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« L’HERMÈS ARABE » DE KEVIN VAN BLADEL ET LA QUESTION DU RÔLE DE LA LITTÉRATURE SASSANIDE DANS LA PRÉSENCE D’ÉCRITS HERMÉTIQUES ET ASTROLOGIQUES EN LANGUE ARABE*

(Marie Curie Fellow Emily COTTRELL of the Gerda Henkel Stiftung — Freie Universität Berlin)

Thisreview-articleofKevinvanBladel’sstudyoftheposterity ofHermesTrismegistusinmedievalliteratureattemptsto giveathoroughexaminationofseveralofthethought-provoking hypothesesofferedbytheauthoraboutthetransmissionofthe Greek treatises and fragments where the figure of “Hermes” appearsasanauthor.ThecentralrolegiventoMiddlePersianas thelanguageintowhichsomeGreek—astrologicalin particular—weretranslated,isdiscussed.Thisthesis,onceput forwardbythelateDavidPingree,isquestionedindetail,occa- sioninganevaluationofPingree’smethologyandhisinterpretation oftheArabicevidence.AnewtranslationofanextractofAbūSahl IbnNawbakhttransmittedbyIbnal-Nadīm—whichPingreeand othersreadashistoricalevidence—isprovidedandnewreadings aresuggested,pointingtoadifferentsetofinfluence(i.e.Man- ichaeanandEnochliterature,nexttothecommonlyacceptedlate Zoroastrian).Theauthor’sdismissalofanypossibleinfluenceof AlexandrianHermeticismonsuchscholarsasal-Kindī,Thābitibn Qurra,oral-MubashshiribnFātikisre-evaluated,andconfronted tothemethodologyofthebook.

«Myth as a constituent of Arab-Islamic Culture has long been ignoredorevendenied.»**

1. Introduction L’ouvrage de Kevin van Bladel constitue l’édition abrégée et corrigée d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Yale en 2004, où elle avait été dirigée par Dimitri Gutas.1) La thèse de Van Bladel s’inscrit donc dans la continuité d’une tradition prestigieuse d’études orientalistes au sein des- quelles le domaine des Graeco-Arabica (ou études consa- crées à la transmission en langue arabe de matériaux litté- raires, philosophiques, et scientifiques d’origine grecque) a atteint une place éminente. Il revient à Franz Rosenthal (m. 2001), qui avait dirigé la thèse de Gutas à Yale2), d’avoir établi ce domaine comme champ de recherches spécifiques en démontrant tout au long de ses publications la valeur des fragments arabes donnés comme traduits du grec en tant que témoins valides de la tradition, tant pour l’apport de maté- riaux nouveaux aux classicistes que pour une compréhension plus précise des difficultés inhérentes à la genèse de la « phi- losophie islamique ». Soulignons d’emblée qu’il reste beau- coup à faire pour rendre mieux connu et plus accessible ne

* Review article of Kevin van Bladel, TheArabicHermes, Oxford: Oxford University Press, 2009. Mes remerciements les plus sincères vont à M. Gorea, A. Schilling, M. Ross, C.H. Bull, A. Pirea pour leurs correc- tions et remarques. Les erreurs qui ont persisté sont les miennes. ** J. Stetkevych, MuḥammadandtheGoldenBough.Reconstructing ArabianMyth, p. ix (Bloomington et Indianapolis, Indiana Univ. Press, 1996). 1) Le titre de l’ouvrage (« TheArabicHermes ») sera abrégé AH dans les pages qui suivent et l’auteur sera parfois désigné de façon abrégée (« l’A. »). 2) D. Gutas, GreekWisdomLiteratureinArabicTranslation.AStudy oftheGraeco-ArabicGnomologia, New Haven, 1975.

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serait-ce qu’un corpus représentatif de ces textes, et ceci l’ouvrage s’avère dès lors démesurée, si tant est qu’elle ait alors même qu’ils constituent un jalon essentiel de la trans- été suivie : on ne trouve finalement pas trace dans l’ouvrage mission des idées tardo-antiques vers le Moyen Âge et la de l’histoire de la réception occidentale, sinon la mention des Renaissance. En abordant un choix de textes arabes médié- traductions européennes des Sentenceschoisies d’al-Mubash- vaux se rapportant à « Hermès » —parfois explicitement shir ibn Fātik et deux courtes références à Marsile Ficin.5) identifié à Hermès Trismégiste— Van Bladel se proposait Sur bien des points, la première et la seconde partie pré- d’apporter sa pierre à l’édifice. sentent des contradictions frappantes qui ne peuvent s’expli- Il va sans dire que les matériaux étudiés par l’A. sont quer que par l’absence d’une représentation claire de la part d’une approche extrêmement difficile. La postérité du dieu de l’A. de ce qui constitue le ou les corpus « hermétique(s) », grec Hermès et de son homonyme égyptianisant Hermès ainsi que de la chronologie et de l’origine des textes étudiés. « Trismégiste », ainsi que celle du dieu égyptien Thoth Plus gênant encore est le fait que ces contradictions relèvent auquel il fut assimilé, en tant qu’ « interprète » (Gr. her- pour beaucoup de la tendance à résumer des travaux anté- mèneus) et messager/scribe des dieux, s’étend sur une aire rieurs en en donnant des résumés détaillés sans toujours indi- géographique étendue, avec une permanence et une conti- quer pour chaque élément qu’il s’agit du même ouvrage ou nuité qui nous vaut d’avoir encore dans l’Occident moderne, du même article qui continue d’être « présenté ». Du même des groupes d’héritiers auto-proclamés.3) Néanmoins, et tout type de méthode relève le principe d’amorcer ces résumés en reconnaissant les difficultés sous-jacentes, il nous semble soit par une critique ferme de la thèse soutenue avant de que l’A. échoue dans sa démonstration : ni sa définition de l’adopter à demi-mot en conclusion (cf. AH, pp. 69-79), soit ce qu’il considère comme « hermétique », ni sa tentative par une adhésion aux hypothèses d’un ou de plusieurs auteurs de prouver que c’est le rôle acquis par Hermès dans la avant de conclure à l’absence de preuves (AH, pp. 27-40). « culture sassanide » qui fit entrer ce dernier dans le corpus 4 scientifique médiéval des Arabes ) ne nous paraissent 2. Définitions convaincantes. L’A. indique en ouverture du livre: « D’anciens récits Etroitement lié à ce problème de vision d’ensemble, la arabes mentionnent un sage égyptien antique dont le nom définition même de ce que l’A. considère comme « hermé- était Hermès ‟Triple en sagesse”, lequel aurait été le fonda- tique » ou relevant de l’« hermétisme » pose problème, teur d’une religion païenne avant le Déluge ainsi qu’un légis- comme il le reconnaît lui-même (AH, p. 21). Le parti pris lateur qui avait réalisé une ascension céleste l’ayant mené adopté consiste à rejeter les notions d’hermétisme et de gnos- jusqu’aux planètes et à la suite de laquelle il redescendit pour ticisme, au titre qu’elles seraient inadéquates pour désigner enseigner l’astrologie. » (TheArabicHermes, ci-après : AH, ce que nous ont conservé les traductions arabes.6) Selon l’A. p. 3). Aucun de ces thèmes ne sera toutefois abordé dans la la seule définition valide du terme « hermétistes » serait première partie de l’ouvrage (« Background », AH, pp. celle qui consiste à designer par là « les auteurs et les lec- 3-118), et il aurait été souhaitable que l’A. signale le fait que teurs originaux des anciens Hermetica » ajoutant aussitôt si ces éléments apparaissent de façon disparate dans les récits que le concept « lui paraît inadapté lorsqu il s’agit de dési- médiévaux, ils ne sont jamais juxtaposés dans un seul et gner les théories, les pratiques, les auteurs ou les lecteurs des même texte, pas plus qu’ils ne concernent dans ces mêmes “Hermetica arabes” un demi-millénaire plus tard » (AH, récits un seul et unique personnage mais trois homonymes p. 18). Ceci amène l’A. à considérer sur un même plan ce tous appelés Hermès. Ces éléments apparaîtront en revanche que l’on pourrait appeler les « légendes d’Hermès » et les dans la deuxième partie du livre (« History of the Arabic ouvrages qui lui sont attribués, faisant peu de cas de la ques- Hermes », AH, pp. 121-233), qui est sans doute la plus inté- tion des forgeries et de l’utilisation de légendes relevant du ressante. En effet, la seconde partie développe le mythe des folklore tribal dans des contextes de syncrétismes religieux, trois Hermès, dont l’A. pense qu’il provient de la lecture des sans parler des problèmes spécifiques relatifs à la tradition chronographes byzantins par l’astrologue Abū Ma῾shar (AH, alchimique ou à la magie. L’A. se propose d’utiliser le terme pp. 131-155), au détriment de la thèse traditionnelle de l’in- « hermétique » pour désigner tout « texte » attribué nom- fluence des Sabéens de Harrān. mément à Hermès ou le mentionnant, ce qui ajoute à un cor- Selon l’A., « les légendes d’Hermès et les livres qui lui pus déjà mal défini les simples mentions et citations rencon- sont attribués en arabe … font partie de la riche production trées au fil des textes et traités ésotériques. De même, de l’antiquité tardive, à partir de laquelle l’ancienne culture il désignera sous le nom de « tradition hermétique » la « tra- arabe, dans tous ses aspects, prend naissance… » (AH, p. 3). Il faut selon lui étudier aussi « l’arrière-plan des origines à 5) AH, pp. 5-6 ; 193-196. Ce choix du 15e s. comme date de l’entrée partir desquelles les Hermetica arabes [‟Arabic Hermetica”] de la littérature hermétique en Europe ne me semble pas justifiée. D’une sont nées et continuer jusqu’à leur célèbre réception dans part, le traité intitulé Asclépius, (i.e. le DiscoursParfait, Gr. logosteleios, e e connu en Latin aussi sous le nom de sermoperfectus) dont on pense qu’il l’Europe des 15 et 16 siècles. » (AH, p. 3). L’ambition de se rattache au CorpusHermeticum circule dès le 4e s. ap. J.-C. dans une traduction latine. D’autre part, l’intérêt pour l’alchimie (si tant est que celle-ci puisse être considérée comme englobée par « l’hermétisme », ainsi 3) L’étude de Ch. Burnett, « The Establishment of Medieval Hermeti- que le fait l’A.) en Occident est bien antérieur au 15e s. cism », in P. Linehan et J.L. Nelson (éds.),TheMedievalWorld, Londres 6) J. Dillon — que cite par ailleurs l’A. — écrit pourtant (TheMiddle et New York, 2001, pp. 111-130 est un point de départ nécessaire pour Platonists, Ithaca, 1977, p. 384) que le paganisme de l’antiquité tardive est toute étude de l’hermétisme médiéval. Sur la diffusion du mythe à l’Occi- une « mixture de pensée gnostique, hermétique et chaldéenne ». Sur le dent à partir de la Renaissance, on se reportera aux études de Antoine gnosticisme et l’évolution de sa définition en milieu académique, on con- Faivre, TheEternalHermes.FromGreekGodtoAlchemicalMagus, Grand sultera M. Tardieu and J.-D. Dubois, Introductionàlalittératuregnostique. Rapids, 1995. Vol.I:Collectionstrouvéesavant1945, Paris 1986. Sur la question des 4) Plus précisément, les savants de diverses origines et obédiences influences gnostiques en Islam, cf. U. Rudolph, DieDoxographiedes ayant participé à l’âge d’or de la civilisation arabo-islamique dans un cadre Pseudo-Ammonios, Stuttgart, 1989 ; D. De Smet, LaPhilosophieismaéli- où l’arabe était devenu la langue des échanges scientifiques. enne.Unésotérismechiiteentrenéoplatonismeetgnose, Paris, 2012.

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dition textuelle des écrits attribués à Hermès » (AH, p. 21), concerne les témoignages littéraires et archéologiques pré- c’est-à-dire non pas la transmission particulière des traités chrétiens dans lesquels le rôle de l’Egypte apparaît déjà qui constituent les deux corpus principaux, à savoir les phi- comme saillant dans la version « égyptianisante » d’Her- losophica et les technica7), mais tout texte dans lequel « Her- mès: Hérodote, Strabon, la pierre de Rosette ne sont pas mès » figure, y compris les invocations à caractère magique même mentionnés11). Cette tendance apparaissait déjà dans retrouvées sur des bols mésopotamiens (AH, pp. 25-26). L’A. un compte-rendu publié par l’A. de textes en démotiques admet que sa définition n’est pas sans poser quelques pro- mettant en scène les dialogues de Thoth et d’un disciple ano- blèmes, comme celui de laisser de côté les « Hermetica nyme, et dans lequel il refusait tout lien entre les textes égyp- arabes » associées aux noms d’Agathodémon, d’Asclépius, tiens et le CorpusHermeticum.12) Quant à la datation des ou du Pseudo-Apollonius de Tyane (AH, p. 21).8) Le lecteur textes hermétiques proposée par Fowden, elle est elle aussi pourra donc trouver surprenant que l’A. ait ainsi amputé les malmenée par l’A., qui semble hésiter entre le 1er et le écrits hermétiques de ce qui en constitue le cœur même et la 3 ème siècle de notre ère.13) Pourtant, l’A. dit s’inscrire (AH, base doctrinale, à savoir le CorpusHermeticum, dans lequel p. 7) « du côté de Fowden » (sic!), plutôt que dans la pers- Agathodémon, Asclépius, Tat, Ammon, et Noûs (Gr. pour pective de Festugière, qui n’aurait vu dans les textes grecs « l’Intellect ») apparaissent comme des disciples ou des attribués à Hermès qu’une version populaire de la philoso- coreligionnaires d’Hermès. Ce rejet initial de l’hermétisme alexandrin et de ses pos- 11) Hérodote, Histoire, II 51 et II 138 (assimilation Hermès-Thoth); sibles prolongements dans la littérature arabe rend dès lors Strabon, Géographie, XVII, 1, 46 [cf. Festugière, RHT1, p. 57, n.1]. Les l’usage qui sera fait dans l’introduction des travaux de Scott, très belles pages de Festugière sur le développement d’une théologie cen- Fowden, Festugière et Mahé quelque peu insolite. De plus, trée sur Thoth à Hermopolis et sur son assimilation progressive à Hermès aux IVe-IIIe s. restent incontournables (RHT1, pp. 69-80). On peut les en ayant « personnalisé » Hermès, dont il fait une autorité compléter avec le résumé concis et actualisé de B.P. Copenhaver, Her- littéraire à part entière, l’A. semble en pleine contradiction metica.TheGreekCorpusHermeticumandtheLatinAsclepiusinanew lorsqu’il recourt à un florilège doxographique constitué de English translation and introduction, Cambridge 1992. A propos des citations d’auteurs tardo-antiques qui dépendent précisément mentions d’Hermès « deux fois grand » et « trois fois grand » sur papyri et ostraca retrouvés en Egypte, voir outre Festugière et Copenhaver pour leur jugement de l’hermétisme alexandrin. Ce choix, ou l’ouvrage plus récent de A. Van der Kerchove, LaVoied’Hermès:Pra- plus exactement cette distorsion, explique que l’A. ne traitera tiquesrituellesettraitéshermétiques, Leiden — Boston, 2012 pp. 41-42. pas des thèmes proprement hermétiques dont il aurait Dans la section grecque de la pierre de Rosette (196 BC), Hermès est quali- pu trouver le prolongement dans les ouvrages du Moyen Âge fié de « deux fois grand » et il apparaît aux côtés de Horus comme assimilé 9à Thoth. Hermès et Thoth sont dans leur tradition respective « interprètes arabe: initiation, contemplation, ascension céleste ), cosmo- des dieux », l’un comme messager, l’autre comme scribe. Thoth se voit par logie des sphères, théologie négative, théorie de l’homme ailleurs attribuer la « justice » et un rôle dans le jugement des morts, ce macrocosme. 10) qui le rapproche de l’Hermès « psychopompe ». Des peintures égyptiennes Par ailleurs, le florilège doxographique que propose l’A. d’Hénoch (cf. D. Frankfurter, « The Legacy of Jewish Apocalypses in Early Christianity: Regional Trajectories », in J.C. VanderKam et W. Adler en guise d’introduction (AH, pp. 10-13) laisse apparaître des (éds.), The Jewish Apocalyptic Heritage in Christianity, Assen 1996, coupures dans l’historiographie. La première d’entre elles p. 182), cette fois-ci un avatar judéo-chrétien d’Hermès dont la tradition musulmane conservera le souvenir, le montrent comme en possession du « livre de la justice ». 7) Selon la typologie en vigueur, cf. A.-F. Festugière, RHT, vol. 1 12) Cf. K. van Bladel, « Review of R. Jasnow and K.-Th. Zauzich, The (L’astrologie et les sciences occultes), pp. 102-307 ; B. P. Copenhaver, loc. EgyptianBookofThoth:ADemoticDiscourseonKnowledgeandPendant cit., xxxii-xl; G. Fowden, TheEgyptianHermes, Princeton 1993 [new edi- totheClassicalHermetica, Wiesbaden: Harrassowitz, 2005 », in Bryn tion] (ci-après EH), pp. 57-74. MawrClassicalReview 2006.05.19 (http://bmcr.brynmawr.edu/2006/2006- 8) En réalité, Agathodémon et Asclépius apparaissent dans la littérature 05-19.html). L’A. reprend ses conclusions dans AH, p. 8: il ne trouve à ces arabe le plus souvent en association avec Hermès, et une partie des analyses textes rien d’hermétique, malgré la mention de « Thoth trois fois grand » que proposera l’A. pourront donc être aussi utilisées dans le cadre d’une et le contexte. Il ne s’agit pas tant de rechercher dans les textes égyptiens recherche sur ces personnages, qui figurent aux côtés d’Hermès Trismégiste « l’hermétisme » qui en a dérivé par évolution et assimilations syncré- dans le CorpusHermeticum. En revanche le lien entre Apollonius de Tyane tiques, que d’admettre l’équivalence Thoth-Hermès dans le contexte égyp- et Hermès Trismégiste est plus ténu (cf. infra section 8 « Conclusion » et tien, et de là, dans le contexte hellénistique et post-hellénistique. Cf. AH, pp. 178-179). Tous deux sont considérés à Rome et dans le bassin J.-P. Mahé, « Preliminary Remarks on the Demotic “Book of Thoth” and méditerranéen tardo-antique comme des thaumaturges. Cf. A. Businé, the Greek Hermetica », in VigiliaeChristianae, 50, 4, 1996, pp. 353-363. « Hermès Trismégiste, Moïse et Apollonius de Tyane dans un oracle On trouve par ailleurs dans ces textes démotiques un parallèle assez frap- d’Apollon », Apocrypha, 13, 2002, pp. 227-243. pant avec Coran 31:27 à propos du calame utilisé par les scribes (cf. 9) L’ascension céleste (al-mi῾rāǧ) appartient aux miracles associés à la Jasnow- Zauzich, loc.cit., p. 12, s.v. B02, 4/13). Sur le milieu égyptien dans prophétie de Muḥammad (cf. par ex. Coran, 17 :1 et M-A. Amir-Moezzi, lequel les premiers traités hermétiques, dits « techniques », ont été com- s. v. « Me’rāj », in EncyclopaediaIranica (ci-après EIr), 2010, à paraître, posés (principalement : astrologie, botanique astrologique et lapidaires), cf. disponible à l’adresse suivante : http://www.iranicaonline.org/articles/ la préface de A. Nock, in Hermès Trismégiste. Traités, éd. et tr. A. Nock- meraj-i pour une bibliographie complète). Sur les différents aspects du voy- A.F. Festugière, Paris 1938, vol. 1, pp. I-IV et Festugière, RHT1, pp. 89-216. age de l’âme dans l’hermétisme, cf. J.-P. Mahé, in J.-P. Mahé et P.-H. Poirier La question du « milieu égyptien » mais néanmoins hellénisant sera déve- (éds.), EcritsGnostiques, introd. pp. LXI-LXII et id., loc.cit., présentation loppée par G. Fowden, TheEgyptianHermes, pp. 45-56. du traité L’Ogdoadeetl’Ennéade, pp. 937-948. Ce type d’ascension joue 13) Fowden, EH, p. 3 ; p. 11. Cf. AH, p. 7 (« Roman Egypt ») et AH, un rôle chez les philosophes en tant qu’attestant d’une certaine proximité p. 8, où l’A. affirme que l’on situe généralement la composition des Her- divine acquise par le theiosaner. Celle-ci est couramment évoquée chez metica grecs entre le 1er s. av. et le 1er s. ap. J.-C., ce qui est la date retenue les médiévaux arabes en particulier à propos de Pythagore (dont l’ascension par Fowden, qui propose ainsi une datation plus haute que celle proposée l’aurait mené à l’écoute des sphères célestes, autre forme semble-t-il de anciennement par Nock et Festugière, loc.cit.(n. préc.), p. V (« entre 100 contemplation du divin), mais aussi de Plotin, dont le récit d’ascension et 300 de notre ère »). Mais dans son exposé sur le rôle possible des Sas- céleste (cf. Plotin, Ennéades, IV,8,1) sera cité par les lecteurs de la Théolo- sanides dans la traduction d’œuvres grecques au 3e s. ap. J.-C. (AH, gie dite d’Aristote d’al-Kindī aux Ikhwān al-Ṣafā᾿, et attribué indûment au pp. 38-41, 44, 57, 63), l’auteur propose une datation bien plus tardive, en philosophe de Stagire plutôt qu’à celui de Lycopolis. suggérant que les textes attribués à Zoroastre et à Hermès ont pu être com- 10) Sur ce dernier thème, voir en particulier Festugière, RHT1, pp. 125- posés à cette même époque, pour satisfaire la demande des souverains sas- 127. Pour la cosmologie, voir Id, RHT2 (« Le dieu cosmique »), Paris, sanides (AH, pp. 43-45), et que l’intérêt pour les écrits hermétiques dans 1949, et enfin à propos de la théologie négative, cf. Id., RHT4 (« Le dieu l’empire romain au 3ème s. pourrait être contemporain de leur composition inconnu et la gnose »), Paris, 1953. (AH, p. 40).

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phie hellénistique tardive sans racines égyptiennes (AH, connaît pourtant son apogée sous le califat d’al-Ma᾿mūn, p. 7).14) C’est là réduire singulièrement la pensée de Festu- celui-là même qui déclencha une véritable croisade contre les gière, qui a lui-même montré les racines égyptiennes de cer- « attributionnistes » et autres « assimilationnistes », dont tains traités techniques dont il situe la composition dès l’interprétation des attributs divins n’était pas jugée l’époque ptolémaïque. Ce sont les quatre volumes de sa rationnelle. Révélation d’Hermès Trismégiste —plus de deux mille Avec Lactance enfin (AH, p. 12 ; cf. Scott, vol. 4, p. 9), pages— qui ont permis de prouver la date relativement tar- on aurait le premier exemple d’un auteur chrétien citant Her- dive de certains traités appartenant aux Hermetica philoso- mès dans un contexte positif (« in support of Christian theo- phiques, en raison de ce qu’ils empruntent aux philosophies logy »).19) Mais l’A. n’envisage nulle part la possibilité que platoniciennes, stoïciennes, et médio-platoniciennes. cette canonisation d’Hermès par les Chrétiens a pu connaître un prolongement dans l’équivalence proposée par les médié- 3. Doxographie vaux musulmans entre Hermès le grec et Idrīs, prophète coranique qu’ils assimilent par ailleurs à Hénoch, car gratifié Le fil conducteur choisi par l’A. dans la suite de son intro- comme lui d’une ascension céleste (Coran 19 :56-57).20) duction et dans les chapitres qui suivront est un aperçu doxo- Comme nous l’avons déjà remarqué, le rôle des Chrétiens graphique s’inspirant en partie de ceux proposés déjà par d’Orient est minimisé dans le florilège doxographique qui Scott et par Fowden. Une première chronologie très partielle ouvre le livre. Bien qu’il ne les mentionne pas dans cette (AH, pp. 11-14) s’ouvre à la suite de Scott15) avec Athenago- introduction, l’A. évoquera par la suite les témoignages de ras, Tertullien et le Pseudo-Justin, c’est-à-dire un choix deux chrétiens syriens du 8è s., Théodore Abū Qurra et éclectique qui laisse de côté Hérodote, Strabon, Varron, George le Syncelle, pour ce qu’ils offrent selon lui de paral- Ciceron, Martial, et Clément d’Alexandrie, qui offraient des lèles à la connaissance par les médiévaux arabes d’une figure témoignages plus anciens et dont certains sont directement nommée Hermès. Selon le premier, ce dernier était vénéré liés à la question de l’hermétisme alexandrin. par les Païens de Syrie avant que les « Sabéens ḥarrāniens Les citations de Tertullien (Scott, vol. 4, p. 3) et du de Baghdad » (auxquels l’A. refuse toute possible connais- Pseudo-Justin (Scott, vol. 4, p. 6)16) annonçaient pourtant des sance particulière d’ouvrages hérmétiques antiques ou tardo- thèmes dont l’analyse aurait pu être fructueuse. Ainsi, selon antiques) ne revendiquent à leur tour cette figure comme l’un Tertullien, Hermès n’aurait pas été capable de prendre posi- de leurs prophètes21) (AH, 85-86 ; 113 ; 234-235). Quant au tion sur la question de l’éternité du monde, et il n’aurait rien second, il pourrait avoir été influent dans la transmission de dit sur la matière (ceci alors même que le thème de l’aiôn la légende des trois Hermès telle que la connaît l’astrologue revient sans cesse dans le CH).17) La citation tirée du Pseudo- Abū Ma῾shar (m. 886) (AH, p. 126 n. 25 ; pp. 133-138).22) Justin est encore plus saillante quant à ses prolongements « islamiques »: celui-ci fait référence au Deusabsconditus p. 30, n.34) la découverte par Franz Rosenthal, «Sayings from the Ancients de la théologie négative. Si le Dieu inconnaissable et innom- from Ibn Durayd’s Kitābal-Mujtanā», Orientalia 27, 1958, p. 54 et p. 183, mable, indescriptible à l’aide des attributs est un thème d’un fragment parallèle aux extraits hermétiques de Stobée directement lié omniprésent de la plupart des traités du CH et des fragments à la question de la théologie négative, dans une collection qui présente par hermétiques conservés par Stobée, le sujet alimente les dis- ailleurs plusieurs parallèles avec des matériaux connus d’al-Kindī. Il rejette par ailleurs sans trop s’y attarder les parallèles découverts par Ch. Gene- cussions des Néoplatoniciens et fournira bientôt l’un des quand entre le Traitésurl’âme de Kindī et certaines formules du Corpus thèmes majeurs du débat théologique en Islam. De cela, l’A Hermeticum (AH, p. 90). relève tout au plus que la doctrine deviendra la plus couram- 19) Cette récupération d’une figure du paganisme par les Chrétiens est ment attribuée à Hermès par les théologiens [chrétiens], mais l’objet du dernier chapitre de TheEgyptianHermes, par Garth Fowden (EH, pp. 205-210). sans lier celle-ci aux extraits hermétiques d’al-Kindī ou au 20 18 ) L’hypothèse de Y. Erder, «The Origin of the Name Idrīs in the mu῾tazilisme. ) Le mouvement de traduction gréco-arabe Qur᾿ān: A Study of the Influence of Qumrān Literature on Early Islam», JournalofNearEasternStudies, 49, 4, 1990, pp. 339-350, qui considère Idrīs comme dérivant de l’hébreu daresh (“interprète”) mériterait d’être 14) Quant à J.-P. Mahé, si son HermèsenHaute-Egypte, Laval 1978- reconsidérée et approfondie à la lumière des progrès récents des études 1982, est cité p. 7, n. 15, il ne semble pas avoir été utilisé sinon pour cri- qumrāniennes et des travaux du Enoch Seminar. L’étymologie de Idrīs par tiquer l’hypothèse pourtant émise par Mahé avec prudence de la continuité la racine *DRS (enseigner), à partir de laquelle Erder propose d’identifier entre les « sagesses égyptiennes » et le style gnomique de certains écrits celui-ci à « l’interprète de la Torah (dōrēshha-Torah) » du « Damascus attribués au Trismégiste. La mention des traductions coptes de traités her- Covenant » de Qumrān est connue aussi du Pseudo-Asmā῾ī, cf. métiques retrouvés à Nag Hammadi (AH, p. 12) n'est pas accompagnée d'un E.G. Browne, «Some account of the Arabic work entitled ‟Niháyahatu’l- renvoi à Mahé, pourtant l'un de leurs plus éminent spécialiste. irab fi akhbári’l-Furs wa’l-ʻArab,” particularly of that part which treats of 15) W. Scott, Hermetica, Oxford, 1936, vol. 4, pp. 2-7 (abrégé dans le the Persian Kings», in JournaloftheRoyalAsiaticSocietyofGreatBritain texte « Scott, vol. 4 »). andIreland, April 1900, p. 198. 16) AH, p. 11. 21) Charles Burnett, «Thābit ibn Qurra the Ḥarrānian on Talismans and 17) Cf. B.P. Copenhaver, Hermetica, indexes, s.v. « aion, Aion », p. 274. the Spirits of the Planets», à paraître dans R. Rashed et R. Morelon (éds.), La question de l’éternité du monde est l’une des plus débattue dans la Proceedingsoftheal-FurqanConferenceontheNinthCentenaryofthe théologie islamique naissante, où elle constitue un point de friction entre DeathofThābitibnQurra(London2002), constitue à mes yeux une preuve théologiens « orthodoxes » et philosophes. Ce thème réapparaîtra dans la irréfutable de la connaissance intime des sciences occultes qu’avait Thābit, liste des éléments de croyances rapportés aux Sabéens de Ḥarrān par laquelle ne peut avoir entièrement été assimilée à Baghdad. Je remercie le al-Sarakhsī, un disciple d’al-Kindī dont il sera question quelques pages plus professeur Burnett pour m’avoir aimablement communiqué une pré-version loin (AH, pp. 87-88) sans que l’A. n’en fasse la mention explicite, réduisant de son article. ce point à l’adoption par les Sabéens de Baghdad des thèses aristotéli- 22) Ou plus exactement de deux Hermès, qu’il identifie aux deux person- ciennes bien connues dans le contexte du mouvement de traduction entre- nages homonymes mentionnés par Manéthon, ainsi qu’il l’explique dans pris à la cour abbasside. une synthèse parue avant l’édition de AH: K. van Bladel, «Sources of the 18) P. Adamson, « Al-Kindī and the Mu῾tazila: Divine Attributes, Crea- Legend of Hermes in Arabic», in P. Lucentini, I. Parri, V. Perrone Com- tion, and Freedom », Arabic Sciences and Philosophy, 13.1, (2003), pagni (éds.), HermetismfromLateAntiquitytoHumanism.LaTradizione pp. 45-77. Van Bladel ne citera que beaucoup plus loin, dans les dix der- ermeticadalmondotardo-anticoall’umanesimo.AttidelConvegnointer- nières pages de l’ouvrage (AH, p. 196 ; texte et trad. p. 198, mais cf. AH, nazionale di studi, Napoli, 20-24 novembre, 2001, Turnhout, 2003,

998291_Bior2015_3-4_01.indd8291_Bior2015_3-4_01.indd 308308 88/10/15/10/15 009:069:06 343 « L’HERMÈS ARABE » DE KEVIN VAN BLADEL 344

L’A., comme on l’a vu, ne développe pas pour autant la façon 4. Méthodologie dont ces deux auteurs eux-mêmes avaient pu rencontrer le Trismégiste, ni même si le personnage qu’ils citent lui est Alors qu’il consacre plus du tiers de l’ouvrage (AH, identifiable. De la même manière, la doxographie ne contient pp. 4-85) à l’évolution pré-islamique d’Hermès, l’A. ne fait que deux témoignages syriaques, qui sont à chaque fois quasiment aucun usage des travaux fondamentaux de Festu- recentrés sur le contexte iranien pré-islamique. Ainsi, selon gière et de Mahé. Le premier avait pourtant offert dans le Ephrem le Syriaque, Hermès était considéré comme prophète volume inaugural de sa Révélationd’HermèsTrismégiste par certains Manichéens.23) On aurait pu voir là l’occasion un appendice par Louis Massignon se présentant comme un d’un développement sur la possible identité de celui-ci avec « inventaire de la littérature hermétique arabe », lequel don- Hénoch, connue de la plupart des sources arabes, mais cette nait quelques pistes certes datées, mais qui aurait sans doute assimilation ne sera pas ici abordée.24) Quant au témoignage dû être discutées. D’autant que Massignon partage avec Van de Jacques d’Edesse, un contemporain immédiat des débuts Bladel une définition particulière de l’hermétisme, à savoir, considérer comme hermétique les « textes [qui] se réfèrent de la conquête islamique, il est repris des travaux de Scott, 27 comme l’A. l’indique (AH, p. 13), et il aurait pu donner lieu nommément à Hermès, ou aux « trois Hermès (Harâmisa)». ) à un développement à la lumière des travaux récents.25) En Quant à l’impasse sur les travaux de Jean-Pierre Mahé, effet, l’astrologie semble avoir fait partie du cursus d’ensei- elle s’inscrit dans la lignée de Fowden, qui pouvait se gnement des sciences dans les communautés syriaques, défendre de la parution relativement récente de l’Hermèsen comme en attestent par exemple les œuvres de Serge de Resh Haute-Egyptede Mahé. Mais comment une étude sur l’Her- ῾ mès arabe pouvait-elle faire l’économie des témoignages Ayna, et la question du curriculum d’études que suivaient 28 Jacques d’Edesse et ses semblables quelques décennies plus coptes et arméniens étudiés par Mahé? ) C’est à partir de tard aurait mérité d’être soulevée.26) C’est précisement au tra- cette étude de la transmission de la littérature égyptienne vers vers de la diffusion des écrits astrologiques qu’il semble les sphères copte et arménienne qu’on aurait pu chercher à considérer comme « traduits du moyen-perse » dans leur étudier au moins une partie de la diffusion pré-islamique des quasi-totalité que l’A. va tenter de prouver que la figure textes hermétiques dans ce qui deviendra l’empire arabo- d’Hermès Trismégiste était déjà connue en Irak et en musulman. Par ce biais, l’A. aurait pu sans doute affiner son avant même la conquête arabe. argumentation quant à la constitution d’une nouvelle légende d’Hermès dans l’antiquité tardive, garantissant sa popularité à l’époque des premières conquêtes musulmanes. Cette continuité de la lecture de la théologie hermétique par les Chrétiens d’Orient n’est pas abordée, comme nous l’avons déjà souligné.29) De même, le rôle possible du judaïsme, du gnosticisme et pp. 285-293. Quant au troisième, il aurait selon la même étude pu être du manichéisme comme terrains de transmissions possibles ajouté par al-Kindī, auprès duquel Abū Ma῾shar l’aurait découvert (com- de croyances et de pratiques dans lesquelles apparaissent parer AH, pp. 86-88 où l’A. admet qu’al-Kindī a eu en sa possession au les figure divines, angélique ou prophétique appelée moins un traité lié au CorpusHermeticum, idée qu’il rejetera en revanche 30 à propos de Barhebraeus, loc.cit., p. 93). L’identification du Kitābal-Ulūf Hermès, Thoth ou Hénoch ne sera pas non plus évoqué. ) de Abū Ma῾shar comme l’un des vecteurs de la transmission médiévale d’une légende des trois Hermès (deux égyptiens et un babylonien) avait été proposée par Ch. Burnett, «The Legend of the Three Hermes and Abū 27) L. Massignon, « Inventaire de la littérature hermétique arabe », in Ma῾shar’s Kitābal-Ulūf in the Latin Middle Ages», in JournaloftheWar- A. Festugière, RHT1, pp. 384-400, à la p. 384 (écrit pour une conférence burgandCourtauldInstitute, 39, 1976, pp. 231-234 et déjà, par M. Plessner, d’Eranos à Ascona en Suisse qui s’était tenue en août 1942). La définition «Hermes Trismegistus and Arab Science», Studia Islamica, 2, 1954, de Massignon (et celle de Van Bladel) était donc acceptable jusqu’à la pp. 45-59, cf. p. 53, qui considérait Abū Ma῾shar comme le plus ancien démonstration par Festugière de l’existence d’un hermétisme alexandrin, transmetteur de la légende. c’est-à-dire la publication de RHT, vols. 1 à 4, parus à Paris de 1944 à 23) AH, pp. 46-47 citant Scott, Hermetica, vol. 4. Fowden, EH, p. 204, 1954. Il faudrait selon nous, à partir des travaux de Festugière, distiguer sur St Augustin, citant le manichéen Faustus. Selon Ṣā῾id al-Andalūsī, entre hermétisme alexandrin et hermétisme médiéval. al-Kindī aurait composé une réfutation des Manichéens (fīal-radd῾alā 28) J.-P. Mahé, HermèsenHaute-Egypte, 2 vols., Laval, 1978-1982. al-manāniyya) (pp. 135-136 Bū ῾Alwān/trad. Blachère, p. 106). Outre l’étude des versions coptes et arméniennes d’extraits des Définitions 24) Barhebraeus (Muḫtaṣaral-duwal, p. 7 Ṣālḥānī, attribue l’identification hermétiques et de l’Asclépius, Mahé, a étudié en particulier plusieurs traités Hermès/Hénoch « aux Grecs ». Hénoch, après avoir été le « prophète hermétiques (en copte) découverts à Nag Hammadi: NH VI, 6 ; NH VI, 7 ; astronome » des Juifs de Qumrān (1Enoch y est lu), joue le rôle d’un NH VI, 8. NH VI, 7 comporte une prière dont la version latine est préservée intercesseur chez les Manichéens parmi lesquels le LivredesGéants est lu dans l’Asclépius(Ascl. 41) et dont on connaît une version grecque dans les et commenté, cf. J. Reeves, JewishLoreinManicheanCosmogony:Studies papyrus grecs magiques (PGM III 591-610), où elle est insérée dans une inthe‘BookofGiants’Tradition, Cincinnati, 1992 et W. Sundermann, prière à Hélios. Dans la version copte de Nag Hammadi, les disciples sont «Book of Giants», in Encyclopaedia Iranica, vol. X, pp. 592-594. anonymes, tandis que dans la version latine la prière est prononcée par L’ouvrage est connu par ailleurs de Zosime de Panopolis, un alchimiste Hermès accompagné de ses trois disciples Asclépios, Tat et Hammon égyptien dont nombre d’œuvres ont survécu en grec et en arabe et qui le (=Ammon). cite aux côtés des traités d’Hermès sur l’Art à propos des origines de 29) Selon H.H.W. Drijvers, «Edessa und das Judische Christentum», in l’alchimie, comme l’exposait déjà Festugière, RHT1, pp. 255-256. VigiliaeChristianae 24, 1970, pp. 1-33 ; Id. «Bardaisan of Edessa and the 25) Cf. M. Wilks, «Jacob of Edessa’s Use of Greek Philosophy in his Hermetica: the Aramaic Philosopher and the Philosophy of His Time», in Hexaemeron», in R.B. ter Haar Romeny, JacobofEdessaandtheSyriac ExOrienteLux 21, 1969-1970, pp. 190-210, l’hermétisme (« hermeti- CultureofHisDay, Leiden, 2008, pp. 223-238. cism ») répandu dès le 2e s. après J.-C. en Palestine et en Syrie du Nord 26) G. Endress, «Mathematics and Philosophy in Medieval Islam», in s’expliquerait par l’assimilation faite entre Hermès et le dieu Nebo, dont le J.P. Hogendijk et A.I. Sabra (éds.), TheEnterpriseofScienceinIslam:New culte est attesté à Ḥarrān et à Edesse (sur le culte du dieu babylonien Nebo/ Perspectives, Boston (Mass.), 2003, p. 126; E. Fiori, « Un Intellectuel Nabū, cf. A.R. Millard, « Nabû », in K. van der Toorn, B. Becking, alexandrin en Mésopotamie. Essai d’une interprétation d’ensemble de P.W. van der Horst (éds.), DictionaryofDeitiesandDemonsintheBible, l’œuvre de Sergius de Reš῾ayna », in C. Martini Bonadeo, E. Coda (éds.), 2nd ed., Leiden-Boston-Köln — Cambridge, 1999, pp. 607-610). Del’AntiquitétardiveauMoyen-âge.Etudesdelogiquearistotélicienneet 30) Sur les influences manichéennes dans la cosmologie islamique, cf. dephilosophiegrecque,arabe,syriaqueetlatineoffertesàHerniHugon- J.C. Reeves, ProlegomenaofaHistoryofIslamicate Manichaeism, Shef- nard-Roche, Paris, 2014, pp. 59-90. field, 2011. Selon M. Gil, «The Creed of Abū ῾Āmir», IsraelOriental

