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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Number 212, March–April 2001

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this review (2001). Review of [Vues d’ensemble]. Séquences, (212), 48–57.

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ALI ZAOUA les gros plans de ces visages d'enfants jeune rebelle qui se joint à eux. À cause pour sentir leur angoisse, leur souffrance, aussi de l'amour impossible que ressent Evocant à la fois Pixote (Hector leur courage et leur détermination. En Grady pour la fille du propriétaire de la Babenco, 1980) et Salaam Bombay (Mira témoins passifs, nous participons à leurs hacienda où les deux amis trouveront du Nair, 1988), le second long métrage de misères quotidiennes, nous suivons leurs travail. Non, le monde est cruel et violent l'auteur du cérébral et esthétisant péripéties et partageons leurs douleurs. où que l'on aille, et tous les repères tradi­ Mektoub (1997) se démarque par l'ap­ Mais Ayouch évite le mélodrame larmoyant, tionnels se trouvent bousculés. proche originale de la mise en scène. faisant de ses personnages des êtres de Ce western-lamento, qui semble par Cette fois-ci, Nabil Ayouch délaisse les chair et de sang qui n'ont que l'agressiv­ instants emprunter aux litanies du nô subtilités métaphysiques qui avaient ité pour se défendre. Optant pour une japonais, est aussi enveloppant que capti­ caractérisé son premier long métrage approche documentaire (extrême réa­ vant, et cela, grâce à (ou malgré) l'appel pour se lancer dans le réalisme pur et dur, lisme des situations), le réalisateur a des grands espaces, la magnificence de la ce qui est d'autant plus surprenant que la produit un des films les plus réussis du nature et l'extraordinaire beauté du visage grande partie de l'action se passe dans un cinéma marocain. (d'abord riant, puis ravagé de tristesse) de huis clos, grand terrain vague délabré, Élie Castiel Pénélope Cruz. rempli de détritus, servant de toile de Billy Bob Thornton sait nous rendre fond à une histoire émouvante d'enfants complices de son récit, nous montrer le France/Maroc/Belgique 2000, 95 minutes - Réal. : Nabil de la rue. À l'arrière-plan, la ville de Ayouch - Scén. : Nabil Ayouch, Nathalie Saugeon - Int. : cynisme des exploiteurs, la résignation des Casablanca, celle d'aujourd'hui, mo­ Mounim Khab, Mustapha Hansali, Hicham Moussoune, exploités, l'indifférence impitoyable de derne, occidentale, insensible à la dou­ Abdelhak Zhayra - Dist. : Remstar Distribution. ceux qui ne sont pas concernés. Une œuvre leur de ces laissés-pour-compte survivant terriblement belle qui rejoint les grands de cambriolages, de manigances et de ALL THE PRETTY HORSES thèmes de la littérature et du cinéma prostitution. Il est clair que le réalisateur américains. porte une certaine admiration au Lorsque John Grady Cole et Lacey Maurice Elia néoréalisme italien. Il suffit d'apprécier Rowlins quittent le Texas pour s'en aller, à l'aventure, chevaucher vers le Mexique, Ali Zaoua Etats-Unis 2000, 117 minutes - Réal. : Billy Bob Thornton - c'est pour assouvir leurs rêves que sem­ Scén. : Ted Tally, d'après le roman de Cormac McCarthy — blent condamner les choix de l'Amérique Int. : Matt Damon, Pénélope Cruz, Henry Thomas, Lucas Black, Miriam Colon, Ruben Blades, Julio Oscar Mechoso, Robert moderne, celle de 1949 du moins, des Patrick, Bruce Dern, Sam Shepard - Dist. : Columbia Pictures. rêves mis en phrases (dans ce premier volet de sa Trilogie des confins) par le CAST AWAY génial Cormac McCarthy, et maintenant en images par l'acteur Billy Bob Thornton. Il n'est pas difficile de s'imaginer à quel Les moments d'intense bonheur sont public s'adresse ce film relatant l'histoire nombreux jusqu'à ce que la belle odyssée d'un cadre d'une compagnie de messagerie espérée se transforme soudain en descente qui, suite à un accident d'avion et après aux enfers. À cause de Jimmy Blevins, le avoir échoué sur une île déserte du

Cast Away Pacifique, doit apprendre les rudiments de la survie en nature. Aux actionnaires de la compagnie en question qui y trouveront une publicité à leur mesure tout d'abord; aux étudiants, particulièrement améri­ cains, qui y verront confirmées les hypothèses les plus répandues sur l'évolu­ tion de l'homme préhistorique ensuite. Malgré Tom Hanks, malgré les moyens utilisés, Cast Away sonne creux. La formule a beau être déguisée, elle ne l'est jamais assez. Constatons simplement qu'il s'agit d'un véritable film pour la période des Fêtes, un de ces films dont l'action s'adapte à sa date de sortie.

