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Les Personnages Feminins Et Le Surnaturel Dans L'oeuvre De Jean Giraudoux

Les Personnages Feminins Et Le Surnaturel Dans L'oeuvre De Jean Giraudoux

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Surname, Initial(s). (2012) Title of the thesis or dissertation. PhD. (Chemistry)/ M.Sc. (Physics)/ M.A. (Philosophy)/M.Com. (Finance) etc. [Unpublished]: University of Johannesburg. Retrieved from: https://ujdigispace.uj.ac.za (Accessed: Date). LES PERSONNAGES FEMININS ET LE SURNATUREL DANS L'OEUVRE DE JEAN GIRAUDOUX

deur SHIRLEY LEISSNER

VERHANDELING voorgele ter vervulling van die vereistes vir die graad

MAGISTER IN DIE LETTERE EN WYSBEGEERTE

in FRANS in die '2.-1~9 ~"6 !151'2.. FAKULTEIT LETTERE EN WYSBEGEERTE aan die RANDSE AFRIKAANSE UNIVERSITEIT

STUDIELEIER PROFESSOR ~ JAQUES

DESEMBER 1986 i

REM ERe I E MEN T S

Je tiens a exprimer mes remerciements sinceres au Professeur Franc;oi s Jaques de sa patt ence exceptionelle, de son soutien, de son assf duite, de son encouragement et de ses conseils, sans lesquels je n'aurais pas pu mener a bout cette etude. J I en sui s vi vement reconnaissante.

BED ANKIN GS

Ek will graag my dank uitspreek teenoor die vakbibliotekaresse Mej. Ronel Smit, asook die biblioteekpersoneel van die Randse Afrikaanse Universiteit, vir hulle goedgunstige en vrywillige hulp wat hulle te alle tye ver-leen het. ii

ABSTR ACT

To communicate his unique vision of the world, Jean Giraudoux (1882 - 1944) shaped a highly imaginative poetic style.

In his novels and his plays two motifs are inextrjcably linked: woman, the jeune fille in particular, and the supernatural or merveilleux. The female personage becomes the intermediary between the human and the suprahumanand the key to harmony between man and the universe of which he is an integral part. This study examines the development of these interdependent themes.

Chapter lis devoted to a general discussion of these female characters who combine sophistication and disarming innocence. They share common traits like beauty, youth and virginity, coupled with 1ucidite, a clear-sightedness bordering on the visi onary. The jeunes fi 11 es seek adventure, the unknown, the escape from monotonous reality. Because of their youth and joyousness they have a pure, untrammelled communion with nature and the supernatural which offers the possibility of the fulfilment of their dreams. Inevitably however, they are forced to return to the real world and must develop their imagination within its limits. With the steady dissolution of an idealistic hope for human happiness the optimistic brightness of the earlier works steadily darkens.

Chapter II defines Giraudoux's concept of the supernatural, of which three areas are explored in detail: nature, the mythological gods and the God of the Old Testament. By representi ng the ideal and the i nvisib1e, Gi raudoux 's concept of nature validates Swedenborg's theory of Correspondances, iii

which postulates a liaison between all things physical and spiritual. Like many of his contemporaries, Giraudoux draws on ancient, classical, biblical and medieval legends and folklore, reshaping the timeless myths which inhere in them. The God of the Old Testament, to whom Giraudoux displays an ambivalent attitude, is the greatest threat of all to man's quest for happiness, because of His ineffable silence. Those of his plays that present this God are significantly more pessimistic in their resolution. By contrast, when the supernatural is explored in the context of classical mythology, there is a concomitantly greater surge of hope. Though Giraudoux often parodies the mythological gods, they neverthe­ less, also threaten the natural order and man's tenuous happiness. Only in the novels where he dramatises the theory of Correspondances by showing his jeune fille in perfect communion with nature, is an abiding sense of harmony achieved.

The object of the present study are those novels and plays in which this union is perfected. Chapters III and IV demonstrate that it is the woman in all respects who is superior to her male counterpart for, it is she alone who can communicate with and relate to the au-del a; she alone can summon ghosts and interact wi th gods; she alone is endowed with the gi ft of perfect communion with the whole infinite and invisible world or cosmos.

Giraudoux finally suggests that, given her natur~ and therefore her capacity to pursue this total communion, it is upon the young woman that any possibility of ultimate human happiness depends. • iv

LISTE D'ABBREVIATIONS UTILISEES DANS CETTE ETUDE POUR LES PIECES DE THEATRE DE GIRAUDOUX

A...... Amphitryon 38 J...... Judith

I ~. Intermezzo G...... La Guerre de Troie nlaura pas lieu E...... Electre IP...... L'Impromptu de C...... Cantique des Cantiques

o ~.. Ondine SG...... Sodome et Gomorrhe F...... La Folle de Chaillot AB...... L'Apollon de Bellac L...... Pour Lucrece

Toutes 1es citations du theatre de Giraudoux renvoient au THEATRE COMPLET, Editions Bernard Grasset, Paris, 1971, TT I-III. Pour 1es romans, voir 1es notes. 1

IIGiraudoux, lui, est a11e a l'extreme des rapports avec l'univers~ Beucler, A,: Les Instants de Giraudoux, p. 76.

PORTRAIT DE JEAN GIRAUDOUX (1882 - 1944), Bibliotheque Nationa1e, 1982. 2

I NT ROD UC T ION

"Le monde etait frais et mervet l Ieux" L'Eco1e des Indifferents.

Suzanne, Bella, Juliette, Eglantine, Ondine, E1ectre, Judith .•• Tant d 'oeuvres portant un nom ferninin, et nous pouvons en ajouter encore. Pourquoi Giraudoux a-t-i1 donne a 1a p1upart de ses oeuvres un nom de femme? Une lecture de ses ecritures nous indique c1airernent que Giraudoux a une predilection pour 1e personnage ferni ni n, et surtout pour 1e personnage de 1a jeune femme, l 'orphe1i ne et 1a vi erge - done celles qui sont pures et vertueuses.

Comme dans 1e recit de 1a Genese, ou ce fut a cause d1E:ve que l'homme fut banni du jardin d'Eden, 1a femme dans l'oeuvre de Gi raudoux est celle par qui tout arri vee Ell e est l ' agent par qui 1a plus grande partie de 1'action a lieu. Giraudoux s ' interesse -aux personnages - ferni ni ns et c1est dans 1a pei nture de 1eurs caracteres et 1e derou1ernent de 1eurs actions que l ion voit 1e rnieux 1e genie du rornancier et du drarnaturge. Par consequent, i1 est clair que c1est l'heroine et non pas 1e heros qui dorni ne 110euvre de Jean _Gi raudoux. Dans 1e' rnonde de notre ecrivain l'e1ernent ferninin est superieur. Ainsi cest 1a femme qui introduit 1es donnees de diversite, de richesse, d'hurnour et de poesie dans 1'oeuvre gira1ducienne.

En traitant 1e personnage ferninin comme personnage central, Gi raudoux ne fait que suivre une longue tradition dans 1a 3

1itterature fran~aise se10n 1aque11e 1a femme joue un role primordial. Nous pensons par exemp1e, a Tristan et Yseult, une des premieres oeuvres de 1 1amour courtois. Le my the d'Yseult, 1a blonde, avec ses ramifications et ses transformations, couvre a peu pres toutes 1es fi gures qu I a11 ai t reveti r dorenavant 1a femme dans les 1ettres fran~aises. A la longue un prototype slest impose et 1a femme reste 1e reve tncarne, Simone de Beauvoir denonce 1e mythe, rna is elle concede, II Il n I est aucune fi gure feminine: vierge, mere, epous7, soeur, amante... qui ne soit susceptible de resumer les ondoyantes aspirations des hommes II .1 En tout cas, creature ideale ou nature perverse et sensue11 e, 1e centre des romans et du theatre fr-ancat s est 1a femme et surtout la femme dans ses rapports avec l'homme.

Nous pouvons meme constater que presque chaque grand ecrivain est celebre a la suite d'une inspiratrice ou d'une creatlon feminine: de l 1E1vire de Lamartine a 1a Nana de Zola, c'est 1e long defile des proqeni tures fern;n; nes. De 1 1 etranger nous sont venues Laure, Beatrice et Juliette. Les mythes de la feminite ant donc regne souverainement sur toute la 1itterature.

Dans cette optique 1a femme gi ra1duci enne trouve son ori gi ne dans des sources diverses. Nous rencontrons Ondine qui nous vient de la legende, E1ectre qui provient de 1a mythologie et Judith qui rappelle la Bible. Dans 1e cas de la legende, cest le monde des fees qui se revele et nous penetrons dans 1e monde parti cu1i er du mervei 11eux tel que nous 1e presente Gi raudoux. Le monde mythologique nous introduit aux dieux et a leurs rapports avec les femmes te11es qu 'E1ectre, Alcmene et Helene. Giraudoux s'inspire donc de differentes traditions et de divers mi 1i eux. Par consequent nous nous rendons compte de 1a grande richesse d'inspiration chez Giraudoux. Si nous ajoutons l'aspect biblique qui existe egalement, quoique a un moindre degre, il

1. DE BEAUVOIR, Simone: Le Deuxieme Sexe, Ga11imard, Paris, 1949, p, 306. 4

est aise d'apercevoir que les trois sources d'inspiration que nous venons de nommer ont chacune des rapports avec certains aspects de ce que 1 Ion peut designer 1e surnature1.

Selon Benac, "les effets nature1s sont ceux qui sont des suites des 1oi s generales que Di eu a etab1ies pour 1a producti on et 1a conservation de toutes choses et 1es effets surnature1s sont ceux qui ne dependent point de ces 1oi s" . 1 CIest prectsement ce que nous rencontrons dans l'oeuvre de Giraudoux la suspension des lois actuelles et 1a creation d'une nature poeti see et d'un univers poet i se dans 1equel les femmes symbolisent l lideal et la purete de cet universe Selon l 'optique de Gi raudoux 1a posst e restaure au monde sa veri te et grace a elle il veut que son univers soit plus vrai que celui que nous

/ croyons reel. 11 est di t de l ' oeuvre de Gi raudoux que III a vrai e

nouveaute, c I est i ci l ' importance que prend l a femme du premi er au dernier acte, ses reactions infinies, precises••• en face de 1'ordre surnature1 et 110rdre naturel". 2 Les jeunes fil1es gira1duciennes sont d'instinct en contact direct avec 1a nature, avec 1es p1antes, avec , es e'ements et avec 1 1 au-de1a, et ce

sont e11es qui sont 'e1ues I pour tradui re " accord de l ecri vat n avec 1a creation.

11 est done evident, des qu'on aborde 110euvre de Jean Giraudoux que ces deux aspects, 1a femme et 1e surnature1, sent dIune importance capitale. Considerer la femme entraine inevitablement une etude du surnature1 et ce sera 1e but de'notre travai 1 a 1a fois de faire valotr et d'ana1yser chacun de ces aspects et dans un deuxierne temps d I etudier 1es rapports entre 1a femi ni te et le surnature1.