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C’est pourtant la compétition entre Païens et Chrétiens, entre le monde arabe, ils sont dans le cas de la Geschichtedes Egyptiens hellénisés et Egyptiens adeptes de la religion des ArabischenSchrifttums de Fuat Sezgin bien plus que des Pharaons, entre Egyptiens et Juifs, et entre Grecs et Juifs qui inventaires mais l’A. les mentionne sans s’y arrêter.37) La explique l’assimilation de ces figures mi-divines, mi-légen- méthode suivie va donc se borner à reprendre les analyses daires.31) C’est selon nous cette concurrence des influences : d’un choix de travaux présentées les uns à la suite des autres judéo-chrétiennes d’un côté (bibliques, mais aussi baptistes, sans véritable progression, plutôt que de partir des décou- gnostiques et manichéennes) et païennes de l’autre, qui rend vertes les plus récentes et donc en particulier des ouvrages chez les Musulmans la figure d’Hermès/Idris/Hénoch/Asclé- de Ullmann et de Sezgin.38) Disons d’emblée qu’il ne nous pius particulièrement complexe. L’A. semble pourtant paraît pas possible, dans un ouvrage de deux-cent cinquante admettre implicitement —puisqu’il se réclame des théories pages, d’aborder ensemble l’hermétisme alexandrin (qui est de G. Fowden32)— que l’Hermès arabe résulte, comme son l’objet du florilège doxographique de la première partie) et ancêtre égyptien Thoth-Hermès, d’une concaténation de ce qu’on pourrait appeler l’hermétisme médiéval lequel nous figures à laquelle il faut encore ajouter Asclépius et son semble plus spécifiquement limité à l’astrologie, à la magie parèdre égyptien Imhotep, ainsi que Nabū/Tir/Mercure, iden- (science des correspondances, science des talismans, théur- tifiés respectivement à la planète du même nom de même gie) ainsi qu’à un certain type d’alchimie, et dans tous les cas que l’est῾uṭarid en arabe.33) représentant une version dépouillée de ses aspects philoso- phiques et théologiques. 5. Corpus Astrologie et alchimie seront évoquées dans le but d’affir- mer la transmission vers la Perse de matériaux originaux Bien que le corpus ait été traditionnellement divisé en égyptiens dans lesquels Hermès serait mentionné. C’est chez technica et philosophica (ou « technical » et « theoretical » Festugière, dans le premier tome de la Révélationd’Hermès chez Copenhaver34)), c’est principalement les technica qui Trismégiste, que le rôle des traités de botanique astrologique seront abordées dans la première partie de l’ouvrage. Les et des lapidaires dans la popularité croissante d’Hermès à philosophica sont reléguées à la présentation partiale qu’en Rome est le mieux exposé. L’astrologie serait, selon Festu- donnent les témoignages du florilège doxographique tout au gière (RHT1, p. 77) le thème des plus anciens traités grecs long de la première partie, sans qu’à aucun moment l’A. ne hermétiques, dont il pense qu’ils remontent aux IIIe-IIe s. av. présente le contenu théorique des traités qui constitue le Cor- J.-C. et sont donc antérieurs aux traités philosophiques du pusHermeticum. D’emblée, l’A. affirme que les technica CorpusHermeticum .39) Mais l’absence de la Syrie romaine (magie, astrologie, alchimie) resteraient à étudier.35) La et byzantine dans la démonstration est révélatrice du flou bibliographie atteste pourtant de ce qu’il connaît les travaux contextuel qui entoure toute la première partie. Un exemple déjà anciens de Ruska et de Plessner.36) Quant aux « inven- frappant en est l’usage fait dans le chapitre sur l’alchimie des taires » des œuvres attribuées à Hermès en circulation dans travaux de Berthelot et Houdas, qui s’ils sont abondamment cités dans les notes, ne le sont pas toujours fidèlement (AH, pp. 54-58). Studies XII, 1992, esp. pp. 31-38, Hermès-Hénoch entre en Islam via les Quant à l’alchimie, le lecteur ne trouvera nulle part l’ex- Manichéens d’al-Hīra au sud de l’Irak. Les écrits manichéens conservés en plication des liens qui relieraient Hermès à la science du langue copte rapportent en effet qu’une mission manichéenne vint depuis 40 Palmyre à al-Hīra en 293 et qu’elle fut reçue favorablement par le roi Grand Œuvre. ) Ibn al-Nadīm —dont le témoignage va être lakhmide qui intercéda en faveur des missionnaires auprès du roi sassanide mis à contribution à propos de l’histoire de l’astrologie en Narseh I, qui aurait alors fait cesser les persécutions à l’encontre de la Iran sassanide— consacre pourtant un long chapitre aux secte. ouvrages d’alchimie, lesquels pourraient remonter à la plus 31) Cf. J.-P. Mahé, in Mahé-Poirier (éds.), EcritsGnostiques, introd. pp. LVIII-LIX ; A.J. Droge, Homeror Moses? EarlyChristianInterpreta- haute période de la littérature scientifique en langue arabe tionoftheHistoryofCulture, Tübingen, 1989. conservée, et l’auteur du Fihrist place Hermès en tête de 32) Fowden, EH, pp. 22-31. Cf. AH, p. 18. chapitre, lui attribuant treize ouvrages d’alchimie (dont l’un 33) Au treizième siècle, Barhebraeus connaît encore l’équivalence Nābū est dédié à Tat et l’autre à Asclépius).41) La tradition arabe = ῾uṭarid (i.e. la planète Mercure), cf. Ibn al-῾Ibrī, Mukhtaṣaral-duwal, éd. Anṭūn Ṣalḥānī, réed. Beyrouth, 1994 (réimpr. de l’éd. de 1958), p. 73 (et déjà chez Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, pp. 417-418 Tajaddod). Festugière, 37) F. Sezgin, GAS, IV, pp. 31-44. RHT1, pp. 67-81; Fowden, EH, p. 32-33. Sur les interlocuteurs d’Hermès 38) Tout en remarquant (AH, p. 17) que selon les inventaires réalisés par dans le CH, cf. A. van den Kerchove, Lavoied’Hermès, Leiden — Boston, Ullmann et Sezgin il existe au moins 70 ouvrages arabes entre le 8è et le 2012, pp. 48-52. La question de l’assimilation à Hénoch n’a pas à ce jour 15e s. qui mentionnent Hermès ou lui sont attribués. L’A. ne fera pas usage fait l’objet d’une étude approfondie, mais Van Bladel donne plusieurs non plus de la publication récente par Ullmann d’un traité sur les poisons pistes de recherches qu’il aurait sans doute pu développer plus avant, cf. explicitement attribué à « Hermès le Sage, le troisième du nom, maître AH, pp. 164-173. Cf. Festugière, RHT1, pp. 255-260; B. A. Pearson, «Jew- d’Asclépius » (M. Ullmann, DasSchlangenbuchdesHermesTrismegistos, ish Elements in Corpus Hermeticum I (Poimandres)», in R. Van den Broek Wiesbaden, 1994). et M.J. Vermaseren (éds.), StudiesinGnosticismandHellenisticReligions 39) Cf. RHT1, pp. 76-77 et les remarques de H.-Ch. Puech, presentedtoGillesQuispelontheOccasionofhis65thBirthday, Leiden, « A.J. Festugière. La Révélation d’Hermès Trismégiste, I : L’astrologie et 1981, pp. 339-340. les sciences occultes », Revued’HistoiredesReligions, 132, 1946, p. 198. 34) B.P. Copenhaver, Hermetica, introd. p. xxxii. 40) Sur les traités alchimiques attribués à Hermès dans la tradition 35) AH, p. 9, n. 22 renvoyant à trois pages (!) de la thèse doctorale non- grecque et byzantine, cf. A.F. Festugière, RHT1, pp. 240-260. publiée de David Pingree, qui en aurait proposé un inventaire. Ce 41) Hermès apparaît chez Ibn al-Nadīm, qui compose son Catalogue(al- retournement de la réalité est d’autant plus étrange que comme l’A. le sait Fihrist) en 987, comme le plus célèbre des alchimistes. J.W. Fück, « The (puisque sa bibliographie en atteste), c’est quasiment la seule partie du Arabic Literature on according to al-Nadīm », Ambix, IV, 3-4, corpus arabe attribué à Hermès qui a fait l’objet de publications. Festugière 1951, pp. 81-144, donna une traduction commentée du chapitre d’Ibn (RHT1, p. 107, n. 1) donne un inventaire exhaustif des traités hermétiques al-Nadīm sur l’alchimie en utilisant des manuscrits inconnus de Flügel, « techniques » connus à son époque. l’éditeur du Fihrist, et de Houdas, qui avait donné une traduction partielle 36) Ceux-ci sont mentionnés au détour d’une note (p. 22, n. 61) comme du chapitre dans M. Berthelot, LaChimieauMoyen-âge, Paris 1893, vol. « ayant travaillé sur l’hermétisme et l’alchimie » mais leurs travaux sont 3, pp. 26-40. Hermès est identifié dans ce contexte comme « Hermès le à peine discutés par l’A. Babylonien » (Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 417 Tajaddod/trad. Dodge, vol. II,

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médiévale voudrait que le prince omeyyade Khālid ibn Yazīd traités: parallèles littéraux avec des ouvrages de Zosime (m. 704) ait commandité les premières traductions vers de Panopolis (dont certains sont perdus en grec), présence de l’arabe d’ouvrages alchimiques « à partir du grec et du Maria la Copte, de Théosébie, mais aussi de Pebechius, et copte », comme l’affirme Ibn al-Nadīm.42) A ce titre, l’édi- des protagonistes du CorpusHermeticum.44) Enfin les tra- tion récente de plusieurs traités alchimiques qui semblent vaux de Paul Kraus, une autorité incontournable en matière avoir appartenu aux ouvrages dont Khālid ibn Yazīd avait d’alchimie arabe, sont eux aussi à peine mentionnés, bien ordonné la traduction aurait pu faire l’objet d’une discus- que Jābir ibn Ḥayyān cite à son tour « Hermès » à plusieurs sion. 43) Les traces de l’Egypte byzantine abondent dans ces reprises, aux côtés des personnages du corpus alchimique.45) Cette absence d’introduction historique sur l’astrologie et p. 843), lequel aurait quitté Babylone lors de la dispersion des hommes (Ibn l’alchimie et la coupure historiographique avec l’hermétisme al-Nadīm, al-Fihrist, loc.cit.) pour aller vers l’Egypte, où sa tombe se alexandrin sont d’autant plus regrettables qu’elles amènent trouverait dans la grande pyramide (loc.cit., p. 418 Tajaddod/p. 845 trad. l’A. à négliger deux témoignages importants, qu’il connaît Dodge ; les noms des enfants d’Hermès — Ṭāṭ, Ṣa, Ashmun, Athrīb et Qufṭ, i.e. « copte » — trahissent les sources égyptiennes de ce mythe). pourtant puisqu’il les mentionne dans son florilège doxogra- C’est une étymologie arabe qui se cache très certainement derrière le rap- phique. Le premier témoignage est celui de Théon d’Alexan- prochement Hermès (Hirmis)et « pyramide » (haram). La mention par Ibn drie (m. ca 405), qui selon Van Bladel cite « les ouvrages al-Nadīm de la dispersion des hommes à partir de Babylone montre une astronomiques d’Hermès » et qui fut l’un des premiers com- influence biblique et/ou mésopotamienne qui transparaît aussi dans les 46 légendes assemblées par Ibn Nawbakht dans son apologie des sciences mentateurs de l’Almageste de Ptolémée. ) Quant au deu- astrologiques (cf. infra Appendice I). Il est intéressant de constater que le xième témoignage, il s’agit de celui du théologien Cyrille récit d’Ibn al-Nadīm diverge du récit d’al-Maqdisi citant Ibn ῾Abd Allāh d’Alexandrie (m. 444), qui composa vers 420-430 son Contre al-Qaṣrī, et de ceux de Ṣā῾id al-Andalusī, al-Mubashshir b. Fātik et Barhe- Julien, une réfutation du paganisme dans laquelle il fournit braeus, que l’A. présentera partiellement et en cassant leur chronologie dans la seconde partie de l’ouvrage (AH, pp. 122-130 ; 166-167 ; 184-193). La plusieurs extraits duCorpusHermeticum, ainsi que d’autres plus intéressante de ces biographies, celle d’al-Mubashshir, qu’il reliera fragments hermétiques connus par ailleurs seulement grâce lui-même (AH, p. 200) à la connaissance d’Hermès par les Sabéens qu’il a aux extraits qu’en donnera Stobée un peu plus tard.47) La initialement rejetée, est reléguée après les autres bien qu’elle soit antérieure popularité d’Hermès dans les milieux païens et chrétiens chronologiquement (AH, pp. 184-195). Il n’est pas exclu d’autre part que ème l’idée d’un Hermès « babylonien » provienne de l’interprétation erronnée d’Alexandrie au 5 s. de notre ère est donc bien attestée. du mot « chaldéen », qui est d’usage fréquent pour désigner astronomes et N’aurait-on pas dû chercher là aussi la possibilité que les astrologues dans la littérature tardo-antique et du fait que la forteresse œuvres en circulation dans ce lieu aient pu être transmises à romaine qui s’était élevée à l’emplacement actuel du Vieux-Caire avait été l’Orient arabe durant le grand mouvement de traduction appelée « Babylone » (sans que l’on sache si la désignation remonte à l’occupation perse de l’Egypte). Le nom est encore couramment utilisé au gréco-arabe des 9e-10e s. ? La trace du milieu alexandrin Moyen Âge. resurgira pourtant dans ce qui constitue sans doute les meil- 42) Les études pionnières de Julius Ruska ont été contestées parfois avec leures pages de l’ouvrage : celle que l’A. consacre à la trans- raison par M. Ullmann, DieNatur-undGeheimwissenschaftenimIslam, mission des chronographies composés au début du 5ème s. en Leiden, 1972 (Handbuch der Orientalistik, VI, 2), Pour une synthèse 48 récente, cf. R. Forster, « Alchemy », EI3, à paraître (je remercie le Profes- Egypte par Panodorus et Annianus (AH, pp. 135-162). ) seur Forster de m’avoir communiqué son article avant parution). Toujours dans le contexte alexandrin, l’A. rejette trop rapi- 43) L’ouvrage classique est celui de J. Ruska, ArabischeAlchemistenI, dement les liens entre hermétisme et néoplatonisme (AH, ChālidibnJazīdIbnMu῾āwija, Heidelberg, 1924. Le style du dialogue p. 142) faisant peu de cas du fait que les néoplatoniciens entre Khālid ibn Yazīd et Marianos ne laisse pas douter de la possibilité qu’il soit effectivement d’époque omeyyade (cf. A.Y. al-Hassan, « The Arabic Original of LiberdeCompositioneAlchemiae », ArabicSciences 44) Sur le rôle des textes alchimiques arabes dans l’étude de la réception and Philosophy, 14, 2004, pp. 213-231) tandis que la question de la Risāla byzantine du corpus alchimique, cf. Zosime de Panopolis, Mémoires de Qaydarūs (cf. J. Müller,ZweiarabischeDialogezurAlchimie, Berlin, authentiques, éd. et tr. Michèle Mertens, Paris 1995, index, passim. Au 2012, pp. 66-138) est plus complexe. M. Ullmann, « Ḫālid ibn Yazīd und douzième siècle encore, des manuscrits arabes des œuvres de Zosime seront die Alchemie: Eine Legende », DerIslam, 55, 2, 1978, pp. 181-218 con- copiés dans les milieux arabes chrétiens d’Egypte, cf. Th. Abt, TheBook sidère le récit d’Ibn al-Nadīm comme une légende tardive, (et id., s.v. ofPictures.Muṣḥafaṣ-ṣuwarbyZosimosofPanopolis, Zurich, 2007, « Khālid ibn al-Yazīd », in EI2, vol. 4, pp. 929-930) sans expliquer 2 vols. (l’utilisation de l’ère des Martyrs pour dater la copie et le style des la présence dans ces textes de citations de Zosime de Panopolis ou de la illustrations permettent d’établir que le manuscrit fut copié en milieu mention des figures familières des collections alchimiques du 7e s. tels chrétien). Maria la Copte, Théosébie, Agathodémon, Tat, etc. Ullmann, loc.cit., 45) P. Kraus, JābiribnḤayyān.Contributionàl’histoiredesidées 1978, p. 186, note le témoignage pourtant ancien d’al-Jāḥiẓ (ca 776-869) scientifiquesdansIslam, Paris, 1986, index, s.v. « Hermès » et pp. 64-65, sans y prêter plus d’attention et il laisse de côté l’information fournie par n. 5 (sur la connaissance des Technica —peut-être les — par Abū Ibn al-Nadīm quant au fait que Khālid ibn Yazīd avait composé un nombre Bakr Rāzī). d’ouvrages important, dont il donne quatre titres et desquels il affirme avoir 46) Quatre ouvrages de Théon d’Alexandrie, parmi lesquels une introduc- eu en main quelques cinq-cent feuillets. R. Hoyland, SeeingIslamasthe tion à l’Almageste et l’édition des tables astronomiques furent connus en OthersSawIt:ASurveyandEvaluationofChristian,JewishandZoroas- traduction arabes, cf. Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, p. 328 Tajaddod/trad. trianWritingsonEarlyIslam, Princeton, 1997, pp. 233-234 rejette lui aussi Dodge, vol. II p. 641. l’argumentation de Ullmann à propos de Khālid ibn Yazīd. D. Gutas, Greek 47) Contra Julianum : 1.549bc = SH 1.1 ; 2.580b = CH XI.22 ; ThoughtArabicCulture, Londres, 1998 p. 24, minimise le rôle possible de 2.597d-600b = CH XIV.6-7, 8-10 ; 4.701ab = Ascl. 29. Selon Cyrille, la la littérature omeyyade en la réduisant à quelques traductions avant tout composition ou la collection des 15 livres dits « hermétiques » avait été utilitaristes. Khālid ibn Barmak, l’un des plus grands mécènes de traduc- réalisée à Athènes (Contra Julianum, 1.548bc). tions philosophiques et (pseudo)-scientifiques avant le règne d’al-Maʼmūn, 48) L’utilisation de ces ouvrages par Abū Ma῾shar et par al-Bīrūnī avait lui-même été amené encore enfant en Syrie à la cour de Hishām b. demanderait cependant à être confrontée à la question de la transmission ῾Abd al-Malik avec son père qui y exerca la médecine, comme l’écrit l’A., arabe de l’Histoirephilosophiquede Porphyre (Van Bladel cite l’usage de cf. K. van Bladel, «The Bactrian Background of the Barmakids», in la chronologie d’Argos par Eusèbe, sans envisager la possibilité qu’il A. Akasoy, Ch. Burnett et R. Yoeli-Tlalim (éds.),IslamandTibet.Interac- s’agisse d’une citation de Porphyre). De même l’insistance à attribuer à tionsalongtheMuskRoutes, Farnham-Burlington, 2010, p. 72. Quant à Abū Ma῾shar l’unique connaissance de ces sources, au détriment d’al-Kindī Abū al-Ḥasan ῾Īsā ibn Ḥakam, dit al-Masīḥ ibn Ḥakam, lui-même petit-fils et de son entourage, ne me semble pas fondée. Sur la traduction arabe de d’Abū al-Ḥakam, un médecin de la cour omeyyade, il cite Hermès aux l’Histoirephilosophiquede Pophyre et sa diffusion, cf. E. Cottrell, “Notes côtés des philosophes grecs et des figures familières de l’alchimie dans sa sur quelques-uns des témoignages médiévaux relatifs à l’Histoirephilos- materia medica, cf. S. Gigandet, La«Risālaal-Hārūniyya»deMasīḥb. ophiquede Porphyre”, in A. Akasoy and W. Raven, IslamicThoughtinthe Ḥakamal-Dimašqī, Damas, 2001, index, s.v. Hermès, Asclépius. MiddleAges.InHonourofHansDaiber, Leiden, 2008, pp. 523-555.

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semblent pour certains avoir intégré le Corpus Hermeticum prend le risque de laisser son lecteur dans l’idée que les à leurs lectures de Platon et d’Aristote, ou même dans le cas anciennes élites juives, chrétiennes, et manichéennes de Proclus et d’Olympiodore, les écrits alchimiques.49) Il est n’avaient — contrairement aux Zoroastriens — aucun intérêt vrai que l’étude du Timée ou celle du Sophiste pouvait trou- pour les sciences.54) Il est pourtant aujourd’hui établi que les ver des échos dans les traités hermétiques, de même que anciennes élites sont restées les mêmes, au gré des accidents la lecture des Météorologiques, du TraitéduCiel ou de la de fortunes. Ainsi des Chrétiens de Baghdad, qui un moment Métaphysique d’Aristote nécessitait que l’on s’intéresse aux persécutés sous le calife al-Manṣūr, vont progressivement développements en matière de théories astronomiques. acquérir plus de prestige à la cour et en particulier dans les A partir de Porphyre, il est courant de trouver que les philo- professions médicales.55) Avant les règnes d’al-Mahdī et de sophes païens commentent Ptolémée et qu’ils s’intéressent Hārūn al-Rashīd, durant lesquels ils subirent eux aussi des à l’astrologie.50) A partir du cinquième siècle, l’enseigne- persécutions, ce furent parfois des représentants de la nota- ment des mathématiques est accompagné à Alexandrie bilité zoroastrienne ou manichéenne qui avaient eu l’ascen- d’études approfondies des ouvrages ptolémaïques, comme on dant et il est remarquable qu’un impôt déjà levé par les Sas- le voit dans l’œuvre de Théon d’Alexandrie, auquel on attri- sanides, le kharāj, se soit vu importé par le califat.56) Quant bue par ailleurs un commentaire des œuvres de Hermès aux Sabéens de Ḥarrān, leur rôle sera limité: Thābit ibn Trismégiste. 51) Qurra (m. 901) exerça auprès du calife al-Mu῾taḍid (r. 892- 902) après avoir été introduit dans les cénacles de Baghdad 6. L’Antiquité tardive et les débuts de l’Islam : conti- par Muḥammad ibn Mūsā ibn Shākir, l’un des membres de nuité ou rupture ? la famille de mécènes et scientifiques des Bānū Mūsā. On retrouve plus d’un siècle plus tard deux de ses descendants, L’impasse sur les 5e-8e s. est en parfaite contradition avec Hilāl ibn al-Muḥassin ibn Ibrāhīm al-Ṣābi᾿ et Abū Isḥāq la proposition qu’avait faite l’A. dans les premières pages du Ibrāhīm al-Ṣābi᾿ à des postes importants de la chancellerie livre, à savoir qu’il existerait une continuité entre la culture bouyide. Le fait-même que l’astrologie, science hérétique par tardo-antique et la culture arabe. Au contraire, le nouveau excellence, avait pu perdurer au point que l’horoscope de la pouvoir arabo-islamique aurait installé: « a new ruling reli- fondation de Baghdad avait été confié à des astrologues juifs gion, … a new common language… a new tradition of scho- et zoroastriens est un indice du pouvoir des anciennes larship… » (AH, p. 13).52) Pourtant, l’A. insiste sur le fait que élites. 57) l’importance attachée aux sciences par les califes abbassides viendrait de ce qu’ils souhaitaient en cela imiter les rois sas- sanides. 53) En plaçant l’emphase sur les Sassanides, l’A. R. MacLeod, TheLibraryofAlexandria.CentreofLearningintheAncient World, London, 2000, pp. 19-33). L’existence de scriptoriums et de collec- 49) Cf. P. Kraus, loc.cit., pp. 34-35 (sur les liens entre alchimie et néo- tions d’instruments scientifiques dans des contextes chrétiens, en dehors de platonisme) ; Festugière, RHT1, p. 127. la cour sassanide, ne semble pas non plus avoir soulevé le questionnement 50) F. Cumont, « Antiochus d’Athènes et Porphyre », in Annuairede des deux auteurs. l’Institutdephilologieetd’histoireorientale 2, 1934, pp. 135-56. 54) Sur la continuité des traditions scribales, cf. A.A. MacDonald, 51) Si l’on en croit le témoignage du chronographe chrétien Jean M.W. Twomey, G.J. Reinink (eds.), LearnedAntiquity.Scholarshipand Malalas, cité par Maria Dzielska, The Life and Death of Hypathia, SocietyintheNear-East,theGreco-Romanworld,andtheEarlyMedieval pp. 72-75, laquelle ajoute au dossier deux poèmes dont l’un renvoie explic- West, Leuven-Paris-Dudley, MA, 2003, où l’enseignement médical parmi itement à Hermès. Cette synthèse continuera au 6è s. chez Olympiodore, les Nestoriens de Jundishapur est abordé par G.J. Reinink, « Theology and cf. C. Viano, « Olympiodorus of Alexandria », in NewDictionaryofSci- Medicine in Jundishapur. Cultural Change in the Nestorian School Tradi- entificBiography, New York, 2010, vol. 5, pp. 338-340. tion », loc.cit., pp. 163-174.Sur les médecins chrétiens à la cour sassanide, 52) Ce troisième point en particulier ne semble pas se baser sur les faits, cf. A. Guillaumont, « Justinien et l’Eglise de Perse », DumbartonOak quant aux deux premiers, il est admis aujourd’hui que tant l’islamisation Papers, 23/24 (1969-1970), pp. 39-66, à la p. 56 ; J. Wiesehöfer, Ancient que l’arabisation des sociétés fut graduelle. Les anciennes élites se sont Persia from 550 BC to 650 AD, Londres, 2001, p. 218. G. Greatrex, recyclées au sein des différentes administrations arabo-musulmanes là où “L’Influence byzantine sur la Perse sassanide”, in D. Sakel (éd.), Byzantine elles se trouvaient, en important avec elles leurs pratiques scribales. Il sem- DaysofIstanbul(ProceedingsoftheConferenceheldon21-23May, ble même qu’on ait parfois fait copier le Coran par des scribes chrétiens, 2010), Ankara, 2014, pp. 163-174 + illust. pp. 489-490. comme l’ont montré les recherches de A. George, « Le Palimpseste Lewis- 55) Théophile d’Edesse, Chronicle, trad. R. Hoyland, Liverpool, 2011, Mingana de Cambridge, témoin ancien de l’histoire du Coran », in Comptes p. 306. Sur l’ascension progressive des médécins chrétiens, on peut lire le Rendusdel’AcadémiedesInscriptionsetBelles-lettres, Janv.-Mars 2011, chapitre d’Ibn Abī Uṣaybi῾a sur les médecins de Baghdad, cf. ῾Uyūn pp. 410-412 ; pp. 426-428. On comprendrait mal en outre en l’absence de al-anbā᾿fīṭabaqātal-aṭibbā᾿, bāb VIII (cf. vol. II, pp. 7-70). I. Bligh- continuité que les ouvrages de médecine et de philosophie grecque connais- Abramski, “Evolution versus Revolution: Umayyad Elements in the sent une telle popularité dans l’Orient arabo-musulman des 8e-11e s. ῾Abbāsid Regime 133/750-320/932”, in Der Islam, 65, 1988, 53) T. Fahd proposait déjà (EI2, s.v. Nudjūm (aḥkām al-), vol. VIII, pp. 226-243. p. 107 [T. Fahd] citant T. Fahd, Divination, p. 485) que les souverains 56) Voir sur ce sujet les contributions de D. Weber, « The xaraj Taxation abbassides aient adopté l’astrologie à l’imitation des Sassanides et sous and the Pahlavi Document Berk. No. 27 », et M. Schwartz, « A Note on l’influence des Zoroastriens, cependant que les Omeyyades eux-mêmes the Term xaraj », dans le BulletinoftheAsiaInstitute, 17 (2003 [2007]) l’avaient conservée (contre l’orthodoxie qui l’interdisait) au point de l’avoir et les addenda de Martin Schwartz, « More on harkaand *harkapati-» , in parfois utilisée dans le processus de désignation des cadis et imams. Gutas, Ibid., vol. 18 (en partie accessible en-ligne sur le site de la revue). Cf. plus pour sa part, envisage surtout la compétition entre les élites au sein de généralement J. Wiesehöfer, AncientPersia (réf. supra n. 54), p. 177, l’administration (cf. Gutas, GreekIntoArabic [réf. supra n. 43] pp. 42-43). pp. 190-191. Sur l’utilisation des traditions mazdéennes par les premiers D. Gutas et K. van Bladel ont récemment co-signé un article dans la troi- théologiens chiites, cf. M.-A. Amir-Moezzi, LeGuidedivindansl’Islam sième édition de l’Encyclopédiedel’Islam (« Bayt al-ḥikma », disponible iranien, Paris, 1992. à l’adresse suivante : http://referenceworks.brillonline.com/entries/ency- 57) Sur l’horoscope de fondation de Baghdad, cf. Yāqūt, Mu῾ǧam clopaedia-of-islam-3/bayt-al-h-ikma-COM_22882) dans lequel ils affirment al-buldān, vol. I [de l’édition Dār Ṣādir, qui ne comporte pas de nom que l’idée même d’une bibliothèque palatiale a été reprise des Sassanides. d’éditeur], p. 457 et al-Bīrūnī, TheChronologyoftheAncientNations, L’hypothèse paraît incongrue à propos d’une région qui a connu des biblio- trans. by C. Edward Sachau (London, 1879), pp. 262-263. D’autres réfé- thèques et un processus permanent de traductions multilingues tout au long rences sont fournies par S. Anthony, « Nawbaḫti Family », in EIr (à par- de son histoire, et ceci de façon continue depuis 3000 av. J.-C. (cf. aître, disponible en-ligne http://www.iranicaonline.org/articles/ D.T. Potts, « Before Alexandria : Libraries in the Ancient Near East », in nawbakti-family).

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Sans même poser la question de la légalité de l’astrologie château de Qusayr.64) Le témoignage de Théophile d’Edesse en Islam, l’A va progressivement introduire ce qui deviendra sur l’installation de la cour du calife omeyyade Marwan II (r. dans l’ouvrage un véritable leitmotiv.58) Reprenant les tra- 744-750) à Ḥarrān aurait pu lui aussi inciter à plus de pru- vaux de Pingree et de Kunitzsch, qui écrivaient eux-mêmes dence. 65) Théophile fut selon Pingree dans ses derniers écrits sous l’influence d’un savant italien du début du vingtième l’un des principaux vecteurs d’introduction des méthodes siècle, Alfonso Nallino, l’A. affirme que des versions en astrologiques en Islam, et il aurait selon lui connu le moyen- moyen-perse d’écrits attribués à Hermès auraient existé (AH, perse, qu’il aurait appris durant son séjour irakien, une fois p. 17). Celles-ci auraient été traduites dès le milieu du 3e s. attaché à la cour abbasside.66) Le Romanépistolaired’Aris- de notre ère à la cour du souverain sassanide Shāpūr («accor- toteetd’Alexandre comporte d’autre part une série de sen- ding to some evidence… [they were] translated into Middle tences attribuées à Hermès dont Mario Grignaschi a offert il Persian already in the third century, in the court of the Iranian y a déjà plusieurs décennies une traduction.67) Il n’est pas Shāpūr (d. 270), along with works of Ptolemy, Dorotheus, possible de déterminer si cette collection appartient à la and other astrologers.») (AH, p. 12). Cette affirmation s’ins- recension originale, composée sans doute à Damas ou à pire d’un extrait bien connu du Fihrist sur lequel le savant Ruṣāfa par le secrétaire Sālim Abū al-῾Alā᾿ (actif à la cour italien Alfonso Nallino avait en son temps attiré l’attention, de Hishām b. ῾Abd al-Malik, r. 724-743) ou si elle fut ajou- sans pour autant reprendre à son compte la date du 3ème s.59) tée lors d’un remaniement de l’ensemble du texte qui a sans Nallino avait par ailleurs découvert plusieurs indices concor- doute eu lieu à l’époque abbasside, mais elle indique, aux dant qui lui permirent de faire l’hypothèse que trois textes côtés des écrits d’al-Masīḥ ibn Ḥakam la diffusion de la phi- connus ou évoqués çà et là par les astrologues et les érudits losophie du CorpusHermeticum (théologie négative, théorie de l’Islam médiéval (les Paranatellonta de Teucros, l’Antho- de l’homme mésocosme) autant que celle de la littérature logiede Vettius Valens, et les Eclogues de Cassianus Bas- magique populaire dans laquelle Hermès était fréquemment sus) avaient d’abord dû être traduits du grec vers le moyen- cité.68) perse au 6e s. de notre ère.60) Nallino nota que le rôle des Un autre écueil méthodologique se fait jour lorsque l’A. premiers souverains sassanides dans une entreprise de tra- affirme (AH, p. 23) que la littérature en moyen-perse a ductions scientifiques poursuivie ensuite par Chosroès 1er est presque entièrement disparu principalement en raison de affirmé par Abū Sahl Ibn Nawbakht61), mais il ne considéra la « conquête arabe et de la colonisation de l’Iran aux pas ce récit comme propre à changer la date plus tardive qui 7 e-8e s. ».69) La survie des littératures mandéenne, judéo- est généralement acceptée quant à l’époque des traductions du grec en moyen-perse et que lui confirmèrent ses propres 64) Ainsi que le remarque W. Hartner dans son compte-rendu de analyses de la transmission des ouvrages de Teucros et de D. Pingree, TheThousandsofAbūMa’shar, inJournaloftheRoyalAsiatic Vettius Valens.62) Society(n. s.), 1, 1972, p. 63, n.1, où il note l’existence à QusayrAmra et Singulièrement, l’A. dénie ainsi aux Omeyyades (et bien dessin du zodiaque. Cf. E. Key Fowden et G. Fowden, StudiesinHellen- ism,ChristianityandtheUmayyads, Athènes — Paris, 2004. que ceux-ci aient établi leur cour en Syrie, alors encore lar- 65) R. Hoyland, TheophilusofEdessa’sChronicle (cf. supra n. 54), gement sous influence grecques et romaine) toute possibilité pp. 252-253. d’avoir connu les écrits d’Hermès ou la littérature astrolo- 66) Dans ses derniers travaux publiés, Pingree avait entrepris l’étude de gique dans laquelle il était couramment cité.63) L’A., qui par la transmission par Théophile d’Edesse des écrits de Rhétorius dans l’Orient musulman, où il les aurait communiqués à son collègue ailleurs connaît les écrits de Fowden, ne peut pourtant avoir Māshāʼallāh, l’un des astrologues d’al-Manṣūr. Cf. D. Pingree, « From manqué d’y lire que les Omeyyades avaient conservé le sou- Alexandria to Baghdād to Byzantium : the Transmission of Astrology », venir d’Héraclès, de Dionysios, et même un intérêt pour le InternationalJournaloftheClassicalTradition, 8.1, 2001, pp. 3-37. Sur zodiaque, qu’ils avaient représentés sur les fresques de leur Théophile d'Edesse et son usage de méthodes indiennes en astrologie, cf. F. Cumont in CCAG V.1, pp. 233-234, cf. http://cura.free.fr/xxv/23hold1. html (l’un des rares traités conservés d'astrologie militaire). Dans une deux- ième édition de ce même traité qu’il dédie à son fils Deucalion, on remarque 58) AH, pp. 12-13, ;28-29, ;32 ;34 n.50 ;40 ;131-132 ;162. des citations d'un Pseudo-Zoroastre. 59) A. Nallino, « Tracce di opere greche giunte agli Arabi », in 67) M. Grignaschi, « Les RasāʼilArisṭāṭālīsaʼilā-l-Iskandar de Sālim T.W. Arnold, R. Nicholson (éds.), AVolumeofOrientalStudiesPresented Abū al-ʻAlāʼ et l’activité culturelle à l’époque omayyade », Bulletin toE.G.Browne, Cambridge, 1922, pp. 345-363, cf. pp. 362-363. d’EtudesOrientales, 19, 1965-1966, pp. 74-83. M. Maróth, TheCorre- 60) A. Nallino, loc.cit., pp. 346-362. Des gloses insérées dans le texte spondenceBetweenAristotleandAlexandertheGreat.AnAnonymous d’Ibn Nawbakht connu d’Ibn al-Nadīm (cf. Appendix I) font de Teucros [le GreekNovelinLettersinArabicTranslation, Piliscsaba, 2006, p. 63, con- Babylonien] deux personnages. L’une des deux orthographes dérive très sidère que les extraits pourraient être de la plume d’un platonicien plutôt certainement du pehlevi (confusion R/L), cf. Nallino, loc. cit., que d’un hermétiste. pp. 361-362). 68) Sur ce roman épistolaire, cf. E. Cottrell, « An Early Mirror for 61) Cf. F. Sezgin, GAS, VII, p. 114. Ibn Nawbakht fut l’un des astro- Pinces and Manual for Secretaries: TheEpistolaryNovelofAristotleand logues de la cour abbasside. Il semble avoir hérité de la charge de son père Alexander », in K. Nawotka et A. Wojciechowska, Proceedingsofthe al-Nawbakht, et il serait mort sous le califat de Harūn al-Rashīd (r. 786- WroclawConference“AlexandertheGreatandtheEast:history,art,tra- 809). Sezgin mentionne des extraits de onze de ses ouvrages, pour la dition”heldon12-14September2013, sous presse. Ibn Abī Uṣaybiʻa a plupart à partir de citations dans des manuscrits dont la plupart sont inédits. décrit en détail la carrière de cette famille de médecins chrétiens à la cour Aucun de ces extraits n’a fait l’objet d’une quelconque recherche depuis la omeyyade, cf. ʻUyūnal-anbāʼfīṭabaqātal-aṭibbāʼ, bāb VII, s.v. Abū parution de la GAS VII en 1979, tandis que la citation du Fihrist est connue Ḥakam, Ḥakam al-Dimašqī, et ʻĪsā b. Ḥakam al-Dimašqī, dit al-Masīḥ (vol. et sur-interprétée depuis des décennies, comme on le verra dans les pages I, pp. 405-410 Najjār) et supra n. 43. La littérature alchimique préservée en qui suivent. syriaque, à laquelle Van Baldel consacre quelques pages (AH, p. 52-54) 62) Nallino cite le témoignage bien connu d’Agathias sur la cour de dans lesquelles il tente sans grand succès de lui trouver des racines « per- Chosroès 1er, sur lequel voir l’étude fouillée de A. Cameron, « Agathias on sanes », est restée comme l’a montré Berthelot très proche des ouvrages the Sassanians », DumbartonOakPapers, 23/24 (1969-1970) , p. 162 et qui l’ont inspirée et qui pour l’essentiel ont été composés dans l’Egypte pp. 164-176. byzantine des 3ème-7ème s. 63) Il s’agit en particulier du traité « Sur les douze lieux (Peri 69) M. Boyce, « Literature », in B. Spuler (ed.), Iranis- dôdekatopôn) » attribué à Hermès Trismégiste et considéré comme tikLiteratur [Handbuch der Orientalistik, IV, 2, 1], Leiden 1968, pp. 33-66, d’époque ptolémaïque (cf. Festugière, RHT1 ; Cumont, « Antiochus on p. 33, donne le même argument mais ajoute immédiatement que la prin- d’Athènes et Porphyre », pp. 142-143 et réf. infra n. 88). cipale cause de l'absence de vestiges littéraires matériellement conservés

