L’ENTRETIEN Après deux saisons difficiles, la Bornandine s’avoue touchée… mais pas coulée !

TESSA WORLEY « LE GLOBE ME FAIT RÊVER »

TOUT JUSTE RENTRÉE DE SÖLDEN (AUTRICHE), OÙ SE DISPUTAIT LA PREMIÈRE ÉTAPE DE L’HIVER, FIN OCTOBRE, ET AVANT QUE LA SAISON NE DÉMARRE VÉRITABLEMENT AVEC LA TOURNÉE AMÉRICAINE, TESSA WORLEY NOUS A REÇUS AU CENTRE NATIONAL DE SKI D’ALBERTVILLE POUR PARLER DE SON LONG RETOUR DE BLESSURE, DE SES AMBITIONS CETTE ANNÉE ET DU SKI FÉMININ EN GÉNÉRAL. LA BORNANDINE DE 27 ANS, CHAMPIONNE DU MONDE EN 2013, A LES MONDIAUX DE SAINT-MORITZ EN LIGNE DE MIRE, MAIS PAS SEULEMENT.

PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTINE PERAZIO. © M. Cottin / Zoom L’ENTRETIEN ©M. Cottin / Zoom

ous avez débuté la saison à Sölden, sixième du l’essentiel, mais ça a été difficile pour moi l’hiver dernier. géant remporté par Lara Gut. Cette première étape correspondait-elle à ce que vous attendiez ? Vous êtes championne du monde en 2013, puis absente une V À Sölden, c’est difficile de s’attendre à quelque chose partie de la saison 2014 suite à votre blessure. Quel est dé- parce qu’on ne sait pas où on se situe. Mais ma préparation s’est sormais votre rôle au sein de l’équipe de féminine ? “ devient une très bien passée, alors j’avais à cœur de faire une grosse course. Il a un peu changé. Il y a quelques années, j’étais peut-être leader, C’est resté correct, surtout sur la deuxième manche. Mais je n’ai fait pas forcément au niveau de l’ambiance (sourire), mais en termes de classique et c’est cool. » que 50% du boulot : sur la première manche j’étais encore trop sur résultats. L’an dernier, Taïna Barioz était devant moi au classement la retenue. Après, oui, une sixième place pour commencer la saison du géant, il y a aussi eu d’autres podiums avec , c’est encourageant. Surtout par rapport à mes résultats l’an dernier Anne-Sophie Barthet. C’est bien, ça permet de relâcher la pression. en fin de saison. Et quels sont vos rapports avec les autres filles du groupe ? L’hiver dernier vous a vraiment déçu (11e mondiale en géant) ? Les générations ont un peu « switché ». Il n’y a encore pas long- Ça a été compliqué jusqu’au bout. À chaque fois que je repartais en temps, la génération 1988-1989, on était les jeunes. Et maintenant course, ça n’allait pas. Même jusqu’aux championnats de France, on vient de passer parmi les plus anciennes ! Je ne me considère La suite pour Tessa ? « J’ai toujours autant de motivation, d’envie. » la dernière de la saison. Après cette course, je me suis dit : « Aller, pas comme une grande sœur dans le groupe, mais je sais un peu TESSA WORLEY l’hiver est terminé, je vais pouvoir effacer l’ardoise et repartir sur du plus où je vais, je sais ce qui me convient, je suis plus sûre de moi… neuf ». Ça, c’était génial, dès la fin de saison j’étais motivée pour la donc si ça peut aider les jeunes, si elles me posent des questions, il ski féminin, donc ça aide. NÉE LE : préparation de la suivante, pour repartir de l’avant. n’y a pas de problème. Mais elles ont leur propre chemin à faire, les 4 octobre 1989 à Annemasse (Haute- situations sont très différentes. Mais n’était pas encore prête pour le début de Savoie). SPONSORS : skis et chaussures Vous vous êtes blessée fin décembre 2013, avec une rupture saison, était elle aussi absente à Sölden, Tina Rossignol, fixations Look, casque et des ligaments croisés, juste après avoir remporté le géant Les critiques sur l’équipe de France féminine, avec son Maze a annoncé sa retraite… masque Bollé, gants Reusch, bâtons Leki, de Saint-Moritz (Suisse). Le retour au plus haut-niveau vous manque de résultats, ont-elles été difficiles à vivre ? C’est vrai ! Je n’avais pas pensé à tout ça… Il faudrait que des bandeau Milka. paraît-il long ? En fait, je vivais