L'art Contemporain Ou Le Fétichisme Du Lucre
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L’art contemporain ou le fétichisme du lucre Marine Crubilé To cite this version: Marine Crubilé. L’art contemporain ou le fétichisme du lucre. Art et histoire de l’art. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2018. Français. NNT : 2018BOR30009. tel-01827296 HAL Id: tel-01827296 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01827296 Submitted on 2 Jul 2018 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Université Bordeaux Montaigne École Doctorale Montaigne Humanités (ED 480) THÈSE DE DOCTORAT EN « ARTS ET SCIENCE DE L’ART » MICA EA4426 L’art contemporain ou le fétichisme du lucre Présentée et soutenue publiquement le 1er juin 2018 par Marine CRUBILÉ Sous la direction de Bernard Lafargue Membres du jury M. Alain CHAREYRE-MÉJAN, Professeur des Universités, Esthétique, Université Aix- Marseille. (Rapporteur) M. Jacinto LAGEIRA, Professeur des Universités, Esthétique, Université Paris 1 Panthéon- Sorbonne. (Rapporteur) Mme. Mylène DUC, Professeure d’Esthétique, Expert, Université Montpellier 3. M. Pierre CABROL, Professeur de Droit, Expert, IUT Bordeaux Montaigne. Image de couverture : Vincent Gicquel, Attraction, huile sur toile, 190 x 140 cm, 2017. REMERCIEMENTS Je souhaite exprimer toute ma gratitude à mon Directeur de thèse Bernard Lafargue, qui a fait preuve à mon égard d’un soutien indéfectible et sans qui cette thèse n’aurait jamais vu le jour. Je remercie aussi les membres du jury d’avoir bien voulu me consacrer une part de leur précieux temps et de leur attention éclairée. Ma reconnaissance va également - A Florence Cathiard et à Christophe et Laurence Cadu-Narquet, pour m’avoir fait découvrir leurs collections, pour la gentillesse de leur accueil et le temps qu’ils m’ont consacré - A l’artiste Vincent Gicquel pour la passion qu’il a mise dans nos échanges, ainsi que pour m’avoir fait partager sa démarche de création - A ma famille, mes amis, mes collègues, la bande à Picsou et mimi pour leur patience, leur compréhension et leur soutien - Un haut et chaleureux merci, à Danièle, Pierre, Raphaël et Sandrine. Mes plus vifs remerciements vont - A Nicolas, pour sa présence et son soutien précieux - A mes parents et grands-parents qui m’ont donné le goût du travail, la volonté pour affronter les combats de la vie et finaliser cette aventure intellectuelle. - 7 - « Seulement en créateurs ! — Voici ce qui m’a coûté et ne cesse de me coûter les plus grands efforts : me rendre compte que la manière dont on nomme les choses compte indiciblement plus que ce qu’elles sont. La réputation, le nom et l’apparence, le crédit, la mesure et le poids usuel d’une chose — à l’origine le plus souvent une erreur et une décision arbitraire jetée sur les choses comme un vêtement, et totalement étrangère à son essence et même à sa peau —, à la faveur de la croyance qu’on leur accorde et de leur croissance de génération en génération, prennent en quelque sorte racine dans la chose et s’y incarnent progressivement pour devenir son corps même : l’apparence initiale finit presque toujours par se transformer en essence et agit comme essence ! Quel fou serait l’homme qui prétendrait qu’il suffit de montrer cette origine et cette enveloppe néBuleuse d’illusion pour anéantir le monde que l’on tient pour essentiel, la soi-disant « réalité » ! C’est seulement en créateur que nous pouvons anéantir ! — Mais n’ouBlions pas non plus ceci : il suffit de créer de nouveaux noms, appréciations et vraisemBlances pour créer à la longue de nouvelles « choses ». » Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, 581. 1 Friedrich Nietzsche, Le Gai savoir, Présentation et traduction par Patrick Wolting, GF Flammarion, Paris, 1997, pp. 112-113. - 9 - Introduction L’accroissement, en apparence sans fin, du prix des œuvres d’art peut assurément sidérer2 certains de ceux qui contribuent à cette fuite en avant et fasciner ceux qui n’en sont que simples spectateurs. Quoi de plus vertigineux à l’heure actuelle que les prix de certaines œuvres d’art contemporain ? Ils battent tous les records. Comme l’obsessionnel du jeu ne peut se passer de miser, le collectionneur d’art ne peut se dispenser d’acheter : symphonie enivrante, « métamonétaire », d’adjudications qui dépassent toutes les attentes, un record chassant l’autre, toujours un ton plus haut3. Observons ici en préalable que, si une œuvre d’art peut avoir une valeur, avec diverses acceptions du terme4, l’art n’a pas fondamentalement de valeur quantifiable sur un plan matériel. Plastiques et esthétiques, ses valeurs relèvent de l’immatériel. Ajoutons que, si ces différentes sortes de valeurs tissent entre elles des liens complexes et sans cesse changeants, l’intérêt croissant du grand public pour les œuvres à très forte valeur marchande, ainsi que l’appétence de certains collectionneurs vivants pour la notoriété, en lien avec une surexposition médiatique de ces phénomènes, ne doivent pas faire oublier le caractère essentiel de la part immatérielle irréductible de l’œuvre d’art5. 