ÉTUDES DU CORPUS DES INSCRIPTIONS DU CAMPA IV. Les inscriptions du temple de Svayamutpanna: contribution à l’histoire des relations entre les pouvoirs cam et khmer (de la fin du XIIe siècle au début du XIIIe siècle)*

AMANDINE LEPOUTRE

Parmi les nombreuses sources épigraphiques, iconographiques ou manus- crites utilisées pour écrire le riche morceau d’histoire du Campa d’entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, qu’elles soient cam, khmères, vietnamiennes ou chinoises, une fut délaissée. Il s’agit des inscriptions cam du temple de Svayamutpanna. Elles furent à l’occasion employées par les chercheurs, mais, pour n’en citer qu’une, la plus importante d’entre elles, l’«inscription du premier piédroit de Phanrang» (C. 4) n’a été lue qu’une seule fois, partiellement, en 1891; et c’est à partir de ces informations frag- mentaires qu’on a tenté de comprendre, de rassembler, les faits entre eux. Il faut reconnaître que ces sources sont difficilement abordables puisqu’elles sont rédigées en cam et que pendant longtemps, ce sont les inscriptions du Campa rédigées en sanskrit qui ont eu la faveur des cher- cheurs. À l’exception d’Étienne Aymonier, le père fondateur des études cam, qui a fourni un travail considérable sur la langue cam, les épi- graphes rédigées dans cette langue restent, et ce jusqu’à aujourd’hui, une annexe aux études d’épigraphie du Campa.

* Les numéros I et II de cette série (ECIC) sont les articles d’Arlo Griffiths et William Southworth 2007 et 2011. ECIC III a été publié en 2012 ; il est signé par l’ensemble de l’équipe du Corpus des inscriptions du Campa (CIC), à savoir les deux auteurs précédem- ment cités, le professeur Thành Phån et moi-même. Les références de ces articles sont indiquées dans la bibliographie. Au moment où je termine les dernières corrections de cet article, je tiens à remercier les collègues et amis qui ont participé à sa réalisation: l’équipe du CIC, Andrew Hardy, Christian Lammerts, † Philipp Jenner, Julia Estève, Dominique Soutif, Philippe Papin, Philippe le Failler, Claude Jacques et † Gérard Moussay.

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Le post-doctorat que j’ai effectué à Hanoi1 m’a permis de passer de nom- breuses heures dans les réserves du musée d’histoire du où sont conservées les inscriptions du temple de Svayamutpanna. J’ai repris les lec- tures entières de ces textes que je présente dans cet article, assorties d’une interprétation historique. Ces lectures permettent de mieux comprendre les relations entre les pouvoirs cam et khmer à cette époque, et parfois même, par la présentation d’événements jusqu’alors compris différemment – la guerre de trente-deux ans par exemple – elles demandent une remise en perspective des relations de pouvoir khméro-cam telles qu’elles avaient été perçues. Avant même de présenter les inscriptions, la relative confusion qui règne sur le sujet abordé dans cet article ainsi que la disparité des publications laissent penser qu’il n’est pas inutile de rappeler, en guise de prologue, l’état des connaissances et les hypothèses existantes sur le sujet. Le résumé proposé ci-dessous est fondé sur les travaux d’Étienne Aymonier, de Georges Maspero, de Georges Cœdès, de Louis Finot, de Claude Jacques, d’Anne- Valérie Schweyer et de Mickael Vickery. Afin de le rendre plus intelligible, je l’ai construit en deux parties: le corps du résumé est l’histoire telle qu’elle est racontée dans les deux ouvrages généraux sur le Campa qui, selon moi, font référence: le Royaume du (1928, p. 163-169) de Maspero et les États hindouisés d’Indochine et d’Indonésie (1964, p. 299-332) de Cœdès. Les points de vue divergeants, les observations et les critiques émises par les autres chercheurs sont présentés en notes de bas de pages puisque, bien qu’essentiels au débat, nombre de ces questionnements restent sans réponse et rendent ainsi la compréhension des faits particulièrement ardue. Ce rappel des connaissances est une entrée en matière qui permettra ensuite de souligner les points qui seront développés dans l’article2. La prise d’ par les Cams (1177) C’est sous le règne de Jaya Indravarman IV3 que les Cams s’emparèrent d’Angkor. Au pouvoir depuis 1166-7, ce souverain s’assura la neutralité du

1 De septembre 2010 à avril 2011. Ces sept mois de recherche ont été financés par l’École française d’Extrême-Orient (EFEO) via une bourse de recherche puis un finance- ment de la Fondation Toyota pour le programme EFEO du CIC. 2 Sauf mention particulière, les dates citées dans le résumé et dans l’article sont de l’ère chrétienne. 3 Vickery (2005, p. 60) note que Maspero et Cœdès confondaient, sous ce même nom, Jaya Indravarman de Gramapuravijaya et Jaya Indravarman On Vatuv. C’est le premier qui attaqua Angkor et détrôna Tribhuvanadityavarman. Les dates des inscriptions rédigées sous le règne Journal Asiatique 301.1 (2013): 205-278

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∑æi Viπt en 1170 avant d’attaquer le royaume khmer. La première tentative fut par voie terrestre4 cette même année, mais elle resta «sans vainqueur ni vaincu5». Alors en 1177, guidés par un naufragé chinois, les Cams organi- sèrent une seconde attaque du pays khmer, cette fois-ci par mer: leur flotte longea la côte en direction du Sud jusqu’aux bouches du Mékong et de là, elle remonta le Tonlé Sap pour atteindre Angkor. Les Khmers furent surpris, Ang- kor fut pillée et Tribhuvanadityavarman, l’usurpateur alors au pouvoir, fut tué6. Cet usurpateur était à la tête du royaume khmer depuis 1166. Auparavant avait régné le roi Yasovarman II, le successeur du roi Dhara∞indravarman II. Lors du décès de ce dernier roi, son fils, le futur Jayavarman VII, se trouvait au Campa, à Vijaya (actuelle province de Bình ∑înh) où il conduisait une expédition mili- taire. La nouvelle de la mort de son père l’avait incité à rentrer au Cambodge afin de secourir le roi Yasovarman dont le pouvoir était menacé par Tribhuva- nadityavarman, et surtout de faire valoir ses droits sur le trône. Mais rien n’y fit: Yasovarman fut tué et l’usurpateur monta sur le trône du royaume khmer. Le futur Jayavarman devait attendre quinze années avant d’accéder au pouvoir7.

de Jaya Indravarman de Gramapuravijaya sont 1163, 1164, 1165, 1167, 1168, 1170 et peut-être 1183. Schweyer (2007, p. 67) note qu’aucun lien ne peut être établi entre ces deux rois. 4 Vickery (2005, p. 58-59): la stèle du Phimeanakas (K. 485) nous informerait de cet événement. Elle fut gravée entre 1166, date de la prise du pouvoir par Tribhuvanaditya- varman qui régnait sur le royaume khmer, et 1181, date de l’avènement de Jayavarman VII, mais elle n’est pas datée. L’invasion terrestre qui est mentionnée dans cette inscription pourrait être cam, bien que cela ne soit pas explicitement énoncé. 5 Maspero (1928, p. 163). Cette première attaque d’Angkor n’est pas présentée dans l’ouvrage de Cœdès. 6 Vickery (2005, p. 58-59, 66 et 69): les Cams devaient connaître les routes qui menaient au royaume khmer et n’avaient nul besoin de l’aide d’un chinois pour les guider. Par ailleurs, quel que soit le chemin emprunté, le trajet jusqu’au Cambodge devait durer un certain temps. Il dut être difficile de surprendre les Khmers. On ne trouve aucune mention de la date 1177 dans les inscriptions khmères. Les sources khmères qui présentent les luttes entre les Cams et le Khmers à cette époque, sont: – L’inscription du Phimeanakas (K. 485), mentionnée dans la note précédente, qui évoque une invasion terrestre, non datée, mais que l’on estime s’être déroulée entre 1166 et 1181. Elle renvoie peut-être à l’invasion cam de 1170. – L’inscription de Banteay Chhmar (K. 227) dont la lecture est incomplète mais qui laisse néanmoins apparaître une bataille entre les Cams et les Khmers au Campa au cours de laquelle les Khmers furent vaincus. Les faits rapportés dans cette inscription furent iden- tifiés par Cœdès comme ceux impliquant le fils de Jayavarman VII dans les années 1160. – Les bas-reliefs du Bayon et de Banteay Chhmar qui représentent les combats entre deux flottes. Ces derniers furent interprétés comme ceux entre les Cams et les Khmers. Des combats terrestres sont aussi représentés. La date de 1177 fut extrapolée depuis la lecture des sources chinoises. Elle n’est citée ni dans les textes khmers, ni dans les textes cam. Voir aussi Schweyer (2007, p. 66-67). 7 Vickery (2005, p. 61) pose les questions suivantes: quelles étaient les relations entre Jayavarman et les rois cam à Vijaya? Quelle était notamment la relation du futur souverain Journal Asiatique 301.1 (2013): 205-278

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Antérieurement à sa consécration, Jayavarman devait mener plusieurs batailles, dont une navale qui libéra le pays des envahisseurs8. Quatre années après l’invasion de 1177, en 1181, Jayavarman fut sacré9. Avant de partir à la conquête du Campa, le souverain khmer dut réprimer une révolte à Malyan (dans le sud de l’actuelle province de Battambang). À cette fin, il fit appel à un prince cam nommé Vidyanandana dont on sait qu’«Au temps de sa prime jeunesse, en çaka 1104 [1182 de n. è.], il alla au Cam- bodge. Le roi du Cambodge, voyant qu’il avait les trente-trois marques au complet, le prit en affection et lui enseigna, comme à un prince, toutes les sciences et toutes les armes. Pendant qu’il demeurait au Cambodge, il y eut dans ce royaume une ville, nommée Malyan, peuplée d’une foule de mauvaises gens et dont les Cambodgiens s’étaient emparés, qui se révolta contre le roi du Cambodge. Celui-ci, voyant que le prince était très habile dans toutes les armes, le chargea de conduire les troupes cambodgiennes prendre la ville de Malyan. Il lui conféra la dignité de yuvaraja et lui donna toutes les jouissances et tous les biens qui se trouvaient dans le royaume du Cambodge10».

L’annexion du Campa par Jayavarman VII (1190-1220) Le souverain khmer avait «juré de tirer de ses ennemis une vengeance éclatante11». En 1190, Jayavarman VII attaqua le Campa12: s’étant assuré la neutralité du souverain viπt, le roi khmer profita d’une agression cam pour mobiliser des troupes dont la direction fut laissée au prince Vidyanan- dana. Ce prince cam qui, nous venons de le voir, avait réprimé la révolte de Malyan au début du règne de Jayavarman, servit d’instrument au roi khmer dans sa revanche contre le Campa. Il s’empara de la «capitale du

khmer avec Jaya Indravarman, le roi cam qui aurait envahi Angkor? Les inscriptions cam présentent nombre de données sur les relations entre Jayavarman et les princes cam. Cependant, ni l’invasion cam de 1177, ni la moindre occupation d’Angkor par les Cams ne sont évoquées. 8 Selon Cœdès, cette ultime bataille navale serait celle représentée sur les murs du Bayon et de Banteay Chhmar. Le récit de Maspero ne mentionne pas cette bataille libéra- trice. Ce dernier auteur dit que les Cams se retirèrent du royaume khmer avec un butin considérable après l’attaque de 1177. Jacques (2007, p. 37), au sujet de la bataille repré- sentée sur les bas-reliefs du Bayon et de Banteay Chhmar, note que «it is realistically situated on the Tonle Sap, but one does not know exactly when it occurred or if it is correct to locate the battle during the ‘liberation’ of Angkor. It could also have taken place when the , defeated at Angkor, were trying to escape and return to their country». 9 Selon Jacques (2007, p. 37), Jayavarman VII fut sacré en 1082-1083. 10 Inscription C. 92 face c, traduction de Finot (1904, p. 974-975). 11 Maspero (1928, p. 164); Cœdès (1989, p. 311): les deux auteurs se fondent sur Ma Touan-Lin, Méridionaux, trad. d’H. de Saint-Denys, p. 487. 12 Aymonier (1891, p. 52); Schweyer (2005, p. 124 et 2007, p. 69): selon ces deux auteurs, la «guerre de trente-deux ans» aurait débuté à cette date, en 1190.

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Campa13» et du roi Jaya Indravarman IV14 qui fut prisonnier et emmené au Cambodge. Le roi cam fut remplacé par le prince In, le beau-frère du roi khmer, qui régna sur le pays de Vijaya sous le nom de Suryajayavar- man. Quant à Vidyanandana, il se réserva Rajapura, dans le pays de Pa∞∂uranga, où il régna sous le nom de Suryavarman. Le Campa était ainsi divisé en deux royaumes: la partie septentrionale était gouvernée par un membre de la famille du roi du Cambodge, tandis que le royaume méridio- nal l’était par un souverain cam, vassal du souverain khmer. L’année suivante, en 1191, une révolte éclata à Vijaya. Le beau-frère de Jayavarman fut évincé et remplacé par un prince cam, Paghupati, qui prit le nom de Jaya Indravarman V15. Jayavarman ne reconnut pas l’autorité de ce nouveau dirigeant de Vijaya et autorisa Jaya Indravarman IV, l’ancien roi du Campa qui était son prisonnier au Cambodge, à partir pour le royaume de Vijaya dans le but de reprendre le trône. En chemin vers son ancien royaume, Jaya Indravarman IV passa à Rajapura demander l’aide de Vidyanandana- Suryavarman. Ce dernier «conduisit les troupes cambodgiennes avec Jaya Indravarman [IV]; il prit Vijaya, s’empara de Jaya Indravarman cei Paghupati [V], qu’il mit à mort, et régna sur le nagara de Vijaya16». Jaya Indravarman IV se révolta et tenta de reprendre le pouvoir à Vijaya. Vidyanandana-Surya- varman lui livra bataille, le vainquit, l’obligeant à fuir. Jaya Indravarman IV fut tué. Ainsi, s’étant débarrassé des deux Jaya Indravarman, Vidyanandana- Suryavarman unifia les deux royaumes qu’il gouverna en 1192 sans être confronté à la moindre opposition. Jayavarman tenta toutefois, à deux reprises, en 1193 et 1194, de ramener ce souverain cam à l’allégeance mais en vain. En 1199, Vidyanandana-Suryavarman reçut l’investiture du roi viπt. C’est en 1203 qu’il est renversé par son oncle paternel, le yuvaraja on Dhanapatigrama, alors à la solde du royaume khmer. En grande difficulté, les demandes d’asile qu’envoyait Vidyanandana-Suryavarman au souverain viπt restèrent lettre morte. Ce souverain cam disparut sans laisser de traces. On Dhanapatigrama dut ensuite faire face à plusieurs révoltes. Sa bravoure lui permit d’acquérir un titre, sans doute celui de gouverneur de la province17.

13 Maspero (1928, p. 165); Cœdès (1989, p. 312): les deux auteurs se fondent sur Aymonier (1891, p. 48). 14 Selon les travaux de Vickery et de Schweyer, ce souverain n’est pas celui qui régnait lors de l’attaque d’Angkor (Jaya Indravarman de Gramapuravijaya) mais Jaya Indravar- man On Vatuv, cf. note 3. 15 Cette date, 1191, est proposée par Maspero. Elle n’est mentionnée dans aucune source mais selon cet auteur, elle est probable puisque l’on sait que le roi du Cambodge envoyait une expédition contre Jaya Indravarman V en 1192. 16 Inscription C. 92, face B, traduction de Finot (1904, p. 975). 17 L’inscription C. 90, face D, ne permettant de lire que la fin de cette titulature °putra, Maspero envisageait qu’il pouvait s’agit du titre rajaputra ou devaputra. Cœdès ne pré- sente pas cette information dans son ouvrage.

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De 1203 à 122018, le Campa, devenu province khmère, est gouverné par ce personnage. Au début de cette période, le prince Ansaraja de Turai-Vijaya (un petit-fils d’un ancien roi cam) rejoignit On Dhanapatigrama. Ce prince cam avait été élevé à la cour de Jayavarman et fut promu yuvaraja par le roi khmer en 1201, avant d’aller rejoindre On Dhanapatigrama au Campa19. Le prince Ansaraja dirigea une armée cambodgienne, des contingents birmans et siamois contre le ∑æi Viπt, dans la province de Nghπ An. Les documents qui relatent ces attaques se s’accordent ni sur les dates, ni sur l’issue des combats. Les sources cam disent que l’attaque eut lieu en 120720, qu’elle se solda par de lourdes pertes humaines du côté vietnamien, alors que les textes vietna- miens avancent deux dates, 1216 et 1218, et ajoutent que le gouverneur du Nghπ An dispersa les troupes ennemies21.

Le Campa après la fin de l’occupation khmère (1220-1252) En 122022, au moment de la disparition de Jayavarman, «les khmers allèrent au saint pays et les gens de Champa vinrent à

18 Maspero et Cœdès ne s’étendent pas sur la date 1220. Je profite de cette occurrence dans leurs récits pour préciser que le terme de la «guerre de trente-deux ans» fut fixé en 1220 par Vickery (2005, p. 72). 19 Vickery (2005, p. 72-73): la plupart des informations portant sur le passé du prince Ansaraja ne se trouvent pas dans les textes. Par ailleurs, le sort d’on Dhanapatigrama est inconnu. Maspero confondait ce personnage avec le yuvaraja MnagaÌna on Dhanapati dont l’existence est prouvée par une courte inscription, les dernières lignes de la face c de C. 92, datée de 1244. Selon ce texte, le yuvaraja MnagaÌna on Dhanapati gouvernait le Campa (Vickery précise que la lecture des dernières lignes de C. 92, face c, est incertaine). Ces informations ne s’accordent pas avec celles dont on dispose, l’inscription C. 6 notam- ment, d’après laquelle le roi Jaya Paramesvaravarman (le nom sous lequel régna le prince Ansaraja, nous le verrons plus loin) gouvernait cette même année au Pa∞∂uranga. Ces deux rois devaient être rivaux, contrôlant deux États du Campa, l’un au Nord, l’autre au Sud. 20 Cette lecture d’Aymonier fut corrigée par Jacques: 1201. Cf. ci-dessous, l’inscrip- tion C. 4. 21 Schweyer (2007, p. 70): cette attaque du Nghπ An fut menée par le Nord du Campa, les régions Centre et Sud étant occupées à la guerre de trente-deux ans (1190-ca. 1220) contre le Cambodge. 22 Vickery (2005, p. 72): «These Champa inscriptions of the end of the twelfth century were the work of Champa chieftains who had at times been allies of Jayavarman VII, and they reflect some degree of sympathy with his activities. There is then a long break in the epigraphy until the 1220s, when three inscriptions (C4/1220, 1227, Phan Rang, C30B4/1226, Nha Trang, and C86/1230, 1234 My Sơn) refer retrospectively to a 32-year war with and show a quite different attitude toward their neighbour and its relations with Champa». Schweyer (2007, p. 70): «The Cham inscriptions at the end of the 12th century reflect a degree of sym- pathy with Jayavarman VII’s activities, but this has evaporated in the inscriptions of the 1220s. C.4 says that in 1220 Jaya Paramesvaravarman was victorious over the Khmers and C.86 claims he is the sole ruler of Champa. Cham-Khmer collaboration has disappeared».

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Vijaya23». «Ainsi finit cette guerre de Cent ans entre les Chams et les Khmers. Ceux-ci, désormais, occupés par un nouvel ennemi, le Siam, ne rêveront plus la conquête du Champa. Ils se borneront, seule- ment, au long des siècles, à suivre les événements qui se succéde- ront dans ce royaume, et les aventuriers avides de butin et d’honneurs iront, à la tête de bandes irrégulières, mettre leurs forces au service des différents prétendants et prendre une large part à toutes les guerres civiles24». C’est à ce moment-là qu’Ansaraja régna. Six années plus tard, en 1226, il reçut la consécration royale et prit le nom de Jaya Paramesvaravarman (II)25. Le souverain fit construire des palais, des temples à Sri Vijaya, et érigea des dieux qu’il dota de leurs richesses d’antan. Il reconstruisit le pays, restaura les travaux d’irrigation, défricha les terres et pacifia les régions insoumises. À la fin du règne de Jaya Paramesvaravarman, le Campa était en conflit avec le ∑æi Viπt qui était gouverné, et ce depuis 1225, par la dynastie des Trån. Le souverain vietnamien, Trån Thái Tôn, excédé par les actes de piraterie des Cams sur les côtes du ∑æi Viπt, réclamait la rétrocession de trois provinces septentrionales du Campa que les deux pays se disputaient. En 1252, le ∑æi Viπt attaqua. Cette expédition militaire fit de nombreux prisonniers, et c’est peut-être à ce moment-là que le roi cam disparut. Le frère de Jaya Paramesvaravarman, Jaya Indravarman VI, lui succéda à une date inconnue. Il régnait en 1254.

