L'édito De François Mitterrand
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Charles l'édito de François mitterrand quand je partirai, ce sera sans remords et sans regret, je serai même – parce qu’il y a une certaine fatigue avec l’âge et le temps – un peu soulagé. Écoutez, vraiment, est-ce que je vais me plaindre ? Avoir eu le privilège immense d’être choisi deux fois par le peuple français pour présider aux destinées de la République, c’est beaucoup. Je suis comblé sur le plan de l’ambition politique. Beaucoup semblent le rechercher... Sur le plan de l’at- tachement que j’ai à ma fonction et aux responsabilités qu’elle implique, vraiment, c’est pour moi une tâche passionnante, dont je ne suis pas lassé : mais il est normal qu’il y ait un terme, dans une république... Le pouvoir m’intéresse toujours. Disons que j’ai moins d’appétit. Je ne regrette pas du tout de m’être présenté pour un second mandat. Si je ne savais pas qu’il y a un temps pour tout, qu’il ne faut pas abuser de ce que la vie vous apporte, que c’eût été donner un mauvais exemple pour la République, je n’aurais pas craint d’en faire un troisième. Rassurez-vous, je plaisante ; je suis raisonnable et n’y ai jamais pensé. L’heure de la relève a sonné. Je pars sans le moindre soupçon de regret ou d’amertume, aussi tranquil- lement que je suis venu, sachant que les problèmes politiques sont capitaux pour un pays. Mais il en est d’autres, qui touchent à la vie personnelle, à la vie et au destin individuels. Il me reste aussi à en traiter quelques-uns, et, ensuite, on verra bien… Si le créateur de toutes choses m’en laisse le temps, qu’est-ce que je ferai ? Comment faites-vous, vous, quand vous avez un peu de loisir ? On aime voyager, on aime lire et même se promener... On aime voir et apprendre. L’une des grandes incapacités de l’homme est d’imaginer l’avenir : on le voit toujours à l’image du présent. L’homme étant conservateur, il n’est pas porté à s’abstraire des données du présent. Il devrait faire plus confiance à son instinct, à l’extraordinaire faculté qu’a la vie de changer d’elle-même et, par conséquent, de vous changer en même temps. Déclarations, Paris Match, 19/01/95 ; Interview, Le Figaro, 13/03/95 ; Entretien accordé à Patrick Poivre d’Arvor et Paul Amar pour France 2 et TF1, 10/05/94 ; Les Forces de l’esprit, Fayard, 1998 ; Mémoire à deux voix, Odile Jacob, 1997. numéro 6 — 3 Renseignements généraux poLitburo une histoire avec... Je t'aime... moi non pLus Graine de star L'interview d'un charLes pour qui votez-vous ? © Autoportrait par Charb 4 numéro 6 — 5 Charles Renseignements généraux poLitburo « Ce sinCère absolu est en même temps un comédien consommé » Jean-Luc MéLenchon raconté par roger MarteLLi L’historien et militant communiste Roger Martelli dresse un portrait à la fois critique et aimable du leader du Front de gauche qu’il a rencontré lorsqu’il coprésidait la Fondation Copernic. illustrations Isaac Bonan longtemps, je n’ai connu jean-luc mélenchon que ne pouvais être du parti « de » Mélenchon. Cela ne de loin. Pour moi, il était un alter ego de Julien lui a pas fait plaisir. Cet homme, s’il ne fait pas de Dray. Rédhibitoire… Je l’ai découvert en 2003, cadeau, a en lui l’humanisme de la sincérité. La à un moment où se tissait peu à peu ce qui est fourberie le révulse. Ce calculateur est un homme devenu le mouvement antilibéral (2003-2007) et de l’émotion, pour qui Confiance est un maître qui a débouché en 2008 sur le Front de gauche. mot. En politique, cette qualité est une pépite. Nous avions rendez-vous dans un café. D’un coup, Nul n’ignore plus que c’est un animal à sang je me suis trouvé devant un homme attachant, chaud. Il a certainement de qui tenir : c’est un his- cultivé, réfléchi, passionné. Rien d’un politique pano-italo-pied-noir. Et il a fait partie de la branche froid, cynique et sûr de lui : un homme vivant. dite « lambertiste » du trotskisme français, comme Depuis que je l’ai rencontré, je n’ai jamais Jospin et Cambadélis. Au début des années 1970, regretté un seul instant notre compagnonnage. ces lambertistes étaient des gens rudes, hargneux, Nos distances ne sont pas anodines, notre confron- bagarreurs, formant un groupe austère et compact. tation d’idées peut être méditerranéenne et donc À les voir, on avait l’impression de comprendre tonitruante. Quand il a créé son parti, en 2008, je enfin pourquoi, étymologiquement, le militant et lui