SÉQUENCES 212 mars!avril 2001 Dans toute confrontation avec la nature, l'homme tend présupposer sa supériorité. Une fois cette supériorité établie, il lui est difficile de reconnaître son insignifiance. Or, c'est justement ce chemin que le film aurait dû emprunter (on songe aux films de Werner Herzog, par exemple). Ainsi la baleine, malgré sa dimension, ne sera jamais aussi imposante que le porte-con­ teneurs qui repêche Chuck Nollan, ce Robinson Crusoé moderne. Somme toute, un film à voir parce qu'il est moins bête que d'autres et parce que certaines images, malgré tout, méritent réflexion. quels sont ces petits films aux titres Alexis Ducouré obscurs qui parsèment sa filmographie depuis Cyrano et Tous les matins du •i Seul au monde monde ? États-Unis 2000, 143 minutes - Réal. : Robert Zemeckis - Scén. : William Broyles Jr. - Int. : Tom Hanks, Helen Hunt, Maurice Elia Nick Searcy, Christopher Noth, Lari White - Dist. : Twentieth Century Fox. France 1999, 83 minutes — Réal. : Claude Miller - Scén. : Claude Miller - Int. : Anne Brochet, Mathilde Seigner, Annie Noël, Yves Jacques, Edouard Baer, Jacques Mauclair, Edith LA CHAMBRE DES Scob - Dist. : Film Tonic. MAGICIENNES CHOCOLAT La chambre en question est celle que partage Claire, une étudiante en anthro­ Chocolat se présente comme une fable, pologie sujette à d'horribles migraines, celle d'une chocolatière qui, portée par le car d'autres fables sont passées comme let­ avec Odette, une jeune femme paralysée vent du nord, s'installe dans un sombre tre à la poste sans ce besoin de prévenir des deux jambes, et Éléonore, une vieille village qu'elle finit par égayer. Il est (songeons au plus ou moins récent Being dame aux limites de la démence, un être heureux que la probabilité ne soit pas un John Malkovich). étrange qui effraie les deux autres. Nous critère valable pour évaluer un film. Il est Alexis Ducouré sommes dans un service hospitalier de par contre moins heureux que la neurologie et Claude Miller et sa caméra cohérence le soit, car ce film, malgré l'ef­ Grande-Bretagne/États-Unis 2000, 116 minutes - Réal. : numérique nous persuadent que, dans ce fort du metteur en scène, malgré le savoir- Lasse Hallstrôm — Scén. : Robert Nelson Jacobs d'après le milieu, certains phénomènes échappant à faire des acteurs de premier plan, renvoie roman de Joanne Harris — Int. : Juliette Binoche, Judi Dench, Alfred Molina, Lena Olin, Johnny Depp, Peter Stormare, la raison ont tendance à se manifester. toujours le spectateur à son siège (qui Victoire Thivisol, Carrie-Anne Moss, Hugh 0'Conor, Leslie Adaptant un chapitre d'un roman de bénit les dieux pour leur confort). Les Caron, John Wood — Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. Siri Hustvedt (l'épouse, d'origine norvé­ erreurs fatales sont nombreuses, la plus gienne, de l'écrivain et cinéaste Paul importante étant celle de situer l'action DESIRE Auster), Miller entrecoupe son récit de dans un village français. Comment croire moments d'intense ferveur, où les trois en effet à l'austérité protestante des per­ Desire, coproduction Québec/Allemagne personnages semblent s'ouvrir à autre sonnages, à leur mutisme émotionnel et par ailleurs financée par quelques chaînes chose que leur simple existence. Le film affectif ? Comment croire que l'on puisse spécialisées, propose, avec une humilité et devient alors puissant, haletant; sa véhé­ dire dans un film dont l'action se situe en une modestie certaines, une histoire mence et sa richesse arrivent à bouleverser, 1959 des phrases telles que "vacuum under maintes fois exploitée. Or, ces qualités car la chaloupe qui semblait se perdre en his ass" ou "call me a drug addict" ? Ce ne deviennent l'abîme dans lequel sombre le mer aborde au rivage d'une vérité à la fois sont là que quelques-unes des nombreuses film puisqu'il ne prétend à rien sinon au limpide et dense, qui soulage. incohérences d'un film dont le scénario simple statut de film. Et quel plaisir de retrouver la remar­ traduit davantage la mentalité anglo-saxonne Dans une petite ville manitobaine, quable Anne Brochet sur le doux visage de que la mentalité latine. Il est vrai qu'il dépeinte par une photographie évoquant qui semblent s'affronter des forces hermé­ s'agit d'une fable, mais sa façon de s'énon­ vaguement l'esthétique hyperréaliste, sans tiques et une obsédante réflexion. Mais cer devrait nous mettre la puce à l'oreille, toutefois qu'il en ressorte un quelconque

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effet narratif, formel ou émotif, un jeune ^B Désir Toutefois, est assez pianiste instable, Francis Waterson, vir­ Canada [Qucbec]/Allemagnc 2000, 97 minutes - Réal. : convaincant dans le rôle du célèbre tuose potentiel, se démène contre une peur Colleen Murphy - Scén. : Colleen Murphy — Int. : Katja Riemann, Zachary Bennett, Elizabeth Shepherd, Joost Abraham Van Helsing. panique des prestations importantes. Le Siedhoff, Alberta Watson, Graham Greene, Martin Donovan Pascal Grenier récit, ainsi fondé sur l'insécurité psy­ - Dist. : Remstar Distribution. chologique et émotive de Francis, hésite •• Dracula États-Unis 2000, 99 minutes - Réal. : Patrick Lussier, Justine durant de longues minutes entre plusieurs DRACULA 2000 Wain - Scén. : Patrick Lussier, Joel Soisson, d'après le roman pistes s'ouvrant sur autant de genres d'in­ Dracula de Bram Stoker - Int. : Jonny Lee Miller, Justine Waddell, Gerard Butler, Colleen Anne Fitzpatrick, Jennifer trigue que de traitements, sans pour autant Dans la foulée de cette vague de films Esposito, Danny Masterson, Jeri Ryan, Lochlyn Munro, Sean en approfondir aucune, pas même celle de d'horreur pour adolescents qui déferle Patrick Thomas, Omar Epps, Christopher Plummer - Dist. : la psychologie malade, la seule qui pourrait depuis quelques années à Hollywood, Wes Alliance Atlantis Vivafilm. être intéressante, du personnage principal. Craven (qui agit ici simplement comme Et lorsque la direction semble enfin choisie, producteur) nous présente une nouvelle DRÔLE DE FÉLIX le spectateur constate qu'il se trouve version de la légende de Dracula. devant un film bien ordinaire, un film Dimension Films a confié les rennes à Félix a un amant, Daniel. Ils vivent ensem­ facile à oblitérer de son souvenir. Patrick Lussier (le monteur attitré des six ble à Dieppe, dans le nord de la France. Dans ce vide incertain, les interprètes derniers films de Craven), qui a également Félix raffole des romans-savons et assume principaux (surtout Zachary Benett et cosigné le scénario et comonté le film de avec intelligence et bonhomie sa séroposi- Katja Riemann) parviennent néanmoins à cette version moderne, et l'a entouré d'une tivité et sa perte d'emploi. Il décide donc de une vague crédibilité; leurs efforts pour équipe technique fort talentueuse, dont partir pour Marseille, à la recherche d'un étoffer la psychologie de leur personnage l'excellent directeur photo chinois Peter père qu'il n'a jamais connu. À travers ses respectif, déjà ambiguë, allègent malgré Pau (The Killer/Die xue shuang xiong, rencontres, il se crée une famille imagi­ tout le fardeau d'un tel film. The Bride with White Hair/Bai fa mo nu naire. C'est ainsi que de purs inconnus Alexandre Laforest zhuan, Tigre et Dragon/Wo hu zang long) deviendront son jeune frère, sa grand- et certains collaborateurs habituels de mère, son cousin et sa sœur. Desire David Cronenberg : Carol Spier à la con­ Toute la mise en scène tourne autour ception visuelle et Denise Cronenberg aux de ce personnage et de son imaginaire fer­ costumes. Ceci étant dit, malgré ses qua­ tile. La caméra n'a d'objectif que pour lui, le lités techniques, Dracula 2000 ne s'avère laissant, malgré sa condition, célébrer la vie. d'aucun intérêt. Le dénouement et les Au même titre que Jeanne et le garçon for­ nombreux rebondissements atteignent un midable, le récit est intentionnellement ridicule qui frôle la stupidité (Dracula, la non structuré et minimaliste. Car Drôle de réincarnation de Judas Iscariote ?). Pire Félix ne fait que capter des moments de encore, le film ennuie et Gérard Butler, l'existence, les situant parfois dans un con­ empruntant l'allure d'une vedette du rock texte totalement fantaisiste, refusant tout des années quatre-vingt, est sans contredit compromis avec le réalisme contraignant et le Dracula le moins terrifiant de l'histoire évitant allègrement le pathos (la séquence du cinéma d'horreur contemporain. où Félix montre à la vieille dame les pilules qu'il doit prendre pour pouvoir survivre est Drôle de Félix l'un des moments les plus brillants du film). Il serait injuste de ne pas souligner également l'emploi habile du cinémascope qui, comme à l'époque de son apogée, octroie aux objets, aux lieux et aux êtres la juste part qu'ils méritent. Il s'agit d'un deuxième long métrage plein de charme et de couleur. Elie Castiel