Le but de la présente étude est de proposer une interprétation nou- velle fondée sur les lectures complètes des inscriptions du temple de Svayamutpanna. La première partie de l’article situe mon propos. J’y présente le contexte de la découverte des inscriptions, les inscriptions elles-mêmes et des éléments chronologiques relatifs à la gravure des textes. La deuxième partie est épigraphique. Outre les lectures et les traductions des inscriptions, trois points philologiques sont discutés. Enfin, je présente une interprétation historique en reprenant certains des questionnements toujours en suspens. Je reviens sur les points sui- vants:

23 Maspero (1928, p. 168). 24 Maspero (1928, p. 169). 25 Schweyer (2004, p. 125): Jaya Paramesvaravarman régna probablement sur le Sud du Campa.

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– La guerre de trente-deux ans, ignorée dans les deux ouvrages de réfé- rence, qui dut commencer autour des années 1190 et se terminer dans les années 1220. Elle correspondrait donc à la période de «l’annexion du Campa par Jayavarman VII». Nous verrons si ces deux périodes sont assimilables l’une à l’autre. – Le prince Ansaraja, le futur Jaya Paramesvaravarman II, dont le passé est fondé sur des preuves fort peu tangibles et dont le règne est si peu connu. Quelle est sa relation avec le souverain khmer? – Les inscriptions gravées à partir des années 1220, celles présentées dans cet article, témoignent-elles réellement d’un tournant dans les relations entre le Cambodge et le Campa? – Et enfin quelles sont ces attaques du ∑æi Viπt datées du début du XIIIe siècle? Quelle est la relation du Campa avec son voisin septentrional?

*** Les inscriptions du temple de Svayamutpanna Le temple de Svayamutpanna n’a pas le renom de ceux de My Sơn ou de , situés plus au nord du Campa (respectivement dans l’ancien État cam que l’on nomme communément Amaravati et au Ku†hara26, les provinces actuelles de QuÒng Nam et de Khánh Hòa), ou de celui de Po Klaong Girai, localisé dans la même région que le site qui nous intéresse, au Pa∞∂uranga (provinces actuelles de Ninh Thu°n et de Bình Thu°n). Au début de mes recherches pour cet article, je doutais même que ce temple ait réellement existé. En effet, les quelques écrits qui suggèrent l’existence de ce sanctuaire, ceux-là même qui présentent les inscriptions de Svayamutpanna, indiquent avant tout que les éléments architecturaux qui portent les inscriptions n’ont pas tous été retrouvés au même endroit. La mention d’une même divinité, Svayamutpanna, dans cet ensemble d’inscriptions éparses aurait laissé les chercheurs présumer qu’il existait auparavant un temple dédié à cette divinité. Or ce temple a bien existé. Le peu d’intérêt qu’il a suscité résulte du fait qu’au début du XXe siècle, il n’en subsistait plus que des ruines. On

26 L’othographe adoptée pour le nom de cet état est la plus ancienne connue, celle attestée dans l’inscription C. 217. Cf. Griffiths et Southworth (2007, p. 356). Le nom est plus généralement connu sous la forme Kau†hara.

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conçoit aisément qu’à cette époque, au moment où la découverte de monuments cam bien plus remarquables que le temple de Svayamutpanna retenait l’attention de tous, l’étude du site était compromise. Le temple de Svayamutpanna fut néanmoins l’objet d’une courte notice sous le nom de «groupe cam de Phanrang» dans l’Inventaire de Henri Parmentier. Lors de la présentation des objets cam qui étaient conservés à la Rési- dence de Phan Rang, Parmentier (1909, p. 79) nous apprend que «le plus grand nombre provient d’un sanctuaire dont l’emplacement se trouvait dans les rizières de la Mission (…) en un point qui forme le sommet d’un angle droit ainsi déterminé: les côtés passent par la résidence et la façade de l’église et de celle-ci on voit ce point dans une direction N. 20°E. Le monument, en plaine, semble avoir été orienté à l’E. Il dut comporter au moins deux kalan et un autre édifice en maçonnerie; en effet, parmi les débris qui en subsistent se voient trois linteaux, dont deux inscrits, et il est fort rare que des inscriptions soient gravées sur d’autres bâtiments que les sanctuaires. De cet ensemble assez important il ne subsiste qu’un tertre informe que la culture des rizières réduit chaque jour»27. Parmi les vestiges de ce «groupe cam de Phanrang28», Parmentier relevait cinq éléments architecturaux portant une inscription29.

27 † Gérald Moussay, archiviste des Missions Étrangères de Paris (MEP) ayant vécu de nombreuses années à Phan Rang, confirmait que des vestiges cam ont été retrouvés sur le terrain de l’ancienne mission catholique de Phan Rang, et ce jusque dans les années 1970. Il précisait que l’ancienne mission de Phan Rang correspond à l’actuelle paroisse de Tân Tai, autrefois appelée Dinh Thuy. Les rizières de la mission s’étendaient après l’église, en direction de la mer. Malgré ces informations, il reste difficile de localiser avec précision le lieu où s’élevait le temple de Svayamutpanna. 28 Parmentier nomme le sanctuaire «de Svayamutpanna» dans le deuxième volume de son Inventaire (1918, p. 77). Il datait alors ce sanctuaire de l’année 1155 s/1233 de n. è., la date qui est citée dans l’inscription C. 3.2. Or, un culte à Svayamutpanna est attesté au Pa∞∂uranga dès le règne de Satyavarman: cf. les inscriptions de Phước Thiπn (C. 217) et de Hoà Lai (C. 216) qui ont été étudiées par Griffiths et Southworth respectivement en 2007 et 2011 (les passages réservés à la divinité Svayamutpanna se trouvent p. 365-366 (2007) et p. 10 et 19 (2011) de ces deux articles). L’inscription C. 216, face C, l. 12 témoigne de l’existence d’un «sanctuaire de Sri Svayamutpannesvara» pour lequel le roi Satyavarman établit un hospice en 700 s/778 de n. è. On pourrait identifier ce sanctuaire au site décrit par Parmentier. La fondation de ce temple ne daterait alors nullement du XIIIe siècle mais remonterait au moins au VIIIe siècle. 29 La présentation des éléments architecturaux gravés dans l’Inventaire de Parmentier est en partie fondée sur l’article de Finot (1903, p. 634-635) où les trois piédroits sont qualifiés de piliers.

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Le «premier piédroit de Phanrang» qui fut retrouvé à «quelques cen- taines de mètres de la Mission catholique30» mesure 1,63 ≈ 0,31 ≈ 0,34 m. Fait de grès, il porte l’inscription C. 4 qui est rédigée en cam sur deux des faces de cette pierre. Vingt et une lignes composent le texte inscrit sur la face A et vingt lignes celui gravé sur la face b. Le texte de la face A et les seize dernières lignes de la face b sont gravés de la même écri- ture tandis que les quatre premières lignes de la face b le sont d’une écriture différente. L’inscription présente trois dates sur la face A: 1123 s/1201 de n. è., 1142 s/1220 de n. è. et 1148 s/1226 de n. è. Le «second piédroit de Phanrang» en grès, supposément le corres- pondant architectural du premier (1,59 ≈ 0,32 ≈ 0,31 m), est gravé sur l’une de ses faces de l’inscription C. 5 qui comprend vingt lignes rédi- gées en cam. Ce piédroit brisé au sommet est présenté comme étant «de même provenance31» que le précédent. L’inscription ne mentionne aucune date. Le dernier piédroit, appelé «stèle de Lomngö», également en grès, mesure 1,44 ≈ 0,34 ≈ 0,43 m. Il a été trouvé à l’embouchure de la rivière de Phan Rang où il servait de borne entre deux villages vietnamiens32. Son inscription, C. 7, se compose de deux textes rédigés en cam (quatre et onze lignes) gravés dans des écritures différentes sur une même face de la pierre. Elle est l’une des plus connues puisqu’elle a été martelée de caractères chinois en 1836, lors de la révision cadastrale qui eut lieu sous le règne de l’empereur Minh Mæng. L’inscription présente une date par- tiellement lisible. Les deux dernières inscriptions sont gravées sur des linteaux. Celui qui fut nommé le «premier linteau de Phanrang», en grès, mesure 0,26 ≈

30 Finot (1903, p. 634). Aymonier (1891, p. 50): l’inscription C. 4 est gravée sur le «montant d’une porte de tour trouvée avec le précédent fronton [C. 3] à Cho-Dinh». 31 Finot (1903, p. 634). Par cette localisation, il faut comprendre que ce piédroit pro- vient également du temple de Svayamutpanna. Aymonier n’ayant pas présenté cette ins- cription dans son article publié en 1891, on ne trouve pas d’autres données relatives à la localisation de cette inscription. 32 Ces informations de Finot sont conformes à celles que présentait Aymonier (1891, p. 52). La mention de la divinité Svayamutpanna dans le texte gravé sur ce piédroit est sans doute l’indice qui permit aux chercheurs d’identifier cet élément architectural comme étant «probablement de même provenance que les précédents» (Finot 1903, p. 634), c’est- à-dire l’un des piédroits du temple de Svayamutpanna.

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2,03 ≈ 0,55 m. De «même provenance33» que les trois piédroits, l’ins- cription C. 3 est composée de deux textes. La pierre, auparavant utilisée comme piédroit, a été gravée sur deux de ses faces. Lors du réemploi de ce piédroit comme linteau, la première inscription fut arasée afin d’y graver une nouvelle, horizontale, de trois lignes. Outre cette inscription de trois lignes, les six premières lignes et les cinq dernières lignes du texte inscrit sur la pierre lors de sa première utilisation restent partielle- ment lisibles. Ces deux inscriptions, clairement distinguables grâce aux graphies et aux différents sens de lecture des textes, sont rédigées en cam34. L’inscription sur le linteau présente la date 1155 s/1233 de n. è. Enfin le «second linteau de Phanrang» en grès, de même provenance35, mesure 0,26 ≈ environ 1,98 ≈ 0,49 m. Il porte l’inscription C. 6 qui com- prend deux textes de deux lignes rédigés en cam dans deux écritures différentes. Parmentier nous informe que la largeur de la porte indiquée par la trace des impostes est d’environ 1,75 m. L’inscription présente trois dates: 1152 s/1230 de n. è. et 1166 s/1244 de n. è. pour le premier texte; 1196 s/1274 de n. è. pour le second. Les cinq éléments architecturaux qui étaient en dépôt à la Résidence de Phan Rang au moment où Parmentier établissait son Inventaire, furent déplacés au musée Louis Finot, l’actuel musée d’histoire du Vietnam à Hanoi, en 191036.

À l’exception du second texte de l’inscription C. 6 (celui daté de 1274), il est admis que tous ont été rédigés sous le règne du roi ordi- nairement dénommé Jaya Paramesvaravarman II. De ce roi, on sait qu’il portait le nom d’Ansaraja avant son sacre, et qu’il était originaire de

33 Finot (1903, p. 634): Par cette localisation, il faut ici aussi comprendre que ce lin- teau provient du temple de Svayamutpanna. Aymonier (1891, p. 49): la pierre portant l’inscription C. 3 a été retrouvée «enfouie à 1 kilomètre environ de Cho-Dinh, le marché principal actuel de la vallée de Panrang». 34 La lecture ainsi que la traduction des deux inscriptions de C. 3 ont été publiées dans ECIC III, p. 443-445. 35 Finot (1903, p. 635). Aymonier n’a pas présenté cette inscription dans l’article qu’il publia en 1891. 36 Au moment du déplacement des inscriptions cam du musée de l’École française d’Extrême-Orient de Saigon à Hanoi en 1910, la collection fut complétée par d’autres inscriptions dont celles du temple de Svayamutpanna. Cf. Finot (1915, p. 2).

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Turaiy Vijaya, une localité qui est précisée dans sa titulature royale mais que nous ne pouvons pas situer sur une carte géographique. Or, une confusion entre ce roi et l’un de ses prédécesseurs, Paramesvara- varman37, fut relevée par Jacques lors des séminaires qu’il tint à l’École Pratique des Hautes Études entre 1975 et 1978. Lors de son étude de l’inscription de Hòn ∑~ (C. 210)38, Jacques notait que le roi qui est cité dans cette inscription, Paramesvaravarman, fut appelé Jaya Paramesvaravarman I par les historiens. Cette appelation du souverain repose sur une des hypothèses émises par Bergaigne (1888, p. 79) puis tranchées par Aymonier (1891, p. 28) qui attribua la gravure de l’inscription non datée C. 30 B2 au règne d’un Jaya Paramesvaravar- man autre que celui des inscriptions de Svayamutpanna. C’est afin de distinguer ces deux rois qu’on les nomma Jaya Paramesvaravarman I et II. Or, comme Jacques le signala, C. 30 B2 fut rédigée sous le règne de celui qu’on a appelé Jaya Paramesvaravarman II39, le seul finalement à porter ce nom puisque son prédécesseur n’était appelé autrement que Paramesvaravarman40. L’année suivante, Jacques proposa de diviser en deux le corpus des inscriptions du temple de Svayamutpanna. Son étude de l’inscription C. 3.241 (datée de 1233) l’amena en effet à se questionner sur l’identité du souverain qui y est cité, et dont la titulature montre qu’il n’était ni le prince Ansaraja, ni originaire de Turaiy Vijaya, mais un général (senapati) Rama- deva: «il semble qu’il faille comprendre qu’on ait là le nom du roi lui- même avant qu’il ne se fît couronner. Ainsi, ce roi Jayaparamesvaravarman serait sans doute différent du roi du même nom, de Turai dans Vijaya, qui

37 Le roi Paramesvaravarman régna durant la seconde moitié du XIe siècle. Cf. Schweyer (2009, p. 24-37). 38 Jacques (1976, p. 951-953). Concernant l’attribution de ce numéro C. à l’inscription du pilier de Hòn ∑~, voir ECIC III, p. 472 et 487. 39 Cf. C. 30 B2, l. 1: «Jaya Paramesvaravarman de Turaiy Vijaya», la titulature du roi qui régnait au début du XIIIe siècle. La lecture de cette inscription est présentée en annexe de cet article, p. 261. 40 Cf. C. 13, C. 119, C. 120, C. 122, C. 126 et C. 210. On notera par ailleurs que la confusion entre ces deux noms est fréquente: Schweyer nomme le roi Jaya Paramesvara- varman sous ce nom (2007, p. 70) et Paramesvaravarman (2007, p. 68) alors qu’il s’agit du même souverain. 41 Jacques (1977, p. 989-990). Une étude de cette inscription a été proposée dans ECIC III, p. 443-445.

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prit le pouvoir suprême au Champa vers 1220 AD». Jacques proposa donc de distinguer ces deux rois: Jaya Paramesvaravarman I serait Ansa- raja, le prince venu de Turaiy Vijaya, et Jaya Paramesvaravarman II, celui qui était le général Ramadeva avant de prendre le pouvoir, et qui succéda au premier entre 1226, la date de la consécration du premier, et 1233, la date de l’inscription C. 3.2. L’inscription C. 6 fut aussi considérée par Jacques comme une inscription rédigée sous le règne de Jaya Paramesva- ravarman II puisque sa rédaction est postérieure à celle de C. 3.2. Jacques intégra également les inscriptions C. 5 et C. 7 au corpus des inscriptions de ce roi, laissant ainsi l’inscription C. 4 comme la seule qui aurait été gravée sous le règne du premier Jaya Paramesvaravarman, celui de Turaiy Vijaya. Je ne suis pas tout à fait du même avis: s’il faut reconnaître que C. 4 est la seule inscription mentionnant formellement le nom d’Ansaraja dans la titulature royale (C. 4, face b, l. 6-7), rien ne prouve que les inscriptions C. 5 et C. 7 aient été gravées sous le règne de l’un ou l’autre de ces rois: elles ne sont pas datées, et le titre de général Ramadeva n’apparaît pas plus que celui d’Ansaraja dans la titulature du souverain. Quant à l’inscription C. 6, son premier texte est en effet daté de 1244, ce qui autoriserait son intégration au corpus des inscriptions de ce second Jaya Paramesvaravarman; mais le contenu de cette inscription mentionne également la date 1230. La continuité qui caractérise ce texte laisse penser qu’un même roi gouvernait entre ces deux dates, de 1230 à 1244. Si un autre Jaya Paramesvaravarman succédait à celui de Turaiy Vijaya, il aurait plus vraisemblablement conquis le pouvoir entre 1226 et 1230. Il me semble en fait que cette division du corpus n’a pas lieu d’être. En effet, ce roi a laissé d’autres inscriptions ailleurs au Campa, notam- ment à My Sơn et à Po Nagar. L’une d’entre elles, l’inscription C. 86.1, est datée de 1234, l’année suivant la gravure de l’inscription C. 3.2. On y lit le nom du souverain régnant qui n’est autre que Jaya Paramesvara- varman de Turaiy Vijaya42. Ainsi, le titre de général Ramadeva serait un grade militaire qu’Ansaraja de Turaiy Vijaya, le futur Jaya Paramesvara- varman, acquit lors de sa carrière militaire; ce titre n’était pas toujours

42 C. 86.1, l. 1-2. Une lecture de cette inscription est proposée en annexe, p. 264.

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utilisé dans sa titulature royale, tout comme son nom, Ansaraja, n’est pas toujours mentionné dans ses inscriptions.

La titulature royale qui est employée dans les inscriptions gravées sur les éléments architecturaux du temple de Svayamutpanna varie, mais selon moi, elle désigne, dans tous les cas, le même roi, Jaya Paramesva- ravarman, qui régna au XIIIe siècle. Les deux textes composant C. 3 ayant fait l’objet d’une publication récente (ECIC III), le lecteur pourra consul- ter cette dernière pour leur étude philologique. Toutefois, il me semble que le rappel de la lecture et de la traduction de C. 3.2 de concert avec celles des autres inscriptions du temple de Svayamutpanna sera fort utile à la compréhension de mon propos. À cette fin, on trouvera ci-dessous une répétition partielle d’ECIC III.

Les textes et leur traduction

Les textes ici présentés sont de nature diverse: C. 3.2, C. 4 b, C. 5, C. 6 et C. 7 sont des listes de donations alors que C. 4 A est un récit plus historique, relatant les faits qui ont marqué la carrière d’Ansaraja. Dans ces translittérations, les akÒara les plus difficiles à lire sont présentés entre parenthèses. Ceux restitués par conjecture sont signalés entre cro- chets et ceux effacés sont indiqués par leur nombre approximatif {n}. La traduction m’a parfois obligée à des ajouts qui sont alors notés entre crochets; des explications sont données entre parenthèses. Dans le but de ne pas alourdir les traductions, les titulatures les plus usuelles sont don- nées sous des acronymes.

C. 3.243 Texte: (1) svasti yam pom ku sri jayaparamesvaravarmmadeva dunan· yaÌ senapati yam pu ramadeva pu pom tana raya nan· rajan· sthapana (2) rupa pak· yam pov· ku svayamutpanna ni prayojana bhanakti dadamn·

43 C. 3.2 est le texte inscrit sur la pierre utilisée comme linteau, celui qui intéresse la présente étude. L’inscription gravée sur la pierre lors de son premier emploi, en tant que piédroit (C. 3.1), est publiée avec la présente dans ECIC III, p. 443-445.

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kala (|) sakaraja 1155 vuÌ kvir· 9 drim syaμ 22 drim pukaμ sa lima(3)n· lakiy· sa nan· kvir· icauv· sa bha∞∂ara glai trya drim ñaum mahendra- pura | yam (n)i nama yam pom ku sripa(t)isvara

Traduction: «Salut! Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarmadeva, alors qu’il était encore (dunan yaÌ?) général, l’illustre Ramadeva, ce P.P.T.R. a effectué l’érec- tion d’une image pour Y.P.K. Svayamutpanna, pour le profit des dévots à diverses époques. [En l’année] 1155 du roi des Saka: [il] a donné des Khmers, 9 personnes ; des Siamois, 22 personnes ; un Paganais44 ; un éléphant mâle avec un Khmer comme maître ; un domaine de forêt trya ; personne-tremper-Mahendrapura. Ce dieu s’appelle Y.P.K. Sripatis- vara».

