1976

Klaus - Rock & Folk n° 108 – Janvier

KLAUS

À la veille d'une grande tournée en France, au moment où sort un splendide double album live, la voix de Magma passe de l'incantation à l'interview. Klaus Blasquiz parle.

Magma est à peine de retour d'une grande tournée européenne qui l'a conduit de Londres à Berlin, de Munich au Danemark ; à peine de retour pour la sortie de son cinquième album, un double " live " enregistré au printemps à Taverne de l'Olympia pour Utopia, le nouveau label de Giorgio Gomelsky. Déjà fin prêt pour une colossale tournée de deux mois qui sillonnera la France de part en part à partir du 15 janvier. France où Magma devrait se voir enfin reconnu pour ce qu'il est : l'un des plus grands groupes du monde, l'un des plus formidablement originaux, un groupe unique. Magma partira ensuite un mois dans un théâtre de New York. Et puis ensuite il y aura le Grand Oeuvre: d'abord " ", dont nous connaîtrons enfin le premier mouvement que le groupe joue désormais sur scène (pour mémoire, le second était constitué par " Wurdäh Itäh ", le très bel album " confidentiel " qui servit de musique à "Tristan et Yseult", et le troisième par " Mekanïk Destruktïw Kommandöh "), puis " Emëhntëht?Rë ", constitué lui aussi de six autres faces et qui devrait être un pas de plus, et le plus grand, vers la perfection à laquelle aspire le groupe.

MAGMA

KLAUS BLASQUIZ : Avant tout, il faut dire que Magma a décidé de ne plus parler de musique. Nous avons jusqu'à présent laissé aller notre esprit de musiciens, avec les journalistes, et nous savons maintenant d'expérience que ça n'a servi à rien et que ça ne présente aucun intérêt, même pas sur le plan musical. On ne peut pas parler de musique alors que notre but profond n'est pas la musique. On en parlera très mal, car là n'est pas notre centre d'intérêt; tout sera vague, imprécis. II vaut mieux trancher. D'autre part, quand on parle de musique, soit on s'adresse à des musiciens qui ont le niveau, et on n'a rien à leur apporter; soit à des gens qui n'ont pas le niveau, et alors ils ne comprennent rien. Or il nous faut parler à tout lé monde, donc on ne parle pas de musique.

R & F : Parleras-tu en ton nom propre ou pour Magma ? K.B. : Systématiquement un peu les deux. Je ne suis ni un dieu, ni un représentant syndical. Je parle toujours au nom de Magma, mais avec la réserve que je suis Klaus. Je ne pourrai rien dire de plus que Christian Vander) ; mais ce que je dirai, je le dirai d'une façon différente, en certains points plus claire, en d'autres plus obscure.

UNIWERIA ZEKT

R & F : Qu'est-ce que Magma ? K.B. : Magma, ce n'est pas qu'un groupe de musiciens ; c'est un groupe d'hommes qui actuellement n'est composé que de musiciens. Magma, c'est la Zeuhl (Magma n'est que le nom terrien) ; la Zeuhl fait partie de la Zeuhl Wortz et d'Uniwerïa Zekt. Uniwerïa Zekt embrasse tout l'esprit que l'on peut reconnaître comme l'esprit de Magma. Mais c'est aussi tous les moyens d'expression et de communication de cet esprit, et même en deçà et au-delà. Uniwerïa Zekt englobe toutes les formes d'expression, la musique, la bande dessinée, le cinéma... Et actuellement il y a des gens qui travaillent dans l'ombre pour Uniwerïa Zekt.

R & F : Est-ce que tu peux parler, dans le domaine de la musique et en dehors, des gens d'Uniwerïa Zekt, des gens avec lesquels vous vous sentez en parfaite communion? K.B. : On peut en rencontrer tous les jours ; prenons aujourd'hui comme exemple : il y a une revue qui s'appelle " Métal Hurlant ". Il y a Alexandro Jodorovsky qui tourne " Dune ". On a des contacts de travail, moi je vais faire une bande dessinée pour " Métal Hurlant ", Christian va peut-être faire la musique pour " Dune ". II y a des choses qui se passent. Je suis resté plus d'une heure au téléphone avec Jodorovsky, sans m'en rendre compte, ça partait et ça revenait tout seul. On ne s'est jamais rencontrés, et pourtant on est allé jusqu'à se raconter des rêves. II y a aussi la rencontre entre Magma et Henry Cow. Henry Cow, ce sont des gens qui ont une foi intense, qui jouent une musique intense et qui sont malgré tout dans une période néfaste car ils arrivent trop tôt ou trop tard. Mais cela n'a aucune importance ; pour eux, le temps ne compte pas. II y a au moins un Maître dans le groupe, peut-être plusieurs. On peut foncer, cela vaut la peine. La première fois que nous nous sommes rencontrés, ils ont joué, nous avons joué, et sans dire un seul mot, on s'est retrouvés dans les loges avec des yeux gros comme ça, et on s'est embrassés. Henry Cow est le seul groupe en Europe. Il y a peut-être des gens qui cherchent, mais parmi les groupes un tant soit peu connus, c'est le seul qui vaille. Tu vois, il y a des gens avec lesquels il y a un déclic, mais ce n'est pas utile d'en faire un catalogue. Uniwerïa Zekt n'est pas une société secrète avec des membres répertoriés, fichés ; actuellement, sa seule forme d'organisation dont les membres soient connus, c'est Magma.

R & F : Quand tu parles de Magma, tu parles du groupe dans sa forme actuelle, ou tu y inclues tous les musiciens qui en firent partie ? K.B. : Je parle des sept musiciens actuels ( n'est plus présente sur scène, mais continuera à enregistrer avec le groupe). D'ailleurs, tous ceux qui n'ont fait que " passer " dans Magma et ne font plus rien aujourd'hui, n'ont, de fait, jamais fait partie de Magma, d'Uniwerïa Zekt.

R & F : Donc Uniwerïa Zekt, c'est une essence et un mode d'existence, plus que le fait d'avoir appartenu un jour ou l'autre à Magma. II faut continuellement prouver son appartenance par la valeur de ce que l'on crée. K.B. : Exactement, de même qu'on n'entre pas dans Magma du jour au lendemain. On est prédisposé à y entrer, soit parce que Magma correspond sur le plan spirituel à ce à quoi on aspire, soit parce que l'on a suivi la démarche de Christian. Mais on était Magma avant.

R & F : Comment se construit l'œuvre musicale ? K.B. : La musique est la même, toujours ; ce sont les ondes sonores seules qui diffèrent. Je me souviens de Christian quand nous nous sommes connus, il y a sept ans, jouant du piano et chantant ; et je le vois aujourd'hui en train de composer " Emëhntëht?Rë " : c'est la même musique, avec d'autres structures, d'autres arrangements pour d'autres morceaux, une autre réalisation formelle, mais dans l'esprit, dans le sens céleste, c'est pareil.

R & F : D'accord, mais la musique passe cependant par des moments différents, des références diverses. K.B. : Oui, les moments sont fonction des musiciens de l'époque, de la qualité des enregistrements, de la nature même du morceau, des rencontres de Christian. En ce qui concerne les références, nous sommes comme les autres créateurs : nous ne pouvons rien construire ex nihilo. Cependant, nous ne pouvons prendre de références que dans des musiques qui sont réellement inspirées, des musiques qui nous laissent des impressions profondes ? la tristesse infinie des Noirs de Tamla Motown, Hendrix qui brûlait, John Coltrane qui était tout l'Esprit... Nos influences sont mystiques. Les musiques qui nous ont influencés dans leurs formes sont toutes des musiques dont la forme correspondait, était en parfaite harmonie avec l'esprit, comme c'est le cas chez Magma : Igor Stravinsky, Bela Bartok, John Coltrane et beaucoup d'autres. II y a des gens, par contre, que l'on écoute sur le strict plan de la technique : moi j'écoute des chanteurs classiques, Christian écoute des batteurs (Tony Williams, Billy Cobham), mais tous ces gens ne sont pas des influences. Car les seules influences réelles sont celles qui fonctionnent au niveau du cœur, de l'esprit, pas de la technique musicale. C'est comme pour tes motivations : des influences extra musicales pour une inspiration et des motivations extra musicales. Mais en même temps, ce que nous jouons représente notre motivation, c'en est le symbole. Dans notre musique, on peut tout lire de nos motifs, et c'est la raison pour laquelle nous la jouons, la raison pour laquelle nous faisons de la musique. S'il y avait un moyen plus direct, plus immédiat de nous exprimer, nous l'utiliserions.

