sur le fait qu’il s’agissait de la « même Côte » 17. La légitimité de ce terroir s’appuie sur son intégration et sa reconnaissance comme l’un des terroirs constitutifs du territoire viticole bourguignon.

7 L’histoire de la viticulture locale reste donc en partie déterminée par ce paysage tout en contraste qui porte ombrage à l’émergence d’une vocation viticole marquée du territoire. Il faut attendre le XIXe siècle et l’ère d’extension du gamay pour voir apparaître l’Arrière-Côte comme un ensemble viticole associé à une viticulture

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ordinaire. Les vins ordinaires bénéficient alors d’un contexte économique très favorable à leur écoulement : la croissance des villes industrielles. Le développement des moyens de communication permet aussi l’acheminement des vins à moindre coût. La clientèle des centres urbains, mais aussi des campagnes, de plus en plus consommatrice, devient plus accessible : « les vins communs […] se vendent sur le champ pour l’usage de la classe la plus nombreuse et présentent un produit certain et à peu près régulier […]. Quelques fois, les vins communs de ce qu’on appelle l’Arrière- Côte qui borne le bassin de la Saône, ou le pays plat, sont aussi envoyés hors de France. Mais la très grande partie de ces derniers est consommée sur place » 18. Les gains du vignoble dans l’Arrière-Côte sont considérables et selon R. Laurent, ils atteignent une ampleur telle qu’ils dénotent une modification dans l’économie du pays. L’extension de l’aire viticole, l’émergence d’une nouvelle classe sociale — les petits vignerons accèdent à la propriété — l’augmentation de la population, un nouveau dynamisme économique marqué par l’arrivée des artisans au village et l’urbanisation de l’économie villageoise sont les traits essentiels de cette mutation 19. Cependant, bien que très développée, l’activité viticole ne s’impose pas comme une monoculture véritable. Culture et élevage constituent encore les principales ressources de l’économie vivrière locale. Les cultures viennent essentiellement des terroirs de fond de vallée. Les vergers occupent aussi une vaste surface et sont surtout destinés à la consommation locale. L’élevage s’inscrit dans cette polyculture tout au long du XIXe et au début du XX e siècle. Il faut ajouter que jusqu’à la crise phylloxérique, de nombreux territoires de la Côte-d’Or sont aussi plantés en vigne. 8 Mais la crise phylloxérique porte un coup à cet équilibre, si fragile, que les crises successives et la concurrence des vins du Midi et d’Algérie ébranlent finalement. Le recul du vignoble dans les Hautes-Côtes et la décadence de la viticulture marquent cette partie de la Bourgogne viticole. La nécessité de reconversion trouve une solution d’appoint dans les cultures fruitières — cassis, framboises, groseilles, fraises et arbres fruitiers — qui deviennent des spécialités de l’Arrière-Côte dès les années 1930. Le ministère de l’Agriculture note ainsi en 1937 que si le département jouit d’une certaine réputation au point de vue horticole, c’est à ses cultures spéciales arbustives et légumières qu’il la doit. La culture fruitière doit surmonter tout autant les crises nombreuses — intempéries, dégénérescence des plants et maladies — que les fluctuations de prix. Une mutation du système de production et des structures rompt à nouveau l’équilibre cultural en place jusqu'alors, défini par une polyculture associant arboriculture, viticulture et céréaliculture dans un cadre domestique. La transition vers une viticulture sur le modèle de la Côte bourguignonne est alors lancée. Cette transition est sanctionnée par l’AOC de 1961 qui définit les Hautes-Côtes de Nuits et les Hautes-Côtes de Beaune. C’est dans ce contexte fragile que la transition de la friche à la vigne s’impose comme idée maîtresse, portée par un collectif. Selon Sophie Caillis 20, au delà de ses aspects socio-économiques, l’obtention de l’AOC renvoie à un vaste mouvement de recomposition qui, de l’ouvrage militant d’Ernest Naudin 21 à celui de Jean-François Bazin 22, conduit l’Arrière-Côte à devenir les Hautes-Côtes. Il s’agit avant tout d’une demande de reconnaissance sociale d’un produit et de son territoire, mais aussi et plus encore, d’une quête identitaire de la part des hommes qui y vivent. L’histoire identitaire des Hautes-Côtes est aussi largement tributaire de sa relation à sa voisine, la Côte bourguignonne, le vignoble des Hautes-Côtes étant considéré alors comme « une seconde bande de vignobles de piètre qualité en regard des sols bénis donnant aux Romanées et aux Cortons leurs bouquets inimitables » 23. L’émergence de

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la pédologie comme vocation des sols sert d’argument scientifique à une reconnaissance sociale du terroir viticole français 24. La redéfinition de cette région dans l’ensemble viticole régional se fait sous l’impulsion d’un collectif syndical et politique originaire des Hautes-Côtes. 9 Suite à la loi du 4 août 1961, les Hautes-Côtes se voient attribuer une appellation régionale qui leur assure des revenus importants remettant alors en cause l’un des systèmes de polyculture existant jusqu’alors (production céréalière et laitière, production de petits fruits rouges et viticulture). De nouveaux systèmes de polyculture voient le jour du fait de l’abandon progressif des productions laitières et céréalières par les viticulteurs, ces productions n’étant plus assurées que par les exploitants agricoles non-viticulteurs. Ainsi, en complément de la production viticole, seule la production de cassis est maintenue 25. Cependant, doutant de plus en plus de la possibilité d’obtenir une AOC pour la crème de cassis de Bourgogne, les producteurs des Hautes-Côtes préfèrent convertir leurs plantations pour réserver leurs terres à la vigne. Dans cette mutation du territoire, les structures foncières reflètent l’occupation croissante de la vigne sur le paysage des Hautes-Côtes. La surface plantée double ainsi de 1975 à 1990. Le nombre de viticulteurs tournait autour de 350 en 1990, et chaque année, de jeunes viticulteurs s’installent à leur compte. Parallèlement, des projets collectifs voient le jour pour assurer une conversion réussie de ce vignoble. On assiste en 1968 à la création de la cave coopérative des Hautes-Côtes qui permet de contourner le problème de l’extrême morcellement des surfaces viticoles et du traitement de la vendange jusqu'à sa commercialisation. En 1970, un comité d’aménagement est mis sur pied pour accompagner la relance et il bénéficie des crédits du fonds d’aménagement rural (FAR). Son objectif premier est d’améliorer des conditions de vie et mettre un frein à la désertification. De nombreuses actions politiques et syndicales complètent le développement de la région : Maison des Hautes-Côtes en 1974, remembrement, développement des CUMA, tourisme rural, aménagement des villages. Il est intéressant de noter que dans une partie des Hautes-Côtes, les viticulteurs avaient déjà mis un pied dans la Côte en y exploitant des vignes. En quelques années, le visage de cette micro- région se transforme à la faveur d’une économie viticole plus porteuse et d’une industrie du tourisme en expansion. C’est dans ce contexte que le nombre de gîtes ruraux et d’auberges à la ferme s’accroît. L’habitat traditionnel et sa restauration témoignent aussi de ce regain d’intérêt pour ce terroir situé entre la vigne et la montagne. Ainsi, le village d’Echevronne offre un exemple remarquable de cette récente prospérité que le dernier recensement confirme 26. Derrière ce vaste chantier de conversion territoriale, un collectif très dynamique s’est imposé dans la construction collective d’un produit de « qualité ». Ce collectif a su exercer un pouvoir sur un territoire en combinant le projet de relance viticole à celui de reconversion économique. Le succès de l’entreprise s’explique en partie par la vision prémonitoire des élites territoriales et par leur rôle politique et syndical. Il ne faut pas non plus négliger l’importance des municipalités et syndicats viticoles dans la synergie qu’ils ont initiée autour de la recomposition du territoire.

La construction collective d’un produit de « qualité »

10 Comme nous l’avons souligné, la reconnaissance de l’AOC répond à la demande de reconnaissance exprimée par un collectif. Un produit, un terroir, une région et des

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hommes furent les principaux éléments de cette recomposition du territoire. Dès 1927, la création de l’union syndicale des Hautes-Côtes de Beaune et des Hautes-Côtes de Nuits pose la première pierre de l’édifice. L’union œuvre pour la reconnaissance d’un statut à part au sein de la Bourgogne viticole. Les délégués des 33 associations agricoles optent unanimement pour l’appellation Hautes-Côtes. Selon Rolande Gadille 27, il ne s’agit pas simplement d’une redénomination du territoire à des fins commerciales, mais d’une redéfinition d’un espace en crise au sein d’une région en plein développement : « La région des Hautes-Côtes fut mal partagée quand les AOC de Bourgogne se cristallisèrent et subit de fait, depuis de nombreuses années, un préjudice important qui entraîna l’effritement spectaculaire d’une partie du vignoble, l’abandon des villages par leurs habitants et une profonde détresse économique qui contraste avec l’opulence des localités limitrophes de la Côte » 28. En 1945 est constitué un syndicat des Hautes- Côtes de Beaune et des Hautes-Côtes de Nuits qui donne une impulsion à un ensemble d’initiatives telles que le prix d’excellence des vins dès 1951 et l’organisation de festivals à partir de 1958 29. Son programme d’action, établi dès 1945, insiste sur la notion de qualité. Le prix d’excellence cherche avant tout à débarrasser les Hautes- Côtes de l’image défavorable qui leur était attachée en créant un label attribué aux vins de qualité après analyse et dégustation. Basé sur le même principe que le Tastevinage 30, il s’agit d’une reconnaissance entre pairs de la qualité des vins de la région. C’est toujours sous l’impulsion du syndicat que l’ensemble des techniques viti-vinicoles est soumis à une réévaluation. Le gamay est progressivement abandonné pour le pinot et les vinifications s’améliorent sur le plan qualitatif. D’autres initiatives voient le jour comme la création d’une première coopérative, fondée à Orches en 1957, par sept viticulteurs polyculteurs locaux et qui deviendra la cave coopérative des Hautes-Côtes. L’obtention de l’AOC, le 4 août 1961, consacre les efforts entrepris par le collectif dans la réinvention du produit et du territoire. Dans ce vaste projet, plusieurs éléments vont participer à la reconversion de cette micro-région en un terroir de qualité.

11 Aménager le territoire semble constituer la première étape de cette conversion. Le remembrement est donc le premier outil de cette reconquête et depuis 1961, neuf des onze communes des Hautes-Côtes ont été remembrées 31. Les Hautes-Côtes sont définies par un morcellement extrême et par le caractère composite des structures foncières. L’aménagement foncier constitue par conséquent la pierre angulaire du nouveau système viticole mis en place. Les remembrements permettent la constitution de vignobles plus importants et l’annexion de friches dont personne ne voulait. Les exploitations s’agrandissent et le nombre d’exploitants diminue progressivement, signe d’une mutation inévitable du monde agricole. On assiste, de 1914 à 1964, à une diminution de plus de 80 % de la superficie du vignoble. Puis, de 557 hectares en 1964, le vignoble s’étend à 1 024 hectares en 1980 pour comptabiliser aujourd’hui 1 328 hectares 32. À ce remembrement s’ajoutent l’adoption d’un nouveau mode de conduite de la vigne, dit « en vigne haute », et une organisation de la production et de la commercialisation qui permettent la création d’un produit bien spécifique, signes d’une renaissance bien entamée. Progressivement, la reconquête du territoire par la vigne devient fait accompli. D’importantes subventions viennent par la suite concrétiser cette reconversion. Ainsi, en 1971, le comité d’aménagement des Hautes- Côtes et de la vallée de l’Ouche, association présidée par Lucien Jacob 33, obtient l’intervention du fonds d’action rurale. Un plan d’aménagement rural est mis en œuvre pour « développer les activités socio-économiques, localiser les équipements de façon rationnelle et cohérente, préserver l’espace naturel » 34. De nombreux autres projets

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viennent compléter le développement de la région. Des subventions sont investies dans le renforcement des réseaux électriques, l’élargissement des routes, la création de regroupements pédagogiques qui incluent certains villages de la Côte. Un commerce de proximité est encouragé et la mise en place des Hautes-Côtes dans le circuit touristique de la Bourgogne viticole permet aux touristes de venir déguster dans les exploitations. En 1986, une opération groupée d’aménagement foncier (OGAF) contribue au maintien du tissu rural et au développement économique de la région. L’ensemble de ces politiques et subventions jouent un rôle essentiel dans la recomposition de cet espace en un espace rural touristique et dynamique. Les nouvelles générations de producteurs s’inscrivent dans ce processus de réappropriation de l’espace par le biais des groupements de producteurs et des associations professionnelles. 12 Derrière cette reconquête, l’histoire des Hautes-Côtes est définie par le rôle joué par un collectif d’hommes — les viticulteurs polyculteurs — qui ont su à un moment donné s’imposer dans un processus de reconnaissance sociale et faire entendre leurs voix au sein de l’institut national des appellations d’origine. Il est pertinent de noter qu’il y a encore une vingtaine d’années, ce processus de reconnaissance ne s’expliquait que par l’argument géologique du terroir, la qualité et la possible commercialisation du produit. Plus récemment, depuis les années 1990, la mode est à l’explication culturelle et de nombreux dossiers acceptés par l’institut national des appellations d’origine (INAO) avancent aujourd’hui que le rôle du collectif est l’un des aspects essentiels dans la reconnaissance du produit 35. Différents contextes, différents processus expliquent l’accent mis sur l’un ou l’autre des éléments constitutifs de la notion de terroir, notion qui a elle-même subi une évolution historique non négligeable ces dernières années. L’idéologie constitutive du terroir s’adapte donc au contexte historique de sa production. Contrairement au vignoble de la Côte, où les pratiques individualistes fondent l’identité de la micro-région, les Hautes-Côtes ont été le berceau d’un certain syndicalisme agricole catholique — les Jeunesses agricoles chrétiennes (JAC) — qui a conduit à l’émergence d’un projet collectif 36 et d’une élite viticole. Ce mouvement syndical s’est développé plutôt dans le vignoble des Hautes-Côtes de Beaune et a servi d’ancrage à la création d’une coopérative des Hautes-Côtes en 1964. La cave coopérative des Hautes-Côtes, située au sud de Beaune sur la route nationale, constitue le premier pas dans une stratégie de prise en main de la filière de production par le groupe des viticulteurs. Répondant aux problèmes des coûts d’investissements consacrés aux cuveries, au stockage et à la commercialisation des vins, la cave coopérative des Hautes-Côtes a encouragé une nouvelle organisation de la production et l’orientation vers des produits « dits de qualité » par un contrôle des moyens de production. Son succès ne s’est pas fait attendre et la cave coopérative a vu le nombre de ses membres passer de 80 viticulteurs pour 160 hectares de vignes en 1968 à 130 viticulteurs pour 420 hectares (pas seulement dans les Hautes-Côtes) en 1991. Quand les viticulteurs n’optaient pas pour la cave coopérative, ils choisissaient alors le groupement d’exploitation en commun (GAEC) 37 qui leur permettait un certain développement familial et un regroupement des terres favorisant un éventail plus large de productions. Beaucoup d’autres viticulteurs sont aussi restés indépendants. Dans l’organisation communautaire de la production, les Hautes-Côtes de Beaune sont relativement distinctes des Hautes-Côtes de Nuits, bien que le collectif d’hommes à l’origine du projet de conversion de cette micro-région soit également décrit comme « un groupe très dynamique défini par la parfaite entente » 38. Les Hautes-Côtes de Beaune ont été

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lancées sous l’influence des JAC alors que les Hautes-Côtes de Nuits sont marquées par une synergie de nature plus politique. 13 Un groupe de viticulteurs autour de Bernard Hudelot, Lucien Jacob et bien d’autres lance, dès 1968, l’idée d’une association consacrée à la promotion des vins des Hautes- Côtes. Il faut attendre 1974 pour que le projet prenne corps. Lieu de rencontre et de dégustation des produits du terroir — vins, crèmes de cassis et de framboises —, la Maison des Hautes-Côtes devient un lieu de restauration gastronomique pour la région et les touristes. Depuis quelques années, elle est souvent le lieu de rencontre des professionnels et l’endroit ou l’on fête les mariages au sein de la communauté viti- vinicole. Elle sert aussi de syndicat d’initiative pour la micro-région des Hautes-Côtes. Vitrine des différents produits proposés par les producteurs des villages voisins, elle permet à un certain nombre de viticulteurs de choisir des structures de production plus individuelles et familiales sans suivre le chemin de la coopérative. Il est intéressant de noter que l’image d’homogénéité du produit cache des stratégies plus complexes et diversifiées de développement où coexistent coopération et individualisation. 14 Le produit « vins des Hautes-Côtes » reflète simultanément un certain nombre de stratégies collectives et individuelles. Il s’appuie aussi sur une définition collective et individuelle de la qualité. Cette définition réside en premier lieu dans l’implantation d’une culture « haute et large » (procédé Lanz Mozer), introduite dans la région en 1962, suite à un voyage viticole effectué par le CETA viticole de la Côte-d’Or 39. Ce nouveau mode de culture, qui concerne un tiers de la surface en Hautes-Côtes de Beaune pour deux tiers en Hautes-Côtes de Nuits, offre l’avantage certain d’une plus grande productivité. La quantité moindre de ceps — plantés à trois mètres de distance —, la possibilité de mécaniser sur un plus large espace, la diminution des risques de gelées — la souche s’élevant à plus de 0,80 et jusqu’à 1,20 mètre du sol — sont autant de caractéristiques favorables pour une amélioration de la production et du rendement. La possibilité d’utiliser le tracteur agricole est aussi un atout dans le choix de ce mode cultural. Il faut cependant nuancer l’importance de son implantation, car ce sont principalement les Hautes-Côtes de Nuits qui choisissent cette solution, beaucoup moins développée en Hautes-Côtes de Beaune. En optant pour ces nouvelles pratiques, les viticulteurs se sont, dans le même temps, penchés sur leur formation. Polyculteurs d’origine, et surtout peu expérimentés dans la manière de vinifier et de commercialiser leurs vins, ils ont senti le besoin de se redéfinir dans le contexte concurrentiel international. Petit à petit, une réorganisation de la filière a pris place et de nouveaux lieux de savoirs sont créés pour répondre à cette nouvelle demande : « On s’est attaché à la formation des jeunes, parce qu’on s’est dit pour faire du vin, il faut non seulement être vigneron, surtout qu’à l’époque y avait cette tendance à aller jusqu’au bout…il faut non seulement former nos jeunes pour en faire de bons vignerons mais aussi pour en faire de bons vinificateurs, de bons commerçants » 40. La nécessité d’obtenir des diplômes pour avoir accès aux prêts agricoles a été aussi l’un des éléments clés. Accompagnant cette prise de conscience, la profession s’organise autour du groupe des Jeunes professionnels de la vigne 41 qui sert aujourd’hui d’association de formation, de la culture de la vigne jusqu'à la commercialisation et la maîtrise des langues étrangères (surtout l’anglais). La vinification est l’un des éléments privilégiés dans la formation et de nombreux jeunes partent pour préparer le diplôme d’œnologie à Dijon ou ailleurs, d’autres allant même à l’étranger pour se former. Il est indéniable que ce processus a favorisé de nombreux contacts entre professionnels des deux Côtes — Côtes et Hautes- Côtes — et que le rôle de la Coopérative a aussi pesé de tout son poids dans la création

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d’un produit de qualité. Les échanges croissants avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Californie ont aussi permis une remise en cause de certaines pratiques dites traditionnelles, surtout dans le domaine de la vinification. Les vins des Hautes-Côtes ont pu par cette stratégie qualitative inscrire le produit dans la hiérarchie des vins de Bourgogne tout en lui conférant une identité supérieure à la simple appellation Bourgogne.

Territoires en contraste, le poids d’une histoire paysagère

15 L’évolution historique de ce vignoble et sa nouvelle vocation viticole ne peuvent s’analyser sans appréhender l’espace plus global dans lequel cette micro-région s’inscrit. Depuis plusieurs siècles, la Côte viticole est le lieu essentiel du commerce des vins. Beaune et Nuits-Saint-Georges concentrent la majorité des maisons de négoce et il n’est pas anodin que la Coopérative des Hautes-Côtes se soit installée à Beaune. La plupart des associations viticoles — du Groupe des jeunes professionnels de la vigne (GJPV) au bureau professionnel des vins de Bourgogne (BIVB) en passant par le lycée viticole — ont leur siège dans cette ville. Les activités concernant la formation des viticulteurs et la commercialisation des vins sont ainsi essentiellement de nature urbaine. La route nationale 6 et les deux principales cités bourgeoises structurent par conséquent l’ensemble de la production viti-vinicole. Sur le plan de la production, deux types de marchés s’affrontent, celui contrôlé par les négociants et celui développé ces dernières années par les producteurs et la coopérative. Le point commun entre ces deux types de filières réside dans la palette des différentes AOC et crus proposés aux clients. Une hiérarchie subtile des vins permet à chaque acteur de produire un certain nombre d’AOC emblématiques du domaine ou du négoce et d’écouler d’autres appellations régionales moins valorisées. Cette organisation de l’unité de production est aussi une caractéristique du vignoble des Hautes-Côtes. La majorité des exploitants proposent sur leurs listes de vins l’appellation Hautes-Côtes, emblème du domaine ainsi qu’une variété d’autres appellations plus ou moins valorisées. À la différence de la Côte, les producteurs des Hautes-Côtes, pour des raisons économiques, se doivent d’avoir des superficies de production plus importantes et une palette de produits plus variée d’où, dans certains cas, l’acquisition de parcelles dans les villages de la Côte qui bénéficient d’appellations plus porteuses — premiers crus ou grands crus par exemple. D’autres producteurs continuent à développer la production et la commercialisation du cassis mais ils représentent maintenant une minorité dans la Côte de Nuits. Tout comme dans la Côte viticole, on a vu récemment les domaines des Hautes-Côtes se tourner vers la vente directe, voire établir un négoce. De plus, on assiste depuis les années 1960 à un développement du faire-valoir direct pour les terres viticoles 42. Des stratégies économiques particulières ont été développées sur le modèle de la Côte. On peut, à cet égard, parler d'une certaine homogénéisation des territoires, bien que le vignoble des Hautes-Côtes offre un certain nombre de spécificités qui fondent son identité.

16 Même si, dans les représentations collectives, les producteurs des Hautes-Côtes ne peuvent se confondre avec ceux de la Côte, un certain nombre de similarités et une homogénéité sociale les caractérisent quand il s’agit d’appréhender l’espace de production. Les vignerons des Hautes-Côtes reconnaissent que ceux de la Côte bénéficient d’une image prestigieuse et plus viticole. La Côte est associée à un vignoble

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séculaire, au passé emblématique et « les vignes y sont traditionnellement bien soignées et les vins bien faits » 43. Les Hautes-Côtes ont emprunté un certain nombre des systèmes de valeurs et des façons de faire familières à la Côte que ce soient par le biais des instances professionnelles où à travers les relations plus personnelles entre viticulteurs des deux micro-régions. Certains hommes se sont ainsi imposés comme des leader dans le domaine des savoirs. Leurs manières de s’occuper des vignes ou de faire le vin ont été copiées. Il semble aussi que ces mêmes viticulteurs aient joué un rôle majeur dans la redéfinition du produit « vins de Bourgogne ». Un même système technique définit aujourd’hui ces deux portions de territoires. Plusieurs viticulteurs aisés de la Côte de Nuits ont cité l’exemple de ce fameux viticulteur des Hautes-Côtes qui leur donnait des conseils en matière de vinification. Sa manière de faire le vin a été plusieurs fois citée et suivie par divers vignerons rencontrés dans la Côte. Les échanges se font donc dans les deux sens et conduisent à une certaine homogénéisation du vignoble. Il faut dire que les viticulteurs ont tendance à accentuer les différences dans les manières de faire pour conserver leur individualité dans un marché extrêmement fragmenté et compétitif. L’expression « belles vignes, bons vins », qui structure le système de représentation des producteurs de la Côte est aussi celle utilisée par les vignerons des Hautes-Côtes. Les vignes dans cette partie du territoire sont aussi très soignées et toute dérogation à cette règle conduit à une mise en garde : « Sur le plan des modalités culturales, mis à part le décret d’appellation qui précise les modalités de culture, il n’y a pas de cahier des charges. Mais bien évidemment, le fait de visiter la vigne chaque année, cela fait évoluer les mentalités dans les Hautes-Côtes » 44. Une esthétique spécifique définit le paysage et la valeur travail s’incarne dans la tenue de la parcelle de vigne. Cette dernière occupe une place centrale et privilégiée dans le système affectif du vigneron et la chaîne de production autour de ce cru emblématique ou de cette cuvée témoigne des soins et de l’attention qu’on lui prodigue. Ce système de production des crus ne se retrouve que dans les cas où les exploitations ne se sont pas lancées dans le projet coopératif, et où les parcelles sont dans le lignage depuis plusieurs générations. Dans ce cas, les producteurs ont su revaloriser leur espace de production, bichonner leurs nouveaux produits et développer d’autres stratégies. 17 Dans d’autres cas, le système coopératif s’est chargé de la valorisation des parcelles et crus par le biais d’une commercialisation collective, pointue et efficace. Le paysage de production des Hautes-Côtes, certes marqué par une tendance au collectivisme, n’échappe cependant pas aux spéculations foncières et à l’individualisme poussé de certains producteurs. Dans cette micro-région, les problèmes de transmission des exploitations sont aussi fréquents et l’on voit de nombreuses habitations laissées en ruine pour cause d’indivision. Dans cette micro-région, les problèmes de transmission des exploitations sont également fréquents et l’on voit de nombreuses habitations laissées en ruine pour cause d’indivision. Petit à petit, les logiques capitalistes et individualistes gagnent du terrain et la communauté de production ne ressemble en rien à ce qu’elle était à la génération précédente. Il est cependant indéniable qu’une élite viti-vinicole venant des Hautes-Côtes a joué un rôle crucial dans les échanges entre les divers terroirs bourguignons et dans l’internationalisation du vignoble. Aujourd’hui, la plupart de ces élites sont restées actives dans le syndicat ou les instances professionnelles. 18 La reconnaissance progressive des Hautes-Côtes au sein de la Bourgogne viticole peut aussi être analysée par le biais de son intégration au sein de l’espace régional festif, en l’occurrence par sa participation croissante à la fête de la Saint-Vincent Tournante,

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organisée chaque année par un village bourguignon 45. Cette fête emblématique de la communauté professionnelle et miroir tendu vers l’extérieur témoigne des caractéristiques sociologiques de ce vignoble des Hautes-Côtes. Dans la brochure diffusée par le Syndicat des Hautes-Côtes, un historique intitulé « Les lettres de noblesse d’un grand vin » mentionne les deux dates de participation du vignoble à la fête de la Saint-Vincent Tournante, soit 1977 et 1990. Une patrimonialisation de l’espace viticole associé aux Hautes-Côtes avait auparavant pris place et une série d’initiatives telles que le circuit touristique des Hautes-Côtes en 1955, la création de la Maison des Hautes-Côtes en 1974 ou le Musée des arts et traditions populaires en 1975 visaient à légitimer ce nouvel espace. La Saint-Vincent tournante, orchestrée par la célèbre Confrérie des Chevaliers du Tastevin 46, sert de rite de passage pour les nouvelles appellations 47. Lorsqu’une appellation est acceptée dans le cycle de la fête, elle devient un terroir légitime qui définit la Bourgogne viticole. Cette construction politique de l’espace viticole est contrôlée par les élites viti-vinicoles locales (en majorité les négociants et propriétaires-notables) qui, de par leur position de médiatrices entre le local et l’international, participent à la reconnaissance du produit sur le plan commercial. La qualité du produit et sa légitimité en tant que « terroir béni des dieux » 48 participent à une patrimonialisation du produit et servent de moteur à l’emblématisation d’objets et d’actes significatifs 49. Dans cette reconnaissance des Hautes-Côtes au sein de l’espace bourguignon, deux éléments permettent de définir ce vignoble comme un espace spécifique et original. En premier lieu, la Saint-Vincent Tournante ne concerne pas strictement un village ou une appellation mais plutôt une dizaine de villages inclus dans l’appellation Hautes-Côtes. Il s’agit par conséquent d’une « co‑organisation » où « l’enthousiasme, la solidarité et la foi ont fait œuvre » 50. De plus, la promotion de la Saint-Vincent tournante des Hautes-Côtes s’appuie sur une valorisation de la solidarité villageoise, de l’esprit d’équipe et de la combativité face à une région « en voie d’abandon » 51 ou tout au moins en reconversion depuis les années 1970. Tous ces éléments contribuent à légitimer un espace de production et la valeur marchande et patrimoniale du produit au sein de la Bourgogne viticole. C’est dans ce même sens que le vignoble des Hautes-Côtes se définit spécifiquement et de façon originale au sein de l’espace viticole bourguignon. 19 * * *

20 La spécificité des Hautes-Côtes s’enracine donc autant dans le paysage de production que dans les manières de faire. L’AOC et la synergie politique qui l’a accompagné ont permis un développement remarquable de la région et un certain nombre d’indicateurs démographiques, économiques et sociologiques attestent aujourd’hui des transformations opérées dans l’espace villageois et régional. L’AOC et le succès économique qui lui est lié ont conduit dans une certaine mesure à une homogénéisation relative des territoires. Les Hautes-Côtes ont largement bénéficié de l’implantation d’une appellation spécifique et la reconversion du vignoble s’est faite en parallèle. À cela s’ajoute le succès économique de l’appellation dans un contexte international. Dans ce bilan, et malgré les retombées économiques engendrées par la renaissance de ce vignoble, la région des Hautes-Côtes présente toutefois un certain nombre de disparités économiques et sociales 52. Ainsi, toutes les communes appartenant à la région de production des Hautes-Côtes n’ont pas bénéficié à valeur égale de la reconquête : « La dynamique de certains villages par rapport à d’autres est essentiellement liée au dynamisme de ses responsables qui ont su exploiter ces retombées, et de ses habitants, sans oublier les paramètres historiques — parfois

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aléatoires et souvent incontrôlables — et aussi géographiques » 53. Cependant, il est indéniable que sur le plan des représentations collectives, l’AOC a contribué à remodeler l’identité d’un espace en crise : « Il faut savoir que l’impression que peut donner un village des Hautes-Côtes comme d’une autre région n’est pas toujours perçue de la même manière pour tout le monde. Tout étant affaire de sensibilité ou d’appréciation. Le principal pour celui qui y réside à demeure ou passagèrement est de s’y sentir bien ». Et c’est peut être là que réside le rôle essentiel de l’AOC, la capacité à créer un lien au lieu, distinct et emblématique d’une communauté cherchant à échapper au passé pour faire face à l’avenir.

NOTES

1. Les Grands jours de Bourgogne ont été créés à l’initiative du bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne et se déroulent tous les deux ans, au mois de mars. Ils regroupent une large variété de manifestations et de dégustations autour du vin, réparties dans l’ensemble de la Bourgogne viticole. Parmi ces événements, une table ronde fut organisée le 21 mars 2000 autour de l’avenir des AOC pour la Bourgogne. La table ronde, animée par Jean-Luc Cottier (journaliste), réunissait Catherine Laporte (œnologue et économiste), Michel Laroche (négociant), Pascal Laville (Institut national des appellations d’origine, (INAO)), Serge Wolikow (historien) et l’auteur de cet article. 2. Sylvain PITIOT, Jean-Charles SERVANT, Les vins de Bourgogne, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 90. 3. Les quatre cépages qui définissent la Bourgogne viticole sont le pinot noir, le chardonnay, le gamay et l’aligoté. Le pinot noir et le chardonnay caractérisent traditionnellement les vignobles de crus alors que le gamay et l’aligoté sont plutôt le fait d’une viticulture d’origine plus populaire et paysanne. Pour Lachiver, ce sont les petits vignerons qui ont favorisé le gamay alors que l’exploitation du pinot était réservée à une structure de production bourgeoise mais aussi géographiquement plus restreinte. Cité par François LEGOUY, « La renaissance du vignoble des Hautes-Côtes de Beaune et des Hautes-Côtes de Nuits », dans Annales de Géographie, n° 614‑615, pp. 459‑472, citation p. 462. 4. Voir Jean GUICHERD, Georges JANIN, L’agriculture en Côte d’Or, Dijon, Imprimerie Bernigaud et Privat, 1926, p. 50. 5. Le principal débat autour de l’obtention d’une Appellation d’Origine Contrôlée spécifique est analysé par François LEGOUY, « La renaissance du vignoble... », art. cité. 6. Un certain nombre de facteurs sociaux, historiques et géographiques expliquent le reconnaissance de ces trois communes comme des zones d’appellation communale. 7. Il s’agit d’un type idéal, car encore une fois, l’extrême hiérarchisation de cette aire de production dénote des structures sociales complexes et des situations économiques variées. Pour plus de détails, voir Marion DEMOSSIER, Hommes et Vins, une anthropologie du vignoble bourguignon, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1999. 8. Le domaine est en Bourgogne ce que le château est en Bordelais, c’est l’unité de base du système de production bourguignon.

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9. Le terme « viticulteur » dans le système de représentation des producteurs bourguignons désigne la nouvelle génération formée à l’école de viticulture de Beaune ou à la faculté d’œnologie de Dijon qui veut se différencier de la génération précédente en acquérant une formation technique plus poussée. 10. Voir l’article très complet de François LEGOUY, « La renaissance du vignoble… », art. cité. 11. La cave coopérative des Hautes-Côtes ne produit que 19 % du volume de Bourgogne Hautes-Côtes. 12. Bernard Hudelot, leader dans les Hautes-Côtes de Nuits. 13. André DELÉAGE, La vie rurale en Bourgogne jusqu’au début du XIe siècle, Macon, Éditions Protat, 1942, p. 32. 14. Robert LAURENT, Les vignerons de la Côte-d’Or au XIXe siècle, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 1958, pp. 23. 15. Rolande GADILLE, Le vignoble de la Côte bourguignonne. Fondements physiques et humains d’une viticulture de haute qualité, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 1967, p. 519. 16. Voir Rolande GADILLE qui cite Meloisey et Segrois comme exemples : Le vignoble de …, ouv.cité, p. 520. Le rôle des communautés monastiques dans l’implantation des vignobles autour de Vergy est aussi à noter. 17. Voir François LEGOUY, « La renaissance du vignoble… », art. cité, p. 469. 18. VAILLANT, Statistiques du département de la Côte d’Or, Arch. dép. Côte d’Or, manuscrits, 1807, 2 volumes, p. 425. 19. Pour plus de détails, voir Sophie CAILLIS, Pays, paysage, paysan : pour une approche ethnologique de la construction des territoires, Mémoire pour le diplôme d’études approfondies en sciences sociales, Université Lumière‑Lyon 2, 1990. 20. Idem, p. 127. 21. Ernest NAUDIN, Contribution à l’étude des Hautes-Côtes de Bourgogne, Dijon, Imprimerie Delorme, 1928. 22. Jean-François BAZIN, Le vignoble des Hautes-Côtes de Nuits et de Beaune, s.d. ; voir « Histoire d’une renaissance », dans Les Cahiers de Vergy, n º6, 1973, 42 p. 23. Ernest NAUDIN, Contribution à l’étude…, ouv. cité, p. 13. 24. Voir les travaux de Laurence BERARD et de Philippe MARCHENAY, « Lieux, Temps et Preuves. La construction sociale des produits de terroir », dans Terrain, n° 24, mars 1995, pp. 153‑164. Il est intéressant de souligner le rôle essentiel des géologues bourguignons, comme Pierre Rat pour les Hautes-Côtes, dans cette reconnaissance des territoires. 25. Pour plus de détails quant aux raisons de ce maintien, voir Anne-Marie GUENIN et Marion DEMOSSIER, « Le dilemme du Kir », dans Études Foncières, n° 58, mars 1993, pp. 48‑53. 26. Voir Institut national de la statistique et des études économiques, Évolutions démographiques, mars 1999, recensement de la population par communes, Côte-d’Or. 27. Rolande GADILLE, Le vignoble de…, ouv. cité, p. 1. 28. Sophie CAILLIS, Pays, paysage, paysan…, ouv. cité, p. 127. 29. Pour plus de détails, voir François LEGOUY, « La renaissance du vignoble... », art. cité. 30. Le Tastevinage est un label octroyé après dégustation par la Confrérie des chevaliers du Tastevin. 31. Données fournies par Pascal Laville et Eric Vincent (INAO, Dijon) lors de la conférence « Appellation d’origine et patrimoine », INAO et DAPA, sous-direction des

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études, de la documentation et de l’inventaire, Ministère de la Culture et de la Communication, 14‑16 juin 2000, Suze-la-Rousse. 32. Données : syndicat des viticulteurs des Hautes-Côtes de Nuits et des Hautes-Côtes de Beaune. Je tiens a remercier Jean-Baptiste Joliot pour m’avoir communiquer les statistiques les plus récentes. 33. Lui-même viticulteur, producteur de cassis, maire et député. 34. Sophie CAILLIS, Pays, paysage, paysan…, ouv. cité, p. 132. 35. C’est un des principaux arguments qui émerge du colloque Appellation d’Origine et Patrimoine…, ouv. cité. 36. Dans son article, F. Legouy voit dans les Jeunesses agricoles chrétiennes l’un des acteurs privilégiés de l’émergence d’un vignoble de qualité. Si cela était pertinent dans le contexte de la cave coopérative, d’autres acteurs se sont imposés depuis dans la reconversion du territoire. Voir François LEGOUY, « La renaissance du vignoble… », art. cité. 37. La chambre d’agriculture de Côte-d’Or note en 1990 que près de 20 % des exploitations des Hautes-Côtes sont en GAEC ou en société contre 13 % en Côte-d’Or. 38. Chambre d’Agriculture de Côte-d’Or, Présentation des Hautes-Côtes, 1990. 39. Sophie CAILLIS, Pays, paysage, paysan…, ouv. cité, p. 130. 40. Cité par Sophie CAILLIS, Pays, paysage, paysan…, ouv. cité, p. 131. 41. Sur le rôle des CETA, voir François LEGOUY, « La renaissance du vignoble… », art. cité. 42. Pour plus de détails sur l’évolution du foncier, voir Marion DEMOSSIER et Anne- Marie GUENIN, « Le dilemme du Kir », art. cité. 43. Pour une analyse de ce système technique, voir Marion DEMOSSIER, Hommes et Vins…, ouv. cité. 44. Vignerons, propriétaires et négociants en Bourgogne, Die, Éditions A Die, Direction du Patrimoine, 1994, p. 157. 45. Pour une analyse de la fête, voir Marion DEMOSSIER, Hommes et Vins…, ouv. cité. 46. Confrérie internationale qui, créée dans les années 1930, a choisi de promouvoir les intérêts bourguignons par la création d’un folklore vineux renommé. 47. Marion DEMOSSIER, Hommes et Vins…, ouv. cité, pp. 339‑343. 48. Voir brochure diffusée par le syndicat des Hautes-Côtes. Ce terme a été retenu par toute la Bourgogne viticole et atteste de cette conception pédologique du terroir de laquelle l’homme est absent. 49. Muriel FAURE, « Un produit agricole "affiné" en objet culturel. Le fromage Beaufort dans les Alpes du Nord », dans Terrain, n° 33, septembre 1999, pp. 81‑92. 50. Le Bien public, 29 janvier 1977. 51. Le Bien public, 29 janvier 1977. 52. Il suffit pour s’en convaincre de comparer Echevronne à Paris-l’Hôpital ou bien encore à Chaux. 53. Jean-Baptiste Joliot.

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RÉSUMÉS

Les questions de territoires et d’Appellations d’origine contrôlée (AOC) sont aujourd’hui au centre des préoccupations agricoles européennes. Dans ce contexte, la France et son terroir viticole offrent de nombreux exemples de réussites liées aux reconversions territoriales d’espaces en crise. Suite au décret du 4 août 1961, le vignoble des Hautes-Côtes en Bourgogne s’est ainsi vu attribuer une appellation régionale distincte qui concrétisait les efforts politiques et syndicaux d’une génération de polyculteurs-viticulteurs attachés à leur territoire d’origine. Cet article se propose d’analyser le rôle joué par l’AOC dans la construction, la différenciation et l’emblématisation du produit « Hautes-Côtes » et de son territoire. Il s’agit d’évaluer dans quelles mesures les politiques d’accompagnement et de développement économique ont conduit à une intégration de cette zone viticole dans une aire d’appellation plus large et, du même coup, à un gommage de ces particularités. Enfin, la reconnaissance de l’AOC et du terroir sera discutée à la lumière du remodelage de ce territoire en transition.

Places, products and identities in transition. The Hautes-Côtes in Burgundy The issues of places, products and denomination of Origin have been at the core of the agricultural debate in Europe. In this context, France and its secular "terroir" illustrates many of the aspects of a successful transformation of agricultural regions in crisis. Following the decree of 4 August 1961, the Hautes-Côtes in Burgundy have been granted a Denomination of Origin which was the result of a major political and professional movement organised by a committed group of local farmers and wine-growers. This article will discuss the role of the Denomination of Origin in constructing, differentiating and emblematising the wines of the Hautes-Côtes. One of the main questions will be to assess to what extent the economic policies implemented have helped to restructure the region in relation to the granting of the Denomination of Origin. The article will also examine the relationship between the Hautes-Côtes and its neighbourhood vineyard, the Côte. Finally, the relationship between territory/"terroir", product and identity will be explored.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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Actualités scientifiques

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De l'esprit de clocher à l'esprit de terroir

Martin La Soudière (de)

« L'universel, c'est le local L'amour est une occupation de l'espace » Henri Michaux 1 C'est en 1986 que j'ai écrit ce texte (contribution au colloque « Diversification des modèles de développement rural », Paris, 17-18 avril 1986, organisé par Marcel Jollivet). Le fait qu'il date constitue, je pense, une partie de son intérêt. À la fin des années 1980, le territoire n'était en effet pas encore une thématique aussi consensuelle qu'aujourd'hui. Ce texte en est l'écho. Tout au moins en sociologie, il fallait à l'époque argumenter, presque batailler, lorsqu'on voulait faire état et faire cas de l'articulation du global et du local. Au regard des « grandes » problématiques convenues de la sociologie (et de la sociologie rurale) : famille, exploitation, travail agraire, etc., le local était, soit purement et simplement ignoré, soit déprécié au plan théorique. Il prêtait à sourire, réduit à une simple (sous-) échelle du fonctionnement de la société ; abusivement cantonné et renvoyé au folklore ; ou encore abandonné à la recherche militante. Dans les années 1975, Françoise Dubost a eu bien du mal à faire reconnaître ses recherches sur les jardins comme thème « sérieux ». Moi-même, un peu plus tard je travaillais sur les cueillettes , j'ai connu semblable condescendance : je me rappelle encore tel collègue (sociologue) me disant : « Ah, oui, tu travailles sur les petites fleurs ! ». C'est donc comme moment de notre réflexion commune (cf. colloque de l'Association des ruralistes français à Toulouse, octobre 2000 1) que ces pages peuvent se lire. Pour les actualiser, ainsi que pour montrer l'évolution, sur dix ans, des problématiques et de la mise en territoire de l'espace rural, sont ici proposés des commentaires actuels des lignes écrites en 1986 (commentaires saisis en italiques dans le fil du texte). La bibliographie a, elle aussi, été ré-actualisée, mais elle n'est bien sûr en rien exhaustive 2.

L'attachement à un lieu

2 Tout voyage un tant soit peu attentif à travers la France nous rappelle la persistance du sentiment d'appartenance locale. Au hasard des bribes de conversation perçues dans le train, dans cette librairie de Riom, dans ce café de Clermont-Ferrand, j'entends parler du plaisir de retrouver son village, de la fierté d'être auvergnat, des différences du

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parler d'un canton à l'autre. Comme pour valider ce (que j'appellerai ici) « localisme », les chutes de neige de ce 31 janvier se distribuent inégalement, dramatiques dans l'Aude et en Ardèche, préoccupantes entre Nîmes et Langogne, épargnant la Limagne. Rumeurs donc parmi les voyageurs du train contraints à continuer plus au sud ou à gagner Le Puy. Quant à « La Montagne » que je parcours, ce quotidien abonde d'exemples de la ténacité et de l'actualité de l'identité locale. (Et que dire de ces jardins ouvriers aperçus du train à la sortie de Nevers, que personne n'oblige les habitants à « faire », démenti aux incitations chaque jour répétées par les médias à acheter dans les grandes surfaces ?)

3 L'attachement au terroir 3 ? Chauvinisme paresseux. Revendication molle de son propre lieu, qui a tout d'une pesanteur. Attitude spontanée, individuelle, en même temps qu'héritée et collective. Valeur souterraine et superficielle à la fois 4. Ce qui frappe, c'est sa persistance (bien plus qu'une simple survivance), et son ré-emploi actuel. Il s'exprime en effet indépendamment, comme désaccouplé des grandes mutations du mode de vie, coexistant avec la multiplication et l'élargissement des trajets, avec l'irrigation de la vie quotidienne par les médias 5 qui, pouvait-on penser, annonçaient et amorçaient son reflux. Quant à ses avatars, on ne peut que remarquer leur diversité. Après, et de concert avec les changements évoqués à l'instant, associations culturelles, radios libres, écomusées, etc., traduisent une manière de glissement de l'esprit de clocher à l'esprit de terroir. Changement d'échelle, donc, mais aussi changement qualitatif du contenu, des supports et des enjeux du « localisme », qui devient moins villageois, moins familial, moins procédurier ; et plus régional, culturel, écologique. Plus global donc, plus générique. On passe d'une affirmation têtue, conservatrice, mesquine, à une revendication, voire à une aspiration. Est-ce si sûr ? Plus qu'à un passage du « clocher » (du village, de la communauté d'habitants) au « terroir » (au sol, à la micro-région et à ses mises en scène et productions de toutes sortes), n'assiste-t-on pas plutôt aujourd'hui à la coexistence de ces deux registres du local ? Ils semblent bien se conjuguer, l'esprit de terroir surtout porté par les résidents non permanents des villages se surajoutant et renforçant l'esprit de clocher (porté par les habitants permanents) comme une nouvelle déclinaison d'un même motif. 4 Cette continuité du sentiment d'appartenance locale traduit le besoin qu'a tout individu de s'approprier son espace. Psychologues et psychosociologues font de l'appropriation une tendance fondamentale du sujet, puisque « la définition du moi comprend des dimensions de lieu qui constituent (pour quelqu'un) son identité de lieu ("place identity") » 6.

Un peu d'anthropologie : réflexion sur l'appropriation symbolique de l'espace

5 Arrêtons-nous sur la question des supports et des déterminants de ce qu'on peut appeler, faute d'un meilleur terme, l'identité locale. (J'écrirais aujourd'hui : « culture » locale !)

6 L'appropriation symbolique serait-elle en corrélation avec la morphologie des lieux ? Rien ne permet d'en faire un postulat. Les contre-exemples abondent, comme celui de la forêt d'Orléans, tout aussi riche de belles futaies et de paysages que celle de Fontainebleau, qui n'a pourtant jamais connu l'engouement ni la fréquentation de

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celle-là 7. On trouve le même paradoxe avec la comparaison que l'on peut faire entre le Mont Aigoual, sur-investi, et le Plateau de Millevaches, peu fréquenté : voir l'article de Raphaël Larrère dans Des hauts-lieux 8, l'ouvrage entier étant propre à éclairer très utilement le propos de ce texte. Si elfes et lutins occupent de préférence les forêts profondes, leurs comparses hantent champs, prés et bocages, en marquent les contours, les limites ou les croisements ; la Bretagne en sait quelque chose. La Beauce, si elle ne se prête guère aux glissades sur la neige, permet cependant aux enfants de circuler en vélo ou de se cacher dans les granges. Quant aux parents de ces derniers, leur appartenance locale est, sans nul doute, seulement plus élargie que celle des Pyrénéens des vallées ariégeoises, par exemple, mais ils se sentent eux aussi d'un « pays ». Si certains lieux, mieux que d'autres, paraissent « appeler » le symbolique, être de connivence avec lui, c'est en fait l'histoire et la culture qui sont déterminantes dans l'appropriation symbolique dont ils sont l'objet : telle population aurait pu tout aussi bien « investir » un autre lieu que celui qui semblait prédestiné à légende, à pèlerinage, que sais-je ? 7 « Dans les pays sans légende, la légende ce sont les gens » 9. Chaque petit « pays » trouvait jadis toujours sur son territoire, à portée de marche à pied, de quoi nourrir sa piété, son mysticisme, son espérance 10. De même que tout type de temps météorologique grisaille, douze degrés/pluie fine peut devenir réellement atmosphère, ambiance ; de même tout endroit est prêt à « faire lieu », si l'on peut dire, c'est-à-dire à prendre du sens, en même temps qu'à susciter curiosité et intérêt pour qui s'y trouve ou le découvre… même le Gâtinais, le Hurepoix ou les bas-plateaux de la Haute-Saône : il suffit d'un moment, d'un regard, d'une conjonction souvent aléatoire de l'un et de l'autre 11. 8 Le symbolique n'est donc pas consubstantiel aux lieux, il n'en est pas une sève : il est un produit social. Ce n'est pas Brocéliande qui attira Mélusine sous ses frondaisons, c'est Mélusine qui n'a pas trouvé mieux. Autre paysage d'exception : le mont Gerbier-de-Joncs, en haute Ardèche, où, comme tout écolier le sait, la Loire prend sa source. Ce site, haut-lieu de notre patrimoine… scolaire, n'échappe pas à la règle : sa sur-fréquentation est due, non pas à ses formes assez banales, ou tout du moins semblables à celles des autres pitons volcaniques de cette région d'Ardèche , mais à la réputation qui le précède, à sa notoriété. Les touristes qui s'y rendent l'avouent : ils vont le voir comme on se rend à un lieu de pèlerinage, parce que son nom résonne comme souvenir d'enfance (cartes Vidal de La Blache, etc.) ; mais ils se disent très déçus par la physionomie du site 12. De même, aussi, les forêts du Gévaudan n'ont fait que nourrir et amplifier l'onde de peur provoquée par la Bête du Gévaudan. D'autres peurs plus discrètes, mais non moins répandues, se tapissaient ailleurs… Et de nos jours éclosent, de plus en plus fréquentes, des peurs sans lieu (le terrorisme aveugle par exemple). Autres peurs récentes déterritorialisées : la vache folle, le bug du 1er janvier 2000, etc.). 9 Autre question : quelle relation unit propriété et appropriation ? Nous n'aborderons pas la dimension politique de ce débat, pour n'en retenir que l'aspect anthropologique. Pierre Sansot note que « l'appropriation peut se produire, d'une façon très satisfaisante, là où la réalité a d'abord été œuvrée par d'autres (le pavillon), ou encore là où par essence, elle ne peut être créée par un individu singulier (le langage), ou encore là où […] elle ne peut être que parcourue, reconnue mais non transformée (la ville) […]. L'appropriation repose essentiellement sur le procès d'identification, qu'il y ait ou non modification de la réalité concernée. Je m'approprie ce à quoi j'aime m'identifier, ce que je consens à reconnaître comme mien […]. Nous situerions la notion d'appropriation plutôt du côté de la sphère affective que de l'agir » 13.

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10 La propriété est donc loin d'être la condition nécessaire de l'appropriation symbolique. Ainsi, le locataire d'une petite maison située dans un vaste domaine forestier, usager quotidien de cette forêt, peut s'en sentir davantage propriétaire que son propriétaire juridique qui, lui, réside dans une ville voisine et ne vient jamais l'arpenter (cas rencontré dans la Sarthe). (Mais une catastrophe, comme les tempêtes de fin décembre 1999, peut venir réveiller un sentiment de propriété : nombreux, par exemple, furent alors les propriétaires de petites parcelles boisées, qu'ils ne fréquentaient jamais, à s'être ému et à avoir appelé les organismes gestionnaires des forêts exemple constaté dans le Cantal). De même les néo-ruraux qui ne font que louer la propriété qu'ils exploitent en Cévennes. Cévennes ou Ariège : ils se revendiquent d'ailleurs « du lieu » presque davantage que les autochtones mais, il est vrai, sur un autre mode qu'eux. Avec le cas des modestes résidents secondaires qui installent leur mobil-home sur une petite parcelle arrachée à la lande, on assiste au même processus : ils s'inscrivent dans un lieu, dans le territoire villageois où ils ont élu leur domicile temporaire, se créent une histoire, des connivences avec la région tout aussi marquées que celles des propriétaires de résidences secondaires plus cossues, voire que de « maisons de famille » (exemple observé en Ardèche 14). La notion d'appropriation se situe « en-deça et au-delà du juridique » 15. La vraie appropriation se moque de la propriété : il n'est que de prendre l'exemple de la neige, dont le caractère éphémère est à mon avis pour beaucoup dans l'enthousiasme et la fascination qu'elle suscite : il neige pour tout le monde, la neige est à tout le monde 16. 11 Le sentiment d'appartenance a un lieu peut même être attisé par le relâchement du lien concret qui attache l'individu à lui : il est bien connu que c'est souvent lorsqu'on est coupé de ses racines, que l'on quitte sa région, que l'on en découvre la saveur et le charme. « L'appropriation est comme attachée au Moi plutôt qu'à un lieu géographique » 17. D'où ce bel aphorisme de Cesare Pavese : « Il faut avoir un pays, ne serait-ce que pour le plaisir d'en partir » 18. Restons dans le registre littéraire avec le poète portugais Fernando Pessoa : « Nous possédons tout ce à quoi nous renonçons, parce que nous le possédons intact, en le rêvant… L'automne que je possède vraiment, c'est celui que j'ai perdu ». 12 La propriété ne constitue donc qu'une présomption d'appropriation symbolique. Et dans le cas d'agriculteurs simples copropriétaires de terres collectives, rien ne dit que leur attachement à ces terroirs se confonde avec leur sentiment de propriété 19. Oui et non ! car je sombrais un peu dans une vision idéalisante des terres communales et sectionnales (appartenant à des « sections » de commune, cas très fréquent en Lozère, dans le Cantal, etc.). On pourrait en effet penser que ce type très particulier de propriété, collective donc, induit une suppression tendancielle de l'individualisme qui caractérise le plus souvent le sentiment de propriété. Mais dès qu'on va y voir de plus près et qu'on enquête, on s'aperçoit qu'en fait le sentiment de propriété n'est que reporté, étendu à une échelle plus large : ce n'est plus le villageois, l'agriculteur qui tient à son exploitation, à ses terres, mais le petit groupe de voisinage dans lequel il s'insère, avec qui il est copropriétaire, et avec qui il partage bien (trop) souvent le chauvinisme, voire les mesquineries. 13 Le processus d'appropriation symbolique de l'espace, par sa complexité, n'obéit donc pas à des schémas ni à des lois de fonctionnement mécaniques. Il n'y a pas comme pour la perception, de « bonnes formes », de lois d'une « bonne » appropriation. Elle échappe au code, dirait Yves Barel 20. Si tous les braconniers du monde voulaient se donner la main…, c'est qu'il n'y aurait plus de place pour le rêve ni pour l'imaginaire. De même, il ne saurait exister d'associations de défense d'un territoire symbolique. (Du moins en Occident, car certaines civilisations ont su coder, ritualiser, ou assigner un lieu concret

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au rêve et à la méditation. Ainsi au Japon, où l'on prenait collectivement le temps de regarder et d'apprécier les cerisiers en fleurs 21). C'était vrai en 1986 ! Depuis, ici et là, on voit se constituer des regroupements d'habitants autour de la protection de la beauté de leur cadre de vie : ainsi « l'Union pour la mise en valeur esthétique du Morbihan », association Loi 1901 créée au début des années 1990 22 ; ou encore, en Aubrac, une association pour la défense des paysages et du cadre de vie à Saint-Urcize (Cantal) 23.