La question du surnature1 est un sujet vaste chez Gi raudoux, un champ qu 'i1 traite d'une f'acon par t i cul tere a lui. Il existe l. BENAC: Guide des Idees Litteraires, .Hachette, 1961 , p, 327. 2. MARTIN DU GARD, Maurice: Amphitryon 38 in Nouve 11 es Litteratures, 1929, sans pagination.. 5

de nombreux ecrivains, tels que Claude1 et Mauriac, dont 1 I oeuvre deborde aussi dans le monde surnaturel ou dont les oeuvres sont parfois entierement structurees autour du surnaturel. Ceux-ci s'inspirent de la theologie, du Dieu tout-puissant, 1e Dieu

chretten. Giraudoux en revanche, s I inspire des dieux mytholo­

gi ques et non d I une base re1i gi euse ou chreti enne. Le monde gira1ducien nlest pas. limite par des lois naturelles; c 'est un monde qu'Alberes et d'autres critiques appe11ent "un univers poetise ".1 Giraudoux, comme nous 1 1 avons deja dit, ne se borne pas aux 1oi s qui gouvernent 1e monde. 11 nous transporte dans un autre monde dans leque1 les rapports entre les femmes et le surnaturel nlont de sens et de signification que dans le contexte d'un rnonde poetise comme llest le sien.

Toute l ' oeuvre de Giraudoux baigne dans une atmosphere poett que et 1a vi sion de son monde se tradui t d' une f'acon integral ement personne11e et origina1e. C'est un monde qui apparait dans toute sa beaute et sa purete, dans toute sa fraicheur et son innocence. Par innocence Gi raudoux entend "1e sentiment de l' ega1i te complete, de l'association abso1ue avec toutes les races et especes, morales ou physiques, clest ce1a 1 I innocence".2 L'innocence decou1e de la purete et en fait partie. C'est a cause de cette purete que 1es personnages fernini ns ont des rapports faciles avec le surnaturel.

Giraudoux veut que 1es objets retrouvent leur valeur et 1es etres

humains 1eur authenti cite. CI est donc un monde en que1que sorte idealise, ou tout est en parf'afte symbiose, oii "les parfums,

ll 3 les cou1eurs et 1es sons' se repondent • La poes ie est ainsi 1e cata1yseur qui fournit l'etincelle qui permet la creation d'un univers particulier dans lequel les personnages feminins et 1e surnature1 sont 1i es. Autrement di t, l'on doute que de tels rapports pui ssent exi ster dans un monde non-poeti se, trop

1. ALBERES, Rene-Mar; 11 : Esthet;que et Morale chez Jean Giraudoux, Nizet, Paris, 1970, p.83. 2. GIRAUDOUX, Jean: Litterature, Gal1imard, 1967, p.88. 3. BAUDELAIRE, Charles: Correspondances dans Les Fleurs du Mal, Garnier - Flammarion, Paris, 1964, p.39. 6

contraint par 1es lois nature11es que Giraudoux refuse justement.

Pourtant, pour comprendre 110euvre de Giraudoux, diplomate, ambassadeur, romancier et dramaturge, i1 faut en premier lieu essayer d1ec1airer et d'e1ucider 1a vision de son universe Presque tous 1es ecrivains de l'entre-deux-guerres se montrent pessimi stes a cause de 1a guerre passee et du carnage qui leur semble inevitable a 1lavenir. Dans son oeuvre, Jean Anoui1h, contemporain de Gi raudoux, exprime un point de vue p1utot pessimi ste de 1a condition humai ne, ou 1a mort est douce et 1a vie insupportable. Comme Giraudoux i1 donne une image idea1isee de 1a jeunesse ou tout est beau et pur. Neanmoi ns , 1a p1upart de ses protagonistes rejettent 1a vie, qui pour eux, est ega1e au compromis et a 1a laideur. Contrairement a Anoui1h et a d'autres auteurs, Giraudoux cache souvent ce pessimisme: i1 semble chercher a surpasser 1e mal qui existe, en creant un monde de fantaisie, un monde poeti se. Loin de tout rea1isme, 1a verite est f'ardee par 11imagination personnelle et 1a vision cosmique de son monde. 11 croit imp 1i citement en 1a possi bil ite offerte a 1 1 homme de retrouver une commun ion, une correspondance entre notre monde et 1e cosmos. L1 homme est concu par rapport au monde extert eur qui 1 1 entoure, qui repond a une nosta1gi e chez notre ecrivain pour "un etat edenique .•• ou 11homme etait sensible a l ' harmoni e des mondes et en accord avec ellell. 1 C1 est 1a poesie seu1e qui peut mettre en perspective ce monde.

1 On trouve dans 1 univers de Gi raudoux toutes sortes d 1 evasions - dans l'exotisme, dans 1afeerie et dans 1e reve, aspects riches de sens que nous allons deve10pper u1terieurement. Jean Giraudoux Ill' enchanteur desi nvo lte" , 1e "f'abul i ste imagi natif" 2, avec sa fraicheur, ses bonheurs, qu1 ils sot ent reels ou illusoi res, nous fait rever de 1a douceur de vivre. Comme 1e dit Queant, l. ALBERES, Ope cit. - p.83. 2. . ROBICHEZ, Jacques: Le Theatre de Jean Giraudoux, Sedes, Paris Ve, 1976, p.72. 7

1 "qui importe 1e .sujet pui sque tout y est enchantemelit" • Giraudoux nous enchante par son imagination, par la maqi e de son vocabulaire et il nous invite a depasser 1e cadre humain en le rel tant a un ensemble cosmique. Au lieu de sombrer dans la tristesse parce que le monde nlest pas tel qulon l lavait reve, il substitue au monde reel, le monde de sa fantaisie. Sous

1 I influence du symbolisme relaye par le surrealisme, son oeuvre se peuple d'inventions poetiques. 11 utilise les "donnees du reel a son gre, annexe la nature, les betes et les objets minuscules... et 2cree un monde enchante, dont il est le souverain ma,tre".

Presque toute son oeuvre baigne dans un optimisme plein

1 d I espoi r , DI apres ROBERT, 1 optimi sme c I est "1 a tournure d I espri t qui di spose a prendre 1es choses du bon cote". Chez Giraudoux nous trouvons ce sentiment de confi ance heureuse a 1a fi n de ses romans et de ses pi eces. Cette doctri ne se1on 1aque11 e 1e monde est 1e mei 11 eur et 1e plus heureux possi b1e se manifeste 1argement dans son oeuvre. Ajoutons que tout dans

1e monde de Giraudoux est d I emb 1ee au super1atif. Par consequent, son uni vers est 1e mei11 eur des mondes possi b1es , effectue par 1a sensibi l i te du poete et de ses personnages feminins.

Comment cet optimisme se manifeste-t-i1? Suzanne atteint 1e comble de son propre bonheur quand elle trouve une signification dans toutes les choses qu'e1le rencontre: - "tout ce qui venait de 1a nature••• me bou1eversait•.• chaque insecte, chaque 3 plante me donnait... ce del ire interieur". A1cmene, 1e

1. QUEANT, Gilles: Encyclopedie du Theatre Contemporain) Vol. II, Olivier Perrin, 1959. 2. CREMIEUX, Benjamin: "Jean Giraudoux ou 1e Magicien Optimiste". Revue Hebdomadaire, 3/2/1923, pp.87 - 97.

3. GIRAUDOUX, Jean: Suzanne et 1e Pacifique, Bernard Grasset, 1935, p.1l7. 8

meilleur exemple de l'epouse fidele, amoureuse de son mari, le reste en depf t des propositions sedut santes des dieux. Meme si 1a guerre de Troi e al i eu ou qu I Dndi ne soit rejetee par 1es

hommes dont l' amour n I a pas eu de raison, ou que ce soit un monde en train de se detruire, il revient regulierement ce moment prometteur de la journee "qui s'appelle llaurore". (E,11,x,p.278) 11 s'agit donc, d'une espece de monde indestructible ou le culte de l'optimisme est porte a son apogee. Clest justement dans cette manifestation d'optimisme que le surnaturel peut jouer un role.

11 existe un autre aspect important dans l'univers de Giraudoux, ou se voi ent a 1a foi s 1es elements femi ni ns et 1es elements surnature1s , notamment 1e bonheur. Giraudoux veut, envers et contre tout, defendre une notion de bonheur. Pour ses heroines 1e paradis est 1a, a 1a per-tee de 1eur mai n et elles cedent toutes a cette tentation. Pour elles 1e bonheur est 1e pouvoi r de s'accommoder d'une dest.inee ordinaire, tout en gardant une arne legere, une connivence secrete avec la nature et une aptitude a saisir la poesie et la beaute de l'univers. Ce bonheur et toutes les autres qualites qui en font partie, c'est-a-dire, l'amour, la purete, la fidelite et la transparence sont representes seulement par les femmes.

De Genevieve a Tessa, d'Alcmene a Dndine, d'Electre a tucrece ou Aurelie, quel que soit leur age ou que11e que soit leur fonction, ce sont les figure~ feminines qui sont charqees de vei 11 er sur une human i te en deroute, Bourgeoi se comme A1cmene ou i ntransigeante comme Electre, ce sont elles qui donnent aux romans et aux pieces leur vraie essence, leur vraie magie. Toutes ces femmes sont les veritables porte-parole de cette morale du bonheur, quel que soit le role ou la fonction qu'elles remplissent. Elles peuvent etre entremetteuse, comme Lucile, fi11e de vaisselle, comme Irma, ou institutrice comme 9

Isabelle: toutes enfin sont interchangeables, une copie authentique l'une de 1'autre. Bellita n'est que la jumelle et le double de Bella, "partout Eglantine ega1ait Sarah" 1 , et Suzanne, en evoluant de jeune fille en femme, devient Alcmena.

Giraudoux attache aussi une grande importance au principe du mi roi r , Dans Judith 1es rapports entre l ' heroine et Ho 1opherne sont mi s en evidence par l ' i ntroduction d I un faux Ho 1opherne (Eqon) et d'une fausse Judith (Suzanne). C'est le meme procede qui est a 1a base de l' i ntrigue d ' Amphitryon 38: comedi e de substitution, ou le remplacement d'Amphitryon par Jupiter et ce1ui d'Alcmene par Leda produisent un effet de miroir. Giraudoux precise cette idee du miroir dans les textes. Mercure, en par1ant dAl cmene, dit: "El1e parle sans cesse a cet echo. El1e a un miroir meme pour ses paroles". (A,II,iii,p.140) Dans Sodome et Gomorrhe, 1a technique du miroir est realisee integra1ement, ou Lia se place en face de Ruth. Toutes ces femmes s'opposent, et pourtant elles finissent par se ressembler dans leur difference meme, "11 y avait meme une sorte d'egalite entre ces femmes par l'amas de qua1ites exactement contraires".2 Pour Giraudoux, la revelation du para11 e1e est un moyen de retab1i r l ' ordre et 1a symetrie dans 1e monde. 11 peut done 1e rendre tout neuf et mervei 11 eux, et 1es correspondances etab1ies entre une heroine et l 'autre prennent ainsi leur vrai sens. En fin de compte Giraudoux se sert des personnages feminins des romans et des pieces pour communiquer un meme message.