en parallèle mes soucis à moi, avec mes saisons jeunes prennent le relais. Mais sinon, d’un point de vue sportif, la Fis CLUB : EMHM / Le Grand-Bornand. Oui, c’est long. Il y a plus d’étapes que j’imaginais. La saison après creuses et difficiles. Je ne me suis pas forcément attardée sur le et les fédérations travaillent là-dessus. la blessure a été compliquée en termes d’engagement, même si je groupe ou le ski féminin en particulier, j’avais déjà mon problème à PALMARÈS n’avais pas d’appréhension sur mon genou. Ce n’était pas vraiment gérer. C’est vrai que parfois, au niveau des médias, il a pu y avoir des Que font ces instances internationales ? > Championnats du monde : médaillée de la peur, c’était plus inconscient, mais au final l’intensité de mon choses un peu blessantes, mais en même temps, il faut aussi se dire On a des pistes de plus en plus sympas, des revêtements de mieux d’or en géant en 2013 et par équipes en ski était en-dessous de ce que j’avais pu faire avant. Je savais que la vérité : on a eu des années plus difficiles que les autres. en mieux travaillés pour que les choses soient équitables et fassent 2011 ; médaillée de bronze en géant en 2011. ça pouvait être le cas, qu’il fallait prendre le temps. L’année d’après, un beau spectacle. Les dernières années, ça s’est ressenti. Par Jeux Olympiques : une participation en l’hiver dernier, donc, j’ai retrouvé pas mal de repères, c’était bien Que pensez-vous de la mise en place du Ladies Night Tour exemple, à Sölden, on a fait de très belles courses féminines, aussi 2010 (16e du géant). parti. Mais c’est resté fragile et finalement ça s’est écroulé pendant pour promouvoir le ski féminin ? belles que celles des hommes. Moi, c’est sur le plan sportif que > Coupe du monde (jusqu’au 1er novembre 2016) : l’hiver. Le Ladies Night Tour, c’est génial. J’aime beaucoup ce format, le j’aimerais qu’on soit mise en avant. concept du parallèle. Je n’en fais pas beaucoup, mais quand j’en 158 départs depuis le 4 février 2006, 13 Et maintenant ? fais, je m’éclate. Et c’est le propre de notre sport, de s’amuser pen- Le circuit féminin manque-t-il de grandes classiques ? J’ai vraiment le sentiment que c’est de nouveau solide, stable, que dant qu’on skie. Ce qui est compliqué, c’est de trouver du temps Je trouve qu’on en a. Au niveau de la vitesse, Cortina est une je peux m’appuyer dessus et y aller. La blessure, c’est fini. pour le faire. Il faudrait que ce genre de format s’installe, mais en belle classique, Flachau est une très belle course en slalom… même temps nous, les athlètes de Coupe du monde, on est rarement Là-bas, ils mettent bien en avant les femmes, comme à Cour- Qu’est-ce qui vous fait tenir quand vous enchaînez ces pé- présent pour le faire. chevel. Courchevel devient une classique et c’est cool. C’est riodes difficiles ? une épreuve française et nous sommes hyper attachées à ça. Déjà, je n’ai jamais pensé à lâcher le morceau. Quand la confiance Vous demande-t-on votre avis pour booster le ski féminin ? n’est pas là et que les courses deviennent compliquées, j’essaye On peut donner des idées, oui, mais on est tellement dans notre Quelles sont les conditions, selon vous, pour être ou devenir de me concentrer sur des choses techniques simples. Je suis re- truc… Je ne sais pas trop ce qui pourrait rendre le ski féminin plus une classique du circuit ? tournée sur des séances d’entraînement, parfois j’étais toute seule, attractif. Des athlètes comme Lindsey Vonn, Anna Veith (ex-Fennin- Une classique, c’est une course qu’on retrouve chaque an- sans confrontation avec d’autres filles. Il fallait se recentrer sur ger), jouent beaucoup le côté hors ski. Et ça fait parler du née, une piste, peut-être pas atypique, mais technique, com- >> SKI CHRONO 33 L’ENTRETIEN

