Lapurdum Euskal ikerketen aldizkaria | Revue d'études basques | Revista de estudios vascos | Basque studies review

3 | 1998 Numéro III

Jean-Baptiste Orpustan (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lapurdum/1657 DOI : 10.4000/lapurdum.1657 ISSN : 1965-0655

Éditeur IKER

Édition imprimée Date de publication : 1 octobre 1998 ISBN : 2-84127-152-8 ISSN : 1273-3830

Référence électronique Jean-Baptiste Orpustan (dir.), Lapurdum, 3 | 1998, « Numéro III » [Linean], Sarean emana----an 01 juin 2008, kontsultatu 04 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/lapurdum/1657 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/lapurdum.1657

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Propriété intellectuelle IKER UMR 5478 1

SOMMAIRE

I. Langue

Sur quelques similitudes toponymiques galaïco-basques et le problème que posent certaines d'entre elles Hector Iglesias

A propos des mots basques ahuntz « chèvre » et lepo « cou, col » Michel Morvan

Onomastique basque aux Philippines Michel Morvan

Analyse des infinitives adnominales en basque Bernard Oyharçabal

Nouvelles remarques sur haina Georges Rebuschi

II. Littérature

Art poétique basque Adéma « Zalduby » rena Xabier Altzibar

Ternuaco Penac deitu idazkiaz zenbait ohar Aurélie Arcocha-Scarcia

150e anniversaire de l'Uscal-Herrico Gaseta Fermin Arkotxa

La magie, moteur de l'action théâtrale : Inessa de Gaxen de Fernando Doménech Rico Yvette Cardaillac-Hermosilla

Le renouvellement de la prose basque a travers Buruchkak (1910) de Jean Etchepare Jean Casenave

Sur la littérature de langue basque au XVIIIe siècle(conférence prononcée a l'université du temps libre a anglet le 23 juin 1998) Jean-Baptiste Orpustan

Gero liburuaren koherentziaz eta egituraketaz Patxi Salaberri Muñoa

III. Sciences humaines et sociales

Cadre de vie et objets du quotidien des Bayonnais au XVIIIe siècle Frédéric Duhart

La bataille du Palestrion octobre-novembre 445 Renée Goulard

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Hendaye et ses voisines espagnoles : (1945 – années soixante) proximité géographique pour relations sporadiques Christophe Navard

IV. Recensions, informations

Jan Braun. Euscaro-Caucasica. Philologia Orientalis 4 Wydawnictwo Akademickie DIALCX3, Warszawa, 1998, 148.orr. Txomin Peillen

Michel Morvan. Les origines linguistiques du basque. 290 pp., Presses Universitaires de Bordeaux, 1996. Jacques Allieres

R. L. Trask. The history of Basque. Routledge : Londres et New York, 1997, XXII + 458 p. ISBN : O-415-131 16-2 (hbk). Environ 650 FF. Bernard Oyharçabal

Urkizu, P. : Zuberoako irri-teatroa. Recueil des farces charivariques basques Préface de J.B. Orpustan. Izpegi, St-Étienne-de-Baïgorry, 1998, 420p. Charles Videgain

A la mémoire de Georges Viers. Pierre Barrère

InformationsD.E.A. et doctorat en Etudes basques en 1997-1998. Jean-Baptiste Orpustan

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I. Langue

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Sur quelques similitudes toponymiques galaïco-basques et le problème que posent certaines d'entre elles

Hector Iglesias

1 Bien que les études toponymiques concernant la Galice aient toujours été beaucoup moins nombreuses que celles ayant pour objet le Pays Basque ou la Catalogne, il existe néanmoins certains articles et ouvrages linguistiques de grande qualité. Ces derniers mentionnent plusieurs noms de lieux galiciens, particulièrement ceux d'origine latino- romane ainsi que ceux issus du germanique, les principaux travaux étant surtout ceux de Joseph M. Piel. Les travaux de Joan Coromines, dont l'œuvre est pourtant considérable, n'ont abordé que quelques rares points de toponymie galicienne1.

2 On peut dire que les études toponymiques se trouvent actuellement en Galice dans un état moins avancé que dans d'autres régions d'Europe, vraisemblablement pour des raisons que nous aborderons plus loin. Dans le domaine de la toponymie dite pré-indo- européenne, il faut mentionner un court, mais fort intéressant, article de J. Gifford. L'auteur y souligne, sans pour autant les commenter, plusieurs similitudes présumées entre certains toponymes navarrais et certains toponymes galiciens.

3 Au début du siècle, D. Ramón Menéndez Pidal2, le maître de la philologie espagnole, avait déjà signalé que certains suffixes tels que -barre, -toi et -oi apparaissaient dans divers endroits de la péninsule, tantôt en Galice et dans les Asturies, tantôt dans les Pyrénées occidentales. En outre, plusieurs auteurs, dont Henri Gavel3 et Fredrick Jungemann4, entre autres, avaient également noté certains parallélismes phonétiques entre ces régions pyrénéennes et cantabriques. Ces connexités phonétiques et toponymiques cantabro-pyrénéennes, et en particuliers les basco-galaïques, posent certains problèmes, relativement complexes, qui n'ont toujours pas été résolus.

4 En ce qui concerne la Galice pré-romaine, plusieurs faits sont connus. On sait que les Galiciens sont mentionnés pour la première fois au cours du IIe siècle av. J.-C.,

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manifestement vers 137 av. J.-C. Ils sont appelés par les auteurs gréco-latins Callaici, le nom ayant été rapproché, entre autres, de celui des Galates. Mais Julio Caro Baroja5, citant Emile Hübner, doutait de la relation. On croit savoir, toujours d'après les travaux de Julio Caro Baroja, que chez les Artabres ou Artabri, un peuple galaïque qui habitait l'actuelle province de La Corogne, la ville du même nom étant alors vraisemblablement appelée Portus magnus artabrorum, les femmes partaient à la guerre pendant que les hommes restaient à la maison6. En outre, grâce à la découverte de plusieurs inscriptions apparaissant sur des stèles funéraires, on connaît le nom de plusieurs divinités galaïques pré-latines7 : Endovelico, Baraeco, Bandue, Cusuneneoeco, Iupiter Andero, etc.

5 D'un point de vue linguistique, on sait également que le fleuve appelé Le Miño – le plus important de Galice, en galicien O Miño – était couramment appelé par les Galiciens de l'Antiquité Bainis ou Baenis (Strabon, Géographie, III, 3, 4) ou Baites (Appien, Iberica, 73), le nom devant être comparé à l'ancien nom du Guadalquivir, c'est-à-dire autrefois Baitis, nom qui continue parfois à être utilisé en Espagne sous la forme Betis. Dans ces noms l'élément bai-, ayant vraisemblablement le sens hydronymique de « cours d'eau », est peut-être identique à celui qu'on trouve dans le nom Baïgorry, uaigorri, 1072 et probablement aussi dans celui de Bayonne, baiona, 1063 ainsi que dans le vocable basque ibai, « rivière, fleuve ». La voyelle initiale i- serait, d'après Hugo Schuchardt8, un ancien préfixe devenu plus tard partie intégrante du thème, sa valeur originelle n'étant plus reconnaissable, d'où une évolution bai > ibai.

6 On sait qu'il y avait parmi la nation des Galaïques plusieurs tribus ou peuples qui n'étaient pas d'origine celtique. Les dires de Pline l'Ancien (Histoire Naturelle, Livre III, 13) qui, d'après Julio Caro Baroja, faisait toujours preuve d'une grande curiosité et savait vraisemblablement distinguer les langues celtiques de celles qui ne l'étaient pas, l'indiquent : Lucensis conuentus populorum est sedecim, praeter Celticos et Lemauos ignobilium ac barbarae appellationis, sed liberorum capitum ferme CLXVIm, c'est-à-dire « l'assemblée [territoriale] luquoise [représentant les Galaïques luquois, c'est-à-dire à l'époque grosso modo le territoire galicien actuel], outre les Celtes et les Lemaves, comprend seize peuples inconnus ayant des noms barbares, mais constituant néanmoins une population de 166 000 individus libres ».

7 Cela, entre autres, amena Luis Michelena à penser qu'il faudrait « desceltizar tal vez hasta cierto punto »9 et celtiser davantage l'Aragon. Par ailleurs, Julio Caro Baroja10 ne voyait pas dans les dires de Strabon un simple caprice de cet auteur grec. En effet, ce dernier (Géographie, Livre III, 3, 7), après avoir détaillé les us et coutumes des Lusitaniens de l'Antiquité, ajoute à un moment donné : « Tel est le genre de vie, comme je l'ai dit, des populations montagnardes, j'entends par là celles qui jalonnent le côté nord de l'Ibérie, à savoir les Callaïques, les et les Cantabres, jusqu'au pays des et au Mont Pyréné. Tous, en effet, vivent de la même manière ».

8 Les problèmes, qui ne font pas l'objet de notre article, que pose l'existence de ces peuples du nord-ouest de la péninsule ibérique sont nombreux et relativement ardus.

9 J. Gifford se contente la plupart du temps de signaler avant tout des ressemblances dans le domaine de la toponymie pré-indo-européenne. En essayant d'élargir le champ de recherche, en y incluant les noms latino-romans et ceux d'origine germanique, nous présentons une liste non-exhaustive de toponymes qui se répètent ou semblent se répéter en Galice et en Pays Basque, parfois en Béarn ou en Aragon, voire présentent quelques affinités. Chaque fois qu'une similitude présumée a été notée par J. Gifford

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nous l'indiquons expressément. Les autres connexités présumées sont le fruit de nos recherches.

10 Enfin, quelques précisions s'imposent : la Galice compte actuellement, comme le rappelle Ana Isabel Boullón, environ 60 000 documents médiévaux. Ce patrimoine documentaire est considéré comme étant l'un des plus riches de la péninsule ibérique. Cependant, un grand nombre de cartulaires, représentant des milliers d'archives, n'a toujours pas été publié. C'est le cas des recueils de chartes de Caaveiro, Celanova, , Oia, Ribadavia, etc. Cela a pour conséquence, entre autres, de ne pas connaître la ou les formes anciennes d'un grand nombre de topo-nymes, ces derniers ayant la plupart du temps une allure très archaïque et étant souvent difficiles à expliquer. Leur interprétation est même parfois impossible.

11 En ce qui concerne le pays à proprement parler, les villes sont peu nombreuses et en général peu peuplées, excepté La Corogne qui compte plus de 200 000 habitants. La Galice est séparée de l'Espagne par une série ininterrompue de chaînes de montagnes dont l'altitude oscille entre 1 500 m. et 2 000 m., formant ainsi une sorte de barrière naturelle qui explique peut-être, en partie du moins, l'isolement dans lequel a vécu ce pays jusqu'à une date relativement récente.

12 Le patrimoine toponymique galicien est étonnamment riche : en ce qui concerne uniquement la toponymie majeure (noms de pays, de vallées, de communes et de hameaux), les plus de 30 000 noms de lieux figurant dans la nomenclature officielle publiée par le Gouvernement de Galice représentent presque la moitié de la toponymie majeure de l'État espagnol11. En outre, le statut d'autonomie dont jouit ce pays stipule que seules les formes galiciennes des toponymes ont une existence officielle12.

13 La langue galicienne est officielle dans le pays et sa connaissance est obligatoire, le statut d'autonomie précisant que savoir le galicien est un droit mais également un devoir. Cette langue présente généralement un caractère archaïque, sa phonétique étant considérée très conservatrice. C'est pourquoi, avant toute étude toponymique, il est utile de citer, ne serait-ce que de façon sommaire, quelques faits de phonétique galicienne parmi les plus typiques et leurs affinités avec, entre autres, le gascon et le basque :

14 1) en galicien (comme en basque et en gascon, entre autres) v passe invariablement à b quelle que soit sa position ;

15 2) à l'intérieur d'un mot -f- passe à -b- : defensa > debesa, trifoliu > trebo, etc., ce qui arrive aussi en basque où les changements -f- > -f- et -f- > -p- semblent être moins anciens que ceux -f- > -b- ;

16 3) un des changements les plus caractéristiques est la chute quasi automatique en galicien de tout l intervocalique : insula > insua, etc. ; mais parfois, comme en basque, il passe à -r- : cumulu > cómaro, etc. (en gascon -l- se maintient en général) ; au surplus, les -r- étymologiques ont tendance dans le langage quotidien à disparaître entre voyelles : queres > ques, « tu veux », eres > es, « tu es », etc., ce qui est aussi le cas dans le basque parlé et systématique en souletin où les -r- intervocaliques, étymologiques ou non, ont disparu ;

17 4) en galicien lat. -Il- passe à -l-, ce qui est le cas du basque ; en revanche, en gascon il passe à -r- et en castillan il se palatalise ;

18 5) en galicien tous les -n- intervocaliques disparaissent comme en portugais, en basque et en gascon, excepté dans le suffixe lat. -inu qui passe en galicien à -iño et dans le

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groupe ny, avec semi-voyelle, qui passe à ñ, comme en basque. C'est là une des principales caractéristiques de ces quatre langues, cela étant peut-être dû à un substrat commun, mais ce n'est pas sûr (cf. Rohlfs) ; en galicien, en basque et en gascon lat. -nn- passe à -n- ; en castillan, il passe à -ñ- ;

19 6) en galicien, en basque et en castillan le groupe -nd- se maintient ; il passe à -n- en gascon et en catalan (et probablement aussi en aragonais, mais ce n'est pas l'avis de G. Rohlfs) ;

20 7) En gascon, en castillan, en catalan, en basque et parfois en galicien, le groupe -mb- se réduit à -m- ;

21 8) en galicien, comme en gascon, la consonne présente une instabilité importante, ce qui est à l'origine de nombreuses métathèses dans ces deux langues ;

22 9) en galicien, comme en basque, l'épenthèse d'un i consonne intervocalique, pour détruire des hiatus, est très fréquente ;

23 10) en galicien, la consonne r à l'initiale est parfois précédée de la voyelle pro-thétique a, c'est-à-dire qu'on a r-> arr-, d'où gal. recuar et arrecuar, « reculer » ; rodeo et arrodeo, « détour », etc. ; en asturien cette voyelle prothétique est encore plus fréquente : arrodiu, arrodéu, arrodión, « détour », arrezar et rezar, « prier » ; arrezu et rezu, « prière » ; c'est également le cas du gascon (et parfois, mais très rarement, de l'ancien aragonais) où son apparition est constante jusqu'au Bassin d'Arcachon (cf. G. Rohlfs) et c'est également, et avant tout, une des principales caractéristiques phonétiques de la langue basque où aucun mot ancien ne peut commencer par r, la voyelle prothétique n'étant pas cependant ici a- comme en galicien, en asturien et en gascon, mais au contraire e-, dans errege < regem, erripa < ripam, etc.

24 Nous présentons par ordre alphabétique une liste non-exhaustive de topo-nymes qui, on l'a dit, se répètent ou semblent se répéter en Galice et en Pays Basque, voire parfois en Béarn et en Aragon. Nous utilisons presque toujours les formes anciennes recueillies, il y a plus de cinquante ans, par Victor Olano Silva, c'est-à-dire environ mille noms médiévaux représentant à eux seuls la quasi totalité des formes anciennes connues, ce qui est malheureusement peu eu égard à la quantité considérable de toponymes que compte un pays comme la Galice.

25 1. Aldariz/Alderiz/Alderís : dans la province de La Corogne, on trouve un village appelé Alderís et un autre Alderiz. Dans la province de Pontevedra un hameau est également appelé Aldariz ; en galicien l'alternance -riz/-rís est due à un phénomène dialectal appelé « seseo », c'est-à-dire un défaut qui consiste à prononcer en espagnol, en l'occurrence ici en galicien, les c comme les s, ce qui explique les doublets toponymiques galiciens Esmoriz/Baldariz (paroxytons) et Esmorís/Baldarís oxytons), etc. En Navarre, dans la vallée d'Ezkabarte (bailliage de Pampelune), Altadill signale une maison seigneuriale appelée Alderiz. Ce toponyme basco-galicien est d'origine germanique : Aldericus (cf. Marie-Thérèse Morlet).

26 2. Ames : la forme ancienne du toponyme béarnais Ogenne (canton de Navarrenx) est Ogene, XIe siècle, Oiena, XIIIe siècle, Oyene, 1385. Michel Grosclaude considère qu'il s'agit du basque oihan, « forêt », hypothèse qui semble faire l'unanimité. Dans la province de La Corogne, on trouve une paroisse appelée Santo Tomás de Ames (municipalité de Negreira), autrefois Sci. thome de oianes, 1228, l'évolution ayant vraisemblablement été oianes > *o anes (confusion avec l'article masculin galicien o) > *anes > ames. On

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remarquera la terminaison inexpliquée -es dans oianes qui semble correspondre à un ethnique. La signification de ce nom galicien n'est pas connue.

27 3. Anós et Ois : d'après G. Rolhfs13 le toponyme Agnos, Anhos, 1364 (canton d'Oloron- Sainte-Marie) est issu du gentilice Annius, mais en revanche les nom des villages appelés Anos, 1243 (canton de Morlàas) et Anoz (vallée d'Ezkabarte, Navarre) seraient peut-être issus du cognomen Andus + suffixe aquitanique *ossu, le changement de nd à n étant normal en gascon. En Navarre, ce changement ne peut cependant être dû, comme le rappelle Luis Michelena14, qu'à l'influence du parler aragonais : *Garindoain > Garínoain, Garinnoain en 1072 (Olite, Navarre). Dans la province galicienne de La Corogne, on trouve un village appelée Anós, accentué sur la dernière syllabe. Le nom n'est expliqué par aucun auteur et il ne semble pas qu'on en connaisse la forme ancienne. En galicien, le groupe ny passe normalement à -ñ-, le gentilice Annius, et sa variante Annianus, étant ainsi à l'origine, comme le rappelle Joseph M. Piel15, de plusieurs noms tels que Añá (La Corogne), probablement Añón (La Corogne), Vilañán (Lugo), Añobres/Añobre (La Corogne), etc., ce dernier étant un quasi homonyme du toponyme navarrais Añorbe signalé par J. Gifford, mais il s'agit manifestement d'un paronyme. Grâce aux lois phonétiques du galicien nous pouvons restituer l'étymon qui serait peut-être à la base du nom galicien Anós, c'est-à-dire probablement (avec une terminaison en o-, -onis) *annonis > *annones (avec évolution romane et normale du -i- dans -onis qui passe -ones) > *anoes > *anois > anós. En revanche, on est sûr de l'origine du toponyme Ois (Santiago de Ois, village de La Corogne), autrefois in loco adones, 910 dont l'évolution n'a pu être manifestement que : adones > *aoes > *a ois (confusion avec l'article galicien féminin a) > ois, ce dernier étant peut-être en rapport avec les toponymes Oiz, en basque Oitz (montagne de Biscaye et village de Navarre, Malerreka, Pampelune) et peut-être avec celui de Aoiz, en basque Agoitz, Aoitz (bailliage de Sangüesa). Le toponyme galicien Adones doit être comparé avec le nom de personne Aio, génitif Aionis, retrouvé par Alfonso Irigoyen 16 dans une inscription romaine d'Estrémadure : Camilius/Arrus/Aionis f./ Clun. an./ LXX hic. Ce nom serait à l'origine, d'après cet auteur, du toponyme navarrais Aoiz (chute du [j], du -n- intervocalique et équivalence s latine = z fricative dorso-alvéolaire basque d'après Luis Michelena, neutralisée en basque en position finale en tant qu'affri-quée -z > -tz), le nom étant prononcé par les bascophones Agoitz avec -g- anti-yod. Alfonso Irigoyen cite également la variante romanisée et médiévale de ce nom navarrais : noble don Per Ahones, 1320, très proche de notre Adones galicien et également médiéval.

28 4. Aranga : la signification du nom de ce village galicien de La Corogne, situé dans une vallée entourée de montagnes d'une altitude moyenne de 700 m, n'est pas connue. Le nom apparaît au moyen âge dans une bulle confirmant les possessions de l'Eglise de Compostelle : et Superato et Aranga et Montejaurino quo-modo diuidit cum Parrega de Prutiis et Bisanquis, 1178. L'élément -anga se trouve, rappelle Luis Michelena 17, dans les patronymes basques Estanga, Uranga, Uzkanga, etc. et n'a jamais été expliqué de manière satisfaisante. En outre, deux autres villages galiciens de la province de La Corogne s'appellent respectivement Arangas et Laranga. Le nom apparaît également fréquemment dans les Asturies : Arango (municipalité de Pravia), Las Arangas (municipalité de Grado, en asturien Grau), Arangas (municipalité de Cabrales), Aranguín (Pravia), etc. et en Navarre, on a le village appelé Elcóaz Arangoz dans un document18 du XVe siècle (vallée d'Urraúl, bailliage de Sangüesa), aujourd'hui manifestement Arangozki. Ces noms galaïco-basco-asturs sont peut-être à mettre en rapport avec un hypothétique vocable pré-latin *ara apparenté probablement avec le basque (h)aran, ara

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(n)-, « vallée ». Les deux villages galiciens appelés Aranza (Pontevedra et Lugo), malgré une surprenante homonymie, n'ont rien à voir avec le nom navarrais Arantza (village de Cinco-Villas, bailliage de Pampelune) et probablement non plus avec le patronyme Aranza cité par Michelena étant donné que la forme navarraise Arantza est récente, l'ancienne forme du nom de ce village étant Aranaz, 1280, Aranaz de las cinco villas de Lerin, 1644. Les formes anciennes des noms des villages galiciens appelés Aranza ne sont pas, sauf erreur, connues et le nom est inexpliqué. Voici la liste des noms de villages et de paroisses galiciens où apparaît la forme aran et qui font difficulté, l'absence, pour la plupart d'entre eux, des formes anciennes empêchant toute explication. Province de Lugo : Arán, Fontarán, Arangón, Malvarán, San Pedro de Arante, S. P. de Alanti, 935 et Aralde ; province de Pontevedra : Aralde (autre), Aranés, Arantey et San Pedro de Arentey ; province de La Corogne : Arán (autre), Fonte Arán, Araño (cf. Arano, bailliage de Pampelune) et San Vicente de Arantón, aranton, 830, nom qui rappelle la ville vasconne d'Alantone cité dans l'Itinéraire d'Antonin et située à l'époque entre Aracaeli ou Araceli (Huarte-Arakil) et Pampelune. On aurait tendance de nos jours à identifier ce toponyme vascon Alantone avec l'actuel village navarrais appelé Atondo (Cendea d'Iza, bailliage de Pampelune). L'équivalence galaïco-vasconne Alanti, 935 (Arante, Lugo) = Aranton, 830 (Arantón, La Corogne) = It. Ant. Alantone (prob. Atondo, Navarre) doit être notée.

29 5. Arga/Argá : la signification du nom de la rivière navarraise appelée Arga est inconnue. Un village de la province de Lugo s'appelle Argá (ici toutefois il s'agit d'un oxyton), une rivière et une montagne de cette province étant également connues sous le nom de Argán qui, d'après Azkue, signifie en biscaïen « terrain pierreux ». En théorie, Argán pourrait s'expliquer par le basque arr (i) + gain > argain > argan, « hauteur rocheuse » comparable au toponyme labourdin *aitz + gain > azkain. Il est difficile de savoir quelle peut être la relation entre ces toponymes car les formes anciennes des noms galiciens ne sont pas, sauf erreur, connues. Joan Coromines19 cite également un arga pré-romain, sans en donner le sens, qu'il suppose d'origine celtique ou ibérique.

30 6. Argote : le toponyme alavais Argote se retrouve en Galice où il est porté par un village de La Corogne.

31 7. Arinez/Ariñez/Arínes : le nom de village alavais Arinez/Ariñez, autrefois Ariniz, cité par José Miguel de Barandiarán, semble être identique à celui porté par une paroisse et une rivière galiciennes : Arínes (La Corogne).

32 8. Arros : dans la province de La Corogne, un village s'appelle Arros (paroxyton, sauf erreur). Il ressemble aux toponymes bas-navarrais et béarnais Arros, le bas-navarrais étant prononcé en basque Arrotze, d'après Lhande. G. Rohlfs cite, entre outre, Arrós (Alto Pallars, province de Lérida) et Arrós (Val d'Aran, province de Lérida). En ce qui concerne le toponyme galicien, il pourrait être issu, mais ce n'est pas sûr, du « cognomen Arro attesté dans des inscriptions d'Espagne et de Lusitanie (CIL, II, 2735 et 5610) », selon G. Rohlfs20.

33 9. Asma : de nos jours un village situé au pied d'une montagne de 838 m. et un fleuve de Lugo sont appelés Masma, autrefois le fleuve et toute la région étant appelés : in nasue, 1A1 ? (avec u = b, c'est-à-dire nasue = nasbe) ; Asma, 832 ; territorio Assue (= Assbe) et Asme, 871 ; Asua et Asma, 897 ; Asma, 1154, 1158 ; ambas Asmas, 1173 ; aujourd'hui Masma. Ce nom galicien rappelle étrangement celui de la vallée d'Aspe (Béarn autrefois Aspa, 1017), celui du village navarrais appelé Azpa (vallée d'Egüés, Sangüesa, autrefois Aspa, 1197) et les noms de villages pyrénéens Asme (Basse-Navarre, autrefois Azpe, 1413, azme, 1481), Aspet (H-G.), Aspin (H-Pyr.) ainsi que celui d'un village aragonais, aujourd'hui

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abandonné, appelé Aspe (autrefois Aspe et Aspa, XI e siècle) et pour lesquels la quasi totalité des auteurs admet une origine pré-romane : aitz + -pe, « en bas de la hauteur rocheuse ». Le toponyme galicien Assue, Asua, Asma, Asme doit probablement signifier la même chose, car sinon il est inexplicable. Un autre village et une rivière de la province de Lugo ont pour nom Asma, le village étant situé au pied d'une montagne de 760 m. Dans cette même province, un village situé au pied d'une montagne de 735 m. est appelé Aspai, mais les formes anciennes de ce nom ne sont pas connues, sauf erreur.

34 10. Baiona (graphie galicienne et officielle) / Bayona (graphie espagnole) / Baiona (aujourd'hui en français Bayonne). Il s'agit bien évidemment du cas le plus célèbre. Alfonso Irigoyen n'acceptait pas l'hypothèse de Jean-Baptiste Orpustan selon laquelle dans le nom labourdin Baiona on a probablement affaire à l'élément pré-indo-européen bai-, « cours d'eau » (cf. supra) car, écrivait-il, « en relación con el caso del de Galicia nos haría entrar en elucubraciones complejas de muy dificil solución »21. Il ne prenait pas en compte le fait que l'ancien et véritable nom de ce village galicien était jusqu'au XIIe siècle Erizana, époque à laquelle il changea de nom pour s'appeler Baiona. D'après Eugène Goyheneche, « il s'agit sans doute d'un repeuplement, d'une ville neuve, fondée au même endroit qu'Erizana (terme ancien) dépeuplée par les Invasions » étant donné qu'« on donnait à ces villes, souvent un nom déjà porté par une autre ville, plus célèbre ou plus ancienne. Il n'est donc pas impossible qu'en 1130 Alphonse VIII ait donné ce nom à Bayona de Galice, en se souvenant de notre Bayonne »22. Le nom Erizana existe encore de nos jours : Cabo Erizana, « Cap d'Erizana » (Pontevedra), nom considéré par certains comme étant d'origine pré-indo-européenne. La forme ancienne est inconnue, mais il est probable qu'à l'initiale l'évolution a été : Eri- < *Ili-, cet élément *Ili- se retrouvant sous la forme Iri- dans le nom du village galicien de Lugo appelé Orizón, autrefois Irizon, 1032. Régis de Saint-Jouan, dans son dictionnaire, cite les noms de maisons (L')Irisson et (L')Irissoo, 1385 (Bellocq, bailliages de Rivière-Gave et de Pau). D. Ramón Menéndez Pidal23 rappelle que la ville galicienne actuellement appelée Padrón (La Corogne) s'appelait dans l'Antiquité Iria Flavia, nom inexpliqué et qu'on a voulu rapprocher du vocable ili-/iri- présent dans les noms Illiberris (Elvira à côté de Grenade, Andalousie), Illiberis (Pline), Eliberri (Mela), Ilibirris (Strabon), aujourd'hui Elne (Pyr.- Or.), etc.

35 11. Bardaos : dans la province galicienne de Pontevedra, on trouve la paroisse de Santa Maria de Bardaos (municipalité de Tordoia), autrefois Bardanis, 1228. Ce nom se rapproche curieusement de celui des Bardenas, en Navarre, autrefois, bardenas, 1155, Bardena, 1212, dont on n'a pas trouvé d'explication satisfaisante. Dans la province de La Corogne, on trouve également un village appelé Bardullas qui rappelle le nom de peuple Vardulli ou – ancêtres grosso modo des Guipuscoans actuels – cité par Mela (Livre, III, 15) et Pline (Histoire Naturelle, Livre III, 27). Julio Caro Baroja 24 rappelle que dans l'Antiquité, un peuple de Lusitanie était également appelé par le même nom : Bardili (Pline, Histoire Naturelle, Livre IV, 118).

36 12. Beade : le village de Santa Maria de Beade (province d'Orense) s'appelait autrefois Sanctae Mariae de Vilate, 1112 ; en galicien la chute de la latérale, la sonorisation du -t- intervocalique et l'instabilité, courante en galicien, des voyelles i/e expliquant la forme moderne Beade. Ce nom semble se retrouver en Pays Basque, comme le signale J. Gifford, dans le nom du col navarrais de Velate (orthographié en basque Belate) que l'on considère d'ordinaire comme étant issu du basque bele, « corbeau », en composition bela-, et ate, « porte, passage », soit « porte, passage des corbeaux ». Il s'avère

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problématique de penser que la forme galicienne Vilate puisse s'expliquer par le basque. Il faut également citer le peuple aquitain des Vellates cité par Pline (Histoire Naturelle, Livre III, 33). Il s'agit peut-être d'une coïncidence. Quoi qu'il en soit, affirmer que le toponyme navarrais Bélate est un nom basque paraît prématuré.

37 13. Beariz : en 1992, un érudit local25 a découvert dans un cartulaire conservé dans le monastère cistercien d'Oseira (municipalité de Cea, Orense) les formes anciennes, du nom de la paroisse galicienne appelée Santa Maria de Beariz (municipalité de Beariz, orense). On sait à présent que ce nom galicien est un toponyme d'origine germanique, les formes anciennes étant : viarici, 1034, uia-rici, uiariz, 1053, veariz, 1220. Le nom est issu de l'anthroponyme germanique, attesté en Galice comme le rappelle Ana Isabel Boullón Agrelo, Viaricus, roma-nisé par la suite en Viarigo. Dans un article paru récemment dans Fontes26, nous avons émis l'hypothèse selon laquelle le toponyme labourdin Biarritz, autrefois beariz, 1150, bearriz, 1150, bearidz, 1186, bearritz, 1249, bearys, 1344, bearitz, 1511, pourrait peut-être avoir la même origine que ce nom galicien, d'autres topo-nymes basques d'origine germanique étant attestés en Navarre. Nous ne reviendrons pas sur l'argumentation développée dans cet article auquel il suffira de se reporter. Nous rappellerons simplement qu'il existe une difficulté. Pour accepter notre hypothèse, il faudrait être certain, ce qui n'est pas le cas, que dans les formes anciennes du nom Biarritz, c'est bien la vibrante faible intervocalique -r- qui est étymologique et non l'inverse. Si c'était le cas, l'équivalence veariz/beariz galicien beariz/bearriz labourdin serait envisageable, car le parallélisme est frappant. Cependant, il est peut- être préférable de considérer la vibrante forte comme étant étymologique. En effet, lorsqu'on a affaire dans les formes médiévales d'un nom à l'alternance -r-/-rr-, c'est presque toujours la forme avec vibrante faible qui est fautive et il faut reconnaître que dans le nom Biarritz la forme avec -rr- forte est constante depuis les débuts. Il existe deux autres paroisses galiciennes portant le même nom : San Martin de Beariz (municipalité de San Amaro, Orense) et Santa Magdalena de Baariz, 1392 (municipalité de Paradela, Lugo).

38 14. Beascós : dans la province de Lugo, on trouve le village de Santa Marina de Beascós (municipalité de Carballeda), autrefois Sancto Martino de Velascones, 1175. Ce nom rappelle le nom aquitain, attesté à l'époque romaine, Belexconis (et sa variante Belasconis citée par Michelena et Irigaray) et qui pourrait être d'après ces deux auteurs à l'origine du nom Briscous, en basque Beskoitze, autrefois Berascoiz(co), « (de) Briscous » d'après Lissarague qui en était natif. La chute du -n- intervocalique et le passage de - l- intervocalique à -r- sont des phénomènes courants en basque. Jean-Baptiste Orpustan27 propose également une autre hypothèse. En ce qui concerne le toponyme de Lugo, il est certain qu'il provient d'un plus ancien *Velasconis, en galicien l'évolution romane de la voyelle i à e dans la terminaison -nis étant tout à fait normale et régulière, les exemples qui le montrent étant nombreux, et par conséquent, il est sûr qu'en Galice on a eu une forme plus ancienne Velasconis ou Belasconis qui a normalement évolué en Velascones puis en Beascós : changement de v en b et amuïssement automatique de la latérale ainsi que de la nasale intervocaliques.

39 15. Beasque : nous avons trouvé dans la municipalité galicienne de Ponteareas (Pontevedra), un hameau appelé Beasque (81 habitants en 1980), nom qui rappelle le toponyme bas-navarrais Béhasque. On ne connaît pas la forme ancienne du nom galaïque, mais les lois phonétiques du galicien permettent de la reconstituer. Cette forme ne peut être manifestement que Velasco puisqu'en galicien v passe à b, la latérale

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intervocalique s'efface et -o final s'affaiblit en -e (comme dans le toponyme galaïque actuel Gondaisque < Gandaisco, 1128) ; d'où en galicien Velasco > Beasque. Ce nom viendrait appuyer l'hypothèse selon laquelle le nom navarrais Béhasque est issu lui aussi, comme le pense également Jean-Baptiste Orpustan28, de l'anthroponyme Velasco ; avec cependant un suffixe d'appartenance -anum. Jean-Baptiste Orpustan cite également une autre hypothèse purement toponymique. Toutefois, bien que le résultat soit apparemment le même dans Beasque/Béhasque, l'évolution qui a été celle de ces deux noms est différente. En basque le passage de v à b existe, mais la chute de la latérale n'est pas automatique comme en galicien. L'évolution a donc été : Velasco + -anum > Belask(o) + -ain > Berask(o) + -ain (avec -l- > -r-) > Behask(o) + -ain avec vibrante faible qui s'atténue entre voyelles jusqu'à h (cf. uralde > uhalde, etc.). A la finale non plus, l'évolution n'a pas été la même puisque c'est l'accentuation gasconne qui explique le passage Beháskain > Behásken > Behásque, la forme basque étant Behaskane.

40 16. Beleia/Velegia/Pons Vellegia : l'Itinéraire d'Antonin cite un endroit galicien appelé Pons Vellegia (aujourd'hui Ponte Vea, La Corogne). Le nom paraît devoir être rapproché de celui de la ville des Caristes appelée dans l'Antiquité Ouéleia/Beleia ou Velegia (aujourd'hui Iruña, Alava).

41 17. Bestar : l'anthroponyme médiéval Belastar, San Millán, 952, d'origine basque d'après Gonzalo Díez Melcón29 et dans lequel on croit voir, comme le rappelle Luis Michelena30, le suffixe basque -(t)ar semble se retrouver également dans le nom de la paroisse galicienne de Santa Maria de Bestar (municipalité de Cospeito, Lugo), autrefois Sancta Maria de Valestar, 897, Belestari, 1062. On le rencontre probablement aussi dans le nom de la paroisse également luquoise de San Pedro de Besteiros, autrefois 5. P. de Baestarios, 1164 < *Balestairos < *Balestarios, en galicien i semi-voyelle dans le groupe ry reculant jusqu'à la syllabe précédente : -ry- > -ir-. A cette époque la chute de la latérale intervoca- lique avait déjà eu lieu en galicien.

42 18. Bioron/Biurraran/Biurrun : d'après J. Gifford la rivière galicienne appelée de nos jours Luyña ou Naviego (Orense) était appelée autrefois Bioron, 1112, le nom n'étant manifestement ni d'origine celtique ni latine. Dans le village navarrais de Lesaka (bailliage de Pampelune), il existe une rivière sinueuse appelée tântot Uarte, tantôt Biurgarai et un quartier connu sous le nom de Biurrarango auzua. J. Gifford compare le nom de cette rivière galicienne avec celui du village navarrais appelé Biurrun (Valdizarbe, Pampelune), autrefois Bihurrun, 1272, Biurun, 1345, issu du basque bi (h)ur, « tordu » et -un, « lieu, endroit ». Le nom galicien n'est pas expliqué.

43 19. Buño, la montagne de 738 m. surplombant le village galicien d'Aranga (La Corogne) est appelé Buño, nom que porte également un village proche de la ville de La Corogne. Ces deux noms doivent être vraisemblablement rapprochés du radical oronymique pré- latin bun-31, « hauteur » présent dans le toponyme bas-navarrais Bunus, bunos, 1304 (suivi ici du suffixe aquitanique -os) et également dans le lexique basque actuel sous les variantes nasalisées muno, muño, muno, « colline ».

44 20. Burés et Bares : dans la province de La Corogne – non loin du cap Finistère, autrefois appelé Promonterium Nerio, du nom de la tribu galaïque des Nerio appartenant d'après Pomponius Mela à la vaste confédération des Artabri – dans un endroit montagneux situé en bord de mer, on trouve le village de Burés dont le nom rappelle curieusement le toponyme béarnais Buros dans lequel il faut peut-être voir le thème pré-latin *bur-32,« hauteur » (cf. basque buru, « tête ») variante du radical bun- déjà cité. Dans la province de Pontevedra, on trouve également deux montagnes appelées

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respectivement Buroz et Burizo. A l'extrémité nord-ouest de la province de La Corogne, au milieu d'un littoral extrêmement découpé, une bande de terre atteignant, dans sa partie la plus élevée, une hauteur de 210 m., s'avance dans la mer sur une distance d'environ 5 km. L'endroit est appelé de nos jours Punta da Estaca de Bares. Situé presque à la limite de la pointe de Bares, se trouve le village de Vila de Bares appelé dans l'Antiquité Burum (Ptolémée, II, 6). Ce toponyme galicien de l'époque romaine contient manifestement le vocable pré-indo-européen (et aujourd'hui basque) buru, « extrémité, cime, cap, tête ». L'Itinéraire d'Antonin cite un lieu galicien appelé Burbida situé probablement, d'après D. Ramón Menéndez Pidal, à côté de l'actuelle paroisse de Santiago de Borbén (Pontevedra). Toujours d'après D. M. Pidal, il s'agirait de buru, « cima » et bide, « camino, camino de la montaña »33. Joan Coromines34 pense également qu'il s'agit de buru-bide.

45 21. Caboy et Caaveiro : dans la province de Lugo, on trouve la paroisse de San Martin de Caboi (municipalité d'Otero de Rei) appelée autrefois Calabogi, 959, Cabogi, 1127, Caabogi, 1231 avec chute de la latérale intervocalique. L'élément initial cala- de ce nom galicien est identique à celui qu'on trouve, entre autres, dans le toponyme attesté à l'époque romaine Calagurris (Calahorra), ce dernier étant le nom d'une ville considérée à l'époque comme vasconne. Dans la province de La Corogne, on trouve également le village de Caaveiro, autrefois sci iohannis de calauario, 936 ?, scm. Johannem de Calaueyro, 1199. Toujours dans cette province, une plage et une pointe rocheuse s'avançant dans la mer s'appellent Caveiro. La forme ancienne de ce nom n'est pas connue, mais ici aussi il est probable que le ca- initial est issu d'un plus ancien *cala-, tout comme dans le nom du village luquois appelé Caamonde, issu probablement d'un ancien *calamundi.

46 22. Ceanuri : Alfonso Irigoyen35 avait rapproché le nom de la ville biscaïenne de Ceanuri, dont la forme ancienne n'est pas connue, comme le rappelait Luis Michelena, des nombreux noms de lieux galiciens appelés Ceán, dont celui d'un village de la province de Pontevedra et d'une montagne de La Corogne. Le sens de Ceanuri serait donc « ville de Ceán ». Luis Michelena y voyait un *Azenar-uri avec dissimilation de la vibrante et chute en basque du n intervocalique : « ville d'Aznar »36.

47 23. Cedeira/Cettaria : le village de Cedeira est situé en bord de mer, au nord de La Corogne. A l'époque romaine, il était appelé Cettaria (C = K)37. L'évolution Cettaria > Cedeira est normale en galicien. Une montagne de La Corogne de 600 m. s'appelle également Cedeira. La forme Cettaria doit peut-être être rapprochée du nom du village labourdin appelé Guéthary, autrefois Cattarie, 1193 d'après Paul Raymond, et aussi sans doute du Getaria guipuscoan. En ce qui concerne le village labourdin de Guéthary, on y a retrouvé des traces d'un camp romain, mais la signification exacte du nom n'est pas assurée.

48 24. Deba/Deva : cet hydronyme est d'origine celtique. Le fleuve guipuscoan appelé Deba (c'est aussi le nom d'une ville guipuscoane) séparait dans l'Antiquité le peuple des Caristes (ancêtres grosso modo des Biscaïens actuels) de celui de Vardules (ancêtres grosso modo des Guipuscoans actuels). Le nom est également celui d'un fleuve cantabro- asturien puisqu'il sert aujourd'hui de frontière aux communautés autonomes des Asturies et de Cantabrie, ce fleuve étant situé dans l'Antiquité en territoire cantabre. En Galice, ce nom apparaît écrit tantôt Deva, tantôt Deba : c'est celui d'une rivière traversant les provinces d'Orense et de Pontevedra et c'est également le nom d'une paroisse de Pontevedra.

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49 25. Ego : il y avait chez les Galaïques une ville appelée Egovarri (Pline, I, 227, 7). Ce nom est en rapport, comme on le verra plus loin, avec le nom du fleuve appelé Eo qui sépare aujourd'hui les Asturies de la Galice. Dans l'Antiquité, ce fleuve était situé à l'intérieur du territoire galaïque qui s'étendait jusqu'aux chaînes de montagnes, actuellement en territoire asturien, appelées Sierra del Rañadoiro et Sierra de Uría où commençait alors le pays des Astures transmon-tani, c'est-à-dire grosso modo les Asturiens actuels. Bien que les forme anciennes et médiévales de l'hydronyme Eo soient, d'après Victor Olano Silva et à tort comme on le verra par la suite, Yube, 775, euve, eube, 925, euuio, 1128, Oue, XII e siècle, on peut affirmer que le nom Egovarri est à l'origine de l'hydronyme Eo pour une simple et unique raison : les actuels habitants des rives de ce fleuve aujourd'hui galaïco-astur, c'est-à-dire principalement ceux des villages galiciens de Ribadeo et d'Obe et ceux des villages asturiens de Vegadeo et de Castropol, sont encore de nos jours désignés par le terme générique Egovarros38. Le nom Egovarri cité par Pline rappelle à l'initiale celui de l'actuelle rivière basque appelée Ego, autrefois Ego, 1335 39, cours d'eau passant entre les localités d'Ermua (Biscaye) et d'Eibar (Guipuscoa) et également celui de la rivière navarraise appelée Ega. Au début du XIX e siècle, W. von Humboldt avait analysé ce nom galaïque de l'époque romaine à partir du basque : ego- varri, « nouvelle demeure ». On ne peut lui en tenir rigueur car à son époque, on ne connaissait pas les formes anciennes du nom de ce fleuve. En fait, c'est la connaissance et l'examen des formes médiévales de cet hydronyme qui nous ont permis de comprendre et d'analyser la forme Egovarri citée par Pline : le - i final étant la déclinaison latine (Humboldt n'avait pas compris qu'il s'agissait de la déclinaison latine et c'est pourquoi il avait pensé au biscaïen -barri, « neuf, nouveau »), ce qu'il faut en réalité analyser, c'est la forme Egovarr ou Egobarr. Les pièces du puzzle s'emboîtent à présent toutes les unes dans les autres. Ainsi, ce nom galicien de l'Antiquité doit s'analyser egob-arr, avec le suffixe vascoïde -arr et sa variante -tarr qui servent encore de nos jours en basque à indiquer l'origine : kanboarr, « originaire de Cambo », Baigorriarr, « originaire de Baïgorry », Angeluarr, « originaire d'Anglet », Lapurtarr, « Labourdin », etc. Le nom Egobarr doit signifier « originaire, habitant de Egobe ». On comprend à présent les formes médiévales galiciennes Yube, Eube, Euve, etc. où on a eu affaire en galicien à la chute du -g- intervoca-lique (phénomène de phonétique galicienne) ; d'où Egobe > Eube > oue > Obe, c'est-à-dire aujourd'hui le nom d'un village galicien situé à côté de l'embouchure du fleuve Eo. Victor Olano Silva s'était trompé : Eube, Euve, Oue, etc. ne sont les formes anciennes du nom de ce fleuve, comme il le croyait, l'erreur s'étant perpétuée chez les quelques rares auteurs qui le mentionnent, mais au contraire les formes médiévales du nom de l'actuel village galicien d'Obe. Et ce village s'appelait à l'époque de Pline Egobe, ses habitants étant appelés Egobarr. Le nom a par la suite été latinisé en Egovarri, forme qui existe encore actuellement puisque, on l'a vu, les habitants de la région sont appelés Egovarros. Et que signifie le nom Egobe, aujourd'hui Obe ? Il signifie tout simplement Ego-be, « au pied de l'Ego », c'est-à-dire « à l'embouchure du fleuve Ego », aujourd'hui appelé Eo (chute normale en galicien du -g- intervocalique), le suffixe -be/-pe, encore utilisé de nos jours en basque, signifiant « sous, au pied de, en bas de ». Et Ego, on l'a dit, est le même nom que celui porté encore de nos jours par une rivière basque. On peut donc dire qu'à l'époque romaine, il y avait parmi les Galaïques des peuples qui utilisaient les suffixe -arr et -be (cf. § 10. Asma, supra) indiquant l'un l'origine et l'autre la position, suffixes qui se retrouvent encore de nos jours en basque avec la même signification. Cela nous ouvre manifestement des perspectives sur la Galice pré-romaine.

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50 26. Igón/Igon : il est désormais établi que le toponyme béarnais Igon est d'origine pré- indo-européenne40. Un village de la province de Lugo s'appelle Igon. Il faudrait en connaître la forme ancienne pour savoir de quoi il s'agit exactement.

51 27. Igueldo/Gueldo : une montagne galicienne s'appelle Gueldo (La Corogne), nom qui rappelle curieusement la montagne de Saint-Sébastien appelée Igueldo.

52 28. Izaro/Ézaro : d'après Azkue, l'île située dans la baie de Bermeo (Biscaye) a pour nom Izaro, mot qui pourrait peut-être signifier, toujours d'après cet auteur, « île » en général. Juan Antonio de Moguel, dans son roman intitulé Peru Abarca, dit que le mot signifie « círculo de mar ». On retrouve manifestement le même nom dans la province de La Corogne où un village situé en bord de mer s'appelle Ézaro, l'alternance i-/e- demandant cependant à être expliquée, à moins que le biscaïen Izaro ne soit au contraire issu d'un ancien *ezaro, quoique la langue galicienne connaisse l'alternance vocalique i/e, principalement à l'intérieur des mots : único > úneco, etc. en asturien cette alternance vocalique pouvant se rencontrer également devant une sifflante : historia > hestoria, hestóricu, etc. Le village d'Ézaro, situé à côté du Cap Finistère, se trouve au pied d'une petite montagne qui tombe à pic dans la mer. Le village est situé à l'intérieur d'une toute petite baie en forme de demi-cercle. Le fleuve appelé Xallas ou Ézaro, situé pratiquement au dessus du village, se jetait autrefois directement dans la mer depuis une hauteur de 300 m., ce qui en faisait un spectacle presque unique en Europe. Plus tard, l'entreprise espagnole FENOSA supprima cette chute d'eau. Aujourd'hui, le fleuve se jette dans la mer le long de canalisations qui fournissent de l'énergie électrique. L'équivalence présumée Izaro biscaïen = Ézaro galicien avait déjà été remarquée et soulignée par Carlos Jordán Cólera41, qui compare également, entre autres, les hydronymes Isara et Ésera, ce toponyme galaïcobasque n'étant sans doute pas, comme le pensaient Azkue et Moguel, un mot basque, mais plutôt un mot d'origine inconnue où il faudrait voir la racine, vraisemblablement hydronymique, *iz- ou *ez-, Carlos Jordan Cólera allant jusqu'à proposer une racine hydronymique paléo-européenne *eis/*is, « se mouvoir avec rapidité, violemment ». Dans le nom Iso (nom d'une rivière de province de La rogne), il semblerait qu'il y ait également cette racine. Un village de Lugo s'appelle Izá (oxyton). Le nom semblerait être issu de l'anthroponyme celte Iccius, son dérivé étant Iccianus42. Ce nom galicien n'a très probablement rien à voir le toponyme navarrais Iza, autrefois Hiiça, Hiiza, 1124, issu manifestement du basque i (h)i + -tza, « jonchaie ».

53 29. Langara/Láncara : un quartier du village alavais d'Arratzu-Ubarrundia est appelé Langara, nom qui se retrouve dans celui d'un village, d'une montagne et d'une vallée de la province de Lugo appelés tous les trois Láncara (proparoxyton), au moyen âge également lancara (cf. GGRG), en basque la sonorisation de l'occlusive après n étant normale : *Lankara > Langara. Le village galicien est connu car il s'agit du village natal du père de Fidel Castro. D'après Moralejo Lasso43, qui cite Johannes Hubschmid, un suffixe - ara atone semble se rencontrer dans plusieurs toponymes : Bracara (aujourd'hui Braga), Lózara (Lugo), Tállara (La Corogne), Tábara (Zamora), etc. et dans les vocables cáscara, gándara, etc. Luis Michelena cite également le toponyme et patronyme basque Langarika (quartier d'Iruraitz-Gauna, Alava) dans lequel le suffixe -ika, très abondant en Biscaye et en Alava serait d'origine celtique. Curieusement, ce suffixe, dont l'origine celte semble faire l'unanimité, n'est presque pas représenté dans la toponymie galicienne. Un seul village situé en bord de mer semble le porter : Malpica de Bergantiños (La Corogne) qui doit être cependant une formation tautologique : *mal, « hauteur » et pico/

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pica > Malpica, le village étant situé sur une presqu'île en forme de colline, une montagne de Lugo et une autre d'Orense s'appelant également Malpique < *Malpico. Le suffixe -ica semble figurer dans le nom de quelques hameaux : Chafarica (Lugo) et Arcabrica (Orense) et peut-être dans le nom du cap appelé Cabo de Nariga (< *Narica) ainsi que sans doute dans les endroits connus sous les noms de Punta de Pelica et Monte de Subica (tous situés dans province de La Corogne). Dans ces noms galiciens, il faut noter l'absence de sonorisation de l'occlusive sourde intervocalique. En théorie pourtant, ces dernières devraient toutes se sonoriser de façon systématique en galicien. L'évolution du nom du village de Lugo appelé Parga est à ce propos significative : Aparraca ou Aparraqua (époque romaine, cf. tribu galaïque des Aparraques) > Parraqua > Párrega, 1178 et Párraga (maison noble et seigneuriale) > Parga (nom actuel). Ainsi, on aurait dû avoir : -ika > -iga comme cela est le cas dans le nom Nariga, issu manifestement de *Narica. Mais curieusement cela n'est pas le cas pour les autres : Subica, Pelica, etc.

54 30. Larrate : il existe en Navarre deux lieux appelés Larrate. Le premier est le nom d'un lieu-dit qui se trouve dans la municipalité de Fitero, Larrate de Vinuelas, 1254, aujourd'hui La Rate (municipalité située dans l'extrême sud de la Navarre et appartenant au bailliage de Tudela) et le second est le nom d'une colline située à côté du village de Carcastillo (bailliage de Tudela, la rat, 1319 et la Rate, 1844). Plusieurs auteurs, dont, entre autres, Jesús Arzamendi, Ricardo Ciérbide44 et Luis Michelena, y voient probablement un nom basque : « porte, passage de la lande » ou « lieu de landes » si le suffixe -ate est ici une variante du suffixe locatif -eta. Erlantz Urtasun 45 pense que ce nom pourrait être une preuve de l'emploi autrefois de la langue basque dans cette région. Cependant, J. Giffford fait état d'un toponyme galicien Larrate en 853 (province d'Orense). Considérer que ce nom galicien médiéval est un basquisme s'avère délicat. Par conséquent, on peut raisonnablement douter de la basquité des deux toponymes navarrais précités.

55 31. Lea/Lena : un village de la province de Lugo a pour nom Lea, la forme ancienne étant probablement *Lena. Le nom du fleuve biscaïen qui a son embouchure dans la ville de Lekeitio s'appelle Lea. La chute du n intervocalique étant, comme en galicien, constante en basque, on peut supposer ici aussi que la forme ancienne de cet hydronyme biscaïen était *Lena. Un fait viendrait confirmer cette hypothèse : un village asturien a pour nom Lena (consejo ou conseil municipal de Pola de Lena, sud des Asturies). On considère en règle générale qu'il s'agit du vocable pré-romain *lena, « dalle de pierre » présent dans les Alpes et les Pyrénées46. En asturien, contrairement à ce qui se produit en galicien, en basque et en gascon, les n intervocaliques ne s'effacent pas. Au XVIe siècle, la véritable forme asturienne était Llena car dans cette région l'asturien palatalise systématiquement les l- à l'initiale47, le nom ayant été par la suite espagnolisé : *lena > Llena > Lena (forme espagnole).

56 32. Lorbé/Lurbe : le petit village de Lorbé (oxyton), situé à côté de la ville de La Corogne, se trouve en bord de mer dans une région où la côte, surnommée « la Côte de la Mort » (A Costa da Morte), est très découpée et regorge de falaises. Les formes anciennes de ce nom ne semblent pas, sauf erreur, être connues. Le nom ressemble à celui porté par le village béarnais de Lurbe (Lurbe-Saint-Christau), autrefois Lurbe, 1385, qui s'explique par le basque lur, « terre » et -be, « sous », c'est-à-dire sans doute, d'après Michel Grosclaude, « terre basse ». Seules les formes anciennes de ce nom galicien nous permettraient probablement de savoir de quoi il s'agit exactement. Quoi qu'il en soit, ce nom n'a jamais été expliqué.

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57 33. Mahía/La Mahía/Amaya/Amaia/A Mahía : ce nom désigne actuellement une vallée, une paroisse, une montagne, un archiprêtre et une juridiction de La Corogne. La Mahía est une forme espagnolisée (confusion avec l'article la), A Mahía étant une forme galicienne (confusion avec l'article galicien a), issues toutes les deux d'une forme plus ancienne Amaía. Dans l'Antiquité, dans le pays de la tribu galaïque des Amaaecï48, le territoire appelé Amaya (époque romaine) s'étendait en direction du sud le long de l'actuelle rivière appelée Sar et vers le nord jusqu'au fleuve appelé Tambre. A l'extrémité nord-est de ce territoire, où se trouve aujourd'hui le village d'A Mahía ou Mahía, il y avait autrefois une petite montagne qui se prolongeait vers le nord du côté où la pente était la plus douce. C'est à cet endroit que fut construite la ville de Saint- Jacques-de-Compostelle. Il faudrait peut-être rapprocher ce toponyme des nombreux microtoponymes Amaia qu'on rencontre en Navarre (Leache, Bertizarana et vallée de Linzoáin) et probablement aussi du nom du village appelé Maya (vallée du Baztan, autrefois, Amaia, 1208, Amaya, Amayer, Amayr, 1192-1208, Maia, 1270, Maya, 1234, en basque Amaiur, autrefois amayur, 1208) ainsi que, sans doute, des nombreux toponymes Amaya qui se rencontrent en Espagne, dans les provinces de Burgos – où on trouve la localité historique et la montagne (1362 m.) appelées respectivement Amaya et Peña de Amaya qui servaient dans l'Antiquité de frontière méridionale au pays des Cantabres –, Avila, Guadalajara, voire même peut-être, mais ce n'est pas sûr, des toponymes Maya qu'on rencontre dans les provinces de Salamanque et de Grenade. On aurait eu affaire à un mauvais découpage : La Amaya > La Maya > Maya, le sens étant sans doute « confins, limites ». En ce qui concerne le toponyme galicien, en théorie la chose ne serait pas totalement invraisemblable car le village appelé A Mahía ou La Mahía, certains auteurs galiciens écrivent Amaia, est situé à l'extrémité nord du territoire ou vallée auquel il son donne son nom. Rappelons également que le village navarrais de Maya ou Amaiur est le dernier village de la vallée de Baztan avant le col d'Otxondo (570 m.), les villages de Zugarramurdi et d'Urdax, situés après ce col, ne se trouvant pas à proprement parler dans la vallée. En ce qui concerne l'Amaya cantabre. Schulten, qui cite Holder, pense qu'il s'agit d'un nom celtique.

58 34. Meano : le village navarrais appelé Meano (vallée d'Aguilar, bailliage d'Estella) se retrouve, comme le souligne J. Gifford, dans la province de Pontevedra sous la forme Meano (avec -ñ- intervocalique).

59 35. Oka/Oca : le fleuve traversant la ville biscaïenne de Gernika (forme basque et officielle) s'appelle Oka. Le nom se retrouve en Galice. Il s'agit du nom de trois villages de La Corogne : Oca, Oca de Abaixo et Oca de Enriba. Pour les toponymes Oca, il faut se reporter à l'article d'Alfonso Irigoyen49.

60 36. Oróns/Oronz : le nom du village navarrais appelé Oronz (vallée de Salazar, bailliage de Sangüesa), en basque Orontze, n'est toujours pas expliqué. Un village de la province de La Corogne s'appelle Oróns.

61 37. Sada : en Navarre, on trouve le village de Sada, 1112, en basque Zare, 1127 (bailliage de Sangüesa). P. Salaberri50 a essayé de comparer, en vain comme il reconnaît lui- même, la forme basque Zare avec le toponyme labourdin Sara, sare 1289 (en français Sare). La forme Zare n'est rien d'autre qu'un avatar basquisé et populaire du nom Sada, l'alternance -d- > -r- entre voyelles étant extrêmement courante en phonétique basque comme le rappelle Henri Gavel. Ce qu'il faut expliquer, c'est Sada. Il s'agit, comme le rappelle J. Gifford, du même nom que celui de la ville galicienne de Sada située à côté de La Corogne. L'explication du nom donnée par ce dernier est tout à fait satisfaisante : ce

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toponyme basco-galicien est issu du latin satus, plu. sata, « terres ensemencées » avec sonorisation normale en galicien du -t- intervocalique. En Navarre, la sonorisation, ici d'origine obligatoirement romane, a également eu lieu comme dans le toponyme également navarrais et voisin Artieda, arteda, 1178 (vallée d'Urraúl, Sangüesa).

62 38. Senari : une inscription funéraire aquitanique découverte près de Luchon (Cazaril- Laspène, Haute-Garonne) porte l'épitaphe suivante : Hotarri. Orcotarris. f (ilio)/ Senarri [datif]. Eloni. filiae/Bontar. Hotarris. f(ilius). ex. tes-tamento. Comme le rappellent Julio Caro Baroja, Luis Michelena et Joaquín Gorrochategui, on ne sait pas exactement s'il faut lire Sentarri (d'après Ricci) ou Senarri (d'après Sacaze). En Galice, un hameau de la paroisse de Santiago de Entrambasaguas (municipalité de Guntín, Lugo) a pour nom Sear. L'endroit est dit en 897 Scti. iacobi de Senari quae dicitur de intra ambas aguas. A notre connaissance, ce fait n'est rapporté par aucun auteur. L'amuïssement, normal en galicien, du -n- intervocalique explique la forme moderne Sear. Dans dans la province de Pontevedra, un hameau porte le même nom. En outre, l'Itineraire d'Antonin cite chez les Astures augustani (actuelle province de Léon) un lieu appelé Uttaris (probablement le village appelé Ruitelán, Léon) qui ressemble au nom aquitanique Hotarris (génitif). Dans sa récente thèse de doctorat ayant pour objet l'anthroponymie médiévale galicienne du VIIIe au XIII e siècle, Ana Isabel Boullón Agrelo cite les noms de personne galiciens Oihenia et Hahanxi, les deux étant féminins, qu'elle compare au vocable basque oi(h)an, « forêt » et à l'anthro-ponyme féminin aquitain Hahanni figurant sur une inscription retrouvée dans la ville de Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne).

63 39. Tamariz/Tamaráz/Tamaris/Támara/Tambre : Julio Caro Baroja 51 cite le toponyme Tamariz qui désigne, précise-t-il, une montagne navarraise. Il s'agit également, dit Julio Altadill, d'une corraliza ou basse-cour située sur la route qui va d'Alfaro à l'Ebre. On retrouve le toponyme dans le nom de lieu galicien Tamaríz cité par D. Ramón Menéndez Pidal. Il s'agit également de la forme ancienne du nom du fleuve galicien connu aujourd'hui sous le nom de Tambre (La Corogne) : Tamaris flumen (époque romaine), uillam de anna in Pistomarcos in ripa Tamaris, X e siècle > Tamare, 934 > Tambre. D'après notre auteur, il représente le peuple, non celtique selon Meyer-Lübke, des Tamarici ou Tamarak cité par Mela et Pline et qui habitait au bord du fleuve galicien Tamaris, également connu par les auteurs greco-latins sous le nom de Tamara, nom qui est encore de nos jours porté par une rivière de La Corogne : río Támara (proparoxyton). Il s'agit en outre d'un prénom encore utilisé de nos jours dans le Caucase, une reine de Géorgie (1184-1212) l'ayant autrefois porté. Ptolémée dit qu'il y avait dans le pays des Cantabres (c'est-à-dire grosso modo l'actuelle communauté autonome de Cantabrie, cette région étant également surnommée La Montana) une ville appelée Tamarica, capitale probable, d'après Julio Caro Baroja52, de la nation ou lignée cantabre des Tamarici. Certains auteurs lisent Camarica au lieu de Tamarica (cf. suffixe -ica/-ika, § 30).

64 40. Treviño : en Pays Basque, on trouve le comté de Treviño. Bien qu'enclavé dans la province d'Alava, il dépend d'un point de vue administratif de la province espagnole de Burgos. Le nom est issu, dit Julio Caro Baroja, du latin. Il est également porté par un village de La Corogne.

65 41. Tena/Tea : bien qu'elle ne soit pas située en Pays Basque, il faut citer la rivière aragonaise appelée de nos jours Gállego (proparoxyton) qui était située dans l'antiquité dans le territoire des , voisins des Vascones. Elle devait servir vraisemblablement, d'après Julio Caro Baroja, de frontière à ces deux peuples. Au moyen âge, elle est appelée Gallico, Gallecum, Gallegum, Gallicus, XI e siècle. Cette rivière

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aragonaise divise en deux parties une vallée connue sous le nom de Tena (valle de Tena), dont le nom est déjà documenté en 1076 : usque ad montes gaelicos cum tota Tena53. Ce nom se retrouve en Galice, dans la province de Pontevedra. Il désigne une vallée et une rivière : río Tea et valle de Tea, autrefois, Tena, ripa Tenae, XII e siècle. La chute du -n- intervocalique est normale en galicien.

66 42. Ulía/Uli/Uría : les toponymes navarrais Uli (village d'Uli-Alto, Uli en 1052, vallée d'Arce, bailliage de Sangüesa) et Uli (vallée de Lónguida, Sangüesa) sont considérés comme étant d'origine inconnue. Au XVIe siècle, les bascophones appelaient ces endroits Uli (aujourd'hui Ulibeiti d'après Euskaltzaindia) et Uliberri, « nouvel Uli ». Mais le nom n'aurait, semble-t-il, aucun rapport avec le nom également navarrais Ulibarri, « ville neuve », Uriuarri la mayor, 1277 (vallée de Lana, bailliage d'Estella) comme l'indique Julio Caro Baroja qui rappelle que le nom de la vallée d'Arce « en la parte occidental y meridional de navarra podría equipararse a « uli » o « uri » en compuestos. No aquí »54. Le nom étant considéré comme énigmatique, aucun auteur n'émet d'hypothèse. Le nom navarrais Uli paraît correspondre à celui du fleuve galicien appelé aujourd'hui Ulla, autrefois fluuii Ulia, 883 ; Ulia, 934 ; la palatalisation ultérieure de la latérale étant normale en galicien. Le nom ancien de ce fleuve galicien est identique, comme l'avait déjà noté Humboldt55, à celui que porte encore de nos jours la montagne guipuscoane appelée Ulia (227 m.), située entre Saint-Sébastien et Le Passage de Saint- Jean et dont la signification exacte n'est pas connue. Une des chaînes de montagnes qui séparaient dans l'Antiquité les Galaïques des Astures a de nos jours pour nom Sierra de Uría. Peut-être faut-il également rapprocher cet orony-me asturien, dont la forme ancienne nous est inconnue mais qui semble cependant être très ancien, de celui qu'on trouve en Guipuscoa ainsi que de l'hydrony-me galicien. Strabon (Géographie, III, 2, 1) mentionne plusieurs villes du sud de l'Espagne (actuelle Andalousie), dont une située sur une montagne et appelée Ulia : « Après ces villes viennent [les villes d'] Italica et Ilipa, situées sur le Bétis [Guadalquivir], Astigis, à quelque distance du fleuve, Carmo, Obulco ; puis, dans la région où furent vaincus les fils de Pompée, Munda, Atégua, Urso, Tuccis, Ulia et Aegua, toutes peu éloignées de Corduba [Cordoue] ». Humboldt avait déjà souligné l'équivalence Ulia galicien = Ulia guipuscoan (où le groupe vocalique -ia- ne forme pas une diphtongue et dont le nom est « graphié » Ulia en espagnol) = Ulia ville de la Bétique (époque romaine).

67 43. Uriz/Oriz : les noms des villages navarrais de Úriz, en basque Uritz (vallée d'Arce) et de Óriz, en basque Oritz (vallée d'Elorz, bailliage de Sangüesa) se retrouvent dans ceux des villages galiciens appelés Uriz et Oriz (province de Lugo). La seule différence qui existe entre eux est la suivante : les galiciens sont oxytons alors que les formes espagnoles des toponymes navarrais sont accentuées sur la pénultième.

68 44. Urrós : dans la municipalité galicienne d'Allariz (Orense), on trouve un hameau appelé Urrós (oxyton). Ce nom est apparemment identique, comme le signale J. Gifford, à ceux portés par les villages navarrais d'Urrotz (vallée de Malerreka, Pampelune) et d'Urroz (bailliage de Sangüesa). G. Rohlfs cite la localité aragonaise appelée Urriés56. Si le toponyme Urriés est issu, comme le pense cet auteur, de l'anthroponyme non attesté *Urrus, ce qui est cependant peu probable dans le cas du toponyme aragonais, alors il devrait en être de même pour le nom galicien Urrós, avec cependant ici une déclinaison en -o, -onis (génitif) au lieu du suffixe aquitanique : *Urrus > *urronis > *urrones (avec évolution romane et normale du -i- dans -on/5 qui passe à -ones) > *urroes (chute

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normale du n intervocalique) > *urrois > urrós. Quoi qu'il en soit, ce nom galicien reste inexpliqué.

69 45. Ustariz : dans la municipalité d'Otero de Rei (Lugo), une petite montagne est connue sous le nom de Monte de Ustariz. Cet oronyme galicien est probablement un anthroponyme d'origine germanique, sans doute Ost-/Austericus (cf. M.-Th. Morlet) > (villa) *Osterici > Osteriz/Ostariz/Ustariz. On le retrouve vraisemblablement dans le toponyme navarrais Osteritz, autrefois Ostariz, 1280 (vallée d'Esteribar, Sangüesa), étant donné que plusieurs villages navarrais, portent un nom germanique comme, par exemple, celui appelé Oderitz (vallée de Larraun, bailliage de Pampelune) dont l'origine germanique est établie : Odericus attesté en 861 (cf. Marie-Thérèse Morlet), d'où (villa) *Oderici > Oderiz, en basque Oderitz. En ce qui concerne le toponyme labourdin Ustaritz, il faut se reporter à l'ouvrage de Jean-Baptiste Orpustan.

70 46. Viscaya : un hameau de la paroisse de San Pedro de Láncara (Lugo) s'appelle Viscaya, sans qu'on en connaisse la raison exacte. Une région située dans la vallée navarraise d'Aibar est également appelée Viscaya, le nom étant orthographié le plus souvent en basque Bizkaia.

71 47. -car : on n'a pas réussi à expliquer les toponymes navarrais Añézcar (Ansoáin, bailliage de Pampelune), Úcar (Valdizarbe, bailliage de Pampelune) et Osácar (vallée de Juslapeña, bailliage de Pampelune), l'élément final -car ne pouvant être éclairci. On a essayé toutefois de rapprocher le premier du vocable soule-tin ainazkar, añazkar, « bruyère », les deux autres restant complètement énigmatiques. Dans la province de La Corogne, on trouve de nos jours le patronyme galicien Igléscar et dans la province d'Orense un village appelé Anícar, l'élément final étant inexpliqué. En Espagne, on trouve les toponymes Iscar (Valladolid, Castille-la-Vieille) et Izcar (Cordoue, Andalousie) où l'élément -car apparaît également.

72 Cet article ne constitue qu'un simple survol d'un sujet qui demande à être approfondi car la toponymie présumée d'origine pré-indo-européennne est très abondante en Galice et malheureusement trop souvent délaissée. Le fait que plusieurs cartulaires galiciens, représentant des milliers d'archives médiévales, n'aient toujours pas été, on l'a dit, dépouillés, étudiés et édités constitue malheureusement encore un frein en ce qui concerne la poursuite de ces recherches topo-nymiques.

73 D'autre part, si on écarte les similitudes toponymiques dans lesquelles nous avons manifestement affaire à des anthroponymes d'origine latino-romane, voire germanique, similitudes toponymiques galaïco-basques, parfois hypothétiques, souvent indéniables, qui demanderaient cependant à être expliquées, il reste plusieurs similitudes ui posent problème.

74 En effet, il reste à expliquer le pourquoi des doublets toponymiques galaïco- guipuscoano-biscaïens Ézaro/Izaro, Lea/Lea (et le Lena asturien), Oka/Oca, UlialUlía (et peut-être les deux Uli navarrais), Deva/Deba, Ego/E(g)o, Igueldo/Gueldo, pour ne citer que les plus curieux d'entre eux et, surtout, à expliquer pourquoi ils ne peuvent pas manifestement s'expliquer par le basque.

75 Cela nous renvoie à un vieux débat qui n'a jamais été résolu de façon définitive et qui concerne la basquité originelle des Caristes et des Vardules ou, si on préfère, la basquité première des Biscaïens et des Guipuscoans de l'Antiquité. Il s'agit d'une question très ardue comme le reconnaissent, entre autres, Joaquín Gorrochategui et Luis Michelena.

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76 A. Schulten57 fut l'un des premiers à défendre l'idée selon laquelle les Caristes et les Vardules, et à plus forte raison, les (les habitants grosso modo des actuelles Encartaciones biscaïennes et de la partie nord-est de la province de Burgos) et les (c'est-à-dire grosso modo les actuels habitants de la Rioja) n'étaient peut-être pas des proto-Basques mais, au contraire, des peuples d'origine indo-européenne ou, tout au moins, des peuples parlant une langue indo-européenne. Mais ce sont surtout, reconnaissait Luis Michelena, les travaux du savant espagnol D. Manuel Gómez- Moreno58, à l'origine du déchiffrage de l'alphabet ibérique, qui vinrent appuyer de manière convaincante cette thèse.

77 Pour contourner la difficulté posée par les travaux de ce dernier et dont la valeur était incontestable, ceux de Schulten étant plus discutables, Luis Michelena et par la suite Joaquín Gorrochategui firent appel à la sociolinguis-tique. Autrement dit, les Caristes et les Vardules – les Vascones posant également un autre problème que nous n'aborderons pas ici, l'origine celtique des Autrigones et des Berones étant généralement admise – utilisaient une anthroponymie et une toponymie indo- européennes tout en parlant basque ou plutôt protobasque. Luis Michelena, qui manifestait une certaine réticence à l'égard de l'idée selon laquelle les Caristes et les Vardules n'étaient pas des proto-bascophones, reconnaissait cependant que « aunque nos esforcemos de atenuar por todos los medios la fuerza de estos testimonios [indo- européens en Pays Basque], tendremos que acceptar que su coincidencia dificilmente puede explicarse sin admitir que gentes de habla vasca conocían y usaban también, en mayor o menor núméro, algún dialecto indoeuropeo »59. On le voit, Luis Michelena admettait que les Caristes et les Vardules devaient nécessairement parler une langue autre que le proto-basque, mais il préférait cependant penser, contrairement à D. Gómez-Moreno, qu'il s'agissait quand même de proto-Basques.

78 A cela vient s'ajouter encore une autre question : celle de l'origine des dialectes basques, notamment ceux du Pays Basque méridional. Tous les spécialistes admettent qu'en basque les divergences dialectales s'estompent au fur et à mesure que l'on remonte dans le temps jusqu'aux premiers textes basques connus, ce qui à terme signifie nécessairement, comme le rappelle Luis Michelena60, qu'il a dû exister autrefois une langue commune.

79 Là où la question prend une tournure des plus complexes est qu'on ne s'explique pas alors « la remarquable similitude – souligne Beñat Oyharçabal – entre les aires couvertes par le navarrais et biscaïen en Guipuscoa, et les territoires occupés il y a deux mille ans les Vascones et les dans leur voisinage avec les Varduli »61. Autrement dit, en se basant sur les données fournies par le géographe Ptolémée, les démarcations territoriales qui étaient dans l'Antiquité celles des peuples ou tribus appelés respectivement Caristes, Vardules et Vascones correspondent exactement aux aires dialectales modernes du biscaïen, du guipuscoan et du haut-navarrais septentrional, tout au moins dans leur partie septentrionale là où la langue s'est conservée jusqu'à nos jours. Cela sous-entend qu'au début de notre ère les principaux dialectes méridionaux existaient déjà, ce qui semble être manifestement en contradiction avec le fait, admis par tous les spécialistes, qu'en basque les divergences dialectales s'atténuent au fur et à mesure qu'on remonte dans le temps.

80 Pour contourner cette difficulté, Julio Caro Baroja proposa une hypothèse allant dans le sens de celle émise par D. Gómez-Moreno. D'après lui, il n'était pas invraisemblable de supposer que les Vardules et les Caristes constituaient des fractions issues de la nation

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des Cantabres qui, ayant acquis une certaine importance au fur et à mesure passait le temps, seraient devenues « autonomes », c'est-à-dire qu'on aurait eu affaire à « una desmenbración de la estirpe cántabra, pare-cida a otras que se observaron en sociedades regidas por el sistema de linajes en que, pasando un número determinado de generaciones, las ramas van tomando nombres propios » étant donné, ajoute-t-il, que les inscriptions de l'époque romaine « nos reflejan que en este orden vúrdulos y caristios eran parientes, afines, de los cántabros y astures » et que par conséquent cela « nos obliga a plantearnos de nuevo el problema del que pudiéramos llamar cantabrismo de los pueblos del Noroeste litoral, que una crítica rigurosa parecía haber reducido a cero »62.

81 En résumant un sujet qui est complexe, les tribus, présumées alors canta-briques, des Caristes (Biscaïens) et des Vardules (Guipuscoans) et parlant une langue indéterminée, peut-être indo-européenne, mais nécessairement différente du proto-basque, auraient, à une date et pour des raisons qui nous échappent, été basquisées ou plutôt « vasconnisées ». Il faut reconnaître que cette hypothèse présente quelques avantages : 1°. elle expliquerait pourquoi les anciens territoires des Caristes et des Vardules correspondent exactement aux actuelles divisions dialectales méridionales ; autrement dit, ces deux peuples de l'antiquité se seraient mis à parler proto-basque tout en conservant dans leur manière de le parler certains traits de leur langue primitive et jusqu'à présent indéterminée, ce qui expliquerait la singularité du parler guipuscoan et surtout celle du dialecte bis-caïen ; 2°. elle expliquerait pourquoi Jules César, relatant la conquête de l'Aquitaine menée par son lieutenant Crassus en 56 av. J.-C, parle « des cinquante mille hommes fournis par l'Aquitaine et le pays des Cantabres »63, ces derniers étant accourus au secours des premiers, quoique certains y aient vu une erreur – hypothétique cependant – de César qui aurait confondu les Caristes et les Vardules avec les Cantabres « authentiques » ; 3°. elle expliquerait, enfin, pourquoi on retrouve en Galice certains toponymes, hydronymes et oronymes biscaïens et guipuscoans apparemment inexplicables par le basque.

82 Néanmoins, cette hypothèse sur le cantabrisme présumé des peuples du nord-ouest de la péninsule n'explique pas pourquoi les Caristes, les Vardules et les Autrigones, s'ils appartenaient véritablement à la nation des Cantabres, ne prirent pas part, pas plus que les Vascones d'ailleurs, à la guerre que les Galiciens, les Asturiens et les Cantabres menèrent contre Rome.

83 Une guerre totale qui dura dix ans64 (29-19 av. J.-C.) et qui provoqua la venue sur place de l'empereur Auguste en personne, ce dernier allant même jusqu'à faire une dépression. Il faudrait aussi supposer que les Autrigones n'auraient pas été affectés par cette présumée « vasconnisation » dont nous avons fait mention puisque, semble-t-il, il n'existe pas d'éléments tendant à montrer un emploi autrefois de la langue basque dans ce qui constituait leur territoire, pays qui englobait, entre autres, les actuelles Encartaciones biscaïennes.

84 Une autre possibilité effleurée, entre autres, par Julio Caro Baroja, est de supposer que les Caristes et les Vardules n'appartenaient plus à la nation des Cantabres tout en étant néanmoins d'origine « cantabroïde » (et non pas « vascoïde ») ou encore qu'ils n'étaient ni d'origine « cantabroïde » ni « vascoïde »65, leur origine restant indéterminée.

85 Cela étant, on ne sait toujours pas quelle était l'origine exacte des Cantabres et des Astures, pas plus que celle des Galiciens, excepté qu'il est certain qu'il y avait parmi ces peuples, comme au demeurant chez les Caristes et les Vardules, des populations

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d'origine celtique. On pourrait également admettre que les Caristes et les Vardules étaient d'origine vascoïde ou, si on préfère, qu'ils parlaient proto-basque, mais cela implique nécessairement, pour les raisons évoquées plus haut, que les dialectes appelés de nos jours biscaïen et guipuscoan existaient déjà il y a deux mille ans, ce qui s'avère également problématique.

86 L'affaire, on l'aura compris, est complexe car d'un autre côté plusieurs toponymes galiciens ne semblent pas explicables par une langue celtique.

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NOTES

1. « Elementos prelatinos en las lenguas romances hispánicas », Actas del I Coloquio sobre lenguas y culturas prerromanas de la Peninsula Ibérica, Salamanca, 1974. 2. Toponimia Prerrománica Hispánica, Gredos, Madrid, 1968. 3. « Remarques sur les substrats ibériques, réels ou supposés dans la phonétique du gascon et de l'espagnol », Revue de Linguistique Romane, T. XII, 1936, n° 45-46. 4. La teoria del sustrato y los dialectos hispano-romances y gascones, Madrid, 1955. 5. Sobre la lengua vasca, Estudios Vascos, T. IX, Éd.. Txertoa, 2e éd, Saint-Sébastien, 1988, p. 50. 6. Los pueblos del norte de la Peninsula Ibérica, 3e éd., Txertoa, Saint-Sébastien, 1977, pp. 37-38. 7. CARRÉ ALDAO, E., GGRG = Geografia General del Reino de Galicia, 13 vol., sous la direction de F. Carreras y Candi, Ediciones Gallegas, Editorial La Gran Enciclopedia Vasca, La Corogne-Bilbao, 1980, in « Vias romanas y viejos caminos », T. I, chap. X, pp. 265-280 ; « Demarcaciones históricas », T. I, chap. XI, pp. 281-311. 8. GAVEL, H., « Du nom de Bayonne et de quelques autres », BSSLAERB, n° 7, 1931, pp. 38-39. 9. EUSKALTZAINDIA, Onomasticon Vasconiae 4. Actas de las Ijornadas de onomástica, toponimia, Vitoria-Gasteiz, abril 1986/1 onomastika jardunaldien agiriak. Toponimia, Gasteiz, 1986ko apirila, Éd.. Euskaltzaindia, 1991, p. 221. 10. Sobre la lengua vasca, Estudios Vascos, T. IX, Éd.. Txertoa, 2e éd, Saint-Sébastien, 1988, p. 51. 11. CABEZA QUILES, F., Topónimos de Galicia : a súa orixe e o seu significado. Éd.. Montes e fontes, Xerais, 1992, p. 9. 12. CABEZA QUILES, F., op. cit., p. 10. 13. « Sur une couche préromane dans la toponymie de Gascogne et de l'Espagne du nord », RFE, 26, 1952, p. 227. 14. Apellidos Vascos, § 18. 15. « Nomes de posssessores latino-cristāos na toponimia asturo-galego-portuguesa », Biblos, 23, 1948, p. 170. 16. Sobre toponimia del pais vasco norpirenaico. Université de Deusto, 1990, pp. 16-17. 17. Apellidos Vascos, § 54. 18. LECUONA, M., « El euskera en Navarra a fines del siglo XVI », Geografia histórica de la lengua vasca (siglos XVI al XIX), Collection Aunamendi, 1960, p. 134. 19. COROMINES, J. & PASCUAL, J. A., Diccionario crítico etimológico castellano e hispánico, 5 vol., Gredos, 1980, T. I, p. 325. 20. « Sur une couche préromane dans la toponymie de Gascogne et de l'Espagne du nord », RFE, 26, 1952, pp. 229-230. 21. Op. cit., pp. 53-54.

Lapurdum, 3 | 1998 28

22. JAUPART, F., Le nom de Bayonne, les lieux, les personnes. T. I et II, Bayonne, 1981, p. 17. 23. Toponimia Prerrománica Hispánica, Gredos, Madrid, 1968, p. 32. 24. Materiales para una historia de la lengua vasca en su relación con la latina, Estudios Vascos, XIX, Université de Salamanque, 1945, rééd. Éd. Txertoa, Saint-Sébastien, 1990, p. 216. 25. GULÍAS LAMAS, X. A., Beariz de Montes : Aspecto antropolóxico, histórico e cultural dun pobo, Éd. Concello de Beariz, Orense, 1992. 26. IGLESIAS, H., « Le toponyme Biarritz », FLV, n° 78, 1998, pp. 281-288. 27. Toponymie basque, § 6. 28. Op. cit., § 53. 29. DÍEZ MELCÓN, G., Apellidos castellano-leoneses (siglos IX-XIII, ambos inclusive). Université de Grenade, 1957, p. 123. 30. Textos arcáicos vascos, p. 25. 31. DAUZAT, A. & ROSTAING, Ch., Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France, Éd.. Guénégaud, Paris, nouvelle édition 1989, p. 124. 32. DAUZAT, A. / ROSTAING, Ch., op. cit., p. 125. 33. Toponimia Prerrománica Hispánica, Gredos, Madrid, 1968, p. 119, n. 29. 34. AGUD, M. & TOVAR, A., Diccionario etimológico vasco, ASJU, XIII, XIX, XXIV, XXVI, XXX, XXXVII, T. III, Saint-Sébastien, 1989-1993, pp. [40-41]. 35. « Miscellanea toponymica et anthroponymica (III) », De re philologica linguae uasconicae IV, pp. 213-224, 1992. 36. Apellidos Vascos, § 119. 37. CARRÉ ALDAO, E., op. cit. 38. GARCIA ARIAS, X. Ll., Pueblos asturianos : elporqué de sus nombres. Éd.. Ayalga, Collección Popular Asturiana, Gijón, 1977, p. 98. 39. SAN MARTÍN, J., « Introducción a la toponomástica guipuzcoana/Gipuzkoar toponomastikarako sarrera », in EUSKALTZAINDIA, Onomasticon Vasconiae 4. Actas de las I jornadas de onomástica, toponimia, Vitoria-Gasteiz, abril 1986/1 onomastika jardunaldien agiriak. Toponimia, Gasteiz, 1986ko apirila, Éd. Euskaltzaindia, 1991, p. 270. 40. RAVIER, X., « Le suffixe toponymique pyrénéen : « -un »... », Via Domitia, 1963, pp. 64-68 41. « De la raiz *IZ- « agua » en vasco », FLV, n° 78, 1998, pp. 267-279. 42. MORALEJO LASSO, A., Toponimia gallega y leonesa, Éd. Pico sacro, Saint-Jacques-de- Compostelle, 1977, p. 66. 43. Toponimia gallega y leonesa. Éd. Pico sacro, Saint-Jacques-de-Compostelle, 1977, pp. 30-31, n. 20. L'auteur y cite Hubschmid, J., Studien zur iberorom. Wortgesch. u. Ortsnamenk. 44. « Notas de toponimia comparada en el valle de Ega y la comarca de la Oliva », in EUSKALTZAINDIA, Onomasticon Vasconiae 4. Actas de las I jornadas de onomástica, toponimia, Vitoria- Gasteiz, abril 1986/1 onomastika jardunaldien agiriak. Toponimia, Gasteiz, 1986ko apirila, Éd. Euskaltzaindia, 1991, p. 142. 45. URTASUN ANTZANO, E., « Fiteroko hainbat toki izen. Hausnarketa », FLV, n° 76, 1997, pp. 497-506. 46. GARCIA ARIAS, X., op. cit., p. 54. 47. GARCÍA ARIAS, X., op. cit., p. 54. 48. CARRÉ ALDAO, E., op. cit. 49. « Sobre los topônimos Oca y su entorno », Symbolae Ludovico Mitxelena septuagenario oblatae, Université du Pays Basque (UPV-EHU), Instituto de Ciencias de la Antigüedad, Vitoria, 1985, pp. 1007-1017. 50. Estaba aldeko euskararen azterketa toponimiaren bidez. Onomasticon vasconiae 11, Euskaltzaindia, Bilbao, 1994, p. 984. 51. Materiales para una historia de la lengua vasca en su relación con la latina, Estudios Vascos, XIX, Université de Salamanque, 1945, rééd. Éd.. Txertoa, Saint-Sébastien, 1990, p. 204.

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52. Op. cit., p. 204. 53. Sobre el mundo ibérico-pirenaico : datos, nuevas ideas sobre el Iberismo. Estudios Vascos, XVIII, Éd. Txertoa, Saint-Sébastien, 1988, p. 84. 54. Etnografia Histórica de Navarra, 1972, p. 456. 55. Prüfung. Prüfungder Untersuchungen über die Urbewohner Hispaniens vermittelst der Vaskischen Sprache, 1921, Imp. F. Dümmler, Berlin, 192 pages. Traduction espagnole de T. Aranzadi : « Examen de las investigaciones sobre los aborigenes de España mediante la lengua vasca, traducción directa del alemán (2e edición) por Telesforo de Aranzadi », RIEV, 1935, p. 515. 56. « Una forma no investigada en la toponimia del sur de Francia y de la España septentrional (el sufi-jo -és, -iés) », traduit du français par J. M. Enguita, Archiva de Filología Aragonesa, XL, 1955. 57. « Las referencias sobre los Vascones hasta el ano 800 después de J. C. », RIEB, XVIII, 1927, pp. 225-240. 58. « Sobre los iberos y su lengua », Homenaje ofrecido a Menéndez Pidal, III, 1925, pp. 225-240. 59. Sobre el pasado de la lengua vasca. Coll. Aunamendi, Saint-Sébastien, 1964, p. 127. 60. « Lengua comun y dialectes vascos », ASJU, XV, 1981, in Palabras y Textos, pp. 39-40. 61. « Variété dialectale et unification littéraire », in Euskal Herriak/Pays Basques, T. II, Les cahiers de l'IFOREP n° 57, Paris, 1989, p. 18. 62. « Los estudios geográfico-históricos sobre el pais vasco y la dialectología », in Sobre la religión antigua y el calendario del pueblo vasco, Estudios Vascos, T. I, Ed.Txertoa, Saint-Sébastien, 1984, p. 296. 63. LOUANDRE, Ch., Commentaires de Jules César. Guerre des Gaules, Traduction nouvelle avec le texte, des notes et un index, Éd. E. Fasquelle, Paris, 1931, p. 135, L. III, XXVI. 64. SCHULTEN, A., Los cántabros y astures y su guerra con Roma, Madrid, 1943. 65. Sobre la lengua vasca. Estudios Vascos, T. IX, Éd.. Txertoa, 2e éd, Saint-Sébastien, 1988, p. 54.

INDEX

Thèmes : linguistique Mots-clés : toponymie, onomastique Index chronologique : Moyen-Âge Index géographique : Galice, Pays basque

AUTEUR

HECTOR IGLESIAS Doctorant en Etudes Basques [email protected]

Lapurdum, 3 | 1998 30

A propos des mots basques ahuntz « chèvre » et lepo « cou, col »

Michel Morvan

1. Ahuntz « chèvre ».

1 Voici un terme qui, comme bien d'autres termes basques, aura sans doute fait couler beaucoup d'encre. Mais, en dépit de tous ces efforts louables, rien de définitif n'a pu être établi dans le domaine comparatif.

2 Je n'ai pas l'intention de faire mieux que mes prédécesseurs, à ceci près que, pour ce qui me concerne, j'ai le courage de choisir la solution qui me paraît la meilleure et de le dire.

3 Ce n'est pas le cas du prétendu « Dictionnaire étymologique basque » d'A. Tovar et M. Agud1 qui, comme on va pouvoir le constater une fois de plus avec l'exemple de ahuntz « chèvre », se contente d'énumérer les multiples hypothèses qui ont été émises en mettant tout sur le même plan, et en reprenant sans rien y changer (y compris même la pagination !) ce qui était seulement à l'origine un ensemble de « matériaux » en vue de l'élaboration d'un futur dictionnaire étymologique2.

4 Noyée dans tout ce « fatras » qui n'est en fait qu'un historique de toutes les hypothèses émises, la meilleure comparaison finit donc par passer inaperçue ou du moins par être mise au même rang que toutes les autres. Je précise que je dis bien « la meilleure comparaison » et non pas obligatoirement la bonne. Mais c'est la meilleure qui doit figurer dans un vrai dictionnaire étymologique jusqu'à ce qu'on trouve éventuellement mieux. Ce nivellement des hypothèses est préjudiciable à une saine démarche scientifique. Nous ne devons pas attendre cent sept ans pour avancer dans les recherches comme le font trop souvent les linguistes conservateurs, tétanisés par une prudence excessive dont les effets sont aussi néfastes que le manque de prudence. Seule la combinaison de la prudence et de la hardiesse, nullement antinomiques en l'occurrence, peut faire avancer la science. Je précise bien que je parle ici des comparaisons du basque avec d'autres langues et non de la reconstruction interne au

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basque, dans le cas présent ahuntz < *anuntz, qui, elle, me semble au contraire fort pertinente.

5 Voici la première partie du texte des Materiales... : « AUNTZ, ahuntz L, BN. S, ahüntz, aintz R « cabra ». Sobre la distribución de formas v. Mich. BAP 6, 454. Este reconstruye une forma *anu(n)-tz, (de *anu acaso según Mich. FHV 115 s.) a base del top. Anuncibay ( Hom. Urq. 2, 485). Es posible que esta reconstrucción sea conciliable con la teoría de Sch. RIEV 7, 314 que comparaba auntz con antzu (q.u.), antxu « oveja estéril », aunzu AN « estéril » (dicho de animales) ; cf. artantzu « oveja de tres años que no ha parido », artantxu « oveja para cebar ». Sch. supone que se trataría de derivados del románico anni-culus, etc. (Corominas lo cree muy poco probable, pues tropieza con la fonética) ; cf. bearn. anesque « oveja añoja ». Lafon BAP 6, 307 señala que sobre auntz y a(h)uña se puede reconstruir una raiz *a(u)n-, que podría reducirse considerando la a protética. Sch. l.c. discute sobre -tz, y no resuelve si se trata de un suf. o de un elemento de la raíz : antxume, an(t)xume admite una doble análisis, pues se hallan igualmente txume y ume, con el mismo significado. Uhl. RIEV 3, 421 llega a decir que -tz es femenino comparando con ahuña... (No insiste en Oud. Lagen 358, aunque si en el carác-ter sufijal de -tz). Como dice Mich. FHV 88, aguña salac., ahüñe S. añe « cabrito » están emparentados con auntz. Para resolver este complicado problema hay que señalar las formas gasc. ansoùlh « cabrito », ansoùlho « cabra joven, añoja », que cita Rolhfs Gascon 40, y que acaso son pervivencias del sustrato. O, como cree Tovar, del vasco. Corominas ve en aun(t)z una palabra paleo-vasca. El mismo Sch. l.c. admite que una raiz *a-nu sería comparable con ár. ‘anaq’ « joven hembra de cabra » ; pero un originario auntz le parece mejor compararlo con asir. enzu, ár. ‘anz, hebr. ‘enz, songhai (quizá préstamo ár. ?) hantsi « cabra » (etc.). »3

6 On notera tout d'abord que, comme à leur habitude, les auteurs mettent la forme « sudiste » auntz en entrée au lieu de ahuntz dont le h est étymologique quoi qu'en dise R.L. Trask qui affirme péremptoirement qu'il n'y a pas de h étymologique en basque4. Si la reconstruction interne *anuntz est bonne, appuyée sur l'existence du toponyme Anuncibay, le h de ahuntz est forcément étymologique puisque représentant la place laissée par -n- qui s'est affaibli dans le type classique de l'emprunt latin anatem > ahate « canard ». Le fait que la nasalisation se soit reportée sur les voyelles ne change rien à l'affaire. De plus des termes comme harri « pierre » prouvent l'existence d'une aspiration étymologique.

7 Le bon sens nous invite à considérer que l'animal domestiqué qu'est la chèvre semble provenir de la zone de révolution agro-pastorale néolithique qui a eu comme point de départ le Proche-Orient et s'est diffusée progressivement vers l'ouest jusqu'à la pointe extrême de l'Europe occidentale. En conséquence le Bassin méditerranéen est fortement concerné par cette expansion néolithique et les langues des peuples qui l'entourent doivent être examinées. Parmi ces langues, autant chercher de préférence, en premier lieu, du côté de celles qui sont les plus proches du point de vue proche oriental. De même que le nom du vin est issu du substrat méditerranéen (waïn en arabe sémitique), on peut constater que dans la liste sans fin des Materiales... une seule forme peut vraiment retenir l'attention : il s'agit de l'arabe ‘anz « chèvre ». C'est de toute évidence la forme la plus proche du basque *anuntz et c'est celle que je retiendrai jusqu'à plus ample informé pour mon futur dictionnaire étymologique en cours d'élaboration. S'agit-il d'un emprunt ou d'un terme commun issu du vieux substrat proche oriental ? Cette seconde solution paraît nettement préférable, car on ne voit pas

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pourquoi le basque aurait emprunté le mot à l'arabe comme le croyait Löpelmann (EWBS).

2. Lepo « cou, col ».

8 Il y a quelque temps j'avais déjà pensé à une note sur ce terme basque largement utilisé en toponymie, et surtout en oronymie. La forme même du terme m'incita à me poser la question de savoir si par hasard ce mot ne suivrait pas la même formation et les mêmes évolutions que d'autres termes basques tels que leka « gousse » dont on peut trouver une variante teka dans le lexique basque, ce qui permet de lui donner une étymologie, puisqu'il s'agit visiblement d'un emprunt au roman teka dont le représentant le plus connu est le gascon teca « gousse ». Le terme provient du latin theca « boîte, étui », et au-delà du grec qui nous a donné tous les mots terminés en -thèque comme bibliothèque, discothèque, pinacothèque, etc. avec le sens de « contenant ».

9 En ce qui concerne lepo « col », il n'y a pas de forme variante tepo dans le lexique basque. J'étais donc sur le point d'abandonner mon hypothèse lorsque mon attention, à l'occasion de recherches sur les montagnes du Pays basque, fut soudain attirée par deux oronymes situés dans une zone très localisée de la Haute-Navarre tout près de la frontière, et bien visibles sur la carte de l'IGN n° 1346 ouest (Saint-Etienne-de- Baïgorry), au-delà d'Urepel par conséquent. Sur la frontière se trouve le col de Burdincurutcheta (1092 m.) près du mont Lindus (1220 m.). De l'autre côté de la frontière ce col est indiqué très clairement Burdincuruch-tepoa avec t- initial au lieu du l- attendu pour lepo. Il ne s'agit certainement pas d'une faute de typographie, car juste un peu plus loin au sud-ouest se trouve toujours du côté navarrais, l'oronyme Sorotepo avec la même graphie tepo pour « col ».

10 Il ne fait donc plus aucun doute pour moi que le terme basque lepo « cou, col » a bel et bien eu une variante tepo selon le même modèle que leka/teka « gousse » mentionné ci- dessus, même si cette variante a disparu du lexique et des dictionnaires basques actuels (et même du lexique médiéval : 1218 lepoa etc.).

11 La question qui se pose maintenant est de savoir si ce terme est emprunté au roman comme dans le cas de leka < teka « gousse », ou non, ce qui est possible car l'alternance t/l ne joue pas forcément que pour les emprunts. Le réponse est bien difficile à donner. Il existe effectivement un vieux terme substratique *tep- « hauteur » en pré- indoeuropéen reconnu jusqu'en turc (tep, tepe « colline »), en vieil égyptien (tep « tête ») et jusqu'en aztèque (nahuatl tepe-tl « montagne »). Dans le même temps les langues romanes possèdent elles aussi un terme tepe, tepa « motte, coteau » (notamment en gascon du Gers, cf. Simin Palay, Dictionnaire du béarnais et du gascon modernes) qui a peut- être son origine dans ce terme substratique pré-indoeuropéen.

NOTES

1. A. Tovar, M. Agud, Diccionario etimológico vasco, II, Ardun-Beuden, Saint-Sébastien 1990.

Lapurdum, 3 | 1998 33

2. A. Tovar, M. Agud, « Materiales para un diccionario etimológico de la lengua vasca », ASJU, 1988 (ASJU XIII-1, 1989, p. 496-497 pour la présente note). 3. Tovar/Agud, op. cit., p. 496-497. 4. R.L. Trask : « The pre-basque aspiration was not etymological, but was merely a suprasegmental fea-ture » ; mais il est obligé d'ajouter aussitôt qu'il y a une poignée d'exceptions : « with a tiny handful of possible exceptions » (sic), « Basque and Dene-Caucasian : a critique from the basque side », Mother Tongue, 1, 1995, p.9-10.

INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique Mots-clés : basque (langue), étymologie, lexicologie

AUTEUR

MICHEL MORVAN UPRESA 5478 - Bordeaux III - CNRS

Lapurdum, 3 | 1998 34

Onomastique basque aux Philippines

Michel Morvan

1 En l'an de grâce 1521, le 16 mars, le célèbre navigateur conquérant portugais au service de l'Espagne, Ferdinand Magellan, aborde par l'est cet ensemble d'îles innombrables (près de sept mille !) de l'Océan Pacifique qui prendra bientôt le nom de Philippines. L'ensemble en question était peuplé de Negritos de type mélanésien (sans aucun doute les plus anciennes ethnies) et de Philippins asiatiques proprement dits venus par la suite de Malaisie et d'Indonésie. Les Musulmans avaient déjà pris pied sur l'archipel et étendu leur pouvoir sur tout le pays à l'arrivée des Espagnols. L'islam ne subsiste plus aujourd'hui que dans le sud de l'île de Mindanao essentiellement.

2 Magellan n'ira pas loin. La mort l'attend après cette ultime conquête. Débarqué sur une petite île quasiment inhabitée nommée Homonhon, près de la grande île de Leyte, il se dirige vers l'intérieur, dans ces îles dites Visayas, en direction de l'île centrale de Cebu (voir la carte jointe). Arrivé devant Cebu, sur l'île de Mactan, il plante une croix et déclare prendre possession de tout le pays au nom de l'Espagne. Mais le destin est là. Il est philippin, courageux et se nomme Lapu-Lapu. Magellan est tué dans la bataille contre ce chef autochtone.

3 Les Espagnols ne renoncent pas pour autant bien sûr et c'est Ruy Lopez de Villalobos qui débarque à son tour en 1543 et donne son nom à l'archipel, Filipinas, en l'honneur du roi Philippe II d'Espagne. L'occupation espagnole devient bien réelle cette fois. Elle se concrétise définitivement en novembre 1565 avec l'arrivée de la flotte de Miguel Lopez de Legazpi sur l'île de Bohol où il lie amitié avec le chef local Rajah Sikatuna, puis occupe Cebu où il fait construire un fort. En 1571 Legazpi s'empare de Manille et de tout le pays dans l'année qui suit, à l'exception de Mindanao et des îles Sulu qui restent aux mains des Musulmans. De nombreuses églises sont bâties et la propagation du catholicisme est fulgurante. Il faut rappeler en effet ici que les Philippines constituent le seul pays chrétien et catholique d'Asie avec près de 95 % de catholiques pratiquants.