France 2000, 95 minutes - Réal. : Olivier Ducastel, Jacques Martineau - Scén. : Olivier Ducastel, Jacques Martineau — i Int. : Sami Bouajila, Patachou, Ariane Ascaride, Pierre-Loup Rajot, Charly Sergue, Maurice Bénichou — Contact : Mongrel.

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FAST FOOD, FAST WOMEN

Amos Kollek fait du cinéma à la manière d'un Woody Allen qui ne se prend pas trop au sérieux, alliant avec un plaisir soutenu comique des situations, humour juif new- yorkais et critique sociale. Car pour ce réa­ lisateur d'origine israélienne, la vie semble n'être qu'une multitude de hauts et de bas qu'il est difficile de contrôler. Alors pourquoi s'attrister ? C'est pour cette rai­ son qu'il n'est sans doute pas difficile de comprendre la déroute et l'excentricité du personnage principal, Bella, incarné par une toujours aussi sensible que charisma­ Gift, son dernier long métrage, corres­ tique Anna Thomson (véritable muse du pond indéniablement à la seconde caté­ cinéaste). Tout le film est centré sur elle, gorie : pur suspense dramatique, le film comme si, pour le réalisateur, il s'agissait raconte l'histoire d'un meurtre dont d'un objet fétiche qu'on ne peut qu'admi­ l'unique témoin est une jeune veuve clair­ rer. Kollek filme ce corps menu, laissant voyante qui voit le crime en rêves éveillés. presque entrevoir la forme des os, lui Raimi puise ici à nouveau - et avec attribuant une sorte d'attrait que seule la un certain succès - au cœur de ses caméra peut concevoir. Brillant observa­ habituelles obsessions thématiques (ciné­ teur de ses contemporains, Kollek opte ici ma d'horreur, personnages relativement pour un ton beaucoup moins grave que fêlés, passions et violence exacerbées, dans Sue (1997) ou dans Fiona (1998). Le Amérique décentrée, etc.) et stylistiques in Bordeaux de Carlos Saura retrace les résultat s'avère une comédie qui, sous les (ces fameuses et impressionnantes jours d'exil français de Francisco de Goya y dehors de la bonne humeur et de la fan­ pirouettes techniques caractéristiques du Lucientes. Critiqué pour sa mise en scène taisie, se présente comme un portrait à la cinéaste - très gros plans de projectiles et théâtrale, le film verse à quelques reprises, fois réaliste et touchant d'une certaine d'objets, images-chocs de corps ou de il est vrai, dans l'opératique. Mais la com­ couche sociale purement new-yorkaise. membres en piètre état, mouvements de plexité du sujet et l'objectif artistique l'exi­ Élie Castiel caméra ou zoom-in ultra-rapides, etc.). geaient. Plus qu'une illustration de la vie Bien qu'il faille malheureusement du peintre, plus aussi qu'un simple éloge avouer que le film s'essouffle en bout de de l'artiste, le film nous plonge, depuis la France/États-Unis 2000, 100 minutes - Réal. : Amos Kollek - Scén. : Amos Kollek - Int. : Anna Thomson, Jamie Harris, course et bien que la facilité de la fin carcasse de bœuf d'où émerge le visage de Louise Lasser, Robert Modica, Lonette McKee, Victor Argo, déçoive, il reste que le portrait tracé par Goya jusqu'à la construction d'espaces Angelica Torn, Austin Pendleton - Dist. : Film Tonic. Raimi d'une petite ville du Sud américain adjacents et d'effets de miroir, dans son est plutôt intéressant, que le suspense est monde de références picturales (Rem­ THE GIFT somme toute plutôt bien mené et que le brandt, Velâsquez). Suivant les préceptes tout bénéficie de solides interprétations de Goya, qui insistait sur l'importance de L'œuvre indépendante du cinéaste-culte par un groupe d'excellents acteurs (la l'imagination qui nous permet de trans­ Sam Raimi se divise, pourrait-on dire, en lumineuse Cate Blanchett en tête). cender la nature, Carlos Saura poursuit deux univers : un premier, plus parodique Claire Valade beaucoup plus une démarche de grand et fantastique (voire mythologique), artiste que de grand cinéaste, puisant inspiré du monde des comics américains •• Le Don autant dans son propre art que dans son États-Unis 2000, 110 minutes - Réal. : Sam Raimi - Scén. : (Evil Dead, Darkman, les séries-cultes Billy Bob Thornton, Tom Epperson - Int. : Cate Blanchett, monde culturel. Hercules et Xena, dont il est producteur Giovanni Ribisi, Keanu Reeves, Katie Holmes, Greg Kinnear, Mentionnons toutefois une certaine Hilary Swank, Michael Jeter, Kim Dickens, Gary Cole - Dist. : exécutif), et un second, plus « sérieux », Paramount Pictures. inégalité tout au long du film, entre des composé essentiellement de drames psy­ séquences sublimes malgré leur artificialité chologiques parfois baignés d'un humour GOYA IN BORDEAUX (ou peut-être grâce à celle-ci) et d'autres, noir décalé, ancrés dans une Amérique moins prenantes. Lorsque le film tend vers profonde lourde de secrets enfouis et de D'une remarquable beauté visuelle et le concret (le réunion d'exilés, par exem­ dangereux mystères (A Simple Plan). The d'une grande complexité narrative, Goya ple) il perd son emprise sur le spectateur.