C. 445 Texte face A: (1) rilvai palinyak· sarvvada ra vuÌ rumaÌ pak· (2) riμ linga devapra- tima46 tok· pa(t)[ala](3)patra47 kraliÌ48 nan· klum pluÌ dva thun· [dadam] da(4)damn·49 var∞na tama vananthara juμ di pu pom tana (ra)ya (5) nan· di sinhapura di saka vi50 112351 pu pom (ta)(6)na raya52 kamvuja

44 Cf. note 131. 45 Cette lecture est fondée sur les estampages n. 143 du fonds de l’EFEO ainsi que sur la pierre conservée au musée d’histoire du Vietnam à Hanoi (n° d’inventaire: LSb 21166). Aymonier (1891, p. 50-51) publia une lecture fragmentaire de ce texte qu’il terminait en précisant que ce document est «si mal écrit et si mal conservé». Entre autres difficultés, la distinction des akÒara p/s et dh/bh n’est pas aisée. Dans chacun des cas, j’ai choisi la lecture qui paraît être la meilleure, sans spécifier dans une note les autres lectures qui sont théoriquement possibles. 46 linga devapratima: on trouve une structure comparable dans l’inscription C. 113, face C, l. 20. 47 pa(t)[ala]°: restitution par conjecture, cf. C. 213, face A, l. 7 (inédite, éd. provisoire réalisée avec A. Griffiths). 48 kraliÌ: kralin Aymonier. La séquence °patra kraliÌ qu’on lit ici, se compose de la succession de deux signes presque identiques, tra kra. Le lapicide a sans doute répété la lettre r par erreur. Il faut lire kaliÌ. La lecture et l’interprétation du mot kaliÌ sont discutées plus loin dans l’article, p. 235-237. 49 [dadam] dadamn·: restitution par conjecture, cf. C. 13, face B, l. 6. 50 vi : lire ni. 51 1123 : 1129 Aymonier. 52 pu pom (ta)na raya : pu pon k(u ta)na raya Aymonier.

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vrim rai da a nau vrim nama (s)r(i)(7)yauvaraja mada pukaμ syaμ davvam53 marai ma(k)·54 (8) kamvujadesa pu pom tana raya nan· va vala nau (9) m®suÌ ja[ya mak· va]55 (ta)ml· pu pom tana ra(ya) (10) kamvuja vrim nau ma[k]· yvan· pu pom tana raya nan· (11) va vala nau gaÌ viran· senapati56 kamvuja nau (12) manauk· taml· na mukyap· m®suÌ ghora57 kvi(13)r· yvan· matai dhvasta pu pom tana raya nan· jaya (14) manana vam agama di saka ni 1142 kvir· nau vraÌ (15) [nagar]· uram campa marai vijaya tam mam jumvum taml· ri[lvai58] (16) [samu]daya da a pu pon tana raya nan· dramn· raja di (17) [saka] (ni) 114859 rajan· rajab- hiÒeka nap· rumaÌ na(18)ndi60 rumaÌ sri vinaya61 punaÌ sthapana62 devata mam jumvum (19) taml· rilvai vuÌ sarvadravya jem upabhoga devata (na)[n](·) (20) {1}pa[la]mn· pu po[m ku po]m [si]nhavarmma nan· yaÌ sa(ru)(21){1}· {1} yam [pu ku sri ja]yaparamesvaravarmma- deva

Face b, texte 1: (1) maÌ bhoga 30 (2) [th]il· pira(3)k· bhoga 400 (4) thil·

Face b, texte 2: (5) svasti ni mula huma (6) (pu) pom tana raya amsara(7)ja pak· yam pom ku (8) (sva)yamutpanna || (9) huma parik· 155 jak· (10) huma kutuk· 10 jak· (11) huma ryaÌ 35 jak· (12) huma atan· 50 jak· (13) huma rak· 30 jak· (14) huma tapaiÌ 10 jak· (15) huma jagvak· 10 jak· (16) huma ranok· 15 jak· (17) huma paramn· 65 jak· (18) huma asay· 30 jak· (19) huma rauk· sa ara saum (20) huma panan· 10 jak·

53 davvam: davvan Aymonier. 54 ma(k): man Aymonier. 55 ja[ya mak va]: cette restitution est celle publiée par Aymonier (1891, p. 51). 56 senapati: senapati Aymonier. 57 ghora: ce mot est également employé dans l’inscription C. 19, l. 8 (ECIC III, p. 445-446). 58 ri[lvai]: cette restitution est possible grâce aux l. 18-19 où l’on retrouve la même locution. 59 1148: 1149 Aymonier. 60 nandi : mandi Aymonier. 61 vinaya : vinaya Aymonier. 62 sthapana: sthapana Aymonier.

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Traduction face A: «…63 à la fin [il] expulsa [pour] toujours. Il (le souverain) offrit un édi- fice à chacun des linga, des images des divinités. Seulement ce «réceptacle de l’enfer» [qu’était] cette «guerre64» de trente-deux ans [avait lieu]. Tous les rangs entrèrent dans la forêt alentour [du territoire] de ce P.P.T.R. à Siμhapura. En cette année 1123 saka, le P.P.T.R. du Kamvuja [le] fit venir [et lui] donna65 le titre d’héritier. Il y eut des Paganais, des Siamois [et des gens de] Davvam66 venus prendre le Kamvujadesa. Ce P.P.T.R. conduisit les troupes [pour] aller combattre. La victoire remportée, [il] conduisit [les troupes] jusqu’au P.P.T.R. du Kamvuja [qui lui] octroya d’aller prendre les Viêts. Ce P.P.T.R. conduisit les troupes allant du côté nord; le général du Kamvuja avança en montant jusqu’à Na Mukyap [où on] se battit vio- lemment. Les Khmers, les Viêts moururent, furent détruits. Ce P.P.T.R. [obtint] la victoire, les honneurs vam (?) la doctrine religieuse. En cette année 1142 saka, les Khmers allèrent à VraÌ Angkor (nagar), les gens du Campa vinrent [à] Vijaya, ensuite [sur tout le territoire] du Nord au Sud67. Tout le monde invita ce P.P.T.R. à régner. En cette année 1148 saka, il exécuta la consécration royale. Il fit un temple de Nandin, un temple de Sri Vinaya68. Il érigea à nouveau les dieux du Nord au Sud. Il offrit tous les biens en tant que moyens de

63 Le début du texte n’est pas disponible, cf. note 156. 64 La lecture et l’interprétation du mot kaliÌ sont discutées plus loin dans l’article, p. 235-237. 65 vrim rai da a nau vrim: littéralement, «[le] fit venir [et l’] invita à aller [lui] donner». 66 davvam correspondant à davay en vieux môn. L’identification davvam = davay est confortée par l’équivalence des mots tralam = tralay qu’on lit dans les inscriptions C. 5, l. 11 et 18 et C. 6, l. 4. Davay est le nom de la ville portuaire appelée aujourd’hui Dawei ou Tavoy qui est située dans le Sud de la Birmanie. Ce nom est attesté dans des inscrip- tions mônes inscrites sur tablettes «votives» datées du règne de Kyanzittha (probablement 1084-1113). Pour la lecture et la discussion de ces inscriptions, voir G. H. Luce (1969, p. 100 et 1970, p. 15). Au début du XIIIe siècle, Davay était sous l’autorité d’un sammben/ sumben (la traduction de ce titre est encore incertaine, peut-être signifiait-il «officier» ou «ministre») qui dépendait du roi de Pagan. Davay devait être peuplé de Môns ou de Môn- birmans. Je remercie A. Griffiths et Ch. Lammerts pour leur identification du site et les précieuses informations qu’ils m’ont communiquées. 67 La traduction de mam jumvum taml rilvai est l’objet d’une discussion plus loin dans cet article, p. 230-232. 68 Concernant cette divinité, voir p. 253.

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subsistance69 [à l’usage de] ces dieux. palamn (?) ce P.P.T.R. Siμhavarman si (yaÌ) saru… Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarmadeva».

Face b, traduction 1: «Les biens en or: 30 thil; les biens en argent: 400 thil».

Face b, traduction 2: «Salut! Ceci [est] le capital70 des rizières du P.P.T.R. Ansaraja pour la divinité Svayamutpanna: les rizières de Parik: 155 jak ; les rizières de Kutuk: 10 jak ; les rizières de RyaÌ: 35 jak ; les rizières de Atan: 50 jak ; les rizières de Rak: 30 jak ; les rizières de TapaiÌ: 10 jak ; les rizières de Jagvak: 10 jak ; les rizières de Ranok: 15 jak ; les rizières de Paramn: 65 jak ; les rizières de Asay: 30 jak ; les rizières de Rauk: celles qui sont limitées par un talus; les rizières de Panan: 10 jak ».

C. 571 Texte: (1) [élément liminaire] n(i) mula (h)u(l)u(n·)72 ya(m) [pom ku sri] (2) [jaya] (pa)ramesvaravarmmadeva73 vuÌ pak· y[am pom] (3) [ku sva]yamutpanna nan· yam pom ku sri[pati](4)(sva)ra74 vraÌ rupa svaml·

69 Pour la définition des termes terminant par °bhoga, voir Estève (2009, p. 413-416). 70 mula signifie «ensemble, total, bien, origine» (A&C-SA, p. 243 et 391). D’origine sanskrite, ce mot se trouve également en khmer ancien (sur le sens que peut recouvrir ce mot dans les inscriptions khmères, cf. Gerschheimer et Vincent 2010, p. 112-113). Dans le cas présent, il faut traduire mula comme «capital». 71 Lecture fondée sur l’estampage n. 144 du fonds de l’EFEO ainsi que sur la pierre conservée au musée d’histoire du Vietnam à Hanoi (n° d’inventaire: LSb 21168). Finot (1903, p. 646-647) publia une lecture et une traduction de cette inscription; Jacques l’étu- dia au cours du séminaire qu’il tint à l’EPHE durant l’année universitaire 1977-78 (1978, p. 1077-1078). 72 n(i) mula (h)u(l)u(n·) : …n mula … Finot. L’auteur ajoute en note de bas de page qu’ «il y avait deux u dans le mot qui suivait mula: pb. hulun». 73 ya(m) [pom ku sri jaya](pa)ramesvaravarmmadeva : (yan po ku) [sri] paramesva- ravarmmadeva Finot. 74 sri[pati](sva)ra: sri…ra Finot. Jacques (1978, p. 1077 note 7) émettait l’hypothèse que le nom de ce deuxième dieu, dont seule la partie finale (°svara) est lisible, pourrait être lu Saratisvara. Cette hypothèse est fondée sur la lecture, faite par le même auteur, de l’inscrip- tion C. 3 (1977, p. 989) qui laissait apparaître ce nom déjà associé à celui de Svayamutpanna. Or la relecture de l’inscription C. 3.2 a montré qu’il faudrait lire Sripatisvara plutôt que Saratisvara. C’est ce nom, Sripatisvara, que je restitue donc également dans cette inscription. Journal Asiatique 301.1 (2013): 205-278

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mauk· ajip· mauk· lau [hu](5)[lu]n· siliÌ75 ri viñaiÌ76 877 drim svaml· mauk· ak·78 (6) nai 4 drim svaml· mauk· ayamp· 3 drim svaml· (7) mauk· raraun· 779 drim svaml· mauk· re 780 drim ja patiÌ (8) hulun· siliÌ ri mauk· nik· mauk· svar· ja si(9)ra nan· huma sa81 sthana di kumvyaml· anan· sam®ddhija(10)ya ranok· 400 jak· nan· tandom languv· kvi(11)r· campa si vuÌ di hajai nan· 30 drim tralay· (12) pirak· sa vana ’nak· 50 thil· sanraun· pira(13)k· sa vana ’nak· 36 thil· ||| si vuÌ di y(14)am82 pom ku sri jaya buddhesvara83 huma ra(15)nok· di sam®ddhijaya· kumvyaml· 500 jak· na(16)n· tandom languv· kvir·84 campa si vuÌ di hajai nan· 3(17)0 drim || pom yam pu yuvaraja am nandabha(18)[d](ra)85 uram turaiy· vijaya vuÌ tralam86 pirak· (19) sa vana ’nak· 50 thil· sanraum pirak· sa va(20)na ’nak· 30 thil· Traduction: «Ceci est le capital des serviteurs [que] Y.P.K. Sri Jayaparamesvara- varman donne à Y.P.K. Svayamutpanna et à Y.P.K. Sripatisvara [sous leur] sainte apparence. Familles87 de mauk88 Ajip [et] de mauk Lau: les serviteurs sont échangés contre [ceux de] ViñaiÌ: 8 personnes ; famille de mauk Ak:

75 [hulu]n siliÌ : lecture établie grâce à la l. 8 et déjà proposée par Finot. La lecture, à la fin de la l. 4, d’une partie de voyelle souscrite, qui est très certainement un u, montre qu’aucun akÒara ne se trouvait entre lau et hulun. 76 viñaiÌ : ci ñaiÌ Finot. 77 8: 9 Finot. 78 ak : ak Finot. 79 7: 8 Finot. 80 7: 8 Finot. 81 La forme de ce a est singulière: au lieu de l’habituel trait vertical rattaché à la consonne, celui-ci est gravé au-dessus de la consonne et prend une forme courbe. Il semble qu’il ait été ajouté après la gravure du texte. 82 De façon rare, on voit ici un signe basique tel ya coupé en deux: la première fraction est placée à la fin de la ligne 13 tandis que la seconde, formée d’un trait vertical doté de l’anusvara-candra et de la vocalisation, se trouve au début de la ligne 14. 83 jaya buddhesvara: jaya . arthesvara Finot; jaya — ddhesvara Jacques. 84 kvir: kvir Finot. 85 nandabha[d](ra) : cette restitution est de Finot. 86 tralam: kalan Finot. 87 svaml : d’après le dictionnaire A&C-SA le mot svaml est une fausse lecture pour khvaml. Ce dernier mot est défini comme une appellation, une qualification, ou comme signifiant «famille». Finot (1903, p. 647) renvoyait à Aymonier (1891, p. 59) qui tradui- sait svaml par «enfant». Jacques (1978, p. 1077-78) rassemble ces informations et propose de comprendre le mot svaml comme un doublet de khvaml plutôt qu’une fausse lecture. 88 mauk : dans le même résumé de cours, Jacques précise qu’on retrouve ce mot dans d’autres inscriptions (C. 6; C. 7) et qu’il faut sans doute y voir l’indication d’une certaine catégorie de personnes, comme gho ou si dans les inscriptions khmères.

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4 personnes ; famille de mauk Ayamp: 3 personnes ; famille de mauk Raraun: 7 personnes ; famille de mauk Re89: 7 personnes ; ja PatiÌ le serviteur est échangé contre ces [personnes-ci]: mauk Nik, mauk Svar, ja Sira ; Rizière: un emplacement à Kumvyaml. En ce lieu de grande abon- dance [nommé] Ranok: 400 jak avec tandom languv90. Des Khmers [et] des Cams qui sont donnés à ce domaine91: 30 personnes ; Un tralay92 d’argent pesant93 50 thil; un sanraun94 d’argent pesant 36 thil. Ce qui est donné au Y.P.K. Sri Jaya Buddhesvara: la rizière Ranok, de grande abondance, à Kumvyaml: 500 jak95 avec tandom languv. Des Khmers [et] des Cams qui sont donnés à ce domaine: 30 personnes. Le P.Y.P. héritier An Nandabhadra, personne de Turaiy Vijaya, donne: un tralam96 d’argent pesant 50 thil ; un sanraun d’argent pesant 30 thil».

89 re: cf. ECIC III, p. 474 où l’on trouve une discussion autour de ce vocable lu dans l’inscription C. 221. 90 Une étude du groupe de mots tandom languv est présentée ci-dessous, p. 232-235. 91 Il doit s’agir du domaine du dieu. Ces personnes sont donc affectées aux terres destinées au(x) culte(s) de ce(s) dieu(x). 92 tralay: un instrument de culte. Dans l’état de nos connaissances, il n’est pas possible de le définir davantage. 93 vana ’nak: cette expression est relevée dans le dictionnaire A&C-SA sans traduc- tion. Dans le même dictionnaire, on lit que le mot ak (une mauvaise lecture de ’nak) proviendrait du mot anak et signifie «lourd, pesant». Effectivement, l’expression vana ’nak précède toujours le poids d’un objet. Ce dernier, qualifié du métal dont il est consti- tué et quantifié, est toujours placé devant l’expression vana ’nak, cf. C. 5, l. 11-12; C. 5, l. 12-13; C. 5, l. 18-19; C. 5, l. 19-20; C. 6, l. 2 [≈ 3]; C. 30 A1, l. 16; l. 17; l. 18; l. 19; l. 20-21 et l. 22; C. 31 A1, l. 11-12; l. 13; C. 31 B, l. 2-3; l. 4; l. 5; l. 6 et C. 92, l. 11. Les informations sont donc toujours présentées de la même manière: objet + métal + quantité + vana ’nak + poids + unité de poids. Ceci me laisse penser que la traduction «lourd, pesant» proposée dans A&C-SA ne correspond pas simplement à ’nak, mais au groupe de mots vana ’nak. 94 sanraun: un instrument du culte. Il n’est pas possible de qualifier davantage cet instrument. On note qu’à la l. 19, le nom de cet instrument est orthographié sanraum. 95 Ce passage du texte est très proche de celui lu aux l. 9-10: huma sa sthana di kumvyaml anan sam®ddhijaya ranok 400 jak. La traduction de sam®ddhijaya est très hypo- thétique. 96 tralam: il s’agit du même objet de culte que celui cité à la l. 11 (tralay) et que l’on retrouve dans l’inscription C. 6, l. 4. On constate l’équivalence des orthographes en -am et -ay.

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C. 697 Texte 1: (1) svasti pom pu lakim pankaja cim abhimanyudeva uram cathim pa∞∂urangesvara98 senapati yam pom ku sri jayaparamesvara- varmmadeva pu pom tana raya nan· vriy· pom nan· marai senapati pan- ram di saka ni 1152 pak· raja pu pom tana raya nan· tra pom nan· vuÌ di yam pom (2) ku svayamutpanna vom san· mvramm· maÌ sa vana ’nak· maÌ 999 thil· 4 draμ vom san· mvramm· pirak· sa vana ’nak· pirak· 8100 thil· suvauk·101 pirak· sa vana ’nak· 8102 thil· calahvaya103 languv· sa di saka ni 1166

Texte 2: (3) taval· suratva on104 madhavaÌ nandana105 uram tur(e)106 vijaya pu pom tana raya inravarmma vrim rai lyam pom yam utpa∞a107 di sakaraja 1196108 vlim liman· lakim sa ma anan· ja sraum109 hulun· 6 vuÌ pak· yam pom ku svayamutpa∞na110 (4) mauk· karet· mauk· ratna

97 Lecture fondée sur les estampages n. 146 du fonds de l’EFEO ainsi que sur la pierre conservée au musée d’histoire du Vietnam à Hanoi (n° d’inventaire: LSb 21178). Finot (1903, p. 648) publia une lecture et une traduction de cette inscription; Jacques l’étudia au cours du séminaire qu’il tint à l’EPHE durant l’année universitaire 1977-78 (1978, p. 1078-1079). 98 pa∞∂urangesvara : pa∞∂urangesvara Finot. 99 9: 7 Finot. 100 8 : 9 Finot. 101 suvauk : suvok Finot. 102 8: 9 Finot. 103 calahvaya : valahvaya Finot. 104 on: yan Finot. 105 nandana : takdata Finot. 106 tur(e) : tute Finot. L’utilisation des italiques dans la publication de Finot montre qu’il n’était pas certain de sa lecture du second akÒara. Ma lecture re n’est pas plus sûre. Elle repose sur le rapprochement que j’établis entre cette occurrence, ture vijaya, et celle de turai vijaya ou de turaiy vijaya que l’on trouve à plusieurs reprises dans le corpus épigraphique (C. 5, l. 18; C. 30 B2, l. 1; C. 30 B4, l. 2 et C. 86.1, l. 2). La forme très distincte de la voyelle ai plus loin dans cette même l. 3 de l’inscription C. 6 (vrim rai lyam) empêche ici de lire turai. L’alternative la plus satisfaisante est ainsi de proposer la translittération ture qui doit, selon moi, être comprise comme turai. 107 utpa∞a: on pourrait éventuellement lire utpa∞na. 108 1196: 1176 Finot. 109 sraum : praum Finot. 110 svayamutpa∞na: svayamutpa∞∞a Finot.