Du bon (et du mauvais) usage de l'esprit de terroir

14 L'esprit de terroir ne tire-t-il pas, précisément, sa vitalité, sa récurrence et son renforcement actuel de ce qu'il ne répond pas à de strictes déterminations sociales ? En tout cas, ce phénomène se révèle socialement efficace, en ce sens que l'attachement au « pays » et la possibilité économique de s'y maintenir se renforcent mutuellement. On peut, par exemple, penser que le redressement démographique actuel du milieu rural tient pour partie à un nouvel attachement à toutes les pratiques qui expriment et favorisent l'esprit de terroir. Dans le mouvement de rationalisation et de spécialisation de l'agriculture, face à sa normalisation (et aujourd'hui face à la mondialisation) comme contre-valeur en quelque sorte, se maintiennent d'anciennes formes de loisirs : des pratiques très valorisées intégrées aux modes de vie. Je pense aux rencontres entre voisins et parents, aux lotos villageois, à la chasse, à la pêche, aux comices, au jardinage. D'autres se développent, la promenade, la cueillette, le ski de fond, etc. Ces activités ne sont pas distribuées ni valorisées également dans toutes les régions. Mais chaque région (ou plutôt chaque famille de régions), outre des pratiques plus courantes, développent des pratiques qui lui sont spécifiques, emblématiques en quelque sorte, qui font plus que résister à l'uniformisation des modes de vie et des loisirs, qui connaissent même un net regain de faveur, et traduisent l'attachement des habitants à leur territoire. Je pense par exemple à la traque du sanglier, relativement récente, en Cévennes, ou encore à la pêche à pied des rivages atlantiques 24. La pratique de ces loisirs de week-end ou de vacances par les étudiants ou parents ayant quitté la ferme est très appréciée, et fréquemment citée par les intéressés eux-mêmes comme raison de revenir régulièrement au village 25. En même temps qu'elles connaissent une montée en puissance, une légitimité et une visibilité qui se traduisent par exemple par la création ou la très forte augmentation de revues spécialisées (très nombreuses revues de jardinage), ces pratiques autorisent désormais et invitent les chercheurs à en faire un objet de recherche à part entière. Dans l'énumération et l'accumulation des références à ces pratiques « du lieu » que je me sentais obligé de faire, on sent aujourd'hui, rétrospectivement, un besoin de légitimer leur prise en compte par la sociologie. C'est moins l'analyse j'allais dire « intime » de ces pratiques que je visais et à laquelle je renvoyais, que leur statut global dans l'évolution des modes de vie sur lequel je me croyais obligé d'insister. La situation a bien changé ! Côté médias, il n'est que de constater la floraison d'innombrables revues : de jardinage ; de décoration des résidences secondaires ; de tourisme culturel régional (type Massif central) ; de pratiques de nature (revue Les champignons, voir aussi la revue Village magazine). Côté recherche, c'est de plain pied qu'on les aborde maintenant et qu'on les analyse pour elles-mêmes. Je ne pourrais que faire des jaloux si je prétendais à leur recension fidèle ! ; indiquons juste ce type de thématique de plus en plus porteuse et reconnue dans notre milieu intellectuel : les jardins, le paysage, les cueillettes (y compris le ramassage des escargots) et la chasse, les produits de terroir, fêtes de la transhumance, mais aussi autre registre ancré sur le local les lotos villageois,

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ou les ventes aux enchères à la ferme, etc. On a pu tout récemment considérer ces activités comme autant de « passions ordinaires » 26.

15 Mais, autant il est important et légitime, région par région, de repérer comment se maintiennent ou se développent ces relations aux lieux, au paysage (dix ans après cette affirmation, il n'est plus besoin de prendre ces précautions !), autant il est dangereux de définir ces attitudes de façon univoque, c'est-à-dire (dans la recherche) de les valoriser a priori, et (pour l'aménageur ou l'agent de développement) de les encourager sans autre examen. Une sociologie de l'identité locale s'impose : comment se décline-t-elle ? que masque-t-elle ? etc. 16 Curieusement, la question suscite, tant dans l'opinion publique que dans l'administration, un assentiment presque univoque. Au pire, on y voit un travers provincial. De moins en moins. Mais, massivement, le « localisme » est exalté, valorisé, encouragé comme facteur de sociabilité, d'identité sociale, d'entraide, de développement local, comme valeur en soi. Et cela de plus en plus, comme le montrent à l'évidence, tout à la fois la montée en puissance des produits dits « de pays », la politique des « pays » impulsée par les lois Pasqua, Chevènement et Voynet, etc. 27. 17 Il n'en a pas toujours été ainsi. Et il n'est pas si loin le temps où les grandes villes affichaient condescendance et jacobinisme vis-à-vis de l'esprit de terroir. Mais, à vrai dire, le centralisme n'a jamais réellement été menacé par ce versant light (populaire, doux) du régionalisme. Et le parisianisme de la télévision n'avait pas même besoin d'exprimer son emprise contre les spécificités culturelles régionales : elle se faisait en dehors d'elles. 18 Récemment, la situation a changé. Mais là encore, le mouvement social a précédé l'initiative de l'État, celui-ci n'ayant fait qu'accompagner le réveil des régionalismes multiformes de la fin des années soixante (écologiques, militants, séparatistes, généalogiques, gastronomiques, etc.) 28, en les prenant en compte, même si certaines interventions ont relevé de dispositions réglementaires (lois sur la décentralisation, reconnaissance officielle des langues régionales, création de radios d'État départementales). 19 Cette inversion des attitudes administratives, on en connaît la lenteur et les blocages. De même, dans l'opinion publique, l'intérêt pour les spécificités régionales n'est pas sans ambiguïté, comme le montre bien l'expression récente de « France profonde », qui valorise, mais subtilement « moque » en même temps une certaine ruralité. À noter : la naissance et la diffusion, depuis 1995 environ, sur les ondes, dans les administrations, etc., du terme « en région », en lieu et place de « en province ». 20 Reconnaître et encourager tout uniment, comme le font l'administration et les aménageurs, le régional, le terroir, le « pays », c'est risquer des amalgames, précéder à des mystifications sociologiques, et méconnaître les conflits internes et les véritables enjeux de tout mouvement qui prend le territorial comme cheval de bataille, et le local comme fin en soi. C'est aussi bien souvent flatter des corporatismes, des chauvinismes, dont les excès mènent à la xénophobie, à l'intolérance, au repli sur l'individu, la parenté, la propriété. Ainsi en est-il des végétaux spontanés, dont une fraction de plus en plus large d'agriculteurs ou de résidents villageois permanents entendent se réserver l'exclusivité de la cueillette. Un mouvement d'autodéfense des landes et forêts bien pourvues en myrtilles ou en cèpes se développe depuis quelques années (en Limousin en particulier), largement encouragé par l'administration (préfectures,

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direction des Parcs naturels), qui voit dans leur incitation à la création de telles associations une façon de flatter les habitants de chaque commune dans le sens du poil, et par là de se concilier leurs bonnes grâces 29. 21 Tout discours politique, toute décision administrative qui va dans le sens de l'esprit de terroir, est populaire ; mais, en renforçant les particularismes, certaines mesures cloisonnent la société et ravivent des clivages (« gens du lieu »/« gens d'ailleurs » ; agriculteurs/non agriculteurs ; ruraux/citadins) 30. 22 Comme tout particularisme, toute singularité, l'esprit de terroir manifeste donc un repli des individus et des groupes sur eux-mêmes, en même temps qu'il les aide à se constituer et à se développer. Comme la tradition il est susceptible du meilleur comme du pire. Cette communication insistait sur la polysémie et les contradictions de ce phénomène, comme une invitation à la prudence dans son interprétation. 23 Un nouvel esprit de terroir est à inventer. Des radios décentralisées, des quotidiens et des revues de province se veulent maintenant régionaux, mais pas régionalistes, se démarquant et se moquant tout autant du local que du parisianisme. Un ami installé dans les montagnes audoises me disait qu'il lui semblait très discutable de survaloriser a priori l'apprentissage de l'occitan (et des langues régionales) à l'école. C'est, selon lui, réduire les jeunes ruraux à leurs traditions et à leurs racines, rétrécir le champ de leur curiosité et renforcer leur chauvinisme. Il me disait qu'il était sans doute plus important d'apprendre à ces enfants l'existence d'autres cultures que la leur et de les sensibiliser à d'autres petites régions. Un apprentissage, une pédagogie de la différence culturelle, de l'altérité est à promouvoir. C'est ce qu'ont fait tout récemment les élèves d'une classe d'une école parisienne, invités à réaliser collectivement un album de leurs multiples origines culturelles. C'est le sens de la création d'un musée de l'émigration (Perche > Québec) en pleine Normandie (à Tourouvre, dans l'Orne). Dans les écomusées, au lieu de coller à un terroir, pourquoi ne pas imaginer des expositions sur d'autres régions (en Bretagne, sur la vigne dans le Midi ; dans le Languedoc, sur le bocage) ? Regards croisés, donc, à l'image de la démarche du sociologue Michel Marié. Nous rappelant que « la société rurale est faite de regards contigus (le regard de grand-mère, du paysan, de l'esthète, de l'État…) », il invite le chercheur à « montrer comment l'étranger participe à la construction de l'espace, à sa valorisation » 31. Sur ces correspondances, ces métissages, lire Pierre Rhabi, cet agronome homme du désert installé en Ardèche 32 ; voir aussi la réflexion de Philippe Sahuc au colloque ARF de Toulouse sur le parallélisme entre la mémoire imaginaire des habitants du Sahel et celle des paysans français vivant l'exode rural ; plus largement, sur le phénomène de passage, les seuils, les confins, l'entre- deux et le métissage, voir le numéro de la revue Communications 33. 24 L'idée fit chez moi son chemin. Comment concilier le besoin d'identité locale et l'ouverture au monde ? Le cidre et le coca ? Le coca, oui, mais aussi le cidre !, aurais-je envie de dire. Plutôt qu'entre chaque individu qui se perçoit comme infiniment petit et particulier et l'ensemble trop vaste que dessinent les nations, n'est-ce pas à échelle comparable que chacun peut réellement prendre conscience de l'existence de l'autre ? À échelle semblable, le territoire de l'autre devient alors crédible, tangible, comparable, donc proche. C'est ainsi que depuis quelques années des échanges et des coopérations s'établissent entre villages français et africains : Small is beautiful ! « Il y a des mondes, mais chacun est le monde », écrit un journaliste 34. C'est ce que dit également le slogan bien connu : « Penser global, agir local ! ». C'est aussi la conviction de Pessoa, dans ce texte… à méditer 35 : « Au fond, notre expérience terrestre comporte seulement deux choses : l'universel et le particulier. Décrire l'universel, c'est décrire ce qui est commun à toute âme humaine, à toute

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expérience humaine le ciel profond, avec le jour et la nuit qui se produisent en lui et à partir de lui ; l'écoulement des fleuves tous de la même eau fraîche et sororale ; les mers, les montagnes aux lointains tremblants, et préservant la majesté des hauteurs dans le secret des profondeurs ; les saisons, les champs, les maisons, les gestes et les visages ; les costumes et les sourires ; l'amour et les guerres […]. En décrivant toutes ces choses, ou quoi que ce soit d'autre tout aussi universel, je parle à l'âme dans la langue primitive et divine, l'idiome adamique que tous les hommes comprennent. Mais quelle langue morcelée, quelle langue babélique parlerais-je si je décrivais l'ascenseur de Santa Justa, la cathédrale de Reims, la culotte des zouaves ou la façon dont on prononce le portugais dans le Tras-os-Montes ? Autant de choses qui sont des accidents de la surface ; on peut les sentir en marchant, mais non pas en sentant. Ce qu'il y a d'universel dans l'ascenseur de Santa Justa, c'est la mécanique régissant le monde. Ce qu'il y a de vérité dans la cathédrale de Reims, ce n'est ni la cathédrale, ni la ville de Reims, mais la majesté religieuse des édifices voués à la connaissance des profondeurs de l'âme humaine. Ce qui est éternel dans la culotte des zouaves, c'est la fiction colorée des costumes, langage humain qui crée une simplicité d'ordre social constituant, à sa façon, une nudité nouvelle. Ce qui, dans les parlers régionaux, est universel, c'est l'intonation familière de gens qui vivent spontanément, la diversité des êtres proches, la succession bigarrée des façons d'être, les différences entre les peuples et la grande diversité des nations. Éternels passagers de nous-mêmes, il n'est pas d'autre paysage que ce que nous sommes. Nous ne possédons rien, car nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous n'avons rien parce que nous ne sommes rien. Quelles mains pourrais-je tendre, et vers quel univers ? Car l'univers n'est pas à moi : c'est moi qui suis l'univers ».

NOTES

1. 24e colloque de l'ARF, Territoires prescrits, territoires vécus : inter-territorialité au cœur des recompositions des espaces ruraux, Toulouse, 25-27 octobre 2000. Voir le programme dans Ruralia, n° 6, 2000, pp. 202-205. Les actes en seront prochainement publiés. 2. Complément bibliographique (depuis 1990) : Laurence BÉRARD et Philippe MARCHENAY, « Lieux, temps et preuves. La construction sociale des produits de "terroir" », dans Terrain, n° 24, 1995 ; Christian BROMBERGER [dir.], Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, Paris, Bayard éditions, 1998 (en particulier chapitres sur le jardinage, le patrimoine, le vin, les médecines douces) ; Denis CHEVALLIER [dir.], Vives campagnes. Le patrimoine rural, projet de société. Autrement, collection Mutations n° 194, mai 2000 ; Claire DELFOSSE, « Les produits du terroir et la recherche », dans Alimentation et lien social. Pour, n° 129, 1991 ; Françoise DUBOST [dir.], L'autre maison. La « résidence secondaire », refuge des générations. Autrement, collection mutations, n° 178, avril 1998 ; Bertrand HERVIEU et Jean VIARD, Au bonheur des campagnes (et des provinces), La Tour-d'Aigues, Éditions de l'Aube, 1996 ; Martin de LA SOUDIÈRE, Au bonheur des saisons. Voyage au pays de la météo, Paris, Éditions Bernard Grasset, 1999 ; La Margeride, la montagne, les hommes, Paris, INRA Éditions, 1983 ; Michel MARIÉ, Penser son territoire. Pour une épistémologie de l'espace local. Dossiers séminaire technique, Territoires et société, n° 1, Paris, Ministère de l'Équipement, juin 1987 ; André MICOUD [dir.], Des haut-lieux. La construction sociale de l'exemplarité, Paris, Éditions du CNRS, 1991 (en particulier : Raphaël LARRÈRE, « Enquête sur la

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singularité des lieux », pp. 33-52 ; Martin de LA SOUDIÈRE, « Les hauts-lieux... mais les autres ? », pp. 17-31) ; Fernando PESSOA, Le livre de l'intranquillité de Bernardo Soarès, Paris, Christian Bourgois, 1988 ; Pierre RHABI, Du Sahara aux Cévennes ou la reconquête du songe, La Villedieu (Ardèche), Éditions du Candide, 1983 ; Seuils, passages. Communications, n° 70, 2000 ; Territoires prescrits, territoires vécus : inter-territorialité au cœur des recompositions des espaces ruraux, 24e colloque de l'ARF, Toulouse, 25-27 octobre 2000. Résumés des communications, Toulouse, ARF/ENFA, 2000 ; Claudie VOISENAT [dir.], Paysage au pluriel. Pour une approche ethnologique des paysages, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 1995. 3. Je prendrai, tout au long de ce texte, le terme de terroir, non pas dans son acception agronomique, mais au sens large de territoire utilisé et parcouru par un individu ou un groupe social. Quoique, donc, inapproprié, ce terme sera là pour souligner la réduction tendancielle actuelle des différents sens du territoire à sa seule qualité de support de productions agricoles régionales et de pratiques sociales très localisées. Quant au terme appropriation symbolique, on peut la définir comme la relation mentale (perceptive, cognitive, affective, esthétique…) qui s'établit entre un individu et un objet (ou un espace), quel que soit le rapport matériel qu'il entretient avec lui (i.e. qu'il y ait, ou non, possession juridique, pratique concrète ou seulement représentation mentale). 4. Voir : Michel de CERTEAU, L'invention du quotidien, tome I, Paris, UGE, 1980 (en particulier « Pratiques d'espace », pp. 169-227). 5. Le film de Marie-Claude Treilhou Il était une fois la télévision, tourné dans un village de l'Aude, en 1985, est à cet égard très convaincant (voir Libération, 26 février 1986). 6. Harold M. PROSHANSKY, « Appropriation et non appropriation de l'espace », dans Actes de la 3e conférence internationale de psychologie de l'espace construit, Strasbourg, Groupe d'étude de psychologie de l'espace de l'Université Louis Pasteur, 1976, p. 42. 7. Bernard KALAORA, « Le génie d'un lieu. Étude de deux cas : la forêt d'Orléans et la forêt de Fontainebleau », dans Norois, revue géographique des pays de l'Ouest et de l'Atlantique Nord, n° 120, octobre-décembre 1983, pp. 583-590. 8. Raphaël LARRÈRE, « Enquête sur la singularité des lieux », dans André MICOUD [dir.], Des haut-lieux..., ouv. cité, pp. 33-52. 9. Formule de Chantal Dobzynski, citée dans Philippe MANO, Petite région et aménagement rural. 1 La notion de pays…, Paris, CID-AREAR, 1978, p. 120. 10. Frédéric UHMANN, Le culte des saints en Lozère, thèse de 3e cycle, Montpellier, Faculté des lettres et sciences humaines, 1969. 11. Martin de LA SOUDIÈRE, Au bonheur des saisons..., ouv. cité. 12. Voir mon chapitre dans Claudie VOISENAT [dir.], Paysage au pluriel..., ouv. cité. 13. Pierre SANSOT, « Notes sur le concept d'appropriation », dans Actes de la 3e conférence internationale de psychologie de l'espace construit, ouv. cité, p. 71. 14. Martin de LA SOUDIÈRE, « L'appel des lieux : une géographie sentimentale », dans Françoise DUBOST [dir.], L'autre maison..., ouv. cité, pp. 102-137. 15. Abraham MOLES, « Aspects psychologiques de l'appropriation de l'espace », dans Actes de la 3e conférence internationale de psychologie de l'espace construit, ouv. cité, p. 90. À ce propos, on peut rapporter ce proverbe américain : « On peut enlever un homme du Vermont ; mais on ne peut enlever le Vermont d'un homme », qui exalte de la sorte les vertus de travailleurs des habitants de cet État. 16. Voir : Gilbert DURAND, Psychanalyse de la neige, Paris, Mercure de France, 1953, pp. 615-639. Voir aussi : Martin de LA SOUDIÈRE, L'hiver. À la recherche d'une morte saison, Lyon, La Manufacture, 1987, chapitre 7 : « Le jardin où contempler la neige ».

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17. Abraham MOLES, « Aspects psychologiques de l'appropriation de l'espace », art. cité. 18. La lune et les feux. 19. À ce propos, voir les travaux de Corinne Boujot sur les terres collectives des marais du Cotentin, le texte de Laurence CARRÉ, « Le devenir d'un bien commun. Le cas de communaux du marais poitevin », Aestuaria, n° 1, 2000, « Marais et zones humides. Cultures, sociétés et territoires », ou encore les travaux d'Olivier Nougarède, Raphaël Larrère sur les communaux et sectionnaux de Lozère (dans La Margeride, la montagne, les hommes, ouv. cité). 20. Yves BAREL, « Modernité, code, territoire », dans Annales de la recherche urbaine, n° 10-11, 1981. 21. Ykio MISHIMA, dans son roman Après le banquet, décrit le jardin d'un grand et vieil hôtel que les clients arpentent le soir en silence. Le premier chapitre a précisément pour titre : « L'ermitage pour contempler la neige ». 22. Renseignement Gérard Premel. 23. Renseignement Martyne Perrot. 24. Sur ce phénomène, lire, entre sociologie et anthropologie, le remarquable ouvrage de : Valentin PELOSSE et Anne VOURC'H, Chasser en Cévennes. Un jeu avec l'animal, Aix- en-Provence, Édisud/Éditions du CNRS, 1988. 25. Voir : Bertrand HERVIEU et Jean VIARD, Au bonheur des campagnes..., ouv. cité. 26. Voir, sous ce titre : Christian BROMBERGER [dir.], Passions ordinaires. Du match de football au concours de dictée, ouv. cité. 27. Voir : 24e colloque de l'ARF, Territoires prescrits, territoires vécus : inter-territorialité au cœur des recompositions des espaces ruraux, Toulouse, 25-27 octobre 2000, à paraître. 28. Voir : Le local dans tous ses états. Autrement, n° 47, 1983. 29. Voir à ce sujet : Raphaël LARRÈRE et Martin de LA SOUDIÈRE, Cueillir la montagne, Lyon, La Manufacture, 1985 ; les travaux du Conservatoire ethnobotanique de Salagon (Alpes de Haute-Provence) et l'exposition sur la cueillette de l'écomusée de la Margeride (près de Saint-Flour). 30. Voir la communication de Gisèle Vianey au colloque « L'Europe et ses frontières » (Comité des travaux historiques et scientifiques), Lille, avril 2000, à paraître. 31. Michel MARIÉ, Penser son territoire..., ouv. cité. 32. Pierre RHABI, Du Sahara aux Cévennes..., ouv. cité. 33. Seuils, passages. Communications, n° 70, 2000. 34. J.-L. THÉBAUD, « Weber, Dieu et les gros sous », dans Libération, 17 décembre 1985. 35. Fernando PESSOA, Le livre de l'intranquillité de Bernardo Soarès, ouv. cité.

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Des campagnes vivantes. Réflexions de jeunes géographes à propos du colloque en hommage à Jean Renard

Emmanuelle Bouzillé-Pouplard

1 Lors de sa conclusion du colloque sur les campagnes vivantes en mai 2000 1 le professeur J. Renard a rappelé que « dans les années cinquante, on mesurait la santé, la vitalité des campagnes aux résultats économiques et aux productions. Les campagnes étaient examinées sous l'angle de l'économie agricole ainsi que sous celui des structures agraires héritées dont on vantait surtout les aspects morphologiques et paysagers ». Les évolutions techniques, démographiques, économiques et sociales des années 1970 et 1980 ont modifié cette analyse de la campagne, ce qui aboutit nous dit J. Renard à la suite de B. Kayser 2, « à distinguer dans une typologie certes schématique mais opératoire, trois types d'espaces et de sociétés. La société périurbaine intégrée de plus en plus à la ville [...], les sociétés et espaces dévitalisés ou fragiles et enfin les campagnes vivantes ». Étant donné la richesse des interventions et des débats de ce colloque consacré aux campagnes vivantes 3, et après avoir écouté toutes les bandes enregistrées, nous avons estimé intéressant de revenir sur la définition de ces espaces ruraux, que certains qualifient de banals ou d'intermédiaires. Nous avons également voulu, en tant que jeunes chercheurs géographes, mettre l'accent sur la nécessité de repréciser les sources et méthodes de recherche sur ces espaces particuliers, et avons souligné en dernier point les thèmes de recherche à privilégier.

Les campagnes vivantes, critères de définition et mesure de la vitalité

2 À l'occasion de ce colloque, et pour amorcer les réflexions, J.-P. Diry s'est essayé au difficile exercice de définition des campagnes vivantes. Il a ainsi cadré l'objet du colloque en indiquant d'emblée que « par définition, la campagne vivante ne peut perdre de sa substance. Elle est au contraire attractive, et connaît des dynamiques

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positives » (J.-P. Diry, 2000, p. 23) 4. Quels sont alors les critères de cette vitalité et de ce dynamisme ?

Les critères socio-spatiaux

Seuils de densité et dynamiques démographiques

3 La vitalité des campagnes se constate d'abord à travers une dynamique démographique positive : elles sont attractives et leur solde migratoire est excédentaire. Ce critère démographique est présenté comme primordial par J.-P. Diry pour qui « le vide humain ne peut être synonyme de vie ». La situation des campagnes de Galice, présentée par Ruben C. Lois Gonzales est, à ce titre, exemplaire. Considérées jusque dans les années 1970 comme attardées, surpeuplées, pauvres, avec une agriculture qui était largement d'autosubsistance, les campagnes de Galice ont connu depuis deux décennies des mutations considérables, dessinant trois types d'espaces : les campagnes orientales désertifiées qui ont perdu, depuis les années 1950, entre un et deux tiers de leur population, les agglomérations et leur périphérie immédiate (surtout littorales), et les campagnes vivantes, c'est-à-dire un tiers de l'espace de la Galice, où se sont maintenues des densités de population élevées (50 à 200 habitants au kilomètre carré). Cette densité démographique doit par ailleurs pouvoir s'appuyer sur un réseau dense de bourgs et petites villes dynamiques où la population est en mesure de trouver les activités tertiaires et les services de premier ordre assurant l'animation de la vie locale au quotidien.

4 Cette vitalité des campagnes, établie par les chercheurs à partir de seuils de densités et des dynamiques démographiques, est également perçue par les acteurs du milieu rural. C. Ducoulombier montre en effet qu'à l'issue d'entretiens menés par l'ENSAIA 5 de Nancy auprès d'acteurs lorrains de l'aménagement en milieu rural, « tous les acteurs parlent d'un milieu rural vivant riche en hommes et activités ». Ils ne font pas allusion aux espaces ruraux en crise, pourtant présents dans leur région : fermeture d'usines textile, industries des vallées vosgiennes en difficulté.

Interconnaissance et solidarité

5 L'espace rural est souvent considéré, par opposition à la ville, comme le monde de l'interconnaissance, et c'est particulièrement vrai là où il y a vitalité démographique. On constate par exemple que l'absence de liens sociaux dans les grands bassins céréaliers présentant de très faibles densités de population (4 à 5 habitants/km2) donne à ces espaces une image de campagne morte, ou du moins socialement endormie. À l'inverse, les dynamiques démographiques positives ont entraîné ruraux depuis vingt ans la recomposition sociale d'espaces qui sont aujourd'hui marqués par une plus grande mixité sociale. Ceci a entraîné une juxtaposition des modes d'habiter susceptible de remettre en cause la pérennité de l'interconnaissance en milieu rural. S. Schmitz est intervenu à propos des campagnes belges pour préciser que « l'interconnaissance entre les autochtones continue à exister mais au niveau des personnes arrivées récemment, nous observons qu'elles se divisent en plusieurs groupes ».

6 Parallèlement, les campagnes demeurent aussi le lieu où s'exprime de manière privilégiée diverses formes de solidarités : « Les campagnes vivantes c'est là où on sait

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travailler ensemble » juge par exemple J.-P. Houssel. H. Paillat-Jarousseau lui fait écho en évoquant l'entraide agricole dans l'île de La Réunion : « Après la réforme agraire la population s'est intégrée dans de nouveaux cadres sociaux et culturels générant ce qu'on pourrait appeler des campagnes vivantes par le redéploiement des formes d'entraide héritées du passé ». 7 L'existence d'un lien social dans les campagnes n'est réelle que s'il y a des hommes et pour qu'il y ait des hommes, il faut qu'ils y trouvent des emplois. N. Croix pense ainsi qu'une « campagne n'est attractive, donc vivante, qu'à partir du moment où il y a des emplois. C'est bien l'emploi, et les aspects économiques qui sont essentiels ». J.-P. Diry ajoute dans ce sens que « les campagnes vivantes connaissent des dynamiques économiques positives car elles sont créatrices d'emplois ».

Les critères économiques et spatiaux

Diversité des activités

8 L'agriculture demeure l'activité spatialement fondamentale du milieu rural. Est-elle cependant en mesure d'assurer à elle seule la vitalité des campagnes ? Le maintien d'une activité agricole est une condition essentielle de la vitalité des campagnes, notamment si on pense à l'entretien de l'espace et à sa traduction paysagère. Mais les évolutions des systèmes de production agricoles depuis trente ans ont engendré une baisse des effectifs agricoles. Il faut donc d'autres sources d'emplois pour ces campagnes. P. Couturier indique en présentant l'exemple des campagnes norvégiennes du Gudbrandsdal que « le maintien des populations ne peut se concevoir sans autres activités », et J-P. Diry précise : « Un espace où l'agriculture représente le fondement unique de l'activité peut-il être appelé campagne vivante ? ». L'agriculture seule ne suffit plus à maintenir une vie économique et sociale dynamique.

9 La diversification économique est aussi nécessaire pour le maintien des populations agricoles elles-mêmes. En Norvège, au Gudbrandsdal, « la diversification des revenus des familles agricoles est systématique dans tous les ménages, avec le développement touristique et les apports de la rente foncière provenant de la location des forêts » note P. Couturier. 10 L'agriculture continue d'ailleurs d'être confrontée à un mouvement de concentration des exploitations agricoles, et donc à une diminution du nombre d'actifs. S'agit-il d'un processus positif entraînant un dynamisme économique ou bien doit-on considérer qu'il fait disparaître tout lien social dans les campagnes et qu'il faut donc le contrôler ? C. Delgado pense, à propos de l'Espagne, que « le processus de concentration en cours a contribué à consolider un modèle dual, avec cohabitation des petites et très petites exploitations qui ne revitalisent pas les espaces ruraux et des très grandes exploitations intensives qui n'utilisent pas une main d'œuvre importante et donc ne contribuent pas non plus à la revitalisation des campagnes espagnoles ». La question se révèle donc complexe. 11 Face aux évolutions en cours, l'agriculture ne peut suffire à maintenir une vitalité dans les campagnes mais elle peut être la source d'autres activités issues de la diversification comme le montre P. Le Her au sujet de la Normandie : « Les chambres d'hôte en Normandie et le tourisme rural bas-normand constitueraient l'un des marqueurs de la vitalité des campagnes [...]. Les campagnes deviennent par leurs paysages un lieu où il

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fait bon vivre ». Le paysage devient un instrument de la vitalité des campagnes. « Les propriétaires des chambres d'hôtes évoquent un patrimoine à préserver, les paysages bas-normands font partie de ce patrimoine même s'ils s'appuient sur le mythe d'une campagne éternelle ». 12 Les services deviennent également des secteurs d'activité qui viennent prendre le relais de l'agriculture. R. Dodier cite l'exemple des zones rurales du Sud-Ouest qui « ne comptent pas plus de 20 à 25 % d'emplois industriels », et où ce sont alors « d'autres secteurs d'activités notamment les services aux personnes [...] qui assurent la croissance ».

Activités innovantes

13 La vitalité de l'activité agricole passe par le déploiement d'activités innovantes, endogènes ou non. Par exemple, « les agriculteurs doivent aujourd'hui repenser leurs missions et pratiquer la multifonctionnalité s'ils souhaitent parvenir à perdurer dans cette activité » pense F. Lescureux qui prend l'exemple de l'accueil pédagogique dans les exploitations agricoles comme vecteur de vitalité pour les campagnes du NordPas- de-Calais. F. Michaud présente par ailleurs le cas des campagnes biterroises qui ont su redynamiser les campagnes en développant, en marge d'une activité viticole en renouveau, un tourisme qui découvre le riche patrimoine de châteaux et jardins. Dans une moindre mesure, les « multiples ruraux », ces cafés-épiceries-restaurants que C. Ducoulombier nous présente dans les Vosges, sont « très localement des exemples de vivacité des territoires ruraux » et attestent de la capacité d'innovation endogène.

14 Les campagnes vivantes sont donc des espaces habités, visités, "travaillés". L'ensemble des critères présentés est indispensable mais pas suffisant car il ne fournit qu'une vision statique, figée, des campagnes vivantes. Elle ne peut donc refléter ce qu'est la vie. En effet, lors des débats, de nombreux intervenants ont spontanément utilisé la métaphore de l'organisme vivant pour décrire les campagnes vivantes. Or, pour tout organisme vivant, la vie est faite d'évolutions. Il a été ainsi souligné qu'il fallait prendre en compte cette dimension du changement pour saisir toute la subtilité et la complexité de la vitalité de ces campagnes.

La diversité des campagnes vivantes

15 Ces campagnes sont vivantes mais, comme l'a précisé B. Jean, « on peut voir que le vivant est très variable, une campagne peut être plus ou moins vivante ». Cette diversité est liée aux différents degrés de vitalité que peuvent manifester les campagnes.

Les temps de la vitalité

Cycles et générations

16 Les campagnes vivantes ne sont pas des espaces figés, immobiles. L'adjectif vivant sous- entend une transformation temporelle que J. Renard exprime lorsqu'il dit : « Il y a dans ce terme de vivant une certaine ambiguïté, peut-être que le concept de génération serait utile : campagnes adolescentes, mûres, vieillies, une sorte de cycle ». Ces espaces sont donc rythmés par une sorte de dynamique temporelle qui les modèle chaque jour,

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tel le cycle de la vie. Ainsi, à petite échelle, se juxtaposent des espaces présentant des états de vitalité différents.

17 Cette notion n'est en rien négative, a contrario elle véhicule l'idée d'une capacité à s'adapter. R. Hérin s'interroge quant à cette dynamique : « Les campagnes vivantes ne seraient-elles pas des campagnes où se perpétuent une capacité d'adaptation et une sorte de culture qui se transmet de génération en génération ? ». 18 L'intervention de W. Ritter sur les cycles des districts industriels, permet de mieux appréhender cette notion : « Dans la littérature sur le district industriel, sont décrits quasi exclusivement les districts en état de maturité ou en état de grande croissance, ou encore des districts où le déclin a juste commencé. Mais il y a beaucoup d'initiatives en phase 1, 2 ou 3 ». Un district industriel s'avère ainsi être une réalité spatiale évolutive et cyclique dont la durée est fonction de différents facteurs : type d'industrie concernée, capacité d'adaptation, espace investi, etc. Par ailleurs, pour qu'un espace reprenne vie, pour qu'un cycle recommence, il semble qu'il faille que les richesses locales soient réinvesties et trouvent un nouvel usage. 19 O. Rialland pour qui « la mise en tourisme d'un certain nombre de propriétés peut être l'un des moyens d'apporter de l'emploi localement » en donne un exemple à partir de son travail sur la réhabilitation des châteaux de la vallée de la Mayenne en Maine-et- Loire.

Le temps court

20 Avec les notions de cycle et de génération, nous mesurons la vitalité des campagnes sur le temps long mais celle-ci est également à évaluer sur le temps court pour nuancer la définition de la première partie. Ainsi J.-P. Diry s'interroge sur la vitalité des campagnes périurbaines : « Ces campagnes sont-elles des campagnes vivantes ? Encore faut-il s'entendre sur ce mot de périurbain. Un certain nombre sont des campagnes dortoirs, c'est-à-dire des campagnes mortes la journée et où la nuit chacun se replie chez soi ». Les campagnes périurbaines, peuplées mais monofonctionnelles, ne sont animées, vivantes que durant le week-end et les vacances : si vie il y a, elle n'est qu'épisodique.

21 Il en va de même pour les campagnes touristiques, notamment littorales, qui ne s'animent que pendant la période estivale. Peut-on vraiment qualifier ces campagnes de vivantes ? 22 Le statut de campagnes vivantes n'est donc pas immuable et la diversité spatio- temporelle des manifestations de cette vitalité amène à s'interroger sur les facteurs du passage d'un état à un autre, de la déshérence au dynamisme ou inversement.

Les facteurs d'évolution

23 Ces facteurs d'évolution sont à rechercher autour des notions de paradoxe et de dialectique. Comme l'a souligné R. Hérin lors des discussions, les campagnes vivantes “naviguent” en effet entre tradition et innovation, entre spécialisation et diversification, local et mondial, développement autonome et développement intégré. Le développement de ces campagnes peut être conditionné indifféremment par des éléments endogènes et/ou exogènes qui peuvent se conforter ou s'affaiblir.

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24 F. Lescureux présente par exemple le cas d'une dynamique endogène : « La présence d'exploitations qui développent l'activité d'accueil pédagogique contribue à une redynamisation des campagnes du NordPas-de-Calais ». En opposition, D. Bouget s'interroge sur l'importance des facteurs exogènes peu évoqués dans les interventions: « Je n'ai pas vu le rôle de la puissance publique. Quel est le rôle [...] des finances publiques [...] dans les campagnes vivantes ? ”.

L'intégration aux systèmes de production à différentes échelles

25 Le local et le global peuvent très bien agir ensemble tout en ayant un apport différent au fonctionnement du système. L'intégration des campagnes dans un système productif plus vaste n'implique pas obligatoirement la déconnexion d'avec l'espace local.

26 C'est ce qu'explique R. Dodier lorsqu'il décrit la division du travail entre la campagne « qui garde la part de matérialité nécessaire au fonctionnement du système » et l'agglomération, division qui ne conduit pas obligatoirement à la déterritorialisation du système (p. 391) 6. Ceci parce qu'une grande part du tissu économique est constituée de petites entreprises profondément ancrées dans leur espace. 27 De même, à partir de l'intervention de J.-P. Houssel 7, sur les tisseurs de verre lyonnais, R. Hérin souligne le paradoxe et la dialectique entre l'activité industrielle (le tissage du verre) de niveau mondial et la situation locale de la direction de cette industrie : l'environnement rural serait le point de départ de cette activité qui, aujourd'hui, s'exporte mondialement. Cette campagne se comporterait ainsi comme un milieu rural progressif (qui adopte le progrès et qui s'y adapte).

La transmission des savoir-faire

28 La permanence des traditions et des modes de travail souvent issus d'un passé artisanal ou proto-industriel est propre au milieu rural. Ces richesses réexploitées et adaptées aux exigences du contexte économique actuel font que ces campagnes deviennent ou demeurent vivantes.

29 R. Hérin, toujours à propos de la localisation rurale des tisseurs de verre lyonnais, se demande quels peuvent être les facteurs explicatifs de cette réussite. Il pense que cette activité « a profité de l'héritage du savoir-faire ». Si cet espace possède cette capacité d'adaptation, de changement, c'est notamment grâce à la transmission d'un savoir- faire, d'une culture. 30 Finalement, et là encore paradoxalement, la capacité au changement nécessite la stabilité. Pour que les activités puissent évoluer, il est nécessaire que certains éléments de la structure demeurent, l'organisation démographique notamment, pour que la transmission des savoir-faire puisse se faire. Ce qui nous renvoie à l'adage cher à J. Renard pour lequel « tout bouge et rien ne change » et « ce au sens où les évolutions économiques se font sans modifier ou détruire les rapports sociaux » (Renard J., 2000, p 681) 8.

Le rôle de la formation

31 Pourtant, la transmission des savoir-faire ne permet pas de faire l'économie d'un effort de formation. Ces campagnes doivent faire en sorte de toujours chercher à s'enrichir et à s'informer sur les nouvelles techniques. Pour cela, elles doivent bénéficier de

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formations variées. R. Hérin explique d'ailleurs : « Une des questions que je me pose [...] c'est comment prendre en compte dans la réflexion sur les campagnes vivantes les compétences, les qualifications, bref, l'ensemble des savoir-faire, de leurs transmissions [...] ».

32 La nécessité d'être formé est ici évoquée. Ainsi A. Frémont souligne, « l'importance, dans la reproduction des systèmes (de production), de l'appareil de formation et notamment de formation professionnelle et du couple qu'ils forment avec le système de production [...]. Je crois que dans cette permanence, le rôle du système de formation est capital et notamment dans sa faculté à se renouveler ». 33 Une campagne qui se veut vivante doit donc veiller à disposer de formations performantes. J. Renard donne l'exemple du Conseil général de Vendée dans le développement de la formation professionnelle : cette collectivité territoriale qui “ a compris l'enjeu du maintien du système et en même temps de son perfectionnement et de son contrôle, a multiplié dans toutes les petites villes ce que j'appelle, faute de mieux, des centres de formation supérieure “bac+2” » 9. Ainsi, le milieu rural se donne les moyens ou acquiert des aides financières pour, localement, assurer la formation professionnelle de la main d'œuvre. 34 Plus globalement, J.-P. Houssel aborde la question de l'autoformation en prenant comme exemple les populations des régions en difficulté qui selon lui devraient aller « voir comment ont fait ceux qui ont démarré avant eux. La démarche ancienne de promotion collective est à mon avis toujours valable ». Pour qu'il y ait développement, il juge qu'il est nécessaire que les gens avancent ensemble. 35 La formation, qu'elle soit populaire, scolaire ou professionnelle, a par conséquent un rôle considérable dans le développement de ces campagnes vivantes.

Le rôle des nouvelles demandes de la société

36 La société, qu'elle soit locale ou globale, joue un rôle non négligeable dans l'évolution des campagnes. Elle incite à s'orienter vers de nouveaux marchés, vers de nouvelles activités ou de nouveaux services. Il s'agit le plus souvent de créer de la valeur ajoutée à partir des aménités rurales.

37 P. Le Her par exemple a constaté qu'aujourd'hui, « le paysage est un des éléments qui concourent au dynamisme, à la vitalité des campagnes ». Aussi, rien ne doit plus être laissé au hasard dans les campagnes, tout doit être soigné, entretenu. La notion de qualité est ainsi très présente dans ces demandes sociales. 38 C. Margétic en donne un exemple avec le cas des bassins laitiers où le lait est produit et collecté en respectant un cahier des charges strict, allant jusqu'à l'exigence de certification des exploitations laitières : « Les bassins “qualitatifs” sont une composante essentielle des campagnes vivantes de l'Europe du Nord-Ouest ». 39 C. Delfosse de son côté fait une intervention sur les produits de terroir et leur valorisation par les entreprises agro-alimentaires qui misent sur cette image de patrimoine rural, véhiculée notamment par les signes de qualité (les fromages d'appellation d'origine contrôlée). Elle affirme qu'« ainsi, les entreprises s'impliquent fortement dans le territoire, voire participent à une territorialisation ; une territorialisation qui prend en compte la valeur patrimonialo-culturelle de l'espace rural où elles s'impliquent » (p. 543) 10.

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40 É. Rouvellac explique encore qu'une politique de développement de l'espace de la moyenne vallée du Lot s'est élaborée à partir d'un produit de qualité (le vin de Cahors 1er cru). La société actuelle est demandeuse de produits sains, de qualité mais également de produits de terroir qui reflètent un certain mode de vie, une certaine tradition. Le monde rural doit donc mettre en avant son savoir-faire, son patrimoine, son héritage culturel à l'aide de ces produits de terroir : les entreprises agro- alimentaires ne représentent alors que les intermédiaires pour les valoriser. 41 Les campagnes vivantes s'avèrent donc être un objet géographique évolutif car comme le dit J. Pilleboue elles sont avant tout le résultat d'une « construction sociale » et « on ne peut pas parler de campagnes vivantes, avec l'ambiguïté du mot, sans analyser aussi la construction qui en est faite par les intéressés ». L'organisation sociale et démographique de ces campagnes étant en constante recomposition, le territoire l'est également. L'observation scientifique de ces espaces, que l'on cerne mieux suite à cet essai de définition, peut permettre de mieux comprendre leur fonctionnement et ainsi d'anticiper les crises ou les difficultés pour qu'ils ne tombent en déshérence.

L'appréhension des campagnes vivantes : le point de vue de jeunes chercheurs géographes

42 Réfléchir sur la réalité et la définition des campagnes nous oblige donc, en tant que jeunes chercheurs, à nous interroger et à nous positionner sur la manière d'appréhender cet objet de recherche mouvant, et qui peut donc paraître insaisissable, tant au niveau de la méthodologie de recherche que des thématiques à privilégier dans l'avenir.

Sources, méthodes et échelles d'analyse

43 Nous l'avons vu, les campagnes vivantes sont intrinsèquement des campagnes en mouvement, en constante évolution. Comme J. Renard le rappelle, « “Campagnes en crise” et “campagnes renaissantes” sont la résultante d'un même processus [...] et se juxtaposent dans un espace composite » (J. Renard, 2000, p. 680) 11. C'est ce processus qu'il nous faut saisir pour comprendre comment cette organisation socio-spatiale particulière parvient à se maintenir malgré des crises et des adaptations successives. Ce processus se manifeste par des signes imperceptibles, des germes de changement, des germes de vie qui se développent parfois même dans des campagnes moribondes. Le renouveau peut aussi émerger dans des campagnes reconnues pourtant comme vivantes parce que certains refusent les conséquences d'une vitalité excessive et réagissent en imaginant d'autres formes de développement. Tel est le cas des agriculteurs de l'Ouest français qui cherchent à maîtriser les excès d'une agriculture paradoxalement aujourd'hui jugée trop productive. Mais comment saisir ces frémissements, ces signes de changement ?

L'insatisfaction liée aux sources classiques

44 Les sources classiques, institutionnelles, gardent évidemment toute leur utilité pour aider à mesurer, évaluer, analyser la vitalité des campagnes telle qu'elle a été définie en première partie. Le recensement général de la population (RGP) et le recensement

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général de l'agriculture (RGA), par exemple, fournissent des données de cadrage nécessaires au chercheur en géographie rurale. Ces sources, homogènes sur le territoire national, présentent l'intérêt non négligeable de faciliter les comparaisons, démarche essentielle, s'il en est, de la géographie. On pourra également reconnaître que ces sources cherchent, même si c'est toujours avec un certain décalage, à rendre compte au moment de la collecte des données, des évolutions de la société. Ainsi le formulaire du RGA 2000 comporte-t-il une question sur la signature éventuelle par le chef d'exploitation d'un contrat territorial d'exploitation (CTE), innovation importante de la loi d'orientation agricole de 1999.

45 En dépit de cette utilité, les sources institutionnelles ne permettent pas de saisir les signes de vie qui, finalement, passent au travers des grilles de recueil des informations et, comme le souligne V. Jousseaume lors de son intervention, elles « posent de nombreuses difficultés dans leur dimension spatiale, temporelle, qualitative, en termes d'échelle de publication et en termes de coût ». 46 Au plan spatial, ces sources ne localisent pas aussi précisément les informations que le chercheur pourrait le souhaiter. Pour poursuivre avec l'exemple du RGA 2000, si le questionnaire demande la répartition de la SAU de l'exploitation par commune, il n'y a toujours aucune indication de la localisation des ateliers hors-sol, donnée pourtant riche d'enseignements pour qui travaille sur la pollution d'origine agricole, même si elle peut être trouvée par ailleurs, grâce au fichier des permis de construire par exemple. 47 Pour ce qui est de leur dimension temporelle, on rappellera rapidement les problèmes d'archivage et d'hétérogénéité entre les dates. Mais le chercheur qui ambitionne de capter les prémices de changement est surtout handicapé par l'incapacité de ces sources à fournir des données mises à jour sur des pas de temps courts. Il lui faut donc renouveler les méthodes de recherche et les sources d'information, être imaginatif pour saisir au plus prêt la vie qui émerge.

La nécessité de renouveler certaines pratiques

48 Le travail de terrain, le travail d'enquête, qui permettent de parvenir à une connaissance presque intime des faits et des populations, est indispensable au géographe ruraliste qui veut voir les choses bouger presque « en temps réel ». Pour autant le chercheur risque, en voulant à tout prix voir les faits émergents, de mettre des lunettes déformantes et de finir par ne voir que les signes positifs. Ces enquêtes peuvent ainsi finalement l'amener à ne rencontrer que les porteurs de projets et d'initiatives et à enjoliver le tableau qu'il tente pourtant de décrire objectivement. Son analyse comporte alors le risque de ne refléter surtout que la subjectivité des acteurs rencontrés.

49 Le travail de terrain peut également amener à des excès d'empirisme, la multiplication des études de cas n'autorisant pas à faire l'économie d'une recherche plus théorique des phénomènes invariants en croisant et comparant les terrains. 50 Nous avons souligné dans la deuxième partie que les campagnes vivantes étaient la résultante d'une construction sociale. Les différents acteurs de l'espace rural sont donc des interlocuteurs à privilégier pour le géographe qui ambitionne d'analyser les initiatives, les projets des populations, tout particulièrement s'il cherche à anticiper les changements pour aider les décideurs. Là encore, les enquêtes et entretiens qualitatifs

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montrent leurs limites 12, limites qu'E. Bonerandi a pu rencontrer dans son travail de thèse portant sur le développement local. Elle explique en effet lors de son intervention que celui-ci ne peut être observé de façon complètement satisfaisante par le biais des entretiens avec des élus, dans la mesure où il résulte d'une dynamique de groupe et que les entretiens ne portent que sur des individus. Pour éviter ce genre de biais la solution réside peut-être dans l'adaptation des outils du sociologue aux problématiques du géographe. Le recours plus systématique aux entretiens en groupe (sur le modèle des conseils communaux) pourrait en être un exemple. 51 Pour pallier les limites des sources institutionnelles et celles de l'observation de terrain dans l'étude des campagnes vivantes, l'équipe de ruralistes du Cestan a l'ambition de mettre en œuvre un outil méthodologique nouveau la veille géographique des territoires ruraux 13 dont l'objectif fondamental, comme nous le dit V. Jousseaume dans sa présentation « est d'observer ce qui bouge dans l'espace pour analyser ce qui va prendre sens, ce qui prend sens avec le temps » 14. 52 Cette idée de veille géographique n'est pas nouvelle puisqu'elle est directement issue des réflexions menées par J. Renard dans ses propres travaux et de l'expérience développée au début des années quatre-vingt par le GIP-Reclus de Montpellier 15 . 53 Mais elle est renouvelée. L'ambition est en effet d'élaborer une véritable source utile à la présentation d'explications globales en créant une base de données renseignée de manière homogène et systématique à partir de sources multiformes : presse, observations directes, bulletins municipaux. Le travail consiste donc à répertorier, comptabiliser, localiser les projets, les initiatives, les créations : ici des espaces récréatifs, des bases de loisirs, la valorisation d'un patrimoine, là des créations d'entreprises ou d'espaces culturels (résidences d'artistes, théâtre en milieu rural), etc.

Retour sur le problème récurrent de l'échelle d'analyse

54 Le retour critique sur les sources amène tout naturellement à faire de même pour ce qui concerne l'échelle d'analyse. L'observation des campagnes vivantes exige en effet d'être très rigoureux quant à l'échelle à laquelle on opère pour ne pas fausser le jugement porté sur la vitalité des campagnes. Par exemple, décrivant le Gudbrandsdal (Norvège), P. Couturier nous dit qu'il s'agit d'un espace de très faible densité 16 mais qui présente des « îlots de dynamisme » à l'échelle infra-communale.

55 La mesure de la vitalité doit donc être aussi bien qualitative que quantitative, à quelque échelle que ce soit. Prendre cette précaution est d'autant plus nécessaire quand on aborde les implications des recherches géographiques pour l'aménagement du territoire, ce que nous ont bien montré les diverses interventions portant sur les campagnes vivantes comme modèle original d'organisation territoriale et sur la mise en œuvre des pays. 56 G. Baudelle indique par exemple, à partir de son étude des pays en Bretagne, que « le modèle du pays qui marche si bien dans les campagnes vivantes est difficilement applicable et transposable aux régions faiblement peuplées, ce qui expliquerait cette différence dans le rythme d'application ». 57 Lors des débats, A. Frémont fait écho à cette conclusion en s'interrogeant : « Même avec de faibles densités, on peut avoir un espace qui se porte bien. Mais quel est alors le bon découpage, le territoire pertinent ? ».

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58 Ces remarques invitent donc le jeune chercheur à la prudence dans l'élaboration de sa méthodologie de recherche et à la nuance quant aux jugements qu'il sera amené à porter sur ses résultats.

Les thématiques de recherche à privilégier

59 Les différentes interventions de ce colloque et les débats qui ont suivi ont mis en lumière plusieurs thématiques de recherche sur lesquelles nous souhaitons revenir car elles comportent à notre avis les questions qui peuvent alimenter les recherches futures en géographie rurale.