Dans 1es chapitres qui suivent nous esperons penetrer dans l'univers gira1ducien avec son inepuisable richesse

1. GIRAUDOUX, Jean: Bella, Librairie Artheme Fayard, Paris, 1947, p.96. 2. GIRAUDOUX, Jean: Eglantine, Bernard .Grasset, 1927, p.137. 10

d'imagination et de fantaisie. Nous aborderons aussi 1'etude des liens etroits entre cet univers peuple de jeunes femmes tr~s speciales et le surnaturel. 11

CHAPITRE I

LE PERSONNAGE FEMININ DANS L'OEUVRE DE GIRAUDOUX

IITu sais ce qu'est une jeune fille? •• Tout 1e monde 1e sait. 1I

Judith n.u.

Comme nous 11avons mentionne dans notre introduction, c'est 1e personnage feminin qui domine l'oeuvre de Jean Giraudoux. Dans ce chapitre no us allons analyser en detail 1es differents types de femmes que nous rencontrons dans 1es romans et dans 1es pieces.

On a beaucoup comments 1a femme gira1ducienne, rna is notre champ de travail est de traiter 1a femme et 1e surnature1. Par consequent nous avons choisi, en premier lieu, 1es femmes qui entretiennent des rapports avec 1Iau-dela. En meme temps, i1 est necessatre pour notre etude de presenter une image de 1a femme gi ra1duci enne en genera1 et de c1asser 1es divers types de femmes. Nous avons l'intention de definir dans un chapitre u1terieur, 1e rapport des personnages feminins avec 1e surnaturel.

Abordons a present une etude genera1e des heroines chez Giraudoux. E11es sont toutes comme le dit Durry lien f leur" 1 clest-a-dire epanouies, heureuses, radieuses de sante et souri antes. A1cmene a des fossettes et elle avoue qu I elle est de belle tai11e. Irma a 1a figure dun ange et Isabelle, e11e aussi, est admiree pour ses charmes physiques. L'apparence charmante et la de1icatesse des personnages feminins ajoutent une fraicheur a 110euvre qui caracterise bien 1a pensee et la sensibilite de notre auteur.

1. DURRY, Marie Jeanne: L'Univers de Giraudoux, Mercure de France, 1961, p.11. 12

Ces heroines ont un amour sensuel pour 1es' sons, les couleurs et 1es textures. Observatrices penetrantes de 1a nature, les heroines ont 1es sens aiguises et la perception penetrante.

On songe tout de suite a Suzanne, a qui l'ile offrait II des fleurs qu'un instinct me poussait a gonter, qui a~aient gont de porce1et et qui etaient nourissantes";l Mais 1es f1eurs, pour avoir gont de porce1et, n' en sont pas moi ns f1 eurs; 1eur ar6me epice ne pri ve pas 1es arbustes de 1eur essence d I arbuste. Les heroines gira1duciennes eprouvent une communication avec 1es divers objets qui compo sent 1e monde, sans 1es depoui l ler de leurs privileges individuels ou de leur beaute.

Ell es sont en harmoni e avec l' univers et 1a nature, et elles communiquent cette entente au 1ecteur ou a l'auditoire. E11es sont a liaise dans le monde qui les entoure, comme Suzanne qui comprend un jour "1 a 1umi ere" 2 , Stephy qui trouve sacre 1e "1 ever de 1a 1un e" 3 et A1cmene qui refuse d' echanger son existence harmonieuse pour 1e don meme de l'immorta1ite que lui offrent les dieux.

"Jupiter: Tu n'as jamais desire etre deesse? A1cmene: Certes non. Pourquoi faire? Jupiter: Pour etre honoree et reveree de tous. A1cmene: Je 1e suis comme simple femme, c'est plus meritoire." (A,II,ii,p.134)

1. Suzanne et le Pacifiqu~op.cit. - p.104. 2. Ibid - p.139. 3. GIRAUOOUX, Jean: Aventures de Jerome Bardini, Editions Bernard Grasset, Paris, 1930, p.96. 13

Il apparaitrait egalement que llheroine de Giraudoux est pure, innocente et souvent inconsciente de la laideur ou du sordide du monde. Isabelle, lladolescente eternelle dont la religion est celle du bonheur, initie ses eleves a une vision fraiche et poetique du monde. Ses classes ont lieu dehors et les sciences exactes, rigides et dessechees, cedent la place aux verites de l'imagination a l'echelle cosmique. Pensons aussi a Ondine, qui incarne llinnocence et la naivete. Elle dit toujours la verite et parle franchement et gaiement (au roi Iu'i-meme ) de

1a verrue sur 1e nez royal. LI orguei 1 de Bertha ne peut rien fai re contre sa naivete (I 1. 2). L' heroine chez Gi raudoux n I est pas prise au depourvu et peut faire face a n'importe quelle situation. Isabe11 e trouve normal de parler au spectre et Alcmene nlest pas du tout deconcertee par l'obstination de Jupiter. Elles peuvent toutes "approcher la ruine, la fete nationale, le feu lui-meme, sans en souffrir, avec un masque de mi ca rose", 1 Ell es sont protegees par 1eur ignorance et par leur innocence enfantines. Citons encore Alcmene, jeune epouse dlAmphitryon. Aimant son mari, et aimee de lui, elle est l'objet des sollicitations amoureuses de Jupiter et comme elle est insensible a tout autre qu'Amphitryon, en femme equilibree et pure, elle offre avec innocence et franchise son amitie a ce dieu des dieux. Semblables a Alcmene, 1es heroines de Giraudoux ont Ilcette aisance dans la vie, cette aisance qui permet a ceux-la seu1s qui ignorent tout de la vie de sly promener sans erreur"; 2

1. Suzanne et 1e Pacifique,op.cit.- p.66. 2. GIRAUOOUX, Jean: Pa1ais de Glace in La France Sentimenta1e, Editions Bernard Grasset, Paris, 1932, p.203. 14

11 est evident d'apres ce qui precede, que 1a jeune femme, personnage archetypal de Giraudoux, illustre un aspect capital de son oeuvre, notamment 1a purete. La purete , chez Giraudoux, est que1que chose de diffi ci 1e a defi n1 r , mai s i 1 no us semble que la notion comporte une capaci te d'etre emervei11e par les choses naturelles. Les jeunes fil1es et femmes giralduciennes ont toutes cette facu1te d'etre au comb1e de 1a joie devant 1a beaute de 1a nature et des choses. Elles possedent, comme Giraudoux lui-meme, la joie de vivre, 1a conscience de vivre et 11 elan vers ce qui est nature1 et juste. Cet etat de purete comporte un certain detachement de 1'existence bana1e et des soucis vains et donne a 1a jeune fille 1e pouvoir de s'eloigner de l'humanite mesquine. Un exemp1e se trouve chez Bella, qui devient 1a maitresse de Philippe, mais qui ne perd pas son intimite avec la nature. Pour Suzanne, son voyage est une maniere de ~ortir de son univers, de partir a la recherche de ses chimeres. Par purete, Giraudoux entend donc une distance a l'egard des humains et une fraternite avec la Creation. Ses heroTnes affirment que le monde est "beau et heureux" (F,I,p.218) et font echo aux paroles de la Folle de Chaillot: "Je deteste ce qui est laid, j'adore ce qui est beau ••• Je deteste lei mecharrts , • • J 1 adore 1a bonte,•• 1e matin. •• 1aliberte" • (F,I,p.218). Ainsi nat t l'entente qu'elles ont avec le cosmos, "cette soumission des ~agues, des couleurs, des vides dans l'air, aux lois des axes et des divins engrenages".l De 1a une sorte de purete immedi ate que Gi raudoux nomme l' innocence et que nous avons deja definie.. C'est a cause de cette purete que les personnages feminins ont des rapports faciles avec le surnaturel.

1. GIRAUDOUX, Jean: Pleins Pouvoirs, Gallimard, 1939, p.llS. 15

En 1a personne d I Isabe11 e, Gi raudoux a trouve une fi gure se1on son coeur et qui est 1 1 epi tome de 1a purete, Isabe11 e represente les pensees de Giraudoux dans une plus large mesure que n'importe quelle heroine, car elle, et elle seule est entierement sa creation a lui et ne doit rien a l'histoire ou a la legende. Alcmene, Electre, Helene, Judith, Ondine lui sont venues de la mythologie, de la Bible ou de la Fable. Giraudoux a accueilli ces heroines mais i1 ne les a pas mises au monde. "L 1 Isabelle d I Intermezzo, est 1a fi 11 e de son coeur et de son sang. Elle n'existe que par lui •.• " 1

Tirons quelques indications d'Intermezzo qui illustrent comment Isabelle est la quintessence de la purete, Elle a toutes les qualites des heroines giralduciennes et rentre facilement dans 1a serie des etres femi ni ns dans 1 1 oeuvre. Ell e est debordante de fra;cheur, de gaiete et de spontaneite. Le Droguiste ne voit que sa simplicite: "Isabelle est si simple, si nette, si di fferente en somme de ses compagnes... Regardez 1a franchi se de cette silhouette". (I,I~iii~p.260). Le Controleur remarque qu'elle "est la purete et l'honneur memes (I~I~iv~p.267) et plus tard i 1 proteste au sujet de sa stabi 1i te de caractere: "E11e... qui est le bon sens de la ville, de la nature entlere ", (I~II~i~p.283). Le Droguiste admire la purete de son esprit, "sur lequel aucun grain de prejuge ou de crainte ne s'est jamais pose ". (I~iii~p.260)

La purete ainsi definie relive d'une valeur abstraite, d'une spiritualite, qui n'a aucune parente avec la purete charnelle ni la compromission avec ce qui est mesquin dans le monde. Ces traits de caractere fonciers des personnages feminins constituent l'ideal utopique dans l'oeuvre.

1. VAUDOYER, Jean-Louis: "Jean Giraudoux - le Limousin et Intermezzo". Cahiers de la Compagnie Madeleine Renaud- Jean-Louis Barrault.---:------'----::,------No. 10, Jul1iard, 1955, pp 3-13. 16

Analysons maintenant les differentes categories de personnages feminins chez notre ecrivain. 11 existe en premier lieu, l'enfant et surtout la petite fille. Toutes les petites fi11es corrone Polyxene dans -La Guerre de Troie, Claudie dans Choix . des Elues, 1es Eumerri des dans Electre ou 1es fi 11 ettes ' dans Intermezzo, ont le privilege extraordinaire que Giraudoux

1 accorde a 1 enfance: 1a grace. 11 ne s I agi t pas d I une grace divine, mais plut6t d'une sorte de charme ou reside la douceur, la simplicite et l'harmonie. Le monde de l'enfance est un monde

de verite, qu I i 1 faut respecter tout en n I oub1i ant pas qu I i 1 est ephemere. Les petites fi 11es apportent leur vivacite, leur candeur et 1eur fraicheur au di a1ogue des adul tes; elles 1eur offrent la recreation de leurs jeux et de leur imagination fabulatrice. Polyxene est debordante d'ingenuite (1,6) et les eleves d' Isabelle recitent des vers et se moquent de l'inspecteur (1,6).