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dak· mauk· avyaμ111 mauk· eÌ mauk· can· mauk· put· tralam tara 1196112

Traduction 1: «Salut! P.P. homme Pankaja, prince Abhimanyudeva, personne de Cathim Pa∞∂urangesvara, général de Y.P.K. Jaya Paramesvaravarma- deva. Ce P.P.T.R. invita ce Pom à aller [en tant que] général à Panran en cette année 1152 saka pour ce roi P.P.T.R. De plus, ce Pom offrit à Y.P.K. Svayamutpanna en cette année 1166 saka: vom san mvramm113 en or pesant114 9 thil 4 draμ d’or; vom san mvramm en argent pesant 8 thil d’argent ; un plateau de culte115 en argent pesant 8 thil ; un calahvaya116 en métal cui- vreux».

Traduction 2: «Taval117 Suratva, on MadhavaÌ Nandana, personne de Turai Vijaya. Le P.P.T.R. Indravarman [l’] invita à aller [en tant que] L.P. [au] dieu Utpa∞a en l’année 1196 saka. Il a acheté: un éléphant mâle ma anan (?) ja Sraum ; 6 serviteurs à offrir au Y.P.K. Svayamutpa∞na: mauk118 Karet,

111 avyaμ: avya Finot. 112 1196: 1176 Finot. 113 vom san mvramm: Jacques (1978, p. 1078) nous apprend que «dans cette expres- sion, seul mvram est certainement connu, signifiant «flèche»; on pourrait donc songer à une parure divine, mais cela ne convient pas à un linga; on peut tenter également de rapprocher vo [c’est-à-dire vom] du moderne baun, qui peut signifier «auge, écope» et l’expression désignerait ainsi quelque vase rituel». 114 vana ’nak: cf. note 93. 115 suvauk: cf. kh. spok, sbouk. Dans l’épigraphie khmère se trouvent les mots sbok ou svauk qui signifient respectivement «plateau» ou «plateau à pied». Cf. Jacques (1978, p. 1078); Soutif (2009, t. 1, p. 122 et 128). 116 calahvaya: Jacques (1978, p. 1079) indiquait, pour la lecture valahvaya, qu’il devait s’agir d’un objet de culte. Tout en étant conscient du fait que les mots cala ou cala ne se trouvent nulle part ailleurs dans le corpus, Griffiths note que la lecture calahvaya permet- trait d’identifier cet objet, de façon hypothétique, comme un ustensile cala-ahvaya «appelé mobile». On retrouve le nom de cet objet dans l’inscription C. 86.2, l. 3-4 qui est présen- tée en annexe de cet article, p. 264-265. 117 taval: A&C-SA renvoie au kh. sañjak. On retrouve ce titre, taval, dans l’inscription C. 54, cf. Finot (1903, p. 648, note 2). 118 mauk: cf. note 88.

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mauk Ratna Dak, mauk Avyaμ, mauk EÌ, mauk Can, mauk Put [ainsi qu’un] tralam tara119 [en] 1196».

C. 7120: Texte 1: (1) … {1}damaya [… jak· nan·121] (2) [ta]nd(o)m languv· maÌ (bho)[ga] 30 thil· p(i)rak[·] (3) [bh](o)ga 300 thil· kvi[r]· ja[v]a laum vukaμ sya(μ) (4) [#122]3 drim svaml· m(auk·) madrim 4 drim mauk· vuna

Texte 2: (5) … [yam] pom ku sri jayaparam(e)svaravarmmad(e)va (ud)ya(6)na nau (n)dva {2}ha yam pom k(u) sri [ca]mpesvara (v)u[Ì] {2} pa(7)jem vana[m]k· [s]ya(μ) k[v]ac· ravaum pa(k·)123 huma sri vi[raC]u(k)· di sa(8)ka ni {2} sisi [bh](u)124 huma nan· sa sthana vuÌ pa(9)k· ya(m po)m ku sva(ya)mu(tpa)nna nan· (ya)m (p)om ku (10) sripa[t](i)[s]va(ra) gaÌ purv[v]a ta[ml·] kanva gaÌ dak[Ò](i)∞a (11) gnamÌ pya kr(aum) taml· huma nagara gaÌ dakÒi∞a taml· (12) huma pu lyam imsanavarmma huma yam hu(ma) mu(13)la125 gaÌ pascima taml· huma126 di rumaÌ gaÌ127 uttara tam(14)l· ravaum raya atam danrak· klum kanva 500 jak· (15) nan· tandom languv· ||

119 tralam tara: le mot tralam figure également dans l’inscription C. 5, l. 11 et 18. Le mot tara désigne peut-être le métal dont l’objet était fait. 120 Lecture fondée sur les estampages n. 142 du fonds de l’EFEO ainsi que sur la pierre conservée au musée d’histoire du Vietnam à Hanoi (n° d’inventaire: LSb 21167). Cette inscription a été résumée par Aymonier (1891, p. 52-53); Jacques l’étudia au cours du séminaire qu’il tint à l’EPHE durant l’année universitaire 1977-78 (1978, p. 1079-80). 121 [jak nan]: cette restitution est fondée sur l’analyse de l’expression tandon languv qui est présentée plus loin dans cet article, p. 232-235. 122 Les cinq ethnies citées à la fin de la ligne précédente laissent comprendre qu’il ne peut s’agir ici du simple chiffre 3. Un autre chiffre, aujourd’hui disparu, devait être gravé avant ce 3. Dans son état initial, la surface préparée pour la gravure de l’inscription était suffisamment large pour contenir au moins un autre signe numérique. 123 pak : rok Aymonier. 124 saka ni {2} sisi [bh](u) : A. Griffiths propose de lire un chronogramme composé de cinq akÒara terminant par sisi bhu, qu’il faudrait comprendre sasi bhu. 125 mula: lire mula. 126 huma: le signe situé au-dessus du second akÒara, semblable à une demi-lune, est en fait le prolongement de la voyelle u du mot rumaÌ. 127 rumaÌ gaÌ : ruma nagara Bergaigne.

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Traduction 1: «… jak avec tandom languv128 ; De l’or pour les biens: 30 thil ; de l’argent pour les biens: 300 thil ; Des Khmers, des Javanais129, des Chinois (?)130, des Paganais131, des Siamois: #3 personnes. Famille132 de mauk133 Madrim: 4 personnes ; de mauk Vuna…»

Traduction 2: «… Y.P.K. Sri Jaya Paramesvaravarmadeva sortit [pour] aller diviser134 … Y.P.K. Sri Campesvara. Il offrit … fit de bons barrages, cura les canaux pour les rizières de Sri ViraCuk en cette [année] saka 11## cette

128 tandom languv: une étude de ce groupe de mots est présentée plus loin, p. 232-235. 129 java: s’agit-il du Java indonésien? Cf. Ferlus 2010. 130 laum: = lauv ou lov. Ce vocable est répertorié dans les dictionnaires et traduit par «chinois» aussi bien pour le cam ancien (d’après A&C-SA) que pour le cam moderne. C’est toujours ce sens que recouvre le mot lauv aujourd’hui. Cependant, il est possible qu’à l’origine ce mot (identique au mot thaï qui a été employé afin de nommer l’État moderne du Laos) désignait des populations parlant une langue thaï. On peut ainsi garder à l’esprit que le mot lauv employé dans cette inscription pourrait renvoyer à une popula- tion lao. 131 vukaμ: dans l’ouvrage de Luce (1969, p. 8) on lit: «The oldest mentions of Pagán by name, curiously enough, are in two Cham inscriptions of Phan-rang (Pa∞∂uranga), the Pô-Nagar and Lom-ngö pillars, anterior to 1050 A. D. In the former the name is written Pukam, in the latter Pukam». Ces deux inscriptions sont C. 30 B2 (l’une des inscriptions de Po Nagar qui est in situ à Nha Trang, et non à Phan Rang) et C. 7. Or, elles ne sont pas dotées des plus anciennes mentions du nom Pagan puisqu’elles furent rédigées au début du XIIIe siècle, sous le règne de Jaya Paramesvaravarman, et non au cours du XIe siècle comme il est dit dans cette publication. Cette mauvaise datation des textes est certainement liée à l’erreur d’Aymonier (1891, p. 28) corrigée par Jacques (1976, p. 951). Une lecture et une traduction de l’inscription C. 30 B2 sont présentées en annexe de cet article (tout comme celles de C. 30 B1 et C. 30 B4 qui mentionnent également Pagan et qui, elles, sont clairement datées de l’année 1155 s/1233 de n. è., la même date que celle de l’inscription C. 3.2, présentée plus haut dans cet article, qui mentionne également le nom de Pagan). Notons que ce passage de l’inscription C. 7.1, kvi[r]· ja[v]a laum vukaμ sya(μ) «des Khmers, des Javanais, des Chinois (?), des Paganois, des Siamois» rappelle celui d’une inscription mône datée du XIe siècle, citée par Ferlus (2010, p. 67): lwa’ krom ja’ßa’. Selon Shorto, ce passage de l’inscription mône signifie «Lawas, Cambodians and Laotians». 132 svaml: cf. note 87. 133 mauk: cf. note 88. 134 ndva: ce mot n’est pas relevé par A&C-SA. La traduction proposée ici est hypo- thétique, fondée sur l’idée qu’il pourrait s’agir d’un verbe formé à partir du chiffre dva «deux» et du préfixe n-.

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rizière [est] un emplacement offert à Y.P.K. Svayamutpanna et Y.P.K. Sripatisvara [délimitée] du côté est par la dénivellation ; du côté sud gnamÌ pya135 fleuve par les rizières du pays ; du côté sud par les rizières du P.L. Isanavarman, les rizières des dieux, les rizières [constituant] le capital ; du côté ouest par les rizières près des édifices ; du côté nord par le grand canal; trois atam136 danrak137 ; 500 jak avec tandom languv [de terres] dénivelées».

Discussion sur certains termes équivoques mam jumvum taml rilvai: Ce groupe de mots qui signifie littéralement «depuis Jumvum jusqu’à la fin» ou «depuis Jumvum jusqu’à l’extrémité» est utilisé à deux reprises dans l’inscription C. 4 (A, l. 15 et l. 18-19). On le retrouve à la ligne 4 de l’inscription C. 30 B4, sous la graphie ruman jumvum taml rilvai138. Outre ces deux inscriptions gravées lors du règne de Jaya Paramesvaravarman, ce groupe de mots est employé dans les inscriptions C. 30 A1 (l. 3: ruman jumvuv truÌ taml rilvai139) et C. 89 (B, l. 17: rumam jumvuv patruÌ taml rilvai). L’étude de cette expression, dont les variations que l’on observe n’altèrent en rien le sens, me laisse penser qu’il ne s’agit pas simplement d’une expression destinée à localiser une région, mais d’une locution.

135 pya: également employé dans l’inscription C. 11 A, l. 6 vik pya. Aymonier (1891, p. 72) traduisait vik pya «une limite partant (de)» en précisant en note de bas de page qu’il s’agissait d’une traduction hypothétique et qu’il n’avait pas encore pu rattacher ces deux mots à d’autres mots de la langue moderne. Dans A&C-SA, six occurrences du mot pya sont relevées sans traduction. Dans cinq cas, pya est précédé de vik (face à la p. 334 la traduction «commencer» est proposée suivie d’un point d’interrogation) ; le dernier cas est l’occurrence que nous lisons dans C. 7 gnamÌ pya pour laquelle les auteurs ne pou- vaient pas lire le mot qui précède pya. 136 atam : ce mot est relevé dans A&C-SA mais il n’est accompagné d’aucune défini- tion. 137 danrak: le mot est relevé dans A&C-SA, sans définition. Faut-il le rapprocher de darak qui signifie la «mer», le «marché» ou du mot moderne danak qui signifie aussi la «mer» ou, quand il est le dérivé de dak, «ordre», «disposition», «arrangement», «couche», «pile», «paquet (de feuilles)»? 138 mam, que nous lisons dans le groupe de mots utilisé dans l’inscription C. 4, est la forme aphérétique de rumam qu’on lit dans C. 30 B4. 139 Le mot truÌ (et patruÌ, forme causative de truÌ, cf. C. 89) qui est ajouté dans l’expression utilisée dans cette inscription, est parent du malais terus. C’est un verbe auxiliaire qui exprime l’accomplissement.

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Elle n’a pas été relevée dans les publications antérieures qui présen- taient l’un, l’autre ou plusieurs des textes qui la mentionnent: Aymonier, qui publiait les inscriptions C. 4, C. 30 A1 et C. 30 B4, n’a pas déchiffré les passages comportant ce groupe de mots140. Finot, qui présenta C. 89 dans son article consacré aux inscriptions de My So$n, proposa la traduc- tion «complètement, jusqu’à ce que» entourée de points de suspension141. Ce sont certainement les mots rumam … patruÌ taml rilvai qui l’ont mené à cette traduction sans qu’il ait perçu la locution elle-même. Enfin Schweyer, qui a présenté les inscriptions C. 30 A1 et B4, n’a pas perçu la locution142 mais présente le mot jumvum selon son premier sens, celui d’un toponyme qu’il n’est pas possible de localiser sur une carte143. L’étude de cette formule employée dans cinq contextes différents (à My Sơn, à Nha Trang et à Phan Rang) me permet de proposer que cette distance «depuis Jumvum jusqu’à la fin» exprime l’étendue d’un terri- toire tout entier. Sa traduction par «sur tout le territoire» conviendrait en effet à chacune de ses utilisations. On remarque qu’il existe une autre expression dont la formulation est très proche de celle qui m’intéresse. Elle est employée dans les inscrip- tions C. 37 et C. 125144: man rulauy pataml adipurvva «depuis Rulauy jusqu’à l’extrême-orient» (C. 37, l. 7-8) et nariy ruloy pataml adipur- vva «depuis Ruloy jusqu’à l’extrême-orient» (C. 125, l. 3-4). Elle doit

140 Les lignes 15 et 18-19 de l’inscription C. 4 ne sont que partiellement restituées sans que la locution ne soit lue (1891, p. 51); le passage de l’inscription C. 30 A1 fut lu yan pu rudra varmma palinyak nagara campa ruman jumvuv truÌ… qu’Aymonier traduisit «le seigneur Rudravarman expulser (de) la capitale de Tchampa (?) (?) fini …» (1891, p. 33); l’auteur ne proposa pas de translittération du texte de C. 30 B4 mais une ébauche de sa traduction où la locution est évitée: «il plaça un général cambodgien…» (1891, p. 48). 141 Finot (1904, p. 948-950) C. 89, face B, l. 17-18: ka pajen nagara ruman patruÌ tãl rilvai ka syaμ sam®ddhi samu purvvakala «a relevé la ville… complètement, jusqu’à ce que… elle fut belle et florissante comme autrefois». 142 Schweyer (2005, p. 88) C. 30 A1, l. 2-3: palinyak nagara campa ruman jumvuv truÌ tal rilve qu’elle traduit p. 90: «avait détruit la capitale du Campa de Jumvuv jusqu’à Rilve»; p. 97, C. 30 B4, l. 4: vuÌ senapati kamvuja mvak uran jumvu[v] […] qu’elle traduit «le commandant en chef de Kambuja Mvak, de Jumvuv donna […]». 143 Schweyer (2005, p. 97, note 18) précise que ce nom lu dans l’inscription C. 30 B4 se trouve également dans l’inscription C. 30 A1, l. 3. Plus tard, (2009, p. 38, note 78), l’auteure rapproche le toponyme Jumvuv trouvé dans l’inscription C. 30 A1 à Nha Trang, de celui lu par Finot dans l’inscription C. 89, à My-So$n. 144 Cf. ECIC III, p. 462-463.

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également désigner un espace. Selon l’hypothèse que je propose ici, ces deux locutions sont complémentaires et expriment deux axes géogra- phiques: l’axe Ouest-Est (depuis Rulauy jusqu’à l’extrême-orient, c’est- à-dire la mer) et, par déduction, l’axe Nord-Sud (depuis Jumvum jusqu’à la fin).

tandom et languv: Souvent associés dans le corpus épigraphique, l’interprétation de ces deux mots est embarrassante. Depuis Aymonier qui constatait que ces vocables, ou d’autres qui s’en approcheraient, sont absents du vocabu- laire moderne et qu’il ne pouvait pas les identifier (1891, p. 29), tandom et languv ont été l’objet de plusieurs hypothèses qu’il semble important de rappeler avant de présenter ma propre contribution. Finot perçut ces deux mots comme une expression tandon languv (1903, p. 647, note 7) qui peut signifier «esclave». Son hypothèse était fondée sur le constat que tandon languv est suivi des mots kvir «khmer» et campa «cam» dans l’inscription C. 5 (l. 10-11 et l. 16: tandom languv kvir campa). Il voyait son hypothèse confirmée par l’inscription C. 30 B2 où on retrouve ce même arrangement des mots, enrichi du vocable hulun «esclave» (l. 3: tandom languv hulun kvir campa) alors perçu comme une glose de tandom languv. L’expression nan tandon languv fut étudiée par Jacques (1978, p. 1078) qui, sur les informations de Q. Po Dharma, émit l’hypothèse que cette expression puisse signifier «en plus de ce qui a été demandé». Cette hypothèse n’est malheureusement accompagnée d’aucune donnée com- plémentaire. Schweyer (2005, p. 96, note 16) reprit l’hypothèse de Finot lors de sa traduction de l’inscription C. 30 B2: tandon languv désignerait une caté- gorie d’esclaves ou de serviteurs. L’auteure précise que «selon une habi- tude cam, l’expression est suivie de son équivalent dans une autre langue, ici le khmer hulun. Elle se retrouve en C. 31 C1 et en C. 5 à Phan Rang». Or, cette association du mot hulun (qui est un mot cam et non khmer) à tandon languv ne se trouve qu’une seule fois parmi les textes des cinq inscriptions (et non des trois) qui comportent l’expression tandon languv. Ceci ne représente en définitive qu’une seule occurrence parmi les dix relevées dans les inscriptions du corpus.

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Ainsi, même s’il est précisé que tandon peut être utilisé seul (Finot 1903, p. 647, note 7; Schweyer 2005, p. 96, note 16), c’est son associa- tion au mot languv qui fut étudiée. La traduction proposée pour le mot tandon recouvre par ailleurs un sens assez proche de celui proposé pour l’expression en entier, à savoir «serviteur» pour tandon et «esclave» pour tandon languv et hulun145. Seize occurrences des noms tandon et languv se trouvent dans le cor- pus : dix sont communes, trois ne concernent que le mot tandon et les trois dernières le mot languv. Parmi les dix occurrences de ces mots utilisés de concert, on distingue quatre emplois différents du groupe nominal qui est suivi: • de noms d’ethnie (C. 5, l. 10-11 et 16), • du substantif hulun «esclave» (C. 30 B2, l. 3), • du substantif maÌ «or» (C. 7, l. 2), • ou d’une ponctuation da∞∂a (C. 7, l. 11; C. 31 C. 1, l. 1; C. 100, face c, l. 2, 9146, 18 et 22). Les deux premiers cas sont ceux qui ont été confondus dans les notes de Finot et Schweyer que j’ai citées plus haut. Selon ces auteurs, la mention du groupe nominal associé aux ethnies khmère et cam renvoie à la men- tion d’esclaves. Je propose une lecture différente de ces textes: il semble en effet que l’absence du mot uran devant les noms d’ethnies laissa comprendre que ces noms d’ethnies pouvaient qualifier les mots hulun ou tandon languv. Or, on remarque que l’emploi de la structure «uran + nom d’ethnie» pour désigner une population n’est pas une constante dans les inscriptions cam. On trouve souvent dans le corpus des noms d’ethnies qui sont employés seuls et qui désignent pourtant une population (par exemple dans les inscriptions C. 3, C. 4, C. 30 B1 ou C. 86). Selon moi, les noms d’ethnies qui sont gravées après tandon languv ne qualifient pas ce groupe nominal mais correspondent à de nouvelles données. Cette lecture

145 Cf. Schweyer (2005, p. 103-104) lors de la traduction de l’inscription C. 31 C1 qui comporte les trois formulations: tandon, tandon languv et hulun. 146 Cette occurrence n’est pas suivie d’un da∞∂a mais ce passage est construit de la même manière que les autres que nous lisons dans ce texte (l. 2, 18 et 22). Les informa- tions contenues dans cette liste de rizières ayant toutes été rédigées sur le même modèle, l’absence d’un da∞∂a dans ce cas est certainement un oubli du lapicide.