60 On pourra remarquer que ces thématiques reflètent en grande partie les nouvelles demandes sociales qui se font jour actuellement et qui concernent en priorité les campagnes vivantes. L'exigence d'une agriculture de qualité plus respectueuse de l'environnement en fait partie, ce qui incite à s'interroger sur l'émergence de nouveaux modèles agricoles 17. 61 Dans le domaine agricole, la demande sociale explicite en matière de paysage et de production agricole de qualité ne doit pas occulter les exigences pour le chercheur de retour sur des thèmes sans doute plus classiques mais qui méritent d'être revisités. J. Renard (2000, p. 684 , op. cit.) conseille par exemple de s'atteler à la construction de parcellaires d'exploitation « à l'heure des contrats territoriaux d'exploitation, des plans d'épandage [...] ». 62 Par ailleurs, le fait que l'agriculture soit actuellement sous les feux de la rampe, tout particulièrement dans le Grand Ouest, peut faire oublier au jeune géographe qu'il existe dans les campagnes vivantes des réalités non agricoles qui se trouvent aujourd'hui un peu dans l'ombre des projecteurs. Nous pensons notamment aux districts industriels en milieu rural qui doivent faire face aux enjeux de la délocalisation, notamment dans la perspective d'une Europe élargie. Sur ce thème, les comparaisons à l'échelle européenne s'imposent d'elles-mêmes 18 et peuvent alimenter les réflexions sur la problématique d'un modèle d'organisation territoriale propre aux campagnes vivantes, sa réalité et sa pertinence. 63 Outre les thèmes déjà bien débroussaillés tels que le tourisme rural, l'armature des bourgs et petites villes par exemple, des thèmes peut-être plus anecdotiques comme les services de proximité ou l'offre culturelle en milieu rural pourraient certainement nous apprendre beaucoup sur les évolutions et recompositions sociales des campagnes vivantes. 64 Enfin, eu égard à leur diversité socio-économique, les campagnes vivantes sont, potentiellement, des espaces de conflits. Nous sommes coutumiers du conflit devenu récurrent entre agriculteurs, chasseurs et écologistes mais les protagonistes peuvent certainement être plus variés et plus inattendus. L'existence de tels conflits, qu'ils soient émergents, exacerbés ou en résolution (à condition qu'ils ne soient pas larvés) pourraient être de bons indicateurs de la vitalité des campagnes. La réalité de ces conflits socio-spatiaux mérite, à notre avis, d'être considérée comme une thématique de recherche à part entière, notamment si elle est abordée comme « porte » d'entrée dans les campagnes vivantes. 65 Quelle(s) que soit la ou les thématiques de recherche choisies, il nous faudra être conscients de la place que nous pouvons tenir en tant que géographes dans les

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réflexions sur les campagnes vivantes, comme le rappelle Y. Jean à propos de la politique des pays lorsqu'il dit : « Je crois que le géographe doit tenir sa place, c'est-à- dire qu'il ne doit pas être absent du débat. Il doit participer à la réflexion des acteurs sur la création de ces nouveaux espaces institutionnels, de ces pays et de ces communautés de communes en fournissant aux acteurs des éléments sur les dynamiques spatiales à une autre échelle que celle de l'échelle locale ». * * * 66 Les propos de J. Chevalier en introduction du colloque nous offrent une conclusion en forme de pied de nez qui révèle bien les précautions à prendre dans les analyses sur les campagnes vivantes : « Je ne sais pas encore s'il existe des campagnes vivantes, je m'interroge. [...] Il existe au moins un très grand nombre de chercheurs s'intéressant aux campagnes vivantes, nous pouvons donc supposer que les campagnes vivantes existent bien ou du moins que les chercheurs les font exister comme objet [...] ». Ces remarques nous rappellent en effet qu'il nous faut être conscients que le regard du chercheur peut déformer la réalité, celui-ci pouvant être tenté de trouver des indices de vitalité là où il n'y en a ; à l'inverse, ne disposant pas d'outils d'analyse adéquats (notamment de sources), il peut risquer de passer à côté de signes de revitalisation. Il nous faut de toute façon garder à l'esprit que, comme l'a remarqué J.-P. Diry, « il y a désormais davantage de différences entre les campagnes elles-mêmes qu'entre la campagne prise globalement et le monde urbain » D'où la nécessité de réfléchir aux méthodes d'investigation des campagnes vivantes. Enfin, si elles sont un objet de recherche, les campagnes vivantes sont également revendiquées et réclamées par les instances politiques et professionnelles du monde rural. Nous en voulons pour preuve les discours des responsables de la Confédération paysanne ou de la FNSEA, ou encore les propos du ministre de l'Agriculture Jean Glavany qui souligne lors d'une réunion du Conseil européen « l'importance que revêt la réorientation des aides (agricoles) pour maintenir les campagnes vivantes » 19.

NOTES

1. Colloque européen consacré aux campagnes vivantes tenu à Nantes les 18 et 19 mai 2000, dont les actes ont été publiés : Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes, un modèle pour l'Europe ? Mélanges offerts au professeur Jean Renard, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, 696 p. 2. Bernard KAYSER [dir.], Naissance de nouvelles campagnes, La Tour-d'Aigues, DATAR/ Éditions de L'Aube, 1993, 171 p. Voir chapitre 1, p. 8. 3. Liste des personnes dont les interventions ou les articles sont cités : Guy Baudelle ; Emmanuelle Bonerandi ; Denis Bouget ; Jacques Chevalier ; Pierre Couturier ; Nicole Croix ; Claire Delfosse ; Carmen Delgado ; Jean-Paul Diry ; Rodolphe Dodier ; Cécile Ducoulombier ; Armand Fremont ; Robert Herin ; Jean-Pierre Houssel ; Bruno Jean ; Yves Jean ; Valérie Jousseaume ; Pascal Le Her ; Frédérique Lescureux ; Christine Margetic ; François Michaud ; Hélène Paillat-Jarrousseau ; Jean Renard ; Olivier

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Rialland ; Wigand Ritter ; Eric Rouvellac ; Serge Schmitz. Pour les références exactes des articles publiés dans l'ouvrage, voir : Jean-Luc MAYAUD, « Bibliographie rurale, 1998-2000 (suite) », dans Ruralia, n° 7, 2000, pp. 243-263. 4. Définition que l'on peut retrouver dans son intégralité dans les actes du colloque : Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité. 5. École nationale supérieure d'agronomie et des industries alimentaires. 6. Rodolphe DODIER, « Le sens de l'évolution économique des campagnes vivantes », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 379-392. 7. Jean-Pierre HOUSSEL, « Le district lyonnais des tisseurs de verre ou l'ancrage de la haute technologie à la campagne à travers la mondialisation », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 441-450. 8. Jean RENARD, « Plaidoyer en faveur des recherches sur les campagnes vivantes », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 679-685. 9. Jean Renard donne des exemples de formations : à Pouzauges sur le conditionnement pour l'agro-alimentaire, à Montaigu sur la logistique et les transports, à Fontenay-le- Comte sur tout ce qui concerne l'ingénierie de l'environnement et à Brétignolles-sur- Mer sur l'ingénierie du tourisme. 10 . Claire DELFOSSE, « La valorisation des patrimoines agro-alimentaires. Un enjeu productif et culturel pour les campagnes ? », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 533-544. 11 Jean RENARD, « Plaidoyer en faveur des recherches sur les campagnes vivantes », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 679-685. 12. Pour un développement plus complet des limites du travail de terrain voir : Valérie JOUSSEAUME, « La veille géographique des territoires ruraux, une outil méthodologique pour l'étude des campagnes vivantes », dans Nicole CROIX [dir.], Des campagnes vivantes..., ouv. cité, pp. 665-678. 13. Outil inspiré du principe des veilles technologiques, financières, etc. issu du monde de l'entreprise confronter à l'exigence de l'innovation permanente. 14. Pour plus de détails sur cet outil, voir : Valérie JOUSSEAUME, « La veille géographique des territoires ruraux... », art. cité. 15. Il s'agit de l'Observatoire des dynamiques de localisations (ODL) dont Jean Renard fut le relais en Pays de la Loire puis le président du comité scientifique. 16. 1 à 2 habitants par kilomètre carré. 17. Thème sur lequel travaille Emmanuelle Bouzillé dans le cadre de sa thèse portant sur la diffusion des pratiques agricoles respectueuses de l'environnement dans les Pays de la Loire. 18. On pense par exemple au Choletais et à la troisième Italie. 19. BIMA, Hors série n° 8, septembre 2000.

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Louis Lorvellec (1946-2001)

Maryvonne Bodiguel

1 Le 3 mai 2001 1, le professeur Louis Lorvellec est décédé des suites d'une leucémie à l'âge de 55 ans. Il a été membre du comité directeur de l'ARF de 1987 à 1991 et président de 1991 à 1993 ; il a organisé à ce titre deux colloques de l'association, à Pau en 1993, « Vieillir à la campagne », et en 1993, « L'étranger à la campagne » dans le cadre de son université de Nantes.

2 Louis Lorvellec est né le 22 février 1946 à Plouguernével dans les Côtes-d'Armor. Il est resté très attaché à sa petite ville natale, à ses habitants, à la culture locale et à la terre cultivée par sa famille. Sa fidélité à ses origines s'est traduite entre autres par une spécialisation en droit rural et agro-alimentaire dont il est devenu un représentant de renommée internationale. 3 Après des études à la faculté de droit de Rennes, il y devient assistant (1968-1973) puis maître de conférences ; il y soutient une thèse qui porte sur « l'essai dans le contrats », réalisée sous la direction du doyen Henry Blaise. Après le concours d'agrégation de droit privé il est professeur à l'université de Pau jusqu'en 1980 et assume les responsabilités de doyen de la faculté de droit de 1975 à 1980. Il y découvre le rugby qu'il pratiquera en amateur éclairé et dont il parlait avec enthousiasme. 4 En octobre 1980 il se rapproche de son pays natal en venant à Nantes et participe activement au développement de la faculté de droit et à son rayonnement international. Son dynamisme, sa capacité à instaurer des échanges ont permis au droit privé de prendre une ampleur nouvelle, au droit rural de devenir un des pôles d'excellence de la recherche à Nantes. Il développe des relations fortes avec les professions juridiques et anime les salons juristia. Il crée un DESS de droit de l'agro- alimentaire, comportant une filière bilingue franco-américaine et enseigne régulièrement le droit communautaire et le droit rural dans les universités de Fayetteville dans l'Arkansas et à Drake University à Des Moines dans l'Iowa. Il intervient également en Amérique du sud, en Afrique, en Égypte. 5 À Nantes, il crée un centre de recherche en droit rural, le CEDRAN, rapidement associé à l'INRA, et travaille en interdisciplinarité sur l'évolution du monde rural et de l'agriculture. Ses nombreuses publications témoignent d'une importante activité de

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recherche dans l'ambiance tonique qu'il avait su créer en particulier avec ses étudiants en troisième cycle. En 1998, il est chargé à l'université de la valorisation de la recherche par le président Yann Tanguy. 6 S'il est vrai que nul n'est irremplaçable, il est aussi évident que chaque personnalité est unique et que la disparition prématurée de Louis Lorvellec laisse un grand vide. Sa gentillesse, sa disponibilité à tous malgré un emploi du temps toujours trop lourd, l'optimisme qu'il insufflait dans toutes ses activités, nous manquent aujourd'hui ainsi que cette chaleur humaine rayonnante dont il avait le secret.

Les publications de Louis Lorvellec

1981

7 « Élevage hors sol et installations classées », dans Revue juridique de droit de l'environnement, 1981, p. 56

8 « La protection au cas d'intégration », dans Politique foncière et politique des structures. Revue de droit rural, n° 95, 1981, pp. 250-255.

1982

9 « L'intervention des SAFER », dans Revue de droit rural, n° 108, 1982, pp. 417-422.

10 « Les dispositions de l'article 809-1c. rur. relatives aux “conventions portant sur l'utilisation des forêts” », dans Revue de droit rural, n° 104, 1982, pp. 136-139. 11 « Les restitutions après l'annulation d'un contrat d'intégration soumis à la loi du 6 juillet 1964 », dans Rec. D., 31e cahier, 1982, pp. 211-219 (avec J. Danet).

1983

12 « La création des offices par produits », dans Revue de droit rural, n° 111, 1983, pp. 1-18 (avec J.-C. Helin).

13 « Présentation », dans L'élevage industriel. Revue de droit rural, n° 118, 1983, pp. 317-318.

1984

14 « Les contrats types d'intégration homologués », dans Revue de droit rural, n° 124, 1984, pp. 245-255.

15 « Les techniques de maîtrise concertée des productions agricoles », dans Revue de droit rural, n° 127, 1984, pp. 439-446.

1985

16 « La fonction des coopératives dans l'amélioration des productions agricoles : aspects juridiques », dans Revue de droit rural, n° 137, 1985, pp. 417-426.

17 « Quotas laitiers et exploitation agricole », dans Revue de droit rural, n° 138, 1985, pp. 524-534.

Ruralia, 08 | 2001 162

1986

18 « Droit et diversification des exploitations agricoles », dans Revue de droit rural, n° 144, 1986, pp. 198-203.

19 « Le nouveau droit des eaux douces et de la pêche : commentaire de la loi n° 84-512 du 29 juin 1984 », dans Actualité législative Dalloz, juillet 1986, pp. 121-138 (avec R. Le Moal).

1987

20 « L'organisation interprofessionnelle en agriculture et la valeur des accords interprofessionnels étendus », dans Revue juridique de l'Ouest, 1987, p. 1.

21 « L'ouverture sur les marchés et le patrimoine professionnel de l'agriculteur », dans Revue de droit rural, n° 152, 1987, pp. 163-168. 22 « Le régime juridique de transferts de quotas laitiers », dans Revue de droit rural, n° 157, 1987, pp. 409-417. 23 Droit rural, Paris, Masson, 1987, 552 p.

1988

24 « L'exercice du droit de préemption du fermier en cas d'aliénation par vente unique d'une pisciculture louée et d'un bien non loué », dans Revue de droit rural, n° 161, 1988, pp. 97-101 (avec R. Le Moal).

25 « Location de troupeaux et exploitation agricole : aspects juridiques », dans Revue de droit rural, n° 167, 1988, pp. 426-430.

1990

26 « Commentaire de la loi du 23 janvier 1990 relative à l'adaptation de l'exploitation agricole à son environnement économique et social (dispositions foncières) », dans Actualités législatives Dalloz, cahier n° 20-1, 1990, pp. 166-176.

27 « La prise en compte du développement urbain dans les procédures d'aménagement rural », dans Revue de droit rural, n° 179, 1990, pp. 48-53. 28 « Les contrats agro-industriels », dans La terre, la famille, le juge. Études offertes à Henri- Daniel Cosnard, Paris, Economica, 1990, pp. 57-76. 29 « Rapport de synthèse », dans Ier Congrès UMAU, Italie, 1990, pp. 495-499.

1991

30 « CAP reforms and US agriculture », dans Congrès de l'American Agricultural Law Association, Atlanta1991, non publié.

31 « L'enseignement du droit rural dans les établissements français d'enseignement supérieur », dans Revue de droit rural, n° 191, 1991, pp. 113-117.

Ruralia, 08 | 2001 163

32 « L'interprofession laitière en France », dans Colloque de l'Association espagnole de droit agraire, Oviedo, 27 septembre 1991. Derecho Agrario Autonomico, Universidad de Oviedo, Asacionion espanola de Derecho Agrario, 1991. 33 « Quel avenir pour les interprofessions en France ? », dans Revue de droit rural, n° 189, 1991, pp. 25-30.

1992

34 « Droit rural africain », dans colloque international de l'Association espagnole de droit rural, Saragosse septembre 1992, non publié.

35 « Le droit rural français et la PAC », dans colloque Profili sistematici del diritto agrario Europeo, Pise, mai 1992, non publié. 36 « Les communes rurales et la décentralisation », dans Dix ans de décentralisation, Rapport au Sénat, colloque du Gral, février 1992, non publié. 37 « Les grandes tendances du droit rural moderne », dans IIe Congrès UMAU, Costa Rica 1992, pp. 17-21. 38 « Politiques agricoles et gestion de l'espace rural », dans Revue de droit rural, n° 203, 1992, pp. 208-212.

1993

39 « Agrarian Law in France », dans M. ROSSO GROSSMAN et W. BRUSSAARD [dir.], Agrarian Land Law in the western world, 1993, pp. 51-70.

40 « Aspects fonciers de l'aménagement du territoire en Europe », dans Congrès national des Safer, 25 novembre 1993, Regards sur le foncier, décembre 1993. 41 « L'interprofessionne in Francia », dans Rivista di Diritto Agrario, 1993, p. 229.

42 « Qualité des produits agro-alimentaires », dans Congrès du CEDR, Interlaken, 13-16 octobre 1993, non publié. 43 Les baux ruraux, Paris, Sirey, 1993, 236 p. (avec F. Collart Dutilleul).

1994

44 « GATT, agriculture et environnement », dans IIIe Congrès UMAU, France 1994, pp. 321-341.

45 « GATT, agriculture et environnement », dans Protection de l'environnement, libre circulation des biens et droit de la concurrence, Colloque du ministère de l'Environnement, Paris 20 mai 1994, non publié. 46 « Il faut définir ce qu'est en droit l'activité agricole (entretien) », dans Information agricole, n° 671, 1994, pp. 56-58. 47 « Le statut futur de l'exploitation agricole », dans Agriculture de groupe, n° 257, 1994, p. 20. 48 « Les statuts juridiques de l'étranger à la campagne », dans Être étranger à la campagne, Colloque national de l'Association des ruralistes français, 10-11 juin 1993, Nantes. Études rurales, n° 135-136, 1994, pp. 37-44.

Ruralia, 08 | 2001 164

49 « Quels signes de qualité pour les produits de la pisciculture et de l'aquaculture ? », dans Pisciculture et environnement, colloque de la Faculté de Nantes, IFREMER, INRA, Nantes, octobre 1993, Brest, Publication IFREMER, septembre 1994. 50 « Rapport de synthèse : droits à produire », dans Revue de droit rural, n° 227, 1994, pp. 501-505.

1995

51 « Derecho agrario y derecho de la competencia », dans Colloque de l'Institut argentin de droit rural, avril 1995, Rosario, Argentine. Revue argentine de droit rural, traduction publiée à la Rivista di Diritto Agrario (Italie), 1995, p. 287.

52 « GATT, agriculture et environnement », dans Revue de droit rural, n° 234, 1995, pp. 284-293. 53 « L'évolution de la pédagogie du droit », dans Mélanges en l'honneur de Henry Blaise, Paris, Economica, 1995, pp. 313-331 (avec F. Collart Dutilleul). 54 « Rapport de synthèse », dans L'entreprise agricole et le statut du fermage, XIIe congrès national de la AFDR, Angers 14-15 octobre 1994, Loysel, 1995, pp. 263-278 55 « Rapport de synthèse : travaux du XIIe congrès national de la AFDR "Entreprise agricole et statut du fermage" », dans Revue de droit rural, n° 233, 1995, pp. 251-256.

1996

56 « Contrôles des structures et sociétés agricoles, Table ronde Revue de droit rural,, 16 novembre 1995 », dans Revue de droit rural, n° 240, 1996, pp. 53-56.

57 « L'avenir des droits à produire », dans C. FLAESCH-MOUGIN [dir.], Rennes, Éditions Apogée, 1996, pp. 59-77. 58 « Quel avenir pour la politique agricole commune », dans Variations sur l'avenir de la PAC. Journée du CEDRE, 1995, Rennes 1996. 59 Le droit à produire en agriculture, Paris, France agricole, 1996, 207 p. (avec J. Blanchet et P. Raphael).

1997

60 « Back to the fields after the strorm: agriculture in the European Union after the Uruguay round agreements », dans Drake Journal Agricultural Law, volume 2, 1997, pp. 411-429.

61 « Droit rural et sciences exactes », dans Ve Congrès international de droit rural, Buenos- Aires, juin 1996 ; traduction dans Rivista di Diritto Agrario, Milan printemps 1997. 62 « French Agricultural Law and Diversification », dans Drake Law Review, Des Moines, Iowa, USA, volume 45, 1997, pp.1-17. 63 « L'action des autorités publiques françaises dans la crise de la vache folle », dans Revue de droit rural, n° 252, 1997, pp. 214-225.

Ruralia, 08 | 2001 165

64 « L'Alma mater au prétoire, la responsabilité des facultés de droits aux États-Unis d'Amérique », dans Colloque des Institutions d'études judiciaires, Nantes novembre 1996. Justices, Dalloz, n° 5, 1997. 65 « La politique des structures et les droits à produire », dans Paysans, n° 241, 1997, pp. 48-60. 66 « Les nouveaux aspects de la protection internationale des Appellations d'origine contrôlées », dans Mélanges en l'honneur de J.J. Burst, LITEC, 1997. 67 « Réponse à l'article du Professeur Jim Chen (Appellations d'origine) », dans Revue de droit rural, n° 249, 1997, pp. 44-49. 68 « Y-a-t-il une spécificité des contrats ruraux ? », dans Le droit contemporain des contrats, Paris, Economica, 1987, pp. 207-222 69 « You have got to fight for your right to party », dans Minnesota Journal of Global Trade, 1995, volume 5, 1997, pp. 65-81.

1998

70 « L'agriculteur sous contrat », dans Le travail en perspective, Collection Droit et Société, Paris, LGDJ, 1998, pp. 179- 197.

71 « Le contrôle des structures à l'épreuve des sociétés d'exploitation », dans Paysans, 1998, pp. 15-24.

1999

72 « Du territoire au terroir : la qualité en plus », dans Séminaire Le lien social, 1998, MSH Ange Guépin Nantes, 1999, pp. 101-115.

73 « L'avenir des droits à produire au regard du droit communautaire et du droit international », dans D. BARTHELEMY et J. DAVID [dir.], L'agriculture européenne et les droits à produire, Paris, INRA éditions, 1999, pp. 350-369. 74 « La protection internationale des signes de qualité », dans Droit et négociations internationales. Actes et communications, INRA n° 16, 1999, pp. 109-127. 75 « Principaux aspects de la loi d'orientation agricole », dans JCP éd. not., 1999, p. 1129-1132. 76 « Rapport de synthèse : le droit face à la recherche de qualité des produits agricoles et agro-alimentaires », dans Revue de droit rural, n° 276, 1999, pp. 463-468 77 « Travail agricole et territoire du droit », dans Mesures agri-environnementales : quel bilan, quelles perspectives ? . Économie rurale, n° 249, février 1999, pp. 83-87. 78 « Trois questions de base sur la LOA », dans Le Trait d'union, 1999, n° 4, pp. 6-9.

79 Code rural annoté, Paris, Dalloz, 1999, 1930 p.

2000

80 « Droit rural et fait », dans Économie rurale, n° 260, 2000, pp. 9-19.

81 « Droit rural et sciences de la nature », dans Mélanges en l'honneur de Yves Prats, Paris, Éditions de la MSH, 2000, pp. 57-75.

Ruralia, 08 | 2001 166

82 « Loi d'orientation. Politique des structures et sociétés d'exploitation », dans Paysans, n° 261, 2000.

2001

83 « The future of production rights from the viewpoint or Community law and international law », dans D. BARTHELEMY et J. DAVID [dir.], Production Rights in European Agriculture, Edition of Elsevier Science, 2001.

à paraître

84 « La Liberté de circulation des marchandises agricoles », dans VIe Congrès UMAU, Espagne 1999, à paraître.

85 « Le crédit agricole », dans XVe Congrès de l'Académie internationale de droit comparé, Bristol, juillet 1998, à paraître. 86 « Vers une réglementation internationale et nationale à la croisée du droit rural, du droit de la santé, du droit de la consommation et du droit de l'environnement », dans IIIe journée scientifique Réseau environnement AUPELFUREF, Tunis 28 octobre 1998, à paraître.

NOTES

1. Ce texte reprend en partie une note de Patrick Chaumette, doyen de la faculté de droit de Nantes, du 4 mai 2001.

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Mots-clés : nécrologie

Ruralia, 08 | 2001 167

Fragmentation, regroupement et remembrement (du milieu du XIXe siècle à nos jours) 25e Colloque de l'Association des ruralistes français, 24-25-26 octobre 2001 au Musée maritime de l'Île de Tatihou, Saint-Vaast-la-Hougue (Manche). Programme provisoire

Guy Barbichon, Sophie Bobbé, Jean-Luc Mayaud et Jacques Rémy

1 Le 25e colloque de l'ARF se déroulera du 24 au 26 octobre dans les locaux du Musée maritime de l'île de Tatihou, commune de Saint-Vaast-la-Hougue. Nous ne publions qu'un programme provisoire, annonçant la plupart des communications classées selon l'ordre alphabétique des patronymes des intervenants. Le programme définitif sera adressé à chaque communicant et aux membres de l'Association des ruralistes français , il sera également « mis en ligne » sur le site internet de Ruralia (http://www.revues.org/ruralia/) et sur le site Calenda, le calendrier des sciences sociales (http://www.calenda.org/).

2 Pierre ALPHANDERY, titre à préciser

3 Georges AUGUSTINS, Logique patrimoniale et contraintes de fragmentation : un contraste permanent de la théorie du monde paysan 4 Tiphaine BARTHELEMY, Partages successoraux et remembrements fonciers dans la noblesse et dans la bourgeoisie, 1850-1914 : études de cas en Finistère et Loire- Atlantique 5 Marc BENOÎT et Jean-Pierre DEFFONTAINES, Depuis des réorganisations territoriales productives à des remembrements pour protéger les ressources naturelles : lecture de deux décennies d'évolution des pratiques d'acteurs en Lorraine 6 Sophie BOBBÉ, Le loup remembreur : les requalifications de l'espace rural dans les Alpes 7 Virginie BODON, Remembrement et déracinement : étude de l'impact d'une opération de remembrement dans une commune des Hautes-Alpes 8 Jean-Claude BONTRON, Les étapes et la géographie du remembrement

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9 Jean-Paul BOURDON, titre à préciser

10 René BOURRIGAUD, Le partage de l'indivision : les landes bretonnes aux XIXe- XXe siècles 11 Gaëlle CHARCOSSET et Jean-Luc MAYAUD, Démembrement post-révolutionnaire et stratégies foncières dans le département du Rhône au XIXe siècle 12 Simonne CAILLOT, Droit et remembrement administratif

13 Benoît CARTERON, Pérennité des grandes fermes châtelaines et (absence de) remembrement dans le bocage vendéen : Saint-Hilaire-de-Loulay 14 Anne-Elène DELAVIGNE, Le « remembrement » au Danemark : la fin d'un mythe national ? 15 Christian FLEURY, Les recompositions territoriales dans le golfe normand-breton

16 Hubert GODEFROY, Les associations de défense contre le remembrement administratif dans le département de la Manche 17 Pierrette HIRSCHAUER, Le domaine de La Charterie aux Porées entre transmission, modifications, échanges, achats et remembrements, XVIIIe-XXe siècles 18 Atala KERGALL, Stratégies foncières et constitutions de grands domaines en Saône-et- Loire au XIXe siècle 19 Sylvie KERGREIS, Représentations et évaluations de l'espace rural en Ille-et-Vilaine. Opinion publique et experts 20 Yannick LE MAREC, Chenalisation du fleuve et dessèchement des marais : le remembrement dans l'estuaire de la Loire (seconde moitié du XIXe siècle) 21 Yves LUGINBüHL, Le bocage est mort, vive le bocage ! Du remembrement à la reconstitution du bocage 22 Vanessa MANCERON, Un territoire en terre et en eau convoité : l'exemple de la Dombes

23 Eric MAROCHINI, La prise en compte des problématiques environnementales et paysagères au cours des opérations de remembrement rural en France, au terme de dix années d'effervescence législative en cette faveur : bilan et perspectives 24 Anne-Marie MARTIN et Anne-Elène DELAVIGNE, Programmation cinéma : « Le remembrement en images » 25 Marie-Claude PINGAUD, Partage égalitaire et remembrement familial dans le Perche, 1850-1950 26 Jean RENARD et allïi, La question de la procédure des remembrements-aménagements, Table ronde 27 Anne ROLLAND, Métayers et notables dans l'Ouest de la france : la place de la terre à l'heure de la reconstruction du pays (premier tiers du XIXe siècle) 28 Vincent THÉBAULT, Marchés et stratégies familiales dans les processus de remembrement des patrimoines fonciers ruraux dans le Midi toulousain aux XIXe et XXe siècles 29 Gisèle VIANEY, L'échec d'un remembrement ou comment prolonger le Temps des cerises (commune de Lussas, Ardèche)

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Contacts

Jean-Luc Mayaud UMR 5599, Institut des sciences de l'homme 14, avenue Berthelot, 69363 Lyon cedex tél. : 00 33 (0)1 72 72 64 34 fax : 00 33 (0)1 72 72 64 24 courriel : [email protected]

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Mots-clés : Colloque

Ruralia, 08 | 2001 170

La formation des acteurs de l'agriculture en France, 1945-1985 : continuités et ruptures Colloque de Dijon, 27-29 novembre 2001

Michel Boulet

Maître d'œuvre

1 Établissement national d'enseignement supérieur agronomique de Dijon (ENSAD), Ministère de l'Agriculture et de la Pêche

Orientation

2 De la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1980, la formation des acteurs de l'agriculture a connu de profondes transformations, reflets de celles qui touchaient la société française dans son ensemble et la société rurale en particulier. Le colloque doit permettre d'apporter des éléments de réponses à diverses grandes questions :

3 comment a été assurée la diffusion des connaissances agronomiques et des innovations dans cette période de reconstruction et de modernisation accélérée de l'agriculture ? 4 quelles raisons ont empêché toute réforme de l'enseignement technique agricole entre 1945 et 1960 alors que les différents partenaires souhaitaient des changements et que l'enseignement supérieur connaissaient des évolutions ? 5 comment a été préparée et mise en œuvre la loi du 2 août 1960 qui a créé l'enseignement agricole moderne ? 6 comment se sont articulées la politique d'enseignement agricole, la politique agricole et la politique éducative en ces débuts de la Cinquième République ? 7 quel bilan peut-on faire de cette réforme à la veille des lois de 1984 ?

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8 Une attention particulière sera portée aux spécificités de l'enseignement agricole : place des ingénieurs-formateurs, éducation socioculturelle, place de l'alternance entre enseignement scolaire et pratique, articulation formation scolaire/formation d'adultes, importance de l'enseignement privé, etc. On examinera également les conditions du pilotage et de l'évaluation de cette politique d'enseignement agricole.

Programme provisoire

mardi 27 novembre 9 9h30-10h00 - Arrivée des participants

10 10h00-10h45 - Accueil par le Directeur de l'ENESAD

11 Introduction par Michel BOULET

12 10h 45-11h45 - De la IVe à la Ve République : l'évolution du rôle de l'État - Conférence, par René RÉMOND 13 11h45-13h00 - 1ère communication : La politique scolaire de 1945 à 1965, par Antoine PROST 14 14h30-15h45 - 2e communication : Les tentatives de réforme de l'enseignement agricole de 1945 à 1958, par Anne-Marie LELORRAIN 15 16h15-17h30 - 3e communication : Évolution de l'agriculture et du monde rural et enseignement agricole, par Louis MALASSIS mercredi 28 novembre 16 8h30-12h30 - Tentative d'évaluation de la loi de 1960 sur l'enseignement et la formation professionnelle agricoles à partir des réflexions des groupes de travail

17 14h30-17h30 - Tentative d'évaluation à partir des réflexion des groupes de travail (suite) 18 17h45-19h00 - La réforme de l'enseignement agricole au Québec en 1960, par Thérèse HAMEL jeudi 29 novembre 19 9h00-10h00 - Éléments d'évaluation de la loi de 1960, synthèse des travaux du mercredi

20 10h15-11h45 - Table ronde avec des professionnels

21 12h00-13h00 - Intervention d'Edgard PISANI

22 14h00-15h30 - Table ronde avec des représentants de l'enseignement agricole public et privé 23 15h30-16h30 - Conférence de clôture : De la loi de 1960 aux lois de 1984, par Michel BOULET

Organisation

24 Le colloque associe communications, témoignages de personnalités ayant été acteurs de cette période et groupes de travail.

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Partenaires

25 ENESAD, Université de Bourgogne, Association d'histoire des sociétés rurales, Association pour l'étude de l'histoire de l'Agriculture au XXe siècle, Conseil national de l'enseignement agricole privé, Union nationale des Maisons familiales rurales d'éducation et d'orientation, Union nationale rurale d'éducation et de promotion.

Dates et lieu

26 27,28 et 29 novembre 2001 à l'ENESA Dijon.

Inscriptions

27 Le programme définitif accompagné d'une fiche d'inscription sera diffusé en septembre. Participation au frais : 150FF (22,9 Euros) ; Étudiants : 100FF (185,3 Euros).

Comité d'organisation

28 Michel Boulet, Thérèse Charmasson, Jean-François Chosson, René Clair, François Clerc, Patrick Gues, Edgar Leblanc, Anne-Marie Lelorrain, Michel Gervais, René Mabit, Raymond Mérillon, Laure Quenouelle, Joseph Radioyes, Annie Ruget, Michel Ruty et Nadine Vivier.

Renseignements

ENESAD, 2 rue des Champs Prévois, BP 87999, 21079 Dijon cedex Michel Boulet : tél. 00 33 (0)3 80 77 26 35 Françoise Clouet : tél. 00 33 (0)3 80 77 25 43 courriel : [email protected]

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Mots-clés : Colloque

Ruralia, 08 | 2001 173

Le temps des sciences humaines, Gaston Roupnel et les années 1930 Colloque international, Dijon, 13-14 décembre 2001. Appel à contribution

Annie Bleton-Ruget

Secrétariat scientifique

1 Annie Bleton-Ruget, Jean-Luc Mayaud, Maryvonne Perrot, Philippe Poirrier; Jean-Pierre Sylvestre, Jean Vigreux, Philip Whalen, Serge Wolikow.

Public visé

2 les spécialistes d'histoire rurale et d'histoire culturelle, les ethnologues et les sociologues de la ruralité, les philosophes des imaginaires du temps.

3 La période de l'entre-deux-guerres marque une étape importante mais particulièrement complexe dans la structuration du champ intellectuel, tout particulièrement dans un domaine en cours de constitution : celui des sciences humaines. L'histoire telle que la pratique alors la revue des Annales, la géographie humaine héritière de Vidal de la Blache, l'ethnographie de la France qui cherche ses marques offrent par la proximité de leurs objets d'étude, mais aussi par la confrontation à laquelle cette proximité donne lieu, un terrain sur lequel éprouver cette complexité, repérer les stratégies de démarcation et apprécier les apports respectifs. 4 Ce domaine de recherche en cours de constitution porte aussi très fortement la marque de son temps dans une attention nouvelle accordée au poids des déterminations sociales, au rapport à l'histoire et à la contemporanéité, à la recherche de nouvelles formes épistémologiques. 5 Dans ce dispositif, les positions respectives de ceux qui ont été les représentants consacrés de ces nouveaux domaines de recherche : Marc Bloch pour l'histoire rurale, Albert Demangeon pour la géographie humaine, André Varagnac pour l'ethnographie

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pour ne prendre que quelques exemples , sont aujourd'hui relativement connues ainsi que les débats, les compétitions et les ruptures qui ont présidé à leur engendrement. La scène est ici nationale et scientifique. 6 Ces tâtonnements autour de sciences humaines naissantes se sont aussi faits à une autre échelle. Plus provinciale, moins scientifiquement revendiquée et moins distanciée par rapport à des contextes sociaux et politiques proches. La personnalité et l'itinéraire de Gaston Roupnel illustre un tel cheminement, à travers une œuvre multiforme qui lui a valu une réputation « d'amateur un peu fantaisiste » selon l'expression de Lucien Febvre. Universitaire auteur de travaux historiques (La ville et la campagne au XVIIe siècle , Histoire de la campagne française), de romans bourguignons (Nono, vigneron de la Côte et Le vieux Garain), et d'essais métaphysiques ou historiographiques (Siloë et Histoire et Destin), Gaston Roupnel est aussi journaliste pour la Dépêche de Toulouse et vigneron de la Côte bourguignonne. Il fréquente la société provinciale de son temps, rencontre dans sa Bourgogne natale, à travers ses activités multiples, les interrogations de ses contemporains. Il participe aux débats savants, ou moins savants, comme celui autour des campagnes et de la ruralité, exprime aussi les inquiétudes sociales qui sont celles d'un contexte de crise, et participe à leur expression dans ses réflexions sur le sens de l'histoire, les modes de rapport au temps et à la connaissance. 7 Des travaux récents sur les années 1930, comme ceux de Shanny Perr, ont montré comment ont circulé de manière complexe, autour du régionalisme, du folklore et des images de la France rurale, tout à la fois des représentations savantes et des produits du sens commun qui répondaient aux inquiétudes du temps. Ils permettent aujourd'hui de retravailler les images de Gaston Roupnel régionaliste bourguignon et ethnographe des traditions provinciales. Ils sont aussi l'occasion de reprendre, sous une autre perspective, l'examen de l'héritage de Gaston Roupnel alors que se sont effacés après la Seconde Guerre mondiale les aspects qui pouvaient paraître les plus marqués par la conjoncture des années trente. L'exemple de l'histoire rurale en fournit le prétexte à travers la prise en compte des rééditions auxquelles ont donné lieu La ville et la campagne au XVIIe siècle et l'Histoire des campagnes françaises, dans des conjonctures historiques et historiographiques qui n'étaient plus celles du temps de leur écriture. 8 L'intérêt, aujourd'hui, d'une relecture scientifique de l'itinéraire et l'œuvre de Gaston Roupnel travail déjà ouvert par les recherches d'un jeune chercheur américain est d'essayer d'approfondir les modalités de circulation de ces représentations mixtes qui participent à la fois de l'entreprise savante et des productions du sens commun, d'inventorier les lieux où elles s'engendrent, et de tenter d'appréhender l'importance qu'elles ont pu avoir dans les adhésions individuelles à des choix idéologiques parfois opposés. 9 Au carrefour de ce triple registre : productions savantes, esprit du temps et héritage, les travaux du colloque se développeront autour de trois thématiques : 10 - Histoire rurale et ruralisme

11 - Ethnologie et traditions

12 - Temps et histoire

13 Chacune de ces thématiques sera organisée autour de la prise en compte de productions historiques, ethnographiques ou philosophiques de Gaston Roupnel. Leur analyse, leur confrontation avec d'autres productions proches, l'examen de leurs

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conditions de production devront permettre d'élucider les mécanismes de glissement et de circulation entre les différents registres et mesurer l'importance de leurs effets.

Contacts

Lilian Vincendeau Annie Bleton-Ruget Institut d'histoire contemporaine Université de Bourgogne UFR de Sciences humaines UFR de Sciences humaines 2, boulevard Gabriel, 21000 Dijon 2, boulevard Gabriel, 21000 Dijon tél. : 00 33 (0)3 80 39 57 58 courriel : fax : 00 33 (0)3 80 39 57 17 [email protected] courriel : [email protected]

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Mots-clés : Colloque

Ruralia, 08 | 2001 176

Le jeu des solidarités rurales et urbaines : influences, interférences, contradictions Colloque de Lyon, 17-18 janvier 2002. Appel à contribution

Pierre Guillaume, Jean-Paul Jourdan, Corinne Marache et Jean-Luc Mayaud

1 Dans le cadre de la collaboration entre la Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine (Contrat quadriennal « Les solidarités » sous la responsabilité de Pierre Guillaume 1) et l'Équipe « Sociétés rurales européennes contemporaines » (axe de l'UMR 5599 CNRS- Université Lyon 2, responsable Jean-Luc Mayaud), un colloque sera organisé à Lyon les 17 et 18 janvier 2002 sur le thème du « Jeu des solidarités rurales et urbaines : influences, interférences, contradictions ».

2 L'objectif est de repérer en quoi les unes ont pu être les modèles pour les autres, de déceler des adaptations, des réapropriations. Alors même que la période contemporaine, voire très contemporaine, peut paraître privilégiée, avec apport espéré des autres sciences sociales, il est souhaité qu'on ne s'y enferme pas. L'étude des survivances, dans bien des cas aussi intéressantes que les innovations, suppose un ancrage dans le long terme. Cet appel à contribution est largement inspiré des réflexions sur la société française, mais il se veut également appel à des ouvertures sur l'étranger. 3 Le point de départ qui semble s'imposer est une tentative de définition de ce qui, dans ce domaine des solidarités, appartient au rural et de ce qui appartient à l'urbain. La démarche est difficile dans la mesure où il y a, de toute évidence de profondes mutations au cours du temps, où le rural et l'urbain d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier et où l'on peut poser comme hypothèse que l'un ou l'autre ou l'un et l'autre n'ont cessé de donner naissance à des formes de solidarité. 4 On peut admettre, avec une approximation qui n'échappera à personne, que le rural est porteur d'héritage, l'urbain d'innovation, tout en disant d'emblée que la ville n'exclut pas l'héritage et que le rural est susceptible d'innovation. On peut aussi admettre, tout

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aussi grossièrement, que le monde rural fait la part belle à l'enracinement, tandis que le monde urbain est celui d'une mobilité beaucoup plus grande, sans oublier pour autant ce que peuvent générer certaines formes de mobilité connues du monde rural et ce que peut signifier l'enracinement dans les sociétés urbaines. Ce sont ces similitudes, souvent masquées par les différences affirmées, qui peuvent expliquer le succès de certaines transpositions. 5 Enfin, on souhaite s'interroger sur cette dualité qui fait du même individu un homme de la ville par son métier, son domicile, et un homme de la campagne, hier par ses attaches familiales, aujourd'hui par choix de ses loisirs. Le même individu peut être acteur dans le cadre de solidarités urbaines et dans le cadre de solidarités rurales, militant au sein d'un syndicat ouvrier dans son entreprise urbaine, chasseur du dimanche et responsable dans la société de chasse de son village d'origine ou d'élection. 6 En posant, comme hypothèse de départ, que le monde rural est porteur d'enracinement et d'héritage, on peut s'essayer à un inventaire des formes propres de solidarité qu'il propose. La paroisse apparaît comme le cadre même des solidarités en milieu rural, l'Église comme la puissance structurante. Les solidarités de voisinage jouent aussi, semble-t-il un grand rôle et interférent avec les solidarités familiales comme ont pu le suggérer les travaux de Vincent Gourdon. Le partage des tâches, notamment des grands travaux saisonniers, lié ou non à un usage collectif du terroir, suscite aussi des solidarités. Toutes ces pratiques engendrant solidarités sont évidemment aussi sources d'exclusions, d'antagonismes, voir de conflits violents. 7 Ont-elles été les modèles ou, de façon plus floue, les antécédents de solidarités urbaines ? 8 On n'échappera pas à une interrogation sur les mutations de la famille même si l'on sait que la famille-souche rurale est une vue de l'esprit leplaysienne et si l'on sait également que la famille nucléaire était largement prédominante dans les campagnes de la France d'Ancien Régime. 9 La paroisse urbaine reproduit-elle le modèle de la paroisse rurale, avec, toujours, ces interrogations nécessaires: où dans l'espace ? Quand dans le temps ? Mêmes questions pour voisinage rural et voisinage urbain et, par delà, esprit de clocher et esprit de quartier, pour autant qu'ils existent. 10 Les solidarités nées des pratiques professionnelles, sur lesquelles Michel Pigenet a attiré l'attention, sont-elles parentes des solidarités « de travaux » en milieu rural ou en quoi s'en différencient-elles ? 11 La ville porteuse d'innovation : ce n'est guère renouveler le débat que d'avancer que les solidarités cherchant à traduire des intérêts de classes se sont affirmées en ville. Le syndicalisme et, avant lui, les diverses formes d'organisation corporative sont nés en ville. Quelles transpositions en ont-elles été faites en milieu rural ? Transposition simple lorsqu'il y a eu organisation des salariés agricoles voire des métayers, transpositions très détournées lorsque entre aussi en jeu la défense de la propriété, fut- elle parcellaire. 12 Toutes les solidarités ne découlent évidemment pas des impératifs de la lutte des classes, même si celle-ci ne doit pas être reléguée dans les oubliettes de l'histoire sociale. Ainsi, en milieu rural on a volontiers évoqué la fameuse alliance du château et de la chaumière. Le paternalisme patronal s'est-il bâti sur un modèle proche ? Quels

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sont les rapports entre l'identification au village et l'identification à l'entreprise ? (et on converge ici avec les interrogations sur « la conscience de place »). 13 Les interférences entre solidarités rurales et solidarités urbaines ne peuvent se ramener uniquement à ces symbioses spontanées. Il y a eu d'innombrables exemples d'efforts parfaitement conscients chez les acteurs et/ou chez les autorités de tutelle pour répandre des pratiques, comme pour cultiver des fidélités. On en proposera ici deux exemples. 14 Par le décret du 26 mars 1852, le Second Empire cherche à généraliser dans les campagnes, avec pour cadre le village, les sociétés de secours mutuels qui sont d'origine urbaine (travaux de C. Duprat, M. Dreyfus, P. Guillaume ). Ultérieurement, c'est le mouvement coopératif qui s'étend sur les campagnes, coopératives de consommation (boulangeries, boucheries, épiceries coopératives) puis coopératives de production (laitières, viticoles) et de crédit. 15 Bien orchestrée à la fin du XIXe siècle, la création, en milieu urbain, d'associations régionales ou locales (et il n'y a pas que les Auvergnats de Paris), a bénéficié de la liberté d'association apportée par la République avant de bénéficier de la loi de 1901 dont les incidences ne peuvent manquer de retenir l'attention. On y cultive tout à la fois les nostalgies folklorisées et l'entraide, l'accueil aux nouveaux venus, avec, parfois, des formes très poussées d'endogamie. Il y a bien des exemples d'instrumentalisation des solidarités par les acteurs, au service de leurs stratégies personnelles (clientèles ou électorats construits sur l'affirmation de solidarités d'origine). 16 Il est évident également que les partis politiques comme les mouvements divers (ligues dans les années 1930, UDCA, CID-UNATI, etc.) nés en milieu urbain, ont pu être transposés en milieu rural. L'étude des sociétés de pensée et des cercles peut suggérer ici bien des réflexions. 17 Les activités de loisir enfin, qui créent des solidarités très fortes, qui contribuent de plus en plus largement à l'identité d'un lieu et de sa population, sont nées de pratiques qui, à l'origine, étaient soit urbaines soit rurales. Il en est ainsi des structures sportives, patronages, sociétés de gymnastique et de tir, clubs spécialisés ou multisports, qui relèvent à l'origine de modèles urbains. Il en est également ainsi des sociétés de pêche et de chasse qui sont souvent des éléments essentiels des solidarités rurales, au moins masculines, mais qui ne veulent pas ou ne peuvent pas toujours se défendre aujourd'hui d'un envahissement par les néo-ruraux ou par les ex-ruraux urbanisés. Ainsi a-t-on pu voir que les problèmes de pêches et chasses traditionnelles en Médoc ou en Baie de Somme avaient pris une dimension nouvelle avec la concurrence entre autochtones et étrangers aux terroirs concernés. 18 On peut espérer que cette recherche ne concluera pas à une simple banalisation des pratiques mais à un enrichissement réciproque avec, indubitablement, passage d'un âge où les modèles ruraux intéressaient le plus grand nombre à un âge où, progressivement, la ville répand les siens sans exclure les adaptations significatives.

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Contacts

Corinne Marache Jean-Luc Mayaud Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine Institut des sciences de l'homme Domaine universitaire 14, avenue Berthelot 10, esplanade des Antilles 69363 Lyon cedex 07 33607 Pessac cedex tél. : 00 33 (0)4 72 72 64 34 tél. : 00 33 (0)5 56 84 45 72 fax : 00 33 (0)4 72 72 64 34 fax : 00 33 (0)5 56 84 68 10 courriel : courriel : [email protected] [email protected]

NOTES

1. Pierre GUILLAUME [dir.], Les solidarités. Le lien social dans tous ses états. Colloque de Bordeaux, 16-17 juin 2000, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2001, 509 p.

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Mots-clés : Colloque

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Thèses ruralistes

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Les campagnes françaises de l'agriculture à l'environnement (1945-2000). Politiques publiques, dynamiques sociales et enjeux territoriaux Thèse pour le doctorat en sociologie sous la direction de Bertrand Hervieu, Institut d'études politiques de Paris, 2 volumes, 465 f°, 22 juin 2001, jury constitué de Bertrand Hervieu, Philippe Lacombe (rapporteur), Jean-Luc Mayaud (rapporteur), Eduardo Moyano et Pierre Muller (Président), mention très honorable et félicitations du jury à l'unanimité.

Pierre Alphandery

1 Cette thèse, écrite à un âge quelque peu avancé, m'a conduit à opérer un retour réflexif sur près de 25 années de recherches qui explorent 50 années de transformations de l'agriculture et de l'espace rural. Mon parcours épouse de ce fait une grande partie des thèmes qui ont jalonné la sociologie rurale. Très attaché au travail de terrain, mon questionnement est cependant resté toujours en prise sur des enjeux sociaux globaux. Préoccupation très précoce au demeurant. Car j'appartiens à une génération marquée par le marxisme et entrée dans le monde de la recherche à une époque, 1975, où on ne pouvait traiter de l'agriculture et de la ruralité sans se référer au fonctionnement de la société dans son ensemble. Au GRS dirigé par Henri Mendras et Marcel Jollivet où je préparais un DEA, on traitait des collectivités rurales en s'intéressant aux conflits de classe qui les traversaient. À l'INRA, en particulier au passage Tenaille où je me suis fixé et formé sous la direction de Pierre Coulomb, Henri Nallet et Claude Servolin, on abordait l'agriculture en discutant de la nature de l'exploitation du travail paysan. Les débats étaient virulents entre les équipes et parfois déconcertants pour l'apprenti chercheur hors-statut que j'étais. Cette atmosphère, très différente de celle d'aujourd'hui, a néanmoins constitué pour moi un excellent terreau. Peut-être faut-il

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aussi considérer que mon origine urbaine représentait un atout, puisqu'elle me plaçait dans une position d'extériorité à mes objets de recherche très recommandée par Le métier de sociologue, livre qui faisait alors référence.

2 À cette époque, la rédaction d'une thèse n'était pas la condition d'une carrière de chercheur à l'INRA. Absorbé par les débats politiques, ce travail n'a pas constitué une priorité pour moi. Je n'ai mesuré que bien plus tard les conséquences de ce choix lorsque, dans un tout autre contexte, j'ai voulu passer des concours. Quoi qu'il en soit, le caractère tardif de cette thèse présente l'avantage de me conférer un recul qui s'est avéré précieux. L'objectif de ma thèse est en effet de contribuer à penser un changement d'époque qui voit émerger une redéfinition de l'agriculture et de nouveaux usages d'un espace rural de plus en plus considéré en fonction de ses dimensions environnementales. Comme il ne saurait être question de résumer ce travail, je voudrais à présent insister sur quelques points essentiels. 3 1 L'idée même de changement d'époque ne prend sens, dans ma démarche sociologique, qu'envisagée dans une perspective historique, c'est-à-dire « comme tentative d'écriture du “présent comme histoire“ », pour reprendre la belle formule de Paul Sweezy rappelée par C. Wright Mills dans L'imagination sociologique. 4 J'ai largement illustré l'importance de cette dimension historique dans mes recherches portant sur la politique agricole française. Avec d'autres chercheurs, je me suis attaché à reconstituer, année par année, de 1945 à 1984, les dépenses agricoles de l'État, en partant des pages jaunies d`un Journal officiel qui n'était pas alors disponible « en ligne ». Nous avons mis ces dépenses en relation avec leur contexte et avec l'ensemble des débats concernant l'agriculture, ce qui nous a permis d'identifier et de caractériser les grandes périodes de la politique agricole. Nous avons pu ainsi montrer que, contrairement à de nombreuses assertions, la IVe République avait produit une véritable politique de modernisation qui a servi de socle aux mesures prises par la suite pendant la Ve République. C'est pendant la IVe République que la volonté d'en finir avec les pratiques paysannes identifiées par les modernisateurs aux faiblesses de la IIIe République et l'objectif de transformer l'agriculture en secteur économique à part entière se sont faits jour. Et c'est dans l'après-guerre qu'émerge une conception volontariste du développement de l'agriculture, qui va fonder le dispositif d'ensemble concourant jusqu'à aujourd'hui à la rationalisation de l'agriculture. 5 Cette histoire n'est pas linéaire et mon travail, fondé également sur des enquêtes de terrain départementales ou consacrées à la production du jeune bovin, en montre toute la complexité et le caractère syncrétique. Elle a eu ses figures hors du commun. J'ai une pensée particulière pour René Dumont qui vient de mourir et qui fut d'abord un modernisateur planiste enthousiaste avant de prendre ultérieurement ses distances avec un processus dont il critiquait la dimension radicale : l'avènement d'un entrepreneur essentiellement tourné vers la performance technico-économique. 6 Mais cette histoire de la rationalisation de l'agriculture apporte aussi des éléments importants pour comprendre et caractériser le changement spectaculaire qui semble s'opérer en France depuis quelques années. Car aujourd'hui, même la FNSEA, pilier historique du système de cogestion de la politique agricole, convient de la profondeur des transformations en cours. Citons par exemple les propos de son secrétaire général adjoint au congrès d'avril 2001 : « Pour la majorité de nos concitoyens, les crises successives, largement relayées par les médias, sont le résultat d'une agriculture

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intensive et productiviste. Conjuguées à l'impact de l'agriculture sur l'environnement, ces crises participent d'une remise en cause de notre modèle agricole et alimentaire ». 7 2 Le deuxième point sur lequel je voudrais insister est que cette critique d'un modèle agricole, qu'on qualifie souvent de productiviste, pour spectaculaire qu'elle soit aujourd'hui, n'est pas si récente que cela. Ici encore, la mise en perspective historique permet de comprendre pourquoi le terme de paysan, après s'être trouvé disqualifié, est à nouveau valorisé. Comment il est à présent associé à la vitalité des campagnes ainsi qu'à la défense de leur diversité culturelle et environnementale. Ce retournement, s'il a été accéléré par les événements récents (et notamment la crise de la vache folle), comporte une origine plus ancienne qu'explore ma thèse. 8 Mon travail montre en effet que, depuis une vingtaine d'années, une mouvance dont l'importance a été croissante a fait valoir que l'apport des exploitations agricoles ne résidait pas seulement dans les quantités de marchandises mises sur le marché. Pour les défenseurs de cette conception qui n'avaient pas leur place au sein de la cogestion, les exploitations constituent également une composante importante du tissu social local et un facteur décisif de l'entretien du milieu physique. Confronté à la très rapide concentration des exploitations et à toutes ses conséquences, ce courant aux contours mouvants a élaboré une critique sociale des formes prises par la modernisation. On ne s'étonnera pas qu'elle ait été très souvent associée à une réflexion et à des expériences portant sur le développement local rural. 9 Au cours des années 1980, j'ai analysé ce phénomène dans une série de communes du département de la Manche comme la manifestation d'une capacité d'adaptation réactive de collectivités menacées par l'exode rural et de moins en moins en mesure d'assurer l'entretien d'un milieu naturel composé de bocage et de marais. Le mélange complexe de recherche de racines locales et d'ouverture au monde qui caractérisait le développement local m'a semblé justifier le « détour anthropologique » préconisé par Georges Balandier dans son analyse de la modernité. Selon ce dernier, « l'anthropologie rappelle que la modernité ne ravage pas tout ce qui lui est antérieur, qu'elle produit des ruptures et manifeste des impossibilités, mais ne parvient jamais à éliminer entièrement ce que le passé à stocké ou mis en mémoire au sens informatique de cette expression » 1. L'idée que la tradition poursuivait son travail dans le champ de la modernité, l'une et l'autre se trouvant en constante interaction, m'a paru constituer un bon analyseur des initiatives d'un développement local qui multipliait les références aux solidarités de proximité. 10 Au centre de cette dynamique se trouvaient des agriculteurs dont l'action s'avérait fondamentale. Leurs pratiques illustraient la complexité du fonctionnement d'exploitations où se trouvaient imbriquées différentes formes de l'activité économique : la réciprocité qui relève de l'échange non marchand, la redistribution qui relève des aides issues des pouvoirs publics et, enfin, le marché. Les enquêtes que j'ai menées avec d'autres chercheurs m'ont permis d'établir que ces agriculteurs n'intensifiaient pas leur production au maximum de leur possibilité, par choix, et non par incapacité technique. Nullement archaïques, ils privilégiaient la reproduction de leur exploitation dans le cadre du maintien d'un tissu social vivant et s'opposaient ainsi à une rationalité purement productiviste. Nous avons appelé ces agriculteurs « intermédiaires » parce qu'ils échappaient à toute analyse dualiste opposant la tradition à la modernité et manifestaient le fait que d'autres formes de rationalités avaient cheminé à côté de celles des modèles de développement dominants.