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babylonienne, ou syriaque prouve au contraire qu’on écrivait gner d’emblée que leur géographie ne permet donc de consi- en Mésopotamie et en Iran, dans ces mêmes régions qui dérer ces bols magiques comme représentatifs d’une furent dominées du 3e au 7e s. de notre ère par l’empire sas- quelconque « culture sassanide ». Les inscriptions des bols sanide, dans divers alphabets qui continuèrent d’être utilisés connues à ce jour sont pour leur quasi-totalité, à l’exception après l’avènement de l’Islam, et que des littératures compo- de bols non-publiés, dans des dialectes araméens: le man- sées dans l’empire musulman par des sujets de confessions déen, le judéo-babylonien, le syriaque et l’araméen mani- diverses ont pu être transmises et sauvegardées jusqu’à nos chéen sont représentés.72) Selon Morony, la plupart des anges jours. Les spécialistes reconnaissent tous que l’ambiguïté des qui apparaissent dans les formules magiques des bols différents alphabets pehlevis, et le fait que le recours à des magiques appartiennent à la tradition juive; tandis que pour « hétérogrammes araméens » n’a pas facilité la diffusion de les bols à inscriptions syriaques, c’est la « tradition païenne » cette langue.70) L’A. omet aussi de noter que la religion maz- (i.e. grecque hellénistique) qui prime. La Babylonie, à déenne a connu un certain déclin à partir du quatrième siècle l’époque sassanide, est peuplée de communautés juives, au profit du manichéisme et du christianisme, dont les témoi- chrétiennes, manichéennes, et mandéennes tout autant que de gnages écrits pour le 5e-7e s. nous sont parvenus en assez mazdéens et d’adeptes d’autres religions.73) L’onomastique grand nombre. elle-même ne permet pas le plus souvent d’identifier l’appar- tenance religieuse des propriétaires des bols, mais l’A. sou- 7. Hermès chez les Sassanides lignera les noms qui lui paraissent « iraniens » dans le but d’ancrer le corpus dans « l’Iran sassanide ».74) La digression Alors que, comme nous l’avons vu, la transmission vers (AH, pp. 25-26) ainsi proposée sur les bols et amulettes les mondes copte et arménien a été ignorée et que le rôle magiques a pour but de souligner l’importance qu’aurait possible de transmetteurs des Syriaques a été réduit à deux acquis Hermès en « Iran ». Le fait que les bols en question citations d’hérésiographes chrétiens, l’A. va consacrer un ont pour la plupart été trouvés à Nippur (auj. Niffār) en long chapitre à « Hermès en Iran sassanide » (AH, pp. 23-63). Babylonie et qu’ils sont datés, comme les amulettes magiques Pour présenter ce fil de transmission, deux corpus très dispa- syriaques éditées par Ph. Gignoux, des 6e-7e s. ne sera pas rates seront utilisés : les bols magiques babyloniens d’une discuté. Pourtant, la date tardive de ces objets implique que part et la littérature astrologique en langue arabe d’autre part. le prestige de l’Hermès astrologue chez les araméophones et Le premier corpus — qui reste assez peu connu — est les hellénophones était déjà bien établi, comme l’a indiqué constitué par les inscriptions de bols en terre cuite utilisés à l’A. dans son introduction doxographique. des fins magiques, retrouvés en Babylonie et datés générale- 71 ment des 6e-7e s. de notre ère. ) Il est nécessaire de souli- 7.1 Les bols magiques Selon l’A., deux bols « d’origine syro-mésopotamiennes » est le fait que la tradition orale ne fut mise par écrit que tardivement. Les recherches récentes (papyri d'Egypte et du Khorasan, historiens syriaques) (sic) (AH, p. 25) mentionnent Hermès. Montgomery, qui ont montré que le processus d'islamisation prit le plus souvent de nombreux n’est pas explicitement indiqué comme étant l’auteur de ces siècles. Pour une mise au point récente, voir l’introduction de S. Bowen tentatives d’identification, sera assez malmené dans les réfé- Savant, The New Muslims of Post-Conquest Iran, Cambridge, 2013, rences à ce chapitre trop court et qui est l’un des plus déce- pp. 4-6. 70) Sur les hétérogrammes, cf. EIr, s. v. Huzwāreš, Vol. XII, Fasc. 6, vants de l’ouvrage avec celui qui est consacré à l’alchimie. pp. 585-588 [D. Durkin-Meisterernst]. E. Blochet, « Etudes sur le gnosti- Montgomery renvoie dans son introduction (Montgomery, cisme musulman », RivistadegliStudiOrientali, 2, 1908-1909, p. 744, AramaicIncantationTexts, p. 99) à quatre bols (n° 3 [sans explique ainsi ce qu'on désignait au début du vingtième siècle sous le nom doute une erreur pour « n°2 », car on ne trouve pas trace de zevarish: « système pehlevi où on peut remplacer une partie de mot par son équivalent sémitique ou iranien ». Ḥamza al-Iṣfahānī, Ta'rīḫsinīmulūk d’Hermès dans la lecture que Montgomery fait du bol n° 3], al-arḍwa-l-anbiyāʼ, éd. Kāviyānī, Berlin 1340/1921-22, bāb I, faṣl I, p. 9, n° 7, n° 19 et n° 25) sur lesquels « Hermès » serait invoqué, se plaint de la date tardive des documents en écriture pehlevie (« cent- et il identifie d’autres occurrences au fil de l’édition (cf. bol cinquante ans après [la fin des Sassanides] » et des nombreuses erreurs que n° 2, l. 2, p. 121, comm. pp. 123-124 ; n°27, l. 5, comm. recèlent ces textes « copiés d’un alphabet où les lettres ressemblent aux signes utilisés pour les chiffres [i.e. sans doute le parthe, dont l’alphabet utilise les lettres araméennes] vers un alphabet où elles ressemblent aux signes utilisés pour les nœuds [i.e. le pehlevi].». Mani compose toutes ses œuvres sauf une en syriaque car c'est l'araméen qui servait de linguafranca, tandis que le moyen-perse de la cour était utilisé par un groupe limité au University Park (Pennsylvania), 2003, pp. 92-95. L'usage de ces objets est milieu de différents dialectes. A propos des dialectes, la mise au point de mentionné encore au 10e s. par Ibn Wahshiyya (dans l’un des textes com- G. Lazard, « Du pehlevi au persan : diachronie ou diatopie ? », in L. Paul modément accessible dans la traduction de J. Hämeen-Anttila, TheNaba- (éd)., PersianOrigins—EarlyJudaeo-PersianandtheEmergenceofNew teanAgriculture, Leiden, 2006, p. 310). Persian, Wiesbaden, 1999, pp. 95-102 est une lecture indispensable. 72) Sur les bols à inscription judéo-araméenne et leurs liens avec la Ibn al-Muqaffaʻ rapporte selon Ibn al-Nadīm (p. 15 Tajaddod) que les prin- magie juive, cf. J. Naveh et S. Shaked, AmuletsandBowls.Aramic cipales langues de la Perse anté-islamique sont : le Pehlevi, qui est la IncantationsofLateAntiquity, Jerusalem, 19983, pp. 17-18, qui ajoutent: langue de Ispahan, Rayy, Hamadan, et l’Azerbaïdjan ; le Darī, « It may be noted that the amount of Zoroastrian religious influence which langue de la cour parlée principalement à al-Madāʼin (i.e. Séleucie-Ctési- may be detected in the Babylonian bowls is very limited... » (p. 18). phon) qui dérive principalement de la langue du Khorasan et de celle des 73) Cf. J. Wiesehöfer, AncientPersiafrom550BCto650AD, Londres, habitants de Balkh ; le Farsī, utilisé par les théologiens et les savants ; le 1996, pp. 199-216. T. Daryaee, « The Idea of Ērānšahr: Jewish, Christian, Khūzī, qu’utilisait aussi les nobles en privé ou en dehors de leurs activités and Manichaean Views in Late Antiquity », in C.G. Cereti, IranianIdentity à la cour et pour s’adresser à leurs serviteurs ; enfin, le Syriaque, que intheCourseofHistory, Rome, 2010, pp. 91-108. parlait les gens du Sawad. Il est à noter que ces deux derniers dialectes sont 74) Selon Morony, les bols étaient placés sous les seuils des maisons et araméens. on trouve parfois nommés tous les membres d'une maisonnée. Les formules 71) Un petit nombre de bols à inscription arabe ou pehlevie et datés des des bols représentent le type de magie connue aussi dans le contexte des 7e-8e s. sont connus mais pas encore édités. Cf. M.G. Morony, « Magic and rites assyriens et babyloniens, bien que les anciennes divinités babylo- Society in Late Antique », in S. Noegel, J. Walker, B. Wheeler (eds.), niennes mentionnées semblent considérées comme mauvaises en raison de Prayer,Magic,andtheStarsintheAncientandLateAntiqueWorld, leur association avec les planètes. (loc.cit., p. 86),

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p. 212)75). C’est en particulier au bol n° 7, l. 8 [CBS 16007] l. 5). Enfin, ajoutons que Naveh et Shaked rejettent la lecture que l’A. s’intéresse, notant à la suite de Montgomery qu’il « Hermès » au sujet des bols 2 et 27, pour lesquels —ainsi porte la mention de quatre anges (que Van Bladel ne nomme que le note l’A. dans une longue note dans laquelle il reprend pas et sur lesquels il ne fait aucun commentaire, bien qu’il en détail l’argumentation des deux auteurs susnommés — ils s’agisse de Gabriel, Michael, Raphael et ῾Aza᾿el) associés à proposent la correction *ʼDMSʼ (le « fer » dont serait fait « Hermès, le grand seigneur (theGreatLord) » (AH, p. 25), l’habit du magicien ou le « mur » dont il est entouré).81) en omettant à nouveau de renvoyer à la traduction et au com- Ce court chapitre sur les bols magiques aboutit à ce qui est mentaire de Montgomery (Aramaic Incantation Texts, présentée comme une démonstration philologique basée sur pp. 147-148 trad. et pp. 150-151 comm.).76) Montgomery la graphie du nom d’Hermès dans ces textes qu’il a cités de indique à propos de l’inscription du bol n° 7, que Hermès y façon partiale et où l’orthographe est notoirement assez est en association avec Yahu et Abraxas tandis que sur le bol fluide. Cette « démonstration » a pour objet de montrer que n° 25, l. 4, Hermès est en association avec Metatron et Yah. l’orthographe du nom en arabe proviendrait du pehlevi plutôt Il est donc pour le moins surprenant que l’A. n’ait pas évoqué que du syriaque (AH, p. 26), sans pour autant qu’il ne cite à ce contexte de « magie juive », auquel se rattachait aussi les l’appui un seul texte en moyen-perse. Selon l’A., le fait que noms d’anges bibliques, bien qu’il apporte un possible fil de la graphie *HRMS est attestée dans des textes arabes du 9è s. transmission des écrits associés à Hermès. L’A. remarque dont on pense qu’ils dérivent de versions dont l’écriture était en revanche, toujours à la suite de Montgomery, que le le pehlevi suffit à la démonstration. bol n° 27 porte les noms des mêmes propriétaires que le bol Quant à la littérature syriaque, l’A. limite son corpus au n° 7.77) En revanche, il omet de mentionner le rapproche- LivredesLoisdesPays, composé au début du 3è s. par un ment effectué par Montgomery dans son commentaire du bol disciple de Bardésane d’Edesse, et où l’on trouve les deux n° 2, entre l’orthographe de « Hermès » (*ʼRMSʼ) qu’il y lit orthographe hrms et hrmys (pour désigner la planète Mer- (identique à celle des bols n° 19 et n° 25) et celle de la cure, et non pas l’autorité littéraire) et aux amulette magiques Peshitta syriaque (*ʼRMYS dans ActesdesApôtres, 14 :12) dont l’une porte la graphie hrms.82) L’A. en conclut cepen- (Montgomery, AramaicIncantationTexts, p. 123).78) dant que la mention d’Hermès dans ces « textes araméens » Les bols n° 2 et n° 27 ont par ailleurs été étudiés par Milik (AH, p. 26) n’en font pas « des textes hermétiques », car et Black79) qui ont proposé un rapprochement entre la formule Hermès n’y apparaît pas comme auteur mais y est simple- magique utilisée et un extrait du premier Livred’Hénoch.80) ment « mentionné ». Les inscriptions des bols magiques, La graphie du bol n° 27 est *ʼRMYSʼ (cf. Milik-Black, tout comme le texte de Bardésane, ne cadreraient donc pas p. 338 et Montgomery, AramaicIncantationTexts,pl. XXV, avec la définition qu’il a donnée plus haut de ce qu’il consi- dère comme « textes hermétiques » (cf. AH, pp. 20-21). Ce rapprochement rapide (Nippur et Edesse sont beaucoup trop 75) Quant au bol n°11, que Montgomery mentionne dans son commen- éloignées pour qu’il fasse sens, outre les trois siècles qui taire à sa lecture du bol n°2, il semble qu’il s’agit d’une erreur puisque rien de tel n’apparaît dans l’édition du bol n°11. séparent ces textes) avec le LivredesLoisdesPays de Bar- 76) AH, p. 25, n. 10 renvoie à « bowl 7, line 8 », qui serait édité « en désane élude la question pourtant essentielle de savoir si Bar- parallèle » par Montgomery. Il s’agit en effet du bol n° 7 Montgomery désane d’Edesse a pu avoir affaire à des ouvrages « hermé- [CBS 16007] et d'un bol quasi-identique à celui-ci conservé dans la collec- tiques » d’astrologie, alors même qu’il montre une bonne tion d'Uppsala [CBS 16081] dont deux éditions successives (toutes deux connaissance de l’astrologie populaire courante à l’époque lacunaires) avait été réalisée par Myhrman, en 1907-1908 à Uppsala, puis 83 en 1909 en Leipzig, ainsi que l'indique Montgomery, loc.cit., intr. p. 20 romaine. ) Quant à l’identité de la graphie hrms chez Bar- (Myhrman n'avait pas identifié Hermès, croyant lire Hormiz, i.e. Ahura- désane (qui ne désigne pas une autorité littéraire, mais seu- Mazda). Montgomery se borne à proposer des corrections au texte de lement la planète) avec celle qui est courante dans la littéra- Myhrman, sans fournir l’inscription du bol d’Uppsala dans les reproduc- tions sur planches à la fin du volume. Mon amie et collègue Maria Gorea ture arabe, elle n’est pas même discutée. (Université Paris VIII), que je remercie d’avoir lu avec moi les textes don- D’un côté, les bols magiques mésopotamiens sont consi- nés par Montgomery, m’informe de ce que la lecture du bol n°7 est très dérés comme appartenant à la culture sassanide à travers les incertaine : *[ʼ]YRMY[ ?], qui si elle devait être lue « Hermès » serait noms « persans » de propriétaires « peut-être aristocrates » unique à offrir cette orthographe. Dans son édition du texte (bol n°7, l.8, p. 146), Montgomery édite *ʼYRMYS, tandis que le texte de Myhrman (cf. AH, p. 26), dont les noms sont cités à la suite de Mon- qu’il imprime en regard donne *HRMYS. Quant à l'orthographe *HYR- tgomery qui lui-même citait déjà Justi (Aramaic Incantation MYS que donne Van Baldel c’est une erreur où se mêlent les deux ortho- Bowls, p. 150). D’un autre côté, le fait que les inscriptions graphes (cf. p. 146, l. 8, col. A et col. B). des bols sont dans des dialectes araméens est rapproché 77) J. A. Montgomery, loc.cit., bol n° 27, l.5 [CBS 16041], comm. p. 208; cf. p. 212, pl. XXV. d’autres textes araméens comme les amulettes syriaques édi- 78) AH, p. 25, n. 10 renvoyant à la transcription, mais non au texte édité tées par Gignoux et plus malencontreusement, du Livredes ni au commentaire de Montgomery (J. A. Montgomery, loc.cit., bol n° 2, LoisdesPays, pour affirmer que le monde syriaque n’aurait l.2 [CBS 2945], pp. 121-126, pl. II. 79) J. T. Milik et M. Black, TheBooksofEnoch,AramaicFragmentsof QumranCave4, Clarendon, Oxford 1976, p. 336-338 ont rapproché la formule apotropaïque qui figure sur le bol magique avec un passage du premier livre d'Hénoch conservépar George le Syncelle. Les deux mêmes 81) J. Naveh et S. Shaked, AmuletsandMagicBowls.AramicIncanta- auteurs (loc.cit., p. 338) ont par ailleurs découvert dans la collection du tionsofLateAntiquity, Jerusalem, 19983, p. 26 ; p. 132. Jewish Theological Seminary (n° F447) un troisième bol utilisant les 82) Cf. Gignoux, Incantationsmagiquessyriaques, Louvain, 1987, II, mêmes formules à des fins magiques (et sur lequel Hermès est orthographié 30.26 : ḥrmws et II, 32.27 : hrms, cf. comm. p. 40. L’A. reprend (AH, *ʼRMYSYS). p. 26) l’explication de l’onomastique donnée par Gignoux, loc.cit., p. 2 et 80) Ph. Alexander, « From Son of Adam to Second God » in p.2, n.12, sans que cette référence ne soit indiquée dans AH, p. 26, n. 16, Th. A. Bergren et M.A. Stone (éds.), BiblicalFiguresOutsideoftheBible, qui renvoie seulement au texte édité. Il n’est pas exclu que le heh/hāʼ initial 1998, citant Milik, BooksofEnoch, p. 338, accepte cette lecture, laquelle de [Syr.]/[Ar.] *HRMS soit originellement une materlectionis représentant prouverait selon lui que Hermès et Hénoch sont déjà identifiés sur les bols le epsilon grec, plutôt que la trace de l’esprit rude. magiques mésopotamiens. Selon Van Bladel cette identification provien- 83) AH, p. 26, n.19. Cf. P. O. Skjærvø, « Bardesanes », in EIr, vol. III, drait de Panodorus et/ou d’Annianus (AH, p. 155). pp. 780-785.

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rien à faire dans la transmission à l’empire abbasside de un poème astrologique (CarmenAstrologicum) 87) qu’il com- textes attribués à Hermès.84) posa au 1er s. de notre ère, attribue au Trismégiste88) [cf. Pour conclure son évocation de travaux dont il vient de «one including a separate, apparently unknown, book of donner une présentation biaisée, l’A. précise que ces textes Hermes» (AH, p. 27)], et à : (2) un catalogue d’étoiles fixes sont d’une façon générale «so poorly understood» (AH, qui est parfois attribué à Hermès89), et (3) une référence à un p. 26) ce qui appliqué à l’usage qu’il en a fait est certaine- manuscrit conservé à Berlin mais non consulté par l’auteur, ment un euphémisme. En revanche selon l’A. (loc.cit.) les qui se présente comme la traduction par ῾Umar b. al-Farrukhān inscriptions des bols magiques prouveraient que « le pouvoir d’un traité attribué à Hermès et connu sous le titre de Rameau magique » associé au nom d’Hermès est connu en Iran sas- d’Or(Qaḍībal-ḏahab), sur les révolutions planétaires et leur sanide, ce qui bien sûr ne fait pas débat dans le cas des com- application dans l’interprétation horoscopique (AH, p. 28 et munautés hellénophones et araméophones. Que les Mazdéens n.24)90). A ces trois titres, l’A. ajoute la mention par al-Fazārī dont la langue était le moyen-perse aient eux aussi connu les d’un traité attribué à Hermès dans lequel le diamètre de la noms des anges et des dieux utilisés en magie juive, man- terre et la taille des sept climats étaient évoqués (AH, déenne et dans les autres communautés araméennes ne paraît p. 29).91) pas non plus discutable. Ce qui l’est, c’est que l’A. fasse de Selon Van Bladel, puisque l’un des textes dont on pense la mention d’un nom en contexte magique la preuve de qu’il fut traduit du moyen-perse en arabe dépendrait d’un l’existence d’un corpus de textes, et qui plus est d’un corpus original grec (il s’agit en l’occurrence de la traduction du déterminé (astrologique et d’origine grecque) comme on le poème astrologique de Dorotheus, sur laquelle nous allons verra dans ce qui suit. revenir), alors « chaque texte découvert promet d’être le des- cendant d’un original grec du 3ème s. » (AH, pp. 16-17). Le 7.2 L’Hermès astrologue à la cour abbasside texte sur lequel Van Bladel s’appuie pour affirmer la pré- sence d’ouvrages « hermétiques » à la cour sassanide, est Reprenant à son compte l’hypothèse déjà ancienne de Nal- celui-ci: lino sur les traces d’intermédiaires de versions composées en Il [sc. Ardashir] fit envoyer [des émissaires] vers l’Inde, la moyen-perse dans la transmission de Teucros, Vettius Valens Chine, ainsi que vers la Grèce (al-rūm) pour [rechercher] les et Cassianus Bassus85) et les travaux plus récents de Pingree livres qui s’y trouvaient. Il fit copier ce qui était resté chez eux sur la transmission de l’astrologie grecque à l’époque sassa- [en Perse], et fit rechercher les quelques fragments qui étaient nide, l’A. considère que « au moins quelques-uns (atleasta restés en Irak pour rassembler ce qui avait été dispersé et réu- couple) » (AH, p. 24) des ouvrages astrologiques attribués à nir ce qui avait été éparpillé. Son fils Shapur (Sābūr) fit de même, jusqu’à ce que tous ces livres furent recopiés en persan, Hermès auraient circulé en moyen-perse dès le troisième ῾ siècle de notre ère.86) Il s’avèrera néanmoins que l’A. recon- de même qu’on le fit ( alāmākāna) [avec les livres] d’ Hermès naîtra lui-même que les preuves pour une datation aussi haute sont très minces (AH, p. 40) et qu’il s’avouera inca- 87) Ce poème est connu aussi sous les titres de « Pentabiblos » ou pable de produire un seul fragment « des » ouvrages de Her- « Pentateuque », lesquels ont été inspirés par l’attestation d’un ouvrage mès « Trismégiste » dans cette langue, tout en en nommant « en cinq livres » connus des sources arabes, cf. V. Stegemann, « Doroth- trois (AH, p. 28) qui s’avère parfois être de simples citations eos von Sidon. Ein Bericht über des Rekonstruktionsmöglichkeiten seines astrologischen Werkes », in RheinischesMuseumfürPhilologie 91, 1942, à l’intérieur d’un autre texte. Ces « quelques ouvrages » se pp. 326-349, à la p. 332; M. Ullmann, DieNatur-undGeheimwissenschaf- limitent ainsi qu’on le verra à : (1) une allusion à la doctrine tenimIslam, Leiden, 1972 (Handbuch der Orientalistik, VI,2), p. 280. des douze lieux (dôdekatopos) que Dorotheus de Sidon, dans 88) Cf. F. Cumont, « Ecrits hermétiques. I : Sur les douze lieux de la sphère », RevuedePhilologie,deLittératureetd’Histoireancienne, 42, 1928, pp. 63-79 ; Festugière, RHT1, pp. 111-112. 89) Il semble que ni Pingree, ni Van Bladel ne connaissent les pages de Festugière, RHT1, pp. 160-186 sur un catalogue d’étoiles fixes attribué à 84) Les œuvres de Bardésane n'ont cessé d'être lues dans les communau- « Hermès Agathodémon » par Māshāʼallāh. tés chrétiennes et jusque dans l'Iran seldjoukide : Shahrastānī, dans son 90) Cet ouvrage semble connu des bibliographes de ʻUmar b. al-Farruḫān LivredesReligionsetdesSectes (Kitābal-Milalwa-l-niḥal) qu’il compose comme le « livre XVI » de Dorotheus, que l’astrologue du au 12e s., connaît encore les dogmes fondamentaux des « Daysanites aurait paraphrasé et/ou commenté (cf. Ibn al-Nadīm, Fihrist, p. 328 Tajad- (dayṣāniyya) » (selon le nom arabe donné aux sectateurs de Bar Dayṣān = dod). Le texte cité par Hermann de Carinthe sous le titre Aureavirga (cf. Bardésane). Ibn al-Muqaffaʻ est soupçonné par certains hérésiographes Ch. Burnett, « The Establishment of Medieval Hermeticism », in d’avoir été daysanite, cf. I. T. Kristó-Nagy, LaPenséed’Ibnal-Muqaffaʻ: P. Linehan et J.N. Nelson (éds.), TheMedievalWorld, réf. supra n. 3, Unagentdoubledanslemondepersanetarabe, Paris, 2014, p. 77, n.166 p. 116 et Id., HermannofCarinthia:DeEssentiis.ACriticalEditionwith et p. 89. Avant de devenir sujets de l'empire sassanide, les chrétiens TranslationandCommentary, Leiden-Köln, 1982, p. 182/183) n’est en syriaques ont été, pour beaucoup d'entre eux, sujets de l'empire parthe, aucun point identique au texte du manuscrit de Berlin (MS or. oct. 3363), lequel eut destin lié au royaume d’Arménie ce qui rend l’impasse faite sur un traité d’astrologie destiné aux débutants dont le titre double est propre les travaux de Mahé surprenante. L’A. admet en passant (AH, p. 47) la à attirer la suspicion : KitābHirmisfītaḥwīlsinīal-mawālīd…wahuwa probable disponibilité d’ouvrages d’Hermès dans la Syrie du 4è s. ap. J.-C., Qaḍībal-ḏahab. mais c’est une piste qu’il n’approfondit pas. 91) Cf. D. Pingree, « The Fragments of al-Fazārī », JournalofNear 85) Sur ce dernier en particulier, des études récentes sont disponibles qui EasternStudies, 1970, pp. 114-115, à propos des citations d’un traité montrent que la transmission des traités de géoponique est extrêmement attribué à Hermès par al-Fazārī apud Ibn al-Faqih, al-Bīrūnī et Yāqūt. complexe et qu’on ne peut parler de ligne unique mais plutôt de lignes Al-Bīrūnī, Athār, p. 294 Sachau (trad. Sachau,Chronology, p. 262) cite par parallèles et de modifications et d’ajouts à divers stades de l’évolution de ailleurs à nouveau « Hermès l’Egyptien » à propos de la théorie des ces textes. Cf. C. Guignard, « Sources et Constitution des Géoponiques à namūdar-s, par laquelle on déterminait l’ascendant sans connaître l’heure la lumière des versions orientales d’Anatolius de Béryte et de Cassianus de naissance du sujet. Celle-ci est aussi l’objet de Dorotheus, Carmen, Bassus », in M. Wallraff et L. Mecella (éds.), DieKestoidesJuliusAfri- livre V, où Hermès est à nouveau cité. Il semble donc que les citations canusundihreÜberlieferung, Berlin, 2009, pp. 243-344. d’Hermès dans les traités de Dorotheus ont pu avoir une existence 86) A. Nallino, « Tracce di opere greche giunte agli Arabi », in indépendante. Plusieurs théories des namūdar étaient connues, ainsi qu’en T.W. Arnold, R. Nicholson (éds.), AVolumeofOrientalStudiesPresented atteste al-Istijjī, cf. J. Samsó et H. Berrani, « World Astrology in Eleventh- toE.G.Browne, Cambridge, 1922, pp. 345-363. Nallino ne mentionne ni Century al-Andalus : the Epistle on Tasyīr and the of Rays by Hermès ni la « littérature hermétique ». al-Istijjī », JournalofIslamicStudies, 10.3, 1999, pp. 307-308.

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le Babylonien, qui fut roi en Egypte, de Dorotheus le Syrien Nawbakht apud Ibn al-Nadīm en le considérant alors comme (al-Suryānī), de Phèdre de la ville d’Athènes (Aṯīnis), qui était crédible 97), ce que Nallino s’était refusé à faire. Pingree réputée pour ses sciences, de Ptolémée d’Alexandrie, et de citera à partir de ce moment l’extrait en question dans des Faramāsb l’Indien. On les commenta et on les enseigna aux dizaines de publications, parfois pour prouver la traduction à gens de la même façon que cela s’était fait quand ils avaient la cour sassanide d’ouvrages grecs, et d’autres fois celle étudié ces ouvrages, issus originellement de Babylone. [Après 98 Ardashir ibn Bābak et son fils Shapur,] ce fut Chosroès d’ouvrages indiens. ) Pingree considèrait pourtant que le Anūshirwān qui [à nouveau] les fit rassembler, éditer et mettre texte de Dorotheus que transmet Ibn al-Farrukhān comportait en pratique (wa-῾amilabihā). [Ibn al-Nadīm, Kitābal-Fihrist, des interpolations, mais il refusait de les attribuer à ce der- éd. R. Tajaddod, Téhéran, 1971, p. 300]92) nier, optant pour des « révisions » du texte au 5e et au 6e s.99) Plus inexplicable encore est le fait qu’il considéra comme Pour Pingree, sur lequel l’A. va s’appuyer, l’intérêt du une interpolation une citation d’Hermès Trismégiste, qui se texte d’Ibn al-Nadīm avait ressurgi quelques années après la ῾ trouvait pourtant être une allusion limpide au traité astrolo- publication de son ouvrage sur Abū Ma shar, en raison cette gique Surlesdouzelieux, par ailleurs fréquemment cité.100) fois de la mention qui y était faite de Dorotheus de Sidon C’est cette erreur de Pingree qui va amener Van Bladel à (dont il est précisé dans le texte d’Ibn Nawbakht qu’il était considérer lui aussi la mention d’Hermès Trismégiste chez « syrien (al-suryānī) »). Dorotheus, un astrologue de er Dorotheus comme une addition de la main d’un astrologue l’époque néronienne (1 s. ap. J-C.) semble avoir eu une de l’époque sassanide travaillant sur la traduction réalisée au influence primordiale sur le développement de l’astrologie aux époques tardo-antique et médiévale. Plusieurs citations 93 étaient connues déjà de Steinschneider ) à la fin du dix- Perses et des Babyloniens ». Il est vraisemblable que s’il existait des textes neuvième siècle, et une étude d’ensemble des fragments traduisibles attribués aux « Babyloniens », il s’agissait de textes syriaques grecs, latins, arabes et hébreux fut entreprise par Victor Ste- et néo-araméens. Le manuscrit du Kitābal-maʻānī conservé à la Staatsbib- liothek de Berlin (MS Or. Oct. 2837) et attribué à ʻUmar mentionne gemann dès les années 1930. Ce dernier publia un ensemble (fol. 2b) qu’il s’agit d’une traduction « du syriaque en hébreu (minlisān de travaux consacrés à Dorotheus et à l’astrologie arabe en al-suryānīilāal-lisānal-ʻibrānī) » bien que dans les lignes qui suivent, il général ainsi que l’édition des fragments connus des livres I est surtout question des problèmes de traduction en arabe de la terminologie à III du Pentabiblos de l’astrologue de Sidon.94) Quant à technique du persan. A propos de ʻUmar ibn Farrukhān al-Ṭabarī (dont il ne mentionne pas le fils), Ṣāʻid al-Andalūsī, qui montre un intérêt particu- David Pingree, il entreprit au début des années 1960 sa lier pour les œuvres astronomiques tout au long de ses Ṭabaqātal-umam, propre édition du texte à partir de deux manuscrits arabes, indique d’après les « Mémoires(Kitābal-Muḏākarāt) » d’Abū Maʻshar, laquelle fut finalement publiée en 1976 dans la collection rapportées par son disciple Shādhān ibn Bahr que le vizir d’al-Ma’mūn, Teubner (introduction en latin, texte arabe, traduction al-Faḍl ibn Sahl [connu sous le sobriquet de « l’homme aux deux prési- 95 dences (Dhū al-Ri’āsatayn) »] avait fait venir du Tabaristan ʻUmar ibn anglaise). C’est dans cette édition des cinq livres de Farrukhān à la cour de Baghdad, et que ce dernier avait composé nombre Dorotheus transmis et paraphrasés par ῾Umar ibn al-Farrukhān de traités pour al-Ma’mūn. (p. 142 Bū ʻAlwān/trad. Blachère, p. 111). Seul (m. après 812)96) que Pingree cita à nouveau le texte d’Ibn Pingree, « The Fragments of the Works of al-Fazārī », JournalofNear EasternStudies, 29.2, 1970, pp. 104-105, identifie « al-Ṭabarī l’astrologue » que mentionne al-Yaʻqūbī à propos des calculs horoscopiques liés à la 92) Traduction complète du fragment dont est tiré cet extrait infra, fondation de Baghdad, à ʻUmar al-Ṭabarī. Ibn al-Qifṭī cite sa proximité Appendix I. avec le fils et le petit-fils de Khāled ibn Barmak, Yaḥyā b. Khāled et Jaʻfar, 93) M. Steinschneider, « Die arabischen Uebersetzungen aus dem Grie- le fils de ce dernier. De grandes familles de militaires qui avaient appartenu chischen », ZDMG, 50, 1896, §127, p. 339-341. à la cour du dernier souverain sassanide se maintinrent au Tabaristan en 94) V. Stegemann, BeiträgezurGeschichtederAstrologie. Heft 1: Der refusant de se convertir à l’Islam jusque vers le milieu du 9ème s. griechischeAstrologeDorotheosvonSidonundderarabischeAstrologe 97) D. Pingree, Dorotheus, p. xiv. Abu-'l-Ḥasan῾Alīibn-Abi-'r-Riǧāl. Heidelberg, 1935 ; DieFragmentedes 98) Et ceci bien qu’il n’ait jamais pu identifier le savant indien mentionné DorotheosvonSidon, Heidelberg, 1939-1943 (vols. 1-2) [des quatre vol- par Ibn al-Nawbakht dans l’extrait rapporté par Ibn al-Nadīm. Cf. umes annoncés seuls deux furent publiés en raison du décès prématuré de D. Pingree, « The Indian and Pseudo-Indian Passages in Greek and Latin Stegemann en 1948] ; DorotheosvonSidonunddassogenannteIntroduc- Astronomical and Astrological Texts », Viator, 7, 1976, p. 146. Il faut toriumdesSahlibnBishr,Prague, 1942. peut-être deviner derrière *Faramāsb l’astronome indien Varahamihira (sur 95) D. Pingree (éd. et tr.), Dorotheus: CarmenAstrologicum, Leipzig lui, cf. GAS VII, 90 ; D. Pingree, « From Alexandria to Baghdād to Byz- 1976. Pingree explique dans un texte autobiographique publié après sa mort antium. The Transmission of Astrology », InternationalJournalofthe avoir appris l’arabe de 1960 à 1963 pour réaliser cette édition (W. M. ClassicalTradition, 8.1, 2001, pp. 3-37, à la p. 5) ce qui nous déplacerait Calder III et S. Heilen, « David E. Pingree : An Unpublished Autobiogra- vers le 6è s. de notre ère plutôt que sous les règne d’Ardashīr et de Shāpūr. phy », Greek,Roman,andByzantineStudies, 47, 2007, pp. 515-523, cf. 99) D. Pingree, « Māshāʼallāh : Some Sasanian and Syriac Sources », p. 519). De façon inexpliquée, il avait laissé de côté le manuscrit de Leiden pp. 7-8. C’est sa confiance aveugle dans le récit d’Ibn Nawbakht (et donc pourtant connu de Stegemann et mentionné par Jörg Kraemer dans un sup- dans l’existence d’une traduction en moyen-perse dès le troisième siècle de plément à son important article sur la transmission en arabe de plusieurs notre ère) qui entraîna Pingree à considérer que la citation de Vettius textes grecs initialement rédigés en hexamètres dactyliques, parmi lesquels Valens et les extraits du livre V sur la doctrine indienne des navāmsa-s le poème astrologique de Dorotheus (cf. J. Kraemer, « Zu den ‘Arabischen provenaient d’une « révision du texte » initialement traduit sous « Ardashīr Homerversen’ (Band 106, S. 259-316) », ZDMG, 107, N.F. 32, 1957, pp. et Shapūr » qu’il situe vers 400, plutôt que des gloses marginales plus 511-518). Pingree ne mentionnera ce manuscrit que beaucoup plus tard (D. tardives intégrées au texte au fur et à mesure de sa transmission, le Pingree, « Classical and Byzantine Astrology in Sassanian Persia », Dum- plus vraisemblablement par le commentateur lui-même. bartonOakPapers, 43, 1989, p. 230) considérant alors que le texte qui s’y 100) Pingree, loc.cit., pp. 7-8, considère que cet « Hermès Trismé- trouve constituerait une première traduction de Dorotheus, utilisée à divers giste » est un astrologue tardif (‘late astrologer’). Selon C. Brennan, « The endroits de son œuvre par l’astrologue juif de Bassorah Māshāʼallāh (m. Planetary Joys and the Origins of the Significations of the Houses and après 815, cf. Sezgin, GAS, VII, pp. 102-108), lui-même un contemporain Triplicities », in InternationalSocietyforAstrologicalResearchJournal, et un collègue de Nawbakht père avec lequel il avait participé au calcul de Vol. 42, n°1, April 2013, pp. 23-24, Dorotheus, Carmen, II, 20 est inspiré l’horoscope de fondation de Baghdad. du “ToposDôdekatos[=dôdekatopôn]” (cf. CCAG 8, part 4, pp. 126- 96) Seuls Ibn al-Nadīm (pp. 332-333 Tajaddod) et Ibn al-Qifṭī (pp. 241- 131). Le traité est connu en outre de Thrasylle (Ier s. ap. J.-C.), de Firmicus 242 Lippert) apportent des renseignements biographiques sur ce personnage Maternus (IVème s.), et de Rhétorius (VIè-VIIè s.). C’est de ce dernier (connu des Latins sous le nom de Omar Tiberiades) et sur son fils, tous qu’est extrait le fragment édité par Cumont, CCAG 8.4, pp. 116-117. Une deux astrologues. Si son nom (ʻUmar) atteste de ce qu’il était converti à étude approfondie de la doctrine a été donnée par Cumont, loc.cit. (supra l’Islam, Abū Maʻshar, cité par Sezgin, GAS VII, p. 111, n.1, affirme qu’il n. 88), qui considérait, comme Festugière, que le texte remontait à l’époque était capable de traduire les ouvrages « grecs, syriaques, ainsi que ceux des ptolémaïque.

