Les Prévert Mémoire Arménienne Sen No Rikyu, Maître De
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Printemps 2021 Les Prévert 406-407 Mémoire arménienne France : 12 € Étranger : 16 € Sen no Rikyu, maître de thé Michel Sportisse, Mauro Bolognini, une histoire italienne, coll. Sprezzatura, Lyon, éd. Le Clos Jouve, 2020, 160 p., 24 € LIVRES Jean A. Gili a décrit ici il y a peu recréait l’étouffoir d’une société sici- (n° 399-400, février 2020) la car- lienne à la sexualité archaïque (Il rière de Mauro Bolognini et l’impor- bell’Antonio/Le Bel Antonio, 1960), tance du cinéaste. Mais il n’a peut- ou offrait un portrait exaltant d’une être assez insisté sur l’injustice de la femme libre au XVIIIe siècle (Made- majorité de la critique à son égard au moiselle de Maupin, 1966) ? Qui, long de cette carrière. Car s’il existe classé comme « esthète », se mêlait, un réalisateur italien peu considéré, avec Metello (1970), de retracer les c’est bien lui. Certes, la rétrospec- luttes des ouvriers du bâtiment dans tive offerte par la Cinémathèque la Florence de 1900 ? De cette diffi- française en novembre 2019 a réjoui culté à être commodément réperto- ses amateurs, confrontés pour la pre- rié résultait une évidence – passer si mière fois à la vision globale d’une aisément d’un genre à l’autre, mélo- œuvre découverte, pour les plus drame, film social, drame politique anciens d’entre nous, au fil de la sor- ou mondain, n’est pas signe d’un tie de films, et pas toujours dans auteur. l’ordre chronologique (la preuve : la La preuve : aucune monographie révélation en 2019 d’un inédit de ne lui avait été encore consacrée et 1977, Gran bollito). Mais l’ouvrage de Michel Sportisse est le auparavant ? La critique spécialisée, premier à ouvrir la brèche. Le livre depuis le début des années soixante, est court, publié dans la même col- avait fait son travail, mais sans lection que sa précédente étude sur enthousiasme débordant : La notte Ettore Scola1 et l’auteur en précise brava/Les Garçons (1959), La gior- d’entrée (p. 12) la modestie et « les nata balorda/Ça s’est passé à Rome, limites éditoriales fixées ». Peut- (1960) avaient été vus comme une être modeste par sa taille, 150 pages extension italienne de notre Nou- de texte, mais pas par son acuité et la velle Vague, La Viaccia (1961), bien finesse de son approche. Sportisse ne que salué pour sa splendeur visuelle, perd pas de temps ni d’espace en avait, pour beaucoup, réveillé les digressions ou délayages : si l’étude fantômes du calligraphisme. Agos- n’est pas exhaustive – il choisit de tino (1962), malgré le renom d’Al- n’aborder précisément qu’une ving- berto Moravia, n’était pas sorti, La taine de titres -, elle est extrême- corruzione/La Corruption (1963) avait ment fouillée et accompagnée d’un attendu trois ans avant d’être pré- appareil de notes érudites, cent senté, etc. trente-huit exactement, qui occu- Alors que les grands réalisateurs pent plus de vingt pages.2 Et les italiens, Fellini, Visconti, De Sica, titres examinés ne sont pas forcé- étaient identifiables par leur griffe, ment les plus connus : quatre pages Bolognini échappait à la grille de sur Imputazione di omicidio per uno stu- lecture : était-ce le même cinéaste dente/Chronique d’un homicide (1972), 152 qui transfigurait la Rome nocturne, ou huit pages sur Libera, amore mio/ Liberté, mon amour (1975), magni- peut considérer comme plus proches LIVRES fique film que les fans de Claudia de son univers d’écrivain que ses Cardinale chérissent. Mais il ne propres films) - aux drames bour- s’agit pas pour l’auteur d’insister sur geois du milieu des années 70 - Fatti les aspects les moins traités pour di gente perbene/La Grande Bourgeoise prouver qu’il maîtrise son sujet dans et Per le antiche scale/Vertiges -, via le les coins. Ses choix sont justifiés : s’il diptyque « social » qui ouvre la est demeuré lointain (on ne l’a décennie 70, Metello et Bubu/Bubu de découvert qu’en 2009, en DVD), Montparnasse.3 Sportisse nous livre Chronique… est un film aussi puis- une analyse fouillée, appuyée sur samment inscrit dans son époque une connaissance de la littérature que ses contemporains policiers des italienne qui lui permet de juger la années 1970. Quant à Libera…, c’est manière dont Bolognini et ses divers le seul film clairement politique de scénaristes (dont Vasco Pratolini) Bolognini, portrait d’une insoumise ont adapté Alberto Moravia (Agos- à travers les années du fascisme et tino), Italo Svevo (Senilita) ou Vita- qui vaut qu’on s’y arrête longue- liano Brancati (Le Bel Antonio)) pour ment. les plus célèbres, ou les inconnus des Avec raison, sont regroupés les lecteurs français tels Mario Pratesi films partageant une tonalité ana- (La Viaccia), Mario Tobino (La logue : du début des années 60 - Les Grande Bourgeoise) et