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11 C'est donc en partant d'enquêtes de terrain que j'ai été peu à peu conduit à penser que la modernité n'abolissait ni la diversité des pratiques ni la pluralité des valeurs exprimées par les exploitants. Plus encore, les conceptions et les pratiques des agriculteurs « intermédiaires » me sont apparues essentielles pour la pérennité de la vie sociale de nombreuses communes rurales et pour l'entretien de leur milieu physique. C'est pourquoi, le projet d'agriculture paysanne présenté par la Confédération paysanne ne m'a pas paru archaïque, mais porteur de questions tout à fait importantes et contemporaines. En prenant au sérieux les propositions d'un syndicat longtemps tenu à l'écart par les décideurs, je suis resté fidèle à mon idée du rôle du sociologue attentif aux dynamiques de recomposition sociale. Cette position est, je le crois, tout à fait compatible avec la rigueur du travail de recherche. 12 3 La reconnaissance des diverses dimensions d'une exploitation agricole est aujourd'hui au cœur de la redéfinition des fonctions de l'agriculture que formule ainsi la LOA de 1999 : « La politique agricole prend en compte les fonctions économiques, environnementales et sociales de l'agriculture et participe à l'aménagement du territoire, en vue d'un développement durable ». Je voudrais à présent souligner combien l'émergence des dimensions environnementales et territoriales rend la redéfinition de l'agriculture indissociable des processus de transformation qui affectent les campagnes et les usages de l'espace rural. 13 Le territoire et les paysages que l'agriculture a contribué à façonner ou à défaire sont aujourd'hui réappropriés par d'autres catégories sociales qui en font une dimension essentielle de leur relation à l'espace rural. Moins agricole, mais de plus en plus habitée et visitée, la campagne française constitue un espace hétérogène où la notion d'environnement renvoie à des questions aussi diverses que le risque, le rapport à la nature ou encore le cadre de vie. Ces questions peuvent être rapportées à des éléments d'ordre biophysique mais aussi à des manières d'habiter les lieux ou d'en définir la singularité. Jamais, notent de nombreux anthropologues, la production et la mise en scène du patrimoine rural n'ont été autant mobilisées pour donner à voir et promouvoir la diversité. Cette dynamique contribue à la fabrication d'identités collectives, marque des liens aux lieux et constitue un élément central des modes d'appropriation de l'espace qui déterminent la production des territoires 2. 14 Ce processus est évidemment inégal suivant les lieux, mais il touche une grande partie de l'espace rural dans lequel les interventions publiques viennent marquer ce qu'il convient de sauvegarder : patrimoine, paysage, milieux naturels, espèces, etc. J'ai étudié cette dynamique dans les marais de l'isthme du Cotentin au sein duquel s'est constitué un PNR qui a pris une place importante. Je l'ai aussi étudiée dans une petite région de l'Yonne, la Puisaye, où la construction d'un « pays » à partir de critères environnementaux s'avère beaucoup plus problématique. Cette délimitation de territoires à partir de leurs qualités naturelles produit en effet des conflits au cours desquels s'affrontent des conceptions différentes de la perception d'un espace et des usages possibles des lieux. 15 Quoi qu'il en soit, le regard porté sur l'activité des exploitations se modifie. Ces dernières sont désormais appelées non seulement à ne plus polluer l'environnement mais aussi à contribuer à la diversité esthétique, culturelle, biologique et sociale d'un espace rural en pleine transformation. Comment seront-elles capables d'accomplir ces missions alors que les résultats du dernier RGA illustrent la rapidité de la diminution du nombre des exploitations et la croissance permanente de leur taille ?

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16 Cette question ne saurait trouver de réponse en dehors de l'intervention publique. Mais la politique agricole française se trouve à présent dans une situation paradoxale. Les modalités de la distribution des aides constituent un enjeu essentiel pour concrétiser la notion de multifonctionnalité de l'agriculture. Dans le même temps, le débat sur la politique agricole associe de plus en plus d'acteurs, elle se discute sur des « scènes » de plus en plus diverses (locale, nationale, européenne, mondiale) et à travers le prisme de nombreux thèmes : risques, développement durable, santé publique, territoires, environnement et globalisation. Aucun modèle de développement de l'agriculture ou référentiel ne semble pouvoir unifier une profession divisée dont les « cadres d'interprétation du monde » divergent et dont les interlocuteurs ne se résument plus au ministère de l'Agriculture. Ce dernier, de plus, doit affronter un thème nouveau pour lui, la gestion des risques, chapitre qui se réduisait aux temps décidément lointains de la modernisation au Fonds de gestion des calamités agricoles. À la certitude du progrès se substitue l'incertitude de la société du risque. 17 4 Enfin, les questions environnementales font émerger un nouveau découpage des problèmes qui marque aussi un changement d'époque. Ce sera là mon dernier point. 18 On trouve dans ma thèse une analyse locale et nationale des MAE qui constituèrent, au début des années 1990, une expérience qu'ont prolongée et élargie les CTE. On y trouve aussi une analyse de la mise en œuvre par le MATE de la directive européenne Habitats, consacrée à la conservation de la nature et objet de controverses multiples. Ces actions publiques ont présenté la caractéristique de tenter de lier des domaines qui se trouvaient auparavant séparés : l'économie et l'environnement, la gestion écologique et l'activité humaine, l'agriculture et la conservation de la nature. Ce faisant, on demande aux exploitants de faire une agriculture de zones humides ou de montagnes pour favoriser des habitats naturels ou des espèces. Dans ce cadre, les animaux d'élevage, avant d'être destinés à la production doivent participer au maintien de milieux ouverts. On demande aussi aux naturalistes d'investir des savoirs souvent incertains dans la gestion de territoires et de confronter ainsi leurs connaissances à celles d'autres acteurs. Ces derniers, à l'inverse, ont appris à défendre la légitimité de leurs usages en intégrant les notions des écologues. Les chasseurs parlent ainsi volontiers en termes de gestion des populations de gibier. 19 La conservation de la nature met donc en rapport des acteurs qui s'ignoraient. J'ai pu étudier en Bourgogne toute la difficulté de cette entreprise, menée sous la responsabilité du MATE, qui rassemble notamment des élus locaux, des agriculteurs, des chasseurs, des forestiers et des naturalistes amateurs ou professionnels. Le nombre de réunions nécessaires à la réalisation de cet objectif est considérable tout comme la lourdeur du dispositif qui en résulte. Celui-ci met en place des instruments de connaissance, de discussion et de décision par lesquels se négocie l'élaboration des objectifs et des normes. L'action collective s'institutionnalise à travers des formes de concertation spécialisées plus ou moins durables multipliant l'élaboration de procédures contractuelles. 20 D'où vient alors la persistance de la multiplication des conflits d'usage dans l'espace rural ? L'application chaotique de la DH, à laquelle continue de s'opposer violemment une partie des chasseurs, en a donné un exemple frappant. Manifestement, les procédures de gestion et de négociation ne peuvent suffire à résoudre les conflits lorsqu'ils renvoient à des conceptions par trop divergentes. Pour de nombreux acteurs, les politiques environnementales issues de la « technocratie bruxelloise » ou d'une

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vision « urbaine » de la nature ne sont porteuses que d'une rationalisation scientifique et écologique accrue et contribuent à quadriller les territoires par un surcroît de normes. 21 Ainsi ces politiques mettent-elles en jeu la redéfinition de la légitimité de la place et des pratiques de ceux qui revendiquent un rapport à la nature. Et cette redéfinition s'opère non seulement sur le terrain local mais aussi à travers la façon dont l'ensemble des composantes de la société française se représentent « leurs » campagnes. La tension qui en résulte aujourd'hui se manifeste par le fait que les positions des uns sont disqualifiées comme archaïques et que celles des autres sont stigmatisées comme émanant d'étrangers au monde rural. 22 L'une des questions posées par les politiques de l'environnement peut donc s'énoncer ainsi : que conserve-t-on et au nom de quoi ? Le sociologue y trouve un riche terrain d'analyse dont les enjeux se révèlent considérables. Ils concernent en effet les modalités du « vivre ensemble » dans les campagnes, mais touchent aussi à des questions concernant les formes de la représentation politique. Les politiques de conservation de la nature présentent en effet la caractéristique de « délocaliser » les questions locales en liant la gestion de la nature à des prescriptions nationales, européennes et mondiales. Ce ne sont donc pas seulement des usages de l'espace qui sont mis en cause, mais aussi les fonctions politiques respectives du local, de l'État nation et de l'Union Européenne qui sont en jeu. Ma thèse apporte un début d'éclairage à ces questions très vastes. Elle montre comment, dans les dimensions que j'ai abordées, l'environnement sert aujourd'hui de révélateur au processus de recomposition que connaissent les campagnes françaises dont les territoires se trouvent pris entre identité et gestion, entre local et global.

NOTES

1. Georges BALANDIER, Le détour. Pouvoir et modernité, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1985, pp. 16-17. 2. « Le territoire est une œuvre humaine. Il est un espace approprié. Approprié se lit dans les deux sens : propre à soi et propre à quelque chose. Il est la base géographique de l'existence sociale ». Roger BRUNET, Le territoire dans les turbulences, Paris, Reclus, 1991, p. 23.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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Les pêcheurs des Provinces maritimes du Canada face aux fluctuations des ressources halieutiques. Cas de la Lobster bay (Nouvelle-Écosse) et du comté de Charlotte (Nouveau-Brunswick) Thèse de doctorat de géographie sous la direction de François Carré (Université Paris IV) et Douglas Day (St Mary's University, Halifax), Université Paris IV-Sorbonne, 155 f°, soutenue le 8 juin 2001 devant un jury composé de Loïc Antoine, François Carré, Jean Chaussade, Jean- Pierre Corlay et Douglas Day, mention très honorable avec les félicitations du jury.

Clotilde Bodiguel

1 Quelles sont les réponses des pêcheurs des Provinces Maritimes canadiennes aux variations d'abondance des ressources halieutiques ? Selon quels principes conducteurs sont-elles coordonnées ? Dans un contexte d'intervention croissante de l'État fédéral dans la gestion des pêches, comment ont-elles évolué au cours des trente dernières années ? Telles sont les interrogations qui ont guidé cette recherche, menée à partir de l'étude des cas de la Lobster bay (Nouvelle-Écosse) et du comté de Charlotte (Nouveau- Brunswick).

2 Les pêcheurs isolent les variations qui relèvent de l'abondance de celles qui dépendent de la disponibilité des ressources, c'est-à-dire de la vulnérabilité et de l'accessibilité de l'espèce-cible à leur unité de pêche. Cette distinction existe alors même que leur appréhension objective de l'abondance est très floue. C'est le problème même de la perception : un individu qui regarde de sa chaise un objet sur une table, l'identifiera immédiatement comme étant, par exemple, un cube même s'il ne peut objectivement

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voir qu'une face complète, partiellement une autre, un angle et des arêtes. Le pêcheur reproduit ce processus à partir de ses prises et d'informations incomplètes sur celles des autres, tout en tenant compte du fait que celles-ci ne reflètent pas uniquement l'abondance. 3 Dans les Provinces maritimes, ce phénomène de reconstruction du tout à partir d'éléments très incomplets est encore amplifié par la fragmentation de l'espace halieutique et par la nature du savoir écologique local. L'extrême division de l'espace halieutique, en unités multiples et relativement imperméables, accroît la relativité des données dont le pêcheur dispose pour évaluer l'état de la ressource. Elle est liée au découpage administratif des eaux marines en zones de pêches et à l'appropriation des pêcheries par flottes, ports ou communautés. Le savoir écologique local, acquis par la pratique, agit dans le même sens. Il porte essentiellement sur la connaissance des facteurs de disponibilité des ressources, à court et moyen termes. Le pêcheur se tourne en priorité vers ce savoir pour expliquer une variation des prises avant d'envisager un possible changement d'abondance dont il a plus de difficultés à distinguer les signes. Au final, il n'identifie comme fluctuation de stock que des tendances lourdes s'étalant sur plusieurs années au moins ; les modifications d'abondance légères ou brèves sont noyées sous le « bruit », à court terme très puissant, des autres sources de fluctuations des prises. 4 L'attribution d'une modification des prises à un changement de disponibilité ou d'abondance de la ressource amène le pêcheur à développer des réponses de nature différente ; il distingue en effet clairement les deux problèmes. Les baisses de disponibilité des ressources peuvent être atténuées par la compétence du patron- pêcheur et de son équipage ; même s'ils ne peuvent agir sur la source, ils connaissent souvent ou devinent les processus qui sont à l'origine de ces changements et s'adaptent en conséquence. L'explication qu'ils donnent des causes de variations à court et moyen termes est d'ailleurs issue de leur pratique et d'un savoir écologique local très précis ; leurs réponses à ces événements sont donc fondées sur des certitudes ou, tout au moins, sur des connaissances. 5 Lorsque les facteurs de disponibilité des ressources ne suffisent plus à expliquer une modification durable des prises, les pêcheurs se tournent alors vers les changements d'abondance comme facteur explicatif. La perception de l'abondance à travers les prises et l'information externe est, nous l'avons vu, très limitée également. Les représentations des variations d'abondance sont d'ailleurs, dans leurs propos, généralement fondées sur des connaissances générales du cycle de la vie chez les humains ou chez d'autres animaux terrestres, et non sur la pratique des pêches ou sur le savoir écologique local. Cette incertitude majeure dans l'identification de ces phénomènes n'est pas suppléée par l'intégration de sources extérieures, comme celles que pourraient fournir les biologistes. L'appréhension et la compréhension des variations d'abondance sortent ainsi largement du cadre des compétences du pêcheur qui adopte donc devant cette éventualité une attitude d'observation vigilante. 6 Les périodes de transition dans l'abondance d'un stock, si cruciales dans la gestion des pêches, posent ainsi un problème spécifique, où peuvent se heurter la perception du biologiste ou du gestionnaire et celle de l'exploitant. Les pêcheurs acceptent l'incertitude, liée à l'abondance, et se positionnent donc dans une sorte d'attente raisonnée et vigilante ; les biologistes et les gestionnaires, même s'ils ne sont pas sûrs de leurs données, tentent d'anticiper l'événement pour l'empêcher ou tout au moins en

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minimiser les manifestations. Ces attitudes antinomiques s'affrontent nécessairement lorsque, dans un tel cas de figure, l'instance gestionnaire tente de faire passer de nouveaux règlements restrictifs. 7 Cette analyse m'a amenée à proposer le concept de « principe d'opportunité » pour expliquer les stratégies des pêcheurs face à l'incertitude générée par les variations d'abondance. Ce principe, qui relève du système des finalités, repose sur la conscience que les pêcheurs ont de leur faible possibilité d'anticipation des variations d'abondance et sur la certitude que celles-ci vont affecter leur activité ; il fonde ainsi une attitude d'ouverture et de flexibilité qui, seule, peut permettre de faire face à la perspective d'événements attendus mais non prévisibles. Les réponses développées par les pêcheurs face aux fluctuations d'abondance dans la Lobster bay et le comté de Charlotte, des années 1950 aux années 1990, témoignent de la réalité de ce principe et de son efficacité. 8 La mise en pratique du principe d'opportunité s'exprime aux trois échelles : le court, le moyen et le long termes. À court terme, elle est souvent liée aux liens d'inter- connaissance, caractéristiques des communautés dans lesquelles vivent les pêcheurs : l'opportunité d'un travail ou d'un investissement surgit souvent par l'entremise d'un voisin, d'un ami ou d'un membre de la famille ; son refus est rare et la décision est presque toujours prise en moins de 48 heures. Cette approche reflète une certaine conception des risques et des bénéfices dans une société où la hiérarchie s'exprime à travers la réussite en mer. Les highliners, en tête de leur communauté, sont toujours ceux qui ont pris des risques : celui d'explorer des pêcheries vierges, d'exploiter des espèces encore peu connues ou rentables, d'innover techniquement ou tout simplement d'avoir su tirer parti d'être au bon endroit au bon moment. Ils ne sont donc pas seulement les meilleurs pêcheurs en terme de compétence ; ils sont également ceux qui tirent le maximum de bénéfices de leur rapidité de réaction face à l'apparition d'une nouvelle opportunité. 9 À moyen terme, le principe d'opportunité s'exprime à travers les mécanismes d'adaptation aux fluctuations prolongées des prises. Les mécanismes identifiés à travers les exemples californien, péruvien, chilien, ivoirien et philippin sont également présents dans le cas canadien, ce qui tend à montrer que leur nombre et leur nature varient peu, même si, dans le détail, leurs conditions de mise en place et leurs caractéristiques précises diffèrent. Ainsi, les patrons-pêcheurs des Maritimes, propriétaires d'unités petites ou moyenne (moins de 15 mètres) qui forment l'essentiel des flottes, développent les moyens d'adaptation suivants : la mobilité de l'unité de pêche (effet de mobilité) dont le renforcement permet de pallier les changements de répartition des ressources, d'augmenter la taille des pêcheries ou de se reconvertir plus facilement vers l'exploitation d'une autre espèce ; l'augmentation de l'effort de pêche pour compenser une diminution des prises ou tirer parti d'une hausse d'abondance (effet de rattrapage) ; le transfert de l'exploitation d'une espèce-cible vers une autre (effet de substitution) ; la répartition annuelle de l'exploitation sur un nombre plus ou moins élevé d'espèces (effet de diversification et de concentration) et la modification des coûts d'activité, la transformation des engins de pêche et les innovations techniques. En dehors des pêches, ils utilisent principalement la pluriactivité et la reconversion momentanée. Deux moyens d'adaptation doivent être ajoutés à cette liste : le premier est le passage du statut d'équipier à celui de patron-pêcheur (et réciproquement) selon les conditions économiques et biologiques de l'exploitation ; le

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second, lié à l'effet de rattrapage, s'exprime par la manipulation du calendrier de pêche. 10 Le choix et la mise en œuvre de ces moyens d'adaptation s'élaborent dans l'interaction entre plusieurs facteurs tel le contexte local de l'exploitation, la situation personnelle du pêcheur, le type de fluctuation (fréquence, durée et ampleur) et l'encadrement étatique de l'activité. Les entretiens semi-dirigés ont mis en évidence, dans le choix des mécanismes palliatifs aux variations d'abondance, des points nets de divergence et de concordance entre les terrains d'enquêtes. 11 Les points de divergence sont fondamentalement liés à la diversité des ressources disponibles, à leurs caractéristiques et aux techniques de pêche développées pour les exploiter. Dans le détail, les éléments les plus marquants sont : l'étendue des zones de pêche disponibles (liées à la gestion) ; la diversité des ressources exploitables ; la proximité de zones de concentration, de routes de migration ou de frayères ; l'abondance moyenne de ces espèces ; la nature des fluctuations ; la nature des engins de pêche (mobiles ou non, induisant une saisonnalité ou non). Par exemple, l'île de Grand Manan (comté de Charlotte) dispose d'une zone de pêche exclusive mais relativement restreinte, de ressources d'une grande diversité, d'une stabilité généralement supérieure à celle des autres régions du Canada atlantique, due à la proximité de zones de concentration et de frayères. Ces ressources, dont l'abondance en favorise l'exploitation à long terme, permettent néanmoins rarement de fonder une pêche mono-spécifique 1 annuelle, même dans des conditions de marché favorables. Il en résulte durant tout le XXe siècle, une situation générale dominée par la diversification et la complémentarité des activités ; les pêcheurs exploitent plusieurs espèces durant l'année, de deux à facilement quatre ou cinq, avec divers engins de pêche. Les effets de substitution, de rattrapage et plus particulièrement de manipulation du calendrier de pêche, des coûts et des engins dominent largement les mouvements de mobilité de la flotte et de concentration/diversification des activités. À l'opposé, les pêcheurs de la Lobster bay ont des stratégies beaucoup plus axées vers la mobilité, la concentration ou la diversification de l'exploitation et le passage répété du statut de patron-pêcheur à celui d'équipier. Ces stratégies s'expriment dans le contexte de zones de pêche beaucoup plus larges, d'une moindre diversité de ressources exploitables à proximité des ports et d'ampleur supérieure des variations d'abondance. Ces caractéristiques ont permis l'émergence de pêches mono-spéficiques annuelles ou saisonnières, même pour les unités de moins de 15 mètres. Ces différences sont accentuées par les conditions socio-économiques locales, en particulier par le degré d'ouverture de la communauté d'appartenance du pêcheur et l'existence d'emplois en dehors des pêches dans la communauté ou à proximité. 12 Ainsi, l'organisation des pêches de Grand Manan prend un aspect monolithique où il est parfois difficile de cerner des cycles d'exploitation bien tranchés ; les stratégies des pêcheurs semblent se dérouler dans un continuum sans modifications majeures. Au contraire, l'histoire halieutique de la Lobster bay est faite de ruptures et d'épisodes phares où les stratégies sont élaborées, abandonnées, remaniées à mesure des événements. Il est ainsi possible de dégager des préférences stratégiques selon les générations, liées aux événements que les hommes ont vécus. 13 Les points de convergence entre les terrains d'enquêtes sont principalement liés à l'intervention étatique dans la gestion des pêches qui s'immisce de façon identique partout et interfère dans la mise en œuvre des mécanismes d'adaptation classiques. La

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gestion fédérale des pêches s'appuie sur une très forte sectorisation par espèce, par engin et par taille des navires et sur la délivrance de permis, limités en nombre et assortis de conditions d'exploitation et d'accès. Elle affecte principalement le passage facile et rapide d'une pêche à l'autre ou d'un engin à l'autre, la liberté d'exploiter une nouvelle espèce et de modifier certaines caractéristiques des unités. Elle génère ainsi de nouveaux mécanismes d'adaptation qui doivent permettre aux pêcheurs de conserver leur flexibilité tout en tenant compte des contraintes de la réglementation. 14 Ces stratégies portent sur les permis de pêche et leurs conditions d'accès et de renouvellement. Par des systèmes de rétention et d'accumulation, elles visent principalement à maintenir la possibilité de jouer rapidement sur le nombre d'espèces exploitées. Pour atteindre ces objectifs propres, les pêcheurs utilisent autant les possibilités légales offertes par la réglementation que des dispositifs de contournement de la loi. Ces stratégies sont donc d'une nature bien différente des autres, leur fonction n'est pas de répondre à l'immédiateté d'une fluctuation, mais de préserver à long terme les capacités d'adaptation à court et moyen termes. Elles relèvent ainsi de la mise en œuvre du principe d'opportunité sur le long terme, mais, se faisant, elles orientent le choix des mécanismes d'adaptation à court et moyen termes. Ces stratégies se sont forgées au fil du temps et de l'édification de la politique canadienne des pêches. Leur nature préventive inclut l'état actuel de la réglementation, son évolution et l'anticipation de la tendance. Les pêcheurs intègrent donc dans leur démarche ce qu'ils supposent être les intentions sous-jacentes de l'État fédéral en matière de gestion des pêches côtières, les modalités possibles de mise en œuvre de sa politique et finalement la façon dont cela affectera leur marge de flexibilité face aux incertitudes de la ressource et des marchés.

NOTES

1. Pour les unités de moins de 15 mètres, appartenant à des patrons-pêcheurs indépendants.

INDEX

Index chronologique : XXe siècle

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L'agriculture, nouvel instrument de la construction urbaine ? Étude de deux modèles agri-urbains d'aménagement du territoire : le plateau de Saclay, à Paris, et la plaine de Sijoumi, à Tunis Thèse de doctorat en sciences de l'environnement sous la direction de Pierre Donadieu, École nationale du génie rural, des eaux et des forêts (ENGREF), soutenue le 13 décembre devant un jury composé de Pierre Donadieu, André Fleury, Yves Luginbühl (rapporteur), Claude Millier (président), Kamel Omrane, Alain Roger (rapporteur) et Monique Toublanc, mention très honorable avec les félicitations du jury.

Moez Bouraoui

1 Selon que l'on parle de pays pauvres, en voie de développement ou développés, la question de l'agriculture péri- et intra-urbaine est abordée différemment. Dans le monde occidental, les comportements sociaux des citadins évoluent. La ville apparaît comme un lieu d'inquiétude et la campagne se transforme en un refuge apprécié des citadins. Ainsi, l'agriculture en périphérie des villes s'est vue attribuer de nouvelles fonctions, notamment spatiale, sociale, environnementale et paysagère qui sont toutes aussi importantes que la seule valeur des produits agricoles : on parle alors de mise en paysage de l'espace rural péri-urbain où de nouvelles pratiques sociales de loisirs apparaissent.

2 En France, l'espace agricole péri-urbain est, comme l'écrivent A. Fleury et P. Moustier, en phase d'intégrer les programmes de planification urbaine ; il devient une infrastructure de la ville. Il apparaît même que l'agriculture et les espaces agricoles peuvent devenir, au même titre qu'un parc urbain classique, un outil d'urbanisme

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capable d'organiser le tissu urbain ; il s'agit du concept de parc de campagne proposé par P. Donadieu. 3 Dans les pays pauvres ou en voie de développement, avec l'explosion urbaine contemporaine, la campagne péri-urbaine est devenue le lieu de projection de la ville. Lorsque celle-ci s'étale au point de générer une véritable région urbaine, le recul des espaces agricoles limitrophes est tel que leur importance se réduit dans le paysage péri- urbain à quelques parcelles interstitielles. Là où la pression urbaine est la plus forte, l'agriculture est en marge. Elle est exclue de la production territoriale et est fragilisée par le système de production de l'espace urbain. 4 En Tunisie, la fonction économique qui naguère liait l'agriculture péri-urbaine au développement des médina est de plus en plus fragilisée, puisqu'elle est soumise, depuis l'évolution de l'infrastructure routière, à la concurrence des régions lointaines. Aujourd'hui, l'agriculture péri-urbaine se définit comme un espace géographique vide et vulnérable, ignoré des politiques de développement et d'aménagement des territoires urbains.

1 L'agriculture, nouvel instrument de la construction urbaine (cadre général et enjeux de la thèse)

5 L'organisation, le fonctionnement et l'évolution des espaces agricoles des zones péri- urbaines ont suscité, dans diverses disciplines, de multiples travaux de recherches en matière d'aménagement de l'espace et ce depuis les années 1950, comme par exemple au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, mais de manière beaucoup plus active depuis les années 1970, en particulier dans certains pays tels que les Pays-Bas, l'Allemagne ou la France. Ces travaux, à l'intersection desquels se positionne la thèse, se situent essentiellement à deux niveaux. D'une part, ceux qui concernent la formation des couronnes péri-urbaines autour de la plupart des grandes agglomérations du monde, la relation ville/campagne, la consommation des espaces agricoles par l'urbanisation et les changements d'usage des sols. Ces travaux ont permis de comprendre le déroulement et les modalités de fonctionnement des mécanismes socio- spatiaux et économiques qui marquent et distinguent le territoire péri-urbain de ceux de l'unité urbaine centrale et de la campagne rurale. D'autre part, ceux qui remontent uniquement à la fin des années 1980 et au début des années 1990, et qui se consacrent à la mesure et à l'interprétation de la mobilité de la société citadine au sein du territoire de la ville d'abord, puis de la spécificité et de l'avenir de l'agriculture urbaine, de l'évolution des rapports sociaux aux espaces urbains, agricoles péri-urbains et ruraux et enfin de l'évolution des politiques publiques de paysage et de planification urbaine des campagnes périphériques. Ces recherches commencent actuellement à alimenter profondément la connaissance de l'apparition réelle de nouvelles formes d'interrelations ville/campagne.

6 Partant de ces deux grandes séries de préoccupations, les enjeux de la thèse se résument en trois points essentiels : apporter aux planificateurs urbains de nouvelles données susceptibles de les intéresser dans leur volonté de réguler ou de maîtriser les conflits régissant de la péri-urbanisation ; montrer comment le paysage produit par l'espace agricole péri-urbain peut être objet et outil de négociation dans l'élaboration d'un nouveau projet de développement territorial ; contribuer, notamment en Tunisie,

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à la construction d'un nouveau débat sur le rapport spatial mais aussi social que pourraient entretenir la ville et ses habitants avec la campagne qui les entoure.

2 Étudier les fonctions extra-agricoles de l'agriculture et leur prise en compte politique (problématique et hypothèses de la thèse)

7 Lorsque l'on s'interroge sur les caractéristiques de l'évolution du processus de transformation de la campagne péri-urbaine d'une part, et sur la capacité de cette campagne à produire des espaces socialement reconnus en tant que paysage d'autre part, on se trouve confronté à une question centrale et à une série de quatre questions dérivées, autour desquelles s'articule la problématique de la thèse. La question centrale est : comment et dans quelles conditions se construit une politique de paysage agri- urbain, notamment en France ? D'où découlent quatre nouvelles questions qui constituent les préoccupations scientifiques de la thèse : quelles sont les causes qui sont à l'origine du processus de développement urbain induisant la transformation de l'espace agricole péri-urbain et quel est l'impact de la croissance urbaine sur les modes de fonctionnement et d'organisation des exploitations agricoles ? quels sont les atouts et les limites des politiques publiques menées dans ce domaine ? (autrement dit, quel est le rôle joué par les acteurs publics et les planificateurs urbains en matière de politiques publiques de paysage, d'aménagement et de développement des territoires urbains pour maîtriser le phénomène de péri-urbanisation ? Et surtout, quelle place ont-ils attribué à l'espace agricole dans ces politiques ?) ; comment le rapport ville/ campagne se construit-il, socialement et physiquement ? dans quelle mesure l'analyse du rapport social à l'espace agricole contribue-t-elle à la compréhension du processus d'évolution des formes d'agriculture présentes dans les aires péri-urbaines ?

8 Ce questionnement a constitué des pistes d'investigations pour vérifier deux principales hypothèses. La première, qui est la plus importante parce qu'elle représente l'axe majeur qui a organisé la construction de toute la thèse : l'agriculture péri- et intra-urbaine n'est pas seulement une activité économique dont la seule fonction est de produire des denrées alimentaires, mais aussi une composante spatiale valorisant l'environnement urbain et le cadre de vie des citadins. La deuxième hypothèse suppose que le maintien de l'agriculture au sein de l'espace péri-urbain passe, d'une part, par sa reconnaissance sociale et d'autre part, par son affirmation dans un nouveau système de production territoriale, et en particulier le territoire de la ville.

3 Le plateau de Saclay et la plaine de Sijoumi : deux sites d'étude à comparer

9 Afin de tirer des perspectives susceptibles de contribuer à une meilleure exploitation des liens qui existent entre le milieu urbain et les espaces agricoles qui l'entourent, nous avons tenté d'examiner l'état de deux formes d'agriculture urbaine sur deux sites dans deux pays différents. Il s'agit, en effet, de rendre compte d'une recherche effectuée sur le plateau de Saclay, près de Paris, en France, et sur la plaine de Sijoumi, près de Tunis, en Tunisie.

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10 Le plateau de Saclay et la plaine de Sijoumi sont deux territoires essentiellement agricoles, mais particulièrement touchés par le phénomène de péri-urbanisation. Le plateau de Saclay est un territoire qui couvre une superficie de près de 5 000 hectares dont 2 600 sont principalement occupés par la céréaliculture. Encerclé par une ceinture urbaine assez dense, il constitue le principal espace ouvert de la partie sud-ouest de la région parisienne. La plaine de Sijoumi se présente également comme le plus important espace ouvert de la partie sud-ouest de Tunis. Encerclée à son tour par une masse urbaine assez dense, la partie de la plaine qui a fait l'objet de notre étude couvre une superficie de près de 7 000 hectares dont 3 000 occupés par des cultures variées comme la céréaliculture, la culture maraîchère, l'arboriculture fruitière et l'oléiculture. 11 Si nous avons choisi ces deux sites particuliers, c'est qu'ils présentent des caractéristiques morphologiques et géographiques presque semblables, mais des intérêts, tant urbanistiques que paysagers, différents. Sur le plateau de Saclay, l'action urbanistique consiste à limiter les constructions, et l'action paysagiste à conserver et mettre en valeur les espaces agricoles en tant que structure indispensable à une nouvelle forme d'organisation des territoires péri-urbains. En revanche, sur la plaine de Sijoumi, les planificateurs urbains semblent privilégier une autre orientation : l'implantation d'une importante zone industrielle, l'extension du parc de logement sur plus de 1 000 hectares et la création d'un parc urbain classique, pour compenser la perte d'espaces vides aujourd'hui occupés par l'agriculture. 12 Depuis au moins trois siècles, les terres du plateau de Saclay sont reconnues parmi les plus productives de la région francilienne, mais, proches de Paris, elles se trouvent régulièrement menacées par des implantations urbaines et des installations scientifiques. L'avenir de l'agriculture du plateau paraît incertain, car deux politiques sont possibles : maintenir l'équilibre rural-urbain aux portes de Paris en renforçant la continuité de la ceinture verte voulue par la Région ou, au contraire, s'engager progressivement dans un processus d'urbanisation comme l'avait prévu le Plan d'aménagement et d'organisation générale (PADOG) de la région parisienne de 1965. Le choix du site saclaysien présente ainsi un intérêt double. Celui de comprendre l'évolution du mécanisme socio-politique élaboré pour attribuer à l'agriculture un nouveau rôle dans les politiques de développement et d'aménagement du territoire local et régional. Et celui de présenter les différentes stratégies développées par les agriculteurs pour s'adapter aux mutations de leur environnement social et spatial. 13 La plaine de Sijoumi est un territoire essentiellement agricole confronté, depuis les années 1960, à une pression urbaine de plus en plus forte. Il est largement convoité par l'urbanisme libre. L'effet de déstructuration provoqué par l'emprise de l'agglomération tunisoise sur le rif (campagne) de la plaine de Sijoumi revêt des intensités variables qui se traduisent globalement dans le paysage de la région et spécialement dans l'interface ville/campagne. Le cas sijoumien présente ainsi de nombreux avantages pour l'étude de l'évolution des espaces agricoles péri-urbains tunisiens, car il fait l'objet de nombreuses mutations, notamment économiques par le biais de l'implantation de nouveaux équipements industriels. Mais contrairement au plateau de Saclay, aucune décision visant la conservation de l'agriculture de la plaine de Sijoumi dans un plan d'organisation urbaine n'a été prise. Au contraire, la plaine représente pour les auteurs du Schéma directeur d'aménagement (SDA) du grand Tunis, un territoire idéal qui pourrait constituer l'axe majeur de l'extension de l'agglomération tunisoise.

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14 De plus, en étant le premier site touché par le phénomène péri-urbain tunisois, que nous avons appelé phénomène de « zones floues », la plaine de Sijoumi se présente comme le site idéal pour bien saisir les modalités spécifiques du rapport ville/ campagne en Tunisie et avancer dans la connaissance et la compréhension des mécanismes qui interfèrent pour expliquer la transformation des espaces agricoles proches de Tunis ; ce qui nous permettrait d'apporter aux planificateurs urbains de nouvelles données susceptibles de les intéresser dans leur volonté de réguler ou de maîtriser les conflits régissant de la péri-urbanisation.

4 Une analyse pluridisciplinaire (méthodologie de la recherche)

15 Conduite à une échelle pluridisciplinaire (histoire, géographie, sociologie, paysage, et agronomie), la recherche met donc l'accent sur l'analyse des processus paysagistes de l'agriculture péri-urbaine dans le cadre de l'étude des relations qu'entretiennent les territoires agricoles saclaysiens et sijoumiens avec, respectivement, l'agglomération parisienne et tunisoise. Cette étude s'est appuyée sur : l'analyse du corpus bibliographique des 25 dernières années pour situer la thèse dans un contexte scientifique déjà bien établi ; l'analyse des documents d'urbanisme (POS, SDAU, etc.), de photos aériennes et de la cartographie classique représentant les traces matérielles du paysage et de ses dynamiques et montrant l'organisation des territoires en question afin de mettre en évidence leur évolution spatio-temporelle et les effets induits par les différentes modalités de la croissance urbaine à l'espace agricole ; l'analyse de certains modèles de représentation spatiale de la campagne saclaysienne (cartes postales anciennes, photographies récentes, peintures anciennes et contemporaines, guides touristiques). Cette démarche consiste à analyser sur le long terme la succession des représentations sociales et culturelles qui ont agit, et agissent encore aujourd'hui, sur l'évolution de la physionomie de l'espace saclaysien. Elle vise ainsi, à révéler les enjeux de la spatialité dans l'analyse des dynamiques des territoires ruraux à proximité des grandes villes. En effet, nous cherchons à savoir, par le biais des images produites par les artistes et les photographes, la nature des motifs paysagers que ces derniers souhaitaient mettre en valeur. Il s'agit donc de préciser l'importance des images issues de la peinture, de la photographie et de la littérature pour comprendre l'évolution des pratiques des habitants et usagers des territoires représentés comme celle des aménageurs et des acteurs publics et de rendre compte de la réalisation d'une série d'enquêtes menée auprès des principaux acteurs qui agissent sur les territoires saclaysien et sijoumien. Parmi ces derniers, on trouve donc les agriculteurs, les habitants, les acteurs sociaux, les acteurs institutionnels et les planificateurs urbains.

5 De Saclay à Sijoumi : deux moments d'agriculture péri-urbaine (résultats de la recherche)

16 À travers l'étude de l'exemple saclaysien et de celui de la plaine de Sijoumi, nous avons tenté en effet de montrer les effets de l'urbanisation sur l'évolution et la transformation de l'espace rural/agricole, en nous interrogeant sur les caractéristiques, les structures de production et les modalités de fonctionnement des

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exploitations agricoles dans les zones sous influence urbaine. Il a donc été question de voir si les dynamiques de ces exploitations, aussi bien sijoumiennes que saclaysiennes, se différenciaient selon leur localisation par rapport à la ville, c'est-à-dire selon la nature des rapports que le territoire entretient avec le milieu urbain environnant. Nous avons été amenés à approfondir la recherche afin de caractériser les dynamiques urbaine, agricole, sociale et spatiale qui distinguent les deux sites d'étude. Cette approche géographique a été menée par quatre entrées : spatiale, historique, sociologique et « politique ».

17 L'entrée spatiale (analyse des documents d'urbanisme, des cartes d'occupation des sols de type IGN, des photos aériennes, etc.) a mis en évidence l'évolution spatio-temporelle des deux sites d'étude, depuis l'émergence de leur identité agricole jusqu'à l'enclenchement du processus de péri-urbanisation des territoires où ils sont localisés. Issu de causes économiques et sociales, ce processus s'est traduit par des « cassures » et des ruptures entre Paris et l'espace rural saclaysien d'un côté, et entre le grand Tunis et le rif sijoumien de l'autre. La plaine de Sijoumi et le plateau de Saclay constituent deux zones « d'interface » entre l'espace urbain et la campagne. Cette interface s'est relativement estompée par une pénétration urbaine désorganisée (implantation d'équipements scientifiques et technologiques au centre de la zone agricole du plateau, éparpillement de l'habitat réglementé ou libre sur toute la partie agricole de la plaine, etc.), qui a conduit à : 18 - Une forte urbanisation provoquée par la politique de déconcentration scientifique et industrielle de Paris, en ce qui concerne le plateau, et par la croissance démographique de la population tunisoise et la montée de l'exode « intra-urbain » dans le grand Tunis, en ce qui concerne la plaine. 19 - Une forte consommation de l'espace agricole : plus de 1 200 hectares ont été prélevés à l'agriculture saclaysienne et plus de 600 à celle de la plaine. Insuffisamment contrôlé encore à Sijoumi mais actuellement bien maîtrisé à Saclay, ce phénomène est la résultante directe de la convergence de quatre volontés : celle des opérateurs publics tunisois désireux de répondre à la forte demande en logements et des élus saclaysiens cherchant à bénéficier des profits directs que rapportent habitat privé et zones d'activités économiques (taxe d'habitation, impôts fonciers, taxes professionnelles, etc.) ; celle des Parisiens et des Tunisois souhaitant réaliser leur désir d'accession à la propriété ; celles des propriétaires des terres et des promoteurs immobiliers espérant bénéficier des intérêts de plus-values foncières engendrés par l'accroissement de la demande du marché foncier ; celle des industriels, en particulier tunisois, souhaitant bénéficier des multiples avantages de la proximité des grandes agglomérations (infrastructure bien adaptée au trafic industriel, facilité d'écoulement des produits fabriqués, abondance de la main d'œuvre à bon marché, etc.). 20 - Une disparité et un dysfonctionnement territorial qui se manifestent par l'imbrication de formes urbaines hétérogènes (grandes zones industrielles ou important pôle scientifique et technologique, petits noyaux urbains traditionnels, implantation de nouveaux centres urbains distincts des villages existants, etc.) ainsi que par l'enclavement et le morcellement des espaces agricoles. 21 L'entrée spatiale a en effet révélé les problèmes engendrés par le processus de débordement de la ville sur son espace rural périphérique tant du point de vue de l'organisation spatiale des territoires concernés par ce débordement (le plateau de Saclay et la plaine de Sijoumi) que du point de vue des types de relations entre

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l'urbanité et la ruralité. Rarement fondées sur une logique de complémentarité, les relations entre le milieu urbain et le milieu rural se sont souvent établies en termes de conflits. Ceci a incité les pouvoirs publics français, dès la fin des années 1960, et tunisiens, fin des années 1970, à activer l'établissement de schémas directeurs d'aménagement et d'urbanisme (SDAU) ou plans d'aménagement urbain (PAU) là où ils n'existaient pas, et à protéger, par des moyens juridiques (loi d'orientation foncière de 1967, en France, loi de protection des terres agricoles de 1983, en Tunisie), les terres agricoles situées en voisinage des villes. La mise en place de ces différents instruments d'intervention a obligé aménageurs et acteurs institutionnels à limiter la consommation des terres agricoles par la croissance urbaine et à réfléchir au statut d'un espace agricole péri-urbain. L'analyse des terrains et des documents cartographiques a de ce fait permis de mettre en évidence les relatives proximités des évolutions en cours de deux espaces péri-urbains assez semblables. 22 L'étude historique a concerné l'évolution des territoires, mais aussi l'analyse des représentations de la ruralité péri-urbaine dans les images que peintres, photographes, voyageurs, et auteurs de guides touristiques ont donné à voir du territoire saclaysien. Cette analyse a permis de révéler, sur un intervalle de temps assez long (du début du XIXe jusqu'à la fin du XXe siècle), d'une part les processus socio-économiques qui ont produit l'espace du plateau et d'autre part la succession des représentations sociales et culturelles qui ont agi sur la manière de le regarder. La plaine de Sijoumi n'a pas été concernée par cette entrée car elle n'a fait l'objet d'aucune médiation artistique significative. Par ailleurs, sur le plateau de Saclay, l'analyse des images du paysage a permis de faire reconnaître les enjeux de la représentation spatiale dans la compréhension des dynamiques rurales et paysagères. Elle a, en effet, mis en évidence ce que chaque producteur d'images cherche à induire : quels lieux il désigne à l'attention des habitants, des aménageurs et des décideurs, quels motifs de paysage il révèle et souhaite mettre en valeur pour améliorer l'habitabilité du plateau, quels conflits se résolvent grâce à la médiation de certaines formes de représentation spatiale et comment se transforment conjointement les pratiques des usagers et les paysages de ce territoire. L'analyse des représentations spatiales du milieu rural/agricole du plateau par ce que nous avons appelé les « précurseurs », a permis de montrer comment et dans quelles conditions ces représentations de différentes formes (peinture, poésie, textes, carte postale, etc.) ont été capables de contribuer à la construction d'un nouveau regard sur le plateau et à la transformation du rapport social à l'espace agricole de ce même territoire. Et c'est à partir de cette reconnaissance sociale, qui s'est traduite par un mouvement de contestation de l'urbanisation du paysage agricole de la campagne saclaysienne, que ces représentations sont intervenues en tant que facteur « indirect » de régulation des conflits auxquels les acteurs institutionnels ont été confrontés lors de l'élaboration du programme de développement du territoire du plateau. En effet, nous avons cherché à montrer que ces représentations spatiales ont constitué un support d'informations importantes susceptibles, à la fois de contribuer à l'émergence, chez les usagers, d'une conduite d'appropriation esthétique de l'espace agricole, et de faire réagir les acteurs publics en faveur des paysages qu'offre cet espace en leur permettant d'argumenter une décision ou de négocier un choix d'aménagement territorial, comme par exemple le choix entre le prolongement de l'urbanisation et la préservation de l'agriculture saclaysienne. 23 L'étude sociologique s'est fondée sur l'analyse d'une série d'enquêtes que nous avons menées auprès des acteurs publics et privés qui pratiquent et agissent sur les

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territoires saclaysien et sijoumien. Alors qu'il y a plus de 50 ans, le plateau et la plaine étaient d'immenses étendues agricoles essentiellement occupées par quelques familles rurales et agricoles, ils renferment aujourd'hui plusieurs milliers d'habitants. Ces derniers appartiennent, très globalement, à deux couches distinctes de population : des catégories sociales modestes (ouvriers, employés, etc.) sur la plaine de Sijoumi, et une population plus favorisée de cadres supérieurs et moyens sur le plateau de Saclay. L'importante croissance démographique qu'ont connu ces deux secteurs d'études est tout simplement due à leur proximité d'un grand centre urbain. La raison première justifiant l'installation des citadins venus de Paris et de sa banlieue, pour le cas saclaysien, ou de Tunis et de ses faubourgs, pour le cas sijoumien, est telle qu'elle a été exprimée dans les enquêtes, purement économique (coût attractif du foncier et de la construction). 24 Aujourd'hui, la situation semble être différente, car les motivations sociales à l'occupation du sol péri-urbain ont relativement évolué, en particulier en France. Selon les résultats de nos enquêtes, la recherche d'un paysage attrayant et d'un cadre de vie agréable fait désormais partie des principales motivations des nouveaux installés. Globalement, ce que souhaitent ces derniers est d'avoir la possibilité de développer un mode de vie typiquement « urbain » (centres de loisirs, galeries commerciales, équipements sportifs, etc.), dans un logement individuel de type pavillonnaire ou résidentiel avec un jardin d'agrément inséré dans un cadre paysager de type rural. Ce cadre doit être exclusivement composé d'éléments « naturels » (agriculture, bois, plans d'eau, etc.), dans un environnement propre, sain, pur, calme, libre, tranquille, marqué par la diversité des couleurs des champs qui évoluent et changent au rythme des saisons. Nos enquêtes ont montré que la recherche d'un tel cadre émane en réalité du développement d'un rapport social à l'espace fondé sur une appropriation essentiellement esthétique de l'espace agricole. Même si, à l'origine, la majorité des Saclaysiens et des Sijoumiens sont venus s'installer sur leur territoire respectif pour des raisons autres que la recherche d'un cadre rural/agricole, l'agriculture représente désormais, pour la plupart des Saclaysiens et une partie des Sijoumiens, le support de l'image paysagère du plateau comme de la plaine et un important espace vert nécessaire à l'amélioration du cadre de vie des habitants et à l'aération du tissu urbain du sud-ouest parisien, chez les uns, et tunisois, chez les autres. 25 Sur le plateau de Saclay, ce rapport esthétique à l'espace agricole était prévisible, étant donné le profil socioprofessionnel de la population locale (dominance de la catégorie des cadres supérieurs et des familles aisées familiarisées avec l'appréciation d'un paysage) et la forte présence et le dynamisme des organisations non gouvernementales locales de défense de la nature et de l'environnement. En revanche, dans le grand Tunis, et en particulier sur la plaine de Sijoumi où la grande majorité des habitants est plutôt pauvre et a un niveau d'instruction extrêmement limité, ces résultats étaient totalement imprévisibles. Il y a à peine quinze ans, les enquêtes du géographe P. Signoles montraient que le rêve des Tunisiens était uniquement centré sur l'univers urbain qui était synonyme de modernité, de liberté, de beauté et de bien-être. Ceci semble s'expliquer par l'application, tout au long de la période antérieure aux années 1990, d'une politique d'aménagement du territoire qui orientait son action sur le développement et la promotion de la vie urbaine, aboutissant ainsi à une marginalisation nette du monde rural/agricole. Aujourd'hui, indépendamment de l'évolution de cette politique, les résultats de nos enquêtes sur le rapport social à l'espace agricole remettent en cause la fascination de la ville et l'ignorance du monde

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agricole, du moins dans le grand Tunis et sur la plaine de Sijoumi. Le rif fait rêver 23 % des Tunisois et 10 % des Sijoumiens. Qu'il soit péri-urbain ou provincial, ce rif se montre désormais porteur de certaines valeurs qu'on dénie à la ville. Il représente, pour plus de 40 % des habitants du grand Tunis et pour plus de 30 % de ceux de la plaine de Sijoumi, un lieu calme, tranquille, simple, beau, naturel, libre, sain, pur et porteur de valeurs traditionnelles. Sur la plaine de Sijoumi, environ la moitié des habitants fréquentent régulièrement la zone agricole en tant que lieu de loisir et de détente, déclarent que l'agriculture constitue pour eux un mandhar jamil (paysage) et une tabïa (nature). Ces quelques chiffres montrent qu'une nouvelle représentation mentale de l'espace rural/ agricole est en effet en cours de construction. Dans l'imaginaire social, l'espace agricole tunisois et sijoumien passe d'un espace « flou » à un espace de « nature » à l'usage des citadins qui l'apprécient. Toutefois, il nous semble important de préciser que ce nouveau rif, idéalisé, a été le plus souvent présenté dans les propos de la plupart des personnes interrogées comme la composante essentielle d'une image portée par les médias, notamment la télévision qui, au travers de spots publicitaires, feuilletons tunisiens et égyptiens, émissions et films français de la chaîne France 2 ou italiens de la chaîne RAI Uno, ne cesse de vanter la vie à la campagne. L'analyse des résultats de l'enquête fait ressortir par ailleurs une divergence entre le discours des usagers et celui des planificateurs qui considèrent, encore aujourd'hui, l'espace agricole comme une réserve foncière. 26 Comme nous l'avons précisé plus haut, l'aspiration à un paysage attrayant et à un cadre de vie agréable apparaît de façon beaucoup plus nette chez les Saclaysiens que chez les Sijoumiens. Sur le plateau de Saclay, cette aspiration est tellement développée qu'elle s'est clairement traduite, à travers les nombreuses revendications des associations locales de défense de la nature et de l'environnement, par une forte demande sociale de maintien des larges espaces ouverts de l'étendue céréalière du plateau. Formulée par une grande majorité des Saclaysiens, cette demande semble contribuer à la relativisation des préoccupations liées au devenir de l'agriculture saclaysienne : « Je pense que la surface agricole ne régressera plus parce que nos élus savent bien que nous tenons à la préservation de l'esprit rural du plateau et savent encore mieux que les habitants s'opposeront à tout projet qui cherche à détruire le paysage agricole », nous confiait un habitant. Les enquêtes menées auprès des décideurs saclaysiens ont, effectivement, montré que la majorité des initiatives aussi bien communales qu'intercommunales en faveur de l'agriculture du plateau étaient élaborées de façon à être en conformité avec la demande de nature exprimée par la société locale. Leurs discours révèlent également une importante prise de conscience du rôle social et paysager de l'activité agricole dans la gestion de l'espace saclaysien. Ce rôle particulier de l'agriculture, à la fois social et spatial, est d'autant plus apprécié par les acteurs locaux qu'il fait, comme le précise R. Trimbach, président du District du plateau de Saclay (DIPS), « le charme de la campagne saclaysienne assure la gestion de l'espace du plateau à moindres frais ». Ce sont sans doute les deux principales raisons qui justifient la convergence de l'avis sur l'avenir de l'agriculture du plateau des acteurs publics, des aménageurs et des habitants vers un objectif commun : préserver l'agriculture en tant que paysage attrayant et composante spatiale du territoire saclaysien. Cet objectif n'est cependant pas partagé par tous les agriculteurs, car, selon certains, il représente une source d'accroissement des contraintes urbaines, va à l'encontre de la logique de gestion intensive de leurs exploitations et risque, de ce fait, d'affaiblir économiquement leur activité.

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27 Dès lors que le maintien de l'espace agricole péri-urbain est jugé nécessaire, pour des raisons sociales, comment donc s'assurer de sa conservation sans compromettre sa fonction première qui est purement économique (production de denrées alimentaires) ? C'est dans cette interrogation que se situe toute la difficulté d'une gestion équilibrée des territoires péri-urbains. Le problème est d'autant plus difficile que l'agriculture est de plus en plus fragilisée par l'évolution du processus de péri- urbanisation. Une fragilité liée à l'environnement urbain (usage du sol, conflits sociaux, contraintes urbaines, etc.), mais aussi à la gestion de l'activité agricole (concurrence avec les régions lointaines, statut des terres, etc.). Sur la plaine de Sijoumi, par exemple, cette fragilité se manifeste par l'accroissement du phénomène de « friches sociales » ainsi que par la dégradation et la déprise des zones agricoles, en dépit de leur classement en zone protégée dans les documents d'urbanisme ou en zone d'interdiction et de sauvegarde par la loi de protection des terres agricoles. Ces signes traduisent une perte de confiance chez les fellahs (agriculteurs/paysans) qui renoncent à tout investissement à long terme, dans l'attente soit d'un changement de destination de leur sol, soit d'un programme d'aménagement de territoire bien adapté aux conditions d'évolution de leur zone. Dans cette optique, le maintien des espaces agricoles requiert des acteurs publics l'instauration d'une politique alternative de développement des aires de « zones floues », offrant la possibilité de conserver l'agriculture en tant qu'activité économique rentable et composante paysagère valorisant l'environnement urbain et le cadre de vie des habitants. Le cas du plateau de Saclay est à ce titre particulièrement démonstratif. 28 L'étude des politiques publiques de paysage du territoire saclaysien nous a permis, en effet, de révéler les règles de conception d'un nouveau projet de production territoriale. Un projet qui s'est traduit par la construction d'un dispositif spatial, dans lequel milieu urbain et milieu rural cohabitent de manière très active, tout en répondant à la demande de nature, formulée par les habitants, comme à la demande de sécurité foncière et de durabilité de l'activité agricole, réclamée par les agriculteurs. Après la création d'une structure intercommunale (DIPS) pour assurer un développement harmonieux du territoire saclaysien, les acteurs locaux, avec l'aide des professionnels de l'aménagement du territoire, ont centré leur première action sur la gestion du foncier. À ce titre, le président du DIPS précisait : « Pour bien maîtriser l'évolution du plateau et assurer le maintien de l'agriculture, la première règle est d'abord d'agir sur l'affectation du sol ». Le propos de ce dernier est partagé par l'ensemble des opérateurs concernés par l'aménagement du plateau (ingénieurs de la DIREN et de la DRAF, urbanistes et paysagistes de l'IAURIF, etc.). Selon les déclarations de ceux-ci, il est apparu que le maintien de l'identité rurale d'un territoire péri-urbain ne peut s'envisager que par la stabilisation du foncier à long terme. C'est, semble-t-il, la première initiative à prendre si l'on souhaite instaurer une véritable politique d'aménagement spécifique aux milieux péri-urbains. Ainsi, les agriculteurs auront la sécurité nécessaire concernant la pérennité de leur outil de travail. Et partant de là, ils pourront développer des projets d'optimisation de leurs entreprises, en rapport avec la durée d'amortissement des investissements engagés (achat de gros matériel, construction de silos, drainage, etc.). La politique foncière, telle qu'elle a été définie par les acteurs saclaysiens, s'est traduite, d'une part par l'élaboration d'une convention de maîtrise de la gestion des terres agricoles, signée entre la SAFER, l'AEV d'Ile-de-France et le DIPS, et, d'autre part par l'imposition d'une « masse critique » de 2 000 hectares de surface agricole utile (SAU).

