Gilbert Mury L'albanie, Terre De L'homme Nouveau
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Gilbert Mury L’Albanie, terre de l’homme nouveau Introduction……………………………….p.2 1. Naissance d'une nation……………….p.4 2. Une nouvelle terre…………………….p.13 3. Vie quotidienne………………………..p.23 4. Les machines et les villes……………..p.33 5. La main et le cerveau………………….p.44 6. Le contrôle ouvrier…………………….p.51 7. Loin de l'usine………………………….p.62 8. L'homme nouveau……………………..p.73 9. Le peuple et le Parti……………………p.91 Edition électronique réalisée par Vincent Gouysse à partir de l’ouvrage publié par les Editions François Maspero, Paris, 1970 WWW.MARXISME.FR L'Albanie est-elle une terre inconnue ? En tout cas, il n'existait, en France, aucun livre qui permette de comprendre comment fonctionne, là-bas, un modèle original de socialisme. L'Albanie n'est ni la Tchécoslovaquie du : printemps de Prague », qui évoluait vers le libéralisme, ni l'Union Soviétique de Khrouchtchev et Brejnev, où les militants révolutionnaires risquent à nouveau la prison. Elle se veut fidèle aux traditions d'Octobre, soeur de la Chine maoïste, engagée en Europe dans la construction d'un monde révolutionnaire qui est celui de la liberté. « La dictature du prolétariat a pour aspect principal la démocratie de masse » — cette phrase d'Enver Hoxha, secrétaire général du Parti, en rejoint une autre : « un pays où un homme a peur de critiquer un autre homme n'est pas un pays socialiste ». C'est de ce socialisme là que parle aujourd'hui un militant qui a vécu de longues semaines en Albanie. Introduction Ouvrez votre journal habituel. Qui parle de l'Albanie ? Quel est le rédacteur assez hardi, ou assez peu soucieux de ses intérêts personnels, pour évoquer la vie quotidienne de ce petit peuple indomptable ? Quelques extraits de la presse albanaise parviennent cependant jusqu'au public français : il s'agit de déclarations de politique étrangère, mais jamais de cette réalité humaine, économique et sociale, familiale et personnelle dans laquelle s'enracine toute politique véritable. Un silence aussi systématique doit bien, en fin de compte, cacher quelque chose. Ce livre a pour seule prétention de lever un coin du voile maintenu par la grande presse sur le seul pays d'Europe dont les dirigeants n'ont pas effacé Staline de leur mémoire et se sont liés d'une amitié fraternelle à la Chine. En tout cas, les faits qui sont rapportés ici peuvent aisément être vérifiés. Le lecteur incrédule ou critique n'a, en effet, qu'à se rendre sur place afin de contrôler l'information. En 1969, sur 8 000 touristes venus en un an, on a compté bon nombre de Suédois, de Norvégiens, d'Allemands et même d'Anglais, mais très peu de nos compatriotes. Pour ma part je n'en ai rencontré aucun. Or, le Français moyen — pour lequel les prix sont bas et le confort des hôtels tout à fait honorable — trouverait là un pays admirable : les montagnes tombent presque directement sur la mer. A Vlora, notamment, il est possible d'embrasser du regard une Méditerranée aussi bleue qu'en Grèce, des arbres aussi verts qu'en Italie et les hautes croupes rouges et grises des montagnes sauvages. Pour ceux qui voudront contrôler les informations politiques et sociales contenues dans ce livre, par exemple, un séjour à Durrës, en été, est particulièrement recommandé. La plage attire des dizaines de milliers d'Albanais. A proximité immédiate, la ville industrielle groupe une population ouvrière et intellectuelle. La conversation peut s'engager, souvent en anglais, en français ou en italien. Dans ce peuple qui, il y 'a vingt-cinq ans, vivait dans un véritable Moyen Age, les lois de l'accueil existent toujours malgré l'expérience douloureuse de tant d'invasions. Si, comme on l'en accuse parfois, le gouvernement de Tirana voulait proscrire les rencontres entre Albanais et étrangers, il n'installerait pas à la fois à Durrës l'essentiel de son équipement en hôtels 2 destinés à la population locale et en établissements ouverts aux voyages organisés des clients étrangers. Bien entendu, il existe certaines réalités dont il faut tenir compte. L'Albanie fait face à la Grèce, au sud. Mais le gouvernement d'Athènes entretient des revendications sur l'Albanie méridionale, et ferme la frontière. Au Nord et à l'Est, les rapports avec les Yougoslaves ont été également très difficiles. Après la libération du territoire — en 1945 — le gouvernement du maréchal Tito aurait volontiers annexé le pays. Depuis 1948, le rapprochement de la Yougoslavie avec les Etats capitalistes, l'établissement d'une économie fondée sur le marché ont considérablement éloigné les régimes sociaux des deux pays. Toutefois depuis l'invasion de la Tchécoslovaquie, dans les moments où la Yougoslavie