Leur gaiete et leur JOle de vivre sont contagieuses et se commun i quent au 1ecteur et au spectateur. 11 est c1air que chez Gi raudoux 1es jeunes sont legion, et i 1 semb 1eque pour lui la jeunesse represente lila grace et l'eclat" 1 de la vie. 11 y a souvent quelque reflet, direct QU indirect, de l'enfance qui parait pour eclairer une oeuvre de Giraudoux. Les enfants semblent etre charges d'apporter le bonheur et la vitalite dans l'univers des adultes.

Elles peuvent deviner le mystere de la vie et sont les temoins d'un 'ailleurs', ou d'un besoin irresistible d'un 'ailleurs'. Judith se rappe11e que "quand elle etait une fillette deja soucieuse de ses mains", la voix de Dieu l'invitait "juste avant une matinee dansante, a couper a ras ses ongles". (JsIsivs p.190). Le royaume de l'enfance est donc un royaume de l'au-dela.

1. SURER, Paul: Cinquante Ans de Theatre. Societe d'Edition d'Enseignement Superieur, Paris Ve,.1969, p.169. 17

Les enfants sont 1i es avec 1e surnature1 et 1e cas d I Dndi ne est par-t tcul terement remarquab1e. Auguste et Eugenie, ses parents adoptifs, essaient d'excuser l'effronterie et 1es rep1iques d'Ondine a Hans, en montrant qu'e11e n'est qu'une enfant de qUinze ans et i1s avouent ensuite qu'e11e est une fee des eaux. Les deux explications sont vraies, car Giraudoux va jusqu'au bout des pouvoirs de spontaneite et d'evasion qu ' i 1 trouve dans l ' enfance. Dans Ondi ne 1e theme de l'enfance est renforce quand, apres son tntermede dans 1e monde humain et ses rapports avec le chevalier Hans, Ondine redevient la petite fille des eaux et elle parle en enfant: "Quel est ce beau jeune homme sur ce lit?.. Qu'il me plait... Cornme je l'aurais aime". (D,III,vii,p.92)

Pour conclure ces propos sur l'enfance il nous est clair que l'esprit de l'enfance est constarnment en evidence dans les romans et dans les pieces de Giraudoux. Il n'y a point d'enfant dans La Folle de Chaillot, pourtant la meneuse du jeu, la bonne fee edentee est enfi n "ratombee en enfance". (F, lI,p.246). Que 11 e que soit 1eur expertence dans 1e monde des adu 1tes, elles restent des enfants. Tel est 1e privilege de 1a femme, que lila vie de la femme la plus agee baigne dans la jeunesse".l La naivete enfantine se manifeste en meme temps qu'une espece de perfection ou de purete qui en sont les elements essentie1s.

Le deuxieme genre de personnage feminin chez Giraudoux, c'est la jeune fille, Isabelle, Suzanne, E1ectre et maintes autres, legerement plus agee que l'enfant. Cependant le theme de l'enfance se voit aussi dans cette categorie de femmes. 11 y en a qui sont physiquement encore des enfants et celles qui ont des pensees et des reactions enfantines. C'est justement a cause de leur innocence et de leur purete, que ces jeunes filles

1. GIRAUDOUX, Jean: La Franyaise et la France. NRF, Gallimard, 1951, p.11 3. 18

"Des moineaux dores, noirs et rouges qui en se posant devenaient" des bou1es incolores; des merles••• devenaient - . des poires de pourpre et d'indigo; parfois••• je tombais sur des oies venni Hones, des canards bleu-blane-rouge, des dindes dorees et vertes••• " Suzanne et le Pacifique, Chapitre IV, p. 27.

SUZANNE ET LE PACIFIQUE - illustre par J.E. Laboureur, Paris, Les cent une, 1921 19

voient tout avec la credulite et la naivete dlun enfant et elles sont souvent inconscientes de ce qui se passe autour d'elles. La f'ront iere entre les enfants et les jeunes filles est en effet tres floue, car dans son oeuvre l'adolescence et la virginite sont presque toujours conservees a jamais. Les jeunes filles comme Isabelle, Suzanne et Electre sont en complicite directe avec l'enfance car elles toutes font IIrayonner... la sinceri te, la franchise et la justicell1 partout.

Nous pourrions dire que Suzanne, I lheroine du roman Suzanne et le Pacifique, est le .precurseur des heroines dramatiques gira1duciennes, qui toutes, de fac;ons differentes, ont 1es memes qualites humaines deja trouvees dans l'heroine de ce roman. De ses histoires ou fi gure une jeune fill e comme personnage principal, le personnage de Suzanne est le plus

Ionquement deve1oppe, Dans ce roman d I aventures, on goute le parfum de la jeunesse. Clest le jeune Giraudoux ici, qui fait de Suzanne 1e symbol e de toutes 1es jeunes fi 11 es ulterieures qui peuplent ses romans et son theatre. Les themes qui se reproduiront dans toute son oeuvre comme 1laventure, l'evasion, le reve, l lillusion pour citer des exemples, sont nes dans ce roman. Ce sont de Ionques evasions dans 11 imaginaire qui s'achevent, enfin, sur un retour a la realite du monde quotidien.

Suzanne et Ie Pacifique raconte l'histoire d'urie belle jeune fill e qui est neuf'raqee sur une i 1e i nhabf tee en p1ei n Ocean Pacifique. Sur son i1e a e11e, loin de la France en guerre et isolee de 1lhumanite, Suzanne mene une vie idy11ique, en harmonie parfaite. avec Ie monde naturel qui l lentoure.

1. DEBIDOUR, V.H.: Giraudoux. Classiques du XXe Siecle, Editions Universitaires, 1967, p.90.. /

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Separee des hommes, Suzanne jouit de sa solitude: i1 existe un contraste ec1atant dans l'opposition du premier chapitre de Suzanne et 1e Pacifique et 1es chapitres consacres au sejour dans l'i1e, dans 1'opposition entre l'harmonie provinciale de Suzanne a Sellac, et l'harmonie luxuriante et non-humaine de Suzanne sur son ile. L'ile lui offre un bonheur plus exuberant et moins mesure qui a Be l l ac, E11e decouvre une profusion de sons et de couleurs qui evei11ent les sens fins, que nous avons deja discutes, aussi bien qu'une vie "alliee aux rythmes du cosmos" ~ 1 Ce sera avec un certain regret qu' elle quittera son paradis insulaire pour rentrer en France, pays qUi lui semble maintenant etrange.

Pendant son seJour sur l'ile, el1e trouve un certain nombre de corps de marins morts, rejetes sur la plage et bien qu'e11e ne connaisse pas leur nationalite, ces corps indiquent qu'au dela des bornes de son ile paisible, le monde est dans un etat de guerre. Neanmoins, malheureuse quand elle debarque enfin en France, elle est rassuree par le premier homme qu'elle rencontre. "Je suis le contro leur des poids et mesures Mademoiselle. Pourquoi pleurer?" 2

Cette scene sert d'introduction a Intermezzo, piece ou, dans une amb i ance fran c;ai se et proven ca1e, 1e meme centre1eur 1utte avec succes pour persuader Isabelle que 1a vie humaine, qu'on passe avec un homme, est une experience qui vaut 1a peine de tenter. Les consequences du retour de Suzanne soul ignent la signification symbolique· du titre du roman, car si on se refere a Suzanne et a l'Ocean Pacifique, Giraudoux suggere peut-etre un rapport entre 'pacifique' et 'paisib1e':

1. ALBERES, op.cit.- p.175. 2. Suzanne et 1e Pacifique, op. cit. - p.222. 21

maintenant que 1a guerre est terminee, i1 est possible que Suzanne puisse trouver dans son propre pays et dans 1a compagni e des hommes ·cherchant 1a paix, un bonheur au moi ns ega1 a ce1ui qu 'e11e a trouve seu1e sur l'i1e.

Les romans Juliette au Pays des Hommes, Aventures de Jerome Bardini, Choix des E1ues et Bella reprennent 1e theme de 1'evasion ou de 1a fugue. Toutes 1es heroines dans .ces romans portent en e11es 1e desir de quitter 1a condition humaine et leur condition de femme soumise a 1lhomme. Juliette reprend 1e theme de Suzanne. Nous retrouvons 1'opposition d'une vie provinciale et bornee et d I une vie 1argement ouverte a toutes 1es possibi1ites. Avant de se marier avec 1e sage Gerard, Juliette s'echappe pour examiner 1es fiances possibles, ceux qui aurai ent pu 1ui donner un autre sens a 1a vie. Ju1 i ette represente, comme Suzanne, un etre qui quitte son milieu habitue1 pour exp 1orer un monde plus vaste. 11 nous semble que Gi raudoux suggere que 1e quotidien ne nous suffit pas et que 1a tentative d'evasion du reel est une reaction humaine fondamenta1e. Pourtant, toutes ses heroines enri chies de 1eur experi ence, ne manquent pas de rentrer chez elles.

Giraudoux accorde a toutes ses jeunes fi11es, ses vierges, un gout profond de1a vie et une aisance de communion avec l ' au-de1a. Ell es peuvent facil ement se det acher des souci s quotidiens, comme Claudie, "toute prete, si on 11embetait avec des histoires d'hommes, l a guerre, 1e porridge, la patrie, C1emenceau, a changer de regne ou de devoir et a devenir vegetal ou faunesse". 1 C'est Edmee qui formu1e ce reve edenique pour sa fille. "Moi, je t'aurais trouve une place entre 1a biche et l'e1an... Je t'aurais fait une arne sans rides, sans remords, un corps astral sans humeurs." 2

1. GIRAUDOUX, Jean: Choix des E1ues Editions Bernard Grasset, Paris, 1939 - p.43. 2. Ibid - p.233. 22

Edmee , e11e aussi s vest degagee des hommes en quete d'un ideal utopique. Toutes 1es jeunes fi 11 es sont douses de 1a capacite de fuir 1a rea1ite, et cette fuite, cette absence parcourt comme un leitmotif 110euvre de Jean Giraudoux. Pour 1es jeunes fi 11 es i 1 exi ste une f1 ui dite entre 1es deux mondes, qui permet aux personnages feminins de penetrer sans peine dans 11autre monde.