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29 À l'occasion de la révision du schéma directeur local, les 2 000 hectares de « masse critique » de SAU ont été classés, dans le schéma des paysages, en « paysages de plaine agricole à préserver ». Contrairement aux cartes du document d'urbanisme régional qui se distinguent par l'imprécision des limites des zones agricoles, dans celles du schéma directeur local, l'inscription des 2 000 hectares de SAU apparaît de manière précise avec des limites qui s'appuient sur des éléments visibles du paysage (étangs, lisières boisées, fronts urbains, etc.). Par cette inscription, le DIPS cherche à éviter toute possibilité d'empiétement sur les « paysages de la plaine agricole à préserver » pour cause d'imprécision. 30 Cependant, la réussite d'une politique de développement des territoires péri-urbains implique, outre le concept de masse critique qui semble bien satisfaire les agriculteurs, des mesures complémentaires d'aménagement de l'espace. Sur le plateau de Saclay, ces mesures ont constitué le deuxième volet de la nouvelle politique d'aménagement du plateau. Ce volet a été conçu par les urbanistes et les paysagistes de l'IAURIF, à la demande conjointe du DIPS et de l'AEV d'Ile-de-France, sous le nom de Plan d'actions paysagères (PAP). Il s'agit d'un document technique de référence comportant une série d'indications pour mieux guider l'action en matière de planification de l'espace saclaysien. Sept mesures fondamentales ont été alors élaborées : préserver, sur le long terme, une image moderne et dynamique de l'agriculture pour conserver le paysage rural et les sensations des grands espaces ouverts ; protéger et valoriser le patrimoine naturel ou historique (étangs, rigoles, fermes, bois, etc.) ; organiser le paysage des routes par des plantations sous forme d'alignement d'arbres ou de haies vives pour mettre en valeur les perspectives visuelles ; intégrer les nouvelles constructions dans le paysage (limitation des hauteurs des bâtiments, coefficient d'occupation du sol (COS) très faible, plantation de lisières boisées le long des fronts urbains, etc.) ; développer la présence de l'eau dans le paysage (réhabilitation des rigoles, valorisation des étangs, etc.) ; créer un réseau d'espaces verts et de cheminements piétons, équestres, cyclistes pour faciliter la découverte du paysage du plateau ; façonner le paysage à chaque étape de l'aménagement grâce à la technique de préverdissement. Ces sept principes d'actions paysagères ont été intégralement inscrits dans le schéma directeur local révisé et leur application est en cours. Pour assurer la durabilité de certaines de ses actions (entretien des rigoles, des haies, d'arbres d'alignement, des chemins agricoles, etc.), le PAP sert actuellement de base à l'élaboration des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) entre l'État et les agriculteurs. 31 Le PAP est de ce fait un projet de développement territorial qui concilie production agricole, gestion de l'espace, préservation et valorisation du paysage rural. Un projet engendré par une politique urbaine locale qui ne cherche pas à supprimer l'espace agricole pour le remplacer par des parcs et jardins publics, mais qui lui attribue une nouvelle fonction, dans l'organisation spatiale d'un territoire sous influence urbaine, pour et avec les citadins et les agriculteurs. Sur le plateau de Saclay, on est passé d'une phase de désinvestissement agricole à une situation de reconnaissance des valeurs économiques, spatiales et paysagères de l'activité agricole. Bien qu'une part du territoire agricole sera prélevée au profit d'autres fonctions, notamment urbaines, le dispositif spatial que propose aujourd'hui le DIPS présente néanmoins, pour l'agriculture et les agriculteurs, les avantages économiques et sociaux certains que sont l'amélioration de desserte du parcellaire, la réhabilitation du réseau de drainage, la stabilité foncière et la valorisation de l'espace produit par l'activité agricole.

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32 L'étude de l'exemple saclaysien montre comment il est possible de concilier développement urbain et maintien de l'espace agricole et rural. L'analyse de cet exemple nous a permis de déterminer les principales règles qui ont été appliquées, par différents acteurs, afin de construire un projet urbain et paysager où 2 600 hectares d'espaces agricoles jadis ignorés, dénigrés et menacés d'urbanisation massive se sont, aujourd'hui, transformés en espace paysager précieux pour la décompaction du tissu urbain et le bien-être des habitants. En revanche, sur la plaine de Sijoumi, le territoire agricole reste en marge des programmes de développement de la région sud-ouest de Tunis. Cette marginalisation est due à l'absence, d'une part, de projets collectifs d'aménagement spécifiques aux milieux péri-urbains et, d'autre part, de pressions associatives locales susceptibles de faire reconnaître l'émergence du processus d'appréciation de l'espace agricole par certains groupes sociaux. Même si, aujourd'hui, on est encore loin des conditions optimales, la question qui se pose désormais aux aménageurs comme aux planificateurs est d'analyser cette nouvelle tendance afin de pouvoir repenser les fonctions de l'agriculture dans la planification des territoires des « zones floues ». Sur la plaine de Sijoumi, plusieurs facteurs sont aujourd'hui réunis pour assister à la naissance d'une agriculture urbaine nouvelle, c'est-à-dire une agriculture à la fois « nourricière » et économiquement rentable, paysagiste et gestionnaire des espaces d'interface ville/campagne. Cette naissance ne peut toutefois se faire que si aménageurs, planificateurs et acteurs institutionnels adoptent les mesures réglementaires nécessaires à la protection et à la valorisation du rif tunisois, c'est-à-dire encadrent le marché foncier des « zones floues » aujourd'hui libre. Pour atteindre cet objectif, l'exemple du plateau de Saclay peut servir de référence.

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Index chronologique : XXe siècle

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L'invention de la forêt méditerranéenne de la fin du XVIIIe siècle aux années 1960 Thèse de doctorat d'histoire sous la direction de Robert Ilbert, Université de Provence, Aix-en-Provence, 3 volumes, 444 f°, 152 f° et 111 f°, soutenue en septembre 2000 devant un jury composé de Gérard Chastagnaret, Andrée Corvol, Robert Ilbert, Daniel Nordman et Rémi Pech, mention très honorable avec les félicitations du jury.

Martine Chalvet

1 Les campagnes médiatiques de protection des bois ont réussi à imposer comme une certitude l'idée de l'existence immuable de la forêt méditerranéenne. Milieu spécifique particulièrement fragile et dégradé par l'homme, cette dernière nous est présentée comme une évidence naturelle qui se passe d'histoire. Toutefois, à une époque où les forêts naturelles n'existent plus, une définition complète ne saurait écarter l'impact des hommes sur les boisements. Centrée sur l'analyse des représentations et des pratiques, cette thèse pose donc la forêt méditerranéenne comme un véritable objet d'histoire en cherchant à expliquer quand, comment et pourquoi les hommes ont édifié un paysage et une science sylvicole spécifiquement méditerranéenne.

2 Lentement façonnée par le temps, cette construction à l'échelle méditerranéenne est seulement perceptible sur la longue durée. Si elle commence à apparaître clairement aux Européens à la charnière du XVIIIe siècle et du premier XIXe siècle, il lui faut attendre les années 1960-1970 pour recevoir une réelle reconnaissance publique. Dans ce long cheminement à travers le temps, l'idée de forêt méditerranéenne se lit à l'interface de différents niveaux d'analyse, de l'échelle locale, notamment en Provence et en Algérie, à l'échelle nationale et internationale sans oublier quelques exemples de forêts typiques comme celles des Maures, de l'Esterel et de la Sainte-Baume ou encore de Bédoin. Elle apparaît aussi dans la confrontation de représentations et de pratiques contraires des bois par les différents acteurs locaux ou nationaux. Qu'il soit question des aménagements forestiers, des déboisements, des reboisements, des incendies ou de l'usage économique et social des bois, les paysans, les propriétaires et concessionnaires

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de forêts, les élites locales ou les agents de l'administration forestière se distinguent par des intérêts et des formations diverses. 3 Cependant, la recherche d'unité qui parcourt de part en part les archives consultées donne un sens à « cet inventaire des différences ». La volonté sans cesse exprimée de construire une spécificité puis une unité méditerranéenne constitue une pierre d'angle pour bâtir une réflexion logique, un fil d'Ariane qui relie la variété des espaces, les différents temps et les multiples facettes de l'objet étudié. 4 Au début du XIXe siècle, la forêt méditerranéenne n'existe pas. Elle se décline en une myriade de cas locaux sans cohérence et sans liens apparents. Formés dans des écoles forestières française, espagnole, italienne ou grecque largement influencées par des modèles sylvicoles totalement étrangers au monde méditerranéen, les officiers des Eaux et Forêts appliquent d'ailleurs des méthodes et des techniques générales. Au-delà des conceptions, le décor que nous admirons de nos jours n'est pas encore « planté ». En reboisant avec des graines de cèdres et de pins venues de l'ensemble de la Méditerranée ou en important de nouvelles espèces comme l'eucalyptus, c'est bien l'Européen qui a créé une nouvelle forêt méditerranéenne. 5 Au milieu de tant de diversité, l'idée de forêt méditerranéenne commence à germer au moment où les anciennes relations des hommes et des bois en Méditerranée s'effritent avec les bouleversements introduits par les idées libérales, l'industrialisation, une forte pression démographique dans les campagnes, la Révolution ou encore l'ouverture de l'Europe sur la Méditerranée puis la colonisation. Peu à peu, la spécificité de cette forêt se dessine en réaction à l'imposition, par les nouvelles administrations forestières, de techniques sylvicoles totalement étrangères au monde méditerranéen. 6 Toutefois, il faut attendre les reboisements de 1860, pour que les forestiers, les notables et les propriétaires provençaux élaborent de nouvelles techniques sylvicoles adaptées au terrain et construisent par leurs expériences et par leurs plantations une première forêt méditerranéenne. Leurs travaux sont poursuivis de manière plus scientifique dans les années 1880 lorsque les forestiers et les botanistes édifient, grâce aux progrès de la botanique, de la climatologie et de l'écologie, les concepts de région naturelle et de forêt méditerranéenne. 7 Enfin dans un dernier temps les travaux scientifiques et techniques de la Ligue forestière internationale méditerranéenne, Silva Mediterranea (1922) poursuivis au sein de la sous-commission aux questions forestières méditerranéennes de la FAO (1948) parviennent à fixer l'idée d'une forêt méditerranéenne avec sa connaissance statistique et sa représentation cartographique. Confortée par des démarches scientifiques, des modes de diffusion et de transmission des savoirs fort diversifiés et puissants, la connaissance forestière se transforme et se déforme pour devenir objet de propagande de la part des associations ou de l'administration des Eaux et Forêts. Ce concept de forêt méditerranéenne se diffuse dans l'opinion publique avec d'autant plus de force qu'il sert de nouveaux enjeux économiques et sociaux et s'appuie sur des sensibilités et des codes esthétiques, symboliques ou affectifs inédits. 8 De manière révélatrice, cette construction scientifique, technique et idéologique connaît un succès important à une époque où elle apparaît de moins en moins fondée. Après la Deuxième Guerre mondiale, la forêt provençale puis les forêts de l'Europe méridionale se distinguent progressivement des boisements sud-méditerranéens. Au nord, les évolutions techniques et économiques mettent fin aux anciens usages des bois. Moins attaquées par l'homme, les surfaces forestières se stabilisent. Elles ont

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même plutôt tendance à progresser sous l'action conjuguée de l'exode rural, qui libère des terres, et des reboisements. À l'inverse, les pays du sud de la Méditerranée, qui associent une utilisation traditionnelle de la forêt à une forte croissance urbaine et démographique, voient leurs boisements diminuer. 9 Finalement, c'est au moment où les multiples régions du pourtour de la Méditerranée s'intègrent dans le contexte des nations puis de l'Europe que les Européens inventent la forêt méditerranéenne. C'est au moment où la zone méditerranéenne se marque de plus en plus par ses clivages politiques et économiques, que l'idée d'une unité de la forêt et des paysages sert la construction d'une identité commune pour développer un devenir commun. Enfin, c'est au moment où l'homme s'éloigne des bois dans sa vie quotidienne et abandonne les anciennes exploitations sylvicoles pour concevoir les bois comme un espace de loisir et de tourisme que la forêt méditerranéenne est présentée comme un patrimoine naturel à sauvegarder une sorte de musée vivant du passé. 10 Dans la nostalgie d'un monde perdu, l'invention de la forêt méditerranéenne ne permet-elle pas de reconstruire le décor naturel d'une harmonie et d'une unité mythique de cette région considérée comme le berceau des civilisations ? Héritage des Grecs puis des Romains, image de la paix et de l'unité, l'olivier planté par les hommes devient la limite naturelle de cette forêt. Dans cette étude, il reste bien le symbole de la construction d'une forêt méditerranéenne qui, bien que lié à la nature, demeure une édification sociale, politique, économique et culturelle.

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Index chronologique : XVIIIe siècle, XIXe siècle, XXe siècle

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Les relations entre la France et les îles anglo-normandes de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Un épisode majeur : l'immigration française à Jersey de 1850 à 1950 Thèse de doctorat de civilisation de l'aire anglophone sous la direction de Jean-Paul Révauger, Université de Provence, Aix-en-Provence, 474 f°, soutenue le 12 décembre 2000 devant un jury composé de Michel Lemosse (président), Pierre Lurbe, Jean-Paul Révauger et Francine Tolron (rapporteur), mention très honorable à l'unanimité.

Michel Monteil

1 Dans le domaine des sciences humaines, très peu de travaux de recherche ont été consacrés aux îles anglo-normandes, tant en France qu'en Angleterre. En France, dans les publications du dernier demi-siècle, on recense un ouvrage qui traite de l'Occupation allemande des îles entre 1940 et 1945, et deux thèses de droit qui se penchent sur certaines particularités du droit insulaire. Une thèse universitaire, publiée en 1951, s'intéresse à l'agriculture pratiquée à Jersey. En Angleterre, ce sont surtout la faune, la flore et la géologie des îles qui ont fait l'objet d'études, à l'exception d'une enquête sociologique sur le comportement des touristes à Jersey. La seule période ayant suscité une abondante littérature, même s'il n'y a pas eu encore de recherche universitaire approfondie, est celle de l'Occupation pendant la Seconde Guerre mondiale ; les îles anglo-normandes ont en effet eu le douloureux privilège d'être la seule partie des îles britanniques occupée par les troupes allemandes.

2 Historiquement, elles sont pourtant une des terres les plus anciennement anglaises. Elles appartenaient en effet aux ducs de Normandie. Lorsque Guillaume, surnommé plus tard « le Conquérant », s'empara du trône d'Angleterre, elles devinrent propriété du souverain anglais. En 1215, lorsque la Normandie dut choisir entre la France et

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l'Angleterre, les îles préférèrent appartenir à la Couronne d'Angleterre plutôt qu'à la Normandie française. Si l'on s'en réfère uniquement aux dates, on peut dire qu'elles constituent en fait la dépendance britannique la plus ancienne, trois quarts de siècle avant le Pays de Galles, annexé en 1282, et cinq siècles avant l'Écosse, puisque le Act of Union with Scotland date de 1707... Aujourd'hui, elles sont très fréquentées par les Anglais et les Français qui y viennent en touristes. Le charme de leurs paysages, leur mode de gouvernement original et archaïque font l'objet d'articles dans les revues ou de reportages à Thalassa. Elles défraient surtout la chronique lorsque l'on parle des paradis fiscaux et de la finance off-shore... 3 Ces petits territoires ont donc toute leur place au sein des îles britanniques, et j'ai voulu à ma mesure corriger le peu d'intérêt qu'elles ont suscité auprès des universitaires. D'autant plus que pour un chercheur français en civilisation britannique, les îles anglo- normandes nous sont très proches, car elles sont à la croisée des influences des deux pays. Victor Hugo, un des plus célèbres exilés dans les îles anglo-normandes, le disait fort bien : « Les îles de la Manche sont des morceaux de France tombés à la mer et ramassés par l'Angleterre. De là une nationalité complexe. Les Jersiais et les Guernesiais ne sont certainement pas anglais sans le vouloir, mais ils sont français sans le savoir » 1. Il soulignait bien par là que celles-ci sont importantes pour les deux pays. Si historiquement elles sont anglaises, géographiquement, mais aussi culturellement, elles sont très proches de la France, du moins l'étaient-elles encore, au XIXe siècle, lorsqu'Hugo écrivait ces lignes. 4 Des îles aux racines communes avec la Normandie voisine, cela ne fait aucun doute lorsque le visiteur qui s'y rend pour la première fois découvre les noms des rues et les divers toponymes qui rappellent leur peuplement normand : Longueville, la rue de la chouquetterie ou le hâvre Giffard... Mais passée cette première constatation, il est intéressant d'étudier les échanges et les relations que ces deux parcelles d'Angleterre « tombées » trop près des côtes françaises ont eu avec leur grand voisin au cours des siècles ; ceux-ci sont souvent méconnus des nombreux visiteurs français. Les îles, Jersey en particulier, ont joué un grand rôle dans l'accueil des Français qui voulaient échapper aux autorités de leur pays, à cause de leurs idées politiques ou religieuses notamment. C'est ce sujet des relations entre la France et les îles que j'ai voulu traiter dans ma thèse, d'où le titre général « Les relations entre la France et les îles anglo-normandes de la fin du XIXe au milieu du XXe siècle ». 5 J'ai découvert l'épisode du peuplement français de Jersey au XIXe siècle de manière quelque peu fortuite, à l'occasion d'une exposition concernant la vie rurale dans l'île au XIXe siècle et au début du XXe. Le rôle des ouvriers agricoles « bretons » (ou perçus comme tels par la population locale) dans la mise en valeur des richesses agricoles y était mentionné. Il m'a conduit à découvrir ce chapitre peu connu des relations entre la France et Jersey : nombre de ces saisonniers restèrent, au point de constituer en une cinquantaine d'années une communauté étrangère nombreuse à Jersey. À la réflexion, cette immigration, importante à l'échelle de l'île même si elle ne représente pas une grande ponction de population pour les territoires français concernés, m'apparut comme étant peut-être un épisode majeur dans ces relations. 6 Si les îles anglo-normandes ont eu une histoire commune pendant plusieurs siècles, Jersey a eu des relations privilégiées avec la France. L'immigration française en particulier, a existé à Guernesey, mais n'a jamais été significative, bien que cette dernière île soit plus proche des côtes de la France. Le nombre de Français installés à

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Guernesey a atteint son maximum au recensement de 1881, avec 1 094 personnes, soit 2,9 % de la population totale de l'île. Sans être totalement négligeable, ce mouvement n'a ainsi jamais dans l'histoire atteint les mêmes proportions qu'à Jersey. Il m'a donc paru pertinent de me consacrer spécifiquement à l'île de Jersey, d'où le sous-titre retenu : « un épisode majeur : l'immigration française à Jersey de 1850 à 1950 ». 7 Le choix de cette période m'a été dicté par le contexte historique de ce mouvement migratoire. C'est au cours du XIXe siècle que Jersey a commencé à accueillir des migrants français venus pour des raisons économiques : ouvriers des chantiers navals, employés dans l'industrie hôtelière naissante, servantes, etc. Mais c'est à partir des années 1850 qu'un véritable mouvement s'est dessiné, lié au nouvel essor économique, notamment agricole, de l'île. Puis il s'est développé tout au long de la période victorienne et dans la première moitié du XXe siècle, pour se tarir après la Seconde Guerre mondiale du fait de l'essor économique de l'ouest de la France. Je me suis donc attaché à traiter de cette période essentielle. 8 L'immigration, ses conditions, et les problèmes qu'elle pose font partie des grands sujets débattus à notre époque, en France comme en Grande-Bretagne. Il peut donc sembler surprenant, ou superflu, d'y consacrer une étude de plus. Mais l'originalité du mouvement de population étudié, outre le fait qu'il concerne deux portions de territoire des deux grands pays précités, consiste dans le fait qu'il a débuté et s'est développé principalement pendant la période victorienne, pour se poursuivre jusqu'à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. C'est-à-dire à un moment dans l'histoire de la Grande-Bretagne où l'immigration depuis l'extérieur des îles britanniques était pratiquement inconnue, et de toutes les façons bien longtemps avant que le phénomène de l'immigration (ou plutôt des immigrations) ne devienne un sujet de préoccupation pour les divers gouvernements en place à Londres. Ce mouvement migratoire jamais étudié apporte des éclairages intéressants concernant les migrations en général et l'histoire des migrations françaises en particulier. Il s'est en effet poursuivi sur plus d'un siècle, a concerné jusqu'à 6 000 personnes, soit près de 11,5 % de la communauté d'accueil. Si les nombres sont peu élevés en valeur absolue, on le voit, pour Jersey 6 000 personnes représentent une part importante de la population de l'île. 9 Cette recherche contribue en outre à l'étude comparative des sociétés française et anglaise. Il s'est en effet très vite avéré qu'au XIXe siècle et pendant les premières décennies du XXe, Jersey, territoire dépendant de la couronne d'Angleterre, était confronté non pas à un seul courant migratoire en provenance de la France, mais également à une arrivée massive de ressortissants britanniques venant s'installer définitivement dans l'île, pour y exercer une activité professionnelle ou s'y retirer. Je développerai ce point dans la présentation du contenu de ma 4e partie. 10 Cette recherche a été menée selon deux types d'approche. Une analyse que l'on pourrait qualifier « d'objective », visant à quantifier cette immigration : il s'agissait d'obtenir des données chiffrées, vérifiées et indiscutables (celles-ci ont été fournies par les documents officiels publiés à Jersey, et parfois aussi en France) ; l'examen des textes officiels jersiais a permis également de voir dans quel cadre juridique s'est développée l'installation d'un grand nombre d'étrangers sur le sol de l'île anglo-normande. L'autre mode d'approche, tout aussi important que le précédent, avait pour objectif de recueillir des données plus « vivantes », des témoignages sur les conditions de séjour et de vie de ces immigrés français, afin de donner un côté résolument humain à l'étude de cette immigration.

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11 La fréquentation des bibliothèques nationales en France et en Grande-Bretagne a permis de mettre en évidence que ce sujet n'avait jamais été étudié, à l'exception de la période de l'Occupation allemande. Le seul ouvrage français abordant l'histoire de Jersey est celui de Pierre Dalido, publié à Vannes en 1951, Jersey : île agricole anglo- normande. L'auteur dresse un tableau à la fois historique, social et économique de l'île au début du XXe siècle. La question de l'émigration saisonnière de travailleurs agricoles français, celle-là même qui a fourni l'essentiel des futurs Français installés à Jersey, y est traitée en quelques pages. Il m'a donc fallu chercher des éléments et des documents épars, dans des ouvrages et des lieux très différents, parfois très éloignés les uns des autres, en France, à Jersey et en Angleterre. Si la Bibliothèque nationale de France, et la National Library de Londres n'ont été que d'un faible secours, il n'en est pas de même d'autres sources. En particulier, il faut mentionner l'extrême richesse du fonds des Archives diplomatiques de Nantes, où il m'a été possible de consulter dans leur quasi- totalité les documents concernant le consulat de France à Jersey depuis sa création en 1793 jusqu'au début du XXe siècle (c'est-à-dire pendant toute la période légalement autorisée à la libre consultation). Des documents inédits ont ainsi pu être accessibles, permettant d'apporter beaucoup de précisions sur la vie au quotidien des Français installés à Jersey, ainsi que sur leurs relations avec les autorités françaises et jersiaises. Par ailleurs, les recherches entreprises aux archives départementales des Côtes- d'Armor, à Saint-Brieuc, ont fourni des éléments complémentaires très appréciables sur l'origine de la migration saisonnière vers Jersey, puisqu'un grand nombre d'ouvriers agricoles français étaient originaires de ce département. À Jersey, la bibliothèque de Saint-Hélier, la capitale de l'île, a permis de consulter, outre les ouvrages généraux sur l'histoire locale, une très riche collection de journaux publiés dans l'île au XIXe et au XXe siècle. De plus, il faut souligner la facilité avec laquelle les services officiels que ce soit l'administration portuaire, le département de l'agriculture, ou celui de l'immigration m'ont fourni statistiques et données ou laissé consulter leurs archives. Il faut enfin mentionner l'aide précieuse apportée par la Société jersiaise, la société savante de l'île, qui collecte depuis plus d'un siècle les éléments de la mémoire de Jersey dans les domaines artistique, culturel, ou historique. Dépositaire de nombreux documents originaux uniques relatifs à Jersey, en plus d'archives constituées au fil des décennies, elle est d'un secours inestimable pour le chercheur. 12 La vie de la communauté française a pu être reconstruite à travers des récits contemporains, le dépouillement de la presse française et jersiaise, la consultation de photographies d'archives, et la lecture des récits de voyageurs de la période victorienne et édouardienne. À cet égard, un des témoignages les plus intéressants est celui fourni par l'étude de Pierre Galichet, Le Fermier de l'île de Jersey, publiée en 1912 à Paris, décrivant la vie d'un certain nombre de descendants d'immigrés français qu'il a choisis comme « exemples » de réussite. J'y fais souvent référence au cours de mon travail, car Pierre Galichet, presque contemporain des événements qu'il décrit, apporte en même temps un regard étranger (français) et extérieur sur ce qu'il voit à Jersey. Les journaux locaux de l'époque n'ont pas manqué de rendre compte de la situation en train de se créer sur l'île, et de la cohabitation pas toujours aisée entre une communauté autochtone fortement ancrée dans son terroir et les nouveaux venus. J'ai en outre recueilli des témoignages d'acteurs, ou de leurs descendants, de cette immigration française ; un appel à témoins a même été lancé dans le principal journal de l'île, le Jersey Evening Post, pour essayer d'en joindre le plus grand nombre possible.

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13 Bien évidemment, j'ai été confronté à quelques difficultés. Elles tiennent à la nature du sujet. S'agissant d'une émigration peu connue et peu étudiée, et de plus très « locale », il a fallu aller rechercher les documents à Jersey mais aussi en Bretagne et en Normandie. Une fois sur place, je me suis heurté au problème des sources ayant partiellement disparu, comme dans les Côtes-d'Armor où les archives concernant les passeports au XIXe siècle sont très incomplètes. En Normandie, les archives départementales de la Manche ont brûlé en 1945 lors des bombardements consécutifs au Débarquement, et bien que des sources indirectes laissent deviner l'existence d'un courant d'émigration du Cotentin vers Jersey au XIXe siècle, il m'a été impossible d'en apporter une preuve chiffrée et attestée. À Jersey, s'il a été plus facile de recueillir des informations, la méthode consistant à utiliser les témoignages directs de Français ayant vécu l'immigration n'a pu qu'être partiellement utilisée. En effet, les derniers Français, des Bretons surtout, ayant émigré vers Jersey l'ont fait dans les années suivant immédiatement la Seconde Guerre mondiale, et jusque dans les années 1950. Beaucoup sont déjà décédés ; la rudesse de leur emploi est certainement responsable de leur espérance de vie plus courte que la moyenne. Parmi les personnes rencontrées, beaucoup d'entre elles n'ont pas conservé de papiers et documents datant de leurs premières années à Jersey : contrats de travail, autorisations diverses, photos. Ou alors, ils ne voient pas l'intérêt de les prêter, ce qui est regrettable. L'annonce passée dans le journal local n'a pas apporté les résultats escomptés, puisqu'une seule réponse a été reçue. L'état civil est très bien organisé sur l'île depuis des siècles, et les registres ont été dans l'ensemble bien préservés. Mais toutes les informations sont gardées dans les paroisses, ce qui rend le travail du chercheur très difficile, car à moins de connaître exactement le déroulement de la vie d'une personne, il n'est pas aisé de retrouver les différents renseignements la concernant et de suivre son itinéraire. J'évoque d'ailleurs cette question dans la première partie de ma thèse : cet état de fait a beaucoup irrité les consuls de France dans le passé, mais c'est une réalité du quotidien encore de nos jours à Jersey. Un service d'archives générales pour Jersey est en projet depuis de nombreuses années : il devait être terminé pour l'an 2000, mais les travaux ayant pris du retard, il n'ouvrira pas avant 2001 si tout va bien. Enfin, dans le concert de louanges apportées aux institutions locales jersiaises, il y a quand même une fausse note : comme je le mentionne dans mon introduction, il n'a pas été possible d'accéder aux archives de la Jersey Farmers' Union, syndicat des agriculteurs de l'île. Il n'a pas davantage été possible d'obtenir des réponses à un questionnaire en une dizaine de points auquel j'avais demandé que l'on me réponde « dans la mesure du possible ». Quelles que soient les raisons invoquées au siège de l'organisation documents non triés, absence d'archiviste cela est regrettable, car les documents d'archives de cette institution déjà publiés sont souvent fort intéressants. Il semble qu'il soit très difficile pour un « étranger » (c'est-à-dire un non-Jersiais) d'être admis dans ce qui constitue certainement un des derniers bastions du pouvoir local. 14 La thèse a été construite en quatre parties : la première brosse un tableau géographique, historique et politique des relations entre les îles anglo-normandes, Jersey plus particulièrement, et la France, permettant de comprendre l'origine de l'émigration française vers Jersey ; la seconde permet de dresser un tableau précis des principales caractéristiques de la population française immigrée, en insistant sur ses conditions de travail et de vie ; la troisième analyse les réactions, craintes et débats que suscita alors au sein de la population locale l'arrivée d'une importante communauté étrangère ; la dernière partie, enfin, vise à mettre en avant les spécificités de

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l'émigration française vers Jersey par rapport à d'autres émigrations françaises vers des pays anglo-saxons, mais également sur le plan local par rapport à l'immigration anglaise à Jersey au XIXe siècle. 15 Les îles anglo-normandes, et Jersey en tout premier lieu, bien que proches géographiquement et culturellement de la Normandie, ont entretenu des relations étroites et ambiguës avec leur grand voisin. Refusant d'être françaises, elles ont refusé tout autant au long des siècles d'être « asservies » par Londres, cherchant à préserver une identité et un caractère propres. Les mouvements de population en provenance de la France furent toutefois fréquents jusqu'au XIXe siècle, mais le plus souvent conditionnés par les aléas de la politique intérieure française : Jersey était un endroit très commode pour échapper aux autorités françaises. Huguenots aux XVIe et XVIIe siècles, nobles et prêtres pendant la Révolution française, opposants politiques au régime en place à Paris se sont ainsi succédés. Cette première partie s'attache à expliquer les raisons, aussi bien jersiaises que françaises, de l'arrivée d'une importante population d'ouvriers agricoles bretons et normands à partir des années 1850. Il s'agit pour Jersey du premier mouvement important de Français non dicté par une intention belliqueuse ou par quelque bouleversement politique survenu en France. Ce mouvement est en fait lié à la spécialisation de l'agriculture jersiaise, jusque là tournée vers des activités de polyculture à faible valeur marchande, dans deux domaines bien définis et hautement rémunérateurs : l'élevage de vaches laitières de qualité destinées à l'exportation, et la production de pommes de terre nouvelles pour le marché anglais. Ces deux productions exigeaient beaucoup de main-d'œuvre, pour une part saisonnière, une main-d'œuvre qui n'était pas disponible sur place. Pour des raisons de commodité géographiques autant que pour des raisons financières, les agriculteurs de Jersey choisirent de faire appel aux travailleurs bretons (en grand nombre) et normands (moins fréquemment). De migrants saisonniers, ceux-ci sont très rapidement devenus des habitants permanents. 16 La deuxième partie examine les conditions de vie de la communauté française installée à Jersey à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à partir de données chiffrées, mais également à partir de nombreux documents d'époque d'autre nature. L'étude de la vie au quotidien de cette population nombreuse fait apparaître que cette dernière est relativement homogène culturellement et socialement, à savoir qu'elle est essentiellement rurale. Mais la communauté française installée à Jersey se caractérise également par une absence de sentiment identitaire fort, et un relatif désintérêt pour la culture française, sa propagation ou sa promotion. Cette attitude est assez inhabituelle chez des populations émigrées, et cette absence de ce que l'on pourrait appeler en termes actuels « un projet culturel fort » explique sans doute l'abandon rapide des traits « français » de culture par cette population immigrée, et en particulier l'abandon rapide de la langue française au bénéfice de l'anglais. 17 La troisième partie aborde la question des réactions de la société d'accueil. Cette arrivée, suivie de l'installation de nombreux Français, dans un milieu relativement fermé, peu habitué aux incursions étrangères, vivant presque replié sur lui-même depuis des siècles, n'a pas été sans susciter une certaine méfiance, parfois proche de l'hostilité, de la part de la population autochtone. La communauté d'accueil s'est interrogée sur cet apport nouveau, a délibéré, légiféré. La venue de cette importante immigration a suscité des questionnements au sein de la population jersiaise, et l'a dans une certaine mesure aidée à mieux se définir elle-même. C'est pour traiter de cette

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question que j'ai largement fait appel à la presse anglophone de l'île pendant la période considérée, ainsi qu'aux publications officielles jersiaises. Outre l'enjeu social, indéniable lorsqu'il s'agit d'une communauté représentant près d'un habitant sur neuf, très vite l'immigration française est devenue un enjeu politique majeur. Au point que le parlement de Jersey, l'autorité législative de l'île, a diligenté une commission spéciale chargée de réfléchir sur cette question. Les travaux et conclusions de cette commission ont été publiés en 1906, et ont largement influencé, dans un sens encore plus restrictif que les précédentes, les diverses dispositions prises par Jersey à l'égard de l'entrée de travailleurs étrangers. 18 La quatrième et dernière partie permet de mettre en évidence, au-delà de l'aspect purement local de cette émigration, ses caractères propres par rapport aux autres émigrations de Français en pays anglo-saxons, en particulier en la comparant à la situation des Français installés au Canada et en Californie à la même époque. Peu d'études universitaires semblent avoir été consacrées aux communautés françaises installées dans des pays anglo-saxons. Sans prétendre les avoir encore toutes découvertes, j'ai fondé mon étude comparative sur deux travaux de référence en la matière : celui d'Annick Foucrier sur les migrants français en Californie du XVIIIe au XXe siècle, et celui de Bernard Penisson sur l'émigration française au Canada de 1882 à 1929. Les études publiées montrent entre autres que la proportion de Français atteinte à Jersey 11,5 % de la population locale n'a jamais été égalée dans aucun autre pays anglo-saxon. Mais ce mouvement a également son originalité propre à l'échelle de Jersey. Il est en effet intéressant de constater qu'au XIXe siècle, Jersey était en fait confrontée à deux mouvements migratoires importants : celui en provenance de la France, mais également un autre en provenance de la Grande-Bretagne. Certes, l'origine de ces deux immigrations est très différente, les Français venaient pour travailler et appartenaient à des classes sociales modestes, alors que les Anglais furent d'abord des militaires en retraite puis de riches rentiers attirés par la douceur du climat, la beauté des paysages de l'île et un coût de la vie moindre qu'en Angleterre. 19 Très vite, il m'est apparu que cette situation particulière permettait d'établir une comparaison entre l'attitude des Anglais et des Français en position de migrants. Je montre en effet que l'acceptation « d'étrangers » à l'île, fussent-ils originaires de la métropole, ne va pas de soi, bien au contraire, et que dans ce domaine Français et Anglais se sont retrouvé placés sur un pied d'égalité. Il semble même que les Français se sont intégrés plus rapidement et plus complètement que les Anglais, en acceptant relativement facilement les conditions imposées par la société d'accueil, et surtout en se mélangeant assez volontiers, par le mariage en particulier, à la population locale. Il semble que ce dernier trait soit un facteur fréquent des émigrations françaises vers des pays anglo-saxons. À l'inverse, les Anglais établis à Jersey ont eu tendance, comme dans leurs colonies, à maintenir une « distance de sécurité » entre eux et les autochtones. À la différence près que Jersey n'était pas une colonie mais un des plus anciens territoires britanniques... 20 Cette recherche me semble ouvrir plusieurs pistes de travail. Pour quelqu'un qui s'intéresse à l'étude des migrations en direction du Royaume-Uni et des territoires britanniques en général, Jersey présentait l'avantage d'être une unité géographique de petite taille. L'immigration française est un mouvement bien délimité dans le temps et dans l'espace, et il m'a été ainsi possible d'en faire une étude quasiment exhaustive dans le cadre d'une thèse. J'ai évoqué dans ma conclusion plusieurs pistes de

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recherches possibles, dans la suite logique du travail réalisé pour cette thèse, principalement l'étude de l'immigration française à Guernesey au XIXe siècle et de l'actuelle immigration portugaise à Jersey. Toutefois, l'étude des mouvements de population dans les seules îles anglo-normandes ne peut constituer à elle seule un programme universitaire de recherche. En revanche, dans le cadre d'une étude de longue haleine sur la manière dont les Français ont été (ou non) assimilés dans les pays anglo-saxons, l'étude menée peut être un point d'appui intéressant. J'envisage quant à moi de privilégier essentiellement deux axes de recherche dans le futur : l'étude de l'intégration des immigrés français dans les pays anglo-saxons, et dans le cadre du Royaume-Uni la comparaison de l'intégration des Français à celles d'autres peuples immigrés.

NOTES

1. Victor HUGO, Les Travailleurs de la mer, Paris, Gallimard, 1980, p. 42.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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La Corse et la République, la vie politique de 1870 à 1914 Thèse pour le doctorat en histoire sous la direction de Ralph Schor, Université de Nice-Sophia-Antipolis, 4 volumes, 1148 f°, soutenue en septembre 2000 devant un jury composé de Jacques Basso, Pierre Guillaume, Jean-Jacques Becker, Ralph Schor et Michel Winock, mention très honorable avec les félicitations du jury.

Jean-Paul Pellegrinetti

1 Au même titre que pour l'histoire nationale, les années allant de la chute du régime impérial à la Première Guerre mondiale occupent une place prépondérante dans l'histoire de la Corse. Elles constituent, en effet, une époque charnière correspondant à l'ancrage définitif de l'île dans la République. La Corse, à l'image d'autres départements, participe ainsi aux difficiles combats menés par les partisans de Marianne face aux conservateurs.

2 L'île, présente, à la fin du XIXe siècle et durant les premières années du XXe siècle, des caractères spécifiques. Elle constitue, en effet, une terre où les marques de fidélité à la famille Bonaparte sont omniprésentes. La Corse, autre singularité, est une terre clanique et clientéliste. À la chute de Napoléon III, l'île continue ainsi, par le biais de réseaux de clientèles et de parentèles, à manifester jusqu'en 1878 son entier dévouement aux hommes et aux idées impérialistes. Elle est, de ce fait, le bastion de quelques grandes familles dont l'ascension professionnelle et politique effectuée durant le règne de l'empereur leur permet, après la défaite de Sedan, de maintenir en place leur hégémonique pouvoir politique. De 1870 à 1914, la société insulaire est essentiellement une société rurale dont l'économie repose sur une utilisation des sols répartie entre l'agriculture, l'arboriculture et le pastoralisme. À la fin du XIXe siècle, à la suite d'une grave crise agricole, l'économie insulaire connaît un effondrement. Différents secteurs de production sont touchés : le vignoble est phylloxéré ; la céréaliculture est incapable de faire face à la concurrence des blés étrangers ; l'oléiculture et la production laitière enfin régressent fortement par manque de débouchés. L'activité industrielle, très embryonnaire et fragile, ne permet pas un redressement de la situation. À la fin du Second Empire, la Corse est, malgré quelques

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tentatives, largement restée à l'écart du capitalisme et de la révolution industrielle. L'expansion coloniale française dans le monde et l'amélioration des moyens de transport conduisent une partie de la population miséreuse à s'expatrier vers des contrées moins rudes et synonymes d'amélioration du statut social, compte tenu des postes proposés par la fonction publique. La crise économique accentuant les pratiques clientélistes anciennes, les élites politiques deviennent, pour les migrants, des intermédiaires obligés. Leurs rapports, en périodes électorales, se concrétisent souvent par l'échange d'un bulletin de vote contre celui d'une place. 3 La dernière des particularités demeure liée à la politique. Cette dernière est, en effet, vécue comme une véritable passion ; elle est, pour les insulaires, synonyme de puissance, de pouvoir et d'honneur. Le jeu des urnes revêt lui aussi un sens particulier. La politique est avant tout une affaire de familles regroupées à l'intérieur de partis locaux qui se positionnent eux-mêmes au fil des scrutins derrière des personnalités éponymes. Pour la masse électorale, à la base de la structure pyramidale de la société, les liens qui l'unissent aux notabilités politiques semblent très éloignés des blasons partisans et idéologiques de leurs représentants. Le vote, compte tenu des multiples enjeux qu'il contient, est souvent à l'origine de conflits familiaux où la violence constitue fréquemment une pièce maîtresse dans le règlement des rivalités. 4 Bastion bonapartiste, terre de clanisme, de clientélisme et de misère économique, la Corse apparaît, du fait également de son insularité, comme éloignée de tous mouvements politiques nationaux et comme écartée complètement de tous débats idéologiques. Dans les dernières années du XIXe siècle, tout concourt à rendre ainsi fort précaire, l'existence de « Marianne » dans les communautés villageoises composantes de la société insulaire. Pourtant, dès 1878, les républicains enregistrent leurs premières victoires électorales et l'idée républicaine gagne progressivement du terrain dans l'île. Fruit d'intenses luttes et combats politiques, la République s'installe de manière durable en Corse à partir de 1898. 5 L'étude de la République en Corse à travers le prisme de la vie politique entre 1870 et 1914, constitue un complément et un éclairage supplémentaire sur l'histoire générale de la Troisième République. Elle se veut pour cela répondre à cinq interrogations initiales : selon quels moyens, quelles structures, quelles formes, quel discours et enfin grâce à quels hommes, la République s'est-elle enracinée dans l'île ? Traitée à partir d'un découpage chronologique en trois parties qui fait ressortir, de 1871 à 1877, l'ancrage bonapartiste de l'île, de 1878 à 1893, la conquête républicaine, et de 1894 à 1914, le triomphe de la République et ses mutations internes, l'analyse de la vie politique en Corse sous la Troisième République met en évidence les mécanismes et les pratiques politiques insulaires, les corrélations entre la politique au village et les amples respirations chronologiques qui affectent l'ensemble du pays. Elle propose également une typologie des structures formelles des organisations et des partis politiques dans leurs évolutions et leurs cheminements singuliers. Enfin, elle identifie dans l'espace, des frontières, mais également des zones de permanence et de mutation. 6 De 1870 à 1878, la Corse constitue un véritable bastion pour les anciennes notabilités d'Empire dont la puissance des réseaux clientélistes leur permet d'exercer une véritable hégémonie politique dans tout le département. Durant cette période, l'accès à la représentation politique repose uniquement sur une légitimité créée par le droit du sang. L'île apparaît comme ancrée à l'intérieur d'une domination sociale ancienne et traditionnelle et les échanges clientélistes semblent l'écarter de toutes formes de

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débats idéologiques. Seules de grandes lignées familiales dominent véritablement le débat politique. Leurs ressources, nécessaires dans les échanges avec la clientèle, demeurent essentiellement celles procurées par la propriété foncière. 7 Les années allant de 1878 à 1893, correspondent à la conquête républicaine. Sur la scène politique départementale, de nouvelles lignées partisanes viennent concurrencer les anciennes familles bonapartistes. L'arrivée, à l'échelon national, des républicains au pouvoir procure aux élites nouvelles insulaires le droit de prétendre à l'éligibilité. D'autres formes de ressources, liées à un investissement professionnel ou à une réussite universitaire, apparaissent. Dans l'île, de nouvelles pratiques politiques s'enracinent très lentement. La Corse adhère de manière progressive à la République, l'idée républicaine se propage ainsi à l'intérieur des communautés villageoises pour qui commence, également, un long apprentissage de la politique. 8 De 1893 à 1914, la Troisième République, ancrée définitivement, triomphe en Corse. La forme du régime ne suscite plus que quelques contestations mineures, ressenties dans l'île à la suite d'affaires ou de crises nationales. Toutefois, si la République devient le régime stable et durable de la France de la fin du XIXe siècle et des quatorze premières années du XXe siècle, elle provoque d'importants classements en profondeur au niveau des forces partisanes insulaires. Au sein des partis politiques, le débat idéologique s'installe, par l'intermédiaire des professions de foi notamment, sur la manière d'être et de se présenter à l'électorat en tant que républicain. 9 Au centre de la vie politique insulaire, les membres du parti républicain modéré sont les principaux artisans de l'ancrage définitif de la Corse dans la République. À partir de 1878, les républicains utilisent toutes formes de méthodes et d'instruments qui, comme sur le plan national, s'avèrent prépondérants pour la mise en place d'une République opportuniste. Dès 1871, l'île devient le terreau d'une floraison progressive de comités communaux électoraux nécessaires pour une première structuration de l'électorat et une diffusion naissante de l'idée républicaine. Des cercles, certes peu nombreux, attestent eux aussi des profondes volontés de politisation des espaces publics avec la création de structures politiques permanentes. L'organisation électorale s'impose tout au long de la période comme un phénomène de gauche. À l'échelle locale, d'autres pratiques politiques voient progressivement le jour dans l'île. Les républicains utilisent ainsi tous les registres de la politique festive nécessaires pour marquer véritablement les consciences collectives. La République apparaît ainsi aux communautés villageoises sous les traits multiples de la fête, des banquets et des « punchs » électoraux, mais également sous les visages de Marianne, différents selon les périodes d'installation des bustes dans les mairies. À l'échelle départementale, d'autres armes et stratégies facilitent l'enracinement de la République. Les républicains modérés, à l'image des forces bonapartistes, mettent en place de nombreux réseaux politiques pyramidaux dont les liens tissés autour de l'idée républicaine commune, se renforcent notamment avec l'utilisation de témoins lors des cérémonies de mariage ou de parrains lors des baptêmes. 10 Le train, l'école et la construction du réseau routier, deviennent synonymes d'une ère nouvelle de progrès offerte aux populations. Durant la période considérée, tous les apports, économiques, sociaux et matériels du nouveau régime sont mis en avant par la presse propagandiste. Celle-ci sert également de lien entre les différentes notabilités. Elle est un support nécessaire, à la venue des masses rurales dans les rangs de la République dont l'un de ses principaux agents est le préfet. De la chute du Second

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Empire à la Première Guerre mondiale, les préfets sont les personnages clefs de la vie politique locale qui servent d'intermédiaires entre les structures étatiques et les autorités représentatives du département. Au sein des communautés villageoises, leurs fonctions, fortement politisées, les conduisent à devenir les défenseurs des mesures gouvernementales. Ils y sont également, en périodes électorales, des agents électoraux actifs au service de la République et de ses candidats. 11 Puissante, structurée et mobilisatrice au cours des toutes premières années de la Troisième République, la droite corse subit, dès 1878, les effets non escomptés de la crise du 16 mai 1877, mais également les succès enregistrés à l'échelon national par les forces de la République. À la recherche d'une restauration impériale et victimes de luttes intestines, les membres de la droite corse sont, entre 1886 et 1908, partiellement écartés de la scène politique départementale. Leurs retours éphémères en 1889 lors du mouvement boulangiste, puis en 1893 au cours du ralliement à la République témoignent cependant d'une survie des lignées de notables héritiers du régime impérial. Les élites de la droite insulaire apprennent ainsi à évoluer au sein de la société et n'hésitent pas à s'investir dans des domaines nécessaires à la construction de la notabilité et dans celle donnant accès aux chemins de la représentativité électorale. En 1892, les forces bonapartistes, conscientes d'un impossible retour du régime impérial et d'un ancrage profond des idées républicaines, se rallient dans leur ensemble à la République. La droite républicaine insulaire récupère, à partir de 1908, une position hégémonique sur la scène politique départementale. 12 De 1871 à 1914, de multiples facteurs contribuent à la politisation des masses rurales. Cette acculturation progressive des communautés villageoises à la politique est le fruit de différents paramètres véhiculés pour l'essentiel par les élites politiques. Par l'intermédiaire de l'appartenance des notabilités à des réseaux politiques nationaux, par leurs mariages avec des épouses originaires du continent, leurs études dans des universités parisiennes pour la plupart, leur participation à une presse partisane et enfin, leurs discours empreints de marques idéologiques, la politique pénètre progressivement dans l'univers quotidien des villages insulaires. La presse, les affiches, mais également toutes formes de brochures, photographies et statuaires participent progressivement à une prise de conscience de l'interpénétration des enjeux politiques nationaux et locaux. 13 Avec l'enracinement du mode de scrutin, le principe de l'hérédité dans la transmission du pouvoir politique se retrouve concurrencé par celui reposant sur une légitimité démocratique. Le combat pour l'accès à la représentativité devient nettement plus ouvert. L'exercice du suffrage « universel » implique ainsi des modifications dans les rouages des pratiques politiques insulaires. Le personnel élitaire, dans l'obligation de rassembler le plus grand nombre d'électeurs, se voit ainsi appelé à la tête de différentes structures de sociabilité, comme celles des comités. Avec l'enracinement de la Troisième République et l'acculturation des populations insulaires à des pratiques nouvelles de la politique, des formes nouvelles d'associations de solidarité, de défense sociale, mais aussi de contestations, apparaissent dans l'île dès la fin du XIXe siècle. 14 L'analyse de la vie politique en Corse met en évidence, au sein de la société insulaire, de 1870 à 1914, deux formes de mécanismes politiques qui relèvent à la fois de la modernité et de l'archaïsme. Les élites politiques, toutes tendances confondues, manipulent ainsi les registres des pratiques officieuses et officielles en juxtaposant à la fois le discours idéologique, l'assimilation de méthodes politiques nationales et la

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continuité du système clientéliste ancien. La Troisième République s'installe en officialisant et en légitimant un espace public, tout en conservant néanmoins un espace privé à la base, nécessaire à la logique de son développement. 15 De la chute du Second Empire à la Première Guerre mondiale, la période correspondant à l'enracinement de la République en Corse met en évidence deux sortes de républicains dans l'île. Les premiers, qui forment le camp de la gauche insulaire, se définissent héritiers de la Révolution française ; ils se présentent comme attachés à la laïcité de l'État, à la Nation, aux réformes et aux droits sociaux et à la non- personnification du pouvoir. Les plus intransigeants d'entre eux font preuve également d'un anticléricalisme virulent. Quant aux seconds, ils représentent les forces de la droite insulaire. À partir de 1893, date de leur ralliement au régime républicain, souvent plus de raison que de cœur, ils s'affirment respectueux du régime et de l'état de droit, mais n'hésitent pas à rappeler leurs valeurs fondées sur le respect de la religion, de l'ordre et de la propriété privée. 16 À partir de 1904, les républicains modérés, qui édulcorent leur programme politique, se rapprochent des forces de la droite insulaire. Ils en rejoignent même les rangs à la mort d'Emmanuel Arène, leur chef de file. Les radicaux, quant à eux, récupèrent l'héritage de la tradition de la gauche républicaine, qui se veut combattante et non conciliante. Néanmoins, en 1908, le drapeau de la République flotte au sein des deux principales forces politiques de l'île. Si la lutte continue sur la manière de se définir en tant que républicain, force est de constater que la République s'implante dans un milieu qui, au cours des premières années qui suivent la chute de Napoléon III, lui est particulièrement hostile. Dans les deux camps toutefois, l'attachement à la République s'apparente à un attachement à la Nation tout entière. En 1914, près de 40 000 Corses partent au front défendre la Mère Patrie. Le prix de leurs sacrifices, de leurs douleurs et de leurs croyances dans les valeurs de la République transparaît sur l'ensemble des monuments aux morts érigés à partir de 1920 dans tous les villages insulaires.

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Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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Éléments techniques d'une révolution agricole au début de l'époque contemporaine Thèse pour le doctorat en histoire sous la direction de Rémy Pech, Université Toulouse 2, 3 volumes, 1109 f°, 5 janvier 2001, jury constitué de Francis Brumont, Georges Comet, Emmanuel Le Roy Ladurie (Président), Jean-Luc Mayaud, Jean-Marc Moriceau et Rémi Pech, mention très honorable et félicitations du jury à l'unanimité.

Michel Vanderpooten

1 L'existence d'une révolution agricole aux XVIIIe et XIXe siècles est objet de controverses depuis un demi-siècle. Tandis que les aspects économiques, juridiques, sociaux, ont été abondamment étudiés, les contraintes agronomiques et pratiques n'ont fait l'objet que d'études rares et ponctuelles. Par l'analyse des textes agronomiques européens de l'Antiquité au XIXe siècle inclus , des livres de raison, des récits de voyageurs, des mémoires statistiques, des documents d'archives locales (Tarn-et- Garonne), des travaux de l'historiographie rurale (monographies régionales, études thématiques, essais de synthèse) et à la lumière des connaissances agronomiques actuelles, il s'agit d'évaluer les aptitudes et les limites techniques de l'agriculture française avant 1870.