2 Au sens premier du terme. 3 En mai 2018, Christie’s dispersera à New York, la collection de Peggy et David Rockefeller, l’estimation de 600 millions de dollars pour l’ensemble laisse augurer un résultat jamais atteint. 4 Esthétique, économique, sociale, etc. 5 « Le monde de l’art étant aussi un marché, un flux de capitaux, un réseau de spéculations, un système économique globalisé et une œuvre d’art ayant aussi une valeur marchande, ce qui est absolument vrai, il ne faudrait pas en conclure que la valeur esthétique et artistique de ladite œuvre est contenue dans cette valeur marchande, ce qui est absolument faux » ; Jacinto Lageira, D’esthétique dévaluée, colloque Vers une nouvelle économie pour l’art, 24 et 25 mars 2011, Saline Royale d’Arc-et-Senans, p. 8. - 11 - La notion complexe de valeur de l’œuvre d’art recouvre plus précisément, au-delà de ses dimensions plastiques essentielles6, des aspects divers de reconnaissance (valeur sociale) et de profit (valeur économique), qui en paraissent aujourd’hui difficilement dissociables. en novembre 2013, le Balloon Dog orange7 atteint l’enchère la plus élevée jamais obtenue pour une œuvre d’un artiste vivant né après 1945, soit 58,4 millions de dollars. Son auteur, Jeff Koons, devient la nouvelle star éphémère du marché de l’art contemporain8, son record suscitant l’admiration, voire l’envie, de milliers d’individus ordinairement indifférents à l’art. Six siècles avant notre ère, Crésus9, roi de Lydie, faisait frapper à son nom la première pièce d’or connue, la créséide10, immédiatement objet de bien des convoitises. Vingt-six siècles plus tard, le « métal jaune », ou son équivalent pictural, est toujours sujet, sinon de vénération11, du moins de désir. Son odeur singulière mène le monde sur une voie pavée d’un matérialisme conduisant à croire, en toute conscience, que l’homme se définit par ce qu’il possède et non par ce qu’il est12 ! La question n’est pas ici de porter un jugement critique sur cette évolution. Cela a déjà été fait par les artistes eux-mêmes. « La mise en question de l’art, dans et par l’art, est allée de pair, au cours des années soixante et particulièrement en 1968, avec la contestation de l’œuvre et la dénonciation de l’argent13 », nous rappelle Raymonde Moulin. Elégante ironie avec laquelle Yves Klein stigmatise l’absurdité de l’accumulation de richesses en troquant des « zones de sensibilité picturale immatérielle14 » contre de la vulgaire poudre d’or avant d’officier en dispersant celle-ci en mer. 6 Au sens de primordiales. 7 Sculpture en acier poli coloré imitant un ballon de baudruche de 3 mètres de haut. 8 Pour les artistes vivants nés avant 1945, le record est détenu par Domplatz Mailand, toile figurative de Gerhard Richter exécutée en 1968, qui avait atteint en mai 2013, chez Sotheby’s à New York, 37,1 millions de dollars. 9 (651 - 541 av. J.-C.). 10 Il existe, en fait, des créséides en or et des créséides en argent. Les monnaies antérieures étaient en électrum, qui est un alliage d’or et d’argent que charriait naturellement le fleuve Pactole. 11 L’Ancien Testament, par exemple, l’associe, à travers la référence au Veau d’or, à la dénonciation de l’idolâtrie. 12 Par la valeur de ce qui lui appartient et non par les valeurs qui sont les siennes. 13 Raymonde Moulin, De la valeur de l’œuvre d’art, recueil d’articles, Flammarion, Paris, 1995, p. 107. 14 L’une de ces opérations, faisant intervenir l’écrivain Dino Buzzati, a été matérialisée en 1962 par la réalisation de photographies, dont un exemplaire est encore conservé dans les Archives Klein à Paris. - 12 - Percutante fraternisation, tranchant, l’air de rien, et la pauvreté des relations humaines15 et la vénalité du quotidien, que celle d’Orlan accordant ses baisers à qui veut bien s’acquitter envers elle du versement d’une modeste obole de cinq francs16 ! Féroce dénonciation d’un Jean Dubuffet sonnant l’hallali contre la malheureuse notion de culture, vantant l’existence d’une « collusion (de la culture) avec le commerce des œuvres d’art, les marchands s’appliquant, pour leur profit, à obtenir des prix élevés, lesquels sont ensuite générateurs de prestige17 », c’est-à-dire de reconnaissance sociale.