Nous pourrions constater que 1a p1upart des heroines gi ra1duci ennes s I absentent de 1a vi e quotidi enne pour un certain temps. Cet intermede leur fournit une chance d'enrichir et de deve10pper leur personna1ite et leur donne 110ccasion de trouver de nouvelles possibi1ites pour 1a connaissance de soi et 1alibre expression. N1 ayant pas encore' connu l' amour, ces jeunes fi 11 es ne sont pas tout a fai t attachees au monde reel. Par consequent, e11es sont faci 1ement atttrees vers

1 1 i nconnu et peuvent rever de toutes 1es eventual i tes, j usqu I a ce 11 e de 1a mort meme , comme nous 1e verrons. Elles consi derent 1a condition humaine de fa~on critique et 1a deftrrissent selon 1es paroles d'Isabelle, comme "un egoisme terrible" (I,Il,iii, p.290), parce que 1a condition humaine iso1e 11etre humain

1 du cosmos. L1 i ntermede devi ent donc 1e moment entre 1 enfance et 11age adu1te, 1e moment ou 1a jeunesse appartient autant a 1a mort quia 1a vie et hesfte un peu entre 1es deux. Colette, ecrivain ayant une connai ssance intime de 1 1 esprit des jeunes, ecrit: "11 y a toujours une epoque dans 1a vie des etres jeunes ou mourir leur est tout juste aussi normal et aussi sedut sant que vivre".' 1 Ceci s'app1ique precf sement a Isabelle et a Ondine. Isabelle demande au spectre: "VOuS savez pas rna 1 de choses sur 1es morts?.. Vous me 1es di rez?" (I,I,vi i , p.278). Ondine elle aussi pense a 1a mort. E11e sait que Hans mourra 1e premier, II c I est horri b1e. .• Mai s Ondi ne 1e rattrape vite... E11e se tue•••" (O,I,v,p.206) dit Ondine, qui a 11habitude de se nommer ainsi a 1a trotsf eme personne.

1. COLETTE: Mes Apprentissaqes. Hachette, 1958, p.58. 23

Dans Intermezzo Giraudoux trace avec adresse 1e personnage de l'ado1escente eternelle. A 1a fin du deuxieme acte qui est 1e point cu1minant de 1a piece, 1e Droguiste remarque:- "Ce qui se passe lCl se passe chaque jour dans une des trente-six mi 11e communes de France. Vous savez ce que c 1 est une jeune fi 11 ell. (I,II,viii,p.304). A ce moment meme nous voyons Luce qui s'attarde seu1e dans 1a foret 1a nuit. Jusqu'a present, e11e est trop jeune pour parler avec 1e spectre, mais 11Inspecteur commente: lIL'episode Isabelle est clos. L'episode Luce ne surviendra que dans trois ou quatre ans ll. (I,III,vi,p.325). L'auteur suggere que 1e cycle se repetera et que 1a jeune fi11e ne cessera jamais dans sa recherche de 11aventure et de l'evasion.

Le titre Intermezzo, ou I Intermede ' peut etre donne a bien des oeuvres de Giraudoux. Llaventure d 'Isabe11e avec 1e Spectre, Suzanne sur son i1e, Juliette et ses rencontres a Paris sont tous des intermedes dans 1a vie de ces jeunes fi11es. Ce11es-ci ne sont

1 pas touchees par 1 amour d I un homme et elles gardent aussi 1eur chastete. IIL lame de Renee etait intacte, son corps 11etait plus encore" 1 , car l' on voi t r attache au theme de 1a jeunesse, ce 1ui de 1a virginite. Les plus typiques de ces vierges-enfants sont Claudie, par exemp1e, qui n'a que huit ans ou Ondine qui n'en a que quinze. 11 ne s'agit pas seu1ement dans 1 I oeuvre de Giraudoux, d'une vierge, mais ega1ement de ce qu'on a appe1e un lI etre vierge asexue II. 2 C1audi e est decri te comme II asexues et a pei ne humaine ll• 3 Le concept significatif dun lI etre vierge asexue" pour emprunter 1a phrase d lA1beres -merite dletre approfondi car Giraudoux minimise 1e role de la sexualite. Les jeunes fi11es sont dans une 1arge mesure transparentes et elles semb 1ent etre tres peu touchees par 1e desi r sexue1. L' i ndependance a 1 1 egard des

1. Aventures de Jerome Bardini, op.cit. - p.18. 2. ALBERES: Ope cit. - p.310. 3. Choix des Elues, Ope cit. - p.25. 24

desf rs et des emotions de ce monde se voit par exemp1e, dans 1e flirt d'Isabelle avec 1e spectre, qui n'est qu'une aventure de plus dans 1aque11 e s 'engage 1a longue 1i gnee d' heroines. Stephy "qardatt en effet une purete de jeune homme, qui venait sans doute de ce qu'e11e n'avaitpas eu autour d'e11e une m~re, c'est-~-dire un etre de meme essence, plus avance seu1ement en age et en decrepi tude, et qui, que1 qu' i 1 puisse etre, donne l ' exemp1e de

ll 1 l'etre feminin impur et degrade •

C'est nous qui avons soul i gne 1e mot 1 homme' dans cette derni ~re citation, mot inso1ite pour deer-ir-e une jeune fi11e. Giraudoux veut evi demment accentuer l ' aspect asexue et 1e detachemerrt de Stephy qui, apres son aventure, reste intacte. Bardini l' aimait mais elle demeure tota1ement indifferente. La sexua1ite ne joue pas de role. Ce sexe feminin est d'ailleurs salon Magny II~ peine un sexe II. 2 L'absence d' une m~re, d' un mode1e qu' elles peuvent imiter, ne semble pas etre une privation pour 1es jeunes filles gira1duciennes, mais p1utot un avantage dans leur vie. E11es arrivent ~ l'ado1escence 1ibres des tabous sociaux ou moraux, sans parents qut 1es poussent au mariage par egoisme, par convenance ou par interet. Gi raudoux attri bue ~ ses heroines une vi rgi ni te spirituelle et cosmique et non pas une virginite sexue11e. Mauron dans son etude psychocritique de l'oeuvre de Giraudoux fait remarquer que 111 ' eroti sme de Gi raudoux reste assez froid et son couple paradoxa1ement virginal. C'est qu'une sorte d'innocence psychique doit garantir 1a corporelle. Toute idee de faute, tout sentiment de cu1pabi1ite dof t : etre exc1u pour que 1e bonheur amoureux persi ste••. 11 3 11 n' e~ i ste gu~re d' adu 1tere, parce que comme 1e ditA1cmene, IIi 1 est male1eve de tromper son mari". (A,r,vi ,p.125).

1. Aventures de Jerome Bardini, op.cit. - p.69. 2. MAGNY, C1aude-Edmonde: Precieux Giraudoux, Editions du Seui1, 1945, p, 146 . 3. MAURON, Charles: Le Theatre de Giraudoux: Etude Psychocritiqu~ Librairie Jose Corti, Paris, 1971, p.88. 25

Par contre, Robichez, entre autres, insiste que 1a sensua1ite joue un role important. 11 constate que Giraudoux decrit 111 lair de vo1upt.e" 1 qu Ion respi re autour d IAgathe dans E1 ectre et autour de Judith, avec ses soupirs et ses p1aintes heureuses en compagnie d'Ho10pherne. 11 rappelle encore que Giraudoux line met aucune dt scretion" 2 dans la scene des vieillards congestionnes sur le passage d'Helene dans La Guerre de Troie. Ne perdons pas de vue aussi que le personnage d'Helene suppose Ide facto I la sensualite,

done C I est un eroti sme i ntri nseque, et non pas un eroti sme appcrte par notre ecrivain. La sensual t te fait partie plutot des valeurs comprises dans le symbo1e d'Helene 1egendaire, de cette "necessf te litterairell de. convention, que de l 'Helene de Giraudoux. 11 est vrai aussi que le role et le titre de plusieurs personnages secondai res Agathe dans Electre, Suzanne 1a prosti tuee dans Judi th - suggerent automati quement 1a sexual i te, et dans Pour Lucrece on rencontre le cote sensuel comme un element tota1ement anarchique. Par exemple, Paola, femme aux innombrab1es aventures, trahit son mari et occasionne le suicide de Luci leo Cependant i 1 nous semble en fi n de compte, que bi en qu' il exi ste un element de sensua1ite chez Giraudoux, c'est neanmoins une manifestation assez rare dans son oeuvre. En depit de ces exceptions, le souci qui domine 110euvre de Giraudoux est de maintenir un noyau de bonheur, d'innocence et de purete, Ce sont les jeunes filles qui garantissent cet ideal et nous pouvons cone1ure avec A1beres, que c Iest en effet un ideal utopique, et c'est la vierge qui tient la cle de .cette utopie dont elle est automatiquement le personnage principal.

Nous rencontrons dans 1Ioeuvre de Giraudoux une trof sf eme cateqorie de femme, notamment l'epouse. Elle est etroitement liee a 1a jeune fille, car l'impression dominante qui se degage de 1'etude des femmes giralduciennes est qU 'el1es restent

1. ROBICHEZ: op~cit.- p.254. 2. Ibid - p.255. 26

eternellement jeunes. Mais on ne peut pas parler de 1a femme mariee sans d'emb1ee mentionner 1e couple. Nous nous rendons compte que 1a notion du couple uni a jamais est un des aspects qui constitue L'untvers propre a Giraudoux en traduisant sa vision du monde dont nous avons par l e dans notre i ntroduction. Comme 1e

1 di t 1 ange dans Sodomme et Gomorrhe: II 11 n 1 y a jamais eu de creature. 11 n'y a jamais eu que le couple. Dieu n'a pas cree 11 homme et 1a femme 1 1 un apres l vautre, ni 11 un de 1 1 autre. 11 a cree deux corps jumeaux unis par des l anteres de chair qui il a tranchees depuis , dans un acces de confi ance, 1e jour ou i 1 a

ll cree la tendresse • (SG,II,vii,p.139). La question du couple, des rapports de 1 1 homme et dela. femme, ont toujours preoccupe notre ecrivain et i1 se montre humain et sensible en abordant ce prob1eme profond. La piece Amphitryon 38 est ecrite sous 1e signe du couple et a sa gloire, et respire 1a confiance et l'optimisme.

1 Pour Gi raudoux 1e bonheur du couple tradui t 1 unique espoi r d 1 un monde paisib1e et harmonieux. Sou1ignons combien sont relies 1 1 equi 1i bre du couple et eel ui de 1a paix. Nous trouvons cette liaison dans La Guerre de Troie et Amphitryon 38 ou 1a guerre

1 menace 1e bonheur conjugal, si on pense a 1 en1evement d I He 1ene et a la ruse de Jupiter pour e10igner Amphitryon.