2 La recherche du progrès agricole s'exprime, entre autres, par les perfectionnements de l'outillage. On note que la typologie actuelle des instruments de labour apparaît en contradiction avec les usages du XIXe siècle. La fertilisation tient une place fondamentale dans la chaîne opératoire de la production agricole. Les légumineuses peuvent contribuer dans une certaine mesure à l'amélioration des systèmes de culture ; utilisées en grains, elles ont probablement tenu une place importante dans l'alimentation paysanne ; sous la forme des prairies artificielles, leur essor est marqué par de fortes disparités régionales, qui s'opposent à l'image d'un mouvement général décisif. Une révolution agricole fondée sur le seul remplacement des jachères par les prairies artificielles et l'augmentation des troupeaux apparaît comme une illusion agronomique. La révolution agricole contemporaine, à quelque date qu'on la situe,

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apparaît nécessairement comme la mise en œuvre d'un ensemble de perfectionnements et d'innovations techniques internes et externes (amendements, déchets urbains, puis engrais industriels, instruments et machines), dans le cadre général d'une évolution de la société et de l'économie caractérisée par l'ouverture. C'est en devenant cliente et fournisseur de l'industrie que l'agriculture contemporaine a pu effectuer une révolution, qui ne pouvait encore, au milieu du XIXe siècle, que s'amorcer. 3 La littérature agronomique, depuis ses origines, a eu des lecteurs attentifs parmi les historiens. C'est beaucoup moins vrai pour le XIXe siècle que pour les périodes précédentes. Mais la lecture à laquelle je me suis efforcé se situe dans la recherche d'une évolution, et constitue une mise en perspective qui n'avait pas été tentée sur cette très longue durée. Cela a été l'occasion non seulement de mettre en évidence la pérennité des auteurs latins, mais aussi de montrer quelques plagiats, la faiblesse de l'innovation dans la littérature spécialisée du XVIIIe siècle, ou l'universalité d'Olivier de Serres. Cette relecture des textes classiques était un préalable indispensable à tout engagement dans une problématique. Elle s'est faite parallèlement à l'examen de l'historiographie, selon les thèmes de la production agricole organisée en chaîne opératoire : la fertilisation, la préparation du sol, les instruments, les cultures, les élevages, etc. L'outil, ou pour mieux dire la machine de travail ainsi constituée, est une sorte de gros manuel d'agriculture, informatisé et illustré, où chacun des éléments de la table des matières est envisagé dans son évolution sur 27 siècles, à travers les textes, l'historiographie, des documents d'archives consultés directement ou indirectement, des images, des objets et des lieux (les musées et écomusées), pour aboutir à une étude particulière du département de Tarn-et-Garonne des années 1850-1870. 4 À l'occasion de ces recherches, il est apparu que des éléments fondamentaux du fonctionnement des systèmes agricoles devaient être éclaircis. D'autant plus que l'historiographie n'était pas unanime à leur sujet : des urgences, comme la typologie araire-charrue, la place et le rôle des légumineuses, les transferts internes de fertilité et la différenciation rotations-assolements. La « thèse » se définissait alors comme un ensemble cohérent de propositions argumentées et innovantes, relativement à une problématique. Entre autres conséquences, cela conduisait à appliquer la différenciation régionale à l'intérieur des cadres thématiques, et non pas l'inverse, qui se pratique très généralement. Cela signifiait l'abandon de la monographie, mais n'excluait pas d'appliquer l'exigence historique à une recherche de caractère ethnographique. C'est ce qui a été tenté avec l'étude des instruments de labour du XIXe siècle dans leur diversité et la proposition d'un aménagement de la typologie en vigueur. 5 Dès lors qu'une problématique était en jeu, il fallait procéder sinon par sondages, du moins par choix. L'approche systémique a été retenue, avec la prise en compte de l'ensemble des éléments en interaction dans la production agricole, sans prétendre à l'exhaustivité : la thèse est intitulée Éléments techniques… et non pas Les éléments techniques. Certaines productions ne sont qu'évoquées : plantes textiles et tinctoriales, plantes industrielles, vigne, cultures maraîchères et arboriculture, qui ont pu être au cœur de révolutions agricoles locales ou régionales. Il en est de même des élevages. Ce qui n'apparaît qu'en annexes, comme la sériciculture et la viticulture tarn-et-garonnaise, la fabrication des chapeaux de paille et des balais de sorgho, est là pour marquer l'importance d'activités dont une étude plus développée aurait éloigné du cœur du sujet. L'incomplétude résulte en outre de l'imbrication des problématiques. Les

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légumineuses concernent la fertilisation et les rotations culturales, mais aussi l'alimentation animale et humaine. S'agissant de cette dernière, et plus particulièrement de la place du pain dans l'alimentation paysanne, c'est un autre domaine de recherche qu'il faut ouvrir. Beaucoup de questions, de contradictions, de zones d'ombres sont apparues. La triple confrontation sources/historiographie/ connaissance agronomique actuelle, a semblé une méthode originale, susceptible d'aboutir à des hypothèses suffisamment solides pour être proposées. 6 L'impossibilité agronomique d'une révolution agricole autarcique, fondée sur la seule rupture du cycle de la jachère par l'introduction des prairie artificielles, a semblé évidente, de même que le rôle décisif des amendements calcaires. Il en est résulté l'hypothèse générale d'une obligatoire insertion de l`activité agricole dans une filière, entre fournisseurs et clients, pour qu'une révolution contemporaine intégrale puisse être envisagée. Cela repousse la date d'un bouleversement général et décisif, mais n'entraîne pas la négation de toute révolution agricole, en tous lieux et à toutes époques. C'est la diversité de la France qui s'oppose à une réponse globale. Les conclusions ne concernent que la période contemporaine et pré-contemporaine, et les déterminants pris en compte devraient être réévalués s'il était question d'une autre époque donc d'un ensemble de conditions différentes. 7 L'abord technique ne permet pas d'apporter des réponses à toutes les questions. Mais il incite à reformuler certaines d'entre elles : il faut concilier l'absence d'évolution technique généralisée avec l'expansion démographique, réévaluer le seuil de viabilité d'une exploitation, superposer plans cadastraux et cartes des sols, etc. La technique mène à tout, et l'on peut être tenté parfois d'examiner le corpus d'un tout autre point de vue que celui du technologue. Ainsi les Encyclopédistes apparaissent sous un jour particulier, dans leurs faiblesses, leur diversité et leurs contradictions. Diderot, maîtrisant mal son sujet dans l'article « Agriculture », écrivant presque sous la dictée de Duhamel du Monceau. Heureusement rattrapé par Béguillet dans le Supplément. Quesnay, passablement dogmatique et manichéen, bâtissant l'image, qui s'est pérennisée, d'une France agricole coupée en deux. Le Roy, le technicien prudent, souvent en désaccord avec ses pairs. Barthès, le praticien méridional parmi les théoriciens parisiens. L'examen de la Correspondance de Voltaire, concernant son activité agricole à Ferney, met en évidence certains traits de sa personnalité. Hâbleur, il proclame qu'il a révolutionné l'agriculture du pays de Gex et qu'il obtient des rendements extraordinaires, alors même que la première récolte n'a pas été moissonnée. Réactionnaire : « N'enseignez pas la lecture aux paysans ! » Passionné d'agriculture, lecteur des ouvrages d'agronomie, proclamant que le seul vrai bonheur est champêtre, mais qui va finalement triompher et mourir à Paris, bien loin de ses vaches et du beau semoir dont il s'était dit si fier. 8 Quelques pages d'historiographie sont esquissées, avec l'étude du regard critique que Marc Bloch avait porté sur son œuvre de ruraliste, les observations des géographes à l'égard des Caractères originaux et l'enthousiasme toujours inentamé de certains historiens. Quelques incursions du côté de la méthodologie et de l'épistémologie mènent à l'étude du statut des textes agronomiques en tant que sources, ou de la notion de synthèse provisoire. 9 L'étude des techniques agricoles anciennes n'est pas sans actualité ; elle peut intéresser les praticiens d'aujourd'hui. Un ouvrage récent, destiné aux agriculteurs, est intitulé Redécouvrir les engrais verts. Certains agronomes espèrent trouver, dans l'exposé des

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pratiques anciennes, des arguments en faveur d'une agriculture économe et respectueuse de l'environnement. Ainsi la connaissance de l'agriculture d'hier aurait un rôle à jouer dans la genèse de celle de demain, historiens et agronomes pouvant œuvrer ensemble à… une nouvelle révolution agricole.

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Index chronologique : XIXe siècle

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Comptes-rendus de lecture

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Corinne BOUJOT, Le venin, Paris, Éditions Stock, 2001, 232 p.

Laurent Le Gall

1 Sur le venin qui fait peur et inquiète, sur le venin à notre époque et dans nos héritages, sur le venin à la double face — curatif et mortel —, Corinne Boujot livre dans un essai concis et bien documenté une analyse fine d’un objet anthropologique à la croisée de questionnements multiples : le corps, la sexualité, la mort par exemple. Sachant faire feu de tout bois, empruntant aussi bien aux travaux d’historiens chevronnés qu’aux dernières études pharmacologiques sur le sujet, tirant profit de ses expériences sur le terrain, l’auteur sait entraîner le lecteur dans un monde où se coudoient le philtre d’amour d’Yseut et de Tristan, le tarentisme des Pouilles, le « panseur » de venin de la Bretagne gallo (orientale). Pour notre curiosité et pour notre grand plaisir.

2 « Il coule donc, le venin, débordant les catégories et les définitions » (p. 14) constate Corinne Boujot dans son introduction. Substance polysémique dont il faut essayer de cerner au mieux ce qu’elle peut recouvrir. Ainsi, autant la zoologie n’a-t-elle pas retenu le venin comme un élément de classification, autant dans la culture paysanne, les bêtes qui en sont pourvues apparaissent-elles comme un groupe à part entière. Quant au mot lui-même, il renvoie originellement à la potion magique dédiée à Vénus, ensuite à partir de son intégration dans la langue française au XIIe siècle, à la notion de poison dont il est un synonyme. Venin plus insaisissable qu’il n’y paraît donc, qui court sur des siècles et fait écho à des gestes, à des pratiques, à des imaginaires hérités, transformés ou nouvellement façonnés : c’est ce à quoi nous convie l’auteur. 3 Le venin au contemporain. Le choix d’une optique régressive dont il faut saluer à la fois la rigueur et les préventions de l’auteur à l’égard d’une quête des mythiques origines et des structures immobiles, commence par un état des lieux. L’ambivalence domine : la mode des nouveaux animaux de compagnie (rat, mygale, grenouille, serpent) — la terrariophilie — prospère tandis que notre perception de la bête à venin se cantonne de plus en plus à celle qui injecte, et en particulier à la vipère. Mieux connue, mieux identifiée, mieux répertoriée, mieux protégée — c’est un des objectifs de la Société herpétologique de France créée en 1972 —, l’herpétofaune se réduit surtout pour le promeneur au seul groupe des espèces actives dont se sont emparés les scénaristes des

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« épouvantables téléfilms » (p. 41) et des films de « fantastique fiction » (p. 46). Car, pour comprendre nos phobies, nos répulsions, Corinne Boujot s’est aussi complue de façon méritoire à visionner nombre de « navets » aux noms programmatiques — Ticks (1994), L’invasion des abeilles tueuses (1995), King Cobra (1999). Histoires bien souvent insignifiantes cinématographiquement parlant, utilisant les mêmes procédés et recherchant les même effets, elles deviennent un corpus intéressant sous le regard affûté de l’ethnologue. Ici, le grouillement, le pullulement, le foisonnement l’emportent ; l’envenimation est foudroyante et elle se fait en général par pénétration du corps des victimes. Des constantes apparaissent donc. Elles renvoient à la culture commune que partagent les réalisateurs de ces fictions mais aussi à des thèmes présents dans la société et qui nourrissent ces images animées : les liens entre venin, virilité et agressivité ; l’impossible expression de la sexualité pour le héros positif tant que la menace plane ; les formes d’hybridation une fois que la substance animale a pénétré dans le corps supplicié. Le venin, c’est ainsi l’opposition entre le sauvage et le social dont les linéaments sont susceptibles d’être étudiés en faisant un « retour sur l’imaginaire médiéval » (p. 67). 4 C’est l’objet de la deuxième partie et Corinne Boujot s’emploie dans une démarche qui bouscule les frontières entre certaines sciences sociales et humaines à donner une profondeur historique au sujet qu’elle aborde. La légende de Tristan et Yseut dans ses versions différentes et complémentaires — Thomas et Béroul mettent chacun par écrit une variante de l’histoire dès le XIIe siècle — sert de fil conducteur. Les combats héroïques que mène Tristan contre des ennemis aussi divers que le Morholt — le Géant qui venait prendre les enfants de Cornouailles — ou le serpent crêté ne sont qu’une suite d’envenimations par l’épée empoisonnée et la langue du reptile. Quant au philtre que la mère d’Yseut a préparé pour les noces de sa fille avec le roi Marc, et que les deux futurs amants burent par inadvertance au cours de leur traversée maritime, il est le déclencheur de la passion fatale et vile, le facteur de l’ensauvagement irréversible. Les tumultueuses aventures du couple maudit sont ainsi placées sous le signe de poisons/ venins qui corrompent l’individu et détruisent la société. Corps possédé, corps squameux, corps envenimé : le corps de Tristan porte les stigmates de la faute, de la déchéance prononcée, du trépas futur. Et la claudication du héros ne fait qu’ajouter à cette image d’un déséquilibre évident qui le situe entre le monde des vivants et celui des morts. Le venin médiéval ne serait-il qu’imaginaire ? Non bien sûr, estime Corinne Boujot qui cherche à retrouver ses infiltrations dans la société. Le philtre d’amour condamné dans l’intrigue pour ses effets nocifs, préparé par certaines mères pour leur fille, parle du désir et de la façon dont la société aristocratique de l’époque essaya de le contenir grâce à l’élaboration du nouvel idéal de l’amour courtois. De même, le fait que les effets du philtre cessent au lendemain de la Saint-Jean — fête caniculaire par excellence — incite l’auteur à rechercher les indices ténus de la place du venin dans la culture populaire au Moyen Âge. Les brillants travaux de Jean-Claude Schmitt sur le Saint-Lévrier, l’étude que fit en 1959 Ernesto de Martino sur les tarentulés du sud de l’Italie étaient de précieux points d’appui. Ils sont mis utilement à contribution ; on aurait toutefois souhaité, pour une meilleure compréhension de la démonstration, que Corinne Boujot offre au lecteur profane, à partir de ses lectures, des raccourcis plus explicites sur la réelle présence du venin dans cette société, sur les manières de le conjurer. Pour clore la part médiévale de son récit, elle affirme : « Le venin s’insinue, il pénètre corps et âme. Là, il décompose, dés-organise, dissout, assèche. La menace représentée par le venin est corruption du corps, corps humain et corps social,

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individuel et collectif. La figure du venin à laquelle la légende de Tristan et Yseut nous a donné accès est ainsi une élaboration culturelle complexe, une production de son temps qui tout à la fois emplit le récit et le déborde » (p. 113). 5 En intitulant sa troisième partie « Du magique au toxique » (p. 119), l’ethnologue enjambe les siècles, observe les nouveaux enjeux qui s’opèrent entre la fin de la période médiévale et le XVIIIe siècle rationalisateur. Première mutation majeure : le corps est perçu comme poreux… et la femme comme plus dangereuse. Faisant couler le lait et le sperme, marquée par la souillure de ses menstruations, elle incarne le désir qui enchaîne — image que l’on trouve chez Ronsard —, le fluide qui angoisse et les poisons dont elle a le secret. Les chasses aux sorcières furent également des combats menés contre des femmes réputées venimeuses. Ce corps attaqué, tellement perméable, au cœur des préoccupations des hommes de la Renaissance, c’est aussi le corps si facilement empoisonné. De nouveaux dangers guettent : à côté des récurrences de la peste, la syphilis se propage et inquiète. À l’instar des curiosités d’un Ambroise Paré pour ce qui touche au fonctionnement du corps, certains étudient le mal vénérien pour lui-même. Jérôme Fracastor, savant poète véronais, émet ainsi l’hypothèse au milieu du XVIe siècle que de minuscules organismes vivants détermineraient la contagion. Il les nomme virus, un terme latin qui désignait le venin du serpent. Ainsi, « en qualifiant de "virus" les agents de la contagion, il choisit un nom qui était déjà tout un monde » rappelle Corinne Boujot qui poursuit : « Dans ce nom qui assimile par le jeu de la qualité des substances, le venin au sperme et à la sève, il maintient puissamment l’association de la contagion à la sexualité et au sang, conjuguant la survalorisation sexuelle de la figure du venin et l’association macabre de celui-ci aux maladies qui font pourrir les hommes sur pied : la peste, la lèpre, la syphilis. Dans ce rapprochement, son actualisation future est en germe » (p. 139). Contre ce venin omniprésent, il fallut rechercher des solutions. C’est l’objet de la seconde mutation qui met en jeu les apothicaires et fait entrer le venin dans le domaine de la pharmacie. Un basculement de l’imaginaire au médical pour ainsi dire. Car les hommes n’ont cessé de se défier des atteintes du venin et lui ont cherché des remèdes. La thériaque, mélange d’une soixantaine d’ingrédients parmi lesquels figure la vipère, se transmet de siècle en siècle parce qu’elle est très recherchée pour ses vertus curatives. Or, à partir de 1529, afin de prévenir les mauvaises façons de l’élaborer, elle tombe sous le coup d’une obligation de préparation publique. Épisode anodin ? Pas si sûr quand on suit l’analyse de Corinne Boujot qui observe les continuités entre cette pétrification de la formule miracle et l’Affaire des poisons sous le règne de Louis XIV. Entre 1670 et 1680, des procès s’ouvrent contre des centaines de personnes appartenant à toutes les classes sociales, accusées d’avoir formé un réseau d’empoisonneurs avec en ligne de mire la personne du roi. Ce dernier promulgue alors en juillet 1682 un édit qui définit au mieux le crime d’empoisonnement ; un texte important qui réglemente le commerce des toxiques et ordonne que seuls médecins et apothicaires seront désormais habilités à employer des animaux venimeux pour des préparations. Le venin rencontrait ainsi ses professionnels tandis que les remèdes populaires, même s’ils perduraient, étaient appelés à perdre de leur prestige et de leur pouvoir. Le venin était-il condamné à disparaître de notre horizon contemporain, comme usé par la bataille de la science et des dépositaires du savoir ? « La vipère a perdu tout pouvoir de guérir. Lentement, dans le foyer de la culture urbaine, se forgent la pensée scientifique et la médicalisation des gestes et des représentations dont le corps, son fonctionnement, ses dysfonctionnements sont l’objet. Le venin emprunte alors deux voies distinctes selon qu’il demeure en contexte

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rural ou paysan ou qu’il intègre le contexte urbain et industriel » (p. 166). Ce sont ces deux voies que Corinne Boujot se propose d’étudier dans la dernière partie de son livre. 6 Il y a donc une actualité du venin qui nous parle de nos héritages ruraux et de leurs entrelacements/soumissions à notre culture urbaine. Car la campagne est toujours envenimée et cette envenimation dure même si elle se fait moins présente, moins prégnante. Les alcools de vipère préparés entre avril et septembre, auxquels on prête des vertus non seulement de contrepoison mais aussi actives — contre les rhumatismes, les refroidissements —, n’ont pas disparu. Ernesto de Martino étudiant le tarentisme — les crises imputées à la morsure venimeuse de la tarentule qui émet une petite musique en piquant, musique qu’il faut retrouver pour exorciser ladite morsure — dans la région de Tarente décryptait une tradition pluriséculaire et montrait que la pratique renvoyait à une construction culturelle d’un interdit, celui de l’inceste entre pères et filles. L’araignée venimeuse restait ainsi au cœur des horizons social et sexuel de la population. En revanche, en Bretagne gallo, c’est le crapaud qui symbolise le venin. Au terme d’une étude de terrain minutieuse, Corinne Boujot fait état de ce qu’est le « panseur » de « vlin » (pour venin). Consulté pour son don dont il use sans fierté et qui ne peut s’épanouir que parce qu’il est assumé par la communauté, le « panseur » dispose d’un pouvoir de même nature que ceux qu’il combat. Contre l’animal venimeux qui porte atteinte au corps, et par extension contre tous les maux qui empoisonnent hommes et femmes, il lutte pour la dépossession et pour le retour à une intégrité corporelle d’avant la morsure. Selon l’auteur, « l’ensemble de ces pratiques paysannes présentent des points communs » (p. 197) : les rôles de la sexualité, les questions de la possession et de l’ensauvagement par exemple. Reste qu’avec « la fin des paysans », ces pratiques qui renvoient à des assemblages symboliques anciens paraissent de plus en plus vouées à une mort prochaine. Le venin n’intéresserait-il plus que la science ? Comme si le venin des savants l’avait emporté définitivement, dans un processus de civilisation et de « désenvenimation », sur le venin imaginaire et imaginé. C’est sur ce thème que se clôt l’ouvrage de Corinne Boujot. Utilisé aussi bien par l’homéopathie que par l’allopathie, le venin fait véritablement son entrée dans la science au XIXe siècle comme en témoignent les recherches conduites jusqu’à nos jours au sein de l’Institut Pasteur. « L’homme serait-il en passe d’intégrer la classe des venimeux ? » (p. 216) se demande enfin l’auteur en dernière analyse. 7 Le venin au miroir de la nature humaine : scrutant nos phobies contemporaines, remontant le temps à la recherche des possibles passerelles, convoquant les imaginaires et les enquêtes de terrain, Corinne Boujot construit l’objet-venin en débusquant ses multiples facettes. Il est alors question de frontières et de transgressions : entre le monde des vivants et celui des morts, entre la possession consentie et la dépossession espérée, entre le sauvage et le social. Un venin qui brouille les pistes et s’insinue là où on ne l’attendait pas.

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Index chronologique : Moyen Age, Ancien Régime, XIXe siècle, XXe siècle

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Radu DRAGAN, La représentation de l’espace de la société traditionnelle. Les mondes renversés, Connaissance des hommes, Paris, Éditions L’Harmattan, 1999, 368 p.

Corinne Boujot

1 Le titre a de quoi laisser un peu perplexe puisque « la » société traditionnelle en question n’est pas spécifiée lors même que l’étude porte bien spécifiquement sur la société paysanne roumaine, et plus précisément encore sur des villages du sud-est de la Valachie. Mais Radu Dragan annonce, en introduction à son ouvrage, qu’il entend produire « un texte dont l’ambition n’est pas d’être le compte rendu des représentations roumaines de l’espace (cela [lui] semble d’ailleurs parfaitement incongru) mais de proposer une théorie dont ces représentations sont la justification documentaire, sans plus » (p. 12). D’où ce titre si général qu’il en devient approximatif.

2 Acquis aux approches et théories dualistes en anthropologie, l’auteur nous propose une vision de la société traditionnelle valaque dans laquelle la représentation et la construction de l’espace sont fondées sur le vis-à-vis de deux mondes — ou les deux faces d’un même monde — en rapport d’échanges constant : le monde des vivants et celui des morts, « ce monde » et « l’autre monde ». Ces deux mondes, par le jeu d’un système de correspondances terme à terme, apparaissent pris dans une relation symétrique tandis qu’un lien essentiel, fondamental, associant le corps et l’espace est souligné. Le travail s’appuie sur diverses sources, depuis les archives anciennes jusqu’aux enquêtes ethnologiques plus ou moins récentes, dont celle de l’auteur — assez peu mise en avant — et les données folkloriques recueillies à la fin du XIXe siècle ; documenté, et en cela déjà très intéressant, ce livre est aussi riche d’idées. 3 La première partie de l’ouvrage — qui en représente aussi la moitié —, intitulée « L’espace de ce monde », est consacrée à la structure et à l’organisation de l’espace de vie, habité, approprié : du village aux confins du territoire en passant par la maison.

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Pour chacun de ces lieux, les rituels de fondations sont interrogés dans le rapport qu’ils entretiennent avec leur organisation. Le système de parenté entre en correspondance intime avec la structure du territoire, notamment dans la figure des « vieillards ». L’ancêtre que la communauté villageoise se donne, le vieillard, est placé à l’origine des lignées et du village. Or, le vieillard, c’est aussi l’unité de mesure sur laquelle est fondé le partage du sol entre les lignées. Que dire, alors, quand on apprend que ce sont des « vieillards », encore, des « gens bons et anciens » (p. 107), qui sont convoqués pour retracer les frontières lorsque celles-ci sont tombées dans l’oubli. Dans le même esprit, l’analyse des sacrifices de fondation de la maison, de l’orientation spatiale de celle-ci et de la sexualisation de son organisation interne amène l’auteur à considérer qu’elle est une projection du corps féminin. Le système symbolique à l'œuvre est mis en valeur, et le corps apparaît fournir son modèle aux représentations de l’espace. L’analyse de celles-ci intègre les rapports du dehors au dedans, de l’intérieur à l’extérieur, de sorte que le système des deux mondes, la relation qu’entretient « ce monde » avec le monde des morts — « l’Autre monde » —, fonderait la relation à l’altérité. On peut regretter, alors, que cette dernière notion ne soit pas développée. 4 Les frontières et les passages prennent une singulière importance dans la dialectique que l'auteur s’attache à saisir. Et il parcourt ces espaces clés que sont les limites, naturelles et artificielles, du territoire : les monts, les rivières, les ponts, les carrefours, constatant que ce sont aussi des lieux de passage et d’échanges, entre les hommes, mais aussi entre les vivants et les morts. Bien que ces brèches soient plus fréquemment et plus aisément empruntées par les morts pour rejoindre le monde des vivants que l’inverse, c’est pourtant sur les passages des vivants dans le monde des morts que se ferme la première partie. Les « passeurs » traditionnels et leurs pratiques sont présentés et le lecteur est conduit dans « le village des morts », les cimetières, où R. Dragan discute de la sédentarisation des morts et des transformations affectant les lieux — concrets et imaginaires — qui leurs sont destinés. Il esquisse des relations entre ces processus et l’extension des systèmes de parenté par lignage au gré de la sédentarisation des hommes, des changements intervenus dans leurs pratiques culturales, leurs pratiques et leurs représentations de l’espace, etc. Il revient sur les notions d’espace et de territoire et achève là le tour de « ce monde », pour passer à « l’Autre Monde », qui est l’objet de la seconde partie de l’ouvrage : « L’espace de l’Autre Monde ». 5 La première partie s’ouvrait sur la question de la séparation comme acte fondateur, rompant la continuité, l’indifférenciation. Cette question introduisait la notion de limite. Celle-ci, appelée à être une ligne force de l’analyse en cours, y est ensuite sans cesse reprise et travaillée, pour être enfin définie comme « opération logique visant à introduire de l’ordre dans le monde » (p. 95). La seconde partie, dans laquelle cette notion est appelée à prendre une place essentielle, pose d’entrée ce postulat que « la continuité instaurée par la limite entre les mondes est plus significative que leur séparation » (p. 183). On entre dans l’Autre monde par « les voyages imaginaires », faits des spécialistes de l’extase. Les récits de voyage des âmes structurent l’espace des morts. Les âmes, en circulant, « l’arpentent ». Le parcours, physiquement éprouvant, de la distance, affirme la séparation des mondes et confère de l’étendue à l’espace de l’autre monde. À bonne distance de « ce monde », c’est toujours en référence à celui-ci que « l’autre » est localisé : dans une île, une caverne, un château, dans le ciel, etc. Les êtres et les objets qui interviennent dans le voyage — esprits animaux, par exemple — ou dans la configuration géographique des lieux — ponts, gouffres, arbres, etc. — sont

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tous empruntés à la réalité. Les éléments qui, dans « ce monde » étaient des marqueurs de limites, assument dans la configuration imaginaire de l’au-delà la fonction de bornage, qui permet de le spatialiser, de structurer son espace : la porte, le pont, le tunnel, l’arbre, le pilier. 6 Aux incursions des vivants dans le monde des morts répond d’abord l’errance des morts dans le monde des vivants, puis leur distribution dans l’espace, d’un monde à l’autre. Simultanément, le parcours de cette géographie irréelle se poursuit : au carrefour, l’âme du défunt suivra-t-elle le droit chemin en empruntant le chemin de droite ? Elle franchira des ponts étroits, risquera la chute, passera les « douanes du ciel », le « pont en toile » pour gagner la « maison de l’âme en paradis ». Et chaque étape est l’occasion d’un développement au cours duquel l’auteur recoupe diverses informations relatives au même thème, puisant à l’Antiquité ou à d’autres aires culturelles afin d’en approfondir le sens symbolique ou d’en faire l’archéologie. 7 « La soif des morts » est l’occasion de discuter du système d’échange en vigueur entre les vivants et leurs morts, dont ils attendent fertilité et fécondité. L’art et la manière de désaltérer les morts, les dons divers faits par les vivants aux vivants mais adressés aux défunts et supposés leur parvenir (vêtements, objets, monnaies, nourriture), les constructions de fontaines et de ponts, de croix aussi, qui sont autant de points limites appartenant à l’un et l’autre monde et sont érigés du vivant de la personne pour qu’elle en jouisse post mortem, ce sont tous ces transferts de formes concrètes dans l’au-delà, de « ce monde » réel vers « l’Autre monde » imaginaire, qui donnent forme à cet espace, et, en définitive, il semblerait bien que « c’est le don qui constitue l’espace de l’au- delà. » (p. 277). 8 Dans cette deuxième partie l’auteur analyse, donc, les opérations de construction de cet espace « sans dimension » de l’imaginaire, qui est pure convention (p. 255). Ceci l’amène à affirmer que « toute pensée est spatiale. Il n’y a pas de pensée possible, hormis une structuration en terme d’espace » (p. 186). Ce qui est son postulat fondamental, la raison d’être de l’ouvrage et l’apport le plus neuf aux termes du débat. 9 La troisième partie est la plus brève. « La genèse de la notion d’espace » conclut l’ouvrage sur une discussion autour de ce postulat, pour en dégager des implications théoriques concernant le rapport du corps à l’espace. L’espace est la base de tous les systèmes de classification, le corps lui fournit son modèle initial et est l’opérateur logique du système. La logique dualiste — posée comme universelle — sur laquelle repose le système des deux mondes (et toutes les hypothèses de l’auteur) est alors interrogée à la lumière des théories organicistes de la psychologie expérimentale, en quête d’un fondement biologique. 10 Ce livre présente, à plus d’un égard, de l’intérêt pour qui travaille sur l’espace, sur le territoire, ou sur le corps et le lecteur y apprend beaucoup sur la société paysanne roumaine. Néanmoins, l’approche théorique ne va pas sans susciter quelques réticences. Radu Dragan étaye sa réflexion sur M. Eliade, auquel son livre rend hommage, et sur J.G. Frazer. Au-delà des exemples et des hypothèses, il reprend à ces auteurs leur méthode. Outre que cela donne à l’ouvrage un ton un peu suranné, cela prête à des critiques plus sérieuses. 11 En effet, si l’approche comparatiste présente un intérêt certain, si, ainsi que l’auteur l’énonce, « il n’y a pas de particularité sociale sans généralisation possible » (p. 12), la mise en contiguïté de fragments mythiques et symboliques arrachés à l’espace et au temps, de façon judicieuse, certainement — au moins au regard du principe

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analogique —, mais néanmoins un peu rapide, peut-elle encore aujourd’hui servir un travail de comparaison ou de généralisation ? 12 Un certain flou domine dans la référence faite, à maintes reprises, à des entités confuses telles que « les anthropologues » ou, mieux encore, « les savants ». Il est plus ennuyeux que ce flou atteigne aussi des notions qui ont quelque importance dans son propos. C’est le cas, par exemple, de « la société traditionnelle » — dont le caractère singulier, d’une part, et traditionnel, d’autre part, posent problème — et qui est définie comme « une certaine forme de société paysanne disposant d’une manière de manipuler les concepts différente de celle de la société moderne » (p. 9) ; ou encore de celle « d’altérité », dont on regrette qu’elle soit aussi peu explicite et qu’il faut admettre, au gré de la lecture, comme désignant à titre exclusif « l’Autre monde », le monde des morts. 13 Par ailleurs, si, au fil de l’ouvrage, de nombreux débats sont ouverts avec différents auteurs, ils sont parfois un peu rapides et superficiels. Il est assez souvent procédé par simple réfutation ou affirmation non nécessairement tout à fait convaincantes. Ainsi, par exemple, les théories et les concepts de la psychanalyse sont-ils traités par un mépris affiché sans que celui-ci soit jamais théoriquement développé, donc sérieusement fondé. Il s’agit dès lors plus de simples positions de principe que de véritables débats théoriques. 14 Enfin, cet espace dûment disséqué et que l’on découvre si hautement formalisé, on s’attendrait, un peu, à le voir habité. « L’espace est quelque chose de quotidiennement vécu, approprié, utilisé » (p. 11). Mais rien ne perce de cette dimension essentielle, il n’y a pas âme qui vive dans les villages et les maisons de Radu Dragan. On y croise des fantômes et des êtres mythiques en foule, issus de la nuit des temps et des quatre coins du monde, toute la Maisnie Hellequin est au rendez-vous, mais des hommes ne reste que… leur ombre. Ces réserves ne doivent toutefois pas occulter l’intérêt certain que présente le livre de Radu Dragan, qui pose de nombreuses questions et ouvre des perspectives en même temps que des débats.

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Index chronologique : XXe siècle

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Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne aux XIXe et XXe siècles. Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, 331 p.

Gaëlle Charcosset

1 Sous la direction de Frédéric Chauvaud, historiens, géographes, sociologues, ethnologues, musicologue et archivistes collaborent pour mettre à profit leurs compétences sur les fonds archivistiques du département de la Vienne. Suscité par l’Association pour l’étude de l’histoire de l’agriculture au XXe siècle, ce premier guide de recherche en histoire agricole contemporaine (de 1815 à nos jours) est un instrument de travail conçu pour tous les chercheurs, dans le but de favoriser et de faciliter de nouvelles études sur un département majoritairement agricole mais très rarement pris en considération en tant que tel. Toutes les démarches entreprises sont justifiées dès l’introduction. Le choix du département comme échelle est expliqué par la commodité qu’il offre, tout en insistant sur l’absence de coïncidence entre le découpage administratif et les espaces vécus, c’est-à-dire les régions agricoles dont le nombre et les délimitations n’ont cessé de fluctuer.

2 Puisque cet ouvrage est est annoncé comme le premier d’une collection, la première partie (pp. 22-56) réunit les contributions de spécialistes de la société agricole, autant en histoire (Jean-Luc Mayaud) qu’en géographie historique (Jean-René Trochet), en droit (Denis Rochard), en économie (Yves Jean) et en sociologie (Annie Guédez). Le bilan historiographique des dernières années de recherche est ainsi dressé, prônant une histoire ouverte aux autres disciplines et qui a tout à s’enrichir à leur contact. Une présentation administrative et géographique du département de la Vienne conclut cette partie. Elle donne à réfléchir sur les nouveaux cadres de production d’archives par la création des communautés de communes et des « pays » institutionnels. 3 Intitulée « Sources manuscrites », la seconde partie (pp. 65-186) recense par fonds d’archives puis par séries toutes les sources permettant de réaliser cette histoire agricole. On ne peut douter, devant la richesse des fonds dont dispose le département

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de la Vienne, que les études se multiplieront rapidement dans les années à venir. Les auteurs présentent successivement les fonds traditionnels, Archives nationales, Archives départementales de la Vienne, Archives départementales limitrophes (Deux- Sèvres et Indre) et Archives municipales. Mais ils attirent aussi notre attention sur des fonds plus rares — Joseph Le Floc’h, musicologue, a été chargé de recenser toutes les archives sonores concernant le monde rural de la Vienne, qu’elles soient déposées dans le département de la Vienne ou dans d’autres départements, des institutions et des collections personnelles — ou souvent oubliés quand il s’agit de retracer l’histoire des campagnes. Ainsi, le Centre d’archives du monde du travail à Roubaix est mentionné en bonne place. Parti a été pris de ne signaler que les fonds privés présentant des facilités d’accès. Si au premier regard ce guide de recherche semble être réservé au chercheur travaillant sur la Vienne, il permet de soulever bon nombre de questions relatives au fonctionnement des Archives départementales en France, et à cet égard il sera profitable à qui veut se pencher sur l’histoire agricole, quelque soit le département choisi. En effet, malgré les circulaires ministérielles fixant un cadre de classement commun, la comparaison des fonds montre des disparités encore nombreuses, comme l’enseignement agricole attendu en série M mais classé ici en série T. 4 Les sources imprimées et la bibliographie font l’objet de la troisième partie (pp. 187-194) et sont organisées en trois temps : les sources imprimées, les ouvrages à caractère de source et la bibliographie sont classés par mots clés faisant le lien avec un autre instrument de travail, la bibliographie agricole nationale, en cours d’élaboration sous la direction de Jean-Luc Mayaud. La présence d’un index des noms en fin d’ouvrage autorise également une recherche par auteur. Le recoupement des fonds des Archives départementales de la Vienne et de la Médiathèque de Poitiers permet ensuite de présenter une liste de 240 périodiques locaux — les plus éphémères (pour une campagne électorale) étant écartés — présentés selon l’ordre alphabétique de leur titre. Autant pour les ouvrages que pour les périodiques, les lieux de consultation et les côtes sont indiqués et il a été vérifié que chaque document était réellement consultable. Enfin, sont mentionnés les travaux universitaires (mémoires de maîtrise, de DEA, thèses et habilitations à diriger la recherche). 5 La quatrième partie (pp. 295-311), rédigée par Frédéric Chauvaud, prend en considération les pistes de recherche auxquelles invitent les sources recensées et qui peuvent entraîner une « ivresse panoramique » (p. 300). C’est un véritable foisonnement de sujets et de questions que soulève le directeur du volume, insistant particulièrement sur la nécessité de travaux sur la problématique de la crise (p. 299) e e aux XIX et XX siècles et invitant à une histoire des supports, notamment la presse agricole, particulièrement riche pour ce département. Il insiste sur l’espace agricole, ce qui lui permet de dégager les pistes récentes de recherche que sont celles du patrimoine et du paysage agricoles, qui entraîneront nécessairement l’étude des filières. Enfin, dans l’optique des travaux proposés à l’échelle nationale ou dans d’autres départements, sont mentionnées l’histoire de l’excellence par les concours et les comices agricoles et celle des exploitations agricoles. L’histoire de l’essor coopératif du Poitou et des Charentes, enfin, reste à faire. Tout au long des pistes proposées, se dégage un plaidoyer en faveur d’une histoire fine, multipliant les échelles d’analyse, et s’inspirant de la démarche des ethnologues. 6 Premier guide de recherche en histoire agricole, exercice périlleux auquel peu de chercheurs se risquent et qu’il est sans nul doute plus facile de critiquer que de réaliser,

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un certain nombre de points faibles doivent être relevés. Du point de vue formel tout d’abord, si quelques coquilles — en partie dues à une correction automatique et inhérentes à toute publication — persistent, une seule pose réellement problème : la majuscule à « Société agricole » (titre de l’ouvrage en page intérieure) laisse envisager au premier abord un guide spécifique à une société d’agriculture locale. De même, les notes ont été soit reportées en fin de chapitre, soit en grande partie supprimées au profit de parenthèses dans le texte même (notamment pour les contributions des spécialistes), mais au détriment de la compréhension de celui-ci : leur indication en bas de page aurait été des plus adaptées. Enfin, les normes en matière de références bibliographiques ne sont pas des plus rigoureuses : l’absence de références précises pour une partie des thèses ruralistes ou seulement à leur troisième citation (thèse de Ronald Hubscher citée p. 26, en haut de p. 28 avant d’obtenir enfin les références précises en bas de p. 28) est également regrettable. Cette question de normes apparaît encore dans la présentation des sources : relativement stables dans l’ensemble, elles sont ponctuellement oubliées (voir J82 à J89 p. 82 pour les retraits) voire abandonnées en cours de séries : la fin de la série J apparaît quelque peu désordonnée, "547 J" étant suivi de « 211 » et toute la série W étant présentée en ne signalant les sous-séries qu’en sous-titres et non à toutes les côtes comme précédemment. Enfin, quelques photographies viennent en première page de chacune des parties : si elles sont titrées et si elles suscitent l’intérêt du lecteur, elles ne renvoient pas à un fonds d’archives pour une étude plus exhaustive. Nous n’insisterions peut-être pas autant sur cet aspect formel, des détails minimes somme toute, si cet ouvrage n’était pas en partie destiné à des étudiants de maîtrise qui s’y référeront lors des recherches et de la rédaction de leur mémoire. 7 Ensuite, les titres sont quelque peu maladroits : si l’ambiguïté relevée pour le titre même de l’ouvrage est due à la syntaxe, les autres manquent de clarté (« L’agriculture de la période contemporaine à l’aune de l’histoire », p. 22), ou peuvent créer des contresens sur le contenu de la partie concernée : ainsi le titre de la deuxième partie (« Sources manuscrites ») dissimule la présentation d’archives sonores qui paraissent des plus riches et sont certainement une exception dans le paysage archivistique français ; de même, l’intitulé « Série E : Archives notariales » (p. 77) est inadapté, puisque les fonds notariaux ne constituent qu’une partie de la série E (ce qui est implicitement indiqué par le sous-titre suivant) et qui plus est, des explications sont données, à la suite, sur les registres paroissiaux et d’état civil. 8 Le travail en équipe, indispensable pour les recensions précises, pour la vérification des côtes et de la présence effective des documents, pour la précision même de cet outil de travail, présente paradoxalement quelques contraintes inattendues : ce sont des personnes connaissant parfaitement le département de la Vienne et ses fonds archivistiques qui ont travaillé ensemble, aussi les spécificités de classement des Archives départementales, observées plus haut, ne leur paraissent pas nécessiter d’informations complémentaires ; la contribution des archivistes est mal exploitée par des notes introductives aux séries inexistantes (aucune explication n’est donnée à l’absence de côtes en sous-série 11M pourtant consacrée à l’agriculture ; et pourquoi les délibérations du conseil général sont-elles absentes de la série N alors qu’elles présentent de multiples intérêts pour le monde agricole ?) ou insuffisantes et pouvant porter à confusion (par exemple, pour la série T : « répertoire à consulter : Aude », p. 118). De même, les « Archives municipales » ne peuvent désigner que celles de Poitiers. Pour les références bibliographiques et les sources imprimées, les lieux de

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consultation, GERHICO et MTH, paraissent aller de soi, certaines côtes sont données sans leur lieu de consultation (sans doute la médiathèque ?), ce qui devient le cas général pour les travaux universitaires (une seule bibliothèque universitaire ?). Quant au « Bull. soc. Ant. Ouest », le titre n’est explicité qu’au détour d’une référence bibliographique p. 217 (Bulletin de la société des Antiquaires de l’Ouest), soit au terme de près de 30 pages de références et il faut en attendre dix autres pour découvrir que cette estimable revue est conservée aux Archives départementales de la Vienne. 9 Enfin, si tous les choix sont parfaitement justifiés dès l’introduction, nombre d’entre eux apparaissent contestables ou sont abandonnés en chemin. En premier lieu, les auteurs délimitent la portée de leur ouvrage à l’histoire agricole, tout en mentionnant les apports de l’histoire agraire, de l’histoire rurale et des autres disciplines des sciences sociales. Or, nous pouvons observer une acception différente du terme entre le traitement des sources et celui des références bibliographiques. En effet, si la politisation est l’un des mots-clés retenu par la bibliographie agricole nationale et est ici exploité (pp. 246-248), il n’en va pas de même pour les sources puisque les côtes relatives aux élections et au comportement électoral dans les campagnes ne sont pas mentionnées. Quelque soit le choix arrêté, il conviendrait de signaler les listes électorales pour l’intérêt qu’elles présentent pour toute étude prosopographique, au même titre que les listes de recensement, le cadastre, les registres d’état civil, etc. En effet, si l’avantage n’est pas certain pour la période de suffrage censitaire étant donné la richesse de la série P, il n’est pas négligeable lorsque le suffrage devient « universel » pour connaître le domicile, la profession année par année des hommes de plus de 21 ans. Ensuite, la distinction opérée entre sources manuscrites et sources imprimées ainsi que le regroupement des sources imprimées et des références bibliographiques sont très discutables : elles entraîneront certainement des confusions regrettables dans l’esprit des étudiants. Enfin, il semble que les objectifs relatifs à la présentation des sources aient évolué selon deux logiques différentes : la présentation linéaire côte après côte, sans véritable critique du mode de classement, et une recherche implicite visant à l’exhaustivité, quitte à autoriser le mélange en série J de fonds d’origine privée et d’archives communales déposées, alors que le reclassement est en cours. En revanche, en série U, ce sont des affaires intéressant la société agricole en Cour d’Assises qui sont présentées par thèmes, permettant de mettre en valeur la richesse du fonds. La même démarche est appliquée en série Z puisque seul le fonds d’une des sous- préfectures est proposé en exemple. Il est finalement regrettable que ce procédé n’ait pas été adopté pour la série M où les côtes relatives à un sujet peuvent être éparpillées (chasse, gardes champêtres et gardes particuliers, comices et concours, médailles d’honneur et Mérite agricole, etc.) et limitant la mise en valeur d’un fonds particulièrement riche. 10 En conclusion, les apports de cette somme sont multiples, comme guide de recherche bien entendu, mais également en tant que guide pour l’élaboration de ce type d’ouvrage. Ainsi, la rédaction par une équipe pluridisciplinaire s’impose. Les critiques formulées témoignent de la richesse de cet ouvrage qui, à beaucoup donner, nous incite à en demander davantage encore. Premier de cette collection, l’avant-propos annonce le volume consacré au département de l’Aveyron, sous la direction de Roger Béteille. À quand les autres départements ?

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Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, 551 p.

Jean-Luc Mayaud

1 Professeur d'histoire agraire contemporaine à l'Université de Saint-Jacques-de- Compostelle, Lourenzo Fernández Prieto rassemble, sous un titre qui fleure bon le slogan 1, 18 contributions concernant l'histoire agraire de la Galice contemporaine. Publié en langue galicienne, ce qui ne facilite guère une diffusion internationale — et même ibérique —, l'ouvrage a l'ambition de « reconstruire une mémoire rurale » de cet ensemble de provinces du nord-ouest de l'Espagne — La Corogne, Lugo, Orense et Pontevedra. Une claire et ferme introduction au volume (Lourenzo Fernández Prieto, « Reconstruíndo a Galicia rural contemporánea ») annonce les enjeux historiographiques : tout en discutant les concepts de « modernisation » ou de « progrès », il s'agit, entre autres, de rompre avec la référence au seul « modèle » anglais et de considérer les apports des multiples recherches des historiens depuis une vingtaine d'années. Certes, la variété des approches des auteurs est réelle, mais choisir une échelle d'étude limitée à la région galicienne — au demeurant fort diverse et contrastée — permet une salutaire relecture mettant au jour des rythmes et une chronologie des changements ruraux observés : à l'évidence, depuis la crise agraire au moins — dont on connaît le fort impact dans les pays de l'Europe méditerranéenne 2 —, les campagnes galicienne ne peuvent plus être décrites comme « politiquement réactionnaires, socialement inertes et économiquement immobiles ».

2 Déjà publiés dans diverses revues entre 1982 et 1997, les articles sont répartis au sein de l'ouvrage selon six parties. « Changements et inerties » permet de présenter les grandes tendances de l'économie agraire observées dans des temporalités variables : temps court au moment de la crise de la fin du XIXe siècle révélant la résistance de la petite exploitation paysanne (Lourenzo Fernández Prieto, « Caracterización da agricultura galega contemporánea : entre o atraso a adaptación ao capitalismo ») ; demi

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siècle pré-franquiste traitant des rapports à la terre et des spécialisations culturales (Ramón Villares Paz, « A agricultura galega, 1870-1930. Unha época de grandes transformacións ») ; temps long révélant les contrastes entre les logiques de l'agriculture de subsistance — à base céréalière — et celles des orientations vers des cultures plus spéculatives (Maria Xosé Rodríguez Galdo, « A agricultura tradicional galega. Crecemento sen modernización »). Une seconde partie, « conflits sociaux et agrarisme », développe à l'échelle galicienne les débats qui, naguère, avaient agité la communauté scientifique française 3. Anxo Fernández González aborde les luttes antifiscales, lues au prisme de l'« économie morale » analysée par Edward Palmer Thompson (« As extratexias antifiscais nas sociedades compesiñas tradicionals. Galicia, 1700-1840 ») ; la Galice connaît ensuite une réactivation des phénomènes communautaristes et le développement d'associations professionnelles agrariennes (Henrique Hervés Sayar, Ángel Fernández González, Lourenzo Fernández Prieto, Aurora Artiaga Rego et Xesús L. Balboa López, « Resistencia e organización. A conflictividade rural en Galicia desde a crise di Antigo Réxime ao franquismo »). On nous permettra de regretter qu'une place n'ait pas été faite dans ce volume aux travaux particulièrement neufs de Miguel Cabo Villaverde 4 : le versant « agrarien » de cette seconde partie aurait ainsi pu être plus affirmé, complétant et nuançant les approches « luttes des classes ». Celles-ci sont brillamment saisies au moment des grèves du début du XXe siècle ou du premier franquisme, qui entend faire table rase de « l'associationnisme paysan » (Henrique Hervés Sayar, « O nacemento do asociacionismo campesiño na rexión baixomiñota, 1900-1905 » ; Lourenzo Fernández Prieto, « Represión franquista e desarticulación social en Galicia. A destrucción da organización societaria campesiña, 1936-1942 »). 3 Neuve et stimulante est la troisième partie traitant des « modes de production et [des] innovations techniques ». Rassemblant une importante documentation statistique — les Frutos Civiles —, Fausto Dopico Guitiérrez del Arroyo offre une première approche des rendements céréaliers du dernier quart du XIXe siècle (« Productividade, rendementos e tecnoloxía na agricultura galega de fins do século XIX ») : certes, les disparités entre les provinces galiciennes sont grandes, mais en moyenne le blé atteint 8,2 hl/ha et le millet 18 ; la production totale par travailleur de la terre est alors de 16,6 hl. L'analyse des « systèmes de fertilisation » permet de suivre l'introduction des phosphates, dont les effets ne sont pas toujours positifs (Xesús L. Balboa López et Lourenzo Fernández Prieto, « Evolución das formas de fertilización na agricultura atlántica entre os séculos XIX-XX. Do toxo aos fosfatos »). Surtout, en 37 pages denses, Lourenzo Fernández Prieto traite de la mécanisation agricole des petites exploitations, en ayant soin de poser les cadres de « l'analyse historique du changement technique en agriculture » (« Selección de innovacións nunha agricultura atlántica de pequenas explotacións. Galicia, 1900-1936. A adopción das máquinas de mallar »). Le développement de l'élevage est tel que les études le concernant nourrissent la quatrième partie de l'ouvrage. La filière bovine est l'un des principaux secteurs de l'exportation agricole : les provinces galiciennes assurent à elles seules 77 % des exportations espagnoles entre 1868 et 1886, essentiellement en direction de l'Angleterre et du Portugal (Xan Carmona Badía, « Sobre as orixes da orientación exportador na producción bovina galega. As exportacións a Inglaterra na segunda metade do século XIX ») : le secteur de l'élevage apparaît ainsi particulièrement dynamique, capable de se désenclaver et de se structurer à l'initiative des négociants. Statistiques, rapports administratifs et études de cas permettent à Alberte Martínez

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López de retracer, dans le temps long, une histoire de cet élevage qui, comme en France, évolue du statut d'activité complémentaire à celui de spécialisation conquérante — et ce dès les années 1870 —, même si, durablement, les « petits » continuent à livrer leur production au marché ; avec la « révolution verte » galicienne, l'intensification de la production est telle qu'à la fin du XXe siècle, cette spécialisation connaît, elle aussi, les problèmes d'engorgement des marchés et de concurrence, et subit les mesures imposées par Bruxelles (« Perspectiva histórica da gandería galega : da complementariedade agraria á crise da intensificación láctea (1850-1995) »). 4 Dans ces pays de petite propriété, les agriculteurs et éleveurs des provinces galiciennes trouvent d'utiles compléments dans les terres collectives. La question de la terre et des espaces forestiers légitime une cinquième partie regroupant une étude sur les utilisations et la gestion des « communaux » au XIXe siècle (Xesús L. Balboa López, « Comunidade campesiña e terras de propriedade colectiva : a utilización do monte na Galicia do século XIX ») et un article concernant les bois publics de la province de Pontevedra : les conflits sont nombreux dès lors que l'administration tente de limiter l'accès des usagers, de rationaliser une exploitation forestière destinée à l'industrie et d'engager une ample politique rationnelle de reforestation (Eduardo Rico Boquete, « Montes, industria de serra e tráfico de madeira en Galicia. A provincia de Pontevedra no período 1875-1936 »). L'ouvrage se termine par une tentative de mesurer, dans le long terme, l'évolution de la propriété et de ses revenus : une savante approche des mutations foncières permet à Aurora Artiaga Rego d'élaborer une typologie des propriétaires des environs de Saint-Jacques comparés à ceux de Tui — province de Pontevedra — (« A renda foral en Galicia a fins do seculo XIX »). Il revient à Ramón Villares Paz, spécialiste de la question 5, de dresser le tableau juridique des « foros » dans le très long terme et dans une perspective comparatiste permettant de mettre au jour les particularités galiciennes (« Os foros de Galicia. Algúns problemas e comparacións. Estudio histórico/comparativo dos censos e enfiteuses en España ») : les conflits sont multiples, et l'on sait gré à Maria Xesús Baz Vicente d'en proposer plusieurs exemples pour le XIXe siècle, notamment au moment de l'abolition du régime seigneurial (« A conflictividade abolicionista nos estados de andrade : o prieto de iñas, dexo e serantes »). L'ouvrage se conclut par une belle étude sur le crédit rural pendant le premier tiers du XXe siècle (« O amo bo e o comerciante que fía : dúas estratexias de crédito rural privado no primeiro tercio do século XX ») : à travers plusieurs exemples précis, Luís Domínguez Castro aborde les aspects financiers de l'accès à la propriété et de la « modernisation » culturale, montrant comment les financeurs parviennent à réactiver des formes de clientélisme et de contrôle social. 5 On ne peut que saluer cet ouvrage, véritable somme attestant la belle vitalité des recherches ruralistes galiciennes. Dorénavant, l'agriculture de la Galice ne peut plus être lue au prisme conceptuel du « retard » économique, technique, mental : les multiples aspects développés donnent à lire le dynamisme et les capacités d'adaptation d'une petite exploitation maintenue et conquérante, se taillant une place sur le marché local et extra-local. Certes, on aurait aimé que soit plus analysés les facteurs de sa pérennité : les aspects démographiques sont au total peu abordés, ce qui apparaît paradoxal pour ces provinces connaissant une forte émigration, notamment outre- Atlantique. Non négligeables sont les contributions financières des migrants régulièrement ou épisodiquement expédiées à leur famille ; de même, leur retour avec un léger pécule permet leur installation ou l'agrandissement de leur exploitation. Enfin, il apparaît que la Galice proto-industrielle ou industrielle n'est pas un monde à

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part : les phénomènes de pluriactivité, individuelle ou familiale, mériteraient sans doute une étude approfondie, autorisant les historiens à passer d'une lecture de la petite exploitation agricole à celle de la petite exploitation rurale. 6 Cette belle histoire de la Galice agraire contemporaine demeure cependant essentiellement limitée à la période s'écoulant de la crise de la fin du XIXe siècle à la Guerre civile. Souhaitons — et ce vœu vaut pour la France rurale du XXe siècle — que les historiens de l'équipe de Saint-Jacques-de-Compostelle nous offrent bientôt un aussi beau livre sur les campagnes galiciennes du franquisme à nos jours.