R & F : Donc, Uniwerïa Zekt repose sur une mystique ou, si l'on ne prend pas le terme dans son sens péjoratif, sur une idéologie, une conception du monde ? K.B. : Les termes de " foi " ou de " dieu " ont été incroyablement galvaudés, détournés de leur sens ; hélas, il n'y a pas de termes plus forts que Dieu ou la Foi pour évoquer ce que nous ressentons, ce que nous voulons communiquer : nous pensons ? et là nous sommes scientifiques, objectifs ? que ce que nous voyons des choses n'est qu'une apparence, un symbole, une fraction infime de la Grande Réalité qui est infinie. L'homme n'arrivera jamais à concevoir l'infini, puisque son cerveau est fini dans son fonctionnement et dans sa structure même. Le cerveau n'est qu'une machine dont on parvient déjà à reproduire des fragments ou des fonctions, comme la mémoire par exemple. Même si nous n'en utilisons encore qu'un milliardième, il est fini, limité. II y a donc les hommes et quelque chose de plus que l'homme. Pour nous, l'idéologie comme conception du monde se limiterait à l'homme, à la société, à l'humanité, au monde. Or dans l'idée d'Uniwerïa Zekt, il y a tout cela, une idéologie PLUS l'extra?humain donc l'Homme et Dieu. Dieu c'est-à-dire l'univers, la nature, ou l'infini ; dans Dieu, il y a tout cela compris.

KOMMANDÖH

R & F : Cela fait des années que certains reprochent à Magma ce qu'ils considèrent comme des références formelles ou profondes au fascisme... K.B. : Quand on parle de fascisme, on pense avant tout à Adolf Hitler, au nazisme, à l'Allemagne nazie et aux comportements de cette période. D'abord il faut dire que nous n'abordons pas le nazisme comme un tabou, ce qui s'est avéré très dangereux pour nous, nous nous en sommes bien rendu compte. Ce qui nous fascine c'est que, pour des raisons à déterminer (revanche, militarisme, conditionnement à la violence ou à l'ordre), il y a eu une adhésion totale d'un peuple à une idée qui était une idée mystique. On peut s'intéresser à ce qu'il en est résulté, aux conséquences ; nous, ce qui nous a frappés, c'est que toutes les applications ont toujours été entreprises dans le sens du grandiose, c'est-à-dire dans le sens dynamique, du mouvement, jamais de la stagnation. Cela a donné la négation de l'Homme, cela a donné du noir, mais dynamique, Or il ne s'agit pas pour nous de nous attacher aux résultats, aux fins, mais de voir par quels formidables moyens tout cela a été possible, ce fait fabuleux que tout un peuple ait eu foi et qu'il se soit passé des choses de l'ordre de la magie. Ce n'était peut-être que de la magie noire, mais c'était magique. Ce n'est pas possible autrement, une telle adhésion. Nous, nous nous intéressons à la magie blanche qui traite des images, des symboles que se fait l'homme de la nature. La magie blanche, c'est toute la symbolique de l'univers, cela comprend l'alchimie, la mystique rituelle, la musique, la vie, l'amour, le sexe. Ça c'est la magie, et il y a là-dedans des choses qui dépassent la connaissance scientifique actuelle ? par exemple la télépathie ?, des choses inexplicables. Nous, nous cherchons des explications. Ce que nous avons essayé de lire dans les événements du nazisme (je pense aussi à Christian), c'est quelles étaient les démarches, les flux en tant que techniques du surnaturel, ou plutôt du parapsychique. Malheur à nous d'être tombés sur un tabou pareil. On aurait eu moins de problèmes avec Gengis Khan, Alexandre le Grand ou les Templiers. On a choisi le nazisme parce que c'était le phénomène le plus proche, le mieux documenté. Mais en fait, de tout cela nous n'avons jamais beaucoup parlé ; pas plus que nous ne parlons aujourd'hui de l'Egypte antique sur laquelle nous sommes particulièrement branchés. Ce qui nous a été le plus préjudiciable et le sera encore, c'est que les gens se sont bloqués sur les tabous (images ou symboles), le fait de posséder un symbole comme celui de Magma et de mettre l'Esprit dans ce symbole ; un symbole magique en plus, comme l'était la svastika reprise par les nazis ; le fait de porter des costumes noirs parce que nous considérons le noir comme beaucoup plus mystique que le blanc ? le blanc étant le spectre lumineux visible par l'homme alors que le noir est l'absorption, le non choix de la couleur, l'infini, le fait d'avoir choisi la dureté car il n'y a qu'une façon d'être efficace, c'est d'agir pleinement ? et vue de l'extérieur, la détermination passe pour de l'intransigeance, et on nous considère comme durs parce que l'on ne fait pas de concessions ; le fait d'avoir mis des discours dans notre premier double album, d'avoir craché la haine à la Terre dans notre second disque, d'avoir écrit sur la pochette " haine " alors que c'était l'époque du " peace & love " ; le fait de ne pas jouer du rock'n'roll ; le fait de ne pas suivre les modes à gimmicks et à gadgets ; le fait de ne pas nous droguer systématiquement pour nous branler, sortir du monde et refuser le combat ; c'est cela, tout cela qui provoque dès réactions vives. ... II y a ceux qui sont pour la vie, et ceux qui sont pour la survie, la mort latente. Il ne s'agit pas d'être " avec " Magma, mais d'avoir un esprit évolutif, le Sentiment de la Vie, l'Esprit. Si l'on ne possède pas cela, si l'on est contre cela, alors on est contre Magma et un jour ou l'autre on le retrouvera sur son chemin. De ce fait il découle que nous n'avons rien contre les musiciens en général (allusion ici à une récente interview de Christian Vander), mais contre les midinettes et les fonctionnaires de la musique. De même nous ne sommes pas " contre " les journalistes en général, mais contre ceux qui n'ont à notre égard que dédain, mépris ou haine, et qui ne veulent rien comprendre.

MUSIQUE ET POLITIQUE

R & F : N'est-il pas frappant qu'à l'opposé des reproches évoqués plus haut, on n'ait jamais mêlé Magma à ce que l'on appelle la musique engagée, ou l'Art engagé? K.B. : Question judicieuse et réponse on ne peut plus simple : nous n'avons jamais été considérés comme un groupe " engagé " parce que nous n'avons jamais épousé les formes d'engagement politique qui correspondaient à la première moitié du vingtième siècle, à savoir le discours idéologique, le structuralisme, la référence. D'un côté on ne peut pas considérer Magma comme un groupe engagé, au sens commun, à partir du moment où l'on sait qu'il a le sentiment de la foi extra-humaine. Pourtant, il est évident que nous faisons de la politique, à partir du moment où faire de la politique c'est agir pour la transformation de la société humaine. Dans ce sens, nous faisons de la politique. R & F : Bon, la mystique est votre référence, la foi en quelque chose qui vous dépasse et que vous cherchez à appréhender. Mais est-ce que vous tenez à en rester là ; ou bien cela doit-il déboucher plus immédiatement sur une transformation des formes que nous vivons ici et maintenant ? Magma n'est-il pas aussi engagé dans le sens dynamique que Sheila l'est dans celui du conditionnement, de l'abêtissement ? K.B. : Si nous n'avions pas d'engagement politique, nous ne jouerions que pour nous-mêmes. Magma n'existerait pas sans motivations politiques. Seulement, il faut encore revenir sur un point : il ne faut pas séparer la mystique de la politique ; car sans la mystique, il n'y a pas de sentiment humain, pas de Dieu, pas de création. On ne peut pas envisager l'Homme comme un élément de la matière qui soit isolable et autonome ; c'est impensable. Pense ne serait-ce qu'à l'influence du soleil, des planètes sur l'Homme.

R & F : Est-ce que l'histoire immédiate de Magma, comme par exemple le passage de la violence tendue de " Mekanïk Destruktïw Kommandöh " à la relative sérénité de " Köhntarkösz ", est liée à un projet cosmique ? K.B. : II y a des causes pratiques, ne serait-ce que la présence de certains musiciens, la façon dont la musique est composée, par sentiment et au fur et à mesure, le moment, etc. On parle de déité, mais nous ne sommes que des hommes qui composons de la musique pour d'autres hommes. Le temps, l'époque, tout cela entre en jeu. Jusqu'à la rencontre de Jannik Top, on n'avait pas trouvé d'unité, d'entité Magma ; il n'y avait pas de cohésion. De " Mekanïk... " à Köhntarkösz " certains musiciens ont changé ; mais il s'est aussi et surtout passé quelque chose dans le cœur de Christian : la découverte d'une certaine béatitude, avec Akhenaton et l'Egypte antique. On peut en représenter l'image d'un combattant qui tourne au prophète et qui passe à travers les balles. Mais il reste toujours dans l'action.

