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> L’aéroport au temps de l’Aéropostale Montaudran, la piste d’envol C’est d’ici que ce sont envolés Mermoz, Saint-Exupéry, Guillaumet. D’ici que Daurat envoyait ses ordres à la nuée d’« aéroplaces » qui jalonnaient la « Ligne » reliant Toulouse d’abord au Maroc puis au Sénégal, au Brésil, à l’Argentine et au Chili. Au prix d’une épopée humaine emblématique des débuts de l’aviation commerciale. « Eng. magistrale », avait noté Mermoz sur maillon de la « ligne » et pas le plus facile des halles en béton par des prisonniers al- son agenda au 17 octobre 1924. Pour « En- avec les orages méditerranéens qui rabat- lemands. Nouvelle commande géante fi n gueulade magistrale ». Celle que vient de tent les avions sur les Pyrénées. 1917 et qui va être décisive : il s’agit d’as- lui passer Didier Daurat, directeur d’ex- Tout a commencé par un vol Toulouse-Bar- sembler 1000 avions pour l’armée. Le délai ploitation des lignes Latécoère après sa celone et tout a commencé avec Pierre- est de 6 mois… première démonstration aérienne. Enfi n Georges Latécoère. Héritant d’une scierie Une commande qui va décider de la vo- sorti des hangars où Daurat faisait sys- à Bagnères de Bigorre, il la transforme cation aéronautique de Toulouse. Car La- tématiquement séjourner les nouveaux en forge puis se spécialise dans les com- técoère voit loin, les commandes militai- pilotes quelques semaines avant leur pre- mandes géantes, impossibles, comme ces res n’auront qu’un temps. Le 11 novembre mier vol, Mermoz voulait éblouir. Après 1 500 wagons pour la Compagnie du Midi 1918, jour de l’armistice, il dépose les sta- un décollage parfait, il revient en faisant qui occasionnent son installation à Tou- tuts d’une compagnie aérienne pour relier des zig-zags. Et se fait traiter d’acrobate : louse, d’abord au Pont des Demoiselles, la France au Maroc et convoyer le courrier « Si vous voulez faire du cirque, allez voir enfi n à Montaudran. Il rachète la grande dans des délais inconnus jusqu’alors. Le ailleurs… » Mermoz comprend vite, re- exploitation agricole coupée par la ligne jour de Noël suivant, en smoking sous un prend le Breguet XIV et applique les règles. de chemin de fer le 8 août 1917 et épais manteau de fourrure, il s’envole de Et est rapidement intégré aux fait construire de gran- Montaudran avec un pilote direction équipages, d’abord sur le tronçon Barcelone où il a convoqué Toulouse-Barcelone, le premier

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2 L’aérodrome 8 Direction 5 3 Hangars Ateliers moteurs Magasin général 1 6 Salla passagers Entrepot Société Latécoère Hangars de fabrication Logements ouvriers

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De gauche à droite, Pierre-Georges Latécoère propriétaire des lignes, Marcel Moine ingénieur, , Antoine de Saint-Exupery, , pilotes, Didier Daurat, directeur de l’exploitation. Et pour les avions, Laté 300, Laté 26, Laté 28 (posé) Laté 17, Laté 25. la presse. Nouveau vol promotionnel en C’est ainsi que nait la méthode Daurat, qui « On reproche à Latécoère de mener trop mars 1919 : Latécoère (qui ne saura jamais va marquer Montaudran et tous les pilo- durement ses pilotes mais j’aime assez piloter) prend place à l’arrière d’un avion tes qui y passeront, une méthode rude et que l’on ne nous demande pas si cela nous pour Rabat où il apporte au maitre du effi cace, sans sentiments, qui fi nira par plait ou non de partir, ni nos impressions Maroc, le général Lyautey, un exemplaire fasciner les pilotes (après bien des confl its) ensuite. On s’en fout totalement. » Car tout d’un quotidien de la veille et des violettes mais rebutera toujours les mécanos. Les ce qui compte (en apparence) pour Daurat, de Toulouse pour son épouse… Conquis, pilotes ? Si possible célibataires (« un pi- ce sont le courrier et l’heure à laquelle il Lyautey accorde la concession. La « ligne » lote marié perd la moitié de sa valeur ») et arrive. « Le camarade gelé » comme on l’ap- est née. parqués à l’hôte du Grand Balcon, près du pelle, toujours montre en main, est le vrai Pour la diriger, Latécoère nomme un de ses Capitole, sous la surveillance de vieilles de- maitre des lignes Latécoère, rebaptisées amis, un marquis italien qui a servi dans moiselles. Réveil à 3 heures du matin puis L’Aéropostale en 1927, lors de la vente de la l’aviation française, Beppo de Massimi, qui l’attente de du « vieil omnibus » « sur le compagnie à l’industriel franco-brésilien convainc Latécoère d’embaucher Daurat, trottoir luisant de pluie » et le voyage brin- Bouilloux-Lafont. l’un de ses camarades d’escadrille, comme quebalant jusqu’à Montaudran, serré « sur Car la ligne va de plus en plus loin : après pilote puis chef d’escale à Malaga. Puis la banquette entre le douanier mal réveillé Casablanca, c’est Dakar en 1925 puis le Bré- fi nalement directeur de l’exploitation à et quelques bureaucrates ». À Montaudran, sil en 1928 (suite page 74) Montaudran pour enrayer la terrible série la journée commence à 4 heures… d’accidents qui décime les pilotes et me- Tout juste engagé, en 1926, nace la « ligne ». Saint-Exupery écrira :

Mermoz aux commandes d’un Breguet WHU, le jour de son premier vol à Montaudran.