4 Les Philippines seront administrées fermement depuis le Mexique jusqu'en 1821 et les rares tentatives des Hollandais, Portugais et Chinois pour y prendre pied sont

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repoussées avec succès. Toutefois les Anglais occupent Manille en 1762 mais pour peu de temps et se retirent selon les conditions d'un traité signé à Paris en 1763. En 1872 éclate dans l'armée la première révolte des Philippins contre les Espagnols, à Cavite. La révolte est vite matée, mais désormais l'idée d'indépendance est devenue irrépressible. C'est à la faveur d'une guerre hispano-américaine qui éclate en 1898 et dont le vainqueur est l'Amérique que les Philippins proclament leur indépendance. Mais c'est une indépendance théorique, car les Américains ne la reconnaissent pas. Là commencent le déclin espagnol et l'américanisation du pays qui ira en s'accentuant tout au long du XXe siècle, à une exception près, celle de la religion. Si la langue espagnole est de moins en moins parlée au profit de F anglo-américain dont le prestige va grandissant et s'est encore accru depuis la seconde guerre mondiale, le catholicisme en revanche n'a pas pris une ride et la ferveur religieuse demeure intacte et extrêmement forte.

5 On pourrait penser que l'anglo-américain a absorbé bon nombre de termes espagnols, mais il n'en est rien. L'anglo-américain est devenu une seconde langue à part entière. C'est dans les langues vernaculaires, le tagalog en premier lieu et dans les dialectes locaux (le plus important est celui des Visayas ou cebuano) que l'on trouve les restes du passé linguistique espagnol, parfois arrangés à la sauce locale : noms des jours de la semaine par exemple avec Huwébes, Biyérnes pour « jeudi, vendredi », kumustá pour « comment ça va ? », kuwárto « chambre », kabáyo « cheval », walá probléma « pas de problème » et autres curiosités.

6 Le basque n'était évidemment pas parlé aux Philippines. En revanche personne, bien sûr, ne distinguait les Basques des Espagnols, et c'est ainsi que l'on trouve des noms de villes et des noms de personnes basques dans ce pays. Les noms de familles sont portés par toute la population et le mélange des noms philippins et des noms espagnols est total. Ce ne sont pas seulement les descendants de la classe dirigeante espagnole qui portent les noms basques et espagnols : on trouve aussi bien des Philippins de pure souche asiatique autochtone portant des noms comme Aguilar et... Yturburu !

7 Si Legazpi, étant donné le rôle historique important qu'il a joué, a donné son nom à une ville du pays (de même que le chef Lapu-Lapu déjà évoqué à propos de Magellan), on trouvera également Hernani et Oroquieta à côté d'autres noms transposés comme Toledo, Compostela ou Trinidad.

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INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique Mots-clés : onomastique Index géographique : Philippines

AUTEUR

MICHEL MORVAN UPRESA 5478 - Bordeaux III - CNRS

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Analyse des infinitives adnominales en basque

Bernard Oyharçabal

1 Le suffixe d'adnominalisation1 -ko apparaît joint à divers types de constituants et en particulier à des phrases conjuguées et non conjuguées illustrées dans les exemples suivants :

(1) Ez dut galdu [zu ere noizbait jinen zarelako] esperantza NEG AUX perdre.PF vous.A aussi un.jour venir.FU AUX.COMP espoir.SG.A Je n'ai pas perdu l'espoir [que vous aussi viendrez un jour] (2a) Gustukoak ditut [zuk eginikako] marrazkiak goût.ADN.PL.A. avoir.PR vous.E fait.PF.ADV.ADN dessin.PL.A Les dessins [faits par vous] me plaisent (2b) Ni naiz arbola eroririk datzaneko lurraren moi.A être.PR arbre.SG.A tomber.PF.ADV gésir.PR.COMP.ADN terre.SG.GEN jabea propriétaire.SG.A Je suis le propriétaire de la terre où l'arbre gît à terre. (3) Ez dute finkatu [esku huskako partidaren hasteko] NEG AUX fixer.PF main nue.ADV.REL partie.SG.GEN commencer.TZEKO tenorea heure.SG.A Ils n'ont pas fixé l'heure [pour commencer la partie à mains nues]

2 Dans l'exemple (1) la phrase adnominale est une déclarative complément du nom esperantza ‘espoir’ ; dans l'exemple (2a), c'est une relative tronquée construite sur une phrase participiale adverbiale ; dans (3c), inspiré d'un passage de Gero d'Axular, il s'agit d'une adnominale construite sur une relative à valeur locative (la présence de la désinence -eko à la fin de la relative n'est pas obligatoire) ; enfin, celle de l'exemple (3) a pu être analysée comme une relative infinitive (Artiagoitia, 1991).

3 Dans la présente étude nous voudrions argumenter en faveur d'une autre analyse de (3) et expliquer pourquoi, selon nous, les phrases adnominales en TZEKO ne sont pas des relatives infinitives, mais des infinitives compléments de nom2.

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4 Dans un premier temps nous rappellerons les fondements de la distinction entre les différents types de phrases en TZEKO (§ 1), puis entre les phrases adnominales compléments et les relatives (§ 2). Nous évoquerons ensuite les principales caractéristiques des infinitives adnominales en TZEKO en tant qu'infinitives d'une part (§ 3.1), en tant qu'adnominales, d'autre part (§ 3.2). Dans la section suivante nous examinerons les arguments en faveur de leur analyse comme relatives (§ 4), avant de proposer une typologie des noms auxquels elles se joignent (§ 5), et de présenter les arguments montrant que toutes les infinitives adnominales sont des compléments des noms-têtes qui les sélectionnent (§ 6).

1. Distinction entre phrases en TZEKO ad nominales et phrases en TZEKO adjonctives ou compléments (non adnominales).

5 Les phrases adnominales en TZEKO ne sont pas toujours aisément distinguables des phrases compléments sélectionnées par des prédicats verbaux ou des phrases adjonctives. Considérons les exemples suivants :

(4a) Gazteegi du [holako tokietara joateko] jeune.EXC être.PR tel endroit.PL.ADL aller.TZEKO Il est trop jeune [pour aller dans de tels endroits] (4b) Ez naiz gai [holako mendietara igaiteko] NEG être.PR apte tel montagne.PL.ADL monter.TZEKO Je ne suis pas apte [pour gravir de telles montagnes] (5) Autoa hartuko dut [bidaia lasterrago egiteko] voiture.SG.A prendre.FU AUX.PR voyage.SG.A vite.plus faire.TZEKO Je prendrai la voiture [afin de faire le trajet plus rapidement] (6a) Ez dut [harekin mintzatzeko] gogorik NEG avoir.PR DEM.COM parler.TZEKO envie.PART Je n'ai aucune envie [de parler avec lui]

6 Dans (4a,b) les phrases en TZEKO sont des phrases compléments sélectionnées par le prédicat : d'une part, dans (4a), par le morphème de degré excessif (-egi) joint à l'adjectif prédicat gazte ‘jeune’ ; d'autre part, en (4b), par gai tête de la locution verbale gai izan ‘être apte’. En (5) la phrase en TZEKO est une adjonctive à valeur finale. En (6a) la phrase en TZEKO est une adnominale complément du nom gogo ‘intention, envie’. Les trois types d'emploi sont bien distincts et il n'y a guère de risque de confusion.

7 Considérons maintenant les exemples suivants :

(6b) Ez dut gogorik [harekin mintzatzeko] NEG avoir.PR envie.PART DEM.COM parler.TZEKO Je n'ai aucune envie [de parler avec lui] (6c) Gogorik ez dut [harekin mintzatzeko] envie.PART NEG avoir.PR DEM.COM parler.TZEKO Idem

8 En (6b,c) la phrase en TZEKO est à droite du nom gogo ‘envie’, éventuellement séparée de celui-ci par d'autres éléments comme en (6c), et la question se pose de savoir s'il s'agit d'une phrase complément du type de (4) sélectionnée par le prédicat gogo izan ‘avoir envie’ ou d'une phrase extraposée, issue d'un mouvement hors du SD dont la tête

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lexicale est gogo (Artiagoitia 1991). C'est une question que faute de place nous ne traiterons pas ici, et cependant nous opterons pour la première solution en considérant toutes les phrases en TZEKO à droite du nom-tête et du déterminant, soit comme des phrases compléments non adnominales comme (4), soit comme des phrases adjonctives du type de (5).

2. Distinction entre phrases relatives et phrases adnominales compléments.

9 Pour établir la distinction entre relatives et phrases adnominales compléments, il convient en premier lieu de voir en quoi consiste chacun des deux types de phrases. Pour cela nous allons partir du cas des phrases conjuguées où la distinction est claire et ne prête pas à discussion.

10 Une phrase relative est une phrase adnominale contenant obligatoirement un SD coréférent avec le SD dont la relative représente un constituant. Dans les relatives ordinaires du basque, le syntagme casuel incluant le SD relativisé est réalisé Øcomme on le voit dans l'exemple suivant, pour le SC datif de la relative :

(7) (Ni) Øi mintzatu natzaion gizonaki hala uste du moi.A parler.PF AUX.COMP homme.SG.E ainsi croyance avoir.PR L'homme à qui j'ai parlé pense ainsi

11 Les phrases complément de nom comme celles de (1), bien qu'elles soient elles aussi des phrases adnominales, sont syntaxiquement différentes. En particulier, elles n'impliquent pas la présence en leur sein d'un SD coréférent avec le SD dont elles sont un constituant, et leur adnominalisation est liée aux propriétés sélectionnelles de ce dernier. En ce qui regarde les phrases conjuguées comme celle de (1), Oyharçabal (1987 : 40) fournit une liste indicative de ces noms, incluant3 : beldur ‘peur’, berri ‘nouvelle’, esperantza ‘espoir’, estakuru ‘prétexte’, ideia ‘idée’, iduripen ‘impression’, kezka ‘souci’, marka ‘signe’, seinale ‘signe’, uste ‘croyance (de conjecture)’, zalantza ‘doute’, etc...

(8a) Berria jin zaigu berrikitan hil dela nouvelle.SG.A venir.PF AUX récemment mourir.PF AUX.COMP La nouvelle nous est parvenue qu'il est récemment décédé (8b) Harritu gintuen hil zelako berriak étonner.PF AUX mourir.PF AUX.COMP nouvelle.SG.E La nouvelle de ce qu'il était décédé nous a surpris (9a) Uste nuen eri zinela croyance avoir.PAS malade être.PAS.COMP Je croyais que vous étiez malade (9b) Arranguratzen ninduen eri zinelako usteak soucier.IMPF AUX malade être.PAS.COMP croyance.SG.E La pensée que vous étiez malade me tracassait

12 Mais un nom concret comme etxe ‘maison’ ou sagar ‘pomme’ ne sélectionnant pas de phrase conjuguée complément ne saurait recevoir de phrase complément correspondante. Aussi une phrase adnominale en –(e)lako employée avec un tel nom ne pourra être qu'une phrase relative (relative subjective dans la terminologie de Lafitte 1944).

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(10a) *Sagarra jan duzu ona zela pomme.SG.A manger.PFAUX bon être.PAS.COMP *Vous avez mangé la pomme qu'elle était bonne (10b) (*)Ona zelako sagarra jan dut bon être.PAS.COMP pomme.SG.A manger.PF AUX *J'ai mangé la pomme qu'elle était bonne

13 La phrase adnominale de (10b) n'est acceptable qu'en tant que relative subjective, c'est à dire comme une relative complexe dans laquelle le syntagme casuel relativisé appartient à une complétive, mais où le verbe sélectionnant la déclarative est ellipté4. La traduction de (10b) serait ainsi : J'ai mangé la pomme (dont il a été dit) qu'elle était bonne.

14 Les phrases compléments de nom sont donc des phrases qui sont sélectionnées par les noms qu'elles modifient, et il faut par conséquent s'attendre à des restrictions de nature lexicale les concernant, contrairement à ce qu'il en est pour les relatives.

3. Caractéristiques des phrases adnominales en TZEKO.

15 3.1. Les phrases adnominales en TZEKO sont des infinitives dans lesquelles le suffixe -ko est joint au verbe nominal (suffixe -tze).

16 Ces phrases présentent les traits spécifiques des infinitives du basque, tant en ce qui regarde leur sujet, qu'en ce qui concerne leur mode de détermination.

17 3.1.1. Comme pour les autres infinitives, le sujet des phrases adnominales en TZEKO peut être un sujet de type PRO à valeur arbitraire ou bien anaphorique, ce dernier cas apparaissant notamment lorsqu'il doit être obligatoirement coréférent avec le complément agentif ou expérienceur du nom-tête avec des noms comme erabaki ‘décision’, gogo ‘intention’, obligazio ‘obligation’, etc.... Dans d'autres cas le sujet pourra être réalisé.

(l1a) Bihar da Ø herriko sainduaren ospatzeko eguna demain être.PR village.IN.ADN saint.SG.GEN célébrer.TZEKO jour.SG.A C'est demain le jour de célébration du saint du village

(11b) Øi Lanaren laster bururatzeko zuri erabakiak plazer egin digu travail.SG.GEN vite terminer.TZEKO votre décision.SG.E plaisir faire.PF AUX Votre décision de terminer le travail aussi tôt que possible nous a fait plaisir (11c) Zu haren etxean sartzeko baimenaren vous.A DEM.GEN maison.SG.IN entrer.TZEKO autorisation.SG.GEN kopia behar dut copie.SG.A besoin avoir.PR *J'ai besoin de la copie de l'autorisation pour vous d'entrer dans son domicile

18 Ces exemples illustrent les trois possibilités de réalisation du sujet dans les infinitives du basque (Goenaga 1985, Ortiz de Urbina 1989), et comme on le voit les trois possibilités sont réalisées dans les phrases adnominales en TZEKO : en ( 1 la) le sujet est une forme pronominale vide à valeur arbitraire, en (11b) le sujet également une forme pronominale vide, mais anaphorique, l'antécédent étant la 2e personne correspondant au complément génitif à valeur agentive du nom-tête erabaki ‘décision’. Enfin en (11c), le sujet est phonologiquement réalisé.

19 3.1.2. Une autre caractéristique de certaines infinitives du basque réside dans le fait qu'elles peuvent recevoir un déterminant défini singulier (Goenaga 1985, Zabala &

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Odriozola, 1996). Cette propriété ne se vérifie pas dans les infinitives adnominales, du moins lorsque le déterminant est un démonstratif5 :

(12a) *mihiseen emaite horretako armarioa drap.PL.GEN donner.NOM DEM.ADV.ADN armoire.SG l'armoire pour ce mettre les draps (12b) *etxera itzultze horretako deliberoa maison.SG.ADL retourner.NOM DEM.ADV.ADN décision.SG la décision de ce retourner à la maison

20 En fait, l'absence de déterminant dans les infinitives adnominales se retrouve dans toutes les infinitives construites avec le suffixe -ko, y compris dans les phrases adjonctives ou compléments6. Zabala & Odriozola (1996) soulignent d'ailleurs le caractère limité de l'usage des déterminants dans les phrases infinitives.

21 3.1.3. Enfin, indiquons que, comme dans les autres infinitives, l'objet direct peut recevoir la marque de génitif (en place de l'absolutif) dans les dialectes orientaux (Heath 1972, Goenaga 1985). Ce trait est illustré dans divers exemples ci-dessus : (3), (11a-c).

22 3.2. Nous présentons dans cette sous-section divers éléments mettant en évidence la nature adnominale des phrases infinitives en TZEKO ici examinées, et les opposant aux infinitives non adnominales de même forme. Les deux premières caractéristiques sont relevées par Artiagoitia ( 1991 ).

23 3.2.1. Il n'y a pas de pause entre le nom-tête et la phrase infinitive, et celle-ci a un caractère restrictif. Comparons les deux exemples suivants :

(13a) Inglesa ikasteko ikasbide berria erosi dut anglais.SG.A apprendre.TZEKO méthode nouvelle.SG.A acheter.PF AUX J'ai acheté une nouvelle méthode pour apprendre l'anglais (13b) Inglesa ikasteko (ere), ikasbide berria erosi dut anglais.SG.A apprendre.TZEKO aussi méthode nouvelle.SG.A acheter.PF AUX Pour apprendre l'anglais (également), j'ai acheté une nouvelle méthode

24 La phrase en TZEKO de (13a) est adnominale ; elle se prononce sans pause devant le nom, et aucun élément adverbial du type de ere ‘aussi’ ne peut s'intercaler entre elle et le nom-tête. Tel n'est pas le cas de (13b) où la phrase infinitive est une phrase adjonctive à valeur finale, à la suite de laquelle ere ‘aussi’ peut être employé.

25 3.2.2. La phrase en TZEKO peut être suivie par une tête nominale vide de telle sorte que, par exemple, dans les coordinations, les comparaisons, les oppositions contrastives, etc..., elle constitue la base phonologique d'un syntagme nominal, comme dans les exemples suivants :

(14a) Arropen ikuzteko mekanika karioago da vêtements.PL.A nettoyer .TZEKO machine.SGA cher.plus être.PR [baxeren ikuztekoa] baino vaisselle.GEN nettoyer.TZEKO.SG.A COMP La machine à laver les vêtements est plus chère que [celle à laver la vaisselle]

26 Dans l'exemple (14a) l'article singulier se joint directement à la phrase adno-minale en TZEKO dans la comparative, comme il en advient avec les autres compléments adnominaux :

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(14b) Baionako etxeak gorago dira [Uztaritzekoak] baino Bayonne.IN.ADN maison.PL.A haute.plus être.PR Ustaritz.IN.ADN.PL.A COMP Les maisons de Bayonne sont plus hautes que [celles d'Ustaritz]

27 Dans les deux cas (14a,b) la présence d'un déterminant est requise, car en son absence la phrase est agrammaticale :

(15a) * Arropen ikuzteko mekanika karioago da vêtements.PL.A nettoyer .TZEKO machine.SG.A cher.plus être.PR [baseren ikuzteko] baino vaisselle.GEN nettoyer.TZEKO COMP *La machine à laver le linge est plus chère qu'[à laver la vaisselle] (15b) *Baionako etxeak gorago dira [Uztaritzeko] baino Bayonne.IN.ADN maison.PL.A haute.plus être.PR Ustaritz.IN.ADN COMP *Les maisons de Bayonne sont plus hautes que [d'Ustaritz]

28 A l'inverse, avec les phrases en TZEKO compléments (non adnominales) ou adjonctives, l'article, qui signale la formation d'un SD, n'est pas employé, et s'il l'est la phrase est mal formée, comme le montrent les exemples (16a) et (16b) :

(16a) Kirol lanjerosetan aritzeko koraie gehiago dut lanean jeu dangereux.PL.IN s'activer.TZEKO courage plus avoir.PR travail.SG.IN aritzeko(*a) baino s'activer.TZEKO(SG) COMP J'ai plus de courage pour pratiquer les jeux dangereux que pour travailler (16b) Afrikara joan zen ez bakarrik aberasteko, Afrique.ADL aller.PF être.PAS NEG seulement s'enrichir.TZEKO baina beste herri batzuen ezagutzeko(*a) ere mais autre pays quelques.GEN connaître.TZEKO(SG) aussi Il s'en alla en Afrique non seulement pour s'enrichir mais aussi pour connaître d'autres pays

29 3.2.3. Du point de vue syntaxique on s'attend qu'en raison de la nature adnominale de ces infinitives, la contrainte sur les SN complexes (Ross 1967), qui fait des SD complexes des îles syntaxiques, s'applique pleinement aux SD contenant ces infinitives. Il en est bien ainsi. Par exemple, les syntagmes inclus dans une phrase adnominale en TZEKO ne peuvent entrer dans une relation de relativisa-tion, contrairement à ce qu'il en est de ceux appartenant à une phrase en TZEKO complément de prédicat ou même dans une moindre mesure une phrase finale adjonctive. Comparons les exemples suivants :

(17a) zuhaurk Ø egiteko gai ez zaren eginkizunak vous.INT.E faire.TZEKO apte NEG être.PR.COMP tâche.PL Les tâches que vous n'êtes pas capable de faire vous-même (17b) ? Zuk Ø egin ahal izateko ni joan behar izan nintzen vous.E faire pouvoir ëtre.TZEKO moi.A aller.PF devoir être.PF être.PAS.COMP eginkizunak tâches.PL Les tâches que, pour que vous puissiez les faire, j'ai dû m'en aller (17c) *Zuhaurk Ø egiteko erabakia hartu duzun eginkizunak VOUS.INT.E faire.TZEKO décision.SG.A prendre.PF AUX.PR.COMP tâches.PL Les tâches que vous avez pris la décision de faire vous même

30 L'exemple (17a) illustre un cas de relativisation d'un SD appartenant à une phrase complément sélectionnée par le prédicat gai izan ‘être apte’. La phrase est bien formée

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car la mise en relation entre le nom-tête et la tête lexicale du SD relativisé ne viole pas la contrainte sur les SN complexes.

31 L'exemple (17b) est d'acceptabilité difficile ou douteuse, car la relativisation intervient au sein d'une phrase adjonctive (Oyharçabal 1987) dans une structure complexe.

32 L'exemple (17c) est totalement agrammatical, car le SD relativisé appartient à une phrase adnominale, d'où une violation de la contrainte sur les SN complexes.

33 Les données précédentes concernant la contrainte sur les SN complexes sont évidemment confirmées dans les questions :

(18a) Nor(en)i hiltzeko manua eman dute ? Qui (GEN) tuer.TZEKO ordre.SG.A donner.PF AUX.PR L'ordre de tuer qui a-t-on donné ?

(18b) *Nori eman dute ti hiltzeko manua ? Qui donner.PF AUX.PR tuer.TZEKO ordre.SG.A

Quii a-t-on donné l'ordre de tuer ti

(18c) Nori erabakia hartu duzue ti dena errateko ? Qui.D décision.SG.A prendre.PF AUX.PR tout.A dire.TZEKO A qui avez-vous pris la décision de tout dire ?

34 En (18a) le mot interrogatif demeure au sein de la phrase infinitive qui se déplace en position de spécifieur de COMP (Ortiz de Urbina, 1989) en entraînant le nom-tête ; la phrase interrogative est alors bien formée. En (18b) le mot interrogatif est extrait de la phrase infinitive pour se déplacer, et la phrase est mal formée. L'exemple (18c) montre qu'à l'inverse, avec les phrases compléments, l'extraction est possible.

35 3.2.4. Un autre point opposant les phrases en TZEKO adnominales aux infinitives de même forme non adnominale provient de la possibilité dans les phrases compléments ou adjonctives que le verbe infinitif ne soit pas en position finale dans la phrase infinitive. Comparons les exemples suivants :

(19a) *[mintzatzeko zurekin] gogoa badut parler.TZEKO vous.COM envie.SG AF.avoir.PR J'ai envie [de parler avec vous] (19b) Gogoa banuke [mintzatzeko zurekin] envie.SG AFF.avoir.HYP parler.TZEKO vous.COM J'aurais envie [de parler avec vous] (19c) Horra joan nahi nuke [mintzatzeko zurekin] ADV.ADL aller.PF volonté avoir.HYP parler.TZEKO vous.COM Je voudrais aller là [pour parler avec vous]

36 En (19a) le syntagme comitatif est placé après le verbe de la phrase infinitive et la phrase est mal formée. En (19b) et (19c) le même positionnement est utilisé dans une phrase complément et une phrase adjonctive, et les phrases ne sont pas agrammaticales.

37 3.2.5. Enfin soulignons qu'à l'instar des autres compléments adnominaux du basque, les phrases infinitives en TZEKO qui précèdent généralement le nom qu'elles modifient peuvent également le suivre et occuper la position d'un adjec tif (Hidalgo, 1998). Cette construction est cependant marquée. L'exemple suivant (20), cité par Hidalgo 1998, est dû à J.A. Mogel, Peru Abarca ; on remarquera que la phrase infinitive y est coordonnée avec l'adjectif sona ‘agréable’, et qu'elle précède le déterminant indéfini bat ‘un’ :

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(20) Gura dau enzun gure artian dabillen ipuin sona ta volonté avoir.PR entendre.PF nous.GEN entre.SG.IN marcher.PR récit plaisant et [barre egiteko] bat ? rire faire.TZEKO un.A Veut-il entendre un récit plaisant et [pour faire rire] qui circule parmi nous

38 Les observations que nous avons rappelées ou faites ici établissent clairement le caractère adnominal de ces phrases, point qui ne saurait donc être mis en doute, mais elles ne disent rien de leur nature en tant que phrases adnominales. Or une chose est de distinguer, parmi les phrases en TZEKO, les phrases compléments ou adjonctives à valeur finale des phrases adnominales, une autre est d'établir qu'il s'agit de phrases relatives et non de phrases compléments de nom.

4. Arguments en faveur d'une analyse en tant que phrases relatives.

39 En dehors du marquage morphologique, la principale caractéristique opposant les phrases relatives aux phrases compléments de nom réside, comme on l'a dit plus haut, dans le fait que les premières doivent contenir un SD coréférent avec le SD qu'elles modifient, alors que cette contrainte ne se retrouve pas nécessairement dans les phrases compléments. Illustrons cela par un exemple permettant l'ambiguïté comme esperantza ‘espérance, espoir’ :

(21) Galdu duzun esperantza atxiki dut nik perdre.PF AUX.COMP espoir.SG.A garder.PF AUX moi.E J'ai conservé l'espoir que vous avez perdu

40 L'exemple (21), comme sa traduction française, est ambigu dans les dialectes (occidentaux) qui réalisent les phrases compléments de nom par la simple suffixation de -(e)n (sans emploi de -lako) : • si la phrase est analysée comme une relative, le nom esperantza ‘espérance’ est interprété comme l'un des SD de la relative, en fait l'objet direct, et la phrase s'interprète : J'ai conservé

l'espérance quei vous avez perdue Oi ; • si la phrase s'analyse comme une phrase complément de nom, le nom esperantza n'est pas présent dans la relative et l'objet direct de celle-ci est simplement sous-entendu ; la phrase s'entend donc : J'ai conservé l'espérance que vous avez perdu (par exemple, à l'occasion d'un jeu).

41 Dans certaines phrases adnominales en TZEKO le nom modifié peut être analysé comme formant l'un des constituants de la phrase adnominale. Considérons les exemples suivants :

(22a) ikasketen uzteko adina étude.PL.GEN laisser.TZEKO âge.SG l'âge d'abandonner les études (22b) soldado joateko eguna soldat aller. TZEKO jour.SG le jour de partir soldat (22c) mihiseen emateko armarioa drap.PL.GEN donner.TZEKO armoire.SG

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l'armoire où ranger les draps (22d) haragiaren pikatzeko ganibeta viande.SG.GEN couper.TZEKO couteau.SG le couteau pour couper la viande

42 Dans ces divers exemples le nom-tête auquel se joint la phrase adnominale exprime une localisation, spatiale ou temporelle, et un instrument, et on peut supposer l'existence de constituants y correspondant dans la phrase infinitive. Effectivement la relativisation de tels noms est possible, comme le montrent les exemples suivants, parallèles à ceux de (22) :

(23a) ikasketak hasi nituen adina étude.PL.A commencer.PF AUX.COMP âge.SG l'âge où je commençais les études (23b) soldado joan nintzen eguna soldat aller.PF AUX.COMP jour.SG le jour où je partis soldat (23c) mihiseak ematen ditugun armarioa drap.PL.A mettre.IMPF AUX.COMP armoire.SG l'armoire ou nous mettons les draps (23d) haragia aise pikatzen duen ganibeta viande.SG.A facilement couper.IMPF AUX.COMP couteau.SG le couteau qui coupe la viande facilement

43 Le parallélisme mis en évidence en (22) et (23) montre que l'analyse des phrases de (22) comme des relatives est envisageable. Ce parallélisme, toutefois, n'est pas toujours possible, car, comme nous allons le voir dans la section suivante, il existe une série de phrases adnominales en TZEKO pour lesquelles il serait difficile d'établir de telles correspondances.

5. Typologie des noms admettant des phrases infinitives adnominales et relativisation.

44 Si l'on essaie de classer le type de noms et de relations qui sont mis en jeu dans ces constructions, on observe que les adnominales en TZEKO sont utilisées avec les noms caractérisés en (24) :

(24) Types de noms admettant les phrases adnominales en TZEKO.

45 A. Noms de modalité : • exprimant une volonté, un but, un espoir, un projet, un désir, ou crainte comme nahi ‘volonté’, gogo ‘envie’, esperantza ‘espoir’, helburu ‘but’, souci’, delibero ‘décision’, amets ‘rêve’, beldur ‘peur’, arrangura ‘inquiétude’, koraie ‘courage’, ... • exprimant une idée d'obligation, de permission, d'interdiction, de nécessité, d'opportunité, de risque, de capacité, de possibilité,... comme behar ‘besoin, eginbide ‘devoir’, aukera ‘occasion’, ahal ‘pouvoir’, ezin ‘impossibilité’, gai-tasun ‘capacité’, baimen ‘autorisation’, debeku ‘interdiction’,...

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46 B. Noms traduisant une relation adverbiale : • exprimant une localisation spatiale ou temporelle comme urte ‘année’, garai ‘époque’, denbora ‘temps’, leku ‘lieu’, plaza ‘place’, y compris les objets comme armario ‘armoire’, mahai ‘table’, kutxa ‘boîte, caisse’,... • exprimant un instrument, un mode (modu ‘façon’, manera ‘manière’, ...), un moyen (bide ‘voie’, medio ‘moyen’, ...), une fonction, y compris les noms de profession, d'instruments, ou désignant tout objet, concret ou abstrait, liés à un usage ou un emploi spécifique.

47 La situation illustrée en (22-23) ne concerne qu'une partie des possibilités mentionnées ci-dessus. En effet, parfois, bien que l'adnominalisation en TZEKO soit possible, la construction par relativisation correspondante est bloquée. Ainsi parmi les noms caractérisés en (24) les noms de modalité de (24A) ne sauraient correspondre à des SD au sein de la phrase adnominale, et on ne peut associer à ces phrases des relatives comme en (22-23). C'est ce que montrent les exemples suivants où le parallélisme avec les relatives est impossible à établir7 :

(25a) Bazenuen Pansera joateko gogoa ? AFF.AUX Paris.ADL aller.TZEKO intention.SG.A Aviez-vous l'intention d'aller à Paris ? (25b) *Ba ote zenuen Parisera noan gogoaren berri ? AFF PART AUX Paris.ADL aller.PR.COMP souhait.SG.GEN nouvelle.A *Connaissiez-vous l'intention que je vais à Paris ? (26a) Eman didate etxe horretan sartzeko baimena donner.PF AUX maison cette.IN entrer.TZEKO autorisation.SG.A On m'a donné l'autorisation de rentrer dans cette maison (26b) *Ez duzu etxe horretan sartzen zaren baimenik NEG avoir.PR maison cette.IN entrer.IMPF AUX.COMP autorisation.SG.A *Vous n'avez pas d'autorisation (par laquelle) vous entrez dans cette maison

48 Pour les noms de (24B), exprimant une relation adverbiale, la situation est différente. Une partie d'entre eux sont entièrement disponibles pour la relativisation ; ce sont ceux exprimant une localisation (cf. (23 )).8

49 Si donc l'analyse des phrases adnominales en TZEKO comme des infinitives relatives est envisageable cela ne peut que concerner qu'une partie de celles-ci correspondant en particulier aux noms permettant une localisation temporelle ou spatiale.

50 Au demeurant, observons que même parmi les noms exprimant une notion temporelle, certains, qui admettent des phrases adnominales en TZEKO, sont difficilement modifiables par des relatives ; c'est le cas par exemple d'un nom comme asti ‘temps disponible (éventuellement pour faire quelque chose)’ :

(28a) Holako liburuen irakurtzeko astia aurkitu nahi nuke DEM.MOD.ADN livre.PL.A lire.TZEKO temps trouver.PF volonté avoir.HYP Je voudrais trouver le temps de lire de tels livres (28b) *Liburuak irakurri ditudan astia berriz aurkitu nahi nuke livre.PL.A lire.PF AUX.COMP temps de.nouveau Je voudrais trouver à nouveau le temps durant lequel j'ai lu les livres

51 (28b) n'est pas bien formé car le nom asti ne peut être utilisé dans un SC de localisation temporelle :

(28c) *Asti horretan liburuak irakurri nituen temps ce.IN livre.PL.A lire.PF AUX.PAS

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Durant ce temps je lis des livres

52 Cet exemple confirme que l'adnominalisation de phrases adnominales en TZEKO à un nom est indépendante des jeux de relativisation même avec des noms exprimant une relation temporelle.

6. Conditions de sélection des infinitives adnominales par les noms associés à une fonction ou un usage spécifique.

53 Nous avons montré dans les lignes précédentes que les infinitives adnominales accompagnant les noms de (24A) n'étaient pas compatibles avec une analyse comme relatives. En ce qui concerne les noms de (24B), la situation étant moins claire, il convient de voir les prédictions de chacune des hypothèses. L'analyse en faveur des relatives suppose avant tout la mise enjeu de simples relations syntaxiques bien connues caractéristiques de ces constructions. L'analyse en faveur des infinitives compléments de nom suppose au contraire de fortes restrictions lexicales et/ou sémantiques.

54 On aura remarqué que la caractérisation de (24B) permet d'intégrer un très grand nombre de noms, et qu'il serait certainement impossible d'en fournir une liste close, contrairement aux noms de (24A). Pour autant peut-on considérer que les phrases adnominales jointes aux noms de (24B) sont privées de toute restriction sélectionnelle ? Non. En effet la phrase infinitive adnominale doit nécessairement correspondre à une restriction indiquant un usage ou une fonction à la fois canonique et spécifique associée au nom-tête, et, par conséquent, d'une certaine façon, faisant partie de sa description sémantique.

55 Empruntons à Artiagoitia (1991) l'exemple suivant :

(29) Trafikoa zaintzeko ertzainak etorri dira circulation.SG.A surveiller.TZEKO police.PL.A venir.PF AUX.PR Les policiers pour surveiller la circulation sont venus

56 Dans l'interprétation donnée en traduction (où la phrase infinitive est adnominale et non adjonctive), l'indication portée par la phrase adnominale décrit une des fonctions usuellement assignées à la police. La phrase est bien formée.

57 Supposons maintenant que nous associons au nom ertzain ‘police’ une phrase adnominale indiquant une activité non spécifique aux tâches ordinairement confiées à des policiers, comme dans l'exemple (30) :

(30) *Bazkaria egiteko ertzainak etorri dira déjeuner.SG.A faire.TZEKO policier.PL.A venir.PF AUX.PR Les policiers pour préparer le déjeuner sont venus

58 L'exemple (30) est mal formé. S'agit-il simplement d'une malformation résultant de l'incohérence sémantique, et peut-on ramener (30) aux idées vertes qui dorment furieusement ? Il ne semble pas qu'une telle explication rende compte de la malformation de (30). Un monde où des policiers seraient amenés à préparer

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habituellement le déjeuner n'est pas un monde inimaginable, et si l'on usait d'une relative, (30) n'offrirait pas de difficultés :

(31) Bazkaria egiten ohi duten ertzainak etorri dira déjeuner.SG.A faire.IMPF HAB avoir.PR.COMP policier.PL.A venir.PF AUX.PR Les policiers qui préparent habituellement le déjeuner sont venus

59 La malformation de (30) résulte d'une violation des conditions de sélection des phrases infinitives avec les noms de (24B). En effet, ertzain est un nom de profession ou de fonction, dont la description sémantique n'inclut pas une activité telle que la préparation des repas (contrairement à celle de surveillance de la circulation (29)).

60 Il existe une autre restriction, de nature différente, pour la bonne formation des phrases adnominales en TZEKO. Outre qu'elle doit correspondre à une caractérisation générale adéquate relativement au nom-tête, la phrase adnominale ne doit pas inclure d'éléments contextuels incompatibles avec une interprétation canonique. Comparons les exemples suivants :

(32a) [Belarraren pikatzeko] mekanika hautsi zait herbe.SG.GEN couper.TZEKO machine.SG.A casser.PF AUX La machine [à couper l'herbe] s'est cassée (32b) *[Bihar etxe aitzineko belarraren pikatzeko] mekanika demain maison devant.SG.ADN herbe.SG.GEN couper.TZEKO machine.SG.A hautsi zait casser.PF AUX La machine [à couper l'herbe demain devant la maison] s'est cassée

61 Le nom mekanika ‘machine’ désigne toute machine, sans restriction. Toute phrase adnominale indiquant une activité susceptible d'être réalisée par l'emploi d'une machine sera donc employable avec ce nom, comme par exemple en (32a).

62 De quoi provient le contraste entre (32a), bien formé, et (32b), mal formé, alors que dans les deux cas la phrase adnominale décrit le même emploi (couper de l'herbe) pour mekanika ‘machine’ ? A l'évidence, de l'introduction dans la phrase adnominale de (32b) des éléments bihar ‘demain’ et etxe aitzineko ‘devant la maison’. En effet, s'il n'y a pas de difficulté à concevoir qu'une machine soit utilisée pour couper de l'herbe dans le contexte indiqué en (32b), on imagine par contre plus difficilement une machine, spécifique, dont la caractérisation fonctionnelle canonique inclut ces restrictions d'emplois (couper l'herbe demain devant chez soi). Pour que (32b) devienne bien formé il faut créer un univers où il existe pour un locuteur une machine correspondant à cet emploi, ce qui n'est certes pas impossible, mais qui demande l'élaboration d'un contexte peu ordinaire en l'absence duquel (32b) est mal formé.

63 Comme on le voit, ce second type de restriction sur les phrases adnominales est différent du précédent, et plus dépendant du contexte discursif. Ainsi, pour reprendre notre exemple de (32b), la difficulté est surtout causée par bihar ‘demain’ (il n'est pas aisé d'imaginer un monde où une personne dispose d'une machine dont la caractérisation puisse intégrer un deictique comme bihar ‘demain’). Si on retire cet élément de la phrase adnominale, il devient plus facile de créer un monde où une personne possède, par exemple, une tondeuse utilisée canoniquement pour couper l'herbe 'de devant la maison' (par exemple dans un cadre contrastif). D'où, en ce cas, la bonne formation de (32c) :

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(32c) [Etxe aitzineko belarraren pikatzeko] mekanika maison devant.SG.ADN herbe.SG.GEN couper.TZEKO machine.SG.A hautsi zait casser.PF AUX Il va sans dire que ce type de restriction également est étranger aux relatives.

7. Conclusion.

64 Nous concluons de cet examen que les phrases infinitives en TZEKO ont bien un usage adnominal. L'analyse de ces infinitives adnominales comme des relatives, à l'inverse, ne paraît pas appropriée. Cette inadéquation est manifeste lorsque le nom tête exprime une idée modale et appartient aux noms caractérisés en (24A), puisque le nom-tête ne renvoie pas en ce cas au noyau nominal d'un SD inclus dans la phrase adnominale. Mais elle est également observable, selon nous, lorsque le nom-tête exprime une fonction, un emploi ou un usage canonique (localisation, instrument, profession, ...) et qu'il semblerait qu'il puisse correspondre à un SD au sein de l'infinitive. En réalité, même dans cette circonstance, la phrase infinitive est sélectionnée par le nom tête, et les restrictions contextuelles éventuellement introduites dans la phrase adnominale doivent être compatibles avec sa canonicité.

BIBLIOGRAPHIE

Abney, S. 1987. The English Noun Phrase in its Sentencial Aspect, thèse de doctorat, MIT.

Artiagoitia, X. 1991. ‘Aspects of tenseless relative clauses in Basque’, ASJU, XXV-3, 697-712.

Goenaga, P. 1985. Euskal Sintaxia. Konplementazioa eta nominalizazioa, thèse de doctorat, Universidad del País Vasco - Euskal Herriko Unibertsitatea.

Heath, J. 1972. ‘Genitivization in Northern Basque Complement Clauses’, ASJUVI, 46-66.

Hidalgo, B. 1998. Izenaren eskuin hedatzen diren erlatiboak euskaraz, manuscrit non publié, Saint- Sébastien.

Ortiz de Urbina, J. 1989. Parameters in the Grammar of Basque, Foris.

Oyharçabal, B. 1987 . Étude descriptive de constructions complexes en basque, thèse de doctorat, Université Paris VII.

Ross, J. R. 1967. Constraints on Variables in Syntax, Indiana University Linguistics Club.

Zabala, I. & Odriozola J. C. 1996. ‘On the relation between DP and TP. The Structure of Basque Infinivals’, in Catalan Working Papers in Linguistics, Universitat Autonoma de Barcelona, 231-281.

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NOTES

1. La version finale de cet article a bénéficié des observations et critiques faites à une version antérieure par X. Artiagoitia, R. Gomez, J.A. Mujika, G. Rebuschi, et I. Zabala, que je remercie 2. Dans l'article, SD (syntagme du déterminant) désigne la projection fonctionnelle sélectionnant comme complément lexical un SN (syntagme nominal), cf. Abney (1987) ; SC (syntagme casuel) désigne les unités dotées d'une marque casuelle, que celle-ci soit de nature postpositionnelle ou non du point de vue catégoriel. Par ailleurs les symboles utilisés dans les gloses seront les suivants : A (absolutif) ; ADL (adlatif) ; ADN (suffixe d'adnominalisation adverbiale) ; ADV (suffixe advervial) ; AFF (préfixe assertif) ; AUX (auxiliaire conjugué) ; COM (comitatif) ; COMP (complémenteur) ; E (ergatif) ; EXC (excessif) ; FU (aspect futur) ; GEN (génitif) ; HAB (particule d'habituel) ; HYP (temps hypothétique) ; IMPF (aspect imperfectif) ; IN (inessif) ; INT (intensif) ; MOD (suffixe modal) ; NEG (négation) ; PAR (partitif) ; PAS (temps passé) ; PF (aspect perfectif) ; PL (article pluriel) ; PR (temps présent) ; DEM (démonstratif) ; SG (article singulier). 3. Ces noms en général présentent la particularité de pouvoir être utilisés comme sujet d'une phrase nominale dont le complément prédicatif est une phrase déclarative en -(e)la (ou une question avec certains noms) : Azken berria da ez dela deus ere gertatu ‘La dernière nouvelle est que rien ne s'est produit’ Ene susmoa / beldurra / hipotesia / kezka / estakurua... da ez dela deus ere gertatu ‘Mon soupçon / ma peur / mon hypothèse / mon souci / mon prétexte / ... est que rien ne s'est produit’ 4. Ces relatives sont donc analysées comme correspondant à la structure suivante (Oyharçabal 1987) : Ø ona dela errana den sagarra ‘la pomme qu'il a été dit qu'elle était bonne’ 5. En effet, en ce qui concerne l'article défini, la morphologie ne permet pas d'établir son absence (ou présence) dans le cas présent, car, en admettant la présence d'un inessif sous-jacent auquel le suffixe d'adnominalisation se joint, la désinence ne permet de distinguer entre les formes sans article (supposant un inessif archaïque sous-jacent de type -tzen, c'est à dire sans déterminant ; cf. etxen) et celles où l'article serait présent (avec un inessif sous-jaçent en -tzean, lequel suppose la présence de l'article ; cf. etxean) ; dans les deux cas la forme attendue est -tzeko (cf. etxeko). 6. Exemple avec une adjonctive en TZEKO : *Goizik jaiki naiz, [lanera tenorez heltze horretako] ‘Je me suis levé tôt [pour cet arriver à l'heure au travail]’ ; (bien formé : ..., lanera tenorez heltzeko ‘pour arriver à l'heure’). 7. Comme me le fait remarquer J. A. Mujika, avec un verbe subjonctif, (26b) serait moins mal formé, mais en ce cas la phrase adnominale serait une phrase complément de nom et non une relative : ??Ez du balio hara joatea toki hartan sar zaitezen baimenik gabe ‘Ce n'est pas la peine d'aller là- bas sans la permission que vous entriez dans cette maison’ 8. Pour les noms exprimant un instrument, par contre, les choses sont moins claires, car pour des raisons mal comprises l'accessibilité à la relativisation des SD à l'instrumental dans les relatives ordinaires est difficile en l'absence de parallélisme casuel ; on a tendance à y substituer précisément des formes en TZEKO. C'est ce que montrent les exemples suivants : ?Baratzekariak xuritzen ditudan ganibeta ona da légume.PL.A peler.IMPF AUX.COMP couteau.SG.A bon être.PR Le couteau avec lequel je pèle les pommes de terre est bon Baratzekariak xuritzeko ganibeta ona da légume.PL.A peler.TZEKO couteau.SG.A bon être.PR Le couteau à peler les pommes de terre est bon Bien sûr lorsque l'instrument est sujet dans la relative aucune restriction n'apparaît (cf. (23d)).

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INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique Mots-clés : basque (langue), syntaxe, sémantique

AUTEUR

BERNARD OYHARÇABAL CNRS, UPRESA 5478 [email protected]

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Nouvelles remarques sur haina

Georges Rebuschi

1 1. Le présent article se propose de poursuivre, en le corrigeant partiellement, le travail entrepris dans mes ‘Remarques sur le pronom haina’ dorénavant RPH (Rebuschi 1997).1

2 Il repose (sans l'épuiser) sur l'analyse d'un corpus complet (sous réserve d'oubli involontaire), l'ensemble des occurrences de haina dans trois traductions labourdines intégrales des Évangiles, celle de Haraneder (1742), celle de Harriet (1855) et celle de Duvoisin (1859-65).2 Ce corpus est donné en appendice ; j'avais le choix entre plusieurs présentations, qui avaient toutes leurs avantages et leurs inconvénients ; j'ai finalement opté pour une numérotation suivie par traducteur, ce qui permettra un renvoi plus rapide à cet appendice dans le corps de ce texte. Outre le fait que ce corpus étant présenté, les spécialistes qui souhaiteraient proposer une autre analyse de haina n'auraient plus besoin de le constituer, il s'avérera également utile du point de vue des tendances statistiques qui s'y manifestent.

3 Cette étude est organisée comme suit. Dans la section 2, je reprends une partie de la conclusion de RPH, et illustre les contextes dans lesquels haina apparaît. Dans la section 3, je présente un tableau récapitulatif indiquant les fréquences selon ces contextes, et indique au § 4 ce qui rend haina si original, et apporte deux arguments nouveaux en faveur de l'interprétation de haina comme quantificateur universel. Dans la section 5, j'introduis explicitement quelques outils théoriques qui ont brillé par leur absence dans RPH, et qui seront utiles ensuite : en 6, où j'élimine la double caractérisation sémantique de haina fournie dans RPH, en le réduisant à un objet sémantique tout à fait classique pour certains types de contextes, dont les phrases corrélatives, et en 7, où je montre qu'en dépit des apparences, cette analyse, associée à l'opération de clôture existentielle des occurrences libres de variables, est tout à fait compatible avec les propriétés syntaxiques de haina dans les autres contextes.

4 2. La conclusion de RPH contenait le passage suivant (p. 76) : « On peut résumer l'analyse qui a été faite de la distribution syntaxique et de la contribution sémantique du pronom haina en labourdin des XVIIIe et XIXe siècles comme suit : ce pronom est un élément exclusivement anaphorique, qui s'interprète comme une relative libre universelle (et non [pas] définie) dont le prédicat est normalement fourni par une proposition adjointe à celle contenant

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haina (sinon, il faut aller chercher dans le contexte une proposition « saillante » qui peut fournir le contenu de ce prédicat). Dans le cas usuel, la proposition subordonnée adjointe peut être (i) une protase conditionnelle contenant un indéfini existentiel, un item de polarité négative, voire un indéfini universel, (ii) une pseudo-relative libre construite à l'aide de pronoms interrogatifs, en nor (ere)... bait-, (iii) éventuellement une véritable relative libre en -n + a (mais qui doit alors s'interpréter comme quantifiée universellement plutôt que comme spécifique), ou encore (iv) une relative en zein... bait-. » « Ce pronom s'oppose au pronom démonstratif hura qui peut [aussi] figurer dans les trois premiers contextes cités à l'instant par le fait qu'il apporte une quantification universelle à la forme logique de la phrase dont il fait partie – au contraire de hura, [... qui peut] reprendre autant des noms propres que des relatives libres spécifiques ou définies. »

5 Pour les lecteurs qui n'auraient pas eu accès à RPH, voici quelques illustrations, que je tire préférentiellement de Harriet (dorénavant « Hrt ») ou, à défaut, de Haraneder (« Hnd ») ou Duvoisin (« Duv »), le numéro suivant l'abrégé du nom du traducteur renvoyant à celui de l'appendice :

6 ◊ Phrases conditionnelles à protase contenant un indéfini existentiel :

(1) Mc 7,11 (Hrt, 13) Baldin norbaitek baderro aitari edo amari : « [...] », hainak legea bete duke. si quelqu'un s'il-dit père-DAT ou mère-DAT h. loi observé AUX ‘Si quelqu'un dit à son père ou à sa mère [...], il a observé la loi’

7 ◊ Phrases conditionnelles à protase contenant un item de polarité négative :

(2) Jn 9, 22 (Hnd, 33)3 ...elkar hartuak ziren Juduak, baldin nihork aitortzen bazuen l'un l'aure pris AUX Juifs, si personne disait si-AUX Jésus zela Kristo, kasatua izan zela haina sinagogatik. J. qu'il était le Christ, chassé serait il de la synagogue ‘les Juifs avaient décidé entre eux que si quiconque disait que Jésus était le Christ, il serait chassé de la synagogue’

8 ◊ Ce que j'appelais « protase conditionnelle contenant un indéfini universel » devrait plutôt être appelé protase de phrase « inconditionnelle », selon l'heureuse expression de Zaefferer (1990), puisqu'il s'agit de constructions (au subjonctif en basque) qui parcourent l'ensemble d'un domaine pour conclure qu'aucune restriction ne s'applique qui exclurait un élément ou un autre du prédicat apporté dans l'apodose (la principale, à droite) :

(3) Mt 7,24 (Duv, 6)4 Edozeinek beraz adi eta bete detzan ene hitz haukiek, haina, n'importe-lequel donc entende et accomplisse AUX (SUBJ) paroles ces, h harriaren gainean bere etxea jarri duen gizon gurbilaren kide eginen dute. pierre-GÉN sur sa maison posé AUX homme soigneux- GÉN pair feront AUX ‘Ainsi, quiconque écoute ces paroles sera comparé à un homme avisé qui a bâti sa maison sur le roc’ – litt. ‘que qui que ce soit entende..., on le comparera...’

9 ◊ Propositions corrélatives (j'avoue avoir eu tort de rejeter l'emploi de ce terme au profit de la circonlocution qui figure dans la citation ci-dessus : « une pseudo-relative libre construite à l'aide de pronoms interrogatifs, en nor (ere)... bait- » ; la difficulté venait de ce que les corrélatives dont j'avais connaissance servaient à construire

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l'équivalent de relatives restrictives, qui pouvaient aussi, mais en aucun cas seulement, être interprétées génériquement)5 :

(4) Mt 19,29 (Hrt, 7) Eta nork ere utziko baititu bere etxea, edo bere anaiak... ene izena gatik, et qui même laissera AUX sa maison, ou ses frères mon nom pour hainari ordain emanen zaio ehunetan bertze hainbertze. h. -DATIF équivalent il-lui-sera-donné en-cent autre tant ‘Et quiconque aura quitté sa maison, ou ses frères... à cause de mon nom en recevra le centuple en récompense’ – litt. ‘et qui laissera..., il lui sera donné.’

10 ◊ Propositions relatives libres (ou « sans antécédent ») de valeur universelle :

(5) Jn 5,24 (Hrt, 20) Ene hitza entzuten duenak, eta sinhesten duenak6 ni egorri nauena baitan, ma parole entend celui-qui, et croit celui-qui moi envoyé celui-qui en hainak badu bizitze betierekoa. h. a vie éternelle ‘Celui qui entend ma parole et croit en celui qui m'a envoyé, celui-là a la vie éternelle’

11 ◊ Haina peut aussi être suivi par une proposition relative en zein... bait- :

(6)Mt 19,11 (Hrt, 6) Eztira ere oro gai horren aditzeko, bainan Ils-ne-sont même tous capables cela-GÉN d'entendre, mais hainak bakarrik, zeinei émana izan baitzaie. h.-PLUR seulement à-qui donné il-leur-a-été ‘Tous ne peuvent pas comprendre cela, mais seulement ceux à qui cela a été donné.’

12 ◊ Dans toutes les structures qu'on vient d'illustrer, l'« antécédent » de haina (ou la proposition qui donne un contenu à la variable de prédicat que sa traduction sémantique contient - sur ces notions, voir plus loin), appartient à la phrase maximale ou radicale qui contient aussi haina. Mais il était aussi rappelé dans le passage cité que la détermination pouvait être donnée « contextuellement », au sens où elle était apportée par du matériel extérieur à cette phrase radicale. En voici un ex. tiré de Harriet :

(7) Mt 24,46-47 (Hrt, 9) Dohatsua da zerbitzari hura, zeina nausiak, datorrenean, heureux est serviteur ce, lequel le-maître en- (re)venant horrela hari dela aurkituko baitu. Egiaz erraiten darotzuet, ainsi travaillant trouvera AUX en-vérité je-vous-le-dis haina bere ontasun guzien gaineko ezarriko duela. h. ses biens tous-GÉN dessus mettra AUX ‘Heureux ce serviteur que le maître, en rentrant, trouvera travaillant de la sorte. En vérité, je vous le dis, il l'établira sur tous ses biens.’

13 3. Si l'on ne fait pas de différence entre les deux types de conditionnelles proprement dites (cp. (1) vs. (2)), on peut donc ramener à six grands types les contextes dans lesquels haina apparaissait. Or la fréquence relative de ces contextes est extrêmement variée ; il est donc utile de récapituler ce que l'on peut retirer des données de l'appendice. Dans le tableau qui suit, j'indique les numéros des ex. concernés à la suite

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du total du nombre des occurrences et du pourcentage par rapport au nombre total d'occurrences de haina chez chaque traducteur. D'autres propriétés seront discutées dans les sections suivantes.7

(8) Les contextes liés aux occurrences de haina dans les trois textes recensés. Total des occurrences de haina Hnd : 40 ; Hrt : 24 ; Duv : 66 ; total : 130. (i) Constructions corrélatives (en nor ere..., haina) Hnd : 9, soit 22,5 % (numéros 2 à 4, 6, 8 à 10, 22, 32) Hrt : 9, soit 37,5 % (numéros 2 à 5, 7, 14, 17, 23, 24) Duv : 28, soit 42,4 % (numéros 1 à 4, 8 à 10, 12 à 18, 20, 22, 23, 31, 32, 34,48 à 50, 55, 56, 59, 60,66) Total : 46, soit 35,4 % (ii) Relatives libres en haina... zeina... Hnd : 18, soit 45% (numéros 5, 7, 12 à 14, 16 à 19, 21, 23, 25, 26, 28,31,34,37,40) Hrt : 6, soit 25 % (numéros 6, 8, 10, 11, 16, 19) Duv : 18, soit 27,3 % (numéros 11, 21, 26 à 29, 33, 37, 40 à 43, 45, 51 à 53, 63, 65) Total : 43, soit 33,1 % (iii) Conditionnelles Hnd : 4, soit 10% (numéros 15, 33, 35, 39) Hrt : 4, soit 16,7 % (numéros 12, 13, 15, 22) Duv : 4, soit 6 % (numéros 30, 35, 61, 64) Total : 12, soit 9,2 % (iv) Reprise de relatives libres en - (e)na Hnd : 0, soit 0% Hrt : 2, soit 8,3% (numéros 20,21) Duv : 6, soit 9,1% (numéros 5, 24, 38, 39, 54, 62) Total : 8, soit 6,1 % (v) Inconditionnelles Hnd : 0, soit 0 % Hrt : 0, soit 0 % Duv : 5, soit 7,6% (numéros 6, 7, 19, 25, 44) Total : 5, soit 3,8 % (vi) Reprises contextuelles extra-phrastiques Hnd : 8, soit 20 % (numéros 1, 11, 20, 24, 27, 29, 30, 38) Hrt : 3, soit 12,5 % (numéros 1, 9, 18) Duv : 5, soit 7,6 % (numéros 36, 46, 47, 57, 58) Total : 16, soit 12,3 %

14 Commentaires Il est clair que certains chiffres sont trop bas pour que l'on puisse en tirer quoi que ce soit. Il apparaît cependant clairement que les deux structures majeures sont les constructions corrélatives et les relatives libres en haina + zeina, qui représentent chacune environ un tiers de l'ensemble ; tout traitement correct de haina doit donc prendre ces deux contextes comme fondamentaux.

15 Du point de vue diachronique, on remarquera aussi que :

16 - si l'augmentation des corrélatives associées à haina est manifeste entre le 18e et le 19e siècles, un examen général des constructions corrélatives (associées à hura ou à Ø, i.e. l'absence de tout pronom explicite) dans les trois textes ne révèle en fait rien de particuliee8 ;

17 - si l'on regroupe les structures conditionnelles et inconditionnelles, la stabilité est évidente ;

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18 - par contre, il y a une baisse manifeste des reprises purement contextuelles (de 20 % au xviie à 10 % au xixe, en faisant la moyenne entre les pourcentages de Harriet et de Duvoisin), et une progression tout aussi nette (et corrélée ?) des reprises de relatives libres topicalisées en - (e)na.

19 4. Explicitons maintenant ce qui fait de haina un pronom si peu ordinaire.

20 ◊ Premièrement, il n'est jamais employé déictiquement, au contraire de hura, qui peut se substituer à haina dans tous les contextes sauf celui où ce dernier est suivi d'une relative libre en zeina (cf. (8ii) et (6)) - voir RPH là-dessus). C'est donc un pronom anaphorique pur.9

21 ◊ Deuxièmement, il ne reprend jamais de nom propre, ni d'expression nominale définie. 10

22 ◊ Troisièmement, il ne peut jamais être c-commandé par son antécédent (pour la définition de la c-commande, cf. RPH) à partir d'une position argumentale. Dans des phrases équivalentes de (9) donc, les options offertes par le labourdin du XVIIIe et du XIXe siècles sont exclusivement les pronoms « ordinaires » : Ø [ou pro], hura et bera.

(9) Quelqu'un [m'a dit qu'il irait au Paradis] N'essayez pas de convaincre qui que ce soit [qu'il ira au Paradis] Celui qui croit de telles choses [devrait se demander s'il a de bonnes raisons pour cela] Si tu rencontres quelq’un [qui te dit qu'il ira au Paradis...]

23 ◊ Quatrièmement, les phrases maximales dans lesquelles il apparaît ont, énonciativement, un statut de loi plutôt que de généralisation. Corrélativement, il n'y a pas de cooccurrence entre haina et un adverbe comme ‘souvent’ ayant portée sur la phrase maximale.

24 Ce dernier point (qui n'avait pas été noté dans RPH) est crucial. En effet, une des analyses les plus fréquentes de l'équivalent anglais ou français de conditionnelles du type illustré par (1) supra est de considérer que la quantification qui les caractérise n'est due ni à l'indéfini quelqu'un de la protase, ni au il de l'apodose : on suppose la présence d'un opérateur (phoniquement invisible) de généricité (rendu licite par le temps-mode-aspect de la proposition principale) qui lie « non-sélectivement » la traduction des deux pronoms en variables, cf. :

(10) a Si quelqu'un parle à son chef, il tremble

b Génx (si x parle à son chef, x tremble)

25 Considérons maintenant (11a), une variante de (10a) introduite par l'adverbe souvent. On note alors clairement que deux interprétations sont disponibles ; la première, littérale, est sans grand intérêt pour nous ici ; souvent y quantifie des événements : quand Jean parle à son chef, souvent, il tremble, quand Pierre parle à son chef, souvent, il tremble, etc. Ce qui est important, par contre, c'est l'existence de la seconde interprétation, indiquée en (11b) ci-dessous, selon laquelle c'est la variable d'individu x qui est quantifiée :

(11) a Souvent, si quelqu'un parle à son chef, il tremble

b Bcpx (si x parle à son chef, x tremble)

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26 (11b), et donc (11a), peuvent se gloser par : Beaucoup de gens tremblent quand ils parlent à leur chef Or une telle interprétation n'est possible que si les deux pronoms quelqu'un et il sont effectivement traités comme deux variables liées par un opérateur de quantification dont la source est ailleurs11. L'absence de telles restrictions adverbiales dans les phrases contenant haina semble donc bien indiquer que la quantification universelle que j'avais attribuée à ces phrases dans RPH provient du mot haina lui- même. On a donc ici un argument de plus corroborant cette hypothèse.

27 Un autre argument encore peut être ajouté, qui est également fondé sur une absence d'occurrences spécifiques dans le corpus : je n'ai trouvé nulle part d'exemple où une relative libre suivie de guzia ‘tout’ serait directement reprise par haina (dans le cas de Hnd 30 par ex., la première reprise est par Ø, si bien que le contexte d'emploi de haina est de type contextuel). Si l'on admet le principe dit d'Interprétation complète (Full Interprétation) de Chomsky (1986), repris sous la forme d'une interdiction de toute quantification à vide (vacous quantification) par les sémanticiens, on voit que ces principes seraient violés si une telle relative libre était correlée à haina, car la forme logique de la phrase disposerait alors de deux quantificateurs universels pour une seule paire de variables (la variable liée par « ∀ » apparaît en effet et dans la restriction, la proposition de gauche, qui contient le prédicat P, et dans la portée nucléaire, la proposition de droite, qui contient le prédicat Q de (12) ci-après.

28 5.1. Cela dit, la caractérisation sémantique précise de haina ne va pas sans problèmes. Aussi longtemps que l'on se contente d'une formule comme (12), on s'en tient à des banalités difficilement réfutables12 :

(12) haina =>∀x[P(x) : Q(x)]

29 En effet, le principe de compositionalité exige que les aspects logiques du sens soient calculés en fonction non seulement du contenu des morphèmes pertinents, mais aussi de la manière dont ils sont assemblés par la syntaxe13. En conséquence, il faut se donner les moyens de décrire précisément, ou de calculer formellement comment on arrive à la construction (de la partie vériconditionnelle) du sens - spécifiquement, la partie droite de (12) où P et Q auraient un contenu concret, par ex. ‘parler’ et ‘trembler’ respectivement.

30 5.2. Le traitement standard14 est de faire précéder une formule comme la partie droite de (12) par des opérateurs λ (lambda) qui transformeront cette formule en prédicat prenant comme argument un prédicat. Commençons par un exemple simple. Si l'on fait abstraction du temps, une phrase comme Jean parle peut se représenter comme en (13), où le prédicat est à gauche, et son argument, entre parenthèses, à droite :

(13) parler(jean)

31 Bien entendu, Jean a d'autres propriétés15 ; on peut donc faire abstraction du prédicat parler, ce qui donnera (14) :

(14) λP.P(jean)

32 formule qui peut recevoir une interprétation ensembliste : c'est l'ensemble des propriétés de Jean. On revient à (13) en deux étapes. D'abord, si (14) représente un ensemble, cette formule peut aussi se comprendre comme la fonction caractéristique de

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cet ensemble. En tant que fonction (unaire), elle peut prendre un prédicat comme parler comme argument, ce que note (15) :

(15) [λP.P(jean)](parler)

33 (On peut donc lire (15) comme suit : « parler » est un élément de l'ensemble des propriétés de Jean.)

34 L'opération dite « λ-conversion » s'appliquera ensuite à (15) ; elle revient à substituer dans la formule toutes les occurrences de la variable liée par l'opérateur λ (ici, l'unique occurrence de P après « λP ») par l'argument, provoquant simultanément la disparition de l'opérateur λ lui-même. On voit que cette opération donne directement (13). 35 Considérons maintenant une proposition comme (16) :

(16) Quiconque parle tremble

36 Il n'est pas possible de représenter directement le contenu de cette phrase comme en (13), puisque quiconque est un pronom indéfini, non référentiel. Qui plus est, ce pronom ne peut pas fonctionner seul (*quiconque tremble n'est pas une phrase indépendante bien formée, au contraire de tout le monde tremble). Cet élément va donc devoir se combiner d'abord avec un prédicat, ici parler, pour donner un argument, qui se combinera avec le verbe trembler (le prédicat de la proposition principale), pour donner compositionnellement son sens à la phrase.

37 Si on laisse de côté la restriction de quiconque aux humains (comparer tout, qui peut quantifier aussi bien des objets que des humains : tout livre, tout linguiste, mais qui prend des noms plutôt que des relatives comme argument servant à restreindre son domaine), on peut donc noter la contribution sémantique de quiconque - et, en anticipant légèrement, de haina - comme en (17) :

(17) quiconque / haina => λPλQ∀x[P(x) : Q(x)]

38 Les opérations de λ-conversion s'effectuant de l'extérieur vers l'intérieur, les valeurs de P (parler) et Q (trembler) seront donc données comme en (18) :

(18) [λP[λQ∀x[P(x) : Q(x)] (trembler)]](parler)

39 La première conversion donnera (19a), et la seconde, (19b), qui définit bien la valeur vériconditionnelle de (16) :

(19) a [λQ∀x[parler(x) : Q(x)]](trembler) b ∀x [parler (x) : trembler (x)]

40 5.2. Revenons à haina. Ce morphème partage beaucoup de caractéristiques avec quiconque, au moins dans le cas particulier des constructions en haina... zeina. Un exemple est fourni en (20), où l'on fera abstraction de la marque non-pertinente d'hypothèse baldin... ba, ‘si’ :

(20) Jn 10,35 (Duv, 63) Baldin jainko deitu baditu hainak zeineri ateratu baitzaiote Jainkoaren hitza... si dieu appelé si-AUX h. à-qui sorti qu'il-leur-sont de-Dieu le-mot ‘S'il a appelé dieux (tous) ceux à qui la parole de Dieu est venue...’

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41 Le prédicat P des formules ci-dessus est ici λy[venir-à(parole,y)]16, et c'est lui qui va servir d'argument à la fonction (17). A partir de (21a), on obtient donc (21b), après plusieurs λ.-conversions successives :

(21) a [λP[λ∀Qx[P(x) : Q(x)](λz[appeler(il,z,dieu)])]](λy [venir-à (parole,y)]) b ∀x[[venir-à(parole,x)] : [appeler(il,x,dieu)]]

42 Tout serait donc d'une simplicité... biblique, si les relatives en zeina suivaient toujours immédiatement haina. Malheureusement, il n'en est rien : même en incluant les cas où haina n'est séparé de zeina que par baizen, baizik ou bakarrik ‘seulement’, ces cas de (quasi-)juxtaposition ne représentent respectivement que 61 %, 33 % et 44 % des occurrences pertinentes dont les références sont données en (8ii). Il faut donc admettre que la séparation de haina et de zeina (typiquement par la copule fléchie, ce qui montre que haina est alors en position focale, comme dans (22) ci-après) est liée à un processus d'extraposition de la relative, extraposition qui laisse une trace adjacente à haina ; j'introduis donc cette trace (sous la forme d'un t coïndexé avec la relative) dans l'extrait suivant, donné à titre d'illustration (Duv 41a pratiquement le même texte) :

(22) Lc 8,21 (Hnd, 19)

Ene ama eta ene anaiak, hainak ti dire, [zeinek aditzen baidute [...] POSS-1 mère et frères, h. sont qui entendent AUX

Jainkoaren hitza]i. de-Dieu la-parole ‘Ma mère et mes frères, ce sont ceux (-là même) qui entendent la parole divine’

43 Si l'on admet, comme c'est courant aujourd'hui, que les traces qui ne sont pas des traces d'opérateurs sont en fait des éléments dont seule la forme (ou la face) phonique a été déplacée, leur contenu sémantique va être interprété in situ en forme logique : la compositionalité est donc encore respectée, avec haina défini comme quiconque en (17).

44 6.1. Le cas traité à l'instant n'était pas développé dans RPH, où une formule minimalement distincte de (17) [reprise ici comme (23a)] pour haina était proposée, (34a)-(36a) dans RPH, répété ici comme (23b) :

(23) a haina => λPλ∀Qx[P(x) : Q(x)] b haina => λQλP∀x[P(x) : Q(x)]

45 L'inversion des opérateurs λ (λQ précède ici λP) avait le mérite de permettre de traiter directement de cas de figure comme (8i), les corrélatives, (8iii), les conditionnelles, ou (8iv), les relatives libres disloquées. En effet, si l'on part de structures de surface comme (4), (1) ou (5) respectivement, l'interprétation logi-co-sémantique des phrases ne peut se faire compositionnellement que si haina se combine d'abord avec le prédicat sémantiquement pertinent17fourni par la proposition à laquelle il appartient, et ensuite seulement avec le prédicat fourni par la protase.

46 Mais cette inversion avait aussi un grand défaut, celui de ne correspondre à rien de connu !18 La question se pose donc de savoir si l'on doit permettre à haina d'être doublement caractérisé - soit comme quiconque, par (23a), soit, de manière hautement idiosyncrasique, par (23b). Il n'est évidemment pas de bonne méthode de proposer deux caractérisations si on peut n'en donner qu'une, et il n'est pas non plus très sérieux

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de se satisfaire d'un résultant surprenant aussi longtemps que l'on n'a pas cherché à voir si la variante plus traditionnelle ne pourrait pas suffire.

47 Je vais donc essayer de justifier dans cette section l'élimination de (23b), et de montrer comment on peut raisonnablement ramener l'essentiel des usages de haina à (23a).

48 6.2.1. Considérons d'abord les corrélatives. Comme je l'ai dit plus haut, les corrélatives basques semblent bien ne fournir, en première approximation, que des relatives libres universelles, et non pas des relatives définies - en fait, elles fournissent des prédicats. Cela dit, la forme même des corrélatives est très proche de celle des relatives en zeina. Ainsi, dans le dialecte qui nous intéresse, c'est le même préfixe bait- qui, dans les deux cas, marque la subordination (alors qu'en haut-navarrais, par exemple, la forme verbale fléchie des corrélatives proprement dites est ou était en - (e)n19). En fait, la seule différence est liée au choix de nor dans les corrélatives, et à celui de zein- dans les relatives postposées. J'ai probablement accordé trop d'importance à cette différence dans RPH - et cela, d'autant plus que Duv offre cinq cas de corrélatives introduites par zeina, dans des contextes qui ne sont pas reliés au discours (c'est-à-dire dans des contextes où la quantification se fait sur un ensemble de référence connu des locuteurs). On peut donc simplement considérer que dans les deux cas, le mouvement syntaxique de cet élément, nor ou zein-, revient à construire syntaxiquement l'opérateur λ qui lie une variable d'argument et sert donc à caractériser de manière générale les prédicats (voir (21) supra et les notes 16 et 17). En d'autres termes, on peut proposer une traduction ou équivalence directe entre la représentation syntaxique (24a) et la notation logico-sémantique (b)20 :

(24) a [CPNor/zeini. (ere) [c’mintzo bait-da [ipti....]]] b λx [mintzo/parle (x)]

49 Si l'on admet que lorsqu'une relative est dissociée de haina, c'est suite à un déplacement de la relative vers la droite, on pourra donc admettre que les corrélatives instancient le même type de mouvement, mais vers la gauche.

50 6.2.2. Qu'un tel mouvement soit syntaxiquement possible est corroboré par le fait même qu'il n'a pas toujours lieu. Si je n'ai pas d'exemple à fournir avec haina lui-même, il y en a quelques uns avec hura, dont on sait qu'il pouvait toujours se substituer à haina dans ce contexte21. Or il existe des cas où ce que l'on appelle proposition corrélative semble bien être immédiatement adjacent au pronom hura. C'est par exemple le cas de (25)22 :

(25) Luc 10,22 (Hnd) nihork ez daki nor den Semea Aitak baizen, personne ne sait qui est le-Fils le-Père excepté ez nor den Aita [[Semeak baizen] eta ni qui est le-Père le-Fils excepté et [NORI ERE Semeak agertu nahiko baidu, ETA HARK baizen]]. à-qui même le-Fils révéler voudra bait-A\jx et lui excepté ‘Nul ne sait qui est le Fils sauf le Père, ni qui est le Père [[sauf le Fils] et [sauf celui à qui le Fils voudra le révéler]]’

51 Comme l'indique la parenthétisation du texte et de sa traduction en français, il y a coordination de deux syntagmes qui sont composés chacun de baizen ‘sauf’ précédé, au moins dans le premier cas, d'un syntagme nominal. La question est donc de savoir quelle est la nature de la chaîne (que j'ai mise en italiques) qui va de nori ere à eta hark.

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Tout semble indiquer qu'il s'agit aussi d'un syntagme nominal, et, en dépit de la présence de eta ‘et’ en avant-dernière position, d'un syntagme nominal qui, s'il a une structure interne complexe, n'est pas lui-même construit par coordination de deux syntagmes nominaux distincts. Il est clair en effet que la référence est universelle – ou, pour reprendre les termes de Jacobson employés dans RPH, à propos de la sémantique de hura, qu'elle se fait à un individu pluriel maximal (qui ne tolère donc pas d'exceptions).

52 Avant de poursuivre, soulignons que cette construction, quoique rare, n'est pas un hapax. On la rencontre encore dans la langue contemporaine, ainsi que me l'a confirmé l'académicien Emile Larre. En voici un exemple non construit (en bas-navarrais) :

(26) Marc 10,40 (Léon 1946) toki hoik [[norentzat ère eginak baitira eta heie]nak] dira. lieu ces pour-qui même faits bait- ils-sont et les-leurs ils-sont ‘ces endroits sont ceux de ceux pour qui ils ont été faits’

53 La corrélation « interrogatif » ~ démonstratif est ici un peu plus complexe, puisqu'elle ne concerne pas des arguments des deux verbes, mais un adverbial ou adjoint destinatif (norentzat) d'abord, puis un génitif qui spécifie un SN sans tête nominale explicite (heien-Ø-ak), mais elle est exactement du même type : entre le sujet toki hoik et le verbe fléchi dira qui clôt le syntagme verbal, il n'y a de place que pour un syntagme en position (et fonction) attributive, cf. toki hoik heienak dira, ‘ces endroits sont les leurs’, litt. ‘ils sont les Ø d'eux’.

54 6.2.3. Je suis donc fortement enclin à penser que les syntagmes nominaux [nori ere Semeak agertu nahiko baidu, eta hark] de (25) et [norentzat ère eginak baitira eta heie(nak)] de (26) sont en quelque sorte la source syntaxique des constructions corrélatives proprement dites. Partons plus spécifiquement du fait que, dans les constructions corrélatives, le pronom corrélat (que ce soit hura ou haina), est très typiquement en position focale, immédiatement à gauche du verbe et donc en tête de proposition, et aussi que, sauf chez Duvoisin, ce même corrélat (et/ou la proposition de droite) est très souvent introduit par eta (c'est aussi le cas chez Léon 1946).

55 Tout cela se met en place si l'on admet une structure de base comme (27) :

(27) [x’’ Corrélative [x’ eta [SN pronom]]

56 L'objet syntaxique X’’ est probablement la projection d'une catégorie fonctionnelle au- dessus d'un SN23. Adoptant le mécanisme de focalisation décrit par Ortiz de Urbina (1989), entre autres auteurs, on peut considérer que ce X’’ est en position de spécificateur de CP, et que le verbe auquel il est adjacent est en C°. Sauf cas marqué de topicalisation par dislocation, le X’’ est donc en position initiale dans le CP, et la corrélative n'a même pas besoin d'être extraite pour s'adjoindre à gauche de ce CP : dans la position qu'elle occupe, quand le X’’ est focalisé, elle occupe déjà une position initiale.

57 Mais, bien entendu, le déplacement du corrélat vers Spéc, CP n'est pas obligatoire. S'il n'y a pas mouvement, la corrélative aurait tendance à monter s'ajoindre à gauche du CP d'origine, quoique, comme le montrent les ex. (25) et (26), cela ne soit pas obligatoire - en fait, la très classique contrainte des NP coordonnés de Ross interdit même l'extraction hors d'un syntagme coordonné à une autre ; on pourrait donc admettre que

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c'est cette contrainte qui bloque le déplacement dans (25), si l'on adopte une structure de type (27) pour coder un contenu qui peut l'être autrement (cf. la note 22).

58 6.2.4. Ce qui précède est évidemment très hypothétique, de nombreux problèmes restant à résoudre, notamment la présence (rare il est vrai) de eta à gauche de la proposition principale lorsque hura ou haina n'est pas en position focale, ou lorsque le corrélat n'est pas réalisé phoniquement (Ø ou pro). L'approche suggérée à l'instant a cependant le mérite d'être articulable à l'analyse des constructions en haina... zeina : en effet, on peut penser que (27) n'est pas la structure réelle, laquelle serait plus riche, cf. (28) :

(28) [x’’ Corrélativei [x eta [SN pronom ei]]

59 où e est une position vide liée à la corrélative. L'idéal serait évidemment de pouvoir dire que ce e est la trace d'un déplacement (rendu possible par la présence de la tête fonctionnelle eta ?) : on aurait alors une structure presque exactement symétrique de celle postulée plus haut pour les relatives extraposées en zeina avec une trace à nouveau interprétée directement in situ comme contenant le prédicat qui se combine sémantiquement avec haina ou hura (cf. la trace t dans (22)).

60 En résumé, la structure de base serait constituée d'un pronom originellement suivi d'une relative adjointe au SN dominant ce pronom. S'il n'y a pas plus de structure, la relative pourra être extraposée (vers la doite), cf. (22). Mais si le SN complexe ainsi constitué est structuralement le complément d'une tête fonctionnelle (qui sera phoniquement réalisée par eta ou n'aura pas de réalisation phonique), la relative effectuera un premier déplacement vers le spécificateur de cette tête fonctionnelle, et, le cas échéant, montera ensuite s'adjoindre à CP. Du point de vue sémantique, par contre, tout se passera comme s'il n'y avait pas eu de mouvement : la relative sera interprétée comme la propriété différentielle restreignant le domaine quantifié - par « ∀ » dans le cas de haina, et par « Į » (iota) dans le cas de hura (sur ce point, cf. RPH), ce qui permet, au moins dans le cas des corrélatives, d'éliminer la caractérisation (23b) au profit de la seule définition (23a).

61 6.3. Le cas des relatives libres disloquées en - (e)na peut sembler plus complexe du point de vue de la compositionalité, dans la mesure où une relative libre est typiquement interprétée comme un argument (techniquement, comme une « entité » si elle est spécifique, ou comme un « quantificateur généralisé » [QG] si elle est universelle). Noter cependant qu'il y a dix ans déjà, Partee (1987) proposait que le changement de type sémantique d'une expression nominale (entité, QG) en un prédicat, quoique marqué, soit reconnu comme nécessaire. Qui plus est, le basque requiert indépendamment que les relatives en - (e)na soit parfois interprétées comme des propriétés et non comme des entités ou des QG. On sait en effet que la distinction sémantique entre relatives restrictives et relatives appositives n'est pas marquée comme telle en basque (cf. Oyharçabal 1985, 1987) : les relatives qui précèdent le nom- tête peuvent en effet être interprétées des deux manières, et il en va de même des trois types de relatives qui suivent ce nom tête, qu'elles soient (i) introduites par zeina + bait-, (ii) introduites directement par bait-, ou encore (iii) qu'elles aient la forme d'une relative libre, comme dans l'ex. suivant, (Oyharçabal 1987, p. 180)24 :

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(29) etorriko da egun.A, [orok igurikatzen dugu.N.A] venir-fut AUXjour-SG-ABS tous attendant AUX-N-Ø-SG-ABS ‘Le jour que nous attendons tous viendra’

62 Pour que (29) reçoive l'interprétation proposée, il faut que la chaîne entre crochets ne soit pas interprétée comme dénotant une entité, mais une propriété qui participera d'une manière ou d'une autre à la détermination de l'antécédent, en permettant de construire l'intersection de l'ensemble des {jours} et de l'ensemble des {objets-que- nous-attendons} (intersection qui ne possède, au singulier, qu'un seul élément). On peut adopter par exemple la théorie de Bach & Cooper (1978) pour établir un rapport sémantique correct entre un antécédent doté de son spécificateur, et une relative adjointe à cet antécédent : comme on l'a dit, la contribution de Partee, quant à elle, concerne l'interprétation de la relative libre comme propriété.

63 Si l'on revient à (5) / (8iv), la structure qui nous intéresse ici, on voit donc que la grammaire du basque permet, et même exige, indépendamment de cette structure, que certains objets qui ont la forme d'une relative libre soient interprétés comme des prédicats (ou propriétés). En généralisant la partie pertinente de (28), à savoir que haina est toujours associé à une place vide interprétable comme une propriété, on voit que le cas de figure ici décrit n'est qu'un cas particulier du calcul compositionnel plus général de la contribution sémantique de haina à la phrase à laquelle il appartient. (Ajoutons que si ce qui précède est correct, le curieux ex. Hnd 37, où haina, au lieu d'être suivi par une relative en zein, est suivi d'une relative en - (e)na, devient en fait tout naturel25.)

64 7.1. La section 6 a réglé 73 % des cas de figure : (8i), (8ii) et (8iv) (95 des 130 occurrences recensées)26. Un gros quart subsiste donc encore. La question est de savoir si les 27 % restants justifient le maintien de (23b) comme alternative à (23a). En fait, il n'en est rien, car le cas de figure représenté par (7) / (8vi), c'est-à-dire celui des reprises contextuelles extra-phrastiques, ne peut de toute manière pas être traité de la sorte. Ce dont on a besoin ici, c'est d'admettre qu'en l'absence d'un prédicat permettant d'interpréter la place vide associée à haina, la variable de prédicat P de (23a) fait l'objet d'une clôture existentielle27 ; en d'autres termes, l'absence d'argument pour l'expression- λ globale de (23a) conduit à la réécriture (30) :

(30) λQƎP∀x[P(x) : Q(x)]

65 Le haina de (7) par exemple s'interprétera comme ‘une telle personne’, ou mieux, ‘toute personne (qui est) telle’, où ‘tel (le)’ marque une propriété différentielle non-explicite mais bien réelle : ce qui revient à dire que pour comprendre la phrase, il faut chercher un prédicat « saillant » dans le contexte ; dans le cas de (7), c'est un prédicat complexe, ‘(être) un serviteur que le maître trouvera au travail en rentrant’.

66 7.2. Que peut-on dire maintenant des conditionnelles et inconditionnelles (8iii) et (8v) ? Le mécanisme décrit à l'instant suffit ; en effet, si la subordonnée conditionnante, ou protase, peut difficilement être interprétée comme un prédicat, elle contient bien un prédicat, prédicat qui va de plus être naturellement « saillant » par rapport à la conditionnée qui suit (l'apodose). Autrement dit, comme il n'y a pas de prédicat pouvant servir d'argument à la λ-expression de (23a) dans les phrases conditionnelles, la règle de clôture existentielle qui donne (30) s'applique, tandis que la subordonnée à gauche, qui contient un prédicat saillant fournit ce prédicat pour l'interprétation.

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Considérons l'ex. (1). L'argument de (30) est le prédicat ‘observer la loi’ ; par λ- conversion, on obtient :

(31) ƎP∀x[P(x) : observer(x,la loi)]

67 Autrement dit, (31) est l'interprétation de la proposition principale, ou conditionnée, de (1), disons, ‘toute personne (qui est) telle respecte la loi’. La conditionnante, de son côté, contient un prédicat, ‘dire ceci’.

68 On obtient donc une forme logique qui correspond à la glose (32)28 :

(32) SI [il existe une personne x1 qui dit ceci], ALORS [il existe une propriété

P telle que toute personne x2 qui a la propriété P observe la loi]

69 ‘Dire ceci’ étant contextuellement saillant va donc être interprété comme le contenu de P, sans plus :

(33) SI [il existe une personne xi qui dit ceci],

ALORS [toute personne xi qui dit ceci observe la loi]

70 qui, quoique semble lourd, respecte trivialement les conditions de vérité de la seule conséquente29.

71 8.1. En résumé, on a réglé à un détail près l'essentiel des occurrences de haina dans le corpus, celles où cet élément apparaît superficiellement comme un pronom : c'est un pronom qui ne réfère pas, mais quantifie universellement un domaine défini par une propriété qui est ou bien apportée par une relative (éventuellement corrélative), ou bien est contextuellement saillante. Restent, d'une part, l'unique cas où haina est suivi de hura (Hnd, 36), attesté par ailleurs selon le DGV, et sur lequel je n'ai rien à dire, et, d'autre part, les quatre cas où haina suit un nom et fonctionne donc comme déterminant (Hnd 17, 21, 25 et Hrt 16)30. Structuralement, il est parfaitement possible que haina soit à considérer comme un déterminant typiquement intransitif, c'est-à-dire ne prenant usuellement pas de SN comme complément sur sa gauche, mais pouvant marginalement le faire ; du point de vue sémantique, ce nom apporte une restriction supplémentaire au domaine quantifié universellement, mais l'exigence d'une position vide liée par une relative interprétée comme une propriété reste manifeste : tous les ex. de ce types sont en effet construits avec une relative en zeina à droite ; il n'y a donc rien de vraiment particulier à dire de ce côté.

72 8.2. Le « détail » auquel je viens de faire allusion concerne l'existence de cas, rares sauf chez Duvoisin (aucun chez Harriet, et un seul chez Harander), où le réfèrent de haina est singulier. Tous ces cas ne sont pas, en toute logique, incompatibles avec l'analyse quantificationnelle de ce morphème : les logiciens parleraient simplement de « quantification dégénérée », car aucun principe ne peut interdire de quantifier universellement un singleton. La rareté des occurrences est alors peut-être stylistique, en ce sens qu'inconsciemment, l'emploi de cet outil a pu être ressenti comme ce que l'on appellerait aujourd'hui humoristiquement l'utilisation d'un bazooka pour tuer un mouche...31

73 Cela dit, il faut distinguer entre le cas général de quantification dégénérée, et un cas très particulier de reprise contextuelle. L'hypothèse que haina se traduit par une quantification universelle est encore défendable, donc, dans des cas comme Duv, 54 (relative libre en - (e)na disloquée : ‘celui qui m'a envoyé’), 55 (corrélative : ‘celui qui

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m'a guéri’), ou 66 (relative en zeina : ‘celui auquel j'offrirai le pain trempé’), puisqu'il est possible de construire un ensemble de référence à quantifier – comme on le voit en français même, si l'on fait abstraction de ce que l'on sait par ailleurs, ces expressions sont ambiguës et pourraient dans d'autres contextes renvoyer à des ensembles contenant plusieurs éléments.

74 Par contre, dans les trois cas suivants : Hnd 24 et Duv 47 (Luc 17,16) et Duv 36 (Marc 14,21), la situation est plus sérieuse, puisqu'un individu (une entité) et un seul est désigné dans le verset précédent ; il n'est donc plus possible de quantifier sur un singleton, et haina doit être alors considéré comme un strict équivalent du démonstratif hura, de manière analogue à l'ex. (4) de RPH.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. La rédaction de RPH a été suivie de présentations orales progressivement modifiées au séminaire du groupe de syntaxe du LANDISCO de l'Univ. de Nancy 2 (janvier 1998), et au séminaire de syntaxe avancée de Pans 8 (janvier et mars 1998), ainsi que sous forme de communication au Colloque de sémantique non-lexicale de Paris 7 (mai 1998), cf. Rebuschi (1998) ; je remercie les diverses audiences pour leurs critiques et leurs remarques, qui sont en partie à l'origine de ce travail-ci, ainsi que la Azkue Biblioteka, qui m'a procuré une copie de l'intégralité de Harriet (1855). 2. La traduction de Harriet, en dépit de son titre, se limite aux quatre Évangiles ; comme je tenais à comparer systématiquement les données pertinentes, je me suis donc borné au texte le plus court (on sait que Haraneder a traduit l'ensemble du Nouveau Testament - bien qu'à l'inverse de Harriet, il ait intitulé son texte J.C.en Evangelio Saindua ! -, et Du voisin, la Bible entière). On peut noter au passage que je ne disposais pas du texte de Harriet il y a un an, mais que ce dernier n'apporte aucun contre-exemple aux résultats obtenus sur la base des deux autres traductions ainsi que sur l'Imitation traduite par Chourio, citée dans RPH - au contraire, les passages faisant difficulté pour l'analyse que je propose y sont construits sans haina. (Qu'il me soit permis au passage de rappeler à certains critiques, mécontents de ne me voir utiliser que des traductions, qu'il existe aucun élément lexical ou grammatical équivalent de haina dans leurs textes de départ, qu'il s'agisse du latin ou du français.) 3. Duv (61) a une traduction proche, avec haina également ; quant à Harriet, il n'emploie apparemment jamais haina dans de tels contextes ; voici sa trad. du même verset (où le symbole ‘Ø’ indique qu'il n'y a pas de pronom explicite) : ...ezen elkar hitz hartuak ziren Juduek, baldin eta nehork aitortzen bazuen Jésus Kristo zela, izanen zela Ø etxatua batzarretik. 4. On ne trouve pas ces constructions chez Harriet, ni dans les Évangiles de Haraneder, mais ce dernier en offre au moins un ex. dans les Epîtres (Je 1,25) - ce qui montre bien les difficultés qu'il y a à travailler sur corpus.

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5. Voir par ex. Cooper (1979) pour le hittite, Keenan (1985) ou Dayal (1997) pour le hindi, ou encore Zribi-Hertz(1995) pour le bambara. Depuis, j'ai pris connaissance des corrélatives dans les langues slaves, qui se comportent de manière identique à celles du basque (Izvorski 1996, Boskovic 1997). 6. Voir la note 25 sur le fait que ce qui apparaît comme deux relatives libres coordonnées, et semble donc renvoyer à deux (types d') individus, ne réfère souvent qu'à un seul et unique individu ou type. 7. L'occurrence numérotée 30a de Duvoisin (Mc 9,37) n'est pas comptée, puisqu'il s'agit manifestement d'une coquille ; les deux autres trad. ont bien, comme on peut s'y attendre, zeina : Nausia, ikusi dugu gizon bat, zure izenean deabruak kentzen dituena, zeina ez baida gureetarik... (Hnd) ; Ikusi dugu norbait zure izenean deabruak egozten zituena, zeina ezpaitabila gurekin... (Hrt). 8. Rappelons que si haina a disparu, les corrélatives elles-mêmes sont encore bien vivantes non seulement en labourdin, mais aussi en bas-navarrais. 9. Les passages des Évangiles où des démonstratifs sont employés déictiquement (il s'agit bien entendu de dialogues) ne manquent pourtant pas. Par ailleurs, lorsque hura est effectivement suivi d'une relative en zeina. il est précédé d'un nom et fonctionne donc comme déterminant, et non comme pronom (au sens de pro-SN). 10. « Expressions nominales » au sens strict, avec un nom-tête lexical ; comparer le cas (5)/(8iv). Noter deux exceptions : Hnd 1, que Hrt 1 s'est hâté de corriger non pas en supprimant haina, mais en supprimant le nom-tête de l'antécédent, et Hrt 15 (où le SN est malgré tout enchâssé dans une protase conditionnelle). 11. Considérons à ce titre Mt 19,30 : la Vulgate a Multi ‘beaucoup de gens’, et nos trois traducteurs quantifient l'argument sujet avec hainitz (Hnd, Hrt) ou asko (Duv), ‘beaucoup’ dans les deux cas. Si le mécanisme décrit à l'instant n'était pas très naturel, on ne pourrait comprendre pourquoi Léon (1946) a, lui, opté pour la variante suivante : Maizenik lehenak dira azken eta azkenak lehen, litt. ‘ Souvent, les premiers sont derniers et les derniers, premiers’. 12. Cf. (16) dans RPH, où une coquille a malheureusement fait sauter le quantificateur ‘∀’. 13. C'est évidemment le prix à payer si l'on refuse le holisme sémantique de Wittgenstein, Quine, ou Chomsky. 14. Je prie les sémanticiens de bien vouloir ou bien sauter cette sous-section, ou bien me pardonner les simplifications et raccourcis que je me permets d'y faire. 15. Le terme de « propriété » s'entend ici au sens large, et ne recouvre donc pas seulement des propriétés stables, mais aussi des activités (définitoires ou non). 16. L'abstraction est ici faite sur un argument, complication nécessaire due au fait que le prédicat P qui permet d'identifier ceux à qui s'applique le prédicat Q ‘être appelés dieux’ n'est pas le sujet syntaxique de la relative. En fait, il en va de même de Q, qui est plus exactement : λx[appeler(il,x,dieu)] puisque la principale n'est pas au passif. Pour prendre un cas maximalement simple, l'abstraction sur l'argument, et non plus le prédicat, dans (13), donnerait (i), la fonction caractéristique de l'ensemble des individus qui parlent / ont la propriété de parler. La réintégration du sujet s'effectuerait donc à partir de (ii), par λ-conversion : (i) λx[parler(x)] (ii) [λx[parler(x)]](jean) 17. Voir la note précédente. Dans le cas de (4) par exemple, le prédicat sémantique n'est pas le prédicat fourni sur la base de la dichotomie syntaxique traditionnelle syntagme nominal sujet / syntagme verbal, puisque haina est au datif. 18. Je remercie Iléana Comorovski qui m'en a fait la remarque. 19. Voir par ex. Lizarraga (1868). Voici un des dix ex. que j'ai pu y relever : (i) Jn 12,47 Eta nork ere aditzen tuen nere itzak, nik eztut ura juzgatzen. et qui même entend AUX + en mes paroles, moi, je ne juge pas celui-là.

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20. Je garde pour plus tard une étude de l'opposition distributionnelle entre nor et zein, ainsi que du fait que ere ‘même/aussi’ n'apparaît que dans les protases corrélatives ; remarquer en particulier que nor peut représenter un parcours sur un ensemble fini et connu des locuteurs (cf. Hnd 22 ou Hrt 17), et qu'inversement zein peut « quantifier » un ensemble ouvert (Duv, 4 ou 8). Noter toutefois que si nor est indéfini, et entraîne donc un accord verbo-nominal par défaut en 3 sg., zein- relatif peut au contraire varier en nombre ; l'identification « forte » que Chomsky ( 1986) proposait comme contrainte entre un antécédent et un pronom relatif est alors peut-être le facteur qui détermine la sélection de ce dernier plutôt que de nor dans les relatives qui suivent le nom (voir cependant le traitement des corrélatives qui suit immédiatement, qui affaiblit cet argument). 21. Voir RPH et, ici même, dans l'Appendice, Hrt 5 ou Duv 15. 22. Pour le même verset, Harriet a une relative libre en - (e)na, et Duvoisin, une construction en haina zeina (cf. Duv 42 dans l'Appendice). 23. Les corrélatives du hindi peuvent occuper linéairement la même place : adjonction à gauche du SN/pronom de reprise (selon Dayal 1997) - quoique la tête X° que je suppose ici (eta) ne soit pas phoni-quement réalisée dans cette langue. Noter que s'il n'y a pas de tête fonctionnelle, et donc de structure X-barre, il faudrait postuler une adjonction à un argument, ce qui est en général considéré comme impossible. 24. Je laisse de côté les relatives où le nom tête nu est suivi d'une relative en - (e)n... (voir à nouveau les travaux d'Oyharçabal à ce sujet) : on en trouvera ici un exemple dans Duv,7 ([[gizon zoro, legarraren gainean etxea egiten du]ena] : litt. ‘[[homme stupide, sable dessus maison fait AUX] - en-ABS.SG.), ‘un/l'homme insensé qui construit sa maison sur du sable’, mais elles ne posent, du point de vue interprétatif, aucun problème particulier par rapport aux relatives en - (e)n qui précèdent le nom-tête. 25. De la même manière, on voit qu'une extension de ce raisonnement devrait conduire à une analyse somme toute naturelle du fait que la coordination de deux objets qui ont la forme de deux relatives libres, chacune étant au singulier, permet de construire une intersection- singleton, comme dans (5) supra (cf. aussi Hnd, 29 et bien d'autres exemples), où la lecture littérale, ‘celui qui entend ma parole et celui qui croit...’ est à la fois contraire au sens, et en contradiction avec le singulier du corrélat. 26. Voir § 8 pour une brève discussion des antécédents spécifiques. 27. Le mécanisme de clôture existentielle par défaut est dû à Heim (1982 : pp. 138 et sv.). Elle le proposait uniquement pour des arguments, mais je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas l'étendre aux prédicats, puisque, de toute manière, la logique du premier ordre est insuffisante pour rendre compte des propriétés sémantiques des langues naturelles. 28. Je ne donne pas de formule, car, dans la mesure où il n'y a pas de quantification ou de liage d'une une variable d'argument (ordinaire) dans les deux propositions, il faudrait introduire une variable d'événement supplémentaire dans la restriction et la portée nucléaire. 29. L'analyse présentée à l'instant pour les conditionnelles a malgré tout au moins un un petit défaut : on devrait pouvoir choisir un prédicat extérieur à la phrase maximale comme prédicat saillant donnant sa valeur à P, or je n'ai jamais trouvé d'exemples de haina « passant par-dessus » le prédicat de la protase pour aller en choisir un plus loin dans le texte... 30. Le cas est donc moins anecdotique que je ne le laissais entendre dans RPH, note 9. 31. Par contre, en tout état de cause, il y avait une erreur dans RPH, section 6.3 (p. 74) : le recours à la caractérisation d'un réfèrent en intension ou compréhension ne saurait être confondu avec l'emploi proprement prédicationnel d'un syntagme nominal, emploi illustré en (33c). L'exemple (31) de RPH, qui correspond à Duv 26 dans l'appendice à ce texte-ci, tout comme Duv 52, Duv 53 ou Duv 56, relève tout simplement de la quantification dégénérée.

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INDEX

Index chronologique : 18e siècle, 19e siècle Mots-clés : lexicologie, protase, syntaxe, traduction Thèmes : linguistique

AUTEUR

GEORGES REBUSCHI C.R. en Typologie grammaticale (Tygre, Syled), U. Paris 3 & UPRESA d'Etudes basques [email protected]

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II. Littérature

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Art poétique basque Adéma « Zalduby » rena

Xabier Altzibar

1 (Eskualduna 608, 1899-II-10, Nouvelles du Pays) L'Eskualduna du 20 janvier nous a donné, sous la signature de Paristarra, une fable ou apologue en chanson basque : Arraina eta bere umeak, qui est une des meilleures compositions basques de notre temps.

2 Voilà ce qui s'appelle composer selon toutes les règles de la vraie prosodie basque. Nous voulons à cette occasion exposer ici même les plus élémentaires au moins de ces règles :

Quelques règles de la prosodie ou art poétique basque

3 1. Les Basques n'ont jamais fait de vers qu'en couplets réguliers destinés à être chantés ou même déclamés comme dans les pastorales.

4 2. Le Basque ne reconnaît ni vers libres ni vers blancs. Il n'a égard qu'au nombre de syllabes, fussent-elles longues ou brèves. Les hiatus dans les mots qui se succèdent, même aux hémistiches, sont seulement tolérés.

5 3. Les rimes dans les vers basques ne vont pas seulement deux par deux : elles doivent être les mêmes dans toute la durée de la strophe même la plus longue. Quand il y a lieu de faire croiser deux rimes différentes ces deux mêmes rimes croisées, et pas d'autres, doivent régner dans tout le couplet.

6 4. Dans les vers qui se terminent par deux voyelles ea, ia, oa, ua ; ea par exemple ne peut pas rimer avec ia ni avec oa ni avec ua et réciproquement.

7 5. La même finale d'un verbe, non au participe, telle que naiz, dut, zen, dio, zion, duzu, etc., ne peut pas se répéter comme rime dans le même couplet.

8 6. Les Basques sont friands de la rime riche : la rime suffisante leur suffit à peine.

9 7. Deux couplets à la suite ne devraient jamais être de même rime et même de rime peu différente.

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10 8. Les mesures des vers sont aussi diverses dans le basque que dans toutes les autres langues, elles dépendent de l'air ou musique adoptée par le poète.

11 Il y a des vers de quinze pieds avec hémistiche entre les 8e et 7e pied. Il est mieux d'en faire deux vers de 8 et de 7 de rime différente se croisant avec les rimes des vers pareils subséquents, comme dans l'hymne latin Pange lingua glo-riosi...

12 Le vers basque le plus usité, l'alexandrin basque, est de treize pieds, avec hémistiche au 7e. Les Basques d'Espagne l'appellent zortziko, — huitaine — et l'écrivent en huit lignes, le couplet de vers de cette mesure, 7 et 6, qui se compose ordinairement de quatre vers.

13 Il y a aussi des chants composés de véritables hexamètres semblables à l'hexamètre français.

14 Les vers de onze et dix pieds alternés ont l'hémistiche après le quatrième pied et ils doivent avoir deux rimes différentes croisées.

15 L'hemistiche dans le vers basque est soumis à des règles plus sévères que dans toute autre langue. Il équivaut à la fin d'un vers. Ainsi, entre les deux mots aita et ona, il ne peut y avoir d'hémistiche ni entre maite et zaitut.

16 9. Les vers au-dessous de dix pieds n'exigent pas la coupure fixe de l'hémistiche.

17 Nos poètes basques ou bardes de campagne n'ont pas besoin qu'on leur enseigne ces règles. Les plus illettrés d'entr'eux les observent naturellement, instinctivement. C'est à l'usage de certains compositeurs lettrés, habitués à la prosodie française ou espagnole, que nous publions ces notions particulières et spéciales à la prosodie euskarienne.

18 Dans un prochain numéro de l'Eskualduna nous signalerons comme éclaircissement divers morceaux de poésie basque, où tel ou tel numéro des susdites règles se trouvent violées.

19 Nous recommandons aux amateurs de conserver le présent article.

20 Zalduby

Art poétique basque

21 (Eskualduna 611, 1899-III-3)

22 Dans un des derniers numéros de l'Eskualduna, nous avons publié une ébauche de notice sur la prosodie ou art poétique basque...