Propos recueillis par Jean-Marc BAILLEUX Rock & Folk n° 108 - Janvier 1976

Magma et ses amis - Best n° 90 – Janvier

Magma et ses amis

Quelle excellente idée que celle qui est venue à Magma pour sa tournée française de l'hiver. Christian Vander et ses amis ont en effet décidé de présenter en première partie de leurs concerts un groupe français de province, en tout six groupes pour quatre concerts chacun. Magma a ainsi donné leur chance à des gens enfermés dans le cercle restreint de leur province de sortir de leur ghetto. De fait, aucun de ces six groupes n'a jamais tourné, excepté dans sa région, et là, ils joueront tous dans une région qui n'est pas la leur, ce qui devrait leur permettre de prendre contact avec le circuit rock pour se lancer ensuite dans l'aventure. On ne peut que chaudement féliciter Magma de cette entreprise intelligente et de ce sympathique parrainage.

Présentons maintenant ces six groupes qui accompagneront Magma dans sa tournée hivernale. Tous les six appartiennent plus ou moins au même univers musical que Magma et Zao, c'est- à-dire qu'ils se situent tous dans un refus du plagiat des anglo-saxons, chose excellente qui permettra l'éclosion d'une musique originale et compétitive qui ne soit pas un parent pauvre à qui l'on ne fera que l'aumône.

MASAL : nous vous avons déjà un peu parlé de ces Lyonnais, ils ont des cuivres fous et précis, existent depuis 1973, sont 5 (deux sax, batterie, claviers, basse), ils joueront à Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Marseille.

XALPH : Christian Vander est tellement impressionné par ce groupe de Bordelais qu'il va produire leur premier L.P. sur Utopia, ils ont des cuivres et des idées impeccables pour une musique qui se veut parfaite, ils seront à St Quentin, Mâcon, Clermont et Grenoble.

CARMINA : ils sont cinq, sont originaires de Chaumont, avec une formation assez originale qui, outre le duo basse-batterie, ne comprend que des saxes, ils jouent la carte de la cohésion plus que celle des individualités bavardes, ils seront à Limoges, Poitiers, Tours et Orléans.

ETRON FOU : eux sont encore plus originaux, ils ne sont que trois (basse-batterie et sax), habitent un coin paumé de l'Ardèche, se déplacent dans une antique 403 et font une musique curieuse et intelligente, très complexe malgré le petit effectif, ils joueront à Rennes, Brest, Eaubonne et Rouen.

AU FOND DU COULOIR A GAUCHE : un nom à coucher dehors, six musiciens dont deux cuivres, une volonté de créer une musique populaire qui soit vraiment européenne et pas débile, ils ont fait la première partie de Soft à Toulouse, bien qu'originaires de Bourges. Vous les verrez à Lille, Metz et Strasbourg.

POTEMKINE : ils sont cinq et Toulousains, leur formation est le quatuor classique plus un violon, ils reconnaissent faire du jazz-rock, sont plus proche que les autres des groupes anglo- saxons et joueront au moins à Nevers et à Reims.

Bonne chance à tous, et allez donc les encourager : vous risquez d'avoir de bonnes surprises.

Best n° 90 - Janvier 1976

Etrange planète venue d'ailleurs - Le Pèlerin n° 4859 - 18 janvier

Magma : étrange planète venue d'ailleurs

Une énorme tournée qui va les conduire dans plus de vingt villes françaises avant de les emmener dans d'autres pays d'Europe.

Un beau disque, Magma live (Utopia distribué par RCA) qui reprend les meilleurs moments de concerts donnés il y a quelques mois. Voilà déjà deux moyens de rencontrer Magma ; sa musique du moins, car Magma veut être plus qu'un groupe d'hommes jouant de la musique. Qu'est donc Magma : une musique, un groupe, des personnes, une philosophie, des symboles étranges, un langage nouveau ? Tout cela certainement, mais aussi une part d'inconnu, de mystère que nous avons cherché à élucider avec Klaus Blasquiz qui fait partie depuis sept ans de cette expérience unique et déroutante.

Si l'on en reste aux apparences, et il n'est pas indispensable d'aller au-delà, Magma que vous verrez sur scène est formé de sept hommes et d'une femme uniformément vêtus de noir qui portent sur la poitrine un étrange signe rappelant des serres d'oiseau de proie. Comme les musiciens pop, ils jouent pourtant d'instruments connus : la batterie, les claviers électroniques, la guitare et le violon électrique. Seules les voix surprennent : un chant lyrique loin de la chansonnette. La couleur de la musique est à mi-chemin entre ce qu'on appelle le pop et le jazz.

Pourtant, sans aimer ces musiques, on ne sent pas perdu à écouter Magma. Klaus Blasquiz explique ce rapprochement par "l'héritage artistique et culturel de la musique européenne classique et même folklorique" qui les inspire. " Il y a dans ces musiques la chaleur, la simplicité, la communication humaine que veut retrouver Magma." Il est vrai qu'à moins de rester insensible, on est pris dans cette fournaise de sons, dans ce grouillement rythmique sous lequel perce une pulsation proche des rythmes essentiels de la vie : le cœur qui bat, la marche, le jour et la nuit. Derrière ses caisses et ses cymbales, Christian Vander assure cette pulsion avec les qualités connues d'un des meilleurs batteurs français. Il est également le compositeur "inspiré" de tous les morceaux : "On ne crée pas une musique, on la retrouve", dit Klaus Blasquiz. La guitare basse de Bernard Paganotti, les claviers de Benoît Wideman et de Patrick Gauthier tissent la trame mélodique sur laquelle repose l'ensemble. Les sonorités plus clairement distinctes du violon de et de la guitare de Gabriel Federow marquent les moments forts, de même que le chant de Stella Vander et de Klaus Blasquiz.

Si Magma refuse farouchement d'être catalogué dans une catégorie musicale trop précise, son public est, sans conteste, assez proche de celui de la musique pop. Le circuit de salles de MJC, inventé par le groupe l'explique. Mais il y a aussi autre chose : des motivations plus profondes (sept ans de difficultés en auraient fait abandonner beaucoup d'autres) qui répondent à un besoin de sincérité auquel ne répondent pas toutes les autres musiques.

Finalement, au-delà des balbutiements d'un nouveau langage, le kobaïen ; au-delà d'une certaine philosophie qui admet l'humour et la discussion, il y a la volonté de faire quelque chose de vrai. C'est l'espoir de tout homme :faire quelque chose qui échappera à l'infâme morsure des siècles. "Magma aurait pu exister il y a cent ans et on pourra l'écouter dans cent ans." A vous de juger.

Christophe de CHENAY Le Pèlerin n° 4859 - 18 janvier 1976

Le groupe Magma - Le Figaro - 24 janvier

Le groupe Magma

Deux concerts joués à guichets fermés, une salle archicomble, des organisateurs complètement débordés : le groupe français Magma vient de donner, à (1), le coup d'envoi d'une tournée de deux mois à travers la France. Née il y a sept ans, cette formation dirigée - et maintes fois remaniée - par le batteur Christian Vander échappe à toute classification et se distingue tout à fait des autres. Par sa musique d'abord : fascinante, agressive, inspirée de Bela Bartok, Stravinsky, Carl Orff et de courants jazzistes. Par sa philosophie ensuite : Magma détient son propre langage, "le kobaïen", et interprète la vie selon une symbolique de l'univers basée sur la magie blanche.

Sur scène, les six musiciens offrent un véritable psychodrame. Voici "Theusz Hamtaahk" et "Köhntarkösz" (2). A la rigueur harmonique de l'organiste BenoîtWideman se mêle le rythme lancinant de la mélopée et les transes vocales de Klaus Blasquiz, les sons électriques et dissonants du violoniste Didier Lockwvod, le tempo brutal de l'énorme machine rythmique manoeuvrée par Christian Vander.