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Goya in Bordeaux grand nombre comme un objet rébarbatif, un pur signe de démence. Hanté par l'idée inéluctable de la mort, le réalisateur a décidé de la défier en traversant le Sahara en solitaire, un projet ambitieux puisqu'on se rend vite compte qu'il s'agit rien de moins que de vaincre la mort. Le film montre d'abord la prépara­ tion (le blindage) à laquelle Frank Cole se soumet. Puis c'est le départ avec pour seuls compagnons un dromadaire et une caméra munie d'un dispositif qui lui per­ mettra de se filmer tout seul. À couper le son fils mort dans la montagne, affronte souffle, les paysages du désert sont entre­ Karma, que tous considèrent désormais coupés d'images de cadavres d'animaux comme leur nouveau leader. Leur champ momifiés et de réminiscences de l'obses­ de bataille est l'Himalaya et ses périls, que sion de la mort qui poursuit le cinéaste. Il Tinlé et Karma traverseront, chacun de son parviendra finalement au bout de la route, côté, à la tête de deux caravanes rivales qui brisé. Life without Death est le récit d'un transportent le sel des paysans. hallucinant voyage initiatique qui pousse Himalaya est un film impressionnant. l'affirmation de la vie jusqu'aux frontières Non pas tant en raison de sa construction de la raison. dramatique, qui est assez classique, mais Repris par sa hantise, Frank Cole est Himalaya, l'enfance d'un chef par sa mise en scène très maîtrisée. La retourné dans le désert l'an dernier. Il y a Notons cependant la qualité de l'interpré­ caméra contemplative qui observe avec été attaqué et tué par des bandits. tation, en particulier celle de Francisco recueillement la montagne, la cadence Michael Hogan Rabal, dont le regard à la fois innocent et indulgente du montage et une interpréta­ lucide laisse entrevoir la détresse fonda­ tion étonnamment sincère et intense d'ac­ Canada 1999, 83 minutes - Réal. : Frank Cole - Scén. : Frank mentale de Goya. teurs non professionnels (ici des paysans Cole — Avec : Frank Cole - Contact : Necessary Illusions Alexis Ducouré tibétains qui jouent, en quelque sorte, Productions. l'histoire de leur vie) permettent au film de •• Goya en Burdeos s'enrichir d'une humanité touchante qui MALENA Espagne/Italie 1999, 102 minutes - Réal. : Carlos Saura - Scén. : Carlos Saura — Int. : Francisco Rabal, José Coronado, sert parfaitement le propos. Maribel Verdû, Daphne Fernandez, Eulalia Ramôn, Joaquin Carlo Mandolini Le nouveau film de Giuseppe Tornatore se Climent - Contact : Mongrel. veut une ode romanesque et lyrique à la beauté sulfureuse d'une jeune femme qui, France/Royaume-Uni/Suisse/Népal 1999, 110 minutes - HIMALAYA, L'ENFANCE D'UN Réal. : Éric Valli — Scén. : Natalie Azoulai, Olivier Dazat, Louis durant la Seconde Guerre mondiale, sus­ CHEF Gardel, Jean-Claude Guillebaud — Int. : Thilen Lhondup, cite des ravages dans un petit village de Lhakpa Tsamchoe, Gurgon Kyap, Karma Tensing, Nyima Lama, Karma Wangel - Dist. : Films Lions Gate. Sicile et dans le cœur d'un garçon qui Tourné dans des conditions extrêmes, ce s'éveille au monde des adultes. film d'Eric Valli est une fable morale et LIFE WITHOUT DEATH Malèna (du prénom de l'Aphrodite en existentielle qui exalte avec éclat l'affronte­ question) est arrivé sur nos écrans précédé ment légendaire et ancestral entre Il n'y a pas assez de violence au cinéma. La du tapage médiatique provoqué par son l'homme et la nature. fréquentation assidue des salles de projec­ erotisme (en passant fort puéril et bien Dans ce récit aux accents documen­ tion éloigne toujours plus les spectateurs inoffensif) et par les critiques dévastatrices taires, tourné entre 4 000 et 5 800 mètres des puissantes terreurs et passions qui gou­ de la presse italienne. Or, toutes ces histoires d'altitude dans un territoire du Tibet vernent le versant opposé de la vie domes­ sont devenues une publicité inespérée pour longtemps coupé du monde, le réalisateur, tique. Pourtant, à côté de Life without ce film dont on ne retiendra finalement pas qui a vécu plusieurs années dans la région, Death, les cabrioles des Terminator et grand-chose, sinon l'absence totale de raconte le combat que se livrent deux autres gladiateurs hollywoodiens apparais­ trame narrative ou d'un quelconque con­ hommes en quête de reconnaissance. sent comme de fades dessins animés. Il texte psychosocial digne de ce nom (même Tinlé, l'ancien chef du village qui veut n'est donc pas étonnant qu'un film comme la dimension antifasciste est ici abordée regagner l'estime des siens en l'honneur de celui de Frank Cole soit perçu par un sans aucune conviction).