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troisème siècle, et donc comme la preuve de la diffusion synonyme d’astronome et d’astrologue dans l’antiquité tar- d’écrits attribués à Hermès Trismégiste à cette époque recu- dive (les « chaldeimathematici »).104) La référence à un lée. Il est pourtant plus raisonnable de voir dans cette citation Hermès « babylonien » apparaît en outre dans le récit d’Ibn le fruit de l’une de ces deux alternatives : la référence par Nawbakht dans un cadre où l’on semble avoir insisté sur Dorotheus lui-même à un traité qui sera cité à plusieurs l’origine babylonienne de l’astrologie (cf. infra Appendice I). reprises par les astrologues de l’époque romaine et byzantine Il n’est donc pas exclu à nouveau que cette glose soit à attri- (ce qui me paraît l’alternative la plus vraisemblable), ou une buer au commentateur Ibn al-Farrukhān, lequel pourrait avoir addition dûe au commentateur, ῾Umar ibn al-Farrukhān. voulu relier son ouvrage à la légende de l’Hermès babylo- Cette dernière possibilité me semble à écarter dans la mesure nien, dont Ibn al-Nadīm nous rapporte qu’on lui attribuait de où la citation s’insère parfaitement dans le texte qui la pré- nombreux ouvrages d’alchimie et d’astrologie. cède et qui la suit, y compris stylistiquement. La mention Poursuivant l’hypothèse de Pingree sur la transmission de explicite du Trismégiste se trouve ainsi rendue dans la tra- l’astrologie grecque via l’Iran sassanide, l’A. suggère qu’au- duction arabe du poème de Dorotheus: « wa-unẓurma῾a cune étude d’ensemble n’existant sur la présence d’Herme- ḏālikailāamākinal-kawākibwa-ḥuẓūẓihāwa-a῾rifhukamā tica en moyen-perse, il lui faut s’atteler à cette tâche dans les qālaal-mušarrafal-maḥmūdbi-ṯalaṯṭabā᾿i῾Hirmismalik pages qui suivent («No one has made a special concerted Miṣr», que Pingree traduit: « Look with this at the places investigation of the evidence for pre-Islamic MP Hermetica. of the planets and their portions101), and know this as says the That is the present task.» [AH, pp. 24-25]). Selon l’A., honored [and] praiseworthy by three natures, Hermes, the « Where even a few Arabic Hermetic texts are known for king of Egypt. » (Dorotheus, Carmen, II, 20, 1, p. 70 ar./ certain to derive from a Middle Persian antecedent, any num- p. 224 trad. Pingree). Ni Van Bladel, ni Fowden (qui a pour- ber of others may in fact have similar origins yet unde- tant consacré un appendice au « nom d’Hermès Trismé- tected. » (AH, p. 25). Le passage de « citations d’ouvrages giste » et à ses premières attestations) ne remarquent que la d’Hermès » aux simples mentions du personnage dans ce qui mention du Trismégiste chez Dorotheus constitue la première est ici considéré comme le corpus des « Hermetica » est attestation connue de l’Hermès astrologue, ici précisément d’autant plus regrettable, que les ouvrages d’Hermès dispo- désigné comme « triple » d’essences, et qu’il faudrait donc nibles en arabe et connus de la plupart des savants médié- dater du milieu du 1er s. de notre ère.102) Cette citation à vaux n’ont pas été présentés. F. Sezgin avait pourtant inven- l’intérieur du texte de Dorotheus ne nous apprend cependant torié il y a une trentaine d’années plus d’une dizaine de titres que peu de choses sur la popularité d’Hermès dans l’empire d’ouvrages supposément composés par Hermès auxquelles sassanide. l’A. renvoie trop rapidement.105) On trouve de même chez On remarque en outre qu’Hermès Trismégiste est donné Sezgin des pages détaillées consacrées à des dizaines de nou- comme « roi d’Egypte », ce que l’on peut considérer comme veaux manuscrits dans les domaines de l’astrologie et de une dédicace honorifique à laquelle la tradition hermétique l’astronomie, lesquels nous transmettent des fragments des égyptienne n’est pas étrangère en la rapprochant de la astrologues abbassides chez lesquels apparaissent des cita- légende de Néchepso, autre auteur de traités astrologiques tions des ouvrages d’Hermès et de Dorotheus disponibles à qui reçoit parfois le même qualificatif.103) Ailleurs dans le leur époque. Sans une étude de ces textes et de ces frag- texte, Hermès apparaîtra comme « savant de Babylone… et ments, il nous semble difficile d’apporter le moindre élément fils de Dorotheus roi d’Egypte » (Dorotheus, Carmen, V, 1, concluant sur la transmission des textes attribués à Hermès 1 Pingree). Il pourrait dans ce cas-là aussi s’agir d’une glose, d’une part, et des textes astrologiques dans lesquels Hermès d’autant plus que le livre V comporte comme le notait Pin- est mentionné d’autre part.106) Quant à Māshā᾿allāh, sur gree un exposé sur la théorie indienne des navamsa-s, lequel Festugière en son temps avait attiré l’attention il affir- laquelle n’était certainement pas connue de Dorotheus. Quant mait connaître vingt-quatre traités attribués à Hermès : seize à la référence au « savant de Babylone », elle pourrait pro- sur la généthlialogie, cinq sur les consultations, deux sur les venir de l’interpétation erronnée de « chaldéen », devenu degrés du zodiaque et un sur l’art de calculer.107) Mais cela non plus ne fut approfondi ni par Pingree ni par Van Bladel, 101) Sur les ḥuẓūẓ, cf. Ch. Burnett, EI3, s.v. « Astrology », disponible malgré l’importance de ces textes et de ces témoignages. en-ligne : http://referenceworks.brillonline.com/entries/encyclopaedia-of- islam-3/astrology-COM_0162. Les Ikhwān al-Ṣafāʼ (vol. IV, p. 353 de l’édition Dār Ṣādir de Beyrouth, 1957) les utilisent pour déterminer l’intention du client venu consulter un astrologue. Ibn al-Khaṣīb cite de 104) Barhebraeus, Muḫtaṣaral-duwal, p. 165 Ṣālḥānī2 (éd. 1958), classe ʻUmar b. al-Farrukhān un extrait sur l’utilisation des ḥuẓūẓ pour déterminer Hermès parmi les savants « chaldéens », cette fois-ci sans doute dans le le oikodespotès (cf. S. Sela, AbrahamibnEzraonNativitiesandContinu- sens de « Babylonien » ou de « Syrien de Mésopotamie ». Un certain ousHoroscopy, Leiden, 2013, Appendix 6, p. 458). flottement existe dans les sources syriaques quant à l’origine de l’astrologie. 102) G. Fowden, EH, pp. 216-217, ignore le témoignage de Dorotheus et Awida, disciple de Bardésane, dit à ce dernier dans leLivredesLoisdes rejette le texte de Manéthon comme une forgerie, se limitant aux attesta- Pays avoir lu « des livres sur les doctrines des Chaldéens » mais qu’il ne tions chez Philon de Byblos et Athénagoras. Il considère que le qualificatif sait pas lesquelles de ces doctrines sont babyloniennes et lesquelles sont de « Trismégiste » attribué à Hermès apparaît pour la première fois dans égyptiennes. Bardésane lui répond que les doctrines des deux pays sont les des textes du 2ème s. de notre ère. Seule A. van der Kerchove, LaVoie mêmes. Cf. Bardesanes, TheBookoftheLawsofCountries, pp. 40-41 d'Hermès, p. 42, remarque que le texte de Dorotheus semble être la pre- Drijvers. mière attestation, mais son hésitation sur la date de l'astrologue de Sidon 105) F. Sezgin, GeschichtedesarabischenSchrifttums.Bisca.430AH, n'a pas lieu d'être : il faut le situer au 1er s. de notre ère puisque les horos- vols. III [Medizin-Pharmazie, Zoologie-Tierheilkunde], passim et IV copes qu'il présente s'étendent de 7 av. J.-C. À 44 ap. J.-C. Festugière avait [Alchimie-Chemie, Botanik-Agrikultur], Leiden, 1996 pp. 34-49 ; vol.VII permis dès 1943 d'établir avec précision la date de Dorotheus, cf. Ibid., [Astrologie-Meteorologie und Verwandtes], Leiden 1978-1979 pp. 50-58. « Compte-rendu de « V. Stegemann, Die Fragmente des Dorotheos von 106) Ce qui, comme l’auteur l’indique (AH, p. 22, n.61), doit commencer Sidon », RevuedesEtudesGrecques, 56 (1943), pp. 263-264. par une analyse des références données par Sezgin d’une part, et par Ull- 103) Cf. P.P. Fuentes González, « Néchepso-Pétosiris », in R. Goulet mann dans son DieNatur-undGeheimwissenschaften (réf. supra n. 42), (éd.), Dictionnaire des Philosophes Antiques, Paris, 2005, vol. IV, pp. 165-170 et passim, d’autre part. pp. 603-606. 107) RHT1, p. 161.

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L’A. souligne (AH, p. 34) toutefois, laissant transparaître quant à lui fréquemment cité par les astrologues de l’empire une certaine hésitation, que seul le récit d’Ibn Nawbakht abbasside, et en particulier par Māshā᾿allāh (ca 740-815) et transmis par Ibn al-Nadīm dans son Fihrist porte mention Sahl ibn Bishr (ca 822-850).112) Il fut en outre utilisé par « d’Hermès et de livres hermétiques ». Ceci semble pourtant Rhétorius, un astrologue égyptien du début du 7ème s. qui relever d’une lecture biaisée puisqu’il est simplement ques- semble avoir été bien connu des astrologues de la cour abbas- tion de « la traduction [de livres] d’Hermès le Babylonien » side et sur lequel Pingree avait progressivement porté son à la cour sassanide. L’A. insiste cependant: «The translation attention, ayant même préparé une édition qu’il laissa of works of Hermes of Egypt into Middle Persian is specifi- inachevée. cally said to have been effected by the early Sasanid Šāpūr I Le rôle de Rhétorius avait été noté en son temps par Ste- along with astrological works of other Greek authors» (AH, gemann dans ses travaux sur Sahl ibn Bishr. Stegemann pro- p. 32). En réalité, le texte d’Ibn Nawbakht n’est pas si posait d’autre part d’envisager la possibilité que le texte de détaillé, et il mentionne spécifiquement « Hermès le Baby- Dorotheus ait été apporté à la cour du calife abbasside lonien ».108) L’identification à l’Hermès « d’Egypte » per- al-Manṣūr par Théophile d’Edesse (m. 785) et c’est dans la met de rapprocher l’auteur des écrits astrologiques du per- bibliothèque de la cour que ῾Umar ibn al-Farrukhān aurait sonnage évoqué dans l’introduction doxographique de pu le trouver. Il en aurait alors composé une paraphrase ou l’ouvrage (AH, pp. 10-13), mais on peut s’interroger sur sa un commentaire, choisissant d’éclairer tel ou tel passage. Le validité, dans la mesure où comme l’A. le développera dans texte du poème astrologique qui nous est conservé montre en la deuxième partie de l’ouvrage (AH, pp. 121-163), la tradi- effet au moins deux auteurs : les titres des livres sont initia- tion arabe distingue trois personnages homonymes tous appe- lement donnés dans un arabe parfois très approximatif, et lés « Hermès » : un Babylonien, auquel ce sont principale- sont immédiatement suivis d’une version corrigée dont la ment des ouvrages d’alchimie et d’astrologie qui sont syntaxe tranche par sa clarté d’avec ce qui précède.113) De attribués; un Egyptien parfois donné comme disciple d’Aga- même, on trouve une longue intervention du paraphraste au thodémon, qui pourrait à la rigueur être considéré comme début du Livre V (Dorotheus, Carmen, p. 106/tr. p. 262 Pin- ayant été l’un des « rois d’Egypte » puisque certaines gree), lorsqu’il évoque Dorotheus et sa méthode, ainsi que légendes situent son tombeau et celui de son maître dans les les différences d’objets des livre I à IV et du livre V. En deux plus grandes pyramides; et enfin un troisième, peut-être outre, le texte conservé n’apparaît pas comme uniforme et grec puisqu’il est parfois donné comme maître c’est principalement dans les livres IV (lui-même trop court d’Asclépius.109) pour être la traduction fidèle d’un « livre ») et V ainsi que La mention dans le récit d’Ibn Nawbakht d’un Dorotheus dans les intitulés du livre III que transparaît le vocabulaire « syrien »(al-suryānī)va néanmoins dans le sens d’une technique moyen- et néo-persan.114) Des deux manuscrits source assez familière avec l’histoire des sciences, puisque le seul indice que nous avons du fait que Dorotheus était de Sidon provient de Firmicus Maternus (Sicile, 4è s. ap. (réf. supra n.43), pp. 38-45 ; J. Walbridge, TheWisdomoftheMysticEast. 110 SuhrawardīandPlatonicOrientalism, New York, 2001, p. 89s, qui pro- J.-C.). ) En revanche, l’identification des personnages pose une interprétation diamétralement opposée de celle de Van Bladel. Ce qu’Ibn Nawbakht évoque aux côtés de Dorotheus, tels dernier est revenu par la suite à ce texte en tentant d’y montrer une empre- Faramāsb l’Indien ou « Phèdre d’Athènes » continue de inte zoroastrienne plus importante encore : cf. K. van Bladel, « The Arabic History of Science of Abū Sahl ibn Nawbaḫt (fl. ca 770-809) and its Middle poser problème, malgré le fait que des dizaines de chercheurs Persian Sources », in F. Opwis and D. Reisman (eds.), IslamicPhilosophy, se sont intéressés à ce texte depuis la parution de l’édition du Science,Culture,andReligion.StudiesinHonorofDimitriGutas, Leiden Fihrist par Flügel et consorts en 1872.111) Dorotheus est — Boston, 2012, pp. 41-62. Pour une traduction complète de cet unique extrait de l’ouvrage perdu d’Ibn Nawbakht, cf. infra Appendice I. 112) M. Ullmann, Die Natur-undGeheimwissenschaften, p. 281, n.6, 108) A propos de Barhebraeus et de la possibilité qu’il ait eu en main un offre une longue liste de citations de Dorotheus dans les ouvrages ouvrage en syriaque que lisaient les Sabéens de Baghdad au 10ème s. intitulé médiévaux d’astrologie arabe. Cette liste de testimonia n’a à ce jour jamais Loisd’HermèsainsiquelestextesetprièresselonlesquelleslesSabéens été confrontée au texte transmis par ʻUmar ibn Farrukhān dont Pingree a prient, l’A. (AH, p. 93) sera en revanche beaucoup plus catégorique : le fait proposé l’édition. Quant à Māshāʼallāh, il s’agit d’un astrologue juif de que Barhebraeus nous informe qu’il avait acquis une copie de cet ouvrage Bassorah qui participa à l’horoscope de fondation de Baghdad et dont Pin- ne signifierait pas qu’il l’ait lu ! Cf. infra §8 « Conclusion ». gree a montré, outre l’usage de sources persanes pré-islamiques issues de 109) Sur la légende d’Hermès roi d’Egypte et de son tombeau, cf. la cour sassanide (le fameux Zījal-Shahryār), celui de sources syriaques E. Blochet, « Etudes sur le gnosticisme musulman », RivistadegliStudi (D. Pingree, « Māshāʼallāh : Some Sasanian and Syriac Sources » in Orientali, 2, 1923, pp. 23-25 ; 30-34 ; A. Fodor, « The Origins of the G. Hourani, EssaysonIslamicPhilosophyandScience, New York 1975, Arabic Legends of the Pyramids », ActaOrientaliaAcademiaeScientiarum pp. 5-14) et du compendium d’astrologie composé par l’Egyptien Rhétorius Hungaricae, 23.3, 1970, pp. 335-363. au début du 7è s. de notre ère. Sahl ibn Bishr, un astrologue prolifique dont 110) Barhebraeus (Muḫtaṣar al-duwal, p. 82 Ṣalhānī) mentionne de nombreux manuscrits sont connus (cf. GAS VII, pp. 125-128 ; Ibn Dorotheus parmi les auteurs d’ouvrages d’astrologie/astronomie (ʻilmal- al-Qifṭī, p. 196), était juif lui aussi mais il était plus jeune que Māshāʼallāh. falak) mais il le croit contemporain de Thémistius [4è s. ap. J.-C] et de Il avait d’abord servi Ṭāhir ibn al-Ḥusayn, le gouverneur du Khorasan avant Nicolas de Damas [1er s. av. J.-C.-1er s. ap. J.-C.], quant au chrétien de rejoindre le cercle d’al-Ḥasan b. Sahl Dhū al-Riʼāsatayn, vizir d’al- al-Kindī, auteur des FaḍāʼilMiṣr, il le considère quant à lui comme égyp- Maʼmūn. Ullmann dresse une liste des citations de Dorotheus chez Sahl ibn tien, selon M. Ullmann, Die Natur-undGeheimwissenschaften (ref. supra Bishr dans DieNatur-undGeheimwissenschaftenimIslam (ref. supra n. 42), s. v. Dorotheus, p. 280. Firmicus Maternus (Mathesis, 2, 29: 2, cf. n. 42), p. 281, n. 6. Pingree, Dorotheus. Carmen, p. 427) cite Dorotheus et ajoute qu’il était de 113) Par ex. au début du livre II : « KitābḎūrūṯiyūsal-ṯānīminal-nujūm Sidon, tandis que la version arabe de son poème astrologique le donne fīal-qaḍāʼʻalāal-mawālīdfīal-tazwījwa-l-awlād.BismiLlāhal-raḥmān comme égyptien (Duruṯiyūsal-miṣrī), cf. Dorotheus, Carmen I, pr. 2/p. 3 al-raḥīmwabihiastaʻīn.HaḏākitābḎūrūṯiyūsal-ṯānīal-laḏīwaḍaʻahu texte arabe. Cette identification apparaît sur les deux manuscrits connus du ʻalāal-tazwījwa-l-awlādwa-qaḍāʼal-kawākib. » (Dorotheus, Carmen poème astrologique en version arabe ainsi que nous avons pu le vérifier sur II,1, p. 42 Pingree). le manuscit de Berlin et sur un microfilm du manuscrit Yeni Cami 784 114) V. Stegemann, « Dorotheos von Sidon », RheinischesMuseum (réf. d’Istanbul, comme l’indiquait J. Kraemer, loc.cit. supra, n. 95. supra n. 87), pp. 338-339. Le livre V est celui qui comporte le plus de 111) Pour quelques-unes des interprétations les plus récentes de ce texte, termes persans, comme on le voit dans le lexique donné par Pingree, Doro- cf. G. Saliba, IslamicScienceandtheMakingoftheEuropeanRenais- theus, p. xvi (le lexique est incomplet : le haylaj et le kadkhudaapparais- sance, Cambridge (Mass.), 2007, pp. 29-35 ; D. Gutas, GreekIntoArabic sent aussi dans le livre III outre le nom du mois de Mihr). C. Brennan,

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arabes utilisés par Pingree (qui choisit de laisser de côté le diagramme qui l’accompagne (les diagrammes de l’édition manuscrit de Leiden115)) un seul comporte l’arrangement en constituent des reconstitutions de Pingree à partir de calculs cinq livres, tandis que le manuscrit de Berlin n’a que les modernes, ils ne sont donc fidèles ni au texte, ni aux dessins quatre premiers livres. Ibn al-Nadīm connaît outre les cinq que comportent les manuscrits). Le texte, comme le note Van livres de Dorotheus dont il donne les intitulés à l’identique Bladel (AH, p. 40), comporte la mention du mois persan de de la version éditée par Pingree, plusieurs « livres » supplé- Mihr (Mihr-māh), qui correspond à septembre-octobre, mais mentaires, le sixième, le septième et le seizième.116) Selon un Pingree suggère la lecture pourtant bien improbable de extrait de Māshā᾿allāh (m. ca 815) non conservé en arabe, « Phamenoth » (mois copte situé en janvier-février). Pingree l’ouvrage comportait onze livres tandis que Hugo de Santalla va jusqu’à corriger « 96 » en « 97 », en ajoutant qu’il faut affirme pour sa part qu’il y en avait treize.117) Seul l’auteur y voir un usage de « l’ère de Dioclétien »120), sous l’in- du Fihrist et Ibn al-Qifṭī mentionnent l’existence d’un com- fluence des positions planétaires recalculées selon des mentaire par l’astrologue ῾Umar ibn al-Farrukhān.118) Celui- méthodes modernes, lesquelles lui indiquent après correc- ci et son fils se voient par ailleurs attribuer par Ibn al-Nadīm tions (cf. Pingree, Carmen, introd. p. viii) la date possible du et Ibn al-Qifṭī plusieurs traités d’astrologie : le père aurait en 26 février 381 ap. J.-C., en 97 de Dioclétien. Par ailleurs, la particulier réalisé des paraphrases des livres de Dorotheus graphie du nom que Pingree propose de lire « Dioclétien » mais aussi de la traduction arabe de la Tétrabible de Ptolé- est un ductus qui en arabe peut se lire *Dūrīnus, et qu’il faut mée, qui avait été réalisée « pour lui » par Yaḥyā/Yuḥannā sans doute corriger en « Duriṯus » (en ajoutant deux points Ibn al-Biṭrīq119) à partir d’un modèle grec. diacritiques au *nūn > thā᾿), c’est-à-dire Dorotheus.121) Cette L’édition de Dorotheus par Pingree n’est pas un modèle du indication est à même d’indiquer une glose dont on nous genre et les émendations qu’il fait au texte paraissent rare- indique qu’elle provient de Dorotheus (d’un autre texte ou ment justifiées (par ex. celle de yunilhu, en III, 1, 1/p. 84 d’une citation de celui-ci dans un autre texte). Quant à la date texte arabe), ou encore, celle de maṣabb, que Pingree lit donnée par le texte, elle pose plus de difficultés. On lit en muṣīb en I pr. 2/p. 3, alors qu’il s’agit bien de « la bouche effet « 96minsinīDūrīnus », qui peut se traduire par « en de l’Euphrate » dans un passage où Dorotheus raconte à son 96 de Dorotheus » avec l’émendation que nous avons pro- fils s’être rendu en Mésopotamie, sans doute au nord-est de posée. Mais dans la mesure où le texte semble corrompu, il la Syrie au point où l’Euphrate rencontre le Khabour plutôt n’est pas impossible que nous soyons ici confronté à des qu’au sud de l’Irak. D’autre part, à propos d’un horoscope marginalia réintégrées au texte initial, auquel cas on pourrait donné —cas unique dans le texte— selon les degrés et les distinguer « minsinīDūrīnūs » (peut-être « de l’époque minutes des longitudes, en Carmen, III, 1, 21-65, Pingree de Dorotheus » dans le sens de « parmi les exemples de propose une lecture extrêmement incertaine du texte et du Dorotheus » ?) de la date donnée, « 96 », laquelle serait celle de la glose en question. Auquel cas, il pourrait s’agir de 96 de l’Hégire ou de l’une des deux ères de Yazdagard, mais « The Katarchē of Horary », disponible en ligne: http://www.chrisbren- nanastrologer.com/Brennan-Katarche-of-Horary.pdf, explique que les aussi de 196 de l’Hégire ou « de Yazdagard », en omettant méthodes utilisées dans le chapitre V ne peuvent être attribuées à Doro- la centaine, une pratique courante pour l’époque dans l’écri- theus, et il remarque après comparaison des citations de ce livre chez ture des chiffres, bien attestée dans les papyri et les manus- Hephaestion de Thèbes que six des quarante-trois chapitres du livre V crits arabes.122) L’interpolation pourrait alors être de la main montrent des signes de remaniements. 115) Dans un article publié de façon posthume Pingree mentionna à nou- veau ce manuscrit, considérant cette fois qu’il représentait un extrait de la « traduction de Dorotheus par Mashāʼallāh du moyen-perse en arabe ». Cf. 120) Ce serait la seule référence de tout l’ouvrage au calendrier de Dio- D. Pingree, « The Byzantine translations of Māshāʼallāh on Interrogational clétien (dont le début est fixé à août 284 soit plus de deux siècles après la Astrology », in M. Mavroudi et P. Magdalino, The OccultSciencesinByz- date supposée de Dorotheus). Il serait par ailleurs fort étonnant qu'une antium, Genève, 2006, pp. 235-236. source en moyen-perse utilise « l'ère de Dioclétien », dite aussi « ère des 116) Ibn al-Nadīm, Kitābal-Fihrist, p. 328 Tajaddod/trad. Dodge, vol. II, Martyrs », à moins qu'elle n'émane d'un milieu chrétien. L'ère des Martyrs p. 641. Sur le nombre de livres de Dorotheus connus et les témoignages qui est couramment utilisée à l'époque islamique au moins jusqu’à la fin du les rapportent, cf. V. Stegemann, DieFragmentedesDorotheosvonSidon, Moyen Âge et par delà, principalement chez les Coptes et en partie chez Heidelberg, 1939, pp. 8-11. les Syriaques. 117) Ullmann, DieNatur-uneGeheimwissenschaften (réf. supra n. 42) 121) Pingree, Dorotheus, p. xv, cf. III,1, 27-65 (p. 83 du texte arabe). p. 280, citant CCAG 1, 82, 11f. Ch. Burnett et D. Pingree, TheLiberAris- Cette graphie erronée apparaît aussi dans les manuscrits d’Ibn al-Nadīm et totilisofHugoofSantalla, Londres, 1997, p. 4. chez d’autres auteurs. On retrouve ce même flottement orthographique chez 118) C. Cereti, Annuairedel'EPHE, 107 (1998-1999), pp. 187-189, note Hugo de Santalla, cf. Burnett-Pingree, LiberAristatilis, index, p. 223, s.v. qu'en matière de littérature moyen-perse, c'est la paraphrase qui est la règle Doronius, Duratius, Durius, Duronius. Elle est notée déjà chez plusieurs et pas la traduction littérale. L'ambiguité de l'alphabet en est sans aucun auteurs par M. Steinschneider, ZurPseudepigraphischenLiteratur, Amster- doute la cause. Théophile d'Edesse (CCAG I, 129-131) précise lui-même dam, 1965 [réimpr. de l’édition de 1862], index, p. 40, s. v. « Doronius » ; que les traductions réalisées par les premiers Persans étaient des para- Id.,loc.cit.(ref. supra n. 93), p. 340 et par Stegemann et on la trouve aussi phrases. Van Bladel (AH, p. 30 ; p. 34) utilise le témoignage de Théophile dans le manuscrit de Dorotheus conservé à Berlin, mais seulement au livre pour prouver la valeur de l'extrait d’Ibn Nawbakht, mais dans l'extrait en I (cf. MS Or. Oct. 2663, p. 2.1 et p. 2.6, seule la deuxième occurrence de question, les ouvrages cités sont ceux de « Dorotheus, Valens, Critodemus la variante est donnée par Pingree dans son apparat). On lit par ailleurs dans et Timocharis » sans référence à Hermès. Je remercie Micah Ross (National le texte même de Dorotheus tel qu'il est édité par Pingree: *DRṮYŪS (I, Tsing Hua University - Taiwan) pour son aide dans la traduction du passage pr. 2/p. 3 texte arabe), et plus loin *ḎRṮYŪS (IV,1,3/ texte ar. p. 90). Si de Théophile d'Edesse. l’usage alternatif de d/ḏ est courant en syriaque, le phonème ḏ ne semble 119) On sait peu de choses de ce personnage, sinon qu’il semble avoir pas exister dans l'alphabet pehlevi. Dans le livre V,1, c'est cette fois-ci la appartenu à une famille d’ecclésiastiques (c’est dans ce sens qu’il faut ici graphie Ḏūrūṯyūs qui est donnée, ce qui pourrait indiquer une autre source comprendre « Biṭrīq », un emprunt arabe au « patricien » romain et au que le proème. « patriarche » des églises grecques). Ibn al-Nadīm indique qu’il appartenait 122) On sait que les Zoroastriens continuèrent pour certains d'utiliser au cercle des traducteurs de la cour d’al-Manṣūr. La traduction du Sirr « l'ère de Yazdagard », qu'ils faisaient débuter à la mort de celui-ci, dernier al-asrār lui est attribuée, ainsi que celle d’ouvrages médicaux et du Livre souverain sassanide, en 651 à Merv (il s’agit alors de ce que les traductions del’Âme d’Aristote. Cf. R. Forster, DasGeheimnisderGeheimnisse:die anglaises nomment: « Post-Yazdagard Era », tandis que les Parsis de l'Inde arabischenunddeutschenFassungendespseudo-aristotelischenSirral- font débuter l'ère de Yazdagard au couronnement du souverain asrar/SecretumSecretorum, Wiesbaden, 2006. sassanide).

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de ῾Umar ibn al-Farrukhān lui-même puisque ce dernier était cet horoscope (en clôture du livre III) et sa présentation dif- actif à cette date, selon le manuscrit de la Tétrabible de Pto- férente (les positions sont données en degrés, mais cette fois- lémée qu’il paraphrasa et dont un exemplaire est conservé à ci sans les minutes) des autres thèmes proposés dans l’ou- Uppsala (MS Arab. 203). ῾Umar y indique en effet la date de vrage, aurait pourtant dû alerter Pingree.127) Shawwāl 196 (Juin-Juillet 812), selon ce qu’en rapporte Pin- Par ailleurs, comme Pingree l’admit lui-même dans ses gree. 123) A côté des libertés qu’il prend dans la lecture et travaux sur Māshā᾿allāh, celui-ci a parfois un texte de dans l’édition de cet horoscope, il est surprenant que ce que Dorotheus différent de celui qui figure dans ce qu’il consi- Pingree considère à juste titre comme des interpolations dans dère comme « la traduction de ῾Umar ibn Farrukhān faite sur le texte (parmi lesquelles deux citations de Vettius Valens, un original pehlevi », c’est-à-dire le texte édité par ses soins. qui vécut presque un siècle après Dorotheus), soit systéma- Dans un premier lieu, Pingree conclut de ces parallèles que tiquement attribué par lui à des rédacteurs intermédiaires Māshā᾿allāh avait dû emprunter à ῾Umar, pourtant son cadet, fantomatiques « d’époque sassanide », mais jamais à ῾Umar et ceci alors-même que la tradition byzantine (CCAG I, 82) ibn al-Farrukhān lui-même. attribue à Māshā᾿allāh la connaissance d’une dizaine d’ou- Les horoscopes donnés en exemple dans le texte de vrages de Dorotheus. Mais avec l’édition du compendium Dorotheus se situent tous autour du premier siècle de notre astrologique de Hugo de Santalla, dont il pensait qu’il était ère (de 7 BC à 44 AD), selon un calcul des dates obtenu à fortement influencé par les œuvres de Māshā᾿allāh, Pingree partir d’éphémérides modernes (cf. Pingree, Dorotheus, découvrit des dizaines de nouvelles citations de Dorotheus, pp. viii-x). Ces dates correspondent effectivement à la date et il se mit à envisager l’existence de deux traductions de ce supposée de Dorotheus. Il est notable cependant que ce der- dernier (dont il persista à vouloir qu’elles dérivent toutes nier ne date jamais les horoscopes (ce qu’il aurait pu faire deux d’un intermédiaire moyen-perse entre le grec et l’arabe) « par le règne » de l’empereur qui régnait à son époque, tout en suggérant la possibilité que certaines des citations de comme cela se pratiquait) et que les planètes sont données Dorotheus chez les médiévaux arabes proviennent de comme étant dans tel ou tel signe, sans précision quant aux Rhétorius.128) longitudes (système qui était par ailleurs inconnu à l’époque Intéressons-nous à présent au second texte dont l’A. (AH, de Dorotheus). A propos des deux horoscopes qu’il propose pp. 27-28) pense qu’il atteste de la popularité d’Hermès en de dater de 281 et de 381 (Pingree, Dorotheus, p. xv), Iran sassanide. Il s’agit d’un Kitābasrāral-nujūm(« le Livre Pingree suppose qu’il s’agit d’interpolations ajoutées au texte desSecretsdesétoiles ») (cf. GAS IV, 41, nn 1 et 2, et GAS après la date de la traduction supposée en moyen-perse, qu’il VII, 53-54, n 1) dont l’A. ne cite à nouveau aucun passage, situe au troisième siècle toujours en se basant sur le témoi- pas plus qu’il n’indique combien de fois Hermès y serait cité gnage de Ibn Nawbakht apud Ibn al-Nadīm (Pingree, ou s’il apparaît ailleurs que dans le titre. Selon la référence Dorotheus, p. xiv). En réalité, si nous pensons avoir montré qu’en donne l’A. lui-même, l’ouvrage est cité par Ṣā῾id que l’horoscope de 381 doit être réétudié, la date du pre- al-Andalūsī (m. 1070), mais il omet de préciser que le titre mier 124) s’est elle aussi avérée fausse, comme l’a montré apparaît dans le chapitre consacré à la nation chaldéenne, et James Holden.125) La réinterprétation de l’horoscope par qu’il n’y est pas explicitement attribué à Hermès.129) Après Holden donne la date du 2 octobre 44, laquelle est cohérente avoir présenté les ouvrages « d’Hermès le Babylonien » avec les autres horoscopes de l’ouvrage.126) La position de connus de lui (SurlesRayons ; SurlesMaisons ; Surla Longitude ; SurlaLatitude;Rameaud’Or), Ṣā῾id passe aux 123) D. Pingree, s.v. ʻUmar ibn Farrukhān [Lat. Omar Tiberiades], Dic- savants chaldéens « postérieurs à Hermès », et il commence tionaryofScientificBiography, vol. XIII, pp. 538-539. Il aurait été l’un des par citer le Livre des secrets des étoiles (Kitāb asrār maîtres d’Abū Maʻshar en astrologie selon Ibn al-Qifṭī. Hamza al-Iṣfahānī al-nujūm), sans fournir d’attribution. semble avoir connu son fils, auteur lui aussi d’ouvrages astrologiques. 124) Pingree, Dorotheus, III, 2, 19-44, cf. introd. p. xv et trad. pp. 243- L’attribution à Hermès d’un ouvrage de ce titre apparaît en 244. Sur l’horoscope dont Pingree pense qu’il faut le dater en “97 de Dio- outre dans les premières lignes d’un catalogue d’étoiles fixes clétien” (= 381 ap. J-C.), cf. M. Ross et E. Cottrell, à paraître. composé après 505 ap. J.-C., et dont la traduction arabe a été 125) Van Bladel cite la correction proposée par Holden mais ne s’y attarde guère (AH, p. 39, n. 81). 126) Chris Brennan (que je remercie pour m'avoir communiqué le chapi- tre de Holden auquel je ne pouvais autrement avoir accès) renvoie à la 127) Burnett-Pingree, LiberAristotilis (réf. supra n. 117) p. 144, mainti- correction proposée par J. Holden, AHistoryofHoroscopicAstrology, ennent la date du 20 octobre 281 pour cet horoscope, qu’ils retrouvent dans Tempe, 1996, p. 34, n. 83 dans ses pages consacrées à Dorotheus, acces- la traduction latine par Hugo de Santalla d’une compilation astrologique sibles à l'adresse suivante: http://www.hellenisticastrology.com/astrolo- dont Pingree pense qu’elle porte la trace de Māshāʼallāh. gers/dorotheus-of-sidon/. Brennan note en outre plusieurs autres omissions 128) Rhétorius est un astrologue égyptien dont l’acmé serait à situer au et interpolations dans le texte d’Ibn al-Farrukhān édité par Pingree, dont début du 7ème s. de notre ère (la date est discutée). Pingree considérait à la certaines sont commentées par Pingree lui-même dans l’une de ses dern- fin de sa vie que Théophile d’Edesse avait du posséder l’archétype du ières publications : D. Pingree, FromAstralOmenstoAstrology:From compendium astrologique de Rhétorius, qui serait ainsi arrivé jusqu’à Babylonto Bīkāner, Rome, 1997, pp. 46-47. La liste des erreurs et omis- Baghdad. Cf. Pingree, Fromastralomens, (réf. supra n. 126) p. 48 et sions du texte donnée par Brennan montre à l’évidence que l’édition Pin- pp. 67-68 ; Pingree, « From Alexandria to Baghdād » (ref. supra n. 66), gree doit être utilisée avec précaution. Elle doit impérativement être com- pp. 6-12 ; D. Pingree et A. Panaino, « Saturn, Lord of the Seventh- plétée à l’aide des travaux de Stegemann, des références données par Millenium », pp. 244-246 (on the influence of Greek astrology on the Sezgin aux manuscrits inédits des astrologues de la cour abbasside et de la Bundahishn, witnessed by a parallel between the latter and Rhetorius). Les liste de citations de Dorotheus donnée par Ullmann, loc.cit. (réf. supra index du LiberAristotilis renvoient aux passages de Rhétorius cités par n. 42) p. 281, n.6. A ceci s’ajoute l’édition de Rhétorius, annoncée par Hugo (dont la source serait Māshāʼallāh). Si Rhétorius était vivant durant Pingree et Heilen (dont un premier volume qui n’adresse pas directement la brève occupation perse de l’Egypte au 7ème s., on pourrait trouver là l’une les fragments arabes est paru : S. Heilen et D. Pingree (éds.), Rhetorius des possibles voies de transmission vers l’empire sassanide déclinant — car Aegyptus. CompendiumAstrologicum.Secundumepitomenincod.Paris il est vraisemblable qu’à cette époque au moins ce type de texte était prisé Gr.2425, Berlin, 2009). Il n’est pas exclu que dans la tradition arabe, les en Iran,— ou même, vers l’empire musulman, dans l’escarcelle duquel graphies qui transcrivaient les noms « Dorotheus » et « Rhétorius » aient l’Egypte tombe à partir de 640. parfois été confondues : le dal et le rāʼ sont proches, ainsi que le waw et 129) Cf. Ṣāʻid al-Andalūsī, Kitāb Ṭabaqāt al-umam, p. 19 éd. le rāʼ, de même que tāʼ, et le ṯāʼ and nūn (cf. *Dūrīnūset*wa-Riṯūriyūs). Cheikho/p. 55 trad. Blachère.