Le spectateur, médusé, assiste à une véritable catharsis flamboyante. La secte Magma va l'exorciser pendant deux heures. Un seul reproche : l'absence su sein de cet ensemble exceptionnel d'une section de cuivres, remplacée désormais par un synthétiseur et des instruments à cordes électrifiés.

(1) Théâtre de Chaillot. (2) "Magma live"

Jean-Luc Wachtausen. Le Figaro - 24 janvier 1976

Chronique "Magma Live" - Creem - Février 1976

MAGMA "Üdü Wüdü"

Review by Joe FERNBACHER Creem - February 1976

In a spatiotemporal seizure of linguistic mysophilia, Magma makes all the octoroon odalisques mewl and cant the joys of antilanguage. Trilling in Kobaian mother tongue, Christian Vander frolics through this double-disc live set in an attempt to gather pelt from the crowd with massive lexical pyrotechnics which only succeed in creating a verbal Sargasso Sea where the listener flounders listlessly trying in vain to find out just what the hell's going on. Incidentally, Kobaian parlance is the patois of Kobaia, a semi-mystical asteroid wherein all the inhabitants have reached a workable state of nirvana, which is really not all that exciting if you've ever walked into a teenage saloon on Friday night where alcoholic haze drips from the ceiling and nirvana walks hand in hand with puke. Vander's whole plot structure, musically and lyrically, revolves around some misguided earthoids who crash land on Kobaia and get a case of the philosophical hots for the Kobaian good life; the nasty terrestrials get malevolent designs on the Kobaians and convince them to return to Earth where they are summarily dumped in the hoosegow. Everything gets complicated and what we end up with is a grand cosmic soap opera, right? Not bad! Then again not exactly Peter Brook's Orghast frenzies out on the sand dunes.

On their first US release, Mekanik Kommandoh, Magma is actually at its best. Unconcerned with music per se they leap right into schmoosing in Kobaian, relating the pedagogic magniloquence of the prophet Nebehr Gudahtt who tells the earthoids where to get off all in a style resembling high Wagnerian opera and low muzak drone. It's quite entertaining if you're snorting monotony in one nostril and adrenaline in the other.

After this they continued their "huh!!" trilogy with Kohntarkosz, yet another excursion into alien acapriccio. Only this time they seem to de-emphasize the Kobaian, because nobody knows what's going on anyway without some sort of translation chart which is never provided. Especially frantic is "Ork Alarm."

All this culminating in a live set, which displays the band's musical vivacity (somewhere between Rundgren's Utopia and the Sadistic Mika Band from Japan) to no end, and the maenadic vocals of Stella Vander a.k.a. Tauhd Zaia, Christian's deep growls being subdued by the utter strangeness of the whole affair. In case you don't think these guys take themselves seriously they even rap between songs in Kobaian, leading me to wonder if they might not be extraterrestrials or a buncha escaped loons from ha-ha city.

If you're into the post-avant garde blues then you'll like the music on this record. As for the language-science-fiction bit, the language is useless because everyone knows that French is the best language for rock'n'roll, and the science-fiction is handled more sublimely in Samuel Delaney's short story, "A Rose for Ecclesiastes." And if you're not into either of those things then why the hell are you reading this review? Selah. P.S.--It's all Greek to me!

Prophète en son pays - Rock & Folk n° 110 – Mars

Prophète en son pays

Le problème avec Magma, c'est qu'il est difficile de séparer sa musique de ses options " philosophiques ", et que ces dernières provoquent en moi un malaise que les interviews récentes de Christian Vander et Klaus Blasquiz ne sont pas parvenues à dissiper. Quoiqu'on en dise, les légendes qui circulent sur le groupe ne sont pas nées de rien, elles sont la conséquence logique d'un comportement et d'une mystique profondément ambigus, où se retrouvent pêle-mêle le mythe du surhomme, porté par les premiers symptômes d'une mégalomanie galopante, et la fascination pour un certain ordre moral, un idéal de pureté ascétique, qui depuis l'origine des temps se retrouve à la base des systèmes les plus oppressifs qu'on ait connus sur terre. Alors comment oser avouer que j'aime la musique de Magma mais que je ne connais pas le grand prophète Nebëhr Gudahtt, que je n'ai aucune envie de le connaître et que, s'il existait, il faudrait le fusiller ? Qui sait si je ne serai pas châtié, moi qui dans mon orgueil insensé ai osé douter de son éternelle sagesse ? Vander Croit à ce qu'il veut, il vit comme bon lui semble, mais pourquoi sa sent-il obligé de mépriser tous ceux qui ont choisi une autre route que lui ? Se prend-il pour le Rédempteur, porteur de la Vérité une et indivisible et Chargé par les cieux de l'apporter au monde ? En espérant qu'il réponde à ces quelques questions, je dois maintenant lui confesser, avec humilité, que j'ai adoré le concert de Chaillot et que c'est dû pour une bonne part à l'endroit de la médaille dont je viens d'exposer le revers. C'est que ces gens croient tellement à ce qu'ils disent, ils ont une telle confiance dans la puissance de leur musique qu'ils s'y consacrent tout entiers, qu'ils y sacrifient tout, ce qui fait que peu de groupes sont capables de présenter des compositions aussi cohérentes, structurées et originales, et de les interpréter avec autant de précision et de force.

II y a deux ans, après une première partie d'une beauté convulsive, ultraviolente et déjà exceptionnelle, Klaus Blasquiz s'avançait sur le devant de la scène et déclarait: a Voilà, c'était pour extirper les mauvaises vibrations; après l'entracte, nous allons jouer LA musique de Magma. " Ce temps-là est passé, et le groupe ne joue plus que SA musique. A Chaillot, devant une salle comble, ce fut un long extrait d' " Emëhntëht Rê ", " Theusz Hamtaahk " et " Mekanïk Kommandöh ", leur meilleur morceau à ce jour, l'accomplissement du concert diront-ils à la fin pour expliquer le fait qu'ils ne fassent pas de rappel. Toujours la même structuration dans ces pièces à l'architecture impeccable : de longues progressions où l'énergie se tasse, se recroqueville avant de se libérer en des instants trop courts où l'orchestre se soulève tout entier, pris d'une fureur sauvage, engagé dans une affolante chevauchée qui les met tous en transe : Blasquiz, extatique, les yeux au ciel, qui écarte les bras ou joint les mains sur sa poitrine ; Didier Lockwood, le violoniste, la tête rejetée en arrière, s'accrochant à son instrument comme à une planche de salut, tranchant la masse sonore en deux coups d'archet pendant que l'Autre à sa batterie déclenche le cataclysme, hagard, le regard fou, jetant des éclairs verts sur l'or de ses cymbales, s'enivrant de sa colère et martelant ses peaux pour retrouver la pulsation originelle. On ne peut manquer d'évoquer Ivan le Terrible et les hordes barbares, dévastant tout sur leur passage, brûlant la terre pour que rien ne repousse, surtout pas l'herbe… Référence qui n'est pas gratuite, puisque Magma plonge une grande part de son inspiration mélodique et rythmique dans la musique d'Europe Centrale. Ce côté " Attila " est toutefois beaucoup moins accentué qu'auparavant : les deux pianistes paraissent trop jeunes pour avoir ravagé l'Europe ; mais après tout, il faut des enfants de chœur pour servir les messes noires, et ces deux-là ont l'air d'avoir compris leur catéchisme. Bien tranquilles derrière leurs claviers, ils tressent des canevas subtils et serrés sur lesquels se reposent les grands prêtres quand ils sont fatigués. Juste devant eux se tient Dalila, malheureusement sans son, un défaut d'amplification expliquant ce mauvais jeu de mots derrière lequel se cache mon désespoir de n'avoir pu goûter pleinement le charme de sa voix. Quant au bassiste, excellent par ailleurs, son seul tort est de s'être lancé dans un solo interminable du style bombardement aérien, rappelant les plus mauvais moments de Ratledge au synthétiseur. Vander, lui, nous avait prévenu, son solo ce serait : " L'enfer… ou le paradis ". C'est bien gentil d'avoir le choix, pour moi ça se situe plutôt entre les deux, quelque chose comme le purgatoire avec les diables et les flammes qui lèchent les pieds des anges et le bruit du métal qui nous empêche de croire qu'on a quitté la Terre. Ses poignets constituent un spectacle à eux seuls, on a peur pour lui quand ils tournent trop vite, on est pris de vertige, ce qui fait échapper à l'ennui distillé d'habitude par ce genre d'exercice.