SÉQUENCES 212 mars!avril 2001 En fait, Malèna n'est ni émoustillant, ni lyrique, ni subversif. Il n'est qu'une fasti­ dieuse succession de gags (vulgaires) sur la beauté de la protagoniste, de situations sans éclat mettant en évidence des person­ nages abrutis (ébauche de critique sociale ?) et d'innombrables plans de Monica Bellucci nue, habillée, debout, assise, marchant et, surtout, muette. Le seul véritable souci de Tornatore pour Malèna semble avoir été d'assurer la dimension pittoresque de l'ensemble (la compagnie Miramax y est sans doute pour beaucoup). Ici, en effet, tout est beau. La gentiment engagé, etc. Par contre, il faudra mer, la Sicile... même les scènes de bom­ s'entendre : il y a un pas gigantesque à faire bardement et le lynchage de Malèna sont entre « rendre hommage à » et « déboulon­ filmés avec un esthétisme agaçant qui prive ner les tabous ». On peut apprécier les per­ ces moments de tout impact. sonnages, mais en ce qui a trait à l'impact Avec Malèna, Tornatore a voulu faire potentiel du film sur la conscience collec­ son Amarcord à lui. Mais le metteur en tive, il faudra repasser. On s'émeut des scène est ici tellement distant (pour ne pas efforts des jeunes handicapés pour dire absent) qu'il n'aura malheureusement affirmer leurs droits et leurs besoins. Du réussi qu'à en faire une parodie qui laisse coup, on en profite pour saluer la rencon­ de glace. tre entre la prostitution et l'Église, entre Carlo Mandolini Marx et l'industrie de la porno. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mon­ des. Le succès critique et public du film Italie/États-Unis 2000, 106 minutes - Réal. : Giuseppe My Father's Angel Tornatore - Scén. : Giuseppe Tornatore, Luciano Vincenzoni (notamment à Berlin et à San Sebastian) - Int. : Monica Bellucci, Giuseppe Sulfaro, Luciano Federico, contre l'insensibilité de leur pays d'accueil. participe probablement d'une volonté de Matilde Piana, Pietro Notarianni, Gaetano Aronica, Gilberto voir disparaître les extrêmes sociaux au Idonea - Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. Quelques détails sonnent toutefois très juste. Les interactions entre Nardi et profit d'un centre clair, homogène et MY FATHER'S ANGEL les services sociaux canadiens, par exemple : objectif. Le principe du film tient d'ailleurs l'immigrant ne cesse de recourir au pot- en entier dans le personnage de Rabah : Un automobiliste renverse un piéton à de-vin pour avoir de l'aide, suscitant l'in­ jeune handicapé physique, musulman, . Il le ramène chez lui. La femme crédulité des fonctionnaires. Ces courts algérien, gai et souhaitant ardemment se du piéton se met à hurler, se cache sous une moments donnent l'impression que le convertir au christianisme. Il est à parier table, puis s'avance en ouvrant son corsage. producteur du film, Mort Ransen, qui qu'on n'aura pas sympathisé autant avec le Le fils du piéton se rue sur l'automobiliste avait réalisé Margaret's Museum, pourrait jeune nain noir, gai et juif présenté par pour le repousser. Ils sont bosniaques et instiguer au Canada un courant similaire à Harmony Korine dans Gummo. Y aurait-il musulmans; l'automobiliste est serbe. la vague de films sociaux que tournent un principe d'égalité sélectif ? La scène la plus forte de My Father's Laetitia Masson et ses pareils en France. Philippe Théophanidis Angel, un film de Davor Marjanovic, illus­ Mathieu Perreault tre bien la pérennité de la haine. Ce réalisa­ France 2000, 90 minutes - Réal. : Jean-Pierre Sinapi - teur de Sarajevo, qui a émigré à Vancouver, Scén. : Jean-Pierre Sinapi - Int. : Nadia Kaci, Olivier Gourmet, a visiblement des choses à dire sur le con­ Canada 1999, 86 minutes - Réal. : Davor Marjanovic - Lionel Abelanski, Chantai Neuwirth, Gérald Thomassin, Said Scén. : Frank Borg - Int. : , Timothy Webber, Tygh Taghmaoui, Nadine Marcovici - Dist. : Remstar Distribution. flit qui a ensanglanté son pays. Runyan, Brendan Fletcher, Asja Pavlovic, Lynda Boyd, Vanessa Mission à moitié accomplie. Si les King - Dist. : Domino. acteurs, notamment Tony Nardi dans le PLEURE PAS GERMAINE rôle du musulman, sont pénétrés par leurs NATIONALE 7 personnages, les enchaînements sont boi­ Dans une banlieue de Bruxelles, la famille teux. Notamment, on a peine à croire au Nationale 7, le dernier long métrage de Bédard se remet mal de la mort tragique de front commun que forment pour la finale Jean-Pierre Sinapi, n'a, a priori, rien pour la fille aînée. Un ami confie secrètement à les deux familles yougoslaves afin de lutter déplaire : bonne interprétation, scénario Gilles, le père, le nom du coupable qui,