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suit en fait celle que j’adopte pour l’inscription C. 7, où le mot maÌ (l’or), qui ne peut pas être lié à tandon languv, marque le début d’une nouvelle information dans la liste gravée sur ce piédroit (l. 2)147. Les six cas où le groupe de mots est suivi d’un da∞∂a (quand il est donc employé en fin de phrase) soutiennent mon hypothèse selon laquelle il est possible de dissocier l’expression tandon languv d’avec les mots qui la suivent quand une telle ponctuation est absente. Ainsi tandon languv est cité lors de la rédaction de listes et peut désigner une quantité de choses. Afin de définir le sens de ce groupe nominal, tentons de comprendre ce que les mots désignent individuellement. Mon relevé des occurrences montre en effet que cette expression n’est pas figée, et ces deux mots employés séparément doivent également posséder des sens distincts. Je l’ai dit, tandon fut perçu comme un composant de l’expression tandon languv et il n’a pas été étudié pour lui-même. L’analyse des treize occur- rences de tandon qu’on trouve dans le corpus épigraphique montre que, quelle que soit son utilisation (seul, qualifié de raya ou de languv), sa mention est toujours liée via la préposition nan à celle d’une rizière dont la capacité cultivable est mentionnée148. Seule l’occurrence que l’on lit dans l’inscription C. 47 (la seule qualifiée de raya) est précédée d’une rizière dont la capacité cultivable n’est pas évaluée en jak – panier conte-

147 C. 7, l. 2: tandom languv maÌ bhoga 30 thil «tandom languv ; les biens en or: 30 thil». Sur ce modèle, on peut lire C. 5, l. 10-11 et l. 16: nan tandom languv kvir campa si vuÌ di hajai nan 30 drim «avec tandom languv. Des Khmers [et] des Cams qui sont donnés à ce domaine: 30 personnes» ; C. 30 B2: l. 3-4: nan tandom languv hulun campa kvir… «avec tandom languv. Des esclaves – Cams, Khmers …». 148 C. 5, l. 9-10: huma sa sthana di kumvyaml anan sam®ddhijaya ranok 400 jak nan tandom languv; C. 5, l. 14-16: huma ranok di sam®ddhijaya kumvyaml 500 jak nan tandom languv; C. 7, l. 10-11: kanva 500 jak nan tandom languv; C. 30 B2, l. 3: huma udaya manraun 8002 pluÌ jak nan tandon languv; C. 31 C1, l. 1-2 (trois occurrences): huma di panran […] 50 jak nan tandon languv | huma yan vatuv 40 jak nan tandon | huma di huma padan […] nan huma padan 100 jak nan tandon; C. 47, l. 12-13: 500 vijaiÌ nan tandom raya; C. 100, face c, l. 1-2: kluv rutuÌ tijuÌ pluÌ jak nan tandom languv; C. 100, face c, l. 8-9: klum rutuÌ jak nan tandom langum ; C. 100, face c, l. 17-18: lima rutuÌ lima pluÌ jak nan tandom langum ; C. 100, face c, l. 21-22: sa rutuÌ lima pluÌ jak nan tandom languv. Seule l’occurrence C. 7, l. 2 n’est que partiellement lisible puisque la pierre est endommagée. Il n’est pas possible de lire ce qui précède tandom. Mon relevé laisse cependant deviner que tandom devait également être précédé de la même préposition nan, elle-même très certainement précédée d’une superficie cultivable, probablement évaluée en jak.

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nant le grain à semer – mais en vijaiÌ149. Le mot tandon doit ainsi être relié au vocabulaire rizicole et certainement aux unités de capacité rizi- cole, le jak et le vijaiÌ, mais je ne connais pas sa signification. Dans les trois cas où le mot languv est employé sans être associé à tandon, on observe qu’il est toujours précédé d’un mot désignant un instrument du culte150. Lors de l’étude de l’inscription C. 6, Jacques (1978, p. 1079) rapprochait languv du khmer langau qui signifie «métal cuivré» et proposait la même traduction pour le mot cam151. Il apparaît en fait que la traduction «métal cuivreux» est préférable à la précédente puisqu’il s’agit ici d’un alliage et non d’un placage de cuivre152. Suivant cette hypothèse, comment pourrait-on comprendre le mot languv dans sa seconde utilisation, lorsqu’il est associé à tandon ? On observe que ce dernier mot est qualifié (quand il n’est pas directement suivi d’un da∞∂a153) soit de languv, soit de raya154. L’ad- jectif raya signifiant «royal» ou «grand», on peut supposer que, de la même manière, le métal cuivreux (languv) désignait une mesure. Outre le façonnage des instruments de culte, le métal cuivreux aurait ainsi servi d’étalon. Hormi ces éléments de réflexion, je ne suis pas en mesure de proposer une traduction fiable de tandon et de languv, mais une chose est certaine: ce groupe de mots ne signifie pas «esclave».

kaliÌ: Avant se s’intéresser au sens de ce mot, il convient de s’arrêter sur les lectures qui en ont été faites et qui posent quelque embarras. Ce vocable se trouve à trois reprises dans le corpus des inscriptions de Jaya

149 vijaiÌ n’est pas relevé dans le dictionnaire. Précédé du chiffre 500, il est utilisé alors que la lecture de la ligne précédente nous apprenait que le P.P.K. défrichait des terres. Ce mot doit également désigner une unité de mesure. Cette hypothèse est validée grâce au rapprochement que l’on peut établir entre ce mot cam et le mot malais biji «semence», cf. Thurgood (1999, p. 347). 150 C. 6, l. 2: valahvaya languv sa ; C. 86.2, l. 7: 2 bhaja languv ; C. 90 C, l. 12: paligaÌ languv sa. 151 Lors de la traduction de l’inscription C. 86.2, Finot (1904, p. 977) traduisait kansab- haja «vase de cuivre» et bhaja languv «vase de terre». 152 D. Soutif, communication personnelle du 25/07/2011. 153 C. 30 C1, 2 occurrences à la l. 2: 40 jak nan tandon | … 100 jak nan tandon || 154 C. 47, l. 12-13: 500 vijaiÌ nan tandoμ raya |

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Paramesvaravarman, dans les inscriptions C. 4, C. 30 B4 et C. 86.1. L’occurrence de C. 4 a été lue kralin par Aymonier (1891, p. 50); celle de C. 30 B4 kalin par Aymonier (1891, p. 48) mais kaliÌ par Schweyer (2005, p. 97); tandis que celle de l’inscription C. 86.1 fut lue kaliÌ par Finot (1904, p. 976). Dans le cas des deux lectures d’Aymonier, ce n’est pas la présence de la lettre r dans la première syllabe du mot lu dans l’inscription C. 4 qui est gênante – j’ai expliqué dans la note 48 qu’il s’agit d’une erreur du lapicide – mais la dernière lettre qui, dans le cas de C. 4 comme dans celui de C. 30 B4, a été lue n et non Ì. On retrouve ces deux lectures dans les notes manuscrites d’A&C-SA, où les pas- sages des inscriptions C. 4 et C. 30 B4 sont correctement copiés (kra- lina nan ou kraliÌ nan pour la première et kalina ou kaliÌ pour la seconde) mais sont transcrits comme s’il existait un virama (kralin nan et kalin) alors qu’aucun signe n’est lisible au dessus de la consonne lue comme étant un n mais qu’il faut dès lors lire na. Tant que le n est pourvu d’un virama (kalin·), ce signe est très dis- tinct du visarga (kaliÌ). En revanche, en absence du virama, le signe na (kalina) est très sembable au visarga. La confusion est possible. Alors pourquoi Aymonier lisait-il kalin·? Il doit avoir pensé à un vocable de la langue moderne. Le mot kalin est en effet attesté dans les manuscrits datés du XVIIIe siècle. Il signifie, entre autres, «la guerre», le sens qui a également été donné au mot kaliÌ des inscriptions. Au cours de son étude de l’inscription C. 30 A1, Aymonier (1891, p. 34) notait «que kaliÌ est une forme fautive donnée par le lapicide à kalin ‘guerre’». Or, on verra dans quelques instants que le seul cas de lecture kalin· dans le corpus épigraphique résulte évidemment d’une erreur de gravure. Les seules lectures envisageables pour les occurrences restantes sont kaliÌ ou kalina. Il paraît ainsi tout à fait improbable qu’il s’agisse partout d’une «forme fautive». Laquelle de ces deux lectures faut-il alors choisir? Le relevé de ce vocable dans l’ensemble du corpus montre que kaliÌ est la bonne lec- ture: outre les trois occurrences que j’ai citées plus haut, on en lit neuf autres dans les inscriptions C. 30 A1, l. 2, 3, 4, 6, 8, 9; C. 89, face B, l. 12; C. 90, face B, l. 26 et C. 90, face C, l. 4. Toutes empruntent la même orthographe, kaliÌ, à l’exception de l’occurrence trouvée à la l. 9 de l’inscription C. 30 A1 dont la lecture ne peut être autre que

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kalin·, tandis que son sens doit être identique à celui de kaliÌ comme le montre le contexte. Le fait que le seul cas de kalin· se trouve juste- ment dans l’inscription qui comporte le plus d’occurrences de kaliÌ, six en tout, s’explique facilement: on remarque aux l. 4, 6 et 8 que kaliÌ est toujours suivi du démonstratif nan·. Il est évident qu’à la l. 9 le lapicide a omis deux signes, très semblables, gravant kalin· au lieu de kali[Ì na]n·. Le mot kaliÌ a toujours été traduit par «guerre», une traduction qui, je l’ai dit, est certainement fondée sur le rapprochement avec le vocable moderne, kalin, répertorié dans le dictionnaire d’Aymonier & Cabaton. Un mot kaliÌ existe pourtant dans la langue moderne mais il s’agit d’un homonyme signifiant «avare, parcimonieux, ladre ou l’avarice» qu’on pourrait rapprocher du javanais kalis «rude, brutal» ou du malais geli «avoir un sentiment désagréable». Le glissement de kaliÌ, en cam ancien, à kalin, dans la langue moderne, si réellement le dernier provient du premier, reste difficilement explicable. Il n’en demeure pas moins que le mot employé en cam moderne ne signifie pas seulement la «guerre» mais également «rebelle, se révolter, révolté, révolte, péril, catastrophe ou désastre». Le dictionnaire d’Aymonier & Cabaton propose l’hypothèse selon laquelle ce mot moderne proviendrait du malais per-kelahi-an mais si l’on considère la forme ancienne de ce vocable, kaliÌ, on est plutôt en droit de le rapprocher du mot sanskrit kali «misère, dispute ou discorde»155 et du kaliyuga, l’«ère de misères», dont les rois se vantent si couram- ment, bien que surtout dans les portions sanskrites, d’avoir écarté les maux, et qu’on lit en cam dans l’inscription C. 89, face B, l. 11. Cette probable origine sanskrite du mot laisse penser qu’une traduction telle que «désastre, trouble, conflit ou discorde» correspondrait davantage au mot kaliÌ que celle de «guerre». J’utilise donc dans l’article le mot «guerre» entre guillemets, renvoyant à une période de troubles, une suite de conflits.

***

155 On note d’autres emprunts de noms sanskrits à la forme nominative dans le corpus épigraphique rédigé en cam, par exemple dans l’inscription C. 92, face c, bhutaÌ, que je cite dans la note 179, ou dans l’inscription C. 19 où on lit satruÌ. Une lecture et une tra- duction de cette dernière inscription sont présentées dans ECIC III, p. 145-146.

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La «guerre» de trente-deux ans Les événements relatés au début de l’inscription C. 4156 sont suivis d’une «‘guerre’ de trente-deux ans» (A, l. 3). Ce n’est pas l’unique ins- cription qui évoque ce conflit. Les inscriptions C. 30 B4 et C. 86.1 la mentionnent elles aussi, bien que leur lapicide l’ait énoncée autrement: elle est la «grande ‘guerre’ de trente et un ans157» pour le premier et la «‘guerre’ avec le Cambodge qui dura trente-deux ans158» pour le second. Aucun doute n’est possible sur le fait que ces trois inscriptions se réfèrent au même événement. Les informations qu’on trouve dans l’inscription C. 4 ainsi que les mentions textuelles de C. 30 B4 et C. 86.1 montrent qu’elles relatent toutes les trois les événements qui se déroulèrent lors d’un conflit qui opposa le Campa au Cambodge. Gravée dans la pierre au Nord (à My Sơn, C. 86.1), au Centre (à Po Nagar, C. 30 B4) et au Sud du pays (au temple de Svayamutpanna, C. 4), cette longue période de troubles, dont le retentissement fut indéniablement considérable, est évo- quée sans le moindre détail.

Des recherches ont déjà été entreprises afin de dater ce conflit. Aymonier (1891, p. 52) se fia à l’inscription C. 30 B4, l. 2 pour fixer le début du conflit en 1112 s/1190 de n. è. Cette date est la première citée dans l’inscription, celle qui précède la mention des conflits. Il

156 Le haut du pilier étant abîmé, il est difficile de mettre en contexte les données contenues dans les deux premières lignes de l’inscription C. 4. Ces deux lignes semblent relater la fin d’un événement (rilvai), ou un épisode qui s’est déroulé du Nord au Sud ([man jumvuv taml] rilvai). On imagine ainsi que la partie manquante doit comporter plusieurs lignes qui exposent l’ensemble des faits ayant permis l’expulsion (des ennemis?) et la construction d’édifices religieux (l. 1-2). Je pensais que le début de ce texte pouvait être gravé sur l’un des autres éléments architecturaux du temple, comme le piédroit gravé de l’inscription C. 5, celui qui a été présenté par Parmentier comme le correspondant architectural du piédroit gravé de l’inscription C. 4. Or, la partie lisible de C. 5 présente une liste et non un récit qui pourrait correspondre à C. 4. En fait, il est fort probable que les piédroits du temple étaient bien plus grands que les morceaux dont nous disposons, et qui ne mesurent que 1,63 m de hauteur pour le plus grand d’entre eux. Le début de l’ins- cription C. 4 devait être gravé sur la partie supérieure du premier piédroit de Phan Rang qui n’a pas été retrouvée. 157 C. 30 B4, l. 4. Une lecture de cette inscription est présentée en annexe de cet article, p. 262-263. 158 C. 86.1, l. 3. Une lecture de cette inscription est présentée en annexe de cet article, p. 264.

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l’arrêta logiquement trente-deux années plus tard, en 1144 s/1222 de n. è., bien que cette date ne soit mentionnée nulle part dans les inscrip- tions du Campa. Pour sa part, Vickery (2005, p. 72) se fonda sur les informations pré- sentées dans l’inscription C. 4 A, l. 14, où il est précisé que les Khmers quittèrent le Campa en 1142 s/1220 de n. è., pour dater la fin du conflit. Ceci l’amena à proposer l’année 1110 s/1188 de n. è. comme celle qui marqua le début des hostilités. Celle-ci n’est pas plus mentionnée dans les inscriptions cam. Enfin Schweyer (2004, p. 125) se basa sur C. 30 B4 pour proposer que la «guerre» de trente-deux ans débuta en 1112 s/1190 de n. è. Dans un autre article (2007, p. 69), l’auteure ajouta qu’elle se termina autour de 1142 s/1220 de n. è. Ces deux années sont effectivement citées dans le corpus épigraphique du Campa mais elles encadrent une période de trente ans. Suivant ces trois hypothèses, les conflits auraient ainsi commencé autour de l’année 1190 (en 1188 ou en 1190) et se seraient terminés au début des années 1220 (en 1220 ou en 1222). Les dates proposées par Aymonier semblent difficilement acceptables. En effet, selon cet auteur, 1190 marque à la fois «la conquête du Tchampa par le roi du Cambodge» et le début de la guerre de trente-deux ans159. Or, il me semble que si le Campa était une terre conquise en 1190, les conflits avaient sans doute commencé antérieurement. En cela, l’interprétation de Schweyer est plus cohérente puisqu’il ne s’agirait pas de la conquête du Campa mais de sa capitale160. La datation proposée par Vickery (1188-1220) semble cepen- dant plus probable. L’interprétation de l’inscription C. 30 B4 par cet auteur se rapproche de celle de Schweyer puisqu’il perçoit la conquête mentionnée dans l’inscription non pas comme celle du Campa entier, mais celle d’un seul pays cam, celui où est localisée cette inscription, au

159 Aymonier (1891: 52) n’a pas traduit l’inscription C. 30 B4 mais proposait un résumé où l’on lit: «… la guerre de 32 ans qui suivit la conquête du Tchampa par le roi du Cambodge en 1112 [saka]. Cette guerre se prolongea jusque vers 1144 çaka». 160 Schweyer (2005, p. 97) traduit ce même passage de l’inscription «Il y avait un roi, nommé l’illustre Jaya Paramesvaravarma-deva […] [prince] Ansaraja de Turaiy-vijaya; en l’année 1112 [1190 EC]. Alors le roi du Kambuja nommé l’illustre Jayavarma-deva fit écraser tous les pays du Sud-Est [?], alla prendre la capitale du Campa, dévasta tous les linga. Ce fut la guerre de 32 ans».

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Ku†hara161. Cette interprétation, comme celle de Schweyer, permet de considérer les événements de l’année 1190 comme une défaite participant à un conflit beaucoup plus long qui avait certainement commencé avant cette date. Je me rallie à cette interprétation des faits survenus en 1190, mais propose de dater la «guerre» de trente-deux ans différemment.

Pour cela, je me fonde sur les informations contenues dans l’inscrip- tion C. 4 où on lit qu’en 1123 s/1201 de n. è. un dirigeant du Campa fut nommé «héritier» par Jayavarman VII (A, l. 4-7). Cette donnée est confirmée par l’inscription C. 30 B4, l. 5. En temps de conflit, qu’un dirigeant d’une faction nomme héritier un membre de la faction adverse est tout à fait concevable, sous-tendu par des intérêts stratégiques. Par ailleurs, un seigneur cam pouvait considérer qu’une alliance avec un diri- geant khmer était plus avantageuse que celle avec un autre seigneur cam qui pourrait bien, une fois les conflits avec le Cambodge terminés, se retourner contre lui. Mon hypothèse est que la nomination d’un dirigeant cam comme héritier par le souverain khmer marqua l’entente entre les deux parties, et entérina la fin du conflit khméro-cam. C’est la relecture de l’inscription C. 86.1, et la correction de la traduction qu’en proposa Finot, qui, peu à peu, porta cette hypothèse au rang de probabilité. On lit en effet: (1) mada pu pom tana raya sidaÌ yam pom ku sri jaya(2)paramesva- ravarmmadeva aum ansaraja uram turaiy· vijaya (3) di jamÌ kaliÌ kamvuja ya 32 thun· nan· d®m rajam ekachatra (4) di nagara campa ni162 Finot traduisit «Il y avait un roi, S. M. Çri Jaya Parameçvaravarma- deva, on Ançaraja, uran Turai-vijaya. Pendant les désastres de la guerre du Cambodge, qui dura 32 ans, il régna avec le parasol unique dans l’État du Campa»163.

161 Vickery (2005, p. 74): «The other reference to that date (C30B4) has indeed been interpreted as saying that he conquested the ‘earth’ (sarvvadvipa, literally ‘all continents’) and took nagara Champa, but it is from Nha Trang and may only mean he then took that particular nagara Champa». 162 Cette lecture est fondée sur l’estampage EFEO n. 341. Hormis le système de trans- littération que j’emploie, cette lecture est la même que celle proposée par Finot (1904, p. 976). 163 Finot (1904, p. 976). Cette traduction est la seule qui existe. Vickery et Schweyer l’ont reprise dans leurs travaux.

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L’erreur de traduction fut de comprendre le mot jamÌ comme un syno- nyme de janaÌ. Ce dernier substantif, qui est toujours utilisé en cam moderne, signifiait déjà «désastre». En revanche di jamÌ signifiait en cam ancien «après» ou «ensuite»164. Il faut donc comprendre qu’ «après les conflits avec le Cambodge, qui durèrent trente-deux ans, il régna avec le parasol unique». Jaya Paramesvaravarman ne régna donc jamais pen- dant mais après la «guerre» de trente-deux ans.

