Vincent-Paul Toccoli A-Nous-Dieu-Toccoli
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Vincent-Paul Toccoli Chiisana & Araburu1 ou L’archipel des dieux putrides Eros et Thanatos chez les kami Factuel 1 Les Chiisana & les Araburu des textes anciens sont des petites divinités insaisissables, insoumises et incontrôlables. Ils vivaient sur les routes et dans cette zone intermédiaire entre le monde des hommes et la nature sauvage : le commun des mortels n’avait pas à les fréquenter et se gardait d’ailleurs bien de le faire. Avant même de leur rendre un culte, il fallait qu’elles soient soumises par un héros du type du premier empereur Jinmu ou du redoutableYamato takeru. Chiisana & Araburu : L’archipel des dieux putrides Eros et Thanatos chez les kamis S O M M A I R E ++Question : Y a-t-il un sujet japonais ? ou Celui qui n’est pas là +Introduction en forme de petit Essai d'anthropologie culturelle en temps de crise ou Le contemporain extrême 1. Chapitre 1 : Le Shinto ou Le berceau d’inconscient collectif 2. Chapitre 2 : Images du Japon de la Puissance comme Toile de fond de la scène… 3. Chapitre 3 : La matrice de la sexualité nippone ou La chair des mythes et la parole perdue entre amae & ajasé 4. Chapitre 4 : Vous avez dit : o.t.a.k.u ? ou Le Nouveau (stade du) miroir d’Amaterasu 5. Chapitre 5 : La femme japonaise à l’encan des modèles : Entre Amatérasu2 et Sadako3 6. Chapitre 6 : Le sexe atavique ou Les noces d’Eros & Thanatos 7. Chapitre 7 : La Fille japonaise ou Le sexe à la shojo de kabuki-cho ANNEXE : Poèmes gay de Takahashi Mutsuo Bibliographie Du même auteur 2 Amaterasu (天照) la déesse du soleil, selon la légende, mère de tous les empereurs japonais, et dispensatrice de la riziculture, de la culture du blé et des vers à soie. 3 Hideo Nakata, Ring Une question : Y a-t-il un sujet japonais ? ou Celui qui n’est pas là Issus de l'Unité cosmique, les flux fondant la vie s'incarnent en une multitude de kami. Le polythéisme qui s'en dégage est infini, dans le sens où chaque parcelle de vie est sacrée. La mythologie shinto dit qu'il existe 8 millions de kami (Happyakuman, 八百万 , car les kanji se lisent également « Yaoyorozu », signifiant un nombre inquantifiable). En descendant sur Terre pour y insuffler la vie, les kami ont créé l'archipel japonais. L'origine de l'Homme dans ce contexte cosmogonique n'est pas clairement établie. La priorité accordée au groupe et à la solidarité est un des principes éthiques les plus anciens et les plus importants de la société japonaise. Bien qu’hérité en partie de la culture chinoise, ce principe s’est vu énormément renforcé par le fait que le shinto insiste depuis des siècles sur la vénération des esprits ancestraux, le respect de la solidarité familiale et clanique. Ces principes, qui ont profondément influencé la vie japonaise, jouent toujours un rôle important dans le Japon moderne. C’est4 une caractéristique des « voies » (do en japonais) que d’offrir à celui qui se fait élève, cet entrelacs de dimensions corporelles, esthétiques et intellectuelles. Le sensei, le maître est celui qui parvient à unifier chez lui ces dimensions dans la fulgurance d’un combat ou de la réalisation d’un lavis. C’est une culture qui fait sens dans le travail aux frontières du danger, du risque, voire de la psychose, de la violence et du désespoir. Culture et subjectité5 japonaises, ici : au point qu’on peut se demander, au seuil de cet essai, si l’éclosion d’un tel « mode d’être au monde » n’est pas le collatéral contrapunctique d’un « malaise dans la civilisation6 » à la nippone : de même que la Vienne morbide et glauque de l’entre deux siècles – entre l’entre l’empire austro-hongrois qui va s ‘écrouler7 et les déchaînements inhumains qui se préparent 8– a vu éclore ces « fleurs baudelairiennes » que sont Freud, Mahler et Klimt. Entre autres ! Le zen de Kamakura, de Muromachi à Momoyama, et la Tiefenpsychologie - cette psychologie des profondeurs de l’âme -, supposent l’une et l’autre un sujet : qu’il soit « illusoire » à l’est, et « inconscient » à l’ouest. Mais que devient ce sujet quand les antipodes ne sont plus qu’à un clic d’internet ou de webcam ? East meets West ? Certes, globalisation oblige, mais où est le meeting point ? Les enfants de Shinjuku et de Shibuya, et les otaku, et les hikikimori... ne se sont-ils pas perdus dans ces entrelacs des dimensions corporelles, esthétiques et intellectuelles. Manque de sensei ? Manque de sensei compétents ? N’étaient-ils pas perdus, les enfants du Prater et du Ring, entre Ludwig et Sissi ? 4 Je dois l’essentiel de ces réflexions, et leur synthèse surtout, à Philippe Bernier que je remercie (voir bibliographie) 5 Terme utilisé à l'exemple du plus important philosophe japonais, Nishida Kitarô, afin de réserver celui de subjectivité au fait d’être subjectif. Selon Nishida, « subjectité » désigne « le fait d’être sujet et acteur». 