SÉQUENCES 212 mars!avril 2001 une énergie exagérée, flanqué, d'un côté Belgique/France/Espagne 2000, 98 minutes - Réal. : Alain de par le bon abbé Coulmier qui pratique une Halleux - Scén. : Alain de Halleux, Eric van Beuren, d'après le roman de Claude Jasmin - Int. : Rosa Renom, Dirk sorte de proto-anti-psychiatrie et par la Roofthooft, Catherine Grosjean, Benoît Skalka, Iwana lavandière, Madeleine, son admiratrice et Krzeptowski, Simon de Thomaz - Dist. : FunFilm. complice et, de l'autre, par le docteur Royer-Collard, proto-psychiatre tortion­ PROTECTION naire, le vrai sadique de l'histoire. Dépêché par Napoléon, le docteur est censé réduire Le pouvoir du cinéma de prendre une his­ le marquis au silence. Ce dernier opposera, toire banale pour en faire une œuvre d'art évidemment, sa résistance par des actes touchante demeure, pour le cinéphile pris aussi dramatiques que spectaculaires : il au jeu, un incroyable tour de magie. écrira avec son sang sur ses vêtements, Protection, du Canadien Bruce Spangler, draps et couvertures puis, privé de toiles, il entre complètement dans ce paradigme en écrira avec ses excréments sur les murs. illustrant les difficiles conflits moraux, psy­ Mais le docteur finira par le faire taire en chologiques et émotifs rencontrés par une lui faisant couper la langue. Puis, il s'en­ travailleuse sociale (campée avec aplomb richira en éditant les scandaleux écrits qui par Nancy Sivak) et une mère toxicomane auront coûté la vie au divin marquis. (Jillian Fargery, fournissant la charge émo­ De toute évidence, Quills, film lourd tive nécessaire), dont le conjoint maltraite et lassant, est un plaidoyer en faveur de la les deux enfants. Le récit n'apparaît guère liberté d'expression qui a tout à voir avec le nouveau. Pourtant, la réalisation de débat actuel sur la violence dans les médias Spangler (également responsable de la et rien avec l'audace scandaleuse de la pen­ précise-t-il, s'est réfugié en Espagne, dans musique) se joue en sentiments vifs, effi­ sée du marquis de Sade. Pour apprécier les Pyrénées. Or, comme sa femme cacement exprimés par une interprétation cette dernière, mieux vaudrait lire Sade, Germaine, de son vrai prénom Herminia, sensible, mais surtout grâce à sa caméra, Fourier, Loyola de Roland Barthes et Sade est originaire des Pyrénées et rêve d'y dont la mobilité rappelle celle du docu­ et Lautréamont de Maurice Blanchot. retourner, Gilles sonne le départ de la mentaire (on pense au cinéma direct et à Monica Haim famille vers une nouvelle vie. l'œuvre de Mike Figgis et de Ken Loach) et On s'entasse dans sa vieille camion­ provoque un effet de réel qui sert le propos ^H La Plume et le Sang États-Unis 2000, 120 minutes - Réal. : Philip Kaufman - nette : Muriel, la jeune fille en révolte; tenu : l'anecdote ainsi dépeinte, bien que Scén. : Doug Wright, d'après sa pièce - Int. : Geoffrey Rush, Albert, l'adolescent romantique; les deux pure fiction, existe bel et bien dans notre Kate Winslet, Joaguin Phœnix, Michael Caine, Billie Whitelaw, Patrick Malahide, Amelia Warner, Jane Menelaus, Stephen jumeaux espiègles et Germaine, encore réalité quotidienne. Aussi, le scénario Moyer, Tony Pritchard, Michael Jenn, Danny Babington, amoureuse de son bon à rien de mari. Au montre un fait social délicat, mais ne sem­ George Yiasoumi, Stephen Marcus, Elizabeth Berrington — cours de ce périple, par les petites routes ble pas prendre position : aucune critique Dist. : Twentieth Century Fox. de campagne, chacun va peu à peu se contre le zèle des organismes pour la pro­ révéler, se découvrir et, finalement, se tection de la jeunesse, contre les mauvais RESSOURCES HUMAINES réconcilier, jusqu'à l'imprévisible dénoue­ parents ou contre la toxicomanie, de sorte ment espagnol. que l'émotion, ainsi libérée d'opinions Etudiant dans une grande école de com­ Quand j'ai vu le film d'Alain de personnelles, atteint directement la cible. merce à Paris, Frank a choisi d'effectuer un Halleux au dernier Festival des films du Alexandre Laforest stage dans l'usine de province où son père monde, j'ai été charmée et touchée par ce travaille depuis 30 ans. Affecté au service portrait en mouvement d'une famille à des ressources humaines, il propose à la Canada 2000, 77 minutes - Réal. : Bruce Spangler - Scén. : laquelle on croit dès les premières images Bruce Spangler — Int. : Nancy Sivak, Jillian Fargey, Hiro direction une consultation auprès des et par le jeu très juste de chacun, à com­ Kanagawa, William MacDonald, Camyar Chai, Jennifer employés sur l'application de la nouvelle Copping, Giacomo Baessato, Nicola LaPlaca, Robin Driscoll - mencer par celui de Dirk Roofthooft, Dist. : K. Films Amérique. loi imposant la semaine de 35 heures. l'étonnant acteur flamand qui interprète Découvrant que le patron va utiliser ses Gilles, et par celui de la délicieuse Rosa QUILLS conclusions pour procéder à des licen­ Renom, qui incarne Germaine. C'est seule­ ciements, Frank se joint au syndicat qui ment plus tard, lisant le roman de Claude Dans ce récit simpliste, placé dans un organise une grève. Jasmin, que j'ai pu admirer la fidélité décor qui n'est ni assez stylisé pour être L'essentiel du film de Laurent Cantet inventive de l'adaptation. intéressant ni assez réaliste pour faire vrai, réside toutefois dans le malentendu qui se Francine Laurendeau Sade déclame des tirades ampoulées avec creuse entre Frank et son père. Fier de son