De prime abord, cette correction n’a pas beaucoup d’incidence puisque nous savons qu’Ansaraja fut sacré en 1226 (C. 4 A, l. 17) et que les deux dates proposées pour marquer la fin des conflits sont antérieures à cette consécration royale (1220 ou 1222). Mais suivant mon hypothèse, cette correction devient essentielle: si le règne de Jaya Paramesvaravarman était effectivement entendu comme commençant dès sa nomination au rang d’héritier, 1201 marquerait aussi la fin des conflits. Ceux-ci auraient donc débuté trente-deux années plus tôt, en 1169 ou, si l’on se fie à C. 30 B4, trente et une années plus tôt en 1170. Ces dates sont absentes du corpus épigraphique du Campa mais on remarque que l’une se rap- proche de, et que l’autre correspond à, la date de la première attaque d’Angkor par les Cams165. Cette attaque est mentionnée dans les annales chinoises166 et peut- être dans l’inscription khmère K. 485167 mais son absence des écrits cam prête à controverse. La datation de la «guerre» de trente-deux ans que je propose (de 1169-70 à 1201) permet d’expliquer ce défaut des sources cam: l’attaque de 1170 marqua le début d’une série de

164 Ce mot est répertorié dans A&C-SA, traduit par «puis» ou «ensuite». On le retrouve dans l’inscription C. 30 A1 (l. 7, 9 et 10) où il n’a pas été lu de la même façon (Schweyer 2005, p. 88). Outre l’occurrence qu’on lit dans l’inscription C. 86.1 et les trois contenues dans C. 30 A1, on lit également jamÌ, sur la face A, l. 9 de la stèle de Yan Kur (C. 20, inédite) dont je prépare une édition. 165 Pour les faits survenus en 1070 de n. è., voir Maspero (1928, p. 163); Cœdès (1989, p. 300); Vickery (2005, p. 61-62); Schweyer (2007, p. 66-67). De nombreuses inscriptions mentionnent les conflits khméro-cam durant cette période: K. 227; K. 547; K. 908; C. 92 B; C. 30 A3; C. 92. 166 Cf. Maspero (1928, p. 163 note 7): «En 7e année K’ien T’ao», Song Che, CCC- CLXXXIX, 27 a; Ling Wai Tai a, II, 1I; Wen Hien T’ong K’ao, XXIV, 占城, 54 a; Méridio- naux, 555-556. 167 Cf. notes 4 et 6.

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conflits, lesquels, sur le versant cam, n’étaient pas considérés indivi- duellement. Le rôle central que jouait le Cambodge, et notamment Jayavarman VII168, dans les tumultes que connaissait le Campa à la fin du XIIe siècle, permet d’envisager que l’élite dirigeante cam considérait ces conflits militaires et politiques comme une période. Par ailleurs, il faut rappeler que l’attaque d’Angkor par les Cams ne se solda pas par un succès et que le pouvoir cam n’avait aucun intérêt à la mentionner dans ses épigraphes169. L’implication du futur roi khmer dans les affaires cam était entière jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Jaya Paramesvaravarman grâce auquel, je le montrerai plus loin, une entente fut faite.

Selon moi la «guerre» de trente-deux ou de trente et un ans se déroula de 1169-70 à 1201. La nomination d’un nouvel héritier du roi khmer, Ansaraja (le futur Jaya Paramesvaravarman), par le roi lui-même entérina la fin d’une période marquée par les affrontements entre le Cambodge et le Campa et par une instabilité politique interne au Campa. Cette alliance entre les pouvoirs khmer et cam n’était pas nouvelle puisque Jayavarman VII était extrêmement impliqué dans la politique cam; la prise du pouvoir par des princes cam dans les États méridionaux du Campa était même orchestrée par le souverain khmer, sans que celui- ci ne trouvât toujours la reconnaissance qu’il était en droit d’attendre d’un de ses vassaux.

168 Jayavarman VII ne fut consacré roi qu’entre 1181 et 1182, mais il résidait aupara- vant au Campa, à Vijaya. Des liens entre le futur souverain du Cambodge et les souverains cam ont pu se tisser dès ce moment-là. Vickery (2005, p. 74) proposait «that the real conquest of Angkor was by Jayavarman VII and his Cham allies – probably in the 1170s, at least before 1181 – and that the subordination of central and southern Champa to him dated from that time»; Schweyer (2007, p. 66) ajoutait: «It cannot be excluded, on the evidence we have, that the future Jayavarman VII, fighting with Cham allies, was involved in these attacks on Tribhuvanaditya’s regime. There could have been land attacks in 1166 (?) and 1170 (?) and a raid on Angkor in 1177 (?), the last possibly involving a Cham king and/or Jayavarman VII at the head of a Cham force». 169 Quant à la seconde attaque d’Angkor et le succès Cam qui s’ensuivit en 1177, les arguments les soutenant sont assez faibles. L’absence dans les écrits cam d’un tel exploit militaire laisse à penser que ce dernier n’eut jamais lieu. Les bas-reliefs khmers censés représenter les conflits khméro-cam de 1177 pourraient en fait renvoyer à la fuite des Cams en 1170 (Jacques 2007, p. 37).

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La mainmise de Jayavarman VII sur les princes cam

Qui était Ansaraja? Les connaissances sur ce futur roi ne reposent sur aucun fait historiquement attesté. Elles ont été extrapolées (Vickery 2005, p. 72). On lit en effet qu’ «on Ançaraja Uran Turaiy-vijaya, fils aîné de Jaya Harivarman II, était élevé à la cour de Jayavarman VII. Il obtint en 1201, le titre de ‘Pu Pon Pulyan Çri Yuvaraja’, quelque chose comme ‘prince héritier’, et la permission d’aller rejoindre au Champa le gouverneur Dhanapatigrama»170. Hormis la date de 1201 qui est cer- taine, on ne lit nulle part qu’Ansaraja fut élevé à la cour du roi khmer. Il apparaît en fait que ne disposant pas du texte complet de l’inscription C. 4 et ne pouvant pas, de ce fait, expliquer le choix de Jayavarman VII d’Ansaraja pour héritier, on prêta à ce dernier un passé très inspiré de celui de Vidyanandana171. Ce passé, qui est attesté par les textes dans le cas de Vidyanandana, et qui se révèlera plus tard être le fondement d’une «manœuvre politique», aurait effectivement pu se reproduire avec Ansaraja172. Or il semble que la ligne 5 de l’inscription C. 4 nous apprenne que celui qui obtint le titre d’héritier était un seigneur (pu pom tana raya) de Siμhapura. Les informations que nous possédons sur la géographie du Campa permettent de localiser Siμhapura au Nord du Campa, l’ac- tuelle Trà Kiπu dans la province de QuÒng Nam (Finot 1904, p. 915), d’où ce seigneur serait originaire. Cette information peut laisser entendre que le choix de ce dirigeant cam pour héritier, et l’acceptation de ce titre par Ansaraja, étaient politiques. Ainsi Ansaraja a peut-être été élevé à la cour de Jayavarman VII, mais nous n’en possédons par la preuve. Ce qui paraît comme étant certain est que ces choix

170 Maspero (1928, p. 168); Cœdès (1989, p. 313). Je reviendrai plus loin dans cette étude sur les embarras posés par le gouverneur Dhanapatigrama (cf. p. 29-30) et me foca- lise ici sur le détenteur du titre d’héritier. 171 Cf. p. 208. 172 Selon Cœdès (1989, p. 312), Vidyanandana était un instrument qui servit au sou- verain khmer dans sa revanche sur le Campa. Effectivement, Vidyanandana dirigea les troupes de Jayavarman VII sur le Sud du Campa et captura le roi cam à Vijaya pour le remplacer par le beau-frère de Jayavarman VII; mais aussitôt, il s’octroya le Pa∞∂uranga puis Vijaya, contrecarrant les projets de Jayavarman VII. La qualification de «manœuvre politique» de Cœdès est ainsi, selon moi, inadaptée.

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politiques étaient motivés par deux raisons: l’une d’elles était les inté- rêts territoriaux du Campa comme du Cambodge. Les traces trouvées dans l’inscription C. 4 qui le prouvent sont présentées dans cet article173. Mais avant de les discuter, il faut exposer l’autre raison qui ne regardait que le souverain khmer, la volonté de soumettre le Campa entier à son autorité.

La correction de la première date de l’inscription C. 4 (de 1129 s/1207 de n. è. en 1123 s/1201 de n. è.) nécessite une clarification des faits sur- venus autour de cette date, à la fin des trente-deux années de luttes khméro-cam. En effet, le rapprochement des données nous oblige à constater que parmi les trois dirigeants connus qui se trouvaient à ce moment-là au Campa (Vidyanandana, Ansaraja et Dhanapatigrama), deux semblent avoir été envoyés au Campa par Jayavarman VII et tous portaient le titre d’héritier qui leur avait été offert par ce même souverain khmer. Depuis 1192, Vidyanandana régnait sous le nom de Suryavarman sur le Pa∞∂uranga et Vijaya, les États méridionaux du Campa, sans témoi- gner la moindre marque de vassalité envers Jayavarman VII qui était pourtant à l’origine de son pouvoir174. Nous savons, grâce à l’inscription C. 30 B4, que le territoire de Ku†hara était aux mains du Cambodge deux années auparavant, en 1190175. Aux alentours de 1203, soit treize années plus tard, Jayavarman VII envoya au Campa un autre Cam, Dhanapati- grama, afin de détrôner Vidyanandana-Suryavarman176. Lorsque le sou- verain khmer nomma Ansaraja – un seigneur de Siμhapura, du Nord du Campa – héritier en 1201, la situation au Sud du Campa n’était, du point de vue khmer, pas encore pacifiée et ce malgré les deux tentatives de Jayavarman VII pour ramener Vidyanandana-Suryavarman à l’assujettis- sement. Outre les intérêts territoriaux qui liaient le souverain khmer à Ansaraja, l’entente avec ce prince cam permit au souverain khmer d’exer- cer une mainmise sur le Nord du Campa en attendant sa victoire sur Vidyanandana-Suryavarman au Sud, en 1203.

173 Cf. plus loin, p. 247-251. 174 Maspero (1928, p. 166); Cœdès (1989, p. 313) 175 Cf. note 161. 176 Maspero (1928, p. 167)

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À partir des premières années du XIIIe siècle, au moins, la stratégie politique de Jayavarman VII au Campa consiste à opposer des princes cam. Vidyanandana fut nommé héritier par Jayavarman VII bien avant Ansaraja, et s’il est toujours présent sur la scène politique au tout début du XIIIe siècle, ses relations avec le souverain khmer sont avant tout bel- liqueuses. Il ne participe plus à la cour des vassaux du souverain khmer. En revanche, les recherches déjà menées sur cette période de l’histoire semblent montrer que le gouverneur Dhanapatigrama – le Cam envoyé par le souverain khmer en 1203 afin de détrôner Vidyanandana-Suryavar- man – était le même personnage que l’héritier MnagaÌna on Dhana- pati177. Ce dernier gouvernait le Campa au même moment qu’Ansaraja. Cette situation est loin d’être inhabituelle178, mais mérite néanmoins d’être clarifiée. Regardons ce que nous disent les textes: le seul qui ait été rédigé sous le règne de MnagaÌna on Dhanapati (C. 92, face c) a été daté de l’année 1166 s/1244 de n. è. Or, il apparaît que cette date n’est pas exacte et qu’il faut la lire 1125 s/1203 de n. è.179. Cette correction laisse ainsi com- prendre que deux années après la nomination d’Ansaraja comme héritier,

177 Maspero (1928, p. 166, note 8); Cœdès (1989, p. 313, note 3) se fondant sur l’étude de l’inscription C. 90, face D, de Finot (1904, p. 940). 178 Vickery (2005, p. 72-73): «The fate of Dhanapatigrama is unknown, although Mas- péro assimilates him to a Yuvaraja MnagaÌna on Dhanapati who in a very brief inscription (C92C, following the story of Suryavarmadeva) dated 1244 claimed to govern (uncertain translation) Champa. This is in conflict with King Jaya Paramesvaravarman’s inscription C6 in Phan Rang in the same year and implies that the two were rivals controlling different Champas, one in the North and one in the South – a situation which was not unusual, as has been emphasized here». 179 Aux l. 14-15 de l’inscription C. 92, face c, Finot (1904, p. 973-975) lisait: kala saka bhutaÌ pakÒa 66 ka yaÌ qu’il traduisait «en saka 1166 (??)» en précisant en note de bas de page que «l’expression bhutaÌ pakÒa 66 ka yaÌ est incompréhensible, mais ne semble pouvoir désigner que 1166». Or, bhutaÌ et pakÒa ne renvoient pas au chiffre 1, et la forme du signe suivant, doublé, ne peut pas être celle du signe numérique 6. A. Griffiths, que je remercie pour cette correction, indique qu’il faut plutôt lire la date bhutaÌ pakÒa e[ka] eka. Les deux signes lus comme étant des signes numériques sont en réalité deux voyelles initiales e. Il faut comprendre bhutaÌ = 5 et pakÒa = 2, soit 1125 s/1203 de n. è. L’hypo- thèse de Maspero, selon laquelle MnagaÌna on Dhanapati était le même personnage que Dhanapatigrama, fut reprise par les chercheurs, mais également mise en doute. On préfé- rait parfois dissocier ces deux personnages (Jean Boisselier 1963, p. 321). La correction de cette date montre que MnagaÌna on Dhanapati grava son unique inscription au moment où Dhanapatigrama régnait. L’hypothèse de Maspero est donc vraisemblablement fiable.

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Dhanapatigrama vint détrôner, à la demande de Jayavarman VII, Vidya- nandana-Suryavarman au Sud du Campa. Cette même année, en 1203, sans doute après son succès, Dhanapatigrama gouvernait une partie du Campa, au même moment qu’Ansaraja, sous le titre d’héritier MnagaÌna on Dhanapati. Jayavarman VII décidait de qui régnerait au Campa. Son ascendance sur les pouvoirs cam est évidente. La correction de la date de l’inscription C. 92, face c, montre qu’en seulement deux années, Jayavarman VII nomma deux héritiers. Cette stratégie politique se comprend dès lors qu’on se remémore la dangereuse situation de Jayavarman VII au moment où Vidyanandana, portant le titre d’héritier et seul envoyé du souverain khmer au Campa, s’émancipa de la tutelle khmère et s’octroya le Pa∞∂uranga puis Vijaya pour y régner180. La nomination de deux héritiers au même moment permettait sans doute au souverain khmer de contenir les ambitions personnelles des princes cam en leur opposant un concur- rent. Comme l’atteste la production épigraphique qui marqua son règne, Ansaraja prit l’avantage sur MnagaÌna on Dhanapati181. Il devait possé- der le plus d’intérêts communs avec le souverain khmer et fut sans doute le plus enclin à prêter allégeance pour ses intérêts à la frontière Nord du Campa.

Les alliances politiques qui lièrent Jayavarman VII aux princes cam lui étaient nécessaires puisqu’aux XII-XIIIe siècles, il était matériellement

180 Cf. note 172. 181 Le reste de l’inscription C. 92, face c, est entièrement réservé à Suryavarman. L’inscription C. 90 évoque Dhanapatigrama. Afin d’illuster mon propos, la primauté d’Ansaraja sur MnagaÌna on Dhanapati, on notera une analyse de la face D de cette ins- cription par Boisselier (1963, p. 324-325): «L’inscription du Yuvaraja on Dhanapatigrama ne contient qu’une indication, tronquée, relative à Srisanabhadresvara qui ‘accorde des grâces et la satisfaction de leurs désirs aux hommes dévots, en tout temps’ mais il est précisé aussi que le dieu ‘est une portion, ou une incarnation (ansa), de Paramesvara’. La formule pourrait sembler banale, encore que le parallélisme Srisanabhadresvara-Parames- vara soit une nouveauté, si nous ne remarquions que ce vocable, accompagnant ansa, nous conduit à penser à Ansa(raja) Jaya Paramesvara(varman). Il semble ainsi qu’à la faveur d’un jeu de mots, Dhanapatigrama rende à la fois un hommage personnel au prince Ansa- raja et à Srisanabhadresvara et qu’il souligne l’identité du prince et de la divinité nationale du Champa suivant le système des incarnations successives mentionné dans l’épigraphie des ancêtres de Jaya Paramesvaravarman».

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impossible au Cambodge, comme à tout autre pays, d’envahir et d’an- nexer durablement un autre pays. L’annexion du Campa par le Cambodge n’eut jamais lieu; c’est une relation de vassalité qui liait les deux pays. Bien que le souverain khmer eût à subir quelques revers dans ses rela- tions avec les précédents souverains cam (1190, 1192 et 1194), après la «guerre» de trente-deux ans Jayavarman VII opposait les princes cam entre eux pour mieux contenir leurs ambitions personnelles et s’assurer une vassalité stable. Les intérêts communs d’Ansaraja et du souverain khmer se conclurent ainsi par dix-neuf années de vassalité (1201-1220182).

Le ∑æi Viπt: l’ennemi commun

Conformément à ses obligations de vassal, Ansaraja devait participer aux entreprises militaires de son suzerain. À défaut de disposer d’une lecture plus complète de l’inscription C. 4, les menaces territoriales qui pesaient sur le Cambodge n’ont pas été prises en considération lors des travaux antérieurs183. Or, il apparaît clairement que des attaques étran- gères nécessitèrent l’organisation d’une défense khmère à laquelle les Cams participèrent. On lit à la l. 7 que les Paganais, les Siamois et les gens de Dawei (davvam) attaquèrent d’abord le Cambodge (kamvu- jadesa). Il faut noter que, parmi les corpus épigraphiques sud-est asia- tiques, la mention de ce conflit opposant les Khmers, les Cams d’un côté aux Paganais, aux Siamois et aux gens de Dawei de l’autre entre 1201 et 1220, peut-être sur le front occidental du Cambodge, est unique. D’après l’inscription cam qui relate les faits, l’armée levée fut dirigée par Ansa- raja qui sortit vainqueur des combats (A, l. 8-9). Suite à cette victoire, les troupes armées attaquèrent le ∑æi Viπt (A, l. 10). Voici donc l’intérêt commun aux deux souverains que j’évoquais pré- cédemment. Entre la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe siècle, la situa- tion politique du voisin septentrional du Campa ne pouvait être que dif- ficilement plus instable. Le pays vivait alors la fin du règne de la dynastie des Ly qui, en 1225, disparaissait pour laisser la place à la

182 1142 s/1220 de n. è., date à laquelle les Khmers partirent à Angkor (C. 4 A, l. 14). 183 Les Paganais, les Siamois et le Cambodge étaient bien mentionnés dans la lecture partielle d’Aymonier, mais le manque d’informations autour de ces mots épars ne permet- tait pas une bonne interprétation.

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dynastie des Trån. Lê Thánh Khôi (1955, p. 168-169) nous apprend que depuis 1176, l’empereur Cao Tông accablait le peuple d’impôts et de corvées pour la construction de ses palais et les dépenses de ses fêtes. La corruption mandarinale provoquait en 1208 la révolte de Phæm Du au Nghπ An, qui fut réprimée par le pouvoir. Mais les troupes de ce révolté obligèrent l’empereur à fuir avec le prince héritier, le dénommé SÒm. Les insurgés placèrent sur le trône le prince Thåm que le prince héritier détrôna, en 1209, grâce à l’aide de la clientèle armée de celui qui, entre- temps, était devenu son beau-père, Trån Ly. À la mort de l’empereur Cao Tông, le prince SÒm lui succéda sous le nom de Huπ Tông (1210-1225). Confronté à des difficultés, l’empereur nomma régent Trån Tº$ Khánh, son beau-frère (le fils de Trån Ly). Celui-ci s’appliqua à reconstituer une armée vietnamienne et put ainsi repousser en 1216 et en 1218 les deux invasions des Khmers et de leurs alliés cam au Nghπ An. L’empereur tomba malade: il traversait des crises de folie qu’il noyait dans l’ivresse. Il cessa de gouverner, laissant le pouvoir entre les mains de Trån Tº$ Khánh, puis, à la mort de ce dernier, de Thu ∑Ω, le cousin de l’impéra- trice. En 1224, l’empereur Huπ Tông abdiqua en faveur de sa fille cadette qu’il adorait, alors âgée de sept ans, et il se retira dans une pagode. Une alliance entre la jeune impératrice et un descendant de la lignée des Trån marqua la fin de la dynastie des Ly. Le moment était donc opportun pour attaquer cet ennemi de toujours. L’inscription C. 4 présente l’attaque du ∑æi Viπt, et de manière relative- ment bien détaillée en comparaison de la description qui est proposée, dans la même inscription, du conflit qui opposait le royaume khmer à celui de Pagan et leurs alliés respectifs. Le texte nous informe même de la stratégie militaire qui fut employée. Ainsi, apprend-on que lorsque qu’Ansaraja conduisit ses troupes depuis le Cambodge vers le Nord (A, l. 10-11), un chef militaire du Cambodge atteignit la localité de Na Mukyap où le combat avec les Vietnamiens dut avoir lieu (A, l. 11-12). Il est malheureusement impossible de localiser Na Mukyap qui n’est nommée nulle part ailleurs dans le corpus épigraphique du Campa. Mais si l’on se fie aux textes vietnamiens, Na Mukyap devait se trouver non loin de la province actuelle de Nghπ An. Cette double attaque visait-elle à attirer les forces vietnamiennes en un point pour les attaquer par sur- prise ailleurs? L’inscription cam ne livre pas suffisamment de données

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afin de restituer les faits tels qu’ils se sont déroulés. Le récit proposé par les annales vietnamiennes permettra sans doute d’en tenter une restitution plus complète.