23 Ce travail nous était depuis longtemps réclamé par divers amateurs et aspirants versificateurs du pays, ainsi que par maints philologues bascophiles étrangers. On nous en a su gré plus que nous aurions osé nous y attendre. Mais aussi on nous engage à recommencer avec un peu plus de développement, ce qui nous semblait suffire comme simple ébauche. Est-ce un vrai traité sur la matière qui nous serait demandé ?...Nous ne savons si nous suffirons à la tâche...Essayons et recommençons :

24 I

25 Nous avons commencé ce travail en indiquant 9 règles principales en vigueur depuis des siècles dans la poésie populaire basque : règles dont, pour notre honneur national, il importe de maintenir mieux que jamais la tradition.

26 Il est bien à présumer que ces règles de la versification basque ne remontent guère au delà du XIIe siècle, et il est probable aussi que les chansons de geste de cette belle

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époque et particulièrement quelques hymnes rimés de l'Église leur servirent de modèles.

27 Les tercets monorimes du Dies irae, les quatrains de Jesus dulcis memoria, les stances du Lauda Sion, surtout les deux dernières, avec la même rime riche répétée quatre fois, durent infiniment plaire à l'oreille des Basques, et cette monorimie que dans ces temps reculés ils adoptèrent pour leurs chants régionaux, a été religieusement maintenue comme essentiellement populaire jusqu'aujourd'hui.

28 La poésie est une des choses qui tiennent le plus aux fibres intimes d'une nation. Chaque race a la sienne, chaque idiome surtout y accuse sa distinction. Le Basque trouve dans ses chants un des éléments de son patriotisme ; pourquoi en modifierait-il les lois pour imiter l'étranger ? N'a-t-il pas déjà par ailleurs assez fusionné avec les ravisseurs de son originalité, de ses droits et de ses libertés ?

29 Depuis quelques années, cependant, il se manifeste une fâcheuse tendance vers un modernisme exotique. Des compositeurs, doués certes d'ailleurs d'un vrai souffle poétique, en prennent trop à l'aise avec la vraie et traditionnelle prosodie basque, et parfois se font couronner dans les concours : l'aveu et des protestations nous en sont venus même du côté de l'Espagne où pourtant Iparragirre fut un maître si correct.

30 Le contact, l'influence, l'habitude des littératures ambiantes ne devrait pas nous faire ainsi désapprendre les règles de notre art poétique euskarien ; moins encore devrions- nous encourager certaines reproductions ou traductions serviles de romances attendries et trop connues des poètes qui ne sont ni de notre langue ni de notre sang.

31 Nos bardes ou bertsularis illettrés de campagne sont, sans qu'ils s'en doutent, malgré les incorrections qui échappent à leurs improvisations ou à leur manque de soin, les plus sûrs observateurs des règles de la versification basque : on dirait qu'ils y procèdent en vertu de quelque don atavique, sans aucune étude d'une pareille prosodie. Parmi eux, le meilleur modèle à citer, dans ces derniers temps, est le vieux Otchaldé, de Bidarray. C'est également sans étude, sans même avoir entendu jamais énoncer à d'autres, que chaque Basque, dès son jeune âge, pourvu surtout qu'il ne sache aucune autre langue que la sienne, conjugue si correctement son verbe si prodigieusement savant et si ingénieusement compliqué dans ses combinaisons.

32 Nous n'avons rien à apprendre aux poètes basques de nos villages : ils ne font que les fautes qu'ils sont impuissants ou trop négligents à éviter : que ne songent-ils à soigner et à limer leurs hâtives compositions ?

33 Ils ont pourtant conscience de leurs fautes ; car dans les concours d'improvisation, par exemple, il n'est pas rare de les voir souligner eux-mêmes par leur quelque geste de dépit ou quelque grimace de mécontentement, alors même qu'ils savent combien le jury qui les juge et le public qu'ils amusent, leur sont indulgents.

34 Pour les compositions écrites avec préparation et loisir, toute indulgence envers les violateurs des règles serait absolument condamnable.

35 Entre une pièce médiocre de pensées, mais de facture correcte, et une autre de souffle plus poétique, mais irrégulière et fautive comme versification, la préférence devrait être donnée à la première. Les admirateurs de la seconde se borneraient à dire : « Que n'est-elle écrite en prose ! »...Or, cette prose elle-même, s'ima-gine-t-on quels soins elle exige pour se produire dans toute la beauté de sa perfection ? il en est qui l'estiment, au moins d'aussi savant et délicat maniement que la meilleure versification ; car la

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phraséologie basque, sans rien changer aux lois qui depuis plusieurs milliers d'années régissent cet idiome, est susceptible d'un perfectionnement indéfini.

36 C'est particulièrement pour les compositeurs lettrés basques habitués à d'autres langues, aux dépens peut-être de ce qu'ils devraient savoir de la leur, que nous avons entrepris d'exposer les règles traditionnelles de l'art poétique euskarien.

37 II

38 1re règle. - La versification basque n'admet pas les vers libres se succédant sans mesure régulière ou sans rime.

39 2e règle. - Toute poésie basque en vers doit se composer de strophes ou couplets réguliers avec ou sans refrain, destinés à être chantés sur un air qui en règle les mesures et les cadences. Bien des Basques ne savent s'inspirer et composer qu'en chantant.

40 3e règle. - Le vers basques est syllabique et non métrique, c'est-à-dire qu'il se règle non d'après la valeur des syllabes longues et brèves, mais selon leur nombre seulement. Les hiatus dans la rencontre des mots, même aux hémistiches, sont tolérés. Les élisions ne sont admises que le moins possible et seulement dans la rencontre de deux mêmes voyelles et dans quelques autres cas où elles font un heureux effet.

41 4e règle. - Les rimes dans les vers basques ne vont pas seulement deux par deux ; elles doivent être de même son dans toute la durée du couplet, quelque multipliés que soient les vers de ce couplet.

42 5e règle. - Quand il y a lieu de faire croiser deux rimes différentes, ces deux mêmes rimes croisées doivent continuer jusqu'à la fin de la strophe. La richesse de la rime est très recherchée dans les vers basques, et souvent elle s'impose.

43 6e règle. - Deux voyelles ne s'élidant jamais en basque dans le même mot, deux et même trois voyelles successives constituent autant de syllabes distinctes. Dans les vers qui se terminent par deux voyelles, comme ea, ia, oa, ua, ea ne peut pas rimer avec ia, ni avec oa, ni avec ua, et vice versa.

44 7e règle. - Deux strophes à la suite ne doivent pas être de même rime ou aussi de rime peu différente.

45 8e règle. - Dans les vers de dix syllabes et au-dessus, la césure ou hémistiche est de rigueur, elle doit marquer une suspension de sens soumise elle-même à certaines règles plus rigoureuses dans le basque que dans aucune autre langue. C'est comme si les deux parties du vers coupées par la césure constituaient deux vers distincts : en effet, les Basques d'Espagne écrivent d'ordinaire en deux lignes chaque vers comptant plus de dix pieds.

46 9e règle. - Les mesures des vers sont aussi variées en basque que dans les autres langues. Leurs nombres de pieds, leurs cadences, leurs hémistiches, le nombre de vers de chaque couplet sont déterminés par l'air sur lequel ils doivent être chantés.

47 Zalduby. (A suivre)

48 (Eskualduna 613, 1899-III-17) (Suite)

49 III

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50 La versification la plus usitée, la plus classique, la plus commune aux sept provinces basques est le sept-six de 13 pieds, coupé par l'hémistiche entre le septième et le sixième pied. Son similaire en français est, pour le mouvement rythmique, tout ce qui se chante sur l'air du cantique si connu : Je mets ma confiance Vierge, en votre secours ; Servez-moi de défense, Prenez soin de mes jours ; Et quand ma dernière heure Viendra fixer mon sort, Obtenez que je meure De la plus sainte mort.

51 Il y a ici huit vers à rimes croisées, au lieu que dans le basque il n'y en aurait que quatre, les quatre de 13 pieds, mais les quatre rigoureusement de même rime.

52 Les Basques d'Espagne les écrivent en huit lignes, comme s'il y avait huit vers : Gernikako arbola Da bedeinkatuba, Euskaldunen artean Guztiz* maitatuba : Emanta zabaltzazu Munduan frutuba : Adoratzen zaitugu Arbola santuba.

53 Voilà ce que les Guipuscoans, très épris des originalités de leur dialecte plus coutumier pourtant de licences grammaticales que notre labourdin, observent toujours rigoureusement, en l'appelant leur zortziko, ce qui veut dire à huit vers ou huitain en français.

54 Dans les strophes de cette mesure-là, la même rime répétée huit fois serait un luxe de fantaisie qui n'offre guère d'exemple. Cela n'aurait rien d'irrégulier. Mais au moins les quatre vers de 13 pieds doivent être rigoureusement monorimes.

55 Dans mes débuts de vingt ans, il y a un peu plus de demi-siècle, en collaborant avec Elissamburu, je trouvai qu'il était plus facile de composer en changeant de rime à tous les deux vers à l'imitation de la versification française (sauf que celle-ci est assujettie à l'alternance des rimes masculines et féminines) ; et c'est alors que je fis la première ébauche d'une chanson très défectueuse qui depuis s'est répandue dans le public par des copies de plus en plus fautives : Ene hauzotegian bi senhar emazte Bakean bizi dire hasarretu arte. Guardia elgarrekin behin makhurtzetik. Heien chuchentzaileak segur lanak ditik.

56 Au moins aurait-il fallu donner aux deux derniers vers une finale rimant avec les premiers ; par exemple :

57 Gerlan elgar menturaz maiteago dute : Hoien artean sarthuz, nik pampak nituzke.

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58 Malgré la vogue acquise par cette mauvaise composition, je n'hésitai pas à la remanier dans la suite, pour la rendre irréprochable ; mais, chose singulière ! le public s'en tient encore à mon premier jet.

59 Les deux cantiques : Oi mirakulu guziz espantagarria... etKristau gazte mai-tea, zuretzat naiz mintzo, sont également fautifs contre la règle 4e ; mais l'habitude de les chanter tels quels leur a donné comme une consécration, et nous n'oserions les corriger.

60 Il y a lieu d'être plus sévère pour certaines poésies de même irrégularité, qui ont été couronnées dans nos concours de fêtes basques...

61 Nous n'en citons qu'une aujourd'hui : Bakharrik bizitzeaz unathua franko Chede zerbait banuen lagun bat hartzeko ; Bainan orai andreak zombat ez du behar Ez ez nahiago dut egon muthil zahar.

62 Ce changement de rime dans le même couplet de ce zortziko déchire vraiment l'oreille basque. Deux rimes différentes, jamais davantage, peuvent se produire, mais toujours croisées ou alternées quand les vers ont moins de syllabes, comme nous l'expliquerons plus bas.

63 Il y a des poésies basques très correctes, qui n'ont que deux vers à chaque couplet ; par exemple : Iruten ari nuzu khilua gerrian, Ardura dudalarik, nigarra begian.

64 ou encore : Gobernamenduetan zoin da zuzenena ? Ethorkiz legez eta obraz hala dena. Refrain Ai ai ai ! mutilla, obraz hala dena.

65 Les quatre hémistiches de ces deux vers.

66 Parfois, le poète se donne le luxe de faire rimer chacun des hémistiches de ces deux vers ; ou bien, par le même son syllabique (ce qui est rare dans cette mesure de 7-6), ou bien par deux rimes différentes croisées : Gure lehen aitamen Bekhatuak ez du Sekulan Mariaren Arima gibeldu.

67 Zalduby (A suivre)

68 (Eskualduna 616, 1899-IV-7) (Suite)

69 La versification en treize syllabes, avec hémistiche à la septième, et en couplets monorimes, est ce qu'il y a de plus basque, de plus usité et de plus régulièrement* observé parmi les Basques.

70 Celle de douze syllabes est assujettie à des règles identiques, ou au moins devant l'être, bien qu'elle ressemble à l'alexandrin français à rime masculine. Les poètes basques en font rarement usage. Le cantique des mystères du Rosaire : Adoratzen zaitut Berbo dibinoa,...

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71 en serait un modèle irréprochable si ses couplets étaient monorimes, condition à laquelle a cru devoir bien se soumettre l'auteur du cantique du Saint Sacrement : Jesus, amodioz — bihotza gaindian, Gurekin osoki — bat egin nahian ; Gure hazkurri zen — azken afarian, Guk jateko egin — bere haragian.

72 IV

73 Il y a encore des versifications plus faciles, qui ont 15, 16, 17 et jusqu'à 18 syllabes à chaque vers, avec hémistiche dépendant de la cadence musicale qui en règle la place. Ordinairement cet hémistiche coupe le vers, en 8 et 7 dans les 15 syllabes ; en 8 et 8 dans les 16 syllabes ; en 9 et 8 dans les 17 syllabes, et en 9 et 9 dans les 18 syllabes. Au delà de 18 syllabes deux vers distincts s'imposent, ou de même rime ou de deux rimes différentes ; mais aussi les mêmes toutes les deux, dans toute la durée du couplet, quelque long qu'il soit.

74 Voici quelques exemples de la versification dépassant les 13 syllabes à chaque vers. Nous marquons l'hémistiche par un trait.

75 1° Vers de 15 pieds. Biziaren primaderan — harmetara joaitea, Zorigaitzik dorpheena — zitzautan jasaitea. Desertatuz uste nuen — hobeki izaitea Phentsamendu zoro horrek — egin zautan kaltea.

76 Il est certain qu'il y a plus de mérite à faire deux vers distincts de 8 et 7 pieds avec ces 15 syllabes d'un seul vers. Par exemple : Laborantza gauza handi Eta botheretsua ; Hartan da lanean ari Jainkoaren eskua, Gizonaren eskuari Berma dadin lothua.

77 Mais les vers de cette mesure-là ne se font guère que pour des couplets à six vers. Saint Thomas en fit de semblables pour son hymne : Pange lingua gloriosi Corporis mysterium Sanguinisque pretiosi Quem* in mundi pretium Fructus ventris generosi Rex effudit gentium.

78 Voici la première strophe d'un cantique où les vers des mêmes mesures 8 et 7, nous offrent, au lieu de deux seules rimes régulièrement alternées, un entrecroisement irrégulier de trois rimes : Jaunak gauzka mundu huntan, Hemendikan zerurat : Bere ganat hartzekotan Dohatsuen baltsarat ; Altchatzagun gure bozak, Kanta errepiketan, Bozekin junta bihotzak Zerurako hotsetan.

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79 Toutefois, il faut convenir que cette rime en tan, ainsi quatre fois répété, ne manque pas de produire à l'oreille quelque heureux effet ; mais la même combinaison ne subsiste pas dans les couplets suivants. Remarquons le troisième, qui est vraiment beau comme pensée : Gure ilhumpe lodiak Dire hor suntsituko : Zuk agertu bekhokiak Gaitu hor argituko. Argitu suerte guziak, Egia guziekin, Ditezke gure argiak, Zu ikhustearekin.

80 Ici, les quatre rimes en iak sont bien à leurs places et rangs réguliers ; mais la consonance en ko, en se croisant avec iak, aurait dû se produire aussi quatre fois. Les deux couplets seraient dans les règles, modifiés par exemple comme il suit :

Cristauak gure izantzak Gure ilhunpe lodiak

Ez dire mundu huntan ; Han dire suntsituko ;

Zerurako esperantzak Jainkoaren arphegiak

Gerauzka lorietan ; Gaitu han argituko,

Altchatzagun gure bozak. Han egiaren argiak

Kanta errepiketan ; Gaitu inguratuko,

Bozekin junta bihotzak Han dohatsuen loriak

Zerurako hotsetan, Iraunen du bethiko.

81 2° Vers de 16 et de 17 pieds.

82 Ici, nous présentons comme exemple, sinon comme modèle, la poésie couronnée au concours de 1898 :

83 Irrintzina bat mendian Gau eder ba — tek ninduen — hatzeman mendi gainetan ; Iguzkia — aintzinean — emeki etzan zitzautan : Azken abereak etchera — zohazin ene oinetan, Bazterrak inharosiz beren — joare soinu ederretan.

84 L'air ou la musique appliquée à cette chanson semblerait exiger deux repos ou césures à chacun des deux premiers vers. Nous regrettons de ne pouvoir la noter ici pour ceux qui ne la connaissent pas.

85 Est-ce une fois que la nuit eût surpris le berger, que le soleil se coucha doucement devant lui ?...est-ce que les clochettes de ses brebis faisaient trembler autant que cela les échos de la montagne ?...ce n'est pas le lieu ici de critiquer ce côté de la composition.

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Lehen iza — rrak doidoia — ziren orduan agertzen Harrabots gu — ziak ere — hasiak ziren eztitzen Gaua, hura ere ari zen — kapa beltzaren hedatzen Bitartean etche batzu...— oraino ikus zitezken. Il manque un pied à ce dernier vers. Il aurait fallu : Bizkitartean etche batzu oraino ikus zitezken Hor sumatzen — dut artzain bat — mendi artetarik kantuz Zakizkan Es — kualdun aire — zaharrak charamelatuz Boz hura bakharrik orduan — mendi gain hetan adituz Beha nindagon lorietan — eta burua zutituz.

86 (Errac bada : burua goitituz.) Le terme zutituz s'emploie pour le reste du corps, jamais pour la tête seule.

87 Dans ce couplet, le vers Zakizkan Eskualdun aire — zaharrak charamelatuz,

88 il y a une faute grave contre les règles basques de l'hémistiche. Ces deux mots aire et zaharrak ne peuvent ici être séparés pour marquer un repos, pas plus que dans ce vers de Racine : Ma foi, j'étais un franc — portier de comédie.

89 les deux mots franc et portier n'auraient dû se disjoindre en césure.

90 Et cependant le poète de l'Irrintzina aurait pu être très correct en disant : Eskualdunen — aire chahar — guziak charamelatuz.

91 Les règles de la césure dans le vers basque ont de ces délicatesses que nos bardes de campagne savent très naturellement observer. Peut-être, au cours de cette étude, parviendrons-nous à donner une formule précise à ces règles de l'hémistiche.

92 C'est surtout de la poésie basque qu'il est vrai de dire que les paroles sont esclaves de l'air sur lequel elles sont composées et chantées : on le voit bien à la façon dont la musique impose ses coupures et les affirme dans les hémistiches.

93 Nous étonnerons peut-être bien des gens en disant que la race euskarienne a sa musique propre, ses airs à elle, ses mélodies d'une antiquité au moins de tradition qui semblerait devoir les ériger en lois. Les poètes basques ne devraient jamais s'en écarter, moins encore les dédaigner, en adoptant une musique exotique surtout française. Les Basques n'ont rien à gagner à tout ce que les meilleurs et les plus vrais d'entre eux appellent frantchimankéries. Dans toute manifestation libre de sa vie, le Basque digne de ce nom, se doit d'affirmer son instinct d'autonomie. Dans le chant d’Irrintzina bat mendian, sur l'air de Sor lekhua utziz geroz... de notre grand poète Elissamburu, la mélodie de vrai caractère basque fait absolument défaut : ce qui surprend de la part de l'illustre euskarien qui fit choix de pareille musique.

94 A la fin de cette étude, nous aurons un chapitre spécial, où nous nous inspirerons des appréciations de haute autorité d'un des plus grands maîtres de notre siècle sur la mélodie basque. (A suivre.).

95 Zalduby.

96 (Eskualduna 620, 1899-V-5) (Suite) Voir les numéros 611, 613, 616 de l'Eskualduna.

97 Le vers basque étant simplement et absolument syllabique, sans différence de syllabes longues ou brèves, autres que celles que les fait telles le rythme musical ; ...sans

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distinction non plus de rimes masculines ou féminines...(Le basque n'a de féminin que le verbe tutoyé parlant à la femme)...Dans ces conditions, où le jeu de la versification est bien simplifié, il n'est pas malaisé de composer correctement des vers de 17 et de 18 pieds, comme on en couronna, dans un des premiers concours d'Urrugne, il y a une quarantaine d'années. Il est vrai qu'en latin aussi il y a des hexamètres de 17 pieds, sans compter les syllabes élidées. En voici un de Virgile : Dulcis et alta quies placidaeque simillima morti.

98 Un autre encore de Prudence (de son vrai nom Galindo), basque d'origine d'Huesca de la Vasconie espagnole : Praemia saltatrix poscit funebria virgo Joannis caput.

99 Mais la savante métrique observée dans ces vers à dactyles et spondées, acquiert à leurs dix-sept syllabes composant six pieds, le mérite d'autant de difficultés vaincues.

100 Des vers de plus de dix-huit pieds seraient évidemment indignes d'un poète basque tant soit peu exercé : on ne les tolère, dans une certaine mesure, que dans les improvisations, les boutades hâtives, et les toasts chantés des joyeux banquets.

101 Les vers de seize et de dix-huit syllabes d'un chant tel que l'Irrintzina, fait à tête reposée, ont donc atteint l'extrême limite de ce qui est permis. Sur la mélodie qui règle le rythme de cette pièce, pour chaque vers basque, le français en ferait deux.

102 Volontiers nous donnerions raison à ceux qui exigeraient ces deux vers, au delà de quinze pieds, si une tradition très tolérante n'en avait déjà admis jusqu'à dix-huit. Mais aussi, dans ces larges limites permises, faut-il que le poète, surtout celui qui se produit dans un concours, ne présente que des vers d'une facture et de locutions irréprochables, ce qui n'est pas certes le cas du dernier chant couronné.

103 Irrintzina bat mendian... le choix seul de ce sujet fait honneur à l'auteur de la pièce. Voilà qui est digne d'inspirer un poète basque, comme il avait déjà inspiré le prestigieux prosateur français, M. Loti, dans son Ramuntcho.

104 Comme hors-d'œuvre dans le cours de cette étude, nous ne pouvons résister au plaisir de citer ici même la page de l'académicien admirateur des Basques :

105 « Mais tout à coup, de cette barque qui était si tranquille et qui n'avait plus que l'importance d'une ombre à peine réelle au milieu de tant de nuit, un cri s'élève, suraigu, terrifiant ; il remplit le vide et s'en va déchirer les lointains...Il est parti de ces notes très hautes qui n'appartiennent d'ordinaire qu'aux femmes, mais avec quelque chose de rauque et de puissant qui indique plutôt le mâle sauvage ; il a le mordant de la voix des chacals et il garde quand même on ne sait quoi d'humain qui fait davantage frémir ; on attend avec une sorte d'angoisse qu'il finisse, et il est long, long, il oppresse par son inexplicable longueur... Il avait commencé comme un haut bramement d'agonie, et voici qu'il s'achève et s'éteint en une sorte de rire, sinistrement burlesque, comme le rire des fous... »

106 « Cependant, autour de l'homme qui vient de crier ainsi à l'avant de la barque, aucun des autres ne s'étonne ni ne bouge. Et après quelques secondes d'apaisement silencieux, un nouveau cri semblable part de l'arrière, répondant au premier et passant par les mêmes phases, — qui sont de tradition infiniment ancienne. »

107 « Et c'est simplement l'Irrintzina, le grand cri basque, qui s'est transmis avec fidélité du fond de l'abîme des âges jusqu'aux hommes de nos jours, et qui constitue l'une des étrangetés de cette race aux origines enveloppées de mystère. Cela ressemble au cri

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d'appel de certaines tribus Peaux-Rouges dans les forêts des Amériques ; la nuit, cela donne la notion et l'insondable effroi des temps primitifs, quand, au milieu des solitudes du vieux monde, hurlaient des hommes au gosier de singe. »

108 « On pousse ce cri pendant les fêtes, ou bien pour s'appeler le soir dans la montagne, et surtout pour célébrer quelque joie, quelque aubaine imprévue, une chasse miraculeuse ou un coup de filet heureux dans l'eau des rivières. »

109 Oh ! que tout cela est ingénieusement imaginé, et merveilleusement décrit en prose française ! mais aussi combien cela méritait d'être reproduit dans notre bel idiome euskarien !

110 Le poète basque de l'Irrintzina a été très heureux dans les détails vraiment poétiques dont il a encadré la reproduction de cette perle trouvée dans Ramuntcho : que ne les a-t- il aussi correctement dits que poétiquement pensés ?

111 Pour répondre de suite à certains désirs exprimés, et édifier ceux qui n'ont guère jamais regardé de près à la correction et au soin exigés par la bonne versification basque : ...afin de faciliter, aussi d'avance, d'autres notions que nous avons à exposer plus loin, nous allons, avant de clore ce chapitre des vers à longueur exagérée, relever les fautes les plus apparentes du chant de la dernière actualité, — l'Irrintzina, — à la suite de celles qui ont été déjà signalées précédemment :

112 4e couplet Bat batetan, kantu orde, oihu latz bat dut aditzen Bere samintasunean 1 naualarik harritzen 2. Mendi mazeletan* harri ko 3 — tor zaharrak zituen jotzen 4 Eta lekhu basa hetako oihartzunak iratzartzen.

113 1 Samintasunean, après latz —un cri rude dont l'aigreur m'effraie — fallait-il bien ces deux épithètes ? 2 A ce second hémistiche il manque un pied ; et puis voilà un Basque qu'un irrintzina effraie. Il eût mieux valu qu'il dît : « Bainan Eskualduna bainaiz ez nau ni hambat izitzen. » 3 Ici césure impossible. Harri kotor est un terme absolument impropre. 4 Voilà un second hémistiche qui, chanté, serait « tor zaharrak* zituen » hélas ! il n'y a pas de place pour le mot jotzen qui est pourtant la rime. « Mendi mazela hek guziak urrundik zituen jotzen » eût été plus correct.

114 5e couplet Oihu gora, garratza 5 zen nola emaztearena, Azkarra eta bortitza nola gizonkiarena ; Artetarik iduri zuen basa ihizi batena ; Zertan edo hartan hargatik, oraino jendearena.

115 5 Garratza ici est bien défectueux, c'est samina qui s'imposait surtout appliqué à emaztearena. Ce 5e couplet ainsi que le 6e sont les meilleurs de la pièce.

116 6e couplet Luzez zuen iharrosi mendi hetako bortua, 6 Iduri zuen hastean norbeit zela minhartua, Irri lotsagarri batean zen aldiz akhabatua, Bide chedran nindagorik ni oraino baratua.

117 Mendi et bortua. Bien des Basques trouveraient là un pléonasme. Nous voulons croire que par mendi hetako bortua l'auteur a voulu dire le désert ou la solitude de ces montagnes.

118 7e couplet

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Ibañetan ere lehen irrintzina aditu zen, Arrolani zitzaiola odol guzia gatzatzen : 7 Alferretan ditu mendiak deihadaraz 8 dardaratzen ; Eskualdunen irrintzineak 9 du ichiltzera bortchatzen.

119 7 Il est inadmissible que le sang de Roland fût capable de se figer de frayeur comme le sel. 8 Deihadarra, dans le basque actuel, veut dire cri, hurlement de douleur et d'appel au secours, et ne s'emploie qu'au pluriel : deihadarrez dago. Le poète de l'Irrintzina a-t-il voulu donner le nom de deihadarra (au singulier) exprès et à dessein, à l'oliphant de Roland...dei — adarra, appel — corne ?...ce serait merveilleusement appliqué selon la vraie et évidente étymologie de ces deux mots dei et adarra, dont probablement les Basques, dans le cours des siècles, auraient changé la signification littérale. M. Barbier aurait dû accompagner son terme d'une parenthèse explicative (dei — adarra — corne d'appel), rien que cela. Ce mot deihadarra, ainsi entendu, fait penser aux sonneries d'alarme primitivement employées par les Basques dans leurs montagnes. Ces sonneries de corne ont lieu encore en certaines localités, notamment à St-Just, pour l'appel des troupeaux ; elles retentissent aussi sous le nom de tûtak et turrutak, dans tous les charivaris basques. 9 Irrintzineak, vrai barbarisme-cheville : il était bien simple d'avoir les neuf syllabes requises par ce premier hémistiche en disant : Eskualdunaren irrintzinak, ou bien Eskualdunen irrintzinak du — lasterchko ichilarazten. (A suivre)

120 Zalduby.

121 (Eskualduna 624, 1899-VI-2) (Suite) (Voir les numéros 611, 613, 616, 621 de l'Eskualduna).

122 Dans notre dernière leçon, nous avons relevé, dans le chant au souffle très poétique de l'Irrintzina, des fautes contre la versification basque, dont une bonne partie serait, paraît-il, imputable soit au compositeur de l'imprimerie, soit à quelque correcteur de la commission du concours. Nous nous en voulons de n'avoir pas connu à temps l'édition génuine que de son côté en avait tiré l'auteur.

123 M. de Jaurgain, notre éminent fouilleur d'archives basques, a eu la gracieuseté de nous faire ces jours derniers l'inappréciable hommage de sa brochure si savamment documentée, sur quelques légendes poétiques du pays de Soule, où il nous fait l'historique et nous donne les dates de plusieurs vieilles chansons qui ont encore de la vogue dans tout le Pays Basque français. Nous extrayons d'abord le premier couplet de la fameuse ballade de Berteretche, qui fut composée entre 1434 et 1449. 1 2 3 4 5 6 7 Haltzak eztu bihotzik, 1 2 3 4 5 6 7 8 Ez gaztamberak ezurrik : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19

124 Enian uste erraiten ziela ai tu nen semek gezurrik.

125 Le 11e pied du 3e vers est là de trop selon la rigueur de la règle : à l'entendre chanter, cette faute passe inaperçue. Rien que par ce délicieux spécimen, on voit que depuis quatre siècles la langue basque n'a pas changé d'un iota.

126 Atharratz jauregian bi zitron doratu... ou bien la version primitive, d'après M. de Jaurgain : Ozaze jaurgainian bi zitron doratu, Atharratzeko joanak (sic) bata du galthatu... et le reste, se chantait déjà vers 1631, époque de la mort de Marie de Jaurgain, l'héroïne de la chanson, pour lors sexagénaire. Cette inoubliable poésie étant en alexandrins basques

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classiques et ordinaires de 7-6 ou 13 pieds ; dans ce chapitre de la versification à plus de 15 syllabes, nous ne faisons que la mentionner pour en signaler la haute vieillesse.

127 En voici une autre de la même époque (1664) en pleins dix-huitains, dont le premier couplet est vraiment suggestif : 1 2 34 56 78 9 101112 1314 15 161718 Goizian goizik jeiki ninduzun, ezkuntu nintzan goizian ; Bai eta ere zetaz beztitu, ekhia jelki zenian. Etchek'andere zabal ninduzun eguerdi erditan Bai eta ere alharguntsa gazte ekhia sarthu zenian.

128 Dans l'origine, le troisième vers devait être plus correct et complet ; comme ceci, par exemple : Etchek'andere zabal ninduzun ber egunaren erdian, et le quatrième aussi serait mieux comme il suit : Bai eta gazterik alhargundu ekhia sarthu zenian.

129 Nous aurons à signaler encore dans la suite la défectuosité des rimes de mêmes finales de verbes, telles que zenian et autres, répétées dans le même couplet.

130 Admirateurs de poésies aussi anciennes et aussi savoureusement basques que celles que nous venons de citer, nous les aimons jusques dans leurs imperfections prosodiques, que nous croirions ridicule de corriger autrement que comme leçon de faute à éviter dans les compositions modernes faites à tête reposée.

131 V

132 Vers de onze et dix syllabes

133 Les vers basques de onze syllabes continuées dans cette même mesure tout le long d'un couplet sont jusqu'ici extrêmement rares. Nous n'en avons sous la main qu'un exemple en cantique d'avant le sermon : il est très ancien. En voici la première strophe, que nous produisons, comme du reste tous autres exemples, en orthographe moderne : Heda, Jauna, heda zure argiak, Zuk argituz har detzagun egiak. Gizon lagun igortzen dauzkutzunak, Argi nola gaitzake gu gizonak.

134 L'hémistiche est bien là à sa place ; car à moins d'exception imposée par un rythme particulier de la mélodie, dans tout vers, soit de onze soit de dix syllabes, l'hémistiche est de règle rigoureuse entre la quatrième et la cinquième : c'est ce qui avait évidemment embarrassé l'auteur de ce cantique dans le quatrième vers.

135 Ce n'est pas tout. Il aurait aussi fallu que les quatre vers eussent la même rime, ou bien, à la rigueur, que les deux rimes différentes fussent croisées ou alternées, l'une terminant le 1er et le 3e vers, l'autre le 2e et le 4e. Il n'eût pas été malaisé d'arranger ce couplet de la façon qui suit : Ai ! igutzu, Jauna zure argiak ; Hunki zatzu, gure bihotz nagiak ; Entzutera goazin predikariak Zure hitzez susta gaitzan guziak.

136 Ou bien encore, avec rimes croisées : Ai ! igutzu, Jauna, zure argiak, Zure hitza ongi entzun dezagun ; Erratera dohazkigun egiak Bihotzean barna sar dakizkigun.

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137 Une versification plus usitée est celle qui fait croiser les vers de onze syllabes avec ceux de dix, soit en couplets monorimes soit en couplets à deux seules rimes différentes alternées. 1 23 45 67 89 1011 Itzul hadi — itzul bekhatorea, 1 2345 678 910 Jainko Jaunak — deitzen hau arraiki : 1 2 345 67 891011 Estima zak — hitaz duen galdea ; 123 45678 910 Eta emok — bihotza osoki.

138 C'est semblable au français : 1 23 45 6 78 9 10 11 Reviens pêcheur — à ton Dieu qui t'appel — le, 1 23 45678910 Viens au plus tôt — te ranger à sa loi : 123456789 1011 Tu n'as été — trop long-temps qu'un rebel-le, 1 23 45 678910 Reviens à lui — puisqu'il vient jusqu'à toi.

139 Pour fortifier la comparaison, nous avons à dessein compté la finale muette du vers français comme syllabe accentuée.

140 Chose singulière, ce genre de vers, pourtant de très facile composition, n'a jamais encore, que nous sachions, été employé pour aucun chant profane, dans aucun Pays Basque, soit de France soit d'Espagne. Mais en revanche, nos cantiques, et des meilleurs, nous en offrent de nombreux modèles. Ainsi, outre Itzul hadi... dont nous venons de donner le premier couplet, plusieurs autres tout aussi populaires, dont nous ne citons ici que le premier vers : Mundu zoro tromperiaz bethea, etc. Aditzen da trompeta lazgarria... Huna Jauna ardi bat galtzen zena... Othe da deus nesesario denik... O arima Jainkoaz onetsia...

141 (A suivre.) Zalduby.

142 (Eskualduna 631 1899-VII-21) (Suite) Voir les numéros 611, 613, 616, 621, 624 de l'Eskualduna.

143 Les vers français de dix syllabes avec leur césure ordinaire après le 4e pied, n'ont, avons-nous dit déjà, leurs similaires en basque que dans les chants d'Église composés selon le même rythme français, la onzième syllabe muette de chaque vers féminin y étant pourtant reproduite comme accentuée et masculine. En réalité, même en français, la notation de la musique accuse bien aussi cette onzième syllabe.

144 Dans les chants profanes d'allure vraiment basque, les vers de dix pieds sont inusités jusqu'à présent, en tant que couplets rimés. Mais en revanche, les vers de dix-huit syllabes, équivalant chacun à deux vers de dix et huit pieds avec césure après le cinquième et rime au second vers seulement, sont d'un usage fréquent surtout dans les romances modernes du Guipuscoa.

Lapurdum, 3 | 1998 85

Urne eder bat — ikusi nuen 10 Donostiako — kalean ; 8 = 18 Itz erditcho bat — ari'esan gabe 10 Nola pasatu — parrean ? 8 = 18 Gorphutza zuan — liraña eta 10 Oñak zabiltzan — airean : 8 = 18 Pollitagorik — ez det ikusi 10 Nere begien — aurrean 8 = 18

145 Dans le couplet suivant, la césure n'est requise qu'au 1er vers :Andre Madalen, — Andre Madalen, 10 Laurden erdi bat olio 8 = 18 Aitak jornalak — artzen badittu 10 Berak pagaturen dio 8 = 18

146 Il est vraiment commode de composer de la sorte quand la rime n'est qu'au 18e pied ; mais aussi a-t-on lieu d'être sévèrement exigeant à l'égard de toutes les autres conditions d'une composition correcte.

147 VI

148 Avec ces vers de 18 et 8 syllabes, nous entrons dans la catégorie des mesures, quantités, rythmes, césures les plus variés, auxquels nous ne pouvons assigner d'autres règles que celles imposées par les plus capricieuses mélodies. Voici la 1re strophe d'un chef- d'œuvre : Herriko besta — bigarrenean, 10 Berek dakiten — chokho batean ; 10 Lauandre, — bat alharguna ; — hiru mutchurdin — jarriak itzalean 20* Harri chabal bat belhaunen gainean 11 Ari ziren, ari ziren trukean. 10

149 Remarquez ces différentes césures qui sont de rigueur aux trois premiers vers, et qui sont maintenues telles dans le cours de la chanson. Remarquez aussi ce troisième vers long de 20 pieds avec ses trois césures.

150 La même particularité se voit dans une autre pièce, la plus belle sans contredit et qui nous vient du même auteur : Ikusten duzu — goizean, 8 Argia hasten — denean, 8 Menditto baten — gainean, 8 Etche ttikitto, — aintzin churi bat, 10 Lau haitz handiren — artean ; 8 = 18 Ithurrino bat — aldean, 8 Chakur churi bat — athean 8 Han bizi naiz ni — bakean. 8

151 Encore ici la césure est après la 5e syllabe de chaque vers, même dans le demi-vers de 10 syllabes. Et ce demi-vers, pourquoi n'est-il pas un vers complet avec rime comme les sept autres du couplet ? Pourquoi ces 18 pieds avec une seule rime s'allongeant ainsi au beau milieu du couplet ? ...Est-ce une licence ? Notre éminent poète Elissambure pouvait sans doute se la permettre, et peut-être même la faire admettre comme règle dans ce cas particulier. Une vieille chanson des guerres carlistes, apprise dans notre enfance, lui en avait donné l'exemple. Il faut entendre chanter cette ravissante poésie pour remarquer combien elle paraît régulière dans toute sa facture, et il est bien à regretter que tant de copies fautives, surtout l'édition de l'Eskualdun kantaria, qui s'est récemment répandue dans le public, en aient détérioré le texte primitif.

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152 En dehors de ces singularités que nous venons de signaler dans la trame ordinairement si régulière de la versification basque, de l'ensemble de tous les modèles que nous tenons de la tradition purement basque et vraiment populaire, émerge la loi d'une seule et même rime riche, imposée à tous les vers, quelque nombreux qu'ils soient, dans la même strophe.

153 Sans doute nos bardes, et des meilleurs, ne composant guère jamais à tête reposée et dans le loisir d'un cabinet, ont maintes fois violé cette loi ; mais on voit que c'est toujours par impuissance ou défaut de soin : dès qu'ils le peuvent ils rentrent dans la règle, et même dans leurs infractions ils tâchent presque toujours d'employer une rime d'une assonance aussi rapprochante que possible de la rime qui leur fait défaut.

154 Le jury du concours Abbadien de 1898 accorda une mention honorable à une pièce guipuzcoane intitulée Nekhazari* dohatsua, dont le prologue en deux strophes de 7-6 pèche délibérément contre la règle des couplets monorimes*. Nere pipa chit bete, ta suaz pizturik Keia goruntz, chistua lurrera botarik ; Banetorren echeruntz bertsoak kantatzen, Buruan berez berez ziranak sortutzen ; Zeiñtzuek diran letraz gaur jarritakoak, Izan arren balio oso guchikoak, Ala ere nai nuke emenchen lenbizi, Orain irakurtzera jendeari asi.

155 Et cependant, il est soigneux à l'observer dans les onze stances à cinq vers dont est composé son chant ; en voici la première : Fumatzen duela ere Erregek badakit nik, Eizean aspertutzean asnas artzen jarririk ; Ordean, artu ez arren onen belar merkerik, Apostu egingo nuke ez diola gustorik, Abanoari ark artzen, nik pipari lakorik.

156 Il reconnaît donc la justesse de la règle.

157 (A suivre). Zalduby.

158 (Eskualduna 636, 1899-VIII-25) (Suite) Voir les numéros 611, 613, 616, 621, 624, 631 de l'Eskualduna.

159 Voici des exemples de strophes à vers inégaux assujetties à des airs ou mélodies populaires particuliers au Pays Basque : Hau da Ikhasketako 7 Mandoaren traza : 5 Lephoa mehe du'ta 7 Ilea latza, 5 Itchura gaitza : 5 Bastape guzitikan 7 Zorne eta baltsa, 7 Eta zer saltsa ! 5 Kristaurik ez daiteke 7 Aldetik pasa. (bis) 5

160 Qui de nous ne s'est esclaffé de rire en chantant ou en entendant les vingt couplets de cette poésie burlesque due à un charbonnier, vrai Rabelais basque d'il y a déjà un siècle.

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161 Sur cette même mesure, mais à rimes doublées, une satire contre les mauvaises langues fut présentée au concours de 1857 : Gure herri chumetan Zembat hitzuntzi Zinez edo jostetan Oro erasia. Eta nahasi :... Beha daude nor zertan Hutsean kausi, Nori pitz hauzi : Deus ez nahiz bertzetan Onik ikusi. (bis).

162 Nos grands-pères aimaient aussi à chanter cette délicieuse goguenarderie du Bidarraitar : Nork nahik zer nahi erranikan ere, Bidarraitarra* nuzu, bai nahi ere, Etcheko seme ona segurki halere. Nahiz baden herrian hoberikan ere, Baitut bortz haurride* Enekin sei gire, Oro adichkide : Dothearen gainetik samurturen ez gire.

163 Ce premier couplet, depuis notre enfance, est dans toutes nos mémoires ; il nous charme par son allure et son originalité, et nul jusqu'ici n'a songé à lui chercher noise pour sa répétition fautive du même mot ere employé trois fois comme rime, ainsi que de gire, qui l'est aussi deux fois. Les autres couplets de la même chanson sont plus réguliers.

164 C'est ici le lieu de signaler aussi deux de nos plus vieux et de nos meilleurs cantiques basques : Itsasoan pareko Mundu hau Salbamenduko Chume handiak, Garen guziak, Etsaiarekin guduka, Hertsaturik baikaguzka. Gizona nun duk zuhurtzia, Zer ez dakik Ez dele deus ere bizia Khe bat baizik Higuin zak bihotzez mundua Orai* danik Herioa duk hurbildua Hire ganik.

165 La musique de ces deux cantiques est aussi ce qui peut se concevoir de plus basque et de plus remarquable selon des maîtres ayant autorité.

166 Voici, avec neuf vers monorimes à chaque couplet, et en vers inégaux, un genre très étudié, imitant une chanson inspirée par une disette qui sévit sur le pays vers 1825, disette personnifiée par le poète sous le nom de Betiri Sants. Nous regrettons de ne plus pouvoir trouver nulle part le moindre fragment écrit de ce chant qui avait grande vague dans nos jeunes années :

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Betiri-Santsez aspaldi dik Ez zela deus berri handirik : Zioten ehortzi zutela bizirik. Lurpetik ilkirik ; — Ez duk ez irririk ; — Munduz mundu herratua ibilirik ; Oraikotik ditik Bettirik, Indarrak hartu, guk utzirik ; Hor ziagok kargu handitan jarririk (bis).

167 Ce couplet ne serait pas régulier ; il ne répondrait pas aux exigences de la mélodie sur laquelle il doit être chantée, si la rime n'en était unique, et si les quantités syllabiques n'étaient pas exactement ce qu'elles sont là.

168 Les couplets en vers égaux de huit syllabes et au-dessous, de quelque longueur qu'ils soient, sont assujettis à la même monorimie ; mais ce n'est que dans de rares cas de rythme musical, que la loi de la césure ou de l'hémistiche leur est imposée.

169 Voici un type de ce genre : Mehetegiko chakhurra Zangoz errainez makhurra, Berga bat luze muthurra, Larrutik hurbil hechurra, Urthe guzian barura Zeren zen toki chuhurra.

170 Le poète qui adopte ces mesures-là est tenu d'en observer les règles... S'abstenir vaut mieux que de mal composer.

171 Dans le paragraphe suivant, nous allons étudier les origines de ces lois prosodiques, et indiquer les types séculaires auxquels on peut les reporter.

172 Zalduby.

173 (Eskualduna 644, 1899-X-13 ? ; 644, 1899-X-20) (Suite) (Voir les n. 611, 613, 616, 621, 624, 631 de l'Eskualduna.)

174 VII

175 La poésie, a-t-on dit, est vieille comme l'homme, elle apparaît à l'origine de toutes les littératures : elle a chanté dès l'enfance de tous les peuples ; elle chantera tant que durera l'humanité. En chaque race elle a eu elle-même une enfance, et ses règles définitives ne se sont fixées qu'avec le temps sous l'influence de génies plus particulièrement inspirés, inaugurateurs de formes littéraires plus harmoniques.

176 La poésie basque n'a pas échappé à cette loi : elle se ressent encore des défectuosités de ses évolutions. Comment et que chantait-elle dans les temps anciens ? Il est certain que de tout temps les Basques ont chanté : d'aucuns même prétendent que le nom de Cantabres leur fut donné à cause de leurs chants. Mais ils n'écrivaient jamais ni leur histoire ni leur chants. Leur merveilleuse langue leur était peut-être un dépôt trop sacré pour en communiquer par écrit les mystères à d'autres peuples ; ils avaient peut- être aussi à cœur d'être seuls à pouvoir parler et chanter dans l'idiome spécifique de leur race, dont toute lèvre étrangère est encore aujourd'hui si rebelle à reproduire ses accents.

177 Toutefois, un monument curieux de l'antique poésie euskarienne, et de l'époque des conquêtes romaines, nous a été conservé parmi les épaves littéraires de l'ancienne

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Cantabrie. De quatorze stances qui purent, vers 1590, être transcrites d'un manuscrit sur parchemin à peine lisible, voici les trois premières : Lelo ! il Lelo ; Lelo ! il Lelo ; Leloa ! Zarac Il Leloa. Eromaco arotzac Aloguin eta Viscaiac daroa Cansoa. Octabiano Munduco jauna, Lecobidi Viscaioa (sic). Itchassotik Eta leorrez Imini deuscu Molsoa.

178 Ces quatre couplets de quatre petits vers pourraient bien n'être au fond que deux de deux vers, ou seulement quatre vers rimés distincts. Ignorant sur quel air cela se chantait nous ne saurions nous prononcer. Pour 4 vers complets, la mesure serait sans doute tout aussi irrégulière ; mais la rime en est d'une régularité frappante, remarquable surtout pour l'époque à laquelle on fait remonter cette poésie : Lelo, il Lelo, Lelo, il Lelo ! Leloa zarac, il Leloa ! Eromaco arotzac aloguin eta, Vizcaiac daroa cansoa. Octabiano munduco jauna, Lecobidi Viscaioa. Ichassotik eta leorrez, imini deusku molsoa.

179 A ce texte, qui même pour les Basques actuels a ses obscurités, nous osons, toutefois avec hésitation et réserve, donner dans l'Eskuara d'aujourd'hui l'interprétation suivante : Lelo ! hil (da) Lelo ! Lelo ! hil (da) Lelo ! Leloa ! tzarrak (edo gaichtoak) hil du Leloa ! Erromaco arrotzak alo ! (edo achut) egin eta, Bizkaiak derro (edo errandio) kantoa (irrinzina). Octabiano munduko jauna da, Lekobidi da Bizkaikoa. Itsasotik eta* leihorrez Ibeni (lasterka jin) zauku (etsai) multzoa.

180 Du temps d'Octavianus, Auguste, premier empereur des Romains, les Basques rimaient- ils donc déjà avec cette perfection ? Si le chant de Lelo est réellement authentique, ce serait le monument le plus ancien de la poésie rimée que nous aient laissé les siècles.

181 Le savant Huet, évêque d'Avranches vers 1680 et après lui La Harpe, ont pensé que la rime française descend des bardes des Pyrénées ; « soit qu'ils en fussent les inventeurs, soit qu'ils l'eussent empruntée aux Maures, avec d'autant plus de vraisemblance que la rime chez les Arabes était de la plus haute antiquité... ».

182 L'assertion de ces deux grands littérateurs ferait déjà, dans ces limites, trop d'honneur aux Basques qui étaient en effet du temps des Maures à peu près les seuls habitants des Pyrénées, et avec qui six cents ans d'alternatives de guerre et de paix avaient mis les Maures en contact. Au surplus, il est généralement reconnu que Maures et Basques se reconnaissaient une certaine communauté d'origine ou quelque ancienne affinité de

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race, notamment par les Berbères de la Lybie dont la géographie antique est remarquablement euskarienne.

183 Le rôle saillant, le rôle constant que la rime joue dans la poésie basque, au moins depuis le moyen âge, est incontestable, et son influence sur les langues voisines n'aurait rien d'étonnant. Nous serions tout aussi portés à croire que surtout la langue latine, et l'idiome euskarien se seraient pénétrés mutuellement et simultanément, il y a déjà des siècles, de ce goût pour la rime.

184 Les contemporains de Cicéron, et bien auparavant aussi ceux de Demosthenes, goûtaient fort les désinences pareilles des phrases et des membres de phrases, soit en prose, soit en vers : similiter desinentia. On rimait déjà alors ad voluptatem aurium.

185 Cicéron lui-même cite avec plaisir un exemple de vers rimés du vieux poète Ennius, chantant les malheurs de Troie : Haec omnia vidi instammari, Priamo vi vitam ereptari, Jovis aram sanguine turbari.

186 Ces trois vers à la suite avec la même rime riche,...en vérité cela ressemble bien au basque :

187 Iriongo hiria... la ville d'Ilion. – Les noms basques : Iria, Mon, Iriberri, étaient prononcés par les latins Ma, Ilion, Illiberi. – Ville, bonne ville, ville neuve. Iriongo hiria zen erretzen ari Oi, ikustea bera zein zen izigarri ! Nihor ez zen hargatik eman ihesari Ez nahiz ukho egin hiri maiteari.

188 Citons aussi deux vers d'Horace : Non satis est pulchra esse poëmata, dulcia sunto, Et quocumque volent animum auditoris agunto.

189 La rime fourmille dans Ovide et Virgile, surtout dans les hexamètres où le dernier mot se termine par le même son que celui du mot de l'hémistiche. Un chercheur en a compté 15 dans les Bucoliques ; 198 dans les Géorgiques et 651 dans l'Enéide : ce qui donne dans Virgile un vers léonin sur quatorze.

190 Mais c'est surtout à partir du quatrième siècle que la rime pénètre la prose et la poésie latines. Saint Augustin en fit un grand usage dans ses écrits où les consonances sont presque toutes très riches. Les hymnes si nombreux de saint Ambroise abondent d'assonances et de vraies rimes, mais sans méthode uniforme et suivie. Sédulius y met plus de régularité : il a les rimes deux par deux, telles que les a actuellement la versification française.

191 Peu à peu, dans les hymnes liturgiques, le vers syllabique rimé prédomine sur toutes les délicatesses de la métrique classique, et la langue basque se trouve là dans son élément naturel, goûtant surtout l'effet plus continu de la monorimie inaugurée dans le latin par saint Bernard.

192 De ce dernier type, adopté préférablement par le génie populaire de nos pays, nous donnons ici quelques exemples.

193 Voici d'abord les premières strophes de deux hymnes de saint Bernard sur le saint Nom de Jésus :

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AD MATUTINUM AD PRIMAM

Jesu,* dulcis memoria, Cum Maria diluculo,

Dans* vera cordis gaudia : Jesum quaeram in tumulo,

Sed super mel et omnia,* Cordis clamore quaerulo,

Ejus dulcis praesentia. Mense quaeram non oculo.

194 En basque cela pourrait librement se traduire ainsi :

Jesusen izen eztia, Goazen hobira goizetik,

Bihotz loriagarria. Madalenaren ondotik,

Zure gana dut lehia ; Bihotzak bozik, gogotik,

Zurekin naiz bat nahia. Jesu piztu da ingoitik

195 Saint Bonaventure nous offre un modèle parfait de nos chants en treize syllabes 7-6 qui sont les plus usités :

196 Philomena praevia temporis amoeni Quae recessum nuntias imbris atque caeni. Dum mulcescis animos tuo cantu leni Ave prudentissima, ad me quaeso, veni.

197 Le 8-6 à rimes croisées du Pange lingua, de saint Thomas d'Aquin, n'a que très peu de similaires en basque avec cette complication de la double rime :

Pange lingua, gloriosi Jakintsunen erranetan

Corporis mysterium Behar bada sinheste

Sanguinisque pretiosi* « Ederrena mintzaietan

Quem* in mundi pretium « Eskuara da diote. »

Fructus ventris generosi Eskualdunek arrotzetan

Rex effudit gentium. Hortaz ohore dute.

198 Ce 8-6 ordinairement est traité en vers de 15 pieds divisés en hémistiches dont les pairs seuls sont rimés : Munduko urgaindiekin gabiltzanak borrokan, (bis) Eskualdunak berma gaiten Fedearen harrokan, Iduk gaitzatzu, Maria, leheneko herronkan.

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199 Mais plus souvent les strophes de pareils vers se composent de quatre vers : Zorigaitzez egun batez zortheak atzemanik Nere burhaso zaharrak nigarretan utzirikSoldadu nintzela bada harmetan ezarririk Urrun ereman ninduten, nere Eskual-herritik.

200 Le jeu des rimes aux croisements entrelacés, tel que le pratiquait Adam de Saint Victor dans ses proses délicieuses, a été aussi de rares fois, mais imparfaitement, imité par les chants basques :

Martyris egregii, Nafartarren arraza

Triomphos Vicentii Hila ala lo datza ?

Celebrat Ecclesia, Ez dut endelgatzen.

Qui certanti praefuit, Belzunze bizcondia

Vires arma praebuit, Hain gerlari handia,

Regi laus et gloria. Ez baitzaut mintzatzen ;

Hori zaut gaitzitzen.

201 Voici un autre exemple :

O Virgo sapiens ! Zure gana, Jauna,

O Verbo vagiens ! Ene jabe ona,

O Masestas humilis ! Itzultzen naiz bihotzez :

Nos juva, nos rege, Zu gabe lurrean

Nos verbo protege, Bethi gaizkipean

Nobis carne similis. Ibili naiz, ibili naiz...trebes.

202 (A suivre) Zalduby

NOTES

*. Gutiz

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*. regulièrement *. Quim *. mazelelan *. zahalrak *. 10 *. Nekhabari ; *. monorismes *. Bidarraitara *. hauride *. Grai *. eto *. Jesu dulcis... *. Dan *. omnia. *. protiosi (similaire en basque) *. quen

RÉSUMÉS

Gratien Adéma « Zalduby » (1828-1907) poetaren lan hau Eskualduna kazetan argitara zen 1899. urtean, zatika, data hauetako agerraldietan (alea, urtea, hilabe-tea, eguna hurrenez-hurren) : 608, 1899.II.10 ; 611, 1899.III.3 ; 613, 1899.III.17 ; 616, 1899.IV7 ; 620, 1899.V.5 ; 624, 1899.VI.2 ; 631, 1899.VII.21 ; 636, 1899.VIII.25 ; 644, 1899.X.20. Lehen emanaldia (Quelques règles de la prosodie ou art poétique basque) Nouvelles du Pays izeneko sailean argitara zen ; ondo-rengoak, Art Poétique Basque izenpean, sail beregain modura edo. Geroztik ez bide da argitaratu. Eta aipatu kazeta eskuraerraza ez denez, area-go, euskal literaturaren eskuliburuetan ere ia aipamenik ez denez, ezagutzeko aukerarik ere ez da izan. Hortaz, duela ehun urte argitaratu poetikalan hau ber-rargitaratzeari egoki iritzi diot, kontutan harturik, gainera, D'Abbadieren Lore Jokoen garaikoa dela. Ezen Zaldubyren xedea tradiziozko euskal neurkera zein den irakastea bada ere, argi dago Lore Jokoen garaiko neurkera dela hark tradi-ziozkotzat hartzen eta erakusten diguna. Zaldubyren neurtiztiaren bigarren ekoizpen honetan kantuen testuetan lehen argitalpenean (Eskualduna kazetan) ageri diren hutsak zuzendurik agertarazten ditugu hemen, ustez behintzat. Leloren Kantukoak dauden-daudenean utzi ditu-gu, ordea. Bestalde, lehen edizio horretan latinezko kantuetako hitz batzuetan ae eta oe berdin idatzita baitatoz, bata edo bestea hautatu behar izan dugu. Hortaz, forma zuzendua markatu dugu, asterisko bidez, eta ondoren Eskualduna kazetan agertu forma jarri, beste asterisko baten ondoren.

INDEX

Thèmes : littérature Index chronologique : 19e siècle Mots-clés : Adéma Zalduby Gratien (1828-1904), écrivain moderne, poésie, littérature basque, prosodie basque

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AUTEUR

XABIER ALTZIBAR Euskal Herriko Unibersitatea [email protected]

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Ternuaco Penac deitu idazkiaz zenbait ohar

Aurélie Arcocha-Scarcia

1 Ternuaco Penac deitu idazkia 1986-an P. Urkizuk lehen aldikotz argitaratu 1 zuen Baionako Erakustokian dagoen eskuz ixkiriatu kantu bilduma osoarekin batera. G. Elortzak ere, 1987an argitaratu zuen, gaztelerara itzulia, Itsasoa III2 liburuan. Biek azpimarratzen dute J. Haritschelhar orduko euskal erakustokiko zuzendariari nola M. de la Sotak 1966an eman liburutegian zagon bilduma hori. J. Haritschelharren ustez, oraikoan dugun kantu bilduma zaharrena :

« Liburu honetan [P. Urkizuren edizioaz mintzo da] argitaratzen den kantu bilduma, nik dakidanez bederen, daukagun zaharrena da, XVIII. mendearen azken urtetakoa, 1798 koa. Hala salatzen dauku tituluak diolarik aurkitzen direla bertsu zahar eta berriak. Gehienak ez ezagunak dira, iparraldekoak noski. Esku izkribua Baionako Euskal erakustokian dago Manu de la Sotaren ganik etorria... »3

2 Bizkitartean, eskuizkribuaren aipatzeko orenean ezberdintasun batzu agertzen dira bi ikerlarien artean. Biek karnetaren neurri ezberdinak ematen dizkigute, adi-bidez :

« Museoko eskuizkribu honek 155 mm. x 110 mm. neurtzen dituen liburuska bat osatzen du. » (G. Elortza. 1987, 277) « Ehun eta hamaika orrialdedun liburutto honen neurriak 107 mm. zabalera eta 154 mm. luzera dira. »(P. Urkizu. 1986, 15)

3 Halaber, Baionako kahierrean den koplen kopuruaz ez daude arras bat :

« Ternuako bertso-saila bakartzat hartuz gero, 29 poema ditugu, baina hiru direla kontsideraturik4, 31 ateratzen dira. » (Elortza. 1987, 279)

4 P. Urkizuk, berriz, G. Elortzak aipatzen ez duen Aurkhibideaz zerbait dio baina ez du hau bere liburuan agertzen ; ez du ere azaltzen zertako Aurkhibidean 27 kopla agertzen diren eta berak agertzen duen edizioan, berriz, 29 :

« Aurkibide bat ere badu 98. orrialdean 27poemen zerrendarekin. »

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5 Horiek horrela direla eta, testu horiei behako bat eman diezaiegun ikusteko, lehenik, zertako Ternuaco Penac izenburupean ezar daitezkeen hiru itsasoko kantu ezberdin (bakar batek baitakar Ternuaco Penac izenburua) ; bigarren, gorago aipatu 1986, 1987ko bertsio inprimatuen konparaketa eginez, bi argitalpen horien arteko ezberdintasunak zein diren ikusteko, gehituko diegularik 1991 ean agertu Bertsolaritzaren Historia-I-, itsasoko kantu horietaz liburu honetan atera den azken bertsioa eztabaidagarria baita arras.

1 - Idazkia :

1-a : Aukhibideaz :

6 Urrunago joan baino lehen, ikus ditzagun, zehazkiago, aipatu kantuak eta azal dezagun zertako hirukote/trilogia bat osatzen duten.

7 Jadanik erran bezala, hiru dira aztergai ditugun idazkiak5 : lehenik, Partiada tristea, Ternuara, zortzi silabako 20 laukoz (A/A/B/B/) osatzen dena, bigarrenik, Itsassoco Perillac, hau ere zortzi silabako 20 laukoz (A/A/B/B/) eraikia, eta, azkenik, Ternuaco Penac, zortzi silabako 13 laukoz (A/A/B/B/)6.

8 Bildumaren arkitekturak berak ematen ote digu hiru kantu horien elkartzeko arrazoirik ? Gogoaraz dezagun, lehen, G. Elortzak diona :

« Hiru poemok bakarrean nahiz batera irakur daitezke, bakoitzak osotasun aski baitdauka eta hiruren artean batasun sendoa osatzen dute. » (G. Elortza. 1987, 278)

9 Bizkitartean, batasun hori, itsasoko kantu horien kopiatzaileak berak finkatzen du Aurkhibidean hiru kantuak izenburu bakar baten pean ezarriz. Ohar gaitezke, gainera, Aukhibidean eta bildumaren barnean diren izenburuen artean alda-kuntza ortografikoak badaudela7, eta ere ezberdintasunak, zenbait aldiz aldatzen baitira8 ere, etab.

10 Hona Ternuaco Penac nola agertzen den bilduman dagon Aurkhibidean :

« Gaucen Aurkhibidea/Ternuacopenac, depuis le jusqua 11e »

1-b : Idazteko garaiaz egin daitezkeen gogoetak :

11 Kantu horiek behin eta berriz kopiatuak izan daitezke eta, behar bada XVII. mendekoak dira, gisa guziz ez preseski XVIII. mende ondarrekoak bildumak dakarren 1798 urteari fidatuz. Horretarako hiru arrazoi : lehena, ikustea bildu-man badirela 1798a baino aise lehenagoko kantuak, adibidez, Louis XlV-ari eskainia dena haren heriotza (1715) baino lehenago idatzia izana da, gero, Aurkhibidean bigarrenik kokatzen den, Çarrantçaco Penac idazkian Temuako Plazentzara heltzea aipatzen denez, nahi ta ez 1713a baino lehenagokoa da9 hau ere :

« Aphirillac cituen justu hemeretci noiz ere baiquinduen zundaz ardietsi, bazco egun handian guinduen atheratu, biaramunean Placentçan barnan sartu. » (URKIZU 1986, 105)

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12 Azkenik, kantu horietan den giroa ez da batere ere bildumak dakarren Ternuaren premia. Franchisaren caltea Laphurdin10 idazkian dagona, gogoan ukanez kantu hau 1790/91 urteetakoa dela, urtemuga hau baitzaio gehitua :

« Goïzportuac11 khorrocan, Sn Pierrac11 herren, Belilla12 candelan da baï eta hil hurren ; costatarrac beçala Laphurdi gucia franchisaren azpian datça ehortcia. »13

13 Ez dezagun ahantz halere, 1713ko Utrechteko hitzarmena aitzin, XVII. mende bukaerako urteak ez zirela batere bakezkoak izan Temuan, bereziki Ingeles eta Frantsesen artean : 1600ean Plazentza (Placentça, Plaçentça Detcheverryrentzat, gaur Placentia) Ingelesek xehatu zuten, 1696an Frantsesek Ingelesei berriz hartu... 1713ko Utrechteko tratatuaren ondotik egoera aldatu zen, baina Frantsesendako kalteak handiak izan baziren (ikus E. Ducéré14), zer erranik ez erresuma espainolean ziren Gipuzkoa eta Bizkaiarendako.

14 Urrunago joan gabe azpimarratu behar da Utrechteko hitzarmena aitzin Lapurdi, Gipuzkoa eta Bizkaiak beren bi gobemuen bitartez conversa frango muntatu zituztela harreman komertzialen onetan ; erran beharra dago ere borroka anitz bazela batzutan bi alderdietako marinelen artean (gogora Hendaia eta Hondarribiaren artekoak, adibidez) baina, denen onetan eginak ziren hitzarmen premiatsu horien berritze eta irauntaraztea oinarrizkoa zen itsas bazterreko jendeentzat eta iraun zezaketen batzutan Espainia eta Frantziaren arteko gerlen gainetik :

« Una tradición documentada muy antigua », dio M. Ciriquain Gaiztiarrok « abono que tanto la una (la provincia de Guipúzcoa) como la otra (el señorio de Vizcaya) negociaran tratados de concordia- « conversas », se les llamaba asi en los documentos-, con la provincia francesa de Labort, debidamente autorizados por las Coronas, aunque sus países estuvieran en guerra, entre ellos, lo que les permitió mantener relaciones comerciales para su mantenimiento en medio del fragor de las lombardas y los cañones. Fueron muchas las concordias celebradas, al efecto, a través del tiempo. Durante la guerra mantenida entre España y Francia, despues de la Liga de Augsburgo (1686), los guipuzcoanos y los viscaínos disfrutaban de una de estas concordias con los labortanos, aunque los franceses se dispusieran a invadir Cataluña. »

15 Bizkitartean, 1690ean, Espainiako gobernuari ez zitzaion iduri Gipuzkoa eta Bizkaikoek conversa errespetatu behar zutela :

« ...haberse servido S.M. prohibir, por ahora la concordia o conversa que en otras ocasiones de guerra permitia ajustar con la provincia de Labort. »15

16 Halere goiti behera batzu barne, conversa, oro har, atxikitzen da 16, 1693 ko Bergarako Junta Generalek diotelarik :

« Habiendo conferido largamente todo lo que por disposicion de la N. y L. villa de Azpeitia se ha discutido entre los Caballeros Comisarios de V.S. y los del Señorio de Vizcaya, sobre las necesidades que padecen los naturales y habitadores de ambas provincias, por la suspension de la Concordia que con el permiso de S.M. suele asentarse y practicarse entre V.S. y la provincia de Labort, en Francia, para la comunicación recíproca de frutos de esta y aquella provincia, y para la seguridad de todas las embarcaciones de ellas en sus navegaciones (...) »17

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17 Eta Juntek berriz eskatzen dute conversa :

« que como entre provincias tan principales y tan empeñadas con los vínculos de parentesco y amistad, siempre han profesado V.S. y el Señorio de Vizcaya, y que en disposición tiene resuelto la Diputacion del Señorio, se solicite con grande esfuerzo el beneplácito de S.M. para que se sirva de conceder a ambas Provincias el uso de la Concordia que, en las ocasiones antecedentes de la actual guerra se ha permitido con los Labortanos (como precisa para el sustento y conservación de los Naturales de V.S. y del Señorio) y que para su mayor y mejor efecto conviene vayan a la Corte dos Caballeros uno de cada parte, que con instante y eficaz súplica obtengan esta gracia de S.M. en nombre y con representación de ambas provincias. »18

18 Juntek eskatzen zutena lortu zen, 1694ean Baionako kapitain merkatariek izenpetu dokumentua hor dugu lekuko (et de prendre « des Espagnols quils jugeront à propos de mélér parmi leurs Equipages »)19 eta ere 1695eko Mutrikuko agiri bat :

« ...la ciudad de San Sebastián pidió a la Junta cartas a favor para la ciudad de bayona, pronvincia de Labort, y Duque de Agramont, para que se concediese libertad a los dos navios de dicha ciudad apresados por una fragata francesa que al presente se hallan en el puerto de Nantes, La Provincia se las concedió. »20

19 Halere, 1696 eta bereziki 1697tik goiti Ternuan zaila izanen da Gipuzkoar eta Bizkaitarrendako arrantzako lanetan bakean ibiltzea. 1697ko urtarrilaren 30ean Versaillesen idatzi nota batek dio kolonia frantsesarenak diren portuetan kanpo-tarrek ez dutela libro arrantzan ibiltzea, Frantziako erregek espainol untzi batzu Plazentzako bazterretan bazebiltzela jakin zuelakotz. Notak pasarte batean dio21 :

« Los españoles se hallan asi imposibilitados para continúar con la navegación en Terranova porque sólo se dejan libres los puertos de la Canal y el pasar por éstos se consigue pocas veces porque la entrada de la Canal muchas veces se ha hallado de bancos de nieve y otras veces se la pesca por el largo pasaje y como se dice precuando (?) del recurso de poder volver a los puertos de Sta Mariá y Sn Lorenzo y otros que están a poca distancia de Placencia, será muy factible que un navio, de cuatro viajes no logre uno, como lo saben todos los franceses. »22

20 Baina Gipuzkoako marinelek ez zuten trenpea galdu ; kapitain eta bandera frantsesarekin joaten ziren 1698/99 eta 1705ko dokumentu batzuk dioten bezala, « turkoetaz » beldur zirela :

« ... el navio San Juan Bautista perteneciente a don Domingo Pérez de Isaba, difunto, vecino que fue de esta ciudad y a otros naturales de ella, siendo su capitán Domingo de Mirandola, salió del puerto de esta ciudad para su viaje a Terranova, a la pesqueria del bacallao, por el mes de Abril de año 1705 llevando por precaución de los turcos capitán de la bandera francesa »23

21 Ultrechteko hitzarmenak egoera zailago bihurrarazi zuen. Baina Frantziak, urte andana batzuendako baldin bazen ere, Ingalaterrarekin antolamendu bat atxeman zuen Ternuako itsasbazterretan egiten zen arrantzaz. Ingalaterrak Ternuako ekialde eta hegoaldeko eremuak arras zaintzen baldin bazituen ere, Frantsesak (eta beraz Lapurdikoak) sartaldean bazebiltzen, 1713 baino berantagoko Joanis de Hiribarrenen kartak erakusten duen bezala24. Gipuzkoa eta Bizkaitarrentzat berriz, kaltea ikaragarria izan zen jadanik 1713an ez baitzuten deus ateratzen ahal izan hitzarmen horretarik.25

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22 Erran beharra dago 27 urte geroago berriz piztu zela gerla Ingeles eta Frantsesen artean Aix-la-Chapelleko hitzarmenarekin bururatuz ; ondotik, 1756an Zazpi Urteko gerla hasten da bi partaideen artean eta 1763an gelditzen Pariseko hitzarmenarekin : Frantziak Ipar Ameriketako lurralde guztiak galtzen dituelarik salbu St Pierre eta Miquelon26.

23 Erran gabe doa Lapurdiko portuek jasanen zituztela ondorio gaitzak.

24 Utrechteko hitzarmenaren ondotik bakailoaren arrantzak sekulako beheraka-da ezagutu zuen Donibane Lohitzune eta Baionako portuetan : 1635ean Donibane Lohitzunen 80 bakailoaren arrantzako untzi baldin baziren, 1716an bakarrik 11 gelditzen ziren...Halere, 1738an badira oraino 18 eta 1786an Baiona eta Donibane Lohizun 40 bakailoa-untzitara heltzen dira27.

25 Ternuako itsasaldeak ezin hobeak baitziren bakailoaren arrantzarendako, bereziki hegoaldean ziren hiru « Banc » edo « Banck »ak deituak ziren lekuak, han bakailoa- sarda handiak baitziren : Banck of the Islands, St Pierre eta Miquelonen itsas zabalean, Verte Banck (Banc a Vert) Plazentzaren hegoaldean den itsas zaba-lean eta Main Banck (Le Grand Banc), guti gora behera Cap d'Arras (Cap de Raze, de Ras eta gaur Cape Race) -etik Cap St François-ra (gaur Cape Saint Francis) den lurraldearen itsas zabalean, han aurki baitzitekeen bakailao-sarda handiena28.

26 Ternuaco Penac-etan agertzen den egoera, dirudienez 1713ko urtea baino lehenagokoa da, gerla aipurik ez da, Ingelesak, adibidez ez dira aipatzen, bai ordea Isquimaiiac ; halere, oraikoan29, ez daiteke deus behin betikorik erran, 1713 eta 1763a artean idatzia baitaiteke ere.

2- Idazkiaz egin izan diren agerketa inprimatuen konparaketa :

27 Gogora dezagun hemen aipatuko diren agerketak hiru direla A, B, C hizkiekin izendatuko direnak : A : 1986koa (P. URKIZU : Bertso zahar eta berri 1798), B : 1987koa (G. ELORTZA, Itsasoa IIIn.), eta C : 199Iekoa (J. GARTZIA, P. URKI-ZU, Bertsolaritzaren Historia, Lapurdi, Baxanabarre eta Zuberoako bertso eta kantak, I Anonimoak).

28 Jatorrizko eskuzko idazkiari O ezarriko zaio Ol (Partiada tristea, Ternuara), O2 (Itsassoco Perillac) eta O3 (Ternuaco Penac) hiru kantuen izendatzeko erabi-liko direlarik.

29 Irakurleak berak beha dezan, eranskinetan gehituko da jatorrizko eskuizkribua M. de la Sotak Baionako Euskal Erakustokiari (Musée Basque) emana30 ; agerketa inprimatuen xehetasunak, berriz, bibliografian emanak izanen dira.

2-a : Bertso edo koplen kondatzeko moldeaz :

OABC

O1 = 20 bertsu O1+O2 + O3 O1+O2 + O3 O1 +O2 + O3

O2 = 20 bertsu = = =

O3 = 13 berstu, 53 209 53 (LIII)

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Kopiatzaileak bertsu neurtitz Bertsu

eskuz gehitzen ditu zenbakiak.

2-b : Kantuen agertzeko moldeaz :

30 Jakiteko zein bertsutan diren aldakuntzak, izendatzeko molde hau hautatuko da : 02-4 (erran nahi da Itsassoco Perillac-en 4.bertsua) ; A24 (erran nahi da 1986ko Bertso zahar eta berrin 24. bezala agertzen den bertsua) ; B93 (1987ko Itsasoa III n 93. neurtitzaren zenbakiarekin agertzen den bertsua) ; C24 (ikus A24).

31 – Ol : Ohar gaitezke hastapeneko izenburua Partiada tristea bakarrik zela eta gero bertze esku batek gehitu zuela Ternuara (A, B eta C agerkarietan ez da hori aipatzen). Ikus dezakegu ere Olen tituluaren azpian A. dagola (gero, bilduman Ternuaco Penac hirukotearen ondotik heldu den çarrantçaco penac kantuaren azpian B. ezarriko duelarik kopiatzaileak). Seinale horiek azpimarratzen dute kopiatzaileak hiru kantuek duten batasuna azpimarratu nahi izan zuela, B rekin bertze sail bati hastea emanez.

2-c : Agerketa inprimatuetan diren ezberdintasunetaz :

OABC

01-14 : « Jaunac diçula A14 : « Jaunac diçula B53 : « Jaunac digula CXIV : « Jaunak gracia » gracia » gracia » dizula grazia »

O1-19 : « maiñada haz A19 : « Maiñada, haz B73 : « maiñada haz çaike CXIX : « Mainada, çaizte onac » çaizte onac » onac (?) » haz zaizte onak »

02 (titulua) : « Itsassoco A21 (titulua) : B81 (titulua) : « itsassoco C XXI (titulua) : Perillac » « Itsasooco Perillac » Perillac » Itsasoko Perilak

O2-4 : « beguiz ecin A24 : « Beguiz cein B93 : « beguiz ecin ikhus CXXIV : « Begiz ikhus Larrun » ikhus Larrun. » Larrun. » zein ikhus Larrun. »

O3-12 :» triste errain A52 : « Triste, errain B205 : « triste bezain CLII : « Triste eroria ; » eroria, » (?)Eroria ; » errain eroria, »31

2-d : C agerketan diren aldaketak eta hutsetaz :

32 C agerketan (Bertsolaritzaren Historian (1991)) kantuetaz egiten den bertsioa ez da bakarrik jatorrizko testutik gehienik urruntzen dena baina ere Ol (Partiada Tristea, Ternuara) arras ondatzen eta itxuraz aldarazten duena.

33 Ortografia oraikotzen denez, « c »-ak, « k » bilakatzen dira, adibidez, baina, denbora berean : « Perillac », Perilac », eta « gilla », « gila », bi etsenplutan gelditzeko ; era

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berean, « Mariñelen », « Marinelen » bihurtzen da eta, beti hor gelditzeko, « maiñadac », « mainadac »... Kontsonanteen gibeletik diren « h »ak ere desagertzen dira, « senhar »-ek, « senar » ematen duelarik...

34 O1 -2 -ren lehen neurtitza : « Churi garbi ceru gaiña », « Txuri garbi zeru gaina, » (CII), bilakatzen da, era berean Ol-10-en lehen neurtitzean den « chumea », hitza, « xumea » idazten delarik...

35 O2-3-ren lehen neurtitza : « Itsasoaren gañean », itsasoaren gainean » (CXXIII) bilakatzen da.

36 Baina, erran bezala, ezin sinetsia da ikustea zer bilakatzen den 01 Partiada tristea, Ternuara- ren hastapena C agerkarian : • hirugarren kopla « Untcitic artilleria/.../ » falta da... • laugarrena hirugarrenaren lekuan aurkitzen da eta gainera hirugarrenaren bi azken neurtitzekin...

37 Ternuaco Penac idazkiarekin egin den 1991 eko agerketa inprimatuak argi eta garbi aitzinatze baten orde, gibelatze bat izan dela salatzen du, halaber, ikus deza-kegu A eta B direla jatorrizko testutik hurbilenik ibiltzen direnak. Halere, azken bi agerketa hauetan, zenbait gauza ez dira beti agertzen. Barratuak diren pasar-teak, adibidez, zenbaitetan seinalatzen dira eta bertze zenbaitetan ez (Ak eta Bk ez dute agertzen O1 -10ean « Adios »-en azken silaba barratua dela eta ondorioz « Adi » agertzen dela bakarrik, gauza berdina gertatzen delarik Ol-l lean). Aldiz A agerketan nota batean agertzen da (ikus A39) 02-19an lehendabiziko bi neur-titzen erdiak barratuak direla : « ez du deus pausuric » dago ezabaturic » eta « loth toquiric » dago ezabaturik » (URKIZU 1986, 99).

38 Agian, lasterrezko ikuspegi honen bitartez ikus daiteke eskuz idatziak diren idazkien transkribatzea beti ahal bezein zehazki egin behar litekeela, berdin gertatzen delarik edizio agortu edo aspaldiko aldizkarietan sakabanatuak diren idaz-ki inprimatuak berrinprimatzen direlarik.

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ANNEXES

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NOTES

1. P. URKIZU : Bertso zahar ela berri (1798). Durango 1986. 2. G. ELORTZA : « Ternuako arrantzaren oihartzuna euskal bertsogintzan. », in, Itsasoa III, 1987, 277-286. Autoreak liburu horretan berean agerrarazten du ere kahierrean dagon bertze kantu bat : Ternuaren premia. Franchisaren caltea laphurdin, vers 1790 ou 91. Hau J. Urquijok RIEVen 1924ean lehen aldikotz argitaratua eta Joanes Etcheberri Ziburukoaren baleazaleen otoitzetan ezagunenak diren pasarteak. 3. J. HARITSCHELHAR in P. URKIZU : Bertso zahar eta berri zenbaiten bilduma (1798)... 4. G. ELORTZAK gogoarazten du trilogia bat dagola Ternuari buruz Baionako 1798 ko kahierrean. Hiru kantu horiek direlarik : Partiada Tristea Ternuara, Itsassoco Perillac eta Ternuaco Penac. 5. Ikus 4. nota. 6. Eskuizkribuak erakusten duen bezala, kantu honen azken bertsuaren ondotik norbaitek gehitu du « 13 », bertsu kopuruaren gehiketaren finkatzeko, gainerakoen bururapenetan « 20 » pertsona berak gehitu duen bezala. Ikus eranskinean emana den jatorrizkoaren fokokopia. 7. Adibidez, kahierraren barnean aurkitzen den çarrantçaco penac kantua, Aurkibidean Zarranzaco penac bezala idatzia ikusten da. 8. Adibidez, Ste Rose, Bouquet à Me Zuaznabar, Aurkibidean Sa. Rosa, Zuaznabar, agertzen da. 9. 1713.ko Utrechteko tratatuaren ondotik Ingelesen eskuetan gelditzen da Plazentza. Mugaren bi aldeta-ko euskaldunak, erran nahi da Lapurdi Gipuzkoa, Bizkaiakoek (nahiz hauek neurri guttiago batekin) aspaldi-tik Ternua hegoaldeko eremu haietara joateko ohidura zuten eta han aurkitzen ditugu. Baina XVII. eko azken urteetako idazki batek erakusten du zer giro zen Plazentzan hamazazpi urte lehenago, ikusiko denez, gero eta zailago zen Plazentzan bakean bizitzea. Idazkia XIX. mendean kopiatu zen. Jatorrizkol694ko dokumentuak kondatzen du nola zortzi merkatari (sei Baionakoak, bi Donibane Lohitzunekoak) eta lau Donibane eta Ziburuko kapitain erregeren notarioaren aitzinean

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presentatu diren Louis XIV ak eskaintzen zizkien abantailak eta zituzten eginbeharrak zein ziren ofizializatuak izan zitezen kontra-tuaren bidez ; XIX. mendean erantsi zen notak zioenez hamabi kapitainak (« dont six de Bayonne commerçants, et six de St Jean de Luz, et Ciboure) Plazentzako herriaren laguntzera baitzihoazen (« pour ravitailler la colo-nie de Plaisance »). 1694.ko otsailaren 16ko idazkiak hastapenetik, kapitainen izenak eman eta gero azpimar-ratzen du hauen engaiamendua : « qui se sont engagé à porter à la colonie de Plaisance les secours de vivres, et munitions nécessaires pour la subsistance de la dite colonie. Les dits traitants s 'obligent de payer au gouverneur et à l'Etat Major de la Garnison du dit Plaisance leurs appointements soit en argent effectif, soit en munitions ou vivres (...).Ils lève-ront à leurs dépens, une recrue de 40. Bons Soldats qu'ils passeront au dit Plaisance, et leur payeront leur solde d'une année soit en vivres soit en habits (...). Moyennant les quels offres et conditions S.M. leur fournira au port de Rochefort, une de ses frégates de 30 à 36 pièces de canons pour user d'armes (...) et aparaux et munitions de guerre, tant pour l'armement que pour la rechange, bien carennée et prette à mettre à ta voile et une flutte au Port de Bayonne armée de 20 canons et pareillement pourvue de toutes les munitions et agrès nécessaires pour sa navigation des quelles frégattes et fluttes (...). S.M. leur permettra pareillement d'armer à leurs dépens deux autres fluttes à eux apartenants pour aller faire la pêche ou la troque au dit Plaisance ainsi qu'ils aviseront bon être, et leur fournira des Commissions en Guerre, pour les Capitaines qu'ils mettront sur les dites frégattes et fluttes. S.M.leur permettra pareillement de lever par préférence les équipages des dites 4 ftuttes dans le département de Bayonne de matelots qui ont été l'année 1693, à son service, et des invalides et de prendre des Espagnolls quils jugeront à propos de mélér parmis leurs Equipages, pour épargner les matelots qui doivent servir sur l'armée navale pendant la présente année. En cas qu'en allant pendant leur séjour, où à leur retour du dit Plaisance, les dits 4 vaisseaux fassent quelques prises sur les ennemis de l 'Etat, les dites prises seront entièrement au profit des dits traitans, sans que S.M. puisse y prétendre. Et d'autant que les dits traitans payeront et nourriront à leurs dépens tous les Equipages des dits 4 Batimens, ils auront une pleine et entière liberté d'en disposer pour leur péche course où autrement ainsi qu'ils aviseront bon être pour le bien de leurs affaires sans que le Gouverneur du dit Plaisance, ou autres officiers en puissent aucunement disposer, SM. leur permettant de rester au dit Plaisance tant qu'ils aviseront bon être pour le bien de leurs affaire (sic), et de charger à leur Retour, toutes les morues, huilles et autres marchandises qu'ils auront et de faire leur retour dans tel Port de France qu'ils aviseront bon être, à la charge de remettre à Rochefort ou à Bayonne les dites fregattes et fluttes de S.M. sauf les risques, perils et fortunes de la mer et de la Guerre (...) » (Baionako Liburutegi Munizipaleko 285 zenbakia duen artxiboa) Idazki interesante honen bitartez ikus dezakegu, lehenik, nola XVII. ondarrean untziak bakailoaren arrantzan (trukea ahantzi gabe) eta L. XIV arendako kursan badabiltzala, Estaduaren politika eta lekukoen griña komertzialak kasu honetan ongi ezkontzen direlarik (ez baitzen beti hala) eta bigarren, aipatuak diren « Espagnoll »etan gehienak mugaz bertzaldeko euskaldunak daitezkeela, nahiz ez menturaz denak, gogoan ukanez 63bat urte geroago, 1757an zer gertatzen zen Baionako Le Constant untziarekin : « ...parmi les volontaires figurent quelques étrangers. Les mieux représentés étaient naturellement et de très loin les Espagnols : ils formaient à eux seuls plus de 90/100 de ce groupe : parmi eus une majotité venait du Guipuzcoa ou de Biscaye, mais on compte une bonne proportion venue de toute le péninsule : de Jaca, Séville, Cadix, comme de Cantabrique... » (J. PONTET, in CTHS, 1995, 407or.) ; Giroa Plazentzan lanjerosa zen eta Ingelesen atakeak ardura gertatzen ziren. Plazentzan ari zen DET-CHEVERRI « DORRE » bere karten egiten 1689an, bortz urte lehenago : « La generacion de Detcheverry » dio S. BARKHAMek « a finales del siglo XVII, era una de la últimas en gozar de un campo abierto en Terranova. Ya los dos grandes imperialistas, Francia y Gran Bretaña, batallaban entre sí por la suprema-cia de America del Norte (...) . »

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Baina ikusten da ere Plazentzan garai haietan mugimendu anitz bazela : « Placencia era el lugar donde se reunían corsarios, donde mercaderes de Boston vendían vituallas, bebida (...). » (S. BARKHAM in Itsasoa III, 713) 10. Titulu hau J. de URQUIJOk, LARRALDE medikuaren kahierretik hartua du, kantu osoa bezala : « En la lista de alcaldes (maires) de San Juan de Luz, figura el « Ducos » que nos interesa por haber ejer-cido dicho cargo los años 1790-91 y el año V.Al mismo personaje se refieren los siguientes versos que tomó del cuaderno del Dr Larralde. », in « Versos al Dr. Ducos », RIEV XV, enero-mayo 1923. P. URKIZUren edizioan, bertsu berak Ducos jaunaren laudorioac izenarekin agertzen dira, gehi nota bat « Vers 1790 ou 91. Ternuaren premia. Franchisaren caltea Laphurdin dio eskuizkiribuak goi eta beheal-dean », in op. cit. 147-149. 11. Sn Pierrac gaurko St Pierre eta Miquelon irlak daitezke, erran nahi da Ternuako mendebal- hegoan direnak) ; horrela dio DORREk : Seguidandire Ternuago graduac./ (...)Sen-Pieretaco Irlac, 46 gradutan, eta hiru laurden » (104/105.or.) ; « Halaber Sen Pieretaco Colunbia eta Miçuelu portuco entrada norno-roest suduest eta dire batetic bertcera, 7. 1. » (106. or.) ; « Halaber Sen Pieretaco Irlac (...) » (106. or.) Urrunago ongi agertzen da ez dela hor dudatzerik : « Sen Pieretaco Irlen eçagutcecotçat bi Irta handi direla eta bada Irla bata bercea baino handiago ceina deitcen baita Colonbia eta baita esetican lecoa handibat Irla bañ ceina baita Irla berdea. » (117 or.) M. EGAÑA GOYAk dio : « Oso bitxia da idazleak behin eta berriz pluralean ipintzea Pierre izen bere-zia. » (in « XVI eta XVII mendeetako Canadako euskal leku-izenen berri », 35 or.) baina ohartzekoa da gero, 1790/91ean Ducos Jaunaren laudorioac-etan berriz aurkitzen dugun plural hori aurki genezakeela jadanik frantsesez Jacques CARTIERen Deuxième relation- ean, 1535-36an, HOYARÇABALen lana baino 25/26 urte lehenago : « Nous fumes esdictes illes sainct Pierre o 'y truvames plusieurs navires tant de france que de Bretaigne depuis le jour sainct Bernabé XIe de Juin jusques au XVIe jour dudit moys que appareillasmes desdictes ysles sainct ysles sainct Pierre (...) ». (CARTIER. 1986, 184) Irla berdea, berriz gaurko St Pierre irlaren iparrean den irla ttipia, XVIII. mendeko frantses karta batean /. Verte bezala agertzen dena ez ote da horrela deitzen bakailao hezea (=berdea) -ren lan- molde eta arrantzatzeko garaiei lotu behar delakotz ? (ez du horrela pentsatzen M. EGAÑA GOYAk : « mailegu hau, batzutan ferdea bestetan berdea agertzen zen landareen koloreetatik edo irten bide da. » in op. cit. 36.or.). Bakailoa hezearekin zer ikustekorik dute agian Ternuan diren bertze berde adjektibuarekin eraikiak diren toponimo batzuk : hala nola La Baye Verte, Banc a Vert etab. Gogora dezagun bakailao hezea arrainari hertzeak kendu eta gatza botaz kontserbatzen zela, batzu bertzeen gainean metatzen zirelarik ; idorrak baino gutiago balio zuen eta etzitekeen Europa hegoaldean aise kontserba. 1798ko kantu bildumari gehitu zaion 1802koa den Miracuillua ! Guetharian çaiçun bertso hau aurki dezakegu : « Gure serorac arrantçaletaric/jateco daude arrain fin, ederric : /salesen hertceac, bacallau heceac/bide tu horratuco, guerocoac guero,/astanteraiñ. » (ikus URKIZU 1987, 175) Teknikari buruz, ikus M. EGAÑA GOYA, B. LOEWEN : « ...la technique la plus importante était la pêche sédentaire oit les pêcheurs s'établissaient sur la cote près d 'un banc de morues, ils érigeaient abris et échafauds, sortaient quotidiennement en chaloupes pour la pêche, et séchaient la morue sur les échafauds ou simplement sur la grève. (...) La deuxième technique, le pêche errante indique en quelque sorte I 'adaptation de certains pêcheurs exclus des plages propices à la pêche côtière (sic). Le navire errait sur les bancs de morues. et le poisson pêché était évidé sur le même navire, pour y être ensuite arrime en couches intercalées de grandes quan-tité de sel. Le produit, appelé morue verte, était à la fois plus périssable et moins cher que la morue sèche. Finalement, on pouvait retrouver une technique de pêche et de livraison pratiquée en deux étapes. Comme pour la pêche errante, la morue était pêchée et évidée sur le navire. Elle était ensuite salée et mise en barriques pour se conserver provisoirement. Arrivées au port, les barriques étaient ouvertes, le poisson rince et remis en barriques dans une nouvelle saumure. » (in « Dans le sillage des morutiers basques du

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Moyen Age : une perspective... », CTHS 1995) Ikus ere S. BARKHAM ek diona : « Es cierto que, a partir de 1547, se realiza un mayor esfuerzo dedicado plenamente a satisfacer la demanda de « grasa » de ballena en el mercado europeo ; el bacalao, mientras tanto, lo pescaban algunos miembros de la tripulación sobre todo para el consumo interior del barco. El bacalao fresco representaba una buena parte de la dieta alimenticia de los pescadores durante los meses que faenaban en Terranova, y durante el viaje de regreso hubieran podido comer el bacalao « verde », es decir, salado pero no secado. » (in Itsasoa III, 60 or.) St Pierre eta Miquelonekin jarraitzeko, gehi dezagun ETCHEVERRYk aipatzen duen Miçuelu, gora- go aipatu 1677ko karteran den Miqueloun edo Miquelon daitekeela... Louis Armand de LOM D'ARCE LAHONTANgo baroi kaskoinak, berriz, hau zion : « (...)Saint Pierre, l'ile Percee & c sont des ports ouvers sans fortification, ni apparence d'i en pouvoir faire. », in op. cit., 1085. or. 12. P. URKIZUren ediziotik hartua da zitazione hau, J. de URQUIJOrenean aurkitzen da « Belita (?) ». Aitzinago joan gabe erantsi dezagun LARRALDEeta URQUIJOren bertsioek badituztela ezberdintasu-nak : « Goi'z portuac », « khurrucan », « hurren » (in URQUIJO/LARRALDE). Ikus ere G. ELORTZA in op. cit. 285. Erran beharra dago ez dela Belita izaten ahal, baizik eta Belilla edo Belila. Toponimo hau agertzen da DORREk, XVII. mendean, HOYARZABALen 1579ko Les voyages avantureux....-etaz egin izan zuen itzulpen/moldaketan (ikus EGAÑA-GOYA : « en ce qui concerne Terre-Neuve il ajoute toute la côte ouest de l'île »), in CTHS, 1995, 57. DORREk, adibidez, aipatzen ditu » Belilaco irla (cap d'Arrastic eta cap de Grateraño artean) eta Belila baya (« cap Gratetic eta Grambayaco Irletaco arrutac » jarraituz aurkitzen dena). DORREren 1677ko kartei edo mapei esker (ikus S. BARKHAM in Itsasoa 1987, 205,207), ikus daiteke liburuan xehe-ki aipatuak diren leku garrantzitsuenak ongi agertzen direla. Bi leku horiek gaur Belle Isle eta Strait of Belle Isle bezala agertzen dira kartetan (DORREren kartetan : batean Belysle, bertzean Belisle irla.) Baina bertze Belila (Belysle DORREren kartan) bat badago, beheitiago, ipar-ekialdean, lehen Groy irla deitzen zen irlaren ondoan. Gaurko kartetan : Bell Island eta Groais Island, biak Grey Islands deituak ere. Beti ekialdetik baina haise hegoago, Conception Bayen badago hirugarren irla bat Bell Island bezala agertzen dena gaur baina horrela agertzen zena XVII/XVIII. mendetan (ikus LAHONTAN II. 1990,1187). DORREren kartetan ez da agertzen. Ez da ere ahantzi behar Frantziak Quiberon aldeko itsas zabalean, Belle Île (lehengo kartetan, Belle Isle edo Bel - Isle) izeneko irla bat baduela ; leku hau du J. ELORTZAk gogoan erraten duelarik : « Belila/belita (?) (L) : Belle - Ile ; Bretañan ezezik, Canada aldean ere bada izen horrekin irla bat. » (in Itsasoa III, 285. or. Azken leku hau, LAHONTANgo baroiak dioenez, arras garrantzizkoa izan zen Ternuara zihoazen eta bereziki Ternuatik zetozen untziendako : « Cette Isle [Isle d'Orleans ez mintzo da] (...) n'est que trop éloignée de France pour les vaisseaux qui en viennent, car leur traverse dure ordinairement deux mois & demi, au lieu qu'en s 'en retournant ils peu- vent en trente ou quarante jours de navigation gagner aisément l'atterrage de Bel-Isle, qui est le plus seur & le plus ordinaire des Navires au long cours. » (LAHONTAN I. 1990, 268-269). Lau Belila baditugu beraz, hiru gaur Canadan den Ternuarenak eta bat Frantziarena. Zeintaz ari ote zaigu DUCOS jaunaren en laudorioac idatzi dituen koplakaria ? Ikusiz berehala « Sn Pierrac » aipatzen dituela, Ternuan den Belila batez ari zaigu. 13. Laukoaren gainerako bertze bi neurtitzek Ternuaren galtzea geroztik Lapurdik jasaten duen egoera latza dukete gai. Bertsu osoaren giroa arras dramatikoa da, lehendabiziko bi neurtitzek azken hatsetan diren Ternuako portuak aipatzen dituztela, heriotzaren inguruko alor semantikokoak diren aditzek erakus-ten dutenez ( « khorrocan », « herren », « hil hurren »...) ;

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gainerako biek Lapurdiko egoera tristea dute aipa-gai, 1784eko uztailaren 14eko ordenantzaren ondotik suntsituak gelditu baitira, « franchisa » k prezioak goi-titiarazi zituelakotz : « Costatarrac beçala Laphurdi gucia/franchisaren azpian datça eroria. » 14. « C'etait le commencement de notre décadence sur le nouveau continent. Louis XIV, oblige de signer la paix. accepta les conditions de l'Angleterre. Par le traite d'Utrecht (1713), nous cédions la baie et le détroit d'Hudscm (sic), l'Acadie ou Nouvelle Ecosse ainsi que le côtes sud et est de Terre-Neuve, et la juridiction territoriale de l'île toute entière. La France conservait le privilège exclusif de la pêche sur la partie orientale des cotes, depuis le cap Bonavista jusqu'à la pointe la plus occidentale, puis, de la jus-qu'au cap Riche, sur la côte ouest. Le traité interdisait a nos nationaux de fortifter aucun point a terre ou d'y eriger d'autres constructions que des cabanes de pêcheurs et des échafauds nécessaires à la pêche. En outre, ils ne pouvaient séjourner dans l'île passé le temps nécessaire pour sécher la morue. » (DUCÉRÉ 1893, 5) 15. Ikus CIRIQUAIN GAIZTIARRO, Los vascos en la pesca a la ballena, 302. 16. Ikus CIRIQUAIN GAIZTIARRO, in op. cit., 302-303 or. 17. Ikus M. CIRIQUAIN GAIZTIARRO, in op. cit. 303. or. 18. Ikus M. CIRIQUAIN GAIZTIARRO, in op. cit. 303-304 or. 19. Ikus 9 nota. 20. Ikus M. CIRIQUAIN GAIZTIARRO, in op. cit. 304-305. 21. Ikus M. CIRIQUAIN GAZTIARRO, in op. cit. 306-307. 22. Ikus CIRIQUIAIN GAZTIARRO in op. cit. 309 or. 23. Ikus CIRIQUAIN GAIZTIARRO in op cit 312 or. 24. Ikus S. BARKHAM in Itsasoa III, 168, 169. 25. Ikus CIRIQUAIN GAIZTIARRO, in op. cit. 314-327. 26. XVII eta XVIII. mendeen egoeraren ideiaren ukateko, eta supran conversaren inguruan erranaren osatzeko, gogora dezagun, 1686 eta 1697 (Ryswickeko bakearekin) artean Augsburgo Ligan sartuak zire-la Austria, Alemaniako printze batzu, Holanda, Ingalaterra eta Espainia, Frantziaren kontra. Garai hartan Louis XIV zelarik errege. XVIII. mendean, berriz, jada Louis XV menpean, supran aipatzen den Zazpi Urteko gerla 1756tik 1763 arte iraun zuen, Frantzia, Austria eta aliatuak alderdi batean zirela eta Ingalaterra eta Prusia bertze aldean. Lehenago Baionan 1694an izenpetu zen notario-aktan ikusten zen bezala (ikus infra, nota 9), gerla horiek sustatzen zituzten ere erregeren izenean egiten ziren ohointzak (itsas lasterrak, kurtsak) eta batek bere izenean egiten zituenak (piratakeriak) : « Les corsaires constitutaient en quelque sorte une marine supplétive, leur action est particulièrement importante lorsque la flotte royale n'a pas la maîtrise des mers, ce qui est en général le cas de la flotte royale française aux XVlIe et au XVIIIe siècle. On conçoit que dans les pays marins, comme la Bretagne et le Labourd, la guerre de course ait été importante, elle convenait particulièrement aux marins basques, rétifs à entrer dans la marine royale. Le corsaire est en somme un marin civil qui reçoit du souverain une commission pour attaquer et capturer les navires ennemis, de guerre ou de commerce. Sans aucun doute, les corsaires ont contribue par leurs prises à la prospérité du commerce de Bayonne, ils ont maintenu dans une grande mesure la richesse de St Jean de luz après la décadence de la pêche. Les corsaires bayonnais se révèlent en 1690 avec 40 prises, puis 90 l'année suivante. De 1744 à 1782, Bayonne arma 266 navires corsaires, soit 105 pendant la Guerre de Succession d'Autriche (1744-1748), 148 pendant la Guerre de Sept Ans (1756-1761) et 13 pendant la Guerre d'Indépendance des Etats Unis (1778-1782). (...) « Johannes de Suhigaraychipi, dit Croisic ou Coursic, est sans doute le plus célèbre des corsaires bayonnais (...) .Avec Harismendy il va combattre les Hollandais au Spitzberg, ruine les installations de la baie aux Ours, fait 24 prises. Mais il meurt à Terre-Neuve où sa tombe se voyait encore récemment à Placentia : « Ci- gît Johannes de Suhigaraychipy dit Croisic, capitaine de frégate du roi, 1694. Envieux pour l'honneur de mon prince, j'allais en suivant sa carrière, attaquer les ennemis en leur mesme tanière. » (...) Plazentzako hilarriei buruz ikus 1908ko RIEVen Rdo HOWLEYk agertzen duen lana. Ikus ere M. CIRIQUAIN GAIZTIARRO in op. cit. 211-214.