se sent menacée par les forces soviétiques, une certaine détente se manifeste dans les rapports entre les deux Etats balkaniques — sans que le conflit idéologique entre les Partis au pouvoir soit atténué pour autant. Enfin toute la façade maritime de l'Albanie est bordée par l'Adriatique. Elle est donc en contact avec une Italie qui, récemment encore, l'a envahie. La flotte américaine est tout près en Méditerranée. Et tout près aussi, en Bulgarie, campent des troupes soviétiques dont l'exemple tchèque montre la véritable nature. L'Albanie se considère, à juste titre, comme une forteresse assiégée. Le danger est d'autant plus grand que ce petit pays atteint seulement 340 km du nord au sud et 148 de l'est à l'ouest, soit une surface de 28 348 km2. En outre, le caractère sinueux des frontières multiplie leur longueur. Sur plus de 12 000 km, elles ne sont pas tracées par des cours d'eau ou par des lacs — ce qui veut dire qu'en dépit du relief montagneux du pays, une grande vigilance s'impose. Il n'est donc pas question de laisser n'importe quel visiteur circuler en voiture d'un bout à l'autre du territoire albanais. Au demeurant, la préférence donnée au tourisme collectif a une autre racine. Tout visiteur de l'Albanie est frappé par l'impossibilité où il est de faire accepter par le personnel des hôtels le moindre pourboire. Je n'ose conseiller à un touriste éventuel d'essayer, dans la mesure où la plupart des serveurs réagissent avec beaucoup de dignité, mais aussi beaucoup d'émotion à toute tentative en vue de leur faire accepter de l'argent. Or, il n'y a pas si longtemps, des réactions du même ordre auraient pu s'observer ailleurs, par exemple en Yougoslavie. Là pourtant, le développement d'un tourisme individuel, la libre circulation des voitures, la recherche par le touriste des services intéressés rendus par l'habitant, les chances de gains individuels faciles ont très vite corrompu le pays d'accueil. L'Albanie ne permettra jamais que se développe sur son sol une exploitation du touriste à l'espagnole, ni que grandisse le goût du lucre. Mais le caractère collectif du tourisme n'empêche personne de contrôler les informations que je donne. Et je conviens bien volontiers que je ne suis pas un témoin « objectif », si le seul regard objectif est celui d'un observateur indifférent aux hommes, à leurs rêves, à leurs passions, à leurs actes, à leurs combats. J'ai, tout au contraire, cherché à pénétrer dans les sentiments autant que dans les raisons, à rencontrer véritablement un peuple si mal connu dans notre pays. Il n'est de véritable témoin que celui qui prend le risque de pénétrer dans un univers différent du sien autrement qu'à coups de statistiques. Il n'est pas inutile d'aligner quelques chiffres... à condition de savoir aussi pourquoi l'on travaille et comment on s'aime. Je ne me cache pas de vivre heureux en Albanie : chaque voyage m'aide à retrouver ce mélange d'émerveillement et de familiarité, de découverte et de fidélité à soi-même qui est une composante essentielle du patriotisme albanais. J'aime les châteaux de Scanderberg qui fit face aux Turcs, dans le passé. Et je vole au passage quelques leçons de guérilla quand les partisans qui combattirent au cours de la Seconde Guerre mondiale consentent à évoquer leurs exploits devant un résistant français. C'est pourquoi Enver Hoxha, président de la République et secrétaire général du parti du Travail, a pu me dire un jour, dans ce français à résonances romantiques qu'il parle avec un enthousiasme jamais lassé : « Camarade Mury, l'Albanie est votre seconde patrie. » 3 C'est donc d'un pays qui ne m'est plus tout à fait étranger que je m'apprête à évoquer le souvenir. Le mieux est de décrire l'expérience que j'ai vécue grâce à mes amis albanais en sillonnant le pays du sud au nord et de l'est à l'ouest, en ayant, avec les responsables politiques et syndicaux, avec les gens simples, travailleurs, jeunes, femmes, sur le lieu du labeur, de l'habitation ou du loisir, ces conversations détendues et prolongées que permet l'hospitalité albanaise. Il me semble possible de répondre à une question pour le moins décisive : fait-il bon vivre en Albanie ? Au temps de la révolution française, Saint-Just affirmait que le bonheur est une idée neuve en Europe — et il ne séparait pas le bonheur de la liberté. Après deux cents ans, l'Europe capitaliste et l'ensemble des pays qui suivent l'Union soviétique n'ont certainement pas éliminé les injustices économiques. Mais le pire est peut-être qu'ils ont tous instauré une civilisation de l'ennui : nul n'est le maître de sa propre vie. Or l'Albanie présente cette situation paradoxale d'échapper à la fois à l'emprise de l'impérialisme américain et à celle de Moscou.