Pour terminer, il faut dire quelques mots sur Golem, qui organisait le concert de Chaillot. C'est une association régie par la loi de 1901 regroupant une trentaine de comédiens, musiciens, graphistes et cinéastes qui désirent encourager les activités artistiques traditionnellement méprisées par les circuits habituels de l'animation culturelle. Leur projet le plus immédiat est de tourner un film sur Magma, les concerts et la vie du groupe, et pour ce faire ils lancent une souscription. Je vous laisse donc devant vos porte-monnaie avec cette belle image du début du concert : Vander s'avance, ses baguettes de batterie à la main, se place dos au public dans la position qu'affectionnent ceux qu'on appelle les "chefs" d'orchestre, et de sa main experte et efficace, il dirige la venue sur la Terre des trois premières mesures de la Musique de l'Univers. C'est ça, Magma. C'est aussi, paraît-il, un miroir dans lequel chacun peut se reconnaître : mais un de mes amis, qui a mauvais esprit, me disait que ce qu'il avait vu ressemblait moins à lui qu'à son cousin germain. C'est son problème. Magma prend le chemin des seigneurs de la guerre. II a tout pour gagner. C'est vous qui déciderez.

Michel BOURRE Rock & Folk n° 110 - Mars 1976

Magma - HIFI Stéréo – Mars

MAGMA MAGMA c'est sept ans de luttes pionnières pour prouver qu'il est possible de découvrir d'autres formes non plus de musique, mais d'action, de rendre viable un projet musical original, d'en vivre et de le faire vivre, ici et maintenant, en France, à l'abri des magouilles et des compromissions.

C'est MAGMA, qui avec l'aide de Gorgio Gomesky a inauguré ce qui est depuis devenu le circuit des MJC et qui a contribué à sortir une musique du ghetto des boîtes et des galas, du cul de sac des bals du samedi soir. Ensemble, ils sont peut-être à l'origine du grand réveil de la province. Peut-être avec ce regain d'espoir et de confiance qu'ils sont suscité sont-ils les instigateurs et les modèles exemplaires d'une multitude de groupes qui mûrissent et bourgeonnent aujourd'hui dans l'ombre de nos villes et l'apparente quiétude de nos campagnes.

MAGMA, c'est une réalité : des musiciens épris de perfection et de grandeur qui forment un groupe reconnu aujourd'hui, après le succès des tournées en Angleterre, en Allemagne et en Hollande, avant son départ pour les USA, comme l'un des plus importants de la musique de notre temps - la forte, celle dont les compositeurs n'ont pas à rougir, celle qui aspire à l'éternité.

"Nous travaillons en fonction d'une douleur et d'une jolie intemporelles, pour résoudre l'énigme fondamentale de l'espèce humaine. C'est cela MAGMA." (Christian Vander). Une foi.

Le 26 février à Mâcon. Le 28 février à St Quentin. Le 1er mars à Reims. Le 3 mars à Nevers. Mars 1976 - Hi Fi Stéréo

Magma : revient ! - Best n° 96 – Juillet

Magma : Jannick Top revient !

Changements chez Magma. Le bassiste Jannick Top reprend sa place dans le groupe et jouera dorénavant un rôle égal à celui de Vander. C'est à dire que Magma compte à présent deux leaders dans ses rangs. Le nom de Magma sera à l'avenir "sous-titré" Christian Vander - Jannick Top. Voici la nouvelle composition du groupe: Christian Vander (batterie, piano), Jannick Top (basse, cello, frettcello, sorte de violoncelle électrique), Gérard Bikialo (piano), Mickey Grailler (piano), Gabriel Corütz* (guitare, guitare basse), Klaus Blasquiz (chant, percussion). Cette formation apparaîtra au générique du prochain disque de Magma prévu pour septembre. Une face sera composée par Christian Vander et l'autre par Jannick Top. Durant le même mois sortira également un album solo de Christian Vander. Magma entreprendra une tournée française du 7 au 31 octobre terminée par une série de concerts à Paris (une semaine) avec, sous réserves, le groupe Henry Cow. Du 15 au 28 novembre, le groupe jouera en Angleterre, puis dans les pays scandinaves. Du 10 janvier au 15 février, après le mixage d'un disque prévu pour mars en même temps que l'album solo de Jannick Top, Magma reprendra sa tournée européenne, suivie de concerts dans les villes nouvelles de la région parisienne. De mars à avril 77, les Etats-Unis recevront la visite du groupe qui, à son tour, entreprendra une seconde tournée européenne pour soutenir la sortie du nouveau disque. Des détails sur cet important programme, et surtout le retour de Jannick Top, très bientôt.

Best n° 96 - Juillet 1976

* note de l'archiviste: il s'agit bien sur de Gorütz, alias Gabriel Federow

Les nouveaux bâtisseurs de cathédrales - Tartempion – Septembre

Les nouveaux bâtisseurs de CATHÉDRALES

Il est quelque fois fatigant d'être contredit. Il est dangereux de ne pas l'être (Bossuet)

MAGMA printemps 1973 : Le bassiste s'appelle Janick Top; il sera là jusqu'à la fin de l'été 74. MAGMA automne 1976 : Janick Top revient. Ce retour n'est pas le fait d'un hasard trop souvent rencontré dans la formation ou la déformation des groupes ; il vient après deux années de réflexion, de reconsidération des problèmes posés par la vie d'un groupe. Il vient aussi après deux années de travail, autant pour Magma que pour Janick Top (les nombreuses séances de studio ont été pour lui une bonne école de maîtrise). La concrétisation de ce retour est un 33 tours (il va sortir incessamment) qui surprendra certainement : la face 1 est constituée de morceaux assez courts (composés par J.Top - Christian Vander - B. Paganotti) assez semblables à ces petits poèmes japonais souvent réduits à une simple phrase, à une image très quotidienne, mais très denses, porteurs de vie et de force; la face 2 est un seul long morceau composé par J.Top. Il est donc évident que Magma repose maintenant sur une association nouvelle à deux personnes, les autres apportant ce qu'elles ont à apporter.

LE TEXTE QUI SUIT EST LA TRANSCRIPTION DES PROPOS TENUS PAR JANICK TOP LE 17 SEPTEMBRE 1976.

UNE PIERRE PLUS UNE PIERRE PLUS... "Contrairement aux groupes anglo-saxons qui trouvent une base musicale et communautaire dans le rock, les musiciens français ne possèdent rien de tel. Il leur faut construire un édifice, pierre après pierre. C'est pour cela que la volonté d'un individu doit être acceptée au départ ; car c'est le seul moyen de déboucher sur un travail en équipe. Cela peut poser des problèmes, mais lorsqu'ils sont dépassés et maîtrisés, l'énergie commune est débloquée et rayonne".

UN CREUSET "Ce travail en équipe (commencé en fait par C. VANDER il y a 7 ans) fait de Magma un creuset où chaque force pourra s'exprimer si elle porte en elle suffisamment de dynamisme, où la musique est et restera quelque chose d'ouvert, un dialogue, d'abord, entre les musiciens qui sont chacun au service de l'autre, et ensuite, fatalement, avec le public. De plus, le contexte musical actuel en France est extrêmement dur. Tout ou presque est régi par l'argent et toujours dirigé dans le même sens. La rentabilité doit être évidente et immédiate pour les gens en place (maisons de disques, etc.), ce qui explique leur réticence à aider une musique comme celle de Magma. Il est très difficile de faire quelque chose sans aide ; c'est une raison supplémentaire pour qu'un travail en équipe s'impose afin que les forces soient conjuguées pour éviter l'écrasement par une telle machine qui en a brisé plus d'un. Nous ne prétendons pas détruire ce qui existe, ni faire du dirigisme musical, mais il faudrait une place pour tout le monde ; en fait il n'y pratiquement pas de libre choix : c'est la variété ou la musique américaine. Le cercle vicieux est bouclé. Les musiciens français décidés à faire autre chose n'étant pas très nombreux, ce cercle n'est pas près d'être brisé ; ceux qui se laissent aller à la facilité pourraient réagir s'ils ne le font pas, ils sont seuls responsables".

OUVRIR UNE BRECHE "Evidemment, le chemin de la réaction n'est pas facile, mais une fois que la décision est prise, l'essentiel est de faire ce qu'il y a à faire, le temps qu'il faut, le chemin sera sans doute long mais peut-être un jour la musique de Magma passera à la radio ! Il faut ouvrir une brèche par laquelle passera cette musique, et être armé de patience et de sagesse..."