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E. GOYENECHEk, berriz, Lapurdiko itsas-lasterkarietaz gehitzen du : « Mais les corsaires de St -Jean- de -Luz, sont justement légendaires. A vrai dire une longue tradition de piraterie les y préparait : en 1556, Haritzague, Somian, Ansogarlo, durent solliciter, pour ce motif, des Lettres Patentes de pardon. Les Luziens gagnèrent la faveur du roi quand, en 1627, avec les Bayonnais, ils forcèrent le blocus de St Martin de Ré en se faufilant sur leurs pinasses et leurs flûtes, tandis que Johannis de Haraneder armait, a lui tout seul, deux vaisseaux. La fin du XVIIe siècle fut marquée par la génération des Chibau, Ducomte, d'Etchepare, etc. Le chevalier d'Amou, fils du bailli du Labourd, se fit corsaire et en 1692 prit 4 vaisseaux en un seul combat. Mais le plus célèbre fut Jean Peritz de Haraneder, armateur de 18 navires, qui amassa grâce en partie a la course contre les Hollandais, la fortune collossale de deux millions de livres, fut anobli par Louis XIV en 1694, deveant vicomte de Jolimont de Haraneder, et fut la souche des vicomtes de Macaye. » (E. GOYENECHE, in Le Pays basque, 326-327) 27. Ikus E. GOYENECHE in op. cit. 324.or. bakailoaren arrantzaren apaltzeari buruz eta 325.na balea-renari buruz. 28. Hona, bertzalde, E. GOYENECHEk zer dion : « La morue se pêchait principalement sur le Grand Banc de Terre Neuve. On la préparait soit « verte », soit salée. La pêche a la morue « verte » se pratiquait de février à fin avril, Placentia en était le centre. La première mention de morue pêchée par des Basques remonte a 1512 ; durant les XVIe et XVIIe siècles ils pratiquèrent le salage et le séchage à Terre-Neuve. Les Basques y étaient si experts que certains furent recrutes par les Hollandais, leurs concurrents. En 1635 on compte 80 navires morutiers à Saint-Jean-de Luz, 16 baleiniers et 9 morutiers à Bayonne. En 1679, à Bayonne, sur 2736 matelots, 900 sont morutiers et 760 baleiniers. » (in op. cit., 324 or.). 29. Ikerketa sakonago batek eta, bereziki, ustegabeko aurkikuntza berri batek jakainarazten ahal digu-te hobekiago noiztsu idatziak daitezkeen. 30. Erran beharra dago CHAHOk ere hiru kantu horiek kopiatu zituela. CHAHOren kopian aldakun-tza ortografikoak agertzen dira. Kantu horiek ez dira nehoiz inprimatuak izan, eskerrak eman beharrak diz-kiot F. ARKOTXAri eman didan kopiaz. Hona, adibidez, 1798ko bilduman den Ternuaco Penac idazkiaz (03, artikulu honetan erabiltzen den kodigoaren arabera) zati labur bat : TERNUAKO PENAK//Untzi batzu salbaturik/Itsassoa passaturik/Arribatu Ternuarat/Behar duten Portuetarat//Ternua da mortu hotza/Eremu triste arrotza/Laboratzen ez den lurra/Neghuan bethi elur- ra.//(...)Ternuan dire Salbaiak/Eta Izkimaü etsaiak/Guiza bestia cruelak/Hillik jaten marinelak.//(...) Han ez da behar naghirik/Ez ghezurrez den eririk/han dakite eraghiten/Alferra fetcho eghiten.//(...) » (in A. CHAHO : Chants populaires de la Navarre et des Provinces Basques, urterik ez dakar baina 1844 baino lehenagokoa daiteke kopia. Idazki argitaragabea.). 31. Hizki ilunez agertzen dira A, B, C agerkarietan diren aldakuntzak ; ortografikoak : letra larri edottipien aldatzeak, adibidez « Beguiz », « beguiz » zelarik ; « u »ren gehitze, orduan azpimarratzen delarik silaba osoa, adibidez « gi », jatorrizko testua « gui » zelarik) ; gaizki ulertuak diren hitzak, adibidez « digula », « diçula »ren ordez ; eta ere transkribitzaileak berak, kasu honetan Elortzak, zalantza bat badela galdera markatuz erakusten duelarik, adibidez « bezain (?) ».

RÉSUMÉS

Quelques remarques sur le manuscrit Ternuaco Penac [Les peines de Terre-Neuve]. Le manuscrit MS 97 du Musée Basque de Bayonne est constitue par un ensemble de textes poétiques d'origine diverse dont beaucoup sont anonymes et non dates. Le tout a du être

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rassemble entre la fin du XVIIIe et les toutes pre-mières années du XIXe siècle, puisque le carnet, outre la mention Quelques vers anciens et nouveaux, porte la date de 1798 et qu'a la fin de la Table des Matières (Aurkhibidea), figurent deux poèmes dates de 1802 et 1808, ce qui fait supposer l'intervention d'un autre copiste au plus tôt en 1808. Le carnet a étéédité dans sa totalité pour la première fois en 1986 par P. Urkizu. Au sein de ce premier corpus, la trilogie formée par les trois textes consacres au voyage des pêcheurs de Terre- Neuve occupe une place a part. Ces textes évoquent les conditions terribles du périple et du séjour, d'où le titre de la trilogie : Ternuaco penac. Il convient, au préalable, de présenter le manuscrit en le situant dans un cadre historique allant de la fin du XVIIeà 1763 (Traité de Paris et fin de la Guerre de Sept Ans). Dans un second temps, une étude comparative des trois versions imprimées de ces dernières années (1986, 1987 et 1991) parues dans trois éditions, dont une bilingue basque/espagnol établie par G. Elortza en 1987, permet de mettre en lumière les variantes, tant il est vrai que ces versions ne sont pas identiques. Il apparaît ainsi que les éditions de 1986 (A) et 1987 (B) présentent des différences (au niveau de la lecture et de la prise en compte des paratextes essentiellement) par rapport au texte d'origine (0), une reproduction intégrale du manuscrit étant présentée pour la première fois dans sa totalité ici en annexe. Seule cependant l'édition de 1991 (C) s'éloigne radicalement du texte originel, non seulement parce que le texte en a été modifie mais surtout par l'ampleur des carences constatées (strophes absentes ou amputées pour le premier texte de la trilogie) et la non prise en compte de la version Elortza parue en 1987 dans Itsasoa III, par exemple.

INDEX

Thèmes : littérature, philologie Mots-clés : critique littéraire, manuscrit Index chronologique : 18e siècle, 19e siècle

AUTEUR

AURÉLIE ARCOCHA-SCARCIA Bordeaux III, UPRESA 5478 – CNRS [email protected]

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150e anniversaire de l'Uscal-Herrico Gaseta

Fermin Arkotxa

1 En cette année 1998 qui a été l'occasion de fêter l'anniversaire de l'abolition de l'esclavage et l'instauration du suffrage universel direct1 décrétées par le gouvernement issu de la Révolution de 1848, nous ne pouvions manquer de commémorer également dans Lapurdum le cent cinquantième anniversaire de la création du premier journal intégralement rédigé en langue basque. C'est en effet à Bayonne, en 1848, qu'Augustin Chaho créé l'Uscal-Herrico Gaseta, supplément de l'Ariel, journal également fondé par Chaho en 1844.

2 L'Ariel connaît plusieurs « sous-titres » successifs : Courrier des Pyrénées, et de l'Imbécilium-Club de Paris2, Courrier des Pyrénées3 puis, Courrier de Cantabrie et de Navarre4. Il paraît tout d'abord chez Duhart-Fauvet et Maurin5 l'imprimeur épiscopal qui, sur ordre de l'évêque, refuse ses presses au numéro où Chaho commence à publier sa « Doctrine Philosophique », dédiée à Jules Balasque qui collaborait alors à l'Ariel ; le journal passe alors à l'imprimerie de Lamaignère6. En janvier 1846, l'Ariel s'installe chez Bernain, au 1, rue Bourg-Neuf, imprimerie qui sera reprise par P. Lespés. C'est à ce moment, en janvier 1846, et non pas en 1847 ainsi que l'écrit Gustave Lambert7, que l'Ariel se transforme en journal politique, lorsqu'il devient le Courrier de Vasconie, Scientifique, Artistique, Littéraire, Politique, Commercial, Agricole et d'Annonces. Journal International consacré à la défense des intérêts des populations qui habitent les deux versants des Pyrénées et les bassins de la Garonne et de l'Èbre, dans tout le cercle de la Vasconie : la Gascogne, le Béarn, les deux Navarres et les Provinces Basques.8

3 Bien que l'Ariel se déclare un journal politique, et il l'est sans conteste, il se trouve encore soumis aux lois de septembre 1835 qui répriment sévèrement les délits politiques de la presse. Ce n'est qu'à la chute de la monarchie de juillet qu'Augustin Chaho peut s'exprimer librement dans son journal qu'il rebaptise alors Républicain de Vasconie9.

4 La révolution qui vient d'éclater est quasi exclusivement parisienne. À Bayonne, le changement de régime se déroule sans incident et c'est Chaho qui proclame la

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république lors d'une manifestation populaire qui parcourt les rues de la ville, le dimanche 27 février, un drapeau descendu des bureaux de l'Ariel en tête10. Il est l'un des six commissaires exécutifs dont le rôle éphémère ne dure que trois jours, jusqu'à l'arrivée de Marrast, commissaire nommé par le gouvernement provisoire. La bourgeoisie commerçante de Bayonne et l'International, son organe officiel, qui soutenaient Louis-Philippe jusqu'à son abdication, se rallient, non sans opportunisme à la nouvelle république. La liberté totale de presse (et de réunion) est officialisée le 4 mars mais, dès la veille, l'Ariel dont les deux précédents directeurs étaient P. Lespés, puis C. Monségu, paraît signé du nouveau propriétaire-Rédacteur11 : Augustin Chaho.

5 Chaho se présente sans succès aux élections à la Constituante du 23 avril. En mai, la garde nationale de Bayonne est réorganisée et Chaho est élu commandant du bataillon Nord-Est. Le 4 juin des élections partielles sont convoquées : second échec de Chaho. À Paris, les chefs de l'extrême-gauche commencent à être écartés dès le mois de mai. La dissolution des ateliers nationaux le 21 juin provoque le début de l'agitation ouvrière. L'insurrection des 23-24-25 et 26 juin au matin, écrasée dans le sang par le général Cavaignac, se solde par plus de 5000 morts et quelques 15 000 arrestations.

6 C'est dans ce contexte que, le 25 juin 1848, paraît sur quatre pages et au prix de sept francs l'abonnement annuel12, le premier numéro de l'Uscal-Herrico Gaseta. Le journal est annoncé hebdomadaire et il est vendu sur « tous les marchés du Pays basque ».

7 Si l'Uscal-Herrico Gaseta paraît fin juin 1848, ce n'est sans doute pas un hasard. D'une part, les révolutionnaires les plus radicaux, dont Chaho, voient la révolution leur échapper au bénéfice des plus modérés et des « républicains du lendemain », d'autre part, nous sommes à la veille de deux élections : les municipales de fin juillet et les cantonales d'août 1848. Cela explique que, pour ce qui est de son contenu, la plupart des articles de la gazette basque sont consacrés à des sujets politiques. Pour Chaho, cette publication n'est pas uniquement un instrument de propagande, mais également un moyen d'éducation des populations du Pays basque qui sont appelées à faire valoir leurs droits de citoyens pour la première fois par le vote.

8 Bien que n'ayant eu que deux numéros, la première tentative de journalisme en basque, selon les termes de B. Oihartzabal à qui nous devons d'avoir tiré de l'oubli l'Uscal- Herrico Gaseta13, est indissociable de la violente polémique qui a suivi sa parution. Polémique dans laquelle on peut apprécier la véhémence des attaques, souvent personnelles, dont son rédacteur en chef fut l'objet. On l'accuse entre autres d'être un « fou ridicule », d'exciter les populations basques au renversement de l'ordre social et, paradoxalement, d'être légitimiste. Dans ses réponses, Chaho qui fait remonter son républicanisme à ses années de collège, ne se prive pas de donner libre cours à son anticléricalisme et à son mépris des républicains du lendemain. La violence de ces échanges montre bien le climat plus que tendu qui règne entre les « partisans de l'ordre » et les « républicains révolutionnaires », dont se réclame Chaho, à Bayonne et dans le Pays basque de 1848.

9 C'est pourquoi il nous a semblé qu'il n'était pas sans intérêt de réunir, ici, les articles en basque ou en français14 de l'International, du Journal du Peuple et, bien évidement, du Républicain de Vasconie ayant trait à cette polémique, l'une des plus virulentes sans doute à laquelle ait prit part A. Chaho dans les colonnes de l'Ariel.

10 Nous reviendrons plus en détail sur l'« Ariel basque » dans une étude à paraître ultérieurement. Pour l'heure, nous avons choisi de traiter en priorité certains thèmes qui se dégagent des lignes de ces textes et qui permettent de compléter plusieurs

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aspects méconnus de la biographie de Chaho, tels que son action politique pour la résolution du problème forestier, la dénonciation des manipulations électorales dans l'Ariel, et enfin le personnage de roman et le duelliste.

I - LE MÉMOIRE POUR LES CANTONS BASQUES CONTRE LE RÉGIME FORESTIER

11 L'un des événements les plus marquants de cette année 1848 au Pays basque est certainement constitué par la multiplication des troubles forestiers qui trouvent leur origine dans le classement des sols, et surtout dans la réglementation du code forestier de 1827 qui restreint les droits de pacage, de déplacement des troupeaux et d'utilisation des forêts et des terres communales15. Les paysans basques, pour qui la proclamation de la république annonce la fin de cet état de choses, reprennent leurs habitudes ancestrales. Il s'ensuit de fréquentes saisies de bétail, des amendes, des altercations avec les gardes forestiers et des procès qui ne font qu'envenimer la situation.

12 Des troubles éclatent en Ostabaret, le 29 mars 1848 et une compagnie de soldats du 27e de ligne est envoyée à St-Just-Ibarre par ordre du commissaire du gouvernement (le préfet), pour prêter main forte aux agents forestiers dont l'autorité aurait été méconnue. Le lendemain, « Au retour d'une chasse au loup, un groupe considérable d'hommes armés de fusils » traverse le bourg, se dirigeant vers la demeure du maire pour demander sa démission et protester contre les agissements de l'administration forestière. L'incident n'aura pas de suites graves grâce à l'officier commandant qui parvient à s'attirer les sympathies de la population : « En homme de tact et prudent, il a su prendre cette population par le côté sensible, et les descendants des fiers cantabres qu'une parole dédaigneuse, un regard inquiet ou inquisiteur de sa part auraient transformés en lions indomptables se sont empressés, grâce à son aménité et à ses allures franches et loyales, de reconnaître en lui un frère et de lui offrir l'hospitalité la plus gracieuse »16.

13 Le 4 avril, Nogué, le commissaire du gouvernement à Pau, se déplace en personne à St- Just-Ibarre pour se renseigner sur les événements qui s'y sont produits. En dépit de la présence des troupes, les habitants l'accueillent armés pour montrer leur détermination : « Toute la population en armes était rangée sur la place publique. M. le commissaire s'était installé à la salle de la mairie pour l'attendre, mais le peuple, usant de sa souveraineté, l'invita, par l'organe de son délégué, à se rendre sur la place, invitation à laquelle M. le commissaire s'empressa d'acquiescer de la manière la plus gracieuse. La solution des questions proposées par le peuple a été, comme nous l'avons dit, nulle ; toutefois, M. le commissaire a promis de s'en occuper, en assurant qu'une coupe de bois serait prochainement ordonnée. Le peuple a exigé le renvoi immédiat des troupes qui avaient été envoyées à St-Just par ordre de l'autorité supérieure. Ayant considéré les soldats comme ses frères, nul sentiment de haine ne l'animait contre eux, rien d'hostile ne l'a porté à demander le renvoi, sinon l'idée, que dans les circonstances actuelles, et à cause de ses rapports fâcheux avec M. le maire on ne les lui imposât en forme de garde prétorienne. Le peuple, toujours grave et imposant, s'est maintenu dans l'ordre le plus parfait. Un appel de vivat à l'adresse de M. le commissaire ayant été provoqué par quelqu'un d'étranger à la localité, le peuple s'est abstenu d'y répondre par son

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éloignement pour les ovations prématurées, mais il a spontanément remercié son délégué »17.

14 D'autres manifestations ont lieu début mai à Tardets où les paysans, brisent l'enseigne de l'octroi et exigent du garde-général des forêts qu'il leur accorde le libre parcours dans les bois communaux : « Quelques troubles ont eu lieu le 8 à Tardets ; des groupes nombreux venant des communes situées sur la rive droite du Gave, se réunirent et se dirigèrent, tambour en tête, vers Tardets, dans l'objet d'obtenir du maire la suppression des droits d'octroi. Arrivés près du pont d'Alos, le gardien du pont exigea d'eux le péage établi. Sur leur refus, une lutte assez violente s'engage : des coups de bâtons sont échangés, et quelques personnes tombent à l'eau, d'où elles parviennent néanmoins à se retirer sans de graves contusions. Cinq ou six individus ont reçu des blessures peu graves dans cette affaire. »18

15 La situation s'envenime et trois jours plus tard, les habitants d'Aussurucq vont à Suhare, Ossas et Sauguis, et obligent les gardes forestiers à leur remettre les plaques, leurs marteaux et leurs démissions. Ces derniers obtempèrent sans résistance. Le dimanche 14 mai, les habitants d'Abense, Sunhar, Lichans, Laguinge et Restoue, se rendent à Licq et à Haux avec les mêmes exigences. Vers trois heures et demi, ils arrivent à Tardets, toujours « tambour en tête » et tentent de forcer le garde général à leur livrer les registres ; mais le commissaire du gouvernement, avisé de leurs intentions, avait auparavant envoyé deux compagnies du 40e à Tardets. La troupe et une partie de la garde nationale prend les armes et les empêche d'entrer dans la commune : « On a eu des craintes pendant un moment, mais il n'y a eu rien de fâcheux, tout s'est borné à des menaces. Les émeutiers se sont retirés en déclarant que dans trois jours ils reviendraient en force et armés. Si les habitants d'Aussurucq, Suhare, Sauguis, Ossas et Trois-Villes s'étaient réunis, ainsi qu'ils en avaient le projet, il y aurait eu beaucoup à craindre ; la troupe paraissait disposée à leur opposer une vive résistance. »19

16 Accusé par le Mémorial et l'International d'avoir fomenté ces troubles, Chaho s'en défend énergiquement à plusieurs reprises et affirme au contraire que, le sous-préfet de Mauléon, Schilt, ayant conseillé aux paysans de s'adresser à lui, il s'est déplacé pour leur faire entendre raison : « (...) Relativement aux troubles forestiers, tout le mal était fait, avant que nous n'eussions pu en avoir connaissance. Notre intervention personnelle, sollicitée, invoquée, les voyages que nous avons fait, n'ont eu d'autre but que de porter nos compatriotes à l'oubli des griefs, à la modération, au respect des tribunaux. Nous en attestons les populations navarraises qui venaient à nous le fusil sur l'épaule, au son des tambours, bannières déployées, non pour s'insurger, mais pour nous faire fête et bon accueil, et que nous avons haranguées à la clarté du soleil. Nous n'avons pas prononcé une parole qui ne fut conciliatrice. Mieux que personne, M. le commissaire de Mauléon, qui recommandait aux Basques de Soule de s'adresser à nous pour l'exposé de leurs plaintes. M. Schilt le sait, et peut en rendre témoignage. » 20

17 Il dit même s'être consacré à parcourir la montagne durant huit jours pour apaiser les esprits, particulièrement ceux des Ostabarrais qu'il a convaincu de se rendre au tribunal de Saint-Palais pour se plier aux assignations de l'administration forestière.21

18 Quelques jours plus tard, il dénonce à nouveau ces accusations répétées de conspiration dans sa ville natale :

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« Nous l'avons déjà dit : les nouvelles que le Mémorial des Pyrénées tire du pays Basque viennent souvent d'une source suspecte. La manière dont il parle de la question des forêts communales prouve qu'il n'en comprend pas le premier mot. Il faut voir aussi avec quelle emphase étudiée le correspondant cite la ville de Tardets comme théâtre d'émeutes. Nous croyons savoir de très-bonne part que certains agents, parfaitement connus de nous, ont adressé dans plusieurs directions une dénonciation aussi stupide que calomnieuse, dans laquelle le citoyen Augustin Chaho est désigné comme l'inspirateur de toutes ces manifestations. Sans assumer sur nous, une responsabilité qui ne nous concerne en rien, et qui retombe sur d'autres, nous devons déclarer que la crainte d'être calomnié et la certitude même de voir dénaturer à ce point nos intentions, nos démarches conciliatrices, ne nous empêcheront jamais de défendre avec énergie les intérêts du pays qui honore notre dévouement de ses espérances ; et, dès lors, nous ferons notre devoir au grand jour et en parlant tout haut, selon notre constante habitude, et jamais comme un agitateur ténébreux. Eh, bon Dieu, faudra-t-il donc tant de mystère pour faire comprendre que le régime forestier, excellent pour le reste de la France, ruine nos cantons pyrénéens, et qu'il ne doit pas plus nous être appliqué sous la République, qu'il ne le fut, pendant des siècles, sous la monarchie du droit divin et de la conquête ? » 22

19 Il s'empresse donc d'annoncer qu'il s'occupera de la défense des intérêts des Basques « ans un Mémoire spécial qui sera imprimé et soumis à la signature dans toutes les communes du Pays Basque. »23

20 Ce Mémoire pour les cantons basques contre le régime forestier24, dont Chaho charge un juriste de la rédaction fait un historique des usages des Souletins, des lois de l'administration forestière et démontre par des exemples précis la difficulté, et, l'impossibilité de la stricte application de ces dernières. Il demande, enfin, que « les habitants du Pays de Soule retrouvent la pleine administration de leurs communaux, comme ils l'avaient avant la révolution de 1789, et le libre parcours de leurs bestiaux ».

21 Chaho précise que ce travail, qui est nominalement consacré au Pays de Soule, « s'applique tout aussi bien aux cantons de la Navarre qui en adopteront les conclusions, quoique la Navarre cis-pyrénéenne se soit trouvée dans une position spéciale vis-à-vis de la couronne de France avant et après l'édit de réunion. »

22 Dans le premier numéro de l'Uscal-Herrico Gaseta, l'article consacré à ce problème et qui est certainement de Chaho, en est un résumé qui critique la position de l'Observateur des Pyrénées pour qui « le code forestier est suffisamment parfait pour la France comme pour le Pays Basque tel qu'il est, s'il est appliqué correctement. » Par ailleurs, si Chaho insiste sur le fait que la nouvelle république ne saurait être plus injuste que l'ancienne monarchie, il ajoute que ce qu'il réclame, ce n'est pas le rétablissement d'un privilège, mais la justice pour les paysans basques. Pour devancer ses détracteurs, il affirme son attachement à l'unité législative et politique de la France : « Aujourd'hui nous ne venons pas réclamer pour un vieux for, dans le sens d'un fédéralisme étroit qui ne sera jamais le nôtre. Loin de nous la pensée de chercher à briser, dans la moindre parcelle, l'unité de la grande famille française. »25

23 Toutefois, il ne manque pas de préciser les limites de son nationalisme français sur lequel son sentiment indépendantiste basque prendrait le dessus si la France venait à être envahie et démembrée par une invasion étrangère, car il poursuit : « La conquête des Barbares et le partage de la France par une invasion définitivement victorieuse pourraient seuls engager les Basques à relever sur les Pyrénées le vieux drapeau de leur nationalité, terreur des Wisigoths, des Carlovingiens et des Arabes-Maures. »

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1 - « BI HESCALDUNAC », Augustin Chaho et Honoré Dindaburu à Paris.

24 Le 22 juin, Chaho annonce qu'il ne peut assister à la revue de la garde nationale car il est « absorbé par son travail de journaliste et par les préparatifs d'un voyage pour Paris, où il se rendra en qualité de délégué des cantons Basques (sic), relativement à la question forestière »26. Il en rend compte dans le numéro deux d'Uscal-Herrico Gaseta, dans l'article « Bi hescaldunac »27. Il s'agit d'un bref récit des tribulations de deux amis28, Augustin Chaho et Honoré Dindaburu, maire destitué de Bunus29 et futur conseiller général, où l'on apprend qu'en dépit des rêves de « sales porcs (sic) de traîtres de royalistes, de carlistes et de philippistes du pays basque », selon lesquels ils auraient été arrêtés en chemin30, ils sont arrivés sains et saufs à Paris où ils ont remis la pétition (sur le Mémoire forestier) au gouvernement, aux bons soins de Michel Renaud31, député républicain de Saint-Jean-Pied-de-Port.

25 C'est à ce moment qu'il faut situer l'épisode rapporté par Léonard Laborde dans ses Souvenirs de Jeunesse : « Au signal de la guerre civile, le rédacteur de l'Ariel accourut à Paris avec d'autres jeunes démocrates. Quand il entra dans la grande ville, une partie du faubourg St-Antoine brûlait encore ; une longue file d'insurgés pris les armes à la main sillonnaient tristement les rues ; des femmes et des enfants désolés pleuraient sur le sort de leurs époux et de leurs pères ; les cadavres jonchaient les boulevards. Il n'oublia jamais ce navrant tableau. »32

26 Après avoir passé une douzaine de jours à Paris, Chaho et Dindaburu reprennent la route du retour, « pour, comme jusqu'à présent, toujours dire la vérité à [leurs] chers basques. »33

27 Tout comme il avait parcouru Bayonne pour y annoncer l'avènement de la II république, aussitôt rentré, Chaho se charge d'informer les habitants des événements de la capitale et brûle l'effigie du dictateur Cavaignac. On peut supposer que Léonard Laborde a assisté à cette scène où il dépeint Chaho en tribun révolutionnaire34 : « De retour à Bayonne il réunit peu de jours après, aux portes de la ville, une grande partie de la population ; et là, devant les officiers de la garnison qui l'écoutèrent, frémissants, mais qui admirèrent son courage, il raconta les massacres de juin et brûla l'effigie du dictateur. Ce fut une scène curieuse. Jeune, beau, éloquent, coiffé du pittoresque béret montagnard, Augustin Chaho dominait la foule avec sa haute taille ; et de loin, on l'aurait pris pour un de ces hommes de 93 dont le type a été immortalisé par le pinceau du grand David. »35

2 - Augustin Chaho, conseiller général

28 Un litige opposait depuis dix ans le syndicat des communes de Soule au village de Larrau, qui, par le classement de 1827 s'était vu attribuer quelque 7000 hectares de forêts et pacages indivis. Un premier jugement du tribunal de Saint-Palais les attribua à l'État, mais un arrêt de la cour d'appel de Pau du 24 juin 1848 les restitue enfin aux soixante-cinq communes de Soule, y compris Larrau, et condamne cette dernière à restituer la valeur des coupes de bois « considérables » qu'elle y a pratiquées dans son intérêt propre. Ceci dit, le problème de fond du régime forestier reste le même. Les

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troubles continuent et les accusations contre Chaho également, sous la plume d'un certain Jouhane Lestartarra : « Vous avez sans doute appris l'incarcération de vingt-un paysans dans les prisons de St-Palais pour des délits forestiers. Une dame, une propriétaire d'Armendarits, a été également arrêtée pour avoir voulu brûler la cervelle à un garde champêtre, ni plus ni moins. Avais-je tort quand je vous disais que les conseils pernicieux de certains hommes qui endoctrinent nos paysans et ont la prétention de rendre service à notre pays, ne tarderaient pas à produire leur effet ? 36 Que la justice épargne ces pauvres gens, car ils ne savent ce qu'ils font ; ils n'ont été, pour ainsi dire, que des instruments. »

29 Quelques jours plus tard, le même Jouhane Lestartarra réitère ses affirmations mais, cette fois-ci, il laisse entendre plus explicitement que c'est Chaho qui incite les paysans à la révolte : « Allez donc demander à St-Palais qui a poussé ces pauvres gens à ces extravagances ; il n'y aura qu'une voix pour vous répondre. L'un de ces Basques, au moment de son arrestation, ne disait-il pas naïvement : « Si Chaho avait été nommé représentant, il serait roi aujourd'hui, et l'on n'oserait pas nous emprisonner. » » 37

30 Chaho lui répond aussitôt, non sans avoir informé au préalable ses lecteurs que « ces bons paysans d'Armendarits, arrêtés pour sévices contre les gardes forestiers » viennent d'être déclarés non coupables et acquittés en cour d'assises : « Ce mot, s'il a été prononcé, prouve que le montagnard me tenait pour un homme ferme et juste, digne d'exercer un grand pouvoir dans la société. À la voix de vos pharisiens qui me dénigrent, je préfère la voix du peuple qui rend justice à mes bonnes intentions. Roi des Basques, as-tu dit ? C'est ainsi que l'on disait par dérision : Roi des Juifs ! pour celui que l'on voulait crucifier. En effet, je suis un beau roi, moi aussi, avec ma couronne d'épines, mon sceptre de roseau et mon habit de fou ! Crache-moi au visage, puis, quand l'heure de me livrer aux bandits chamarrés de l'ordre sera venue, tu viendras me donner le baiser de Judas ! »38

31 Une fois élu conseiller général, Chaho, membre de la commission d'administration générale, est chargé de rédiger un rapport sur cette question brûlante. Ce rapport, il le publie intégralement dans l'Ariel39, ainsi que les séances du conseil général, pour en informer les administrés. Le conseil général, qui adopte à l'unanimité ses conclusions, demande à la chambre la révision du sol forestier et la modification de la législation en vigueur. Par un arrêté du 16 janvier 1849, le préfet Cambacérès nomme une autre commission, dont Chaho est également l'un des membres, pour préparer un nouveau rapport en vue d'étudier les modifications à envisager et le changement à faire subir au classement du sol forestier et des pâturages40. Une décision du ministre des finances du 6 mai 1849 autorise la création de commissions mixtes, mais, ce jour-là, Chaho qui se trouve en campagne électorale à travers le Béarn, vient de souffrir un grave accident de voiture41. Il n'est donc pas en mesure de se charger des démarches nécessaires auprès des élus et des habitants du Pays basque afin de préparer les travaux de ces commissions mixtes. En son absence, d'autres vont se proposer d'alerter la vigilance des populations concernées, notamment un certain Çaharra qui, dans une lettre en français parue dans l'Ariel, préconise la formation de commissions officieuses formées de délégués de chaque commune dont le rôle est de surveiller de près les travaux des commissions cantonales : « Avis aux habitants des Pyrénées victimes du code et des agents forestiers.

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Il va être créé dans le département une commission mixte, composée d'agents forestiers et de membres du Conseil général, dans le but d'opérer une amélioration dans le régime auquel sont soumis vos bois et vos terrains. Amis et compatriotes, voici encore une occasion d'obtenir un changement favorable par des moyens légaux. Ne la laissez point échapper ne vous fiez pas trop à vos guides, n'abandonnez pas la besogne aux soins exclusifs des membres du Conseil général et des gardes forestiers. Ne vous exposez pas encore un coup à être dupés par ceux qui devraient vous guider. Otsouac artçain dira ! Dindaburu salbu. Que des délégués de chaque commune se réunissent à Mauléon, ou sur un autre point central, à jour fixe, et que la question soit bien débattue parmi tous les intéressés, que des mesures soient arrêtées pour assurer l'adoption par l'état des réformes les plus justes et les plus avantageuses possibles, qu'une commission soit nommée pour représenter officieusement toutes les communes auprès de la commission mixte officielle, laquelle ne pourra pas raisonnablement se refuser à écouter la commission des délégués. Il faut espérer que cette fois-ci, la bonne foi et l'équité présideront aux opérations ; mais, il faut y tenir l'œil le plus vigilant pour ne pas s'exposer à de nouvelles déceptions. Compatriotes, n'oubliez pas que Chaho est malade ! Son œil, sa langue et sa plume nous manquent, hélas ! et nous devons y remédier autant que possible, en attendant que Dieu veuille nous rendre notre grand ami en bonne santé. Malheur à celui qui par action ou par omission contribuera au retour des abus qui ont ruiné le pays Basque ! ÇAHARRA. »42

32 Une grande réunion, dont la plupart des participants sont agriculteurs, a effectivement lieu le 19 juin au jeu de paume de Mauléon. Un bureau chargé de « veiller sur les mouvements de la commission ministérielle » en raison de ses « tendances usurpatrices » et d'informer les habitants de chaque commune de toute nouvelle intéressant la question par un délégué y est constitué43. Mais la défiance est grande, et parallèlement le conseil municipal de Mauléon qui juge que l'administration forestière, majoritaire dans les commissions, ne peut être juge et partie, réclame directement la distraction du régime forestier des terrains et bois communaux dont il fournit lui- même la liste.44

33 Conformément aux vœux du ministre, le 29 juin, le préfet nomme enfin des commissions cantonales mixtes composées de conseillers généraux et d'agents forestiers pour réviser les soumissions au régime forestier des terrains et des bois appartenant aux communes et aux établissements publics45. Chaho fait partie de celle du canton de Tardets et Dindaburu de celle d'Iholdy. Les réunions, prévues pour le 18 ou le 28 août, sont avancées au 26 juillet. Chaho, qui, depuis son accident, se trouvait toujours retenu à Pau, rentre à Bayonne encore convalescent, vers le 11 juillet. Le lendemain même, il écrit personnellement une lettre bilingue à tous les maires de son canton de Tardets46 pour éviter que la passivité des élus qui amena le classement arbitraire de 1827 ne se reproduise. Le jour de l'ouverture des travaux des commissions forestières de l'arrondissement de Mauléon, le Républicain de Vasconie publie une lettre en basque du maire de Roquiague dans le même sens : « Ohianen classamentiaren eta oihançagnen modificacioniaren gagnen. Bi hitz maira herrietaco deleguatier. Lur oihanen classamentia dila 21 ourthé içancenian ; comessionia, herrietaco municipalitatiare qui ezcelacos consultatu ounza articulu 90 coda forestieraren eta arti-culu 128 ordonançareglamenteraren conforme, hanix frès éta malurec, uscal herria rui-natudu. Considératuric desordre insuportable hori, gomendatcen guira cartiereco intres-général important horen amorocatic sofrancha terrible horietaric jalkiteco aban-tailla behardugu hobequi profeitatu : cartiera négligenciaz gal

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urhencera utzi gabe, arrazou justouaren baliatu gabez. Jaun maira, délégué eta conseil municipal, eta car-tierreco guiçoun cabalen pechançaren nécessitatia eta oihanen balio gabia ezagucen-ducienac, ounza abiza citie goure oihan içanecouec, çounbates profeitu beno haboro malur eguindeiquiren. Hartacos behartugu exatoqui eta intelligenqui examinatu marinaren edo herriari profeitu conséquent emaiten dien oihanac çouin diren, surbeillaturic içateco : eta bes-tiac alhagutaco eçarditian goure cabal çagnen eta laborarien favoritaco goure biciga-riaren, prosperitatiaren emendaceco populiaren grado : bestela oraïartino beçala goure cabalen profeitia eta errecoltac emplegatcen batugu oihançain eta lur inutilen fresen pacatceco ? Lurac eta languiliac flacaturic malur eta gosete handiala erortia errisqua-cen gunuque. Esperançarequi guiçon jakitantac ni beno hobequi applicatuco diela estatu triste hortaric jalquiceco ; badut ouhouria cien salutatceco. PHAPAX, maire de Roquiague. »47

34 Ce ne sont pas la les seuls qui s'intéressent a la question. Profitant certaine-ment de l'absence de Chaho, huit représentants, les plus conservateurs des Basses-Pyrénées, signent une proposition présentée le 11 juillet qui tend a modi-fier divers articles du Code forestier. Le Mémorial et l'International se felicitent de la nouvelle proposition 48, tout en ne perdant pas l'occasion d'attaquer Chaho. Les deux journaux soutiennent que ce sont la des actes, alors que « d'autres qui se pretendaient les défenseurs exclusifs de nos contrées forestieres » n'ont fait que de « brillantes promesses ». Chaho les accuse d'opportunisme et critique violemment cette initiative de la part de députés qui ne s'étaient auparavant jamais préoccu-pés de cette affaire, en rappelant l'antériorité de ses efforts personnels et l'action conjointe qu'il a entreprise avec Dindaburu : « Les autres, dont parlent nos journalicules, ce sont le rédacteur de l'Ariel, Conseiller général de Tardets, le citoyen Dindaburu, Conseiller général d'Iholdy, les comités patriotiques, les syndicats du pays et toute la population de nos montagnes, vingt-mille hommes s'il vous plaît, auxquels nous recommandons depuis dix-huit mois la modération et la douceur. (...) Et ce vœu, parti de la commission d'administration générale, était textuellement formule dans un rapport présenté au Conseil General par le citoyen Conseiller Chaho. Il figurait également dans un mémoire remarquable porte a la chambre constituante en juin 1848, quatre mois après la révolution de février, et le lendemain même de l'horrible bataille de juin, par le rédacteur de l'Ariel et le Conseiller actuel d'Iholdy. Ah ! Vous appelez cela de simples promesses ? Et quand les troubles éclatèrent, quand le sang pouvait couler, qui s'est précipité au milieu des populations irritées ? qui a prêché la paix et la concorde, qui a prophétisé le triomphe du bon droit par les seules voies légales, qui recommandait l'obéissance aux lois, malgré l'indignité de quelques-uns de leurs agents ? C'était nous, lâchement calomnies, plus lâchement dénoncés comme instigateurs de desordre. Et vos députés, que faisaient-ils ? Rien. » 49

35 Mais les travaux des commissions cantonales mixtes sont brusquement sus-pendus le 5 septembre 1849 sur ordre du ministre des finances qui n'autorise que les commissions départementales. Selon A. Etchart, « les opérations de « distrac-tion » dans les sols forestiers commenceront en 1850 et se poursuivront pendant plusieurs années. Le calme reviendra lentement, mais sans violence ni effusion de sang. »50

36 Sans doute trop lentement pour Chaho qui, se présentant pour la quatrième fois à des élections législatives51, le 29 février 1852, place toujours cette réforme en tête de ses projets s'il parvient à être élu : « Une fois élu, nous voudrions, pour notre part, recevoir de la main du Conseil d'État, dans le fer à cheval dont parle Volney, un projet de loi destiné à réformer et à compléter le Code Forestier, au profit de trente départements où beaucoup

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d'articles de ce Code sont inapplicables. En cela, nous croirions rendre un dernier et véritable service à la population de notre bien-aimé pays de Soule et de notre chère Navarre. »52

37 Ses espoirs sont d'autant plus grands qu'en cette occasion, les trois provinces basques se trouvent réunies en une seule circonscription, séparée du Béarn, pour élire un député basque. Séparation que Chaho appelait de ses vœux non seulement pour l'établissement des circonscriptions électorales (c'est dans le Béarn qu'il recueille le moins de voix), mais aussi pour créer une entité administrative distincte, le département d'Adour et Gaves : « Nous désespérons du Béarn. La grâce que nous désirons le plus aujourd'hui, c'est d'en être séparés comme département. Oui, séparer du Béarn les provinces basques, Soule, Basse-Navarre et Labourd, les adjoindre à l'arrondissement vascon de Dax, pour en former le nouveau département d'Adour et Gaves, qui aurait Bayonne pour capitale. C'est le seul moyen de sauvegarder nos intérêts matériels et notre honneur politique. »53

38 Peu avant les élections, le 19 février, l'Ariel cesse brutalement sa parution. Les résultats ne font que confirmer les tendances conservatrices de l'élection présidentielle du 10 décembre 184854 et du plébiscite en faveur de Louis-Napoléon des 20 et 21 décembre 185155. Ils sont décevants pour Chaho qui est le seul à représenter les républicains. Sur 39 361 inscrits, les 26 869 votants répartissent leurs voix comme suit : 23 984 pour Jean- Baptiste Etcheverry56, candidat officiel, et seulement 2 466 pour le souletin. Puis, Chaho ainsi que Dindaburu seront condamnés par un arrêt du 3 avril à cinq ans d'éloignement du territoire. Comme on le sait, Chaho ne reviendra de son exil forcé qu'en 1853, après avoir accepté de ne plus se mêler de politique.

II - « LABORARI BATEN LETRA »

39 « Laborari baten letra »57 se présente comme une lettre adressée à Chaho par un paysan qui affirme ne pas comprendre le français et n'avoir donc pu lire l'article de Chaho du 24 mars destinée aux instituteurs ; par contre, il dit avoir été séduit par celui, écrit en basque, du 10 avril. Or, ces jours-là, l'Ariel ne paraissait pas. Ceci nous amène à supposer qu'il s'agit probablement d'une lettre apocryphe. Est-elle de Chaho ? On peut légitimement se poser la question mais aucun indice ne nous permet d'y répondre avec certitude.

40 Son auteur assure le candidat Chaho de son soutien actif mais poursuit en accusant le curé de sa paroisse (qui n'est pas nommée) d'intrigues et, en l'occurrence, d'avoir réuni un certain nombre d'électeurs chez lui, de les avoir enivrés afin de leur changer les bulletins qui portaient le nom de Chaho.

41 Il faut dire que, déjà lors des premières élections des représentants du peuple à la Constituante du 23 avril, de nombreuses lettres de citoyens se plaignant de manipulations de la part de membres du clergé ainsi que de notables locaux avaient été publiées par l'Ariel. Par exemple à Guéthary 58, où l'abbé Arcimisgaray conseille aux électeurs, « qu'il a qualifié d'ignorants, à revenir à leurs confesseurs pour connaître les candidats les plus convenables à nommer », à Bidache59, ou à Larrau, où « une ancienne connaissance de collège » de Chaho prononce des sermons d'une « hostilité évidente contre le gouvernement du peuple ». Suite aux plaintes de la population et du maire, il se défend, alléguant avoir agi « d'après les ordres de ses supérieurs »60

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42 De même, un correspondant de Saint-Palais dénonce dans le Républicain de Vasconie des agissements similaires qui se seraient produits à St-Étienne-de-Baïgorry : Saint-Palais, le 29 avril 1848. Mon cher concitoyen, « (...) On m'a assuré qu'un grand nombre de bulletins ont été mis dans l'urne du canton de St-Étienne-de-Baïgorry, portant les noms de St-Gaudens et de Chaho, tandis que ces deux noms n'ont pas été proférés lors du dépouillement. Cette circonstance et d'autres que vous connaissez sans doute mieux que moi mériteraient une solide protestation qui ne manquerait pas de signatures dans le canton de Baïgorry, où pourtant peu de gens savent signer et parler français, grâces aux soins que les prêtres ont toujours pris de ne laisser enseigner aux enfants les prières et le catéchisme autrement qu'en basque. La protestation pourrait tout aussi bien porter que tous nos prêtres et beaucoup de gens de leur bord ont également faussé les élections, tantôt en faisant distribuer aux électeurs ruraux des bulletins garnis de noms d'intrigants rétrogrades mais riches, par des agents choisis avec un discernement que ceux-ci ont très-bien justifié, tantôt en substituant ces mêmes bulletins à ceux que les comités électoraux avaient déjà placés en mains des électeurs. »61

43 Mais les faits cités dans « Laborari baten letra » rappellent davantage ceux qui se sont déroulés à St-Jean-Pied-de-Port, le jour de la Passion, c'est à dire à la même période du récit de « Laborari baten letra » qui se situe durant la semaine sainte, où l'on assiste justement aux problèmes engendrés par les influences contradictoires de l'instituteur et du curé qui taxe les candidats « rouges » de protestantisme, peu avant ces mêmes élections : St-Jean-Pied-de-Port, le 6 mai. Au citoyen rédacteur du Républicain de Vasconie, à Bayonne « Citoyen rédacteur, (...) Le dimanche 9 avril dernier, jour de la Passion, le curé de notre paroisse et quelques desservants de notre canton, après préalable lecture du mandement de M. Lacroix, annoncèrent aux assistants, réunis pour entendre la messe, que la France se trouvait dans un moment critique ; que son bonheur ou son malheur dépendait du choix des représentants du peuple que nous allions nommer très- prochainement ; qu'ainsi il fallait bien se garder de donner des suffrages à des têtes chaudes, à des têtes brûlées, etc., etc. Après avoir péroré pendant un quart d'heure environ toujours sur le même sujet, ils finirent par dire que les électeurs n'avaient qu'à se présenter chez eux et chez les instituteurs de leurs communes pour recevoir des bulletins. (...) Je ne puis non plus m'empêcher de dénoncer au public des faits d'une nature aussi criante que les suivants : 1° Un électeur digne de foi de ce canton m'a assuré qu'ayant été à confesse un jour de la semaine sainte, son confesseur lui a passé par le guichet du confessionnal divers bulletins, en lui recommandant de les distribuer aux personnes sur qui il pouvait compter. 2° Le desservant des paroisses de Saint-Michel et de Çaro, et l'instituteur de cette dernière commune, ne se sont pas aussi bien entendus que quelques-uns de leurs collègues sur le choix des candidats ; ce dernier a eu la délicatesse de faire des bulletins d'après le vœu des électeurs, qui lui recommandaient de ne point oublier aucun des candidats basques, surtout Chaho, tandis que le desservant en a distribué d'autres portant des candidats adoptés par le comité soi-disant républicain, catholique et apostolique de Bayonne. Le jour des élections, ce digne prêtre ayant demandé à quelques électeurs de St-Michel et de Çaro, réunis sur la place au marché, leurs bulletins en communication, les leur a déchirés, en leur disant qu'ils commettaient un grand péché en donnant leurs suffrages à des protestants tels que Chaho, Brie, Saint-Gaudens et Navarrot (protestants d'après lui, mais aussi bons

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catholiques et apostoliques que lui-même d'après moi), et il leur en a distribué d'autres de la même couleur que les précédents. Sur ces entrefaites, l'instituteur est intervenu, et quelques paroles les unes plus vives que les autres ont été échangées de part et d'autre ; mais ce qui a le plus indigné le public témoin de cette scène, c'est la manière cruelle, pour ne pas dire brutale, avec laquelle ce vénérable pasteur a apostrophé ce pauvre homme, qui lui a aussitôt répondu très-modérément qu'il n'avait fait que se conformer au désir des électeurs ; et ce dernier, dans sa juste colère, a pleuré de rage et de désespoir ; j'ai même ouï dire qu'en se retirant, la dispute s'est tellement échauffée entre eux, qu'ils se sont distribués plusieurs coups de poing et qu'on a eu la plus grande peine à les séparer... ! »62

44 Ce ne sont là que quelques exemples des protestations qui ont parsemé ces élections auxquelles étaient conviés pour la première fois les électeurs les plus pauvres et les moins instruits.

45 La campagne de dénigrement dont nous avons vu le reflet dans la presse et qui vise les républicains, a dû être autrement plus intense sur le terrain. Il est même fort probable que Chaho se soit déplacé personnellement afin de réunir ses électeurs et demander, ou faire en sorte que ces derniers exigent la publicité du dépouillement pour éviter les irrégularités constatées lors des précédentes élections. En effet, au lendemain des élections au conseil général, il nous livre un récit du déroulement de la journée, à Tardets, selon toute vraisemblance, qui prouve qu'elles ont été minutieusement préparées. Remarquons que les électeurs qui répondent à son appel sont, selon ses propres termes, « cinq cents montagnards, de ceux-là même que l'on se flattait de ne point voir paraître », ce qui laisse supposer que la plupart des voix de Chaho vient de ceux dont il a le plus ardemment défendu les intérêts par son action en faveur d'une révision du code forestier, ceux à qui il s'adresse en priorité dans l'Uscal-Herrico Gaseta, c'est à dire les paysans et bergers, bascophones et illettrés pour la plupart : « Assurément, les amis du Mémorial et de M. de Montréal se sont donnés beaucoup de peine pour empêcher notre élection. Honneur au courage malheureux ! De nombreux et nobles émissaires sont allés de village en village, de porte en porte, mendiant des suffrages pour le candidat de ces Messieurs. La veille même de l'élection, pendant la nuit, ces émissaires ont couru le valdextre, en suppliant les électeurs de s'abstenir tout au moins, et de garder la neutralité. Nos Basques ont eu l'air de promettre, riant sous cape. Le lendemain, par un beau soleil, rendez-vous était donné sous un chêne, selon l'usage cantabre ; plus de cinq cents montagnards, de ceux-là même que l'on se flattait ne point voir paraître, se sont réunis au pied de l'arbre désigné. Distribution des bulletins a été faite. Quarante électeurs montréalistes ont été priés de faire bande à part et d'aller voter pour leur compte. Puis, le bataillon démocrate, drapeau en tête, s'est acheminé vers le bureau des élections, au cri de ralliement que vous savez. La présence de M. de Montréal, de ses amis, de ses agents, rien n'y a fait. Mais voici bien une autre scène. Au moment du dépouillement, les Arielistes ont demandé que le dépouillement fut fait, non dans la salle de la mairie mais sur la place publique, pour plus de sûreté. Le peuple voulait voir par ses yeux. L'urne et les tables ont été apportées. M. Darhampé, membre élu du conseil d'arrondissement et maire réintégré du chef-lieu, à la suite de la démission de M. Daguerre, a fourni les bougies. L'appel des bulletins a été fait au milieu d'un silence solennel, en présence des délégués de toutes les communes, qui ont assisté à l'opération le bâton au bras. Et quand le conseiller démocrate a été proclamé, il fallait voir la joie, il fallait entendre les acclamations ! Enfin, chacun a repris le chemin de sa vallée et de son village. La nuit était calme et belle, les étoiles brillaient au ciel. Les cris retentissants des montagnards, répétés par les échos sonores, réveillant ceux qui dormaient, leur ont appris la victoire des amis du peuple et le résultat du scrutin. Espérons donc, et si la liberté était vaincue sur la plaine, nous ferons comme les

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Vascons nos ancêtres, nous lui dresserons au haut des montagnes, un dernier autel. »63

46 Au vu des précautions prises, il est hors de doute que le moindre écart dans les opérations électorales eût provoqué des incidents sérieux. Cela explique peut-être en partie le succès de Chaho qui est élu conseiller général du canton de Tardets avec 825 voix contre 463 pour son rival, le comte de Montréal. Il est certain que les voyages de Chaho en Soule ainsi que, bien entendu, la propagande véhiculée par Uscal-Herrico Gaseta et une circulaire électorale en basque dont la seule trace que nous avons est une traduction parue dans le Mémorial des Pyrénées64, y contribuèrent aussi largement, d'autant plus que ce sont des élections locales et que Chaho est « chez lui » à Tardets. Lors des élections suivantes, qui sont les législatives du 13 mai 1849, donc plus difficiles à contrôler, il y a de nouvelle plaintes à Guiche, Bidache, Labastide-Clairence65, etc. Chaho qui s'y présente et essuie un nouvel échec, soupçonnera ses ennemis politiques d'avoir falsifié les résultats. Il faut dire qu'il ne sera battu que par une différence de 127 voix...

III - CHAHO PERSONNAGE DE ROMAN

1 - Chaho professeur d'eskuara du Fortunio de Théophile Gauthier

47 Parmi les informations que Chaho nous donne sur sa vie dans la série de lettres adressées à l'International, la plus curieuse, peut-être, est qu'il nous révèle au détour d'une phrase, qu'il a été immortalisé par Théophile Gauthier dans l'une de ses nouvelles : « Enfin, mon beau voisin, il était une gloire que personne ne m'avait disputée jusqu'ici, et que M. Théophile Gauthier, le chevelu, lui-même, m'avait accordée dans son Fortunio ; celle d'être tout au moins un savant professeur d'Escuara. Il est vrai que, dans les éditions postérieures, les initiales de mon nom et de celui de Nodier, sacrifié avec moi dans la même épigramme, ont été changées. Mais elles seront retrouvés par les chercheurs de balivernes, qui rencontreront dans les lymbes de l'oubli les excentricités littéraires de ce gros garçon. » 66

48 Il y avait d'ailleurs déjà fait une allusion lors d'un de ses articles de guerre journalistique avec le Trilby : « Ils [les journalistes du Trilby] parlent de M. Gauthier le Chevelu sans avoir lu son Fortunio, sans savoir le délicieux rôle que jouent dans le roman Nodier et son humble disciple ! »67

49 Le roman de Fortunio fut publié sous forme de nouvelle dans le Figaro, du 28 mai au 24 juillet 1837 puis en ouvrage (la même année) sous le titre de L'Eldorado, mais en mai 1838, la nouvelle édition réalisée chez Desessart portait le titre de Fortunio. Musidora, l'une des héroïnes du roman, veut déchiffrer deux papiers couverts de « hiéroglyphes » qu'elle a dérobés à Fortunio dans l'espoir de percer le mystère qui l'entoure. Elle s'adresse tout d'abord à M. V***, savant professeur de chinois qui, affirme que, bien que l'un des papiers soit effectivement chinois, il ne saurait le déchiffrer car il ne connaît que vingt mille des quarante mille signes que compte la langue chinoise. Il envoie Musidora auprès d'un autre savant qui n'est autre que Chaho : « Quant à l'autre papier, c'est de l'indostani. M. C.*** vous traduira cela au courant de la plume. Musidora et sa compagne se retirèrent très désappointées. Leur visite chez M. C*** fut aussi inutile, par l'excellente raison que M. C*** n'avait jamais su d'autre langue

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que la langue eskuara, ou patois basque, qu'il enseignait à un Allemand naïf, seul élève de son cours. M. V*** n'avait de chinois qu'un paravent et deux tasses ; mais en revanche, il parlait très couramment le bas-breton et réussissait dans l'éducation des poissons rouges. Ces deux messieurs étaient du reste deux très honnêtes gens qui avaient eu la précieuse idée d'inventer une langue pour la professer aux frais du Gouvernement. »68

50 Il n'est pas exclu qu'A. Chaho ait réellement donné des cours de langue basque à un étudiant allemand, il en parle lui-même en disant qu'il n'est pas « barbare » comme ce dernier. Il existait à Paris une importante colonie allemande dont un grand nombre de correspondants de presse et de journalistes. Le représentant le plus illustre en est sans doute le poète Heinrich Heine (1797 ? - Paris 1856) qui s'exila volontairement à Paris en 1831, attiré par la révolution de Juillet. Il fut également correspondant de l'Augsburger Allgemeine Zeitung, ou Gazette (Universelle) d'Augsbourg où parut la mise à l'Index par le pape des Paroles d'un Voyant. Tout comme Chaho créera de toutes pièces la légende d'Aitor, Henri Heine fournira à l'Allemagne l'une de ses plus belles légendes, La Lorelei que plus tard des professeurs érudits essaieront d'accréditer sur les bords du Rhin et qui est un aussi pur produit de son imagination que le sera un jour le sujet du Vaisseau fantôme, dont Richard Wagner s'inspirera pour son opéra. Chaho considère d'ailleurs Heinrich Heine comme l'un des écrivains les plus remarquables de l'Allemagne.

51 Il l'a peut-être lu dans le texte, car, chose peu connue, Chaho avait appris l'allemand, et le maîtrisait même au point de traduire dans la Revue des Voyons, caché sous les initiales A. C, les poèmes d'une certaine princesse H. de M***, duchesse d'O***69. Les initiales et les titres de cette trop peu mystérieuse aristocrate étaient suffisamment clairs pour les lecteurs de l'époque qui reconnurent aussitôt Hélène de Mecklembourg-Schwerin, duchesse d'Orléans par son mariage avec le fils aîné de Louis-Philippe. Chaho le confirme dans l'Ariel : « J'avais alors pour collaboratrice, entre mille, malgré elle et sans le savoir, devinez qui ? Madame la duchesse d'Orléans, la mère du comte de Paris. Jeune personne, rêvant de la couronne de France, elle avait fait jadis, dans son pays, avec quelqu'un, dans une promenade en bateau, certains vers que je me permis de publier dans ma Revue ; je les avais traduits, rimaillés ; on doit cela aux poétesses, princesses ou non. Quel orage ! Le Pariser Zaïtung (sic) et le journal ministériel de Bayonne, pauvre Phare70, tous les journaux en parlèrent. Comment cette poésie de jeunesse et celles d'un frère, prince-duc, étaient-elles en mon pouvoir : c'est un mystère. Philippe fronçait le sourcil, Mme Adélaïde71 était furieuse, les journaux blancs et rouges célébraient la plaisanterie. J'appris tout cela à Bayonne ; la duchesse se défendit ; j'en suis charmée, disait-elle ; la traduction est bonne et mes vers sont parfaits ! J'étudiais l'Allemand (sic) en ce temps-là (...). »

52 Si l'on ajoute à cela, le fait que le Voyage en Navarre fut aussitôt traduit dans cette langue72 et que Chaho fit un voyage avec Carl von Gagern au Pays basque73en 1848, on peut en déduire qu'il dût avoir des relations privilégiées avec certains membres de cette colonie germanique parisienne.

2 - Chaho personnage du Méphis de Flora Tristan

53 Théophile Gauthier n'est pas le seul écrivain des années 1830 dans l'œuvre duquel on trouve un personnage inspiré par Chaho. C'est aussi le cas de Flora Tristan, surtout

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connue pour être la grand-mère de Gauguin, mais aussi pour ses idées révolutionnaires et féministes.

54 Flora Tristan74, née à Paris le 7 avril 1803, est la fille de Don Mariano de Tristan Moscoso, issu de l'une des plus grandes familles péruviennes et de Thérèse Laisnay, petite bourgeoise française émigrée à la Révolution qui se sont mariés à Bilbao. A la mort de son père, et bien que celui-ci l'ait reconnue, elle est considérée comme fille naturelle et déshéritée. Elle se marie en 1821 avec André Chazal, patron de l'atelier de lithographie ou elle travaille pour gagner sa vie. Elle s'enfuit en 1825, accouche de sa fille Aline, future mère de Paul Gauguin, puis, elle se fait engager comme femme de chambre de bourgeoises anglaises. Elle rentre d'Angleterre en 1828 et obtient la séparation et la garde de ses enfants. Après diverses péripéties, elle s'embarque pour le Pérou et tente, sans succès, de faire valoir ses droits à l'héritage de son père. De retour à Paris en 1835, elle publie De la nécessité de faire un bon accueil aux femmes étrangères, où elle exprime ses idées féministes et internationalistes. Elle fait la rencontre de socialistes utopistes tels que Fourier, Victor Considérant, Robert Owen, Pierre Leroux et publie un livre autobiographique, Les Pérégrinations d'une paria. Chazal fort de la loi qui lui donne raison, récupère Aline qui l'accuse bientôt de gestes incestueux. Flora retrouve la garde de sa fille, mais Chazal qui perd la raison essaie de l'assassiner en 1838. Chaho, qui la connaît déjà personnellement, se souvient avoir prédit le drame dans l'un de ses articles parisiens : « Opinions à part, nous sommes le très dévoué champion de toutes les dames en général et de Mme Flora Tristan en particulier. Elle est d'ailleurs basquaise à demi. Nous lui avons donné jadis une preuve d'amitié sans même qu'elle en fût avertie. Il s'agissait d'un article de petit journal dans lequel un rédacteur, son intime ennemi, avait fait sur sa famille très honorable, sur sa jeunesse et son éducation, un roman facétieux. C'est qu'avec un coup d'oeil malheureusement trop prophétique, nous voyions de loin ces pasquinades encourager et préparer d'horribles vengeances. La prévision sinistre se réalisa, et un beau jour un misérable qui est au bagne tira sur elle à bout portant un coup de pistolet, par derrière... le lâche ! Le plomb meurtrier pénétra par l'épaule, et sortit au flanc gauche après avoir labouré son beau corps. Les soins de Récamier et de Lisfranc ne l'auraient point sauvée sans un miracle de la Providence. »75

55 Chazal est condamné à vingt ans de travaux forcés et Flora retrouve la liberté. Elle devient célèbre du jour au lendemain, grâce aux journaux qui se sont saisis du fait divers. C'est certainement vers cette époque que Chaho a dû fréquenter son salon où tout Paris se presse pour connaître la femme de lettres : « Tant qu'il ne s'agira que de guerre littéraire, Mme Flora Tristan a trop d'esprit pour avoir besoin d'auxiliaire ; elle a la réplique bonne. Nous en avons fait l'expérience lors-qu'avec toute la politesse de rigueur nous persiflions ses doctrines harmonicéistes, socialistes et phalanstériennes, dans son propre salon où venaient plusieurs notabilités de la presse de Paris, académiciens et journalistes »76

56 On ne doit pas s'étonner de lire ces lignes de Chaho contre le socialisme. Nous sommes en effet encore à une époque à laquelle le socialisme en est à ses balbutiements. Sous Louis-Philippe on assiste à un véritable foisonnement de théories socialisantes ou communistes, plus ou moins pittoresques, et les républicains d'alors prennent bien soin de ne pas être assimilés à ces écoles « bâtardes, insensées ou traîtresses »77. Ce n'est que plus tard que Chaho se déclarera socialiste.

57 Ainsi que l'indique son éditeur, c'est peu après l'attentat, durant sa convalescence, que Flora Tristan prépare l'édition de Méphis78 qui sera publié avant la fin de l'année 1838.

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Elle y développe précisément ses idées en faveur des phalanstères, institutions chères aux utopistes pré-marxistes. Elle y prône également la libération des prolétaires, et de la femme, en particulier par l'éducation.

58 Chaho apparaît dans Méphis sous le pseudonyme de Xavier. Frère de la duchesse D’, Xavier est un « mauvais prêtre, arriviste, fourbe et manipulateur » qui, d'après Pascale Hustache, préfigure le personnage du Juif errant d'Eugène Sue. Il est décrit par John Lysberry, fils d'un matelot de Dieppe adopté par un lord anglais qui n'est autre que Méphis le prolétaire, héros du roman avec Maréquita, double littéraire de Flora Tristan. Selon les propres termes de Chaho, « Xavier n'est pas flatté de main de maîtresse ; on s'en aperçoit bien » : « L'un [des] frères [de la duchesse D’] était froid, sec et silencieux ; l'autre, rempli d'éloquence et de verve, se lançait avec chaleur dans les discussions les plus ardues ; il m'attaquait sans cesse comme philosophe ; son érudition réellement prodigieuse, ses connaissances en politique et en toutes choses, en faisaient un homme très remarquable : son ambition aimait à dominer de toute la hauteur de sa supériorité79. (...) Je dînais presque tous les soirs avec ses deux frères, ils se nommaient Batiste et Xavier ; mais j'usai en vain de toute mon adresse enfin, je ne pouvais réussir à les pénétrer. Ces deux hommes, dont l'aîné n'avait pas trente ans, étaient sûrs d'eux, aussi se laissaient-ils aller au charme de la conversation, sans crainte qu'aucune parole, échappée par inadvertance, trahît leur pensée. Xavier aurait parlé devant un auditoire de deux mille personnes avec autant de facilité et d'aplomb qu'il en avait en causant avec moi dans l'atelier de sa sœur. Sa figure était belle, gracieuse, ses yeux spirituels, son sourire très agréable ; jamais on n'apercevait sur ses traits la moindre altération, quoiqu'il y eût de la vivacité, de la passion et même de l'exaltation dans la nature de cet être ; mais dressé, dès son enfance, à réprimer toutes ses impressions, il était parvenu à maîtriser les émotions les plus fortes. Xavier avait eu successivement pour maîtres d'habiles jésuites français, de savants bénédictins espagnols et de rusés cardinaux italiens. Sa prodigieuse facilité, son intelligence de haute portée l'avaient fait prendre en grande affection par tous ses instituteurs80. (...) « élevé pour la prêtrise selon les principes fondamentaux de cette éducation, ses instituteurs lui avaient fait renoncer à toute affection, à toute sympathie, et son cœur s'était desséché avant le temps. Xavier ne connaissait aucune des joies de l'âme, niait l'amour et l'amitié, méprisait les femmes, ne croyait pas à la charité, et désapprouvait dans la doctrine du Christ la macération de la chair ; enfin, c'était l'homme des passions et appétits sensuels. Comme il n'avait jamais connu les élans du cœur, il était inaccessible à toute compassion, à toutes émotions douces. J'étais devenu son confident, parce que, je pense, il l'avait jugé nécessaire, afin de m'aguerrir et de tuer, comme il le disait, ma maudite sensibilité. -Ah ! Maréquita, je ne pouvais écouter sans frémir les confidences qu'il me faisait. Xavier n'avait pas encore trente ans, il était très joli homme ; ses manières aimables, son ton léger, sa gaieté quelquefois folle, son esprit satirique, ses regards passionnés, ses lèvres voluptueuses, son joli cou que son costume de prêtre laissait voir, ses belles mains blanches, son petit pied fin, et une foule de jolis riens, donnaient mille grâces à sa personne, et en faisaient l'être le plus séduisant et le plus dangereux que femme pût voir. Brave comme le sont d'ordinaire les gens des montagnes (il était né en Savoie), il aimait la guerre, le sang, les batailles. Xavier, avide de pouvoir, aurait, comme Jules II, mis un casque sur sa tonsure, et, ainsi que ce pontife, serait entré, glaive en main, par la brèche, dans les villes prises d'assaut ; armé des deux puissances, il eût été

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pape dans l'église et autocrate dans les palais. Son âme, d'une atroce férocité, n'avait rien d'humain que l'ambition ; haineux, vindicatif, il ne pardonnait jamais ; dix ans, vingt ans de dévouement d'un de ses plus fidèles serviteurs ne lui auraient pas fait, je crois, oublier un moment d'erreur ; le coupable se fût-il traîné à ses genoux, lui demandant pardon de sa faute et offrant toute sa vie en expiation, l'implacable Xavier l'aurait foulé à ses pieds et lui eût écrasé la tête sous le talon de sa botte. Les hommes qui recherchent les femmes uniquement pour le plaisir ou les satisfactions d'amour-propre peuvent avoir un sérail, car les jouissances sensuelles n'ont aucune durée et ne laissent aucun souvenir, tandis que le bonheur alimente la vie, absorbe toutes les facultés ; aussi, Xavier avait-il continuellement quatre ou cinq maîtresses, c'était pour lui une distraction ; son état de prêtre lui interdisant les spectacles, les bals, il se réfugiait dans les boudoirs des grandes dames du faubourg Saint-Germain. » »81

59 On peut reconnaître à travers ce portrait, par ailleurs implacable, certains traits de la personnalité de Chaho déjà relevés par ses biographes ou qui transparaissent dans ses écrits. Seul son prénom rappelle son origine basque, mais on y retrouve l'homme des montagnes éduqué chez les prêtres, érudit, passionné et intransigeant, l'orateur né, à intelligence vive et à l'esprit mordant, versé dans la politique et la philosophie, dont la personne exerce un pouvoir de séduction certain. Quant à Baptiste, le frère de Xavier, ce pourrait bien être Jean-Baptiste Chaho, l'auteur d'« Une existence de Barde » consacrée à Pierre Topet Etchahon82, dont nous savons par Inchauspé qu'il alla à Paris rejoindre son frère Augustin après ses études à Oloron : « Jean-Baptiste était de mon âge ; nous allions ensemble à l'école d'un certain M. Larronde a (sic) Tardets et puis nous sommes allés au Collège d'Oloron. Nous avons été intimement liés jusqu'à son départ pour Paris qui eu lieu (sic.) après sa rhétorique. »83

60 Autre détail qui semble coïncider avec la réalité, à l'instar de Xavier, et toujours d'après le chanoine Inchauspé qui a « beaucoup connu » Augustin Chaho, ce dernier aurait fréquenté, sinon les boudoirs, du moins les salons du Faubourg St-Germain, en particulier celui de la duchesse d'Abrantès : « son imagination et l'indépendance de son esprit lui firent ouvrir les salons les plus distingués du Faubourgs (sic) St Germain, et particuliérement (sic) aux (sic) de la Duchesse d'Abrantir (sic) où se réunissaient les acaédémiciens (sic) et les plus beaux esprits de l'époque. Ces relations l'éblouirent et lui firent penser qu'il était destiné à jouer un grand role (sic) dans la société84. »

61 Pour le reste, le portrait est-il fidèle ? Il est bien évidemment difficile de le dire. Mais, n'oublions pas qu'il s'agit là d'un personnage de roman. L'aspect le plus digne d'intérêt de ce témoignage d'une contemporaine, inédit jusqu'à présent, réside principalement dans le fait qu'il nous permet d'éclairer quelque peu les années parisiennes de Chaho sur lesquelles nous ne possédons que des renseignements très fragmentaires.

IV - LES CARTELS

62 Excédé par les continuelles attaques anonymes de l'International, et pour mettre un terme à la polémique qui, se fait de plus en plus violente, le 11 août, Chaho lance un premier cartel mettant en demeure Jean de Licharre de se démasquer : « Dénonciateur calomnieux, pourvoyeur d'inquisition et de geôle, qui êtes-vous ? Montrez-vous. Présentez votre face à mes quatre soufflets. Autrefois, sans être commandant... de la garde nationale, j'avais une épée. J'ai recueilli dans Paris,

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autour des barricades de juin, peut-être dans quelque blessure saignante, un certain nombre de balles vives. Balles de l'ordre ou de la République rouge, peu importe ; il y en a assez pour vous et pour tous vos amis. J'attends. »85

63 Dans la rhétorique du duel, les règles de l'honneur donnent à celui qui s'estime avoir été offensé en premier le droit d'exiger une réparation. C'est ce qu'il rappelle lorsqu'il écrit à Jean de Licharre : « n'oubliez pas que vous m'avez blessé le premier »86. Monsieur X., qui a parfaitement compris le message, se désolidarise de Jouhane Lestartarra et tente de dédramatiser la situation en rétorquant qu'un « défi doit être direct et nominatif », et que s'il s'adresse à tant de monde, il ne s'adresse à personne87.

64 Il faut dire qu'à l'époque, on ne plaisante pas avec les questions d'honneur ; de plus, à Bayonne, on sait que Chaho n'est pas homme à se défiler, car tout le monde a eu connaissance de son duel parisien avec Paul Viardot qui avait prétendu que Chaho n'avait jamais mis les pieds en Navarre. Chaho, qui lui reprochait également de l'avoir plagié, se vantait, sans doute pour intimider ses ennemis, de lui avoir coupé les oreilles : « Vous [le Trilby] affirmez que je n'ai pas fait le plus petit voyage en Navarre. Viardot avait déjà dit cette bourde avant vous ; et c'est pour cela que nous lui coupâmes jadis les oreilles. Le major Dittmer88. dit en ce temps là : Il y a du bon dans ce jeune imbécile montagnard. Il a pris une paire d'oreilles, il les gardera. »89.

65 De même, M. X. et Jean de Licharre n'étaient pas sans savoir que, lors de la création de l'Ariel, il y eut une première polémique qui aboutit à plusieurs échanges de cartels, notamment avec Canning, rédacteur du Trilby, puis de la Revue Bayonnaise, et à l'envoi de témoins de part et d'autres. Mais au dernier moment, il semble qu'ils n'eurent pas de suite. Cela donna d'ailleurs lieu à une caricature parue dans la Revue Bayonnaise90. que nous reproduisons ici pour la première fois. On y voit Chaho, en pied et en costume renaissance, se tenant sur un piédestal où l'on distingue des cartouches portant les titres de ses œuvres, dont certains sont totalement fantaisistes. En y regardant de plus près, on remarque qu'il est coiffé d'un béret orné de plumes de paon, symbole de la vanité et qu'il porte la plume d'oie de l'écrivain à l'oreille. Il est armé d'une épée dégainée, d'une cravache91., d'un poignard et de couteaux de boucher, et tient un étendard dont les armes sont deux couteaux de cuisine croisés encadrés d'oreilles coupées surmontés de l'alexandrin suivant : D'A tu devra admirer les merveilles Si tu veux conserver le bout de tes oreilles.

66 Pour achever ce portrait, il porte sur ses manches bouffantes et son pourpoint une douzaine d'oreilles coupées en guise de trophées. Tous ces indices ne laissent aucun doute sur l'identité du personnage. Augustin Chaho apprécie d'ailleurs avec humour le fait d'être caricaturé par ses adversaires : « Aujourd'hui je suis bon prince ; votre caricature m'a mis de bonne humeur (...). N'y aurait-il pas ici une oreille de Midas à couper, ne fût-ce que pour la joindre à toutes celles dont vous avez orné ma caricature ? »92.

67 Revenons à l'affaire de l'International. Chaho réitère son cartel pour obliger Jouhane Lestartarra à dévoiler sa véritable identité : « Quand on écrit des lignes comme celles que M. Jean de Licharre a écrites, on les signe, ou l'on se démasque à première réquisition. Mais pour un homme quatre fois souffleté, nous trouvons qu'il ne se presse guère. (...) Nos termes sentent le cartel, par la raison toute simple qu'ils constituent bel et bien un cartel en toute règle. (...) Notre défi était aussi direct et aussi nominatif que possible, en même temps que nos soufflets. (...) Si M. Jean de Licharre reste inconnu, s'il refuse de relever le gant, et

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de nous rapporter les quatre soufflets, les montagnards tiendront conseil. Et vive la montagne ! Il faut espérer que nous trouverons à qui parler. »93.

68 Chaho sait bien que, sous peine d'être déshonoré et discrédité aux yeux de tous94., Jean de Licharre ne peut que donner son nom et qu'il n'a qu'une alternative : relever le gant et accepter le duel ou se rétracter publiquement dans un délai de 24 heures, conformément aux règles du duel fixées dans le Code de Châteauvillard (1836). Le lendemain, dans l'International, paraît une lettre de Jean de Licharre dans laquelle il se justifie de ses accusations, ce qui ne l'empêche pas d'en lancer de nouvelles mais, parallèlement, il en fait parvenir une seconde personnellement à Chaho, ainsi que ce dernier le lui avait demandé, où il se rétracte et se fait connaître : « Mon cher Auguste, si dans mes lettres je n'ai point su me modérer, si j'ai dit des paroles offensantes, je les retire de gaieté de cœur ; car je ne saurais manquer à un vieil ami que j'aime au-delà de toute expression. Je rétracte toutes les paroles blessantes que j'ai pu dire contre toi ou tes amis. »95.

69 Chaho qui insère cet extrait dans l'Ariel ne rend pas public le nom de son auteur, « par respect pour [leur] vieille intimité », car il s'avère être l'un de ses amis d'enfance les plus chers : « Lecteur, je vous demande pardon de vous entretenir encore de mon ami Jean de Licharre ; c'est la dernière fois qu'il en sera question dans ce journal. En disant mon ami, je ne croyais pas si bien dire ! Oui, Jean de Licharre fut mon ami pendant trente ans. Notre amitié était comme un héritage légué par nos pères ; elle datait du berceau. Hier encore, celui qui déversait sur mon nom, mes opinions et mon caractère, le fiel le plus noir, je l'aurais pressé contre mon cœur ; je ne soupçonnais pas sa félonie. Il me trahissait vilainement, quand je nourrissais pour lui la tendresse d'un frère ! (...) Enfants, nous étions inséparables dans nos jeux. Plus tard, les éclats de son humeur joviale et les sons de sa flûte venaient interrompre ma grasse matinée et me réveiller dans mon lit. De retour d'un long voyage ou d'un séjour à Paris, c'est lui que je courais embrasser le premier. J'ai fait quelquefois vingt lieues pour goûter ce plaisir. Nous partageâmes plus d'une fois la même couche, après avoir soupé à la même table et chanté les mêmes chansons de notre cher pays. »96.

70 Chaho saura se montrer indulgent et lui pardonnera ses attaques « que tout autre aurait payées de son sang ». Ce n'est pas pour autant qu'il va se dispenser d'exiger que l'International et son directeur, H. Dacosta, se rétractent à leur tour en français et en basque. Il n'obtiendra pas de rétraction en basque, et après quelques malentendus et les prémices d'un nouveau duel, c'est Chaho qui, par une dernière lettre, va clore la polémique.

71 Peu de temps après, le lundi 25 septembre 1848, Chaho est provoqué à un nouveau duel de journalistes par le rédacteur du Journal du Peuple, M. L***, qui s'estime offensé dans un article de l'Ariel. Les témoins, dont l'un des rôles est d'estimer la validité de l'offense, ne la jugent pas recevable, mais une discussion s'engage alors entre l'un des assistants du rédacteur du Journal du Peuple (M. C***) et Chaho (M. C**) qui vont s'affronter en duel. Ce duel au pistolet qui faillit coûter cher à Chaho, est le seul auquel il ait participé dont nous conservons la relation complète, depuis l'envoi des témoins jusqu'à la conclusion. Des témoins oculaires le relatent dans une lettre à la Sentinelle des Pyrénées : « Monsieur le Rédacteur, Vous avez parlé dans votre numéro d'hier de la rencontre qui a eu lieu lundi matin entre MM. C*** et C**. Permettez-nous de rétablir la vérité des faits.

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Le premier point de départ a été une explication demandée par le rédacteur du Journal du Peuple au rédacteur de l'Ariel sur un article qui a été reconnu plus tard entièrement conforme aux règles de la polémique et parfaitement exempt de personnalité. M. C*** accompagnait comme assistant le rédacteur du Journal du Peuple. M. C*** est capitaine de la garde nationale ; le second assistant est lieutenant-colonel dans la même garde nationale. L'article en litige avait paru samedi soir. Le rédacteur de l'Ariel reçut la visite de ces messieurs dimanche assez tard dans la soirée. M. C*** ayant dit que la discussion entre les deux journalistes s'égarait du but, M. C** convaincu du peu de fondement de la réclamation qui lui était faite, fut tenté de croire qu'on cherchait un prétexte de combat. En conséquence, il donna rendez-vous à M. le capitaine C*** pour le lendemain et choisit le pistolet. Sur la demande qui lui en a été faite sur le terrain, M. C*** a loyalement déclaré qu'il ne s'était présenté chez M. C** que comme simple assistant, sans arrière- pensée, sans projet personnel. Sur ce point, les témoins ont unanimement déclaré qu'il n'y avait pas lieu de passer outre, et qu'ils n'acceptaient plus la responsabilité d'un duel. Survient le rédacteur du Journal du Peuple, dont M. C*** était l'assistant. M. C*** s'en étant entièrement remis à ce que décideraient les témoins, M. C** lui a dit : Monsieur, je vous demande l'honneur d'un premier feu ; notre petit incident a la priorité sur la plainte de M. L***. Les adversaires devaient tirer en même temps au troisième coup frappé. Par suite de la préparation des capsules et de l'humidité de la matinée, les deux premiers coups ne sont pas partis. Au second tour, M. C** a subi le feu de son adversaire, sans échange, son pistolet ayant raté pour la seconde fois. M. C*** a insisté à deux reprises pour que M. C** tirât : Non, Monsieur, a répondu celui-ci, je n'en ferai rien... Et, baissant son pistolet, il s'est avancé vers M. C*** pour lui serrer la main. Cette conclusion a charmé les assistants, qui, dès l'origine, avaient déclaré n'y avoir lieu à combat entre ces messieurs. B. S. M. »97.

72 Il semble que ce soit cette rencontre que mentionne Léonard Laborde qui en modifie légèrement le déroulement : « Chaho, après avoir essuyé le feu de son adversaire, tira en l'air et tendit la main à celui qui le croyait son ennemi mortel. »98.

73 Ce sera certainement le dernier duel de Chaho dont l'activité, en ce domaine comme en d'autres, sera affectée par les suites de l'accident de 1849. Il souffre en effet d'une hémiplégie faciale et de perte partielle de l'usage du bras et de la main droite, de l'odorat, du goût, de la parole et de l'ouïe, séquelles qu'il gardera jusqu'à sa mort en 1858.

74 ***

75 L'Uscal-Herrico Gaseta s'arrêtera à son second numéro, bien avant la fin de la polémique. Quelles ont été les raisons de cette brusque disparition ? Chaho voulait-il éviter de nouvelles polémiques ? Était-il trop pris par les préparatifs de l'élection ? Nous n'en savons rien. Chaho évoque uniquement « l'impossibilité » de sa réalisation. Les élections ayant été un succès, il aura peut-être abandonné son projet de journal basque hebdomadaire qui représentait un surcroît de travail non négligeable.

76 Quoiqu'il en soit, il est indéniable que le but principal de la publication de ce premier journal en langue basque est de convaincre les électeurs bascophones de voter pour les « vrais » candidats républicains. Nous avons vu que cet objectif sera atteint, du moins

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pour les deux rédacteurs identifiés de la gazette basque, Augustin Chaho et Honoré Dindaburu qui seront élus conseillers généraux, le mois suivant, aux élections du 27 août 1848. Ils donneront leur démission le 27 août 1851, car ils jugeront contraire à la démocratie que le renouvellement par l'élection du tiers sortant des membres du conseil n'ait pas eu lieu et soit substitué par une prorogation des mandats décidée par l'assemblée législative99.. C'est certainement ce succès qui incita A. Chaho, lors de chaque élection qui suivit, à publier dans l'Ariel des adresses à ses « chers » ou « très chers compatriotes », qui constituent excepté Azti-Beghia, les seuls textes en langue basque qu'on lui connaisse. La dernière, « Herritar ecinago-maïtiac ! »100. où, pour la quatrième fois, il présente aux électeurs basques sa candidature aux élections législatives, occupera d'ailleurs la totalité du dernier numéro du Républicain de Vasconie, qui sera donc également en basque et marquera le chant du cygne de l'Ariel.101

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BIBLIOGRAPHIE

Journaux :

– Collection complète de l'Ariel du 6 octobre 1844 au 19 février 1852.

– le Trilby, la Revue Bayonnaise, la Sentinelle des Pyrénées, l'International, le Mémorial des Pyrénées.

Ouvrages et articles :

– CHAUSSIER, J. D. : Quel territoire pour le Pays Basque ? Les cartes de l'identité. L'Harmattan, 1996.

– CROUZET, Jean : Bayonne entre l'équerre et le compas, 2 vol., Harriet, Bayonne, 1989.

– CUZACQ, René : Les élections législatives à Bayonne et au Pays Basque, chez l'auteur, Bayonne 1948.

– DARANATZ, J. B. : « À propos d'une lettre inédite d'Augustin Chaho », RIEV, III, 1909, p. 287-292.

– DROUIN, J. C. : « Les élites politiques au Pays Basque français sous la monarchie de juillet et la II République », Euskal Herria (1789-1850), Actes du Colloque International d'Etudes Basques, Bordeaux 3-5 mai 1973, Société des Amis du Musée Basque, Bayonne, 1978.

– ETCHART, A. : De la France au Béarn et au Pays Basque, Chez l'auteur, Lescar 1946

– ETCHECOIN, Jean : « St-Gaudens et Renaud », Gure Herria, mars-avril 1936.

– GAUTIER, Th. : Œuvres, édition établie par Paolo Tortonese, coll. Bouquins, Robert Laffont, Paris, 1996.

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– HOURMAT, P. : La presse bayonnaise au XIX' siècle, Bibliothèque Municipale de Bayonne, 1972.

– INCHAUSPÉ : Lettre à Bernadon (sic) datée d'Abense-de-haut, le 7 février 1895, transcrite par Alfonso IRIGOYEN : « Curriculum vitæ de Chaho realizado por Inchauspé », Estudios Vizcainos I, 1970.

– LABORDE, Léonard : Souvenirs de Jeunesse, Bayonne, 1875.

– LAMBERT, Gustave : Étude sur A. Chaho, auteur de la Philosophie des Religions Comparées, E. Dentu libraire ; Paris, L. André, Imp. et lithographie Lespés, Bayonne, 1861.

– OIHARTZABAL, Beñat : « Euskarazko kazetantzaren lehen entseiua : A. Chaho-ren Euskal Herriko Gasela (1848) », Patxi Altunari omenaldia, Mundaiz, 5, Donostia, 1990.

– Revue des Voyons, littéraire, scientifique et politique, Paris, 1838.

– ORPUSTAN, Jean-Baptiste : « Augustin Chaho », BSB, 1980, pp. 377-381.

– « Augustin Chaho (1811-1858). Sa vie. Son œuvre », Voyage en Navarre pendant l'insurrection des Basques (1830-1835)..., Lafitte Reprints, Marseille, 1979.

– TRISTAN, Flora : Méphis, préfacé par Pascale Hustache, Indigo & Côté-femmes éditions, 2 vol., Paris 1996-1997.

– URKIZU, P. : Agosti Chaho, Azti-begia eta beste izkribu zenbait, Klasikoak, Donostia, 1992

– URKIZU, P. : Agosti Chahoren bizitza eta idazlanak 1811-1858, Euskaltzaindia-BBK, Bilbo, 1992.

NOTES

1. Pour les hommes uniquement. 2. Du 6 octobre 1844 au 29 décembre 1844. 3. Du 5 janvier 1845 au 2 novembre 1845. 4. Du 9 novembre 1845 au 28 décembre 1845. 5. Du 6 octobre 1844 au 25 février 1845. 6. Du 2 mars 1845 au 28 décembre 1845. 7. LAMBERT, Gustave : Étude sur A. Chaho, auteur de la Philosophie des Religions Comparées, E. Dentu libraire ; Paris, L. André, Imp. et lithographie Lespés, Bayonne, 1861, repris dans Augustin Chaho, Harriet, Hélette, 1996, p. 12. 8. De janvier 1846 au 29 février 1848. 9. Le journal change de titre le 29 février 1848. 10. Nous n'allons pas nous attarder sur le rôle de premier plan joué par Chaho dans la proclamation de la république à Bayonne. À ce sujet, voir CROUZET, Jean : « Chaho franc-maçon et la révolution bayon-naise de 1848 », Bayonne entre l'équerre et le compas, 2 vol., Harriet, Bayonne, 1989 ; repris dans Augustin Chaho, Harriet, Hélette, 1996. Au mois de mai 1998, la Société des Sciences, Lettres et Arts de Bayonne a également organisé sur ce thème, un congrès dont les actes devraient paraître prochainement dans son Bulletin. 11. P. Lespés fut directeur de l'Ariel du 6 octobre 1844 au 31 août 1845 ; C. Monségu lui succéda en tant que directeur-gérant, du 7 septembre 1845 au 2 mars 1848. 12. À titre de comparaison, l'abonnement annuel de l'Ariel-Républicain de Vasconie qui paraît trois fois par semaine est, à la même époque, de 24 F. sur Bayonne et de 28 F dans le département 13. OIHARTZABAL, Beñat : « Euskarazko kazetaritzaren lehen entseiua : A. Chaho-ren Euskal Herriko Gaseta (1848) », Patxi Altunari omenaldia, Mundaiz, 5, Donostia, 1990, 191-207. Bien qu'il y annonce la publication prochaine d'un travail de M. J. Lakarra dans ASJU sur les textes basques de

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Chaho, ce dernier n'a pas vu le jour à la suite de l'édition de M. P. Urkizu qui en a publié la plupart dans Agosti Chaho, Azti-begia eta beste izkribu zenbail, Klasikoak, Donostia, 1992. Précisons qu'un fac-similé du journal avait été distribué auparavant lors des représentations de la pastorale Agosti Chaho, écrite par J. M. BEDAXAGAR, données à Ordiarp et à Tardets durant l'été 1988. 14. Quant à ces textes, qu'ils soient en français ou en basque, nous avons fait le choix de les reproduire dans leur graphie d'origine et sans correction aucune. Surtout en ce qui concerne le basque, ils témoignent d'un état de la langue écrite, sans doute révolu, mais non dénué d'intérêt pour ce qui est du français. 15. Ce problème n'est pas spécifique au Pays basque. D'autres troubles de même nature ont lieu ailleurs, notamment à Mauléon-Barousse. À ce propos, voir la thèse de J.-F. Soulet : Les Pyrénées au XIXe siècle. 16. Lettre de Dindaburu à Chaho, datée de Bunus le 2 avril : Ariel, 6 avril 1848. 17. Ariel, 9 avril 1848. 18. Sentinelle des Pyrénées, 13 mai 1848. 19. Sentinelle des Pyrénées, 18 mai 1848. 20. Ariel, 13 août 1848. 21. « Troubles du Pays Basque », Ariel, 16 mai 1848. 22. Ariel, 21 mai 1848. 23. Ariel, 23 mai 1848. 24. Non signé : Ariel, 1er juin 1848. 25. C*** : Ariel, ler juin 1848. 26. Ariel, 22 juin 1848. 27. Voir également Ariel du 20 juillet 1849 : « Herritar maitiac, Ordu-da eçagut eta iracour-deçacien Atharratceco cantounamentouco jaon Mera orori izkiribatu- dudan letera, hilabete hounen hamahirour-guerrenian. Badakicie, Errepublikaren bost-guerren hilabetian, bataïlla handi-baten diharamenian, ni eta Iholdico cantounamentouco Counseiller fidela sarthu-guinela Parisen, goure herri maïtiaren çucenen baliarazteco. Erremetitu-gunian Deputaten Khamberari peticione azcar-bat, goure bazcaguien classamentu gaïchtouaz eta legue forestier herriaren galgarriaz justo-den pleïnta eraïkiten gunialaric borthizki. » (publie egalement par P. URKIZU, op. cit. p. 39). 28. Bien que l'article ne soit pas signé, il est sans aucun doute de Chaho ou de Dindaburu, car si son rédacteur commence à parler des deux personnages à la troisième personne du pluriel, il passe subitement à la première personne du pluriel. 29. C'est Dindaburu qui est l'auteur de l'article « Herrietaco eletcionéz » (Uscal-Herrico Gaseta n° 2) signé Onoré. Maire de Bunus, II fut révoqué par arrêté du préfet du 18 mai 1848. 30. Il ne serait pas surprenant que cela fasse référence à de véritables rumeurs répandues au Pays basque, car bien d'autres ont couru sur Chaho, selon lesquelles il aurait fait de la prison, il serait décédé de mort violente, noyé, ou aurait été expulsé de Bayonne etc... 31. Michel Renaud (1812-1885). Rappelons que Michel Renaud sera le seul condamné à l'exil des Basses-Pyrénées après le 2 décembre, et ce, dès le 9 janvier 1852, par décret-loi du pouvoir exécutif, pour avoir voulu soulever Paris contre le coup d'État. Réfugié à Pampelune, puis « plus au sud », sur l'ordre du ministère de l'Intérieur espagnol, il ne reviendra que dix-neuf ans plus tard, lors de l'amnistie générale. Sur Michel Renaud, voir ETCHECOIN, Jean : « St-Gaudens et Renaud », Gure Herria, mars-avril 1936. 32. LABORDE, Léonard : Souvenirs de Jeunesse, Bayonne, 1875, p. 191. 33. « Bi Hescaldunac », Uscal-Herrico Gaseta n° 2, 25 juillet 1848. 34. N'oublions pas que Léonard Laborde, qui lui fut présenté à l'âge de quatorze ans et s'honore d'avoir été son élève et son ami, est l'une des rares personnes qui aient connu Chaho et dont nous conservons un témoignage. Ce n'est pas le cas de Gustave Lambert qui, bien que son ouvrage soit antérieur, ne l'a pas connu.

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35. L. LABORDE : op. cit, p. 191. 36. International, 10 août 1848. 37. International, 17 août 1848. 38. Ariel, 18 août 1848. 39. Ariel, 2 et 8 décembre 1848 ; 19 et 20 février 1849 ; notes de M. Lagarde de Mauléon : Ariel, 16 et 17 février 1849. 40. Compte-rendus des délibérations : Ariel, 1er et 13 mars 1849. 41. « Une nouvelle désolante nous arrive. Le courageux rédacteur de l'Ariel, l'un des apôtres les plus intelligents de l'idée révolutionnaire, notre ami Chaho s'est dangereusement blessé par suite d'un accident de voiture. Il sortait de Pau, dimanche matin, en cabriolet, pour se rendre à Nay, où l'attendaient des amis. Un coup de fouet maladroitement donné fit prendre le mors aux dents au cheval, Chaho s'élança hors de la voiture, la chute a été telle que le contre-coup a porté violemment à la tête et qu'il a été relevé sans connaissance. Transporté immédiatement chez M. de Beaumont tous les médecins de Pau ont rivalisé de zèle pour lui prodiguer les soins que nécessitait l'état de notre malheureux ami. Jusqu'à trois heures de l'après-midi on n'avait que peu d'espoir de le sauver. À six heures il y avait un mieux satisfaisant. À neuf heures du soir, le mieux se maintenait. La lettre qui nous apporte ce malheur est de neuf heures et demi du soir ; à ce moment, quoique l'état de notre ami fût extrêmement grave, les médecins conservaient encore quelque espoir de le sauver. » Ariel, 8 mai 1849. 42. Ariel, 10 juin 1849. 43. Lettre datée de Mauléon : Ariel, 24 juin 1849. 44. Délibération du conseil municipal de Mauléon : Ariel, 27 juillet 1849. 45. Arrêté du préfet daté du 29 juin 1849. 46. Lettre en français que Chaho rend publique dans un communiqué en basque à ses « ChersCompatriotes » : « (...) Je n'ai pas besoin de vous le dire, Monsieur le Maire ; il est de la plus haute importance pour nous tous et pour votre commune, de pouvoir désigner avec la plus grande exactitude les terrains et les bois cavalièrement placés sous le régime forestier qui ne sont réellement pas susceptibles d'aménagement ou d'une exploitation profitable, et dont la libre jouissance doit être par conséquent rendue à nos communes. La prospérité de notre état pastoral et agricole tient à cet acte de justice qui ne nous sera point refusé. Je vous prie, Monsieur le Maire, de vouloir bien dresser, sans le moindre retard, un tableau détaillé des terrains et bois-prés qu'un intolérable abus forestier a ravi à votre commune depuis la promulgation de la nouvelle loi. Vous voudrez bien me faire préparer une copie de ce travail que j'attendrai impatiemment. Nous saurons bientôt si les intentions équitables que l'on nous montre sont sincères. » (« Herritar maitiac », Ariel, 20 juillet 1949 reproduit par P. Urkizu, op. cit., p. 39-41. 47. Ariel, 26 juillet 1849. 48. Cette proposition est signée, semble-t-il, à l'insu de Michel Renaud qui est mis devant le fait accompli. 49. A.C.*** : Ariel, 20 juillet 1849. 50. A. ETCHART : De la France au Béarn et au Pays Basque, Chez l'auteur, Lescar 1946, p. 45-47. 51. Chaho s'est effectivement présenté quatre fois aux élections législatives et non pas à deux reprises ainsi que l'affirme Jon Juaristi dans un ouvrage qui vient de connaître une réédition en 1998 : El linaje de Aitor, la invención de la tradición vasca, Taurus, Madrid, 1998, 2e éd., p. 78-79. 52. Augustin Chaho : Ariel, 12 février 1852. 53. Projet déjà proposé au gouvernement en 1836 par les électeurs et administrateurs de ces trois départements dans un « Mémoire au roi ». À ce sujet, voir CHAUSSIER, J. D. : Quel territoire pour le Pays Basque ? Les cartes de l'identité. L'Harmattan, 1996, p. 67-72.

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54. Ariel, 20 octobre 1848. 55. Comme nous l'avons vu, Renaud est déjà exilé. Sur 75 000 votants dans les Basses-Pyrénées, Louis-Napoléon Bonaparte obtient 60 241 ; Cavaignac : 11 663 ; Ledru-Rollin : 3 100. 56. 87 827 votants, 83 474 oui et 4 138 non. 57. Jean-Baptiste Etcheverry : né à Baïgorry en 1805, son père avait été député en 1815 et son frère Hector en 1848 et 1849. Il sera réélu, sans adversaire, aux législatives de 1857. À cette dernière élection, Chaho qui est retiré de la politique aura 3 voix et Renaud, exilé, en obtiendra 175, comptées parmi les bulletins « blancs ou nuls ». Voir CUZACQ, René : Les élections législatives à Bayonne et au Pays Basque, chez l'auteur, Bayonne 1948. 58. Uscal-Herrico Gaseta n° l, 30 juin 1848 et P. URKIZU, op. cit. 59. Lettre d'habitants de Guéthary et du maire Dibarboure : Ariel, 18 avril 1848. 60. Lettre signée « Un de vos Abonnés » : Ariel, 20 avril 1848. 61. Lettres du maire et de Lhande, curé de Larrau : Ariel, 4, 11 et 23 avril 1848. 62. Signé S***: Ariel, 4 mai 1848. À ce propos, nous avons une autre lettre, datée d'Arnéguy le 16 avril : « Monsieur le Rédacteur, Ennemi juré des abus et des tripotages, je ne puis m'empêcher de dénoncer au public un fait qui vient de s'accomplir sous mes yeux, et qui n'est pas, d'après moi, de nature à édifier les vrais républicains. Je le soumets à votre appréciation et à celle de vos lecteurs, bien convaincu que votre jugement et le leur seront conformes à mon opinion. Voici de quoi il s'agit : Aujourd'hui à Baïgorry, on a publié, à l'issue de la messe, que les électeurs de la commune non lettrés devaient faire écrire leurs bulletins par tels et tels individus désignés ci-après : les électeurs du quartier d'Occos doivent recourir au sieur Aousquy, propriétaire ; ceux du quartier de Guerniette au sieur Caracotche ; ceux du quartier de Bastide au sieur Berreau ; ceux d'Urdos et Eyheralde au sieur Léciague, greffier de la justice de paix ; ceux de Lesparts au sieur Aparain ; ceux d'Oticoren au sieur Soubelet, crieur public ; ceux de la place de Baïgorry et des environs au sieurs Bergougnan et Iriberry ; ceux des quartiers de Bellechi et Etchaoun aux sieurs Etcheto et Isidore Harispe, surnuméraire des contributions directes ; enfin, ceux d'Ispéguy, Héraoun et Mitchéléné aux sieurs Guéressiet, propriétaire, et Etcheverry, maire de la commune. Que pensez-vous, M. le Rédacteur, de l'obligation qu'on impose aux électeurs non lettrés, qui sont très-nombreux à Baïgorry ? J'aime à croire que M. Etcheverry a été étranger à la mesure prise, dans l'intérêt de sa candidature, par ses parents et ses amis ; s'il en était autrement, il aurait grandement tort. On peut lui passer d'avoir cherché se rendre intéressant en disant aux maires du canton réunis que des ennemis voulaient le tuer et réservaient le même sort au général Harispe, à ce brave vétéran dont l'existence a été respectée par des milliers de balles, de bombes et de boulets, comme elle le sera, il faut l'espérer, par les desseins des méchants ; mais on ne lui pardonnerait pas des indélicatesses, moins encore des illégalités. Qu'il soit nommé représentant du peuple puisqu'il le désire tant, mais que les votes des citoyens soient libres, ou qu'en homme d'honneur il renonce à sa candidature. Agréez, M. le Rédacteur, l'assurance de ma parfaite considération. J. LABORDE. » (Ariel, 23 avril 1848) 63. Signé B. : Ariel, 9 mai 1848. 64. Ariel, 30 août 1848. 65. Traduction dont Chaho se moque ouvertement : « (...) Il sera bon d'apprendre à nos lecteurs que, dans l'impossibilité où nous étions de faire un numéro de la Gazette Basque, nous profitâmes de la petite circulaire pour faire parvenir à nos amis de la montagne quelques nouvelles politiques. Nous le devions d'autant plus, que nous leur avions promis, dans le précédent numéro du journal basque, une traduction de la constitution nouvelle, traduction qu'ils attendaient impatiemment depuis le 25 juillet. Il nous importait de prouver que nous n'avions pas manqué de parole à nos souscripteurs, et que si la traduction

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annoncée n'avait pas paru, c'était simplement parce que le vote de la constitution n'avait pas encore commencé à la chambre. De cette façon, la circulaire électorale n'est autre chose qu'un avertissement de journaliste ; et il ne s'y rencontre que six lignes finales consacrées à notre candidature pour le conseil général. (...) Elle commençait par ces mots : Électeurs du canton de Tardets, chers compatriotes (ou bien- aimés compatriotes). Vous n'imagineriez jamais, lecteurs, comment le journal de Pau traduit le chers compatriotes. Il nous fait dire : compatriotes mes aimés ! Tout le reste est à l'avenant. Mes aimés ! voilà de quoi mériter au Mémorial le premier prix de traduction basque. Mes aimés ! Le Mémorial se moque de nous. Qu'il nous crève un œil, qu'il nous casse un bras, nous renonçons même au conseil général ; mais, de grâce, qu'il ne nous traduise plus en barbare. Il est permis d'être vexé ; mais il ne faut pas abuser de la permission qu'on a d'être ridicule. » Ariel, 30 août 1848. Traduction parue dans le Mémorial des Pyrénées, 29 août 1848 : Voici la traduction d'une circulaire Basque adressée par M. Chaho aux électeurs de Tardets : « ÉLECTEURS DU CANTON DE TARDETS ET COMPATRIOTES MES AIMÉS. Dans les deux dernières élections, vous m'avez donné vos voix pour être votre représentant. Malheureusement, nous n'avons pas réussi dans notre dessein, parce que cela ne dépendait pas de vous. Les amis du peuple, les vrais républicains laissés de côté, beaucoup de départemens ont envoyé leurs députés royalistes et aristocrates, ainsi que cela est prouvé par leurs œuvres. Un ministre a dit que les dépenses du gouvernement allaient en augmentant et les revenus en diminuant. Paris et la France vivent comme dans une guerre civile avec le danger d'une guerre étrangère. Et cette nouvelle constitution que l'Assemblée de Paris devait faire n'est seulement pas commencée. Aujourd'hui, je viens de nouveau vous demander vos voix pour être membre du Conseil Général. Il est nécessaire que vous envoyiez à ce conseil un homme à votre manche et de confiance. Vous savez quel homme et de quelle idée je suis, un vrai républicain, et en qualité de compatriote, combien je suis votre ami et serviteur fidèle. Augustin Chaho. » 66. Ariel, 25 mai 1849. 67. Le Chat Botté : Ariel, 30 juillet 1848. 68. n. s. : « Trilby s'en va-t-en guerre », Ariel, 13 oct. 1844. 69. GAUTIER, Th. : Œuvres, édition établie par Paolo Tortonese, coll. Bouquins, Robert Laffont, Paris, 1996. 70. Princesse H. de M***, Duchesse d'O*** : « Une promenade sur mer », Dobberan le 31 mai 1833, traduit de l'allemand par A. C, Revue des Voyons, littéraire, scientifique et politique, Paris, 1838, p. 145-146. M. P. Urkizu a émis l'hypothèse, que nous confirmons aujourd'hui, que cette traduction pouvait être de Chaho. P. URKIZU : Agosti Chahoren bizitza eta idazlanak 1811-1858, Euskaltzaindia-BBK, Bilbo, 1992, p.50. 71. Le Phare : journal conservateur de Bayonne qui parut de 1834 à 1839. 72. Adélaïde d'Orléans, sœur de Louis-Philippe. 73. A. CHAHO : Reise in Navarra waehrend des Aufstandes der Basken, trad. par L. von. Alvensleben, Grimma, 1836. 74. O. de BOPP, M. : « Carlos von Gagern, Chaho y el complot de Estella en 1848 », Principe de Viana, 1975, 667-672. 75. Sur Flora Tristan, voir entre autres, PUECH, J. L. : Le socialisme français avant 1848. La vie et l'œuvre de Flora Tristan, Paris, 1925. 76. Ariel, 6 octobre 1844. 77. Ariel, 6 octobre 1844.