Gaetano Carlo Garçons et Ça s’est passé à Rome, tous Chelli (Vertiges). Car si la critique a deux scénarisés par Pasolini (qu’on privilégié les qualités esthétiques du 153 Claudia Cardinale, Marcello Mastroianni, Il bell’Antonio (Mauro Bolognini, 1960) réalisateur, au point de le réduire à 1. La Rome d’Ettore Scola, éd. Le Clos Jouve un metteur en images, on sait, (cf. JC n° 399-400) depuis l’entretien que Gili avait 2. Des notes qui sont parfois de véritables LIVRES inséré dans son ouvrage de développements parallèles : ainsi, la note 4 que celui-ci avait tra- 137, à propos d’Agostino (1962), non abordé référence, ailleurs, vaillé au scénario de la plupart d’en- tre eux et que ses options de mise en 3. Pour nous, les deux plus grands films du cinéaste. Sportisse a raison de souligner scène étaient raisonnées – on qu’« avec plus de succès que Visconti, car son goût n’adapte pas Svevo comme Théo- est infiniment plus sûr et plus subtil, Bolognini phile Gautier ou Dumas fils.5 s’est employé à tirer les conséquences esthétiques et Bolognini fut, bien plus que d’au- morales du calligraphisme des années 40. » (p. tres grands cinéastes parmi ses 73) contemporains (De Sica excepté), un 4. Le Cinéma italien, entretiens, coll. 10/18 n° remarquable directeur d’acteurs et 1278, UGE, 1978 plus précisément d’actrices, du duo 5. Respectivement, Mademoiselle de Maupin Rossana Schiaffino-Elsa Martinelli (1966) et La Dame aux camélias (1981) – même si Sportisse montre (p. 114) comment des Garçons au duo Laura Antonelli– Bolognini s’est plutôt inspiré de la véritable Monica Guerritore de La Véni- héroïne, Alphonsine Plessis, que du person- tienne/La Venexiana (1986). Claudia nage de la pièce de Dumas fils. Cardinale (quatre titres), Catherine 6. À défaut d’un index des noms cités – mais Spaak, Gina Lollobrigida, Ottavia on sait que les éditeurs renâclent devant Piccolo, Valentina Cortese, Isabelle toutes ces pages inutiles… Corey, Lea Massari, c’est toute une guirlande d’interprètes féminines qu’il a utilisées de façon superbe – et en avoir dressé la liste (cinquante- sept noms qui font rêver, p. 125- 126) est une idée qu’on souhaiterait voir appliquée plus souvent.6 L’hommage de la Cinémathèque aura-t-il apporté à Bolognini une remise en perspective correspondant à sa véritable dimension ? On aime- rait en être certain. On attend des éditions en DVD de films encore peu accessibles ou inconnus, et que les programmes des chaînes du câble, Ciné+ ou OCS, explorent son œuvre de façon plus large (quatre titres proposés ces sept dernières années). En attendant, les amateurs trouveront leur compte dans ce livre et les néophytes une excellente introduction au voyage. 154 LIVRES Vincent Roussel, Bertrand Blier, cruelle beauté, Paris, Marest, 2020, 352 p., 19 € Si Mauro Bolognini a eu des pro- ni même Le Bruit des glaçons (2010), blèmes de reconnaissance critique, qui est un concentré de sa manière. il n’en a jamais été de même avec C’est-à-dire la moitié de son œuvre. Bertrand Blier. Une fois passé le cap Puisqu’on peut raisonnablement des deux premiers films, l’un, penser qu’elle est achevée, la récep- Hitler… connais pas (1963), ignoré, tion publique de Convoi exceptionnel l’autre, Si j’étais un espion (1967), à (2019), faisant de ce dernier film peine regardé, chacun des suivants, son ultime, il était temps d’y reve- à partir des Valseuses (1974), a été un nir. événement. Événement pas toujours Vincent Roussel définit dès bien accueilli, mais dont plusieurs l’abord son propos : « À l’heure d’un ont marqué leur époque. Et très certain révisionnisme idéologique, il rapidement, le réalisateur a échappé s’agit de se replonger dans son œuvre à l’étiquette de « fils de » pour se afin de mesurer sa singularité et de voir faire un prénom et une place bien de quelle manière elle témoigne des évo- particulière dans le cinéma natio- lutions des mœurs et des mentalités de la nal, au moins trois décennies société française. » On écrirait plutôt durant. Celle d’un troublemaker (le « révisionnisme idéologique certain », français « trouble-fête » ne corres- mais quant au reste, c’est évident : pond pas), un créateur de films-our- plus qu’aucune autre, la filmogra- sins laissant peu d’occasions d’être phie de Blier est un miroir, inversé, empoignés sans désagrément. Un prémonitoire, décalé, des années cinéma dérangeant, jamais consen- qu’elle a traversées. Non que l’au- suel, abordant à rebrousse-poil des teur ait cherché à rendre compte de sujets tout sauf ronronnants et qui son époque ; la réalité qu’il invente pourtant trouvaient le public – dans Calmos ou Merci la vie n’a que jusqu’au moment où le public n’a peu à voir avec le réel, mais elle est plus suivi (question de générations - autrement forte, et c’est là son inté- à 20 ans, on peut vibrer devant Les rêt.