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9 grâce à un service maritime entre Dakar ferrée, avec ces immenses hangars où s’en- et Natal puis l’Argentine, enfi n le Chili et tend l’accent occitan des mécanos et cette l’impossible traversée des Andes à partir petite maison de maitre au milieu, cette pe- 8 de 1929. Pour tracer les nouvelles routes tite bâtisse méridionale à toit de tuiles d’où aériennes, expérimenter les avions, Daurat partent des ordres secs qu’on s’empresse 7 a su recruter des aviateurs hors normes qui d’exécuter à Barcelone, Casablanca, Cap vont faire de l’Aéropostale une aventure très Juby, Rio, Buenos Aires, Santiago… 6 vite médiatisée: Mermoz, donc, dès 1924, Le 15 juillet 1931, Mermoz, Saint-Exupéry et après une période où il a cru toucher le fond, Guillaumet se retrouvent à Montaudran. 5 sans un sou à Paris ; son ami Guillaumet, qui L’Aéropostale est en faillite, la crise éco- s’est longtemps ennuyé avec lui dans ce ré- nomique a emporté l’empire brésilien de 4 giment de chasse basé à Thionville, en 1925 ; Bouilloux-Lafont et l’État, grand pourvoyeur Saint-Exupéry en 1926, qui survivait en ten- de subventions aux compagnies aériennes, 3 tant de vendre des camions. De ces trois-là, ne veut plus payer sans contrôler. Les trois aussi différents qu’on peut l’être, L’Aéropos- pilotes sont là pour sauver la tête de Dau- tale va faire des héros connus dans toute la rat, bien menacé par le grand coup de balai France et au-delà. Mermoz par ses exploits, qui s’annonce et qui aboutira trois ans plus 2 ses raids, son effi cacité et son goût du ris- tard à la fusion de toutes les compagnies que. Saint-Exupéry par ses livres. Guillau- françaises en une seule: . Daurat met par sa modestie, son extraordinaire sera sauvé provisoirement et les trois pilo- épopée andine, si justement contée par tes retourneront noyer leur nostalgie dans Saint-Exupéry dans « Terre des Hommes ». les cafés de Casablanca, toujours à la re- Un Ardennais, un Champenois, un Lyonnais cherche d’émotions aussi fortes que celles venus se présenter un jour à Montaudran, qu’ils ont vécu au service de cette étrange ce grand terrain herbeux au bord de la voie compagnie toulousaine qui a vu tant de pi- lotes souffrir et mourir pour que quelques sacs de courrier arrivent plus vite à destina- Le trajet tion de l’autre côté de la Méditerranée, du du courrier désert, de l’Atlantique sud. de Paris à Santiago 1 4 en 1928 À lire : 1900 : « Courrier Sud », « Vol de nuit » Paris Montaudran et surtout « Terre des hommes », Toulouse Barcelone avant la vente à Latécoère: Antoine de Saint-Exupery, Gallimard. Malaga Tanger Agadir une grande exploitation agricole. « Mermoz » et « Saint-Exupery », Dakar Natal Rio Emmanuel Chadeau, Perrin. Montevideo Santiago du Chili . 1 « Toulouse Montaudran, de Latécoère à Air France », Gérard Rey, Loubatières. 2

Illustrations : Philippe Biard Un quartier Texte : Jean de Saint Blanquat plein d’avenir 1928 : au temps Déjà parus : Le berceau de l’aéronautique s’apprête de l’Aéropostale: à la fois • L’hôtel de pierre (mai) à prendre un nouvel envol. Le site va • Les grands percements au usine et «aéroplace» . 19e siècle (juin) prochainement accueillir sur 60 hecta- res, un programme immobilier (1 100 lo- 3 À paraître : gements + 400 pour les étudiants), des • Godolin et Toulouse au 17e siècle (octobre) équipements publics, le pôle d’activi- tés Aerospace Campus. La mémoire de 4 l’Aéropostale sera bien sûr valorisée. Autour de la piste d’envol (inscrite à l’inventaire des monuments histori- Aujourd’hui : ques avec le château Raynal et la salle une petite piste dans d’attente des passagers), un parc à thè- la ville, les ateliers et me de 12 hectares verra le jour en 2010. l‘Espinet Reynal subistent.

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