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78. Chaho n'a d'ailleurs de cesse de les fustiger, comme dans sa lettre à l'International du 27 juillet 1848 : « Vous savez que je ne suis, en démocratie, ni socialiste, ni communiste, ni phalanstérien, écoles bâtardes, insensées ou traîtresses, qui nous ont fait un tort immense à nous, vrais républicains. » Dans sa lettre du 1er août 1848, il les soupçonne d'être financés par la police secrète de Louis-Philippe pour discréditer les véritables républicains : « Déjà sous Louis-Philippe, la police diplomatique avait inventé, créé ou mis en relief les socialistes de toute nuance, les communistes-icariens, les communistes-voleurs, le phalanstère, tout ce qui peut alarmer la morale, la propriété, la famille ; et c'est nous, républicains, que l'on rendait responsables de ces folles théories. On nous peignait au bourgeois crédule comme des pillards sanguinaires et immoraux : mensonge infernal dont la magnanime révolution de février a fait justice. » 79. TRISTAN, Flora : Méphis, préfacé par Pascale Hustache, Indigo & Côté-femmes éditions, 2 vol., Paris 1996-1997. 80. op. cit., p. 133. 81. op. cit., p. 134. 82. op. cit., p. 140-141. 83. J.-B. Junior : « Une existence de Barde », Revue des Voyons, p.71-80. L'auteur en fera une traduction en basque souletin (Paris, 1842) qui semble être resté à l'état de manuscrit jusqu'à l'édition qu'en a fait P. URKIZU (op. cit, p.97-116) d'après l'original en possession de M. P. de Souhy. 84. INCHAUSPÉ : Lettre à Bernadon (sic) datée d'Abense-de-haut, le 7 février 1895, transcrite par Alfonso IRIGOYEN : « Curriculum vitæ de Chaho realizado por Inchauspé », Estudios Vizcainos I, 1970, p. 165-167. 85. idem. Il est plus que probable que le destinataire de cette lettre n'est pas « un tal Bernadou » ainsi que l'écrit A. Irigoyen, mais bien Charles Bernadou. Comme on le voit dans les extraits que nous reproduisons tels quels, elle est truffée de fautes qui ne peuvent être le fait du chanoine Inchauspé, ce sont donc de manifestes erreurs de lecture mêlées sans doute à des coquilles d'imprimerie. Le lecteur rectifiera de lui-même sans difficulté. Ajoutons que, lorsque nous avons voulu consulter l'original à la bibliothèque d'Euskaltzaindia où il était conservé, il nous a été répondu qu'il aurait « disparu »... La duchesse « d'Abrantir » est bien entendu Laure Permon, duchesse d'Abrantès (Montpellier, 1784-Paris, 1838), femme du général Junot, anobli par Napoléon. Les d'Abrantès, intimes des Bonaparte, appelaient l'empereur « le chat botté », surnom que Chaho adoptera comme pseudonyme. Balzac, qui fut son dernier amant et qu'elle introduisit dans le monde, l'aida à rédiger ses Mémoires ou Souvenirs historiques sur Napoléon. Elle mourut dans la misère la plus complète. Serait-ce la duchesse D’ du Méphis, sœur de Xavier ? Daranatz écrit également de Chaho, renseignement qu'il tient peut-être d'Inchauspé, que « ses manières distinguées, élégantes et polies lui ouvrirent les salons de la duchesse d'Abrantès, où il fit la connaissance des principaux littérateurs de l'époque ». J.-B. DARANATZ : « À propos d'une lettre inédite d'Augustin Chaho », RIEV, III, 1909, p. 287-292. 86. Ariel, 11 août 1848. 87. Ariel, 11 août 1848. 88. International, 15 août 1848. 89. Adolphe Dittmer, publiciste et administrateur français (Londres, 1795-1846). Officier de cuirassiers dans la garde royale, il participa à la guerre d'Espagne en 1823. Membre de l'opposition libérale rallié au régime de Louis-Philippe, chargé de plusieurs missions diplomatiques par le ministère de Casimir Périer, il fut nommé directeur des haras et de l'agriculture. Auteur entre autres de La Matinée d'un Député publiée dans le Livre des Cent-et-Un ; Paris, 1831-1832. 90. Ariel, 13 oct. 1844.

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91. Revue Bayonnaise, 1er mai 1845. Vers la même époque la Revue Bayonnaise (non-datée dans la collection de la Bibliothèque Municipale de Bayonne) publie une autre caricature où une main anonyme a identifié Canning et de Linières, propriétaires-gérants de la Revue, observant Bayonne depuis une hauteur, alors que Chaho-Ariel vole dans les airs affublé de cornes et d'ailes de démon. Nous tenons à remercier ici, M. Husson, conservateur, ainsi que l'ensemble du personnel de la Bibliothèque Municipale de Bayonne de leur amabilité et des facilités qu'ils nous ont accordées pour la consultation des documents nécessaires à cette étude. 92. Chaho avait également le coup de cravache facile. Dans ses années parisiennes, il avait même frappé un duc anglais. À Bayonne en 1844, un commis est gifflé au café Farnié, Chaho arrive et cravache un autre anglais, A. Canning, en présence d'un certain Basterreix qui pourrait bien être le même que celui de la polémique qui nous occupe. 93. Le Chat Botté : « Revue des revues. Simple histoire. (suite) », Ariel, 19 janvier 1845. 94. Ariel, 16 août 1848. 95. Les lignes suivantes de Jules Janin parues dans le Journal des Débats sont particulièrement significatives sur l'importance du point d'honneur au sein de la société du XIXe siècle : « Celui-là est perdu dans le monde de lâches, qui n'a pas le cœur de se battre ; car alors les lâches, qui sont sans nombre, font du courage sans danger à ses dépens. Celui-là est perdu dans ce monde où l'opinion est tout, qui ne saura pas acheter l'opinion d'un coup de feu ou d'épée. Celui-là est perdu dans ce monde d'hypocrites et de calomniateurs, qui ne saura pas se faire raison, l'épée au poing des calomnies et surtout des médisances. La médisance assassine mieux que l'épée nue, et la calomnie vous brise, bien sûr, à coup sûr, mieux que la balle d'un pistolet. Je ne voudrais pas vivre vingt-quatre heures dans la société telle qu'elle est établie et gouvernée, sans le duel. Le duel fait de chacun de nous un pouvoir indépendant et fort ; il fait de chaque vie, à part, la vie de tout le monde ; il prend la justice à l'instant où la loi l'abandonne. Seul, il punit ce que les lois ne peuvent punir, le mépris et l'insulte. » 96. Ariel, 18 août 1848. 97. Ariel, 18 août 1848. 98. Sentinelle des Pyrénées, 28 septembre 1848. Le même journal mentionne un troisième duel, qui devait se dérouler le même jour, sur le même terrain, entre un certain Camps fils et une personne non-iden-tifiée. Ce duel n'eut pas lieu, des explications orales ayant satisfait les deux parties. 99. op. cit., p. 187. En outre, L. Laborde cite un autre duel, à l'épée, au cours duquel Chaho aurait été blessé. 100. Lettre de démission d'A. Chaho parue dans l'Ariel du 28 août 1851 : « Bayonne, le 27 août 1851. M. le Préfet, le 27 août 1848, les Électeurs du canton de Tardets m'avaient honoré du mandat de Conseiller général des Basses-Pyrénées. À la session de 1850, j'ai travaillé dans la commission dont je faisais partie, à la confection des listes pour le renouvellement du tiers sortant des membres du Conseil ; renouvellement qui n'a point eu lieu. L'Assemblée législative a prorogé les pouvoirs de MM. les Conseillers généraux. La prorogation accordée par les fondateurs du suffrage universel partiel n'a rien de commun, à mes yeux, avec une réélection faite en vertu du suffrage universel et direct. Je ne veux pas accepter des mains de l'Assemblée législative la continuation de mon mandat et celle des fonctions administratives dont le peuple souverain m'avait investi. J'ai l'honneur de vous adresser, M. le Préfet, ma démission de Conseiller général, et vous prie d'agréer l'assurance de ma parfaite considération. Augustin CHAHO ». (suit la lettre de démission d'H. Dindaburu) 101. Agostin Chaho : « Herritar ecinago-maïtiac ! », Ariel, 19 février 1852.

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INDEX

Thèmes : littérature, histoire Index chronologique : 19e siècle Mots-clés : Uscal-Herrico Gaseta (journal), Chaho Augustin (1811-1858), Ariel (journal)

AUTEUR

FERMIN ARKOTXA doctorant en Etudes Basques

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La magie, moteur de l'action théâtrale : Inessa de Gaxen de Fernando Doménech Rico

Yvette Cardaillac-Hermosilla

1 D'après Federico Garcia Lorca, le théâtre est l'un des instruments les plus expressifs et utiles pour la construction d'un pays et il sert de baromètre. Si nous essayons d'avoir une vision globale des productions en Espagne sur le thème de la magie depuis la fin du Moyen Age, nous nous rendons compte que l'œuvre fondatrice, de renom mondial1, est la Tragicomedia de Calixto y Melibea2 qui met en scène comme personnage principal la Célestine3 : entremetteuse, préparatrice de filtres amoureux, invocatrice de démons, guérisseuse... Sa nouvelle création en français au Festival d'Avignon par Jeanne Moreau, ces dernières décennies, nous montre un personnage fort en couleur dont certains aspects rappellent Inessa de Gaxen4 dont la vie traversa le XVIe et le XVIIe siècle et qui renaît au théâtre sous d'autres auspices en 1995. Mais du XVe au XXe siècle, bien d'autres pièces situent la magie au centre de leur problématique. Le personnage de la guérisseuse/entremetteuse présent dans villes et campagnes se place au centre de l'action dramatique avec comme caractéristiques des moyens propres que le peuple affectionne pour résoudre problèmes et angoisses. L'intérêt pour ce type s'est renouvelé à la fin du XIXe et au XX e siècle après la multiplication d'études anthropologiques de sociétés primitives ou exotiques5. Pour combler par quelques références l'intervalle de créations sur plusieurs siècles, nous nous limiterons à la mention de quelques œuvres caractéristiques. D'une part la descendance de type célestinesque6 : ces œuvres du XVIe siècle trouvent leur continuation au XVII e siècle avec La Dorotea de Lope de Vega 7 ou l'entremetteuse Fabia de la comedia du même auteur intitulée El caballero de Olmedo8. Plus proche du système de création d'Inessa de Gaxen, nous pouvons mentionner la pièce de Ruiz de Alarcón Quien mal anda en mal acaba9 qui transforme le guérisseur morisque d'un procès d'Inquisition en médecin ayant fait pacte avec le diable. AU XVIIIe siècle Antonio de Zamora10 (1660-1725) et José de Cañizares (1675-1750) cultivent les tragi-comédies religieuses et fantastiques où l'aspect surnaturel joue un rôle important et les comédies de magie reçoivent alors un

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accueil très favorable du public. Au XIXe siècle Hartzenbusch (1806-1880) écrit La redoma encantada, un exemple parmi d'autres productions à son actif.

2 La tradition de type célestinesque se trouve en parallèle dans le théâtre espagnol avec celle des comédies de saints tentés par le démon et ayant fait pacte avec lui par amour pour une femme11.

3 Le type de la guérisseuse, le pacte avec le diable, la tradition des comédies de magie se fondent dans la création du personnage d'Inessa dont nous essaierons de déterminer les contours pour nous intéresser ensuite aux différents rôles qui tournent autour d'elle afin d'arriver à percevoir le sens d'une vie hors normes, mise ici en exergue.

4 Les premières années du XVIIe siècle servent de charnière. Elles sont remplies de magie et de sciences occultes de toutes sortes qui suscitent l'inquiétude des autorités12. Pour la plupart des gens de cette période, rien n'est impossible et Dieu est le magicien suprême. Mais Inessa de Gaxen est-elle sorcière ou magicienne ?

5 Le personnage central de la pièce construit à partir des témoignages du procès de Fontarrabie, réélaborés, garde les caractéristiques essentielles de l'Histoire. La plupart des personnages secondaires dans leur dialogue avec elle expriment leurs obsessions, leurs frayeurs et leurs craintes13. Nous sommes face à une personnalité exceptionnelle, d'une grande force de caractère, qui affirme sans cesse son innocence malgré les accusations généralisées des adolescentes du village et les pressions du maire et de l'archiprêtre.

6 L'espagnol détermine deux catégories différentes par les mots « bruja » et « hechicera » que le peuple amalgame souvent. Au XVIe et XVIIe siècles la sorcellerie est considérée par l'Église catholique comme une espèce de religion inversée, de culte effectué par des groupuscules qui s'adonnent la nuit à des réunions orgiaques pour adorer le démon et célébrer des messes noires pendant le sabbat ; ils se glorifient des méfaits accomplis contre la société environnante. Norman Cohn14 a démontré que cette création de l'esprit correspondait à des fantasmes que les sermons du dimanche des prêtres férus de démonologie entretenaient régulièrement. Keith Thomas15 ajoute que pour le peuple, le sorcier (ou la sorcière) est celui qui agit par maléfices. On le suspecte d'intervenir de façon occulte après pacte avec le démon (XVIe et XVII e siècles). La sorcellerie est alors considérée comme une hérésie chrétienne ou comme une action antisociale. Le Malleus Malefïcarum16 imprègne l'Allemagne puis l'Angleterre et la France. En 1608, Williams, Perkins dans son Traité révèle en Angleterre les préceptes continentaux de la sorcellerie. Mais l'Espagne sauf dans le Nord n'est pas sous l'emprise de ce fléau qui vient de France.

7 Les sorcières (ou brujas) présentent certaines caractéristiques que nous retrouvons dans les accusations portées contre Inessa dans le texte. En particulier elles sont marquées par le démon d'un signe : « Tous les sorciers portent un signe sur le corps là où les malins les a touchés de son sabot, un signe insensible à la douleur qui est la marque de son infâme secte »17.

8 D'ailleurs l'Inquisition espagnole poursuit des hommes détecteurs de sorcières qui parcourent les villages aragonais18. Caro Baroja s'intéresse aux témoignages du procès de Fontarrabie et aux travaux publiés sur ce sujet19.

9 D'après De Lancre, personnage historique et héros de la pièce, l'impudeur caractérise la femme et en particulier la basquaise qui s'adonne à la sorcellerie :

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« Les femmes basques ignorent la pudeur... A la moindre goutte de pluie, elles relèvent leurs jupes pour se couvrir la tête et dévoilent sans pudeur leurs dessous » 20.

10 La pratique de la sorcellerie aggrave leurs cas, les orgies pratiquées dans les réunions avec le diable s'y ajoutent encore : « Elle (Inessa) s'est maintes fois mise nue dans les Aquelarres et elle a copulé avec le diable, à la vue de tous, dans les positions les plus répugnantes »21.

11 L'aspect sexuel de la relation avec le diable est sans cesse mis en relief aussi bien dans les témoignages du procès que dans la pièce. De Lancre n'affirme-t-il pas : « Le Grand Bouc n'a-t-il pas joui de toi comme sodomite ? N'as-tu pas goutté son membre avec délectation ? » « Inessa de Gaxen (que) era la privada y junto al demonio andaba danzando ».

12 Des références à des témoignages de divers procès du Labourd viennent accentuer cet aspect diabolique qui apparaît comme essentiel : « Marguerite, fille de Sarre, âgée de 16 ou 17 ans, avoue que le diable... a toujours un membre de mulet22 ».

13 María de Marigranne, fille de Biarritz, affirme que le démon : « possède un membre, moitié de fer, moitié de chair »23.

14 L'aspect sexuel mis ici en exergue correspond à la libération du contrôle de F après- franquisme24.

15 Par ailleurs, Inessa est accusée d'avoir un rôle extrêmement important dans ces réunions orgiaques puisqu'elle est considérée comme « la grande prêtresse des Aquelarres ». Selon les croyances de l'époque, on demande aux nouveaux participants de renier leurs croyances, Jésus Christ, la Vierge Marie et tous les saints et saintes du paradis. Le nom de Jésus acquiert des propriétés magiques car dès qu'il est prononcé tout le monde disparaît.

16 Le propre mari d'Inessa, Pedro pense être ensorcelé à cause d'un sort que lui a jeté sa femme : « J'étais prisonnier de ses sortilèges... par la chair, par les sens ».

17 Pour l'archiprêtre, féru de culture démonologique, cette femme est une succube qui va entraîner par le péché de la chair son mari en enfer. Cet enfer est matérialisé par une vision populaire universelle que l'on retrouve même dans les représentations chinoises : « On me tire par les cheveux vers les marmites d'huile bouillantes »25.

18 Pedro de Sanja est convaincu par l'archiprêtre d'avoir couché avec un démon et devant l'absence d'absolution après sa confession, il est disposé à toutes les pénitences pour préserver son entrée au paradis. Il supplie : « Envoyez-moi à genoux à Jérusalem ».

19 Le tableau d'accusation et les craintes populaires font d'Inessa une sorcière selon la vision des clercs du XVIe et XVIIe siècle. Elle proteste et nie mais avoue ses activités de magicienne qui étaient pratiquées par toute la population mais plus particulièrement par certaines guérisseuses de village. Quelles sont donc ces activités qui lui permettent de gagner sa vie ?

20 Inessa cueille des plantes au clair de lune pour ses activités de guérisseuse. A cette époque la maladie était perçue comme un châtiment de Dieu à cause des péchés accomplis mais aussi très souvent comme l'œuvre du démon. La guérison est possible

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par l'intervention des saints, de la prière26, des pèlerinages, par l'exorcisme, par des traitements écœurants les démons...27, mais aussi par l'emploi de simples. La magie naturelle fait l'objet d'une intéressante étude à la Renaissance28.

21 En outre l'habitude de la campagne lui permet de lire dans la nature comme dans un livre et de prévoir le futur, le temps... Mais la Bible justifie la poursuite de par son affirmation : « Tu ne laisseras pas vivre la magicienne ».29

22 Les potions magiques contre l'impuissance sont couramment utilisées et demandées par le sergent qui va se marier30. La magie amoureuse est au centre de l'activité de Célestine31. Elle fait partie aussi du labeur d'Inessa. En outre, l'aspect sexuel du démon et les relations sexuelles prennent de l'importance tout au long de l'œuvre théâtrale de Doménech Rico. Nous percevons donc que le personnage d'Inessa de Gaxen au centre de l'action et de la réflexion des personnages réunit deux courants traditionnels, l'un reflet de la culture populaire de ses contemporains comme la magie traditionnelle et l'autre reflet de la culture des clercs dont la population s'est imprégnée, constituée par les idées sur la démonologie qui donnent naissance à la sorcellerie historique et aux accusations transmises par les témoins et les actes d'accusations. Mais l'expulsion finale des trois françaises accusées, Inessa de Gaxen, María Garro et María Etchegarray, décidée par les alcaldes se justifie dans leur esprit par la différence de nationalité, à cause d'un décret royal antérieur : elles peuvent être soupçonnées d'espionnage.

23 A partir de 1682 la mode va au scepticisme. D'ailleurs le Tribunal Suprême de l'Inquisition espagnole l'a pratiqué déjà bien avant cette date et envoie l'inquisiteur Salazar y Frías au tribunal de Logroño comme modérateur devant les excès pratiqués jusqu'alors32.

24 Différents rôles en relation avec la vie d'Inessa donnent des points de vue variés sur la question traitée. De Lancre33, conseiller au parlement de Bordeaux, détaché au Pays Basque, dans son discours reflète les convictions et croyances européennes d'une grande partie des autorités civiles et religieuses :

25 La femme est la digne héritière de sa mère Eve, pécheresse pas essence, elle entraîne à sa perte l'homme qui succombe à ses charmes : « Que diriez-vous si vous deviez juger cette belle femme qui... ensorcellent tous ceux qui l'approchent... ». « Ta beauté... ces yeux... cette peau de soie, cette chevelure... »

26 Ces paroles, placées dans la bouche de l'homme et du juge montrent sa faiblesse et le prédispose à l'acceptation des accusations de sorcellerie qui le dégagent de sa responsabilité personnelle.

27 Montaigne34 dans les reprises de son texte au théâtre montre un scepticisme d'une grande modernité par rapport à la sorcellerie ou au phénomène magique : « ne cherchons pas des illusions du dehors et inconnues, nous qui sommes perpétuellement agités d'illusions domestiques et nôtres ». Cette pensée qui conclue son discours dans la pièce le rapproche de l'inquisiteur éclairé que fut Salazar. Par ces références multiples, le texte dramatique est une manifestation culturelle et un produit social.

28 Le capitaine du bateau, autre personnage clé, est le maître du temps et du voyage de la vie. Sa réflexion sur le pouvoir dans la structure et l'idéologie du théâtre d'engagement social et politique reste ouverte et non partisane35 : « Vous ne pourrez faire appel qu'à moi, votre capitaine ! Je suis le seul maître après Dieu »

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29 L'intégration de personnages représentatifs et de personnages historiques avec une idéologie sur un thème, ici la magie, donne des éclairages diversifiés sur la question examinée. C'est un aspect du théâtre d'avant-garde qui s'ajoute ici à l'utilisation de thèmes traditionnels. En outre, le Deus ex-machina présenté sous la forme du capitaine de la barcasse hérite de la tradition du roi, de Dieu ou du juge qui résout tous les problèmes dans une fin idyllique, mais ici il mène un bateau vers nulle part, nous sommes donc aussi dans le théâtre de l'absurde, malgré la note d'espoir, bien atténuée par la cotation scénique : « Nous voguons vers un avenir de prospérité sans limite ! Il n'y a plus rien à craindre. Nous voguons vers la lumière (un épais brouillard avale le bateau toujours immobile). »

30 Divers rôles sont joués par le même acteur, mais chaque création est différente au moment du montage et de la représentation sur l'espace scénique car nous héritons ici d'un essai de création collective de mise en pratique d'un principe démocratique (qui se développe dans les années 60 et fleurit dans les années 70) mais qui débouche finalement sur la création d'un texte par un auteur unique.

31 A la multiplication des points de vue sur la magie et sur Inessa s'ajoute la multiplication des langues employées. Le trilinguisme se développe abondamment dans le cadre d'un théâtre transfrontalier dans la baie de Txingudi qui comprend les communes d'Hendaye, de Fontarrabie et d'Iran, dans le cadre du plan culturel transfrontalier Mugabe. Il correspond à un besoin et à une réalité vécue quotidiennement. L'expérience de l'enseignement nous montre la multiplication du trilinguisme parmi les étudiants de lettres-basques. A Bayonne le Bai Teatro sous la direction de Ramón Albistur a créé récemment cinq spectacles de ce type36. Le trilinguisme37 (basque – français – espagnol), est destiné à souligner le problème de la relation à l'autre, le mélange de langues dans le texte ne coupe pas la compréhension ni le suivi de l'histoire même pour le spectateur ne connaissant pas toutes ces langues. Cette tendance dans la production européenne peut être observée au cinéma avec Land and Freedom38 Cependant le déterminisme culturel est marqué dans le jeu des acteurs par la diction d'étrangers parlant la langue de l'autre avec un fort accent. Par ailleurs dans le texte lui-même on sent bien au XVIIe siècle que le basque, langue employée de préférence par Inessa est la langue du dominé, le dominant (greffier, alcalde, inquisiteur) emploit l'espagnol.

Les anachronismes et les références au passé :

32 En outre, le texte reste ouvert aux acteurs qui lors de la première représentation s'en donnent à cœur joie pour augmenter le nombre d'anachronismes se référant au XXe siècle. Ainsi, une femme dit se contenter de nourriture pour chiens et chats à cause de la faim pendant la guerre à Sarajevo39. Ces initiatives de répliques ajoutées ne font qu'abonder dans le sens du texte qui se réfère à la Bérésina, à la Saint-Barthélémy40, au centralisme jacobin, au code Napoléon. Les références culturelles se multiplient.

33 Ces anachronismes répétés permettent de faire fonctionner le spectacle non pas comme une reconstitution historique mais comme une référence à notre actualité à travers la vie d'une femme du XVe siècle. De plus, ils s'intègrent bien au texte, ne sont jamais choquants, maintiennent le ton juste qui correspond à chaque personnage ce qui n'est pas un des moindres mérites de la pièce.

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34 A la co-création auteur-acteur s'ajoute une autre co-création avec le spectateur qui peut donner sa propre interprétation. Nous allons l'observer à travers les symboles. De plus l'inter-textualité impose la loi de la poésie, l'anti-réalisme, le texte prend corps dans la mimique et le geste des acteurs et les sens se multiplient pour donner sa valeur à ce théâtre.

Les symboles :

35 Dans un espace fermé symbolique chaque acteur assume différents rôles en relation avec la vie d'Inessa. La barcasse avec moteur, rame, voile, devient objet hybride et représente la vie de l'homme soumis dans ses luttes et dans l'affirmation de lui-même toujours aux mêmes adversités à travers les siècles. Mais le bateau enlisé avec son capitaine qui ne sait pas où il va donne une dimension tragique. Les interventions du maître du bateau marquent les relations possibles au pouvoir d'où surgissent les conflits entre les personnages.

36 Inessa est le personnage représentatif de la femme éternellement brimée, des minorités bafouées, de l'homme qui souffre dans sa différence face aux autres et surtout face au pouvoir, qui défend des cadres préétablis et rigides.

37 Ce théâtre hérite de quelques traits de la génération symboliste et du nouveau théâtre espagnol (1965-1975) qui est un moyen de protestation sociale, un théâtre expérimental anti-réaliste. Nous retrouvons ici la tendance au symbolisme et à l'allégorie. Ce destin de femme pourchassée, emprisonnée, expulsée, qui refuse de se soumettre à l'autorité est un destin de femme emblématique. L'auteur souhaite par ce biais rejoindre le théâtre européen et américain dans son action pour la défense des droits de la femme, certains y ont vu la défense des droits d'un peuple...

38 Un effort permanent est fait pour rompre les structures de lieux (barcasse/bureau/ village/tribunal) et de temps (voyage sur quatre siècles). L'influence des techniques cinématographiques est claire : bruitages et jeux de lumières montrent les différents moments du jour et de la nuit autour du bateau, rappels (De Lancre, Montaigne). Ces méthodes permettent d'aller au-delà de l'expérience quotidienne réaliste car on peut évoquer des espaces multiples et des souvenirs nombreux, par le rêve, la fantaisie et l'imagination. Ces techniques débouchent sur une réflexion permanente sur notre milieu, notre histoire et sa fonction. Par ailleurs, la pièce exhibe sa théâtralité de façon consciente. L'écriture du texte aussi bien que la création marquent la difficulté du passage du travail de groupe à celui d'un auteur prédominant, pour Inessa de Gaxen la création collective a perdu sa suprématie41.

39 Comme lecteur et spectateur nous avons pu constater l'adéquation du texte-théâtre (celui qui est conçu et écrit pour être représenté) et du texte spectacle (celui qui est réalisé pendant la représentation) qui montre la connivence entre le metteur en scène et l'auteur qui semblent partager de nombreuses conceptions autour de la création du personnage central moteur Inessa de Gaxen. Par ailleurs, nous pouvons affirmer avec André Andioc que le théâtre de magie est un théâtre populaire qui connaît un vif succès car il donne au spectateur l'illusion de la réalisation complète de son être que lui refuse l'ordre social existant42. Cependant nous avons pu observer une réception mitigée du public dans une salle comble, non pas arrêté par le trilinguisme mais par la multiplication des références culturelies dont certaines restaient hermétiques. Cette

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dimension quelque peu didactique – n'oublions pas que l'activité principale de l'auteur est l'enseignement – est intéressante mais rend plus difficile d'accès les jeux de l'action. C'est peut-être là que se situe la difficulté de communication entre émetteurs et récepteurs, qui selon le spécialiste du théâtre espagnol Francisco Ruiz Ramón43, caractérise le théâtre contemporain. Cependant l'auteur lève le voile sur certains mécanismes et nous place au croisement de la magie et de la religion, de la magie et de la science, de la magie et de l'art, de la magie et de la poésie. Nous sommes face à une féconde tension dialectique entre la permanence et le changement, l'identité et la différence, la confrontation et l'action conflictuelle du présent. Ce nouveau théâtre recherche la transformation de l'individu, de l'être humain et non plus celle du monde44 avec une prédilection pour tout ce qui est marginal 45, il est à la recherche d'histoires répétitives qui montrent la souffrance universelle46.

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NOTES

1. Ruiz, Ramón, Francisco, Historia del teatro español, Madrid, Cátedra, 1988, 385 p, p. 57 : Cette œuvre hérite de la tradition de la comédie romaine, de la comédie élégiaque médiévale et de la comédie humaniste des XIVe et XVe siècles. 2. Rojas, Fernando de, La Célestina ou Tragicomedia de Calixto y Melibea [1499], Paris, Gallimard, 1983. 3. Recréation de la Célestine au XXe siècle, le 13 Novembre 1940, au Teatro Español de Madrid, Bernai, Francisca, Oliva, César, El teatro público en España, 1939-1978, Madrid, Ediciones J. Garcia Verdugo, 1996,141 p, colección texto y contexto. L'adaptation est de Felipe Lluch et la mise en scène de Cayetano Luca de Tena. Les critiques

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furent favorables. Elle reste à l'affiche pendant 20 jours, chiffre assez considérable pour cette période. Ce même théâtre met en scène d'autres œuvres en relation avec la magie : la tragédie de Macbeth 1942, Le songe d'une nuit d'été 1964, Le chevalier d'Olmedo 1953, les sorcières de Salem 1956. 4. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p. 5. Gertz Clifford, Bali, interprétation d'une culture, Paris, Gallimard, [1972], 1983, 255 p. Auteurs multiples, Ed. by Akbar S. Ahmed and David M. Hart, Islam in Tribal Societies, from the Atlas to the Indus, Thetford, Norfolk, Routledge and Kegan Paul, 1984, 343 p. Lévi Strauss, Claude, El pensamiento salvaje, México, Fondo de Cultura Económica, [1962] 1964, 413 p. 6. Heugas, Pierre, La Célestine et sa descendance directe au XVIe siècle, Bordeaux, 1973 (elles ne furent pas des œuvres essentielles). 7. Vega Carpio, Lope de, 1620-1625, La Dorotea, 1632 (plus action en prose que théâtre), in Obras, Madrid, Ed. Real Academia, 1916-1930. 8. Vega Carpio, Lope de, 1620-1625, El caballero de Olmedo, in Obras, Madrid, Ed. Real Academia, 1916-1930. 9. Ruiz de Alarcón, Juan, Quien mal anda en mal acaba, Obras completas, Mexico, FCE, 1957. 10. Zamora, Antonio de, El hechizado por fuera (satire du roi Charles II qui se croyait ensorcelé). 11. Mira de Amescua, El esclavo del demonio (légende de Fray Gil de Santarem qui passe de la tentation dans sa vie d'ascète au pacte avec le diable, à la vie de pécheur et à sa conversion), in Teatro, Madrid, ed. de la lectura, 1926. Calderón de la Barca, El mágico prodigioso, in Obras, Madrid, BAE, 1945, T II, p. 182-192. 12. Yates, p. 504. Yates, Frances A., Giordano Bruno et la tradition herméneutique, Paris, Dervy Livres, 1988, 558 p, p. 134-141 13. Delumeau Jean, La peur en occident, Paris, Fayard, 1978. 14. Cohn, Norman, Los demonios familiares de Europa, Madrid, Alianza ed., 1980. 15. Thomas, Keith, Religion and the declive of magic, (Trowbridge, Wiltshire, Redwood, Press limited, : 1971), 716 p., p 436. 16. Institoris, H, Sprenger, J. (Kramer J.), Maliens malefîcarum (le marteau des malfaitrices, 1489), El martillo de las brujas, Madrid, Felmar, 1976. 17. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 30. 18. Réf. Inquisitoriales : Inquisition de Saragosse, livre 991, folio 633, 634, 653, Francisco Casabona « Conocedor de brujas », folio 574, 575, Andres Mascarón, « Conocedor de brujas », archives historiques nationales de Madrid. 19. Caro Baroja, Julio, Estudios vascosy brujería vasca, San Sebastian, Ed. Txertoa, 1975, 315 p, ch. VIII, « Las brujas de Fuenterrabia », p. 227-242. 20. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 30. 21. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 30. 22. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 32. 23. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 33. 24. Remarquons l'importance de cet aspect de la vie depuis les études freudiennes jusqu'en 98 où la diffusion d'une cassette vidéo sur les aventures d'un président fait baisser la bourse et où les reportages à la télévision se multiplient à cause du début de la vente du Viagra, nouveau philtre d'amour. Par ailleurs, les associations de défense de l'enfance maltraitée déclarent que les revenus mondiaux du tourisme sexuel sont aussi importants que ceux rapportés par la vente d'armes ou par la vente de drogue. 25. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 37. 26. Invocation à St-Barthélémy : « St-Barthélémy, patron de cette nuit, toi qui a accompagné notre Seigneur sur la terre, ne nous abandonne pas. St-Barthélémy. St-Barthélémy » ; cette invocation qui se veut religieuse fonctionne comme les invocations magiques de type

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traditionnel avec son rythme ternaire. Par sa répétition, elle a une fonction calmante et hypnotisante, in Inessa de Gaxen, p. 31. 27. Russel, Chapitre IV, « Démonologie et médecine », p. 81. Sciences et religions, traduit de l'anglais par Philippe Mantoux, Paris, Gallimard, 1957, 250 p. 28. Yates : p. 113. Cet auteur cite Pic de la Mirandole qui, à la Renaissance, considère la magie naturelle comme licite, pour lui, il s'agit de l'établissement de liens entre la terre et le ciel moyennant l'utilisation appropriée de substances naturelles selon les principes de la magie sympathique, autrement dit, le mage épouse le monde. 29. Bible, Exode, 27, 18. 30. Doménech Rico, Fernando, Inessa de Gaxen, Bordeaux, Théâtre Avenir, 1995, 174 p, p. 25 : le sergent : cette potion pour... enfin tu me comprends... / Inessa : le Maríage va vous coûter cher/Le sergent se retire avec son flacon. 31. Sánchez Ortega, María Elena, « Woman as source of Evil » in Counter-Reformation Spain, p. 196-215 in Culture and control in counter-Reformation Spain, Hispanic Issues, Volume seven, University of Minnesota, 1992, Mineapolis/Oxford, 267 p. 32. Henningsen, Gustave, El abogado de las brujas, brujeria vasca y inquisición española.Madrid, Alianza editorial, 1983. 33. Le théâtre des Tafurs crée en collaboration avec URRIA un spectacle sur Pierre de Lancre à St-Pée sur Nivelle en 1979. Ce conseiller au parlement de Bordeaux épouse une nièce de Montaigne, il est désigné par Henri IV en 1609 pour enquêter sur la sorcellerie dans le Labourd. Il publie en 1612 le Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons, Paris, Aubier, 1982, 388 p, il fait référence au procès de Logroño, p. 362-363. 34. Montaigne, Michel Eyquem de, Essais, 1580, 1587, 1588, (maire de Bordeaux, membre du Parlement de Paris), Paris, Librairie générale française, 1972, 3 tomes. 35. Floeck Wilfried, “ Una aproximación panorámica ”, p 1-46, Teatro español contemporáneo, autores y tendencias, Kassel. Édition Reichenberger, 1995. 36. Basajaunaren Oparia (1988-89) – Ametsetan (1989) – Harri Majikoa (1990) – Zubian Blai (1990-91 ) Hamelingo Musikariak ( 1991 -92). Ces spectacles ont donné lieu à environ 320 représentations dans les trois langues. 37. Breton, Dominique, « Un caso de trilinguismo en el discurso teatral : Inessa de Gaxen de Doménech Rico », in Théâtre et territoires, Colloque de Bordeaux III, Janvier 1996, Bordeaux, MPI, (sous presse). 38. Loach, Ken Land and freedom, film, Grande Bretagne, 1995, trilinguisme : anglais, espagnol, catalan. 39. Capitale de la Bosnie. 40. La référence à St-Barthélémy n'est pas innocente : c'est un rappel du massacre des protestants à Paris du 243 au 24 Août 1572. Il y eut plus de trois mille morts. Un grand nombre de chefs calvinistes furent exterminés. Mais la résistance se poursuit dans l'ouest et le midi. Du massacre des sorcières nous passons du massacre lors des guerres dans une vision universelle et atemporelle du phénomène. 41. Sanchis Sinisterra, José, 1993, propos recueillis par Vizcaino, Joaquin, « Nuevos rumbos. Con la llegada de la crisis, los dramaturgos toman la palabra para reflejar criticamente la sociedad ». El Pais. Babelia 06.02.1993, p. 4-5. 42. Andioc, René, Teatro y sociedad en el Madrid del siglo XVIII, Madrid, Fundación Juan Harch, Castalia, 1976. 43. Ruiz Ramón, Francisco, Vanderbilt University, USA, « Introducción a una patología del teatro español contemporáneo, p. 13-28, De lo particular a lo universal, el teatro español del siglo XX y su contexto, Frankfurt am Main, J. P. Gabriele éditeur, Madrid, Iberoamericana, 1994, 239 p

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44. Oliva Cesar, Teatro español contemporáneo, Madrid, Fondo de Cultura Económica, en parlant de la génération des “novisimos”, il affirme que le théâtre espagnol cherche désespérément l'esthétique bien plus que les idées, on pourrait discuter ce point de vue dans la pièce Inessa de Gaxen mais c'est un autre aspect qui reste à étudier, l'espace qui nous revient ici ne nous en ayant pas donné le loisir. 45. Alonso de Santos, José Luis, Bajarse al moro, Madrid, Castalia, 1985. 46. Nous remercions ici Fermando Doménech Rico pour l'entretien qu'il a bien voulu nous accorder autour de son œuvre et pour les documents qu'il a eu la générosité de nous envoyer.

INDEX

Index chronologique : 16e siècle, 17e siècle, 18e siècle, 19e siècle, 20e siècle Thèmes : histoire, littérature Mots-clés : critique littéraire, Doménech Rico Fernando, magie, sorcellerie, théâtre

AUTEUR

YVETTE CARDAILLAC-HERMOSILLA Université de Bordeaux III [email protected]

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Le renouvellement de la prose basque a travers Buruchkak (1910) de Jean Etchepare

Jean Casenave

1 Jean Etchepare (1877-1935) appartient à la deuxième génération des écrivains basques formés à l'école de la presse. En 1910, il édite un recueil de textes intitulé Buruchkak. Le livre est composé de chroniques déjà publiées dans l'hebdomadaire Eskualduna et d'essais inédits, audacieux par le propos et novateurs au plan littéraire. L'ouvrage est critiqué par la partie la plus conservatrice du public bascophone et l'auteur doit rapidement cesser de le diffuser. Ce rejet pose le problème des relations que l'œuvre en langue basque entretient avec son milieu culturel.

1. Un contexte culturel favorable

2 La période qui couvre la seconde moitié du XIXe siècle et le début du XX e a été déterminante dans l'histoire de la culture basque moderne. En effet, on y trace des perspectives radicalement nouvelles et on y définit des cadres idéologiques et esthétiques qui sont, pour une grande part, encore les nôtres aujourd'hui. De plus, comme l'ont montré des travaux universitaires récents1, c'est durant cette période parfois qualifiée de « Renaissance » que se construit notre littérature moderne par l'introduction de nouveaux genres et notamment le roman, comme par un fort renouvellement des principes esthétiques, dans le domaine de la poésie tout particulièrement.

3 Sous l'impulsion de quelques fortes personnalités, le monde basque et la langue qui lui est attachée accèdent dans la deuxième moitié du XIXe siècle à une véritable existence culturelle. La langue suscite un discours savant au retentissement international. Et c'est, notamment, dans le cadre des célèbres Fêtes basques de la deuxième moitié du XIXe que les acteurs culturels de l'époque s'attachent à définir une identité basque et s'efforcent de lui donner ses attributs distinctifs et ses formes esthétiques propres.

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C'est donc une véritable imagerie culturelle qui se constitue. La production littéraire écrite apporte une contribution décisive à l'établissement de ce modèle identitaire en se transformant de façon remarquable en l'espace de quelques années.

4 Au premier rang de ces changements, la mutation linguistique qui s'opère à la fin du XIXe siècle en réponse aux exigences de la presse nouvellement créée en langue basque présente un intérêt considérable. Cette mutation suscite dans les provinces du nord du Pays Basque l'apparition du « navarro-labourdin », une forme dialectale élargie comme son nom l'indique. Elle donne naissance, notamment dans l'hebdomadaire bayonnais l'Eskualduna à une prose fortement renouvelée 2, novatrice dans sa conception puisqu'adaptée à une nouvelle fonction. Cette évolution linguistique a eu, de surcroît, comme ses pendants guipuscoan ou biscayen, la bonne fortune de connaître une transposition et un couronnement littéraires.

5 En effet, au milieu de réussites isolées et dans le sillage de Jean Hiriart-Urruty leur maître à écrire, Jean Barbier et Jean Etchepare, les deux écrivains majeurs du domaine navarro-labourdin, ont donné dans cette forme inter-dialectale nouvellement codifiée des œuvres qui ont aujourd'hui accédé au rang des classiques (Supazter chokoan et Piarres pour le premier nommé, Buruchkak et Beribilez pour le second). La situation culturelle du début du siècle semble propice à la création littéraire. Un vif intérêt pour l'identité, une reconnaissance sociale et scientifique pour la langue, des domaines linguistiques en cours de renouvellement : le développement d'une littérature moderne apparaît comme l'aboutissement tout à fait naturel de ce contexte favorable. Et de fait, grâce au développement de la presse, au retentissement des Fêtes basques et à leurs concours littéraires, la production écrite franchit un palier sur le plan qualitatif comme quantitatif.

2. Un milieu bascophile divisé

6 Cependant, des ombres obscurcissent ce tableau. Ainsi, pour le cercle des érudits et des observateurs étrangers par exemple, la langue basque ne peut pas devenir une langue de culture à part entière. Ils la considèrent comme un objet d'étude certes remarquable mais un code incomplet et à jamais inachevé en quelque sorte, puisqu'il n'a pas donné lieu à une expression littéraire véritablement originale3 et que, de plus, il semble en voie d'effacement.

7 Mais ce point de vue des savants ne représente cependant pas le discours dominant dans le public bascophone. Le groupe qui porte ce discours est organisé autour de l'hebdomadaire l'Eskualduna et s'oppose vigoureusement à ce déclin annoncé même si leur position défensive n'est pas exempte d'un certain pessimisme4. Ce groupe possède un journal rédigé pour l'essentiel en basque, un organe de presse autour duquel il a su créer un public de plusieurs milliers de lecteurs réguliers. Cela lui permet de diffuser, à l'intention de la population des campagnes, son modèle identitaire. Celui-ci s'enracine dans le monde rural et se défie de ces phénomènes modernes que sont l'industrialisation et l'urbanisation.

8 Selon ce modèle, le Basque s'inscrit nécessairement dans la lignée familiale, en respecte les lois, pratique les modes de vie traditionnels et la religion catholique. Liant la pérennité de l'identité à celle ces valeurs, ils conçoivent la langue avant tout comme un « rempart » selon l'expression de J.P. Arbelbide5 ou un « isolant » pour reprendre les mots de P. Lhande6. Pour affronter l'avenir et se protéger des influences extérieures

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jugées préjudiciables à son identité, le monde basque doit selon eux se replier sur lui- même.

9 C'est sur cet arrière-plan culturel que vient s'inscrire la production littéraire du début du XXe siècle. Les écrivains de langue basque sont confrontés à un double défi : d'une part, il leur faut faire de leur langue, une langue de culture à part entière en donnant notamment naissance à une expression littéraire de qualité, à la fois moderne et élargie par rapport aux usages conventionnels ; d'autre part, ils doivent réaliser une transposition littéraire de ce modèle identitaire que le XIXe siècle leur a laissé. Dans le domaine du navarro-labourdin, c'est Jean Etchepare qui, précédant Jean Barbier de quelques années, relève ce défi en publiant en 1910 un recueil de textes intitulé Buruchkak. En fait, ce livre répond implicitement aux deux questions évoquées à propos des débats de la période. Aux lettrés qui considèrent la langue basque comme inapte à se hisser au rang des langues de grande culture, il propose un véritable projet littéraire et apporte la preuve que l'on peut aborder, en langue basque, toutes sortes de sujets même les plus intimistes ou les plus abstraits dans un registre linguistique élevé. Et à l'intention du milieu bascophone partisan de l'identité traditionnelle, Jean Etchepare avance l'image d'une société basque qui cultive ses propres valeurs comme ses représentations esthétiques mais qui s'efforce aussi de les renouveler tout en s'ouvrant aux évolutions du monde extérieur.

3. L'originalité de Buruchkak.

10 Pour composer son livre, Jean Etchepare, reprend quelques-unes des chroniques qu'il a publiées dans l'hebdomadaire bayonnais7 entre 1903 et 1909. A ces articles, il joint plusieurs essais inédits dont l'audace du propos et l'orientation résolument littéraire ne passent pas inaperçues. Venons-en maintenant à ce qui fait l'intérêt de cette œuvre. D'abord, il faut noter qu'elle représente, du point de vue chronologique, le premier essai véritablement abouti d'une mise en forme littéraire de la langue codifiée dans l'Eskualduna. Dès les années 1908-1909, l'auteur de Buruchkak disposait d'une production suffisamment riche pour publier un recueil totalement inédit. Or, il retient en définitive un ensemble hétérogène qui mêle des reprises d'articles – retravaillés8 dans l'optique de la constitution du recueil – à des textes originaux. En publiant la plupart de ses essais sous forme de chroniques journalistiques dans les deux ans qui précèdent leur parution en volume séparé, le jeune écrivain a voulu procéder à une première socialisation de ses textes et a recherché une forme de validation anticipée. En effet, la stratégie adoptée par l'auteur était destinée, sans doute, à faire accepter les innovations formelles et les points de vue audacieux contenus dans les essais inédits de Buruchkak et notamment le long article consacré à l'enseignement (« Nor eskolaemaile. Zer irakats. ») qui proposait, dans une perspective laïque, d'écarter les membres du clergé du domaine éducatif, ainsi que l'essai sur l'amour (« Amodioa ») au lyrisme subtil mais trop direct dans ses évocations pour ne pas choquer un milieu sourcilleux sur le plan de la morale sexuelle. Ce choix de mêler anciennes et nouvelles productions est très significatif sur le plan de la communication littéraire. L'effort consenti par l'écrivain pour ajuster son ouvrage à la réalité du champ culturel basque est donc perceptible à travers le processus de composition du recueil et les options stylistiques retenues.

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11 Sans entrer ici dans une étude détaillée du contenu du livre, on peut tout de même indiquer brièvement en quoi Buruchkak renouvelle profondément la production écrite de son temps. On peut retenir quatre innovations importantes. La première concerne le traitement de la thématique basque. L'écrivain travaille la symbolique identitaire par l'intermédiaire de tableaux et de portraits largement tributaires de la veine idéaliste propre à la production littéraire de la deuxième du XIXe siècle. On y perçoit également l'influence déterminante de la partie basque de l'œuvre de Pierre Loti. Mais, l'apport de Jean Etchepare ne se limite pas à la transposition esthétique de certains tableaux traditionnels ou à la reprise de ceux qui figurent dans Ramuntcho9. Il a aussi élargi le cadre thématique habituel en introduisant des sujets jusqu'alors demeurés inédits dans son espace linguistique en abordant des questions d'esthétique, de philosophie morale et même de sociologie. Dans ce premier ouvrage, il a très clairement souhaité élargir son domaine d'écriture en sortant l'espace de quelques essais des cadres jusqu'alors identifiés comme exclusivement basques, en donnant à certains de ses textes une dimension universelle.

12 La deuxième innovation concerne l'expression de la subjectivité. Celle-ci existe dans la poésie lyrique de la fin du XIXe siècle, mais elle demeure très conventionnelle et elle est quasiment absente du domaine de la prose. Jean Etchepare fait d'elle l'un des ressorts de Buruchkak. Rompant avec l'attitude conventionnelle de l'écrivain de langue basque qui s'exprime au nom d'une institution ou se considère comme le porte-voix autorisé de sa communauté, dans Buruchkak, Jean Etchepare se raconte et parle en son nom personnel de façon plus ou moins voilée. Cela passe par le recours au récit autobiographique ou l'adoption d'une position narrative singulière. Quelles que soient les formes de réalisation littéraire, Jean Etchepare accorde dans ses textes une place à l'évocation de l'individu non pas en l'opposant à l'identité collective mais en en faisant un prolongement complémentaire et enrichissant. C'est l'un des incontestables éléments de modernité apportés par l'ouvrage dans le cadre de la littérature basque de l'époque. Ainsi, il transforme la chronique journalistique, son modèle de référence, pour créer des textes plus étendus et plus complexes qui prennent la forme de l'essai ou du récit autobiographique.

13 Cet élargissement générique s'accompagne d'un intense effort d'adaptation du matériau linguistique disponible dans son domaine dialectal aux besoins d'une expression littéraire ambitieuse et c'est là le troisième élément incontestablement novateur apporté par Jean Etchepare avec Buruchkak. Pour se donner les moyens stylistiques de ses expérimentations, sans perdre de vue les notions de cohérence dialectale et de vraisemblance lexicale, il s'efforce d'élargir les capacités du code linguistique mis au point dans l'Eskualduna. Cependant, on ne peut observer dans ces diverses expérimentations de rupture avec la production immédiatement antérieure puisque Jean Etchepare prolonge l'entreprise d'élargissement et de codification de la langue engagée par la presse, en matière d'orthographe et de création lexicale tout particulièrement. Ainsi, il s'efforce de mêler intelligence de la langue et créativité en expérimentant des formes d'organisation syntaxiques variées et complexes – par exemple ajustées au développement désordonné du monologue intérieur – à partir de modèles déjà connus. Dans Buruchkak, il définit un code littéraire par lequel il contribue de façon décisive à l'établissement de la prose basque moderne.

14 A côté de la recherche d'un registre littéraire exigeant, ce qui est nouveau dans Buruchkak et ensuite dans l'œuvre critique de l'écrivain, c'est cette réflexion sur le

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fonctionnement littéraire de la langue, sur son esthétique. Même s'il a considéré jusqu'à la fin de sa vie, le code littéraire établi dans Buruchkak comme une réussite, le travail que Jean Etchepare mène plus tard dans Beribilez10 montre bien qu'il s'agissait là pour lui d'un état de langue transitoire. C'est, par exemple, dans un esprit d'expérimentation et non à partir de positions idéologiques ou simplement de logique grammaticale qu'il fait un usage stylistique appuyé du verbe simple ou qu'il élargit les compétences lexicales de son dialecte ou encore travaille le langage figuré. Autant d'objectifs qui, retirés de leur contexte, ont valu une réputation de puriste très exagérée à Jean Etchepare.

15 Enfin, si l'apport stylistique – que certains jugeront donc quelques années plus tard trop élitiste – paraît aujourd'hui fondamental, il n'est cependant pas le seul enjeu formel de Buruchkak. Ce choix d'un registre exigeant le conduit en effet à s'interroger sur la question de la communication littéraire, implicitement dans son ouvrage puis de façon tout à fait ouverte après le retrait du livre. L'écrivain pose les problèmes de l'élaboration, de la diffusion et de la réception de l'œuvre en langue basque en des termes modernes et c'est la quatrième et dernière innovation d'importance apportée par Buruchkak.

16 S'appuyant sur son expérience de chroniqueur, il élabore un système d'énonciation (formes d'implication du lecteur et marques de la présence de l'auteur) susceptible de capter un public potentiel davantage préparé à la lecture de la presse qu'à celle du texte littéraire. C'est donc également en écrivain qu'il essaie d'évaluer l'état de la situation culturelle et les compétences des lectorats qu'il vise, celui de l'Eskualduna et celui des lettrés. Cela afin d'élaborer un programme de lecture éclectique susceptible de satisfaire tout le monde mais d'où n'est pas exclue une certaine forme de provocation.

17 Cependant, son ouvrage exigeait en son temps une attitude de lecture nouvelle, plus active qu'à l'ordinaire et plus autonome par rapport aux discours dominants. Or, ce lecteur idéal dont Jean Etchepare sollicite la coopération et même souvent la complicité ne correspond pas au lectorat réel. L'horizon d'attente et les compétences de ce public ne cadrent pas avec le programme littéraire ambitieux proposé par l'auteur de Buruchkak. L'histoire éditoriale du livre indique assez l'importance du fossé qui existait entre le destinataire inscrit dans le texte et le public bascophone courant peu intéressé par les démarches de renouvellement sur le plan des idées comme sur celui des formes littéraires. Depuis les modes d'implication du lecteur dans le discours littéraire jusqu'aux propositions pour améliorer les compétences du lectorat, Jean Etchepare aborde là quelques-uns des thèmes sur lesquels il se retrouvera très isolé tout au long de sa vie, sans doute parce qu'il était en avance sur ses contemporains.

4. La situation du livre dans la production littéraire de son temps

18 Presqu'un siècle après la parution de Buruchkak, la question des difficultés de réception du livre constitue avec la dimension littéraire le point le plus intéressant du dossier critique. L'ouvrage occupe une position singulière dans le champ culturel basque puisqu'il se situe à la fois dans le cadre et hors du cadre. Il se place dans le cadre car il est produit et publié au cœur même du groupe de l'Eskualduna. Mais, dans le même temps, il se positionne également hors du cadre du fait même de la personnalité de son

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auteur. De par sa formation de scientifique, sa culture personnelle et sa position de laïc, J. Etchepare s'est forgé une indépendance, un recul critique inhabituel tant au plan des idées que de l'esthétique. C'est cette liberté de penser et d'agir qui l'autorise à introduire dans Buruchkak des thèmes étrangers au monde basque, des thèmes jugés futiles ou poétiques et des sujets tabous.

19 Cette structure littéraire ouverte et ce mélange des genres, cet intérêt porté aux thèmes les plus élevés comme aux réalités les plus triviales, enfin, cette manière de proposer une pluralité de modèles sans en imposer un seul conduisent, toutes proportions gardées, à penser à Montaigne ou à la génération des Lumières. Comme eux, Jean Etchepare a eu le souci de mettre sa pensée au service de la collectivité sans renoncer au plaisir personnel de créer.

20 Observons maintenant en quels termes cet ouvrage permet de poser la problématique de la création littéraire au début du siècle dans le domaine dialectal du navarro- labourdin. Il s'agit, avant tout, de s'interroger sur la fonction qui dans un tel contexte est assignée à la littérature. En fait, elle paraît conçue en grande partie comme une entreprise d'illustration d'une identité basque qui tend à se replier sur elle-même dans un souci de défense et préservation de valeurs considérées comme, de façon immémoriale, indissolublement liées au patrimoine identitaire. Pour illustrer cette forme de pensée, on peut évoquer l'inclusion systématique des valeurs chrétiennes et rurales à la définition de l'identité basque que pratiquent des auteurs aussi populaires dans le public que J.P. Arbelbide, B. Joannateguy, J. Hiriart-Urruty, J. Moulié ou J. Barbier11.

21 Que, dans ce cadre, la parution de Buruchkak ne manque pas d'apparaître comme une brèche ouverte dans la façade d'un édifice littéraire homogène relève de l'évidence. La véritable question est de savoir si le livre avait quelque chance d'être reçu, compris et accepté, s'il pouvait jouer un rôle actif de ferment culturel et littéraire, encourager l'émancipation de la pensée et enfin, s'il pouvait constituer l'amorce d'un courant créateur susceptible de prendre une certaine autonomie par rapport aux références identitaires les plus répandues.

22 En d'autres termes, cela revient à se demander tout simplement s'il était possible, dans le milieu bascophone du début du siècle, de dire autre chose que ce que ce que proposait le discours dominant ? De plus, si l'on considère également le domaine proprement littéraire, un écrivain pouvait-il envisager de considérer la langue basque comme un objet signifiant à part entière, en somme, proposer un usage essentiellement esthétique de ce matériau tout en étant admis par ses contemporains ? Ce sont toutes ces questions que posent implicitement les textes de Buruchkak. Le rejet du livre que l'auteur est contraint de cesser de diffuser quelques mois après sa parution indique bien que la réponse à ces questions est négative.

23 Alors, bien sûr, on doit se demander pourquoi il était irrecevable dans son milieu culturel. Sur le sujet, on possède les explications de P. Lafitte qui indique que l'essai sur l'éducation et notamment la charge contre la présence des prêtres dans l'enseignement avait mécontenté nombre des partisans d'Etchepare. Il ajoute aussi que l'essai sur l'amour avait tout pour choquer malgré les précautions rhétoriques prises par son auteur.

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24 Et pourtant, comment comprendre qu'une communauté qui se déclare menacée de disparition, elle comme sa langue, puisse repousser une œuvre issue de ses rangs, plutôt que de fermer les yeux sur quelques écarts ?

5. Une fonction littéraire en crise

25 En fait, ce phénomène de rejet à l'égard d'un texte qui n'a rien d'un pamphlet brutal est le symptôme d'une crise bien plus profonde qui nous conduit à nous interroger à travers Buruchkak sur le rôle que la société bascophone du début du siècle assigne à sa production littéraire. Ici, il faut dépasser les conclusions de P. Lafitte très largement liées au contexte passionnel de l'époque et poser le problème en des termes plus techniques à partir de notre conception moderne du texte littéraire.

26 Comme tous les auteurs marquants, il ouvre des perspectives sur le plan de la pensée, de l'esthétique et de l'expression littéraire. En rejetant cette œuvre qui pourtant le conforte dans sa singularité et le renouvelle, le milieu culturel bascophone local confirme qu'il est bien engagé dans un processus de repli durable. Ce point nous amène donc au deuxième volet de notre interrogation, à savoir les rapports entre l'œuvre littéraire et son lieu d'apparition étudiés à travers l'exemple de Buruchkak. Bien sûr, on peut suivre P. Lafitte lorsqu'il indique que le livre a été censuré pour incompatibilité idéologique et « atteinte aux bonnes mœurs ». Mais c'est surtout parce que le milieu bascophone du début du siècle se fait une idée restrictive du rôle de la production écrite que l'ouvrage est rejeté. Les représentants les plus influents de ce milieu conçoivent la littérature comme l'illustration et l'idéalisation du modèle identitaire collectif qu'ils ont contribué à définir. La transposition littéraire se réalise donc sous la forme de récits linéaires très convenus du point de vue esthétique et porteurs de raisonnements simplifiés jusqu'à l'excès dans un souci pédagogique.

27 Mais en encadrant la création littéraire d'une façon aussi contraignante, en enlevant aux créateurs leur autonomie esthétique et critique, ne se privent-ils pas de possibilités d'évolution ? On peut constater que dans le domaine du navarro-labourdin par exemple, au cours des années vingt, c'est la veine créatrice conventionnelle représentée par Jean Barbier qui est mise en valeur. En revanche, on considère la voie proposée par J. Etchepare comme exigeante voire élitiste et de surcroît trop peu orthodoxe. C'est ainsi que tout en maintenant Buruchkak sous l'éteignoir – ni diffusion de la première édition ni réédition d'une version remaniée –, on n'accorde qu'un succès d'estime à Beribilez. Et ce, pendant qu'outre Pyrénées, de jeunes écrivains comme Lizardi ou Lauaxeta s'employaient à faire évoluer le modèle littéraire laissé par la génération de D. Agirre. En définitive, le rejet de Buruchkak représente une forme de rendez-vous manqué en tous points dommageable pour le domaine dialectal du navarro-labourdin. Cependant, Jean Etchepare ne renonce pas. En effet, ce mouvement créateur qui l'a mené des premiers articles à la publication de Buruchkak se poursuit bien après le retrait du livre mais sous une autre forme. Après 1910, l'écrivain tire les leçons de son échec et constate que, dans son milieu culturel, les conditions d'accueil du texte littéraire ne sont pas remplies. C'est pour cela qu'il s'engage dans les institutions culturelles et travaille, tant à la tête de l'Eskualzaleen biltzarra que dans les colonnes de l'Eskualduna, à établir ces conditions de réception.

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NOTES

1. Jon Kortazar, Teoría y práctica poética de Esteban Urquiaga, Bilbao, 1986. Ana Toledo, Domingo Agirre : Euskal eleberriaren sorrera, Bilbao, 1989. Karlos Otegi, Lizardi, lectura semiótica de BiotzBegietan, San Sebastián, 1993. Lurdes Otaegi, Lizardiren poetika, Donostia, 1994. 2. Dans chaque domaine dialectal, un processus de codification linguistique accompagne ce mouvement de rénovation de l'écrit. 3. On peut par exemple citer ces propos de Julien Vinson : « Plusieurs écrivains de mérite, français ou espagnols, étaient Basques. Mais il n'existe pas de littérature nationale proprement dite. Les quelques cinq ou six cents volumes en langue basque qui ont pu être répandus dans le pays sont des traductions du français, de l'espagnol ou du latin ; et le très petit nombre des ouvrages originaux ont été certainement pensés et écrits par des gens qui avaient reçu une éducation complètement française ou castillane. » Les Basques et le Pays basque, Paris, 1882, p. 124. 4. Pierre Lhande a exprimé ce point de vue dans son livre Autour d'un foyer basque, Paris, 1908, p. 147 : « D'autre part, nous rallier à ce progrès qui nous menace, prendre les devants, faire des concessions nous sauvera-t-il davantage ? » 5. J.P. Arbelbide, « Aintzin solasak », p. 19, in Igandea edo Jaunaren eguna, Lille, 1895. 6. Pierre Lhande, Autour d'un foyer basque, Paris, 1908, p. 144. 7. Jean Etchepare collabore à l'Eskualduna depuis le tout début du siècle (1902-1903). 8. L'étude des divers états du texte permet de suivre l'évolution du texte depuis sa fonction journalistique de type « utilitaire » jusqu'à son accès au statut littéraire. 9. Ramuntcho, Paris, 1898 : œuvre inspirée par un long séjour au Pays Basque à Pierre Loti. 10. Jean Etchepare, Beribilez, Bayonne, 1931. Ce récit d'une excursion dans le Pays Basque ne se limite pas à l'évocation des paysages et des villages basques traversés. Jean Etchepare glisse dans ces très belles pages – désormais rangées parmi les classiques de la littérature basque moderne- l'essentiel de ses conceptions philosophiques et esthétiques. Cependant, privilégiant une démarche allusive assez éloignée des procédés littéraires qu'il avait adoptés dans Buruchkak, l'écrivain ne se livre jamais ouvertement dans son second ouvrage. 11. Barbier J, Supazter chokoan, Bayonne, 1924 : « Eta zerk egiten du Eskualduna zinezko Eskualdun ? Elizak, Etcheak, Hil – Herriak, Mintzairak. Horietan datza Eskualdun arima guzia. » [Et qu'est-ce qui fait du Basque un véritable Basque ? L'Eglise, la Maison, Le Cimetière, la Langue. En eux se tient toute l'âme basque.]

INDEX

Thèmes : littérature Index chronologique : 19e siècle Mots-clés : Etchepare Jean (1877-1935), littérature basque

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AUTEUR

JEAN CASENAVE docteur en Etudes Basques [email protected]

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Sur la littérature de langue basque au XVIIIe siècle (conférence prononcée a l'université du temps libre a anglet le 23 juin 1998)

Jean-Baptiste Orpustan

Préambule

1 Parler de la littérature en langue basque du XVIIIe, et même de la littérature basque tout court ne va pas de soi, et peut-être encore moins si c'est en français, puisque l'on encourt en ce cas la moquerie en forme de reproche que, déjà au XVIIe siècle, Joannes Etcheberri « de Ciboure » (j'aurai à évoquer tout à l'heure celui « de Sare », qui est précisément du XVIIIe siècle) mettait en exergue de son manuel de dévotion Eliçara erabiltceco liburua (« Le livre à utiliser pour aller à l'église ») publié à Bordeaux en 1636. C'est un quatrain en basque labourdin côtier de Claverie, où celui-ci s'en prenait à Garibay, historiographe de Philippe II et premier historien de l'Espagne et du Pays basque (Compendio historial de las Crónicas y Universal Historia de todos los reinos de España, Anvers 1571), grand collecteur de textes basques anciens (proverbes, chants, récits), mais qui n'avait lui-même rien composé dans sa langue ou son dialecte biscaïen (que l'on parle à Mondragon, bien que cette ville soit en territoire guipuscoan), et à Baltasar de Echave qui avait publié en 1607 à Mexico son livre intitulé Discursos de la antigùedad de la lengua cantabra vascongada... Ce quatrain cité dans la Historia de la literatura vasca de Luis Villasante (page 71) est ainsi formulé : Burlatzen naiz Garibaiez, bai halaber Etchabez, zenak mintzatu baitire erdaraz Eskaldunez. Ezen zirenaz geroztik eskaldunak hek biak, Eskaraz behar zituzten egin bere historiak.

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2 « Je me moque de Garibay, et tout autant d'Etchabe, qui ont parlé des Basques en langue étrangère. Car du moment qu'ils étaient Basques tous les deux, ils devaient écrire leurs histoires en basque ».

3 L'intérêt de la formulation à part, c'est sûrement un point de vue un peu intolérant, et chacun conviendra, d'abord, qu'un discours écrit ou... une conférence se doivent surtout à leur public (toute l'Espagne et pas seulement les lecteurs basques d'Espagne, assez rares encore au XVIe siècle, pour Garibay, ceux, encore plus rares peut-être, du Mexique pour Echave etc.), et qu'il faut bien que les cultures et les écrits, et les littératures, soient aussi connues en dehors de leur pays et de leur langue d'origine, et même, dans un territoire aussi anciennement que le nôtre, et aujourd'hui plus que jamais, bilingue (et sans doute, de plus en plus, « plurilingue »...), dans « les langues » de leur pays. Il est donc bien naturel, mis à part l'intérêt de la citation, de ne pas se formaliser ici outre mesure du reproche de Claverie.

4 Un deuxième problème, beaucoup plus général quoique très surprenant pour quelqu'un de tant soit peu familiarisé avec la culture basque et en langue basque, et en un sens inverse du précédent, est posé parfois encore aujourd'hui (un de mes collègues de l'Université m'en donnait il y a quelques jours un exemple « tout frais »...) sous la forme d'une simple question : « mais..., y a-t-il une littérature en langue basque ? », ce qui en inclut évidemment plusieurs autres, dont celle-ci : « Y a-t-il une littérature de langue basque au XVIIIe siècle ? »

5 Oui, évidemment, bien que ce ne soit pas la plus familière aux Basques et même la plus accessible par simple défaut matériel (les lecteurs basques pourront, enfin, avoir accès à la prose d'Etcheberri « de Sare » avec le volume qui paraît ces jours-ci dans la série ouverte par « Atlantica reprise », et bientôt à la suite de celle du souletin Eguiatéguy dont un seul volume a été jusqu'ici, et récemment en 1984, publié par D. Peillen...), ni, mais ce peut être une raison de plus de ne pas la négliger totalement, la plus prestigieuse en qualité. En effet, s'il s'écrit pas mal de textes en basque (mais il s'en publie moins qu'il ne s'en écrit et ne s'en compose) en Espagne et en France au XVIIIe siècle, les provinces d'Espagne rattrapant cette fois le retard pris au siècle précédent, peu d'entre eux intéressent proprement la littérature et en particulier la littérature non religieuse.

6 Et puis, les écrivains du XVIIIe siècle, qui arrivent après des précurseurs prestigieux par la nouveauté et la qualité de la réalisation linguistique et littéraire, qui ont nom Dechepare (1545) le Cizain et Oyhénart (1657) le Souletin puis Bas-Navarrais pour la poésie, Liçarrague ou Leizarraga (1571) le Labourdin et Axular (1643) le Navarro- Labourdin pour la prose, avec encore des auteurs et des textes de moindre importance assez nombreux, se trouvent en position peu favorable, au moment même où la société s'urbanise (dans le double sens du mot), et où la langue, traversée de modes et d'apports nouveaux, se romanise un peu plus. Cette opposition ville-campagne, modernité-traditions, et au plan des valeurs sociales et morales luxe-frugalité, loisir- activité laborieuse, partout perceptible dans les écrits du temps, basques ou non, aboutit à l'extrême fin du siècle à l'une des œuvres clefs de la littérature basque : le Peru Abarca du Biscaïen Juan-Antonio Moguel, sorte de roman dialogué en forme théâtrale, le premier ouvrage de langue basque touchant au genre romanesque, qui sera achevé seulement en 1802. Mais des textes poétiques labourdins et bas-navarrais échappés à la destruction de l'éphémère (depuis le XVIe siècle bien des textes et même des recueils de textes n'ont ainsi laissé que la mention de leur existence...), et la prose

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moralisante du souletin Eguiatéguy, développaient déjà, dans les dernières décennies du siècle, la satire des nouveaux modes de vie.

1. Écrit basque et littérature au XVIIIe siècle

7 Écrit et publication supposent un public de lecteurs, Monsieur de la Pallice n'aurait pas dit autrement, certes. Or le public des lecteurs basques a été nécessairement réduit : d'abord par l'exiguïté du territoire et de la population des sept provinces (et des trois royaumes jusqu'à la fin de l'Ancien Régime : Espagne, France et Navarre, celle-ci, la seule « Basse-Navarre », en tant qu'État monarchique au moins théoriquement indépendant – ce qui sera fortement rappelé en 1789 – sous l'Union des couronnes de France et de Navarre depuis Henri IV et l'Acte d'Union), ensuite du point de vue de ses composantes sociales. Il y avait sûrement davantage de gens qui savaient lire qu'écrire, mais la population basque au XVII ? siècle reste pour l'essentiel encore rurale et peu ouverte, dans l'ensemble, aux divers aspects de ce que nous nommons la « culture générale », à plus forte raison « savante ». Le développement des villes commence à peine, et les villes, lieux d'échanges, de commerce, d'administration civile et ecclésiastique, sont par nature et partout (Bayonne comprise, évidemment) plurilingues à divers degrés. En même temps elles sont le lieu naturel des imprimeurs et des livres : après Bordeaux et La Rochelle (pour le protestant Liçarrague) au XVP siècle, et aussi Pampelune (recueil de proverbes de 1596), Bayonne est depuis le XVIIe siècle lieu d'édition de livres en basque.

8 Mais encore faut-il que les textes arrivent jusqu'à l'édition : on constate que, pour les seules œuvres de littérature « profane », ni les textes d'Etcheberri de Sare au début du siècle à l'exception des 40 pages de sa « Lettre de recommandation au Labourd » de 1718 (dont on a pu retrouver un ou deux exemplaires imprimés), ni Eguiatéguy à la fin (son Lehen liburua « Le premier livre » fut imprimé... en Allemagne, mais non pas édité !) pour la prose (et le Peru de Moguel achevé en 1802 a dû attendre la fin du XIX e siècle pour être publié), ni les poésies de divers auteurs couvrant l'ensemble du siècle, depuis la fin du règne du Louis XIV jusqu'au Consulat de Bonaparte, réunis dans le recueil manuscrit du Musée Basque, ni les poésies mondaines ou satiriques de Monho, ne sous sont parvenus sous forme de livre ou recueil publié en leur temps. A plus forte raison l'ensemble du théâtre comique et tragique populaire dit « souletin » (mais l'on sait par divers témoignages qu'il existait anciennement ailleurs), dont les premiers manuscrits conservés sont précisément du XVIIIe siècle, et les chants qu'on classe parfois dans la « littérature orale ». A ce propos, il serait sans doute préférable de parler, principalement pour la poésie chantée ou non (anciennement la poésie strophique est née du chant et était partout chantée comme l'indiquent les noms du sonnet, de l'ode, etc., et l'est restée au Pays basque jusqu'au XXe siècle, sauf exceptions comme Oyhénart...), de littérature « improvisée », puisque c'est seulement le passage à l'écrit, dû au hasard des collections (celles de Garibay au XVIe siècle, les chansons « à la mode » chantées par Garat au XVIIIe) ou au choix délibéré des « improvisateurs » aujourd'hui, passage à l'écrit réalisé par l'impression et la publication, qui lui a donné sinon vie, du moins survie. On voit bien ainsi que la poésie basque est soit de « caractère improvisé », même ou quoique écrite, soit de « caractère élaboré », ce qui définit non point deux niveaux de qualité, mais deux niveaux de style.

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9 Le public des lecteurs basques – pour y revenir – fut longtemps restreint à des couches bien délimitées, donc réduites, de la société : les principaux de la noblesse, qui furent longtemps bascophones (Urtubie, Etchauz, Belzunce, Luxe pour ne citer que les plus notoires des trois provinces), qui correspondaient entre eux en basque (il y a des lettres qui vont du XVIe au XVIIIe siècle, qui feraient un recueil utile...), les notables, avocats, médecins, puis les nouvelles couches citadines de petite bourgeoisie encore largement bascophones, comme on le voit bien quand les textes officiels et politiques de la Révolution, cahiers de doléances, déclarations publiques, sont rédigés en français et en basque. Mais surtout la lecture et l'écriture de la langue basque sont restées l'apanage presque exclusif des gens d'église. C'est par eux et pour eux que se fait presque toujours l'écrit basque, qu'il soit de nature littéraire, même profane, ou pas.

10 La plupart des ouvrages publiés, pourtant, restent dans le cadre de l'écrit plus que de la vraie littérature, qui suppose invention et élaboration d'une esthétique et d'une pensée. En France on a ainsi une série de traductions et retraductions des textes religieux, Imitation de Jésus Christ, les deux Testaments, des œuvres de saint François de Salle, d'Hérouville, dans une longue suite qui peut se dater 1720, 1749, 1750, 1757, 1775, 1777, 1778... dont les auteurs et prêtres labourdins, les plus nombreux, ont nom Chourio, Haraneder, Larréguy, Mihura ; en Basse-Navarre c'est le curé d'Ibarre Lopez qui adapte en dialecte mixain (1782) une version française de la Perfection chrétienne de l'Espagnol de la Renaissance (1526) Rodriguez ; Labourdins encore sont les auteurs des Méditations, « petites » pour le premier, « grandes » pour le second, Baratciart (1784) et Duhalde (publication posthume à Bayonne en 1809). Et l'Espagne, où le livre en langue basque prend enfin l'essor, n'est pas en reste : traductions encore, catéchismes et doctrines, manuels de dévotion ont pour auteurs le plus souvent des jésuites (Elizalde, Cardaveraz, Mendiburu, Lizarraga...), des franciscains (Ubillos, Añibarro), plus rarement des curés (Olaechea 1762). Autrement dit, si la littérature de création n'y trouve pas toujours son compte, la qualité de la langue non plus toujours (et c'est justement en raison de sa maîtrise stylistique tant dans la longue dédicace à Jeanne d'Albret que dans la traduction, la première en date, et les textes annexes, que le Testament de 1571 du protestant Liçarrague reste une œuvre de premier plan pour l'histoire littéraire basque), on écrit et on publie beaucoup en basque au XVIIIe siècle.

11 On y écrit aussi beaucoup sur le basque et les Basques, mais là c'est un peu pire, puisque c'est presque totalement en... espagnol, un peu en français, le basque n'y trouvant place, par nécessité, que dans les dictionnaires et lexiques et les exemples grammaticaux : les Labourdins sont Pierre d'Urte grammairien et lexicographe (1712) prêtre catholique converti au protestantisme et qui passa le plus clair de son existence en Angleterre, le notaire Harriet grammairien (1741), et aussi, mais il entre lui de plain pied en littérature, Etcheberri de Sare.

12 Si le XVIIIe siècle fut, pour les provinces d'Espagne, le « siècle de Larramendi », ce ne fut guère en littérature et à l'exception de quatre ou cinq courtes pièces de vers insérées dans sa grammaire : ce fut le siècle de la « défense et apologie » de la langue, qui ne trouvait pas le même écho en France (où le fait linguistique basque était très largement ignoré des élites cultivées : le voyage de Malesherbes de 1767 l'illustre parfaitement, qui ne souffle mot de la langue). Manuel de Larramendi ( 1690-1766) fut la plus haute figure basque (dans tous les sens, puisqu'il était paraît-il d'aussi bonne taille qu'intellectuellement doué...) de la Compagnie : un temps Bayonnais comme confesseur de la reine douairière Marie-Anne de Neubourg qui vivait entre Bayonne et

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Saint-Pierre d'Irube, il a été grammairien (« L'impossible vaincu » en 1729), historien des provinces basques d'Espagne (1736, 1755), et surtout l'auteur partout admiré dès son époque du Dictionnaire trilingue (1745).

2. La prose et les prosateurs

13 La prose profane basque ne trouve guère place en Espagne à cette époque que dans le mince livret que le jésuite Cardaveraz fait publier à Pampelune en 1761 ; le titre qui commence par Eusqueraren berri onac... « Les bonnes nouvelles de la langue basque... » en indique le sujet : traité abrégé de stylistique et de bonne écriture. Le Peru Abarca du curé biscaïen Juan Antonio Moguel arrive trop tard (postérieur à la Révolution française et à la guerre de 1793-1795 à laquelle le livre fait allusion, achevé en 1802, mais publié seulement à la fin du siècle comme il a été dit) : il ne peut représenter pleinement la littérature du XVIIIe siècle, quoique ce soit un produit typique de ce temps et doit en effet être compris comme un reflet de la société du siècle finissant dans les provinces d'Espagne.

14 Les provinces de France ont vu à cette époque deux prosateurs basques au projet littéraire assez ambitieux, même s'il ne s'est pas tout à fait réalisé : Etcheberri « de Sare » et le souletin Eguiatéguy Le XVIIIe siècle n'est pas, en France ou en Espagne tout au moins, l'époque des grandes réalisations littéraires qui avaient fait la renommée du siècle précédent ; il y a certes encore des tragédies et des comédies en vers et en cinq actes, des poètes lyriques et des fabulistes, mais le fait littéraire de premier plan se passe ailleurs, dans les écrits de ceux qu'on nomme encore aujourd'hui, avec des guillemets les « philosophes », et qui ne sont pas tous classés et du moins pas tous également et dans tous leurs écrits, parmi les philosophes « sans guillemets »... La littérature certes véhicule encore la culture classique et antique – on parlera pour le XVIIIe siècle de « néo-classicisme » –. mais surtout elle intègre directement le fait social, humain, historique avec, ou plus souvent sans, le filtre de la figure mythologique et de la forme consacrée, sans se référer non plus constamment à la croyance religieuse désormais relativisée : avec Bayle, Fontenelle, puis Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, qui savent aussi écrire des romans et des pièces de théâtre, parfois innovants par rapport aux modèles classiques, se développe une littérature de théorie et d'analyse historique et sociale, dans une série d'oeuvres en prose qui se rattachent, au sens large ou lato sensu, à un type de prose didactique (rentrant d'ailleurs pleinement par là dans les cadres de la plus traditionnelle « rhétorique des genres »).

15 C'est de cette littérature aussi que participent, sans renier pour autant les prédécesseurs et tout particulièrement Axular pour le premier, Oyhénart pour le second, sans s'écarter non plus pourtant de la référence religieuse moralisante et moralisante dans le cadre religieux, les écrits basques d'Etcheberri et d'Eguiatéguy, tous deux écrivains laïcs par ailleurs.

16 Joannes d'Etcheberri de Sare (né dans l'une des maisons « Etxeberria » de Sare, on ne sait par encore laquelle, en 1668, mort à Azcoitia en Guipuscoa en 1749) avait fait ses études à l'Université de Toulouse : « maître ès arts libéraux », puis « bachelier en médecine » en 1694, il y était encore en 1696 comme vient de le prouver le travail de Gidor Bilbao Tellechea, qui a fait connaître aussi le programme des « arts libéraux ». Il comprenait quantité d'auteurs et textes latins, et son principal ouvrage, plus tard, sera fait pour apprendre le latin à partir du basque ; ses textes, comme ceux d'Axular, sont

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« farcis » de citations latines traduites en basque. Il obtint certainement son doctorat (les archives manquent pour les premières années du siècle), car il signe doctor medicus. Il avait alors au moins deux compatriotes étudiants à Toulouse : le Souletin Nicolas Etchecapar d'Idaux et le Bas-Navarrais Jacques de Soccobie d'Isturitz.

17 S'il est ensuite retourné à Sare, signant encore ses Escuarazco hatsapenac ou « Rudiments du basque » de 1712 Saraco dotor miricuac, et de même encore sa « Lettre de recommandation » de 1718 Lau-urdiri gomendiozco carta edo guthu-na, on sait que dès 1713 il va aussi exercer au-delà de la frontière à Vera, s'y établit en 1716, puis est demandé par Fontarrabie en 1722, qu'il quitte pour Azcoitia en 1725 où il mourra en 1749. Médecin public dans ces villes, il y reçoit des gages en principe réguliers, bien nécessaires pour élever la nombreuse famille qu'il a eue avec Catherine d'Issasgarate, qui porte le nom d'une des plus anciennes maisons de Sare.

18 Sa carrière littéraire avait brillamment commencé avec le long discours des Hatsapenac... ou « Rudiments... » de 1712 faisant l'éloge de la langue basque et de son maître en littérature Axular, 303 pages de manuscrit faisant plus de 100 grandes pages serrées dans l'édition qu'en fit J. de Urquijo en 1907, bien qu'il manque les 22 premières pages correspondant aux trente premiers paragraphes numérotés, finissant – contre l'usage qui met les « adresses » au début ! – par une adresse « au lecteur » Iracurtçailleari qui en compte une douzaine. Le second ouvrage « pour apprendre le latin à partir du basque » achevé la même année n'intéresse pas la littérature. Et cette carrière semble avoir pris fin après la « carte » de 1718 d'une vingtaine de pages de la même édition Urquijo.

19 C'est que le docteur avait espéré une aide pour l'impression de ses ouvrages didactiques, et en avait adressé la demande au Bilçar (c'est la forme un peu romanisée de bilzarre « réunion, assemblée »), assemblée du Tiers-État du Labourd constituée des délégués des maîtres de maisons des paroisses, sous la forme de la « Lettre de recommandation » qu'il fit porter par son fils Augustin, plus tard médecin en Espagne lui aussi. C'est seulement le 21 mars 1727 que la requête, une demande de prêt de 3000 livres, est présentée, après examen et approbation de l'ouvrage par le curé du lieu : le 28 le compte de l'assemblée note que a été « rejeté le troisième article concernant l'impression du liure y mentionné ne prétendant rien contribuer a l'impression dud. liure ».

20 Bref, les atermoiements et le refus final ne durent guère encourager Etcheberri, désormais plus éloigné du Labourd, à poursuivre dans la prose basque. Du moins construisit-il un dictionnaire que Larramendi sut plus tard mettre à profit, comme le reste des écrits du docteur Etcheberri, pour le sien.

21 Le style abondant, orné, précis en même temps, un peu moins contrôlé linguistiquement et stylistiquement que celui de son maître Axular, est assez plaisant à la lecture, par exemple quand il appelle les jeunes Basques à l'étude et au savoir, à faire comme il dit, non la guerre selon Mars, à laquelle la jeunesse n'est en général que trop adonnée, mais la guerre à l'ignorance, la guerre selon Minerve, l'antique déesse du savoir et de la raison sage : tout en se réclamant sans cesse de l'absolue orthodoxie catholique de rigueur alors (c'est l'époque dévote de Mme de Maintenon...), Etcheberri s'inscrit ainsi en direction de l'esprit des Lumières. Au-delà de l'apologie de la langue basque, banale chez ses compatriotes de ces temps et leurs successeurs, et la vision simplement biblique qu'il a de l'histoire du monde et des langues (la première langue du monde est évidemment l'hébreu, et Etcheberri est un « Thubalien » !), l'intérêt pour les langues en général et leur origine, rejoint une préoccupation des contemporains (on

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songe à l'Essai sur l'origine des langues de Rousseau). Il exprime la primauté des langues dans ce passage de sa « Lettre » : Mundu hau bada bere oinean badago, mantenatcen bada, legueac eguiten badira, nori bere qucena beguiratcen baçayo, jaquintasuna, eta escolac irakhas-ten, eta ikhasten badira. Hirietan, eta Herrietan Gendeac elkharrequin bici badira, eta gucien gainetic baldin salbatcen bogara ; ontasun, eta fagore hauc guz-tiac heldu çaizquigu mintçotic, eta hitz eguitetic.

22 « Or si ce monde tient sur pied, s'il perdure, si l'on fait des lois, s'il l'on pré-serve à chacun son droit, si l'on enseigne le savoir et les études et si on les apprend si dans les villes et les pays les gens vivent ensemble, et si par dessus tout nous nous sauvons ; tous ces biens et toutes ces faveurs nous viennent de la voix, et de la parole ».

23 Les 27 paragraphes numérotés de son appel « à la jeunesse du Pays basque » s'achèvent par l'affirmation de la double utilité du savoir, religieuse, et sociale : Ordea etçaiteztela ici ez flaca, bethi duçuen bihotça on, altchatcen duçuelarican, eta atçartcen çuen adimendua, çareten bethi fermu, handic Jaincoaren loriatgat, eta munduaren progotchutçat jaquintsunen, eta Dotoren herroncan eçarriac içan çaiteztentçat...« Pourtant n'ayez pas peur, ne faiblissez pas, ayez toujours le coeur bien disposé, tandis que vous l'élevez et que vous éveillez votre intelligence, et restez toujours fermes, afin que par là, pour la gioire de Dieu et le profit du monde, vous soyez mis au rang des savants et des docteurs... »

24 Sur le Souletin Yusseff Eguiateguy, au siècle déjà finissant d'après la date de son premier livre 1785, on ne dispose guère encore de renseignements précis. « Modeste régent – c'est-à-dire « maitre d'école » et aujourd'hui « instituteur » – de village », cornine il se dit, il a probablement passé sa jeunesse dans les armées et acquis un savoir où l'histoire, ancienne mais aussi mediévale et moderne, tient, à côté de la culture religieuse, beaucoup de place. Son premier livre au titre alors bien de son temps, Lehen liburna edo filosofo huskaldunaren ekheia« Le premier livre ou la matière du philosophe basque », est encore un traité de morale pratique et sociale divisé en 40 « séparations » ou divisions, berecita selon les néologismes larramendiens que, hélas !, il affectionne : en fait ce sont des « essais » assez courts (2 à 3 pages pour la plupart) farcis de citations traduites. Le sentiment souvent indigné devant les abus et les erreurs, et les conseils véhéments y tiennent plus de place que l'analyse et le raisonnement ; il affectionne les exclamations, les invo-cations pathétiques : ainsi à la fin de l'essai ou chapitre n°VI au titre trompeur, Gerthaldiaren indartarzunaz « Du pouvoir de l'exemple », puisqu'il y traite avec un esprit très critique de la noblesse, opposant la noblesse d'établissement à la noblesse de cœur, la seule authentique (Egiazko noblezia da animaren xuxentar-zuna « la noblesse véritable c'est la droiture de l'âme »...) : O ! zu aitoren seme, zitiala jar peregriaren pare... et puis Aberats ezpazirade hanbat hobe, zure berthudia dateke agerriago...« O ! vous gentilhomme (en basque c'est « fils de bon père »...), soyez comparable au pèlerin (...) Si vous nêtes pas riche, d'autant mieux, votre vertu n'en paraîtra que davantage... ». Ce procédé, répété, devient un peu monotone ; et le texte d'Eguiatéguy, fait de constantes ruptures dans la construction grammaticale des phrases, très bizarrement ponctué, outre les sou-letinismes abondants mêlés aux « larramendismes », est, du moins dans ce livre (les autres ne sont pas encore publiés), d'un d'abord bien incommode.

25 Il est loin pourtant de manquer d'intérêt quant aux sujets traités et au rapport à la culture et à l'actualité, du Pays basque en particulier. Le travail d'écriture dut coûter à l'auteur, grand admirateur d'Oyhénart (Etcheberri avait, lui, critiqué le « grand Oyhénart » pour avoir donné l'explication aussi fausse que traditionnelle du nom du Labourd Lapurdi comme « repaire de voleurs » !...). Versifiant comme son modèle, mais

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plus maladroitement, un quatorzain initial, il s'y présente avec humour comme épuisé à la tâche et conscient de l'imperfection de son texte : ... Megopia dut arrabuhin, ulhun,herabesti, gor muthu, luma ere ardura net eri ; belarra ehunetan berekaturik ezin hantik khent zerbait dena honturik...

26 « J'ai l'esprit brouillé, sombre, timoré, sourd et muet, la plume souvent malade elle aussi ; ayant cent fois caressé mon front, je n'en puis rien extraire qui soit bon... »

27 Pour nous faire une idée plus complète de l'œuvre du « philosophe » et de sa place dans les lettres basques du XVIIIe siècle, il faudra attendre que, plus de deux siècles après leur composition, ses trois livres soient mis à la portée du public.

3. Le théâtre basque au XVIIIe siècle

28 Il y a peu, on aurait à peine pensé qu'il ait même existé, et c'est bien vrai que les pièces dramatiques basques n'ont rien à voir avec ce qui se fait dans les grandes villes d'Europe à ce moment-là : ni avec la comédie sentimentale et sociale de Marivaux puis de Beaumarchais, ni le drame à la Diderot en France, ni le théâtre de Moratin en Espagne, ni celui de Goldoni en Italie...

29 On ne cite en général que deux ébauches de théâtre « littéraire », toutes deux péninsulaires, et très dissemblables, dues à des laïcs : Pedro Ignacio de Barrutia y Basagoitia, notaire à Mondragon (1682-1759) avait composé un Acto para la Nochebuena longtemps ignoré (édité par Azkue en 1897 seulement), mais considéré aujourd'hui comme une excellente « pastorale de Noël » où le thème religieux de circonstance se mêle aux personnages profanes habituels dans les pastorales.

30 L'autre pièce, due au comte de Penafiorida, Francisco Xavier Maria de Muñibe e Idiaquez (1723-1785), est un opéra-comique El borracho burlado ou « L'ivrogne moqué » : l'auteur l'avait prévu entièrement en basque, mais finalement seuls les couplets chantés, typiques du genre « opéra-comique » qui mêlait les dialogues parlés et les chants, sont restés en basque. Penafiorida le fit jouer en 1764 à Azcoitia, justement, où avait vécu le docteur Etcheberri, et où lui-même avait fondé la très fameuse Sociedad Vascongada de los Amigos del País.

31 Le vrai théâtre basque de ce temps n'est pas encore le théâtre de ville, mais le spectacle de village des, pastorales tragiques et des farces comiques. Il a été certainement beaucoup plus productif que n'en témoignent les rares manuscrits sauvés de cette époque qui sont restés, et à ce jour publiés. Ici encore je rappellerai l'actualité de l'édition, puisque nos éditions d'Izpegi viennent de mettre au jour un recueil de Farces charivariques réunies et présentées par Patri Urkizu, professeur à l'UNED de Madrid. Ces pièces farcesques, hautes en couleurs et extrêmement audacieuses dans le propos, représentées au cours des charivaris que la jeunesse villageoise organisait, comme dans bien des endroits des Pyrénées et d'ailleurs, au prétexte de dénoncer sur le mode comique des mariages ou des comportements matrimoniaux qui enfreignaient par quelque côté la « bonne tradition » de la morale sociale, n'étaient pas imprimées, par plus que les pastorales. Elles étaient même pour une large part improvisées, et souvent condamnées ou même interdites par les autorités. C'est ce qui explique en partie que, bien que perpétuant une tradition ancienne, signalées par les auteurs pour les XVIe (Oyhénart) et XVI ? (Isasti) siècles, peu de manuscrits en aient été sauvés.

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32 Le recueil de P. Urkizu contient une demi-douzaine de pièces, plus ou moins complètes, datées de la fin du XVIIIe siècle. Elles sont « écrites » en quatrains d'hémistiches selon l'usage, c'est-à-dire réellement en distiques de vers longs et en général inégaux (autour de 15 syllabes selon la vieille tradition). Leurs titres, traduits en français dans la mesure du possible, sont : « Le fabricant d'eau-de-vie et sa femme » (le thème apparaît aussi dans les poésies satiriques du temps dénonçant les immoralités modernes), Bala eta vilota sans doute « La Balle (c'est le nom du mari) et La Pelote (celui de la femme) », Boubane (encore le mari) eta Chilloberde (la traduction du nom de la femme serait un peu inconvenante...), « Çabalçar (qui rappelle un nom de carnaval directement lié à ces spectacles : le « San Phantzar » bien connu cité dans une pièce du recueil...) et sa famille », « Chiberoua (c'est « La Soule », lieu privilégié des pastorales et des farces, un autre personnage se nomme Arnegui..., mais ici nom d'homme) et Marceline » (longue pièce de 436 versets), « Jouanic hobe (c'est une phrase : « il vaut mieux partir » !) et Arlaita », « Petit-Jean et Saubadine » (daté de 1769 et de Sauguis)...

4. La poésie

33 Puisque les Basques ont « assez (ce qui veut dire alors « suffisamment ») d'inclination à la poésie » comme le dit Oyhénart, il faut s'attendre à ce que le XVIIIe siècle ait laissé une production importante. Et pourtant les textes poétiques conservés de cette époque, si l'on excepte le théâtre versifié, ne forment pas un bien gros recueil. Du moins y en a- t-il et de genres suffisamment divers et d'assez bonne facture pour laisser aussi à la poésie basque sa place, dans ce siècle au fond peu poétique sinon peu adonné au vers (Rousseau, c'est bien connu, les faisait comme exercices pour bien écrire... en prose !).

34 Après Oyhénart. comme avant lui, la poésie basque passe par le chant (mais c'est ce que faisaient aussi toutes les poésies anciennes, du moins strophiques, et au XVe siècle on mettait en musique les sonnets de Ronsard) ; et le chant structure la strophe des poètes au XVIIIe siècle comme plus tard, en forme parfois simple de quatrains à deux rimes suivies ou croisées, parfois de vieux « tercets inégaux monorimes » : on est alors proche du style improvisé, normalement monorime. Mais les poètes du XVIIIe siècle préfèrent des formes plus complexes, correspondant aux chants alors à la mode, comme ce « pentagramme » Besta ona « Bonne fête » anonyme de 1766, qui combine des vers de 4, 6 et 5 (d'où son nom) syllabes à rimes croisées et suivies : Besta huntan cer dirot offrenda flocatchotan çaitçunic agrada Suntsun chirolec et 'atabalec ez duquete eguin beguitarte.

35 « En cette fête, que puis-je offrir, en petits bouquets (c'est à dire en vers stro-phiques), qui vous soit agréable ? Tambourins, flûtes et tambours ne peuvent faire bonne figure »...

36 Les airs sont du temps : De tout un peu, Ah ! vous dirai-je maman etc.

37 La thématique divise ces textes, anonymes ou dus à des auteurs connus, prêtres pour la plupart (et qui connaissent la versification ornée et régulière à la mode européenne, et

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en particulier évidemment française : Larréguy, Robin, Duhalde, Monho), en quelques catégories simples :

38 1) poèmes de circonstance à la gloire des Grands et des grands événements, dont la tradition remonte au XVIe siècle au moins, et se perpétue en France comme en Espagne : naissance de Henri IV, d'un prince d'Espagne, siège français de Fontarrabie, mort de Philippe III, et au XVIIIe siècle guerre de Succession d'Espagne, mort du duc de Bourgogne, de Marie Leczinska, victoire de l'amiral d'Estaing sur les Anglais, événements de 1789 et de la Révolution évidemment, où le poète Monho se fait, en vers, agent électoral des frères Garat, grands acteurs de la Révolution, avant de dénoncer la Constitution civile du clergé en 1791... ;

39 2) récits en vers – eresiak – comme le « journal de bord poétique » d'une traversée dangereuse vers Terre-Neuve, ou le très long et comique récit de « l'émigration » des bourgeois de Saint-Sébastien fuyant l'armée de la Convention en 1795 ?

40 3) éloge des villes, des vallées, des villages, des personnes, avec une tendance au lyrisme touchant (le XVIIIe est aussi le siècle de la sensibilité et même, a-t-on dit, de la sensiblerie...), mais aussi à la mondanité festive ;

41 4) poésie satirique surtout, qui semble la plus caractéristique, issue souvent des milieux religieux moralisants contre les modes (« sur les parures des dames » Andren aphainduraz par exemple...), l'intrusion des mots français dans la langue basque des Luziennes.

42 La fin du siècle est dominée par le curieux Salvat Monho, vicaire de Bardos en 1791, curé à Irissarry après la Révolution, qui a laissé moins d'une vingtaine de poésies « profanes » (ses vers religieux, du moins conservés, sont beaucoup plus nombreux, et on chante encore dans les églises son Zerutik jautsi zaren, son O Betleem etc.). Qui croirait que ce n'est pas un héritier du Mondain de Voltaire qui écrit les « Plaintes des poètes contre Apollon », avec leur critique du gouvernement apollinien ? Strophe 1 : Norentzat sor-arazten du Apolonek urrea, Hain eskasa egitekotz bere haurren partea ? Parnaseko gobernuan ez da lege justurik. Ez beraz mirets poetek ez badute dirurik... Strophe 3 : Zu poxirik friantenez beti sasiatua, Edari deliziosez bihotza goritua ; Zure haurrak ez ditutzu batere urrikari : Gosea sufritzen dute, ura dute edari...

43 « Pour qui Apollon fait-il naître l'or, s'il rend si pauvre le sort de ses propres enfants ? Il n'y a pas de lois justes au gouvernement du Parnasse. Qu'on ne s'étonne pas alors si les poètes n'ont pas d'argent... Vous toujours rassasié des morceaux les plus friands, le cœur ragaillardi de boissons délicieuses ; vous n'avez aucune pitié de vos enfants : ils souffrent de la faim et ils boivent de l'eau... »

44 « Flocs, friandises, délices, modes, liqueur, nectar ou chocolat », ce sont des modes, et des réalités de la vie bourgeoise, des mots qui entrent tout droit – peut-être avec un jeu humoristique tout de même – dans la langue poétique basque de ce temps, et Monho leur fait place dans la sienne, transformant à peine, et pour rire, les « clubs » à la mode dans le Paris de la Révolution, en « glub » : Bardozen glub !

45 Monho est à n'en pas douter un esprit moderne : il sait critiquer la « tyrannie » du nouveau curé d'Urrugne Murde Teillery « présenté » selon la coutume à la cure par murde Urtubia :

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Tiranoek gatiboak gatez eta burdinez Kargatzen ohi dituzte... Bainan elizak uzten du libertatean gizona...

46 « Les tyrans ont coutume de charger les captifs de chaînes et de fer... Mais l'Église laisse l'homme en liberté... ». Et encore en 1790 il s'en prend vivement à la bigoterie des dames d'Ascain (probablement liées au parti aristocratique dans leurs « tours » :... meneten dorretan...), qui ont menti sur son compte, parce qu'il s'est mêlé des affaires publiques comme il avait fait campagne pour Garat en 1789, et comme beaucoup de curés et prêtres de village le firent alors, là pour aider à la rédaction des doléances, ici à Ascain pour dresser le rôle de l'impôt fixé « en septembre dans l'Assemblée de Paris » (strophe 10 et dernière).

47 Puis en 1791, après la Constitution civile du clergé et l'élection de son « premier » vicaire (lui-même n'était encore que « second »...) Mentaberry à la cure de Bardos, Monho resté réfractaire (ce fut très loin d'être le cas pour tout le clergé basque : dans toute la Soule on ne compte par exemple que 3 ou 4 réfractaires...) se déchaîne, sans quitter le nouveau vocabulaire, contre « l'église à la mode » et le « scandale » de l'élection du clergé.

48 Sans avoir produit de grands noms, ni de grandes œuvres, ni dans le concert des lettres européennes (mais il en a été ainsi pour tous les « petits » territoires d'Europe, et même jusqu'au XIXe siècle pour bien des « grands »...), ni par rapport aux siècles précédents et suivants de son domaine propre, la littérature basque du XVIIIe siècle, dirait-on, a le mérite, minimal, d'exister, et d'avoir, au moins pour une part, survécu. Mais elle fait mieux : elle reflète à sa manière, non sans ingéniosité parfois, les mouvements de la conscience collective, les faits nouveaux de civilisation ; et elle ne demande en somme qu'à être mieux connue.

INDEX

Thèmes : littérature Mots-clés : littérature basque, écrivain moderne, poésie, théâtre Index chronologique : 18e siècle

AUTEUR

JEAN-BAPTISTE ORPUSTAN Université Michel de Montaigne-Bordeaux III - UPRESA 5478 du CNRSjean- [email protected]

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Gero liburuaren koherentziaz eta egituraketaz

Patxi Salaberri Muñoa

1 Irakurleak berehala atzeman dezakeen bezala, Axularren Gero liburuak bitara muga litezkeen hiru zati aski desberdin ditu oro har : batetik, hasierako hitzaurre moduko biak eta, bestetik, liburua bera, gerotik gerora ibiltzeak dakartzan kalteak eta berauen erremedioak agertzeko idatzi zen gorputz mardula.

2 Obraren azaleko lehen irakurketa erretorikoa egiten hasiz gero, beraz, bi dira exordio klasikoaren funtzioa edo1 betetzen duten zatiak. Ildo horretarik, ohiko protasia edo liburuaren argumentuaren azalpena hasiera-hasieran agertuko da, hots, bai obraren eskaintza edo inbokazioa delakoan (« Gomendiozko karta »-n, alegia) eta bai « Irakurtzaileari » delakoan.

3 Gomendiozko kartak, dagokion izaerak horrela markatzen baitu, osagai pane-giriko handia erakutsiko du, eta, gainerako eskaintzetan ohi bezala, liburuari eskaintzaren jasotzailearen araberako ospea eta prestigioa kutsatu nahi zaio, ira-kurleek ongi har dezaten eta, finean, arrakastatsua izan dadin. Guztiarekin ere, zuzenean « Irakurtzaileari » eskainitako testuari egokituko zaio exordioaren fun-tzio nagusia, bertan azalduko obraren gaia edo haria zein den adierazi baino lehen, exordioei dagokien captatio benevolentiae delakoa planteatuko baita. Ulergarria da, bada, Axularrek bi zatal hauetan jarri zuen arrêta eta zehaztasuna.