V image de 11epouse contient certains aspects qu'il serait

1 necessaire d I exami ner comme par exemp1e 1a fide1ite et 1 amour conjugal. La fide1ite est un trait de caractere capital chez 1a femme mari ee de Gi raudoux. Andromaque dans La Guerre de Troi e personnifie traditionne11ement ces deux perspectives. El1e est

1a di gne et tendre compagne d I Hector, son mari, qu 1 elle ai de et soutient de son mieux dans sa tache. Au debut de 1a piece, e11e est remplie de confiance et d'optimisme: Hector reviendra; e11e attend un enfant. Elle represents 11 esperance meme. Andromaque est 1e symbo1e parfait, se10n 11avis de notre ecrivain, en ce qui concerne les rapports entre 11homme et 1a femme. Le couple

Hector/Andromaque rappelle, a tant d I egards, ce1ui d 1 Amphitryon/ 27

IIJe t I"aime Amphi tryon ... reviens vite •••

Je t I at"me Alcmen- ell• Amphitryon 38, III,iii, p, 113. " ffiche - annonce AMPHITRYON 38 - Paul CollnComedie Ades C ham ps Elysees, illustre# en couleurs, Theatre LOUl"s Jouvet. 28

Alcmene , l'incarnation de 1'amour conjugal, Alcmene est l'exemple impeccable d'une femme complete. Elle retient toutes les qual i tes de spontanef te et de gai ete des jeunes fi 11 es anterieures, mais

au contrai re de celles-ct , A1cmene se contente d I etre une epouse ideale. Elle accepte sa condition de femme et ne cherche pas a

1 changer 1 etat des choses. CI est une honnete femme qui aime son mari et rien d'autre. Elle est digne, pure, sans ombre de vanf te

ni d I orguei 1. D1 apres Debi dour elle "se mefi e des etrangeres••• (e l le) ferme sa porte aux desf rs, parce que tous les siens sont comb lesv , 1 Alcmena demande a Jupiter: "Le desir? Quel nom as-tu prononce la?" (A,I,vi) la grande arme dAl cmene , c'est donc tout simplement d'etre la toute simple femme qU'elle est.

Alcmene est, comme toutes 1es heroines giralduciennes, extremement belle. "Elle est toute, toute blonde," (A,I,i,p.107) soupire

Mercure et Leda ajoute qu I ell e n I est rien que "beaute et jeunesse" (A,II,vi,p.152). Beucler l'appelle lila creature parfaite, l'epouse cartestenne, aimante et subtile, habile et f'idele, la Frencatse idea1e, aussi a liaise avec les dieux quavec les domestiques et 1es fourni sseurs". 2 Dans un chapi tre ul terieur nous allons voi r comment elle defie les dieux et comment 1es pouvoirs de Jupiter ne valent rien aupres d'elle.

Alcmene aime son mari, en effet, elle "n l aime que son mari" (A,I,i,p.108), annonce Jupiter tristement. Elle est bonne menagere et se charge des soins de sa maison et de ses servantes. Elle

avoue qu I elle n I est pas tres -intel l i gente; une des' Thebai nes 1es plus simples qui reussf ssatt nial en classe et qui a tout oubl te, Mais leda reconnait en elle des qualites plus importantes: "VoUS si vive, si enjouee, si volontairement ephemere••. Vous etes nee pour etre, non une des idees meres, mais la plus gracieuse

1. DEBIDOUR: op.cit.- p.102. 2. BEUCLER, Andre: les Instants de Giraudoux, et autres souvenirs, Milieu du Monde, 1948, p.13. 29

idee fille de l'humanite" (A,II,vi,p.153), et Mercure est du meme avis (II,3). Tout le monde llaime car elle est, comme le remarque Sosie, "de celles qui sourient. Mais les epouses guerissent plus facilement des larmes que dlun tel sourire". (A,I,ii,p.113). Bien qu'elle ne pleure pas, ses paroles d'adieu a Amphitryon sont tres simples mais emouvantes: "Amphitryon, je t'aime, Amphitryon reviens vite". (A,I,iii,p.118). Ce qui frappe le lecteur sont les affi rmati ons d' amour qui se trouvent a p1usi eurs repri ses dans la piece et elle jure qu'elle mourrait plutct qU'etre tnfi del e a son mari. 1 C'est enfi n a cause de cet amour constant que Jupi ter bent t ce couple, "que 1 1 adul tere n' effleura et n'effleurera jamais". (A,III,vi,p.l77). Alcmene , qui refuse le

reve et qui s 1 attache a un bonheur reel est 1e porte-paro1e de llauteur car elle represente la dignite humaine et l'amour conjuga1. Comme 1es autres heroines de Gi raudoux, A1cmene est une lelue l mais en tant que femme mariee elle est mise a l'epreuve. Nous la sentons dupee comme Judith des son arrivee sous la tente (et la tentation) d'Holopherne, mais le genre comique de la piece Amphitryon 38 exige qu'Alcmene soit heureuse au denouement et donc, par lleffet d'une grace divine, que le souvenir d'une infidelite forcee soit efface de sa memo ire. Amphitryon reste ignorant de 1 1 affai re et 1e rideau tombe sur un couple heureux.

Dans Amphitryon 38 cest le couple qui est le vrai vainqueur. Cependant, nous sommes obl iges de constater que cette image du coup1e ne reste POl nt 1a meme dans l'oeuvre entiere. Elle sui t une courbe de plus en plus pesstmt ste a l' egard au bonheur du coup1e et Giraudoux reprend maintes foi s l' ana lyse de 1a mi sere intime qui etouffe un couple de 1'interieur. Le couple, Hans et Ondine, semble avoir la possibilite d'un mariage parfait mais c'est un echec car 1 1 homme, tout au contraire de 1a femme, n' est pas capable de donner ou de recevoir un amour absolu.

1• 0 I autres exemp 1es ou ell e evoque son amour pour son mari ­ voir -: II,V; I,VI, p.149, 150, 157, etc, 30

Dans Pour Lucrece nous assistons a la desintegration du couple. Stephy et Jer6me. dans Les Aventures de Jer6me Bardini se quittent. aussit6t apres leurs noces et Judith tue Holopherne, persuadee quele declin de leur union aurait ete desormais inevitable. Dans Sodome et Gomorrhe 1'amour du couple ne dure pas non plus.

S0renson, qui essaie de definir la cause essentielle du cataclysme que les etres humains declenchent eux-memes, ecrit que Illes hommes n'ont pas compri s 1es exi gences 1es plus e1ementai res de 1eur existence, les rapports entre les sexes sont devenus une caricature hideuse.•. L' amere conclusion (de Sodome et Gomorrhe) est que l'homme et la femme ne savent plus obtenir ce contact qui cree 1e vrai coup1e humai nil. T Sodome et Gomorrhe traite en plus grande partie du prob1erne du coup 1e, prob1erne que Gi raudoux nous presente dans une large mesure du point de vue de la femme, Lia, qui est le personnage qui domine la piece. Elle a bien des qualites que Giraudoux avait admirees dans une femme, comme 1'intelligence, la lucidite et la sensibilite, mais dans son cas, comme dans ce1ui d' Electre, elles sont poussees a l ' extreme. Li a est une femme qui exi ge toujours l ' abso1u. Ell e a 1a force et l'idealisme d'une des 'elues' de Giraudoux, mais cornme le fait remarquer Serenson, Illes e1ues ne seront jamais heureuses, 1eurs aspirations souffrant de demesure en face de l'humanite". 2 Lia est tout a fait intransigeante. Elle refuse de pactiser dans I.' interet de Jean, son rnari, de Di eu ou des gens de Sodome, rna is quand 1a mort est immi nente, c ' est Li a qui refuse fi na1ement de sauver 1e rnonde et de donner aDieu ce qu' i 1 rec 1arne: 1e coup1e parfait.

Giraudoux n'a pas hesite a ajouter a l'eventail de ses personnages des etres feminins ayant le courage d'assumer la souffrance,

1. S0RENSON, Hans: Le Theatre de Jean Gi raudoux, Technique et Style, University of Aarhus, Copenhagen, 1950, p.138. 2. Ibid - p.l17. 31

1e peche et 1a revo 1te. Ce sont celles qui sont en que1que sorte maudites, mais crest une malediction deliberement choisie. Nous pensons a Lt a, a Judith, a E1ectre et a Lucile. Ce sont des femmes implacables et inflexib1es, qui sont aveugles a tout sauf leur obsession. Ces femmes renversent l'equi 1ibre du monde et decl enchent la fatalite. Helene qui nest pas aussi impitoyable que ces femmes menti onnees au-dessus , se rend compte cependant quel le est impuissante d'arreter le deroul ement du destin. Elle le dit a Hector, liMon obstination? Je n'y peux rien: ce n'est pas la mienne" (G,I,ix, p.1S7) - c'est alors que le destin et la fatalite interviennent. Ces femmes qui sont les instruments de 1a fatal i te sont Menees .par une pui ssance surnature11 e, c'est-a-dire, que le destin et la fatalite sont en effet surnature1s •

Le but de ces heroines est de survivre et elles 1ai ssent dans 1eur trace le meurtre, le suicide et la destruction. L'heroine revoltee ou maudite est, selon le Mendiant dans Electre lila menagere de la verite, elle doit y a11er jusqu'a ce que le monde pete et craque dans les fondements des fondements et les generations des generations, dussent mille innocents mourir 1a mort des innocents pour 1atsser 1e coupab1e arriver a sa vie de coupab1e" • (E,I,viii,p.236). Tout en Electre est haine, vengeance et orgueil - 1es instruments de sa quete vers 1a veri te - hai ne de sa mere au point d'accuser Clytemnestre d'avoir fait peri r Iphigenie! Electre incarne larigidite, mais elle avoue, "[e les hais d'une haine qui n'est pas a moi". (E,I,viii,p.228). 'Pas·a moil, 'pas la mienne' - pour Electre et pour Helene il existe evidemment des pouvoirs qui dirigent leur destin et elles ne peuvent rien faire contre cette force.

Jeune, belle, independante et pure, Electre est en apparence la soeur tragique de Suzanne, de Juliette et d'Isabe11e. 32

E11e est, comme ces derrrieres et cormne Judith, de 1a race singu1iere des vierges a qui Giraudoux accorde de grandes 1tbert.es et de grandes audaces. Libre de toute contrainte et sure de son innocence, E1ectre peut chercher a percer 1e secret du rna 1 qui 1 1 entoure et, ce secret decouvert, a aneanti r ce ma 1 dans ses sources memes. "Mai s, a chaque epoque surgi ssent des etres purs qui ne veu1ent pas que ces grands crimes soient resorbes (par 11 human i te) et enpechent cette resorpti on" 1 , en emp loyant des moyens qui "provoquent d ' autres crimes et de nouveaux desastres", 2 E1 ectre est bi en de ces etres-1a. Ell e atteindra enfin son but, mais au prix dleffroyab1es catastrophes.

Le but de cette pi ece est done de montrer 1a 1utte que 1i vre 1a jeune fille E1ectre, pour 1a decouverte dun enorme crime.