Belle entrée en matière pour Worley qui a signé une sixième place à Sölden en octobre dans sa discipline de prédilection. © A. Grosclaude / Zoom

>> plète, qui permet aux meilleures de s’exprimer pleinement. Après, Quelles sont vos attentes pour les prochains championnats l’à-côté compte aussi. On voit qu’à Courchevel ils font énormément du monde, en février à Saint-Moritz ? d’efforts sur la remise des dossards, sur l’accueil des athlètes, on a J’espère être au top de ma forme, au top de ma confiance, que j’au- des petits cadeaux... Et puis il y a le public, et ça met une belle am- rai réussi à construire sur mon début de saison. Quoi qu’il arrive, biance. Comme nous, les étrangères sont contentes de revenir ici. c’est une piste que j’apprécie, un lieu que j’aime. Il faudra tout réunir en même temps pour faire une belle course. Le géant reste votre discipline forte, où en êtes-vous avec toutes les autres ? Vous fêtez cette année vos 10 ans sur la Coupe du monde, Je m’éclate dans toutes les disciplines. J’ai mis un gros accent sur pensez-vous déjà à l’après-carrière ? le géant et le super-G, déjà depuis la saison dernière. Cette saison Oui, ce sont des choses auxquelles on commence à penser. C’est ça va être le cas aussi. Le super-G me tient à cœur parce que j’adore marrant… On n’y pense pas et ça vient d’un coup. On se dit que, ça cette discipline. Le fait qu’il y ait une manche sèche, c’est ce que je y est, on est dans notre deuxième partie de carrière. Donc oui, j’y recherche, n’avoir aucune retenue sur une seule manche. Derrière, pense même si je n’ai aucune date butoir, aucune limite. Je me suis j’ai aussi le super-combiné. C’est bon à prendre parce que pour le demandé si tout ce que je fais, la préparation physique, les efforts, moment ça reste une discipline à part entière, avec un globe à jouer, les moments compliqués, me coûtaient plus maintenant qu’il y a une médaille à jouer. Tout le monde a sa chance en super-combiné, quelques années en arrière. Et en fait, non. J’ai toujours autant de je vais tenter la mienne aussi. Pour le reste, on verra au fil de l’hiver. motivation, d’envie.

Pensez-vous à remporter un globe ? Avez-vous des plans pour le jour où vous arrêterez le ski ? C’est encore tôt, mais le globe de géant, oui, ça me fait rêver. C’est Non, je n’arrive pas trop à voir ce qui pourrait me faire autant vi- ce qui définit le mieux le meilleur skieur, la régularité, la performance brer. J’essaye de m’informer, d’apprendre, de me donner une autre toute l’année. C’est clair qu’un jour ça me plairait bien d’y arriver ! possibilité que le ski. Je suis des études en sciences biomédicales, Mais avant ça, il y a beaucoup d’étapes à franchir. Il faut déjà com- mais c’est très compliqué, ça n’avance pas beaucoup. J’ai besoin mencer l’hiver de façon régulière et tenir jusqu’au bout. On verra si de concret. Mais sinon, à côté du ski, je fais plein de trucs, plein de ça fait partie des objectifs. sport, j’aime bien créer, aussi. Là, je suis à fond dans le tricot. Quoi faire après ma carrière ? Peut-être quelque chose à moi, pourquoi Cette année, c’est un hiver avec des Mondiaux. Qu’est-ce pas inventer un concept ? Il y a tellement de possibilités que je ne que votre titre en 2013 a changé pour vous ? risque pas de m’ennuyer. Dans ma vie personnelle, rien ! Dans ma carrière, oui ça a changé des choses. C’est quand même un titre qui reste, dont on se sou- vient. C’était un moment génial, une course aboutie, un bon souve- nir. Maintenant, j’essaie gentiment de me détacher de tout ça. Je ne veux pas que ça me reste collé à la peau, j’ai envie de faire d’autres choses, d’aller chercher d’autres victoires, d’autres médailles. Je ne veux pas que ce titre soit trop lourd à porter. J’avais l’impression qu’après, j’avais des obligations, de faire un minimum requis. Mais non, il faut que j’arrive à me lâcher comme si j’étais une petite jeune qui arrive sur le circuit.