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Ciné-Bulles

Voyage au bout de la nuit Edmond de Stuart Gordon Mariève Desjardins

Volume 24, Number 4, Fall 2006

URI: https://id.erudit.org/iderudit/60791ac

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Publisher(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (print) 1923-3221 (digital)

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Cite this review Desjardins, M. (2006). Review of [Voyage au bout de la nuit / Edmond de Stuart Gordon]. Ciné-Bulles, 24(4), 51–52.

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tence. L'un d'eux s'appelle Edmond Burke que le détenteur de l'argent n'a pas tou­ Edmond (William H. Macy, dans un rôle taillé sur jours le pouvoir, comme le démontre sa de Stuart Gordon mesure). Éclairé par une diseuse de bonne rencontre avec des prostituées avec qui il m aventure lui affirmant qu'il n'était pas à sa se perd dans des négociations intermi­ place, il décide de laisser sa femme et sa nables et stériles. De la même façon, l'uti­ Voyage vie morne d'homme d'affaires. Il se con­ lisation de son arme, symbole suprême de fie donc à son voisin de bar (Joe Mante­ puissance, le mène tout droit à la prison. au bout de la nuit gna), qui guette d'un œil un match de Mais en même temps qu'il abat toutes les basket-ball, où d'habiles joueurs de race barrières, celles de la bienséance, de l'au­ MARIÈVE DESJARDINS noire gesticulent autour du ballon. Avec torité et de la moralité, Edmond entre en un racisme distillé d'envie, l'inconnu com­ contact avec ses plus bas instincts, il se mente les prouesses de cette race « faite ramaturge américain de renom, rapproche aussi de la vérité, de l'étincelle pour regarder passer les éléphants ». Le a plus d'une fois qui permet à l'être humain de croire en constat qu'il en tire va propulser la quête vu ses pièces transposées au l'existence. C'est ce qu'il exprime dans D d'Edmond : il y a trop de pression sur grand écran, que ce soit avec Glengarry un superbe monologue avant de commet­ l'homme blanc. Émasculé par une société Glen Ross (1992) ou avec American tre un acte sordide : trucider l'innocente trop exigeante, Edmond peine à affirmer Buffalo (1996). Écrite en 1982, Edmond a jeune femme qui a bien voulu assouvir ses pour sa part été boudée par les produc­ sa masculinité. Les putes, le pouvoir, l'ar­ gent, les jeux de hasard, l'autodestruction, désirs sexuels. Le potentiel subversif du teurs de cinéma, qui jugeaient trop crus film réside dans le fait que le personnage les dialogues nés de la plume acérée du la religion : telles sont les voies proposées utilise la violence pour accéder à la vérité. jeune dramaturge en colère (et en instance par l'inconnu pour qu'Edmond sorte de de divorce, mais ça, c'est pour l'anecdo­ ses gonds. Le personnage empruntera toutes te). Plus de 20 ans après sa création, le ton ces avenues, comme autant de stations d'un Comme pour tout film adapté d'une pièce hargneux et la vulgarité tout à fait assu­ long chemin de croix. de théâtre, certains accuseront Edmond mée de cette comédie noire font encore d'être trop verbeux, mais les amants des frémir certains adeptes de la rectitude poli­ Au cœur du récit, il y a donc une défail­ répliques bien ficelées seront servis. tique. lance dans la masculinité d'Edmond, qu'il D'autant plus que la densité de sens est ici essaie de combler par le sexe, la violence portée par des dialogues ancrés dans le Attablés au comptoir d'un bar, deux incon­ ou le port d'une arme. Or, à chaque tenta­ réel avec toutes les hachures, les hésita­ nus échangent sur le sens de leur exis­ tive, il se bute à une désillusion. Il réalise tions, les silences et le côté impropre que

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Fauteuils d'orchestre cela suppose. Et pour contrecarrer la domi­ Au bout de sa quête, Edmond est bel et nance du texte, de longs travellings sur les bien un nouvel homme. Que ce person­ Fauteuils d'orchestre vitrines éclairées et les rues désertes ac­ nage initialement homophobe et raciste de Danièle Thompson compagnent les déambulations d'Edmond finisse dans les bras d'un Noir, il n'en faut dans la jungle urbaine. Ces parenthèses pas davantage pour se laisser convaincre visuelles rendent bien l'atmosphère glau­ de sa transformation. Or, la quête de liberté Sièges vides que et solitaire d'une ville la nuit. Le pas­ d'Edmond semble toutefois le mener dans sage du théâtre au cinéma se fait sans un cul-de-sac : il a beau avoir repoussé ses propres limites, chassé ses préjugés et s'être STÉPHANE DEFOY heurts, appuyé surtout par la solide inter­ éveillé à la vie, c'est tout de même en prétation de William H. Macy, qui crève prison qu'il terminera ses jours. En cela, l'écran en homme ordinaire métamorphosé la rédemption d'Edmond, qui quitte une auteuils d'orchestre s'ouvre sur en tueur impassible. prison pour en trouver une autre, laisse per­ une déclaration (répétée à plusieurs plexe. Doit-on en conclure que le chemin reprises) d'une septuagénaire con­ Des scènes de violence à la limite du genre vers la tolérance est forcément semé d'em­ F versant avec Jessica, sa petite fille : « Je gore font cependant figure d'anomalie dans bûches? • n'avais pas les moyens de vivre dans le un traitement plutôt conventionnel. Le réa­ lisateur Stuart Gordon, considéré comme luxe, alors j'ai décidé d'y travailler com­ un maître de l'horreur, montre avec in­ Edmond me femme de ménage et ensuite comme dame pipi. » Il faut donc s'attendre à une sistance les plaies béantes et n'hésite pas 35 mm / coul. / 83 min / 2005 / fict. / États-Unis à faire gicler le sang. Déformation profes­ autre déclinaison de « la vie des gens ri­ sionnelle ou choix esthétique longuement Réal. : Stuart Gordon ches et célèbres ». En plein dans le mille : mûri, cet excès donne cependant aux scè­ Scén. : David Mamet, d'après sa pièce action délimitée rue Montaigne à Paris, Image : Denis Maloney nes violentes des accents presque surréa­ Mus. : Bobby Johnston quartier mondain et friqué où la culture listes, soulignant le côté satirique de cette Mont. : Andy Horvitch (salles de spectacles, concerts, etc.) s'ex­ fable urbaine. Après tout, il s'agit d'une co­ Prod. : Stuart Gordon pose avec éclat et magnificence. Par l'inter­ Dist. : Vivafilm médie... Int. : William H. Macy, Julia Stiles, médiaire de Jessica, une innocente petite

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