DES FOIS ON SE PREND A REVER Et si Magma recevait des subventions ? !!! Bien sûr, il y aurait le chœur des esprits chagrins pour glapir "récupération !", le mythe de l'artiste maudit est encore tellement vivant... Qu'ils soient rassurés, ces esprits chagrins, ce n'est qu'un rêve, bien loin de la réalité ; ou alors, il faudrait que TOUT change...

LE FOND DU PROBLEME " Pourquoi la musique de Magma n'est-elle pas aidée, pourquoi est-elle si souvent traînée dans les chemins boueux de la diffamation ? Tout d'abord parce qu'elle est un éclairage qui dénonce le laisser-aller et la médiocrité, et que la seule ressource défensive des esprits médiocres est la diffamation. Mais il y a plus grave : cette musique dérange, même si c'est un malaise inconscient, parce qu'elle est directement liée avec le temps qui est relatif. Nous agissons en pensant être éternels, et cette musique, si nous sommes sincères, peut nous faire prendre conscience du fait contraire, et tout remettre en question. Cette prise de conscience doit nous aider à faire les choses dans un autre esprit, la notion de but est transposée ; on ne peut plus rien "faire" , on peut seulement "être" dans le passage qui nous est donné. On en arrive à "ne pas faire", ce qui n'est pas négatif, bien au contraire... Le chemin du temps et de l'ultime passage est caché par tant de mensonges ! Si on supprime ces mensonges, ces artifices, quel danger ! On en arriverait à ne plus avoir besoin des mots, à ne plus avoir besoin d'explication, d'analyse... la musique comme "véhicule", on choisit celui-ci ou un autre, ils sont multiples. Il faut écouter... sentir... Laisser parler la musique... "

Dany HUC Tartempion - Septembre 1976

Festival du Castellet 1976 - Rock & Folk n° 116 – Septembre

FESTIVAL DU CASTELET, 1976

(…) Les commerçants ont fermé boutique, c'est la nuit noire au-dessus d'un tapis de corps allongés dans des duvets ou des couvertures. Tout est prêt pour l'Apocalypse et la Renaissance.

A cinq heures du matin, Magma fait, son entrée sur scène. Ils vont tout balayer sur leur passage, démontrant une fois de plus qu'ils sont un des plus grands groupes du moment. Ce sera terrible et grandiose. Effrayant de puissance et de précision. Partout on va voir se relever des têtes ébouriffées, ébahies par un tel réveil. Magma brûle de l'intérieur, et le feu vient des yeux de Vander. Leur force est tellement évidente et tellement canalisée, épurée, qu'après eux tous les "stylistes" semblent faire du tricot. Et leur foi a fait se lever le jour pendant que Christian Vander martelait ses caisses, pour le solo de batterie le plus beau et le mieux construit de ce festival. Le ciel commença à se colorer quand retentirent les premiers accords de "Mekanïk Destruktïw Kommandöh". Trois quarts d'heure de folie furieuse suivirent. La section rythmique monstrueuse, Didier Lockwood sautant et rebondissant, crissant sur son violon la musique damnée d'Erich Zann, et Klaus les mains sur la poitrine, grand prêtre de l'infâme cérémonie de purification priant les astres noirs face au soleil levant. Dans le public, c'est l'effarement qui dominait. Too much, too soon. Comme si les collines autour s'étaient transformées en montagnes de glace, comme si des cathédrales sortaient du ventre de la terre, comme si d'énormes oiseaux rouges zébraient le ciel à la recherche de leur proie, qu'une étrange armée montait à l'assaut du monde, des éclairs au poignet. Cybergothique. La musique ,des orages planétaires, tellurique, volcanique. La symphonie des éléments déchaînés mettant à mort la terre dans un délire d'angoisse et de panique.

Après, il n'y avait plus rien à dire, plus rien à voir, plus rien à entendre. Même pas le nouveau groupe de Mike Shrieve, Automatic Man : il fallait fuir, très vite.

Longues files de freaks marchant le long de la route sur des kilomètres, sacs à dos, cheveux longs, regards rouges, digérant un mélange de poisons et de filtres d'amour, de déceptions et d'étonnements, énervés par le premier jour, abasourdis par la dernière nuit. Echappée rapide vers Aix-en-Provence, arrêt pour prendre un café. Le serveur a l'air d'un martien. La civilisation existe encore, je ne m'en souvenais plus. Il est 9 heures, Mc Laughlin doit préparer son thé et Coryell faire ses gammes. Michael Lang, lui, fait ses comptes. Et son sourire pâlit... .

Michel BOURRE. Rock & Folk n° 116 - Septembre 1976

Top à Magma - Best n° 99 – Octobre

TOP A MAGMA

"UDU WUDU", le nouvel album de Magma, sortira en France le 15 octobre. Sa sortie américaine est prévue pour janvier. Il a été réalisé aux Studios de Milan situés dans la même rue que les bureaux d'Utopia. Ce disque marque le grand retour de Jannick Top qui remplace Bernard Paganotti parti faire un nouveau groupe, "Wedorge". La formation définitive du nouveau Magma est la suivante : Christian Vander (batterie), Klaus Blasquiz (chant), Gabriel Federow (guitare et basse), Didier Lockwood (violon), Jannick Top (basse, piano, cello) et Mickey Grailler (piano) qui lui aussi revient dans Magma.

La première face de "Udü Wüdü" ne comprend qu'un seul morceau composé par Jannick, "Defutura Hiroshima". La seconde se décompose en cinq morceaux assez courts, ce qui est une nouveauté chez Magma. Christian Vander est l'auteur de trois d'entre eux dont celui donnant son nom à l'album et qui, autre innovation, laisse une place importante aux cuivres. Bernard Paganotti figurera tout de même au générique avec "Wedorge", un titre préparé avant son départ et qui a été maintenu parce qu'il correspond bien à l'esprit de ce disque. Jannick Top participe également à cette seconde face en tant que compositeur avec un morceau.

La préparation de "Udü Wüdü" a été très minutieuse et il est certain que le retour de Jannick Top a bien changé la face des choses. Comme on le voit, sa contribution est plus qu'importante et à l'heure actuelle Magma compte deux leaders, Vander et Top se plaçant à égalité.

Après quelques concerts au mois d'octobre, Magma s'installera à l'Elysée Montmartre du 26 au 31 octobre. Henry Cow sera son invité et Magma espère bien ainsi faire découvrir plus largement le groupe anglais avec lequel il entretient d'étroites relations. A partir du 15 novembre, ce sera une tournée dans toute la France suivie d'une série de dates en Angleterre. L'enchaînement se fera avec un European Tour et, en mars, une tournée aux U.S.A.

Best n° 99 - Octobre 1976

Chronique "Üdü Wüdü" - Rock & Folk n° 118 – Novembre

MAGMA "Üdü Wüdü"

Chronique de Michel BOURRE Rock & Folk n° 118 - Novembre 1976

Pour commencer, je crois qu'il n'est pas inutile de répéter que la musique de Magma dans sa globalité, et chaque nouveau disque du groupe en particulier, nous situe d'emblée très au- dessus du niveau auquel nous abaisse la grande majorité de la production actuelle. Du premier double album à " Udü Wüdü ", c'est le même esprit, la même exigence, le même grand décapage de votre mental. Ainsi se construit une œuvre, cohérente et forte, dont voici le sixième volume, comme les autres frappé de la griffe kobaïenne, mais celui-là noir et inaugurant par un sigle la collaboration à parts égales de Christian Vander et de Janik Top.

Le retour du bassiste ne correspond en effet évidemment pas à un simple changement de musiciens. C'est presque le choc de deux planètes, dont on attend la fusion. Elle ne se produit pas tout à fait sur " Udü Wüdü ", qui avant tout, et c'est sa première étrangeté, est un album de Top. Certes, Vander est omniprésent, non seulement à la batterie mais aussi aux claviers et au chant, mais sur le plan des compositions il apparaît ici très en retrait, comme s'il s'agissait vraiment d'un album de transition avant de pouvoir aborder ce qu'il nous prépare et nous annonce depuis si longtemps.