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éditée par P. Kunitzsch.130) Seul un manuscrit conservé à 16 étoiles mais dans un ordre identique au texte d’Abū Dublin et comprenant ce traité sans autre indication sur sa Ma῾shar et quasi-identique à celui des versions latines. Le transmission que la mention comme auteur « d’Hermès, le traité du Pseudo-Zoroastre comporte 16 étoiles mais a une premier (sc. le chef) des sages (rā᾿sal-ḥukamā᾿) » porte dans approche différente, s’intéressant principalement aux qualités son introduction le titre « fīasrāral-nujūm », tandis qu’Abū fastes ou néfastes des étoiles sans indication de coordonnées. Ma῾shar, citant le traité dans son Kitābaḥkāmal-mawālīd On ne trouve donc aucune mention d’Hermès dans ce court (« Livresurlesrèglesdel’horoscopie »), chap. IX,1, l’attri- texte du Pseudo-Zoroastre, pas plus que la mention des bue toujours à Hermès mais ne répète pas le titre Asrār « Secretsdesétoiles(asrāral-nujūm) ».133) Dans ses diffé- al-nujūm, auquel il préferera « fīal-kawākibal-bābāniyya ». rentes publications, Pingree renvoie au « LivredeZoroastre » Cette expression, couramment utilisée pour désigner les et d’autres fois, selon le titre du cinquième livre de celui-ci, étoiles fixes, se trouve par ailleurs dans les lignes introduc- au Kitābal-Mawālīd (« Livredeshoroscopes») (cf. GAS trices du manuscrit de Dublin, mais sans être explicitement VII 85, n 1). Il s’agirait à l’origine d’une compilation astro- donné comme titre : « Il dit [i.e. Hermès] : Je vais décrire logique plus vaste qui selon Kunitzsch devait déjà être attri- pour toi, quant à la question des influences fastes (fīamr buée à Zoroastre dans l’original grec.134) Comme Kunitzsch al-sa῾āda), ce qui te donnera satisfaction et qui te sera d’un l’indique, c’est Pingree qui lui avait donné l’accès aux deux grand profit, si Dieu le veut, et ceci grâce à ce que Dieu — manuscrits en sa possession et qui l’avait autorisé à éditer la exalté soit-Il— a créé [de puissances] dans les étoiles fixes section en question, tandis que lui-même envisageait une édi- (fīal-kawākibal-bābāniyya), desquelles Il a fait des preuves tion du texte complet qu’il mourut avant d’achever.135) Il (dalīlan)de Son [existence]. » Selon Kunitzsch, qui édite les nous reste de celle-ci son étude des cinq horoscopes contenus deux versions arabes, les textes sont « quasiment iden- dans l’ouvrage, lesquels s’étalent selon le calcul des posi- tiques », mais le manuscrit de Dublin est incomplet, compor- tions planétaires qu’il en propose de 232 à 629, ce qui rend tant une liste de 16 étoiles tandis que la version d’Abū à nouveau impossible une traduction au 3ème s. de notre Ma῾shar, avec 28 étoiles, est plus proche des deux traduc- ère. 136) tions latines.131) Selon Kunitzsch, le catalogue du Kitābal-Mawālīd du C’est dans leur édition de la traduction latine du compen- Pseudo-Zoroastre diffère de celui qui nous est conservé dans dium astrologique de Hugo de Santalla, où figure un cata- le DeStelleBeibeniis, mais tous deux montreraient des traces logue d’étoiles en grande partie identique à celui du traité d’intermédiaires moyen-perse entre le grec et l’arabe. Les contenu dans le manuscrit de Dublin et chez Abū Ma῾shar, corruptions orthographiques successives rendent difficile que Burnett et Pingree ont voulu identifier le Asrāral-Nujūm l’identification des étoiles mentionnées mais plusieurs indices attribué à Hermès et un autre catalogue d’étoiles attribué concordant permirent à Pingree, mais aussi à Kunitzsch, qui cette fois-ci à Zoroastre, mais qui diffère en tout point de avait travaillé sur une deuxième version latine du DeStelle celui que Kunitzsch édita sous le titre de Liberdestellis Beibeniis beaucoup plus corrompue que celle d’Hugo de beibeniis .132) Burnett et Pingree ont semble-t-il confondu Santalla, et à Panaino dans un compte-rendu de l’édition deux catalogues d’étoiles fixes différents. Si les deux traités Burnett-Pingree, d’identifier des noms dont la déformation sont considérés par Kunitzsch, Pingree et Burnett, comme en arabe ne pouvait provenir que d’un original en moyen- dérivés du grec à travers des intermédiaires moyen-perses, ils perse. 137) La date de l’original grec à partir duquel la version ne sont pas comparables : le contenu diffère, ainsi que l’ordre en moyen-perse fut produite a pu être fixée par Pingree grâce et le nombre des étoiles, qui va de 26 à 30 étoiles selon aux parallèles entre le texte transmis par Hugo de Santalla et les versions du Destellisbeibeniistandis que la version des extraits conservés chez Rhétorius (Egypte, 6ème-7ème s.), du manuscrit incomplet de Dublin comporte quant à elle à ca 504-505 ap. J.-C., sur la base de la correction appliquée aux coordonnées ptolémaïques. En outre, Pingree situe la er 138 130) P. Kunitzsch, DeStellisBeibeniis, in P. Lucentini et V. Perrone traduction du texte original sous le règne de Chosroès 1 . ) Compagni (éds.), HermesLatinus,TomusIV,ParsIV:HermetisTrisme- gisti.AstrologicaetDivinatoria, Turnhout, 2001, pp. 9-81. Sur la date de l’original, cf. Kunitzsch, Destellisbeibeniis, pp. 13-14. Les longitudes des 133) P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed Stars », p. 246 (ar.)/p. 247 étoiles correspondent comme chez Rhétorius, aux coordonnées ptolé- (trad.). maïques modifiés (Ptolémée + 3°40), cf. Kunitzsch, Destellisbeibeniis, 134) P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed Stars », pp. 241-242. Cf. pp. 1-2; 24-25. Les trois noms « pehlevis » que Kunitzsch découvrent dans cependant les remarques de Sezgin, GAS, VII, pp. 82-85. le texte ne se retrouvent pas dans la version connue d'Abū Ma῾shar (loc. 135) D’autres manuscrits sont connus, cf. GAS VII, pp. 85-86. cit., p. 22), qui donne quant à lui des longitudes correspondant à son 136) Kunitzsch, loc.cit., p. 242. époque. 137) Deux synthèses récentes de Kunitzsch renvoient en bibliographie à 131) Cf. P. Kunitzsch, Liberdestellisbeibeniis, introd. p. 22 et tableau ses publications antérieures: P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed p. 26; édition du texte d’Abū Maʻshar, loc.cit., pp. 83-99. Stars in Zarādusht’s Kitābal-mawālīd », ZeitschriftfürGeschichteder 132) Ch. Burnett et D. Pingree, TheLiberAristotilisofHugoofSantalla, arabisch-islamischenWissenschaften, 8, 1993, pp. 241-249 [dans cet arti- Londres, 1997. Il s’agit d’une traduction latine médiévale réalisée par Hugo cle, Kunitzsch, nn. 11 et 12, semble refuser de suivre Pingree, « Classical de Santalla à partir de matériaux donnés comme tirés « des 255 livres des and Byzantine » (réf. supra n. 92), p. 234, qui considère que le catalogue Indiens » mais dont Pingree et Burnett pensent qu’ils remontent en grande d’étoiles fixes du Pseudo-Zoroastre — lequel ne mentionne pas Hermès partie attribuables à Māshaʼallāh (cf. LiberAristotilis, III,ii,2,1-43, cf. — montre l’utilisation d’un autre catalogue connu par ailleurs de Rhétorius, comm. p. 143). Contrairement à ce qu’affirment Burnett et Pingree (Liber Māshāʼallāh, et Abū Maʻšar, le LiberdeStellisBeibeniis]; P. Kunitzsch, Aristotilis, p. 146), ce catalogue de 30 étoiles n’est en rien identique à celui « Origin and History of Liber de Stellis Beibeniis », in P. Lucentini, I. édité par Kunitzsch d’après le Kitābal-Mawālīddu Pseudo-Zoroastre (cf. Parri, V. Perrone Compagni (éds.), Hermetism from Late Antiquity to tableau in Burnett-Pingree, loc.cit., pp. 147-150 et les identifications Humanism, Turnhout, 2004, pp. 449-460 [réimpr. in P. E. Pormann, Islamic proposées par P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed Stars in Zarādusht’s MedicalandScientificTradition.CriticalConceptsinIslamicStudies, Kitābal-mawālīd », ZeitschriftfürGeschichtederarabisch-islamischen vol. III, Londres-New York, 2011, pp. 302-311]. A. Panaino, « The Liber Wissenschaften, 8, 1993, pp. 241-249, aux p. 247 et p. 249). En revanche, Aristotilis of Hugo of Sanctalla by Charles Burnett and David Pingree », immédiatement après le tableau, le commentaire de Burnett-Pingree ren- EastandWest, 48.1-2, 1998, pp. 209-213. voie (correctement cette fois) à l’édition en préparation par Kunitzsch du 138) D. Pingree, « Classical and Byzantine Sources » (réf. supra n.92), DeStellisbeibeniis. p. 234 ; Burnett-Pingree, Liber Aristotilis, pp. 146-147. Pingree,

998291_Bior2015_3-4_01.indd8291_Bior2015_3-4_01.indd 322322 88/10/15/10/15 009:079:07 371 « L’HERMÈS ARABE » DE KEVIN VAN BLADEL 372

Il n’y a donc pas lieu d’envisager sur la base de ce témoi- date du 7 octobre 549 et d’une référence au roi Khusraw gnage l’entrée d’écrits astrologiques attribués à Hermès dans Anūshirwān permet en outre d’envisager que le texte appar- l’Iran sassanide du 3ème siècle. Il est à remarquer que Rhéto- tient au 6ème s.144) Par ailleurs, ce même ouvrage comporte rius n’attribue pas le texte à Hermès Trismégiste, cette attri- selon Pingree des traces de l’influence de Dorotheus en par- bution n’apparaissant que chez Abū Ma῾shar (« Hermès, ticulier pour ses théories en généthlialogie ainsi que des théo- triple en sagesse (Hirmisal-muṯallaṯbi-l-ḥikma) ») et dans ries indiennes entrées en Iran aux 4e-5e s. de notre ère.145) Il l’unicum de Dublin. Dans ce dernier, l’auteur est donné pense aussi pouvoir affirmer qu’une référence qu’il y trouve comme « Hirmis, rā᾿s al-ḥukamā᾿ », expression qui se à « Dorotheus roi d’Egypte » montrerait que l’erreur qui se retrouve à l’identique dans la traduction latine de Hugo de trouvait dans la version moyen-perse du Pentabiblos de Santalla. 139) Il est surprenant en outre que ni Pingree ni Dorotheusa influencé le traducteur du Kitābal-Mawālīd, Kunitzsch n’aient évoqué dans leurs études le DeXVstellis, mais en l’absence d’une édition de l’ouvrage pseudo-zoroas- un autre catalogue de quinze étoiles attribué à Hermès et trien, nous nous garderons d’être trop affirmative.146) Il nous connu de Māshā᾿allāh dont la moitié se retrouvent dans un semble cependant que la voie inverse peut aussi être envisa- ordre différent chez le Pseudo-Zoroastre et sur lequel Festu- gée, et qu’on peut supposer que l’auteur de la traduction gière avait en son temps attiré l’attention.140) paraphrastique de Dorotheus, Ibn al-Farrukhān, était lui- Ce « Livre de Zoroastre » ne fut hélas jamais publié par même sous l’influence du Kitābal-Mawālīd (dont une ver- Pingree qui y avait travaillé à différents moments de sa car- sion en moyen- ou en néo-persan a de façon incontestable rière. Le fragment pseudo-autobiographique avec lequel il se laissé des traces dans la nomenclature des étoiles) lorsqu’il clôt dans la version arabe qui nous est conservée141) donne prépara un préambule à l’exposé des théories de l’astrologue Ḥarrān comme lieu de l’apprentissage en astrologie de de Sidon. Quant au catalogue d’étoiles fixes et de leurs ver- Zoroastre. Selon le même récit, Zoroastre aurait reçu de son tus qu’offre le Kitābal-Mawālīd, il nous semble un indice de maître (un grec païen, comme l’indique la référence aux l’intérêt que les Iraniens avaient pour ce type de méthode onctions d’huile que celui-ci aurait pratiquées) un gnomon astrologique, au détriment de l’astrologie ptolémaïque.147) (miqyās).142) A l’évidence, l’idée d’attribuer un maître grec à Zoroastre ne peut certainement pas avoir émané du clergé 7.3 Questions de méthodes mazdéen. Rien ne prouve en outre que cette « autobiogra- phie » n’a pas initialement constitué une marginalia incorpo- Il est pour le moins regrettable que malgré ses propres rée au texte durant sa transmission, comme cela est si fré- arguments pour des dates plus tardives, Pingree ait quemment le cas avant l’époque moderne, mais sur cela et sur la possibilité que le KitābZardušt soit un ouvrage com- sans doute pas avant le milieu du 4ème s., cf. T. Daryaee, Šahrestānīhāī posite, Pingree n’eut pas le temps d’écrire. Ērānšahr.AMiddlePersianTextonLateAntiqueGeography,Epic,and Pingree fut le premier à étudier le récit de la transmission History, Costa Mesa, 2002, p. 32, à la suite de H.W. Bailey, Zoroastrian ProblemsintheNinthCenturyZoroastrianTexts, Oxford, 1943, p. 193. Cf. de ce texte découvert en son temps par Stegemann, dont il AH, p. 41, n.87. Sur le darī, ou forme du néo-persan telle qu’on la parlait est rapporté qu’il aurait été initialement conservé en aves- et on l’écrivait aux 9e-10e s., cf. G. Lazard, « Darī », EIr, vol. VII, tique avant d’être retranscrit en dari par un certain pp. 34-35 (version actualisée disponible en ligne : http://www.iranicaon- Māhānkard.143) La présence dans le texte d’un horoscope qu’il line.org/articles/dari). 144) Cette traduction aurait été réalisée « en 637 » selon P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed Stars in Zarādusht’s Kitābal-Mawālīd », cf. « Classical and Byzantine », p. 234a ll. 1-9, propose d’attribuer à réf. supra n. 132, p. 241 citant Pingree [cf. Id., FromAstralOmens (réf. Māshāʼallāh le texte arabe du Kitābasrāral-nujūm. supra n. 126), p .45]. Van Bladel en revanche, (AH, p. 34, n.47) situe le 139) P. Kunitzsch, DeStellis, p. 15; Burnett-Pingree, LiberAristotilis, travail de Māhānkard au milieu du 8è s., peu avant la traduction de ce p. 151 proposent de lire « Sarhacir astrologus » comme un reflet de même texte en arabe de la main de Saʻīd ibn Khurāsānkhwarrah. Une tra- l’expression utilisée en moyen-perse pour indiquer « le chef des astro- duction partielle est donnée par D. Gutas, GreekIntoArabic (réf. supra logues » (rāʼs al-ḥukamāʼ) selon leur traduction. D’une part, rāʼs n.43), p. 37. Aucun des auteurs sus-nommés ne questionne la valeur du al-ḥukamāʼ signifie plus vaguement « le premier (sc. chef) des savants (sc. récit de Māhānkard (que Pingree identifie à un membre de la cour du mar- sages, philosophes) » ; d’autre part, une expression assez semblable zban de Merv qui trahit Yazdagird III au profit des Arabes vers 642, cf. (« Hermès Agathodémon, père des philosophes… ») apparaît sous la D. Pingree, « Māshāʼallāh : Some Sasanian and Syriac Sources » in plume de Māshāʼallāh lorsqu’il introduit la citation qu’il fait d’un catalogue G. Hourani (éd.), EssaysonIslamicPhilosophyandScience, New York d’étoile fixes connu en latin sous le titre de « deXVstellis » qu’il attribue 1975, p. 7). Il est assez remarquable, si le récit est authentique et correcte- lui aussi à Hermès (cf. note suivante). ment daté, qu’on y lise que Māhānkard n’avait pu trouver « aucun des 140) Cf. Festugière, RHT1, pp. 161-186, Festugière explique en détails la ouvrages de sagesse de Zoroastre », ce qu’il met sur le compte de la pratique théurgique que présente le traité DeXVstellis: chaque étoile y est destruction des ouvrages zoroastriens par Alexandre le Grand, une légende associée à une plante, ainsi qu’à une pierre précieuse ou semi-précieuse, et bien connue des sources persanes (cf. Denkard IV), que reprend aussi Ibn à un sceau destiné à figurer sur un talisman permettant d’agir sur cette Nawbakht dans son récit (cf. infra Appendice I). étoile. Festugière mentionne (pp. 172-173) deux autres catalogues simi- 145) Des parallèles entre Dorotheus et un texte grec attribué à « Zoroas- laires : l’un connu de Rhétorius, remonterait à Teucros le Babylonien tan- tre » furent notés déjà par V. Stegemann, DieFragmentedesDorotheos dis que le second, cité par Théophile d’Edesse, pourrait lui aussi être vonSidon, Heidelberg, 1939, p. 17. Sezgin (GAS VII, 84) indique en outre attribué à Hermès, si c’est à lui qu’il faut identifier « le Scribe/l’Ecrivain » que le Pseudo-Zoroastre arabe cite nommément Hermès, Dorotheus, Apol- auquel il est attribué, ce que Festugière suggère avec prudence. Quant au lonius de Tyane, Aristippe ( ?) et Stéphanos. Les fragments astrologiques premier, le deXVstellis, qui fait l’objet de l’analyse détaillée de Festugière, de ce Pseudo-Zoroastre ont depuis longtemps été reconnus comme il est connu en Europe dans de nombreux manuscrits dont certains dépendant d’une tradition égyptienne plutôt qu’orientale (cf. EI2, vol. III, l’attribuent à Hénoch. p. 688, s.v. Ibn Abī al-Ridjāl). 141) Cf. E. Cottrell, « L’Autobiographie de Zoroastre », in M.A. Amir- 146) D. Pingree, « Māshāʼallāh: Some Sasanian and Syriac Sources » (cf. Moezzi, J.-D. Dubois, C. Jullien, F. Jullien (éds.), Pensée grecque et ref. supra n. 143), p. 7. Sagessed’Orient.HommageàMichelTardieu, Paris, 2009, pp. 177-183. 147) P. Kunitzsch, « The Chapter on the Fixed Stars in Zarādusht’s Kitāb 142) Ibn al-Nadīm (al-Fihrist, p. 342 Tajaddod) rapporte que c’est à al-mawālīd », ZeitschriftfürGeschichtederarabisch-islamischenWis- Ḥarrān que se développa l’usage de l’astrolabe. senschaften, 8, 1993, pp. 243-245, ne trouve aucune correspondance entre 143) V. Stegemann, « Astrologische Zarathustra-Fragmente bei dem ara- les coordonnées du texte attribué à Zoroastre et ceux des étoiles selon les bischen Astrologen Abū ‘l-Ḥasan ʻAli i. abī ‘r-Riğāl (11. Jhdt.) » Orienta- données ptolémaïques ; il note en outre l’absence d’un tiers des étoiles du lia, 6, 1937, pp. 317-336. L’alphabet avestique fut créé sous les Sassanides, catalogue ptolémaïque de l’Almageste.

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continuellement affirmé comme un fait établi la date du troi- que Nallino s’était contenté d’attirer l’attention sur le fait que sième siècle alors que celle-ci ne s’appuyait que sur le récit les témoignages des sources arabes médiévales confirmaient fragmentaire et douteux d’Ibn Nawbakht. Quelques exemples en partie certains éléments qui se déduisaient de l’existence illustrent parfaitement l’usage abusif qu’il fit de ce texte dont de titres en moyen-perse ou des corruption dans la transmis- l’unique citation connue se trouve chez Ibn al-Nadīm148): sion des noms des autorités des trois ouvrages qu’il présen- « However, we know from a passage of the lost Kitāb tait, sans pour autant aborder le contenu des textes. En al-Nahmaṭān of Ibn Nawbakht quoted by Ibn al-Nadīm that matière de bibliographie médiévale, on sait pourtant que les Dorotheus’ hexameters were translated into Pahlavi under titres et les autorités peuvent avoir leur vie propre. Comme , the Sassanian emperor from about 222 to 237, or l’a montré Gutas, le récit mythico-historique d’Ibn Nawbakht under his son, Shapur I, who ruled from about 237 to 267; ne sert qu’à justifier l’emploi de l’astrologie par l’élite and that it was later elaborated during the reign of Khusro zoroastrienne. 153) Anushirwan, between 531 and 578. ».149) Quelques pages Paul Kunitzsch revint à son tour vers le fragment d’Ibn plus loin, Pingree réutilise le même paragraphe pour affirmer Nawbakht pour affirmer l’existence d’une traduction de l’Al- cette fois-ci la traduction d’ouvrages astrologiques du sans- mageste en moyen-perse dès le 3ème siècle de notre ère. crit en moyen-perse avant le 5ème s. : «We know from Comme Van Bladel le note (AH, p. 42), on serait alors ῾Umar’s Dorotheus, from the Denkart, from the Bundahishn, quelques décennies seulement après que Ptolémée ait com- and from Ibn Nawbakht’s Kitābal-nahmaṭān, that Sanskrit posé son ouvrage ce qui dans le contexte des guerres entre astronomical and astrological texts had been translated into Rome et la Perse au 3ème siècle aurait pu représenter un obs- Pahlavi by the early fifth-century…».150) Un peu différem- tacle. En comparant le récit d’Ibn Nawbakht à celui du livre ment posé, on lit cette fois-ci dans l’EncyclopaediaIranica: IV du Denkard dans lequel apparaît la mention de « l’Alma- «In the third century A.D. the first two Sasanian rulers spon- geste de Ptolémée », Kunitzsch valide les deux textes en les sored Pahlavi translations of Greek and Sanskrit works on utilisant chacun comme garant de l’autre (ce qu’avait déjà astronomy and astrology. Among the texts so translated were fait Pingree dans TheThousands).154) Cette référence du the Greek astrological treatises of Dorotheus of Sidon and Denkard ne consiste qu’en la simple mention d’un titre Vettius Valens, and the astronomical Syntaxismathematike dérivé du grec sans doute via le syriaque155) : la « Megalè (Almagest) of Ptolemy (…) These Pahlavi translations are Suntaxis » est devenue « Megistè[Suntaxis] », avec usage now lost, but we do have Arabic translations of the Pahlavi du superlatif, lequel transcrit en écriture livresque pehlevie version of Dorotheus of Sidon and of a Sasanian astrological donna *mgstyk. L’évocation de Ptolémée est dans le qua- treatise entitled KetābZaradošt which clearly illustrate the trième livre du Denkard juxtaposée à celle d’ouvrages scien- fact that Sasanian science was indeed syncretic, based on tifiques indiens, dans un contexte similaire à celui que pro- both Greek and Indian sources.»151) pose Ibn Nawbakht.156) Il nous paraît à nouveau présomptueux Il est regrettable qu’un nombre important de chercheurs, de conclure à l’existence « datable » de ces textes dans parmi lesquels Van Bladel, Kunitzsch et Panaino, se soient laissés influencer par ce qui constitue une faiblesse dans les travaux de Pingree. L’insistance qu’il montra à répéter la date du 3e s. ap. J.-C. comme celle de la traduction « du grec en 153) Les textes avestiques ne montrent aucun intêrét pour l'astrologie ou moyen-perse » des œuvres de Dorotheus, Vettius Valens, et une science qui s'y apparenterait. En revanche, le Bundahisn, postérieur au 152 6e s., lui accorde une place centrale, mais les noms des étoiles et des Ptolémée ne peut tenir lieu de démonstration. ) La réfé- constellations dépendent pour la plupart des traductions effectuées du grec rence à Nallino, que reprennent aussi les auteurs qui ont suivi en arabe (cf. D. N. Mackenzie, « Constellations », EIr, vol. VI, pp. 147- Pingree, s’accompagne généralement de l’oubli de préciser 150, disponible à l’url suivante : http://www.iranicaonline.org/articles/ constellations). Si la série de questions-réponses du livre IV du Denkard et le Bundahishn présupposent bien l’usage de l’astrologie, les spécialistes 148) En attendant un examen des dizaines de nouvelles citations des s’accordent pour considérer que la composition de ces textes eut lieu pro- astrologues de la famille d’Ibn Nawbakht découvertes par Sezgin dans des gressivement du 6e au 9e s. Cf. A. Panaino, « Zodiac », à paraître, acces- manuscrits dont la plupart sont inédits, mais pas tous inaccessibles. Cf. sible en ligne (paru en 2009) http://www.iranicaonline.org/articles/zodiac. GAS, VII, index s. v. Naubaḫt, Naubaḫtī. 154) P. Kunitzsch, DerAlmagest:dieSyntaxisMathematicadesClaudius 149) D. Pingree, « Classical and Byzantine » (réf. supra n. 94), p. 229. Ptolemäusinarabisch-lateinischerÜberlieferung, Wiesbaden, 1976, p. 6, 150) D. Pingree, « Classical and Byzantine » (réf. supra n. 94), p. 234. affirme que la plus ancienne traduction de l'Almageste fut une version en La paraphrase de Dorotheus par ʻUmar b. al-Farrukhān ne comporte aucun moyen-perse, qui d'après les témoignages de textes moyen-perses tardifs commentaire historique de ce type et Pingree fait donc là allusion aux (Manushchihr et le Denkard, dont il situe la composition au 9e s.), doit théories astrologiques utilisées dans le livre V. remonter au règne du deuxième souverain sassanide, Shāpūr I (r. 241-272). 151) D. Pingree et C.J. Brunner, « Astronomy and Astrology in Iran », Les études de Kunitzsch sur la transmission arabe de l’Almageste ont mon- in EncyclopaediaIranica, vol. II, pp. 858-871 (cf. pp. 858-859). Dans leur tré l’existence de cinq traductions arabes différentes, quatre faites sur le édition du LiberAristotilis, Burnett-Pingree (loc.cit., p. 6) vont jusqu’à grec, et une sur le syriaque (loc.cit., pp. 22-23). Plus récemment, ce dernier affirmer qu’un passage où il est fait allusion à des livres envoyés en Inde semble avoir montré quelque hésitation à propos de cette date, P. Kunitzsch, serait la confirmation du recit d’Ibn Nawbakht et du Denkard. Cette lecture « Almagest : Its Reception and Transmission in the Islamic World », in est approuvée par A. Panaino, « The Liber Aristotilis » (cf. réf. supra n. H. Selin, EncyclopaediaoftheHistoryofScience,TechnologyandMedi- 137), p. 211. cineinNon-WesternCultures,Dordrecht, 1997, pp. 55-56. Aucun des 152) Les seuls fragments astrologiques datables du 3ème s. ont été étudiés astrologues médiévaux étudiés par Pingree, Kunitzsch, Burnett ou Sezgin par A. Panaino, « The Two Astrological Reports of the Kārnāmag ī Ardašīr ne mentionne ni ne cite jamais cette supposée ancienne « traduction ī Pābagān (III, 4-7 ; IV,6-7) », DieSprache, 36, 1994, pp. 181-198. Ils sont persane » de l’Almageste. Festugière, RHT1, p. 161, s’étonne lui-même transcrits en parthe et non pas en pehlevi. De l’ensemble des manuscrits en que dans une longue liste de sources énumérées par Māshāʼallāh, on ne écriture pehlevie, on ne connaît que trois diagrammes horoscopiques, ceux trouve pas trace de Ptolémée. de « l’horoscope du monde » dans le Bundahishn, cf. E.G. Rafaelli, « The 155) H.W. Bailey, ZoroastrianProblemsintheNinth-CenturyBooks, Diagrams of the Zāyč ī gēhān », EastandWest, 49, 1999, p. 289, horo- Oxford, 1943, p. 86. scope dont Pingree lui-même a prouvé l’origine indienne. Ni la terminolo- 156) Cf. Ph. Gignoux, « Greece. xvi. Greek Ideas and Sciences in Sasan- gie ni les méthodes mises en œuvre dans ces textes ne correspondent à ian Iran », à paraître (publié en ligne en novembre 2014 et disponible à celles qu’on peut lire dans la traduction arabe de Dorotheus (chez lequel l’adresse suivante http://www.iranicaonline.org/articles/greece-16-ideas- on constate l’absence de toute référence aux nœuds lunaires). sciences-sasanian).

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l’absence d’éléments supplémentaires.157) L’usage d’em- Quant à Zādānfarrūkh, il est présenté par l’A. comme appar- prunts lexicaux ou de simple translitérations d’une langue à tenant à l’époque pré-islamique ou aux tout débuts de la une autre est courant en matière d’assimilation de noms période islamique161), alors même qu’il fait référence au étrangers (les pharmacopées en sont un bon exemple) et la pèlerinage musulman, dans un des rares fragments connus de date tardive du Denkard implique la possibilité que la réfé- lui. 162) rence à Ptolémée émane de la cour sassanide sous Khusraw Il serait plus juste de considérer que des astrologues tra- Anūshirwān, lequel ordonna une réforme du calendrier pour vaillant dans la deuxième moitié du huitième siècle, et qui laquelle on confronta les coordonnées ptolémaïques et celles connaissaient les écrits de Dorotheus, Vettius Valens, Ptolé- des ouvrages indiens.158) Ceci à nouveau n’implique en rien mée et Rhétorius ne pouvaient pas ignorer l’autorité d’Her- qu’une traduction complète de l’Almageste en moyen-perse mès Trismégiste, dont les traités étaient fréquemment cités. ait existé, pas plus qu’on ne peut exclure a priori la volonté Si les écrits des grands astrologues ont en partie circulé à la des auteurs du Denkard de construire une histoire apologé- cour de Khusraw Anūshirwān, les traductions qui y avaient tique dans laquelle des pratiques scientifiques ou pseudo- été faites ne devaient pas remplir les exigences des lecteurs scientifiques comme l’astrologie auraient été mises en valeur de l’époque, car on relève fréquemment, chez Ibn al-Nadīm et justifiées rétrospectivement. entre autres auteurs, la mention d’efforts renouvelés dans la Un autre écueil de la démonstration consiste, comme dans traduction de tel ou tel ouvrage. Thābit ibn Qurra et Ḥunayn le cas des bols babyloniens, à considérer comme « travaillant ibn Isḥāq rempliront en particulier un rôle majeur dans la dans la tradition persane » (AH, pp. 29-30) des astrologues correction des anciennes traductions, syriaques principale- venus de Bassorah, , Balkh et du Tabaristan, comme si ment, mais le second connaissait aussi le dari, parfois grâce les cultures de ces régions avaient été miraculeusement uni- à l’aide de meilleurs manuscrits que ceux qui étaient connus fiées durant la fin de l’empire sassanide et le début de la auparavant. Les seules dates certaines que l’on possède pour conquête musulmane. Le fait que certains tels Māshā᾿allāh et la diffusion de ces ouvrages astrologiques/astronomiques Fazārī ont utilisé des sources syriaques et sanscrites, ainsi dans l’empire sassanide sont dans le cas de Vettius Valens, que Pingree lui-même l’avait établi, n’est pas abordé.159) Là la mention d’un commentaire par Buzurgmihr, ministre encore, la piste syriaque est écartée d’emblée, comme ce sera semi-légendaire de Khusraw Anūshirwān qui fut peut-être à nouveau le cas à propos de l’alchimie (AH, pp. 48-57).160) manichéen et originaire de Merv163), et dans le cas de Ptolé- mée, la comparaison des coordonnées données dans les Tables astrologiques de celui-ci avec celles qui étaient 157) P. Gignoux (in EIr, vol. VII, pp. 284-289, s. v. « Dēnkard») situe la e e connues des Indiens, sans doute en 556, donc à nouveau sous composition du Denkard au 9 -10 s. dans un milieu déjà largement islam- er 164 isé. Il n’est pas exclu que les astronomes de la cour sassanide au 6è s. ait le règne du même Chosroès 1 (r. 531-578). ) Si les connu en partie les ouvrages ptolémaïques, mais il semble que l’influence des écrits indiens (qui pour certains avaient assimilé Ptolémée) ait été la plus forte. Van Bladel en est venu lui-même à cette conclusion dans deux aussi sur la mention de « l’urine d’éléphant blanc mâle » (loc.cit., p. 122), notes récentes où il critique les méthodes de Pingree, cf. K. van Bladel, qui donne au texte un cachet moins sérieux que celui qu’il voudrait y trou- « Eight-Century Indian Astronomy in the Two Cities of Peace », in ver. L’A. tend à suivre Berthelot et Blochet, bien que seul le premier ait cru A.Q. Ahmed, B. Sadeghi, R.G. Hoyland (éds.), IslamicCultures,Islamic que les Persans sous les Sassanides avaient cultivée l’alchimie qu’aurait Contexts:EssaysinHonorofPatriciaCrone, Leiden, 2014, pp. 257-294, inventée les Babyloniens et les Chaldéens (Berthelot-Houdas, loc.cit., cf. n.18 pp. 261-262 et, montrant quelques doutes sur la traduction de p. 4). C’est Blochet en particulier qui avait trouvé dans ce texte et dans l’Almageste dès le 3ème s. loc.cit., n. 22, pp. 263-264. d’autres écrits attribués dans leurs versions arabes à Hermès, Ostanès, ou 158) A. Panaino, « The Astronomical Conference of the year 556 and the Aristote des éléments qui indiquaient de possibles intermédiaires persans Politics of Xusraw Anōšag-ruwān », in H. Börm et J. Wiesehöfer (éds.), et différentes allusions aux religions de l’Iran pré-islamique (cf. E. Blochet, CommutatioetContentio.StudiesintheLateRoman,Sasanian,andEarly « Etudes sur le Gnosticisme Musulman », RivistadegliStudiOrientali, IV, IslamicNearEastinmemoryofZeevRubin, Düsseldorf, 2010, pp. 293- 1911-1912, pp. 267-300 et les quatre autres articles constituant cette étude 306. Une correction à la date indiquée par Panaino dans le titre de son que Blochet publia dans la RSO de 1908 à 1915, dont les références sont article (identique à Pingree, « The Indian and Pseudo-Indian Passages », donnés dans la bibliographie, AH, p. 243). Blochet (loc.cit., pp. 270-272) Viator 7, 1976, p. 147) a été proposée par A. Schilling, DieAnbetungder notait cependant que le traducteur du Kitābal-Jamīʻ, attribué à Ostanès, MagierunddieTaufederSāsāniden.ZurGeistegeschichtedesiranischen cite Hercule le Grec (al-Rūmī), Abū Khālid l’Indien, Aristote l’Egyptien ChristentumsinderSpätantike, Louvain, 2008, p. 28, nn. 125 et 126, qui ( !), Hermès, Hippocrate, Jabir, l’Emésien (al-Himsī) et l’Almageste de remarque que le texte de Bīrūnī porte « après la mort de Khusraw Ptolémée, ce qui allait selon lui dans le sens d’une compilation tardive. Ni Anūshirwān », mais le texte d’al-Hāshimī montre que la lecture « du règne Blochet ni Van Bladel (p. 57, n.154) n’identifient « Abū Bakr Yaḥyā b. de Khusraw Anūshirwān » est justifiée, puisque c’est selon lui ce souverain Khālid al-Ghassānī al-Khorasānī » et « Jaʻfar b. ʻUmar al-Fārisī » qui qui avait ordonné une comparaison entre les données de l’Almageste et apparaissent dans la ligne de transmission du texte. On peut néanmoins se celles des tables apportées de l’Inde. La référence donnée par Panaino au demander s’il ne s’agit pas d’une allusion à Yaḥyā b. Khālid b. Barmak, texte de Bīrūnī (« p. 1423 ») est fausse et doit être corrigée avec Schilling, car Khālid vécut plusieurs années en territoire « ghassanide » à la cour loc.cit., p. 28, n.126 : « p. 1473 ». omeyyade alors installée à Ruṣāfa, où son père se trouvait (cf. I. ʻAbbas, 159) D. Pingree, « Māshāʼallāh : Some Sasanian and Syriac Sources » « Barmekids », in EIr, vol. III, pp. 806-809). Le texte semble en outre (réf. supra n.) ; D. Pingree, « The Fragments of al-Fazārī », Journalof comporter des allusions politiques à la révolte abbasside contre les Omeyy- NearEasternStudies, 29.2, 1970, pp. 103-123 traduisit une partie des ades (cf. Berthelot-Houdas, loc. cit., p. 117 à propos d’un « prince témoignages des sources bibliographiques à propos d’al-Fazārī et il note andalou » ). qu’il pourrait avoir appartenu à une grande famille arabe qui se disait 161) A la suite de Pingree, “Classical and Byzantine” (réf. supra n. 92), descendre de l’un des compagnons de Muḥammad, Samura b. Jundab (m. p. 235 et de Sezgin, GAS, VII, pp. 80-81. ca 679). Enfin, dans Id., « The Indian and Pseudo-Indian Passages », Via- 162) Comme l’indiquent les auteurs de l’article auquel Van Bladel fait tor, 7, 1973, Pingree admet que les extraits astrologiques du Bundahishn référence, AH, p. 29, n.27 (Ch. Burnett et A. al-Hamdi, « Zadanfarrūkh montrent l’usage de sources indiennes datables du 5ème s. de notre ère. al-Andarzaghar on Anniversary Horoscopes », ZeitschriftfürGeschichte 160) C’était pourtant la conclusion de M. Berthelot et O. Houdas (La derArabisch-IslamischenWissenschaften, 7, 1991-1992, p.295). ChimieauMoyen-Âge.Vol.III.L’Alchimiearabe, Paris, 1893, p. 4, et déjà 163) Cf. Djalal Khaleghi Motlagh, « Bozorgmehr-e Boḵ tagān », EIr, dans le volume II, consacré à l’alchimie syriaque), au vu des parallèles avec vol. IV, pp. 427-429 (paru en 1989). A. Christensen, « La légende du sage d’autres collections alchimiques (rôle d’Aristote, mention de l’Andalousie, Buzurjmihr », ActaOrientalia8, 1930, pp. 81-128, proposait de l’identifier éminence de l’Egypte). L’A. omet de mentionner qu’outre le texte arabe, à Burzōē. Berthelot-Houdas donnaient une traduction commentée des fragments 164) Cf. D. Pingree, « The Persian “Observation” of the Solar Apogee d’Ostanès conservés dans le Kitābal-Jamīʻ (AH, p. 55, n.150). Il passe in ca. A.D. 450 », Journal of Near Eastern Studies, 24.4, 1965,