4 Liburuaren corpus-ari dagokionez, eta egituraren aldetik erakusten bide dituen gora- beherak (anabasa, batzuen ustez) direla kari, arazo gaitzak ondorioztatu izan dira tradizionalki urdazubiarraren obraren azterketa eta balorapena egiteko orduan. Horrela, maizen plazaratu den lehen galdera ea ez ote zen Gero hau bi liburutarako prestatu materialaren zitu aldrebestua planteatzen zuena izan da. Bigarrena, lehenaren ondorio eta hura bezain latza nonbait, ea liburuak ba ote zuen liburu bezala kontsistentziank (koherentziarik, lotura logikonk,...) galdetzen duena izan ohi da.

5 Arazo hauek zeharo argitzeak berebiziko zailtasunak dituela aidez aunetik dakigun arren (dokumentazio falta, etab.), bereziki saiatu nahi genuke ondoko lenootan, aipatu galderei ahalik zehatzen erantzuten.

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1 - LIBURUAREN EGITURA LOGIKOA FINKATZEKO AHALEGINAK

6 Adierazi bezala, aspaldiko eztabaida da Axularrek bere liburuari eman zion egiturarena. Ezagun denez, liburuak hutsune nabarmenak erakusten ditu bai gaia-ren joskurarena edo izan daitekeen arloan eta bai, era berean, esparru formalean.

7 Horrezaz gainera, ez da inolaz ere gutxiestekoa liburuaren azalean eta ira-kurtzaileari zuzendutako hitzaurrean bertan agertutako planteamenduarekin sor-tzen bide den kontraesana ere. Laburbilduz, azalean liburuak bi parte izango dituela esaten bada ere, hitzaurre moduko « Irakurtzaileari » delakoan aski garbi adierazten da bigarren partea ez dela momentuz argitaratuko, ez behintzat lehe-nengoarekin batera.

8 Jakina, hori horrela izanik, arras normala bide da iragarritako bi parteak inon-dik ere ez atzematea. Irakurle kualifikatu askok, alabaina, parte horiek nahasian ikusi izan uste dituzte obran zehar eta etengabe planteatu izan dute obraren ana-basaren hipotesia.

9 Baina, aurreratu bezala, uste edo hipotesi hori areagotu egin izan da temati-koki ere kapitulu zenbaiten artean ohiko koherentzia irizpideetarako etenketa bor-titzegiak ematen bide direlako (ez da beti kapituluen artean jarraipen zuzenik eskaintzen, etab.). Aldi berean, formalki kapitulu eta atal zenbaiten arteko konek-toreen falta ere nabarmena da liburuan barrena, nahiz eta ezaguna den tematiko-ki loturarik ez duten atalen arteko sasikonexio formalak ere egin daitezken (defi-nizioz konektore gramatikalak2 direnak erabiliz, esaterako) ; hau guztia, aurreko eta ondoko kapitulu eta atal zenbaitekin konektatzeko lokailuen faltan antzema-ten da.

10 Oro har, bada, liburuaren planteamendu orokorra zalantzaz zipriztindua agertu izan zaio irakurle zenbaiti eta, ondorioz, honek guztiak ikuspegi nahaste-borrastetsua ekartzen dio Gero-ri3. Urkijoren hitzetan agertzen den bezala, [...] con esta cuestión del orden en que están dùpuestas [sic] las diversas materias de la obra maestra de la literatura vasca se relaciona otro punto oscuro, cuyo esclareci- miento no deja de ofrecer ciertas dificultades (Urquijo 1912, 11).

11 Nolanahi ere den, zilegizkoa zaio ikertzaileari liburuaren egilearen asmoak eta metodoak finkatzen saiatzea eta, orobat, azken bertsio definitiboa moldatu zue-naren logika-ereduaz zenbait apunte egitea, liburuaren barne-koherentziaz gal-detzea azken batean.

12 Ildo horretatik, beraz, kezka hedatua bezain onetsia izan da liburuaren egiaz-ko « logika » bilatu nahi izatearena. Ahalegin horiek medio, oroitarazi beharrik ez dago, liburua « logikoago » bihurtzeko saiorik interesgarriena Intxausperena izan da ziurrenik ; era berean, beranduago etorriko zen Lafitterena bera ere harenaren ildotik abiatuko zen hein handi batean.

1.1.- Intxausperen berrantolamendua (1864)

13 Ezaguna da Inchauspek, bere ideologia erlijiosoak ezinbestean hartaratua non-bait, « expurgatu »-rik argitaratu zuela Axularren liburua. Halere, zalantzazkotzat antzematen zuen jatorrizko batasun haren antolamendu berna prestatzean, libu-ruaren barne logikaren lerro nagusiak utzi zituen agerian lehenbizikoz.

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14 Guztiarekin ere, Intxauspek prestatu edizioaren « Aitzinsolhasa » izenekoan garbi asko plazaratu zituen obraren bi arazo nagusiak, hots, apailatzearen ardura-dunaren kezkarena eta, horren ondorioz, liburuaren egituraketan sortutako « nahasteka »-rena : « Uste içateco da lehen ekhoiztea edo edicionea etçuela Axularec guidatu eta artha- tu ahal. Liburuaren baimenduetan ikhusten dugu orducotz etcela Saraco erretor : Nuper Rector de Sara..., Olim Rector de Sara : Saraco erretor ohia, deithua da. Horrec nabarbentcen du nola edicione hartan hainbertce huts eta narrio aurkhitcen den ; urhatsca trabatcen baitute iracurçaillea, eta ecin comprenituz gueldi arazten. Liburuaren çathi guztien batundetcean ere bada cerbait nahasteca, eztira behar litezquen seguidan ibeniac. Badirudi Axularen guthun edo paperac emanac içan cirela imprimaçailleari ondoz- catu gabe, ordenan eçarri gabe ; eta hunec imprimatu dituela albeçala, escuen artean guerthatcen citçaizcan ereduraz, lehena azquen, azquena lehen ; etçuelacotz guidariric eta ez chuchençailleric » (Intxauspe 1864, vii-viii or.).

15 Baina Intxauspe ez zen arazoaren planteamendu hutsean geratu. Aitzitik, liburuaren haria finkatu, gaien arteko loturak bilatu eta, ondorioz, antolamendu berri bat (« bere baithaco ordena », azalean bertan zioenez) eman zion liburuari. Faltan nabari zuen jatorrizko logika bilatu nahi izatea baino ez zen izan haren ahalegi-naren funtsa.

16 Horretarako, Axularrek azalean esandakoaren bidetik abiatu zen, liburua bi partetan banatuz eta konklusio gisako « Azkentza » atala bereiztuz. Hori bai, Axularrena zen « Irakurtzaileari » izeneko ataleko hitz deklaragarriei (« gero abisu haren arauaz, ethorkizunerat gobematzeko » ziotenei, alegia) inolako kasurik egin gabe.

17 Gainerakoan, esan gabe doa banaketarako irizpideak ez zituela inon ere argi-tu Intxauspek. Edonola ere, edizio berriari ezarritako aurkibidearen bidez antze-man daitezke haren ahaleginaren ondorioak4 :

18 Lehen partea : GEROTIARRAK I- Alferra(l, 2 eta 3. kap.) II- Gaztea(13. kap.) III- Zaharra(14. kap.) IV- Hiltzera doana (15. kap.) V- Arnegaria (19. kap.) VI- Haserrekorra eta herratsua (20-30. kap.) VII- Atsegalea (31-44. kap.)

19 Bigarren partea : GEROTIARREN PIZGARRJAK I- Geroa ez da geurea (4 eta 5. kap.) II- Geroago nekezago (6-8. kap.) III- Bekatuen neurria (9. kap.) IV- Jainkoaren atsekabea (53. kap.) V- Aingeruen atsekabea (54. kap.) VI- Guztien atsekabea (55. kap.) VII- Kontzientziaren aladura (45. kap.) VIII- Obra onen galtzea (16-18. kap.) IX- Denboraren galtzea (12. kap.) X- Jainkoaren miserikordia (10 eta 11. kap.) XI- Jainkoaren justizia (56-60. kap.) XII- Bertutearen erraztasuna (48-50. kap.) XIII- Bertuteak dakarkeen bakea (46. kap.)

20 AZKENTZA

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21 I- Behar dela konfesatu (51 eta 52. kap.) II- Behar dela oniraun edo perseberatu (47. kap.)

22 Berehala soma daitekeen bezala, berrantolamendurako irizpideak tematiko-formalak izan ziren nagusiki, inoiz zenbait kapituluren arteko ustezko loturei muzin egiten zitzaielarik.

23 Azpimarratzeko puntu interesgarria erakusten du Intxausperen egituraketa honek : kalonjea ongi ohartu zen esku artean zerabilen liburuaren blokeez, nola-baiteko autonomia erakusten duten bloke tematikoez esan nahi baita. Oro har, beraz, ongi « zatitu » zuen Intxauspek liburua (ikus « Egituraren zantzuak » atala).

24 Berrantolamendua, berriz, arazotsuagoa da, nahiz eta, oro har, lehenengo par-tean « bloke » moduan zalantzarik eskaintzen ez zuten atalak elkartu zituen Intxauspek « gerotiar » bide zirenen ildotik. Horrezaz gain, bigarren partean lortu-tako antolamendua ere ez zen izan Gero -ren lehen edizioarena baino hobeagoa, gure ustez.

25 Edozein modutan, antolamendu berriGuía ak ere ez zuen izan, geroago inspirazio- iturritzat hartua izan zen Granadaren de Pecadores liburuaren kointzident-ziarik ere : « De aqui la nueva disposición de materias de la edición de 1864. Sea de esto lo que quiera, lo que puedo asegurar es que el orden adoptado por M. Inchauspe tampoco coincide con el de Fr. Luis de Granada » (Urquijo 1912, 11).

26 Nabarmentzekoa da Intxauspek « ienden delicatutasunagatic » (Intxauspe 1864, viii or.) egin zuen taxuketa interesatuak sobera agerian uzten dituela kalon-jearen eskua eta izpiritua. Adibide gisa, Axularrek Neroni eskainitako lerro zapo-retsuak (32. kap.) gozotasunik gabeko bihurtzen dira Intxausperenean, enperado-re haren ama, « munduco emazteric prestuena » ez bide zen hura, ia martirologio kristauean sartzeko moduan utzi baitzuen kalonjeak.

1.2.- Lafitteren berrantolamendua (1943)

27 Ustezko anabasak eta logika tematikoaren faltak eraginda, badirudi Zünharreko kalonjearena bezalako kezka agertu zitzaiola Lafitteri ere : « Inchauspe zenarekin aitor dugu kapituluak guti-aski nahasiak direla. Ez bide ditu Axular-ek berak ordenu hortan ager-arazi » (Lafitte 1943, 26).

28 Liburua irakurri ahala sortzen den inpresio horrek berdintsu jarraituko du handik hamahiru urtetara ere : « Liburua irakurtuz aise ageri ditake nor-nahiri, kapitulu guziak ez direla behar luketen lekuan. Nola behar litzaken ondozkatu eta elgarri jarrik- arazi, ez da argi-ere » (Lafitte 1956, 342).

29 Baina, hipotesi hori abiapuntutzat, Lafittek Intxauspek baino aurrerago egin zuen argitalpenaren arduradunen susmatze-kontuetan, izan ere Axularrek ez zuela argitaratze lanen erantzukizunik zabaldu baitzuen, ezta azken apailaketarenik ere : « [...] itchura askoren arabera, Axular-ek ez bide du berak (chaharregiz ala nik dakit-a ?) bere liburua argitarat eman : ilobak ala bertze norbaitek hartu dituzke eskuz eginikako gai guziak, lehen partekoak eta bigarrenekoak, elgarretarik berechi gabe, eta nolazpait bildurik ager-arazi » (Lafitte 1943, 28-29).

30 Era berean, urdazubiarrak liburuaren azalean agindutako bi parteen arazoari zegokionez, Lafittek honako hipotesi hau erantsi zuen :

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« Beharrirat erraren (sic) dautzugu, gure iduriko, bigarren zathia, parte segurik, ez dugula batere galdua [...] lehen partekoak eta bigarrenekoak (gaiak, alegia), elgaireta-rik berechi gabe eta nolazpait bildurik ager-arazi (zituzten). Bekatu zailenak eman dauzku eskutan dugun liburu ederrean ; bainan ez bide zen lau bekatu hoitan gelditzekoa : ohointzaz bederen bazukeen kapitulu-alde on baten gaia. Gure aburu osoa emaitekotz, erran ginezake Axular-ek ez zuela bere bigarren par- tea hasi baizik : sail handiari lotua zen [...] Damurik ez baitzuen bururatu ! » (Lafitte 1943,28-29).

31 Edozein modutan, eta esandakoak esan, badirudi Lafittek bukatugabetzat zuela liburua : « Itchuren arabera, Axular-ek bere lana bururatu balu, bertze jai-dura gaixtoak ere jorratuko zituen -behinik behin, gezurra eta ohointza, – eta naski bertuteak ere goretsiko » (Lafitte 1956, 343)

32 Guztiarekin ere, ez bide zuen gustoko Intxausperen kapitulu-ordenamendua : « Inchauspé zenak bere gisako segida batean ezarri zituen, bainan bertze arrimu-rik asma ditake » (Lafitte 1956, 342). Eta, egia esan, beste bat asmatu zuen.

33 Laburturik, Lafitteren bildumaren berrantolatze hariak honako hauek izan ziren : « [...] lehen parte batean Axular-ek erakusten dauku zertako ez den luzamendutan ibili behar : Lehenik, geroko uzten den konbertsionea mentura tcharrean delakotz ; alabainan geroa ez da gure eskuko, geroago eta nekezago da onerat itzultzea ; Bigarrenekorik, gure bekatuzko estatuak zeru-lurrak histen ditu ; Hirugarrenekorik, bekatuan egoiteak dohakabe uzten gaitu ; alabainan bihotza doluminez dauka bekatoreak ; bekatuan higatu denbora galdua du ; eternitatea galtzen du ; ez du ezagutzen bertutearen gozorik. Zathi hortarik jalgi ditaken chedea : kofesatu behar dela eta ongian iraun. Bigarren zathian chehe-chehea ikertzen ditu lau bekatu nausi : alferkeria, zin egi- teko usaia, haserrea eta lohikeria. Bakotchaz erraiten du nolako ondorioak dituen eta nola ditaken garait » (Lafitte 1956, 342-343).

34 Irizpide horiekin, beraz, Gero liburuan azaltzen diren kapituluak honela bar-reiatuko ziren Lafitteren antolamendu berrian (ik. Lafitte 1943)5 :

35 A) Zertako ez den luzamendutan ibili behar I) Geroko uzten den konbertsionea mentura txarrean da 1.- Geroa ez da gure eskuko (IV-V) a) bizitzeko segurantzarik ez dugu b) menturari ez ditake fida 2.- Geroago eta nekezago da oneratzea (VI-IX) Jainkoaren miserikordian ez othe ditake fida ? Ihardesten dio Axularr-ek (X-XI)

36 II) Gure bekatuzko estatuak zeru-lurrak trixkatzen ditu l.- Zeruan(LIII-LIV) 2.- Lurrean (LV)

37 III) Bekatuan egoteak dohakabetzen gaitu 1.- Bihotza dolu-minez dago (XIV) 2.- Bekatutan higatu denbora galdua da (XII-XVI) Bidenabar bi hitz justiziazko eta miserikordiazko obrez (XVII-XVIII) 3.- Eternitatea galtzen du bekatoreak (LVI-LVIII) Artetik zuzen da ifernua betikoa izatea (LIX-LX) 4.- Bekatoreak ez dazagu bertutearen gozoa (XLVI eta XLVIII-L)

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Xedea : Konfesatu behar da eta ongian iraun 1.- Penitentzia ontasuna da (LI) 2.- Usu kofesatu (LU) Iraupena (XLVII)

38 B) Bekaturik zailenak I) Alferkeria (I-III) II) Zin egiteko usaia (XIX) III) Hasarrea eta herra (XX-XXX) IV) Lizunkeria (XXXI-XLIV)

39 Ikusten denez, Lafittek estu-estu jarraitzen du Intxausperen « partiketa » ; ondoko berrantolamendurako, berriz, nolabaiteko egitura-iraulketa eragin zion kalon- jearenari, hau da, azken honek hasieran jarritakoa harek bukaeran ondozkatu eta alderantziz. Baina, edozein modutan ere, berdintsu jaso zituzten bi-biek logikoenak eta koherenteenak ziruditen « blokeak » eta, ordenatu ondoren, koherentziarik gabe gelditzen ziren hutsuneak beste kapituluekin estaltzen saiatu ziren.

40 Oro har, blokeak edo diren horiek Intxauspek Lafittek baino hobeto zatitu zituen arren, Lafittek harako hark kontutan hartu ez zuen elementu berri bat tar-tekatu zuen berrantolamendurako irizpidetzat, hots, bigarren partea lehenengoa-rekin nahasia bazen -eta horrela uste zuen berak-, liburuaren azalean Axularrek zioenaren araberako bigarren partea-edo izan zitekeenaren bukaeran kokatu behar omen ziren ezinbestean « bere eguin bideari lotu nahi çaicana »-ri eskaini beharrreko gidak eta erremedioak. Horretan oinarriturik, bada, Lafittek, bukae-rara (bigarren partea osatzen zuen « B » atalera, hain zuzen) pasatu zituen Intxauspek « Guerotiarrac » izenburupean hasiera- hasieran, lehen partea osatuz, kokatuta zeuzkan kapitulu gehienak (13, 14 eta 15.a izan ezik) : 1-3, 19, 20-30 eta 31-44, guztiak berdin-berdin ordenaturik.

41 Lafïtteren lehen zatia osatzeko ere, bizpahiru aldaketa kenduta, Intxausperen ordena berbera erabiltzen da (ikus ondoko grafikoa).

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42 Gure ustez, dena den, Lafittek oker larriagoak egin zituen bere ondozkapena burutzean, besteak beste, liburuaren gaia zentratzen duten hasierako kapituluak (hasieran mantendu beharrekoak, alegia) lekuz kanpo jarri zituelako.

43 Are gehiago, antolatze-gida moduko honek, zehatza eta kapituluz kapitulu esplikatua izan zen arren, ez zituen kapituluen artean zeudekeen bestelako loru-rak aintzakotzat hartu, hau da, tematikoki ondozkatzen saiatu bai, saiatu zen auto-rea, baina beste hainbat faktore garrantzitsuri gehiegi begiratu gabe.

2.- GERO-REN ANTOLAMENDUAZ

44 Granadaren obrak maiz asko Axularren aurrean egon izan zirela jakin badaki-gun arren, aitortu beharrekoa da urdazubiarrak bere libururako proiektaturiko plan orokorrak urrun dirudiela domingotarrarenetik. Urkijok zioen bezala, « [...] fácilmente se echa de ver [...] que el plan que se propuso seguir Axular, distaba mucho del que próximamente un siglo antes de él, había escogido Granada » (Urquijo 1912, 8).

45 Inchauspek, Lafittek eta Urkixok bereziki erakutsi duten kezkarekin bat egin dezakegun arren, ez dugu uste berrantolamendu saiakerek ziturik eman dezakete-nik ez bada aidez aurretik zenbait puntu garrantzitsu finkatzen.

46 Guketz, erretorika eta literaturaren ikuspuntutik interesgarriago iruditzen zaigu obran atzeman daitezkeen elementu pertinente ezberdinez jabetzea eta diren bezala azaltzea, balizko antolamenduaren arazoaren koordenadak dagokien lekuan kokatuz eta gainerako saiakera hipotetiko hutsetatik aldenduz.

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2.1.- Axularren asmoak

47 Oro har, bi dira hemen nahasten diren arazoak : barne-koherentziarena, lehe-nengoa, eta, honekin estuki lotua doana, bigarrena, hots, liburuaren jatorrian bide zeuden bi parteak nahasirik argitaratuta ikusi omen dituzten autoreen plantea-menduarena.

48 Biei erantzuten saiatuko garen arren, dagoeneko aurrera daiteke bigarrenak, bestelako daturik gabe, nekez izan dezakeela erantzun sendorik. Guztiarekin, bigarrenaren arlokoak dira ditugun lehenengo datuak, Axularrek zituen asmoen arazoa argitzen eta bideratzen hasteko dauzkagun zehatzenak hain zuzen. Ikus ditzagun :

49 a) liburuaren azalean obra bi partetan banatuko dela esaten zaigu : « [...] bi partetan partitua eta berezia, lehenbizikoan emaiten da aidtzera [...] Bigarrenean kidatzen da eta aitzinatzen [...].

50 b) « Irakurtzaileari » eskainitako atalean, bestalde, lehenengo parte bat benturatuko duela dio urdazubiarrak, eta gero, agian bigarrena : « Eta nahi nituzqueyen bi parteac elccarrequin, eta batetan athera. Baina iccussiric cein gauça guti edireiten den euscaraz esquiribaturic, gogoan behartu naiz eta veldur-tu, eztiren bideac asco segur eta garbi, baden bitartean, cenbait trabu edo behaztopa harri. Eta halatan hartu dut gogo, lehenbicico parte hunen, lehenic venturatçeco, eta berri iaquitera beçala aitcinerat igortceco. Hunec cer iragaiten den, cer beguitarte içai-ten duen, eta nor nola mintço den, avisu eman diaçadan. Guero avisu haren arauaz, ethorquiçunerat governatceco : Eta bigarren partearen camporat atheratceco, edo bar-renean guelditceco eta estaltceco » (16 or.).

51 d) Horiezaz gainera, exordio gisako hitzaurreen ondoren, liburua hasten den lekuan bertan honako izenburu nagusiarekin adieraziko da (adierazten jarraituko da !) egin gogo duena : « GUERO HASTEN DA GUEROTIC GUERORA dabillanaz, eguiten den, liburuaren lehen partea » (21 or.).

52 Honekin guztiarekin, bada, argi utzi behar da lehenengo kapitulua (k) inpren-tara bidaltzean ere bi partetako asmoak irmo irauten zuela Axularrengan eta libu-ruaren lehenengo zatiaren argitaratzeari ekin ziola.

53 Halere, hiru lekuotan baieztatutakoa egia balitz ere, zalantzan geratzen zaio irakurleari ea nolakoa izango zen bigarren parte aitortu baina ezezagun hori, izan ere, tematikoki balizko bigarren liburukoa beharko zuena (edo beharko zuenaren zati garrantzitsua, bederen), zenbait aztertzaileri lehenengo honetan émana iru-ditzen baitzaie.

54 Ondorioz, aztertzaile horien bibliografia erabili duen irakurleari geratzen zaion susmoa ere ildo berekoa da : ez ote zen benetan (Axularrek berak aginduta edo, ziurrago izan daitekeena -baldin eta horrelakoetan ziurtasunik bada, bederen-, bestek bultzatuta) bi liburutarako prestaturiko materialea bakar batean argi-taratzeko apailatu eta bakar batean argitara eman ?

55 Hipotesi hori areagotzeko, ezin da azpimarratu gabe utzi Axularrek bere obra adierazteko erabili zuen hipokoristiko baten kasua : « Eta hala deliberatu nuen, buru- eragotzkarri bezala, liburutto baten, bi partetan partiturik, gero hunen gaiñean egitera » (15-16 or. ; azpimarra gurea da). Ikusten denez, orain arte nabar-mendua izan ez den atzizki txikigarri bat darabil, teorian -eta gutxienez ! – seie-hun bat orrialdeko liburua izan behar zuen hura adierazteko.

56 Jakina, argitaratutakoa Axularren asmo-proiektuetan lehen partea baino izan behar ez bazen, nekez uler daiteke « liburrutto » delakoaren erabilpen erredundan-te hori6. Izan

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ere, atzizki txikigarrien zale ez zen autore batentzat (ez behintzat etengabe ikusmiran zuen Granadaren mailan) « liburutto » hitzak errealitate objek-tiboaz gain zebilen humilitas arloko topos hutsa erakutsiko luke ? Ala benetako liburuska erabilgarriaren errealitatea (orrialde gutxiagokoa, alegia), gero bestek puztua eta apailatua ?

57 Honek guztiak, dena den, Intxauspe-Lafitteren hipotesiaren bidetik sakontzen jarraitzeko elementua lirudike ziurrenik.

58 Nolanahi ere den, aurreko galdera sortak ez du oraingoz behin-betiko eran-tzunik izan. Eta, horrezaz gain, eman izan diren guztiak hipotesien erresumakoak gertatu dira.

59 Badirudi, beraz, izan zezakeen jatorrizko egituraren -baldin egon izan bada dugunaz besterik ! – pista bakarrak obran bertan bilatu beharko liratekeela, ez bai-tago tamalez bestelako informazio-iturririk (eskuizkriburik, besteren erreferen-tziarik,...). Eta, hortaz, aztarnok barne-koherentzian eta gaiaren taxuketan eta garapenean bilatu beharko lirateke nagusiki, hau da, inon agertzekotan, beharba-da horiexetan baino ezin aurki litezke azalean iragarritako bi parteen arrastoak, zeren eta, azterketa estilistikoak eman dezakeenaren arabera7, sistema elokutibo koherente bakarra erakusten baitu obrak.

2.2.- Gai taxuketaz

60 Tematikoki egia da logika kartesiarraren printzipioen arabera bi partetan garbi bereizturik joan zitezkeen kapituluak (zenbat kalte egiten duen luzamendutan ibiltzeak, batetik, eta eginbidean bideratzeko gida, bestetik) nahasi moduan edo agertzen direla (arlo bateko kapitulu bat beste arloko beste kapitulu baten atzetik normalean) eta, ondorioz, indarra hartzen duela « anabasa »-ren hipotesiak.

61 Honetan guztian, alabaina, badu Luis Granadakoaren obrak zerikusirik non-bait, haren irizpidearen parekoa baikenuke, iduriz, Axularrek izenburuan marraz-tu zuena. Areago, irizkidetasun hau Granadak landutako arlo teorikoan zein prak-tikoan eman zela baiezta liteke. Arlo teorikoari dagokionez, aszetikaz ihardun zuten beste autore askok bezalatsu, garbi utzi zuen eginkizuna : « Luego pues que hubiere apartado al pecador de las malas obras, debe tambien exhortarle á las buenas, esto es, á todos los ejercicios de las virtudes, pincipalmente habiéndose de vencer los vicios con los actos de las virtudes opuestas » (Granada, Retórica, 524b ; azpimarrak gureak dira).

62 Eta zehatzagoa dirudi aurrerago esandakoak, formalki, sermoietan bezalatsu, liburuetan ere bekatuen arbuiatze bakoitzari bertutean jarraitzeko moduaren azal- penak segitu behar diola uler baitaiteke : « [...] cuando hubiere exhortado al ejercicio de alguna virtud ó apartado de algun vicio, perorada la causa, muestre el modo con que deba prácticarse la obra de la virtud, ó huirse la acción torpe » (Retórica, 561a).

63 1556ko Guía de Pecadores delakoan ere badu planteamendu horren gauzatze praktikorik : Très cosas se requieren, cristiano lector, para hacer a un hombre verdaderamente bueno y virtuoso, que es el fin que la doctrina cristiana prétende. La primera es ganar-le la voluntad y persuadirle que quiera y se détermine a bien vivir. La segunda es enseñarle qué es lo que ha de hacer para bien vivir. La tercera, declararle cómo alcan-zará fuerzas y espíritu para vivir esta manera de vida » (Guía, 1553 : 1953, 9).

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64 Ez da besterik Axularrek, azalean bertan adierazten duen bezala, bi liburutan burutu gogo duena : « Lehenbicicoan emaiten da, aditcera, cenbat calte eguiten duen, luçamendutan ibiltceac, eguitecoen gueroco utzteac. Bigarrenean quidatcen da, eta aitcinatcen, luca-menduac utciric, bere hala, bere eguinbideari lotu nahi çaicana ».

65 Horrezaz gain, Granadakoa oso zehatz mintzatu zen « gidatze-lan » horretan tratatu behar zenaz8 : En primer lugar deberá estimular á aquellas que, á mas de ser virtudes insignes, sir- ven tambien muchisimo á excitar los deseos de las otras. En cuya clase senaladamente se colocan el continuo ejercicio de la oracion, la atenta meditacion de la pasion del Señor, y de los demas beneficios divinos, el frecuente uso de los sacramentos, la devo-ta leccion de libros piadosos, la mortificacion de las pasiones, la guarda diligente y solicita del corazon, la afliccion de la carne, la moderacion de los sentidos exteriores, y mayormente de los ojos y de la lengua, con todas las obras de misericordia y huma-nidad. tanto corporales como espirituales, con que socorremos á nuestros prójimos » (Granada, Retórica, 524b).

66 Planteamenduaren eragin teoriko hori Gero honetan ere horrela gertatu izan balitz, urrun geundekeen Axularrek parte biak liburu bakar batean eman zituela esaten duen baieztapenetik.

67 Baina Granadakoaren alderdi teoriko hutsetik aide eginez, egiantzekotasun handikoa bide da honako hau ere, hots, metodologikoki Axularren obraren taxu-keta zehatzean eragina izan zezakeela Granadaren aszetika libururik zabalduenak ere, harek bi liburutan banatu baitzuen bere Guía, bigarrenak Axularren bigarrena izan behar zuenarekin zerikusia izan zezakeelarik.

68 Granadak bere Retórica liburuan, eta a posteriori izan bazen ere, aski garbi gomendatzen zuen « que cuando hubiere exhortado – predikariak – al ejercicio de alguna virtud ó apartado de algun vicio, [...] muestre el modo con que deba prác-ticarse la obra de la virtud, ó huirse la accion torpe. Porque dice muy bien Plutarco, « que los que convidan á la virtud, y no dan avisos para alcanzarla, son como los que atizan un candil, y no le echan aceite para que arda » » (Granada, Retórica, 561a).

69 Jakina, aidez aurretik horixe bera egina zuen Guía de pecadores delakoan, obraren hasierako hitzaurrean : « Y según esto, se repartira este libro -Guía osoaz ari da- en dos partes principales - bi liburutan alegia-. En la primera se declararán las obligaciones grandes que tenemos a la virtud, e los fructos e bienes inestimables que se siguen della ; y en la segunda tra-taremos de la vida virtuosa, y de los avisos y documentos que para ella se requieren. Porque dos cosas son necesarias para hacer a un nombre virtuoso : la una, que quiera de verdad serlo, y la otra, que sepa de la manera que lo ha de ser ; para la primera de las cuales servirá el primer libro y para la otra el segundo » (Granada, Guía, 11).

70 Lehen liburuaren aurkezpenean argumentazio hori areagotuko da : « Este Primero libro, cristiano lector, contiene una larga exhortación a la virtud » (Guía de pecadores, 14).

71 Berdintsu adieraziko da bigarren liburuaren hasieran9 : « Porque no basta persuadir a un hombre que quiera ser virtuoso, si no le ensefia- mos cómo lo haya de ser ; por tanto, ya que en el libro pasado alegamos tantas y tan graves razones para mover nuestro corazón al amor de la virtud, sera razón que agora descendamos a la práctica y uso della, dando diversos avisos y documentos que sirvan para hacer a un hombre verdaderamente virtuoso » (Granada, Guía, 121).

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72 Halaz ere, garrantzitsuena lehenengo partea dela azpimarratuko du Grana-dakoak, hau da, Axularrek ere liburu gisa burutu zuen partea alegia : « Mas con ser esta segunda parte tan necesaria, todavía lo es mucho más la primera ; porque para conocer lo bueno y lo malo la misma lumbre y la ley naturel que con nosotros nace nos ayuda ; mas para amar lo uno e aborrescer lo otro hay grandes contradicciones y impedimentos, que nacieron del pecado, asi dentro como tuera del hombre [...] Por lo cual, ramper por todas estas contradicciones e dificultades, y a pesar de la carne y de todos sus aliados, desear de veras y de todo corazón la virtud, no se puede negar sino que es cosa de grande dificultad y que ha menester socorro » (Granada, Guía, 11 or.).

73 Ondorio gisa, eta Luis Granadakoak egiten duen antzeko planteamenduaren aurrean, badirudi obraren taxuketan ere nolabaiteko parekotasuna edo antza behar duela egon. Are gehiago kontutan hartzen bada pasarte asko haren obretatik har-tuak izan bide direla.

74 Jakina, Guía bakarrik ez da aski Axularrena zeharo esplikatzeko, ez egituraren aldetik, ez eta gaiaren aldetik ere. Urkijok adierazi zuen bezala (cfr. Urquijo 1912), Granadaren Guía-n dagoena eta Axularrena ez dira erabat parekagarri, baina bai -eta hau geuk diogu- hainbatetan argigarri.

75 Egituraren argitze kontu hauetan ezin da ahaztu Gero -ren giltza (azaleko aipamena) eta bukaera den aipua ere (Siraken Jakinduria 5) Granadaren Guía-ren lehen liburuko hirugarren partearen hasierako atalaren bukaeran agertzen dela han esandakoaren laburpen garrantzitsu gisa : « Y pues son tantos los que desta manera son castigados, muy mejor acuerdo será escarmentar en cabeza ajena y sacar de los peligros de los otros seguridad, tomando aquel tan sano consejo que nos da el Eclesiástico, diciendo (Eccli. 5) : Hijo, no tardes en convertirte al Señor, y no lo dilates de dia en día ; porque súbitamente suele venir su ira, y destruirte ha en el tiempo de la venganza » (Granada, Guía, 92).

76 Axularrek Granadaren hitzok nagusiki modu literalean hartu zituela pentsa liteke - motiborik aski baitzeukan inondik ere harako gizatalde lapurtar osoak-, nahiz eta gero berak aipamenaren bigarren partea, bortitza eta mendekuzkoa benetan, isilpean gorde zuen. Azken batean, esaldi horren inguruan ardaztuko zuen urdazubiarrak bere liburua.

2.3.- Linealtasun eta logika tematikoa

77 Liburuak hirurogei kapitulu ditu, « zenbaki borobila », Schumann-ek dioen bezala, hirurogeia 5 eta 10 zenbakien multiploa baita (cfr. Curtius 1976, 705-706). Hau, ordea, konstatazio bat baino ez litzateke eta ez luke derrigorrez apar-teko sinbologiarik izan behar. Hori bai, egia da zenbait kapitulu erraz asko txerta zitezkeela aurreko- ondokoetan (gaiagatik edota laburtasunagatik) eta beste batzuk, aldiz, bitan-edo banatu, horrek ekar zezakeen kapitulu-kopuruaren aldaketarekin. Ez zen horrela egin ; borobildu egin nahi izan zuten kapitulu kopurua eta hala eman argitara.

78 Kapitulu horien garapen mailaketari dagokionez, eskaintza eta aurkezpeneko lehenengo atal biak alboratuz, eta kapituluen tituluak kondentsaturik, oro har hor- relako zerbait aterako litzaiguke argitaratu liburuan :

79 I-II : Alferkeria ihes egiteko trabailatu behar da (I) dagitzan kalteak : handiena gerotik gerora ibiltze (II)

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III : Desirkunde utsetan iragaten zagi denbora IV : ez dugu geroko segurantzarik V-IX : geroan benturatzen gara eta galtzen gara (V) gaitzago dugu bekatutik ateratzeko (VI) usantza gaixtoa hartzen dugu (VII) honek ez antsiatzen eta gogortzen gaitu (VIII) bekatuen neurria bete daiteke (IX) X-XI : Jainkoaren miserikordian fidatu behar da (X) ez da hargatik penitentzia geroko utzi behar (XI) XII-XV : Gerotik gerora ibiltzean denbora galtzen da penitentzia egiteko (XII) baina batzuk zahartzarorako uzten dute (XIII) zahartzean ere ez dute penitentzia egiten (XIV) heriotzeko orduan penitentzia egin gabe (XV) XVI-XVIII : Borondatezko eta obligaziozko obren probetxua Borondatezkoa den erremusinarena (XVI) orain egin behar, ez gero, eta zeuk (XVII) Obligaziozkoak eta justiziazkoak, berdin (XVIII) XIX-XLIV : Bekatu buruzagi zenbait XLV-XLVI : Kontzientzia gaixtoa eta ona gaixtoaren liskarra (XLV) onaren bakea (XLVI) XLVII : Perseberatzea orain XLVIII-L : Zein da bide errazagoa paradisukoa ala infernukoa ? (XLVIII) paradisukoa errazagoa (XLIX) infernukoak lan gehiago eta desatseginagoa (L) LI-LII : Konfesatzea lehen erremedioa (LI) maiz egitearen probetxua (LU) LIII-LV : Bekatutan jarraitzeak bidegabe egiten dio Jainkoari (LUI) Aingeruei (LIV) bere buruari, kristauei eta gauza guztiei (LV) LVI-LX : Infernuko penen kontsideratzea luzamenduak laburtzeko : pena damni (LVI) pena sensus (LVII) ilkitzeko esperantzarik eza (LVIII) sekulako gaztigua (LIX) barkamenik eza (LX)

80 Lehenengo begiradan harrigarri irudi lekigukeen arren, pizka bat sakonduz gero, Axularren liburuak nolabaiteko linealtasun tematiko báti jarraitzen diola ohar gaitezke. Edo, agian hobeto, oinarrizko linealtasun baten inguruan « eskurt-sio » gisako adarreztaketak ematen dira Gero-n, joan-etorri moduko ibilaldiak nahi bada, abiapuntuek eta irispuntuek tematikoki eta, sarri askotan formalki ere, bat egiten dutelarik. Esan liteke erredundantziarik gehienak (ideienak, esaldie-nak, hitzenak, etab.) batze-puntu horietan suertatzen direla.

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81 Hasierako nahaste-borrastearen inguruko laharrak garbiturik, beraz, aski garbi ikusten da urdazubiarraren norabidea, « Irakurtzaileari » zuzendutako hitzetan aitortu gaiarekin : « Ez du (...) deusec ere hanbat calte eguiten arimaco. eta ez gorputzeco ere, nola eguitecoen, gueroco utzteac » (15 or.).

82 Izan ere, kapitulu horien antolamendu orokorrak ba bide du norabiderik : abia-burua Genesisean legoke, hots, kreaturen sortzean berean, eta sekula bukatuko ez den infemuaren hausnarketarekin bukaera. Edo bestela adierazi nahi bada, obra honen egituraketa egungo parametroetatik ikusita aski nahasia bada ere, badira ohartarazteko hainbat puntu, azaletik antzematen ez den « koherentzia » antzeko bat ematen diotenak alegia :

83 * Lehen kapituluan, hasierako hitzak Genesis liburutik hartutakoak dira, kris-tauen Jainkoak gizona eta emakumea egin zituela adierazten duen pasartekoak, gizakiaren kreazioa, jaiotza. Sorrera horretan bertan kokatuko da gero gizakia kutsatuko duen alfertasuna/alferkeriaren arazoa. Beste modu bátez esateko, libu-ruari Biblia -ren hasierarekin ekiten zaio, honako incipit honekin, liburu guztian barrena azalduko den gaiaren aurkezpena egiteaz gain, alfertasuna kreaturen sor-rerarekin lotutakoa delako hipotesia abiapuntu bezala hartzen delarik.

84 * Modu berean, liburuaren bukaera eskatologikoan heriotza izango da gaia, benetako heriotza, infernura kondenatuta dagoenaren heriotza, « egiazko bizitza » lortzeko miserikordiarik izango ez duenarena.

85 * Hasiera eta bukaera biologiko-teologiko horren bitartean garatuko da libu-rua, bertan azalduko direlarik gizakiaren ezaugarri lurtiarrak (bekataria da) eta Jainkoarengana bihurtzeko bidea erakutsiko zaiolarik. Horrek guztiak bekataria-ren hausnarketarako eta bizitzaren norabidea aldarazteko balio beharko zuen.

86 * Liburuan barrena, beraz, aipatu arazo horrek eta berau gainditzeko bideak osatuko dute mamia, baina onbideratze edo konbertsiorako mezu honetan, alda-gai kronologikoa (« orain » vs « gero ») izango da liburuari originaltasun kutsua eskainiko diotenetatik bat.

87 Axularren izenpean argitaratutako liburuak, beraz, bere « logikaz » taxutu zituen atalak eta kapituluak. Tartean antzeman daitezkeen inkonexio-desko-nexioak, logikotasun ezak, etab. garai hartako hainbat libururi egotz dakizkiokeen tamainakoak izan litezke nonbait.

88 Nolanahi ere den, antolamenduaren logika horretan sakontzen hasiz gero, eta kapituluetako idazpuruek berek adierazten duten informazioaz baliatuz, linealta-sun edo logika tematiko-formala izan dezakeen irakurketa berezia egin liteke, inondik ere. Hona hemen tituluetan oinarrituz egin ahal izan dugun irakurketarik trinkoena10 :

89 Munduko saindu, jakintsu eta gauza guztiek kondenatzen duten alferkeriatik ateratzeko trabailatu egin behar da (1. kap.). Eta arrazoia da alferkeriak kalteak baino ez dituela berarekin ekartzen (gaixtakeria, pobrezia,...), kalterik handiena gauza guztietan (baita arimarenetan ere) gerotik gerora ibiltzea delarik (2. kap.).

90 Egia da bekatore nagia horretaz ohartzen dela, baina, bere nagikeriaren ondo-rio zuzenez, denbora desirkunde hutsetan iragaiten zaio (3. kap.). Eta ematen du gerorako uzte horrekin ez dela benetan konturatzen inork ez duela geroko segu-rantzarik (4. kap.). Areago, pertsona alferra (gu geu, alegia) benturaren benturan benturatzen da, fidatu egiten da geroaz eta luzamenduez (5. kap.).

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91 Eta, jakina, geroago gaitzago da bekatu egoeratik ilkitzea (6. kap.), horrela ibiltzearen ondorio gisa usantza gaixtoa hartzen baita (7. kap.). Eta, ez dago zalantzarik, usantza gaixtoaren indarrak gogortu, itsutu eta ez antsiatu egiten du bekatorea, hots, alferra (8. kap.).

92 Baina ez dira horiek gerotik gerora ibiltzearen kalte bakarrak : ezin da ahaztu Jainkoak norberari markatutako denboraren iraupena buka daitekeen bezala, bekatuen kontua eta neurria ere, bekatu-kopurua alegia, osatu eta bete egin daite-keela horrela (9. kap.).

93 Egoera honetatik ateratzeko, asko balio du Jainkoaren miserikordiak eta hartan fidatu behar da (10. kap.), baina beti ere fidatze horretan pasatu gabe 11 eta egin beharreko penitentzia (eta obra onak 12) geroko uzten ez d (ir) elarik, ezen miserikordia justiziarekin orekatzen baitu Jainkoak (11. kap.).

94 Hau guztia (konbertitzea, penitentzia, obra onak) lehenbailehen egin behar da, « fite presenteon »13. denbora galdu baino ez da egiten gerotik gerora ibiltzeaz (12. kap.). Horrela, gazte-denboran ez da penitentzia zahartzeraino luzatu behar (13. kap.). Baina luzatu duenak gaizki egingo du zahartzean ere penitentziarik egiten ez badu, « hura emaçu galdutçat »14, berandu baita aztura gaixtoak uzten hasteko (14. kap.). Halere, okerragoa da oraindik heriotzeko oreneraino bekatutan egon gogo duenaren egoera, nahiz eta itxaropenik ezin den galdu ; izan ere, bekatua ezabatzeko aski diren Jainkoaren grazia eta bekatariaren borondatea, eta horiek guztiak « eguin ditezque laburzqui, heriotceco azquen articuluan (...) heriotceco pontuan ere, azquen orenean ere »15 bertan (15. kap.).

95 Halaber, gogoratu behar da penitentziarekin bátera bestelako obra batzuk ere egin behar izaten direla arima salbatzeko. Borondatezko eta miserikordiazko obren artean probetxu handienetako bat da erremusina egitea ( 16. kap.). Hori bai, nork bere eskuz eta ondokoetara utzi gabe egin behar dira erremusinak eta beste obra on borondatezko guztiak baliagarriago izan daitezen (17. kap.). Era berean, justiziazko obrak, obligaziozkoak, kontzientziaz zor direnak alegia, ondokoetara utzi gabe egin behar dira (18. kap.).

96 Bekatuen artean badira espreski aipatu beharreko batzuk, zeinetan luzamen-dutan ibiltzeak eta erremedioak geroko uzteak kalte larriagoak egiten baititu. Guztietatik lehenbailehen, geroko luzatu gabe, ateratzea aholkatzen du saratarrak. Hona hemen bekatuok :

97 Juramentuak egin ohi dituen kalteak eta usantza horretatik ilkitzeko erremedioak (19. kap.).

98 Kolerak eta etsaigoak egiten dituzten kalteak (20. kap.) eta ez haserretzeko, mendekuak bertan behera uzteko eta kolera iraungitzeko erremedioak (21, 22, 23, 24, 25, 26 eta 27. kap.). Areago, etsaiari barkatu egin behar zaio eta amorio eduki, hots, onetsi eta maitatu (28, 29 eta 30. kap.).

99 Haragiaren bekatuak egin ohi dituen kalteak eta ematen dituen egitekoak (31, 32, 33, 34. kap.) eta bekatu horretatik begiratzeko bideak eta erremedioak (35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43 eta 44. kap.).

100 Ongi egitera bultzatu eta gaizki egitetik hastandu egiten gaituen beste bide bat ere - arrazoi naturala edo kontzientzia alegia- gaixtatu egiten da luzamendutan eta gerotik gerora ibiliz gero (45. kap.). Areago, kontzientzia onak mundu honetan bertan eskaintzen dituen bakea, sosegua eta arraitasuna bera ere galdu egiten dira

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kontzientziaren gaiztatzearekin, gerotik gerora ibiltzearen ondorioarekin hain zuzen (46. kap.).

101 Ildo horretatik, arimaren salbamendua eta parabisua erdiesteko perseberatzen saiatu behar da geroko begira egon gabe, hau da, bekaturik gabe egoten eta bertutean eta ontasuenan irauten (47. kap.).

102 Baina zaila ote da ontasun horretatik, hau da, bizitze on batetik hobeagora, parabisu honetatik sekulako loriara joatea ?16Infernuko bidea parabisukoa baino errazago eta atseginagoa dirudien arren (48. kap.), frogatu egiten da nola parabisuko bidea den erraza (49. kap.) eta, gainera, nola den infernukoa baino errazagoa (50. kap.).

103 Arima salbatzeko ezinbestekoa den konfesatzea ez da geroko luzatu behar (51. kap.). Gainera, maiz konfesatu behar da, handiak baitira handik heltzen diren pro-betxuak (52. kap.).

104 Gerotik gerora luzamendutan ibiltzea guztiei bidegabe egitea da : Jainkoari (53. kap.), Aingeruei (54. kap.), nork bere buruari. giristino lagunari eta bai mun-duko beste gauza guztiei ere (55. kap.).

105 Luzamendutan ibiltzeak egiten dituen kalteen artean handiena sekulako, hots, infernuko penetara egoztea denez gero, erremediorik egokiena infernuko pena horiek beroiek kontsideratzea baino ez da. Horrela, infernuko beldurrak gerotik gerora ibiltzeko luzamenduak laburtzea ekar lezake (56. eta 57. kap.). Baina pena izugarri horiezaz gain, gogoan hartu behar da eta kontsideratu infernuan daude-nek ez dutela handik ilkitzeko esperantzarik (58. kap.) Era berean, hartaratzeko bekatua denbora apurrean eta laburrean egina izan den arren, badira arrazoiak hain gaztigu handia. luzea eta sekulakoa emateko (59. kap.), Jainko miserikor-diosak infernuan daudenei denboraren buruan ez barkatzeko badiren bezalaxe (60. kap.).

106 Ikusten denez, nabarmena da liburuan barrena agertzen diren bloke tematiko desberdinen presentzia eta, era berean, horietako zenbaiten artean agerian dagoen hausketena -edo sasi-hausketena, nahiago bada-. Izan ere, kapitulu eta kapitulu-sorta batzuen ondoren sortzen diren etenketak medio, kapitulu zenbaitek guretzat logiko diren irizpiderik gabe pilatuta daudela dirudite.

107 Lehenengo begiradan, beraz, badirudi obra honek ez lukeela testuen koheren-tziaz testu linguistikak ulertzen duena zeharo beteko : « Tendremos un texto cohérente, si el referente de cada proposition tiene al menos una vinculación de posibilidad/probabilidad/necesidad de co-ocurrencia con el hecho denotado por la macroestructura » (A. Ferrara, 1976 ; apud Oleza, 1981, 181 or., 2. oh.)

108 Egia da alabaina posibilitate-probabilitate-premiazko loturaren kontzeptu hor-rek nahiko eremu zabala har dezakeela eta modu ez-hertsian interpréta litekeela, ez baita aszetika gaia eta arloa testu baten makroestrukturak gehiegi défini ditzakeen horietarikoa, testu narratibo edota poetiko baten kasuan gertatzen den beza-la. Izan ere, aszetikaren helburu pragmatikoekin bátera joan daiteke -horrela uler daiteke, bederen- gai baten inguruko ia etengabeko erredundantzia eta, zenbaite-tan, logikotasun kartesiarretik at dagokeen gai-adarreztaketa bera ere.

109 Honelakoetan, metodologikoki eta gehien bat edizio kritikoen apailatze lane-tarako azpimarratu ohi diren ideien haritik abiatu behar dela dirudi, hau da, kohe-rentzia edota logikotasunaren erlatibizazioa onetsiz. Igancio Arellanok isladatzen duen bezala,

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[...] es preciso estar en guardia ante el peligro de aplicar criterios de « coherencia » actual a textos del Siglo de Oro que estaban regidos por otras coherencias, las cuales podemos destruir en tanto no las captemos con claridad (Arellano 1991, 570).

110 Berdintsu jokatu beharko genuke honako honetan ere ziurrenik.

3.- EGITURAREN ZANTZUAK

111 Orain arte arakatutakoaren arabera, zinez esan daiteke liburuaren irakurketa tematiko- formalak agerian uzten dituela desberdinak diren atalak, elkarren artean lotura gehiegirik gabekoak diruditenak, eta, areago dena, zenbaitetan kapitulu hutsen gaineko funtzionamendua dutenak. Izan ere, aipatutako parte horiek ele-mentu aski autonomo bezala agertzen dira, besteak beste ez dagoelako bloke « autonomo » horien artean ez lotura hitzik ezta tematikoki erlaziona zezakeen esa-piderik ere. Gainera, esan bezala, maiz kapituluen nortasuna bera ere irensten dutela dirudi, parte bakoitzak bere bukaera propioa izatera iritsi baitaiteke.

112 Egitate horretan oinarriturik, hipotesi antzeko bat planteatu beharko litzateke liburuaren izaera esplikatu ahal izateko. Ildo horretatik, ez dirudi ausartegia litzatekeenik pentsatzea -eta horren demostrazioan saiatu beharko dugu orriotan- Axularrek sare, ehun edo eskema antzeko bat prestatu zuela inoren obran oinar-rituta, eta gero eskema hori osatuz joan zela erretorikak eskaintzen zizkion bitar-tekoak erabiliz.

3.1.- Kapitulu multzoak

113 Kapitulu multzoak esatean, haien artean lotura estua (ez beti erabatekoa) dutenak adierazi nahi dira. Kapitulu-multzo moduan hartu ditugun bloke hauen ezau-garri nagusiak honako hiru hauetara laburbil litezke : aide batetik, gai berdinta-suna izango da horrelakoetan agerian geratuko dena, bai gai bakar baten garapena egiten denean eta bai horren inguruko ikuspuntu desberdinen azalpena burutzean. Horrezaz gain, multzoa osatzen duten kapituluen arteko loturak nabarmenak dira, hari tematikoak (ideiak, hitzak,...) errepikatu egiten baitira aurrekoen bukaeran edo ondokoen hasieran. Azkenik, nabaria da zenbaitetan kapitulu-multzoaren bukaera laburbiltzaile bakarra.

114 1.- Oro har, Gero liburua dagoen-dagoenean hartuta, honako hauek lirateke bereiztu beharko genituzeen bloke autonomo nagusiak :

115 I-XV. kap. : Konbertsioaren (penitentziaren) atzeratzea, denbora galtzea fak- torearekin loturik agertuko da. (21 -218 or.).

116 XVI-XVIII. kap. : Konbertsio prozesurako lehen urratsak : borondatezko obrak eta obligaziozkoak. Borondatezko obra onak (erremusina, batik bat) eta justiziazkoak eta obligaziozkoak behar-beharrezkoak dira eta ez dira ondokoek egin ditzaten utzi behar (219-249 or.).

117 XIX-XLIV. kap. : Bekatu buruzagi zenbaiten kalteak eta haien aurkako erre-medioak (kolera, haragia, etab.) tratatzen dira (250-419 or.). Ohiko aszetika libu-ruetan elkarren ondoan joaten ez badira ere (ik. Granadakoaren Guía), honako honetan Axularrek jarraian eskaintzen ditu duten lotura tematikoagatik.

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118 XLV-XLVII. kap. : Konbertsioaren atzeratzea kontzientzia faktorearekin loturik : kontzientzia gaixtoa vs ona- > pertseberatzeko beharra (419-473 or.).

119 XLVIII-L. kap. : Paradisura joatea errazago da infernuratzea baino (474-522 or.).

120 LI-LV. kap. : Penitentzia (eta haren praxia : konfesioa) ezinbestekoa da ; bes-tela, atzeratzearekin bidegabe egiten zaie guztiei : Jainkoari, aingeruei eta krea-tura guztiei (523-569 or.).

121 LVT-LX. kap. : Azkenkien kontsiderazioa, konbertsiorako bidea : infernuaz (569-621 or.).

122 Esan bezala, multzo bakoitzak bere autonomia du eta osotasun antzeko bat erakusten du : esanahi eta tematika zehatza, zenbaitetan hasiera-bukaera propioak, etab. Baina dena esatekotan, lotura logikoen arazoa ere multzo hauen artean lego-ke nagusiki.

123 2.- Halere, multzo bezala desberdinak izateaz gain, badirudi eraginetan ere irurri edo irakurketa desberdinetatik sortuak direla, izan ere, kapituluen irakurke-ta sakonago bat eginez, berehala antzemango baita liburuaren dispositio-ak baduela zerikusirik inventio arloan ikusitako sortze prozesuarekin, paralelismoen atalean agertutako zenbait iturrirekin hain zuzen.

124 Hari honetatik jarraituz, zinetan esan daiteke Gero obra desberdinetako ere-duen arabera sortutako materialez osatua dagoela, eta koherentzia orokorra Granadarena bezalako planteamendu batetik datorrela.

125 Begirada testu kidetasunen atalera zuzenduz gero, irakurlea berehala ohartuko da eragin eta kidetasunak honela banatzen direla nagusiki : • Lehenengo kapitulu-multzotzat hartutakoan aurkitutako kidetasunek Guía dute iturri. • Orobat, XVI-XVIII. kapituluetan Oración y Meditación liburua da para-lelismo guztien artean biziki nabarmentzen dena, batik bat XVI. eta XVII. kapi-tuluei dagokienez. • XIX-XLIV bitarteko kapituluak, zalantzarik gabe, askeenak dira kidetasun eta paralelismo kontuan. Bertan Guía-ren aztarna garrantzitsuak agertu arren, ohiko liburu aszetikoetatik jasotako material « topiko eta tipiko »-aren arabera moldatua dirudi. Horrez gain, metodologikoki ere, burutzeko zailtasun gutxien eskaintzen duena bide da, oso gai garatuak baitziren literatura mota honetan. • Berdin adierazi beharko litzateke XLV eta XLVI. kapituluei buruz. Halere, XLVII. kapituluan Memorial delakoaren kidetasun bitxirik ere aurkitu izan dugu (Gero, 470-471 or.). • Gutxi batzuk baino ez dira hurrengo kapitulu-multzoan (XLVIII-L. kap.) aurkitutako paralelismoak eta kidetasunak eta, ohi bezalaxe, denak Guía dela-koarenak bezalakoak. • Konfesioaren atalean (LI-LV kap.) iturrien arazoa ez da argia ; halaz ere, azken kapituluan nabarmena dirudi San Agustinen testuen erabilera zuzenak. • Azkenik, LVI.-LVIII. kapituluetan azpimarratzekoa da Memorial delako liburuaren presentzia naroa. Ez horrela azken kapitulu bietan.

126 Baina paralelismo edota kidetasun erabakior hauezaz guztiez gain, ezin ahaz liteke Granadaren obrak Axularren kapitulu askoren taxuketarako erreferentzia orokor gisa suposatu uste duena.

127 Orain arte esan dugunaren ildotik, eta Gero liburuaren planteamendua uler-tzeko Granadaren aipatutako obrak argigarri badira ere, lehen kapitulu-multzoen ehunduraz ohartzeko ezinbestekoa da Guía de pecadores delakoaren lehen liburuaren 3. partearen hasieran dauden hitzak irakurtzea, bertan esaten denarekin esplikatzen bide baita,

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neurri handi batean bederen, Axularren egituraketaren atal garrantzitsu bat. Luze samarra den arren, hona hemen pasartea : « Ninguna duda hay sino que lo que hasta aqui habemos dicho bastaba y sobraba para el principal propósito que aqui pretendemos, que es inclinar los corazones de los hombres, supuesta la divina gracia, al amor y seguimiento de la virtud. Mas con ser todo esto verdad, no faltan a la malicia humana excusas y aparentes razones con que defenderse o consolarse en sus maies, como afirma el Eclesiástico, diciendo [Eccli., 32.] : El hombre pecador huirá de la correction, y nunca lefaltard para su mal propósito alguna aparente razón.Y Salomón otrosi dice que anda buscando achaques y oca-siones el que se quiere apartar de su amigo ; y asi los buscan los malos para apartarse de Dios, alegando para esto cada uno su manera de excusa. Porque unos dilatan este negocio para adelante : otros le reservan para la hora de la muerte : otros dicen que recelan esta jornada, por parecerles trabajosa ; y otros, que se consuelan con la espe-ranza de la divina misericordia. pareciéndoles que con sola la fe y esperanza. sin cari-dad. podrán salvarse y otros, finalmente, presos con el amor del mundo, no quieren dejar la felicidad que en él poseen, por la que les promete la palabra de Dios. Estos son los mes comunes embaimientos y enganos con que el enemigo del linaje humano de tal manera trastorna los entendimientos de los hombres, que los tiene cuasi toda la vida captivos en sus pecados ; para que en este misérable estado los saltee la muerte, tomán-dolos con el hurteo en las manos. Pues a estos engaños responderemos ahora en la post-rera parte deste libro, y primera contra los que dilatan este negocio para adelante, que es el más gênerai de todos éstos » (Granada, Guía, 91 or. ; azpimarrak gureak dira)

128 Garbi ikusten da testu honetan horretaz ihardun duela Axularrek berak ere, eskema berdintsua erabiliz : lehenengo, Granadaren hitzetan, « contra los que dilatan este negocio para adelante » arituko da (Gero, I-XIV kapituluak), tartean (X-XI kapituluetan, hain zuzen) Jainkoaren miserikordiaren esperantzarekin kontso-latzen direnei zuzentzen zaielarik. Hauei « con sola la fe y esperanza, sin caridad podrán salvarse » iruditzen zaienez gero, XVI-XVIII. kapituluak eskaintzen diz-kie oker horretatik ateratzeko. Era berean, aipatu « negozioa » heriotzeraino atze-ratzen dutenentzat ere badago tokirik (XV. kap.). Liburuaren zatirik mardulena, dena den, Granadaren esanetan « presos con el amor del mundo » daudenei zuzen-duko die Axularrek, hain zuzen ere « bekatu bumzagiak » izenekoei (Materreren izendapena erabiltzeko) atxikirik bizi direnei (XIX-XLIV kap.).

129 Nolanahi ere den, garbi bereiztu nahi genituzke hemen azpi-ehundura teorikoa eta paralelismo zehatzak, izan ere, egitura aldetik antz handia erakuts dezaketen arren, kapitulu askok (erremedioei buruzkoak, besteak beste) tratamendu eta toki desberdina ager baitezakete Axularrenean eta Granadarenean.

130 Egia aitortuz, Granadaren behin-betiko Guía-ren taxuketa oso ondo pentsatua eta mugatua zegoen, esku artean darabilgun Gero delako hau baino gehiago ziur-renik, nahasiago eta ez hain orekatuta agertzen baitira Axularrenean gaiak17.

3.2.- Azpimultzoak

131 Edonola ere, goian marraztu diren kapitulu-multzo orokor horiek tematikoki autonomia eta mugikortasun gehiagoko bigarren mailaketa bat ere onartuko luke-tela dirudi. Gainera, azpimultzo gisa hartuko ditugun horiek izaera trinkoago era-kutsiko dute barrenean, eta maiz asko kapitulu solte moduan baino egitura osoa-goa dute elkarrekin jarrita eta bakar bat balira bezala kontsideraturik.

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132 Azpimultzo horien adierazgarria, beraz, batasun tematikoa, elkarren arteko lotura formala eta garapen bakarra izango dira nagusiki.

133 Konparazio arrunt batek erakusten duenez, berauek izan ziren, irizpide arloko gora- behera zenbait keduta, Intxauspe eta Lafitteren berrantolamenduetan ondoz-kapena bideratzeko unitate garrantzitsuenak.

134 Honako hauek dira nabarmenenak18 :

135 1. eta 2. kapituluak. Alferkeriatik ihes egiteko trabailatu egin behar da, beste-la handik gerotik gerora ibiltzea sortu daitekeelako. 5. 6. 7 eta 8. kapituluak. Geroko benturan benturaturik, geroago gaitzago da bekatutik ilkitzea, usantza gaixtoa hartzen baita. Usantza honek gogortu eta ez-antsiatu egiten du bekatorea. 10 eta 11. kapituluak. Protestantismoak zabaldutako fedearen bidezko salba-zioaren aurkako planteamendua : Jainkoaren miserikordian fidatu behar da (10. kap.) baina ez sobera, neurriz baizik, hots, aztura gaixtoak utziz eta obra onak eta penitentzia eginez (11. kap.).

136 Unitate gisa hartzeko arrazoi nabarmenena tematika beraren bi ikuspunturen garapena izatean datza.

137 13. 14 eta 15. kapituluak. Penitentzia zahartzaroraino luzatzen dutenak, zahartzean ere egiten ez dutenak eta heriotzeko orduan bekatutan egon gogo dutenak erokeriatan ari dira, betirako galtzeko arrisku handia dute. 16. 17 eta 18. kapituluak (ikus kapitulu-multzoetan esandakoa). 19-44 bitarteko kapituluak (Ikus kapitulu-multzoan esandakoa). 45. eta 46. kapituluak. Gerotik gerora ibiltzeak kontzientziari dakarzkion kal-teak : kontzientzia gaixtoa alatu egiten da eta kontzientzia onak bakea eta sose-gua galtzen du. 48. 49 eta 50. kapituluak (ikus kapitulu-multzoei buruz esandakoa). 51. eta 52. kapituluak. Konfesatzearen premiaz eta handik sortzen diren pro-betxuez. 53. 54 eta 55. kapituluak. Gerotik gerora ibiltzean jainkoari, aingeruei eta kriatura guztiei egiten zaien bidegabeaz. 56-60 bitarteko kapituluak (ikus kapitulu-multzoei buruz esandakoa).

3.3.- Gai lokailuak

138 Argumentazioaren garapenerako hain garrantzitsu diren gai konektore edo lokailu hauek19 (kapituluen artekoek, alegia) testuaren beraren koherentziaz eta taxutze- logikaz mintzatzen zaizkigu berez.

139 Esku artean dugun liburuan, « gerotik gerora » formularen bitartez egiten diren lotura tematikoez gain, bi motatako gai konektoreak ediren ditugu nagusiki :

140 1.- Obraren egituraketan atal desberdinak uztartzeko erabilitakoak. Interes- garrienetariko bat honako hau genuke : « Bethi ere, lehenbizitik hartu dugun xedeari, ahal bezanbat, authikitzen dioguela, hari iarraikitzen gatzaitzala, hartara destatzen eta enkaratzen garela, edirenen dugu gure gero hunek presuna [...] artean ere baduela bere ostatua eta iarlekua, hetan ere kalte handiak egiten dituela » (270 or.).

141 Ikusten denez, lokarri honek bekatu buruzagi zehatz batzuetarako jarria bada ere, bekatu guztien txertaketa justifikatzeko ere balioko luke oro har.

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142 2.- Kapituluen arteko lotura dagitenak, normalean ondoko gaia bideratzen duten aurretiko antzekoak. Kapituluaren izenburuan bertan aurki daitezke edota kapituluaren garapenean bertan, ondoren etorriko dena zein izan daitekeen adie-raziz. Askotan ondoko kapituluan ere horren erreferentzia egin ohi da. Azken finean, gaiaren garapenean dagokeen logika areagotzera etorriko lirateke « lokai-lu » hauek.

143 Luze joko luke gai konektore guztiak hona ekartzeak eta, arlo taxonomikoa areagotzeaz salbu, zerrendatzeak ez luke bestelako funtziorik. Esan, dena den, konektore tematikoen adibide argigarrienak azpimultzo gisa hartu diren horien artekoak ditugula, 5.etik 8.era bitarteko kapituluetan ikusten den bezala :

144 5. kap.- > 6. kap. : 5. kap. : bentura motak zer diren azaldu ondoren, txarrena baztertu eta konbertit-zeko gonbitea, « beccatutaric iltqui çaiteci » (76 or.) mezua. 6. kap. : « ... gueroago gaitzago, beccatutic ilquitcea » (77 or.) da kapituluaren izen- burua.

145 6. kap. – > 7. kap. : 6. kap. : bekatutik ilkitzea geroago gaitzago bide da, besteak beste « usantça gaix-toa » (84 or.) ere hartuaz doalako bekataria. 7. kap. : « guerotic guerora ibiltceaz, coberatcen den usantça gaixtoa » da kapituluaren haria.

146 7. kap. – > 8. kap. : 7. kap. : « Guerotic guerora coberatcen den usantça gaixtoa » (86 or.). 8. kap. : « usantça gaixtoac gogortcen eta ez ansiatcen du » (96 or.) bekataria.

147 Horrezaz gain, bada kapitulu biak tematikoki ere ongi uztartzen dituen pasar-te bat VIII. aren bukaera-bukaeran, bien laburpena egiten duena alegia : « Beraz hunelatan, ezta guerotic guerora, ibili behar. Ezta dembora luceaz beccatu- tan egon behar. Ceren egoite hura da gure galgarria. handic sortcen da usantça : usant-çatic ederestea eder-estetic, ez ansiatcea : ez antsiatcetic ez sentitcea ez sentitcetic, itsutcea, gogortcea. eta azquenean, ahalquea galduric hartçaz preçatcea, loriatcea, eta sendagailla eriztea. Eta handic harat, hartaraz guero [...], gaizqui da hurran da, hillaren pare eguiten da » (110 or.).

148 Gai lotura horien kontraadibide bezala IX. kapitulua jar genezake, besteak beste (halaber, ikus XLVII. kap.). Kapitulu honek bere autonomia propioa du « guerotic guerora » iblitze horretan sor daitezkeen kalteen artean, eta ez du lotu-rarik ez aurreko kapituluarekin ezta ondokoarekin ere. Nolabaiteko gai-lorurarik izatekotan, 2. kapitulutik sortuko litzatekeen adarrean koka genezake, hain zuzen ere alferkeriaren beste kalte bat bezala edo.

149 Baina konektore tematikoak kokaturik dauden lekuaren araberakoak (kapituluen hasiera-bukaerakoak, kapituluak hurrenez hurren lotzen dutenak, alegia) izan badaitezke ere, betetzen duten funtzioaren arabera ere sailka litezke. Hauen artean, arretaz berezi beharko lirateke batik bat gai orokorrera itzularazten duten konektoreak, « gerotik gerora » formularen inguruan eratuta daudenen estilokoak oro har.

150 Azken hauen eremukoak dira normalean azpimultzoen koherentzia lerroetatik at daudenak eta kapitulu solteetakoak. Dena den, liburuaren enborreko gaiarekin lotzen duten konektore hauek bukaeretako peroratio direlakoekin estuki lotuta aurkitzen ditugu gehienetan.

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3.4.- Azken oharkizunak Gero-ren egituraketa orokorraz

151 Esan bezala, liburuan barrena Gero izenburuaren araberako batasun antzeko bat somatzen bada ere, esan genezake tematikoki badirela atal desberdinak, sortze-prozesu « propioa » eta berezia izan bide dutenak.

152 Egia da, dena den, Axularrek berak aitortzen duela -azalean bertan baina zeharka, dena esateko- liburuak izan dezakeen batasun falta hori : « Escritura sain-dutic, Eliçaco Doctoretaric eta liburu debocinozcoetaric. Axular Saraco errotorac vildua ».

153 « Bildu » hitzak, berez, ez luke derrigorrez antolamendu zehatzegirik adiera-ziko, eta, gainera, iturri desberdinetako testuei elkarren arteko koherentzia ema-teko ahaleginak erakutsiko lituzke. Jakina, ahaleginok ez zuten amaierako testua-ren erabateko koherentzia ziurtatzen, ez eta hurrik eman ere. Baina, iturriak iturri, liburuak badu koherentziarik aski bere baitan, garaiko askok zutenaren pare bede-ren.

154 Beraz, demostraturik geratu uste da barne-koherentziarena baino hutsarte nabarmenagoa dela teorian bigarren liburu bezala proiektatutako harako hari eman behar zitzaiokeen edukiarena : ez ote zen zuen Axularrek balizko hartara honako honetan emandakotik ere eraman behar ?

155 Izan ere, « bigarrenean kidatzen da, eta aitzinatzen, luzamenduak utzirik, bere-hala, bere eginbideari, lothu nahi zaikana » delako haren interpretazioa modu hertsiegian ez ote den burutu planteatzen zaio ikertzaileari.

4.- KAPITULUEN BARNE EGITURAZ

156 Printzipioz, dispositio delakoaren oinarrian dagoen utilitas irizpidearen ara-bera, liburuaren egituraketa ezezik, kapitulu guztiena ere, autoreak xedetzat dituenak lortzeko modurik egokienean atondu behar ditu. Irakurle konkretua ikusmiran duelarik, argumentazio mota bezainbeste zaindu behar ditu autoreak argumentatzen duen horren garapena eta aurkezpena, horretatik guztitik, norma-lean eta teorikoki bederen, nolabaiteko homogeneotasuna sortzen delarik.

157 Dena den, lehenik eta behin aitortu beharrekoa da Gero-ko kapituluak ez dire-la espero bezain homogeneoak disposizio alorrean, ez baitira denak berdinak oreka eta egituraketari dagokionez : batzuk bukatu (ago) ak dirudite, eskema kla-sikoaren arabera edo taxutuak ; bestetsuk besterekin loturik doaz eta ez dira hain bukatuak egituraren aldetik, beste horien menpe baitaude20, etab.

158 Aurrekoaren ondorioz, azpimarratu beharrik ez dago, berariaz erabiliko da hemen « multzo » hitza, besteak beste orain hemen interesatzen zaizkigun unitate tematikoek maiztxo kapituluaren mugak gainditzen dituztelako eta inoiz kapitulu gisa agertzen direnak atal gisa ere joan litezkeelako21. Hortaz, zenbaitetan « kapitulu » erabili beharrean « multzo » hitza erabiltzen bada, osotasun tematiko-funt-zionalaren zentzuan hartuko da.

159 Kapitulu huts edota multzo diren unitate hauek badituzte zenbait ezaugarri haien barneko egitura bátez mintzatu ahal izateko. Hau da, badute hasierako formularen bat sarrera moduan eta gaia zentratzeko, inoiz divisio delakoa ere apli-katuko da arazoa argiago uzteko, baina gai-multzo hauen elementurik garrantzit-suena argumentazioa izango da, bertan confirmatio-ak, tesiaren berretzaile gisa eratuko denak alegia,

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protagonismo nagusia hartuko duelarik. Era berean inoiz confutatio delakoaren arloko funtzioa beteko duten elementuak ere aurkeztuko dira, baina, esan bezala, gehienetan exemplaren bidez baliatuko den konfirmazioa izango da gailenduko dena.

160 Laburturik eta trinkoturik bada ere, esan daiteke lehen kapituluan bertan ikus-ten dela garaiko teologiaren metodologia berria eta eragina. Batetik, dialektika eskolastikoa pisua eta indarra galtzen ari da jokabidezko pauta doktrinalen premi-aren zabalkuntzaz diharduten obretan ; bestetik, baina aurrekoarekin bátera, argu-mentu arrazionalak tradiziozko argudioei eta auctoritas direlakoei uzten die tokia.

161 Planteamenduan aurreko guztiaren islada baino ez da izango Axularren obra ; egituran ere, noski, horren oihartzuna atzemango da kapirulu eta unitate temati-koetan zehar. Argumentatze mota « positibo » horien ereduak agerian utziko du sermoien egituraketa tipikoa.

162 Baina honetan, egia esan, susmatua zuen zerbait Manuel Lekuonak, Axularren sermoilari lana eta Gera-ren sorrera uztartzen hari zor baitzaizkio lehendabiziko hipotesiak : « Eta, esan-da-egin, mai-bufeta-ganean sermoitarako pillaturik daukan gaiari beste- lako jazkera-apur bat eman. eta orra or dana egiña... Zorionean, berri eta berriz ere ! Olaxe sortu-bide zan gure GERO » (Lekuona 1954, xviii) (azpimarra gurea da).

163 Aurrera doalarik honako hau erantsiko du Lekuonak : « Irakurtzaille arruntak [...] Elizako sermoi-antxa arkituko dio GERO'ren jardunari. gaiez eta eraz » (Lekuona 1954, xxi) (azpimarra gurea da).

164 Halaz ere, ez zuen zehaztuko zertan zetzan, objektiboki, Gero-n aurkitzen omen zion « sermoi-antx » hori.

4.1.- Sermoi egitura eredu

165 Axularren liburua arlo suasorio izenekoa da, jenero deliberatiboaren barne-koa. Modu honek xede zehatza bilatu nahi du beti : horren bitartez gizakiak beka-rua arbuiatzera iritsi beharko luke eta justizia, pietate eta bertutera makurtu. Eta hori baino ez da Gero- k liburu bezala planteatu eta bilatzen duena.

166 Egituraketaz den bezainbatean, eta orekak/desorekak gora-behera, Axularren liburuaren kapirulu edo unitate tematikoak oro har sermoietarako ohikoa zen ere- duaren arabera moldatu direla esan liteke. Halere, orokorrean horrela planteatu-rik dagoen arren, kapituluak banaka hartuz gero, erretorika sakratuko liburuetan desberdintzat hartzen ziren moduak nahasian usna litezke zenbaitetan, besteak beste, Krisostomoak askotan erabilitakoaren ildokoak, hots, Ebanjelioaren azal-penerako baliatutakoak, etab.

167 Baina salbuespenak salbuespen, sermoien egituraketa tipiko horrek Axularren obran dituen ezaugarrien artean, argumentazio ez « silogistikoa » azpimarratuko genuke lehendabizi, eta, bigarrenik, horren ondorioa den garapen mota, non argu-mentuen agerpenak orden zehatza gordeko baitu : gaiaren planteamendua, normalean pasarte biblikoez baliatuz ; patristikaren lekukotasuna tesiaren interpretazio-konfirmaziorako, eta, azkenik, auctoritas historiae humanae delakoaren arloko exempla : historiagileak, filosofoak... Bukatzeko, argumentarutakoaren ondorioz irakurle-entzuleari egingo

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zaion eskari zehatza agertuko da, peroratio edo epilogo moduko batek bernean hartuko duena.

168 Alabaina, Gero-n berehala antzematen da, egituraketa eta distribuzio estilo bat dagoen arren, homogeneotasuna ez dela gehien nabarmentzen den ezaugarria. Agian horregatik pentsatu izan da sarri askotan zailegia dela Gero-n erabiltzen den barne logika eta garapen hariak finkatzea. Oterminek zioenez, « séria muy difîcil establecer los esquemas que él emplea en su argumentación y en la tra-bazón lógica de sus capítulos » (Otermin 1973, 59).

169 Edonola ere, laster atzematen da konstante antzeko bat liburuan zehar. Izan ere, kapitulu ezberdinetako adibideek argi eta garbi adierazten dute sermoiari dagokion eskema baten aurrean gaudela, bizioen eta bekatuen aurkako gorrotoa eta bertutearen aldeko zaletasuna lortu nahi dituen sermoi tipikoaren aurrean hain zuzen. Formalki ere, ezaugarri nabarmenenak predikarien obra gehientsueneta-koak bezalakoak dira : « en todos tiempos ha sido común que el tema [...] se divi-da en très o más puntos principales » (Curtius 1976, 744 : oharra 47), horietako formula errazena honako honetara mugatzen zelarik : sarrera, gorputza eta ondo-rioak.

170 Oro har, Axularren liburuaren kapitulu edo unitate guztiak kontutan harturik, guztien azpian ordo naturalis delakoaren haria segitzen da, hots, exordioa-argu-mentazioa- konklusioa. Zinez esan liteke, beraz, ondoko eskema orokorrera labur-bil daitekeela, beti zehatz-mehatz betetzen ez bada ere :

171 1.- Lectio edo gaiaren aurkezpena (ez beti modu zuzenean egina). Aipamen baten bidez egiten da (aipamen biblikoak batik bat) nagusiki. Zenbaitetan beste autore edo auctoritates batzuez baliatzen da urdazubiarra.

172 2.- Tractatio edo dilatatio. Gaiaren garapena behar diren elementuez baliatuz egiten da : argumenta (anplifikazio a barne), exempla, konparazioen bidez, etab. Inoiz nolabaiteko divisio thematis ere eskaintzen da tractatio delakoa baino lehe-nago.

173 3.- Peroratio edo konklusioan, ohi bezala, gaia zein izan den oroitaraztea eta irakurlearen barnea hunkitzea izango dira xedeak. Elementu desberdinak antze-man daitezke bertan, bataren edo bestearen azentua kapituluen arabera azpimar-ratuko delarik : laburbiltze edo recapitulatio delakoa, irakurleari zuzendutako galdetegi hunkigarri modukoa, bizimodua edo puntu konkreturen bat aldatzeko eta « konbertitzeko » petitio edo eskaera, etab.

174 Ikus daitekeenez, sermoiaren egituraketak berbaldiaren ohiko parteen egokitza-pena (eta sinpletze moduko bat) ekarri izan du22, predikuak elementu klasiko horietako batzuk soberan baititu bere premiei erantzuteko orduan.

175 Axularren liburuan zehar, beraz, mezu zehatz baten (= berehalako konbert-sioaren beharra eta atzerapenaren ondorio gaitzak) inguruan planteatuko dira kapitulu eta kapitulu multzo desberdinak eta beraietan agertuko dira -gehiago edo gutxiago- berbaldiaren parteak. Narratio delakoa baino askoz ere gehiago landu-ko da, esaterako, konfirmazioaren arloa, nahiz eta narrazioaren arlo bat ere (exempla-rekin lotua dagoena, hain zuzen) maiz agertuko den. Narrazioaren desagerpenaren arrazoia, erretorika klasikoak bereizten dituen parteekin burutu beharreko egokitzapen horretan datza, narrazioak ez baitu tokirik honelako ser-moietan. Era berean, konfutazioa edo kontrargumentazioa, oso modu neurtu eta kontrolatuan baino ez da erabiliko, eta gauzak garbi daudenean bakarrik, izan ere irakurle-entzuleengan okerrak eta anabasak sor baitaitezke horrelakoetatik.

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176 Guztiarekin ere, tractatio delakoaren azterketak argumentazioari buruz min-tzatzea eskatuko luke eta ez da hau ziurrenik horretarako lekurik egokiena. Alabaina, kapituluen egituraketaren berri izateko interesgarri dirudi lehen eta hirugarren puntuei buruz pare bat ohar egiteak, hau da, kapitulu hasiera-amaierei buruz hain zuzen.

4.2.- Kapitulu hasierak

177 Zuzen edo zeharka, Gero-k dituen ezaugarrietariko bat kapituluak auctoritas biblikoen bitartez hastea da. Esan daiteke kapitulu garrantzitsuenak literalki has-ten direla Bibliatik hartutako aipamenekin.

178 Horretarako erabiliko den formulazio zabalduena honako hau izango da : « Erraiten du [...]-ek » + aipamena. Lehenengo begiradan ikusten den bezala, modu zuzen horrekin hasten dira 3, 7, 9, 10, 11, 13, 14, 15, 16, 45, 53 eta 54. kapituluak. Hain zuzenak ez diren kapitulu hasierak ere badira, hots, « erraiten du » dela-koa iruzkin labur baten ondoren kokatzen dutenak (49. kap., etab.).

179 Normalean « errailea », lekukotasunaren balioak hala aginduta, Izpiritu Saindua ohi da. Formula desberdinez baliatzen da Axular : « Erraiten du Salomonek, edo Salomonen ahotik Spiritu Sainduak [...] » (45 or.), « Erraiten du Salomonek, Iainkoarekin mintzo dela [...] » (111 or.), « Erraiten du Spiritu sainduak [...] » (170 or.), « Erraiten du eskritura sainduak [...] » (184 or.).

180 Dena den, gaia planteatzerakoan « errailea » zalantzarik sortzen ez duen auctoritas bat ere izan daiteke : « Erraiten du san Thomasek [...] » (419 or.), « Erraiten du San Thomas Doktor handi hark [...] » (548 or.). Ildo horretatik, sintomatikoa da Jainkoaren miserikoardiaren beharraz eta fidantzia horren soberaniaz tratatzean (10. eta 11. kapituluek osatutako azpimultzoan), Axularrek dakartzan lekukoak : « Erraiten du San Thomasek [...] » (127 or.) eta « Erraiten du San Agustinek [...] » (133 or.). Trentoko Kontzilioak ere badu ohorezko tokia, nahiz eta sarrera labur baten ondoren : « Hala erreiten du Konzilioak [...] » (454 or.). Seneka « kristauak » ere badu bere tokia kapitulu atari batean : « Erraiten du Senekak [...] » (194 or.).

181 Zeharkako bidea ere erabili izan da kapitulu hasieretan. Lehenengo kapitu-luan, esate baterako, Hasiera liburutik jasotako pasarteak 23 -behar zenerako ego-kituta- zuzenean euskaraz ematen dira, sarrera moduan edo bailiren. Baina, aitor-tu beharrik ez da, gaia hobeto planteatu ahal izateko erabili da bide hori, zeren eta berehala ematen baita latinezko aipamen zuzena, eskritura sakratuetan hasierako pasartearen jarraipena dena.

182 Antzeko zerbait esan beharko litzateke VI. kapituluari dagokionez, Bibliako konparazio bátez hasten baita : « Anhitzetan ere eskritura sainduan, konparatzen da bekhatorea, ardi errebelatuarekin [...] » (78-79 or.). Eta berdintsu XIX. kapituluari buruz ere, bertan konparazio bibliko batez ekiten batzaio kapituluari : « Nola gure lehenbiziko aita hark, gure naturaleza haur, bere bekhatuaz narriatu [...]. Handik gara [...] » (250 or.).

183 Nolanahi ere den, sermoietan bezalaxe, kapituluen hasieran ongi eta irmo gor-detzen da erretorika eklesiastikoa garatzen saiatu zirenek eman ohi zuten ahol-kua : « nunca se comience con fabula, geroglifico ni poesia, porque esto es contra la gravedad de aquel acto sagrado darle tan ruin principio [...]. Sea, pues, el prin-cipio una autoridad de la Escritura o de un Santo o una buena razón » (Terrones del Caño, 109 or.).

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184 Hasiera motei dagokienez, beste kapituluetan kasuistika anitza aurki badaite-ke ere, badira batzuk esanguratsu eta aipagarri direnak.

185 Zenbaitetan gai-unitatearen dependentzia nabaria agertzen da. Adibidez, II. kapituluak (esana dugu jadanik lehenengoarekin nolabaiteko multzo tematikoa osatzen duela) lotura formala ere adieraziko luke lehenengoarekin, harekiko lotu-ra bigarren honek hasieran bertan lehenaz egiten duen laburpen edo recapitulatio batean 24 finkatzen baita : « Eskritura Sainduak, Elizako doktorek, lehenagoko ientilek, eta are zeruko, aireko, eta lurreko gauza guztiek ere kondenatzen dute alferra, eta emaiten aditzera behar dela trabaillatu, eta nor bere aldetik bere eginbidearen egitera enseiatu. Zeren nola ardurako trabailluak, lan guztiak aitzinatzen baititu, hala alferkeriak gibelatzeintu » (37 or.).

186 Aipagarria da, bestalde, Axularrek maiz egiten dituen esplanazio antzekoak. Aurrekoen dependentzia tematikoaren pean dauden kapitulu zenbaitek areagotu egiten dute azaldu nahi dena, areagotu eta elementu berriak ekarri ere bai (divi-sio delakoren laguntzaz, esaterako). 16-18 multzoan, esaterako, hori baino ez da gertatzen. Sailkatze eskolastiko horren adibide zehatza 56-57. kapituluetan genu-ke ; halaber, nahiz eta beste maila batekoak, 52. kapituluan eta kalte-erremedioez dihardutenetan ere.

187 Ez dira gutxi, azkenik, modu dialogikoan planteaturik, egilearen hausnarketa, laburpen, azalpen edota petitio antzeko bátez hasten diren kapituluak, horietako zenbait, gero, lekukotasun bibliokoen arlora iristen badira ere. Normalean, gaia ahalik zehatzen zentratzea izan ohi da horrelakoen funtzioa (ikus bitez, besteak beste, honako kapitulu hauek : 4, 12, 17, 48, 55, etab.).

188 Bukatzeko, gogoratu baino ez, kapitulu hasierak gora-behera, gai bakoitzaren garapenean erabiltzen den sistema induktibo-argumentala garaiko teologiak ezar- ritako ereduetatik abiatuko dela.

4.3.- Kapitulu amaierak

189 Ezaguna da genero suasorioko liburuak, sermoiak eta ildo horretako diskurt-suak bezalaxe, peroratio batez bukatzen dire la. Formalki, barrenean, bukaera iris-terakoan, peroratio horrek entzule/irakurleari (haien gogorari, hobe) zuzendutako petitio edo eskaera bat eraman ohi du. Jakina, aszetikakoetan jainkoaren itzalpean jar dadin eskatzen zaio mezu-hartzaileari. Artazak oroitarazten duen bezala, « la petición insta al aima a modificar su conducta hacia « lo útil » y « conveniente » -loci obligados en toda deliberación » (Artaza 1988, 316).

190 Axularren liburuan ere eskaera irakurlea konberti dadin egiten da. Baina ez behin bakarrik eta liburuaren amaieran, etengabeko modu errepikakorrean baizik. Liburuaren izaerarekin bat eginik, kapitulu-multzo, azpimultzo eta kapitulu sol-teen bukaeran ere errepikapenaren mailuak « berehala konbertitzera » gonbidatuko du, batzuetan formula desberdinak erabiltzen badira ere (gerotik gerora ibiltzeari uzteko premia, etab.). Normalean, perorazio direlako hauek sententzia edo sen-tentzia bezalako esaldi laburbiltzaileren bat25 eraman ohi dute irakurlearen baita-ko hunkipena areagoturik gera dadin (ikus ondoko adibideetan).

191 Alabaina, peroratio horien gainazterketak erakusten duen bezala, beste fun-tzio garrantzitsu bat ere betetzen dute esku artean dugun liburuaren koherentzia-ren esparruan, izan ere, bukaerok faltan dirudien koherentzia-emaile gisara erabiltzen

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baitira maiztxo. Horrela, peroratio errepikakor horiek liburuaren enbor tematikotik gerta daitezkeen (eta gertatzen diren) aldegiteak txertarazten ditu behin eta berriro « Gero » (liburua eta mezua) delakoaren inguruan.

192 Horrezaz gain, egia da gurearen kapitulu batzuk askoz ere modu borobilagoan bukatzen direla liburua bera (azken kapituluarena, alegia) baino eta horrek ana- basaren hipotesia areagotu egin izan duela ikertzaile askorengan. Adibidez, honek berak markatu zuen, besteak beste, kapitulu batzuen kokapen berria Lafitte eta Intxausperen berrantolamenduetan. Azken honi, esaterako, liburua amaitzeko, tematikoki XLVII. kapitulua eta, formalki kapitulu horretako bukaera egokiagoak iruditu zitzaizkion, G. Milangesek inprimatuak baino : « Fineraino eta finean perseberatzen duena, izanen da salbatua eta ongi zortheatua. Qui autem perseveraverit usque in finem, hic salvus erit (Mt. 10). Bertze guztiak deus guti dira, finak darama koroa, akhabatzean kantatzen da loria. Beraz fin hari, eta akhabatzeko loria hari begia edukirik, hareraiño, eta han, behar dugu, egun beretik, geroko begira egon gabe, bekhaturik gabe egoitera enseiatu. Hartarakotzat orai eskuen artean darabiltzagun bekhatuak urrikimendu handi batekin kofesaturik eta utzirik, aitzinerat gehiago egitetik begiratzen garela. Zeren halatan erdietsiko dugu orai perseberantziaren donua eta gero azken finean arimen salbamen-dua, sekulako loria » (474 or.).

193 Peroratio direlako hauetan konstante bat izango dira petitio-ei sarrera emate-ko ia salbuespenik gabe agertuko diren elementu formalak. Oro har, « beraz » lokailua izango da gehien agertuko dena, kapitulu gehienen bukaeran hain zuzen. Alabaina, sarri askotan « beraz hunelatan » formulaziopean agertuko da : 8, 10, 11, 13, 15, 23, 29, 34, 38, 42, 45, 50, 53, 54, 55 eta 60. kapituluetan.

194 Baliabideen artean, ikus daitekeen bezala, ez da faltako frekuentazioa26 bezalako pentsamendu irudia.

195 Guztiarekin ere, eta argigarri gerta daitekeelakoan, bukaera mota desberdinei buruzko bi hitz erantsi nahi genituzke hemen.

196 Lehendabizi kapitulu-multzoen bukaerak azpimarratu nahi genituzke, izan ere kapitulu bakoitzak normalean berea duen arren, batzuetan kapitulu-multzoek bukaera komuna agertzen baitute, multzoaren osotasuna erakutsiz. Horretaz aparte, irakurlea erraz ohar daitekeen bezala, hainbat bukaerak etenketa bortitza dakarkio testuaren koherentziari.

197 Kapitulu-multzoetan bezalatsu, azpimultzo deitu izan ditugun horietako zenbai-tetan ere bukaera komunak agertzen dira ezaugarrien artean. Kapitulu bakoitzak normalean bere amaiera mota duen arren, batzuetan azpimultzo osoaren azkenak bukaera laburbiltzailea ager dezakete.

198 Era berean, eta gorago azaldutakoaren haritik, modu berezian azpimarratu nahi genuke azpimultzoetako amaierek betetzen duten koherentzia funtzioa, bes-teetan baino nabarmenago ikusten baita egiteko hori.

199 Azkenik, kapitulu solteetan aurkitzen diren konektore tematikoak normalean « gerotik gerora » formularen inguruan eratuta daude eta liburuaren gai orokorra-rekin uztartzen dute kapitulua, tituluko Gero-ri baitiote erreferentzia etengabe egiten. Konektore hauek, zer esanik ez dago, kapitulu amaieran (ez beti perora-tio-an) txertatuta aurkitzen dira gehienetan.

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5.- ONDORIO GISAKOAK

200 Axularren liburuaren egituraketaren esparruan egia da « eklektizismo » modu-ko bat izango dela ezaugarri, batik bat gaien antolamenduari dagokionez. Zinez pentsa daiteke zenbait kapituluk edo kapitulu-multzok unitate erabat indepen-dienteak osatzen dituztela eta aurre-atzekoekin lotuak izateko « aukera » -ezin bai-kenuke egungo « koherentzia » irizpidea erabili- liburuaren gaiaren zabaltasunak berak emana dela (« gero »-ren ingurukoak, alegia).

201 Gogoratu, bestalde, Axularren testu-antolamenduaren « anabasa » horren oinar-rian, kapituluen bideratzaile gisa agertzen diren jatorri desberdineko testuak dau-dela. Antolamenduak nolabaiteko koherentzia bilatu nahi izan du, behinik behin kapituluen artean.

202 Era berean, testuan sakabanaturik antzematen diren iturri desberdinetako pasarteak eta testuaren tonu errepikakorra bera direla eta, zenbaitetan areagotu egiten da irakurlearengan logika faltaren inpresioa. Alabaina, gabezia hori egituran baino lehenago sormen-lanaren linealtasunaren faltan bilatu beharko litzateke nagusiki. Ziurrenik, materiale ugari horiekin egin zitekeen obrarik koherenteena egin baitzuen urdazubiarrak, eta zalantzarik gabe azken mende eta laurden hone-tan egin diren antolamendu berriak baino koherenteagoa.

203 Airean geratzen da, dena dela, obra bi parteetan eman nahi izanaren arazoa. Izan ere, bestelako elementurik (lekukotasun historikoak, testuak, etab.) ez den bitartean, badirudi nekez aurki daitekeela liburuan bertan arazo horren argitzaile izan litekeen aztarnarik.

204 Kapituluen barne egiturari gagozkiolarik, klarki geram da Axularrek predika-rien ohiko egituratzeaz tindatu zituela obraren unitate desberdinak, atalek « tesia-garapena- amaiera » eskema sermonarioari jarraituko diotelarik. Bereziki aipatu ez bada ere, oroitu beharrekoa da exempla-ren atalak argumentazioaren garapenean hartzen duen garrantzia.

205 Oro har, beraz, kapituluek ohiko sermoien pareko garapena erakusten dutela esan daiteke, hots, tesia oinarritzeko aipamena (biblikoa maiz asko), inoiz divisio -a, eta batik bat, exemplaren bidezko argumentazio eskuarki baieztatzailea edo konfir-matiboa. Egituratze honetan garrantzi handia izango du peroratio delakoak. Azken orduko hitzen balioa irakurlea hunkitzeko eta haren jokamoldea aldarazteko balia-bideen arabera neurtu ohi baita. Esan bezala, bukaerak perorazio arlokoak dira eta askotan, ohi bezala, eskaera zehatza daramate txertaturik, irakurleari konbertitzeko edota bide onean jartzeko dauden modalitate desberdinetako eskaera eginez.

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NOTES

1. Exordioaren funtzioa bi maila desberdinetan ematen da liburuetan eta ez da bata bestearekin nahasi behar : aide batetik, liburuaren exordio orokorra legoke, hitzaurrean doana, eta, bestetik, unitate bakoitzeko gaia aurkezteko sarrera edo aurkezpen modukoa. 2. Ez da ahaztu behar « itxura » horretan oinarritu izan direla Axularren egiletzaren zalantza eta beste-lakoak ere, batik bat editorearekin liburua apailatzeko azken ardura zalantzan jarri

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diotenen plantea-menduak : Axularrek berak izendatutakoren bat izan ote zen ?, haren iloba agian ?, editorea ?,... 3. Beste modu batez esanda, « [...] des morphèmes qui ont pour fonction de lier deux énoncés » (Maingueneau 1987, 117). 4. Parentesi artean jarri dira Gero liburuaren lehenengo edizioari dagozkion kapitulu- zenbakiak. 5. Parentesi artean, zenbaki erromatarrez idatziak, dagokigun liburuaren lehen edizioan kapituluek daukaten kapitulu zenbakia jarriko da. 6. Gehiagotan ere agertuko da : « liburutto hunen, kanporat atheratzeko, ausartziaren hartzera » (4 or.), « Liburutto haur da emazurtza » (4 or.), « Ediren bedi liburutto hunetan (10 or.), « Eztut liburutto haur letra-tu handientzat egiten » (19 or.). 7. Honekin azaleko konstatazio huts bat baino ez dugu egin nahi, azterketa estilistikoak honelakoetan eskain dezakeena berez erlatibizatzen baita gure oharren beharrik gabe. Ez gara, beraz, egiletzaren arazoan sartzen. Edonola ere, ez legoke soberan Arellanok esandakoak gogora ekartzea : « muchas supuestas marcas de autor son rasgos comunes y generalizados de un fondo mostrenco ; y los rasgos idiolectales o son poco relevantes o mucho ; cuando son poco no son demasiado significativos ; cuando son mucho resultan fácilmente imitables » (Arellano 1991, 566, oharra). 8. Honen guztiaren adibide konkretua haren Guía de Pecadores obraren bigarren liburua izango genuke. 9. Bigarren liburu honetan Granadak batetik bizio hedatuenak eta erremedioak azalduko ditu eta, bestetik, bertuteak. 10. Oro har, azpimarratutako hitzek kapituluetako tituluetakoak direla adierazten dute. 11. Gogoratu protestanteen « fedearen bitartez, salbazioa » delako planteamendua. Hemen horren aurka egiten da, ikusten denez. 12. 149 or. 13. 154 or. 14. 192 or. 15. 199 or. 16. Aurreko kapituluekiko lotura hau 522. orrialdeko ondorio gisako horretatik atera bide daiteke, nekez bada ere. Hori bai, 48. kapituluaren idazpurua ez dator bat kapituluarekin, alderantziz baizik (474 or.), ez eta « gerotik gerora ibiltzea » delakoa ere, behin ere ez baita testuan zehar honen erreferentziarik egiten, harik eta 522 orrira iritsi arte. 17. Lehenengo liburuan, esaterako, hiru parte agertuko dira Granadakoarenean : bertutearen beharraz eta hartaratzeko arrazoiez arituko dena ; azkenkiak ere lehenengo honetan tratatuko dira : heriotza, epaia, paradisua eta infernua. Bigarren partean beste arrazoi batzuk aurkeztuko dira : bizitza honetan bertutearen bitartez eskuratuko diren pribilegioak hain zuzen. Hirugarrenean « se responde a todas las excusas que los hombres viciosos suelen alegar para dar de mano a la virtud » (Granada, Guía, 14 or.). Axularrenean gai berdinek, bistan da, beste antolamendu bat izateaz gain, beste pisu eta tratamendu bat dute. 18. Ondoko zerrendan agertzen ez diren kapituluek berezko autonomia izango lukete haiek bakarrik, nahiz eta askotan nolabaiteko lotura tematikoa ere izan dezaketen aurreko- ondokoekin. 19. Maingueneauren konstatazioa abiapuntutzat (« En général, les théories de l'argumentation oscillent entre une conception « logiciste » et une conception « rhétorique » » [Maingueneau 1987, 116), begi bistakoa da konektoreen planteamendu honetan ikuspuntu logiko-erretorikoa uztartzen saiatu garela, zeharo gramatikalak direnen kaltetan. 20. Hau da, esaterako, « erremedio » izena daramaten kapitulu askoren kasua. 21. Besteak beste, XXV. kapituluaren kasua : egia esan, hogeitaseigarrenaren barman ere joan zite-keen, bai duen laburtasunagatik, bai erremedio motagatik (« ona da kontsideratzea... »).

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22. Teoria erretorikoaren arabera, honako hau zen obra bukatuen eskema nagusia : exordioa, narratioa, divisioa, confirmatioa, confutatioa eta conclusio delakoa. 23. Gogora dezagun Gero liburuaren lehen kapitulu hau paradigmatikoa izan daitekeela (argigarriena delako, hain zuzen) argumentuen mailaketari dagokionez : Hasiera izeneko liburu biblikotik hartutako pasarte bat abiapuntutzat, tradizio eta patristikaren argitan aztertzen da, auctoritas historiae humane delakoak ere bere adibide sorta eskaintzen duelarik. 24. Sarrera moduko hau, dena den, erraz asko joan zitekeen aurrekoaren bukaera gisara ere. 25. Recapitulatio delakoaren funtzioa beteko luketen esaldiak ohi dira hauek, irakurlearen oroimena freskatzeko prestatuak eta ondoren eskatuko zaienarekin lotzeko ezin hobeak -labur eta tinko kondetsatzen baitute esandakoa. 26. « [...] usar de esta figura en el fin del sermon, principalmente en los suasorios, cuando todos los argumentos que propusimos en el discurso del sermon los juntamos brevemente en uno, para que con todos ellos de un golpe asaltemos los ánimos del auditorio, y en cierto modo los violentemos. Y no solo en el fin del sermon sera bueno refrescar la memoria de los oyentes con esta misma figura, sino tambien en sus partes, do quiera que se concluyere alguna disputa ó argumenta largo » (Granada, Retórica, 588b ; lerropekoak gureak dira).

INDEX

Thèmes : littérature, philologie Index chronologique : 16e siècle, 17e siècle, 18e siècle, 18e siècle Mots-clés : littérature basque, Axular Pedro Agerre (1556-1644), écrivain classique

AUTEUR

PATXI SALABERRI MUÑOA UPV/EHU [email protected]

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III. Sciences humaines et sociales

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Cadre de vie et objets du quotidien des Bayonnais au XVIIIe siècle

Frédéric Duhart

1 Les créations de nombreux artistes contemporains, notamment celles de C. Boltanski, témoignent de la fascination de notre société pour les objets les plus ordinaires. Les sciences humaines n'échappent guère à cette emprise de la matérialité1. L'histoire a fait de l'étude de la culture matérielle un de ses champs de recherches2.