La première face comprend cinq morceaux courts, c'est une autre surprise. Aucun d'entre eux ne peut à mon avis être comparé aux longues pièces incantatrices où Magma nous donne ce qu'il a de meilleur. Mis bout à bout, c'est pourtant un autre voyage, une suite d'instantanés et d'ambiances peu coutumières au groupe, qui prend, suivant les plages, des formules différentes. J'avoue ma préférence pour le quatuor Vander - Blasquiz - Paganotti - Gauthier de " Weidorje ", qui en quelques minutes arrive vraiment à suggérer l'idée et l'image de ce qu'est Magma, mais les cuivres et les chœurs de " Udü Wüdü " (Alain Hatot : saxe, Pierre Dutour: trompette) et l'atmosphère étrange de " Soleil d'Ork " valent aussi le détour (avec encore Alain Hatot aux flûtes). On retourne alors très vite à la liste des musiciens pour y découvrir une éclatante absence : celle de Didier Lockwood, dont le violon prend pourtant aujourd'hui sur scène une place extrêmement importante dans l'exposition des thèmes, où il a pratiquement remplacé à lui seul le " peloton de cuivres " des débuts du groupe. La conséquence, c'est que Magma paraît réduit à son minimum vital, qu'en dehors de quelques ornements placés ici ou là, Blasquiz et surtout Vander et Top, qui jouent chacun de plusieurs instruments (dont les claviers, Michel Grailler le pianiste actuel ne figurant que sur " Udü Wüdü "), assurent tout le travail à eux trois.

Ainsi, ils sont seuls sur " De Futura ", le plat de résistance qui occupe toute la deuxième face. Simplement habillée de chœurs et de synthétiseur, la rythmique de Magma y dégage une force noire, incroyablement puissante et vaguement effrayante. Sans doute sera-t-elle reçue par beaucoup comme le nec plus ultra du traumatisme et de l'agression, et ses sirènes seront-elles vécues comme autant d'appels à l'angoisse. Je crois sincèrement qu'il faut avoir reçu en direct, " live ", cette fresque volcanique pour l'aborder sans risques sur disque. Je crois aussi que " Udü Wüdü " peut à la fois être perçu comme le plus innocent, le moins dangereux (la face 1) et aussi le plus dur, le plus sombre (la face 2) de tous les albums de Magma. Disons que Kobaïa momentanément sereine catapulte Ork en ébullition, et que le mot de la fin se situe quelque part entre vos deux oreilles et votre conscience.

Chronique "Üdü Wüdü" - Best n° 101 – Décembre

MAGMA "Üdü Wüdü"

Chronique d'Hervé PICART Best n° 101 - Décembre 1976

Le grand Magma nous est revenu ! Après cette période d'auto désincarnation correspondant à l'album live, Vander a dû se rendre compte qu'il faisait fausse route. II a renoué avec Janik Top pour une collaboration plus féconde que jamais et en voici le très beau quoique très provisoire résultat. Je dis provisoire car cet "Üdü Wüdü" a été enregistré à un moment où l'actuel Magma était encore en gestation. D'où une formation flottante qui va de deux à dix personnes selon les morceaux. Par contre la musique, elle, n'a rien d'hésitant, même si la brièveté des morceaux de la face 1 dénote peut-être une crise d'inspiration chez un groupe qui nous a habitués aux grandes pièces. Heureusement le géant "De Futura", oeuvre de Top, rééquilibre le tout. Les réserves faites, ce disque est génial. Il renoue avec la puissance inspirée du "commando mécanique destructeur" tout en colorant différemment sa fougue farouche. La basse énorme de Top, capable de scander des tragédies antiques, est l'armature du disque et fait penser à Return to Forever et Stanley Clarke, de même que l'emploi très chatoyant du synthie. D'autres nuances rappellent Weather Report. Bref, Magma se situe au plus haut niveau d'originalité, d'inventivité et de virtuosité de la musique actuelle dérivée du jazz. Le souffle de ce disque est énorme et régénérateur, faisant plus que jamais de Magma un groupe unique et essentiel.

Magma Renaissance - Best n° 101 – Décembre

Magma Renaissance

Le théâtre de la Renaissance, à Paris, fut, pendant plus d'une semaine le bien nommé. Magma y a en effet triomphé, fin octobre, devant des salles de plus en plus bourrées au fil des jours et c'était bien une renaissance. On y a, en effet, retrouvé le Magma swinguant, hypnotique, électrique, agressif qui semblait un moment s'être perdu dans une sorte de grandiloquence perfectionniste.

Si Magma dure, ses formules, elles, vont et viennent, se prolongent rarement plus d'un an et demi. Cette instabilité a coûté cher sur le plan français et même européen à un groupe qui frôla souvent (notamment en Grande-Bretagne) la lisière du grand succès mais se débanda avant de la franchir. Mais les raisons ne manquèrent pas à ces fluctuations et les musiciens ne portent certes pas l'essentiel des responsabilités. Faites un groupe de ce calibre en France, essayez de durer autant que Magma, et vous nous en direz des nouvelles…

Christian Vander, batteur impérial, et Klaus Blasquiz, cette voix-instrument si originale, se sont faits depuis longtemps une raison. Ils sont là depuis le début, ils resteront, impassibles et déterminés dans le marécage national. Leur obstination est depuis longtemps un exemple pour nombre de nouvelles formations. Car les "galères" continuent. Ne serait-ce que le retard de sortie d'"Üdü Wüdü" par manque de coordination entre les bureaux d'Utopia que Giorgio Gomelsky a définitivement transférés à New York, et ceux de RCA à Paris. D'où un mois de retard et une pochette provisoire, bricolée, plutôt triste.

Néanmoins, Magma semble entré à nouveau dans une période faste avec le retour de Janick Top qui, selon de nébuleuses exigences hiérarchiques est désormais co-leader avec Vander. (Et Klaus, c'est un figurant ?). Top est l'un des bassistes les plus impressionnants du moment. II a une place tout à fait évidente au côté de Vander. Comme lui il sait transcender sa technique, s'aventurer hors des sentiers battus, faire parler son instrument. Comme lui il se donne tout entier, se défonce, se projette totalement dans son jeu. Janick Top a un son très particulier, en flirt constant avec la saturation, mais toujours maître des opérations. Avec lui Magma retrouve toute sa hargne, tout son mordant. Avec lui Magma bouge, vous parle à nouveau directement. Et le résultat, une fois de plus, fut grandiose. Avec Gabriel Federow (guitare), Didier Lockwood (violon) et Mickey Grailler (claviers), Magma s'offre des reins solides. "De Futura" de Janick Top et l'éternellement efficace "Mekanïk Destruktïw Kommandöh" furent les grands moments de ces shows Parisiens.

Magma s'embarquait ensuite pour une tournée française avant d'attaquer 1977 avec au programme rien moins que les USA, la Grande-Bretagne, l'Europe, et une huitaine de grands concerts en France à nouveau. A notre avis, s'ils restent unis, c'est bien parti…

Best n° 101 - Décembre 1976

Corrida chez le Prophète - Rock & Folk n° 119 - Décembre

CORRIDA CHEZ LE PROPHETE MAGMA, au Théâtre de la Renaissance 23 octobre au 2 novembre