L I acti on se deroul e en une nui t et 1a veri te est enfi n devct l ee. Dans une interview avec Warnod, Giraudoux confie quli1 a "fait apparaitre son image comme celle d I une jeune fi 11 e qui n 1 a pas peur des histoires" 3 , c'est-a-dire que 1a fata1ite ne 11effraie point. Electre, tntitulee simplement 'piece en, deux actes ", contient comme La Guerre de Troie un drame violent dont le motif est le destin. Pour 1a trof steme f'ots, notre ecrivain a put se dans 1a poesfe de 1a Grece antique. Mais encore une fo i s , Giraudoux transforme et renouvelle 1e mythe pour justifier 1es actions du personnage central, c'est-a-dire, d'E1ectre e11e­ meme.

De 1a meme race impacable nous trouvons Judith, orgueilleuse et remp1i e du gout de 1 1 abso1u. [11 e tue Ho 1opherne, accepte comme verite ce que pense son peup1e et se res;gne a devenir l 'hero'lne celebre et sauveuse des Juifs. De la veuve de 1 1 ancien testament,

1. WARNOD, Andre: IIJl ai epoussete 1e buste d 'E1ectre, nous dit Jean Giraudoux" in Le Figaro, 11 mai , 1937, sans pagination. 2. Ibid. 3. Ibid. 33

veneree pour sa vertu, riehe et belle, Giraudoux fait une Judith de vingt ans, vierge authentique, lila plus belle de nos filles, la plus pure". (J,I,i,p.184). Le fait qu'elle est jeune, belle et pure est tres signifieatif, car encore une fois Giraudoux f'accnne a sa maniere une jeune fille tdeale, La Judith de Giraudoux est peut-etre mains vertueuse, mais plus seduisante que celle de la Bible. Elle fait partie de la longue lignee de jeunes fi11es qui apporteront au theatre de Giraudoux leur fraieheur dlaurore et leur inextinguible gout de l'absolu.

Judi th est une jeune fi 11 e tres moderne, qui a joui de tous 1es avantages quappor-tent la beaute, l'intelligence et la richesse. Malgre la foule d'hommes qui la desi rent et admirent, Judith reste toujours vierge. Sarah souligne ceci en disant a Egan, "quaucune virginite n'a ete desiree et frolee de plus pres". (J,II,ii,p.214). Judith definit elle-meme sa virginite a Suzanne: "Elle nest pas eelle d'une vierge niaise. Elle nest pas

1 1 innocence, pas meme 1a purete, Elle est rna purete, II (J,I,viii,p.205). Bertin insiste que c 'est lila virginite de Judith (qui) donne l'audaee et la purete necessaires a une grande cause ".1 Les heroines de Gi raudoux sont toutes pures parce

1 qu"e11es eroient 1 etre et qu I elles ont confi ance en ce qu I elles font. Nous pouvons noter le manque total dlun sentiment de culpabilite ou de souffrance qui earacterise 1 I heroine giralducienne. Cependant les oeuvres de maints ecrivains du vingtieme s iecle , . baignent dans la eu1pabilite. Citons par exemple Kafka et Mauriae: les nouvelles de Kafka sont avant tout des descriptions meticuleusement exactes des obsessions, des anxietes et du sentiment de 1a culpabi1ite dlun etre humain sensible, perdu dans un monde de convention et de routine. Llunivers mauriacien est aussi peuple de personnages obsedes,

1. BERTIN, Pierre: "Les Jeunes Filles de Giraudoux", Cahiers de la Compagnie Madeleine Renaud - Jean-Louis Barrault, Jere annee, 2e eahier, Juil1ard, 1953, pp 43 - 44, 34

morbi des et escl aves de 1eur mi 1i eu soci a1 et moral et i 1 est rare que ces hommes et ces femmes puissent echapper a un sentiment de culpabilite. Chez Giraudoux c'est bien le contraire: . malgre elle, Judith devient l'hero;ne des Juifs et e11e doit 1'accepter. Comme Alcmena, le fait reel de son infidelite n'a pas d'importance. Toutes les deux femmes sont pures, car e11es se constderent l'etre. Alcmene etait certainement tnfi dele a son mari, mais elle n'avait jamais 1'intention de l'etre! Ma1heureusement quand Judith perd sa virgi nite et tue Ho 1opherne elle lise perdra aussi ". 1 Ce que dit Bertin prefigure ce qui se passera dans Sodome et Gomorrhe et dans Pour Lucrece, et non pas seulement dans Judith.

C'est effectivement ironique que la jeune fi11e Judith evolue en femme, grace a Holopherne, son pire ennemi. Mais aussitot qu'elle lui tranche la tete elle se condamne a une vie de solitude. Pourtant c'est une creature de bonne foi qui s'est acquittee de sa mission. IIJe sais ce que je suis, et je le reste," (J,II,ii,p.216) affirme Judith.

Signalons que les femmes 'maudites' sont differentes des Ondine, des Suzanne, des Isabe11 e et qu ' elles se trouvent a l ' ecart a cause des traits comme l'orgueil et l'intransigeance.

11 est important de noter, cependant, qu' atravers toute cette durete Giraudoux s'attache presque toujours a l'optimisme. La seule ombre quiregne, c'est cell~ de Sodome et Gomorrhe, c'est celle de 1a fin du monde. L'affirmation du jardinier dans Electre est le message opportun pourcontrecarrer 1e fil pessimiste qui surgit parfois, quand i1 declare, "J'ai a vous parler de 1a joie. Joi e et Amour, oui. Je viens vous dire que c' est preferab1e a Aigreur et Hatne "', (E,ENTR' ACTE,p.237). C' est de cette foi abso1ue en 1e bonheur que procede 1a verite giralducienne.

1. BERTIN, Pierre: op.cit. - pp 43 - 44. 35

11 nous semble tres clair que Giraudoux aime toutes ses heroines et que ce sont elles qui propagent son message et qui representent

1 1e monde ideali se qu 1 affectianne 1 ecrivai n. La tragedie du mal dans 1avie semble, 1a p1upart du temps, emaner des personnages masculins et de leurs actes. C'est comme s'il existe dans 1'oeuvre de Giraudoux deux univers opposes l ' un a l' autre. LI attitude des femmes envers 1es hommes est souvent moqueuse, ce qui sou1i gne une impression de la superiorite feminine. Les femmes gi ra1duci ennes symbo 1i sent 'l ' idea1 et 1a purete de 1a societe. Elles peuvent etre naives et amora1es et ne pas se rendre compte du mal dans 1eurs actions. Ce sont toutes, par consequent, des etres de bonne foi, des creatures ideales. Comme nous 11avons mentionne, meme Electre et Judith croient sincerement en leur cause.

Quant aux hommes, ils apparaissent en grande partie comme des balourds, inutiles, faibles et comme le dit Helene, "pareils a de grands savons". (G,I,viii,p.154). Les hommes dans l'oeuvre de Giraudoux semb1ent etre des enfermes volontaires, de1iberement reclus dans leur condition. Suzanne dans l'ile paradisiaque du Pacifique pense aux hommes et a leurs preoccupations et e11e se rend compte "peu a peu... que nous n' etions pas eux et moi de 1a meme epoque du monde". 1 Veritab1e mentor de 1 1 homme, 1a femme chez Gi raudoux ale pouvoi r de connaitre et de transcender 1es donnees immediates de la conscience et seu1e, peut entrainer l'homme hors des 1imites etroites qui lui sont imposees. Le seul personnage masculin qui . s'evade chez Giraudoux, c1est

Jerome Bardi ni. Il rencontre 1a douce Stephy et c I est enfinelle qui l' abandonnera, sortant du bonheur "comme d' une gee1e pentble", 2 Meme 1e chevalier Hans dans Ondine est un etre assez prosaique, un homme un peu lourd qui manifeste un penchant pour des chases materiel1es. Bien qu'i1 soit fiance a Bertha, i1

1. Suzanne et 1e Pacifique, op.cit.- p.139. 2. Aventures de Jerome Bardini, op.cit. -.p.123. 36

1 1 0ubl i e et veut, coate que coate epouser Ondine. Giraudoux illustre ici le manque de sensibilite de l 'honme et son inconstance. Ondine, qui s'etait aventuree hors de sa condition pour goOter celle des hommes, se voi trappe1ee a-1a fi n de 1a piece au royaume des eaux dont el1e est issue.

Giraudoux met constamment en evidence la faiblesse et l'inferiorite des hommes. Leur laideur est exposee, Clytemnestre a "horreur de la barbe bouclee" (E,II,viii,p.271) d'Agamemnon et Leda ne peut pas supporter 1es hommes aux cheveux fri ses , Meme les vetements mascu1ins sont en butte au ridicule si on pense au cheva1i er d' Ondi ne qui est .empetre dans son armure et dont 1e hausse-coT l' empeche de 1ever 1es yeux vers 1es a1ouettes. Les hommes oub1i ent toute po1i tesse quand vi ent l' heure des repas. Ils sont orgueilleux et se croient maitres du monde et de leur femme, mais "cette force est faiblesse, ce travail est paresse, ce devoir vanite". (SG,II,viii,p.14S). Ils sont aussi inertes: liCe que c'est lent un hamme", (O,I,v,p.21) s'ecrie Ondine. Ce sont des esprits simples, meme Amphitryon a qui Al cmsne dit, "Pauvre ami! Tu n'as jamais convaincu que moi au monde, et ce n'est point par des discours". (A,III,iii,p.164). La race des femmes est toujours superfeure, car "elles comprennent tout". (SG,I,ii,p.112). La vision giralducienne du monde ideal est done representee par ses femmes. Les personnages masculins eux-memes en sont quelquefois conscients: "Les jeunes fiTles seu1es m'attiraient. La fraicheur, la fierte, l lardeur, la gr~ce, seules m'attiraient", 1 dit Simon.

11 existe une unite dans 1'oeuvre de Giraudoux, car toutes ses femmes se ressemb1ent d' une fac;on au d I une autre. Suzanne prefigure Isabelle. Celle-ci devient A1cmene. Si. elles prennent la figure de 1a jeune fille en quete d'evasion, telles Suzanne

1. GIRAUDOUX, Jean Simon le Pathetique, Bernard Grasset, Paris, 1926, p.63. 37

qui part pour 1es i 1es du Pacifi que, ou Ju1i ette qui s' aventure 'au pays des hommes', ou Electre qui cherche la verite, leurs prob1emes remettent presque toujours en question 1es rapports de l ' i ndi vi du et de l' uni vers. Pas encore liee par 1es engagements temporels, 1'heroine de Giraudouxse reconnait le droit a l'aventure en dehors des lois de la societe. "Pourquoi n'est-il pas possible a une jeune fille de rassembler sur quelques mois tout ce qu'elle aurait eu a eparpiller sur sa vie entiere, en des irs de sacrifice, en revoltes, en joies non terrestres, en degoQt des heros et des habi tudes, et de s I en debarr-asser ai nsi pour toujours?" 1 Les heroines gi ra1duci ennes sont ai nsi p1acees au-dessus des contingences ordinaires de la vie. Ce sont des creatures poetiques, nees de 1'imagination de l'ecrivain, qui nous communi quent 1a texture meme de 1eurs reves, qui sont II nee (s) depuis des siecIel s l" (O,II,ii,p.6l) et qui ne mourront jamais.