2 L'anthropologie historique ne se limite pas à une description du cadre de vie, elle étudie également les rapports de l'homme avec le monde des objets et tente de dégager les significations de la consommation. Il nous a semblé intéressant d'appliquer une telle démarche dans une ville moyenne du XVIIIe siècle. Nous avons opté pour Bayonne qui, par la stabilité de son cadre urbain, son orientation commerciale et la grande diversité de sa population du négociant au gagne-deniers, constitue un terrain riche pour une étude de la culture matérielle, de son évolution, sous l'effet notamment des influences extérieures, et de la diffusion des pratiques dans les divers groupes sociaux.

3 Une centaine d'inventaires après décès forme l'essentiel de notre corpus. Les actes proviennent des vingt notaires ayant tenu un répertoire au cours du XVIIIe siècle. La diversité des études exploitées offre une approche de la société bayonnaise dans sa diversité géographique et sociale et permet d'affiner l'étude qualitative des objets. En effet, la neutralité des descriptions n'est qu'apparente. Lorsqu'un notaire consigne un objet dans un acte, sa plume par « les mots, les adjectifs, avec leurs imperceptibles nuances, ou au contraire leur indifférence toute administrative » révèle des jugements de valeur3 qui permettent de remarquer de nombreux détails du cadre de vie.

4 La culture matérielle est en perpétuelle évolution. Pour saisir l'apparition des nouveaux objets et les phases de leur diffusion, nous avons élaboré un échantillon de cent vingt- quatre inventaires répartis en quatre tranches chronologiques : 1700-1729, trente et un actes ; 1730-1749, vingt-huit actes ; 1750-1769, vingt-huit actes et 1770-1790, trente-sept actes. La méthode, plus classique, de la double coupe chronologique, une tranche au début du siècle et une autre à son terme, ne convenait guère à l'étude des inventaires bayonnais, à cause d'un très fort déséquilibre numérique entre les deux périodes. En

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effet, le tiers des six cent vingt-six actes recensés dans les répertoires a été rédigé entre 1770 et 1790 alors que moins de un pour cent d'entre eux l'ont été entre 1700 et 1720.

5 Dans chaque tranche chronologique, quelques inventaires de petites gens apparaissent, mais à Bayonne comme ailleurs, l'inventaire après décès est essentiellement « un acte de riche ou tout au moins d'aisé »4.

6 Comme ailleurs, ces actes ne fournissent qu'une connaissance imprécise des formes des maisons et de l'organisation des logements. Le notaire n'évoque qu'exceptionnellement des éléments du bâti et ne s'intéresse qu'aux pièces renfermant des objets à inventorier. Certains biens ne sont pas pris en compte lors de la prisée, ainsi les vêtements du conjoint survivant sont exclus de l'inventaire par la coutume. Les notaires ne consignent que rarement les denrées périssables et les objets de faible valeur. Parmi les réserves alimentaires, le vin, les pots de cuisses d'oie et les jambons sont, à de rares exceptions, les seules citées. Le double serment qu'exige la coutume, sur « l'autel de saint Pierre » et devant le maire ou son lieutenant5, en associant la crainte religieuse et la menace temporelle, limite la fraude sur les objets précieux. Acte juridique écrit par une plume étrangère au foyer, l'inventaire ne restitue pas une part importante de la signification des objets. Les liens, les souvenirs qui les unissent à leur propriétaire n'y trouvent pas leur place, non plus que les stratégies d'acquisition.

7 Pour exploiter le corpus, nous avons établi une grille de dépouillement exhaustif en tenant compte de tous les objets6. Toutes les mentions de couleurs et d'usure ont été conservées. Douze rubriques, inspirées par celles établies par A. Pardailhé-Galabrun et M. Baulant7, ont permis le classement des données : la cellule familiale, l'habitat, le mobilier, les ustensiles de ménage, les réserves alimentaires et les ustensiles de cuisine, le linge de maison, les objets de toilette, le linge de corps et les vêtements, les objets culturels, les objets personnels (bijoux, armes, etc.), les papiers et l'argent monnayé et les stocks professionnels.

8 La situation spatiale de l'objet a toujours été conservée. Elle évite les « dangereuses translations entre les objets utilisés et les objets inutilisés »8. Les archives du Corps de Ville, le livre de comptes de la famille Laborde-Noguès, quelques ouvrages anciens et des documents iconographiques enrichissent l'apport abondant mais incomplet des inventaires après décès.

9 L'étude des objets du quotidien permet de préciser l'évolution du cadre de vie bayonnais au cours du XVIIIe siècle, d'apercevoir les influences, de cerner les processus de diffusion.

10 Elle informe aussi sur les consommations. Quels sont les objets de la vie quotidienne bayonnaise ? Comment interpréter ces consommations ? Comment définir le luxe au sein de la société bayonnaise ?–

11 Après l'habitat, théâtre où se joue la vie domestique, nous considérerons le mobilier structurant intérieur. Avec les petits objets, nous étudierons les « façons de faire » d'un monde que nous avons perdu.

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1) LES PERMANENCES DE L'HABITAT

A) Les formes de la maison

12 Au cours du XVIIIe siècle, les goûts architecturaux des Bayonnais évoluent. Dans quelques inventaires, le notaire mentionne « des réédifications et des augmentations » 9. Les archives de la série DD apportent plus de précisions sur les changements de la maison bayonnaise. La construction de la fin du XVIIe siècle, telle qu'elle apparaît sur Les sections typologiques des rues de Bayonne10, avec son avant-toit débordant, ses éléments saillants sur la façade et l'appui mouluré des fenêtres est remise en cause au XVIIIe siècle par la politique d'alignement des façades entreprise par les échevins. Au cours de ce siècle, dix-sept pour cent des maisons de la ville sont alignées11 Les matériaux traditionnels se maintiennent et la majorité des Bayonnais séjournent dans des constructions à pans de bois.

13 Mais un autre courant architectural rompant radicalement avec l'idéal ancien et reposant sur l'emploi de nouveaux matériaux et sur la sobriété élégante des façades se développe. La pierre appareillée provenant des carrières de Bidache, matériau de qualité qui n'est pas à la portée de toutes les bourses, caractérise cette nouvelle mode. Certains, tel Arnaud de Chanda12 peuvent faire édifier une façade coûteuse où de sobres éléments de fer forgé peints en gris ou en noir13 valorisent la régularité de la pierre de taille. Pierre de Chegaray doit se contenter de « convertir en pierre de taille ce qui se trouve en charpente du rez-de-chaussée jusqu'au premier étage »14. Les propriétaires les moins argentés s'offrent l'apparence de la pierre en masquant les pans de bois sous du plâtre et en le peignant15.

14 Le nouvel idéal architectural ne concerne que les façades les mieux exposées, les plus visibles. Lorsque Jean Lamaignère fait rehausser sa demeure d'un étage, le devis nous apprend que seules « les façades du côté de la rivière » sont en pierre de taille et que des frises de chêne y lambrissent le « dessous du toit ». La façade donnant sur la rue conserve ses pans de bois et n'est lambrissée qu'avec du pin16. Cette volonté de paraître s'accommode pourtant d'une banalité des formes de la maison. Ici, à cause du parcellaire étroit et à la différence de nombreux ports de la façade atlantique, il n'y a pas de beaux hôtels particuliers. L'unique hôtel bayonnais, la maison de Brethous, bâti au XVIIIe siècle par l'architecte et décorateur du roi, J.-A. Meissonnier, malgré le renom de son concepteur et ses balcons de style rocaille sculptés à Bordeaux17, est un bâtiment assez modeste comparé aux hôtels bordelais.

15 Le goût pour la pierre, qui se développe au XVIIIe siècle, témoigne d'un luxe sobre. Même derrière les dures façades de pierre de Bidache, le bois reste le matériau de construction essentiel. Les formes de la maison n'évoluent guère peut-être à cause de la mainmise d'artisans locaux sur la construction. L'influence de l'architecture exogène est très faible à Bayonne.

B) Les évolutions limitées des logements

16 La maison bayonnaise est une maison partagée. Dans cette ville de locataires où les loyers sont élevés18, la plupart des logements ne comportent que peu de pièces. Les plus modestes ne disposent que d'une pièce unique. Pierre Jay, un portefaix de sel partage sa chambre unique avec Claire Tauzet et leurs trois enfants19.

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17 Les logements plus spacieux sont d'une commodité variable. Celui de Jean Darcet, maître chirurgien, occupe un étage entier : une chambre sur le devant, une chambre à côté, un appartement et une cuisine sur le derrière de la maison20. En revanche, en 1775, le logement de Joseph Guiches se compose de cinq pièces réparties entre le second, le troisième et le cinquième étage de sa demeure21.

18 Dans cette ville où l'espace est un luxe, quelques ménages se distinguent par le grand nombre de pièces qu'ils occupent, parfois une maison entière. Guilhaume Barrière loue, par exemple, pour cent cinquante livres l'année un chai et les trois étages d'une maison22. Une minorité de Bayonnais fortunés affirme leur rang social par la possession, outre de spacieux logements urbains, de biens de campagne. Pierre Rouy, maître boulanger occupait, entre la rue des Cordeliers et la rue Pannecau, une maison de seize mille livres qu'il a quittée pour se retirer à Saint-Pierre d'Irube auprès de ses vignes23.

19 Durant tout le XVIIIe siècle, dans la plupart des logements, il n'existe pas de pièces spécialisées. Le terme imprécis de « chambre » que les notaires utilisent abondamment en témoigne. Les termes de « cuisine » et de « salle » ne révèlent qu'une amorce de spécialisation. Les ustensiles nécessaires à la préparation des repas se concentrent lorsqu'elle existe dans la cuisine. La salle ou la « chambre servant de salle » est le lieu de la sociabilité et des apparences et concentre les plus beaux objets. Mais ces pièces constituent, comme le rappelle la présence de lits, des lieux de repos potentiels ; même dans de grands logements, à la fin de l'Ancien Régime, le lit reste omniprésent24.

20 La spécialisation poussée des pièces ne concerne qu'une étroite minorité. Dans la première moitié du siècle, ce phénomène ne concerne que quelques titulaires de charges, des marchands et des négociants, comme en 1713, Joseph Dolives, conseiller du roi, lieutenant particulier et assesseur criminel, qui dispose de pièces aux fonctions précises : salle et cuisine dépourvues de lit, salon, etc.25. A la fin du siècle, quelques capitaines de navires26 et de riches maîtres de métiers 27 pratiquent eux aussi la spécialisation. Dans ces intérieurs, le salon, parfois « à manger »28, participe à la mise en scène de la sociabilité. Le cabinet, au contraire, qu'il soit de lecture29 ou de toilette30 offre une retraite protégée. Ces innovations engendrent une segmentation de l'espace domestique et révèlent une conception plus rationnelle de l'habitat ainsi qu'une recherche d'intimité.

21 Dans les logements bayonnais, la vie domestique et l'activité professionnelle restent fortement imbriquées. Chez les maîtres de métiers de bouche, la cuisine et la boutique se confondent fréquemment. En 1746, le pâtissier Pierre Buisson fabrique ses tourtes dans sa « boutique servant de cuisine »31. Dans la demeure du négociant Dominique Labat, le comptoir jouxte la salle du premier étage, témoignant de l'emprise de ses affaires sur sa vie quotidienne32.

22 En fait les liens entre la vie professionnelle et la vie domestique sont étroits quelles que soient les professions. Même le modeste gabarier conserve son hamac et ses hardes de mer avec le reste de son linge33.

23 Les évolutions dans l'organisation des logements ne concernent qu'une frange de la population disposant, par un cloisonnement de l'espace intérieur d'un cadre de vie plus intime. Mais, quelles que soient les fortunes l'activité professionnelle s'insère encore, pour tous, dans la vie domestique.

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C) La chaleur et la lumière

24 Les possibilités de chauffage et d'éclairage des logements sont deux aspects fondamentaux du cadre de vie domestique.

25 Le feu de la cheminée est la seule source primaire de chaleur dans les intérieurs bayonnais. La centaine d'actes étudiée ne mentionne aucun poêle, signe d'une absence ou d'une extrême rareté de cet appareil. La cheminée, nécessaire à la cuisson des aliments, au chauffage et à la lutte contre l'humidité, symbolise le cœur du foyer. Dans les inventaires, les ustensiles à l'usage du feu (chenets, etc.) nous renseignent sur le nombre de pièces dotées d'une cheminée mais les actes ne décrivent pas avec précision cet élément du bâti. La cheminée constitue un minimum domestique dont aucun logement n'est dépourvu. Entre les intérieurs composés de plusieurs pièces règne une grande inégalité. Bernard Detcheverry, un modeste marin ne dispose que d'une cheminée pour trois pièces alors que l'ancien maire Jean Léon Dubrocq peut chauffer quatre des cinq pièces de son appartement du Pont Majour34.

26 Dans les intérieurs équipés de plusieurs cheminées, leurs ustensiles font apparaître une dichotomie. À la simplicité des accessoires utilisés dans la cuisine s'oppose la qualité et l'ornementation de ceux de la salle. Chez Pierre Lanne, une plaque en « fer de Hollande » équipe la cheminée de la salle, alors que celle de la cuisine est en « fer du pays »35. Ce supplément esthétique témoigne de l'importance symbolique de la cheminée qui est un des lieux idéaux pour affirmer l'aisance d'une famille. Les âtres de certains intérieurs modestes renferment parfois des objets remarquables, à l'instar des « chenets en coste de melon » en laiton du foyer de Jeanne Cazenave36 : la plus value esthétique constitue alors le luxe du « pauvre ».

27 La présence d'une cheminée ne signifie pas nécessairement que la pièce est bien chauffée. Le combustible est en effet rare et cher. Si certains Bayonnais disposent de réserves importantes de bois évaluées en charretées ou en gabares37, d'autres, moins argentés, se contentent des fagots dont le prix de vente fluctue considérablement d'une semaine à l'autre, atteignant parfois en hiver des prix élevés, par exemple, cinq sous six deniers le trois mars 174138. Les plus modestes récupèrent les bois les plus divers. Pierre Bauzes, portefaix utilise des « bois de barrique »39. Quelques Bayonnais utilisent le charbon, notamment de pin, plus coûteux que le bois40.

28 Quel que soit le combustible, la cheminée traditionnelle n'a pas un rendement calorifique élevé41. Le bois conservé dans des chais humides se consume difficilement. A Bayonne, la diffusion des progrès techniques, tels que le trumeau, est tardive et ne concerne que les plus aisés. Le ramonage, de plus en plus régulier, des conduits42 améliore toutefois, au cours du XVIIIe siècle, le tirage des cheminées.

29 Pour combattre l'humidité et les courants d'air, les citadins habillent les murs de leur logement. Les notaires ne mentionnent que très rarement les boiseries. La demeure de Joseph Dolives, avec son vestibule boisé, révèle le goût des élites pour ce type de décoration43. Les boiseries sont parfois richement décorées. Joseph de Laborde Noguès a contracté une dette de soixante-cinq livres envers un « peintre hambourgeois » pour « un tableau fait à une porte »44.

30 L'habillage des intérieurs bayonnais subit au cours de la période étudiée des transformations décisives. Dans les premières décennies du siècle, les murs sont garnis de tapisseries, souvent d'un grossier bergame vert. Chez les négociants aisés, de

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somptueuses pièces d'Aubusson45 ornent les plus belles pièces. Plus ou moins épaisses, toutes ces tapisseries constituent une défense contre la déperdition de chaleur. A la fin de l'Ancien Régime, la tapisserie a fortement reculé au profit des tentures de toile. Les motifs de ces tentures sont variés, le « pastoral » est particulièrement apprécié46. La vogue des papiers peints confirme le succès de ces revêtements plus légers. Les inventaires ne recensent que les papiers collés sur toile. Ils ornent les appartements de l'élite économique. Le papier peint n'est pas très onéreux, Joseph de Laborde Noguès le paie cinq livres la pièce en 176347. Sa présence est un signe d'aisance car sa fonction purement ornementale le réserve aux intérieurs les mieux chauffés et ses teintes subtiles, « fonds jaune citron »48 par exemple, aux murs bien éclairés. Fragile, le papier peint se déprécie vite. La richesse des nuances qu'il autorise ajoute, à son usure physique, les aléas des modes.

31 Au cours du siècle, les solides tapisseries ont donc reculé au profit de matières plus légères et plus fragiles. Cette transformation estompe le caractère utilitaire de la tenture et en accentue la fonction ornementale.

32 Le « goût moderne »49 attache une grande importance à la pénétration de la lumière. Les transformations de la maison des Laborde Noguès, au Port Neuf en sont un bon exemple : « [ l'auteur de ces lignes est Joseph de Laborde Noguès] j'ai fait une quantité de croisées, ouvert une vue au milieu de la cour, [...] j'ai ouvert encore une vue au toit de la petite cour qui est au fond de mon appartement et cela pour éclairer mon cabinet de toilette. »50. Aux fenêtres des appartements cossus, des rideaux plus légers et moins opaques remplacent au cours du siècle les lourds rideaux de cadis. Les miroirs redistribuent la lumière solaire à l'intérieur des pièces.

33 Les plus mal logés conservent, devant leurs croisées étroites, les sombres rideaux de cadis qui entretiennent une pénombre que l'éclat des murs chaulés et la blancheur du linge atténuent tant bien que mal.

34 Pour lutter contre l'obscurité, les Bayonnais sont inégalement équipés. Jusqu'à la veille de la Révolution, un bon nombre de chambres uniques ne sont dotées que d'un seul luminaire, comme c'est le cas pour celle de Jean Lamarigue51. Pour les milieux populaires, la lumière est un luxe utilisé avec parcimonie. Les appareils d'éclairage sont coûteux. La livre de « bougie du Mont-de-Marsan » atteint deux livres et demi en 176652. La valorisation sociale passe par l'usage ostentatoire de la lumière, que symbolise à merveille le lustre53, et par les métaux employés dans la fabrication des luminaires.

35 Au début du siècle, la majorité des chandeliers sont en airain, dans la seconde moitié du siècle, le laiton le remplace. La question des alliages anciens est délicate54 mais l'hypothèse d'une composition des alliages identique à l'actuelle expliquerait cette substitution. L'airain composé de cuivre et étain tendrait à devenir, du fait du renchérissement de ce dernier, une argenterie du pauvre : dans les rares actes où il apparaît à la fin du siècle, c'est un métal coûteux prisé avec l'étain55. Le laiton, alliage de cuivre et de zinc se répandrait grâce à un prix moins élevé : sept chandeliers de laiton, avec leurs mouchettes et porte-mouchettes sont estimés douze livres en 178956. Le chandelier conserve toujours une valeur esthétique et le fer, fréquemment utilisé pour les lampes, ne l'est que rarement pour ce type d'objets.

36 L'argent est caractéristique des luminaires de luxe. Objets de prestige, en 1745, Duclerc estime le marc d'argenterie ouvrée à cinquante livres57, ils ne sont utilisés que dans les grandes cérémonies et sont le plus souvent soigneusement rangés dans les armoires. Ils

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ne sont accessibles qu'à une élite étroite composée de négociants, d'aristocrates et de quelques maîtres de métiers et de capitaines de navire aisés.

37 Dans la seconde moitié du siècle, certains ménages de maîtres de métiers et de capitaines de navire optent pour des imitations de ces objets de luxe. Ces populuxe goods58, copies peu chères d'objets de luxes, utilisent l'argent haché ou le similor59. De telles consommations semblent motivées par un désir d'imitation.

38 Le logement est le centre, plus ou moins spacieux, chaud et lumineux, de la vie domestique et sociale des Bayonnais. Le mobilier s'y trouvant témoigne d'une mentalité.

2) LE MOBILIER ET SES USAGES

A) Le lit, pôle de la vie domestique

39 Xavier de Maistre souligne fort bien, dans son Voyage autour de ma chambre, la fonction centrale du lit dans la vie quotidienne d'Ancien Régime : « c'est un berceau garni de fleurs ; c'est le trône de l'Amour ; c'est un sépulcre »60.

40 Dans la journée, le lit a une fonction de représentation sociale, il manifeste l'aisance de son propriétaire. Il s'agit d'un investissement important. Le prix d'achat du lit de Jacob Alexandre est de neuf cents livres61. Dans les inventaires populaires, la valeur relative des lits est importante. Le notaire prise le lit de Marie Cruchette trente livres, somme qui représente cinquante-deux pour cent de la valeur de son pauvre mobilier62. Placés dans les plus belles pièces, les lits de maîtres sont des objets de prestige qui se distinguent aisément des couches de domestiques. L'écart entre la valeur d'un lit de maître et d'un lit de domestique est toujours très marqué. Le lit de François Viveau est trois fois plus cher que celui de son domestique63.

41 Les garnitures de lit, exposées au regard des visiteurs durant la journée, constituent un investissement social important. Elles évoluent au cours du XVIIIe siècle. Dans la première moitié du siècle, le goût du temps est aux étoffes solides, cadis ou sempiterne. Le vert est la couleur la plus fréquente. Le rouge se rencontre dans quelques intérieurs aisés.

42 Au cours du demi-siècle suivant le cadis et la sempiterne verts habillent encore les lits d'un grand nombre de petits maîtres de métiers et d'une partie du petit peuple portuaire, mais une véritable éclosion des couleurs a eu lieu dans de nombreux intérieurs. Les productions de l'industrie toilière, cotonette et indienne surtout, sont les plus employés. Ces étoffes sont parfois coûteuses : Joseph de Laborde Noguès dépense cent vingt et une livres pour acquérir une garniture de cotonette64, mais elles constituent une protection moins efficace contre la déperdition de chaleur. Ces deux caractéristiques expliquent le maintien dans la plupart des foyers populaires des anciennes étoffes de laine pour la confection des garnitures de lit. Dans ces lits, derrière les rideaux épais, l'emploi de la courtepointe d'indienne se diffuse. Les toiles richement décorées, telles que les indiennes à fonds blanc ou rouge65, se fanent et se déchirent plus rapidement que les anciennes étoffes mais elles sont surtout beaucoup plus exposées au changement de modes, véritable usure sociale. L'industrie florissante qui les produit fait, en effet preuve d'une judicieuse politique commerciale66. La diffusion de ces toiles révèle une nouvelle façon de consommer.

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43 La nuit, le lit se fait protecteur. Le nombre de dormeurs par couche détermine le degré d'intimité mais les inventaires n'autorisent qu'une connaissance approximative de celui-ci. Ils n'indiquent que très rarement l'âge des enfants, le nombre exact de domestiques, nous privant ainsi d'une connaissance précise de la maisonnée. Rien n'indique non plus que tous les lits présents dans un logement sont régulièrement utilisés. Dans les rares cas où les données sont précises, les lits ne sont pas surpeuplés. La chambre qu'occupe, chez son beau frère, Jacques Guillot renferme trois lits. Le plus confortable est à son usage et ses deux enfants disposent chacun d'un mauvais lit67. Dans les intérieurs du petit peuple portuaire, la situation n'est guère différente. Les trois enfants impubères du marin Jean Bastarretche disposent d'un lit distinct de celui de leurs parents68.

44 La faible densité d'occupation des lits donne une impression d'intimité, mais celle-ci est également liée à l'éloignement entre les différents lits. Dans les chambres uniques, deux lits ne sont pas rares ce qui confirme la faible occupation des lits. Dans les logements plus spacieux, ce cas de figure est beaucoup moins fréquent et le notaire ne remarque en général qu'un lit par pièce. L'intimité nocturne semble être une préoccupation réelle des Bayonnais.

45 Le lit constitue le dernier rempart contre le froid. Les rideaux forment une véritable carapace autour du dormeur et lorsque l'indienne remplace le cadis, elle arrête encore les courants d'air et maintient une protection symbolique en préservant l'intimité. Au cours du siècle, l'exigence de bien-être s'accroît et une accumulation de matelas rend les lits plus confortables. Alors que de nombreux maîtres de métiers de la fin du règne de Louis XIV se contentaient d'un unique matelas, leurs successeurs de la seconde moitié du siècle en ont rajouté un deuxième à leur couche69. Les couettes de plumes, « hubety » dans la terminologie locale70, sont fréquentes. Le chauffe-lit et la bassinoire sont courants dans les cuisines des marchands et des négociants du début du siècle puis, à partir des années 1740, dans celles des maîtres de métiers. Ils garantissent un sommeil à l'abri du froid même dans les lits garnis de toiles peintes. Conservés à l'abri des regards, ce sont des objets utilitaires dont les matériaux ne sont jamais luxueux, seul le bel objet doit être visible.

46 Les draps du lit sont au centre d'une symbolique de la vie d'un ménage. Ils sont un des éléments du trousseau de la mariée71, participant ainsi à sa fondation. Leur accumulation sanctionne la réussite économique du chef de famille. Au terme de sa vie, Dominique Laharrague conserve dans ses armoires pour deux cent quatre vingt-deux livres de draps de lits et de toile à drap. Cette somme représente vingt-deux pour cent de la valeur totale des effets inventoriés chez lui72. En cas d'un revers de fortune, une « créance de pain et de loyers » peut être réglée en cédant quelques draps73. L'accumulation lingère qui apparaît dans de nombreux foyers est un phénomène complexe qui mêle la nécessité de renouveler les draps et la volonté de thésauriser.

B) Une nouvelle conception du rangement

47 Le coffre recule très nettement. Au début du siècle, il figure encore en bonne place dans les intérieurs bayonnais. Il ne s'agit pas nécessairement d'un meuble de transport facile, comme le rappellent les formes massives de quelques pièces conservées dans les musées locaux. Dès les années 1740, le coffre disparaît totalement du patrimoine de certains ménages et lorsqu'il est conservé, il se trouve relégué dans des espaces

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marginaux, notamment le bouge74. Son recul matérialise la remise en cause de l'entassement sans classement qui caractérise son emploi.

48 Les meubles de rangement verticaux sont présents dans les intérieurs bayon nais dès le début du siècle. En 1697, Isabeau Langlade possède une armoire de noyer lorsqu'elle entre au service de Pierre Ducau75. L'abandon du coffre fait progressivement de l'armoire le meuble de rangement par excellence, présent aussi bien dans la chambre de Jean Ponteil, modeste portefaix que dans la salle du négociant Jean Baptiste Boccalin76. Par ses étagères, l'armoire permet un rangement plus rationnel. Dans sa grande armoire, Jacques Brout range mouchoirs, chemises, jupes, vestes et linge de maison77.

49 La diffusion du vaisselier témoigne de cette recherche de l'ordre et de la commodité dans le classement. Ce meuble bipartite libère les alentours de l'âtre des ustensiles qui s'y entassaient et facilite l'accès à la vaisselle.

50 La commode apparaît précocement dans les intérieurs de l'élite bayonnaise. La première mention de ce meuble que nous avons rencontrée remonte à 1739, chez l'ancien maire Jean Léon Dubrocq78. Dans les années 1740, des commodes sont prisées lors des décès de certains négociants, de quelques épouses de capitaines de navire et de maîtres de métiers aisés. Le décalage avec la diffusion de ce meuble à Paris n'est pas très important puisque dans les années 1720-1730, la commode y est encore « un meuble de prestige réservé à une élite sociale »79. L'adoption rapide de ce meuble recherché révèle une grande porosité de l'élite bayonnaise aux modes parisiennes qui se retrouve dans d'autres domaines.

51 La commode reste un meuble de l'élite urbaine, mais à la fin du siècle certains notaires emploient abusivement ce nom pour désigner, dans des intérieurs populaires, des buffets bas dotés de « deux portes et d'un tiroir »80, alors que la vraie commode n'a que des tiroirs. La commode est à la fois un meuble de rangement rationnel et un objet d'apparat, très esthétique, placé dans les plus belles pièces. Pierre Léon Laulhé exhibe la sienne dans la salle du premier étage de sa maison du Bourg Neuf81.

52 Le bureau est lui aussi un meuble d'apparat, peu diffusé. Il est lié à la pratique de l'écrit mais ses tiroirs dotés de serrures et ses « secrets »82 favorisent un rangement rationnel et intime.

C) Les exigences de la sociabilité

53 Dans les logements, le nombre de sièges est très supérieur au nombre d'occupants et ce quelle que soit leur fortune. Pierre Catain, un capitaine de navire et son épouse disposent de douze chaises et d'un fauteuil83. Dans sa chambre unique, Pierre Bauzes, portefaix, possède onze chaises84. Seuls les indigents ne conservent qu'un petit nombre de sièges. Martin Lafargue et son épouse n'ont que deux chaises et l'état général de leur mobilier indique la pauvreté85. Le siège est le minimum requis pour recevoir. La surabondance de sièges suggère une sociabilité active.

54 Considéré isolément, chaque siège nous renseigne sur l'esthétique du quotidien et les exigences du bien-être. La chaise est le siège le plus répandu, elle remplace le banc dans tous les logements, celui-ci n'étant présent que dans certaines boutiques, notamment celles des marchands de vin86. La plupart des chaises sont paillées. Au cours du siècle, l'exigence de bien-être augmente. La chaise entièrement de bois disparaît des

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intérieurs populaires alors que le goût de l'élite pour les sièges bien rembourrés et garnis s'affirme. Absent des intérieurs populaires du début du siècle, le fauteuil se diffuse par la suite mais le plus souvent à un seul exemplaire aux finitions soignées. La recherche d'un luxe « agréable » prend la forme dans les logements de l'élite de sièges volumineux. Le sofa apparaît précocement dans les demeures de négociants et dans la seconde moitié du siècle, il se diffuse auprès des capitaines de navire et des maîtres de métiers. Le canapé et la bergère restent plus rares.

55 Considérés dans leur ensemble, les sièges dessinent une géographie de la sociabilité. Dans les logements composés de plusieurs pièces, la distribution des sièges est inégale. Certes, quelques Bayonnais conservent un nombre important de sièges dans un bouge ou un réduit87, mais dans la majorité des intérieurs, ils paraissent assignés à une pièce déterminée. Lorsque Joseph de Laborde Noguès commande un lot de chaises de Rouen, il sait déjà qu'elles sont destinées à la « petite chambre qui donne sur la salle »88.

56 Les sièges se concentrent dans les plus belles chambres, c'est là qu'ils sont aussi les plus beaux et les moins usés. Dans la salle du logement de Gracieuse Duhalde, tous les sièges sont des fauteuils garnis de « jong » ou de tapisserie ; dans les autres pièces, ils sont paillés89. Le notaire ne commente pas l'état des neuf chaises et du fauteuil qu'il prise dans la chambre du devant, chez Joseph Guiches mais note que les sièges des autres pièces sont vieux ou hors d'usage90.

57 Ces observations ne concernent pas seulement les habitats spacieux de l'élite. Dès qu'il y a deux pièces, les plus beaux sièges se concentrent dans l'une d'elles. Jean Baptiste Lartigue, maître tillolier, a placé dans sa chambre donnant sur le quai des Cordeliers onze chaises et un fauteuil de cerisier estimés quatorze livres ; dans la cuisine adjacente, les six chaises communes et usées ne valent que trois livres91 : la sociabilité exige une mise en scène du décor intérieur, même dans les logements modestes.

58 D'autres meubles témoignent encore de l'importance de cette sociabilité. La table est le meuble de la convivialité par excellence, elle est présente dans tous les intérieurs. Elle peut être pliante, cas fréquent, par manque de place, dans les chambres uniques, ou fixe. Dans les appartements cossus, un mobilier ludique apparaît parfois. Les trictracs et les tables de « quadrille », appréciés de l'élite portuaire et de celle des métiers en sont les pièces les moins encombrantes. Le billard ne trouve sa place que dans les intérieurs spacieux car il est nécessaire de se déplacer autour de lui et aussi, sans doute, à cause de son prix. En 1729, un billard garni est prisé deux cents livres alors qu'un trictrac neuf ne coûte, en 1762, que vingt-neuf livres92.

D) Les essences et les styles

59 Au début du siècle, le noyer prédomine largement. C'est un bois lourd, très homogène et de teinte sombre. Il sert à la fabrication de tous les types de meubles. Il reste en vogue jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, mais au cours du siècle, d'autres essences le concurrencent. Les résineux, notamment le pin, progressent fortement, en raison de leur coût modéré. Les milieux populaires apprécient ces essences. En 1757, une armoire de pin est évaluée seize livres et une de noyer, trente livres93. Les autres essences forestières indigènes sont plus discrètes dans les inventaires ; certes, à la fin du siècle, la commode de châtaignier connaît une vogue certaine mais le chêne et le hêtre sont peu employés parce que jugés trop campagnards alors que le mobilier rural landais94 les utilise abondamment.

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60 Dans la seconde moitié du siècle, le cerisier réalise une belle percée. Il est apprécié pour la fabrication des sièges et des buffets, bénéficiant de sa teinte rougeâtre qui rappelle celle des bois exotiques, beaucoup plus onéreux. Les prix de ces derniers, cent cinquante livres pour une armoire d'acajou95, les réservent à une élite restreinte qui y voit la distinction suprême en matière d'ameublement.

61 Les meubles sont plus ou moins travaillés. Les armoires « façonnées »96, les pieds de chaises « en colonnes de torse »97, les tables « à pied de biche »98 sont quelques exemples de l'art des menuisiers du temps. Ces finitions sont autant d'éléments ornementaux qui distinguent du commun.

62 Certains styles révèlent des influences extérieures à la ville. Le « coffre de Hollande en bois de sapin » est un meuble fréquent dans les intérieurs des catégories portuaires du début du siècle. Dans les décennies suivantes, l'élite portuaire s'engoue de la table marquetée « de Hollande ». Certaines pièces d'ébénisterie, telles que les buffets et les tables à dessus de marbre, très rares à Bayonne ou la « commode à la chinoise avec son pied doré » de Marc Cornot99 qui utilise des techniques de laquage très élaborées100, sont vraisemblablement de facture extérieure à la ville. Les élites locales sont sensibles à ces modes exogènes.

63 C'est dans l'espace domestique, structuré par le mobilier que s'exécutent les gestes du quotidien.

3) LES GESTES DU QUOTIDIEN

A) Les objets de la cuisine

64 Au cours du XVIIIe siècle, une fragilisation très nette des récipients de cuisson et de la vaisselle est perceptible.

65 La dinanderie qui est présente dans toutes les cuisines101 de la fin du règne de Louis XIV, régresse au cours du siècle et, à la veille de la Révolution, les ustensiles de cuivre n'apparaissant en grand nombre que dans les batteries de cuisine des plus aisés. Le renchérissement du cuivre explique ce recul : une chaudière de cuivre rouge est estimée quarante-sept livres en 1743102.

66 Les ustensiles de fer et ceux de terre progressent fortement au cours du siècle, leurs prix plus abordables ayant pu les favoriser aux dépens du cuivre mais leur succès a des raisons plus complexes. En effet, la poterie qui au début du siècle caractérisait les ménages les plus modestes, est utilisée à la fin de l'Ancien Régime dans toutes les cuisines. Sa diffusion est liée à une augmentation de la production potière, grâce notamment au développement des centres béarnais de Garos et Bouillon103. Le fer s'impose dès le début du siècle pour la fabrication des grils, des poêles et des petits ustensiles. Son succès tient peut-être à une supériorité technique mais la diffusion des marmites de fer a pu, tout comme celle de la poterie, bénéficier de la prise de conscience des dangers du cuivre vert-de-grisé dont témoigne une lettre du ministre de la guerre ordonnant le remplacement des marmites de cuivre de l'Hôpital militaire par des ustensiles de fer104. Ce souci n'a concerné dans un premier temps que les Bayonnais les mieux informés.

67 La vaisselle d'étain est présente dans tous les intérieurs bayonnais du début du siècle. Elle constitue un investissement durable mais coûteux : la douzaine d'assiettes, les

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quatre plats et l'aiguière prisés chez Joseph Rossignol valent cinquante livres105. Dès le second tiers du siècle, les céramiques concurrencent fortement l'étain dont le prix ne cesse d'augmenter. Réduit à quelques pièces sur les vaisseliers les plus modestes, l'étain conserve dans les milieux populaires une fonction de prestige et de thésaurisation.

68 A la fin du XVIIIe siècle, la céramique est présente sur toutes les tables bayonnaises. Dans les milieux populaires, le succès des faïences communes, de piètre qualité et unies, tient à la faiblesse de leur coût. Jean Ponteil, un portefaix possède trente assiettes et un plat estimés six livres106. Sur les tables de l'élite, apparaissent des céramiques coûteuses richement décorées provenant notamment de Hollande ou de Rouen. A la fin du siècle, la faïence anglaise est appréciée. La porcelaine, très coûteuse, n'apparaît que dans les intérieurs les plus aisés.

69 Le succès des céramiques doit être rapproché du dynamisme des faïenceries et porcelaineries. Les onze faïenceries qui ont fonctionné dans le bassin de l'Adour au XVIIIe ont alimenté à la fois le marché de bas de gamme et celui de qualité107. Quant à la diffusion de la faïence anglaise, elle est le fruit d'une politique commerciale offensive.

70 La diffusion du gobelet de verre, présent en petit nombre chez les portefaix de sel de la fin de l'Ancien Régime108, renforce l'impression d'une fragilisation de la vaisselle.

71 Au cours du siècle, les manières de table évoluent. Dès la fin du Grand siècle, le monde du négoce utilise la fourchette. Cet ustensile qui se diffuse au cours du siècle fait partie à la veille de la Révolution du quotidien des plus humbles. Son emploi matérialise un changement profond de la mentalité et des mœurs, la naissance d'une autocontrainte. Ce petit objet bouleverse, en effet, les pratiques et modifie également les règles de la commensalité en imposant de nouveaux gestes qui nécessitent un long apprentissage dès l'enfance dont témoignent les « petites fourchettes pour les enfants »109. Le couteau de table se diffuse au cours du siècle mais demeure plus rare, les milieux populaires se contentant des petits canifs de quelques sous aux usages multiples110. La culture des apparences intègre parfaitement la commensalité. Par les objets de la table, les riches bourgeois affirment leur aisance. Le linge fin, les couverts et les salières d'argent rappellent la puissance de l'hôte.

72 La consommation des boissons exotiques, essentiellement le chocolat et le café pour lequel le goût des Bayonnais s'affirme au cours du siècle, révèle également une avancée de la civilisation des mœurs et l'importance du paraître. Le maniement des ustensiles qui forment les services à boisson (tasses, soucoupes, pinces à sucre, etc.) nécessite des gestes mesurés, contrôlés, un travail de contrainte imposé au corps. Les cabarets « peints à la chinoise »111, les porcelaines prestigieuses provenant des Indes112 - cette mode exotique connaît un succès durable - et les chocolatières d'argent qu'emploie l'élite rappellent l'importance de cette consommation dans la mise en scène sociale. Chez les Bayonnais moins fortunés, la faïence commune remplace la porcelaine et les chocolatières ou les cafetières sont en cuivre, en fer-blanc ou même en terre.

B) Les soins du corps et le travail des apparences

73 Les nouveaux gestes de la toilette ne connaissent qu'une diffusion limitée.

74 A la fin du règne de Louis XIV, seuls quelques hommes du négoce possèdent une chaise de commodité « de Hollande »113. Ce meuble, qui constitue un progrès indéniable du confort intime, ne connaît par la suite qu'une diffusion limitée. Pour la majorité des

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Bayonnais, les latrines sont encore, au mieux, à la veille de la Révolution, les lieux utilisés quotidiennement.

75 L'eau est une denrée précieuse et son usage pour la toilette reste limité. Les aiguières accompagnées de leur bassin en étain puis en faïence se diffusent cependant au cours du siècle jusque dans les ménages modestes, mais ces objets n'autorisent qu'une toilette sommaire qui se concentre sur les parties visibles du corps notamment le visage et les mains. Leur diffusion marque une transition entre le temps de la toilette sèche et celui de l'emploi plus abondant de l'eau114.

76 Les nouveaux usages de l'eau n'apparaissent que très tardivement à Bayonne et dans un nombre réduit d'intérieurs. Les baignoires sont fort rares. Elles témoignent à la fois d'une préoccupation accrue à l'égard du corps, leurs propriétaires détenant aussi de nombreux objets de toilette115, et d'une nouvelle sensualité. Les bidets, peu répandus, témoignent d'un souci d'hygiène, qui tranche nettement avec l'ancienne conception de la propreté limitée aux parties visibles du corps. A la différence de J.-C. Perrot pour qui « baignoires et bidets ne signifient rien, même chez les [...] plus riches, que bizarrerie et excentricité »116, nous préférons les considérer comme les témoins d'un changement de sensibilité, au sein d'une élite fort réduite. La présence de ces deux objets dans les intérieurs d'une partie de l'élite bayonnaise révèle sa modernité. En effet, à Paris, même à la veille de la Révolution, la baignoire et le bidet restent l'apanage des catégories les plus aisées117.

77 La blancheur de la chemise et la netteté de ses habits distinguent encore dans cette société des apparences, celui qui est propre et celui qui ne l'est pas. Les inventaires ne nous donnent qu'une connaissance approximative du patrimoine linger et vestimentaire. Le cycle complexe de la récupération du textile, avec les reventes, les dons ou le réemploi à l'intérieur de la famille entraîne l'absence d'une partie ou de la totalité des vêtements dans un grand nombre d'actes et interdit une approche quantitative. Au cours du siècle, le vêtement des Bayonnais a profondément évolué, non pas dans sa forme, l'habit en trois pièces et la jupe restent les tenues les plus communes, mais dans ses étoffes. Aux sombres habits masculins du début du siècle, succèdent des tenues plus colorées. La vêture féminine, assez colorée au début du siècle, se pare de motifs grâce au triomphe des indiennes. Le succès incontestable de tissus plus légers annonce une durée éphémère du vêtement et des désirs nouveaux de renouvellement plus rapide. Le vêtement des élites, influencé par les modes parisiennes118, affirme, avec ostentation, l'aisance de celui qui le revêt.

78 Un objet concentre à la fois le goût de l'apparence et l'émergence d'une nouvelle sensibilité liée à de nouveaux rapports au corps. Il s'agit du miroir. Au début du siècle, les notaires ne le remarquent que dans les intérieurs cossus des marchands et des maîtres de métiers aisés. A la veille de la Révolution, rares sont les intérieurs où ne figure pas, au moins, un petit miroir. En dépit des dimensions variables des glaces, toutes les images spéculaires reflètent l'apparence du logis et de la personne, cette dernière entraînant une nouvelle conscience du corps.

C) La culture dans l'environnement domestique

79 Dès le début du siècle, toutes les couches de la société bayonnaise partagent une culture visuelle, accessible à tous. Elle est essentiellement religieuse. La plupart des retables, des estampes ou des tableaux consignés dans les inventaires sont d'inspiration

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religieuse. Les œuvres inspirées de la passion du Christ, « Jésus portant la croix »119 par exemple, évoquent un christianisme doloriste. La recherche d'intercesseurs entre le pauvre pêcheur et son Dieu se matérialise dans l'abondance des images représentant les saints ou la Vierge. Ces images se maintiennent sur les murs jusqu'à la fin de l'Ancien Régime.

80 Le crucifix et le bénitier, fréquemment placés aux abords des lits, figurent sous des formes plus ou moins coûteuses - des « Christ d'ivoire sur fond de velours noir » aux croix de bois120 et des bénitiers d'argent à ceux de « terre de Biarrits » 121 - dans un grand nombre d'intérieurs. Ils perdurent jusqu'à la Révolution.

81 Cette abondance d'objets de piété suggère une forte emprise de la religion sur les mentalités jusqu'à la fin du siècle, même chez l'élite urbaine.

82 La culture savante, celle de l'écrit, malgré les progrès réels de l'alphabétisation reste celle de l'élite. Le livre a, cependant, connu une diffusion très relative. Au début du siècle, seuls des hommes de loi, du négoce ou des talents laissent à leurs successeurs des ouvrages imprimés. La bibliothèque la plus importante que nous ayons trouvée est celle de Pierre Barberés, un négociant. Elle se compose d'une centaine de volumes122. Louis XVI régnant, le livre apparaît dans les inventaires de quelques maîtres de métiers aisés, le boulanger Pierre Rouy par exemple123. Pour cette période, la bibliothèque la plus garnie que nous ayons rencontrée, comprend une centaine d'ouvrages124, la majorité des possesseurs de livres ne disposant toujours que de quelques volumes.

83 La littérature religieuse est largement prédominante, même dans les dernières années de l'Ancien Régime. En 1789, elle compose presque soixante-dix pour cent de la bibliothèque d'une fille majeure, Jeanne Marie Massin. Dans le cabinet du négociant Jean Baptiste Boccalin la moitié des ouvrages sont des in-douze de nature religieuse125. De nombreux titres évoquent la Semaine Sainte ou la vie des saints. L'histoire religieuse est également appréciée.

84 Souvent quelques ouvrages rappellent l'activité professionnelle de leur propriétaire. L'élite portuaire apprécie Le parfait négociant de Savary des Bruslons.

85 Les livres d'histoire, de philosophie latine et de littérature évoqués au gré des goûts personnels témoignent, encore à la fin du siècle, plus d'un humanisme classique que d'une philosophie éclairée.

86 La culture des Bayonnais du XVIIIe siècle, fortement empreinte de religion, est double. L'image et l'objet forment une culture visuelle comprise et partagée par tous, alors que la lecture et l'écriture caractérisent la culture savante, celle d'une minorité.

Conclusion

87 Au terme de ce parcours au cœur de la vie quotidienne de ces citadins du XVIIIe siècle, une transformation profonde de la culture matérielle bayonnaise est perceptible.

88 Au cours du XVIIIe siècle, une nouvelle conception de la consommation apparaît. Elle se manifeste très nettement dans la fragilisation de nombreux objets : le métal a reculé dans les cuisines et sur les tables au profit des ustensiles et de la vaisselle de céramique, des étoffes moins résistantes s'imposent au détriment des tissus de laine. Une révolution de la couleur transforme le cadre de vie, par les tentures et les tenues d'indienne moins austères que les anciennes étoffes de laine, par les teintes plus

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chaudes du mobilier et de la vaisselle de céramique. La dura bilité des objets n'est plus un critère fondamental lors de l'achat et la variété autorise l'affirmation de goûts personnels. Les fondements de cette rupture radicale dans les pratiques de consommation sont nombreux. Le renchérissement de certains produits y joue un rôle déterminant. Mais cette évolution de la consommation est intimement liée à des réussites industrielles, techniques et commerciales.

89 En dépit des lourdes permanences de l'habitat dans cette ville où la construction en pierre ne s'impose guère et où l'imbrication de l'activité professionnelle et de la vie privée se maintient, quelques signes de la quête d'un bien-être personnel sont décelables. Dans quelques logements où les pièces se spécialisent, des retraites protégées, le cabinet par exemple, se créent. Dans ces mêmes intérieurs, un mobilier raffiné et confortable rend la vie plus agréable. Cette conquête de l'intime ne concerne qu'une minorité. La chambre unique et les pièces indifférenciées correspondent encore à la fin du siècle à la réalité quotidienne de la majorité des familles. Le seul confort auquel tous les Bayonnais accèdent est celui de l'âme dont une multitude d'objets de dévotion témoignent jusqu'à la Révolution.

90 Toute la société bayonnaise ne participe pas aussi activement aux transformations du cadre de vie. Les négociants et les gros marchands adoptent les premiers les nouveautés. Les capitaines de navire les acquièrent rapidement, en même temps que le négoce ou avec quelques années de décalage. Quelques talents et maîtres de métiers fortunés leur emboîtent le pas. Les consommations se diffusent ensuite à un rythme plus ou moins rapide auprès des autres Bayonnais. Le succès rapide des innovations auprès des capitaines de navire, dont la fortune n'est pas nécessairement supérieure à celle des riches artisans, suggère un penchant de l'élite portuaire pour ces objets venus d'ailleurs.

91 La culture matérielle subit, en effet, des influences nombreuses : objets hollandais au début du siècle, chinoiseries, etc. Les élites s'intéressent également de près aux modes parisiennes.

92 L'importance des relations de sociabilité détermine grandement les modèles de consommation bayonnais du XVIIIe siècle, même ceux des plus modestes. Elles imposent la présence massive de sièges, une convivialité, celle du chocolat ou du café par exemple et chez les plus riches, un mobilier ludique.

93 Indirectement, la sociabilité établit une hiérarchie entre les espaces. Les pôles de la vie domestique, le lit et la cheminée, manifestent autant qu'ils le peuvent l'aisance du foyer. Dans les logements formés de plus d'une pièce, les plus beaux objets se concentrent là où l'intimité de la famille et sa vie sociale se confondent. Cette société où le miroir se diffuse au cours du siècle est une société des apparences.

94 La sociabilité repose sur des règles de civilité de plus en plus strictes et exerce une contrainte accrue sur le corps que caractérise le maniement de certains objets, tels que la fourchette.

95 Certains objets, l'armoire d'acajou, le couvert d'argent..., distinguent le consommateur. Leur plus value sociale constitue le luxe.

96 Le luxe est une notion relative socialement. Celui de l'élite est une confortable aisance associée à la fonctionnalité : la sobriété de la façade en pierre de taille autorise l'agrandissement des fenêtres. Sans être tapageur, ce luxe est bien visible ; les étoffes coûteuses, la porcelaine des Indes s'identifient facilement.

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97 Il existe également un luxe populaire avec des manifestations spécifiques, car il ne s'agit pas, comme le remarque fort justement C. Campbell, d'une simple imitation de celui des plus aisés126. Il se concentre généralement autour des deux pôles de la vie domestique. Il peut s'agir d'une paire de chenets dotée d'un élément décoratif ou d'une garniture de cheminée parfois très modeste mais dont l'inutilité fait la plus value sociale. Un lit d'un prix disproportionné par rapport à la valeur totale du mobilier est une autre manifestation de ce luxe populaire.

98 L'histoire de la culture matérielle, à la charnière de l'histoire économique et sociale, de l'histoire des mentalités et de l'anthropologie historique a pour enjeu la compréhension des mécanismes de la consommation. Elle est capable de fournir une mise en perspective historique nécessaire pour comprendre notre propre société et ses évolutions.

NOTES

1. Cet article est une synthèse de notre T.E.R. : Aspects de la culture matérielle bayonnaise au XVIIIe siècle, Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, 1997-1998, 254 et 109 pages. Ce travail a été réalisé sous la direction de Madame le Professeur J. Pontet que nous tenons à remercier pour son encadrement attentif. 2. Sur les fondations posées par l'Ecole des Annales, une histoire du cadre de vie s'est développée, en France, notamment après la parution, en 1981, du peuple de Paris de D. Roche. Parallèlement, une histoire anglo-saxonne de la consommation prenait son essor. Cf. D. Poulot, « Une nouvelle histoire de la culture matérielle ? », Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, 1997, p.p. 345-346. 3. R. Muchembled, « Luxe et dynamisme social à Douai au XVII e siècle », Nouvelles approches concernant la culture de l'habitat, Turnhout, 1991, p. 199. 4. D. Roche, Le peuple de Paris, Paris, 1981, p. 60. 5. Coutumes générales de la ville et de la cité de Bayonne..., Bayonne, 1773, p. 79. 6. R.-R Garrard, « English probate inventories... », Probate inventories..., Wageningen, 1980, p. 73 et J. de Vries, « Between purchasing power and the world of goods : understanding the household economy in early Europe », Consumption and the world of goods, Londres et New York, 1993, p. 107. 7. A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l'intime..., Paris, 1988, p.p. 24-25, et M. Baulant, « Niveaux de vie paysans autour de Meaux en 1700 et 1750 », Annales ESC, 1975, p.p. 505-518. 8. A. Fillon, « Les notaires royaux auxiliaires de l'histoire ? », Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1989, p.p. 4-5. 9. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3366, Jacob Alexandre, 10/02/1745. 10. Quelques profils de maisons sont reproduits dans I. Galarraga Aldanondo, La Vasconia de las ciudades. Saint Sébastien, 1996, p. 56. 11. J. Pontet-Fourmigué, Bayonne, un destin de ville moyenne à l'époque moderne, Biarritz, 1990, p. 350. 12. A.M.B., DD 141, pièce 13, 1760. 13. A.M.B., DD 148, pièce 68, 07/08/1778. 14. A.M.B., DD 127, pièce 70, 06/06/1742.

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15. A.M.B., DD 148, pièce 10, 21/03/1774. 16. A.M.B., DD 148, pièce 68, 07/08/1778. 17. E. Ducéré, Le vieux Bayonne, hôtels, maisons et logis (1909), Marseille, 1981, p. 29. 18. J. Pontet, Bayonne, un destin de ville moyenne..., Biarritz, 1990, p.p. 564-571. 19. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3358, Claire Tauzet, 29/04/1789. 20. A.D.P.-A., Delissalde, IIIE 4156, Jean Darcet, 16/06/1749. 21. A.D.P.-A., Ladordette, IIIE 3437, Joseph Guiches, 03/10/1775. 22. A.D.P.-A., Delissalde, IIIE 4154, Guilhaume Barrière, 19/02/1723. 23. A.D.P-A., Damestoy, IIIE 3961, Agnès Darraibou, 20/09/1789. 24. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4516, Jeanne Mouscardy, 14/12/1789. 25. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3330 (1), Joseph Dolives, 08/03/1713. 26. A.D.P.-A., Duhalde, IIIE 3484, Louise Doyharçabal, 27/04/1789. 27. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4514, Jean Laharrague, 24/02/1787. 28. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4516, Marguerite Dupin, 01/02/1789. 29. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3372, Pierre Barberés, 18/07/1749. 30. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4504, Gracieuse Duhalde, 11/09/1778. 31. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3288, Jeanne Dufau, 30/04/1746. 32. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4517, Dominique Labat, ?/03/1790. 33. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3861 (1), Pierre Sallenave, 21/06/1757. 34. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4475, Catherine Gallarède, 07/11/1752 et Lesseps, IIIE 3829, Jean Léon Dubrocq, 27/08/1739. 35. A.D.P.-A., Dubourg, IIIE 3182, Marie de Garat, 19/09/1722. 36. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3254, Jeanne Cazenave, 28/07/1707. 37. A.D.P.-A., Dassance, IIIE 3443, Mathieu Héguy, 21/07/1753 et Lordon, IIIE 3554, Marie Mengou, 06/06/1777. 38. A.M.B., HH 7, 1741-1743. 39. A.DP.-A., Duclerc, IIIE 3349, Pierre Bauzes, 18/07/1736. 40. A.DP.-A., Delissalde IIIE 4160, Bertrand Lavie, 09/04/1729. 41. B. Garnot, « Le logement populaire au XVIIIe siècle : l'exemple de Chartres", RHMC, 1989, p. 209. 42. J. Pontet, Bayonne, un destin de ville moyenne..., Biarritz, 1990, p. 316. 43. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3330 (1), Joseph Dolives, 08/03/1713. 44. A.M.B., Ms 665, 05/1765. 45. A.D.P.-A., Delissalde, IIIE 4154, Guilhaume Barrière, 19/02/1723. 46. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4516, Jeanne Mouscardy, 14/12/1789. 47. A.M.B., Ms 665, 06/1763. 48. A.DP.-A., Dhiriart, IIIE 4504, Gracieuse Duhalde, 11/09/1778. 49. A.M.B., DD 148, pièce 7, 04/03/1774. 50. A.M.B., Ms 665, 07/1769. 51. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Jean Lamarigue, 28/03/1788. 52. A.M.B., Ms 665, 01/1766. 53. A.DP.-A., Duclerc, IIIE 3330 (1), Joseph Dolives, 08/03/1713. 54. M. Baulant, « Age de fer ou âge du chêne. Les matériaux des objets quotidiens... », Inventaires après décès..., Louvain-la-Neuve, 1988, p. 49. 55. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4514, Jean Laccassaigne, ?/02/1787. 56. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Étienne Larcebeau, 17/11/1789. 57. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3366, Sara Louïz, 10/02/1745. 58. C. Fairchilds, « The production and the marketing of populuxe goods in the eighteen-century Paris », Consumption and the world of goods, Londres et New York, 1993, p. 228. 59. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4517, Jeanne Delpu, ?/03/1790.

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60. Cité par P. Dibie, Ethnologie de la chambre à coucher, Paris, 1987, p. 103. 61. A.DP.-A., Duclerc, IIIE 3366, Sara Louïz, 10/02/1745. 62. A.D.P.-A., Lambert, IIIE 4221, Vincent Laborde, 10/12/1772. 63. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4475, Magdeleine Faussin, 10/05/1752. 64. A.M.B., Ms 665, 11/1763. 65. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4517, Jeanne Delpú, ?/03/1790 et Duhalde, IIIE 3484, Louise Doyharçabal, 27/04/1789. 66. P. Verley, La révolution industrielle, Paris, 1997, p. 30. 67. A.D.P.-A., Duhalde, IIIE 3458, Jacques Guillot, 19 et 20/09/1769. 68. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4474 (1), Jean Bastarretche, 30/01/1751. 69. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3260 (2), Jean Sallenave, 13/08/1710 et Lordon, IIIE 3554, Marie Mengou, 06/06/1786. 70. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3254, Michel Durans, 04/10/1707. 71. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3825, Étienne Lafont, 06/12/1769. 72. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4513, Dominique Laharrague, 13/02/1786. 73. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3961, Pierre Rouy, 20/09/1788. 74. A.D.P-A., Dhiriart, IIIE 4516, Jean Thore, 14/12/1789. 75. A.D.P.-A., Dubarbier, IIIE 4140, Pierre Ducau, 17/08/1703. 76. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Jean Ponteil, 13/02/1788 et Damestoy, IIIE 3960, Jean Baptiste Boccalin, 26/07/1786. 77. A.D.P.-A., Dassance, IIIE 3548, Marie Brisson, 20/01/1756. 78. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3829, Jean Léon Dubrocq, 26/08/1739. 79. A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l'intime..., Paris, 1988, p. 320. 80. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Claire Tauzet, 29/04/1789. 81. A.D.P.-A., Duhalde, IIIE 3474, Pierre Léon Laulhé, 18 et 23/07, 08 et 27/08/1783. 82. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3960, Jean Baptiste Boccalin, 26/07/1786. 83. A.D.P.-A., Duhalde, IIIE 3481 (1), Pierre Catain, 03/03/1786. 84. A.DP.-A., Duclerc, IIIE 3349, Pierre Bauzes, 18/07/1730. 85. A.DP.-A., Piquesarry, IIIE 3254, Martin Lafargue, 28/10/1707. 86. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Étienne Larcebeau, 17/11/1789. 87. A.D.P.-A., Duhalde, IIIE 3484, Louise Doyharçabal, 27/04/1789. 88. A.M.B., Ms 665, 08/1767. 89. A.DP.-A., Dhiriart, IIIE 4504, Gracieuse Duhalde, 11/09/1778. 90. A.D.P.-A., Labordette, IIIE 3437, Joseph Guiches, 03/10/1775. 91. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Marie Chatelier, 19/02/1788. 92. A.D.P.-A., Delissalde, IIIE 4154, Bernard Fossecave, 23/01, 11/02 et 22/07/1723 et A.M.B., Ms 665,08/1762. 93. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3861 (2), Charles Larre, 18/07/1757. 94. M. Figeac, Destins de la noblesse bordelaise..., Bordeaux, 1996, p. 157. 95. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3891, Pierre Lafourcade, 03/01/1770. 96. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3851, Marie Dubourdieu, 22/07/1754. 97. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3827, Pierre Darrispe, 29/08/1737. 98. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3554, Marie Mengou, 06/06/1777. 99. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4514, Marc Cornot, 07/08/1766. 100. L. Auslander, Taste and power, furnishing modern France, Berkeley, 1996, p.p. 56-57. 101. Dans cette partie nous n'évoquons que les objets liés à l'alimentation. Pour une approche plus détaillée des pratiques alimentaires, Aspects de la culture matérielle bayonnaise..., p.p. 115-182. 102. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3284, Dominique Rouy, 18/11/1743. 103. J. Cadaye, Poteries et potiers de Garos et Bouillon, Château de Laàs, 1990, p. 16. 104. A.M.B., BB 52, p. 43, 07/03/1738.

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105. A.D.P.-A., Barroilhet, IIIE 3226, Joseph Rossignol, 14/04/1722. 106. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Jean Ponteil, 13/02/1788. 107. La riche collection du Musée de la Faïencerie (Samadet 40320) en témoigne. 108. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Claire Tauzet, 29/04/1789. 109. A.D.P.-A., Dhiriart, IIIE 4517, Dominique Labat, ?/03/1790. 110. A.M.B., CC 330, pièce 13, 26/04/1753. 111. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3960, Jean Baptiste Boccalin, 26/07/1786. 112. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3829, Jean Léon Dubrocq, 27/08/1739. 113. A.D.P.-A., Piquesary, IIIE 3262, Bernard Lamarre, 29/01/1711. 114. G. Vigarello, L e propre et le sale... (1985), Paris, 1987, p.p. 176-177. 115. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3960, Jean Baptiste Boccalin, 26/07/1786. 116. J.-C. Perrot, Genèse d'une ville moderne : Caen au XVIIIe siècle, Paris, La Haye, 1975, p. 916. 117. A. Pardailhé-Galabrun, La naissance de l'intime..., Paris, 1988, p. 357. 118. La lecture de la correspondance privée des députés au Conseil du Commerce témoigne de l'attention que portent ces correspondants bayonnais à la mode vestimentaire des Parisiens, Cf. notamment A.M.B., HH 280, p. 191, 28/10/1758. 119. A.D.P.-A., Labordette, IIIE 3437, Joseph Guiches, 03/10/1775. 120. A.D.P.-A., Piquesarry, IIIE 3278, Claude Dupreuilh, 14/03/1739 et Delissalde, IIIE 4169, Marie Héguy, 01/06/1742. 121. A.D.P.-A., Lesseps, IIIE 3825, Étienne Lafont, 06/12/1736 et Delissalde, IIIE 4156, Jean Darcet, 16/06/1725. 122. A.D.P.-A., Duclerc, IIIE 3372, Pierre Barberés, 18/07/1749. 123. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3961, Pierre Rouy, 20/09/1788. 124. A.D.P.-A., Lordon, IIIE 3558, Jeanne Marie Massin, 10/01/1789. 125. A.D.P.-A., Damestoy, IIIE 3960, Jean Baptiste Boccalin, 26/07/1786. 126. C. Campbell, « Understanding traditionnal and modern patterns of consumption in the eighteen-century England : a character-action approach », Consumption and the world of goods, Londres et New york, 1993, p. 40.

INDEX

Index chronologique : 18e siècle Thèmes : anthropologie, histoire Index géographique : Bayonne Mots-clés : anthropologie historique, moeurs et coutumes, sociologie urbaine

AUTEUR

FRÉDÉRIC DUHART EHESS, Eusko Ikaskuntza-Sociedad de Estudios Vascos

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La bataille du Palestrion octobre- novembre 445

Renée Goulard

1 La Province des Neuf Peuples fut au Ve siècle l'une des régions qui constituèrent le royaume aquitanique, pour reprendre l'appellation qu'utilisa Isidore de Séville dans son Histoire des Goths1. Le premier roi goth, établi à la demande de l'ordo gallo-romain régional qui redoutait les invasions et bagaudes, fut Théodoric Ier. Il eut un long règne de 33 ans, le plus apprécié de tous parmi les populations locales, et qui devait se terminer par la première grande bataille médiévale, celle que l'on appelle couramment Champs Catalauniques ou Campus Mauhacus, le 20 juin 451, où le roi trouva la victoire et la mort. Mais il avait auparavant livré bien d'autres batailles. Celle du Palestrion par exemple.

2 La diplomatie et les guerres de ce roi le conduisirent à rechercher une entente avec les autres peuples nouvellement installés en Occident. Les Suèves de Galice, en voie de conversion au milieu d'un peuple galicien d'un catholicisme austère et pointilleux, furent la raison de ses nombreuses interventions outremonts où il finit par marier en 449 l'une de ses filles au roi catholique Réchaire. Les Vandales d'Afrique étaient plus éloignés, mais Théodoric avait marié vers 440 une autre de ses filles au prince Hunéric associé à son père le roi Geiséric2. Depuis 440 la paix semblait régner du côté de Rome qui avait essuyé une sérieuse rebuffade devant Toulouse en 439, tandis qu'Aétius le maître des deux milices, praesentalis, patrice depuis 435, trouvait en son petit Gaudenzius, né d'une princesse balthe sœur de la reine des Goths, un touchant ambassadeur3. L'empereur Valentinien III n'aurait eu aucune importance dans ce concert s'il n'avait accepté l'idée de fiancer l'une de ses filles à Hunéric, déjà pourvu d'une épouse gothe. Y eut-il une révolte nobiliaire en terre vandale ? La princesse gothe y joua-t-elle un rôle ? Vaines questions pour un prince vandale désireux de nouer une alliance matrimoniale romaine qui ne serait certes pas l'assurance de la paix mais un argument d'intimidation dont il saurait jouer4.

3 La princesse gothe fut défigurée, et revint à la cour de son père en 443, le nez et les oreilles coupés. Geiséric le Vandale savait qu'il pourrait y avoir des représailles5. Théodoric était certes le plus puissant roi d'Occident, mais oserait-il un geste alors que

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tout paraissait en paix ? Il l'osa, car ni Aétius ni Valentinien ne furent mis dans la balance contre la colère gothique que l'on sait terrible et qui souleva l'indignation des Gaules.

4 Les Chroniques de Prosper d'Aquitaine (qui s'arrêtent hélas en 444) et d'Hidace de Galice (jusqu'en 468) sont œuvres de Gallo-Romain et d'Hispano-Romain, surtout attentifs à Rome. Ils ne regardent les Goths qu'avec mépris et n'imaginent pas qu'ils puissent avoir d'autre ressort d'action que la haine de Rome. Ils sont nos seuls et tout de même précieux observateurs si nous savons lire ce genre de récit. Ces textes d'usage traditionnel et qui sont déjà une forme d'histoire, peuvent être mis en parallèle avec une source de nature très différente : la Vie de saint Sever 6. Texte difficile, mêlant diverses rédactions dont deux sont repérables comme des compositions du XIe siècle, la troisième du IXe siècle : le prince Guillaume Sanche de Gascogne à qui on en donna lecture aux années 970 la disait alors vieille de presque cent ans. A travers la vie de deux hommes, Sever et Sébastien, que les sources mettent en scène, se découvre une page d'histoire illustrée par le combat du Palestrion, sanglant résultat d'une non moins sanglante injure. Deux hommes qu'en apparence tout oppose, l'un est Romain et l'autre Goth, ont pris part à la bataille du Palestrion, puissante forteresse du premier roi goth des Gaules.

5 Théodoric à la vue de sa fille mutilée songe à punir le Vandale. En 444 un réfugié de Constantinople vient lui demander asile, et c'est à lui qu'il confie la tâche de former l'armée destinée à intervenir contre les Vandales. Il s'agit du comte Sébastien, membre d'une grande famille de noblesse romaine, général ou plutôt amiral réputé, qui fut un temps maître des deux milices en 432-433. En 433, il fut écarté de ses charges et de Rome par la volonté du puissant Aétius et il se rendit au « palais d'Orient ». Le basileus Théodose II l'accueillit et lui confia en 440 la charge de repousser l'invasion vandale qui ravageait la Sicile. La seule nouvelle de son intervention fit virer de bord la flotte de Geiséric. Une victoire de prestige. Mais, poursuivi par « des ennemis » dans Constantinople, le comte Sébastien se rend en 444 à la cour de Théodoric et lui demande asile. Il tombe bien. Théodoric lui confie la mission de préparer à Barcelone une flotte d'intervention contre les Vandales. Mais les rumeurs vont vite dans la Mer Intérieure et Geiséric décide de prendre les devants. Sa flotte est prête, et il sait que Théodoric ne peut oublier l'affront ; et le « roi des rois », Attila, qui dans ses Pannonies règne sur divers peuples, le pousse à l'action car lui-même roule dans son esprit des projets d'attaque de l'Ouest selon l'analyse de Cassiodore que reprend Jordanès.

6 Alors c'est la course des navires vandales vers le Nord ; après avoir passé les colonnes d'Hercule, ils remontent le long des côtes de Lusitanie et de Galice où les assaillants enlèvent des familles entières. Mais ce que Geiséric vise ne peut être que la Gothie aquitanique, la série de bases militaires de Théodoric sur le littoral océanique. Ces côtes atlantiques du golfe aquitain sont beaucoup plus fréquentées que l'on ne l'imagine souvent. En 445, les Vandales les parcourent du Sud au Nord. En 464 ce sera le tour d'Aegidius, chef romain des Gaules, de les descendre du Nord au Sud, à partir de la Loire. Partout ces côtes sont défendues, mais Geiséric qu'ont enivré sa prise et son pillage de Carthage en 439, compte sur la rapidité d'une action que personne n'attend, car l'été vient de s'achever et ce n'est plus la saison de la guerre. Or, pour Geiséric, c'est toujours le temps de la guerre, puisqu'il entra en pilleur dans Carthage le XIV des Calendes de Novembre7. Geiséric a atteint l'Adour. Le dénouement est proche. Il aperçoit les forteresses des Goths qui font grandir l'impatience des assaillants « à en

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perdre la raison » (Jordanès). Lapurdum (Bayonne) a été dépassée, surprise par cette flotte arrivée du Sud dans les brumes de l'automne. Dax n'a pas davantage mis en œuvre ses défenses ou, si elle le fit, ce fut sans succès. Les navires vandales font rame vers le Palestrion.

7 C'est alors que Sever et sa Vie entrent en scène. Le saint voit, couvrant les eaux de l'Adour en crue, les navires vandales se porter à l'assaut du Palestrion. C'est une ancienne forteresse romaine que les Goths ont organisée selon leur technique du baurgs à palissades et tours rondes. Un groupe militaire de vesi ou visi (mot latinisé rendant le weihs gothique qui se prononce « viss »), aristocratie guerrière, est placé sous l'autorité du gouverneur, chef d'armée. Autour d'eux des saïos sont des soldats libres attachés à la forteresse. Des uns aux autres existent des liens, ceux de vassaux (latin commendati traduisant le gothique andbathos) que révèlent les notes d'un juriste prises sur le code perdu de Théodoric Ier8. Avant chaque combat les Goths échangent des serments mutuels d'entraide et de courage qui soutiennent le harijs, armée tout à la fois d'un peuple et d'une terre. Cette terre, c'est le royaume aquitanique dont ils ont reçu chacun leur part en échange de leur service armé, terre qu'ils défendent seuls mais pour tous. Comme Lapurdum, le Palestrion n'est pas toujours rempli de sa garnison complète, car les Goths vivent une partie de l'année sur leurs domaines plus ou moins vastes tandis que leurs généralissimes qui dominent toutes les forteresses d'une même province (reiks, devenus ducs) ont un service de gouvernement auprès du roi ( thiu-dans)9. Maintenant les récoltes sont faites, les moissons engrangées, les troupeaux rassemblés. Le Palestrion se garnit en prévision des futures campagnes. Les exercices, les armes, le soin des chevaux retiennent dans l'enceinte castrale les effectifs tout autant que la cour du gouverneur. Cette activité incessante a valu son nom grec au Palestrion gothique, ce qui fit de l'Adour l'Alphée, nom dont hérita ensuite l'Ana (devenu aujourd'hui Guadiana). Le Palestrion est rempli de guerriers et ne sera pas surpris par l'arrivée des Vandales comme l'a été Lapurdum.

8 Le rôle de Sever à Palestrion est celui d'un Goth, guerrier comme les autres. Son nom pourtant dénote une particularité. Il n'est pas « arien » (« homéen » serait plus juste) comme la majorité des Goths, mais catholique et a pour patron l'un des martyrs les plus connus du monde goth de Dacie-Mésie dans les dernières décennies du IVe siècle10. Il aurait eu sur le gouverneur et aussi sur l'ensemble de la militia du Palestrion une influence certaine, au point d'obtenir leur conversion. Ce qui fit de cette place forte de la puissance gothique un haut lieu du catholicisme, situation inhabituelle. Les provinciaux eux-mêmes, c'est-à-dire les habitants de la région, affluèrent nombreux au Palestrion, certains comme soldats, d'autres comme employés de la cour du gouverneur, et tous formaient une population unie. Le portrait est-il poussé ? Non, car il correspond tout à fait à ce que nous savons de Théodoric Ier (418-451) auteur d'un code apaisant entre les communautés, mais surtout qui a lui-même appelé des catholiques dans son entourage, comme saint Orens d'Auch qui fut en 439 son ambassadeur de paix auprès du général romain Litorius qui assiégeait Toulouse. Orens joignit l'ambassade d'ardentes prières pour la victoire des Goths et la libération de Toulouse. Plusieurs sources évoquent une conversion du roi au catholicisme à la fin de sa vie, ce qui n'était pas, évidemment, du goût de tous les Goths et qui reste une exception parmi les rois balthes des Gaules11.

9 Le Palestrion est paré pour la guerre contre l'offenseur, l'assaillant et l'hérétique vandale, et le combat qui se prépare sera sans merci. La direction des opérations contre

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les Vandales est confiée au généralissime Sébastien qui n'avait plus de raisons de rester à Barcelone et qui a cheminé avec son armée vers la forteresse des Neuf Peuples à travers les cols pyrénéens tenus par les Goths12. Les Goths lancent du haut de la place forte leur formidable cri de guerre, célèbre depuis les batailles des Saules et d'Andrinople où ils défirent les forces impériales, cri d'origine Scandinave ou celte comme le chant de guerre qui le suit mais que tous les hommes de cette armée, depuis longtemps venus de toutes parts, ont fait leur et qui ne sera proscrit qu'au VIP siècle.

10 Sever combat parmi les autres mais trouve la mort en assurant la victoire (1er novembre). Sa réputation de sainteté et de bravoure a permis de considérer sa mort venue du glaive de l'hérétique comme un martyre. La bataille fut gagnée, les Vandales lâchèrent prise, repartirent vers l'Océan ou se dispersèrent. La victoire accomplie, Sébastien, qui était catholique, construisit autour du tombeau du saint une église où de riches colonnes de marbre étaient constellées de clous d'or et d'argent. Le Palestrion devait plus tard prendre le nom de Saint-Sever, et le saint fut réputé comme le défenseur de toute agression à cette terre et à l'Église. Il venait de défendre le royaume du côté du Sud-Ouest tandis qu'Attila se préparait à franchir le Rhin, en apparence loin du royaume aquitanique, mais Théodoric sut très vite que le Sud était sous sa menace lorsqu'il atteignit Orléans. Un étau avait été prévu pour enserrer les Gaules. Le Palestrion avait d'ores et déjà empêché qu'il puisse se refermer.

11 Bataille ignorée des historiens trop attentifs à Rome, trop enclins à la critique éperdue des sources anciennes, trop méprisants à l'égard des pieuses légendes des saints, la bataille du Palestrion en 445 est une page d'histoire du pays des Neuf Peuples en leurs temps gothiques. Bataille salvatrice d'un royaume que l'on n'a pas le droit d'appeler « royaume de Toulouse », parce que trois résidences royales au moins ont abrité ses rois et sa cour : Toulouse, Bordeaux, et Aire-sur-l'Adour qui dut en partie la quiétude de ses jours à la protection du Palestrion.

NOTES

1. Isidore de Séville, Historia Gothorum, éd. Th. Mommsen M.G.H., A.A. t. XI, 2, p. 277, Berlin 1944. Sur la lecture des textes contemporains : Renée Goulard, Les Goths, Paris-Biarritz 1998. Le plus beau récit du Campus Mauriacus est incontestablement celui de Jordanès L. XXXV à XLIII de l'édition citée ci-après 2. Sur l'ensemble de la situation, voir l'ouvrage récent que nous venons de citer et les sources : Hidace, Chronique, éd. (sous le nom Hydace) A. Tranoy, Sources chrétiennes n°218, Paris 1974, 2 vol. Prosper d'Aquitaine, « Chronica Prosperi Tironis » éd. Th. Mommsen, M.G.H., A.A. t. IX, Chronica Minora, Berlin 1892. Le Comte Marcellin, Chronicon, éd. J.R Migne, t. 51, Paris 1846. Chronica Gallica, éd. TH. Mommsen, M.G.H., A.A., t. IX, Berlin 1892. Cassiodore/Jordanès, Getica, éd. O. Devilliers, Histoire des Goths, Paris 1995 3. Mérobaudes, Panégyrique I d'Aétius, éd. F. Vollmer, Fl. Merobaudis quae supersunt, M.G.H., A.A. t. XIV, Berlin 1905 4. H. Wolfram, Les Goths, Paris 1990 5. Jordanès, op. cit. L. XXXVI

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6. A.D. des Landes H 14, copie d'Abadie de 1580 de plusieurs textes constituant l'histoire de l'abbaye de Saint-Sever. Sa lecture peut être vérifiée par la publication de P. de Marca, qui n'édite cependant que la Vita. Abadie ne fournit pas toujours une excellente lecture. On retient parmi les trois récits de la vie du saint la Vie n°3 composée au IXe siècle, f° 23 rouge. Le récit des miracles commence au f° 38 rouge. Ed. Acta Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti, Novembre t. 1 p. 211 7. Quodvultdeus, De tempore barbarico, éd. Patrologiae Supplementum, t. III, Paris 1963 8. « Fragmenta Gaudenziana », éd. P. Zeumer, M.G.H., Leges t. I, Leges Visigothorum, p. 469-472 9. La langue gothique de la fin du IVème siècle se déduit de la traduction de la Bible gothique rédigée par Ulfila vers 380 dont on ne possède que des fragments. Tous les registres de la parole n'y sont pas représentés. La langue d'origine Scandinave est déjà très marquée par des emprunts au celte, à l'iranien, au grec et au latin. On peut lui joindre des skeireins, commentaires de la Bible, et quelques lignes d'un calendrier gothique. L'écriture gothique a son alphabet particulier créé par Ulfila, inspiré des runes, des caractères grecs et latins. Un manuscrit se trouve à l'Université d'Upsal en Suède (codex argenteus) 10. La passion de Sever, martyrisé à Adrianopolis et décapité vers 380 est liée à celle des 38 martyrs de Philippopolis selon les synaxaires byzantins. Sever d'Orient est fêté le 23 Août. Il a laissé son nom à au moins deux autres martyrs du V' siècle chez les Neuf Peuples. 11. « Vita Sancti Orienti », éd. Acta Sanctorum Ordinis Sancti Benedicti, Mai, t. I p.63. Grégoire de Tours, Historiarum Decem libri. Livre II, éd. R. Latouche, Paris 1963 12. Mérobaudes, Panégyrique Il d'Aétius, éd. cit., la bataille du mons Colubrarium et la paix de 439.

INDEX

Thèmes : histoire Index chronologique : 5e siècle Mots-clés : bataille du Palestrion, Neuf Peuples, Saint Sever, Théodoric Ier (418-451) Index géographique : Aquitaine, Landes

AUTEUR

RENÉE GOULARD Université de Paris IV-Sorbonne

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Hendaye et ses voisines espagnoles : (1945 – années soixante) proximité géographique pour relations sporadiques

Christophe Navard

1 Il n'est pas de période plus complexe, dans les relations entre Irun, Fontarrabie et Hendaye, que celle de l'immédiat après-deuxième guerre mondiale. Alors qu'en 1945 les frontaliers s'attendaient à renouer avec leurs anciennes habitudes d'entraide mutuelle, comme ce fut le cas lors de la première guerre mondiale puis de la guerre d'Espagne1, un profond blocage apparaît. Cette crise profonde, qui fait indubitablement contraste avec les périodes précédentes, limita les relations à leur plus simple aspect durant une vingtaine d'années à tel point que les logiques qui s'y retrouvent semblent être les mêmes que celles des temps passés lorsque les trois villes étaient des rivales séculaires.

2 Cette situation de blocage se révèle être la conséquence de plusieurs paramètres dont les racines se retrouvent aussi bien dans les faits et gestes des États concernés que dans les actions communales. Ainsi, nous pouvons déterminer trois phases successives en fonction de l'intensité des contacts. Entre 1945 et 1946, les premières hésitations et la méfiance réciproque sont telles qu'une véritable « guerre froide » se met en place. Cette phase est prolongée par une seconde qui se trouve être « l'apogée de la glaciation » des relations transfrontalières avec la fermeture de la frontière entre 1946 et 1948. Enfin, après 1948 et jusqu'au milieu des années soixante, les relations restent entachées de suspicion et d'obstacles : les communes vivent dans le spectre de la fermeture de la frontière et de ses conséquences.

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I – Aux temps de la méfiance réciproque (1945-01 mars 1946)

3 L'orientation politique que prend la commune française est claire en 1945 : elle réfute toute notion de force, d'autorité, d'oppression et par extension tous les régimes politiques qui rappellent la violence2. De ce fait, les relations entre les trois villes restent très limitées, pour ne pas dire négligeables.

4 Le 19 mai 1945, « sur proposition de Monsieur Clauzet, le conseil municipal,

5 – constate avec douleur l'absence de deux des siens martyrisés à Dachau (Messieurs Léon Lannepouquet [ancien maire] et Artola), • s'élève avec horreur contre la barbarie hitlérienne, et contre tous les traîtres, les dénonciateurs qui portent avec les Nazis la responsabilité de ces crimes, demande que justice soit faite rapidement et s'engage à tout mettre en œuvre pour qu'il en soit rapidement ainsi, • se réjouit en outre, de la confiance témoignée par le pays au gouvernement et au Général De Gaulle à l'occasion des élections municipales, • souhaite que son programme de défense démocratique et réformes annoncées qui doivent permettre la Renaissance de notre Patrie, l'assainissement et la prospérité des collectivités locales soient réalisés le plus tôt possible »3.

6 Suivant sa logique, au mois de juin 1945, ce même conseil s'émeut des procédés de certains services de police extérieurs à Hendaye « à l'égard d'honnêtes habitants de la commune et prône un retour à la légalité sans plus tarder »4.

7 De leur côté, les Espagnols soupçonnent leurs voisins de menées préjudiciables.

8 En mai 1945, une embarcation tentant de s'échapper de France est mitraillée devant Fontarrabie par un navire de surveillance militaire. Pire encore, l'exil du gouvernement basque fut longtemps à l'origine des discordes entre les deux pays. En effet, le gouvernement espagnol a toujours critiqué la situation officielle reconnue par les autorités françaises aux membres et aux délégués du gouvernement basque en exil tout en accusant ces derniers d'avoir des activités d'anarchistes sur le sol français, de préparer des attentats et des actes de sabotages qu'ils vont perpétrer en Espagne après avoir franchi la frontière5.

9 A n'en pas douter, l'espace impliqué est un espace stratégique. La configuration géographique de la frontière reste d'ailleurs sans équivoque. Les trois villes se sont développées dans une cuvette commune où les communications restent aisées. De plus, la frontière est réduite à sa plus simple expression : une rivière, la Bidassoa, puis la baie de Chingudy séparent la France de l'Espagne. C'est dire combien, par leur extension fluviale et leur proximité elles ont été concernées par l'arrivée de réfugiés ou encore se sont senties menacées par la présence de personnes qu'elles jugeaient nuisibles6.

10 C'est donc dans cette région limitrophe que les exilés vont se concentrer. Les situations de Hendaye, Irun et Fontarrabie sont, en ce sens, uniques. Elles forment une sorte de promontoire qui capte toutes les pressions et les intentions de leurs régions alentours et les refoule très facilement vers l'adversaire.

11 Par conséquent, c'est face à ce phénomène que les populations se trouvent confrontées jusqu'en 1946. Ensuite, elles composent avec une mesure diplomatique beaucoup plus délicate et restrictive : la fermeture de la frontière.

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II – La fermeture de la frontière (01 mars 1946-10 février 1948)

12 En application de la décision du gouvernement socialiste de Félix Gouin, la frontière franco-espagnole est fermée à toute circulation de personnes et de marchandises dès le 1er mars 1946 et reste effective jusqu'au 10 février 1948.

13 Les trois villes héritent des principales conséquences de cette mesure qui est localisée sur la frontière.

14 Aussi bien les économies locales que les liens entre familles mixtes se retrouvent anéantis et la crise engendrée par cette décision ne fait que contribuer à l'échec de leurs relations déjà très exiguës.

1- Les mesures ministérielles et leurs répercussions locales

15 Les mesures d'application examinées par chaque département ministériel français à la suite des deux réunions des 26 et 27 février 1946 aboutissent à l'isolement des frontaliers et au déclin économique.

a) Isolement des hommes et des familles

16 Les séparations provoquées par la décision sont effroyables et ne laissent aucun doute sur les conséquences désastreuses qu'elles ont engendrées. L'isolement des habitants se perçoit à la lecture des dispositions des Ministères de l'Intérieur, des PTT et de la Défense Nationale :

17 Sur décision du Ministère de l'Intérieur, aucun franchissement n'est toléré hormis celui des personnes accréditées : « La fermeture en ce qui concerne le trafic terrestre, maritime et aérien s'applique à toutes les personnes, quelle que soit leur nationalité à l'exception des personnes diplomatiques et consulaires, du courrier diplomatique, des personnes de l'UNRRA et de la Croix Rouge Internationale, des ressortissants portugais regagnant leur pays »7.

18 De même, les clauses concernant les frontaliers sont draconiennes et les familles mixtes voulant voir leurs proches en sont empêchées : « La fermeture ne fait pas obstacle aux Français vivant en Espagne et voulant regagner leur pays. Par contre, les Espagnols établis en France ne peuvent regagner l'Espagne sauf si leur gouvernement émet des conditions au retour des Français ».

19 Plus graves encore, l'isolement physique imposé officiellement est relayé par un éloignement moral puisque le Ministère des PTT : « A. interdit les échanges entre la France et ses possessions et l'Espagne et ses possessions, B. suspend les correspondances télégraphiques privées et maintient la non reprise des communications téléphoniques ».

20 Les voisins basques se retrouvent sans aucun contact physique, acoustique ou écrit. Ils en sont réduits à vivoter sans pouvoir se tourner vers l'un des débouchés naturels dont ils disposaient auparavant et qui leur fournissait de quoi mieux vivre. Qui plus est, ils se sentent bafoués8 puisqu'ils ont l'impression d'être privés d'un droit fondamental qu'ils détenaient auparavant.

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21 Face à cette situation, beaucoup souhaitent se tourner vers l'illégalité mais doivent faire face à la répression de plus en plus présente car « le Ministère de la Défense Nationale s'efforce de fournir les effectifs supplémentaires nécessaires au contrôle de la frontière des Pyrénées ».

22 Si le désagrément atteint son comble sur le plan moral et humain, la fermeture de la frontière va provoquer un sinistre économique réel et des frustrations encore plus importantes.

b) Un désastre économique

23 La suite de l'analyse de la note révèle que les répercussions sont aussi d'ordre économique. « Le Ministère des Travaux Publics et des Transports décrète : A. une interruption du transport d'origine française B. une interruption du transport d'origine espagnole, par fer et route, C. l'interdiction des bateaux espagnols dans les ports français, le vol et le survol du territoire français, les escales, D. l'interdiction du transit des marchandises à destination ou en provenance de la Suisse, exception faite de celles du Portugal et au-delà ».

24 Complétée par les décisions du Ministère de l'Économie et des Finances qui stipulent « que l'entrée des marchandises espagnoles et la sortie des marchandises françaises sont interdites ; cette mesure n'étant pas applicable pour les marchandises de/vers le Portugal », l'ampleur des dommages est considérable.

25 Tout mouvement de marchandises relevant du simple échange est prohibé à l'échelle locale. Seul le transit des marchandises à destination du Portugal est autorisé, ce qui constitue une maigre consolation dans la mesure où les activités fer de lance des villes en sont réduites à leurs plus simples intérêts voire à néant.

2– A mesures drastiques, conséquences pernicieuses

a) Une économie amputée

• Développement du chômage

26 Le chômage qui jusqu'alors touchait très peu les villes, compte tenu de leurs activités à vocation transfrontalière, se développe de manière régulière au point d'effrayer une large partie de la population.

27 La population hendayaise est de plus en plus inquiète et formule plusieurs vœux pour la réouverture de la frontière9. En effet, elle est la plus touchée par la crise. Lorsque la fermeture de la frontière est officielle, c'est la pleine saison des agrumes, or « ce trafic, qui se produit précisément pendant la période creuse de l'hiver, contribue pour une bonne part, à la prospérité laborieuse de Hendaye ».10.

28 Plus grave encore, la population active des trois villes est menacée. « Les marchandises à l'importation sont soumises à d'importantes opérations de manutention : le transbordement direct de wagons espagnols sur wagons français ou le déchargement de wagons espagnols à quai puis le chargement du quai dans les wagons français emploie une main d'oeuvre considérable »11. Et, c'est cette dernière, hendayaise ou espagnole, qui se trouve privée de son emploi temporaire, qui bien souvent lui permettait de vivre

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une partie de l'année, et en concurrence, puisque le travail n'était pas assez substantiel bien que les Espagnols n'aient plus le droit de franchir la Bidassoa.

• La désertion espagnole

29 Depuis de longues années, Français et Espagnols se rendaient librement dans le pays opposé. Les Espagnols, eux, fréquentaient l'ensemble de la côte basque de Biarritz à Hendaye et jouaient dans les casinos. C'est donc ce manque à gagner qui va faire souci à l'échelle des communes françaises.

30 Alors qu'elle est saisie d'une demande en vue d'autoriser la reprise de l'exploitation du casino de la part de la Société Anonyme de la Baie de Saint-Jean-de-Luz, propriétaire de l'immeuble de style mauresque12, la municipalité espère pouvoir tirer bénéfice de son exploitation et propose un cahier des charges qui fait état d'une taxe perçue d'un montant de 200 000 francs (100 000 pour la participation aux fêtes locales, 100 000 pour la publicité en général). Mais dès le 23 du même mois, elle le revoit à la baisse car « la saison ne sera pas aussi bonne qu'espérée, la situation de la ville étant problématique à cause du maintien de la zone interdite qui constitue un obstacle à l'activité saisonnière et de la fermeture de la frontière, qui empêche la venue des touristes espagnols ».13

31 Le maintien de la réglementation existante, le statut de zone interdite, placent les villes frontalières françaises dans une situation particulièrement embarrassante et constitue une entrave certaine à l'essor économique et touristique de cette région14. De plus, elle provoque à la longue, une crise morale majeure.

b) Une crise des valeurs profonde

32 Ce marasme se perçoit grâce à une situation humaine malsaine et aux rivalités omniprésentes.

• Une situation alambiquée

33 Hendaye accueille pêle-mêle des réfugiés politiques et des individus vivant en Espagne et qui ne supportaient plus d'être séparés de leurs familles, les premiers ne voulant pas retourner en Espagne et les seconds ayant l'espoir d'y revenir un jour. Toutefois, le vœu pour la réouverture de la frontière signale que « sur le plan humain, cette situation interdit à de nombreux foyers franco-espagnols d'entretenir des relations que réclament légitimement les liens qui les unissent ».15

34 Si l'on se réfère aux résultats du recensement de la population de 1946 et aux études du Quai d'Orsay, Hendaye héberge 961 personnes étrangères sur 6 251 habitants ; selon le dépouillement précis réalisé à la Mairie, une proportion de 94 à 95 % de cette population est espagnole. Ainsi, l'immigration hendayaise est avant tout espagnole.

35 Ces chiffres reflètent un fait sociologique capital : de nombreux foyers sont issus de familles mixtes16 ; ainsi, bien des individus n'ont plus aucune relation avec leurs parents espagnols et vice-versa, du moins officiellement.

36 Enfin, ils peuvent aussi nous renseigner sur un phénomène politique et économique plus large : la venue de réfugiés espagnols lorsqu'éclate la guerre d'Espagne et au moment de l'incendie d'Irun le 2 septembre 1936, puis pendant la seconde guerre mondiale. Leur nombre exact n'est pas connu compte tenu de la situation troublée qui secouait la ville et de leur déplacement. Certains avancent le chiffre de près de 20 000

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personnes accueillies17 ; des renseignements plausibles et très précieux ont pu être obtenus auprès du Maire de l'époque par Raymond Lecuyer, envoyé spécial de la revue L'Illustration : « entre le 31 août et le 10 septembre 1936, 13 510 repas quotidiens ont été servis gratuitement. Pendant quelques jours, 9 428 réfugiés ont été hébergés à Hendaye, auxquels s'ajoutent 4 000 immigrés dont la situation n'était pas facile à dresser puisqu'ils étaient logés chez l'habitant à titre onéreux ou gratuit.

37 Par la suite, ils ont été dirigés vers d'autres villes de France : dans le département à Cambo, Ciboure, Bayonne, Sare, Anglet »18 car l'administration cherchait à les éparpiller partout. Seuls restaient ceux qui pouvaient justifier avoir de la famille en ville, ceux qui avaient les moyens de se financer un séjour. Les autres repartaient vers l'Espagne par la frontière de Dancharia et revenaient vers Irun, par la frontière catalane et s'installaient alors en zone libre dans la région de Barcelone.

• Des rivalités exacerbées

38 La crise économique favorise les incompréhensions de part et d'autre de la frontière. Il suffit pour s'en rendre compte de prendre un exemple apparemment aussi insignifiant que le programme de protection de la plage. « Les travaux ont été menés à bien jusque fin 1947 et depuis, suite au manque de crédits mis à la disposition par le Ministère des Travaux Publics, aucune transformation n'a été réalisée »19. La ville confrontée aux dures réalités de la crise économique locale voit son projet de modification des travaux reporté alors que du côté espagnol, ils se poursuivent. Cette situation équivoque est mal comprise : comment, dans un pays dont l'économie est encore plus touchée par la récession, une ville arrive-t-elle à bâtir sa digue sans manifester plus de gêne ? Malgré toutes les difficultés éprouvées20, les Ondarribitars continuent à canaliser le lit de la Bidassoa et donc à préserver leur ville alors que les Français, eux, demeurent incapables de financer les travaux et sont contraints d'attendre. Hendaye se retrouve privée de sa faculté naturelle la plus charmeuse : sa longue plage de sable blanc et fin est négligée et se détériore, à l'image du mur de soutien de la R.N.10 C qui s'affaisse, des routes et trottoirs qui, seulement « rafistolés », restent défoncés.

III – La réouverture de la frontière : une tentative avortée pour des logiques conservées (10 février 1948-années soixante)

39 A l'heure de la réouverture de la frontière une dialectique semble l'emporter : celle de la fermeture. Bien que les actions en vue d'une nouvelle situation avec l'Espagne soient nombreuses, la crainte manifestée lors d'une réunion du conseil municipal de Biarritz semble se confirmer : si un pas a été franchi, l'isolement prime21. La désorganisation et la déconcertation qui découlent de cet état de fait sont flagrantes. Pratiquement aucune relation directe n'est relevée jusqu'en 1957.

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1- Un déblocage progressif

40 La réouverture de la frontière s'effectue en plusieurs étapes et non pas seulement le 10 février 1948. En effet : • depuis 1946 les dérogations et assouplissements ayant trait au passage de la frontière se sont succédés ; on dénombre au Quai d'Orsay au moins dix documents qui réclament des mesures de clémence entre les 6 mars et 1er septembre 1946. Cette dernière est importante concernant la vie frontalière dans la mesure où elle assouplit les normes de circulation pour les personnes pouvant faire état d'impératifs professionnels ou familiaux. • la frontière n'est pas totalement rouverte le 10 février 1948 : seuls le passage des personnes et les communications par voie postale, téléphonique et télégraphique sont autorisés. Ce n'est que sous délai de quinze jours22 à un mois23, que le rétablissement du transit marchandise est envisagé, notamment à destination de la Suisse.

41 Enfin, la reprise des échanges, entérinée par de nouveaux accords commerciaux entre les deux pays, « reprendra ses droits ultérieurement vu que l'accord de Saint-Sébastien précisant le volume des échanges est dès à présent inadapté »24.

2- Des rapports très parcimonieux

a) Reprise de l'aide alimentaire

42 La pénurie drastique qui touche à la fois la France et l'Espagne est une crise caractéristique d'après guerre. En effet, rien n'a évolué depuis 1945 : les insuffisances du ravitaillement tant en quantité de denrées rationnées que dans le fonctionnement du service départemental se font rudement ressentir. La ville va donc essayer, compte tenu de sa position géographique, de régler ce manque en se tournant vers l'Espagne comme elle l'avait fait en 194525. Si elle pouvait le faire concernant certains produits spécifiques comme les conserves de poisson, l'huile d'olive, la farine, les pommes de terre, les bananes et les citrons – surtout réservés à l'exportation – ce sont particulièrement les voisines espagnoles qui recourent à l'aide française26.

43 La situation en Espagne est des plus préoccupantes et contraint le gouvernement à diminuer les rations alimentaires (moins 50 grammes de pain par jour)27. A côté de ceci, « le coût de la vie ne cesse de croître [et] les salaires ne peuvent plus suivre la hausse des prix de toutes les marchandises (...) Chacun s'arrange comme il peut : ainsi font les frontaliers qui passent chaque jour en deux files le pont de Hendaye, les Espagnols venant chercher le pain en France, les Français le vin en Espagne... Le Basque reçoit : • 200 grammes de sucre par jour, • un quart de litre d'huile, • 200 grammes de mauvais pain par jour (350 pour les travailleurs de force) • aucune viande ».28

44 Cette situation, et celle exposée dans le tableau ci-après, expliquent l'aide apportée par Hendaye aux Irunais et Ondarribiars. Bien que reflétant les conditions d'échange de 1950, les Espagnols, compte tenu du taux de change des monnaies en vigueur jusqu'à la fin des années cinquante n'avaient que des avantages à venir s'approvisionner en France29.

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PRIX COMPARES DES BIENS DE CONSOMMATION (1950)

SOURCE : A.M.A.E., dossier 130, note 32 EU. J. Fourastié et B. Bazil : Pourquoi les prix baissent ? Élaboration personnelle

45 Si cette aide précieuse est appréciée aussi bien des uns que des autres, il ne faudrait pas croire qu'elle va contribuer à un rapprochement durable. En effet, l'échange alimentaire est la seule forme de relation entre habitants du bassin de la Bidassoa. Au- delà, le terrain cède plus volontiers la place aux crispations et aux irritations.

b) La présence des réfugiés : un poison pour les relations transfrontalières officielles.

46 La présence des réfugiés politiques à Hendaye a toujours été source de problème au vu des autorités de Madrid. Pourtant, selon une note du Ministère des Affaires Étrangères, ils sont nombreux et restent largement concentrés sur une quinzaine de kilomètres aux alentours de la frontière30 :

47 « 6 % des ressortissants espagnols sont soldats et désertent l'armée pour motif réellement politique, • 5 % sont d'anciens prisonniers des camps de concentration ou des prisons franquistes revenus dans leurs familles et craignant de nouvelles représailles, • 5 % sont d'anciens fonctionnaires et intellectuels qui ne peuvent plus exercer leur profession en Espagne par interaction politique ».

48 A leur côté, des membres du gouvernement basque en exil sont source de tiraillement.

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49 Lors d'un communiqué du 1er mai 1951, sur 15 noms de dirigeants basques soupçonnés d'être les plus actifs dans la région du Sud-Ouest, plus de la moitié intéresse notre champ d'étude : • trois sont de Hendaye, le directeur des activités du Bureau central de Paris, le chef de service de la Délégation dont l'importance est très grande pour l'organisation clandestine, l'ex-chef de la brigade du Bas-quartier de Hendaye, • cinq sont de Saint-Jean-de-Luz : le Président du gouvernement, le directeur du Bureau de « Résistance basque », le directeur du Centre des Activités basques, le Conseiller du gouvernement et le directeur de « Radio Euskadi ».

50 Ainsi, l'ensemble des archives du Ministère des Affaires Étrangères ne fait que se reporter à cette situation. Au niveau national, un phénomène de cristallisation freine toute relation. Les archives municipales, quant à elles, ne font que renseigner sur une autre difficulté : le passage de la frontière.

c) Le problème du franchissement de la frontière

51 Ce problème est crucial au lendemain de la réouverture de la frontière. Alors qu'il « semble réglé » à l'échelle nationale, du moins théoriquement, un blocage naît à Hendaye. Dès le 7 avril 1948, neufs conseillers municipaux rédigent une lettre à l'attention de Monsieur le Maire, constatant que « si la frontière est rouverte, nos populations par contre n'ont pas encore le plaisir de franchir les barrières »31. Ce fait est, en fait, attribuable à plusieurs explications :

• Le visa

52 L'obtention du visa nécessaire, tant par son prix que par le délai d'attente, auprès des autorités françaises est très difficile.

53 Le prix de la redevance pour un visa valable une seule journée est exagéré, ce qui place la plupart des ressortissants français dans l'impossibilité d'obtenir les devises exigées par les autorités espagnoles pour un voyage de longue durée. Ils confient donc au Maire « le soin d'intervenir auprès de qui de droit pour obtenir du gouvernement le retour aux facilités qui étaient accordées à tous les frontaliers avant 1935 »32. Cette question du prix reste latente et les Hendayais n'ont de cesse de dénoncer le régime de faveur de certains puisque « seule une catégorie de la population bénéficie de facilités de passage alors que beaucoup de familles n'obtiennent même pas un visa »33.

54 De nouveau, en 1949, la question du délai est reposée34 et en 1954, c'est au tour de celle de son prix : « Monsieur Bienabe signale que le prix des visas vient d'être augmenté alors que chacun souhaite un assouplissement réel des conditions de passage de la frontière. Par la même occasion, et une nouvelle fois, le conseil municipal charge le premier élu d'intervenir auprès des autorités françaises pour « qu'elles proposent à nos voisins la suppression des visas » »35.

55 Il s'engage, à partir de cet instant, toute une discussion à propos de ces visas et des laissez-passer : quels rôles peuvent-ils avoir alors que les modalités de passage sont plus draconiennes que jamais ? Ils ne contribuent pas à assouplir les conditions de franchissement mais sont plutôt représentatifs d'une régression puisqu'ils datent, à l'origine, d'une époque où la frontière n'était qu'entrouverte et où seuls quelques privilégiés (agents en douane, fonctionnaires, en activité et en retraite et leurs familles)

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étaient favorisés. Maintenant qu'elle est accessible à tous, ils n'ont toujours pas disparus et demeurent donc source d'inégalité36. Selon cette même source, « la délivrance des laissez-passer est la résultante de conventions réciproques entre les services de Police des deux côtés de la frontière (...) et ce droit de passage gratuit ne devrait pas être l'apanage d'une partie de la population au détriment de l'autre ». Tous doivent avoir les mêmes devoirs mais aussi les mêmes droits.