ai dit que je ne pouvais en être, que je rêvais le militaire partagent la même racine latine, miles d’une organisation rassemblant la totalité de la c’est-à-dire soldat. Ces soldats, toutefois, étaient gauche critique, à la gauche du Parti socialiste. Je aussi des malins. Une chapelle, mais en contact lui ai dit, donc, que j’envisageais sans problème avec une foule de socialistes, de syndicalistes, de d’être dans un parti « avec » Mélenchon, mais que je francs-maçons, de militants laïques. Au fond, 6 numéro 6 — 7 Charles Renseignements généraux méLenchon par marteLLi Tel jour, à la Tribune, il esT l’incarnaTion parfaiTe de jean-pierre chevènemenT, verbe eT gesTuelle inclus. Tel auTre jour, il esT dans les habiTs de de gaulle ce milieu numériquement modeste était une vraie allaient se porter vers le candidat socialiste fraî- école de politique, moins flamboyante que la Ligue chement désigné, la figure de proue du Front de communiste révolutionnaire rivale, mais solide. En gauche n’a pas voulu courir le risque de s’effacer. bien ou en mal, cela vous forme un homme. Le Journal du Dimanche lui propose à son tour un entretien. Il accepte : une grande page de nouvelle Mélenchon, en tout cas, est un homme de démonstration sérieuse, bien carrée. Mais au caractère entier. Il aime ou il n’aime pas ; résultat, détour d’une phrase, il glisse son « capitaine de on l’aime ou on ne l’aime pas. Moi, j’aime bien. Cet pédalo ». Bingo ! Le tumulte fait suite au silence, homme qui laisse parler ses tripes est un raison- toute la presse bruisse de la sortie de Mélenchon. Il neur opiniâtre, un politique à l’état pur. Méfions- est au centre du jeu. nous de ses colères, elles sont à la fois sincères Tout Mélenchon est dans ce petit exemple. Pour et calculées. En fait, il ne laisse pas grand-chose le comprendre, mieux vaut renoncer à la simplicité. au hasard. On se souvient de son « capitaine de Inutile de chercher à le ranger dans une case, valo- pédalo », pique dirigée contre Hollande en novembre risante ou dévalorisante. Cet homme qui a la dent 2011, au moment où les socialistes lançaient leur dure est un écorché. Cet intuitif est un débatteur campagne présidentielle. méthodique. Ce sincère absolu est en même temps L’expression a fait le buzz, comme on dit un comédien consommé. Tel jour, à la tribune, il est aujourd’hui. Personnellement, l’image m’avait plu, l’incarnation parfaite de Jean-Pierre Chevènement, non pas pour le capitaine, mais pour le pédalo : verbe et gestuelle inclus. Tel autre jour, il est dans quand tu nous tiens…). On peut ne pas goûter la n’avoir pas un mot plus haut que quand souffle le grand vent de la crise, il n’y a rien les habits de De Gaulle. Cet obstiné, têtu quand il manière un peu ancienne qu’il a d’évoquer la Répu- l’autre : il serait atrocement mauvais. de choquant à penser que le PS recentré est plus le veut, est un être subtil et mobile. Quotidienne- blique et la laïcité. On peut rester perplexe devant Il ne sied pas de le flatter : cela ne lui proche du pédalo, en termes de fiabilité, que du ment, il rejoue la Grande Révolution française et sa fascination pour Chávez. On peut regretter qu’il fait pas du bien. Il ne faut pas hésiter paquebot transatlantique ! Mon sentiment n’était Robespierre, mais il s’adapte dès que c’est néces- soit si souvent sur le fil du rasoir, à deux doigts de à le critiquer : il y a droit comme tout pas si partagé ; la formule choisie a fait grincer des saire. Il se gave de Saint-Just et de bolivarisme, confondre la pugnacité et la violence, la colère et le le monde. Mais il n’y a pas à le caricaturer. Il peut dents dans le Front de gauche… Il n’empêche qu’elle mais il avale aussi de l’écologie politique, dont il ressentiment. Mélenchon n’est pas ce que d’autres être un dogue, mais ce n’est pas un despote. Il peut a fait mouche. À la fin du week-end, la presse a n’était pas si friand au départ. Enfin, cet homme sont, et c’est tant mieux. Il n’est pas le tout de la être outré dans son langage, mais il est ridicule parlé presque davantage de la saillie de Mélenchon au parler abrupt est un intellectuel, convaincu que gauche de gauche et il ne faut surtout pas le laisser d’en faire un populiste. que des prestations du PS. Or « Méluche » avait la politique doit être pensée, exprimée, développée seul. Mais c’est une figure visible, une parole qui En bref, il n’y a aucune raison de lui faire des préparé son coup.