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premiers souverains sassanides avaient effectué un travail de babylonien et un spécialiste des poisons et de la pharmaco- mécénat scientifique et qu’ils s’étaient réellement occupés de pée, grec ou égyptien. Le premier est égyptien et il vécut rassembler les fragments de l’Avesta, la mention de tels actes avant le Déluge, qu’il aurait prédit. C’est pour assurer la n’auraient pas manquée d’être préservée par les sources sas- transmission des sciences et des techniques qu’il aurait écrit sanides ou même par les sources contemporaines en grec, et dessiné celles-ci sur les murs des temples d’Egypte. En latin, syriaque ou en arménien.165) Les spécialistes de l’Iran raison sans doute de cette qualification prophétique, il est pré-islamique n’accordent, à l’inverse des historiens de l’as- identifié à Hénoch, auquel certains groupes parmi les Juifs et trologie, aucun crédit à cette légende.166) La cour sassanide les Chrétiens attribuaient en particulier une ascension céleste ne vivait pas coupée du monde167) et la connaissance de et un Livred’astronomie (1Hénoch, chap. 72-82).170) Chez l’astrologie grecque chez les Juifs, les Chrétiens et les Mani- les savants médiévaux, certains considèrent que c’est celui-ci chéens semble assurée, ce qui ne pouvait manquer d’intéresser qu’on appelle « l’Hermès des Hermès (Hirmisal-Harāmisa) » la cour. Enfin, rien dans les informations conservées sur les qui serait à identifier au Trismégiste, tandis que pour d’autres premiers astrologues de la cour abbasside n’indique qu’ils c’est le troisième Hermès qui aurait été ainsi désigné.171) Al- aient privilégié les sources en moyen-perse au détriment Mubashshir ibn Fātik au 11ème s. et Barhebraeus au 13ème s. d’autres traditions. Au contraire, selon un texte cité par Pin- lui attribuent comme maître Agathodémon, qui ne serait gree lui-même, Abū Ma῾shar ne semble pas avoir accordé un autre que le prophète Seth fils d’Adam.172) Le deuxième Her- rôle majeur aux Perses dans la transmission des sciences mès quant à lui est considéré comme « Babylonien » résultat astrologiques : «The Chaldeans were the first to write about possible de la confusion entre « Chaldéen » et « Babylo- the stars, their measurements, and observations of them; they nien » dans les sources où le rôle des Babyloniens dans knew their courses in nature [i.e. astronomy] and in proroga- l’invention de l’astronomie et de l’astrologie est souligné et tions from base-nativities [i.e. astrology]. After them were de la synonymie Chaldéens/astrologues que l’on trouve dès the Indians, then the Syrians, and then the .».168) l’époque hellénistique.173) L’origine du troisième Hermès est incertaine. Certains de nos auteurs le croient égyptien174) ou 175 8. Conclusion : retour vers les trois Hermès philosophe errant ayant vécu en Egypte. ) Il est générale- ment désigné comme le maître d’Asclépius et il aurait eu Les médiévaux arabophones organisèrent la riche matière connaissance de la pharmacopée et des poisons. On peut sans des écrits attribués à Hermès en considérant qu’il existait doute voir là la trace des écrits alchimiques attribués à Her- trois autorités différentes dont les œuvres circulaient sous mès mais c’est aussi la question de la relation d’Hermès et ce nom.169) Ce faisant, ils distinguèrent un égyptien, un d’Asclépius qui est soulevée. Ce dernier, qui donne son nom à la version latine du Discoursparfait, dont on pense qu’il se rattachait au CorpusHermeticum,y est présenté comme pp. 334-336. Id., « The Indian and Pseudo-Indian Passages », p. 147. le disciple du Trismégiste et le descendant de l’inventeur de A. Panaino, « Sasanian Astronomy and Astrology in the Contribution of David Pingree », in G. Gnoli et A. Panaino (éds.), Kayd.StudiesinHistory la médecine. Il est fréquemment cité dans les ouvrages ofMathematics,AstronomyandAstrologyinMemoryofDavidPingree, médicaux, et en particulier chez Hippocrate et chez Galien, pp. 74-103, à la p. 76 affirme que c’est une « version pehlevie » de la [Mathematikè] Suntaxis de Ptolémée qui fut comparée aux travaux indiens lors de la conférence d’astronomes convoquée par Khusraw Anūshirwān en est dit être venu de Grèce et avoir donné aux Egyptiens leurs lois et 556 [si l’on accepte la correction de halak en mulk, cf. supra n. 158]. Mais l’alphabet. rien n’indique que les tables de l’Almageste n’ont pas circulé indépendem- 170) Hénoch, septième patriarche à partir d’Adam (Genèse 5 :21-24) est ment du reste de l’ouvrage, pas plus que la langue dans laquelle ces tables l’objet de plusieurs récits dans la tradition parabiblique, dont certains ont étaient disponibles aux astronomes n’est indiquée. été retrouvés à Qumrān (1Enoch, connu aussi en Ge’ez). Il se voit attribuer 165) Le Kār-nāmakīArtaxšērīPāpakān(LivredesHautsfaitsd’Ardashīr plusieurs ascensions célestes, dont l’une constitue son initiation par les filsdePāpak) n’en porte pas non plus la trace. En revanche, il reporte au anges Uriel et Raphaël aux divers mouvements cosmiques et à la géogra- troisième siècle, au lieu de la date traditionelle du sixième siècle sous le phie de la terre (1Hénoch, chap. 21-35). Dans une autre de ces visions, il règne de Khusraw Anūshirwān l’introduction du jeu d’échecs, cf. B. Utas, voit le trône divin, sur lequel se tient une forme de haute stature, vêtue de « », EIr, vol. V, pp. 393-397 (paru en 1991) ; version actualisée en blanc, avec laquelle il s’entretient malgré le feu éblouissant qui l’entoure ligne : http://www.iranicaonline.org/articles/chess-a-board-game. Sur la (1Hénoch, chap. 14). fiabilité des sources relatives aux premiers sassanides, cf. Ph. G. Kreyen- 171) Le fragment XXIII des extraits hermétiques de Stobée (dont on broek, « How Pious was Shapur I ? Religion, Church and Propaganda pense qu’ils proviennent de la même collection d’écrits que le CorpusHer- under the early Sasanians », in V. Sarkhosh Curtis et S. Stewart, The meticum) confirme ce rôle prophétique : Hermès Trismégiste aurait été SasanianEra.[TheIdeaofIran,vol.III], Londres, 2008, pp. 7-16, en part. envoyé par Dieu aux hommes pour leur enseigner la gnose. Cf. A.-J. Fes- pp. 12-13; J. Wiesehöfer, AncientPersia (réf. supra n. 54), pp. 156-157. tugière, « Fragments extraits de Stobée, XXIII-XXIX (éd. et trad.) », in 166) Cf. C.G. Cereti, « On the Pahlavi Cursive Script and the Sasanian A.-J. Festugière et A.D. Nock, CorpusHermeticum.TomeIV, Paris 1954. Avesta », Studia Iranica, 37, 2008, pp. 175-195, en part. pp. 179-180 et A. Faivre, « Compte-rendu de conférence : Histoire des courants ésotér- 191-192, n.37. Sur cette question, J. Kellens, « Avesta », EIr, vol. III, iques et mystiques dans l’Europe moderne contemporaine », Annuairede pp. 35-44 (paru en 1987), version mise à jour en 2011 : http://www.irani- l’EcolePratiquedesHautesEtudes.SectiondesSciencesreligieuses, caonline.org/articles/avesta-holy-book. Plus généralement sur la question vol. 94, 1985-1986, pp. 531-543. du rôle de l’écrit et de l’oral dans l’Iran pré-islamique : Ph. Huyse, « Late 172) Flavius Josèphe (AntiquitésJuives, 4.33), historien du 1er s. ap. J.-C., Sasanian Society between Orality and Literacy », in V. Sarkhosh Curtis et attribue aux descendants de Seth la découverte du mouvement des astres et S. Stewart, TheSasanianEra.[TheIdeaofIran,vol.III], Londres, 2008, la mise par écrit de deux stèles destinées à préserver le savoir humain après pp. 140-155. la destruction qu’allait causer le Déluge qu’Adam avait annoncé. Ces motifs 167) Des transferts de population de la Syrie vers l’Iran sont attestés dès se retrouvent en partie dans la biographie du premier Hermès. le début de l’empire sassanide, cf. J. Wiesehöfer, AncientIran (réf. supra 173) Cf. F. Rochberg-Halton, « New Evidence for the History of Astrol- n. 54), pp. 201-203 ; Erich Kettenhofen, « Deportations ii », EIr, vol. VII, ogy », JournalofNearEasternStudies, 43.2, 1984, pp. 115-140, cf. p. 115 pp. 297-312 (version actualisée en ligne : http://www.iranicaonline.org/ et p. 124. articles/deportations). 174) Cf. Ṣāʻid al-Andalūsī, Ṭabaqātal-umam, pp. 18-19 Cheikho (texte 168) D. Pingree, « Classical and Byzantine » (réf. supra n. 92), p. 227. et traduction in AH, pp. 129-130). 169) Ceci avait déjà été fait par Cicéron comme le note l’A. (AH, p. 133, 175) Le « troisième Hermès », celui qui « vint en Egypte » et auquel n.57). Cicéron connaît cinq Mercure, nom sous lequel il désigne Hermès, d’autres sages succédèrent sur cette terre est par ailleurs évoqué par Julien parmi lesquels deux qui sont liés à l’Egypte, dont l’un, identifié à Thoth, dans son ContrelesGaliléens, 176 AB.

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dont des traductions syriaques et arabes étaient déjà large- autres personnages du même nom, un luxe de détails est ment diffusées au neuvième siècle, la date des plus anciennes fourni. Asclépius est situé chronologiquement et géogra- traces de ces « biographies » d’Hermès en langue arabe.176) phiquement à l’aide d’une autre citation du Kitābal-ulūf Ces textes souvent contradictoires ne sont pas inconnus de dans laquelle Argos, capitale de la Ionie est mentionnée l’A., mais la présentation qu’il fait des biographies des trois (trad. AH, p. 151).179) Le règne d’un dictateur nommé Hermès est entièrement destinée à prouver qu’Abū Maʻshar *Ayūlīūs, qui aurait duré 18 ans, est mentionné, dans ce est l’inventeur de la légende. De plus selon l’A., cette iden- qui semble cette fois une référence à la chronologie des tification de plusieurs Hermès se serait faite indépendem- souverains de Rome. Cet extrait est immédiatement suivi ment de toute influence de l’épithète « aux trois natures » d’une glose d’Abū Sulaymān al-Sijistānī (m. ca 1000), un qui apparaît, comme l’A. le note lui-même, chez Dorotheus proche d’Ibn al-Nadīm et l’auteur d’une compilation per- (Carmenastrologicum, II, 20 Pingree, cf. AH, pp. 129-132). due, le CoffretdeSagesse (Ṣiwānal-ḥikma) dont il ne A la suite de Pingree, l’A. considère que les savants médié- subsiste que deux abrégés, les MuntaḫabṢiwānal-ḥikma vaux qui rapportent la division des Hermès en trois person- et MuḫtaṣarṢiwānal-ḥikma.180) L’ouvrage dont la glose nages ne font que recopier Abū Ma῾shar, qui est effective- est tirée est intitulé « Annotations (ta῾ālīq) » et il est uti- ment l’une des sources les plus couramment citée mais pas lisé à plusieurs reprises par Ibn Abī Uṣaybi῾a au long de la seule, ce que ne laisse pas deviner la présentation partielle ses Générationsdesmédecins, le plus souvent à propos de des textes que donne Van Bladel. En affirmant comme Pin- l’Antiquité. « Asclépius fils de Zeus » et ses descendants gree (Thousands, p. 14) que l’andalou Ibn Juljul en 987, et parmi les philosophes grecs sont évoqués dans cet extrait qu’Ibn al-Qifṭī (m. 1248) dans l’abrégé que nous transmet dont les sources historiques semblent avoir été particuliè- al-Zawzanī en 1249 et Ibn Abī Uṣaybi῾a (m. 1270) deux rement confuses (Euclide, Platon, Aristote et Hippocrate décennies plus tard ne font que recopier Abū Ma῾shar, l’A. auraient appartenu à la famille des Asclépiades, et Solon passe sous silence divers éléments qui prouvent la connais- serait le frère d’Asclépius). D’autres sources suivent, des- sance d’autres sources dont certaines sont vraisemblablement quelles Ibn Abī Uṣaybi῾a tire à chaque fois quelques liées au CorpusHermeticum. Les auteurs de ces biographies, phrases ou un paragraphe entier (cf. ῾Uyūnal-anbā᾿, pp. ayant eux-mêmes accès à différents ouvrages attribués à Her- 182-184 al-Najjār) : un ouvrage syriaque intitulé Livre mès ou dans lesquels celui-ci était évoqué, offrent chacun desGéants/Tyrans/Rois (Kitābal-ǧabābira)181), l’histoire une lecture particulière du mythe des trois Hermès, dont un seul est généralement identifié au « Trismégiste ».177) En ῾ serment, » in P. Koetschet et P. Poormann (éds.), Traduction,transmission, outre, dans la mesure où Ibn Abī Uṣaybi a cite généralement transformation:lesracinesdelamédecinearabemédiévale (Damas, ses sources, et qu’il fait un usage fréquent d’Ibn Juljul et Journée d’étude à l’Institut Français du Proche-Orient, 4 Mai 2010), sous d’Ibn al-Qifṭī, il importait de comparer les récits dans leur presse. Asclépius apparaît aussi comme l’ancêtre des Asclépiades, une ensemble, ce que ne fait pas Van Bladel. Ainsi, lorsqu’Ibn fratrie de médecins originaires de Cos, Cnide et Rhodes desquels Hippocrate affirme descendre, selon la généalogie qu’il donne dans sa Lettre II. al-Qifṭī cite Ibn Juljul, il ne s’agit pas d’une citation directe L’association d’Hermès Trismégiste et d’un Asclépius dont il est dit qu’il de l’ouvrage d’Abū Ma῾shar, et sa valeur n’est pas la même, descendait d’un homonyme, inventeur de la médecine, se trouve unique- ce qui rend nécessaire de replacer l’extrait dans son contexte. ment dans l’Asclépius du Corpus Hermeticum, §37, p. 90 trad. En revanche, les citations qu’Ibn Abī Uṣaybi῾a fait du Kitāb Copenhaver. 179) Lorsqu’ils évoquent les Grecs de l’Antiquité, les Arabes se réfèrent al-ulūf montrent comme le note l’A. (AH, p. 151) qu’il pos- le plus souvent aux « Ioniens » (al-Yūnāniyyin) dont le nom signifie plus sédait l’ouvrage ou qu’il y avait un accès privilégié, peut-être largement « les Grecs ». La mention d’Argos se trouve dans la Chronique au travers d’un intermédiaire, puisqu’il en cite un extrait par d’Eusèbe (qui l’emprunte selon son propre aveu à Manéthon), à propos ailleurs inconnu des autres biographes. Il nous faudra, pour d’un roi de la « 18ème dynastie » égyptienne du nom de Armaïs. Celui-ci aurait régné pendant cinq ans immédiatement avant le règne de son frère montrer l’intérêt des extraits éludés par l’A. dans ses ana- Ramsès, et il aurait fui l’Egypte à la suite d’un différend avec ce dernier. lyses, résumer ou traduire une partie des chapitres en ques- Il aurait alors conquis Argos (la chronologie des rois d’Argos qui suit dans tion, en guise de conclusion générale sur les méthodes adop- la Chronique d’Eusèbe indique que ceux-ci vécurent avant le Déluge). tées par l’A. de TheArabicHermes. L’identification qui est faite ici par l’auteur de cet extrait (Abū Maʻshar ou ῾ sa source) entre Hermès et Armaïs n’est pas relevée par Van Bladel, qui Chez Ibn Abī Uṣaybi a, la citation du Kitābal-ulūf traduit et commente cet extrait du Kitābal-ulūf (AH, pp. 151-152) d’Abū Ma῾shar se trouve à l’intérieur du chapitre consacré 180) Cf. E. Cottrell, « Abū Sulaymān al-Sijistānī », in H. Lagerlund, à Asclépius (῾Uyūnal-anbā᾿, pp. 181-196 al-Najjār). C’est EncyclopediaofMedievalPhilosophy.Philosophybetween500and1500, Dordrecht, 2011, vol. 1, pp. 17-20. en tant que maître d’Asclépius, dont on nous apprend que 181 les Grecs le considèraient comme le tout premier médecin, ) Ar. ğabbār, pl. ğabābira, possède ces trois acceptions et une traduc- 178 tion certaine de ce titre s’avère impossible. Ibn al-Nadīm connaît un qu’Hermès est évoqué. ) Pour distinguer ce dernier des ouvrage de Mānī sous ce titre, que l’on traduit alors en raison de son con- tenu — lié au mythe des anges déchus de la Genèse — par « Livre des Géants » (cf. J.C. Reeves, ProlegomenatoaHistoryofIslamicateMan- 176) Cf. Ibn Abī Uṣaybiʻa, ʻUyūnal-anbāʼfīṭabaqātal-aṭibbāʼ, pp. 16-17 ichaeism, Sheffield, 2011, pp. 111-113). Sur ces légendes, l’ouvrage de Müller (texte et traduction in AH, pp. 124-127). Le chapitre sur Asclépius John Reeves, JewishLoreinManichaeanCosmogony.StudiesintheBook des Générationsdesmédecins d’Ibn Abī Uṣaybiʻa a été traduit dans son ofGiantsTradition, Cincinnati, 1992, constitue une introduction essen- ensemble par B. Sanguinetti, « Deuxième extrait de l’ouvrage arabe d’Ibn tielle. Les « géants » bibliques, fruits de l’accouplement impie des anges Aby Ossaïbi’ah sur l’histoire des médecins », JournalAsiatique, 11, 1854, déchus (les « fils de Dieu ») avec les filles des hommes sont identifiés par pp. 1-37. Flavius Josèphe aux titans des mythes grecs, tandis que l’on trouve dans 177) Au 1er s. ap. J.-C., Clément d’Alexandrie, qui semble avoir connu les listes des noms des Géants rapportées dans la littérature para-biblique les livres attribués à Hermès-Thoth qu’utilisaient encore à son époque les des personnages (Gilgamesh, Humbaba et Utnapishtim) par ailleurs connus prêtres de l’ancienne religion égyptienne, indique qu’il existe de nombreux dans la Geste de Gilgamesh. C’est Hénoch qui joue dans le Livredes personnages appelés « Hermès » et « Asclépius » (Protreptique, 2.29). Géants le rôle de prophète annonciateur du cataclysme avec lequel Dieu 178) Dans le contexte médical, Asclépius est associé à Apollon dans le allait corriger sa création ainsi souillée par les actes des Géants, tentant de Sermentd’Hippocrate, connu en arabe dès le 9ème siècle et peut-être déjà ramener ceux-ci à la raison par l’intermédiaire de Hénoch. Le titre de auparavant via la tradition médicale indienne (cf. E. Cottrell, « La biogra- « ğabbār » est par ailleurs couramment associé à Nemrod dans les sources phie d’Hippocrate dans les sources arabes: sa vie, ses lettres, et le célèbre arabes où il est généralement traduit « tyran », qualificatif que lui vaut

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universelle d’Orose182), enfin, les Lois et le Politique de été suivie avant lui.189) Et il dit qu’il était l’élève d’Hermès Platon. l’Egyptien. » Le récit est interrompu (῾Uyūn al-anbā᾿, Ibn Abī Uṣaybi῾a cite alors le Muḫtār al-ḥikam d’al- pp. 185.6-15) par une glose tirée d’un abrégé du Livredes Mubashshir b. Fātik (m. 1087)183) où on lit selon lui à propos remèdesdesChaldéens de Muwaffaq al-Dīn As῾ad b. Ilyās d’Hermès — maître d’Asclépius — que tous deux auraient Ibn al-Maṭrān (m. 1191), à propos du qualificatif de « Triple voyagé et qu’en revenant d’Inde vers la Perse, Hermès aurait en bienfaits/grâces (al-muṯalliṯbi-l-ni῾am)» qui suit immé- confié à Asclépius l’administration de Babylone.184) La cita- diatement chez Ibn Abī Uṣaybi῾a avec l’évocation de livres tion d’Ibn Fātik se poursuit ainsi : « Cet Hermès est celui d’astronomie/astrologie attribués à Hermès dont les titres [qu’on appelle] le premier Hermès, que l’on prononce armis, sont connus par d’autres sources.190) C’est alors seulement c’est-à-dire le nom de la planète Mercure (῾uṭārid).185) Les que débute le texte étudié par Van Bladel (AH, pp. 124-125) Grecs l’appellent « Trismegistos (*Aṭrsmīn) »186), les Arabes qui a donc éludé tout ce qui précède. Dans ce court extrait [le nomment] Idrīs [cf. Coran 19 :56 ; 21 :85] et les Hébreux d’Abū Ma῾shar, la tentative de synchroniser chronologique- Hénoch. Il est le fils de Jared (Yārid), fils de Mahalalel ment les Hermès par rapport au Déluge de la tradition indo- (Mahlā᾿īl), fils de Canaan, fils d’Enosh, fils de Seth, fils iranienne semble avoir été plaquée sur les chronologies d’Adam. Il naquit en Egypte dans la ville de Memphis187), et judéo-chrétiennes en raison de l’identification d’Hermès à il resta sur terre quatre-vingt deux années.188) ». A la suite Idrīs et à Hénoch. Abū Ma῾shar avait une bonne connais- d’autres éléments tirés d’Ibn Fātik parmi lesquels la mention sance des théories indiennes, ainsi que l’a montré Pingree d’Agathodémon, « un prophète des Egyptiens et des Grecs dans son étude du Kitāb al-ulūf, mais il s’est aussi intéressé qui aurait lui-même été le maître d’Hermès », Ibn Abī aux différences que montraient les chronologies du passé que Uṣaybi῾a se tourne finalement vers le témoignage d’Abū suivaient les juifs et les chrétiens, comme en atteste le témoi- Ma῾shar, qu’il apporte pour l’ajouter à ceux qu’il vient de gnage de Hamza al-Iṣfahānī que cite l’A. (AH, pp. 148- citer (cf. ῾Uyūn al-anbā᾿, pp. 185-187 al-Najjār et AH, 151).191) Dans le récit d’Abū Ma῾shar, c’est le troisième Her- pp. 124-127). Revenant à Asclépius, Ibn Abī Uṣaybi῾a pré- mès, un spécialiste des poisons et de l’alchimie venu résider cise qu’il est « celui dont les Grecs disaient qu’il avait en Egypte qui est maître d’Asclépius. Quant au premier Her- inventé la médecine et dont les Asclépiades prétendaient des- mès, c’est lui le « Triple en bienfaits/grâces »192) qu’on cendre, eux qui avaient un jour décidé de l’enseigner aux identifie à Idrīs et à Hénoch, et il est le petit-fils de Gayomarth étrangers après qu’elle ait initialement été réservée à leur (le premier homme de la tradition iranienne, parfois identifié seul cercle. ». Il poursuit : « Abū Ma῾shar écrit ceci dans le à Adam). C’est lui aussi qui aurait inventé la médecine, et Livre desMillenia(Kitābal-ulūf), [à savoir] que cet Asclé- celui que les Ḥarrāniens considèrent comme prophète.193) La pius n’est pas le premier [philosophe] divin (al-muta᾿allih suite du chapitre d’Ibn Abī Uṣaybi῾a développe les questions al-awwal)en matière de médecine, ni son inventeur, mais qu’il l’avait appris d’un autre, et selon la méthode qui avait 189) Autre élément de la légende des Asclépiades telle qu’elle est trans- mise par les sources arabes, en particulier par le Taʼrīḫal-atibbāʼ de Isḥāq b. Ḥunayn, cf. J. Rubin Pinault, HippocraticLivesandLegends, Leiden, semble-t-il sa rivalité avec Abraham, ou sa rébellion contre Yahvé. Enfin, 1992. La référence à la « méthode » est une allusion aux écoles médicales Ibn al-Quṭayba indique que ğabbār pourrait être utilisé dans le sens de telles que les présente Galien dans le DeSectis, dont une traduction arabe « roi », cf. M.L. Swartz, AMedievalCritiqueofAnthropomorphism.Ibn avait été réalisée par Ḥunayn b. Isḥāq à l’âge de vingt ans (donc vers 828 al-Jawzī’sKitābakhbāraṣ-Ṣifāt, Leiden, 2001, p. 202, n.157. ap. J.-C.). 182) La traduction arabe conservée des Histoires contre les Païens 190) L’ouvrage d’Ibn al-Maṭrān, un dignitaire chrétien de la cour ayy- d’Orose, disciple de Saint-Augustin, est incomplète et enrichie oubide (à laquelle Ibn Abī Uṣaybiʻa, ainsi que son père et grand-père d’interpolations ainsi que d’un complément qui poursuit le récit jusqu’à la appartenaient eux aussi) a été publié sous la forme d’un fac-similé, cf. Abū conquête arabe. Cf. M. Penelas, KitābHurūšiyūš, Madrid, 2001. Naṣr Asʻad b. Ilyāṣ b. Maṭrān, Bustānal-aṭibbāʼwa-rawḍatal-alibbāʼ, 183) Cf. E. Cottrell, « al-Mubashshir ibn Fātik », in H. Lagerlund, Ency- avec une introduction de M. Mohaqqeq, Téhéran 1359 AH/1348 HS/1989. clopedia of Medieval Philosophy. Philosophy between 500 and 1500, Ibn al-Maṭrān y évoque (loc.cit., p. 38), Asclépius, dont le grand-père était Dordrecht, 2011, vol. 2, pp. 815-818. Zeus, et la diffusion du culte d’Asclépius à Epidaure et à Pergame. 184) L’un des manuscrits n’a pas la mention de Babylone mais de la Perse, 191) La chronologie que développe Abū Maʻshar est fortement influencée qui aurait donc été donnée à Asclépius pour qu’il y établisse des lois. Cf. par les sources indiennes (comme le montre D. Pingree, TheThousandsof ʻUyūnal-anbāʼ, p. 184, note 6 al-Najjār. La formulation chez Ibn Fātik AbūMaʻshar, Londres, 1968) et elle ne semble pas correspondre aux (« Lorsqu’ils quittèrent l’Inde et qu’ils vinrent en Perse, [Hermès] le laissa sources mazdéennes qui montrent elles-mêmes de nombeuses contradic- [pour lui succéder] (ḫallafahu) à Babylone, afin qu’il y établisse des lois », tions. Cf. AH, p. 125, n.14, où Van Bladel suit Pingree dans l’identification chap. Asclépius, p. 28.2-3 Badawī) est plus claire, mais l’insertion de Bab- Hermès=Hushang, avec Hushang père de Jamshīd et comparer les maté- ylone au sein de l’empire perse n’a pas été comprise par l’un des copistes riaux rassemblés par A. Shapur Shahbazi, http://www.iranicaonline.org/ d’Ibn Abī Uṣaybiʻa. articles/hosang (version actualisée en 2012 de EIr, vol. XII, pp. 491-492, 185) On a vu à propos des bols magiques (ci-dessus 7.1 et références aux initialement paru en 2004). Hushang et Jamshīd sont parfois considérés textes publiés par Montgomery) que la translitération du nom Hermès en chacun comme « premier roi », mais seul le second appartient à la tradition araméen donne le plus souvent un alef/olaf pour représenter le hèta grec, indo-iranienne tandis que le premier serait propre à la geste épique sans que l’aspiration de l’esprit rude ne soit rendue. iranienne. 186) Cf. Ibn al-Qifṭī, Aḫbāral-ḥukmāʼ, p. 2.3 Lippert : *Ṭrmīn < *Ṭri(s)- 192) Le fait qu’Ibn al-Maṭrān glose cette expression indique qu’elle se mi(ğ)(s)[-tus]. Ibn Fātik, Muḫtāral-ḥikam, 7.11 Badawī : *Ṭrmīs < *Ṭri(s)- trouvait dans le texte original (ce dont Van Bladel n’est pas certain, cf. AH, mi(ğ)is[-tus] p. 125, n.13). 187) Selon Clément d’Alexandrie, Stromates, I, 21 (= frag. T829 Edel- 193) Théodore Abū Qurra (ca 755-830), évêque melkite de Ḥarran qui stein) c’est Asclépius qui naquit à Memphis tandis que Hermès était de traduisit le traité DesVertusdel’âme du Pseudo-Aristote, à la demande de Thèbes. L’auteur de l’Asclépius considère pour sa part que l’ancêtre Ṭahir b. al-Ḥusayn, le gouverneur du Khorasan, écrit dans un ouvrage héré- d’Hermès Trismégiste, nommé Hermès lui aussi, était né à Hermopolis. siographique que les Païens (i. e. les Païens hellénisés de Syrie qu’il appelle 188) Selon la tradition biblique, Hénoch vécut 365 ans. La durée de 82 ans ḥūnafāʼ et dont il devait bien connaître les croyances, puisqu’il était lui- est associée dans les sources arabes à Asclépius, dans une tradition assez même originaire d’Edesse) considéraient Hermès comme leur prophète. confuse de la généalogie des Asclépiades qui dérive en partie des L’A. connaît ce témoignage (AH, pp. 85-86, p. 164) mais il considère qu’il commentaires à la Thériaque de Galien et du Taʼrīḫal-aṭibbāʼ de Isḥāq b. est trop vague pour qu’aucune conclusion puisse en être tirée sur la con- Ḥunayn. naissance qu’avait de ce groupe les Baghdadiens de son époque.

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relatives au culte rendu par les Grecs à Asclépius194), ses trice d’Hermès I (identifié à l’Idrīs coranique et à Hénoch)196) temples et ses statues — auxquelles on attribuait des capaci- qui est mise en exergue, celle-ci semblant avoir joué un rôle tés théurgiques — ainsi que sa relation aux autres dieux du dans la qualification prophétique. panthéon grec, sujets à propos desquels il cite des extraits A son tour, Ibn al-Qifṭī rapporte les divergences des d’ouvrages de Galien, de Ḥunayn b. Isḥāq et de Thābit b. savants au sujet d’Idrīs/Hermès/Hénoch: certains le croient Qurra (῾Uyūnal-anbā᾿, pp. 187-189 al-Najjār). né en Egypte à Memphis et disciple d’Agathodémon, un Parmi les sources auxquelles Ibn Abī Uṣaybi῾a puise tout égyptien considéré comme prophète par les Grecs et les au long de son ouvrage (dans l’une seulement des deux Egyptiens, tandis que pour d’autres il serait né à Babylone recensions qu’il en fit lui-même de son vivant) se trouve Ibn où dans sa jeunesse il avait étudié auprès de Seth. Adulte, al-Qifṭī, vizir à la cour ayyoubide d’Alep de 1236 à 1248, il aurait été gratifié par Dieu du rang de prophète et aurait dans l’entourage duquel se trouvait nombre de savants émi- souhaité quitter Babylone à la suite de péchés commis par nents. Il en va de même pour al-Mubashshir ibn Fātik, dont ses contemporains qui allaient à l’encontre des lois d’Adam il met à profit le Muḫtāral-ḥikam, composé à la cour fati- et de Seth.197) Il aurait emmené avec lui un petit groupe, mide du Caire au milieu du onzième siècle, en particulier décidé comme lui à émigrer loin de Babylone, et serait pour ses informations à propos de l’antiquité grecque. Les arrivé en Egypte. Des références à l’étymologie de auteurs en question avaient tous un accès privilégié aux « Babylone » et de « Babyloniens » en syriaque (Ibn meilleures bibliothèques de leur temps et il faut donc étudier al-Qifṭī, Aḫbāral-ḥukamā᾿, 2.16-3.1 Lippert) montrent minutieusement les parallèles entre leurs œuvres pour diffé- que la source d’une partie de ces informations pourrait être rencier les cas d’utilisation directe de sources communes par un ouvrage en cette langue, et le Kitābal-ǧabābira men- ailleurs perdues et ceux dans lesquels ils se copient l’un tionné par Ibn Abī Uṣaybi῾a dans un contexte similaire l’autre. Arrêtons-nous à présent sur la présentation des infor- vient aussitôt à l’esprit, bien qu’une recherche plus éten- mations relatives à « Hermès » chez Ibn al-Qifṭī. L’A. due de fragments circulant sous ce titre doive être réalisée indique (AH, p. 124) qu’il utilise les notices consacrées à avant de pouvoir affirmer ou infirmer cette hypothèse.198) Hermès qui se trouvent aux pp. 6-7 et pp. 346-350 de l’édi- Parmi les dons prophétiques d’Hermès, on relève en par- tion du Livreportantàlaconnaissancedessavantsleshis- ticulier des éléments « civilisateurs » qui rappellent la toiresdessages (KitābIḫbāral-῾ulamā᾿bi-aḫbāral-ḥukamā᾿) littérature classique des inventions199) : mise en œuvre de d’Ibn al-Qifṭī par Lippert. D’une part, l’extrait d’Abū lois religieuses, enseignement de la politique civile Ma῾shar à propos du premier Hermès (pp. 6-7 Lippert) est (al-siyāsaal-madaniyya), capacité à planifier les villes, clairement donné comme appartenant à une citation du tant et si bien que cent quatre-vingt huit villes200) auraient médecin andalou Ibn Juljul (m. ca 994), ce qui signifie, été fondées à son époque, dont la plus petite était comme le note l’A. (AH, p. 124) qu’on ne peut considérer Edesse. 201) C’est ensuite l’enseignement de l’astronomie qu’Ibn al-Qifṭī avait en sa possession un exemplaire du qui est évoqué ainsi que celui des computs et du calcul. Kitābal-ulūf. D’autre part, l’A. passe sous silence le fait que Des lois auraient en outre été établies pour chaque cette notice sur le premier Hermès apparaît dans le chapitre région202) et la terre divisée en quatre climats, sur lesquels consacré par Ibn al-Qifṭī au prophète Idrīs (l’ouvrage étant Hermès aurait désigné quatre rois dont le premier était organisé selon l’ordre alphabétique, Idrīs apparaît en arabe Hélios/Eleos ( ?) (Īlāwus), [nom] dont la signification est à la lettre alif, au tout début du livre), de même qu’il élude [en grec] « le compatissant (al-raḥīm) »203), le deuxième, plusieurs pages de « biographie » et de doxographie (Ibn al-Qifṭī, pp. 1-6 Lippert), lesquelles constituent le début du chapitre avant la citation d’Ibn Juljul. Les pages d’Ibn 196) L’identification d’Hermès et d’Idrīs est déjà un objet de questionne- ment pour al-Jāḥiẓ, cf. AH, p. 168, n.15. Déjà noté par D. Pingree, The al-Qifṭī comportent des parallèles avec les extraits d’al- Thousands (cf. réf. supra n.191), p. 11. Sarakhsī (rapportant d’après son maître al-Kindī) que nous 197) Sur les « lois d’Adam et de Seth », cf. E. Cottrell, « Adam and Seth a conservés Ibn al-Nadīm sur lesquels l’A. s’est trop briève- in Arabic Medieval Literature : The Mandaean Connections in al-Mubash- ment arrêté alors qu’ils constituaient la pierre de touche de shir ibn Fātik’s ChoicestMaxims (11th c.) and Shams al-Dīn al-Shahrazūrī’ al-Ishrāqī’s HistoryofthePhilosophers (13th c.) », ARAM, 22, 2010, toute la recherche antérieure sur l’hermétisme des Sabéens pp. 509-547. Les péchés commis par les contemporains d’Idrīs (= Hermès de Ḥarrān (AH, pp. 86-87 ; pp. 188-189) ainsi qu’avec les = Hénoch) pourraient être une allusion au mythe des Géants (cf. supra n. chapitres d’al-Mubashshir ibn Fātik sur Hermès, Asclépius, 181 et infra Appendice I). Ammon et Ṭāṭ/Ṣāb195), au point qu’on doit sans doute envi- 198) Le récit montre des éléments polémiques: la terre promise est ici la vallée du Nil, où sont venus les disciples d’Idrīs/Hermès/Hénoch, qui se sager qu’elles furent abrégées à partir d’une source com- mettent alors à parler en soixante-douze langues (Ibn al-Qifṭī, Aḫbār mune. Dans ces pages, c’est en particulier l’œuvre civilisa- al-ḥukamāʼ, p. 3.5-6). Dans le récit d’al-Mubashshir ibn Fātik en revanche, c’est Hermès/Idrīs qui prêche en soixante-douze langues (Muḫtāral-ḥikam, p. 8.7-8 Badawī). 194) L’une des sources anonymes, la première citée à la suite de l’extrait 199) Cf. A.J. Droge, HomerorMoses (ref. supra n. 31). d’Abū Maʻshar (ʻUyūn, p. 185.10-14 al-Najjār), indique qu’Asclépius était 200) Cent quatre-vingt villes chez al-Mubashshir ibn Fātik (p. 8.10 capable de guerir les malades à propos desquels on avait perdu tout espoir, Badawī). au point que le commun se mit à croire qu’il avait le pouvoir de ressusciter 201) L’attribution de la fondation d’Edesse à Hermès, héros païen par les morts et qu’il avait été élevé au ciel par Dieu. Selon cette même source, excellence, est un nouveau signe de polémique anti-chrétienne. c’est lui qu’on aurait identifié à l’Idrīs coranique. 202) Ibn Fātik ajoute « en accordance avec son peuple ». Peut-être faut-il 195) Tandis qu’Ibn al-Qifṭī mentionne Ṭāṭ, qui doit donc être identifié à voir là un nouvel élément polémique. Tat, l’un des disciples d’Hermès Trismégiste dans le CorpusHermeticum 203) Le texte qui suit est connu depuis plus d’un siècle mais il a défié et dans les traités hermétiques de Nag Hammadi. Une partie des manuscrits toute tentative d’interprétation, comme le note Van Bladel (AH, p. 186), du Muḫtāral-ḥikam porte cependant « Ṣāb » et on peut y deviner la qui n’identifie qu’Asclépius. L’étymologie du premier nom correspond au volonté d’attribuer un ancêtre éponyme aux « Sabéens » (cf. AH, p. 95). grec eleos (« sauveur »), qui est donc donné comme origine du nom La graphie des deux noms est extrêmement proche (oubli de la barre ver- « Hélios ». La liste pourrait avoir été fabriquée à partir d’une généalogie ticale distinguant le ṣād et le ṭāʼ et déplacement des points diacritiques pour fantaisiste (Hélios, Zeus, Asclépius, Séleucos). Hélios apparaît par ailleurs donner la graphie du tāʼ final). dans la chronologie du Pseudo-Manéthon comme fils d’Héphaïstos, et l’un