Les recherches fondées sur les annales vietnamiennes nous apprennent que deux attaques eurent lieu en 1216 et 1218184. À partir de la lecture de l’inscription C. 4 d’Aymonier (fragmentaire pour le texte, et fausse pour la première date), Maspero (1928, p. 168) constata que les deux dates présentées dans les documents vietnamiens ne coïncident pas avec la date de l’expédition contre le ∑æi Viπt lue dans l’inscription C. 4 (1129 s/1207 de n. è.). Vickery (2005, p. 73) proposa de relire cette mauvaise lecture 1138 saka185 qui correspondrait alors exactement à l’attaque cam de 1216 citée par les annales vietnamiennes. Or, la date mentionnée dans cette partie de l’inscription (l. 5) corres- pond, comme je l’ai dit, à la date de la nomination d’Ansaraja comme héritier. Elle ne concerne absolument pas la campagne contre le ∑æi Viπt. Selon moi, C. 4 ne présente en fait aucune date précise aussi peu pour cette campagne militaire, que pour celle qui fut menée auparavant contre les Paganais, les Siamois et les gens de Dawei. Ces affrontements armés se déroulèrent à différents moments entre 1201 et 1220, durant les dix- neuf années de vassalité du Campa au Cambodge, mais ils ne sont pas précisément datés car ces luttes ne sont pas l’objet de l’inscription. Ces conflits sont présentés dans le texte afin d’expliquer le cours des événe- ments, mais l’intérêt réel de l’inscription C. 4 est la figure que représente le futur Jaya Paramesvaravarman, le bienfaiteur du temple de Svayamut- panna qui mit fin à plus de trente années de conflits avec le Cambodge, un fin stratège politique qui, par un jeu d’alliances, libéra le Campa du joug khmer. Les dates importantes sont celles relatives à son avènement (1201), à la fin de l’ascendance khmère (1220) et à son sacre (1226).

184 Les attaques du Nghπ An, Maspero (1928, p. 168, notes 5 et 6): «En 6e année Kiên Già 建 嘉, à la 12e lune, les Chams et les Cambodgiens pillent le Nghπ-an, le gouverneur du châu Ly Bãt-nhiêm 李 不 染 les disperse» Sk, Tt, IV, 29 b; Cm, V, 29a; «en 8e année Kiên Già, en hiver, à la 12e lune, les Chams et les Cambodgiens…», ibid., Sk, Tt, IV, 30a; Cm, V, 39a». 185 Constatant la confusion entre les chiffres 2/3 et 9/8, 1129 s/1207 de n. è. pouvait être relue 1138 s/1216 de n. è.

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Tentons néanmoins de dater cette attaque du ∑æi Viπt. Elle dut se dérouler vers la fin de la suzeraineté khmère, en 1220, puisque d’après C. 4, c’est cette attaque qui entraîna le départ des Khmers pour Angkor. Elle pourrait avoir eu lieu en 1218 comme le disent des sources vietna- miennes. Mais à la lumière des informations offertes par les annales viet- namiennes, il faudrait peut-être revoir ma première interprétation des faits, selon laquelle il n’y eut qu’une seule attaque khméro-cam articulée en deux mouvements simultanés. Les textes vietnamiens mentionnent en effet deux attaques; les deux mouvements que j’interprétais comme parallèles pourraient avoir été deux attaques distinctes. Cette interpréta- tion permet alors de faire correspondre les données vietnamiennes et cam, mais l’issue des combats resterait différente selon les sources qu’on inter- roge: les luttes se soldèrent par une dispersion des troupes cam par le gouverneur de la province vietnamienne du point de vue vietnamien, et par une victoire des Cams selon C. 4. Néanmoins, cette divergence ne doit pas déterminer le choix d’interprétation car nous sommes confrontés à des récits officiels de l’histoire, où les victoires sont souvent bien plus nombreuses que les défaites. L’intérêt que présentait la production d’un document comme C. 4 était en effet de diffuser l’histoire officielle. À l’instar des annales vietna- miennes au ∑æi Viπt, C. 4 présente les faits à l’avantage du souverain régnant au Campa, pour la gloire duquel elle fut rédigée. C’est la raison qui explique le décalage entre les récits vietnamien et cam des événements de 1216 et 1218: pour la postérité, une défaite pouvait être gravée sous la forme d’une glorieuse victoire. D’autres arguments le montrent, comme le bilan humain des luttes contre les Vietnamiens inscrit sur C. 4 qui ne comptabilise aucun Cam (A, l. 12-13). C’est une constante dans les his- toires officielles, on ne comptabilise pas ses propres pertes humaines mais celles des ennemis. De même, Ansaraja était-il réellement en mesure de remporter la victoire sur le front khmer contre les Paganais, les Siamois et les gens de Dawei comme le dit C. 4? Il semble que cette donnée par- ticipe elle aussi à l’histoire officielle. En tant que vassal, la participation du roi cam à ce conflit faisait partie de ses obligations. La victoire d’An- saraja sur le front khmer permet d’une part d’atténuer la dépendance du Campa au Cambodge et d’autre part la glorification du roi. Enfin, la men- tion à la l. 14 du retour des Khmers à Angkor laisse entendre que le

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Campa aurait pu être massivement occupé et que Jaya Paramesvaravar- man réussit à libérer le pays. Or, je l’ai dit, l’occupation réelle de l’en- semble du Campa par le Cambodge au XIIIe siècle est peu probable.

Suite à dix-neuf années de suzeraineté, quelle pourrait être la raison qui poussa les Khmers à retourner à Angkor en 1220? La disparition de Jayavarman VII autour de cette date peut être une raison valable. Il semble également que des menaces voisines obligèrent les Khmers à se détourner du Campa. Quoi qu’il en soit, cette date marqua la fin de la vassalité du Campa au Cambodge.

Jaya Paramesvaravarman, le Pa∞∂uranga et le temple de Svayamut- panna

Jaya Paramesvaravarman avait réussi à s’imposer parmi les princes cam comme le dernier héritier du souverain khmer au Campa. L’alliance avec Jayavarman VII le plaçait certainement en position de force vis à vis des autres. Le départ des Khmers et le fait que le corpus épigraphique dont nous disposons ne mentionne aucun autre souverain régnant pendant les premières années à partir de 1148 s/1226 de n. è.186 suggèrent qu’il était peut-être le seul sur la scène politique du Campa. On se rappelle en effet qu’il était originaire du Nord du pays, que le Sud n’est plus aux mains de Suryavarman depuis 1203 et que Vijaya est libéré de la représentation khmère en 1220. On peut alors se demander s’il était en possession de l’ensemble des territoires cam. C. 4 nous apprend d’abord que Jaya Paramesvaravarman érigea des dieux au Campa sur un axe Nord – Sud et qu’il offrit les biens nécessaires à la célébration de leur culte (A, l. 17-19). L’inscription C. 86.1 évoque le rétablissement des linga au Nord et au Sud, précisant qu’il s’agit de ceux des temples de My Sơn et de Po Nagar, les deux principaux sites religieux du Campa. La production épigraphique qui marqua le règne de ce roi est un autre indicateur de l’étendue du pouvoir du souverain. Ses inscriptions furent retrouvées dans les deux localités susmentionnées, ainsi que dans les actuelles provinces de Bình ∑înh et de

186 Concernant la datation de l’inscription C. 92, face c, de MnagaÌna on Dhanapati, voir note 179.

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Ninh Thu°n, couvrant une grande partie des territoires cam. Si ces données sont réellement révélatrices de l’étendue du pouvoir de Jaya Paramesvara- varman, alors se pose la question de la gestion de ce territoire qui était sans doute trop vaste pour être gouverné directement par un seul souverain. Comme l’indique l’inscription C. 6, la direction de chacun des États cam aurait pu être déléguée à des gouverneurs. Dans le cas présent, celle du Pa∞∂uranga était offerte à un chef militaire (l. 1). Ce que révèle avant tout la production épigraphique de ce souverain est l’attention particulière que portait Jaya Paramesvaravarman au Pa∞∂uranga où fut retrouvée plus de la moitié des inscriptions gravées lors du règne de ce roi (7 sur 13187). L’histoire récente du Pa∞∂uranga, les tumultes politiques qu’il connut, explique sans doute la volonté de Jaya Paramesvaravarman de marquer son autorité sur la partie méridionale du Campa. Jean Boisselier (1963, p. 336) pensait que le temple de Svayamutpanna était une fondation per- sonnelle de Jaya Paramesvaravarman. Or, cet auteur ne disposait pas des inscriptions de Hoà Lai (C. 216) et de Phước Thiπn (C. 217) qui ont été publiées récemment par Arlo Griffiths et William Southworth et grâce auxquelles nous savons qu’un temple de Svayamutpanna existait déjà au Pa∞∂uranga au VIIIe siècle188. Il pourrait s’agir du temple qui nous inté- resse. Cependant, les inscriptions de Jaya Paramesvaravarman sont les premières, gravées sur le site même, à nous parvenir. Si la mention retrouvée dans l’inscription C. 216 renvoie bien au temple de Svayamut- panna, Jaya Paramesvaravarman ne serait donc pas le fondateur du temple mais il atteste, par les inscriptions qu’il a laissées, de sa volonté de marquer sa présence dans cette région et de favoriser cette fondation. Durant ce même règne, un héritier (C. 5, l. 17) ainsi qu’un des gouver- neurs de Jaya Paramesvaravarman (C. 6, l. 1) firent des donations à Svayamutpanna. C. 6 atteste par ailleurs de la dévotion du frère de Jaya Paramesvaravarman, Jaya Indravarman VI, qui régna plus tard (l. 3-4).

Svayamutpanna est le nom sous lequel était vénérée une forme de Siva. Lors de son étude de l’inscription C. 3, Jacques (1977, p. 990 – cf.

187 C. 3, C. 4, C. 5, C. 6, C. 7, C. 218.2 et C. 219. Les six autres inscriptions gravées sous le règne de ce roi sont C. 30 B1, B2 et B4 (province de Khánh Hòa), C. 52, C. 213 (province de Bình ∑înh) et C. 86 (province de QuÒng Nam). 188 Cf. note 28.

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également Boisselier 1963, p. 336) notait que: «le mot svayamutpanna paraît être non pas un nom propre, mais une désignation probable du linga ailleurs appelé svayaμbhuva, ‘né de lui-même’: il s’agit normale- ment d’une pierre ayant naturellement la forme approximative d’un linga». Griffiths et Southworth (2007, p. 365-366) rejoignent ce point de vue. Lors de leur étude de l’inscription de Phước Thiπn (C. 217), ils ajoutent que les noms Yan Pon ku Svayamutpanna et Pon Yan Utpa∞a peuvent être identifiés comme des formes de Siva, contrairement à ce que proposait Finot qui, d’après le nom Svayambhu, identifiait des formes de Brahma. L’inscription C. 4 nous apprend que le souverain construisit des édi- fices en l’honneur de Nandin, le gardien de porte ou le taureau189 qui sont des figures sivaïtes, et de Sri Vinaya, c’est-à-dire Vinayaka, Ga∞esa (A, l. 17-18)190 qui participe également au milieu sivaïte, corroborant ainsi l’identification de Svayamutpanna avec Siva. Notons par ailleurs que les inscriptions C. 3, C. 5 et C. 7 mentionnent la divinité Sripatisvara.

La face b de l’inscription C. 4 ainsi que les inscriptions C. 3, C. 5, C. 6 et C. 7 énumèrent les biens offerts par Jaya Paramesvaravarman à Svaya- mutpanna. Voici une liste de ses dons présentée suivant la chronologie:

C. 3 (alors qu’il était images des divinités 1 Ramadeva) images des - divinités ustensiles du culte - métaux précieux 30 thil d’or 400 thil d’argent C. 4 terres Rizières localisées dans 12 agglomérations (1226) différentes pour un total de 420 jak, une n’est pas quantifiée. hommes/femmes - serviteurs - animaux -

189 Cf. Bhattacharya (1977, p. 1545-1567). 190 Cf. Griffiths (2011, p. 139).

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images des divinités - ustensiles du culte - métaux précieux - C. 3 terres 1 domaine de forêt trya (1233) hommes/femmes 9 Khmers, 22 Siamois et 1 Paganais serviteurs - animaux 1 éléphant (et son maître khmer) images des divinités - ustensiles du culte 1 vom san mvramm = 9 thil 4 draμ d’or 1 vom san mvramm = 8 thil d’argent 1 plateau de culte = 8 thil d’argent C. 6 1 calahvaya de métal cuivreux (1244) métaux précieux - terres - Hommes/femmes - serviteurs - animaux - images des divinités - ustensiles du culte 1 tralay = 50 thil d’argent C. 5 1 sanraun = 30 thil d’argent Non datée métaux précieux - (Ces dons sont terres 1 rizière de 400 jak (et 30 Khmers) partagés entre hommes/femmes - Svayamutpanna et Sripatisvara) serviteurs 29 Cams issus de 5 familles différentes + 1 qui fut échangé contre trois autres animaux - images des divinités - ustensiles du culte - métaux précieux 30 thil d’or 300 thil d’argent terres Un premier lot n’est plus lisible (l. 1) Une rizière délimitée (partagée entre C. 7 Svayamutpanna et Sripatisvara) Non datée 500 jak de terres dénivelées (partagées entre Svayamutpanna et Sripatisvara) hommes/femmes Des Khmers, des Javanais, des Chinois (?), des Paganais, des Siamois: #3 Ainsi que 4 personnes d’une même famille serviteurs - animaux -

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Cette liste de biens nécessite de s’arrêter momentanément sur les sys- tèmes de mesure employés au XIIIe siècle. La première unité est le jak, celle qui permet de mesurer la capacité de rendement des rizières. Parmi les annotations d’A&C-SA, on trouve la traduction «boisseau». Les auteurs précisaient que «chez les Chams de l’Annam il vaut 7 bols ou écuelles, et que 5 jak font un panier». Aucune donnée n’est ainsi présentée pour le jak dans son utilisation ancienne. Ces informations valent en effet pour le début du XXe siècle et l’on sait qu’elles ne sont pas applicables au système employé au XVIIIe siècle191, même si l’unité portait le même nom. Cette définition du jak n’est ainsi probablement pas recevable pour le XIIIe siècle. Quant à établir une corrélation entre ce système cam et un autre qui serait plus connu, sachant que cette unité variait d’un village à l’autre au XXe siècle, il faut admettre que cela pouvait également être le cas auparavant, ce qui rend la tâche extrêmement difficile. Seule une étude de l’ensemble du corpus épigraphique permettant de prendre en considération toutes les données disponibles arrivera peut-être à un résultat satisfaisant. L’autre mesure utilisée afin d’évaluer le poids des métaux précieux et des objets de culte façonnés à partir de ces métaux est le thil. Les mêmes auteurs relevaient dans le dictionnaire cette unité et proposaient de la traduire par «once» ou «livre», bien que ces traductions ne dussent pas les satisfaire entièrement puisqu’ils les accompagnaient d’un point d’in- terrogation. Ils précisaient qu’elle était subdivisée en draμ (un douzième de thil selon le même dictionnaire) et que cette dernière mesure corres- pond «aujourd’hui [à] une dizaine ou une douzaine de pièces d’étoffe». Jacques identifiait le thil comme une mesure équivalente au tael chinois, qui était en usage au Cambodge à la même époque, et dont la valeur était alors de 37,5 grammes192.

191 D’après l’étude des archives royales du Pa∞∂uranga, 1 panier (kajen) se composait de 4 jak et non de 5. Cf. Lepoutre (2010, p. 66-70). 192 Jacques (1978, p. 1078): «Les objets d’argent offerts par ce roi étaient un tralay pesant 50 thil (soit approximativement 1.875 g) et un sanraun de 36 thil (soit 1.350 g environ) … 30 thil (soit environ 1.125g) … 9 thil, 4 draμ (environ 350 g), le second 7 thil (environ 263 g)». C’est la valeur du tael chinois (37,5 g) en usage au Cambodge et à Java qui est appliquée. Soutif (2009, vol. 1, p. 151, note 249) précise que selon S. Pou (1984, p. 146), la valeur de 37,5 g par tael au Cambodge ne se serait imposée qu’à partir

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La comparaison entre les dons offerts au temple de Svayamutpanna et aux sites de My Sơn (C. 86) et Po Nagar (C. 30 B1, B2 et C. 86) pourra montrer l’importance du temple de Phan Rang au cours du règne de Jaya Paramesvaravarman: 193 My Sơn Po Nagar Svayamutpanna 1+2 kosa dont un d’argent linga 1 (C. 86) - avec un visage en or (C. 86.1) images des - 1 (C. 30 B2) 1 (C. 3) divinités 15 thil de biens en 5 objets pour un total de 105 thil d’or: 100 thil ustensiles or et 150 thil de et 4 draμ d’argent (C. 5 et C. 6) et d’argent de culte biens en argent + 1 objet fait de métal cuivreux (C. 86.1193) (C. 30 B2) (C. 6) Métaux 60 thil d’or (C. 4 et C. 7) -- précieux 700 thil d’argent (C. 4 et C. 7) 10 Khmers (C. 30 Des Khmers, des Chinois (?), des B1) Javanais, des Paganais et des Sia- hommes/ 45 Khmers, Cams, mois dont le nombre n’est pas - femmes Chinois (?), Sia- entièrement lisible; 4 personnes mois et Paganais (C. 7) ainsi que 9 Khmers, 22 (C. 30 B1) Siamois et 1 Paganais (C. 3) 55 Cams, Khmers, Chinois (?), Paga- nais et Siamois 29 Cams issus de 5 familles dif- (C. 30 B2) ainsi serviteurs - férentes et 1 qui fut échangé (C. que d’autres dont 5) le nombre n’est pas précisé (C. 30 B2)

du XIIIe siècle. Concernant l’utilisation du tahil (l’équivalent du tael chinois) à Java, voir Christie (2004, p. 91-92). 193 Les objets ne sont pas cités. Seule la quantité d’or utilisée pour la confection des objets est mentionnée. Quant à la quantité d’argent utilisée, elle n’est pas précisée.

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Rizières localisées dans 12 agglo- mérations différentes pour un total de 420 jak, une n’est pas quantifiée (C. 4) 400 jak (C. 30 B1) 1 domaine de forêt (C. 3) 1800 jak (C. 30 400 jak et 30 Khmers (C. 5) B1) Une rizière dont on ne peut pas terres - 1500 jak (C. 30 lire la capacité cultivable (C. 7) B1) Une rizière délimitée (C. 7, 300 jak (C. 30 B2) également destinée au culte de 820 jak (C. 30 B2) Sripatisvara) 500 jak de terres dénivelées (C. 7, également destinée au culte de Sripatisvara) 1 éléphant (et son maître khmer) animaux --(C. 3)

À l’instar du temple de Po Nagar, celui de Svayamutpanna reçut une image de sa divinité. En revanche, il ne reçut aucun kosa. Il fut le plus doté d’ustensiles de culte en argent et d’argent (805 thil et 5 draμ) mais fut moins pourvu d’or (60 thil) que le sanctuaire de My Sơn (100 thil). Il reçut moins d’hommes et de serviteurs que le site de Po Nagar. Il semble qu’il fut également moins doté de terres que le temple de Po Nagar (la capacité cultivable des terres offertes à Svayamutpanna est de 1 320 jak alors que celle offerte à Po Nagar est de 4 820 jak, soit plus de trois fois celle de Svayamutpanna) mais il faut noter que nous ignorons les capacités cultivables de plusieurs terrains offerts au temple de Svayamutpanna qui, par ailleurs, fut doté d’un domaine de forêt. Enfin, le temple reçut un éléphant et son cornac. Dans la plupart des cas où le temple de Svayamutpanna est moins pourvu qu’un des deux autres sites, on remarque qu’il l’est davan- tage que le second. Il reçut moins d’or que le temple de My Sơn mais beaucoup plus que celui de Po Nagar. On observe que le site de My Sơn n’a pas bénéficié d’esclaves, et qu’il ne fut pourvu d’aucune terre. Il semble ainsi que les besoins des temples n’étaient pas les mêmes.