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fils qui appartient désormais à la classe des succède, aussi pauvrement évanescente patrons, le père est déçu de le voir choisir le que la première. parti des ouvriers, tandis que Frank, qui Julie Tremblay aime sincèrement son père, est déçu de le voir humilié et soumis. France 1999, 105 minutes - Réal. : Mathieu Kassovitz - Un seul comédien professionnel, Jalil Scén. : Mathieu Kassovitz et Jean-Christophe Grange, d'après Lespert, dans ce filmqu i montre des scènes le roman de Jean-Christophe Grange — Int. : Jean Reno, Vincent Cassel, Nadia Farès - Dist. : Alliance Atlantis rarement vues à l'écran, comme le conseil Vivafilm. d'entreprise où s'affrontent direction et syndicat. Car ici, tout est authentique : les SNATCH interprètes sont, dans la vie réelle, patron, syndicaliste, ouvriers, et les dialogues ont Après son étonnant et jouissif Lock, Stock été récrits après de nombreuses séances and Two Smoking Barrels, comédie-choc d'improvisation. Laurent Cantet a réussi sortie chez nous en 1999, Guy Ritchie son pari : Ressources humaines est une récidive avec Snatch, une nouvelle comédie œuvre sobre et émouvante. tout aussi noire et explosive sur l'univers Francine Laurendeau violent et corrompu des bas-fonds lon­ doniens. S'attaquant cette fois-ci au monde des diamantaires et des combats de boxe France 1999, 100 minutes - Réal. : Laurent Cantet - Scén. : Laurent Cantet, Gilles Marchand - Int. : Jalil Lespert, Jean- underground, Ritchie nous offre à nouveau Claude Vallod, Chantai Barré, Véronique de Pandelaère, un scénario complètement déjanté, habité Michel Bcgnez, Lucien Longueville, Danielle Mélador, Pascal Semant - Dist. : Film Tonic. par des personnages tous plus hauts en couleur les uns que les autres et tous telle­ LES RIVIÈRES POURPRES ment extravagants qu'il est impossible de les prendre au sérieux; du terrifiant promo­ Snatch Le film Les Rivières pourpres tend à se teur de combats truqués au vendeur présenter comme un suspense où policiers d'armes russe complètement sonné, en pas­ États-Unis/Grande-Bretagne 2000, minutes - Réal. : Guy et spectateurs éludent ensemble et sant par le trafiquant de diamants améri­ Ritchie - Scén. : Guy Ritchie - Int. : Benicio Del Toro, Dennis Farina, Vinnie Jones, Brad Pitt, Rade Serbedzija, Jason graduellement le mystère entourant une cain dépassé par les événements et le cham­ Statham, Alan Ford, Mike Reid - Dist. : Columbia Pictures. ténébreuse affaire de meurtre. Toutefois, pion gypsy de boxe à mains nues que per­ on ne peut ici parler d'une découverte de sonne n'arrive à comprendre - et qui aura STATE AND MAIN l'intrigue autant que de sa constitution. pourtant le dernier mot. C'est dire que plutôt que de partir d'un fait S'il est vrai que Snatch ressasse plutôt L'intérêt du cinéma de Mamet se trouve complexe pour en arriver à un autre plus la recette qui avait fait le succès de Lock, dans l'écriture (structures scénaristiques simple, nous nous trouvons face à une si­ Stock and Two Smoking Barrels, il faut complexes, dialogues percutants, person­ tuation de départ qui enfle à mesure que le souligner que la force de Ritchie réside en nages puissants) et dans le regard décapant film se déroule, jusqu'à prendre des pro­ sa formidable capacité à bâtir une structure que pose celui-ci sur les travers du rêve portions indécentes au niveau de la cohésion. filmique extrêmement complexe, tant au américain et ses archétypes. Ainsi, après Dans le but d'y inscrire ses préoccupations niveau stylistique qu'au niveau du récit, s'être attaqué à l'institution politique sociales, Kassovitz fait emprunter à son chose rarissime dans ce genre de cinéma et américaine dans Wag the Dog ( 1997), réa­ récit une multitude de tracés narratifs et surtout chez les jeunes cinéastes. Le vérita­ lisé par Barry Levinson, Mamet poursuit esthétiques qui contraignent ce dernier à ble labyrinthe scénaristique qu'il tisse ici est aujourd'hui dans la même veine et jette être tout et rien à la fois. Ainsi, le noyau plein de détours, de retours en arrière et de son dévolu sur la machine hollywoodienne principal se couvre d'une série d'effets sans chasses-croisés à la fois visuels et narratifs, dans State and Main, qui raconte l'histoire nécessité constitutive donnant l'impres­ le tout soutenu par des dialogues crus et d'une équipe de production envahissant sion d'un engorgement juvénile où aucun cinglants, ainsi que par des interprètes une petite ville tranquille du Vermont fil conducteur n'est décelable. Tout au plus d'une justesse remarquable. À cheval entre pour y tourner une saga historique sur la pouvons-nous parler d'un axe de rotation le film de gangster, le film d'action ultra­ quête de la pureté - thème ironique s'il en qui nivelle les instants sur le pôle de l'exci­ violent et la bande dessinée, Snatch est une est un entre les mains de Mamet. tation et de l'horreur. Les événements véritable randonnée sauvage dont on sort Choisissant cette fois-ci de porter lui- fuient dès leur apparition et l'instant appa­ aussi réjoui qu'étourdi. même son scénario à l'écran, Mamet s'en­ raît sans conséquence, figé comme une Claire Valade toure d'un groupe de comédiens impres­ impression flottante à laquelle une autre sionnants (William H. Macy, Philip