6 Evidente allusion à Sigmund Freud, Unbehagen ion der Kultur (Malaise dans la civilisation) 7 ... et qui « n’épouse » plus. Le motto de la cour impériale était : Tu Felix Austria, nube ! (Toi, heureuse Autriche, épouse !). 8 Auschwitz n’est pas loin de Sarajevo ! La subjectité japonaise, - « le fait d’être sujet et acteur» -, se joue entre l’ombre, l’invisible, le silence, la mort, la précarité - dont on remarque déjà le lien « thanatique» -, et aussi, la honte, le respect de la hiérarchie et le sens du devoir. Cependant, même s’il faut rester sur ses gardes et que le Japon demeure pour l’occidental un sujet piégé à plusieurs degrés, ce n’est pas succomber nécessairement à l’attrait du folklorisme et de l’étrangeté que d’examiner le spectaculaire, ce qui saute aux yeux, ce qui fait chronique. Car il reste vrai et significatif que - le peuple japonais présente une nature formicole ou robotique, - et une figure d’ouvrier fanatiquement dévoué à son entreprise jusqu’à la mort par karoshi, - ou celle de kamikaze, tout aussi fanatiquement dévoué à l’empereur ; - l’élève connaît l’enfer des études secondaires avec bachotage intensif et bizutage (ijime) extrême (jusqu’à la mort également). - des adolescents nippons se coupent du monde extérieur, et se plongent toute la journée dans la réalité virtuelle (otakus) ; - des adolescentes (lolitas) se prostituent par l’intermédiaire des téléphones portables ; - des clubs de suicides collectifs recrutent leurs membres par Internet ; - abondent les jeux télévisés sadisant, - avec candidats et émissions de divertissement particulièrement bêtifiantes, - avec humour scatologique et plaisanteries graveleuses à l'envie ; - abondent aussi les illustrés ouvertement révisionnistes, mangas pronazis, pédophiles ... - placés à hauteur d’enfant en piles volumineuses dans les meilleures librairies. Un piège à plusieurs degrés ? Le second est beaucoup plus pernicieux mais constitue également une de ces dimensions de la subjectité japonaise. Il s’agit de l’art de l’avantage : issu de Chine, il est une pratique du secret et de la désinformation, une tactique visant à mystifier l’autre pour en tirer profit ou protéger son intimité. Cette pratique est présente à tous les niveaux de la culture, au sein même de la communication interpersonnelle9 et de la transmission des arts traditionnels. Prenons l'enseignement du zen, à titre d’exemple, par lequel l’Occident est si fasciné. L’écrivain japonais qui a le premier décrit en détail ce courant du bouddhisme, Daisetz Suzuki, l’a fait sous la forme d’une pratique quasi instinctive, spontanée, avec des maîtres qui répondent aux questions plus vite que leur ombre. Nous serons amenés à décrire certaines dimensions de la matrice subjectale japonaise, qui résulte de la conjonction de facteurs géographiques, historiques, culturels et sociaux. Elle est proche de ce que Watsuji Tetsurô désigne sous le terme fudô 10 pour parler tout à la fois du milieu géographique, du climat et des moeurs, l’insularité de fait. Ses effets se font sentir sur l’écriture, la langue, la structure sociétale ou les relations interindividuelles, mais non de manière déterministe comme certains on pu l’interpréter en lisant sans le comprendre ce théoricien du fudô11. Elles sont évidentes, les grandes dimensions du milieu japonais. (1) À commencer par l’importance et l’omniprésence de la mort dans la vie et la culture : nature, ethnies, guerres, hiérarchie, et cette fantasmatique morbide, sadique et violente. Comment oublier la culture samouraï12 et son immense influence : centré autour de la mort - au combat ou par suicide rituel (seppuku) cet ethos guerrier a infiltré le procès de subjectivation.13Aucun aspect de la vie 9 ijito dori 10 Le terme de « milieu » a été proposé par Augustin Berque pour traduire fudô. Cet auteur a présenté et développé les thèses de Watsuji, et en particulier avec son concept de « médiance », voir bibliographie. 11 En effet, Watsuji différencie clairement le « milieu » de l’« environnement ». • L'environnement est défini par des grandeurs physiques à la différence • du milieu qui intègre les dimensions culturelles et sociales. 12 Voir mon Yumé, Cet incertain désir de rêve, Amalthée 2007 13 Maurice Pinguet, dans son ouvrage fameux La mort volontaire au Japon, a particulièrement détaillé cette influence. Cet auteur évoque ainsi l’importance des suicides d’accompagnements dans la littérature classique et l’apprentissage du rituel japonaise ne peut être abordé sans référence à la mort, que ce soit l’amour, la guerre ou la religion. Pour les Japonais, la mort n’est pas seulement la fin de la vie, elle occupe une place positive et faire face à la mort avec la juste attitude est une des plus importantes réalisations de la vie.