NOTES

1. Ainsi que le rappelle en introduction le responsable du volume« Terra, progresso, luz e liberdade » fut effectivement l'un des slogans des grévistes galiciens de 1908. 2. Ramon GARRABOU [dir.], La crisis agraria de fines del siglo XIX, Barcelone, Editorial crítica, 1988, 359 p. ; Pasquale VILLANI [dir.], L'agricoltura in Europa e la nascita della « questione agraria » (1880-1914). Atti del convegno di Roma, ottobre 1992.— Annali dell’Istituto « Alcide Cervi », Rome, n° 14-15, 1992-1993, 509 p. 3. Nous faisons référence ici à : Pierre BARRAL, Les agrariens français de Méline à Pisani, Cahiers de la Fondation nationale des sciences politiques, n° 164, Paris, Librairie Armand Colin, 1968, 386 p. ; Philippe GRATTON, Les luttes de classes dans les campagnes, Paris, Éditions Anthropos, 1971, 482 p. ; Philippe GRATTON, Les paysans français contre l'agrarisme, Paris, Librairie François Maspero, 1972, 224 p. 4. Miguel CABO VILLAVERDE, O agrarismo, Vigo, Edicións A nosa terra, 1998, 254 p. 5. Ramón VILLARES PAZ, La propriedad de la tierra en Galicia, 1500-1936, Madrid, 1982.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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La politisation des campagnes au XIXe siècle, France, Italie, Espagne, Portugal. Actes du Colloque international organisé par l’École française de Rome en collaboration avec l’École normale supérieure (Paris), l’Universitat de Girona et l’Università degli studi della Tuscia-Viterbo, Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, 376 p.

Laurent Le Gall

1 Au lecteur de ce compte rendu, une mise en garde s’impose. Le colloque de Rome, consacré au vaste et conflictuel problème de la politisation des campagnes au XIXe siècle dans un espace ouvert sur la France mais aussi sur les péninsules italienne et ibérique, comporte un certain nombre d’articles dans des langues latines que l’auteur de cette recension ne maîtrise pas hélas. Qu’il veuille bien lui pardonner ce travail tronqué qui fera donc la part belle à une France rurale et politique envisagée sous différentes coutures et à diverses époques. Mentionnons cependant, pour information et pour témoigner de l’ampleur et de l’intérêt de cette entreprise dénuée de tout francocentrisme patent, les contributions qui n’ont malheureusement pas été lues. Pour l’Italie, celles de Renato Zangheri (« Contadini e politica nell’800. La storiografia italiana »), Stefano Pivato (« Integrazione nazionale e culture popolari. L’onomastica politica e ideologica nei comuni rurali italiani »), Matteo Sanfilippo (« Mobilità,

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inurbamento e politicizzatione degli immigrati italiani in Nord America. Il dibattito storiografico »), Marco Fincardi (« Culture comunitarie e moderni conflitti sociali nell’Italia rurale di fine XIX secolo ») et Maurizio Ridolfi (« Gli spazi della politica nell’Italia rurale : forme di sociabilità e rappresentanza elettorale tra ‘800 et ‘900 »). Pour l’Espagne, celles de Ramón Villares (« Política y mundo rural en la España contemporánea. Algunas consideraciones historiográficas ») et Jesùs Millán (« La herencia política de la revolución liberal en la sociedad agraria española »).

2 Les 13 des 20 articles que nous avons lus font, disons-le d’emblée, forte impression et la vitalité de la recherche sur le thème proposé pour le colloque est évidente. Angles de vue différents, problématiques renouvelées, appels à des changements d’optique ou de focale : c’est moins une synthèse sur la politisation des campagnes qu’un état des lieux de la production historiographique qui s’offre à un lecteur butineur, soucieux d’appréhender le phénomène et les processus de la politisation hors des sentiers traditionnellement balisés de l’histoire politique 1. Plutôt que d’évoquer tour à tour chacune des contributions, nous avons pris le parti de les intégrer dans des thématiques qui courent au fil des pages de ce recueil dense. Gageons que la perte de la substance et du fil conducteur propres aux analyses de chaque auteur pourra être minimisée par cette façon de les rassembler, un peu cavalièrement peut-être, dans des catégories choisies pour témoigner des acquis scientifiques du présent et des enjeux historiographiques pour l’avenir ; cette lecture subjective et forcément réductrice n’épuisant pas de toute façon la matière de ce livre de référence.

Mises au point

3 C’est un des premiers intérêts de ces rencontres et des articles qui en découlent. Nombreux sont en effet les historiens qui de par leur pratique ancienne, la connaissance qu’ils ont acquise de leurs terrains d’élection, et les avancées de la recherche qu’ils ont permises, offrent un panorama plus ou moins étoffé de ce qui les conduisit à avancer telle ou telle hypothèse, et/ou dessinent les contours de la question ouverte à la réflexion commune. Outre leur intérêt purement épistémologique, ces bilans signent aussi des prises de position : parler du passé et des manières d’appréhender et de dire la politisation depuis les années 1960 au moins, c’est en quelque sorte parier sur les nouvelles façons d’envisager le sujet dans le présent et dans un futur proche. La dispute intellectuelle — au sens universitaire du terme s’entend — n’est jamais très loin. Au cœur du débat, le problème de la politisation des campagnes dans sa version désormais classique de la « descente de la politique vers les masses ». Il revenait à Maurice Agulhon d’ouvrir la discussion. Son article se lit d’abord comme une actualisation de cette expression qui assura à l’auteur du non moins classique La République au village honneurs et banderilles. Reste que près de trente ans après l’écriture de cette thèse et la formulation de cette hypothèse, c’est en fonction de cette démarche et de ses résultats que beaucoup se déterminent encore. Aussi, l’étude de Christine Guionnet consacrée aux élections municipales sous la Monarchie de Juillet 2 lui permettait-elle opportunément de revenir sur la problématique posée à la fin des années soixante. Dans sa présentation, Maurice Agulhon offre un brillant état de son questionnement qui tient compte à la fois des mises en cause anciennes — sur les étapes de la politisation comme sur l’essence même de la figure du citoyen politisé moderne — et du discours nouvellement tenu par Christine Guionnet. C’est l’historien au travail,

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sensible aux critiques et sachant céder à l’autocritique, qui relance le débat. Nul n’est besoin de rappeler ici en détail ce qu’il a écrit ailleurs 3 des inflexions à apporter au modèle varois dont il put vouloir généraliser l’intérêt heuristique à l’échelle nationale ; sur les étapes de la politisation (de la Révolution française à la Troisième République en passant par le pic des années 1848-1851) comme sur la trop forte corrélation qu’il établit entre politisation, vote et sensibilité de gauche, Maurice Agulhon sait encore rappeler la pertinence des propositions de certains de ses contradicteurs. Survenait l’étude de Christine Guionnet. Travaillant sur les élections municipales pendant la Monarchie de Juillet, la jeune politiste estimait, à travers une lecture holiste du social, que nombreux avaient été ceux qui, après Maurice Agulhon, s’étaient « égarés » dans une logique bien trop diffusionniste des idées politiques modernes. En omettant par trop souvent la dimension du fait communautaire au village, ils passaient alors à côté de ce que l’apprentissage de la politique pouvait signifier pour les ruraux. Une interprétation en mineur du citoyen politiquement conscient de son vote si l’on veut tenter de résumer ses propositions. Les positions sont-elles inconciliables ? Maurice Agulhon ne le pense pas — il y aurait davantage une différence de degré qu’une différence de nature entre leurs travaux —, argumente à son tour sur la place excessive accordée au fait communautaire et réaffirme les possibilités d’un vrai choix politique pour certains ruraux. Pour conclure : « Si l’on admet que la vraie politisation c’est la substitution de conceptions modernes, libérales, individualistes aux conceptions communautaristes traditionnelles, si l’on admet d’autre part que les premières étaient celles de l’État bourgeois légiférant tandis que les secondes étaient les plus répandues chez les paysans, alors l’idée selon laquelle la conception moderne du politique aurait opéré la trop fameuse "descente" n’est pas vraiment une absurdité » (p. 8). De ce texte limpide et distancié en forme d’ouverture, on retiendra à la fois les propositions réitérées de Maurice Agulhon sur le thème de la politisation — et en particulier sur les modalités de l’acculturation républicaine — mais aussi et peut-être surtout, l’élégante façon d’accepter le débat et de le promouvoir. Car, le colloque de Rome a été aussi une affaire de positionnement : Maurice Agulhon à l’épreuve des travaux de Christine Guionnet après avoir tenu compte jadis des propositions avancées entre autres par Peter McPhee et Jean-Luc Mayaud ; Alain Corbin à rebours d’une double tradition historiographique de la politisation des ruraux. Dans un plaidoyer pour une nouvelle approche de la politique dans les campagnes, l’auteur du Village des cannibales 4 s’applique au préalable à un droit d’inventaire. Les analyses de la politisation auraient souffert en effet jusqu’alors de deux approches trompeuses : une démarche téléologique fondée sur l’étude de la conversion d’un rural apolitique en un citoyen intégré à la République et à la Nation ; une optique compréhensive qui privilégiait les réticences et les dissidences des communautés confrontées aux irruptions répétées de l’État dans des domaines qui ne semblaient que devoir relever d’elles. Et quelle que soit la richesse de ces travaux, on ne saurait que constater l’aspect réducteur voire fallacieux de ces deux démarches. La première, en s’arc-boutant sur le postulat d’une acculturation politique — pour ne pas dire républicaine — des campagnes, « induit une cécité à l’égard de ce qui ne s’inscrit pas dans le processus analysé » et « de ce fait, […] côtoie souvent l’anachronisme » (p. 52) ; la seconde, soucieuse de mettre davantage à nu les logiques rurales autonomes, oublierait trop l’importance de l’événement national et sa réception, souffrirait de sa seule application à des régions périphériques. La déconstruction prônée par Alain Corbin à la suite de ce bilan critique ne laisse pas insensible. Et ses propositions pour une lecture renouvelée de la politisation des

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campagnes ont le très grand mérite d’instiller le doute là où il semblait être nié par l’évidence et l’argument d’autorité. En remettant en cause la tradition, l’historien propose une ouverture du champ de vision à travers un certain nombre de suggestions que l’on évoquera partiellement à la fin de ce compte rendu et qui incitent, elles aussi, à poursuivre la discussion.

Le fait communautaire

4 C’est un élément transversal dans le recueil et son étude nourrit amplement la réflexion de certains auteurs. Il est fortement mis en valeur dans deux articles qui concernent plus particulièrement la période de la Révolution française. Qu’on en juge par les titres clairement explicites des contributions de Jean-Clément Martin (« Face à la Révolution, quelle politisation des communautés rurales ? ») et de Jean-Pierre Jessenne (« Synergie nationale et dynamique communautaire dans l’évolution rurale par-delà la Révolution française (vers 1780-vers 1830) »). Contre une approche historiographique qui a trop étroitement lié la pénétration de la politique dans les campagnes à une onde de choc venue du pouvoir central et fait de la décennie révolutionnaire une étape fondamentale dans l’irréductible renforcement de l’État- Nation, le premier se propose d’explorer une nouvelle voie : comment « le politique devi[nt] une catégorie reconnue pour le plus grand nombre des Français à l’époque révolutionnaire » (p. 109) se demande Jean-Clément Martin qui poursuit ainsi son préalable méthodologique : « comment cet horizon du politique a fait basculer la vie des ruraux de France, sans même qu’ils ne s’en rendent compte, encore moins qu’ils le veuillent » (p. 109). Une telle proposition sur la politisation à corps défendant, ainsi qu’on pourrait la qualifier, ne laisse pas d’intriguer. Les explications suivent. La Révolution a transformé le paysage social et politique : renouvellement des hiérarchies, imbrication du local et du national selon de nouveaux découpages administratifs, naissance du citoyen à l’intérieur du cadre communautaire. Cependant le nouvel ordre des choses ne brise pas d’emblée l’autonomie que surent acquérir et préserver les communautés sous l’Ancien Régime. Aussi leurs résistances, quand elles existent, sont- elles moins la preuve d’un quelconque archaïsme que celle de leur vitalité. Pour Jean- Clément Martin, la Révolution crée de nouveaux enjeux politiques, institue une langue et des catégories politiques nouvelles auxquelles furent imperméables la plupart des ruraux ; ainsi se crée une situation originale qui combine au sein des communautés enjeux locaux souvent antérieurs à la Révolution et débouchés aux significations politiques inédites. Le repli de certaines communautés aux heures les plus graves devient alors signe d’adaptation tandis que des histoires et des mémoires se dessinent à l’intérieur des nouvelles configurations du champ politique. La démarche de Jean- Pierre Jessenne, elle aussi, joue sur la dialectique local/national. L’auteur adopte, après un long préambule taxinomique — quelle définition donner à la collectivité villageoise ? à la communauté villageoise ? Comment classer au mieux les catégories paysannes et des agrosystèmes différents ? — un point de vue chronologique qui entend témoigner de « la force du lien communautaire » (p. 63) sur le trend mi-séculaire 1780-1830. Il y aurait ainsi deux phases. La première (1787-printemps 1792) confirme, paradoxalement peut-être pour les tenants d’une histoire révolutionnaire de la table rase, les possibles accointances entre logique nationale et logiques communautaires. 1789 survient ainsi dans une conjoncture de crise du pouvoir royal et de fragmentation du système d’autorité locale. Et les Assemblées constituante et législative, tout en

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s’appuyant sur des oligarchies rurales souvent établies bien avant la Révolution et désireuses de conforter leur pouvoir en défendant l’autonomie de la communauté, réussissent à introduire des nouveautés — une nouvelle construction territoriale et administrative, l’enracinement de la pratique du suffrage — acceptées dans les campagnes. S’adosser aux collectivités villageoises tout en imprimant de grands changements : la logique révolutionnaire des trois premières années respectait à la fois le lien communautaire et promouvait l’intégration en douceur à la nation. Jean-Pierre Jessenne se démarque ici des analyses de Patrice Gueniffey 5 : la dislocation de l’échafaudage fraîchement bâti proviendrait moins d’une inadéquation entre un individualisme citoyen et une tradition communautaire, inadéquation qu’est supposée confirmer la baisse rapide de la participation aux élections ; elle serait surtout, selon lui, éminemment politique. En effet, à partir de 1792, la guerre aidant, la pratique politique révolutionnaire heurte les prétentions des communautés à conserver le tacite et fragile équilibre entre autonomie et intégration. Et « la "républicanisation" forcée du lien politique » (p. 74) aboutirait « au déchirement du lien politique national » (p. 75) que les lois consulaires de l’an VIII rétabliraient de manière ambiguë. Avec Bonaparte, l’instrumentalisation du pouvoir communal serait acceptée parce qu’elle signifie avant tout une reconnaissance pour les ruraux de la cellule communautaire ; et la Restauration ne confirmerait que l’architecture administrative mise en place avant 1814. En optant pour une interprétation qui ne fait pas l’économie des possibles convergences entre des logiques politiques ancrées dans des territoires et des considérations différents voire divergents, Jean-Pierre Jessenne rend compte, à sa façon, des solutions d’adaptation que surent trouver des communautés bousculées. Il rejoint aussi certaines préoccupations énoncées par Jean-Clément Martin ou par Roger Dupuy. Certes, ce dernier s’intéresse moins au fait communautaire pour lui-même ; mais son article (« Les campagnes blanches de l’Ouest de la France (1793-1850) : sub- culture ou proto-politique populaire ? ») qui se veut un écho aux propositions avancées par Raymond Huard 6 naguère, confirme que dès les débuts de la Révolution, « une autonomie "politique" identique à celle des paysans d’autres régions du royaume » (p. 345) est envisageable dans cette partie occidentale et bocagère de la France. Si les paysans réagissent autant et aussi rapidement, c’est parce qu’il existe une « proto- politique » — pour reprendre le concept de Roger Dupuy — latente. Une sorte de terreau primaire, où se mêleraient conceptions magico-religieuses du monde, localisme invétéré, principes d’une économie morale, plus favorable structurellement « au principe monarchique qu’au système parlementaire » (p. 349) et dont la meilleure prise en compte par les historiens permettrait de mieux saisir les résistances futures à la République et les modalités d’une acculturation de droite.

Archaïsme et modernité, nouvelles lectures… à l’anglo- saxonne

5 Deux articles nous ont paru plus que d’autres relever de cette catégorie. Peter McPhee s’est intéressé aux « Contours nationaux et régionaux de l’associationnisme en France (1830-1880) » et là aussi, sa démarche relève d’une prise de position à l’égard des travaux d’un grand aîné, Charles Tilly. Après avoir dressé un catalogue concis et quelque peu réducteur des formes associatives masculines — cercles, chambrées, cafés, sociétés de secours mutuel —, après avoir rappelé leur rôle essentiel lors des grands

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tournants politiques (1830-1834, la Seconde République, les années de la Troisième République d’avant 1877), l’historien australien propose son interprétation de la mutation qui s’est dessinée entre les débuts de la Monarchie de Juillet et le triomphe de la République des républicains. L’idée défendue par Charles Tilly d’une modernisation des pratiques associationnistes après 1848 surtout, concurremment au dépérissement des violences pré-industrielles et à l’émergence des nouvelles formes démocratiques de la protestation — en gros, les pétitions et les campagnes électorales plutôt que les passions villageoises — serait à corriger. Au modèle du basculement d’un monde à l’autre, de l’imitation des formes urbaines de l’association dans les campagnes, Peter McPhee propose une lecture qui privilégie davantage les rencontres et/ou symbioses entre cultures locales et cultures nationales « imposées ». Caroline Ford quant à elle signe une contribution aux contours vastes comme l’indique son titre, « The use and practice of tradition in the politicization of rural France during the nineteenth century ». Prenant appui sur les enquêtes qu’elle a menées dans les Flandres et en Basse-Bretagne, l’historienne américaine insiste sur le rôle prépondérant qu’eurent certaines structures réputées hostiles à la politisation menée par les républicains gambettistes et ferrystes dans ce processus d’acclimatation des débats nationaux à l’univers quotidien des ruraux. Alors que l’Église catholique a pu être considérée comme un rempart contre une intégration nationale et politique, Caroline Ford entend au contraire lui faire toute sa place dans le phénomène de politisation des campagnes. L’élection de deux prêtres à la Chambre des députés, l’un en 1893 dans la région de Hazebrouk (département du Nord) et l’autre en 1897 dans le Léon (Finistère), ne saurait être expliquée seulement par la très forte pratique religieuse et une tradition de soumission au clergé. C’est parce que celui-ci sut s’émanciper de son alliance traditionnelle avec la noblesse et ne refusa pas de participer au jeu politique démocratique qu’il conforta ses positions. C’est parce qu’il n’eut pas peur d’affronter le débat qu’il put inscrire la veine de la toute jeune démocratie chrétienne dans le champ des forces politiques locales. C’est enfin parce qu’ils bénirent en quelque sorte le principe de l’élection que les curés permirent une progression de la politisation. La tradition s’insérait ainsi dans la modernité et la pénétration de la politique au village passait par des médiateurs dont certains minorèrent, il n’y a pas si longtemps encore, la place dans ce type d’acculturation.

Transitions

6 Il y a quelque facilité à classer dans une même catégorie deux articles en français qui traitent du domaine étranger. Le fait est cependant qu’ils étudient tous les deux les modalités du processus de politisation dans des espaces différents, selon des durées inégales. Gilles Pécout, dans une contribution aussi claire qu’informée, envisage les possibilités de la politisation et ses résultats dans les campagnes de l’ex-grand duché de Toscane devenu après 1860 partie intégrante du nouveau royaume d’Italie. À l’encontre de la thèse encore couramment admise qui lie faiblesse de l’État libéral, nationalisation inachevée et politisation de bas étiage, l’auteur dresse un tout autre tableau. Un discours national pénètre dans les campagnes dès les années soixante tandis que fêtes et décors civiques s’inscrivent dans l’horizon quotidien des ruraux. Dès lors, en une vingtaine d’années, le thème récurrent de l’indifférence à la politique des paysans, et en particulier des métayers, change de sens pour les porte-parole de l’État. Autant ces derniers s’inquiètent-ils au début de cet apolitisme d’ignorance, de soumission et donc

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d’arriération, autant louent-ils deux décennies après une indifférence qui témoigne positivement de l’acceptation, par les ruraux, des normes nationales et de leur absence d’adhésion aux promesses de l’enchantement révolutionnaire. Ce qui incite Gilles Pécout à conclure : « Paradoxalement, la variation du sens qualitatif de l’apolitisme paysan permet de comprendre que l’État nouveau libéral a réussi à s’imposer en vingt ans — le long temps d’une transition réussie — puisque ses représentants considèrent qu’il est désormais devenu superflu pour les classes modestes de manifester leur attachement à l’État par autre chose qu’une obéissance silencieuse » (p. 86). Temps court toscan, longue durée portugaise : José Tengarrinha scrute et agrège au cours des XVIIIe et XIXe siècles les grand moments de prise de conscience politique pour les ruraux. Passant rapidement sur les révoltes contre la domination espagnole (1580-1640) et sur des mouvements antiseigneuriaux extrêmement composites, il s’intéresse davantage aux invasions françaises (1807, 1809, 1810), à la révolution libérale et au phénomène du « miguelisme ». La politisation serait donc affaire de sédimentation. Prise en compte d’enjeux qui ne sont plus strictement inféodés au cadre local, construction d’une identité nationale, telles sont donc les données nouvelles avec lesquelles les ruraux doivent appréhender de plus en plus le monde, dans un contexte politique général d’un premier XIXe siècle marqué par les crises successives du régime en place et la vitalité des municipalités. Enfin, sur le sens de la politisation, José Tengarrinha rappelle combien l’Église catholique, si influente et si présente, sut user de tout son poids pour le structurer autour de valeurs conservatrices et souvent antilibérales.

Prismes

7 Ou l’étude de la politisation par un biais. Il en est ainsi du très stimulant article de Ronald Hubscher sur la place à accorder au syndicalisme agricole dans un tel processus. L’auteur entend remettre en question deux thèses qui ont prévalu quant aux liens entre ce syndicalisme et la politisation des ruraux : celle qui prétend que les organisations se sont bâties en dehors de la sphère du politique ; celle qui, au contraire, fait du syndicalisme une caisse de résonance des conflits idéologiques. Qu’il y ait eu des inféodations à tel camp plutôt qu’à tel autre, sous couvert d’un apolitisme purement déclaratif, Ronald Hubscher le rappelle comme évidence. À la conservatrice « rue d’Athènes » s’oppose ainsi le républicain « boulevard Saint-Germain ». Toutefois, au- delà des divisions et des querelles entre les instances centrales, il est indéniable selon lui que les syndicats, quelle que soit leur couleur, ont tiré aussi dans le même sens et ont su acquérir une légitimité aux yeux des cultivateurs. Syndicats-boutiques, défenseurs des intérêts de paysans qui se constituent alors en catégorie professionnelle, intermédiaires entre l’État et les villages : les syndicats sont devenus partie intégrante du paysage local, surtout au tournant du siècle, pour avoir contribué à souder un groupe autour d’intérêts communs et d’une identité paysanne clairement affichée, pour avoir su promouvoir l’action à la base comme moyen de revendication, d’affirmation et d’émancipation. Reste la question de l’utilisation idéologique des organisations par les notables afin de conforter leur position sociale et politique. Ronald Hubscher prône ici une lecture moins outrée qui « rend[e] aux paysans une autonomie de conduite et en forçant quelque peu le trait, transformerait les manipulés en manipulateurs » (p. 149). Adhérer à un syndicat par conformisme, pour sa prestation de services, pour des revendications catégorielles ne signifiait pas forcément partager

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ses options politiques. Une conclusion toute en nuances entend enfin ne pas prêter au syndicalisme agricole des pouvoirs et des vertus supérieurs à ceux qu’il eut réellement : un rôle majeur dans la construction d’une identité professionnelle, un rôle mineur dans une politisation des campagnes en tant qu’inculcation d’idéologies mal ou peu acceptées par des populations plus ou moins réticentes à suivre leurs mots d’ordre. Autre biais, autre loupe grossissante, l’institution scolaire selon Jean-François Chanet. « École politisante, école politisée » (p. 91), quels furent son rôle et ses positions dans l’imprégnation politique des campagnes ? Fidèle au concept des « petites patries », l’historien appelle à ne pas limiter l’investigation à la seule âpreté des débats nationaux autour de l’institution scolaire qui s’aiguisèrent au cours du derniers tiers du siècle. Ce serait en effet faire fi d’une chronologie haute (les lois Ferry faisant trop souvent oublier l’action de la Monarchie de Juillet) et surtout du pragmatisme dont surent faire preuve les républicains dans la façon d’acclimater l’école aux contingences locales et d’octroyer aux enseignants du primaire une marge de liberté non négligeable. Pourvoyeuse d’un discours souvent conservateur et patriotique, l’école a su véhiculer en outre une notion aussi essentielle que la démocratisation dans ses dimensions sociale ou politique, et répondre ainsi aux aspirations nouvelles des populations en attente d’éducation. Enfin, dernier exemple d’un terrain d’observation spécifique choisi pour étudier la politisation, l’étude de François Weil au titre intriguant « Intégration au national et migrations aux Amériques. Réflexions sur l’exemple français ». S’inspirant en particulier des travaux de « l’école pyrénéenne » (Michel Brunet, Jean-François Soulet, Christian Thibon), l’auteur se collette avec la difficile question de l’interprétation des phénomènes migratoires et entend, dans cette optique, se démarquer de l’étude des traditionnelles causes socio-économiques. Il rappelle tout d’abord que la France fut aussi au XIXe siècle un pays de partants : entre 1821 et 1930, plus de trois millions de personnes quittèrent la métropole. Puis, dans une approche locale — il s’agit ici de certains cantons pyrénéens —, il analyse le basculement qui s’opère entre le début et la fin du siècle : autant, dans la société en dissidence des premières décennies, l’émigration est-elle une modalité du refus d’intégration — on quitte son « pays » comme on se rebelle contre l’État —, autant, dans la société qui accepte plus facilement après 1850 des normes et des mesures allogènes, l’émigration est-elle considérée comme un moyen d’œuvrer à la grandeur de la « grande patrie ». On ne quitterait plus les cantons béarnais de l’arrondissement d’Oloron et les cantons basques de l’arrondissement de Mauléon pour les mêmes raisons : « À partir du milieu du siècle, en effet, la satisfaction des besoins de reconnaissance politique des Pyrénéens et la création des cadres institutionnels adéquats, ainsi que l’assouplissement progressif des lois et du système de conscription jusqu’aux lois de 1889 et 1905 font que l’émigration perd sa signification de refus de la nationalisation » (p. 205). L’hypothèse voulue comme telle par François Weil est séduisante et mérite qu’on s’y attarde. On aimerait ainsi savoir si elle peut être vérifiée dans des régions qui eurent peu de rapports véritablement conflictuels avec l’État. Mais c’est de nouvelles perspectives qu’il est alors question.

Pistes et outillages

8 On l’a dit précédemment, nombreux sont les auteurs présents au colloque de Rome qui ont souhaité inscrire leur démarche dans un rapport de filiation ou d’opposition avec les idées avancées par leurs prédécesseurs. Des thèmes transversaux ont apparu, en

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particulier l’attention portée à la communauté. Moins qu’une redécouverte, c’est sa nature d’entité historiographiquement pertinente dans la compréhension des étapes et des processus de la politisation qui a été abondamment mise en valeur. Le risque n’est- il pas grand cependant, à force de vouloir lui fixer des contours par trop rigides, qu’on lui fasse perdre une partie de sa richesse d’évocation ? Il y aurait ainsi la communauté par essence dont on analyserait les réactions en fonction de stimuli exogènes sans tenir suffisamment compte de ses spécificités et de ses contours si mouvants. Ne faut-il pas alors se méfier de reproduire, à l’échelle près, les manières de faire et de voir, les résultats que d’aucuns décriaient quand une histoire de France départementalisée semblait être reine ? Pour prolonger, qu’en est-il de l’individu — la manie d’un commun dénominateur communautaire risquant de subsumer tous les individus sous le même genre —, qu’en est-il des minorités agissantes qui, à l’intérieur même des communautés, bousculent les règles, initient les changements, permettent aussi la politisation ? Et si Pinagot avait chanté une chanson républicaine sous le Second Empire ? Il revenait à deux auteurs, chacun à leur manière, d’engager à dépasser les limites d’une communauté quelque peu modélisée. Alain Corbin, fidèle au décryptage des « imaginaires politiques », avance des propositions à la fin de son article (« Recherche historique et imaginaire politique. À propos des campagnes françaises au XIXe siècle ») et multiplie les angles de vue : comprendre la politisation de l’individu passe, par exemple, par une attention accrue à son système de représentation et d’appréciation du monde, aux canaux de l’information dont il dispose, aux rapports qu’il entretient avec l’autorité et les autorités. Résumer en quelques lignes cet appel à l’utilisation d’une démarche anthropologique qui permettrait de cerner scientifiquement au plus près un monde perdu est impossible. On est séduit par le pari audacieux ; on peut être aussi transi devant l’incommensurable charge de travail et les éventuels écueils — « le foisonnement des sources » — auxquels devrait se mesurer l’ambitieux chercheur qui s’inspirerait des propositions de cet article programmatique. Enfin, on ne saurait être insensible au rigoureux plaidoyer de Jean-Luc Mayaud intitulé à juste titre « Pour une communalisation de l’histoire rurale ». L’historien annonce d’emblée sa position et ses attentes : il s’agit non pas de nier les acquis des études antérieures, en particulier ceux des vastes fresques départementales, mais de s’inspirer des ambitions de la micro-histoire afin de circonscrire au mieux les voies endogènes de la politisation au village. Dans cet article militant, Jean-Luc Mayaud signale certaines pistes de recherche — les configurations mouvantes du pouvoir à l’échelle locale, les apparentes incohérences des comportements politiques à l’intérieur du cadre communal, le positionnement des élus tiraillés parfois entre leur inscription dans le local et les contraintes nationales —, puis décrypte trois situations franc-comtoises (mais ce pourrait être partout ailleurs) exemplaires de sa démarche. Grâce à une analyse fine des réseaux et des fidélités, des convoitises et des influences, de la place de certains individus et des fonctions de tel élu, c’est toute une vie politique locale qu’il donne à lire. Sans tomber dans les travers du localisme — small is beautiful ? —, sans céder aux facilités des grilles de lecture à sens unique, l’auteur invite à relire les phénomènes de la politisation des ruraux au miroir de quelques thèmes : qu’est-ce que le pouvoir au village ? son essence ? sa signification ? Comment appréhender les espaces du politique ? Et de terminer sur ce constat : « Au village, l’apprentissage du politique passe par celui de la complexité d’une insertion à deux niveaux, et donc du double jeu et du double langage » (p. 167).

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9 Il est d’usage de terminer un colloque sur deux notes : la satisfaction du travail accompli, l’optimisme en ce qui concerne l’avenir. Maurice Agulhon n’y coupe pas dans ses conclusions — « Je crois que notre colloque a été une réussite » (p. 351) — et on partage indéniablement son heureux constat. Sur les procédures de la politisation, sur la teneur de la politisation, sur les comparaisons possibles entre des États aux expériences politiques différentes, Maurice Agulhon sait rendre hommage aux signataires des contributions. Avant de conclure définitivement… et provisoirement : « Études fines qui relèvent de la monographie sociologique et des analyses des mentalités collectives, à sources de base, à sources modestes. Plus proche cette fois de la microhistoire que de la "grande". Mais pourquoi pas ? Ce n’est pas l’étendue géographique du champ qui fait forcément le mérite d’une œuvre, c’est l’intelligence qu’on lui applique » (p. 354). En guise de promesses futures ? C’est tout ce que l’on peut souhaiter.

NOTES

1. René RÉMOND [dir.], Pour une histoire politique, Paris, Éditions du Seuil, 1988. 2. Christine GUIONNET, L’apprentissage de la politique moderne. Les élections municipales sous la Monarchie de Juillet, Paris, Éditions L’Harmattan, 1997. 3. Maurice AGULHON, « 1848, le suffrage universel et la politisation des campagnes », dans Histoire vagabonde, tome 3, La politique en France, d’hier à aujourd’hui, Paris, Gallimard, 1996, pp. 61-82. 4. Alain CORBIN, Le village des cannibales, Paris, Aubier, 1991. 5. Patrice GUENIFFEY, Le nombre et la raison. La Révolution française et les élections, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1993. 6. Raymond HUARD, « Existe-t-il une “politique populaire” ? », dans Jean NICOLAS [dir.], Mouvements populaires et conscience sociale, XVIe-XIXe siècles. Actes du colloque de l’Université Paris VII- CNRS, 24-26 mai 1984, Paris, Maloine, 1985, pp. 57-68.

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Index chronologique : XIXe siècle

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Marcel JOLLIVET, Pour une science sociale à travers champs. Paysannerie, ruralité, capitalisme (France XXe siècle), Paris, Éditions Arguments, 2001, 400 p.

Isabel Boussard

1 Voici rassemblés vingt-six textes, écrits entre 1963 et 1997, par un éminent maître de la sociologie rurale. Remarquons d'emblée que si l'itinéraire est individuel, la démarche est collective. Marcel Jollivet n'a pas publié un livre sous son seul nom. Il s'agit toujours d'œuvres collectives qu'il dirige ou co-dirige, de numéros spéciaux de revues, de rapports de recherche, d'articles parus dans Économie rurale, Ruralia, Études rurales, la Revue française de sociologie, etc.

2 L'ouvrage est illustré de plusieurs photos en couleur de bonshommes de paille installés le long des routes en l'an 2000 par les syndicats agricoles de l'Aisne. Souriants, ils sont munis d'une pancarte : « Comme votre conduite, ma culture est raisonnée » (en couverture), « Heureux de vous nourrir en toute sécurité » (p. VIII), « Roulez tranquille, mangez de la bonne humeur » (p. 88), « Restez cool ! Je m'occupe de votre assiette » (p. 316)… Ils veulent donner de l'agriculteur une image moderne, rassurante, soucieuse de l'environnement, évitant les écueils de l'agriculture « industrielle ». 3 Le chapitre préliminaire n'est pas le plus ancien, mais il est intéressant de souligner qu'il est extrait d'un article paru anonymement dans la revue Sondages, 1966, n° 3-4, pp. 7-21 : « Les agriculteurs français. Conditions de vie et opinions ». Cette enquête marque bien le souci de tenter de mesurer le moral des agriculteurs. « Elle met d'abord en évidence les raisons profondes qui atteignent le moral des agriculteurs sans pour autant entamer leur dynamisme ni compromettre l'attachement qu'ils éprouvent pour leur métier », écrit Edgar Faure, alors ministre de l'Agriculture, dans la préface.

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4 Le livre est ensuite divisé en trois parties : « La première est une sorte d'introduction d'ensemble à la démarche et de cadrage général de celle-ci ; c'est pourquoi elle couvre la totalité de la période. […] La deuxième partie rend compte du premier temps fort de cette démarche, à savoir d'une série de travaux portant sur l'intégration de l'agriculture (et donc de la paysannerie) dans le "mode de production" (selon la terminologie marxiste de l'époque) capitaliste. […] La troisième partie rend compte du deuxième temps fort qui se caractérise par un double glissement vers "l'environnement rural" et vers "l'interdisciplinarité" » (p. V). 5 Sans vouloir contrarier l'auteur présumé de cette introduction (elle n'est pas signée, mais…), il nous semble que si le premier « glissement » est manifeste, le second l'est beaucoup moins. Marcel Jollivet a, de tout temps, été préoccupé par l'interdisciplinarité qu'il appelle parfois « multidisciplinarité » ou « pluridisciplinarité ». On peut donc opposer un souci constant d'interdisciplinarité à une évolution de l'agricole à l'environnement.

Un souci constant : l'interdisciplinarité

6 Marcel Jollivet affirme de façon claire : « La sociologie rurale […] n'a jamais revendiqué le statut — absurde — de discipline propre » (p. 89) 1. Elle n'est qu'une branche de la sociologie, mais est loin d'être isolée. Dès 1963, il écrit : « Ainsi le sociologue rural doit- il tour à tour se faire historien, géographe, économiste, démographe, ethnologue, psychologue. Il est donc amené à s'initier, en fonction du phénomène qu'il étudie, aux méthodes de ces diverses disciplines » (p. 18). L'article est suivi d'une abondante bibliographie des études de sociologie, géographie, histoire, etc. (pp. 21-30) 2. Et d'insister : « J'ai envie de caractériser la sociologie rurale française comme une démarche fondamentalement interdisciplinaire » (p. 66). Le Groupe de sociologie rurale de Nanterre ayant bien réfléchi : « À chaque fois, nous sommes revenus sur la même panoplie de disciplines avec, aux côtés de la sociologie bien sûr, la géographie, l'histoire, l'économie, la science politique, l'ethnologie » (ibidem). Il pense que c'est ce qui différencie l'école française de la sociologie rurale américaine et suit, en tous points, la démarche d'Henri Mendras que « l'on peut considérer comme le fondateur de la sociologie rurale empirique française » (p. 67). Il titre : « Sociologue historien ou du besoin d'histoire » (p. 71) s'appuyant sur l'expérience de sa participation, en compagnie de Michel Gervais (économiste) et d'Yves Tavernier (politiste) au quatrième tome de L'histoire de la France rurale 3.

7 Cette notion se retrouve tout au long des travaux de Marcel Jollivet. En 1988, à propos du paysage, il écrit : « La notion de "paysage" s'avère être une des voies les plus propices à une interdisciplinarité qui paraît encore fort peu développée » (p. 309). Cette « carence » doit être surmontée. Elle est différentielle suivant les thèmes ou les disciplines concernés : « Le dialogue interdisciplinaire s'est plus ou moins noué selon les thèmes abordés, selon les disciplines concernées aussi » (p. 313). Dans certains domaines, cela va de soi, pour d'autres le dialogue est « difficile, voire impossible » (p. 314). 8 L'examen de la rente foncière doit entraîner précisément un examen par toutes les sciences : « Elle peut apparaître comme le concept clé de l'interdisciplinarité » (p. 322), en associant les travaux des géographes, des écologistes, des économistes, des

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agronomes et même des sociologues. La prise en compte de l'environnement ne fera que renforcer cette conviction.

Une trajectoire : de l'agricole à l'environnement

9 Les premiers travaux de Marcel Jollivet portent sur l'agriculteur, éventuellement différent du paysan, le monde rural en mutation, l'effort général de modernisation après la Seconde Guerre mondiale. La paysannerie a joué un rôle dans la Révolution de 1789, elle a pesé face au mouvement socialiste naissant du XIXe siècle. Le syndicalisme agricole, créé par les ducs et les marquis, n'était pas sans arrière pensée politique et continue de marquer l'évolution en cours : « L'histoire du syndicalisme agricole depuis 1945 est sans doute une des voies les plus instructives pour comprendre les grands clivages en couches sociales du monde agricole. […] Il joue un rôle décisif, non seulement dans la définition de la politique agricole, mais encore dans son application » (p. 61.). Même après 1981, « les syndicats agricoles qui se réclament de la gauche, restent très minoritaires. Ils sont accusés d'être politisés et d'être des diviseurs » (ibidem).

10 Les textes de la deuxième partie portent donc sur l'agriculture, le « rural paysan », la notion de classe sociale, les outils de l'analyse marxiste étant fort utilisés. L'auteur fait remarquer que les « anciens » utilisent les termes de « classes sociales » ou de « classes paysannes », Marc Bloch ayant une préférence pour les premiers. Marcel Jollivet parle de « classes agricoles » car les agriculteurs sont trop différents pour former une véritable « classe sociale » (p. 154). Il suit en cela les idées d'Henri Mendras qui opte pour « couches sociales » (p. 157). 11 La multiplicité des critères à prendre en compte rend l'analyse difficile. « Il est donc capital de faire le point sur les facteurs d'unité et d'antagonisme au sein de la "paysannerie" » (p. 218). Marcel Jollivet est trop fin observateur pour répondre de façon tranchée à la question, d'autant plus que cette réponse varie avec le temps. Il s'en réfère aux travaux de Gordon Wright sur le passé : « L'idée de l'unité "organique" de la société rurale locale était d'une certaine manière le reflet de son relatif isolement économique et culturel » (p. 221). 12 Mais les temps ont changé et, dès 1974, il affirme : « Les campagnes sont en train de cesser d'être avant tout l'espace agricole et l'espace des "sociétés paysannes" » (p. 239), pour, néanmoins s'interroger sur « l'avenir de la paysannerie ». Les soucis d'environnement vont lui fournir un bon tremplin pour envisager le rural dans son ensemble. « Penser environnement, c'est donc penser rural et c'est penser le rural en tant que nature. C'est sur cette base que l'on peut dire que la référence à l'environnement redonne sens, redonne un sens nouveau, au rural » (p. 294). 13 La notion de « paysage » est désormais bien présente, de même celles de « petite région » (on ne parle pas encore de « pays »), de relations entre les religions, l'État, la politique agricole, les échanges internationaux. L'écologie est ici considérée comme une « science » et non pas au sens des mouvements politiques. Elle met en jeu les sciences biologiques, physiques, chimiques, mais aussi les sciences humaines. Ont été sollicités en premier lieu, l'économie, puis le droit, plus tardivement la sociologie, sans doute face à un certain échec : « Le recours à la sociologie vint plus tard, lorsque les limites de cette approche juridico-économique apparurent, sous la forme notamment d'une certaine inefficacité des mesures prises. Il semble alors nécessaire de comprendre

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les comportements mêmes des "acteurs sociaux" impliqués dans les problèmes d'environnement » (p. 369). 14 Voici donc retracée une démarche sur près d'un tiers de siècle, une démarche qui se veut scientifique, qui a trait à l'histoire des idées et peut avoir un intérêt pour l'histoire en général. Le lecteur ne doit pas se laisser désorienter par l'apparent désordre des textes. On passe d'articles parus en 1963 ou 1966 à ceux publiés en 1992, 1997, d'une recherche sur l'histoire de la formation de la paysannerie au XIXe siècle aux rapports entre « sciences, techniques et sociétés » en 1992. L'unité est ici de placer une science, la sociologie rurale, dans un contexte plus large : la communauté scientifique dans son ensemble. La diversité est de partir de l'agriculteur, de son « malaise moral » après le choc de la reconstruction d'après guerre ou la modernisation « radicale » engendrée par les lois d'orientation de 1960 et 1962, pour aboutir à envisager la société tout entière et comprendre que le monde des campagnes n'est pas étranger à celui des villes. Peut-on encore parler de « sociologie rurale » ? C'est au lecteur d'en décider.

NOTES

1. « La "vocation actuelle" de la sociologie rurale », dans Ruralia, n° 1, 1997, pp. 111-112. 2. Signalons simplement que le dernier recensement général de l'agriculture d'avant guerre date de 1929 et non de 1939 (p. 19). 3. Voir : La fin de la France paysanne, Paris, Éditions du Seuil, 1976, 672 p. On peut précisément faire le léger reproche à cet ouvrage d'avoir trop voulu distinguer l'économique, le politique et le social. En agriculture, bien des problèmes comportent les trois aspects qui souffrent mal d'être divisés. On pense, par exemple, à l'Office du blé ou au statut du fermage. « L'interdisciplinarité » aurait, sans doute, pu être plus « resserrée ».

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Index chronologique : XXe siècle

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Dominique RIVIÈRE [dir.], Machines agricoles à l’affiche, Pierre-de-Bresse, Ecomusée de la Bresse bourguignonne, 1999, 76 p.

Renaud Gratier de Saint-Louis

1 Cet ouvrage de qualité, richement illustré, est le prolongement de l’exposition « affiches, maquettes et machines agricoles », présentée par l’écomusée de la Bresse bourguignonne au Château Pierre-de-Bresse, de mai à décembre 1999 ([email protected]). Après une brève introduction qui rappelle l’influence déterminante du progrès technique sur les « mentalités, usages et techniques agraires » (p. 5), la première partie, intitulée « les débuts de la mécanisation au XIXe siècle », entraîne le lecteur au cœur de l’épopée des pionniers du machinisme agricole. Charrues brabants 1, semoirs en ligne, distributeurs d’engrais, moissonneuses- javeleuses, lieuses et faucheuses mécaniques sont immortalisés par des placards très soignés. L’utilisation, anachronique et souvent répétée, d’affiches publiées dans les années 1920-1930, nuit cependant à la cohérence de la démarche.

2 De leurs côtés, les techniques de battage font l’objet d’une synthèse détaillée (p. 14) et sont évoquées au travers d’illustrations particulièrement originales (pp. 13-17). En témoigne cette affichette de 1933, que n’aurait pas reniée Jacques Tati, sur laquelle un garde champêtre, les bras levés au ciel, s’écrie à l’adresse d’un groupe de « batteux » : « Attention aux accidents ! » (p. 17). Malheureusement, la chronologie est parfois parsemée d’inexactitudes. Les premières batteuses à vapeur seraient ainsi apparues en Bresse vers la fin du XIXe siècle… Cette thèse très (peut-être trop ?) « classique », vient néanmoins se briser sur les récifs abrupts des archives. À l’image de Dracé, qui « loue des machines à battre mues par la vapeur [venant] du département de l’Ain » 2, les fermes du Beaujolais et du Val-de-Saône louent déjà, vers 1856, les services d’entrepreneurs de battage à la vapeur originaires des plaines voisines de l’Ain 3. Constat similaire de la part du président de la Commission de la statistique agricole du canton de Villefranche-sur-Saône, qui évoque en 1861, « l’emploi [d’une] machine à

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battre [à vapeur], […] construite par des cultivateurs habitants le département de l’Ain, qui la louent et la transportent dans les fermes un peu importantes de mon canton » 4. 3 La seconde partie de l’ouvrage s’attache à « l’évolution lente de l’entre-deux-guerres » et dresse le tableau d’une France agricole quasi léthargique. Une fois de plus, les auteurs sous-estiment l’importance des changements survenus… Car si l’iconographie fait la part belle aux publicités de moteurs à essence, le texte lui, néglige cruellement le poids effectif de cette motorisation « auxiliaire ». En 1929, l’enquête agricole dénombre pourtant 1 265 moteurs électriques et 491 moteurs à explosion dans les exploitations de l’Ain 5. Quatorze ans plus tard, les services de la statistique agricole recensent déjà un moteur électrique pour douze exploitations et constatent que 56 % des récoltes du département sont désormais battues à l’électricité (l’Ain se place alors en seconde position en Rhône-Alpes, derrière la Haute-Savoie avec 75 %) 6. Comme le souligne un slogan des établissements Bernard-Moteurs, « Restez à la terre, le moteur vous y aidera » (p. 46), le moteur auxiliaire (à essence ou électrique) devient rapidement le « troisième bras » du paysan. C’est « l’outil à tout faire » de la ferme : il actionne la scie à bûches, le concasseur, le coupe-racines, le tarare, le monte-sacs, la baratte, l’écrémeuse, la machine à traire (une en 1929 !). Il fournit parfois l’énergie nécessaire au pressoir, à l’arrosage des propriétés ou à l’éclairage des étables. 4 Dans la dernière partie de l’ouvrage, les auteurs se consacrent à « la motorisation et [à] la rupture des années 1950-1960 ». Sous le poids conjugué des politiques économiques (Plan Monnet en 1946, puis Plan Marshall deux ans plus tard) et du développement des structures de vulgarisation technique et des regroupements coopératifs (CETA, Foyers ruraux, CUMA, etc.), l’agriculture française réalise une amélioration sans précédent de ses équipements : le nombre de tracteurs est ainsi multiplié par sept entre 1950 et 1965 ! Pour l’année 1955, l’INSEE dénombre respectivement, en Dombes et en Bresse, 97 et 60 tracteurs pour cent exploitations (67 % à l’échelle de l’ensemble du département de l’Ain) 7. De Renault à Deutz, en passant par Someca, McCormick ou Massey-Ferguson, l’ouvrage ressuscite alors les grands noms de la mécanique agricole. 5 L’affiche co-éditée par le parti communiste et l’hebdomadaire La Terre, sur le thème des méfaits du Marché commun (1988, p. 71), est un clin d’œil à la place de l’outil dans le débat politique. Ici, l’antique faucille du mouvement communiste côtoie la moissonneuse-batteuse moderne, pourtant abandonnée dans les champs, sous le slogan mobilisateur : « pas de terres en friche ! Des hommes ont faim ! »… Cette dimension symbolique échappe pourtant aux auteurs, qui négligent les détournements dont le tracteur agricole fait fréquemment l’objet. De la baratte électrifiée par la Société Pratica, qui permet à une paysanne de goûter librement aux « joies » du tricot, aux Gitanes caporal, mêlant subtilement consommation de tabac brun et utilisation quotidienne du tracteur, en passant par les illustrations de la Société de construction et d’entretien de matériel industriel et agricole (SCEMIA), sur lesquelles une femme en chapeau pilote hardiment un puissant tracteur à pétrole, les exemples sont alors légions dans la presse agricole ! Les auteurs omettent aussi l’apport précieux qu’auraient pu offrir les plaquettes commerciales des constructeurs régionaux de matériels agricoles, à l’instar de Vermorel, Berthoux, Pâtissier, Pratica, Bénétullière ou encore Reymond. 6 En définitive, et en dépit de ces diverses remarques, l’écomusée de la Bresse bourguignonne nous gratifie d’un bel opuscule, agréable à lire, qui peut être une excellente idée de cadeau, à offrir ou à s’offrir…

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NOTES

1. D’après le témoignage du maire du Plantay, publié le 9 février 1869 dans Le Courrier de l’Ain, les brabants se diffusent dès la fin des années 1860 dans les plaines de l’Ain. Cité par Étienne GOUTAGNY, « Histoire du labour en Dombes », dans Dombes, revue de l’Académie de la Dombes, automne 1986/hiver 1987, n° 6, p. 7. 2. Arch. dép. Rhône (Archives départementales du Rhône), 6MP/5/9, relevé communal des machines à battre, 18 décembre 1855. 3. Arch. dép. Rhône, 6MP/5/9, État des machines à battre en 1856 dans le département du Rhône. 4. Arch. dép. Rhône, 6Mp/5/11, Statistique agricole de 1861, tableaux synoptiques, récapitulatif cantonal de Villefranche-sur-Saône, 19 décembre 1861. 5. Statistique agricole de la France publiée par le Ministère de l’Agriculture. résultats généraux de l’enquête de 1929, Paris, Imprimerie nationale, 1936, 803 p. 6. Archives nationales, F10 5203, Enquête de l’automne 1943, département de l’Ain. 7. « Les moyens de traction agricole en France », dans Bulletin mensuel de statistique, janvier/mars 1955, p. 55 et p. 60.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle

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Bibliographie rurale

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Bibliographie rurale 1999-2001

Jean-Luc Mayaud

1 Nicolas ABRY, « De la rise à la ruse... les bûcherons bergamasques et leurs représentations dans les Alpes du Nord (Savoie, Dauphiné, Vaud et Valais) », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 119-132.

2 Ada ACOVITSIOTI-HAMEAU, « Hommes du bois, hommes de bois : mythes et réalités autour des activités forestières dans le Var », dans Le Monde alpin et rhodanien, n° 4, 2000, pp. 81-117. 3 Maurice AGULHON, « Présentation », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 1-11. 4 Maurice AGULHON, « Conclusion », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 351-354. 5 Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 5-247. 6 Dionigi ALBERTA et Sergio OTTONELLI, « Les ruses de la conversion : la sade du Haut- Varaita », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 33-58. 7 Anne-Claude AMBROISE-RENDU, « Les victimes dans les récits de faits divers », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 279-287. 8 Bernard AMOURETTI, « La route de Marseille à Sisteron de 1760 à 1860 », dans Les voies de communication en Provence. Actes du 44e Congrès de la Fédération historique de Provence tenu à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) les 22 et 23 octobre 1999. Provence historique, tome 50, n° 201, juillet-septembre 2000, pp. 257-270. 9 Les animaux pensent-ils ?. Terrain, n° 34, mars 2000, pp. 5-173.

10 Les approches cognitives des politiques publiques. Revue française de science politique, volume 50, n° 2, avril 2000, pp. 187-381.

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11 Samuel ARLAUD et Maurice MATHIEU, « Index des notions », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 312-319. 12 Gilles ARMANI, « "Les dents de la Saône" : le silure en question », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 127-140. 13 Luc ARRONDEL et Cyril GRANGE, « Accumulation et transmission du patrimoine sur longue période : l'exemple d'une lignée paysanne de Loire-Atlantique (XIXe- XXe siècles) », dans Pierre GUILLAUME [dir.], Les solidarités. Le liens social dans tous ses états. Colloque de Bordeaux, 16-17 juin 2000, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2001, pp. 199-228. 14 Aurora ARTIAGA REGO, « A renda foral en Galicia a fins do seculo XIX », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 443-470. 15 Aurora ARTIAGA REGO, voir Henrique HERVÉS SAYAR.

16 Georges AUGUSTINS, « A Quoi servent les terminologies de parenté ? », dans Laurent S. BARRY [dir.], Question de parenté. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 40, n° 154-155, avril-septembre 2000, pp. 573-597. 17 Olivier AZNAR, voir Jean-Marc PIVOT.

18 Antoine S. BAILLY, « Le temps des cépages. Du terroir au système-monde », dans Jean- Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 516-524. 19 Xesús L. BALBOA LÓPEZ et Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, « Evolución das formas de fertilización na agricultura atlántica entre os séculos XIX-XX. Do toxo aos fosfatos », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 275-301. 20 Xesús L. BALBOA LÓPEZ, « Comunidade campesiña e terras de propriedade colectiva : a utilización do monte na Galicia do século XIX », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 385-404. 21 Xesús L. BALBOA LÓPEZ, voir Henrique HERVÉS SAYAR.

22 Ibrahima BAO, « Les transformations techniques de la pêche professionnelle aux engins et aux filets dans le bassin Rhône-Saône-Méditerrannée », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 105-125. 23 Pierre BARRÉ, « 1920-1960, émergence et premier développement de l'industrie de l'alimentation animale », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 89-96. 24 Christian BARRERE, « La constitution d'un patrimoine juridique comme mode de construction d'un patrimoine économique : l'appellation d'origine Champagne », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 25 Laurent S. BARRY [dir.], Question de parenté. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 40, n° 154-155, avril-septembre 2000, 794 p.