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PB Attention, on tourne ! menée par un groupe d'anticastristes. Etats-Unis 2000, 105 minutes - Réal. : David Mamet - Devenu président en janvier 1961, John F. Scén. : David Mamet — Int. : William H. Macy, Philip Seymour Hoffman, Rebecca Pidgeon, Sarah Jessica Parker, Alec Kennedy donne son aval à cette action du Baldwin, Charles Durning, Clark Gregg, Patti LuPone, David 17 avril qui rate et à laquelle l'Histoire Paymer, Julia Stiles - Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. donnera le nom de « Playa Giron » ou de « désastre de la baie des Cochons ». Les SUZHOU positions se durcissent et, le 14 octobre 1962, commence la crise des missiles de « Je vais me resservir à boire et fermer les Cuba qui mena le monde au bord de la yeux, en attendant qu'une autre histoire guerre atomique. commence. » Lou Ye, qui signe ici son pre­ Thirteen Days, réalisé par Roger mier long métrage, propose un conte de Donaldson, concentre en un peu plus de fées contemporain (comme on en voit deux heures les événements de cette période régulièrement depuis une vingtaine d'an­ cruciale. Le scénario de David Self utilise nées) déchiré entre la foi et le doute, entre le personnage secondaire de Kenny le chimérique et le réel. L'allégorie, érigée O'Donnell, conseiller de John F. Kennedy sur fond de néon et de vodka, est vite me­ et de son frère Robert, procureur général nacée (c'est pour mieux qu'on sympathise, des États-Unis, pour nous initier aux mon enfant), sera sauvée (c'est pour qu'on rouages de l'administration américaine et y adhère absolument, mon enfant) pour se à l'impact de ses décisions sur le public. voir enfin brisée sur la rive d'une rivière L'interprétation remarquable de Bruce sale, dans une Shanghaï pluvieuse, en por­ Greenwood dans le rôle de John F. traits granuleux et tremblants (c'est pour Kennedy souligne l'intelligence et la force mieux la consacrer, mon enfant). Le conte de caractère de cet homme qui réussit à est propulsé par une narration ingénieuse faire de cet épisode le meilleur moment de et bien maîtrisée. Lou Ye raconte l'histoire sa présidence. Le scénario de ce docu- du narrateur (vidéaste pigiste, voilà pour drame historique privilégie le huis clos, et l'absence de trépied), qui nous raconte son certaines libertés ont été prises avec histoire d'amour avec Mei-Mei (sirène de l'Histoire pour rendre plus vivace encore le bar). Celle-ci lui raconte à son tour l'his­ parcours en montagnes russes de cette toire d'amour de Marmar (jeune coursier) période. Seymour Hoffman, Rebecca Pidgeon) afin et de Moudan (petite fille d'un importa­ Luc Chaput de scruter avec son acidité habituelle les teur de vodka). Une seule histoire, failles de cet univers où la vie réelle, plusieurs narrations. La fiction fraye avec ^H Treize jours États-Unis 2000, 140 minutes - Réal. : Roger Donaldson - comme le cinéma, est faite de mensonges le réel jusqu'à cette rencontre entre person­ Scén. : David Self — Int. : Kevin Costner, Bruce Greenwood, et de carton-pâte. Ainsi, le réalisateur nages et conteurs (rencontre posthume, Steven Culp, Dylan Baker, Michael Fairman, Henry Strozier, sous la pluie, au ralenti). Bel exercice. Frank Wood, Kevin Conway, Tim Kelleher, , Bill despote ajuste la vérité à ses besoins : la Smitrovich — Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. femme du maire refait entièrement le Philippe Théophanidis décor de sa maison dans le style des années UNE AFFAIRE DE GOÛT 1800 dans l'espoir de voir celle-ci utilisée •• Suzhou He Allemagne/Chine 2000, 83 minutes - Réal. : Lou Ye - Scén. : dans le film et le jeune scénariste idéaliste, Lou Ye - Int. : Zhou Xun, Jia Hongshen, Yao Anlian, Nai An - «Je veux que nous ayons le même palais, confronté à un dilemme moral et Dist. : Film Tonic. les mêmes papilles, le même odorat. Et, juridique, se voit offrir in extremis une dans quelques mois, si tout va bien, je lirai porte de sortie qui préservera à la fois son THIRTEEN DAYS dans vos yeux que nous partageons le emploi et cette pureté qui lui est si chère. même plaisir. » Frédéric Delamont, un Rien ne résiste au regard sarcastique de L'arrivée de Castro au pouvoir à Cuba, riche industriel phobique, confie dès le Mamet. Il égratigne tout le monde au pas­ début janvier 1959, ennuie les États-Unis. début du film ses intentions à Nicolas sage. Dans cet univers de chimères, per­ Castro construit une société de plus en Rivière, un jeune serveur qu'il engage à sonne n'est dupe : le rêve américain plus socialiste à 150 km des côtes améri­ titre de goûteur. Mais la gastronomie n'est s'achète à coup de millions et la bonne caines. L'administration Eisenhower, sous qu'une couverture, la vraie nature des conscience morale de tous est particulière­ l'impulsion des deux frères John Foster choses étant dissimulée. ment élastique. Dulles, secrétaire d'État, et Allen Dulles, Cette relation professionnelle insolite Claire Valade patron de la CIA, prépare une invasion et ambiguë, mais légère, se révèle un jeu

SÉQUENCES 212 mars/avril 2001 infiniment plus dangereux et pervers, dans lequel les deux hommes sont constam­ ment révélés à eux-mêmes et à leurs angoisses les plus profondes. Obsessionnel, Frédéric tente de créer son double, alors que Nicolas, curieux et fragile, partage d'emblée sa folie. Bel exercice de style sur la manipula­ tion, ce deuxième long métrage de Bernard Rapp (Tiré à part) démontre sans retenue les nombreux phénomènes reliés aux névroses et psychoses de deux person­ nages. On assiste ici aux pires jeux de pou­ voir, de séduction et de dépendance. Qui a le monopole de la situation ? Jusqu'à la fin, il est impossible de le déterminer. Tout comme The Talented Mr. soin de développer la psychologie de ses Ripley, Une affaire de goût sonde avec personnages principaux, de prime abord doigté et intelligence les dessous de la psy­ aux antipodes l'un de l'autre. Ici, frère et chologie humaine. soeur s'opposent par leur vision du monde Pierre Ranger et leur style de vie. Devenus orphelins en bas âge, l'aînée préfère la sécurité et la monotonie d'une existence en vase clos à France 1999, 90 minutes - Réal. : Bernard Rapp - Scén. : Gilles Taurand, Bernard Rapp - Int. : Bernard Giraudeau, l'errance et l'insécurité permanente qu'af­ Jean-Pierre Lorit, Florence Thomassin, Charles Berling, Jean- fectionne son frérot rebelle. Pourtant, leurs Pierre Léaud - Dist. : Remstar Distribution. retrouvailles après quelques années de silence, provoqueront une certaine « con­ YOU CAN COUNT ON ME tamination » de leurs valeurs respectives. Récipiendaire du prix du meilleur scé­ You Can Count On Me Les relations entre frères et soeurs d'âge nario au festival de Sundance, cet instantané You Can Count On Me n'avait nul besoin adulte ne sont pas fréquemment abordées de relations familiales se révèle une œuvre de béquille sonore pour émouvoir. Hormis au cinéma parce que ce sujet n'est évidem­ sentie et sans prétention, à l'influence théâ­ cet agacement, il s'agit d'une carte de visite ment pas très séducteur. Pourtant, cette trale apparente, surtout en ce qui concerne tout à fait louable. *s* thématique recèle une palette de senti­ la direction d'acteurs. Louise-Véronique Sicotte ments qui, lorsque qu'exploités avec L'appréciation générale est malheu­ nuance et intelligence, peuvent servir de reusement ternie par un amalgame exces­ États-Unis 2000, 109 minutes - Réal. : Kenneth Lonergan - fertile terreau à une histoire touchante sif de styles de musique hétéroclites Scén. : Kenneth Lonergan - Int. : Laura Linney, Mark Ruffalo, mais non larmoyante. Pour ses débuts en (country, rock et classique, en particulier). Matthew Broderick, Jon Tenney, Rory Culkin, J. Smith- Cameron, Josh Lucas, Gaby Hoffmann, Adam LeFevre - Dist. : tant que réalisateur, le scénariste et dra­ La récurrence d'une pièce de Bach, par Blackwatch Releasing. maturge Kenneth Lonergan a donc pris exemple, ne sert qu'à forcer l'émotion. Or,

T PREVUE Of La plus ancienne revu de cinéma a Québec(195i toujours à la fin SEUENCES pointe de l'actualit ^g ?vues m reportages • appréciât , SUCC. HAUTE VILLE QUEBEC. (QUEBEC) G1R 4M8, TEL ju±ai^u SÉQUENCES 212 mars/avril 2001