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Conclusion

À l’encontre de ce que laissent penser les lectures partielles et parfois erronées des inscriptions de Svayamutpanna, et plus largement les lec- tures des inscriptions rédigées sous le règne de Jaya Paramesvaravarman, ces récits ne montrent pas que la collaboration entre le Cambodge et le Campa ait disparu194. Selon moi, la période qui est appelée dans les inscriptions du Campa la «guerre» de trente et un ou de trente-deux ans correspond aux der- nières décennies du XIIe siècle (de 1169-70 à 1201) qui furent à la fois marquées par de nombreux conflits entre le Cambodge et le Campa et par des tumultes internes au Campa dans lesquels Jayavarman VII était impliqué. S’il est certain que ce dernier souverain possédait un rôle clé dans ces événements, il faut aussi remarquer que ladite «guerre» n’est mentionnée que dans les inscriptions de Jaya Paramesvaravarman. La conception d’une période de conflits de plus de trente années ayant pour terme son avènement n’est certainement pas fortuite et fait écho aux données relevées dans ses récits qui tendent à glorifier la personne royale. Outre le pouvoir sur les territoires du Campa, la lutte contre le ∑æi Viπt était une autre raison qui poussa le souverain cam à adopter son statut de vassal; de son côté, Jayavarman VII poursuivait la subor- dination du Campa qu’il voulait entière. Ainsi s’ensuivirent dix-neuf années de suzeraineté du Cambodge sur le Campa (de 1201 à 1220). Elles furent le temps de l’alliance, des luttes khméro-cam contre les voisins occidentaux du Cambodge et contre les Vietnamiens. Sont-ce ces luttes, la disparition de Jayavarman VII ou des événements exté- rieurs qui détournèrent le pouvoir khmer du Campa? L’année 1220 marqua, dans tous les cas, le début du règne du futur Jaya Paramesva- ravarman alors dégagé de la tutelle khmère. Sacré en 1226, son action sur l’ensemble du territoire se marqua notamment au Pa∞∂uranga, comme le prouve sa production épigraphique, en particulier celle au temple de Svayamutpanna.

194 Comme l’a affirmé Schweyer (2007, p. 70).

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Annexes

C. 30 B1195: Texte (1) pu∞aÌ196 yam pom ku sri jayaparamesvaravarmmadeva pu pom ku (2) vuÌ di yam pu nagara nan·197 vraÌ rupa di sakaraja ni198 1155 ni199 huma di kumvyaml·200 (3) sa stha∞a201 anan· huma sam®ddhijaya 400 jak· kvir· si vuÌ di hajai nan· (la)(4)kim krumvim 10 drim huma vanuk· ni202 dharmmathateÌ203 1800204 jak· huma vanuk· ni205 pu (5) auk· 1500 jak· kvir· campa lov· syaμ vukaμ lakim krumvim 45 drim206

Traduction En outre, Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarmadeva, le P.P.K., offrit à Yam Pu Nagara et à la Sainte apparence en cette année du roi des saka 1155: La rizière de Kumvyaml, un emplacement. En ce lieu, la rizière de grande abondance: 400 jak207. Des Khmers qui sont donnés à ce domaine: 10 hommes et femmes ; Cette rizière vanuk de DharmmathateÌ: 1800 jak ; Cette rizière vanuk de Pu Auk: 1500 jak ; Des Khmers, des Cams, des Chinois (?)208, des Siamois, des Paganais: 45 hommes et femmes.

195 Support de lecture: estampage EFEO n. 228; vérification in situ. Cette inscription a été publiée par Bergaigne, (1888, p. 88), Aymonier (1891, p. 48-49), Majumdar (1927, p. 207), Golzio (2004, p. 179-180) et Schweyer (2005, p. 94). Cette dernière auteure est la seule à proposer une lecture complète de l’inscription C. 30 B1. 196 pu∞aÌ : || pu∞aÌ Schweyer. 197 nan : ngan Schweyer. 198 ni : di Schweyer. 199 ni : | ni Schweyer. 200 kumvyaml : kumvyal Schweyer. 201 stha∞a: sthana Schweyer. 202 ni : di Schweyer. 203 dharmmathateÌ: dharmmathataiÌ Schweyer. 204 1800 : 1900 Schweyer. 205 ni : di Schweyer. 206 drim : driy || Schweyer. 207 Cf. l’inscription C. 5, l. 9-10 et 14-15 où l’on retrouve des formulations qui font écho à celle-ci. 208 Cf. note 130. Schweyer traduit ce mot par «lao».

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C. 30 B2209: Texte (1) yam pom ku sri jayaparamesvaravarmmadeva turaiy· vijaya210 rajan· devakaryya211 (2) punaÌ sthapana212 rupa pu pom tana raya nan· vuÌ huma svar· sandik· di drav· 300 jak·213 (3) huma udaya manraun·214 8002215 pluÌ jak· nan· tandon· langum216 hulu(4)n· campa kvir· lauv·217 pukam· syaμ aviÌ jem 55 sarira218 bha∞∂ara219 svamr·220 hu(5)luv·221 kraun·222 sragik· kanuk·223 kraum224 vvan· maÌ bhoga225 15 thim pirak· 150226

Traduction Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarmandeva de Turaiy Vijaya effectua [en tant que] service pour les dieux la réinstallation de l’image. Ce P.P.T.R. offrit une rizière Svar Sandik à Drav: 300 jak.

209 Support de lecture: estampage EFEO n. 228; vérification in situ. Cette inscription a été étudiée par Bergaigne (1888, p. 79), Aymonier (1891, p. 28-29), Majumdar (1927, p. 207), Golzio (2004, p. 179-180) et Schweyer (2005, p. 95-96). Aymonier et Schweyer ont proposé une lecture complète du texte de l’inscription C. 30 B2. 210 turaiy· vijaya: turaiyvijaya Schweyer. 211 devakaryya: deva kañya Aymonier. 212 sthapana: sthapana Aymonier. 213 jak: jat Aymonier. 214 manraun: manron Aymonier. 215 8002: 9002 Aymonier. 216 langum : langau Aymonier; languv Schweyer. 217 lauv : lov Aymonier et Schweyer. 218 sarira : sarira Aymonier. 219 bha∞∂ara : ca∞∂ala (candala ?) Aymonier ; candara Schweyer. Nous retrouvons ce mot dans l’inscription C. 3.2, l. 3. 220 svamr : svar Schweyer. 221 huluv: hulun Aymonier et Schweyer. 222 kraun : krod Aymonier et Schweyer. 223 kanuk: kanuk Aymonier et Schweyer. 224 kraum: kron Aymonier. 225 maÌ bhoga : maso ma Aymonier et Schweyer. 226 150 : 15 Aymonier; 17 Schweyer. La lecture du signe numérique 5 n’est pas assu- rée mais semble plus probable que celle du 7. On note un dernier signe, après le 5, qui pourrait être un zéro.

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La rizière d’Udaya au sud [de la précédente] 820227 jak avec tandon languv. Des esclaves – Cams, Khmers, Chinois (?), Paganais [et] Siamois – en tout 55 individus. Un domaine svamr. La source sragik kanuk le fleuve vvan. Biens en or 15 thil ; en argent 150.

C. 30 B4228: Texte (1) svasti || mada pu pom tana raya sidaÌ yam pom ku sri jayapa- ramesvaravarmmadeva (2) aum ansaraja229 uram turaiy· vijaya230 di saka- raja ni 1112 mada pu pom tana raya kamvuja yan· na(3)ma vraÌ pada sri jayav®rmmadeva231 ka pandap· sarvvadvipa232 mamn·233 ma°udyana mar(ai) mak· (nagara ca)mpa pal(i)(4)(nya)k· (s)arvvalinga234 (je)m kaliÌ235 raya klum pluÌ sa236 thun· vuÌ senapati237 kamvuja mvan·238

227 8002 pluÌ : Aymonier (1889, p. 38) «La décadence des études est telle chez les misérables Chams du Bình-Thu°n qu’ils ont perdu la notion de la valeur de position des chiffres et écrivent 101, 102, 103, etc., pour 11, 12, 13, etc. Quant à présenter des centaines de chiffres, ils ne s’y aventurent même pas». É. Aymonier reprenait son propos lors de la publication de cette inscription (1891, p. 30), ajoutant: «Et il me semble qu’on trouve déjà ici trace de cette ignorance. Le lapicide écrit 900 [800] 2 suivis de pluÌ ‘dizaines’, et il y a fort à présumer qu’il a voulu écrire 900 [800] plus 2 dizaines, soit 920 [820] jak». Cette manière de faire ne semble pas très répandue dans les traditions apparentées d’écriture, mais on trouve quelques attestations d’une telle façon d’écrire les chiffres, comme me l’a indiqué A. Griffiths qui la constatait pour la numérotation des folios des manuscrits d’Orissa (par ex. 1002 pour 102). 228 L’inscription C. 30 B3 n’est pas présentée en annexe car elle n’est pas datée du règne de Jaya Paramesvaravarman mais de celui de Paramesvaravarman (XIe siècle). Pour l’inscription C. 30 B4, les supports de lecture sont les estampages EFEO n. 228 et la pierre in situ. Cette inscription a été étudiée par Bergaigne (1888, p. 89-91), Aymonier (1891, p. 48), Majumdar (1927, p. 205), Golzio (2004, p. 176-177) et Schweyer (2005, 97). Les lectures de Bergaigne et d’Aymonier sont fragmentaires. Schweyer est la seule à proposer une lecture complète de cette inscription. 229 aum ansaraja: [. sa]nsaraja Schweyer. 230 turaiy· vijaya: turaiyvijaya Schweyer. 231 sri jayav®rmmadeva: sri jayavarmmadeva Bergaigne et Schweyer. 232 sarvvadvipa: sarvvadvipa Schweyer. 233 mamn· : man Schweyer. 234 (s)arvvalinga: sarvvalinga est une autre lecture possible. 235 kaliÌ: kalin Aymonier. 236 sa : dva Aymonier. 237 senapati : senapati Aymonier. 238 mvan : mvak Schweyer.

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rumam jumvum taml· ril[v]ai239 (5) di sakaraja ni240 1123 pu pom tana raya nan· nau vraÌ nagar· dram(n/n)·241 nama pu pom pu lyam sri yuvar[aja] (6) (bharuv·) kamvuja nan· campa ra∞∂aμ pham242 sa {1/2} nau pu pom tana raya (nan·) va vala kamvuja nau243 mak· (7) (tanaÌ) vukaμ |244 {1}n· {3/4} kamvuja nau mak· … (8) da… (9) … (10) e[kacchatra245]… (11) illisible (12) illisible.

Traduction Salut! Il y avait un P.P.T.R., à savoir Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarman on Ansaraja, personne de Turaiy Vijaya. En cette année 1112 du roi des saka, il y avait un P.P.T.R. du Kamvuja du nom de V.P. Sri Jayavarmadeva. Pour subjuguer tous les continents, alors il sortit venir prendre le royaume du Campa246, detruisit tous les linga. Il se passait la grande «guerre» de trente et un ans247. Il donna un général du Kamvuja mvan (?) [sur le territoire] du Nord au Sud248. En cette année 1123 du roi des saka, ce P.P.T.R. alla au Saint Angkor [pour] porter le nom de Pu Pom Pu Lyam, héritier. À nouveau le Kam- buja et le Campa se noyaient mutuellement [dans le malheur]249… Ce P.P.T.R. conduisit les troupes du Kamvuja [pour] aller prendre la terre de Pagan … Kamvuja aller prendre… parasol unique… .

239 rumam jumvum taml ril[v]ai : uran jumvu[v] […] Schweyer. 240 ni : ni Schweyer. 241 dram(n/n) : dran Schweyer. 242 ra∞∂aμ pham: ra∞∂a than Schweyer. 243 kamvuja nau : kamvujadesa Schweyer. 244 (tanaÌ) vukaμ | : […] vukaμ | Schweyer. 245 Restitution d’Aymonier. 246 Il faut comprendre le royaume où se situe cette inscription, celui de Ku†hara. 247 Aymonier (1891, 48) lut et traduisit «trente-deux ans» (klau pluÌ dva thun). Schweyer (2005, 97) lut correctement l’inscription (klau pluÌ sa thun) mais traduisit «trente-deux ans». 248 La traduction de mam jumvum taml rilvai est l’objet d’une discussion, p. 230-232. 249 Cette phrase est la traduction de bharuv kamvuja nan campa ra∞∂aμ pham sa. Aymonier et Cabaton proposaient de comprendre: aimer (ra∞∂aμ) mutuellement (pham) un (sa), et proposaient la traduction «alors le Cambodge et le Campa s’aimèrent mutuel- lement» ou «s’accoutumèrent». Or, dans leur traduction, ra∞∂aμ est traduit par le verbe «aimer» alors que ce dernier est en cam ramaμ. Le défaut d’argumentation pour leur traduction nous amène à préférer celle présentée, où le mot ra∞∂aμ est rapproché du malais rendam «tremper ; être noyé ; inonder».

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C. 86250: Texte 1 (1) mada pu pom tana raya sidaÌ yam pom ku sri jaya(2)paramesva- ravarmmadeva aum ansaraja251 uram turaiy· vijaya (3) di jamÌ kaliÌ kamvuja ya 32 thun· nan· ra d®m rajam ekachatra (4) di nagara campa ni ra punaÌ sarvvalinga gaÌ dakÒi∞abhaga ma(5)kapun· yam pu nagara ra punaÌ linga252 gaÌ uttarabhaga ma(6)kapun· yam pom k(u) srisanab- hadresvara pu po(m) ku (7) ra vuÌ raupyakosa suvar∞∞amukha nan· kosa (8) (ya)m bh®guÌ maddan· sarvvabhogopabhoga maÌ na(9)n· (pira)k· samudaya yauμ253 sa rutuÌ thil· maÌ (10) kala sakaraja 1156 | Traduction 1 Il y eut un P.P.T.R., à savoir Y.P.K. Sri Jayaparamesvaravarmadeva on Ansaraja, personne de Turaiy Vijaya. À la suite de cette «guerre» du Cambodge qui [dura] 32 ans, il (le souverain) gouverna avec le parasol unique sur ce royaume du Campa. Il restaura tous les linga du côté Sud à savoir254 [ceux de] Yam Pu Nagara; il restaura les linga du côté Nord à savoir [ceux de] Y.P.K. Isanabhadresvara P.P.K. Il offrit un kosa d’argent avec un visage en or et un kosa à la divinité Bh®guÌ avec tous les biens et les moyens de subsistance d’or et d’argent pour une valeur totale255 de cent thil d’or, en l’année 1156 du roi des saka. Texte 2 (1) ni256 mula dravya pom pu lakim kalantakatha {4} (2)nandana uram mvlam vijaya vuÌ pak· yam pom ku sris[anabhadre](3)svara257 pu

250 Support de lecture: estampage EFEO n. 341. Cette inscription a été étudiée par Finot (1904, p. 976-977) et Majumdar (1927, p. 207-209). 251 Finot ajouta une note de bas de page précisant qu’«on pourrait aussi bien lire Sangaraja; mais la comparaison de Po Nagar 409, B, 4 [= C. 30 B4] ligne 2, où l’écriture est plus nette, montre que la vraie forme est Ançaraja». 252 ra punaÌ linga : ra punaÌ sarvvalinga Finot. 253 yauμ: yoμ Finot. 254 makapun: «à savoir» ou «par exemple», cf. Finot (1903, p. 640). 255 Le sens de yauμ en cam ancien est «environ, à peu près». En cam moderne, il peut aussi signifier «valeur (en argent), prix». La comparaison de cette occurrence avec celle que l’on trouve dans l’inscription C. 184, où le mot est suivit du chiffre 158, laisse penser que la traduction «valeur» est plus adaptée que «environ». 256 ni: ni Finot. 257 srisanabhadresvara: reconstitution de Finot. Journal Asiatique 301.1 (2013): 205-278

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pom ku liman· vinai sa258 klaun· maÌ sa 3 th[il· ca](4)lahvaya259 pirak· sa 20 thil(·) pralaun· pirak· sa 2[0 thil·] (5) vraÌ o[μ]kara sa sa thil· maÌ mata dhuni sa si vuÌ ganan· (6) yauμ sa thil· maÌ pirak· kakai nan· 2 thil· pranin· 1 (7) yauμ 2 thil· maÌ kansabhaja 2 bhaja languv· 1 vadala (8) 2 svamn·260 1 kvir·261 1 lakiy· 1 krumviy· 1152

Traduction 2 Ceci [est] le capital mobilier offert par le P.P. homme Kalantakatha (…) nandana, personne de Mvlam Vijaya, à Y.P.K. Sri Isanabhadresvara P.P.K.: une éléphante, une petite boîte (klaun) d’or: 3 thil ; un calahvaya en argent: 20 thil; un collier262 d’argent: 20 thil ; un saint oμkara: un thil d’or; une pierre précieuse dhuni donnée ganan d’une valeur d’un thil d’or; cet argent pour le (tré)pied: 2 thil; pranin : 1 d’une valeur de 2 thil d’or; vases de cuivre263: 2; vase de métal cuivreux264: 1; vadala: 2; svamn : 1; Khmers: 1 homme; 1 femme. [En saka] 1152.

Abréviations A&C-SA: Exemplaire interfolié d’Aymonier & Cabaton 1906, Dictionnaire cam-français, conservé à la Société asiatique de Paris. Cote 4° collection 93 (7). Les pages interfoliées ont été ajoutées en 1906–1907 dans ce qui doit avoir été l’exemplaire personnel de l’un des auteurs. Les notes écrites à l’encre rouges sont relatives au cam ancien tandis que les notes écrites à l’encre noire concernent la langue moderne. BEFEO: Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient. ECIC I et II: «Études du Corpus des inscriptions du Campa» I et II, voir Grif- fiths & Southworth 2007 et 2011. ECIC III: «Études du Corpus des inscriptions du Campa III», voir Griffiths et al. 2012. EEPC: Études épigraphiques sur le pays Cham, voir Jacques 1995. JA: Journal asiatique.

258 sa: sa Finot. 259 [ca]lahvaya: mot qu’on retrouve dans l’inscription C. 6, l.2. 260 svamn: svãÌ Finot. 261 kvir: kvi® Finot. Il s’agit certainement d’une erreur d’impression. 262 pralaun = pralaum = pralauv. Dans A&C-SA, le mot pralau est relevé. Les auteurs établissent un parallèle entre celui-ci et celui qu’on trouve en khmer qui signifie «collier». 263 kansabhaja: qui est traduit par «vase de cuivre» Finot. 264 bhaja languv : qui est traduit par «vase de terre» suivi d’un point d’interrogation Finot. Journal Asiatique 301.1 (2013): 205-278

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96408_JA_2013/1_08_Lepoutre.indd 268 29/10/13 08:49 269 1. Estampage EFEO n. 145 de l’inscription C. 3.2

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2. Estampage EFEO n. 143 de l’inscription C. 4 a

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3. Estampage EFEO n. 143 de l’inscription C. 4 b

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4. Estampage EFEO n. 144 de l’inscription C. 5

96408_JA_2013/1_08_Lepoutre.indd 272 29/10/13 08:49 273 5. Estampage EFEO n. 146 de l’inscription C. 6

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6. Estampage EFEO n. 142 de l’inscription C. 7

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7. Estampage EFEO n. 228 de l’inscription C. 30 B1

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8. Estampage EFEO n. 228 de l’inscription C. 30 B2

9. Estampage EFEO n. 228 de l’inscription C. 30 B4

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10. Estampage EFEO n. 341 de l’inscription C. 86.1

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11. Estampage EFEO n. 341 de l’inscription C. 86.2

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