Enquête Sur La Non Restauration De La Chapelle San Tumasgiu Di Pastureccia
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Partie 1 Enquête sur la non restauration de la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia 1 Présentation 2 Quand je suis dans mon village de Bisinchi, au niveau du chef lieu, je perçois une crête à une altitude semblable d’environ 600 mètres, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau. Elle s’achève par un éperon rocheux qui porte les ruines du château qui dominait les alentours : u Castellu di Rustinu. La crête est couverte de maquis. Si on y prête attention, une bâtisse de taille modeste s’en distingue à sa moitié. Il ne s’agit pas d’un pailler construit dans la pierre locale, du schiste multicolore avec une forte présence de bleu, recouvert de lauzes grisâtres. Non, c’est une chapelle médiévale comme il en existe des dizaines dans l’île. Je quitte Bisinchi pour la rejoindre. Sans croiser aucune voiture, je passe par les hameaux de Vignale, quitte la commune et pénètre dans la commune de Castellu di Rustinu. Sur une étroite route départementale, entre des chênes verts et des châtaigniers parfois centenaires, je prends quelques embranchements avant de me garer au niveau d’un cimetière. Le parking qui comprend quelques places est vide. Une vache broute tranquillement sur un terrain mitoyen. Je pousse la grille, je fais quelques pas. Je me trouve enfin devant la chapelle San Tumasgiu di Pastureccia. Entourée de tombes, sur un site qui ouvre sur une vue panoramique qui plonge sur la vallée du Golu qui 400 mètres plus bas est traversée par le pont génois de Ponte Novu. Le bâtiment est d’une vingtaine de mètres de long. Je pousse la porte en bois, sans couleur, sans âge. L’obscurité m’accueille. Je marche sur un sol fait d’une sorte de terre battue. L’espace est vide à part un autel réduit à sa plus simple expression. Les yeux s’habituent à la lumière et là, dans le chœur… m’accueille un Christ en majesté peint sur le mur il y a près de cinq siècles. Il est entouré de plusieurs personnages. Si la plus grande partie des murs ne porte plus d’images, il reste ici et là quelques traces de peinture, sur les murs latéraux de l’abside sont peintes des scènes bibliques qui dans ce contexte ont le statut de vestiges. Alors, dans le silence et la solitude, j’essaie de comprendre ce que me disent ces personnages sur la nature du temps qui passe. Je suis enveloppé par un projet architectural tel que dans sa recherche sur la mémoire collective l’avait décrit Maurice Halbwachs quand il analysait le sens d’une église : « un groupe religieux, plus que tout autre a besoin de s’appuyer sur un objet, sur quelque partie de la réalité qui dure, parce qu’il prétend lui même ne pas changer, alors qu’autour de lui, toutes les institutions et les coutumes se transforment et que les idées et les expériences se transforment. »1. Cette expérience, je l’ai vécue plusieurs fois au cours de cette enquête. D’aussi loin que je m’en souvienne, je l’ai connue la première fois à la fin des années 1980 quand j’étais lycéen. Depuis, une impression forte que je ressens est que rien n’a changé, qu’ici le temps s’est arrêté à jamais aux temps médiévaux. En 1991, soit durant la période de mon plus ancien souvenir de San Tumasgiu, l’ethnologue Georges Ravis-Giordani décrivait ce monument historique dans un guide touristique. Il l’intégrait à un circuit « Castagniccia, Casinca, Plaine orientale, vallée du Tavignanu ». En le citant, on rappellera donc, comment il y a vingt ans les touristes pouvaient se rendre sur ce site en lisant les lignes suivantes : « On quittera à cet endroit la vallée du Golu pour prendre une petite route (D115) qui grimpe vers Bisinchi et Castellu di Rustinu. Dans ce village, la chapelle Saint Thomas, à vingt-cinq minutes à pied (mais accessible aussi en voiture), mérite une visite dans la mesure où elle offre quelques unes des plus belles fresques du patrimoine insulaire (Fin du XVème siècle) : dans l’abside, un Christ en majesté entouré d’anges musiciens et de quatre évangélistes, accompagnés de leurs animaux symboles ; l’arc triomphal est décoré d’une Annonciation ; la paroi nord porte des fresques consacrées à différents moments de la passion : la cène, le Mont des oliviers, l’arrestation du Christ, la flagellation et la crucifixion ; la paroi sud offre des portraits de saints (Saint Jean-Baptiste, Saint Antoine ermite, Saint François d’Assise, Sainte 1 Halbwachs Maurice, La mémoire collective (Edition critique établie par Gérard Namer), Paris, Albin Michel, 1997, p. 228. 