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26 Carole barthélémy, « Le Rhône, masculin, populaire et "lieu de nature" ? Le fleuve à l'épreuve des pratiques de pêche amateur : la pêche des aloses et la pêche de la carpe au No-Kill », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 141-158. 27 Denis BARTHÉLEMY, « Être et avoir. Patrimoine versus capital : le cas de l'agriculture », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 26-40. 28 Denis BARTHÉLEMY, François FACCHINI, Martino NIEDDU et Catherine PIVOT, « Introduction », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 5-8. 29 Tiphaine BARTHELEMY, « La passion de la terre : constitution et transmission d'un domaine foncier à Saint-Herblon (1755-1908) », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 91-98. 30 Alice BARTHEZ, « Le droit comme expression culturelle. Processus de légalisation du travail familial en agriculture : le cas du GAEC », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 31 Jean-Marc BASCOURRET, Marie DELAPLACE et Antonin GAIGNETTE, « Éléments de réflexion relatifs à l'interaction entre réglementation et structures industrielles. Le cas des matériaux biodégradables », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 66-78. 32 Karine-Larissa BASSET, « Le légendaire "sarrasin". À propos des documents inédits de Charles Joisten sur le Dauphiné et la Savoie », dans Provence historique, tome 49, n° 198, octobre-décembre 1999, pp. 791-813. 33 Cyril BAYET, « Comment mettre le risque en cartes ? L'évolution de l'articulation entre science et politique dans la cartographie des risques naturels », dans Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 13, n° 50, avril-juin 2000, pp. 129-150. 34 Maria Xesús BAZ VICENTE, « A conflictividade abolicionista nos estados de andrade : o prieto de iñas, dexo e serantes », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 505-525. 35 Stéphanie BEAUCHÊNE, « La fête du Rhône, un rite éphémère. La célébration d'une identité régionale au service d'un aménagement fluvial », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 159-174. 36 Gérard BELLOIN, Mémoires d'un fils de paysans tourangeaux entré en communisme.. L'enfance dure longtemps..., Paris, Éditions de l'atelier, 2000, 377 p. 37 Philippe BERNARDIN, voir Alain SCHRAMBACH.

38 Marielle BERRIET-SOLLIEC et Jean-Pierre BOINON, « Analyse des instruments d'orientation de l'agriculture départementale », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre- décembre 2000, pp. 148-153. 39 Jacques BERTHELOT, « La mystification du découplage des aides agricoles », dans Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 104-112.

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40 Régis BERTRAND, « Mistral et les revenants : sur un récit de Memori e raconte », dans Provence historique, tome 49, n° 198, octobre-décembre 1999, pp. 815-825. 41 Régis BERTRAND, « Un "primitif de l'ethnographie provençale" : le docteur Robert et son Voyage aux montagnes sous-alpines », dans Le Monde alpin et rhodanien, n° 4, 1999, pp. 23-38. 42 Yves BIROT, voir Sébastien DROUINEAU.

43 Sandrine BLANCHEMANCHE, Catherine LAURENT, Marie-Françoise MOURIAUX et Elsa PESKINE, « Multifonctionnalité de l'agriculture et statuts d'activité », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 41-51. 44 Alain BLOGOWSKI et Véronique BORZEIX, « L'accord sur l'agriculture du cycle de l'Uruguay. Bilan et perspective pour l'Union européenne. Première partie », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 13, mars 2001, pp. 105-138. 45 Anton BLOK, « Pourquoi les ramoneurs portent-ils bonheurs ? », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 59-78. 46 Pascal BLONDEAU, « Les aides compensatoires, une nouvelle source : quelques pistes de recherches dans la Sarthe », dans Norois, revue géographique de l'Ouest et des pays de l'Atlantique nord, tome 46, n° 182, avril-juin 1999, pp. 287-302. 47 Sophie BOBBÉ, « Les nouvelles cultures du sauvage ou la quête de l'objet manquant. État de la question », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 159-173. Lire le résumé ou l'article en ligne 48 Jean-Pierre BOINON, « La propriété des droits à produire : une comparaison FranceRoyaume-Uni », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 97-109. 49 Jean-Pierre BOINON, voir Marielle BERRIET-SOLLIEC.

50 Emmanuelle BONERANDI, « La construction d'un territoire improbable. Structures intercommunales et élus locaux en Thiérache », dans Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 13, n° 49, janvier-mars 2000, pp. 125-154. 51 Marc BORDIGONI, « Le paysan, le gitan et le trimard », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 223-242. 52 Olivier BORRAZ, « L'utilisation des boues d'épuration en agriculture : les ressorts d'une controverse », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 25-32. Lire l'article en ligne 53 Véronique BORZEIX, voir Alain BLOGOWSKI.

54 Véronique BORZEIX, voir Jean-Christophe BUREAU.

55 Thierry BOUDIGNON, « L'affaire "Pierre Martin, Marie Breysse sa femme et Jean Rochette son domestique". Contribution à l'étude de l'Affaire dite de l'Auberge de Peyrebeille », dans Revue du Vivarais, tome 103, n° 3, juillet-septembre 1999, pp. 305-354 et n° 4, octobre-décembre 1999, pp. 387-429, tome 104, n° 1, janvier-mars 2000, pp. 33-116 et n° 2, avril-juin 2000, pp. 179-212. 56 Corinne BOUJOT, Le venin, coll. Un ordre d'idées, Paris, Éditions Stock, 2001, 232 p. Lire le compte-rendu dans Ruralia, n°8, dans Cahiers d'histoire, n°3-4, 2001

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57 Ghazi BOULILA et Sami KHEDHIRI, « L'impact agricole de la libéralisation des échanges entre la Tunisie, l'Union européenne et le monde. Une approche multimarché », dans Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 93-103. 58 Emmanuelle BOUQUET, voir Jean-Philippe COLIN.

59 Jean BOURLIAUD, voir Christian NICOURT.

60 Daniel BOY, Dominique DONNET KAMEL et Philippe ROQUELPO, « Un exemple de démocratie participative : la "conférence de citoyens" sur les organismes génétiquements modifiés », dans La démocratie directe : problèmes et formes nouvelles. Revue française de science politique, volume 50, n° 4-5, août-octobre 2000, pp. 779-809. 61 Laurence BOY, « Contrat agri-environnemental : aide ou rémunération ? », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 52-65. 62 Laurence BOY et Isabelle DOUSSAN, « Le principe pollueur-payeur et l'activité agricole », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 63 Jean-Paul BRANLARD, « Croyances comestibles et populaires », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 42, février 2001, pp. 61-66. Lire l'article en ligne 64 Yves BRIEN et Marie PERCOT, « Introduction », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 13-20. 65 Jean-Louis BRIQUET et Annie COLLOVALD [dir.], Liaisons politiques. Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 12, n° 45, janvier-mars 1999, pp. 3-160. 66 Jean-Louis BRIQUET, « Des amitiés paradoxales. Echanges intéressés et morale du désintéressement dans les relations de clientèle », dans Jean-Louis BRIQUET et Annie COLLOVALD [dir.], Liaisons politiques. Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 12, n° 45, janvier-mars 1999, pp. 7-20. 67 Jonathan BROOKS, « Réforme foncière dans les économies en transition : leçons pour la politique structurelle », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 68 Gilles BRUNSCHWIG, Terroirs d'élevage laitier du Massif central : identification et caractérisation, collection études n° 6, Clermont-Ferrand, Enita, 2000, 223 p. 69 Jean-Christophe BUREAU, Annie HOFSETTER, Youssef CHAHED et Véronique BORZEIX, « La mise en œuvre de l'accord de Marrakech : le volet accès au marché », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 12, octobre 2000, pp. 9-54. 70 Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, 318 p. 71 Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET, « Présentation », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 9-13. 72 Michel CALLON, Cécile MEADEL et Vololona RABEHARISOA, « L'économie des qualités », dans Dominique CARDON, Patrick LEHINGUE et Fabian MUNIESA [dir.], Marchés financiers. Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 13, n° 52, octobre- décembre 2000, pp. 211-239.

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73 Antoine CARDI, « La Corporation paysanne (1940-1944). Entre le local et le national : l'exemple du Calvados », dans Histoire et sociétés rurales, n° 14, 2e semestre 2000, pp. 127-152. 74 Janine CARETTE, « Évolution des soins alimentaires de l'âne et du mulet », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 97-106. 75 Xan CARMONA BADÍA, « Sobre as orixes da orientación exportador na producción bovina galega. As exportacións a Inglaterra na segunda metade do século XIX », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 305-352. 76 Benoît CARTERON, « Châtelains et paysans à Saint-Hilaire-de-Loulay. La transmission des terres dans une commune du bocage vendéen avant la modernisation agricole », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 113-119. 77 Bertrand CASIGLIA, « La Jeunesse agricole catholique (JAC), 1939-1945 », dans Jean- William DEREYMEZ [dir.], Être jeune en France (1939-1945), Mémoires du XXe siècle, Paris, Éditions L'Harmattan, 2001, pp. 217-223. 78 Marie-Pierre CERVEAU, « Les égarements de la région viticole bourguignonne ou les tribulations d'un bateau ivre », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 444-458. 79 Alain CHAFFEL, « Les communistes de Romans de l'Occupation au début des années soixante », dans Histoire et archives drômoises, bulletin n° 15, mai 1999, pp. 47-61. 80 Youssef CHAHED, voir Jean-Christophe BUREAU.

81 Jean-François CHANET, « Vocation et traitement. Réflexions sur la "nature sociale" du métier d'instituteur dans la France de la IIIe République », dans Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 47, n° 3, juillet-septembre 2000, pp. 581-603. 82 Jean-François CHANET, « École et politisation dans les campagnes françaises au XIXe siècle », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 91-106. 83 Simon CHARBONNEAU, « Hygiénisme, santé publique et aménagement du territoire », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 79-80. Lire l'article en ligne 84 Patrick CHARRIER, « Entre Anjou et Pays Nantais, interventions humaines et transformations hydro-morphologiques en Loire armoricaine (1750-1960) », dans Annales de géographie, tome 109, n° 612, mars-avril 2000, pp. 115-131. 85 Frédéric CHAUVAUD, « Râles des moribonds et cris “post-mortem” au XIXe siècle. La déposition des victimes de mort violente », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 481-489. 86 Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, 331 p. Lire le compte-rendu dans Ruralia, n°8

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87 Frédéric CHAUVAUD, « Introduction », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 7-20. 88 Frédéric CHAUVAUD, « Pistes de recherches », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 296-311. 89 Danièle CHAUVIN et Didier-Julien PERRIN-TERRIN, « Au Val des Nymphes. L'être du lieu : Philippe Jaccottet et Marguerite Yourcenar », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 201-217. 90 Carole CHAUVIN-PAYAN, « "Quand Fanny..." Autour d'un jeu de tape-mains », dans Le Monde alpin et rhodanien, n° 4, 1999, pp. 55-68. 91 Françoise CHENET, voir Chrystèle BURGARD.

92 Françoise CHENET-FAUGERAS, « Le paysage est fou ou le miroir brouillé », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 35-47. 93 Alain CLÉMENT, « La spécificité du fait alimentaire dans la théorie économique. Les fondements historiques et les enjeux », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 111-127. Lire le résumé ou l'article en ligne 94 Jean-Philippe COLIN, « Le métayage au Mexique (XVIe-XXe siècle) », dans Histoire et sociétés rurales, n° 14, 2e semestre 2000, pp. 55-89. 95 Jean-Philippe COLIN et Emmanuelle BOUQUET, « Le métayage comme partenariat. L'arrangement a medias dans la Sierra Madre orientale-Mexique », dans Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 77-92. 96 José COLINO SUEIRAS et Pedro NOGUERA MÉNDEZ, « Patrones estructurales y convergencia interregional en la agricultura europea », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 111-128. 97 Annie COLLOVALD, voir Jean-Louis BRIQUET.

98 Jacques COMMAILLE, « Transformations du droit et de l'action publique », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 20-25. 99 Joseph CONFAVREUX, « Usages sociaux et politiques de la monnaie en Dordogne dans la première moitié du XIXe siècle », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 9-42. Lire le résumé ou l'article en ligne 100 Arthur CONTE, Les paysans de France de l'an 1000 à l'an 2000, Paris, Plon, 404 p.

101 Alain CORBIN, « Recherche historique et imaginaire politique. À propos des campagnes françaises au XIXe siècle », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 47-55. 102 Paola CORTI et Piera GOTTA, « Les métiers itinérants entre représentations et autoreprésentations : les ramoneurs de la Valle dell'Orco au Piémont », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 79-94.

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103 Pierre COSTE, « Les routes du colporteur Jean-Joseph Esmieu », dans Les voies de communication en Provence. Actes du 44e Congrès de la Fédération historique de Provence tenu à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) les 22 et 23 octobre 1999. Provence historique, tome 50, n° 201, juillet-septembre 2000, pp. 281-287. 104 Laurence COTTET-DUMOULIN, « Processus de requalification d'un espace "naturel" en marge d'une agglomération. Le cas des îles du Rhône aval au sud de Lyon », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 175-192. 105 Paul COUEGNAS, voir Alain SCHRAMBACH.

106 Bernadette COUTURIER, « Histoire locale et pluralité des cultures », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 121-125. 107 Isabelle COUTURIER, « La réaction du droit à un phénomène concret spontané : la diversification », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 108 Isabelle COUZON, « De la décentralisation industrielle à l'aménagement du territoire rural : Pierre Coutin, 1942-1965 », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 69-91. Lire le résumé ou l'article en ligne 109 Bernard CRISTOFINI, dans Isabelle SAVINI.

110 Dominique CROZAT, « Bals des villes et bals des champs. Villes, campagnes et périurbain en France : une approche par la géographie culturelle », dans Annales de géographie, tome 109, n° 611, janvier-février 2000, pp. 43-64. 111 Karine DANIEL et Laurent MAILLARD, « Politiques agricoles et localisation des productions dans l'Union européenne. La déconnexion des marchés », dans Développement régional : quelles recherches ?. Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 23-36. 112 Karine DANIEL et Laurent MAILLARD, « La concentration géographique des productions agricoles et ses déterminants. Une analyse pour l'Union européenne », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 13, mars 2001, pp. 85-103. 113 Jean-Claude DAUMAS, « Prêtres et instituteurs pionniers des recherches historiques dans la vallée de l'Oule au XIXe siècle », dans érudition et histoire locale. Fin XIXe-début XXe siècles. Revue drômoise, archéologie, histoire, géographie, tome 92, n° 498, décembre 2000, pp. 517-520. 114 Olivier DAVID, « Services publics et inégalités spatiales. L'exemple de l'accueil des jeunes enfants en Ille-et-Vilaine », dans Norois, revue géographique de l'Ouest et des pays de l'Atlantique nord, tome 46, n° 182, avril-juin 1999, pp. 341-358. 115 Jean-Christophe DEBAR, « Les exploitations de grandes cultures en France et aux États-Unis : performances comparées », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 12, octobre 2000, pp. 137-158. 116 Jacques DELAGE, « Évaluation de la valeur énergétique des aliments : des calories aux unités fourragères », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 53-74. 117 Olivier DELAHAYE, « Le foncier agricole et le droit aux États-Unis : des origines de l'économie institutionnelle au Post Consensus de Washington », dans Le droit rural.

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Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 142-147. 118 Marie DELAPLACE, voir Jean-Marc BASCOURRET.

119 Claire DELFOSSE, « Qualité du produit de terroir et histoire locale, ou comment le géographe rencontre l'histoire locale », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 37-48. 120 Gérard DELILLE, « Réflexions sur le "système" européen de la parenté et de l'alliance (note critique) », dans Annales, histoire, sciences sociales, tome 56, n° 2, mars-avril 2001, pp. 369-380. 121 Bernard DENIS, « L'alimentation des animaux dans le Journal d'agriculture pratique (1837-1856) », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 13-18. 122 Bernard DENIS, voir Jacques LOUGNON.

123 Jean-Michel DEREX, « Pour une histoire des zones humides en France (XVIIe- XIXe siècle). Des paysages oubliés, une histoire à écrire », dans Histoire et sociétés rurales, n° 15, 1er semestre 2001, pp. 11-36. 124 Gaëtan DESMARAIS, « Pour une géographie humaine structurale », dans Annales de géographie, tome 110, n° 617, janvier-mars 2001, pp. 3-21. 125 Louis DEVANCE, « Victimes d'un crime judiciaire. L'affaire Vaux et Petit (1851-1897) », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 409-424. 126 Développement régional : quelles recherches ?. Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, 60 p. 127 Jean-William DEREYMEZ [dir.], Être jeune en France (1939-1945), Mémoires du XXe siècle, Paris, Éditions L'Harmattan, 2001, 352 p. 128 Pascal DIBIE, « Une ethnologie suggestive pour une histoire locale », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 31-36. 129 Alix DOMAS, « Les contrats territoriaux d'exploitation : contraintes juridiques et difficultés de mise en place », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 81-86. Lire l'article en ligne 130 Gérald DOMON, voir Bernard ESTEVEZ.

131 Luís DOMÍNGUEZ CASTRO, « O amo bo e o comerciante que fía : dúas estratexias de crédito rural privado no primeiro tercio do século XX », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 527-545. 132 Dominique DONNET KAMEL, voir Daniel BOY.

133 Fausto DOPICO GUITIÉRREZ del ARROYO, « Productividade, rendementos e tecnoloxía na agricultura galega de fins do século XIX », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 217-235. 134 Bruno DORIN, « L'Inde dans le commerce agricole international. Conditions et bilan de mise en œuvre des accords de MArrakech », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 13, mars 2001, pp. 49-84.

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135 Isabelle DOUSSAN, voir Laurence BOY.

136 Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, 166 p. 137 Sébastien DROUINEAU, Olivier LAROUSSINIE, Yves BIROT, Daniel TERRASSON, Thomas FORMERY et Bernard ROMAN-AMAT, « Expertise collective sur les tempêtes, la sensibilité des forêts et sur leur reconstitution », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 57-77. Lire l'article en ligne 138 Henri DUMON, « Évolution de l'alimentation des monogastiques au XXe siècle », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 43-52. 139 Annie DUMONT, « Traverser les cours d'eau à gué : l'exemple de la Saône. Approche historique et archéologique », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 37-54. 140 Pascal DUPLESSIS, « Le cheval merveilleux de Jallais (Maine-et-Loire). Les apports de la mythologie à la connaissance des limites de la cité des Andes », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 127-139. 141 Roger DUPUY, « Les campagnes blanches de l'ouest de la France (1793-1850) : sub- culture politique ou proto-politique populaire ? », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 343-350. 142 Yves DURAND, « Une adolescence paysanne et lycéenne sous l'Occupation. Témoignage et réflexions », dans Jean-William DEREYMEZ [dir.], Être jeune en France (1939-1945), Mémoires du XXe siècle, Paris, Éditions L'Harmattan, 2001, pp. 63-70. 143 Économie et société, XVIIe-XIXe siècles. Provence historique, tome 50, n° 200, avril- juin 2000, pp. 131-246. 144 Pilar ERDOZÁIN AZPILICUETA, « Perspectivas demográficas de la sociedad rural en la década de los noventa », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 57-77. 145 érudition et histoire locale. Fin XIXe-début XXe siècles. Revue drômoise, archéologie, histoire, géographie, tome 92, n° 497, décembre 2000, pp. 447-574. 146 Bernard ESTEVEZ, Gérald DOMON et Éric LUCAS, « Le modèle ESR (efficacité- substitution-reconceptualisation), un modèle d'analyse pour l'évaluation de l'agriculture durable applicable à l'évaluation de la stratégie phytosanitaire au Québec », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 97-104. Lire l'article en ligne 147 Fabrique des lieux. Genèses, n° 40, septembre 2000, pp. 1-174.

148 François FACCHINI, « Coordination économique et droit rural », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 149 François FACCHINI, voir Denis BARTHÉLEMY.

150 Olivier FANICA, « Le sol, la plante et l'élevage en Gâtinais. Rôle du phosphore », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 107-126.

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151 Olivier FANICA, « La production de veau blanc pour Paris. Deux siècles de fluctuations (XVIIe-XXe siècle) », dans Histoire et sociétés rurales , n° 15, 1er semestre 2001, pp. 105-130. 152 Jean-Claude FARCY, « Les sources sérielles de l'étude des victimes en histoire contemporaine », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 95-112. 153 Bernard FARINELLI, « Le repeuplement des communes rurales. Nécessité publique et désir individuel », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 42, février 2001, pp. 15-27. Lire l'article en ligne 154 Harvey A. FEIT, « Les animaux comme partenaires de chasse. Réciprocité chez les Cris de la baie James », dans Les animaux pensent-ils ?. Terrain, n° 34, mars 2000, pp. 123-142. 155 María Carmen FERNÁNDEZ DÍEZ, « Evolución histórica de la investigación agraria en España », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 181-205. 156 Anxo FERNÁNDEZ GONZÁLEZ, « As extratexias antifiscais nas sociedades compesiñas tradicionals. Galicia, 1700-1840 », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 103-127. 157 Ángel FERNÁNDEZ GONZÁLEZ, voir Henrique HERVÉS SAYAR.

158 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, 551 p. Lire le compte-rendu dans Ruralia, n°8 159 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, « Caracterización da agricultura galega contemporánea : entre o atraso a adaptación ao capitalismo », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 45-60. 160 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, « Reconstruíndo a Galicia rural contemporánea. Introducción », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 9-42. 161 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, « Represión franquista e desarticulación social en Galicia. A destrucción da organización societaria campesiña, 1936-1942 », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 193-213. 162 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, « Selección de innovacións nunha agricultura atlántica de pequenas explotacións. Galicia, 1900-1936. A adopción das máquinas de mallar », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 237-273. 163 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, voir Henrique HERVÉS SAYAR.

164 Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, voir Xesús L. BALBOA LÓPEZ.

165 Pierre FERRON, « Bases écologiques de la protection des cultures. Gestion des populations et aménagement de leurs habitats », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 33-41. Lire l'article en ligne

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166 Marguerite FIGEAC, « Yquem ou la naissance d'un grand cru du Bordelais », dans Vins et vignobles du Bordelais et du Sud-Ouest. Annales du Midi, tome 112, n° 231, juillet- septembre 2000, pp. 331-350. 167 Marco FINCARDI, « Culture comunitarie e moderno coflitti sociali nell'Italia rurale di fine XIX secolo », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 221-257. 168 Caroline FORD, « The use and practice of tradition in the politization of rural France during the nineteenth century », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 327-341. 169 Thomas FORMERY, voir Sébastien DROUINEAU.

170 Robert FORT, Ils ont révolutionné le monde rural. L'aventure de la JAC en Bretagne (1930-1970), Brest, Éditions le Télégramme, 2001, 287 p. 171 Serge FOUILLAND et Denis FURESTIER, « Le flottage sur la Durance et sur l'Isère hier et aujourd'hui », dans André VINCENT [dir.], Le Rhône. Un fleuve et des hommes. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 1999, pp. 55-77. 172 Ève FOUILLEUX, « Entre production et institutionnalisation des idées. La réforme de la Politique agricole commune », dans Les approches cognitives des politiques publiques. Revue française de science politique, volume 50, n° 2, avril 2000, pp. 277-305. 173 Dominique FOURNIER, « Les spectacles tauromachiques naissent aussi de l'histoire », dans Terrains minés en ethnologie. Ethnologie française, tome 31, n° 1, janvier-mars 2001, pp. 169-172. 174 Denis FURESTIER, voir Serge FOUILLAND.

175 Antonin GAIGNETTE et Martino NIEDDU, « Coopératives : la fin d'une forme institutionnelle ? », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 110-125. 176 Antonin GAIGNETTE, voir Jean-Marc BASCOURRET.

177 Marie-France GARCIA-PARPET, « Dispositions économiques et stratégies de reconversion. L'exemple de la nouvelle viticulture », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 129-157. Lire le résumé ou l'article en ligne 178 Fabien GAVEAU, « De l'art d'être victime. Préjudice et rhétorique dans les campagnes de la France du nord et de l'est dans la première moitié du XIXe siècle », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 147-155. 179 Geneviève GAVIGNAUD-FONTAINE, Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l'Europe au siècle dernier (XXe), Montpellier, Publications de l'Université Paul-Valéry, 2000, 569 p. 180 Muriel GENY-MOTHE, La chasse aux oiseaux migrateurs dans le sud-ouest : le droit face aux traditions, Aspet, PyréGraph, 2000, 381 p. 181 Jean-Max GIRAULT, voir Christian NICOURT.

182 Manuel GONZÁLEZ de MOLINA, « De la "cuestión agraria" a la "cuestión ambiental" en la historia agraria de los noventa », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 19-36.

Ruralia, 08 | 2001 273

183 Piera GOTTA, voir Paola CORTI.

184 Vincent GOURDON, « Voisinage et parenté dans la société traditionnelle : le cas des grands-parents et des petits-enfants au XIXe siècle à Samois-sur-Seine (Seine-et- Marne) », dans Pierre GUILLAUME [dir.], Les solidarités. Le liens social dans tous ses états. Colloque de Bordeaux, 16-17 juin 2000, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2001, pp. 137-152. 185 Anne-Marie GRANET-ABISSET,« Avant-propos : des historiens érudits des villes et des villages », dans érudition et histoire locale. Fin XIXe-début XXe siècles. Revue drômoise, archéologie, histoire, géographie, tome 92, n° 498, décembre 2000, pp. 448-450. 186 Cyril GRANGE, voir Luc ARRONDEL.

187 Catherine GROUT, « Clichés alpins. Mise à l'épreuve du paysage régional dans la photographie contemporaine », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 255-265. 188 Annie GUÉDEZ, La question rurale au regard de la sociologie », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 51-56. 189 Henri GUIBOURDENCHE, « L'évolution récente de la viticulture ardéchoise », dans La vigne d'hier à aujourd'hui en Ardèche. Revue du Vivarais, tome 105, n° 1, janvier-mars 2001, pp. 137-164. 190 François GUICHARD, « Le dit et le non-dit du vin : le langage des étiquettes », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 364-380. 191 Jean-Louis GUIGOU, « Une nouvelle pensée territoriale », dans Développement régional : quelles recherches ?. Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 54-60. 192 Pierre GUILLAUME [dir.], Les solidarités. Le liens social dans tous ses états. Colloque de Bordeaux, 16-17 juin 2000, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2001, 509 p. 193 Dominique GUILLEMET, « Le département de la Vienne : institutions et territoires légitimes », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 57-64. 194 Alain GUYOT, « Le mont Blanc et l'art d'écrire : la représentation de la haute montagne chez quelques écrivains romantiques français en voyage dans la vallée de Chamonix », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 169-183. 195 Philippe HANUS, « Je suis né charbonnier » dans le Vercors. Petite histoire des hommes dans la forêt, Lans-en-Vercors, Parc naturel régional du Vercors, 2000, 207 p. 196 Carole HERNANDEZ-ZAKINE, voir Joseph HUDAULT.

197 Henrique HERVÉS SAYAR, Ángel FERNÁNDEZ GONZÁLEZ, Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO, Aurora ARTIAGA REGO et Xesús L. BALBOA LÓPEZ, « Resistencia e organización. A conflictividade rural en Galicia desde a crise di Antigo Réxime ao

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franquismo », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 129-162. 198 Henrique HERVÉS SAYAR, O nacemento do asociacionismo campesiño na rexión baixomiñota, 1900-1905 », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 163-191. 199 Bertrand HERVIEU et Jean VIARD, L'archipel paysan. La fin de la République agricole, La Tour-d'Aigues, Éditions de l'Aube, 2001, 125 p. 200 Jean-Claude HINNEWINKEL, Claudine LE GARS.

201 Caroline HODAK, « Les animaux dans la cité : pour une histoire urbaine de la nature », dans Sciences du politique. Genèses, n° 37, décembre 1999, pp. 156-169. 202 Annie HOFSETTER, voir Jean-Christophe BUREAU.

203 Jean-Pierre HOUSSEL, « Promotion collective et développement dans la France rurale progressive : l'exemple des Monts du Lyonnais », dans Annales de géographie, tome 109, n° 611, janvier-février 2000, pp. 21-42. 204 Ronald HUBSCHER, « Syndicalisme agricole et politisation paysanne », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 135-152. 205 Joseph HUDAULT, « L'exploitation agricole individuelle en droit français et communautaire », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 90-96. 206 Joseph HUDAULT et Carole HERNANDEZ-ZAKINE, « Le problème de la définition juridique de l'espace rural », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 207 Alain HUETZ de LEMPS, « La résurrection des vignobles de Duero en Espagne », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 488-504. 208 Ivan JABLONKA, « Un discours philanthropique dans la France du XIXe siècle : la rééducation des jeunes délinquants dans les colonies agricoles pénitentiaires », dans Ordre et désordres, XVIIe-XXe siècles. Revue d'histoire moderne et contemporaine, tome 47, n° 1, janvier-mars 2000, pp. 131-147. 209 Nathalie JAS, Au carrefour de la chimie et de l'agriculture. Les sciences agronomiques en France et en Allemagne, 1840-1914, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2001, 433 p. 210 Yves JEAN, « De l'économie agricole à l'économie rurale », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 41-51. 211 Jean-Pierre JESSENNE, « Synergie nationale et dynamique communautaire dans l'évolution rurale par-delà la révolution française (vers 1780-vers 1830) », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 57-79. 212 Marie-Claude JEUNE, « Le paysage rhônalpin et l'art contemporain », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en

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paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 267-274. 213 Alice JOISTEN, « Comptines, formulettes, rondes et chansons recueillies à Gap (Hautes- Alpes) en 1958 », dans Le Monde alpin et rhodanien, n° 4, 1999, pp. 69-92 214 Marcel JOLLIVET, Pour une science sociale à travers champs. Paysannerie, ruralité, capitalisme (France, XXe siècle), Paris, Éditions arguments, 2001, 400 p. Lire le compte- rendu dans Ruralia, n°8 215 Geneviève JOLLY, « Les cagots des Pyrénées : une ségrégation attestée, une mobilité mal connue », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 197-222. 216 Evi KAROUZOU, « Le paysan individualiste : marché et systèmes d'exploitation de la terre dans la Grèce du Sud (fin du XIXedébut du XXe siècle) », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 43-67. Lire le résumé ou l'article en ligne 217 Sami KHEDHIRI, voir Ghazi BOULILA.

218 Samuel kühn, « La Drôme et les Drômois à l'Académie delphinale au XXe siècle ou la réinvention du Dauphiné », dans érudition et histoire locale. Fin XIXe-début XXe siècles. Revue drômoise, archéologie, histoire, géographie, tome 92, n° 498, décembre 2000, pp. 453-462. 219 Madeleine LACOUTURE, « Réseau des écoles et nouvelles pratiques du territoire montagnard. L'exemple des Hautes Terres du Puy-de-Dôme », dans Annales de géographie, tome 109, n° 616, novembre-décembre 2000, pp. 613-630. 220 Jérôme LAFARGUE, Protestations paysannes dans les Landes. Les gemmeurs en leurs temps (1830-1970), Logiques politiques, Paris, Éditions L'Harmattan, 2001, 215 p. Lire le compte- rendu dans Ruralia, n°10-11, 2002 221 Gilles laferté, « Le spectacle historique de Meaux (1982-2000) : l'invention locale d'un modèle national », dans Fabrique des lieux. Genèses, n° 40, septembre 2000, pp. 81-107. 222 Sylvie LAPALUS, « Du père immolé au tyran domestique. Les victimes de parricide au XIXe siècle », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 289-301. 223 Catherine LAROCHE-DUPRAZ, « Vers une nouvelle réforme de l'organisation commune de marché de la banane », dans Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 63-76. 224 Olivier LAROUSSINIE, voir Sébastien DROUINEAU.

225 Raphaël LARRÈRE, « La loi sur la protection des espèces sauvages : des mesures inefficaces, inadéquates... et pourtant bien utiles », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 126-134. 226 Catherine LAURENT et Jacques RÉMY, « L'exploitation agricole en perspective », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 5-22. Lire l'article en ligne 227 Catherine LAURENT, voir Sandrine BLANCHEMANCHE.

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228 Guillaume LEBAUDY, « Dans les pas des bergers piémontais en Provence. Trace, parcours et appartenances », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 151-174. 229 Marie-Bernadette LE BERRE, « L'image du Dauphiné à travers les guides touristiques généraux au XIXe siècle : l'effet paysage sur les auteurs-voyageurs », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 153-168. 230 Armelle LE BRAS-CHOPARD, Le zoo des philosophes. De la bestialisation à l'exclusion, Paris, Éditions Plon, 2000, 390 p. 231 Claudine LE GARS et Jean-Claude HINNEWINKEL, « Le commerce mondial des vins à la fin du XXe siècle », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 381-394. 232 François LEGOUY, « La renaissance du vignoble des Hautes-Côtes de Beaune et des Hautes-Côtes de Nuits », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 459-472. 233 Yannick LE MAREC, « Construire leur accord. Ingénieurs des Ponts et Chaussées et paysans des îles dans l'estuaire de la Loire (XIXe-XXe siècles) », dans Fabrique des lieux. Genèses, n° 40, septembre 2000, pp. 108-130. 234 Pierre-Marie LLEDO, Histoire de la vache folle, coll. Science, histoire et société, Paris, Presses universitaires de France, 2001, 161 p. 235 Claire LEMERCIER et Paul-André ROSENTAL, « "Pays" ruraux et découpages de l'espace : les réseaux migratoires dans la région lilloise au milieu du XIXe siècle », dans Population, tome 55, n° 4-5, juillet-octobre 2000, pp. 691-726. 236 Gérard LENCLUD, « Et si un lion pouvait parler… Enquêtes sur l'esprit animal », dans Les animaux pensent-ils ?. Terrain, n° 34, mars 2000, pp. 5-22. 237 Rémy LE SAOUT, « L'intercommunalité, un pouvoir inachevé », dans Revue française de science politique, volume 50, n° 3, juin 2000, pp. 439-461. 238 Sophie LIGNON-DARMAILLAC, « Le marché du Xérès en France », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 505-515. 239 Catherine LONCHAMBON, « Les bacs de la Durance, des "systèmes" de franchissement », dans Les voies de communication en Provence. Actes du 44e Congrès de la Fédération historique de Provence tenu à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) les 22 et 23 octobre 1999. Provence historique, tome 50, n° 201, juillet-septembre 2000, pp. 289-296. 240 Olivier LONDEIX, « Lillet, 1862-1985 : l'esprit du Sud-Ouest à l'épreuve de la société de consommation », dans Vins et vignobles du Bordelais et du Sud-Ouest. Annales du Midi, tome 112, n° 231, juillet-septembre 2000, pp. 351-362. 241 Michel LOPEZ, « De l'histoire du lac de Grand-Lieu à “La Comédie humaine” de Balzac », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 185-193.

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242 Louis LORVELLEC, « Droit rural et fait », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre-décembre 2000, pp. 9-19. 243 Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, 146 p. 244 Éric LUCAS, voir Bernard ESTEVEZ.

245 Flora MADIC, « De l'égalité problématique aux mariages utiles. Parenté et alliance dans une société à parentèle (Mase, Alpes suisses) », dans Laurent S. BARRY [dir.], Question de parenté. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 40, n° 154-155, avril-septembre 2000, pp. 467-479. 246 Laurent MAILLARD, voir Karine DANIEL.

247 Corinne MAITTE, « Corporation et politique au village : Altare entre migrations et différenciation sociale, XVIe-XIXe siècle », dans Revue historique, n° 617, janvier-mars 2001, pp. 47-82. 248 Corinne MARACHE, « Les solidarités villageoises, milieu XIXe-milieu XXe siècle. Étude panoramique et axes de réflexion », dans Pierre GUILLAUME [dir.], Les solidarités. Le liens social dans tous ses états. Colloque de Bordeaux, 16-17 juin 2000, Bordeaux, Maison des sciences de l'homme d'Aquitaine, 2001, pp. 67-81. 249 Catherine MARIETTE, « Paysages stendhaliens », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 185-192. 250 Nicolas MARIOT et Florence WEBER, « "Honneur à notre élu". Analyse ethnographique d'une coutume post-électorale en Dordogne », dans Jean-Louis BRIQUET et Annie COLLOVALD [dir.], Liaisons politiques. Politix, revue des sciences sociales du politique, volume 12, n° 45, janvier-mars 1999, pp. 21-37. 251 Jordi MARTÍ-HENNEBERG et Francesc NADAL PIQUÉ, « El proyecto colonizador de Raïmat : la formación de un viñedo (1914-1948) », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 159-180. 252 Jean-Clément MARTIN, « Face à la Révolution, quelle politisation des communautés rurales ? », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 107-115. 253 Jean-Clément MARTIN, « L'histoire locale et la communauté des historiens », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 25-30. 254 Alberte MARTÍNEZ LÓPEZ, « Perspectiva histórica da gandería galega : da complementariedade agraria á crise da intensificación láctea (1850-1995) », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 353-381. 255 Jacques MATHÉ, « Dynamiques des exploitations céréalières et concours publics à l'agriculture au Canada », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 12, octobre 2000, pp. 55-136. 256 Maurice MATHIEU, voir Samuel ARLAUD.

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257 Jean-Luc MAYAUD, « Pour une communalisation de l'histoire rurale », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 153-167. 258 Jean-Luc MAYAUD, « Historiens et histoires locales », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 69-75. 259 Jean-Luc MAYAUD, « Du bœuf gras à la vache folle », dans L'Histoire, n° 255, juin 2001, pp. 21-22. 260 Jean-Luc MAYAUD, « L'agriculture de la période contemporaine à l'aune de l'histoire », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 22-30. 261 Peter MCPHEE, « Contours nationaux et régionaux de l'associationnisme politique en France (1830-1880) », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 207-219. 262 Cécile MEADEL, voir Michel CALLON.

263 Colette MECHIN, « Le coucou et (est) l'épervier », dans De la différence et de l'exclusion. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 39, n° 150, avril-juin 1999, pp. 139-156. 264 Henri MENDRAS, « L'invention de la paysannerie. Un moment de l'histoire de la sociologie française d'après-guerre », dans Revue française de sociologie, tome 41, n° 3, 2000, pp. 539-552. 265 Laurent MERMET et Xavier POUX, « Recherches et actions publiques à l'interface agriculture/biodiversité : comment déplacer le front du débat ? », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 43-55. Lire l'article en ligne 266 Jesús MILLÁN, « La herencia política de la revolución liberal en la sociedad agraria españolà », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 259-286. 267 Jésus MILLÁN y GARCÍA-VARELA, « Los poderes locales en la sociedad agraria : una propuesta de balance », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 97-110. 268 Julian MISCHI, « L'histoire locale du politique. Le cas du parti communiste français dans la région de Saint-Nazaire », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 195-202. Lire l'article ou le résumé en ligne 269 Julian MISCHI, « Les campagnes rouges du Bourbonnais dans l'Entre-deux-guerres », dans Cahiers d'histoire, n° 1, 2001, pp. 143-165. 270 Solange montagné VILLETTE, « Le secondaire est-il soluble dans le tertiaire ? », dans Annales de géographie, tome 110, n° 617, janvier-mars 2001, pp. 22-37. 271 Warren MORAN, « Culture et nature dans la géographie de l'industrie vinicole néo- zélandaise », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 525-551. 272 Andrew MORAVCSIK, « Le grain et la grandeur : les origines économiques de la politique européenne du général de Gaulle », dans Revue française de science politique, volume 49, n° 4-5, août-octobre 1999, pp. 507-543 et volume 50, n° 1, février 2000, pp. 73-124.

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273 Jean-Marc MORICEAU, « L'alimentation animale sous l'Ancien Régime. Une gageure permanente », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 3-11. 274 Edgar MORIN, Journal de Plozévet, Bretagne, 1965, La Tour d'Aigues, Éditions de l'aube, 2001, 390 p. Lire le compte-rendu dans Ruralia, n°10-11, 2002 275 Marie-Françoise MOURIAUX, voir Sandrine BLANCHEMANCHE.

276 Danielle MUSSET, « Charbonniers, le métier du diable ? », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 133-150. 277 Francesc NADAL PIQUÉ, voir Jordi MARTÍ-HENNEBERG.

278 François NAUD, « Les parlementaires de Loire-Inférieure sous la Troisième République », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 203-208. 279 Christian NICOURT, Jean-Max GIRAULT et Jean BOURLIAUD, « Les odeurs d'élevages : textes, conflits et négociations locales », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre- décembre 2000, pp. 79-89. 280 Martino NIEDDU, voir Denis BARTHÉLEMY.

281 Martino NIEDDU, voir Antonin GAIGNETTE.

282 Pedro NOGUERA MÉNDEZ, voir José COLINO SUEIRAS.

283 Jean-Louis ORMIÈRES, « Politisation et scrutins municipaux. L'exemple du Maine-et- Loire sous la IVe République », dans Cahiers d'histoire, tome 45, n° 3, 2000, pp. 451-467. Lire le résumé ou l'article en ligne 284 Nathalie M. OSTROOT, voir Wayne W. SNYDER.

285 Sergio OTTONELLI, voir Dionigi ALBERTA.

286 Sigolène PAILHÈS, « La digue à la mer ou les mésaventures de l'État en Camargue. Contribution à l'histoire sociale à travers l'histoire de l'aménagement de la basse Camargue dans la seconde moitié du XIXe siècle », dans Économie et société, XVIIe-XIXe siècles. Provence historique, tome 50, n° 200, avril-juin 2000, pp. 189-205. 287 Priscilla PARKHURST-FERGUSON, « Paysages culinaires », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 307-317. 288 Renaud PAYRE, « Une république des communes. Henri Sellier et la réforme municipale en avril 1942 », dans Comment décrire les transactions. Genèses, n° 41, décembre 2000, pp. 143-163. 289 Rémy PECH, « Créer et reconstituer un vignoble. Un témoignage du Minervois : le mémoire d'Ernest Morin (1846-1899) », dans Histoire et sociétés rurales , n° 15, 1er semestre 2001, pp. 193-230. 290 Gilles PÉCOUT, « Politisation et transition étatique dans les campagnes toscanes du Risorgimento », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 81-89. 291 Gilles pécout, « Politisation et intégration nationale en Italie : les campagnes toscanes des années 1860 », dans Revue historique, n° 617, janvier-mars 2001, pp. 83-108.

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292 Bernard PECQUEUR, « Qualité et développement territorial : l'hypothèse du panier de biens et de services territorialisés », dans Développement régional : quelles recherches ?. Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 37-49. 293 Olivier pégard et Jérôme PRUNEAU, « La Route du Poisson. Le sport au service du patrimoine », dans Terrains minés en ethnologie. Ethnologie française, tome 31, n° 1, janvier-mars 2001, pp. 161-168. Lire le résumé en ligne 294 Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, 285 p.

295 Marie PERCOT, voir Yves BRIEN.

296 Juan Diego PÉREZ CEBADA, « Naturaleza y sociedad en perspectiva histórica : la historia ambiental americana », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 207-227. 297 María Teresa PÉREZ PICAZO, « Nuevas perspectivas en el estudio del agua agrícola. La subordinación de la tecnología a los modos de gestión », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 37-56. 298 Daniel PERRAUD, « Les politiques agricoles et rurales dans les régions : une nouvelle organisation des pouvoirs publics en Europe ? », dans Développement régional : quelles recherches ?. Économie rurale. Agricultures, alimentations, territoires, n° 261, janvier-février 2001, pp. 7-22. 299 Didier-Julien PERRIN-TERRIN, voir Danièle CHAUVIN.

300 Elsa PESKINE, voir Sandrine BLANCHEMANCHE.

301 Solange PINTON, « Des mots pour inventorier, ordonner, montrer. À propos du musée de Guéret », dans Observer, nommer, classer. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 40, n° 153, janvier-mars 2000, pp. 75-92. 302 Edgard PISANI, Une certaine idée du monde. L'utopie comme méthode, L'histoire immédiate, Paris, Éditions du Seuil, 2001, 237 p. 303 Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 337-560. 304 Stefano PIVATO, « Integrazione nationale e culture popolari. L'onomastica politica e ideologica nei comuni rirali italiani », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 117-133. 305 Catherine PIVOT, « Sol, capital, espace, territoire ou les multiples pratiques sociales liées à la terre », dans Revue de droit rural, n° 288, décembre 2000, pp. 306 Catherine PIVOT, voir Denis BARTHÉLEMY.

307 Jean-Marc PIVOT et Olivier AZNAR, « Acquisition foncière et environnement : le cas de la protection d'un captage d'eau potable », dans Le droit rural. Analyse économiques, juridiques, sociologiques. Économie rurale. Agricultures, espaces, sociétés, n° 260, novembre- décembre 2000, pp. 135-141. 308 René PLESSIX, « L'aire d'attraction des petites villes, étude comparée dans la France du Nord et du Nord-Ouest (Anjou, Artois, Maine, Basse-Normandie et Perche) au XIXe siècle », dans Philippe GUIGNET et Jean-Pierre BONDUE [dir.], Les métamorphoses des réseaux urbains dans la France du Nord de Louis XIV à nos jours. Actes des journées d'études

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organisées les 23 et 24 avril 1999 par l'équipe "Espaces et cultures de la ville" du CRHEN-O. Revue du Nord, tome 82, n° 335-336, avril-septembre 2000, pp. 367-391. 309 Françoise PLET, « La viti-viniculture hongroise post communiste à la fin du XXe siècle », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 473-487. 310 François PLOUX, « L'imaginaire social et politique de la rumeur dans la France du XIXe siècle (1815-1870) », dans La France au XIXe siècle : approches du politique. Revue historique, n° 614, avril-juin 2000, pp. 395-434. 311 La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, 376 p. Lire le compte-rendu dans Ruralia, n°8 312 Alain POULIQUEN, « Les structures et politiques agricoles des PECO sous fortes contraintes sociales et budgétaires : quelles transitions vers l'intégration européenne ? », dans Notes et études économiques, Ministère de l'Agriculture et de la Pêche, n° 13, mars 2001, pp. 9-47. 313 Xavier POUX, voir Laurent MERMET.

314 Deborah PUCCIO, « Le destin de la roue. Les rémouleurs de la vallée de Résia (Alpes orientales italiennes) », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 95-118. 315 Vololona RABEHARISOA, voir Michel CALLON.

316 Pierre RAINELLI, « L'image de la viande de porc en France. Attitudes des consommateurs », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 42, février 2001, pp. 47-60. Lire l'article en ligne 317 Bernard RAYMOND, « Les moulins à foulon de la Sèvre nantaise », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 239-244. 318 Michel réjalot, « Bordeaux-Champagne : propriété ou négoce ? », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 426-443. 319 Jacques RÉMY, « Les dessous de l'histoire. Stochastique de l'objet », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 57-67. 320 Jacques RÉMY, voir Catherine LAURENT.

321 Pierrette RENARD, « Une écriture du paysage : Jean Giono », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 193-200. 322 Alain RÉRAT, « Les apports de la physiologie aux progrès de l'alimentation animale », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 75-87. 323 Eduardo RICO BOQUETE, « Montes, industria de serra e tráfico de madeira en Galicia. A provincia de Pontevedra no período 1875-1936 », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 405-440. 324 Marie-Dominique RIBEREAU-GAYON, « Chemins et regards croisés dans les Landes de Gascogne : du XVIIIe sècle à nos jours », dans Dionigi ALBERA [dir.], Migrance, marges et métiers. Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-3, 2000, pp. 175-196.

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325 Maurizio RIDOLFI, « Gli spazi della politica nell'Italia rurale. Forme di sociabilità e rappresentanza elettiva trs'800 e'900 », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 287-313. 326 Michel ROBERT, « En arrière-plan de Kyoto, des enjeux qui dépassent la lutte contre le changement climatique... », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 88-90. Lire l'article en ligne 327 Denis ROCHARD, « Histoire agricole et droit rural », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 35-41. 328 Gisèle ROCHE-GALOPINI, « Sur les traces des colporteurs droguistes de la montagne de Lure », dans Les voies de communication en Provence. Actes du 44e Congrès de la Fédération historique de Provence tenu à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) les 22 et 23 octobre 1999. Provence historique, tome 50, n° 201, juillet-septembre 2000, pp. 271-279. 329 Maria Xosé RODRÍGUEZ GALDO, « A agricultura tradicional galega. Crecemento sen modernización », dans Lourenzo FERNÁNDEZ PRIETO [dir.], Terra e progreso. Historia agraria da Galicia contemporánea, Vigo, Edicións Xerais de Galicia, 2000, pp. 83-100. 330 Bernard ROMAN-AMAT, voir Sébastien DROUINEAU.

331 Philippe ROQUELPO, voir Daniel BOY.

332 Paul-André ROSENTAL, voir Claire LEMERCIER.

333 Philippe roudié, « Vous avez dit "château" ? Essai sur le succès sémantique d'un modèle viticole venu du Bordelais », dans Jean-Robert PITTE [dir.], La nouvelle planète des vins. Annales de géographie, tome 109, n° 614-615, juillet-octobre 2000, pp. 415-425. 334 Jean ROURE, « Vinezac en remontant le temps : la vigne », dans La vigne d'hier à aujourd'hui en Ardèche. Revue du Vivarais, tome 105, n° 1, janvier-mars 2001, pp. 73-94. 335 Bernard SALQUES, « Pour une ethno-histoire de la vigne et du vin en Ardèche », dans La vigne d'hier à aujourd'hui en Ardèche. Revue du Vivarais, tome 105, n° 1, janvier-mars 2001, pp. 95-135. 336 Baldine SAINT GIRONS, « Le sublime et la montagne de Giotto à Cézanne », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 283-306. 337 Matteo SANFILIPO, « Mobilitá, inurbamento e politicizzazione degli immigrati italiani in nord America. Il dibattito storiografico », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 169-195. 338 Carmen SARASÚA, « El análisis histórico del trabajo agrario : cuestiones recientes », dans Historia agraria. Revista de agricultura e historia rural, n° 22, décembre 2000, pp. 79-96. 339 Jean-Pierre SAUVAGE, « Sur les pas du romancier Jules Sandeau (1811-1883) », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 259-263.

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354 Mohamed TAHER SRAÏRI, « Déterminisme et applications de la recherche systémique pour l'étude de l'élevage laitier », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 42, février 2001, pp. 29-46. Lire l'article en ligne 355 Jean-François TANGUY, « Les victimes de violences conjugales en Bretagne au XIXe siècle », dans Benoît GARNOT [dir.], Les victimes, des oubliées de l'histoire ? Actes du colloque de Dijon, 7-8 octobre 1999, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2000, pp. 259-277. 356 José TENGARRINHA, « Le monde rural portugais au XVIIIe et au XIXe siècle », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 315-326. 357 Daniel TERRASSON, voir Sébastien DROUINEAU.

358 Jean-Louis TISSERAND, « Évolution de l'alimentation des herbivores au XXe siècle », dans Jacques LOUGNON et Bernard DENIS [dir.], L'alimentation des animaux : aspects historiques et évolutifs. Ethnozootechnie, n° 66, 2000, pp. 35-42. 359 Andrea TRIBESS, « La modernité sarde : une nouveauté toute relative », dans Ruralia, revue de l'Association des ruralistes français, n° 7, 2000, pp. 93-110. Lire le résumé ou l'article en ligne 360 Jean-René TROCHET, « Quelques directions de recherches récentes en géographie historique de la France rurale », dans Frédéric CHAUVAUD [dir.], La société agricole de la Vienne (XIXe-XXe siècles). Guide de recherche, La Crèche, Geste éditions, 2001, pp. 30-35. 361 Jean-Michel VALADE, « La lutte contre le phylloxéra dans le vignoble corrézien », dans Annales du Midi. Revue de la France méridionale, tome 111, n° 227, juillet-septembre 1999, pp. 361-370. 362 Olivier VALLADE, « Les Chantiers de jeunesse : institutions et réalités locales », dans Jean-William DEREYMEZ [dir.], Être jeune en France (1939-1945), Mémoires du XXe siècle, Paris, Éditions L'Harmattan, 2001, pp. 173-181. 363 François VALLAT, « Les épizooties en France de 1700 à 1850. Inventaire clinique chez les bovins et les ovins », dans Histoire et sociétés rurales , n° 15, 1er semestre 2001, pp. 67-104. 364 Jacques VAN WAERBEKE, « Des Valseuses à 37°2 le matin, paradoxes des inscriptions paysagères filmo-diégétiques et sens du lieu », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 239-254. 365 Anne VAUTHIER-VÉZIER, « Photographes et pratiques de la photographie en Loire- Inférieure au XIXe siècle et au début du XXe siècle », dans Marie PERCOT [dir.], Histoire locale, rencontres d'Ancenis, Nantes, Siloë, 2001, pp. 265-277. 366 Jean VIARD, voir Bertrand HERVIEU.

367 Jacky VIEUX, « Paysages de la moyenne vallée du Rhône : valeur anthropologique et capital touristique », dans Chrystèle BURGARD et Françoise CHENET [dir.], Paysage et identité régionale. De pays rhônalpins en paysages. Actes du colloque de Valence, 16-18 octobre 1997, s.l., La passe du vent, 1999, pp. 221-230. 368 La vigne d'hier à aujourd'hui en Ardèche. Revue du Vivarais, tome 105, n° 1, janvier- mars 2001, 165 p.

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378 Alain WEIL, « Monsanto et le génome du riz. Un cadeau empoisonné », dans Le Courrier de l'environnement, INRA, n° 41, octobre 2000, pp. 87-88. 379 François WEIL, « Intégration au national et migrations aux Amériques. Réflexions sur l'exemple français », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 197-206. 380 Maurice WOLKOWITSCH, « La construction du réseau ferré en Provence », dans Les voies de communication en Provence. Actes du 44e Congrès de la Fédération historique de Provence tenu à Digne (Alpes-de-Haute-Provence) les 22 et 23 octobre 1999. Provence historique, tome 50, n° 201, juillet-septembre 2000, pp. 321-329. 381 Renato ZANGHERI, « Contadini e politica nell'800. La storiografia italiana », dans La politisation des campagnes au XIXe siècle; France, Italie, Espagne et Portugal. Actes du colloque de Rome, 20-22 février 1997, Rome, École française de Rome, 2000, pp. 13-27. 382 Françoise ZONABEND, « Les maîtres de parenté. Une femme de mémoire en Basse- Normandie », dans Laurent S. BARRY [dir.], Question de parenté. L'Homme, revue française d'anthropologie, tome 40, n° 154-155, avril-septembre 2000, pp. 505-524. 383 Correction typographique le 25 juin 2003.

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