Depuis six ans, Magma suit la voie que Christian Vander a tracée. Depuis six ans, Magma dit la même chose, crie la même vérité dans un désert qui peu à peu s'est peuplé. Et le public que Magma s'est gagné, en France puis dans toute l'Europe, il ne le perdra plus. Car le groupe est indifférent aux modes et aux engouements de convenance, sa musique est une des seules qui paraissent définitivement à l'abri des compromissions tant son développement se déroule avec rigueur et patience, tant ceux qui l'interprètent sont habités par elle, tant elle est habitée par eux. C'est sans doute aussi pour cela qu'elle effraie encore tant de gens, peu habitués à ce qu'une forme vive autant, à ce que l'amour et la haine puissent être transformés directement en sons, à ce que la volonté d'Etre puisse s'affirmer aussi radicalement, aussi violemment. Ceux qui, pour protéger leur santé mentale et leur vision sécurisante du monde ont une réaction de rejet par rapport à Magma, sont peut-être ceux qui lui rendent le plus grand hommage. Car reconnaître l'existence de quelque chose de fort, et même de trop fort pour qu'on soit en état de le recevoir, reconnaître l'existence d'une Vie transformée en Musique, d'une Musique transformée en Vie, c'est aussi se sentir interpellé dans sa propre attitude, dans sa propre résignation et son laisser-aller. Magma, c'est la Volonté devenue Création, le refus de la facilité, un appel à se surpasser, à exploiter ses capacités au maximum, à refuser de se laisser bouffer par la médiocrité quotidienne des villes. Ce projet est dément, insensé pour ceux qui à jamais ont limité leur horizon aux garages, aux snack-bars et aux trains de banlieue (le rock urbain, l'enfer urbain, l'enfer du rock, émotions pas chères, poésie amère de l'ennui et de la tristesse). Mais c'est la folie de ses ambitions, la hauteur de sa démarche qui donne à la musique de Magma son intensité unique. Personne ne joue ce que joue Magma, et Magma ne joue rien de ce que jouent les autres, il se joue lui-même, il joue sa Vie et sa Mort, sans masque, sans tricherie, sans distanciation : c'est pourquoi il fait peur, c'est pourquoi la première rencontre prend souvent l'aspect d'un choc, d'une confrontation avec l'Inouï. Précisons : je n'ai pas été payé par RCA pour écrire cet article, il m'est arrivé de me sentir mai à l'aise dans plusieurs des concerts du groupe, mais ce que je sais c'est que sur scène chaque soir Christian Vander se donne tout entier, qu'à aucun moment il ne fait semblant et qu'il y en a peu dont on peut en dire autant. Et puis en ces temps où les épaules se courbent, où l'on accepte passivement la tragédie chronique et normative de la survie planifiée, Magma se dresse et affirme qu'on peut se donner les moyens de lutter contre ce goût de spleen qui envahit toute notre atmosphère. Alors parler de la série des concerts que vient de donner le groupe au Théâtre de la Renaissance comme d'une "manifestation artistique parisienne" analogue aux autres, comme un Spectacle à enfermer dans une liste de morceaux et de détails anecdotiques me paraît réduire un peu trop la portée et la signification globale de leur Acte. II faudra pourtant bien le faire, puisque c'est paraît-il mon rôle d'informateur… De même, pas d'interview : si j'en fais un jour, il durera un mois. Christian Vander n'est pas un quelconque Rod Stewart ; ce qu'il est, il l'exprime par sa vie, par sa musique, par son regard. Ses déclarations ne m'ont jamais vraiment convaincu, mais ce n'est pas en une demi-heure que se dissiperont les zones d'ombre et les ambiguïtés. En attendant donc de la psychanalyser sur les cent pages d'un numéro spécial de "Rock et Folk" imprimé en petits caractères, je laisse parler ses tambours. Et mis en face d'un de ses chorus de batterie, les dizaines de feuillets déjà rédigés sur le groupe ne paraissent plus qu'un paquet de tracts stériles, parfois beaux, parfois pas inintéressants, mais manquant complètement de l'incroyable énergie vitale qu'il déploie sur scène. Car jusqu'à ce jour Magma n'est complètement lui-même que sur scène ; d'abord parce qu'il faut les voir pour comprendre, ensuite parce que le studio et la cire noire semblent comprimer sa musique, l'assagir. Alors que pour pénétrer dans cet univers, pour prendre la mesure de l'aventure dans laquelle ils se sont complètement engagés, il faut recevoir la puissance directement, sans la distance qu'implique le disque (pour une première initiation, je vous recommande quand même la face du "Magma Live" comprenant "Kobah", "Linhs" et "Hhaï"). Pour un groupe qui se veut immortel, passer dix jours dans un théâtre parisien ce ne peut être qu'une étape, un élément du Plan, cohérent avec tous les autres. Ainsi, la présence d'Art Zoyd 3 en première partie n'est pas un hasard de programmation. Ce quatuor électrique à la composition originale (violon -guitare basse - trompette) produit lui aussi une musique structurée, dense et neuve, même s'il ne dégage pas encore la même énergie que Magma (c'est difficile…). Et le titre de leur morceau de bravoure pourrait être celui de toute l'œuvre des hommes en noir jusqu'ici, traduit du kobaïen, "Symphonie pour le Jour où Brûleront les Cité ". Rappelez-vous l'énorme griffe sur la pochette du premier album, prenant Megalopolis à la gorge, écrasant les immeubles, les usines et les croix gammées. Dans cette optique, regrettons simplement que, contrairement à ce que j'avais imprudemment annoncé, Barved-Zumizion n'ait pas pu installer ses lasers dans la salle, lui qui comme Magma joue avec le feu. Et remercions Golem d'avoir ouvert à ce type de musique les portes du Théâtre de la Renaissance. Si comme j'ai toutes raisons de le croire, ce genre d'initiative se multiplie, quand le printemps sera venu, nous n'irons plus aux abattoirs… Étape donc, mais étape importante puisqu'elle correspondait à la sortie du nouvel album, "Udü Wüdü", et que la formation actuelle n'est plus celle qui cet été arracha au sommeil les rescapés hagards du Castellet. N'en restent plus que Christian Vander, Klaus Blasquiz et Didier Lockwood. Patrick Gauthier et Bernard Paganotti sont partis fonder un autre groupe, Benoît Wideman joue maintenant avec Alan Stivell. A la place, on trouve Michel Grailler, remarquable pianiste très à l'aise dans le travail harmonique et rythmique qui a toujours été l'essentiel du rôle des claviers de Magma. A la guitare, Gabriel Federow, qui il y a quelques années jouait dans un groupe à Strasbourg avec Pierre Moerlen, le seul rival sérieux de Vander (quand les verrons-nous tous les deux ensemble sur scène ? Pour que Billy Cobham parte à la pêche avec Ringo Starr…). Mais l'événement, c'est bien sûr le retour de Janik Top à la basse, parce que Janik est depuis longtemps engagé dans une quête similaire à celle de Vander, parce que comme lui il est un visionnaire qui n'interprète pas mais qui vit ses notes et qu'aujourd'hui il partage avec lui la responsabilité de ce qu'est Magma (voir le sigle Vander- Top sur les affiches collées dans Paris). C'est d'ailleurs un de ses morceaux qui occupe l'intégralité de la deuxième face de "Udü Wüdü": "De Futura" qui, joué juste après "Emëhntëht-Rê" en concert, s'affirme avec la même ampleur que " Mekanïk ", donnant toujours cette impression d'un peuple en marche, à la poursuite d'un rêve qui à peine atteint devra être projeté encore plus loin, encore plus haut pour que jamais le voyage ne s'achève. Vander et Top ont aussi ceci en commun que leur approche de l'instrument est créative au lieu d'être répétitive et purement scolaire (avec remise des prix à la fin de l'année) comme dans le cas de la plupart des gens dont on parle aujourd'hui à grand renfort d'adjectifs : leur technique leur sert à inventer un monde, qui se suffit à lui-même, qui existe par lui-même, arraché à l'électricité, au métal ou aux peaux. Leurs solos ne sont pas des exhibitions, des étalages de procédés : ils sont construits, organisés, ils expriment exactement la même chose que les morceaux joués par le groupe tout entier. Le son change parce que les musiciens changent, mais l'Esprit reste le même qu'aux premiers jours du groupe. Aussi bien sur le plan temporel (du premier double album à "Udü Wüdü" que sur le plan spatial, d'un morceau à l'autre sur le même disque. C'est la même entité prenant diverses formes. Là est la garantie de la durée de Magma, qui comme tous les créateurs répétera toujours la même Idée, mais de mieux en mieux. Et quand on compare la première mouture de "Mekanïk Destruktiw Kommandöh" parue sur un 45 tours simple il y a près de quatre ans avec les fastes de l'impérial opéra barbare qui est sa version actuelle, on se rend mieux compte de quoi les passions de ces gens sont faites. Reste à sombrer dans l'ambiance de démence caractérisée qui baigne le solo de violon de Didier Lockwood et à se laisser emporter par le final le plus gigantesque qu'ait jamais réalisé un groupe électrique. Alors quand on ne se sent plus agressé, quand on imagine sur ces rythmes la danse folle qu'ils évoquent, quand on reçoit la joie qui remplit ces chants, on n'écoute plus Magma la tête entre les mains. On respire sa musique par tous les pores de la peau, et l'on voudrait que cela ne s'arrête plus. Mais après "Troller Tanz", court extrait d'"Udü Wüdü", joué en rappel, Klaus revient expliquer pourquoi ils en restent là : "Le concert est construit de telle façon que nous ne pouvons plus rien jouer maintenant. Nous vous donnons donc rendez-vous à un prochain concert de Magma. En attendant, faites la liaison comme nous le faisons nous-mêmes : faites de votre vie un concert." C'est à Raoul Vaneighem qu'on devrait faire traduire le Kobaïen.

Michel BOURRE.