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Zeus 204) (Zūs), le troisième, Asclépius, et le quatrième, identifié par Ibn al-Qifṭī (p. 7.6) à Séleucos208) tandis que Zeus Ammon205), mais d’autres disent(wa-qīla) Hélios chez Ibn Fātik ce long extrait apparaît à l’intérieur de la par- Ammon ou encore Séleucos (wa-qīlabi-Sīliḫūs), qui est le tie du chapitre « Hermès » consacrée aux sentences de celui- roi Ammon.206) ci, introduit par « wa-waṣābi-Sīluḫūs » , i.e. « et il fit les On découvre chez Ibn al-Qifṭī, immédiatement après la conseils suivants à Séleucos ». L’A. identifie dans ce texte notice consacrée à Idrīs, un chapitre consacré à Ammon, qui un parallèle tout a fait frappant avec une sentence attribuée vient directement après la notice consacrée à Idrīs (respectant dans les gnomologies grecques à un certain Agathon (dont l’ordre alphabétique). Van Bladel traduit ce chapitre (AH, rien ne prouve qu’il s’agit du contemporain de Socrate, cf. pp. 212-213) d’après la version qu’en donne al-Mubashshir AH, p. 215). Quant à la question de la teneur de ce « testa- ibn Fātik, chez qui il suppose qu’Ibn al-Qifṭi (pp. 6-7 Lip- ment », rempli de références à la sharī῾a islamique, l’A. pert) l’a trouvé (AH, p. 211) mais il juge le vocabulaire trop pense qu’elles permettent de dater cette forgerie du neuvième « islamisé » pour que le texte dérive d’une source tardo- siècle. Il serait erroné de chercher dans les sentences attri- antique (AH, pp. 213-214), ce qui l’avait déjà conduit à reje- buées à Hermès une nécessaire correspondance avec les ter l’intérêt du fragment d’al-Saraḫsī cité par Ibn al-Nadīm écrits hermétiques, car la littérature des sentences a une ten- ( AH, p. 87).207) Comme l’écrit l’A. (AH, p. 211) il s’agit d’un dance à la compilation qui fait peu de cas de la vraisem- « testament » d’Hermès à Ammon, qui est ici à nouveau blance. 209) Mais le fait qu’on ait voulu trouver des sentences à proposer au lecteur dans un chapitre sur Ammon montre que ce dernier était assez connu, ce dont atteste la variété des des dieux ayant régné sur l’Egypte. Un personnage dont le nom correspond textes dans lesquels il est mentionné (principalement aux à une graphie assez proche d’Īlāwus est donné comme le maître en astrolo- côtés d’Hermes) auxquels renvoie Van Bladel. On remarque gie de Zoroastre à Ḥarrān, dans un fragment autobiographique transmis 210 dans le Livredeshoroscopes(Kitābal-mawālīd)du Pseudo-Zoroastre dont aussi que quelques pages après les lois de Seth ), cet extrait il a été question ci-dessus, § 7.2. Cf. E. Cottrell, « L’Autobiographie de où Hermès indique au roi Ammon comment traiter les pri- Zoroastre », réf. supra n. 141, où j’ai proposé (p. 180) la lecture Iolaos, sonniers, les adultérins et les calomniateurs fait contraste parallèle au nom du maître spirituel de Zostrien dans le traité VIII,1 de Nag avec celles-là, où Seth transmettait des lois dont il faut com- Hammadi, dit ApocalypsedeZostrien. D. Pingree (cf. Cottrell, loc.cit., p. 179, n.16) avait proposé d’identifier ce personnage à Hélios, mais il me prendre qu’elles lui avait été données par Adam et qui mon- semble que le contexte des deux extraits est trop différent pour que l’idée traient une assez grande mansuétude. Il est vraisemblable d’assimiler un sage de Ḥarrān retiré du monde et enseignant l’astrologie à qu’on a voulu attribuer aux tenants de la « religion d’Her- Zoroastre au dieu Hélios ne fasse sens. mès » une sorte de « code juridique » qu’ils n’avaient pas 204) On lit chez al-Mubashshir ibn Fātik, Muḫtāral-ḥikam, p. 8.14 Badawī : « … le deuxième est son fils *Āwus… (wa-al-ṯānī ibnuhu en réalité, mais qui correspondait à ce que l’on attendait des Āwus) ». Les graphies *Āwus et *Zws sont assez similaires (raccourcisse- adeptes d’une religion abrahamique. ment du alif, alors confondu avec un zayn). C’est le texte d’Ibn al-Qifṭi qui Les allusions au CorpusHermeticum (le rôle donné à semble être le meilleur, pour ce paragraphe. l’Egypte, la mention des protagonistes des traités que sont 205) Le dédoublement du mīm revêt une certaine importance dans la mesure où Amon et Ammon sont deux divinités différentes. Celui-ci est Asclépius, Tat et Ammon d’une part, mais aussi l’allusion indiqué par la présence d’une shadda dans le texte d’Ibn al-Qifṭī sans qu’il que fait dans l’Asclépius le Trismégiste à son grand-père soit possible de savoir si celle-ci a été ajoutée par les éditeurs ou si elle se Hermès et même la référence aux qualités prophétiques trouvait dans les manuscrits. Un « roi Ammon », inconnu par ailleurs, est d’Agathodémon et d’Hermès) sont donc trop nombreuses le dédicataire du traité XVI du Corpus Hermeticum, les Définitions d’AsclépiusauroiAmmon. On trouve dans ce même traité l’annonce de pour que l’on puisse analyser le texte sans les relever. C’est l’envoi d’un traité réunissant les enseignements les plus importants, qui pourtant l’erreur que commet Van Bladel en cherchant à pourrait être l’Asclépius (cf. J.-P. Mahé in H. Poirier et J.-P. Mahé (éds.), prouver dans des pages par ailleurs très riches (AH, pp. 135- EcritsGnostiques,LaBibliothèquedeNagHammadi, Paris, 2007, p. 992 151) sur la transmission des extraits de chronographies introd. à NH VI,8). 206) Le texte d’Ibn Fātik est un peu différent : « et le quatrième *Āmūn grecques via Eusèbe, Panodorus, Annianus et le Syncelle — qui est *ABSYLWḪS » qui pourrait être émendé « …*Ammūn… Abū dont il montre qu’ils étaient bien connus des savants de Sīlūḫus » c’est-à-dire « Ammon, le père de Séleucos ». Séleucos est par- l’époque abbasside — que les informations connues sur les fois associé à Hermès (cf. G. Fowden, TheEgyptianHermes [ref. supra n. 7], p. 173) mais il est généralement identifié dans ce contexte à un phi- losophe connu aussi de Jamblique. Dans le cas de la légende des « quatre 208) Le texte d’Ibn al-Qifṭī porte « *BSYLWḪS », où le bāʼ initial est rois de la terre » que nous avons dans les textes d’Ibn Fātik et d’Ibn le résidu d’une préposition verbale mal interprétée, comme le prouve la al-Qifṭī, il s’agit plus vraisemblablement du souverain séleucide, qui reçoit citation parallèle d’Ibn Fātik où on lit avant le commencement du testament ici la même légitimité que celle qui fut conférée par l’oracle de Zeus- proprement dit « wa-waṣābi-Sīluḫūs » où l’usage du verbe waṣā entraîne Ammon à Alexandre le Grand à la suite de sa visite au sanctuaire de Siwa la préposition bi-. dans le désert libyen. Sans qu’il soit possible de tirer quelque argument que 209) La longue gnomologie attribuée à Hermès par al-Mubashshir ibn ce soit de cette division mythique de l’oikouménè qui semble s’inspirer Fātik dans son Muḫtāral-ḥikam montre l’usage de plusieurs sources com- d’une liste tronquée ou mal interprétée, il nous faut néanmoins mentionner pilées les unes à la suite des autres sans grand souci de cohérence. Une l’existence de pièces de monnaie sud-arabiques portant la mention partie des sentences suit le modèle « Le roi doit… (yanbaġīli-l-malik d’Alexandre le Grand, peut-être assimilé au dieu Shammash (=Hélios, an…)», lequel correspond au grec « Prepeitôbasilei », comme l’a mon- lequel avait lui-même été assimilé à Ammon), cf. A. Prioletta, « The tré F. R. Adrados, GreekWisdomLiteratureandtheMiddleAges.TheLost Sabaic Inscription A-20-216 : a new Sabaean-Seleucid synchronism », GreekModelsandTheirArabicandCastilianTranslations, Bern, 2009 ProceedingsoftheSeminar forArabianStudies, 41, 2011, pp. 283-294. [traduit de Id., Modelosgriegosdelasabidaríacastellanayeuropea: 207) Il faut cependant se méfier d’une terminologie qui peut paraître literaturasapiencialenGreciaylaedad, Madrid, 2001], p. 173, et « trop islamique », lorsqu’elle dérive simplement de mots appartenant au la collection utilisée se poursuit au travers de plusieurs chapitres (Hermès même substrat lexical araméen, comme le montrent par exemple les titres et Seth mais aussi Pythagore, cf. F. R. Adrados, loc.cit.) pour lesquels il syriaques des traités de Thābit ibn Qurra consacrés au domaine religieux n’y avait semble-t-il pas assez de « matière ». Notons cependant que les (cf. AH, p. 93 et Barhebraeus, Syriac Chronicle, p. 168 Bedjian). Même gnomologies des chapitres Pythagore et Hippocrate dans le Muḫtār phénomène chez Ḥunayn b. Isḥāq, qui utilise lui aussi des vocables dont al-ḥikam contiennent d’authentiques fragments attribués à ces auteurs aussi l’usage pourra par la suite être privilégié dans le contexte de la théologie dans les sources classiques. islamique (par ex. celui de sunna), bien que leur emploi soit à comprendre 210) Cf. Ibn Fātik, Muḫtāral-ḥikam, pp. 4.5-5.5 Badawī et traduction in chez ce natif d’al-Hira dans leur sens premier, avant l’existence d’un lex- E. Cottrell, « Adam and Seth in Arabic Medieval Literature » (réf. supra ique technique scientifique ou doctrinal qui est alors encore en formation. n.197), pp. 523-525.

998291_Bior2015_3-4_01.indd8291_Bior2015_3-4_01.indd 330330 88/10/15/10/15 009:079:07 387 « L’HERMÈS ARABE » DE KEVIN VAN BLADEL 388

trois Hermès proviennent toutes d’Abū Maʻshar. C’est en descendants d’Asclépius, lequel était tellement doué en définitive le Pseudo( ?)-Manéthon qui serait à l’origine médecine que certains disaient qu’il était prophète et d’autre d’une légende de deux Hermès (AH, pp. 161-162), plutôt que qu’il était un ange (AH, p. 159, §E).213) L’A. se concentre sur la mention de deux Hermès dans l’Asclépius et d’un troi- la brève citation d’al-Kindī, selon lequel un ouvrage sur les sième Hermès chez l’empereur Julien, qui aurait selon lui animaux venimeux serait à attribuer au troisième Hermès, joué un rôle essentiel dans la transmission de la légende (AH, bien qu’aucune indication quant à l’ouvrage d’al-Kindī dont p. 133). Ce faisant, il passe un peu rapidement sur la date du ceci est tiré ne soit donnée. La syntaxe du texte (AH, p. 158, Syncelle (m. après 810) et il omet d’indiquer qu’Abū Ma῾shar §D) montre qu’il s’agit d’une glose à l’intérieur du dévelop- avait fréquenté, comme de nombreux autres lettrés à son pement sur Asclépius, dont on a vu qu’il est identifié par Ibn époque, la bibliothèque de l’un des principaux savants de la Nubāta à Apollonius.214) C’est cette glose que Van Bladel bibliothèque de la cour (la célèbre Baytal-ḥikma, où se trou- suggère de rapprocher du « Livre sur les animaux venimeux vaient la bibliothèque palatiale et sans doute aussi une col- (Kitābal-Ḥayawānḏawātal-sumūm) » que Ṣā῾id al-Andalūsī lection d’instruments scientifiques et un scriptorium), Yaḥyā attribuait à Hermès II (cf. AH, p. 130) et qu’Ibn Juljul, Ibn b. Abī Manṣūr, dont héritera son fils ῾Alī ibn al-Munajjim.211) al-Qifṭī et Ibn Abī Uṣaybi῾a attribuent à Hermès III immé- Les informations dont il disposait étaient donc connues de la diatement après une glose sur Babylone « la ville des Chal- plupart des savants de son époque. Les biographies d’Abū déens » (cf. AH, p. 126, §6), qui fait elle-même suite à la fin Ma῾shar (ca 787-886) nous indiquent que celui-ci aurait de la citation d’Abū Ma῾shar (AH, p. 126, §5) sur Hermès I commencé ses études scientifiques à l’âge de 47 ans, sous la et Hermès II chez ces auteurs.215) tutelle d’un proche d’al-Kindī (Barhebraeus, Muḫtaṣaral- Le plus surprenant est de trouver ici que l’A. admet sou- duwal, p. 149 Ṣālḥānī). Il avait composé un ouvrage sur les dainement (AH, pp. 160-161) qu’il pourrait s’agir de la temples (Fībuyūtal-῾ibāda)où il évoquait aussi ceux des connaissance par al-Kindī d’ouvrages authentiquement her- Ḥarrāniens, mais l’A. rejette le témoignage d’al-Bīrūnī sur métiques qui l’a amené à connaître cet écrit du troisième cet ouvrage comme inconsistant, tout en admettant qu’il a Hermès, contrairement à la ligne qu’il a suivi par ailleurs tout put servir à al-Mas῾ūdī pour sa description des temples de au long de l’ouvrage. Plus étonnant encore est le fait que l’A. Ḥarrān (AH, p. 82). Thābit b. Qurra et Abū Ma῾shar appar- suggère que c’est aussi cette ligne de transmission qui tenaient pourtant tous deux au cercle du calife al-Mu῾tamid explique la connaissance qu’a al-Kindī du fait qu’Hermès (r. 892-902).212) avait un disciple nommé Asclépius (AH, p. 161). Cette En comparant la citation du Kitābal-ulūf chez Ibn Juljul, reconnaissance paraît bien tardive, et admettre l’influence Ibn al-Qifṭī et Ibn Abī Uṣaybi῾a à un court extrait parallèle d’al-Kindī (m. 873) implique selon nous une révision com- qu’il découvre chez Ibn Nubāta, qui écrit au début du qua- plète des chapitres qui précèdent. torzième siècle (AH, pp. 157-159), Van Bladel suggère le Les éléments relatifs à la religion des païens de Ḥarrān, rôle possible d’al-Kindī dans l’apport d’informations sur un connus déjà d’al-Kindī et de son disciple al-Sarakhsī (d’après troisième Hermès dont il n’a pas trouvé la trace dans les le récit que nous en fait Ibn al-Nadīm citant un texte d’al- chroniques chrétiennes. Ceci contredit un chapitre antérieur Sarakhsī dans lequel ce dernier rapporte d’après son maître dans lequel il avait été écarté comme transmetteur potentiel al-Kindī), mais aussi d’Ibn Fātik et d’Ibn al-Qifṭī se retrouvent d’éléments relevant de l’hermétisme alexandrin (AH, en partie à nouveau chez Barhebraeus, dans un arrangement pp. 87-90). L’A. note cependant la mention — connue de un peu différent, et avec la mention explicite de traités longue date — dans le Fihrist d’Ibn al-Nadīm d’un traité d’Hermès à son disciple Tat (Ṭāṭī). Cette partie du texte est intitulé Surl’unitédivine(Fīal-tawḥīd), dédié par Hermès à négligée par l’A., qui mentionne seulement en passant l’ex- son fils, et dont al-Kindī avait dit à son disciple al-Sarakhsī trait de Barhebraeus relatif aux biographies d’Hermès, le que les Ḥarrāniens le considéraient comme un traité doctrinal considérant comme il l’avait fait pour la liste des ouvrages important (AH, p. 89). Mais son analyse du court extrait composés ou traduits par Thābit b. Qurra en syriaque comme d’Ibn Nubāta, un auteur tardif (1287-1366) qui connaissait dérivé et secondaire et bien que Barhebraeus indiquait avoir très certainement les ouvrages déjà cités d’Ibn Juljul, Ibn fait l’acquisition d’une partie d’entre eux. Il n’est pas anodin Fāṭik, Ibn al-Qifṭī et Ibn Abī Uṣaybiʻa, est à nouveau par- tielle. Les paragraphes qui encadrent la citation d’al-Kindī concernent Asclépius, qu’Ibn Nubāta identifie à Balīnūs 213) Van Bladel (AH, p. 159, n.163) cite les doutes de Ursula Weisser (Apollonius de Tyane). Plusieurs erreurs grotesques sont quant à attribuer la citation d’Ibn Nubāta à Abū Maʻshar et affirme que les paragraphes A à D inclus sont très certainement de lui. Ceci incluerait donc ainsi mêlées par Ibn Nubāta aux informations qu’il rapporte : l’assimilation de Balīnūs à Asclépius et la théorie des noms « à selon lui, Asclépius s’appelait originellement Bālinūs, mais rallonge ». son nom avait été rallongé pour souligner sa maîtrise des 214) Comme on l’a vu plus haut dans le récit d’Ibn Abī Uṣaybiʻa, sciences, comme dans le cas d’Aristote, qui ayant d’abord été Asclépius et Hermès se voient gratifiés d’un périple indien qui semble ne faire écho à aucune source classique. L’explication se trouve chez Ibn nommé Arisṭū fut par la suite appelé Arisṭūṭālīs (AH, p. 158, Nubāta, qui identifie ici semble-t-il avec raison cet « Asclépius » à « Apol- §C). Dans la même veine, Euclide aurait été l’un des lonius », car c’est dans la Vied’ApolloniusdeTyanepar Philostrate (1.19- 3.58 Jones) que se trouve le récit de son voyage en Inde avec son comparse « Damis », qui pourrait avoir été confondu avec Hermès. La référence faite 211) ʻAlī b. Yaḥyā al-Munajjim, fils de Yaḥyā b. Abī Manṣūr l’astronome, par Ibn Nubāta aux talismans (AH, p. 158, §D) confirme la confusion avec possédait une bibliothèque privée importante qui était fréquentée par Abū Apollonius. Maʻshar, selon Yāqūt, Muʻğamal-udabāʼ, éd. A. F. Rifāʻī, Le Caire, 1936- 215) Il aurait fallu rappeler qu’un tel ouvrage a été publié par M. Ullmann, 1938, vol. V, p. 459 et p. 467. C’est à ʻAlī b. Yaḥyā que Ḥunayn b. Isḥāq Das Schlangenbuch des Hermes Trismegistos, Wiesbaden, 1994. Ce dédia son épître sur les traductions de Galien. « Commentaire sur les vipères, les scorpions et l’ensemble des animaux à 212) Le mentor de Thābit, Muḥammad ibn Shākir b. Mūsā, avait été élevé venin et leurs thériaques (ŠarḥkitābHirmisal-ḥakīmfīmaʻrifatṣifat avec ses frères à la cour d’al-Maʼmūn (leur père, un astronome, ful l’un des al-ḥayyātwa-l-ʻaqāribwa-ğamīʻḏawātal-sumūmwatarāyīqihā) » se proches de ce dernier à Merv, où il se trouvait avant d’accéder au califat en présente comme dédié par Hermès à son disciple Asclépius (cf. loc.cit. 813). A Baghdad, le précepteur des Bānū Mūsā fut Yaḥyā b. Abī Manṣūr. p. 15).

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sans doute qu’Ibn al-Qifṭī qui mourut à Alep alors que de] trois. Le premier est Hermès, qui habitait l’extrême Sud Barhebraeus — Aḫbāral-ḥukamā᾿, né non loin de là à Méli- de l’Egypte (al-sākinbi-Ṣa῾īdMiṣral-a῾lā). Il fut le premier à tène/Malatya — avait une vingtaine d’années, rapporte avoir parler des substances célestes (al-ǧawāhiral-῾ulwiyya) et il eu en sa possession certains écrits autographes d’al-Muḥassin prédit le Déluge, craignant la disparition des sciences. Il se mit ᾿ à étudier les techniques (al-ṣanā᾿i῾)et il construisit les pyra- b. Ibrāhīm b. Hilāl al-Ṣābi , parmi lesquelles des listes qu’il mides, y représentant l’ensemble des arts et des outils (ǧamī῾ avait établies des œuvres de Thābit b. Qurra (cf. p. 116.3- al-ṣinā῾ātwa-l-ālāt). Il y inscrivit [aussi] les catégories de 119.21 Lippert) et de celles de son fils Sinān b. Thābit (cf. sciences, soucieux de les conserver éternellement pour qui loc.cit., p. 195 Lippert). On trouve parmi celles-ci une tra- viendrait après lui. Le deuxième est Hermès le Babylonien. Il duction par Sinān d’un ouvrage composé en syriaque par vécut en Chaldée (Kalwāḏā), la ville des Chaldéens (al-Kal- Thābit sur les Loisd’Hermèsetlesécritssacrésetprières daniyyin). Il se situe après le Déluge et il fut le premier à selonlesquellesprientlesSabéens .216) Ibn al-Qifṭī évoque construire la ville de Babylone (Bābil) après Nemrod fils de ensuite les ouvrages autographes de Thābit qu’il connaissait Kūsh (NimrūdibnKūš). Le troisième est Hermès l’Egyptien, ou qu’il possédait et il donne une liste de ses ouvrages et il est celui qu’on appelle Trismégiste (Ṭrīsmīğīsṭīs) ou « Triple en sagesse », car il fut le troisième des Hermès syriaques (loc.cit., p. 120.14-21 Lippert). Quelques décen- savants (ṯāliṯal-harāmisaal-ḥukamā᾿). Une partie de ses écrits nies plus tard, Barhebraeus, évêque de Mélitène/Malatya au (ṣuḥufihi)fut transmise (nuqilat), et ce sont des extraits de ses moment de l’invasion mongole, donnera lui aussi une liste traités (maqālātihi) à son disciple Ṭāṭ (Ṭāṭī)218) en forme de des œuvres syriaques de Thābit, plus longue que celle d’Ibn questions et de réponses. Mais ils sont [conservés] sans ordre al-Qifṭī (qui énumère par ailleurs quatre-vingt dix titres ni continuité car le manuscrit original avait été endommagé arabes). Barhebraeus fut témoin de l’invasion mongole de la par l’eau et démonté. La copie que nous en avons est en Syrie, et il devint médecin de la cour à Maragha, où il eut syriaque. l’occasion de côtoyer les astronomes et les scientifiques les On rapporte que le premier Hermès construisit cent quatre- plus importants de son époque, parmi lesquels Naṣīr al-Dīn vingt villes, dont la plus petite était Edesse. Il prescrivit aux hommes l’adoration de Dieu, le jeûne, la prière, et l’aumône, Ṭūsī. Sa connaissance des écrits disponibles en Syrie, en Irak et de fêter l’entrée des planètes (al-sayyāra)dans leur propre et en Iran, dans les meilleures bibliothèques de son temps ne maison et dans leur signe d’exaltation, à chaque nouvelle fait donc aucun doute. Ṭūsī lui-même, auprès duquel Barhe- lunaison et lorsque le soleil entrait dans l’une des douze braeus étudia, connaissait parfaitement la littérature astrono- constellations du zodiaque. Et qu’ils donnent en offrande les mique composée en langues arabe et persane, c’est-à-dire premiers de chaque (bākūratihā) : premiers fruits, premières sans doute aussi bien les écrits attribués à Hermès (le Chal- fleurs, premiers-nés des animaux, et vin nouveau. Il interdit déen/Babylonien ?) que les traductions scientifiques réali- l’ivresse et les mets impurs.219) Les Sabéens affirment que Seth fils d’Adam est Agathodémon sées par Thābit b. Qurra ainsi que les écrits de ses descen- 220 dants sur l’astronomie, laquelle était déjà un sujet de l’Egyptien, le maître d’Hermès. Le roi Asclépiadès ) prédilection pour Ibn al-Qifṭī tout au long de ses Aḫbār (Asqlībiyāḏīs) était l’un de ceux qui avait reçu la science ᾿ d’Hermès, et ce dernier lui donna de régner sur un quart du al-ḥukamā . Il n’y a donc pas lieu de douter, comme le fait monde alors habité, et ce fut le quart que possédèrent les Van Bladel, de la valeur des informations rapportées par Grecs après le Déluge. Et lorsque Dieu éleva Hermès auprès deux savants de l’envergure d’Ibn al-Qifṭī et de de lui221), Asclépiadès fut saisi d’un profond chagrin, regret- Barhebraeus. tant que sa grâce et son savoir quittent [ainsi] la terre. Il fit On lit dans la Chronique abrégée des Etats (Ta᾿rīḫ fondre une statue à son image et il la disposa dans un temple muḫtaṣaral-duwal) de Barhebraeus les informations sui- qu’il lui dédia. La statue dépeignait parfaitement sa dignité et vantes à propos des Hermès, lesquelles sont insérées dans la la force du respect qu’il inspirait. Puis il le fit représenter chronologie biblique à propos du patriarche Hénoch, sep- s’élevant vers le ciel. Et parfois, il s’animait devant lui, ou il s’asseyait et disait quelque chose de ses sentences et de ses tième à partir d’Adam. Il mentionne au passage un écrit dont préceptes sur l’adoration (al-῾ibāda). Après le Déluge, les on peut penser qu’il se rattache au Corpus hermeticum, les Grecs crurent que l’image (al-ṣūra)était celle d’Asclépiadès, DiscoursàTat : et ils lui rendirent les plus grands honneurs (῾aẓẓamūhuġāyat Les plus anciens parmi les Grecs affirmaient qu’Hénoch est al-ta῾ẓīm). […] Hermès et qu’il est surnommé Trismégiste (Ṭrīsmīğīsṭīs), ou « le Triple en savoir », car il décrivait le Créateur selon trois Ces éléments auraient d’autant plus mérité d’être analysés attributs essentiels (ṣifātḏātiyya), qui sont l’Etre (al-wuǧūd), qu’ils sont connus depuis les travaux de Chwolsohn il y a la Sagesse (al-ḥikma) et la Vie (al-ḥayāt).217) Et les Arabes plus d’un siècle et qu’ils ont donc été étudiés par des géné- l’appellent Idrīs. On rapporte que les Hermès sont [au nombre rations d’orientalistes — à l’exception du Muḫtār al-ḥikam

216) Van Bladel (AH, p. 93) interprète la phrase comme signifiant que l’ouvrage était de Sinān, dont la liste des écrits était recopiée d’une liste 218) Le yāʼ final correspond sans doute au olaf du titre syriaque transmise par al-Muḥassin, mais le texte « mintaṣānīfihimānuqilamin original. ḫaṭṭal-Muḥassinb.Ibrāhīmb.Hilālal-Ṣābīʼ… » (Ibn al-Qifṭī, Aḫbār 219) Al-Sarakhsī apud Ibn al-Nadīm et al-Mubashshir ibn Fātik (dont al-ḥukamā᾿, p. 195.6-7 Lippert) peut signifier que ce dernier avait copié les l’A. remarque — avec quelques hésitations — que leurs textes montrent ouvrages en question, ce qui expliquerait qu’une partie des titres d’ouvrages plusieurs parallèles qui pourraient remonter à la traduction du livre sur les composés en syriaque par Thābit (dont la liste se trouve chez Barhebraeus) lois d’Hermès par Sinān b. Thābit, cf. AH, p. 188) ont ici le détail de ces est donnée comme « ayant été traduite en arabe » par Sinān b. Thābit mets impurs (porc, chameau, âne, chien, oignon, haricots, alcool). De ces (« wa naqala ilā al-ʻarabī Nawāmīs Hirmis wa-l-suwar wa-l-ṣalawāt interdits alimentaires, le cadi ʻAbd al-Jabbār (m. 1025) ne relève que les al-latīyuṣallībihāal-Ṣābiʼūn », cf. loc.cit., p. 195.12-13 Lippert). fèves, cf. G.S. Reynolds et S. Khalil Samir (éd. et trad.), ʻAbdal-Jabbār. 217) Peut-être faut-il voir là une référence à l’une des triades auxquelles ACritiqueofChristianOrigins.Taṯbītdalāʼilal-nubuwwa, Provoh, 2010, se réfèrent les Néoplatoniciens. Barhebraeus et Ṣāʻid al-Andalūsī (Ibn p. 111. al-Qifṭī, Aḫbāral-ḥukamā᾿, p. 73 Bū ʻAlwān) connaissent eux aussi une 220) La confusion entre Asclépius et Asclépiadès pourrait provenir de la triade des attributs de l’Un à propos de la doctrine d’Empédocles. La source variabilité des règles en matière de transcription de noms grecs en de celle-ci pourrait être une version perdue de la Doxographie du syriaque. Pseudo-Ammonios. 221) Allusion à Coran 19.56-57, où il s’agit d’Idrīs (= Hénoch).

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d’Ibn Fātik qui ne fut publié qu’en 1958. Van Bladel sou- Le fait que les textes dans lesquels Ṭāṭ apparaît chez Ibn ligne lui-même l’existence de parallèles entre les notices al-Qifṭī sont associés dans une partie des manuscrits d’Ibn d’al-Mubashshir b. Fātik et d’Ibn al-Qifṭī (AH, p. 230), bien Fātik à Ṣāb, donné comme fils d’Idrīs et ancêtre des que le premier abrège parfois la source plus que ne le fait Ibn Sabéens 226) pourrait donner foi au témoignage de Abū Īṣā al-Qifṭī, tout en possédant des passages originaux dont il est al-Qaṭay῾ī selon lequel c’est après leur rencontre avec difficile de dire s’ils les a lui-même ajoutés.222) Le récit d’al- al-Ma᾿mūn que les Ḥarrāniens s’étaient efforcés de se doter Mubashshir ibn Fātik, dont Van Bladel relègue l’analyse en de prophètes et d’un livre sacré (cf. Ibn al-Nadīm, al-Fihrist, toute fin d’ouvrage (AH, pp. 184-193), aurait certainement p. 385 Tajaddod). Ils pourraient s’être ensuite rattachés aux pu être étudié aux côtés des extraits d’al-Kindī transmis par « Sabéens » (nom sous lequel on désignait aussi — entre son disciple al-Sarakhsī et des autres sources utilisées par Ibn autres sectes desquelles nous savons trop peu de choses — al-Nadīm dans sa longue description de la religion des les Mandéens) en arrivant à Baghdad pour être identifiés Sabéens de Ḥarrān (pp. 383-391 Tajaddod ; pp. 746-773 comme appartenant à l’une des « religions du livre » et trad. Dodge). Tout en suggérant que la source commune de s’être doués d’une pseudo-législation dont le Testament ces deux textes pourrait être un récit transmis par les Sabéens d’Ammon serait l’un des vestiges. Mais la circulation d’écrits de Baghdad (AH, p. 203, p. 218) et peut-être même d’un hermétiques proches des traités philosophiques du Corpus ouvrage sur les lois d’Hermès traduit par Sinān b. Thābit, Hermeticum ne fait pas de doute, de même que la longue l’A. omet de noter qu’Ibn al-Nadīm (p. 391 Tajaddod) men- liste des écrits et des traductions scientifiques de Thābit b. tionne expressement une source largement diffusée à son Qurra montre une connaissance des mathématiques, de la époque et qui était constituée d’un ouvrage sur les lois des géométrie, et de l’astronomie qui dépassait celle de ses col- Sabéens de Ḥarrān qu’un juge musulman appointé à Ḥarrān lègues baghdadiens et qui rend donc sa connaissance de avait fait traduire. Quant aux détails sur les festivals des larges pans de la littérature néoplatonicienne assurée.227) Ḥarrāniens et sur les mystères auxquels ils étaient initiés, ils Pour conclure, les textes relatifs à Hermès Trismégiste et ne sont pas pris en compte par l’A. dans son analyse des aux ouvrages attribués par la tradition arabe à des person- témoignages sur les « Sabéens de Ḥarran », auxquels il nages désignés comme « Hermès le Chaldéen/le Babylo- consacre pourtant un chapitre qui occupe presque le quart de nien », « Hermès des Hermès », « Hermès le Triple en l’ouvrage (AH, pp. 64-118). Bienfaits » ou encore « Hermès l’Egyptien » devront être Abū Ma῾shar pour sa part, n’hésitait pas à identifier le étudiés en évitant les écueils méthodologiques dont nous premier Hermès au prophète dont se réclamaient les avons donné un aperçu. Il va sans doute qu’un objet de Ḥarrāniens de son époque, cette communauté de Païens (dont recherche aussi transversal que la transmission des écrits certains se disaient « descendants d’Héraclès », cf. Ibn attribués à Hermès ne peut entièrement éviter les erreurs et al-Nadīm, al-Fihrist, p. 390 Tajaddod) héritiers des cultes imprécisions, et nous espérons avoir fourni des pistes qui mystériques de l’Orient hellénistique bientôt islamisés dont sans que l’on puisse espérer qu’elles sont toutes valides, plusieurs représentants s’étaient installés à Baghdad. Mais viendront en complément de celles qu’offre Van Bladel. Un s’étant efforcé dans un long chapitre (AH, pp. 64-118) de réexamen du dossier ne devra pas négliger les disciples et nier toute possibilité de continuité entre les croyances des comparses d’Hermès Trismégiste : Agathodémon, Tat, païens de Ḥarrān et celles de leurs descendants à Baghdad, Asclépius et Ammon. Quant au point de départ naturel de l’A. n’est pas prêt à s’amender.223) Pour Van Bladel, les réfé- cette étude, il se trouve dans les inventaires de Fuat Sezgin rences à Agathodémon224), Tat, Ammon et Asclépius chez et de Manfred Ullmann, et la bibliographie assemblée par Ibn Fātik, qui leur consacre des extraits séparés, ne peuvent Kevin van Bladel pourra constituer une base solide. L’apport se rattacher aux Hermetica (AH, p. 201).225) De même, le de la littérature astrologique à cette tradition ne doit certes parallèle découvert par Franz Rosenthal entre les extraits pas être négligé, mais celle-ci ne peut constituer le seul vec- d’Hermès Trismégiste rapportés par Cyrille d’Alexandrie et teur d’entrée des légendes d’Hermès dans l’Orient musul- Stobée et une gnomologie composée au début du neuvième man. A côté de ce type d’écrits, la philosophie alexandrine, siècle par Ibn Durayd est accidentel, lié à la diffusion des qu’elle s’incorpore à l’hermétisme pré-chrétien, qu’elle gnomologies grecques (AH, p. 198). La même chose vaut adopte les références de la tradition judéo-chrétienne, ou semble-t-il pour la traduction du Kyranis (AH, p. 30, n. 34). qu’elle s’identifie au néoplatonisme, devra elle aussi être prise en compte, dans toute sa complexité. 222) En particulier le discours d’Asclépius sur les prophètes à venir et les signes de reconnaissance de la prophétie. Le texte d’Ibn Fātik, qui écrit Appendice I: Abū Sahl ibn Nawbakht apud Ibn al-Nadīm dans le contexte ismaélien de la cour fatimide où la notion d’un prophète à venir ne devait pas choquer, est aussi dans la bouche de Hermès/Hénoch/ A la suite de Nallino, dont nous avons brièvement rappelé Idrīs une annonce de la prophétie de Muḥammad, annonce qui appartient ci-dessus les recherches (cf. supra chap. 7.2), David Pingree, aux lieux communs de la littérature des commentaires coraniques, où divers prophètes ou semi-prophètes annoncent un prophète qui a souvent tous les traits de Muḥammad (cf. Muḫtāral-ḥikam, p. 28 Badawī). 223) AH, pp. 64-114. Pourtant, l’A. (AH, p. 103, n.175) cite un article de 226) Van Bladel (AH, p. 218) note que Ṣāb est mentionné par al-Masʻūdī, Charles Burnett dans lequel celui-ci établit sans aucun doute possible que qui écrit presque un siècle avant al-Mubashshir ibn Fātik. Thābit décrit des talismans identiques à ceux que l’on connaît par les traités 227) R. Rashed (éd.), ThābitibnQurra.ScienceandPhilosophyinNinth- « hermétiques » attribués à Aristote. CenturyBaghdad, Berlin, 2009. Ibn al-Nadīm affirme que c’est de Ḥarrān 224) Cf. M. Plessner, « Agathodémon », EI2, pp. 254-255. Selon le que l’usage de l’astrolabe s’était répandu dans l’empire abbasside, avant Pseudo-Manéthon, il fut l’un des souverains de l’Egypte durant l’âge d’or l’époque où Thābit vint à Baghdad, et alors que d’autres Ḥarrāniens s’y de celle-ci, lorsque les dieux y régnaient. trouvaient (cf. al-Fihrist, p. 342 Tajaddod). L’un des premiers traducteurs 225) Ceci va à l’encontre de l’opinion de Franz Rosenthal (cf. de la bibliothèque palatiale abbasside fut Salm al-Ḥarrānī, duquel on sait F. Rosenthal, « Al-Mubahshir ibn Fâtik. Prolegomena to an abortive edi- assez peu de chose sinon qu’il vécut un demi-siècle avant que Thābit b. tion », Oriens, 13-14, 1960-1961, pp. 132-158), qui y décelait une empre- Qurra ne vienne à Baghdad (cf. J. Lameer, Al-FārābīandAristotelianSyl- inte égyptienne évidente. logistics:GreekTheoryandIslamicPractice, Leiden, 1994, p.12).