56 Ainsi, les frontaliers français proposent des solutions – suppression totale des laissez- passer actuels pour les remplacer par des laissez-passer valables pour un membre d'une famille ; les autres étant astreints aux passeports et visas – et des tentatives d'assouplissement des formalités mais qui jamais n'aboutissent.

57 Au contraire, la totale désorganisation qui s'ensuit va engendrer une rivalité accrue et le franchissement de la frontière n'en sera que plus difficile.

• La désorganisation de la vie frontalière

58 Dès l'année 1950, de nombreuses requêtes arrivent à la Mairie et rapportent une situation désorganisée de laquelle les voisins espagnols sortent grands vainqueurs. La ville doit résoudre plusieurs problèmes dont le principal est l'invasion constante du marché du travail français par une masse laborieuse espagnole.

L'inégalité laborieuse

59 L'inégalité du travail tend progressivement à s'étendre entre les frontaliers. A tout instant, les archives révèlent une situation préjudiciable au sujet des activités de transit aussi bien des marchandises que des personnes.

60 Lors de la réunion du 22 décembre 1950 un conseiller demande « à ce que les transbordeurs d'oranges utilisent en priorité la main-d'œuvre française, alors que le recours à celle venant journellement d'Espagne est de plus en plus fréquent ». Seulement cette activité est soumise à une réglementation sans cesse mouvante ce qui ne facilite pas la tâche des dits transbordeurs37 et ravive les tensions : l'embauche d'une main-d'œuvre française nombreuse est en concurrence avec la pénétration espagnole.

61 Dans cette optique : le cas de l'invasion de plus en plus conséquente « des taxis, de Saint-Sébastien qui conduisent à l'intérieur de notre pays des touristes ou des gens que leurs affaires poussent chez nous »38 est craint. Tout comme les oranges, les taxis français sont en concurrence avec les taxis espagnols puisqu'ils ne bénéficient pas de la réciprocité légitime qu'ils réclament – « nous ne demandons pas à ce que l'on empêche les taxis espagnols de venir en France, mais très énergiquement à bénéficier, à notre tour, de l'autorisation de conduire nos clients éventuels à toutes destinations en Espagne » – ce qui est très préjudiciable car il leur est interdit de passer le pont international d'une part et qu'ils perdent de nombreuses courses sur le territoire français alors que leurs homologues espagnols possèdent ce privilège. Toutefois, selon le Traité du travail conclu en 1932, l'assimilation des Français aux Espagnols était prévue en ce qui concerne le régime du travail dans la Péninsule, mais les ressortissants français étaient assujettis, pour obtenir une carte de travail, à acquitter une taxe beaucoup plus lourde que celle prévue pour les nationaux.

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62 Une question se pose donc : les Français peuvent-ils se permettre d'aller travailler en Espagne tout comme le font les Espagnols ? La réponse semble être négative tant les rigidités sont lourdes et nombreuses.

L'attitude des douaniers

63 L'attitude des douaniers envers « les Espagnols, qui pour la plupart sont de modestes travailleurs venant faire leurs achats en France pour pouvoir alimenter un peu mieux leurs nombreuses familles, avec leurs petits traitements et salaires inqualifiables » paraît déconcertante39. Ainsi, la plupart des Hendayais s'indignent des brimades infligées à leurs camarades espagnols40 et réagissent vigoureusement : « cette attitude n'est pas comparable à celle de leurs collègues [espagnols], qui leur permettent de se procurer à bon compte tout ce dont ils ont besoin, non seulement en produits alimentaires mais encore en chaussures, habillement.... ».

L'instauration du sens unique de passage

64 L'instauration d'un sens unique de passage de la frontière mécontente la majeure partie de la population et suscite l'intervention du Préfet des Basses-Pyrénées.

65 C'est pour désengorger le pont international de Hendaye qu'une réunion de nombreuses personnalités, de hauts fonctionnaires français et espagnols représentant les divers ministères a lieu sans consultation préalable des membres et organismes locaux les plus concernés semble-t-il : Maire, syndicat d'initiative, adhérent du tourisme local... Par une lettre de protestation expédiée de l'office du tourisme le 17 mars 1951, le lecteur apprend que depuis deux ans l'affaire du sens unique à la frontière ne cesse d'être à l'ordre du jour.

66 Ce sens unique, est à nouveau, pour Hendaye synonyme de ruine économique – une des conséquences est d'éloigner la masse touristique – et d'entrave aux bonnes relations entre voisins « si comme envisagé, la rentrée en Espagne s'effectue par Hendaye et la sortie par Béhobie ». Les frontaliers voulant venir en France ou se rendre en Espagne sont tributaires d'un parcours imposé qui pour certains les obligent à faire un détour conséquent.

67 Ainsi une mobilisation générale se met en place en vue de retrouver la liberté et le choix de passage – « s'il y a embouteillage, la faute en revient aux difficultés déjà connues (formalités exigées par les polices, douanes, change...) » et de rassurer les voisins « d'outre-Pyrénées »41, hormis la voix d'un conseiller municipal qui se joint aux protestations mais déclare voter contre le passage relatif aux relations amicales avec l'Espagne42.

68 Cependant rien n'y fait. En 1952, un nouveau vœu du conseil municipal dénonce, devant les protestations des frontaliers, « l'obligation faite aux usagers hendayais de n'emprunter qu'une seule route de bureau et insiste pour que la mesure en vigueur soit reconsidérée par l'Administration des douanes en vue de donner à la dite tolérance une forme plus rationnelle et aussi de permettre à tous le retour en France par les voies qui conviennent le mieux à chacun »43.

69 La ville subit de nouvelles mesures restrictives qui peuvent s'avérer dangereuses pour sa survie. Pourtant, les élus ne renoncent pas malgré ces blocages successifs à poursuivre leur politique d'entraide amorcée quelques années auparavant.

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70 A l'attirance naturelle et historique dont il était logique de retrouver trace se substituent des relations exiguës et complexes. Oscillant entre nouveaux contacts ou porte close les relations transfrontalières s'enfoncent dans la confusion, cette dernière étant largement alimentée par la défiance réciproque des États.

71 Rien n'est à même de recréer la coopération d'antan : peur du franquisme et de l'autre, fermeture de la frontière, deux ingrédients qui cèdent la place aux relations de contiguïté et non à la volonté de renouer des liens. Les seuls contacts ont leur racine dans le fait même du voisinage44.

72 Cette situation perdure jusqu'au milieu des années soixante, moment où apparaissent les éléments d'une nouvelle donne internationale. C'est sous l'effet des assouplissements du régime franquiste et de la croissance économique au niveau national, puis de l'apparition d'institutions et de manifestations culturelles diverses comme le journal Hendaye-Echos, les commémorations de la mort de Pierre Loti ou du centenaire du chemin de fer que les villes voient s'ouvrir d'autres perspectives.

NOTES

1. Pour de plus amples renseignements se reporter à notre travail d'études et de recherches : Hendaye entre fermeture et ouverture (1945-1975), chapitre I « La Bidassoa, une frontière ou un gué ? », pp. 29-35. Mémoire de maîtrise d'histoire des relations franco-espagnoles sous la direction de René Girault, Université Paris I, 1994. 2. « elle repousse systématiquement ce qui rappelle le totalitarisme allemand et donc ce qui lui a été affilié, même l'Espagne franquiste », in C. Navard, op. cit., chap. 2 « Une vie internationale limitée : la crise d'après-guerre et le fermeture de la frontière (1945-1948) », p.48. 3. Délibération du Conseil Municipal no 45/296, 19 mai 1945, Mairie. 4. Id., n°45/285, 30 juin 1945. 5. Archives du Ministère des Affaires Étrangères de Paris (ci-après A.M.A.E), Note de la Direction Europe pour le Ministre des Affaires Étrangères du 18 août 1949, dossier 154. 6. « il est probable que d'autres arrivées ont eu lieu hors de contrôle, les plages étant sans surveillance », ibidem. 7. A.M.A.E., Dossier 84, Note d'information du 28 février 1946. 8. Vœu pour la réouverture de la frontière, Délibération n° 47/596, 28 novembre 1947. 9. En tout trois vœux ont été formulés : les 18/9 février 1946 au sujet de la zone interdite, 01 septembre 1946 et 28 novembre 1947. 10. Chambre de Commerce de Bayonne, « Le rôle de Hendaye dans les relations économiques de l'Espagne avec les autres pays européens » dans Activité en Pays basque n°48 spécial Hendaye, février 1954. 11. Ibidem. 12. Chambre de Commerce de Bayonne, « Note d'étude sur la fermeture de la frontière et ses conséquences ». 13. Chambre de Commerce de Bayonne, idem. 14. A.M.A.E, lettre de l'Assemblée nationale constituante au Quai d'Orsay des 18/9 février 1946, dossier 84, Série Z.

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15. Vœu pour la réouverture de la frontière, op. cit. 16. Certains s'avancent même à prétendre que chaque Hendayais a parmi les membres de sa famille au moins un Espagnol vivant à Irun ou Fontarrabie. 17. Abbé Michelena, Histoire d'Hendaye, T.l, Hendaye : son histoire, Hendaye, Haize Garbia, 1987, p. 621. 18. Article de presse de Raymond Lecuyer cité par Abbé M. Michelena, op. cit., p. 623. 19. Registre des délibérations du conseil municipal, n° 48/702, 12 novembre 1948. Il faut ajouter qu'à l'origine le programme de protection de la plage était dû à l'initiative de Fontarrabie puisque travailler sur le cour d'eau international nécessitait d'avoir l'accord des deux parties. En ce sens, il contribua à un rapprochement. 20. « beaucoup de travail, faibles revenus, pénurie généralisée [même si] le Pays basque espagnol, région industrielle, est moins touché par la crise du moins jusqu'en 1950 » in Bartolomé Bennassar, Histoire des Espagnols, Livre 2, Chapitre 10 « La post guerre : le travail et l'austérité ». 21. A.M.A.E, Lettre du Préfet des Basses-Pyrénées au Ministre des Affaires Étrangères du 30 janvier 1948 au sujet de l'ouverture de la frontière, dossier 86. 22. Journal Le Monde, 08/09 février 1948. 23. A.M.A.E, Télégramme au départ du Ministère des Affaires Étrangères pour le Palais de Santa Cruz du 22 janvier 1948 au sujet des étapes de la réouverture de la frontière, dossier 86. 24. Ibidem 25. « Dès le 30 juin 1945, Monsieur le Maire de Hendaye divulgue l'accord de l'Administration des Douanes à pouvoir importer des oranges afin de les répartir à la population », Délibération n° 45/274, Registre Mairie. 26. A.M.A.E., dossier 154, note du 01 juin 1945. 27. B. Bennassar, op. cit., chap. 10. 28. A.M.A.E., dossier 130, note n° 32 EU du Consulat français de Saint-Sébastien au Ministère des Affaires Étrangères, Série Z. 29. Selon le taux de change en vigueur – 4,56 F la peseta en 1945 et 1946, 10,85 à 10,95F entre 1947 et 1956 et 8,19 à 8,20 F entre 1957 et 1959 – les prix en France étaient 100 à 800 fois moins chers, in J.M. Delaunay, Des Palais en Espagne : l'École des Hautes Études et la Casa de Velazquez au cœur des relations franco-espagnoles du XXe siècle (1909-1979), Thèse de 3e cycle, Paris I, 1988. 30. A.M.A.E, Note des Renseignements généraux... au sujet des Espagnols franchissant la frontière clandestinement du 11 mai 1946, op. cit. 31. Lettre des conseillers municipaux au Maire de Hendaye, Documents annexes aux délibérations du conseil municipal, Archives municipales, Série D 1 d. 32. Délibération n° 48/643 du conseil municipal du 08 avril 1948. 33. Idem, n°49/761. 34. Ibidem. 35. Id., n°54/428. 36. « il a toujours existé depuis la Libération, à Hendaye, deux sortes de frontaliers : ceux qui payent et ceux qui franchissent la frontière gratuitement », Lettre de Monsieur Lhosmos, retraité SNCF en date du 16 novembre 1950, Doléances et correspondances, Archives municipales, Série D 2 b.. 37. Télégramme de Monsieur de Chevigné-Chaze (Assemblée Nationale) à Monsieur Guy Petit de mars 1951 qui nous apprend que « 1000 tonnes d'agrumes sont bloquées en gare de Hendaye par suite de l'application du rectificatif du contingent autorisé à l'importation par Hendaye fixé le 20 février à 6000 tonnes, ramené à 3000 tonnes par le J. O. numéro 15 en mars 1951, Télégramme d'information..., Courriers, correspondances et doléances,, Archives municipales, Série D 2 b. 38. Lettre du groupement des taxis de la ville de Hendaye au Maire, Courriers, correspondances et doléances, Archives municipales, Série D 2 b. 39. Lettre de Monsieur José Garay, du 11 janvier 1950, Archives municipales, série D 2 b.

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40. « il ne se trouve pas un seul homme parmi eux, qui pourra me prouver que du côté espagnol on ne leur aie pas toujours donné toutes sortes de facilités pour passer tout ce qui leur plaît », ibid. 41. « les relations amicales des deux pays ne pourront se développer que par les facilités accordées pour le passage de la frontière ». 42. Délibération du conseil municipal n° 51/37, 27 février 1951. 43. Délibération du conseil municipal, 18 mars 1952. 44. Carlos Fernandez de Casadevante Romani, La frontière franco-espagnole et les relations de voisinage avec une référence spéciale au secteur du Pays basque, Harriet, Bayonne, 1989, 1 re partie, chapitre 1 « les relations de voisinage : aspects généraux », p. 34.

INDEX

Index chronologique : 20e siècle Index géographique : Hendaye, Fontarrabie, Irun Mots-clés : frontière franco-espagnole, anthropologie politique, politique locale, relation transfrontalière Thèmes : science politique, histoire

AUTEUR

CHRISTOPHE NAVARD Université de Paris I – Panthéon – Sorbonne Centre Pierre Reno

Lapurdum, 3 | 1998 243

IV. Recensions, informations

Lapurdum, 3 | 1998 244

Jan Braun. Euscaro-Caucasica. Philologia Orientalis 4 Wydawnictwo Akademickie DIALCX3, Warszawa, 1998, 148.orr.

Txomin Peillen

1 L'auteur reprend les correspondances phonétiques de René Lafon mais plus que les ressemblances lexicales qui sont toujours discutables et qui peuvent se faire avec n'importe qu'elle langue ; discutables aussi parce que après des milliers d'années de séparation éventuelle - si contact il y a eu - les vocabulaires deviennent méconnaissables.

2 Certes il est très intéressant de noter que le vocabulaire géorgien se présente systématiquement terminé par le -i du nominatif et que le - i est en basque caractéristique du verbe au passif ancien (ikusi « voir » ekarri « apporter », ikasi « apprendre », jrakurri « lire », des adjectifs handi « grand », txipi « petit », lodi « gros » et des noms de la couche la plus ancienne de la langue, begi « œil », beharri « oreille », ardi « brebis », behi « vache », idi« boeuf »).

3 Quant au lexique, partie la plus changeante et la plus labile de toute langue, son étude exigerait que nous ayons au préalable dégagé notre lexique des emprunts aux parlers indo-européens voisins, ce qui est loin d'être fait ; bien des termes pouvant être de simples prêts du latin ou de langues romanes. Voyons quelques rapprochements :

4 1. ztzz (géorgien) rapproché de atze[ ?) « arbre en basque ». Dans notre langue existe le terme zuhaitz(e)/zugaitz littéralement zurgaitz « bois dressé » (cf uhaitz/gaitz « torrent ») mais pas atze. “ Par contre -tze/-tza est un suffixe basque en botanique. Existe-t-il en géorgien ancien ?

5 2. Zir-i (georg) « racine », ziri (basq) « coin » (p.54) rapprochement intéressant, ziri signifie aussi « verge humaine ».

6 Plus intéressants sont :

géorgien basque

ze « étendre » -tza etzan « s'étendre »

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zar« bouger » -tzal,tzur itzuri « fuir »

zen « lait » -zen zenbera « fromage frais » esne/ezne : « lait »

c/tz cval (tzval) -tzul itzuli « retourner »

tqorc « jeter » -ortz ehortzi « enterrer » egoitzi « abattre »

kas « effacer » -kuz ikuzi « laver »

ç/ ts,s

marcqv (p.48) martsuka « mûre »

çam/al/i « foin » zamar/tamar « herbe sèche »

7 Les autres termes supposent des contorsions de sens et de formes qui, il est vrai, s'observent entre les dialectes basques, mais ce qui est le plus gênant c'est que les mots choisis sont parfois isolés dans la langue ou bien appartiennent à une famille qu'il faudrait comparer entièrement.

8 11. Tagu est comparé au basque sagu, mais ce terme est un élément de la famille de satitsu « musaraigne » sator « taupe » sagarroi « hérisson » etc.

9 Le tamacf. zamar « tignasse, poil » (p. 13.2) est le même que çamli « herbes sèches en touffe » en basque zamar « herbe dure ». (p. 12. 4.) La métaphore agricole est passée à la coiffure. En français aussi, les poils rèches, les tignasses raides sont qualifiés de « bottes de foin » et les poils durs isolés d'« épi ».

10 * Tapali« miel » (p. 14) est comparé à un sens secondaire de sapar « déchet de cire » ; en effet sapar désigne tout déchet y compris les chassies des yeux et même localement les ronces.

11 * Kantan « cime » comparé à kantal « roc » (p. 75) fait oublier que le terme basque est un emprunt à l'espagnol (cf. canto, canton).Il est curieux que koçol « petit » (p. 88) n'ait pas été rapproché de koskor « petit, trognon » d'origine hispano-latine.

12 * Kincxi (mingr.) (p. 86) « cou » n'a rien à voir avec zintzur (et non zintzurrí)« gorge », ce dernier est une métaphore classique de la « noix » intzaur.

13 Il faut être prudent avec le gara-kara, basque (kwal, géorgien) attesté dans Kalagurri, ce radical est un mot ubiquiste pré-indoeuropéen qui évolua en basque en harri « pierre » d'une part et garai « hauteur » d'autre part, mais répandu dans toute l'Europe.

14 Le choix des mots, même si ce sont des hapax (khabar utilisé seulement à Ainhoa, L, kedar « bile ».), est fait cependant dans le fond de la langue basque qui paraît le plus indigène mais gadurri « stream » p. 98 est un emprunt au gascon et p.64 en souletin c'est un « écoulement du corps » et non « fuente » qui se dit üthürri ; patar / pantar (p. 67) est le français « pentard » et pantika (p. 75) « rate » est le romanisme mantica. * Butur (p.59) n'existe pas en basque, mais mustur abréviation de musu+ tur, oui.

Lapurdum, 3 | 1998 246

15 Le livre comporte des milliers de mots que nous ne pouvons reprendre un à un, mais il faut rappeler que Monsieur le Professeur Jan Braun, depuis 1954, a écrit en plus de ce livre une douzaine d'articles sur le basque en polonais, en anglais, en français, en espagnol, en russe et bien sûr en géorgien.

RÉSUMÉS

Varsoviako unibertsitari eta euskalari honek bere konparaketa lan hau eman digu. Urrungo hizkuntzekin euskararen hurbiltzeak arrisku haundiak ditu, baina holako liburu batek orokorki zerbait ekar lezake, batikbat tipologiazko sailkape-nak zorroztuz. Honek ez du erran nahi hurbil mintzairen artean harreman zuzenik izan denik, ez telepatiarik, baina egia da aglutinazioa hautatu duten herriek maíz aterabide berdinak ediren dituztela. Morfologiaren sailean gauza jakingarriak ematen ditu eta gramatikan ere besterik badago, hitzekin, ordea, hurbilketa zaila- goa da, denborarekin hiztegia ainitz alda baititake eta auzo mintzairetikako mai-leguak ezpaititugu osoki bereizi. Egileak erdarak hobeki baitakizki euskara baino aipamen hau frantsesez jar-raituko dut, egileak berak gaztelania, ingelesa eta errusieraz idatzi baitu bere liburua.

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Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique, littérature Mots-clés : basque (langue), géorgien (langue), critique littéraire, lexicologie, dialectologie

AUTEUR

TXOMIN PEILLEN Professeur émérite - Université de Pau et des Pays de l'Adour [email protected]

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Michel Morvan. Les origines linguistiques du basque. 290 pp., Presses Universitaires de Bordeaux, 1996.

Jacques Allieres

1 Voici un bel ouvrage, nécessaire et courageux. Reprenant sa thèse, Les origines linguistiques du basque : l'ouralo-altaïque, élaborée sous la direction du Professeur J.-B. ORPUSTAN et soutenue à Bordeaux en 1992, l'auteur se propose en effet de réexaminer les hypothèses qui tentent de rattacher le basque, généralement considéré comme un idiome isolé, à des familles connus autres que celles auxquelles on se réfère habituellement, à savoir la famille (?) caucasique et la famille chamitique. Dans une prudente et utile première partie (pp. 20-98), il résume l'historique du problème, soumettant à une revue critique les théories fantaisistes - préscientifiques ou tenant de l'élucubration -, ensuite les théories sérieuses : hypothèse finno-ougrienne, « basco- ibérisme », hypothèse indo-européenne (!), hypothèse africaine, enfin théorie caucasienne. Puis, abordant la matière proprement dite, il confronte dans sa seconde partie (pp. 99-158) le basque au substrat euro-sibérien plongeant d'abord « dans les profondeurs du passé » pour aborder ensuite plus précisément les langues paléo- asiatiques (ghiliak, tchouktche, iénisséien), enfin dans sa troisième partie (pp. 159-266) à Youralo-altaïque, examiné avec une extrême minutie : 69 pages de morphologie, 31 de « phonétique et lexique ».

2 Pour le romaniste et même l'indo-européanisant, le sémitisant, l'ouralisant ou l'altaïsant, l'entreprise peut paraître a priori très ambitieuse et vraisemblablement vouée à l'échec. Le premier dispose en effet de la langue-mère, le latin, dont il détermine l'évolution vers les langues-filles, les langues romanes, selon tout un arsenal de règles précises ; les quatre autres chercheurs ne possèdent peut-être pas les termini a quo de l'évolution comme le précédent, mais les attestations plus ou moins anciennes des langues de la famille permettent de reconstituer à la fois les transformations intervenues pour chacune d'entre elles et la forme hypothétique de la langue première dont elles sont issues suivant ces transformations. Face à ces types de recherche comparative, conformes au schéma traditionnel mais propres à des situations privilégiées, car les peuples parlant ces langues possédaient généralement l'écriture et

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nous ont laissé des témoignages anciens, échelonnés dans le temps et distribués dans l'espace, des linguistes s'attaquent aujourd'hui à des idiomes dépourvus de tradition écrite à la mesure de leur très longue histoire, s'efforçant néanmoins avec un certain succès de rétablir leur schéma évolutif et - bien entendu - le terminus a quo correspondant. Mais aucun stade intermédiaire ne peut jalonner les millénaires d'évolution possibles. Or le romaniste qui établit un rapport indiscutable entre les mots latins ILLU FRAXINU ou LEVO, LEVAS, LEVAT et leurs produits respectifs, gascon eth hrèische et roumain iau, iei, ia, ou encore l'indo-euro-péanisant sûr de pouvoir démontrer que l'anglais wheel et le sanskrit cakram, ou encore le latin duo et l'arménien erku sont respectivement issus d'une même source, à savoir les étymons restitués *kweklo- « roue », et *dwo- « deux », opèrent en toute sécurité en dépit des apparences - celles-ci étant en revanche assez trompeuses pour laisser penser que l'anglais bad « mauvais » et le persan bad « id » sont frères, alors que leurs origines sont radicalement différentes. Et il en irait à peu près de même en domaine ouralien ou sémitique. Aussi des linguistes « traditionnels » de ce genre ne voient-ils pas sans un certain scepticisme mêlé d'inquiétude d'audacieux chercheurs tenter des comparaisons, des apparentements, des parallèles dans des domaines dont l'histoire nous est totalement inconnue, et se fonder sur des ressemblances actuelles, alors que chaque idiome concerné a vécu, postérieurement à la « communauté » primitive, une longue existence. Voilà pourquoi la tentative de Michel Morvan n'entraîne pas a priori l'adhésion des comparatistes « de la vieille école ».

3 Néanmoins, l'auteur a conçu et réalisé dans son ouvrage un travail nécessaire, méritoire et important. Nécessaire parce que de telles hypothèses ont été émises dans un passé relativement lointain, à une époque où la science linguistique ne possédait ni les acquêts ni les « techniques » dont elle dispose aujourd'hui ; méritoire parce que le nombre des idiomes mis à contribution - 26 dans l'Index des « langues rares ou peu connues » (pp.281-284 ; voir aussi les deux cartes : p. 285 principales langues du Caucase, pp. 286 - 7 langues de l'Eurasie) - est considérable et implique un travail de recherche exemplaire ; important parce qu'il nous permettra de sortir des impasses rencontrées jusqu'ici avec les théories traditionnelles, et de relier le problème basque avec les grandes perspectives « mondialistes » en honneur parmi les chercheurs, surtout - mais non exclusivement - américains.

4 Il ne saurait être question pour nous de reprendre avec un œil critique - dont nous prive notre ignorance des langues concernées - le long et minutieux travail de confrontation mené par notre auteur. Nous y avons trouvé un nombre considérable de rapprochements intéressants et souvent plausibles. Nos réticences à une adhésion complète résidant dans l'image évoquée ci-dessus d'une histoire phonétique complexe, exigeante et rigoureuse à la façon romane et indo-européenne, il nous suffit pour « y croire » d'admettre que les langues envisagées montrent, par contraste avec celle des deux domaines évoqués, une stabilité remarquable ; c'est ce que l'on a noté dans le domaine altaïque - les dialectes turcs, du Bosphore à la Sibérie, sont peu différenciés - et peut-être du basque, précisément, langue qui s'est très peu modifiée depuis les premiers textes. A partir de ces prémisses, on pourra accepter cette étonnante, fascinante gymnastique qui saute allègrement montagnes, mers et continents pour reconnaître des parentés. Cela pourrait être de l'ordre de « l'élucubration » dénoncée par Michel Morvan, si notre auteur ne se mouvait dans ce vaste univers avec une prudence et une précision dignes d'éloges. Evidemment, lorsque l'on songe que le structuralisme à ces débuts enseignait que la langue est un système clos « où tout se

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tient », on peut hésiter sérieusement à jeter de tels ponts qui, avec superbe font fi des systèmes et des structures cohérentes. Mais on retrouve effectivement dans cet ouvrage un souci des constructions partielles, des paradigmes homogènes qui fait accepter les audaces. Et la dialectologie comparée, qui confronte à grande échelle des langues de structure et d'origine diverses - comme c'est le cas dans l'ATLAS LINCUARUM EUROPAE (aire bien réduite par rapport à l'Eurasie !) -, nous enseigne bien que d'autres « structures », transversales celle-là, se manifestent avec autant d'évidence que les premières, dans un jeu de complémentarité tout à fait satisfaisant. Aussi applaudirons- nous à la conclusion, aussi prudente qu'audacieuse, par laquelle notre auteur clôt son beau travail. Non, le basque n'est plus isolé, et ses racines paraissent bien plonger dans les profondeurs de la préhistoire eurasiatique : reste aux chercheurs désireux de suivre Michel Morvan dans sa courageuse et passionnante quête à s'initier comme il l'a fait aux arcanes de l'euro-sibérien et de l'ouralo-altaïque. Ce ne leur sera pas aisé, car pour ce faire la matière est difficile, la bibliographie - polyglotte - considérable ; mais il est certain que l'enjeu mérite l'effort qu'avec un succès manifeste notre auteur a consenti, et dont la linguistique lui saura gré.

INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique, littérature Mots-clés : basque (langue), critique littéraire, origine de la langue

AUTEUR

JACQUES ALLIERES professeur émérite de l'Université de Toulouse-Le-Mirail - UPRESA 5478

Lapurdum, 3 | 1998 250

R. L. Trask. The history of Basque. Routledge : Londres et New York, 1997, XXII + 458 p. ISBN : O-415-131 16-2 (hbk). Environ 650 FF.

Bernard Oyharçabal

NOTE DE L'AUTEUR

Les données sont assez complexes, et varient non seulement selon les dialectes, mais même à l'intérieur des dialectes selon les vocables. La tendance générale est à la perte de l'opposition soit du fait de l'amuïssement du r simple (le souletin offrant le cas extrême puisque le phénomène concerne également la position intervocalique), soit du fait d'une neutralisation au profit d'une réalisation correspondant à rr. Toutefois le système ne s'est pas partout stabilisé, et il n'est pas impossible que la réalisation uvulaire de rr dans les parlers du nord ait aidé à maintenir l'opposition dans certains vocables à r final doux. Ainsi pour de nombreux locuteurs actuel du Labourd et de Basse-Navarre, il y a une opposition nettement marquée entre zenbat ur [ur]'combien d'eau'et zenbat ur [uR]'combien de noisettes'. Pour des indications montrant l'existence de cette même opposition dans les parlers orientaux du sud, voir Michelena (1961/1976 : 334, n. 13).

1 L. R. Trask est un linguiste américain, enseignant au Royaume-Uni (University of Sussex), dont les études concernant l'euskara sont justement reconnues parmi les bascologues. Ses recherches l'ont également conduit à réaliser des travaux de linguistique générale, parmi lesquels nous citerons en particulier, à côté d'une introduction à la variation diachronique dans les langues (Linguistic Change, 1994) et d'un excellent manuel de linguistique historique (Historical Linguistics, 1996), deux dictionnaires de linguistique fort utiles (A dictionary of Grammatical Terms in Linguistics, 1993, et A Dictionary of Phonetics and Phonology, 1996).

2 L'ouvrage dont nous rendons compte ici, intitulé L'histoire de la langue basque, a pour objectif premier d'offrir aux comparatistes et linguistes non spécialistes du basque l'information indispensable concernant son histoire interne, laquelle, observe l'auteur, se trouve le plus souvent tout simplement ignorée, ou inexplicablement négligée, en

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dehors des bascologues, alors même que la langue basque depuis deux siècles a donné l'occasion à de multiples reprises à des rapprochements et comparaisons génétiques. Mais il va sans dire que les spécialistes liront également avec profit ce travail, très riche en informations et suggestions diverses, souvent stimulantes. A cet égard, on ne peut que se féliciter de la parution de cet ouvrage de 458 pages (+XXII p.), bien informé sur les questions linguistiques dont il traite à titre principal, clair, et solidement structuré autour de six chapitres traitant dans le détail de l'histoire de la langue dans ses divers aspects, phonologie (ch. 3), grammaire (ch. 4), lexique (ch. 5), relations avec d'autres langues (ch. 6), précédés d'une longue introduction (ch. 1), et d'une vue générale des caractéristiques de la langue (ch. 2). Se situant clairement dans la lignée des travaux de Michelena, même si l'auteur n'hésite pas à formuler de temps à autre ses propres hypothèses, cette histoire de la langue basque est appelée à devenir un ouvrage de référence dans le domaine des études diachroniques basques et des recherches de comparaison génétique. Pour cette raison, le lecteur excusera un compte rendu critique plus détaillé qu'il est de coutume.

3 L'introduction destinée à présenter le Pays Basque aux lecteurs peu familiers de son histoire est relativement longue (81 p.). S'il faut féliciter l'auteur de son effort en vue de présenter aux lecteurs non familiers du Pays Basque la langue dans son environnement, ce chapitre est aussi, à notre avis, le moins réussi de l'ouvrage. Après quelques brèves considérations sur la situation géographique, et sociologique de la langue et de ses dialectes, il comporte un résumé de l'histoire du Pays Basque (p. 7-35), dans lequel on regrettera la présence d'approximations qui auraient pu être évitées, même si l'auteur n'est pas un spécialiste d'histoire. Par exemple, la fin du Royaume de Navarre, conquis par la couronne de Castille au début du 16e, est présentée comme une absorption tranquille, pratiquement passée inaperçue (p. 19), alors qu'elle fut l'occasion d'un long et pénible conflit, très cruel pour les populations, et qui exacerba tout au long du 16e siècle et encore au siècle suivant, jusqu'au Traité des Pyrénées, la rivalité franco-espagnole. Au surplus, il aboutit à la séparation de la Basse-Navarre du reste de la Navarre, événement qui n'est pas rapporté dans cette introduction, malgré le poids relatif de ces circonstances qui entourent la naissance de la littérature basque, puisque les premiers écrivains basques eurent à en connaître directement ou développèrent leur oeuvre basque dans ce contexte : Dechepare, qui fut emprisonné lors de ce conflit, sans doute pour ses sympathies pour la couronne de Castille ; Liçarrague qui engagea sa traduction du Nouveau Testament à la requête de Jeanne d'Albret, Reine de Navarre, laquelle, empêchée de régner sur la plus grande partie du Royaume, ne s'était pas résignée à cette amputation. La période révolutionnaire est aussi évoquée de manière caricaturale, avec au surplus une étonnante référence à de nouvelles lois interdisant l'usage des langues régionales (p. 21), qui n'ont pas existé. Pour la période plus récente, l'auteur offre un rappel, inattendu et, à mon sens, hors de propos, des événements politiques survenus depuis un demi-siècle (lutte de l'ETA, actions du GAL, etc.), et incluant parfois des informations erronées, comme la mention (p. 32) d'un référendum qui aurait eu lieu en Navarre concernant l'intégration à la Communauté autonome basque. La situation politico-administrative et institutionnelle actuelle du Pays Basque, et, surtout, le dispositif juridique existant dans ses différentes parties en ce qui concerne le statut de la langue basque, sont, par contraste, très sobrement indiqués (p. 1). Il s'agit pourtant là, on le sait désormais, d'un point important pour l'avenir immédiat, et à plus long terme, de la langue, et l'expérience en cours en Pays Basque péninsulaire depuis une vingtaine d'années méritait certainement dans cette

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introduction plus d'attention. De même on regrettera le manque d'informations sur la situation sociolinguistique actuelle, assez bien connue désormais (Aizpurua 1995, Oyharçabal 1997). Plus grave, c'est dans cette introduction que les informations générales relatives aux dialectes figurent à titre principal (p. 5 et 7), mais, déplorons-le, de façon nettement insuffisante dans un tel ouvrage.

4 La section suivante, consacrée à l'histoire externe de la langue (pp. 35-49), est plus intéressante, même si elle souffre de quelques carences pour la période moderne (16-20e siècle). Pour l'époque de la romanisation, Trask, à l'encontre de ce qui a été longtemps admis, mais conformément à un point de vue largement répandu aujourd'hui parmi les spécialistes, met en doute l'idée que les Caristii, les Autrigons et les Berones et même les Varduli, qui occupaient la plus grande partie des territoires de la Biscaye, du Guipuscoa et de l'Alava actuels, aient été des populations bascophones (p. 36-38). Les éléments de preuve ne sont pas décisifs, comme l'auteur l'admet lui-même, puisqu'ils sont fondés essentiellement sur les témoignages scripturaux recueillis, et où la présence basque est extrêmement réduite. Trask n'ignore pas que les patronymes recueillis de cette façon témoignent surtout de la langue socialement dominante, mais la toponymie étant également plus indoeuropéenne que basque, il opte donc plutôt en faveur de la thèse d'un basquisation tardive de l'ouest du Pays Basque actuel (cf. aussi pour une présentation plus réservée de cette thèse, Gorrochategui 1995) ; Trask (p. 38) n'exclut pas cependant tout à fait l'idée de territoires linguistiquement hétérogènes avec une certaine présence du basque au temps de la romanisation, comme cela est admis pour la Navarre. Sont ensuite rapidement examinés les principaux témoignages écrits de la langue, de façon très elliptique à partir du 16* siècle, et sans que l'auteur prenne la peine d'exposer, avec la précision souhaitable, ce que l'on sait, et qui n'est pas négligeable, du recul territorial de la langue durant ces derniers siècles. Néanmoins cette carence est compensée par la présence d'une carte montrant le recul des frontières de la langue dans sa bordure méridionale, entre le 10e et le 19e siècle (p. 4).

5 On ne voit pas, par contre, ce qui a présidé aux choix apparaissant dans un parcours plus que cursif sur une partie de la littérature basque, d'autant que, là aussi, on doit constater des approximations ou des anachronismes, certes de peu de conséquences, mais malgré tout gênants pour un ouvrage de référence destiné éventuellement à un public qui n'aura pas toujours aisément accès aux sources de première main : B. Dechepare est déclaré Basque français (p. 47), et le livre de navigation de Hoyarzabal (mentionné d'après une réédition basque de 1677, et cité ici, alors que les écrits en basque d'Etcheberri de Sare ne sont pas mentionnés) est attribué (p. 48) à Martin de Hoyarzabal et Piarres Detcheverry alors que le premier est l'auteur (en français ; 1re édition 1577) de l'ouvrage, et le second son traducteur (bien que cette traduction soit légèrement augmentée ; 1re édition 1633). La présentation générale consacrée aux études bascologiques évite heureusement de tels écueils. Les principales contributions à ces études sont mentionnées, et pour la période moderne l'apport considérable de Michelena bien souligné, ainsi que ceux d'Azkue et Lafitte. Dans son évocation du dictionnaire de S. Pouvreau, l'auteur analyse le vocable ibai dans le syntagme ur ibaia, 'gué, rivière guéable', comme un adjectif modifiant ur (p. 51). Puisque la traduction est ambiguë [gué/guéable], et qu'ibai n'est attesté par ailleurs que comme substantif, il paraît malgré tout plus simple d'y voir un composé [N + N] où ibai serait, non un adjectif, mais un nom signifiant 'gué', comme cela est rapporté par Moret en Navarre ainsi que l'indique Michelena (1961), cf. aussi OEH-DGV IX (p. 103). Au delà de ce détail, on saura gré à l'auteur d'avoir souligné la notable influence, souvent ignorée (mais que je

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crains quelque peu exagérée ici, malgré tout), des idées de J. D. Garat sur Humboldt (p. 53). De façon générale, peu d'oublis doivent être constatés ; on regrettera néanmoins l'absence de mention pour les grammaires suivantes : Harriet (ouvrage publié en 1741, se voulant une grammaire du français, mais première grammaire publiée écrite en basque et qui servit de base documentaire à divers travaux postérieurs), Lécluse (1 826), Darrigol (1 827), d'Abbadie & Chaho (1836). La contribution de Martinet au débat sur l'analyse de l'ergativité en basque (p. 66) est sévèrement jugée (alors que ses mérites dans le domaine de la phonologie historique sont eux reconnus). Certes les propositions de Martinet concernant l'ergativité en basque (Martinet 1958) ressemblaient un peu à un refus de syntaxe et il est exact qu'elles n'eurent guère d'écho hors de France, malgré N'Diaye (1970), Tchekhoff (1978) et tout récemment, dans le même cadre fonctionnaliste, Coyos (1998). Il faut lui savoir gré, toutefois, d'avoir mis en question dès les années 50, cette théorie de la passivité qui apparaissait après-guerre comme un dogme intangible parmi les linguistes et bascologues non natifs, et qui ne sera pas abandonnée pratiquement avant les années 1970.

6 Le second chapitre est consacré à une présentation des caractéristiques de la langue. Le système phonologique est bien présenté avec des indications générales regardant les variétés dialectales. On s'étonnera malgré tout de l'indication selon laquelle l'opposition /r/ vs /rr/ à l'intervocalique tend à se perdre en labourdin et bas- navarrais, avec une réalisation de plus en plus fréquente, quoique non systématique, nous dit l'auteur, de /r/ [R] (p. 85). A ma connaissance, cette observation, que Trask répétera au chapitre 3 (cf. infra), n'est pas exacte, l'opposition se maintenant toujours dans cette position sans exception non explicable chez les locuteurs natifs. La perte de l'opposition entre les phonèmes retranscrits dans l'orthographe ordinaire s vs x, et de celle de leurs correspondants affriqués, observable dans les jeunes générations dans ces dialectes, à l'inverse, n'est pas mentionnée ; il est vrai qu'elle n'a pas été jusqu'ici l'objet de publications. La structure du syntagme nominal est clairement exposée, quoiqu'il faille ici aussi regretter un jugement peu charitable, et pour tout dire excessif, concernant les travaux existants : Presque sans exception, les grammaires du basque disponibles offrent une image désespérément confuse des syntagmes nominaux, dont l'existence le plus souvent n'est même pas reconnue (p. 89). Apparemment les références de l'auteur ont quelque peu vieilli. Il est exact que la grammaire de Lafitte (1944, 2e édition corrigée en 1962), longtemps principale référence pour les linguistes non natifs, ignore cette notion, pourtant très importante en basque, car l'article et les cas se joignent, une seule fois, au dernier élément sur la droite du groupe nominal. Toutefois depuis un quart de siècle, pour le moins, pratiquement tous les travaux de grammaire précisent clairement les choses. Elles sont d'ailleurs déjà exposées dans un petit ouvrage se voulant une version simplifiée de la grammaire de Lafitte : la grammaire basque d'Arotçarena (1948) où la désignation employée est celle de bloc fonction.

7 Les éléments du syntagme nominal sont bien présentés, même si l'on regrettera une analyse des quantifieurs comme des déterminants, ce qui conduit à l'idée peu satisfaisante, et mal commode, selon laquelle tout SN peut avoir deux déterminants occupant des positions très différentes à droite et à gauche du nom-tête (p. 89). Une telle vue rend pratiquement inopérant pour le basque la notion de syntagme du déterminant (SD) aujourd'hui souvent admise en tant que projection fonctionnelle associée aux syntagmes nominaux. La reconnaissance d'un seul déterminant, occupant la dernière position à droite du SN, et correspondant soit à l'article défini, soit à un démonstratif ou un déterminant indéfini (bat 'un', ou Ø, et, en suivant volontiers Trask

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sur ce point, le partitif), permet au contraire d'accorder sa pleine place à la notion de SD, et d'ouvrir la voie à une meilleure approche typologique (tête fonctionnelle à droite des projections lexicales compléments) et à une meilleure description des données empiriques (Artiagoitia 1997).

8 Dans l'exposition du système casuel, Trask retient une douzaine de cas. Il exclut notamment le partitif (qu'il préfère considérer, nous venons de le signaler, comme un déterminant indéfini), ainsi que le suffixe d'adnominalisation -ko, regrettant à juste titre l'emploi inadéquat dans la tradition grammaticale de la notion de génitif locatif (p. 102), proposition qu'il avait soutenue dans un article antérieur (Trask 1985b). Certaines inexactitudes doivent être relevées : il est dit qu'un ou deux verbes régissent le cas instrumental (p. 92), alors que cela est vrai, par exemple, de la plupart des verbes de communication, pensée, opinion, utilisation, jouissance, etc... autrement dit un nombre relativement important de verbes (cf. infra). A vrai dire, Trask part du principe que le cas instrumental exprime premièrement les instruments (p. 92). Ceci est très douteux, car s'il est une situation où, en basque contemporain, la nature casuelle du suffixe dit instrumental -z est peu claire, c'est lorsqu'il a une valeur strictement instrumentale (au sens où il marque l'instrument par lequel le procès que décrit le verbe est accompli). En effet, sauf exceptions bien limitées (impliquant certains organes corporels), le suffixe n'apparaît alors d'ordinaire qu'à l'indéfini, et le plus souvent joint à des noms simples (dailuz 'à la faux', aizkoraz 'à la hache', grekoz 'en grec', ...). Si le syntagme est doté d'un déterminant défini et de modifieurs du nom-tête, l'emploi du suffixe instrumental devient non naturel : La question *Zertaz moztu duzu egurra ? 'Avec quoi avez-vous coupé le bois'ou la phrase *Coizean erosi aizkora berri horretaz moztu dut egurra 'J'ai coupé le bois avec cette hache achetée ce matin' sont, ou mal formées ou très douteuses, mais n'offrent pas de difficultés si l'instrument est décliné au comitatif (zerekin 'avec quoi', aizkora berri horrekin dans les exemples). Il est simplement erroné de voir dans cet emploi du comitatif un usage substandard des jeunes locuteurs (p. 92). Au demeurant, puisque l'auteur semble considérer, judicieusement à notre avis, que seuls les suffixes pouvant se joindre à des SD doivent être considérés comme des cas (p. 98), sans doute vaudrait-il mieux dire que, dans cet usage instrumental, -z correspond à un suffixe de dérivation adverbial (comme -ka, par exemple), et qu'il ne représente un véritable cas que dans les emplois où il peut être librement joint à des SD, par exemple lorsqu'il est régi par un verbe de communication (mintzatu, hitz egin 'parler', erran 'dire',...), réflexion ou imagination (gogoeta egin 'réfléchir', pentsatu 'penser', amets egin 'rêver', ...), opinion (uste izan 'croire'), et quelques autres comme baliatu 'utiliser, tirer profit', aberastu 's'enrichir', jabetu 's'approprier', gabetu '(se) dépouiller', etc.

9 La morphologie verbale n'appelle pas de commentaires particuliers. Observons pourtant la présence de quelques erreurs comme dans l'exemple construit bizi-Ø ahal dute 'ils peuvent vivre' (p. 109), donné en variante dialectale du régulier bizitzen ahal dira, mais qui est mal formé.

10 Le problème de la valence est exposé de façon claire, mais, à notre gré, passablement vieillie. Les formes à indice d'ergatif sont ainsi considérées comme des transitives, même si l'auteur reconnaît l'existence de diverses constructions où ces formes ne peuvent avoir d'objet direct et sont donc syntaxiquement intransitives (p. 111). Mais aucune référence explicite n'est faite à la distinction entre verbes inaccusatifs et inergatifs, souvent admise aujourd'hui, et introduite dans les études basques depuis Levin (1983). Il est vrai que l'auteur rejette dans le chapitre 4 les éléments d'analyse

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(surtout ceux de nature sémantique) liés à la distinction entre les deux types d'intransitifs (p. 230), point de vue qui explique également pourquoi les verbes composés à objet incorporé du type [N egin 'N faire'], typiquement inergatifs, sont à peine cités à côté de quelques verbes 'déponents' (au sens de Lafitte). Par ailleurs, Trask refuse de considérer comme des constructions formellement passives celles où la forme conjuguée du verbe s'accorde avec l'objet direct, l'agent demeurant absent soit de façon obligatoire (médiopassives), soit optionnelle (passives du parfait résultatif) (p. 112-113) ; (cf. dans la même optique, Ortiz de Urbina et Uribe-Etxeberria, 1991)). Néanmoins l'argumentation présentée par Trask n'emporte pas la conviction : dire que le complément d'agent est argument du seul verbe participe ne démontre rien, car il est bien connu que si certaines langues ont un passif synthétique, comme, par exemple, le latin, d'autres ne connaissent qu'un passif périphrastique présentant le verbe être associé à un participe perfectif, dont l'argument agentif correspond au complément d'agent. D'autant que la littérature atteste abondamment de l'existence de telles formes avec un complément d'agent réalisé sous la forme d'un syntagme instrumental comme dans l'exemple labourdin suivant : Nahi zare maitatua izan Jainkoaz eta gizonez ? 'Voulez- vous être aimé par Dieu et par les hommes ?' voire, dans les dialectes occidentaux modernes, au motivatif suivant le modèle espagnol (Rebuschi 1984 : 435). En fait, on ne voit pas très bien à quoi renvoie la distinction entre phrases fonctionnellement passives et phrases formellement passives à laquelle se réfère Trask (p. 113), car aucune définition formelle de la passivation n'est donnée qui permettrait d'exclure la forme basque, attestée dès le 16e siècle. Au surplus les exemples choisis dans cette discussion sont parfois douteux : ainsi l'équivalence entre Lan hori egina da et Lan hori egindakoa da qu'indique Trask (p. 112-113) pour dire Ce travail est fait est très discutable, car dans cette seconde expression le prédicat n'a qu'une interprétation nominale et la phrase a par conséquent une valeur équative (au demeurant progmatiquement difficile) : Ce travail est celui qui a été fait. Cette remarque vaut également pour l'autre exemple de même type offert par Trask (p. 112) : Ibaiak kutsatuak dira / Ibaiak kutsatutakoak dira 'Les rivières sont polluées', où seule la première phrase correspond à la traduction. Les constructions dites antipassives (Rebuschi, 1984) ne sont pas mentionnées. Ce deuxième chapitre se termine par un répertoire des particularités typologiques du basque (p. 117-123), listées dans une optique historique à partir de Nichols (1992).

11 Le chapitre 3 est consacré à la phonologie. Il est d'une grande importance puisque la phonologie constitue l'élément de base dans les études de linguistique historique. Ce chapitre représente un excellent condensé des connaissances actuelles dans ce domaine, lesquelles sont loin d'être négligeables grâce en particulier à la contribution de Michelena. Trask présente le système phonologique reconstruit du basque au moment de la romanisation, et examine l'évolution des différentes séries de phonèmes jusqu'au basque moderne, mettant en évidence (p. 128) les dangers qu'il y a à procéder à des comparaisons de longue distance qui ne tiennent pas compte de ces éléments. Comme l'avait montré Michelena, l'existence d'emprunts directs au latin, puis aux langues romanes, la présence de dialectes offrant des variations régulières, la connaissance d'un corpus onomastique en langue aquitaine, et de documents médiévaux incluant des noms et gloses en basque, permet de procéder à une reconstruction relativement fiable des sons du pré-basque, remontant approximativement à 2000 ans en arrière (p. 125). Le système phonologique de ce basque comprend dans cette présentation (p. 126) les 5 voyelles cardinales (comme en basque moderne pour la plupart des dialectes), et 16 consonnes divisées en deux séries

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séparées par une opposition fortis vs lenis : (p), t, k, tz, ts, N, L, R vs b, d, g, z, s, n, I, r. Ceci suit le schéma de Michelena (1961, [1976 : p. 374]), lequel toutefois exclut complètement p (au sujet duquel Trask précise toutefois que les preuves de son existence en pré-basque sont extrêmement réduites). Trask rappelle sa proposition antérieure (Trask 1985a) d'analyser l'opposition fortis vs lenis du pré-basque en termes de gémination (p. 127), mais il mentionne également les réticences que cette vue a pu faire naître, et en particulier les sévères objections de Hurch (1991). L'aspiration est analysée comme résultant de phénomènes suprasegmentaux. Trask insiste, avec raison, sur l'importance de la reconstruction du système phonologique ancien pour l'analyse comparative externe. Si les éléments rassemblés montrent, comme c'est le cas, que le prébasque ignorait les occlusives orales (p, t, k) et m en début de mot (en écartant la proposition de Martinet (1955) en faveur d'un mb), les comparaisons fondées sur de telles bases devront nécessairement être tenues comme suspectes (p. 128).

12 Après la présentation du système phonologique dans une perspective diachronique, chaque série de phonèmes est ensuite étudiée, et sa distribution présentée, de façon toujours argumentée, d'abord pour les consonnes (plosives, sifflantes, nasales, latérales, rhotiques, palatales), puis les voyelles, et les glides. L'aspiration, la question des groupements de consonnes et de l'accentuation sont ensuite examinées, et un résumé est offert des principaux changements intervenus lors de l'évolution du pré- basque vers le basque moderne. On notera les arguments plaidant en faveur d'une absence de m (p. 133-135). On ne suivra pas nécessairement l'auteur dans sa proposition d'une opposition r vs rr réduite à la seule position intervocalique (p. 144). Il semble plutôt que l'opposition ait existé en position finale (comme d'ailleurs encore aujourd'hui en labourdin et bas-navarrais, où un -r simple se maintient comme tel devant pause avec certains vocables comme ur 'eau', barur 'jeûne', ou zur 'bois'), bien qu'elle se soit neutralisée dans la plupart des dialectes'. L'opposition a dû exister également devant n, d'où les nombreux doublets dialectaux : oroitvs orroit 'souvenir', en vs erri 'doigt', are vs arre 'herse', etc.. En effet, dans les parlers où l'aspiration a été perdue alors que l'opposition entre vibrantes simples et fortes s'était maintenue devant h, on a obtenu soit un -r-soit un -rr- intervocaliques selon la forme de départ : en 'doigt', oroitu 'se souvenir' et are 'herse' d'un coté, mais une 'or' et urrats 'pas' de l'autre. A l'inverse, dans les parlers où la neutralisation de /r/ et /rr/ devant h a précédé la perte de l'aspiration, on a orroit 'souvenir', erri 'doigt', arre 'herse' (à côté de urre et urrats qui se maintiennent bien sûr) ; dans ce dernier cas les formes intermédiaires, précédentes la perte de l'aspiration, sont déjà attestées dans les textes labourdins du XVIIe siècle (orrhoit, errhi,...) ; cf. Michelena (1961/1976 : p. 329, n. 5). En souletin, où l'aspiration s'est bien maintenue jusqu'à nos jours et où la vibrante simple est devenue 0, on a donc : ohit 'souvenir', ehi 'doigt', eho 'moudre, tuer', etc. mais également ürrhentü 'achever', errhauts 'poussière', etc. Ayant signalé l'évolution observée dans la réalisation du rr en labourdin et bas-navarrais (aujourd'hui uvulaire, et non apicale, chez de nombreux locuteurs), Trask revient également sur l'indication déjà mentionnée plus haut, mais inexacte, et résultant apparemment d'une simple impression, d'une perte de l'opposition dans ces dialectes entre la vibrante simple et l'uvulaire, faisant que hari 'fil' et hura 'celui-là' seraient prononcés comme harri 'pierre' et hurra. 'la noisette' (p. 145). Concernant la palatalisation on relèvera l'utile distinction entre palatalisation automatique et palatalisation expressive, avec certaines différences notables bien expliquées. Les évolutions en cours et passées sont relevées. L'examen des voyelles, bien qu'excellent, est un peu elliptique : par exemple, aucune présentation

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des voyelles nasalisées des dialectes extrême-orientaux n'est proposée, bien que leur présence soit signalée (p. 168). A propos de l'analyse de ü souletin, on corrigera la forme üdürü du tableau 3.7. (p. 147), erreur ou coquille pour soul, üdüri 'ressemblance'. A propos de l'assimilation entre voyelles fermées (/, ü, u) du souletin, le cas de bürdüña 'fer'(en place de la forme attendue soul. *burdiña) est justement évoqué (p. 150), à côté de ütsü 'aveugle'(< *îtsü) et bu(r)ü 'tête' (< *burü). Toutefois, sans autre explication, le lecteur non spécialiste aura du mal à retrouver la double harmonisation qui, comme le proposait Lafon (1933), a dû se produire, la première, avant le passage de u à ü en souletin, et conduisant à soul. *burduña (< burdiña) ; la seconde intervenant après le passage à ü du u prénasal : *burduña > *burdüña > bürdüña. Divers phénomènes morphonologiques sont aussi abordés, notamment ceux liés à la suffixation de l'article - a. La fermeture du e- initial dans les participes en -/' dont la seconde syllabe a pour noyau une voyelle fermée est aussi clairement exposée (p. 154), mais l'un des exemples cités surprend : il s'agit de iduri 'sembler' que l'auteur fait provenir de *eduri. En laissant de côté la question de la métathèse r-d d-r, l'analyse est discutable puisque dans les formes personnelles on a dirudi, comme l'on a dirau (avec iraun 'durer') ou digaran (avec igaran 'passer' issu du causatif de igan 'monter'), et non *derudi, comme attendu si la forme de départ était *erudi (à laquelle on préférera *eirudi).

13 L'analyse du diaphonème orthographié / occupe l'essentiel de la section consacrée aux semi-consonnes. Les divers correspondants phoniques de j ayant été très bien présentés auparavant, avec une carte (p. 86), c'est son apparition comme résultat de e- devant principalement a et o, qui est discutée, de façon convaincante, sauf peut être pour la forme *eelgi, que Trask, avec Michelena (1961, [1976 : p. 515]), met à la source de soul, elki et jalgi 'sortir', sans tenir compte des réserves du même Michelena (1961, [1976 : p. 63, n. 7]) sur ce point. L'auteur expose également la difficulté de rendre compte de la non généralisation de la fusion de la fricative palatale /S/ (orthographiée x) et de la fricative vélaire /x/ (transcrite / dans l'orthographe ordinaire) en guipuscoan. Dans ce dialecte, /j/ passa à /Z/ (comme en souletin et en haut-navarrais), puis /Z/ passa à /S/ (comme en haut-navarrais), mais ensuite /S/ passa à /x/ (même phénomène qu'en castillan). Donc en guipuscoan, comme en haut-navarrais, il y eut une étape où le résultat de /j/ étant /S/, il y eut fusion avec le phonème /S/ existant de manière indépendante. Mais alors qu'en haut-navarrais on en resta là (avec donc des formes comme xan [San] 'manger', à côté de xori [Sori] 'oiseau'), en guipuscoan le passage de / S/ à /x/ n'affecta pas tous les /S/ : s'il toucha sans exception ceux provenant du glide / j/, d'autres se maintinrent, et on aboutit donc à jan [xan] d'un côté, et, de l'autre, après passage à l'affriquée de la chuintante initiale, à txori [tSori]. Comment rendre compte de ces données, si l'on résiste à admettre, pour des raisons bien compréhensibles, que les phonèmes conservent la mémoire de leur formation diachronique ? Trask indique que la solution avancée par Michelena consiste à poser que la conservation du trait d'expressivité rattaché à l'emploi de la palatale en dehors des emprunts et de l'évolution mentionnée du glide d'avant, aurait bloqué la vélarisation de la fricative. Cette explication est considérée par Trask comme impliquant un exemple extraordinaire de blocage d'un changement phonologique pour des raisons fonctionnelles (p. 157). Ceci est néanmoins douteux, ou ne correspond qu'à une partie du problème. En effet, si les anciennes chuintantes initiales sont devenues affriquées, mais pas celles issues du glide d'avant, il faut souligner que les premières pouvaient être d'origines diverses (Michelena 1961, [1976 : p. 194]), et par conséquent qu'elles n'étaient pas toujours issues de formes expressives. Cette situation est illustrée par des exemples tels que

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txautu 'laver' ou txerfa-tu 'greffer', respectivement apparentés à lat. sanum et insertare probablement.

14 Les sections consacrées à l'aspiration, aux groupes de consonnes et à l'accentuation résument très bien les principaux éléments connus, avec les inconvénients inhérents aux synthèses sur des sujets parfois fort complexes (la question concernant l'accentuation, en particulier, étant traitée de manière quelque peu elliptique, en dépit des importants progrès accomplis dans ce domaine au cours de ces dernières années ; cf. Hualde (1997). Les lecteurs apprécieront le résumé des principaux changements phonologiques intervenus au cours des siècles (p. 166-169) et présentés dans un tableau des phonèmes du pré-basque selon les principales positions (initiale, finale et intervocalique). Deux sections novatrices doivent être mentionnées, l'une concernant la phonotactique (p. 172-176), l'autre la structure morphématique (p. 176-178), ainsi qu'une discussion très suggestive concernant la question du grand nombre de vocables à initiale vocalique (p. 179-183).

15 Le chapitre 4 est consacré à la grammaire, c'est-à-dire principalement ici à l'analyse diachronique de divers morphèmes grammaticaux. Quelques observations sur des points de détail : la forme ancienne des pronoms intensifs du type neu ou zeu discutées (p. 197) a dû avoir un -r final, comme cela est attesté encore chez Axular (neurk et zeurk à l'ergatif), et ainsi que le montrent les formes intensives comme neuror ou nerau. A propos de la formation de l'article -a, dont l'origine dans le démonstratif distal est rappelée, Trask propose d'en dater l'introduction entre le 8e et le 10e siècle (p. 199), compte tenu, d'une part, de son absence dans les inscriptions aquitaines mais de sa présence dans le témoignage d'A. Picaud (12e siècle), et, d'autre part, de la datation de son apparition dans les langues romanes et germaniques. Concernant le suffixe -ero, principalement employé au sud dans des expressions indiquant un repère temporel (astero 'chaque semaine'), Trask propose de le rapprocher du suffixe adverbial -ro (p. 211). Ceci est peu probable car la distribution de -ro (qui se joint à des adjectifs ou des adverbes) est différente de celle de -ero (qui se joint uniquement à des noms marquant un repérage temporel) ; ce dernier suffixe paraît plutôt apparenté au quantifieur universel oro 'tout, tous' utilisé comme tel dans les dialectes orientaux.

16 Le point principalement discuté dans les indications concernant les morphèmes casuels est celui de la déclinaison locative, à propos duquel Trask propose le scénario suivant (p. 204) : le système actuel utilisé avec les noms propres refléterait le système le plus ancien (-n marque d'inessif, -a marque d'adlatif). Plus tard, un morphème locatif apparenté avec le nom gain 'sommet' aurait été employé, qui lors de l'introduction de l'article et des oppositions de nombre aurait été interprété comme singulier. Ce morphème apparaît aujourd'hui dans le -a- des formes ines-sives (qui dériverait de *gan comme proposé par Jacobsen (1977) et de Rijk (1981)). Pour les formes non singulières, le suffixe collectif -eta (emprunté probablement au latin) aurait été employé, et décliné à l'inessif, d'où -etan. Ce collectif aurait été interprété comme un pluriel, et ensuite le e- initial lui même aurait pris cette valeur (par analogie avec le -e-des cas obliques grammaticaux), de telle sorte que -ta- serai* devenu disponible pour l'indéfini. Comme le reconnaît Trask lui-même, l'hypothèse est largement spéculative, et on demeure circonspect, en particulier en ce qui concerne l'analyse de -ta, qui est employé dans tous les dialectes à l'indéfini, alors que le -e- pluriel n'est employé que dans les dialectes orientaux dans les cas obliques grammaticaux. Les données rapportées concernant les formes de l'adlatif en souletin sont passablement confuses. Trask (p.

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206) relève la présence d'une étrange collection de désinences : -la, -lat, -alat, -ialat, -ilat. En fait le souletin a la même désinence que les dialectes voisins : -ra(t), réalisée -a(t) ou, après -a-, - la(t), cette dernière possibilité étant également attestée plus à l'ouest, en bas-navarrais, dans des formes comme eskuaralat (peut être par dissimilation) ou elizalat (Lafitte 1944 : § 140). Ce qui est propre au souletin, c'est la possibilité d'utiliser le morphème alocatif-a- de l'inessif à l'adlatif singulier également. On a donc etxera (qui correspond à la forme inessive etxen) et *etxiara(t) (qui correspond à l'inessif etxian) 'à la maison'. Après -a- l'adlatif étant toujours réalisé -la on a *etxiara(t) > etxiala(t) ; cf. Gèze (1 873 : p. 23) : Etxera(t) joan da et Etxiala joan da 'Il est allé à la maison'. Dans cette dernière forme -a- peut tomber (phénomène également rencontré en dehors des formes locatives avec les formes singulières de l'ergatif ou même le pluriel absolutif), et il en résulte alors etxila(t), tout comme l'on a mendian > mendin ou lanian > lanin. En fait, donc, l'alternance -ra / -la est simplement conditionnée par la présence au singulier d'un a précédant le suffixe adlatif dans la dérivation, -la étant toujours exclu en dehors de ce contexte ; par exemple dans les noms propres sans article ou avec les verbes nominalisés des infinitives : * Lakarrila(t) 'à Lacarry', *ikustela 'à voir'. Ceci donne à penser que /-est secondaire ici, contrairement à ce que suggère Trask, et contrairement aussi peut-être au suffixe -la à valeur modale rencontré avec les interrogatifs (nola 'comment', bisc. zelan), les pronoms démonstratifs (hala 'ainsi'), et le suffixe de flexion de certaines phrases subordonnées (dugula '(alors) que nous avons'). Concernant ce dernier suffixe, Trask (p. 211), curieusement, ne suggère aucun rapprochement avec l'adlatif (cf. Lafitte 1944 : § 757).

17 En présentant les formes non finies du verbe, l'auteur reprend (p. 213) des analyses antérieures (Trask 1990) sur les verbes à radical en -n. L'idée consiste à supposer que les formes actuelles proviennent d'anciennes formes en -n-i (avec -i aspectuel) : eman >*emani 'donner'. La chute du -n- intervocalique du participe passé aurait conduit à une confusion des formes radicale (eman) et participe (emai). Par la suite eman aurait permis de rendre tant le radical que le participe passé, et emai serait demeuré dans les seules formes radicales du type emai- rencontrées dans les dérivés nominaux (emaile, emaite). L'absence du - n final du radical dans les formes conjugués s'expliquerait par sa chute dans les formes relatives (*dagonen) et du passé (* zegonen) en position intervocalique ; explication qui rendrait compte de la syllabicité du complémenteur et des marques du passé après les radicaux dans les formes conjuguées (par opposition à ce qu'il advient lorsque ces suffixes se joignent aux marqueurs de personnes). Très ingénieuse, l'analyse laisse malgré tout certains points non expliqués, comme l'absence de -/ dans les dérivés nominaux de certains verbes : jan # * jaite, edan # *edaite, etzan # *etzaite, ent- zun # *entzuite, etc ; et surtout elle repose sur une analyse impliquant la chute du -n- intervocalique dans un cadre particulier : celui de la morphologie flexionnelle. Par ailleurs l'explication, implicitement, accorde aux formes participes perfectives une grande importance (puisque que c'est à partir d'elles que la base lexicale des verbes est modifiée). Pourtant cette importance devait être moins grande dans la vieille langue que dans celle d'aujourd'hui, où les formes radicales ne sont plus disponibles que dans des formes marquées du point de vue modal (changement intervenu assez tardivement, au 16e siècle). Il est vrai que Trask (p. 238) pense que les formes aoristiques du type erran zezan 'il dit' sar zedin 'il entra', très nombreuses chez Liçarrague, représentent plutôt des innovations idiosyncrasiques, très localisées, que des survivances de la vieille langue, comme on le pense généralement (Lafon 1944). En réalité ces formes sont attestées dans tous les textes du 16e siècle : Dechepare, Liçarrague, les Refranes y

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Sentencias et également dans les proverbes d'Oihenart ; tout indique par conséquent que cet usage, contrairement à ce qu'indique Trask, était général jusqu'au 16e siècle ; (cf. pour les données en vieux bis-cayen, Lakarra 1986).

18 L'examen des formes verbales finies est également très clair. Trask fait le point sur la plupart des questions essentielles (analyse des préfixes personnels ou temporels, limites de l'accord tripersonnel, etc.). Parmi les points discutables, mentionnons : la surprenante indication (p. 221) selon laquelle, dans les dialectes du nord et de l'est, l'accord en nombre ne se ferait pas avec les objets indéfinis sémantiquement pluriels : Bi liburu dut / *ditut (sic) 'j'ai deux livres'. S'il est exact que cet accord n'est pas systématique en souletin, il est requis dans les plupart des dialectes du nord avec les quantifieurs cardinaux, et nulle part alors il n'est agrammatical. Cet accord pluriel est observable dès le 16e siècle, chez Dechepare et Liçarrague. On s'étonnera également de l'emploi de la désignation de pluralisateur ergatif, et de pluralisateur transitif à propos du suffixe -e (pas uniquement biscayen, loin s'en faut) ou - te, se joignant à l'indice suffixé de troisième personnes ergative. Ce même suffixe s'emploie en réalité avec les datifs (e < o/a + e ; -ote) et même comme pluralisateur de la 2e personne (quel que soit le cas du NP correspondant). Par ailleurs, il n'est pas exact que egon 'se trouver, rester' soit le seul verbe intransitif où ce pluralisateur apparaît comme il est indiqué (p. 222), puisqu'il apparaît avec les verbes izan 'être' (les formes comme girade 'nous sommes' ou dirade 'ils sont' sont déjà présentes dans les textes du 16e siècle, et plus à l'ouest garade apparaît dans le Salve transcrit par Isasti ; cf. Michelena 1964 : p. 104) et sans doute également, *edin [n-/h-/d-adi- vs g-/z-/d-a (d) i te-). Les indications concernant les préfixe affirmatif ba- sont confuses (p. 226). En effet, pour illustrer la tendance des dialectes du nord à utiliser ba- avec les formes synthétiques (même sans être en tête de phrase), Trask indique que pour dire 'Il est à la maison' les locuteurs de ces dialectes utiliseront aussi bien Etxean da que Etxean bada. Ceci n'est pas exact, et l'exemple est vraiment mal choisi, car s'il est un verbe où il n'est pas indifférent d'utiliser ba-, c'est précisément le verbe izan 'être', lequel, avec ba-, est ordinairement prédicat d'existence, et sans ba-, par contre, verbe copule. Le contraste est donc très marqué, dans les dialectes du nord, entre Ura da 'C'est de l'eau', et Ura bada 'Il y a de l'eau'. Une autre indication qu'il convient de rectifier concerne le génitif des objets directs des phrases nominalisées. Trask (p. 244) indique que cet emploi n'est pas attesté au sud des Pyrénées, alors qu'au contraire il l’est sans aucun doute possible dans la vieille langue biscayenne (Orpustan 1992, Lakarra 1997).

19 Après l'analyse de ces divers morphèmes, où manque malgré tout une présentation des morphèmes de subordination, essentiellement liés en basque du point de vue diachronique, soit aux marques casuelles pour -(e)n (cf. avec des points de vue divergents : Gavel 1929, de Rijk 1972), soit au morphème de prise en charge énonciative bai 'oui' pour ba- et bait- (Lafon 1966), l'auteur, dans la dernière section de chapitre (p. 245-247), propose un tableau synthétique de l'évolution typologique de la langue à partir de l'hypothèse selon laquelle les caractères typologiques du basque connu (langue SOV, système casuel, postpositions) seraient secondaires par rapport au système inverse (cf. dans le même sens Gómez & Sainz 1995). L'ergativité aurait accompagné le passage d'un système VO au système OV, l'évolution postérieure ayant conduit à l'apparition d'une syntaxe accusative, sans que la morphologie ergative ne soit perdue. La perspective générale est intéressante, et même séduisante, bien qu'elle

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soit évidemment hors de portée de toute réfutation empirique, et donc, comme le dit Trask lui-même, forcément spéculative.

20 Le chapitre 5 consacré au lexique est le plus long (109 p.) et c'est celui qui intéressera sans doute le plus les comparatistes, car bien structuré autour d'une quinzaine de sections qui permettent de faire le point sur les éléments lexicaux les plus significatifs dans une perspective principalement historique (mais incluant certains éléments modernes). Le chapitre se termine par une présentation des 200 mots de la liste de Swadesh avec leur traduction basque.

21 Les composés et les dérivés sont présentés de manière très succincte, mais claire, malgré ici encore quelques détails à revoir : -keta ne se joint pas aux adjectifs (p. 253) et l'exemple donné par Trask (berriketa 'bavardage') est construit sur le nom berri 'nouvelle', et non sur l'adjectif signifiant 'neuf, récent'. Les traits généraux de phonétique expressive, les voies majeures des emprunts lexicaux viennent ensuite. La tradition néologique basque est l'objet d'une analyse essentiellement consacrée aux efforts aranistes et postérieurs. L'évocation de Larramendi au début de cette section est quelque peu allusive et surtout contestable car il est estimé que les composés créés par Larramendi étaient usuellement construits d'une manière techniquement correcte (p. 263). Au contraire, tel n'était pas le cas dans le dictionnaire trilingue (1749), et c'est avec Larramendi que se créé en fait dans la tradition lexicographique basque une confusion entre, d'une part, l'exploitation de ce qu'on appelle aujourd'hui parfois le lexique potentiel, déjà bien commencée dans leur travaux lexicaux par Harriet (1741) (cf. Lakarra 1995), ou Urte (cf. Urkizu 1987), et, d'autre part, la néologie savante (qui ne s'en tient pas aux seules règles régissant la formation du lexique basque, lesquelles sont d'ailleurs totalement ignorées jusqu'au 20e siècle). De ce point de vue Arana se situe dans la tradition larramendienne, même s'il s'en éloigne en ce que Larramendi n'a pas une attitude révisionniste, c'est-à-dire visant à corriger les vocables basques déjà formés, au nom du purisme lexical. Concernant le mot euzkadi créé par Arana, Trask indique qu'il fut formé sur euzko lui même créé à partir de eguzki 'soleil' (p. 264) : [eguz- kiko > euzko] + di > euzkadi. Cette explication est celle qui est généralement restituée en se fondant sur les indications données par Arana lui-même. Mais on sait désormais grâce à Zabaltza (1997) que l'histoire est sensiblement différente : le mot euzkadi en réalité est antérieur à euzko, et ce dernier vocable, lorsqu'il est créé par Arana, trouve sa source dans l'étymologie de bizkaia < be-euzko-di-a, où be- est 'bas'et où le composé s'entend 'l'ensemble des Basques du bas'. C'est à cause de cette étymologie à partir de bizkaia que fut changée l'orthographe de eusko, euskera, etc. avec substitution de -z- à - s-. Et ce n'est que cinq ans plus tard qu'Arana avança l'étymologie euzko < eguzkiko.

22 Les comparatistes tireront grand profit des sections consacrées au lexique spécialisé, qui est examiné de manière systématique par Trask au travers d'une cinquantaine de pages (p. 267-320) : sont ainsi successivement étudiés les noms de couleurs et de parenté, les numéraux, le lexique des jours, des mois, des saisons, des parties du corps, des instruments de base, d'orientation, celui des verbes de possession et d'être, de mouvement, les noms d'animaux, de végétaux, de concepts ou phénomènes atmosphériques ou géographiques, de nourriture, d'occupation et activités. Une partie du vocabulaire ethno-culturel est également abordé : noms de la langue, touchant à la mythologie, au folklore, à la vie politique ou culturelle. L'auteur fait le point de manière tout à fait satisfaisante et en général solidement documentée de la longue tradition concernant la formation de ce vocabulaire : jours de semaines, couleurs, partie du

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corps. En dehors de points de détails sur l'analyse de tel ou tel vocable (au total certainement plusieurs centaines), si une critique devait être apportée, elle porterait sur le fait que la distinction n'est pas établie entre ce qui relève du lexique effectivement employé, et des mots savants ou tardivement fabriqués par les lexicographes. Le point n'est pas crucial car Trask en ce cas se réfère en fait soit à des formations motivées, morphologiquement transparentes comme arraultzetegi pour 'ovaire', soit à des composés analogiques, descriptifs ou calqués, tels que gorputzenbor 'tronc ; litt. corps-tronc'(enbor étant utilisé en réalité pour les arbres), eguzkisorketa 'lever du soleil' (dont l'authenticité ou la 'naturalité' est passablement douteuse, contrairement à eguzki sortze), ou ehun-zango 'millepatte'(cf. esp. ciempiés, quoique ce dernier calque soit effectivement employé dans certains parlers, et attesté en dehors des dictionnaires).

23 Les hydronymes (p. 329-331), oronymes (p. 331-332), toponymes (p. 332-339), patronymes (p. 339-348) et domonymes (p. 349-352) sont ensuite présentés à travers un nombre relativement important d'exemples qui permettent au lecteur de se faire une idée précise sur la façon dont le basque aborde ces champs spécifiques, même si l'information est nécessairement condensée. L'auteur regrette (p. 349) que personne n'ait entrepris une étude systématique des noms de maison, ignorant visiblement certains travaux réalisés dans ce domaine, en particulier la thèse d'Orpustan (1984) demeurée, il est vrai, non publiée jusqu'ici.

24 Le dernier chapitre est consacré à la question des relations (principalement) génétiques avec d'autres familles linguistiques. On sait combien le sujet a été débattu, et combien aussi ces travaux ont donné lieu, et continuent de donner lieu, à des propositions, formulées généralement en termes définitifs par des personnes sans formation ou connaissances sérieuses en linguistique historique basque (et même, parfois, aucune en linguistique et guère plus en basque, ou inversement). Ce qui est un certainement excellent moyen de se prémunir des détestables préjugés scientistes, et de faire preuve d'audace et de hardiesse dans les hypothèses, mais ce qui aboutit inévitablement, en cette matière comme dans les autres branches du savoir, au ridicule ou à l'escroquerie éditoriale (l'un n'empêchant pas l'autre). Telle n'est pas la situation de Trask, qui a publié dictionnaires et ouvrages généraux de linguistique historique (cf. supra), et qui a acquis au cours des années une solide compétence en basque (ses premières publications relatives au basque remontent à plus de 20 ans), en particulier dans les domaines qui sont spécialement en jeu dans les travaux comparatistes (typologie, études diachroniques). Contrairement à beaucoup de linguistes, il n'est pas a priori hostile ou indifférent aux travaux de comparaison sur la longue distance du type de ceux développés par certains nostraticiens, et, malgré de très sérieux désaccords de méthode, il n'ignore pas les travaux se prévalant des méthodes de la comparaison multilatérale (Ruhlen 1987), comme l'a montré le débat publié dans la revue Mother Tongue (1995 et 1996) à partir de la critique de Trask des travaux réalisés dans le cadre de l'hypothèse dite macro-caucasique (pour une brève présentation dans une publication facile d'accès en Pays Basque, cf. Bengtson 1996), et plus généralement de la proposition visant à faire appartenir le basque à un macrophylum dit déné-cau-casique. Enfin n'étant pas basque lui-même, on ne peut donc le soupçonner d'abriter quelque tendance obscure, induite par une fierté ou une susceptibilité nationale déplacée, à refuser à prendre en considération les éléments faisant perdre au basque son splendide

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(?) isolement dans le panorama linguistique européen. Libre donc d'un tel tropisme, que nous dit Trask sur cette question ?

25 Dès le début de ce chapitre il met en garde le lecteur des tentations de ce qu'il appelle la comparaison bongo-bongo, consistant à rapprocher en vertu de leur ressemblances, réelles ou supposées, des mots basques avec d'autres, pris dans telle ou telle autre langue, selon les convenances (p. 358). L'accent est donné et le chapitre est une charge implacable des diverses tentatives effectuées jusqu'ici en vue d'établir sans trop de précautions des liens génétiques entre le basque et telle ou telle langue ou famille linguistique connue, en se fondant sur de simples rapprochements lexicaux. La leçon est rude, et en dehors de la section consacrée à l'aquitain (p. 398-403), où ses vues se situent dans la lignée de celles de Michelena (1961/1976) et Gorrochategui (1984), l'exercice tient beaucoup du jeu de massacre. La grande majorité des linguistes sera certainement sensible aux arguments de l'auteur qui se situe dans le cadre théorique de la linguistique historique classique, et qui par conséquent insiste sur les exigences minimales que l'on est en droit d'attendre des auteurs dans l'établissement de liens génétiques entre une langue X et une langue ou une famille de langues Y demeurées en tout état de cause sans aucun contact durant plusieurs milliers d'années. Je me limiterai ici à indiquer quelles hypothèses Trask présente dans cet examen : tentatives opérées dans le cadre de la glottochronologie (p. 359-361), parenté avec des langages d'Afrique et notamment les langues berbères et la famille afro-asiatique (p. 361 -364), parenté avec les autres langues de l'Europe pré-indoeuropéenne (p. 364-368), parenté avec la famille indoeuropéenne (p. 368-378), liens avec la langue ibérique (p. 378-388), le minoen ancien (p. 388-390), la langue des Pictes (p. 390-392), les langues du Caucase (p. 392-398), l'hypothèse déné-caucasique et 'proto-mondiale' (p. 403-411). Comme on le voit, le parcours est assez complet. En est simplement absente l'hypothèse finno- ougrienne et sa variante macro, dite ouralo-altaïque, qui dispose également d'une tradition ancienne dans les études basques et qui a été reprise récemment (Morvan 1992). Il ne fait guère de doute que le jugement de Trask concernant cette hypothèse ne serait guère différent de celui émis à propos des autres rapprochements mentionnés ci- dessus. Au demeurant, pour faire la démonstration par l'absurde des dangers d'une méthodologie reposant sur la seule ressemblance lexicale, il offre une liste de 65 vocables (p. 412-414) paraissant démontrer une claire affinité entre le basque et le hongrois.

26 Le chapitre se termine par quelques considérations de linguistique comparative aréale, Trask se livrant à un examen critique de la thèse, fort répandue dans la tradition romaniste ibérique, d’une influence du basque dans la formation du castillan.

27 Le livre offre également, comme il se doit, un index général incluant les toponymes et les patronymes, les noms de langues, et quelques éléments thématiques. Mais on aurait apprécié qu'y fût joint également, de manière séparée, un index des vocables basques cités. L'ouvrage, devenu d'ores et déjà une pièce indispensable de la bibliothèque des études comparatives et diachroniques basques, le méritait.

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INDEX

Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique, littérature Mots-clés : basque (langue), critique littéraire

AUTEUR

BERNARD OYHARÇABAL CNRS, UPRESA 5478 [email protected]

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Urkizu, P. : Zuberoako irri-teatroa. Recueil des farces charivariques basques Préface de J.B. Orpustan. Izpegi, St-Étienne-de-Baïgorry, 1998, 420p.

Charles Videgain

1 Patri Urkizu, professeur à l'UNED (Madrid), écrivain, est bien connu aussi pour son habileté à dénicher dans les bibliothèques ou les fonds particuliers peu accessibles des documents qu'il publie avec une louable régularité. On connaissait certes l'existence des textes qu'il publie ici, la plupart étant déposés dans les Bibliothèques Municipales de Bayonne et de Bordeaux. Cependant seuls quelques-uns d'entre eux avaient été peu ou prou mis à la disposition du public par G. Hérelle bien sûr, mais aussi G. Aresti, I. Mozos, Tx. Peillen et P. Urkizu lui-même.

2 On connaît le travail de Ch. Desplat : Le Charivari en Gascogne. La « morale des peuples » du XVIe au XXe siècle, Berger-Levrault, Paris, 1982, auquel il faut toujours se reporter pour comprendre la signification de ces formes de théâtre et de dénonciation. Les travaux de G. Hérelle restent encore indispensables pour mieux en connaître l'organisation. Mais c'est une lacune que vient opportunément combler P. Urkizu en donnant les textes des farces.

3 Après une introduction de J.B. Orpustan qui situe la farce comme genre littéraire dans son contexte historique dès l'Antiquité, P. Urkizu rappelle les diverses appellations en basque de ces farces charivariques : astolasterrak, 'courses d'ânes', tzintzarrotsak, galarrotsak, 'bruits de sonnailles', karrosak, thupina-usuak, tutak, trajeriak, toberak. Quant à l'origine des farces, P. Urkizu pense qu'elles existaient déjà en Pays Basque au XVIème siècle. L'anonymat des auteurs est la règle générale, ce qui ne signifie pas qu'il n'y ait pas eu d'auteur mais discrétion à leur égard, discrétion d'autant plus compréhensible que ces représentations pouvaient être l'objet de poursuites. On sait que le sujet qui provoquait ces farces et qui était représenté était généralement le remariage d'un veuf ou d'une veuve. Alors, souvent de nuit, tintamarre et envoi de lazzis et chansons permettaient de célébrer la farce. La victime pouvait mettre fin au tintamarre en

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offrant une somme d'argent ou des agapes à la jeunesse de la commune. L'infidélité conjugale pouvait aussi être le motif de ces farces. Il serait réducteur de n'y voir donc qu'un état de langue du dialecte souletin, même si j'y vois un remarquable corpus du point de vue dialetologique.

4 Les vers de ces textes d'une teneur dont la littérature basque semblait avare. Naturel et fraîcheur, verdeur aussi font le charme de ces documents essentiellement souletins mêlés de béarnais, de français, de castillan et de latin, le tout d'une grande créativité verbale dont le comique devait être bien rude pour les personnes égratignées mais irrésistible pour les acteurs et les spectateurs.

5 A titre d'exemple, voici la teneur d'une de ces pièces ; j'ai choisi Boubane eta Chilloberde, dont le manuscrit est conservé à la Bibliothèque Municipale de Bayonne. La pièce commence avec Boubane qui entame un monologue dans lequel il se plaint de son sort : paysan marié à une pendarde qui s'intéresse aux hommes jeunes qui la servent davantage qu'il ne le fait lui-même, il est las d'élever les enfants d'autrui et de sa femme et de constater que des cornes lui poussent chaque jour. Arrive sa femme Chilloberde (litt. 'trou vert') qui l'invite à déjeuner avec le domestique Kapet que Boubane soupçonne de n'être point à jeun à aucun point de vue, ayant certainement déjeuné de lard et d'oeufs et d'une soupe au vin. Il se dispute avec Minika, autre domestique, puis interviennent les Satans dont Bulgifer qui dit son intention de conduire en enfer les deux époux, en persuadant Chilloberde que faire porter des cornes à son mari est du plus grand mérite en ce monde et en poussant Boubane à tuer sa femme. Jupiter approuve et Satan envoie Bulgifer et Jupiter accomplir cette tâche non sans les gratifier de quelques soufflets pour insubordination. Une bataille éclate entre eux, puis entre les domestiques. Minika est blessé par Kapet et secouru par Gaspar et Harburu qui le ramènent devant Chilloberde alors que Kapet nie les faits. Arrivent juge et greffier qui examinent les blessures de Minika et font le constat en français : Il y a cinq cou de baton, Trois pouce de longur, Une pouce de largur, Et un pouce de profondur, Il a bien assez Pour mettre en prison Il faut envoyer les gendarmes Pour perte ce fripon.

6 Mandat d'amener est délivré contre Kapet. Nouvelle satanerie avec Bulgifer qui s'adresse aux jeunes filles de l'assistance et les invite pour le soir à lui ouvrir la porte. Boubane dit à Chilloberde qu'il veut la quitter mais elle l'assure qu'il sera bien obligé d'user ses habits à son côté. Satan suggère alors à Boubane d'étriper sa femme et le laisse en confiant à Bulgifer : Gizon harek orai Emaztia erho baleza Harentako lizateke Ifernüko leze beltxa.

7 C'est à dire : Si cet homme maintenant tuait sa femme, ce serait pour lui le gouffre noir de l'enfer.

8 Boubane se lamente de n'avoir pas « fréquenté » sa femme depuis dix mois : elle est enceinte pourtant de cinq mois ; il rappelle comment déjà il a dû aller chercher un jour

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la sage-femme mais qu'à leur retour, Chilloberde avait déjà accouché avec l'aide du... domestique. On assiste aussitôt à cette scène et quand Boubane arrive, Chilloberde lui donne un tout petit bout de boudin tandis qu'elle se remet de son accouchement en compagnie du domestique. Boubane veut la battre. Une autre satanerie montre alors Bulgifer et Jupiter invitant les jeunes filles à venir les voir, munies des œufs qu'elles ont volés à leurs mères pour faire bombance avec leurs amis.

9 Chilloberde conseille à Kapet d'aller voir l'huissier, chargé de cadeaux, pour qu'il les autorise à se marier ensemble. Mais le maire considère que Boubane n'est pas mort depuis assez longtemps pour que Chilloberde et Kapet puissent se marier sur-le-champ. Chilloberde part derechef voir le maire avec des cadeaux et le maire fait alors aussitôt publier les bans du mariage.

10 Ce résumé est trop rapide pour entrer dans les détails mais il suffira peut-être à laisser deviner les brusques changements de rythme, les ellipses et même les incohérences qui marquent le développement de la farce, ainsi que ce qu'elle suggère. La langue est d'une extrême vivacité, les jeux de mots abondent et proverbes et expressions sont très habilement cousus dans le dialogue le plus cru. De toute manière, une étude fine de tous ces textes s'impose dorénavant pour en examiner les éléments très divers.

11 On l'a dit, les farces entrelardent diverses langues à travers le texte basque. A titre d'exemple voici comment Ricolord s'adresse à Charlemagne : Cailla ouste, Charlemagna, Si nokieres enter bertat, Ami parce que tous es Una çambomba (p. 275).

12 On sait aussi le parti que tire la farce des vers macaroniques. Nous n'en donnerons que cet exemple : Etés vous faché ? Que men fouti si non tabé, C'est pourquoi jénipas, Çoure acholiq bathere (p. 158).

13 Pour terminer, voici quelques observations sur le glossaire que P. Urkizu a eu l'excellente idée de fournir à la fin de son ouvrage. Le lecteur aurait préféré que la référence de chaque mot soit faite par rapport à une page plutôt que par un système d'abréviations malaisé qui ne permet pas par exemple de retrouver hasta. Aux mots traités, j'aurais ajouté l'expression haxeria artetik igaran zeren, littéralement 'le renard passa entre eux'pour 'ils se fâchèrent', 'ils se brouillèrent', expression encore fort courante aujourd'hui en Soule, et documentée ici dans un texte de 1907, p. 391.

14 Le lecteur remarquera que les verbes sont traduits en français sous leur forme au participe passé comme c'est le cas en basque. Dans le détail, karratü serait plutôt à traduire par 'rancir'que par 'rouiller'. Kuluna est à entendre comme radical verbal et ne peut être traduit par potrotaraino egon, l'idée principale ici étant celle de 'tromper', 'berner' ou 'couillonner' dans un registre plus marqué. A l'entrée lakha, remplacer 'demie'par 'demi'. Millok représente plutôt 'maïs'que 'sorgho', surtout dans le contexte, s'agissant de la 'méture'. Je doute que olhatü signifie ici 'adouci', dû sans doute à une lecture rapide de Lhande : je proposerais plutôt 'frapper', 'assener une volée de coups, une avoinée'et le contexte pousse à cette interprétation. Siflef devrait être porté comme zifleten entrée et non pas au sens de 'sifflet' mais de 'soufflet'. Susatu : il faut préciser que le mot s'applique en principe à la vache, d'où l'effet de grossièreté voulu par le

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texte. A l'entrée unkha, corriger 'hekto litro' par 'hektolitro' et préciser que 'conque' est une mesure. L'entrée xauxuma doit certainement être corrigée en xauxuna : d'une part, le terme n'est pas souletin, et le texte est en effet de Basse-Navarre ; d'autre part surtout, il ne signifie pas 'effronté' mais 'délicat', pris en mauvaise part, au sens de 'difficile à contenter' dont un synonyme pourrait être muturzuri ou le biscayen mizkin. Xikotatze est traduit par larru joite : le basque standard ne dispose-t-il que de cette expression pour traduire 'faire l'amour' ? Xaragoilla pose un problème : comme substantif, il signifie certes 'pantalon' mais dans le contexte (présence d'un auxiliaire second), xaragoilla est le radical verbal du verbe xaragoillatü, de sens érotique probable ici. Remplacer Sarohandy par Saroïhandy, p. 92 ; Venu par Venus, Peti-Hun par Petik-Hun p. 419.

15 Ces menues remarques n'enlèvent rien à l'intérêt de ce travail. Il faut remercier P. Urkizu de cette nouvelle production, ainsi que la maison d'éditions Izpegi qui a su élaborer un ouvrage très soigné, pour une somme modique, à l'intention du public cultivé.

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Thèmes : littérature Index chronologique : 20e siècle Mots-clés : critique littéraire, pastorale basque, théâtre populaire basque de plein air

AUTEUR

CHARLES VIDEGAIN UPPA UPRESA 5878 CNRS UPPA [email protected]

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A la mémoire de Georges Viers.

Pierre Barrère

NOTE DE L’ÉDITEUR

Début 1998, s'éteignait à Espelette le professeur Georges Viers, géographe et humaniste pour qui le Pays basque a été un champ d'études privilégié. Sa thèse, Pays basque français et Barétous. Le relief des Pyrénées orientales et de leur Piémont, publiée en 1960 chez Privat, constitue un formidable monument à la connaissance qui fait date à l'instar par exemple de la thèse de Th. Lefebvre en 1933. Georges Viers n'hésita pas non plus à venir épauler le début des études universitaires en domaine basque à la Faculté à Bayonne en y donnant ses cours de géographie. Mais pour lui rendre ici hommage, nous préférons présenter le discours que fit le vendredi 16 janvier 1998, lors des obsèques de Georges Viers à Espelette, son collègue et ami Pierre Barrère, professeur émérite de l'Université de Bordeaux III, que nous remercions de nous avoir permis de reprendre le texte.

1 Souvenir de Georges Viers

2 Pour avoir été un ami de longue date et un compagnon de travail privilégié de Georges Viers, je voudrais dire tout ce que nous venons de perdre par sa mort, mais aussi la leçon qu'il nous laisse.

3 Il aimait évoquer son enfance à Montrouge et dire sa fierté, issu d'une famille modeste et rigoureuse à la fois, d'avoir pu, par l'intelligence et le travail, accomplir une remarquable ascension sociale. L'Ecole Normale en fait un instituteur révélant très vite des dons pédagogiques remarquables. C'est aussi le moment où il conforte ses engagements politiques et sociaux dont la réussite ne l'écartera pas. Il restera fidèle à ses opinions comme il a toujours été fidèle à ses amitiés.

4 Confronté très tôt à la maladie, il en surmonte les effets avec un grand courage. A la recherche d'une vie saine, il multiplie les contacts avec la nature. Véritable apôtre de la marche, il devient à l'occasion de multiples randonnées un botaniste averti, géologue et botaniste à la fois, capable de se mesurer aux meilleurs spécialistes. Climatologue de

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talent, observateur bénévole, obstiné et minutieux, ses relevés météorologistes furent très appréciés et utilisés par les services régionaux compétents.

5 Il décida un jour de quitter les brumes de la capitale pour un village basque : Saint- Étienne de Baïgorry. Des générations d'enfants y profitèrent de sa pédagogie active, où les leçons formelles étaient enrichies par l'étude du milieu que maîtres et élèves observent de conserve. Ce transfert en Pays Basque va orienter de façon décisive et heureuse tout le reste de sa vie.

6 C'est là qu'à l'occasion d'un voyage d'études, les géographes de l'Université de Bordeaux découvrent cet « instit » autodidacte et percutant dont ils estiment vite la valeur et l'encouragent à venir à la Faculté. Il y acquiert dans le minimum de temps les grades universitaires, sans cesser toutes ses autres activités, preuve nouvelle de son courage. Une brillante réussite à l'Agrégation oriente définitivement sa carrière vers l'Enseignement supérieur, et c'est tout naturellement au Pays Basque qu'il trouve les sources de ses recherches.

7 La préparation de ses thèses sur le relief du Pays Basque et du Barétous et sur la ville de Mauléon lui permet d'approfondir encore sa prise de conscience des caractères si particuliers d'un pays qu'il aime déjà, où sa famille se développe et où sa vie professionnelle et affective sont en symbiose totale.

8 Il traduira cela par un bel ouvrage en 1975 sur le Pays Basque, par de nombreux articles scientifiques sur la région et plus tard par sa collaboration à la belle plaquette de 1995 sur Espelette. Il y note avec émotion la capacité d'accueil et l'aptitude à l'évolution d'un village où il a déjà « planté » sa demeure de retraite. Nommé professeur de géographie à l'Université de Toulouse, il voit s'épanouir sa vie professionnelle. Sur la base d'un enseignement fait de richesse documentaire, de réflexion profonde et de rigueur d'exposition, il sera pour les étudiants un maître à penser. Original sans rechercher le paradoxe, son bon sens sera aussi très apprécié dans sa participation aux jurys des grands concours de recrutement.

9 Parallèlement il sera un des géographes les plus productifs de cette période. Je ne citerai que les cinq manuels de morphologie, de climatologie, de géographie zonale des régions froides et tempérées, de géographie des forêts, et son importante contribution au Dictionnaire de Géographie, tous ouvrages qui trente ans après sont encore des bases très appréciées.

10 Il n'a pas pour autant cessé d'être un homme de terrain, un des plus grands voyageurs parmi les géographes français. Il n'y a pas de région française et de pays européens qu'il n'ait parcourus, souvent plusieurs fois, en camping familial, en immersion totale dans les sociétés. Il gardait au fil des ans une curiosité intacte, et s'attachait à saisir toutes les nuances de la condition humaine, alimentant aux sources mêmes sa réflexion politique et délivrant aux étudiants les données prises sur le vif. Photographe dans l'âme, les riches collections de diapositives qu'il a rapportées et publiées sont encore un élément précieux de pédagogie active.

11 Ces actions variées lui ont valu la considération des étudiants qui en portent encore témoignage et l'estime et le respect de ses pairs. Il y eut bien quelques dissonances dans l'effervescence de 1968, quand il s'appliqua à éviter les dérives dont l'Unité d'Enseignement dont il avait la charge aurait pu souffrir. Il ne garda pas d'amertume à l'égard de ceux qui lui reprochèrent alors de se conduire en sage.

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12 Très ferme dans son langage, il était cependant sans outrance et évitait les conflits. Pour avoir beaucoup changé de résidence, il n'a jamais eu de réaction de déraciné. Il s'intégra toujours aux environnements humains si divers qu'il rencontra, sans doute parce qu'il n'avait pas transporté de lieu en lieu un quelconque chauvinisme régional. Il disait souvent, en forme de boutade : « Nous sommes tous des métis » ; non pas au sens ethnique, mais il exprimait la richesse des échanges qu'il sut partout provoquer. Y eut- il maison plus naturellement accueillante que celle de Jo et d'Anne-Marie ? Certainement pas.

13 Le choix d'Espelette pour une retraite qui malheureusement s'achève trop tôt est symbolique de cet enracinement toujours renouvelé. Sur la frange de ces montagnes avec lesquelles il avait maintenant cinquante ans d'intimité, il sut se faire admettre, put faire entendre sa voix sur les réalités locales, faire avancer la connaissance, et jouer un rôle important dans la vie associative. Mais ce ne fut pas qu'une retraite à la Candide bien que, comme dans toutes ses demeures antérieures, il ait porté, tant que ses forces le lui ont permis, un soin méticuleux à son très beau jardin. Mais malgré les rudes atteintes de l'âge et de la maladie il n'a jamais suspendu son travail et sa réflexion sur le monde et la condition humaine. Surtout, il a continué à faire profiter les autres de sa sagesse.

14 C'est, à travers l'image de l'ami très cher, l'image du sage qu'il nous faut conserver. Plutôt qu'esquisser un portrait maladroit, je préfère vous livrer un texte d'un philosophe chinois1, qui ne me paraît pas du tout être impie en ce lieu, et qui me semble s'appliquer parfaitement à ce que fut Jo et à la façon dont nous devons maintenant continuer à songer à lui : Le sage diffère des autres hommes parce qu'il conserve les vertus que la nature a mises en son cœur. Il conserve en son cœur la bienveillance et l'urbanité. Un homme bienveillant aime les autres ; un homme poli respecte les autres.

15 Celui qui aime les autres en est toujours aimé ;

16 Celui qui respecte les autres en est toujours respecté.

17 Pierre BARRÈRE

18 A Espelette le vendredi 16 janvier 1998

NOTES

1. Meng-T'seu, disciple de Confucius.

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Mots-clés : écrivain contemporain, hommage, Viers Georges (1910-1998) Index chronologique : 20e siècle Thèmes : anthropologie

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Informations D.E.A. et doctorat en Etudes basques en 1997-1998.

Jean-Baptiste Orpustan

1. D.E.A. obtenus :

1 Session de septembre 1997 : Mme Isabelle ECHEVERRIA : mémoire écrit (rédaction en basque, résumé en français) sur le théâtre de P. Larzabal. M. Francis BIDART : mémoire écrit sur A. Chaho.

2 Session de septembre 1998 : Melle Arantxa HIRIGOYEN : mémoire écrit (rédaction en basque, résumé en français) sur le dictionnaire manuscrit et inédit (lettre T-) de Maurice Harriet (1814-1904).

2. Doctorat :

3 M. Jean CASENAVE a soutenu le 17 décembre 1997 à l'UFR de Bayonne sa thèse de doctorat en Etudes basques de l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux III. Sujet : « De l'article de presse à l'essai littéraire : Buruchkak (1910) de Jean Etchepare. » Directeur de recherche : M. Jean-Baptiste ORPUSTAN professeur à l'Université de Bordeaux III. Membres du jury : M. Jean HARITSCHELHAR professeur émérite de l'Université de Bordeaux III, président du jury, M. Jacques NOIRAY professeur à l'Université de Paris IV-Sorbonne, M. Ion KORTAZAR professeur à l'Université du Pays Basque Vitoria-Gasteiz, M. Jean-Baptiste ORPUSTAN, M. Dominique PEILLEN professeur à l'Université de Pau et des pays de l'Adour. Mention Très Honorable à l'unanimité et félicitations du jury.

4 M. Ur APALATEGUI a soutenu le 9 avril 1998 à l'UFR de Bayonne sa thèse de doctorat en Etudes basques de l'Université de Pau et des pays de l'Adour. Sujet : "L'évolution de la

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problématique littéraire de Bernardo Achaga, du champ littéraire basque au champ universel. Socioanalyse du pathos atxaguien". Directeurs de recherche : M. Christian MANSO et M. Dominique PEILLEN, professeurs à l'Université de Pau. Membres du jury : M. Claude ALLAIGRE, professeur à l'Université de Pau, président du jury, M. Christian MANSO, Mme Ana Maria TOLEDO, professeur à l'Université de DEUSTO (Bilbao), M. Dominique PEILLEN, M. Patri URKIZU Professeur à l'UNED (Madrid), M. Charles VIDEGAIN Maître de Conférences à l'Université de Pau. Mention Très Honorable à l'unanimité et félicitations du jury.

5 L'UPRESA 5478 est officiellement le centre d'accueil pour tous les étudiants en DEA et doctorants inscrits en Etudes Basques.

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Index chronologique : 20e siècle Thèmes : linguistique, littérature Mots-clés : D.E.A études basque, doctorat études basques

AUTEUR

JEAN-BAPTISTE ORPUSTAN Université Michel de Montaigne-Bordeaux III - UPRESA 5478 du CNRS [email protected]

Lapurdum, 3 | 1998