3 Catherine d’Alexandrie, Sainte Lucie, Sainte Marie-Madeleine). La qualité et l’expressivité de ces fresques, le jeu savant sur les couleurs (bleus et ocres en particulier) font de Saint Thomas l’un des plus émouvants ensembles de fresque que la Corse peut offrir. »2. « Comprendre aujourd’hui le patrimoine commence probablement par comprendre le patrimoine qui est dans nos têtes et que nous partageons, c'est-à-dire comprendre la production sociale d’un imaginaire patrimonial collectif »3 nous indique Michel Rautenberg. Parmi les différents prismes qui la constituent, ma représentation de la chapelle San Tumasgiu est marquée sans doute par ce qui est appelé de façon générique « les châteaux cathares » tels qu’ils sont présentés au public depuis une vingtaine d’années. En 1999, certes déjà diplômé d’histoire et enseignant l’histoire-géographie depuis trois années scolaires dans le secondaire, j’ai passé une dizaine de jours dans le « circuit » des châteaux cathares. J’ai commencé ce parcours à leur périphérie, à Carcassonne. J’y suis passé le jour d’une importante éclipse solaire. En un instant, tandis que la température baissait, j’ai pu observer l’ensemble des habitants et visiteurs mettre sur leur nez des lunettes conçues pour regarder le soleil sans risque pour les yeux. Ainsi, dans cette cité restaurée, chacun était appelé à regarder le monde de façon différente au sens propre et figuré du terme ! Prenant le temps de dormir dans le camping municipal qui offre une belle vue de la cité, j’avais arpenté la forteresse en cherchant à comprendre comment ce patrimoine était mis en valeur. J’appréciais la librairie spécialisée dans le Moyen-âge (transformée depuis en restaurant), les boutiques qui présentaient des gadgets pour toutes les bourses, pour tous les âges pour tous les milieux socio-culturels dont le point commun était un attrait pour les histoires se déroulant aux temps médiévaux. Comme un enfant, j’avais apprécié les spectacles de joutes grandeurs nature proposés aux spectateurs. J’avais eu la chance de visiter l’exposition sur l’histoire du site proposée à la Maison des mémoires par le Garae, devenu ethnopôle depuis 1996. J’avais fait l’acquisition de son catalogue4. Inscrit depuis trois ans en troisième cycle d’études supérieures sous la direction de Philippe Pesteil, j’appréciais le « regard anthropologique sur les monuments historiques »5 de l’étude proposée qui annonçait les travaux futurs du LAHIC6. Ensuite, prenant la route entre Aude et Ariège, j’avais passé une semaine dans un gîte rural à Montaillou. Tout en lisant Montaillou village occitan, ce qui est un grand plaisir que je savourais, j’ai rayonné à partir de là pour visiter les « hauts lieux » de l’histoire cathare, ceux que je découvrais aussi dans les pages de Citadelles du vertige. Ainsi, Monségur, Perpertuse, Queribus, Puylaurens, Puivert, sont des lieux que j’ai visités, à la rencontre des animateurs du patrimoine vers lesquels je suis allé. J’ai observé comment une guérite accueillait le visiteur à Monségur, rendant l’accès payant. Après avoir entendu une conférence sur l’histoire du site, j’ai visité le musée situé en contrebas dans le village. Sous un autre château, j’ai apprécié de retrouver une boutique qui présentait toutes sortes de livres et souvenirs dédiés au Moyen-âge. Aussi, depuis, en passant par San Tumasgiu et le Castellu, c’est par le prisme de l’expérience vécue de ce parcours particulier que je perçois la scène locale. L’impression générale d’enthousiasme que j’avais saisie autour du passé médiéval de cette part de l’Occitanie contraste totalement avec l’impression d’abandon qui dominait et domine en Corse. Certes, une dynamique était alors 2 Ravis-Giordani Georges, Le guide de la Corse, Paris, La Manufacture, p. 272. 3 Rautenberg Michel, « Du patrimoine comme œuvre au patrimoine comme image, in Nemery Jean-Claude, Rautenberg Michel, Thuriot Fabrice (sous la dir.), Stratégies identitaires de conservation et de valorisation du patrimoine, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 18. 4 Amiel Christiane, Piniès Jean-Pierre, La cité des images. Voir, habiter, rêver, GARAE Hésiode, 1999. 5 Hottin Christian, « Retour sur les détours d’un programme de recherche », « Histoire et architecture », n°22, 2011, p. 5-6 (de la version numérique). 6 Culture et recherche, 1959-2010- La recherche au ministère de la culture, « Le LAHIC. Entretien avec Claudie Voisinat », printemps-été 2010, p. 75. 4 perceptible dans l’île ! En 1998, j’avais visité plusieurs fois avec mes élèves de 3eme du collège de Cervioni le musée ethnographique de l’association l’ADECEC. La visite avait été construite afin de comparer le musée associatif et le musée d’anthropologie de la Corse qui venait d’ouvrir. Diplômé en langue et culture régionales, j’avais donc expérimenté le lien entre pédagogie, visite de site historique et d’institution muséale. Néanmoins, le passage par « les châteaux cathares » avait stimulé ma conviction de l’intérêt de pareilles expériences. En 2000, j’organise des visites sur des sites pour mes élèves de 6eme et de 5eme du collège du proche collège de Moltifau : nous allons à la chapelle San Tumasgiu, à Cambia.