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qui allait devenir un spécialiste mondialement reconnu de avaient toutes les caractéristiques de la légende (« a tale ») l’histoire de l’astrologie, réutilisa à son tour l’extrait du et il proposa dans son étude du Kitābal-Ulūf d’Abū Ma῾shar Fihrist sur lequel le savant italien avait attiré l’attention.228) une juxtaposition de textes que l’on retrouve dans l’argumen- Dans cet extrait, Ibn al-Nadīm cite le Kitābal-*Nahmaṭān229), tation de Van Bladel: Abū Ma῾shar, Ibn Juljul, le Denkard un ouvrage perdu d’Abū Sahl ibn Nawbakht, célèbre astro- et l’extrait d’Ibn Nawbakht apud Ibn al-Nadīm.232) L’historien logue de la cour abbasside qui avait hérité de la charge de des sciences qu’était Pingree avait tenté avec ces sources de son père dès la fin du règne d’al-Manṣūr (r. 755-775), et qui prouver l’antiquité des théories dont Abū Ma῾shar avait la conserva semble-t-il sous les règnes d’al-Mahdī (r. 775- connaissance tandis que Van Bladel les reprend pour en faire 785), d’al-Hādī (r. 785-786) et de Hārūn al-Rashīd (r. 786- des témoins de la transmission d’écrits attribués à Hermès en 809). Abū Sahl al-Faḍl ibn Nawbakht était le fils d’al- Iran sassanide. Ces textes étaient déjà bien connus de Ber- Nawbakht l’un des astrologues qui avaient participé à thelot, Blochet, Bidez, Cumont, Festugière et Massignon et l’horoscope de la fondation de Baghdad sous al-Manṣūr.230) de tout ceux qui s’intéressèrent à la question de la transmis- Le passage que nous citons ci-après présente un caractère sion de la littérature oraculaire ou de l’astrologie et de l’al- apologétique qui ne laisse aucun doute sur le fait que l’auteur chimie, ainsi que des spécialistes de l’empire sassanide, mais enjoint par ce biais les nouveaux maîtres de Baghdad à imiter seul Van Bladel en propose une « lecture naïve », malgré les « Anciens », de même que l’avaient fait selon lui les l’imbrication évidente et parfois maladroite de matériaux Sassanides, anciens maîtres de la Perse et de l’Irak qui mythiques et légendaires. Ce qu’il considère comme « la avaient régné pendant les quatre siècles précédant l’arrivée plus ancienne histoire des sciences en langue arabe (theear- de l’Islam depuis Ctésiphon, non loin de la future Baghdad. liestknownhistoryofscienceinArabic)»233) est présenté ici Le rôle central de Babylone, dont Van Bladel voudrait qu’il avec des commentaires destinés à apporter non pas une soit le signe d’une source sassanide, me semble au contraire lecture définitive de ce texte, mais à mettre en lumière cer- être l’indice de l’usage par Abū Sahl ibn Nawbakht de tains échos de ce texte à une source négligée par Pingree et sources diverses qui portent à leur tour des traces de l’in- Van Bladel, le Livredes Géants. 234) fluence d’autres groups ethniques et religieux qui se ratta- «Abū Sahl ibn Nawbakht dit [ceci] dans le Kitāb chaient eux à l’ancienne Babylonie/Chaldée. En effet, les al-*Nahmaṭan 235) : “Le nombre des sciences a augmenté, Juifs d’Irak, les Syriaques de Mésopotamie, mais aussi les ainsi que les différentes sortes de livres, les types d’interro- païens de Ḥarrān se rattachent tous à un passé légendaire gations 236) et les méthodes [astrologiques] (wa-wuǧūh dans lequel la Babylonie joue un rôle central.231) al-masā᾿ilwa-l-ma᾿āḫiḏ) dont on dérive les indications des Pingree considéra initialement que les informations trans- astres quant aux événements qui se préparent avant que leurs mises dans le récit décousu que nous rapporte Ibn al-Nadīm prémisses n’apparaissent.237) La connaissance qu’en ont les gens [aujourd’hui] est identique à ce qu’en avaient décrit 228) D. Pingree, TheThousandsofAbūMa῾shar, Londres, 1968, p. 9. Contrairement à ce que le titre laisse entendre l'ouvrage ne constitue pas 232) D. Pingree, Thousands (réf. supra n. 228), pp. 3-15. Cf. AH, pp. 7-10 une édition des fragment connus du Kitabal-Ulūf (laquelle n’a toujours (Denkard); pp. 14-15 (Ibn Juljul). pas été réalisée à ce jour) mais simplement une courte introduction à cer- 233) Van Bladel, « The Arabic History of Science » (réf. supra n. 228), tains des thèmes qui y sont abordés. K. van Bladel a repris à son tour pp. 55-56, renvoie au LivredesGéants à propos du paragraphe §7 de sa l’étude du fragment d’Ibn Nawbakht dans une publication récente, cf. traduction (loc.cit., p. 46) du texte d’Ibn Nawbakht, sans remarquer les K. van Bladel, « The Arabic History of Science of Abū Sahl ibn Nawbaḫt autres parallèles. (fl. ca 770-809) and its Middle Persian Sources », F. Opwis and D. Reis- 234) G. Flügel(†), J. Roediger, A. Müller (éds.), Kitâbal-Fihrist[li-Ibn man (éds.), IslamicPhilosophy,Science,Culture,andReligion.Studiesin al-Nadīm], Leipzig, 1872 (= IN/F), pp. 238-239 ; R. Tajaddod (éd.), Kitāb HonorofDimitriGutas, Leiden — Boston, 2012, pp. 41-62. al-Fihristli-l-Nadīm, Téhéran, 13434 H.S./1965 (= IN/T), pp. 299-301 ; 229) Le titre, sans doute une transcription en arabe du pehlevi, a défié A.F. Sayyid (éd.), Ibn al-Nadīm: Kitābal-Fihrist, Londres, 2009 (= IN/S), toutes les tentatives d’interprétation. K. Van Bladel, « The Arabic History vol. II,1, pp. 131-134. Ce texte apparaît en ouverture du chapitre (bāb)VII, of Science » (réf. supra n. 228), pp. 41-42, propose de lire derrière le mot qu’Ibn al-Nadīm consacre à la philosophie et aux sciences antiques (aḫbār persan utilisé par Ibn Nawbakht l’équivalent de « fīal-mawālīd », le titre al-falāsifawa-l-ʻūlūmal-qadīma). Ce chapitre se compose d’un premier arabe explicatif qui suit immédiatement Kitābal-*Nahmaṭān. Van Bladel sous-chapitre consacré aux ouvrages de philosophie disponibles à son suggère un terme attesté dans les écrits manichéens en moyen-perse époque (= VII,1), suivis d’un deuxième sous-chapitre consacré aux mathé- « Tohmagān », qui serait devenu en graphie arabe *Tahmakān, que je ne matiques et à l’astrologie (= VII,2) et d’un troisième consacré à la méde- suis pas à-même de juger, mais dont le ductus est en effet assez proche de cine (= VII,3). celui de l’arabe *NHMṬĀN (il s’agirait alors d’une écriture sans doute 235) La majorité des manuscrits du Fihrist ont cette lecture, tandis qu’Ibn proche du semi-koufique, où le kaf peut se confondre avec un ṭāʼ). Les al-Qifṭī (p. 255 Lippert) et l’un des manuscrits de Shahrazūrī ont termes utilisés pour désigner les « horoscopes » (Ar. : mawālīd) en *al-bahmaṭān (cf. Nuzhatal-arwāḥ, p. 34, n.7 éd. Khūrshīd Aḥmad). Ni moyen-perse sont cependant zāyčag et spihr selon Rafaelli, EIr, s.v. D. Pingree, EIr, s. v. Abū Sahl b. Nawbakht, qui suggère Nahmaṭān, ni « Zāyča»(àparaître,disponibleenligneàl’urlsuivante:http://www. Gutas, GreekThought(cf. réf. supra n.43), p. 38, n.19, qui lit Naḫmaṭān, iranicaonline.org/articles/zayca). Tōhmag signifie « lignée » dans le ne trouvent d'interprétation satisfaisante. Sezgin, GAS, VII, 114 propose la Bundahišn, chap. 25, cf. P. O. Skjærvø, « Iranian Epic and the Manichean lecture Yahbuṭān. Dans une autre de ses publications, Pingree (Censusof Book of Giants. Irano-Manichaica III, » ActaOrientaliaAcademiaeScien- ExactSciencesinSanskrit, vol. 1, Philadelphia, 1970, p. 19) suggèrait de tiarumHungaricae,48, 1995, pp. 187-223, p. 218, n.76. lire Nimudar. C’est la lecture que proposait déjà Suter en 1892, cité par 230) Sur Nawbakht, l’un des astronomes d’al-Manṣūr, et les savants Dodge dans sa traduction du Fihrist, p. 651, n.67. Ce terme technique uti- issus de sa lignée, dont plusieurs s’illustrèrent comme théologiens chiites lisé en astrologie indienne désigne les points correspondants aux quatre et pour certains comme muʻtazilites, cf. F. Sezgin, GAS VII, 100-101, ainsi parties de la journée, lequels pouvaient être utilisés lorsqu’on ne connaissait que l’important article récemment publié (2013) par S. Anthony, in EIr, s. pas l’heure précise de la naissance. La lecture *Tahmakān que suggère Van v. « Nawbaḵti family » (à paraître, disponible en-ligne http://www.irani- Bladel (« The Arabic History of Science », réf. supra n. 229, pp. 41-42, caonline.org/articles/nawbakti-family). n.1) semble à ce jour l’hypothèse la plus vraisemblable. 231) Thābit ibn Qurra, dans un extrait célèbre cité par Barhebraeus se 236) Cet usage de masāʼil est conforme à celui qui en est fait dans cet proclame « païen » dans la tradition des « Chaldéens » affirmant que les autre titre d’Ibn Nawbakht : Kitābal-muntaḫalminaqāwīlal-munağğimīn croyances des Sabéens de Ḥarrān sont reprises des anciens Chaldéens; fīl-aḫbārwa-l-masāʼilwa-l-mawālīdwa-ġayrihā (p. 274.11-12 Flügel). il aurait par ailleurs composé un livre sur la généalogie des rois chal- 237) Je corrige la ponctuation proposée par Tajaddod dans son édition du déens (AH, pp. 65-66 ; p. 82, n.100 ; p. 191, cf. Fowden, EH, pp. 64-65 et texte et considère « wa-maʻrifatal-nāsbi-hā» comme le début de la Barhebraeus, ChronicumSyriacum, p. 168 Bedjan). phrase suivante.

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les Babyloniens dans leurs livres, desquels l’apprirent les ainsi que l’antique connaissance de l’histoire du monde Egyptiens, et que mirent en pratique les Indiens dans leurs qu’elle [i.e. l’astrologie ou la prophétie ?] en donne, aussi contrées, à l’exemple de ce qu’avaient pratiqué les premiers bien la conduite de sa création (siyāsaawwalihā)245), que humains (awā᾿il al-ḫalq) avant leurs accouplements238) l’état primordial de sa phase intermédiaire (wa-l-mu᾿tanaf impies, leur perpétration du mal, et leur chute dans les abîmes mintadbīrawsaṭihā) et son issue finale. [Il leur rappela de l’ignorance239), au point que leurs esprits furent voilés aussi] ce qu’il en était des habitants (sukkān)[du monde], des (labisat῾alayhim῾uqūlahum)et que [la signification de] leurs lieux des corps célestes (wa-mawāḍi῾aflāksamā᾿ihā), [avec] rêves leur devint confuse (wa-aḍallat῾anhumaḥlāmahum).240) leur parcours (wa-ṭuruqihā), leurs degrés et minutes, leurs Car selon ce qui est rapporté dans les livres quant à leurs stations (wa-manāziluhā), hautes et basses, ainsi que affaires et leurs achèvements (minumūrihimwa-a῾mālihim), leurs trajectoires (bi-maǧārīhā), et l’ensemble de leurs posi- ils furent atteints de calamités au point que leurs esprits tions (wa-ǧamī῾anḥā᾿ihā). Ceci arriva sous le roi Jam fils de furent rabaissés (mablaġanḏallalahu ῾uqūlahum)241), que Ūnjaḥān.246) leur discernement fut troublé (ḥayyaraḥulūmahum), et que Les savants apprirent [tout] cela, ils le mirent par écrit et leur religion242) fut détruite (wa-ahlaka῾alayhimdīnahum) ; ils expliquèrent ce qui avait été consigné. Puis ils décrivirent, ils devinrent confus et égarés, ne sachant plus rien. en l’expliquant, le monde et sa grandeur, l’origine de ses Il restèrent ainsi un long moment, jusqu’à ce que l’un de causes célestes, son établissement (ta᾿sīsuhā), ses étoiles, leurs successeurs leur vienne en aide243) — quelqu’un qui ainsi que la question des potions, des remèdes et des charmes était né parmi leurs descendants et issu de leur postérité, qui (wa-hālal-῾aqāqīrwa-l-adwiyawa-l-ruqan) et d’autres choses avait grandi en leur sein — en leur rappelant ces choses, et encore que les gens se procuraient avec l’intention [de faire] l’intelligence [qu’on en tirait], le savoir qui s’y trouvait,244) du bien ou du mal. Il en fut ainsi un certain temps (burhatanwa-῾aṣran), 247 238) Le Lisānal-ʻArab connaît miqārafa, « mélange, accouplement » qui jusqu’au règne d’al-Ḍaḥḥāk ibn Qayy. ) [Glose] d’un autre semble ici plus approprié que muqārafa, « peste ». [auteur] qu’Abū Sahl : « Dah-āk signifie dix calamités.248) 239) La mention des accouplements impies et de la perprétation du mal Mais les Arabes en ont fait al-Ḍaḥḥāk[lit. « celui qui rit pourrait faire référence au mythe des anges déchus, dont différentes inter- prétations sont connues : Genèse 6 :1-5 ; 1Enoch 6 :1-8 :3 ; Yasht beaucoup »]… ». On revient au récit d’Abū Sahl : […] Ibn 19 :80 ; Denkard 9.21.13 et 9.21.21. Sur la diffusion de ce mythe, cf. Qayy, durant le millénium et la part de Jupiter (fīḥiṣṣati J. Reeves, JewishLoreinManichaeanCosmogony:StudiesintheBook al-muštarīwa-nawbatihi)249), lors de son gouvernement et de ofGiantsTradition, Cincinnati, 1992. 240) Mon ami Alexander Schilling (Université de Jena) m’informe de ce qu’il s’agit de deux des trois fonctions psychiques nommées wīr, ōš et 245) Sur « l’ordre » initial (asha) et la phase intermédiaire, c'est-à-dire xrad dans les écrits pehlevis, lesquelles forment les trois « connais- le monde de l’existence (ahu)dans le zoroastrisme, cf. Skjærvø, AnIntro- sants ». Cf. A.M. Schilling, DieAnbetungderMagierunddieTaufe ductiontoZoroastrianism, 2006, pp. 13-14. La troisième phase est la « res- derSāsāniden.ZurGeistesgeschichtedesiranischenChristentumsinder tauration » (frashegird). Spätantike, Louvain 2008, pp. 24-25, qui renvoie à Denkard V 24.20a 246) Sur le roi Jam/Yima, cf. EIr, s. v. Jamšid, vol. XIV, fasc. 5, pp. 501- (p. 94/95 Amouzgar / Tafazzoli) et Wizīdagīhā de Zādspram 30.36 522 [O. Skærvø]. Certaines légendes lui attribuent la fondation de Baby- (p. 104/105 Tafazzoli/ Gignoux). On pourrait éventuellement traduire lone. Voir en outre les notes de Dodge, n. 5, p. 572 ; Pingree, Thousands aḥlām par « imagination ». (réf. supra n. 228), p. 9, n. 3 pour la bibliographie ancienne. A. Panaino, 241) En lisant wa-ḏallalahu, au lieu de dallahu dans les éditions. « Philologica Avestica VI. The Widēwdād Fragment about the Millenium 242) C’est le sens courant de dīn en arabe, mais il faut sans doute com- of Yima », in C. Cereti, B. Melasecchi, F. Vajifdar (éds.), VariaIranica, prendre ici le mot dans le sens qu’il a en moyen-perse (dēn) : « doctrine Rome, 2004, pp. 19-33, cf. n. 6, pp. 21-22 (citant Yasta XIX, 46, sur le rôle religieuse, théologie » (remarque de Alexander Schilling). du dragon Dahāka dans la mort de Yima) et dans le même volume, 243) Le LivresdesOpinionsdesphilosophessurleursdifférencesdevues H. Humbach, « Yima/Jamšēd », loc.cit., pp. 45-58. Une possible référence surlesprincipesdelacréation du Pseudo-Ammonius (éd. U. Rudolph, Die à Jamshīd roi du monde et doté d’un statut quasi-divin se trouve sur une Doxographie des pseudo-Ammonius. Ein Beitrag zur neuplatonischen pièce bactrienne du 2ème s. ap. J.-C. que discute Humbach, loc.cit., en la ÜberlieferungimIslam, Stuttgart 1989) et al-Shahrastānī dans son célèbre rapprochant du rôle de Yima dans les interprétations manichéennes du Livredesreligionsetdessectes (éd. M. Fatḥ Allāh Badrān, Le Caire, LivredesGéants. 1947-1955) donnent des précisions sur cette théorie de la prophétie dans 247) Pingree, Thousands, p. 9, s’interroge avec raison sur la présence de laquelle les prophètes sont considérés comme des « aides » divins. ce roi maudit par les Zoroastriens. Selon le Denkard 9.21.2, Dahag devient 244) On pourrait identifier ce prophète à Zoroastre bien que l’indication roi après la mort de Jam. Selon Denkard 7.4.72, Zoroastre a renversé du fait « qu’il était né parmi leurs descendants » pose problème, si tant est l’ancienne religion des sorciers de Babylone, à la tête desquels était que le texte, assez décousu, fait là référence aux prêtres babyloniens. Une al-Ḍaḥḥāk. Cette référence est donnée par Van Bladel, loc.cit. (réf. supra autre difficulté réside dans l’indication chronologique qui suit peu après, n.228), pp. 52-53, comme indication que la source d’Ibn Nawbakht serait indiquant que ces événements eurent lieu durant le règne de Jam, avec ici le Denkard, mais selon le début de notre texte, la confusion frappa les lequel Zoroastre n’est pas normalement synchronisé. Par ailleurs, diffé- hommes sous le règne de Jam, avant le règne d’al-Ḍaḥḥāk. L’Avesta associe rentes allusions à des motifs présents dans le premier livre d’Hénoch pour- ce dernier à un culte instauré dans un lieu qui a été identifié par certains rait nous inciter à suggérer comme autre piste possible une identification comme Babylone (cf. Yt. 5.29-35 and 15.19-21, selon O. Skjærvø, s. v. avec le « prophète-astronome », cf. en particulier l’étude fondamentale de Aždahā, in EIr, vol. III, fasc. 2, pp. 191-205). Le nasab « ibn Qayy » (le P.O. Skjærvø, « Iranian Epic and the Manichean Book of Giants. Irano- « fils du vomi » ?) n’apparaît pas dans les légendes connues. Manichaica III,” ActaOrientaliaAcademiaeScientiarumHungaricae,48, 248) Cette étymologie semble dérivée de l’épisode du Dēnkard 3.287-88, 1995, pp. 187-223, cf. p. 215 et id., p. 193, renvoyant à Denkard 7.1.43 où où l’on rapporte dix paroles « négatives » de Dahag prononcées pour con- il est fait référence à des prophètes qui seraient venus avant Zoroastre et trer les sentences de Jamshid (cf. O. Skjærvø, EIr, s. v. Aždahā,loc.cit. dont le nom n’est pas donné par les textes sacrés. Hénoch, le septième [réf. supra note précédente]). patriarche à partir d’Adam, se voit attribuer dès la fin de l’époque hellénis- 249) Cf. Pingree, Thousands (réf. supra n. 228), p. 9, n. 4 renvoyant à la tique des livres oraculaires qui seront lu de Rome à Qumran et de l’Egypte chronologie transmise par Māshāʼallāh, et Pingree, loc.cit., pp. 68-69 où aux confins de l’Iran et de la Chine. Cf. J. Reeves, « Enoch (Books of) », le règne de Jamshīd ibn Wīhakān aurait eu lieu durant le règne de Jupiter in Elr, vol. VIII (paru en 1998), pp. 453-455, disponible à l’url suivante: tandis que celui d’al-Ḍaḥḥāk aurait eu lieu sous celui de Mars. Dans le http://www.iranicaonline.org/articles/enoch-books-of; J.P. Asmussen, Bundahišn, le règne de Dahag intervient cent ans après celui de Jam/Jam- « Aknūk », in EIr, vol. I (paru en 1984), pp. 727-728, version actualisée shid, durant l’ère du Scorpion, qui précède celle du Sagittaire, à laquelle il disponible à l’url suivante: http://www.iranicaonline.org/articles/aknuk- est fait allusion ici (selon les astrologues, Jupiter est « exalté » dans son enoch-in-manichean-texts; et W.Sundermann, « Giants (Book of) », in EIr, signe-domicile, le Sagittaire ; cela pourrait être le sens de « wilāyatihiwa vol. X (paru en 2001), pp. 592-594, version actualisée disponible à l’url sulṭanihi »). Sur la théorie des cycles millénaires, cf. A. Panaino et suivante: http://www.iranicaonline.org/articles/giants-the-book-of. D. Pingree, « Saturn, the Lord of the Seventh Millenium », EastandWest,

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son règne (wa-wilāyatihi wa-sulṭānihi) selon le comput de la glose.] Nous revenons au récit d’Abū Sahl : Les gens (tadbīr) des années dans la région du Sawad.250) Il fonda une leur obéissaient, ils se soumettaient à leurs paroles et cité dont le nom dérivait de celui de Jupiter251) et il y réunit vaquaient à leurs affaires, tout en reconnaissant la préémi- la science et les savants, faisant construire douze palais252) nence [qu’avaient ces sages] sur eux en matière de sciences (qaṣr), selon le nombre des constellations célestes (burūǧ et de techniques utiles. [Il en fut ainsi] jusqu’au jour où un al-samā ᾿)253) qu’il nomma des noms de celles-ci.254) Il y fit prophète [leur] fut envoyé, et qu’ils rejetèrent, lors de sa conserver les livres scientifiques et résider les savants.255) venue et à cause de sa mission, les sciences [que ceux-là [Glose] d’un autre [auteur] qu’Abū Sahl : Il y fit construire leur avaient enseignées].258) Leurs propres convictions leur sept demeures (buyūt) selon le nombre des planètes et fit que devinrent confuses, et ils se divisèrent en tendances et en chaque demeure fut attribuée à un homme, donnant celle de groupes [rivaux]. Quant aux savants, chacun d’eux s’en alla Mercure (῾Uṭārid) à Hermès, celle de Jupiter (al-Muštarī)à vers un pays pour s’y établir et diriger son peuple. Parmi eux Tīnkalūs 256), et celle de Mars (al-Murīḫ) à Ṭīnqrūs.257) [Fin se trouvait un nommé Hermès, qui était l’un des plus parfaits d’entre eux pour ce qui était de son intelligence, des plus 46.3-4, 1996, pp. 235-250; A. Panaino, « Philologia Avestica VI. The doués en matière de science et des plus subtils dans son dis- Widēwdād Fragment about the Millenium of Yima », in C.G. Cereti, cernement. Il arriva en Egypte et régna sur son peuple, fai- B. Melasecchi et F. Vajifdar, VariaIranica, Rome, 2004, aux pp. 29-31; sant prospérer la terre et améliorant les conditions de ses S. Buscherini, « Considerations on the Origins of the Sasanian Saturn- Jupiter Conjunctions Theory », in G. Gnoli et A. Panaino, Kayd.Studiesin habitants, en [leur] faisant connaître la science qu’il possé- theHistoryofMathematics,AstronomyandAstrologyinMemoryofDavid dait. Mais la plus grande partie de cette science était restée à Pingree, Rome, 2009, pp. 31-38. Babylone, et ceci jusqu’à l’expédition d’Alexandre, le roi des 250) Le sawad désigne une région que l’on situe habituellement au sud Grecs, lorsqu’il attaqua la Perse, [lui qui venait] d’une ville de Baghdad. B. Dodge, TheFihristof al-Nadīm.ATenth-CenturySurvey t 259 ofMuslimCulture, New York et Londres, 1970, p. 573, n.6, suggère de de Grèce (minmadīna li-l-Rūm) ) qu’on appelle Macé- l’identifier à la Chaldée. doine, car il refusait de payer le tribut (῾indaal-laḏīkānamin 251) Pingree indique ici que cette ville est probablement Babylone, cf. inkārihial-fidya) 260) — [tribut que versent encore] les habi- Thousands, p. 9, n. 4 et remarque que tout au long de son récit, l'auteur tants de Babylone et le royaume de Perse.261) Et qu’il tua évite soigneusement de la mentionner par son nom. On pense aussi à Bagh- dad, que certains dérivent de *Baġ (don) et *Dād (dieu), une étymologie (wa-qatlihi) le roi Darius [III] (DārāibnDārā), s’empara de connue des géographes et historiens arabes. Le texte est corrompu à l’évidence puisque c’est à Jamshīd que certaines légendes attribuent la fon- dation de Babylone. 252) La construction de ces palais, attribuée ici dans le texte sans doute où Hermès le Babylonien est à nouveau mentionnés comme l’un des sept mal conservé à al-Ḍaḥḥak, doit en fait être rapportée à Jamšid, par ailleurs (et non douze) maîtres des temples des planètes, celui de Mercure, dont Ibn considéré comme le prototype du Salomon biblique. La mention des palais al-Nadīm rapporte qu’elle se nommait ʻuṭārīden chaldéen (identique donc détruits par Alexandre et qui avaient été construit par des « géants et des à sa désignation en arabe). démons » vient confirmer ceci quelques paragraphes plus loin. Cf. 258) K. van Bladel, « The Arabic History of Science » (réf. supra n. O. Skjærvø, art. « Jamšid », in EIr, vol. XIV, pp. 501-522. Skjærvø 228), p. 54, identifie ce prophète à Zoroastre en s’appuyant sur Denkard remarque dans une section intitulée « Yam in Manichaeism » des par- 7.4.72-73. Ibn Nawbakht semble avoir utilisé plusieurs sources dans le but allèles entre le premier livre d’Enoch et la version manichéenne du livre d’expliquer que chaque ère est caractérisée par l’envoi d’un prophète, et d’Enoch, connue sous le titre de LivredesGéants, dans lesquels Jam/ par la succession de périodes de science et de décadence. Certains de ces Jamšid apparaît en relation avec Dahag/Ḍaḥḥak. Le Denkard 9.21 semble thèmes se retrouveront dans le shiisme ismaélien et duodécimain. lui aussi avoir gardé la trace de la légende de l’accouplement des humains L’organisation de la propagande abbasside — dont le père d’Ibn Nawbakht avec les démons auquel il est déjà fait allusion dans les premières lignes du avait été le témoin — pourrait avoir eu recours à de tels textes. récit. 259) « Hrōm » désigne, dans les textes moyen-perses, l’empire romain 253) Le mot arabe burǧ, pl. burūǧ et abrāǧ, désigne la « tour », et dans (rival des Sassanides), et par extension une grande partie du domaine sur le vocabulaire technique de l’astrologie, les « signes du zodiaque » et les lequel il s’étend à l’époque sassanide, dont font partie la Grèce et la Macé- « constellations célestes » (déjà Coran 15 :16 ; 85 :1). La représentation doine. Alexandre est communément dit « le Romain » dans ces textes (cf. des « tours » célestes doit sans doute être rapprochée de celle des « liens » par ex. ZandīYasn, VII.21-32 Daryaee). Le rappel de l’attaque de la Perse ou « échelles » qui relient la terre et le ciel (les asbāb du Coran). par Alexandre le Grand correspond à un topos de la littérature persane de 254) Selon Denkard, 7.4.73, les douze savants auxquels s’oppose Zoro- cette époque. astre sont nommés « d’après les noms des étoiles ». 260) Ces deux éléments : le refus d’Alexandre de payer le tribut et la 255) Abū Sahl ibn Nawbakht deviendra sous Hārūn al-Rashīd l’un des désignation de la Macédoine comme ville se lisent par ailleurs dans cer- chefs de la célèbre Baytal-ḥikma, c’est-à-dire la bibliothèque palatiale (cf. taines des recensions grecques du Romand’Alexandre, dont au moins une Ibn al-Nadīm, Kitābal-Fihrist, p. 274 (« wakānafīḫizānatal-ḥikma version syriaque et une version arabe (voire peut-être une version en li-Hārūnal-Rašīd»). Il offre ici un modèle de ce que doit être selon lui le moyen-perse) étaient connues à l’époque d’Ibn al-Nawbakht. Sur les ver- comportement du souverain envers la science et les savants. sions arabes, cf. F. Doufikar-Aerts, AlexanderMagnusArabicus.ASurvey 256) Il s’agit, comme le « Ṭīnqrūs » qui le suit immédiatement et avec of the Alexander Tradition through Seven Centuries: from Pseudo- lequel il forme un doublet, de Teucros le Babylonien, auteur d’un ouvrage CallisthenestoSuri, Louvain 2010. Le fragment en alphabet pehlevi décou- astrologique fréquemment cité par les astrologues de l’époque classique (cf. vert dans un papyrus égyptien a été édité par D. Weber, « Ein Sezgin, GAS, 71-73). Comme le notait déjà Chwolsohn, « Ueber die Pahlavi-Fragment des Alexanderromans aus Ägypten ? », in D. Durkin- Ueberreste der altbabylonischen Literatur in arabischen Uebersetzungen », Meisterernst, C. Reck et D. Weber, LiterarischeStoffeundihreGestaltung in Mémoiresdel’AcadémieImpérialedesSciencest.VIII, Saint-Péters- inmitteliranischerZeit.Kolloquiumanlässlichdes70.Geburtstagesvon bourg, 1869, p. 132 (=460), repris par Nallino, « Tracce di opere » (cf. réf. WernerSundermann, Wiesbaden, 2009, pp. 307-318. La version syriaque supra n. 86), p. 359, et par A. Borissov, « Sur le nom Tankaloûshâ », a fait l’objet d’une édition et d’une traduction déjà anciennes par E.A. Wal- JournalAsiatique, 1935, pp. 300-305, une traduction conservée en néo- lis Budge, TheHistoryofAlexandertheGreat,beingtheSyriacversionof persan de l’un des traités attribués par la tradition arabe à « Tinqalūšā » thePseudo-Callisthenes, Cambridge, 1889. Cf. E. Cottrell, « Al-Mubaššir dit que l’ouvrage avait été traduit déjà en « 80 ans avant l’Hégire », c’est- ibn Fātik and the α version of the AlexanderRomance», in R. Stoneman à-dire en 542, sous le règne de Khusraw Anushirwan. La graphie Tīnqalūs and I. Netton (éds.), The‘AlexanderRomance’intheEast (Proceedings of avec L au lieu de R, s’explique par l’identité graphique de ces deux lettres the international conference, Exeter, 26-29 July, 2010), Gröningen, 2012, en pehlevi. En revanche, la graphie Ṭīnqarūs dérive sans doute de pp. 111-131. l’orthographe grecque après confusion du upsilon en nu. La présence de ce 261) Le début de la phrase renvoie à un épisode célèbre de la légende doublet confirme l’impression générale donnée par le texte, celle du d’Alexandre, qui rapporte le refus par ce dernier d’envoyer le tribut que mélange peu harmonieux de plusieurs sources. versait son père Philippe à Darius sous la forme d’œufs en or. La fin de la 257) Ibn al-Nadīm semble connaître un récit plus complet, auquel il fait phrase pourrait servir à dater cette partie du texte : on sait en effet que les allusion dans les chapitres qu’il consacre à l’alchimie (chap. X du Fihrist), Sassanides versèrent un tribut à l’empire byzantin de 615 à 641.

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son royaume, détruisit Séleucie et Ctésiphon (al-Madā᾿in)262), Chine, ainsi que vers la Grèce (al-rūm) pour [rechercher] les mit en ruines les palais (al-maǧādil) construit par les démons livres qui s’y trouvaient. Il fit copier ce qui était resté chez et les géants. Il démolit les inscriptions évoquant les sciences eux [sc. en Perse], et fit rechercher les quelques fragments qui étaient gravées sur les différents bâtiments, inscrites sur qui étaient restés en Irak pour rassembler ce qui avait été leurs pierres ou leurs boiseries, en les abattant ou en les dispersé et réunir ce qui avait été éparpillé. Son fils Shapur incendiant, et en dispersant leurs éléments. (Sābūr)267) fit de même, jusqu’à ce que tous ces livres furent Il [sc. Alexandre] fit copier ce qui était rassemblé dans les recopiés en persan, de même qu’on le fit (῾alāmākāna) registres et les bibliothèques (al-dawāwīnwa-l-ḫazā᾿in) de [avec les livres] d’Hermès le Babylonien, qui fut roi en Persépolis (Iṣṭaḫr). Il les fit traduire (qallabahu) en grec Egypte, de Dorotheus le Syrien (al-Suryānī)268), de Phèdre269) (al-rūmī) et en copte263) — tandis que [les originaux] étaient de la ville d’Athènes (Aṯīnis), qui était réputée pour ses brûlés après qu’il ait fait recopier ce qu’il souhaitait de ce qui sciences, de Ptolémée d’Alexandrie,270) et de Faramāsb l’In- était rédigé en persan et en kuštaǧ264). Il put [ainsi] acquérir dien.271) On les commenta et on les enseigna aux gens de la ce qui lui faisait défaut en sciences astronomiques, médicales même façon que cela s’était fait quand ils avaient étudié ces et physiques et il fit expédier ces livres et tout ce dont il ouvrages, issus originellement de Babylone. [Après Ardashir pouvait s’emparer de sciences, d’argent, de trésors, et de ibn Bābak et son fils Shapur,] ce fut Chosroès Anūshirwān savants, vers le pays d’Egypte (ilā bilādmiṣr).265) Mais il en était resté une partie, que les rois de Perse avaient fait reco- 267) Les manuscrits portent « Sābūr », qui est une graphie arabisée du pier à l’époque de Zoroastre leur prophète et de Jāmāsb le nom du souverain sassanide et c’est la lecture conservée par les éditeurs savant 266), du côté de l’Inde et de la Chine. [Ces textes] [IN(F/T/S)] mais il faudrait peut-être émender le sin et lire un šīn. avaient été préservés là-bas lorsque leur prophète et Jāmāsb 268) L’emploi de « al-Suryānī » plutôt que « al-Ṣūrī » est assez surpre- nant et tend à désigner Dorotheus comme un « araméen » (ou encore un les avaient mis en garde de ce qu’allait commettre Alexandre, « chaldéen ») plutôt qu’un grec, ce qui est reste tout à fait vraisemblable qui conquérerait leur pays, et du fait qu’il détruirait ce qu’il pour un natif de Sidon. Cf. Th. Nöldeke, « Die Namen der aramäischen pourrait de leurs livres et de leurs connaissances et les trans- Nation und Sprache », ZDMG 25, 1871, pp. 113-131 à la p. 122; sur férerait loin d’eux, vers son pays. l’équivalence syriaque=chaldéen, cf. loc.cit. p. 130. Seul Ibn al-Nawbakht donne cette désignation à propos de Dorotheus. Le savoir s’effaça alors d’Irak. Les savants se déchirèrent, 269) IN/T : Fīdrūs ; IN/F : Qīdrūs ; Shahrazūrī, qui résume le récit s’opposèrent, et diminuèrent en nombre. Le peuple devint d’Ibn Nawbakht dans sa Nuzhat al-arwāḥ, a la graphie Qandrūs (éd. partisan et divisé, au point que chaque clan eut bientôt son Hyderabad 1976)/ Qandūzus (éd. Tripoli 1988). Gutas, GreekintoArabic propre roi, et on les appelait « les rois claniques (mulūk (réf. supra n.43), p. 39, lit Qaydarūs et note loc.cit., n. 21, que Ullmann, ᾿ Geheimwissenschaften (réf. supra n. 87), p. 156, adopte la lecture « Phèdre al-tawā if) » [tandis que] le royaume des Grecs (mulk d’Athènes » en suggérant qu’il s’agit de l’auteur d’un texte alchimique. al-Rūm)s’unifiait sous un seul roi. [Ils avaient] avant le Pingree, Thousands, p. 11, lit Qīdrūs, mais il suggéra quelques temps plus règne d’Alexandre, connu la division, le désordre et la guerre, tard la lecture Phorédas, un astrologue indien cité en CCAG 8,3, pp. 91-92 mais ils devinrent aussi unis qu’une seule main. [Quant au] (cf. D. Pingree, « On the Indian Decans and Navāṃśas in Sasanian, Arabic, Byzantine and Latin Astrology » in Viator 7, 1976, p. 169 et à nouveau royaume de Babylone (mulk Bābil), il resta désordonné, dans Pingree, « From Alexandria to Baghdad » [cf. réf. supra n.97], p. 12). faible et corrompu ; le peuple restait oppressé et dominé, La liste d’autorités semble avoir été ajoutée car elle casse la syntaxe de la incapable de défendre les femmes et de repousser l’injustice phrase ; l’addition pourrait avoir eu pour but d’insister sur la valeur des jusqu’au règne d’Ardašīr ibn Bābak, de la lignée des Sassa- ouvrages astrologiques et alchimiques. La tradition alchimique arabe con- naît quant à elle un *QYDRWS (cf. J. Müller, ZweiarabischeDialogezur nides. Il apaisa (allafa) les dissensions et unifia les factions, Alchemie:dieUnterredungdesAristotelesmitdemInderYūhīnunddas vainquit leurs ennemis, s’imposa sur leur pays, prit en charge LehrgesprächderAlchemistenQaydarūsundMitāwusmitdemKönigMar- leurs affaires, et fit cesser leur partisanerie, mettant en ordre qunus, Berlin, 2012) qui pourrait facilement avoir été identifié à *Fīdrūs, leur royaume. Il fit envoyer [des émissaires] vers l’Inde, la Phèdre (le F et le Q étant graphiquement identiques au sein du mot lorsque les points ne sont pas indiqués). Pingree, FromAstralOmens (réf. supra n. 126), p. 46, mentionne parmi les interpolations au texte de Dorotheus une 262) Pingree, Thousands (réf. supra n. 228), p. 5, n. 9, note l’anachronisme. citation de Qīṭrinūs al-Sadwālī en Dorotheus, Carmen, V,41 qu’il proposait Celui-ci provient sans doute de l’influence du Romand’Alexandre. d’identifier à un certain Cedrenus. 263) Autre anachronisme qui trahit une source tardive. 270) Cf. Pingree, Thousands (réf. supra n. 228), p. 13, n.2 où Pingree 264) Pour plus de clarté, il faut émender le texte et lire « wa- kitābat considère que le témoignage du Denkard IV atteste de l’existence d’une tuqālulahā kuštağ ». Le kuštağ est un alphabet employé en particulier pour version pehlevie de l’Almageste. Sur les traductions arabes de Ptolémée, cf. les registres et les transactions, bien que Yāqūt rapporte, au début du 13è s., Gutas, GreekintoArabic (cf. réf supra n. 43), p. 109 et supra, chap. 7.2 du avoir vu des ouvrages de médecine et d’astronomie dans cette écriture (cf. présent article. Ph. Gignoux, qui propose une nouvelle traduction de l’ex- A. Tafażżolī, « Dabire », in EIr, vol. VI [paru en 1993], pp. 540-541, trait de Denkard IV (« Greece. xvi. Greek Ideas and Sciences in Sasanian disponible à l’url : http://www.iranicaonline.org/articles/dabire-dabiri- Iran », à paraître [publié en ligne en novembre 2014] et disponible à mid). l’adresse suivante http://www.iranicaonline.org/articles/greece-16-ideas- 265) Sur l’envoi possible par Alexandre de tablettes astronomiques saisies sciences-sasanian) propose prudemment d’y lire que « les ouvrages grecs à Babylone, cf. M. Ross, « The Role of Alexander in the Transmission of et indiens étaient lus à la cour », sans affirmer l’existence de traduction the Zodiac », in V. Grieb, K. Nawotka, A. Wojciechowska (éds.), Alexan- pehlevies dès le 3ème siècle. dertheGreatandEgypt.History,Art,Tradition(Proceedingsofthesym- 271) Il pourrait s’agir de l’astronome indien du 6ème s. de notre ère posiumheldinWrocławon18-19November2011), Wiesbaden, 2014, Varāhimara, cf. F. Sezgin, GAS VII, pp. 90-91, renvoyant à Pingree, Dic- pp. 287-306. tionary of Scientific Biography, vol. 13, pp. 581-583. Si la graphie 266) Jāmāsb ibn Qaḥad, selon al-Ṭabarī, vol. IV (« The Ancient King- *Faramāsb dérive de *Varāhimara, il faudrait supposer un intermédiaire doms », trad. M. Perlmann, New York, 1987, pp. 76-77/p. 681 éd. De syriaque plutôt que pehlevi. Pour Pingree, Thousands (réf. supra n. 228), Goeje). Cf. B. Dodge, TheFihrist (réf. supra n. 249), vol. 2, p. 1023 pour p. 11, n. 2, à la suite de Ruska, les protagonistes de cette liste sont tous en d’autres attestations chez Ṭabarī et Firdawsī. Il est considéré comme un rapport avec l'alchimie, sauf Dorothée de Sidon. En revanche selon Gutas, ministre de Hystaspe (Vīshtāspa), sous le règne duquel Zoroastre accomplit GreekintoArabic (cf. réf. supra n.43), p. 39, n. 21, tous les protagonistes sa mission, cf. W.W. Malandra, « Jāmāsba », in EIr, vol. XIV (paru en sont des astrologues, à l’exception de « Phèdre d’Athènes ». La source de 2008), disponible à l’url suivante : http://www.iranicaonline.org/articles/ cet extrait serait selon Gutas, op.cit. p. 40 et notes y aférentes, un livre jamaspa. La tradition astrologique en fait l’auteur d’un traité sur les sassanide tardif (début VIIè siècle ap. J. -C.), représentant l’une des recen- conjonctions de Saturne et de Jupiter, cf. D. Pingree, FromAstralOmens sions du Livredesrois (Ḫwadāy-nāmag). Pingree, Thousands (réf. supra n. (réf. supra n. 126), p. 43. On lui attribue en outre des ouvrages d’alchimie 228), Appendix I, p. 128, avait déjà noté certains parallèles entre le récit (cf. Sezgin, GAS, IV, 59). d’Ibn Nawbakht et celui de Hamza al-Iṣfahānī.

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qui [à nouveau] les fit rassembler, éditer et mettre en pratique (wa-῾amalabihā). Il le fit parce qu’il était ardemment épris de savoir (῾ilm), et parce que pour tous, à chaque époque et à chaque cycle, surviennent des événements inédits et une science restaurée272), à la mesure (῾alāqadr) des astres et des constellations zodiacales (al-kawākib wa-l-burūǧ), qui règnent sur l’organisation de l’époque (al-laḏīhuwawalī tadbīral-zamān) sur ordre de Dieu, que Sa majesté soit exal- tée (bi-amriLlāhita῾ālāǧadduhu). Fin du récit d’Abū Sahl. »

272) L’auteur inscrit le(s) récit(s) qui précède(nt) dans une conception cyclique de l’histoire. C’est dans ce cadre qu’il faut sans doute comprendre sa présentation de deux épisodes rapportant la venue de prophètes (à Babylone ?), envoyés en aide aux peuples frappés de confusion, à moins que les deux sources juxtaposées constituent deux versions de la même histoire.

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