Dans le chapitre suivant nous avons 1'intention de faire ressortir ce que c'est que le surnaturel chez Giraudoux et ensuite de commenter 1e rapport entre ses heroines et 1e monde surhumai n,

1. Aventures de Jerome Bardini, op.cit. - p.9l. 38

CHAPITRE II

LE MONDE SURNATUREL DANS LIOEUVRE DE GIRAUDOUX

"Veux-tu decouvrir 1e monde. Ferme tes yeux.Rosemonde."

Suzanne et 1e Pacifique

Le surnature1 joue un role capital dans 110euvre de Jean Gi raudoux et parcourt comme un fi 1 tous ses romans et toutes ses pieces. A maintes reprises, Giraudoux a affirme que son oeuvre est une vehemente protestation poetique contre 1e rea1isme. Dans une interview qu li1 accorde a F. Lefevre, i1 lui confie: "Je n'apprecie a aucun degre 1a 1itterature rea1ist~,.1 Dans 11 optique gi ra1ducienne 1e surnature1 est 1e mei 11 eur antidote contre 1e rea1isme et aide notre "i11usionniste sans materiel" (O,II,i,p.41) qui propose de transmuer 1e monde en un univers plus beau et plus pur, de recreer 1e monde dans une "heureuse 1umiere". (IP,I,iii,p.338).

Chez Gi raudoux 1e surnature1 comprend p1usieurs aspects et cest notre intention dans ce chapitre de delimiter 1e territoire du surnature1 en preci sant ses rapports avec d 1 autres domaines qui sly rattachent, clest-a-dire, 1e feerique, 1levasion, 1e mervei11eux, 1es dieux mytho1ogiques et 1e Dieu bib1ique.

1. LEFEVRE, F: "Une Heure avec Jean Gi raudoux", Les Nouve 11 es Litteraires, Paris,1926, pp , 141 - 151 . 39

Le surnaturel signifie en gAnAral ce qui est "au-dessus de la nature".l Quelques thAologiens entendent par surnaturel "tout ce qui a un rapport spectala Di eu, comme auteur de 1a grace ou de la gloire, et qui suppose une union avec Dieu". 2 D'autres entendent par surnaturel ce qui est "au-dessus de toutes les lois nature11es" 3 , c'est-a-dire, ce qui surpasse le pouvoir de l'etre humain. On peut distinguer deux especes de surnaturel. Le premier comprend la prAsence de Dieu qui constitue l'origine de l'A1Ament surnaturel. Dans 1'oeuvre de Giraudoux cependant, Dieu n'entre en jeu que dans deux pieces, et pour ainsi dire nAgativement, car c'est son absence qui i nfl uence 1es personnages. Il n' y a pas de dimensi on thAo1ogique dans 1es pieces de Gi raudoux; i 1 ne semb 1e pas se preoccuper de la religion traditionne11e. Le deuxieme aspect, en revanche, 1'attire: c'est le mystere de l'univers que n'explique pas la science, mais qui existe et qui peut etre pressenti par certains procAdAs tels que le reve ou l'intuition poAtique.

Afin de mi eux cerner cette noti on chez notre auteur, considerons trois dAfinitions qui s'appliquent plus perttcul ter ement au surnaturel giralducien. Selon LAROUSSE, le surnaturel est ce qui "depasse 1a nature. II BENAC va plus 1oin en constatant que 1e surnature1 synonyme du mervei 11 eux, est "l' i ntervention d'etres surnaturels." Dans l'EncyclopAdie LittAraire il y a la dAfinition suivante: "Le surnaturel para,t etre une des prenneres formes de 1'imagination littAraire. Correspondant a la fois a un besoin de syabo l i sation et a un desf r d'Avasion, il caractArise les oeuvres les plus anciennes de tous les peuples, par exemple les chansons de geste... les poemes homAriques.

1. EncyclopAdie des Sciences , des Arts et des MAtiers. 1.1. 34 et 35, rubrique 'surnaturel'. 2. Ibid. 3. Ibid. 40

Mais i1 reste une source permanente d'inspiration lorsque 1'imagination des poetes rejoint 1es croyances popu1aires, ai nsi avec Vi rgil e , Dante et Mi lton. II Et nous pouvons ajouter que cest justement 1e cas chez Giraudoux ou 1e destr de 11evasion et 1a recherche de 1'imagination jouent un role important, comme nous allons voir par 1a suite.

Definissons a present 1a notion du mervei11eux en relation avec ce11e du surnature1, car i1 existe une grande mesure d'identite entre 1es deux. Traditionne11ement 1e mervei11eux c'est ce qui est inexplicable nature11ement, autrement dit, ce 1a re1eve du monde surnature1. LAROUSSE preci se 1e mervei 11 eux comme ce qui se produi t par Ill' i ntervention d' etres surnature1s dans 1es poemes et autres ouvrages d' tmaqtnatf on",' Un examen attentif nous permet de dire qu 'i1 n'existe aucune difference entre surnature1 et mervei 11 eux chez Gi raudoux et que 1es termes sont equivalents.

Le merveilleux chretlen ou paien date d 'i1 y a tres Ionqtemps et figure dans 1a l t ttereture du Moyen Age. Puisque Giraudoux est influence par cette 1itterature, une des sources possibles du merveilleux pourrait sly trouver. Il est tndenf able que Giraudoux est attire par 1es normes esthetiques et mora1es du Moyen Age. Le recours au Moyen Age est avant tout l'effort de Gi raudoux pour oub1i er 1e degoOt que 1ui i nspire 1a condi tion humaine. En etudiant 1a vision. du monde de notre ecrivain, nous avons sou1igne son refus du reel et 1 I intrusion du surnature1 dans 1a vie quotidienne de ses personnages. L'inspiration medieva1e, ce que Serte10n appe11e 1I1e medievismell 1 de l'ecrivain est tantot nettement tantot discretement evidente dans son oeuvre. La quete du Graa1, pour citer un exemp 1e, l' a beaucoup fasci ne.

1. SERTELON, J.C. : Giraudoux et 1e Moyen Age, La Pensee Universe11e, Paris IVe, 1974, p.275. 41

Brievement crest l'histoire dlun etre qui, au cours d'une longue et dangereuse quete, lise metamorphose pour se debarr'asser des impuretes de 1'existence et atteindre la purete de l'essence". 1 A 1a fin il se rend compte des lois de 1a fraternite universe11e qui unit tous 1es etres. Presque toutes 1es oeuvres de Giraudoux comprennent cette quete: 1es peregrinations de Ju1 iette et de Jerome Bardinioffrent des simi l arftes avec 1e my the du Graa1; E1ectre recherche 1a verite; Isabelle erre dans la nuit en compagnie dlun spectre et Ondineest 11incarnation meme du Graa1. Ai nsi l ' uni vers romanesque de Giraudoux cctcte 1e royaume des legendes. Ses heros, comme 1e faisaient deja Parsifal et Yseut, nous indiquent 1es vraies voies de 1a vie, et ses mythes transfigurent 1e reel, reconct l i ant a 1a foi s 1a peesie avec 1a verite et 1a rea1ite avec 1a legende.

Pour reprendre 1a premi ere defini tion nous pouvons signa1er que 1e surnature1 chez Giraudoux "depasse la nature". Par nature nous en tendons 1es elements, comme l ' eau, 1e monde vegeta1, 1e monde animal, en effet l'ensemb1e des choses qui existent dans 1e monde physique. crest parce qu'elles ont une communion intime avec 1a nature que 1es personnages femi ni ns , surtout 1es jeunes fi 11 es, peuvent penetrer dans un monde surnaturel. Pleinement sensibles a 1a nature, qui est pour elles" ... un temple ou de vivants piliers, 1aissent parfois sortir de confuses paroles" 2 , les jeunes fi1les comprennent les manifestations de l'univers ou toutes choses parlent un 1angage muet. Llinf1uence de Swedenborg, theosophe suedois et sa theorie sur 1es correspondances est evidente chez Giraudoux. Swedenborg, lui aussi, reconstruit 1e monde de 1a meme maniere que Giraudoux, bi en que dans un sty1e plus systematique et moins feerique. 11 croit aussi au pouvoir magique du 1angage qui a seduf t notre ecrivain: "La parole est

1. SERTELON. op.cH•. p.115. 2. BAUDELAIRE, C: op.cit. p.39. 42

,• le medium qui unit Ja terre avec le cieV l Leur point commun est 1a croyance enles correspondances mysteri euses qui 1i ent 1es etres et les choses.

Le terme de 'correspondances' appartient au vocabulaire des mystiques et la doctrine de la communication des esprits est prect see par Baudelaire qui dit que "cest cet admirable, cet immorte1 i nstinct du Beau qui nous fai t cons i derer 1a terre et ses spectacles comme un aper~u, comme une 'correspondance' du ciel. La soifinsatiable de tout ce qui est au-del a, et que revele la vie, est la preuve la plus evidente de notre tmnort.a l tte.: Clest a la fois par la poesie et a travers la poesie que l'ame entrevoit 1es sp 1endeurs situees derri ere 1e tombeau".2 Le ro 1e du poete est donc de saisir intuitivement ces mysterieuses 'correspondances' pour atteindre une partie de cette splendeur surnaturelle. Clest justement ce que 'font Giraudoux et ses jeunes filles, qui penetrent dans 1e domaine mysterieux des I correspondances I entre le materiel et le spirituel. Leurs intuitions leur permettent de comprendre les secrets de la nature et de parvenir a une connaissance de l t au-del a divino C1est ainsi qu'elles ont une revelation d'un monde superieur, hors du reel. Nous pouvons sans difficulte imaginer la joie de Suzanne dans son univers elyseen et de Juliette qui cede a l'enchantement, transportee comme elle l'est, dans un monde qui nlest plus le sien.

Bien que Gi raudoux ne sott pas surrea1i ste, i 1 exi ste cependant des ressemb1ances i nteressantes entre 1e surreal tsme et 1a pensee giralducienne. Le surreatfsme est un mouvement litteraire dont le but est "d lexprfmer la pensee pure en excluant toute logique ll 3 et toute preoccupation morale et esthetique • Les surreal l stes

1. LAMM, M: Swedenborg, Paris, Stock, Publication du Fonds Descartes, 1935, p.88. 2. BAUDELAIRE, C: Notes Nouvelles sur Edgar Poe) 1857, Cite par ALBERES, Ope cit. p.231. 3. LAROUSSE:' Dictionnaire Universel, rubrique "surrealt sme ' 43

visent a transformer 1e monde d' abord par 1e reve. "Tout porte a crofre", ecrit Andre Breton, "qutl existe un certain point de l'esprit~ d'ou la vie et la mort , le reel et l'imaginaire~ le communicable et l'incommunicable cessent d'etre aperyus ll l contradictoirement • 11 s'agit donc d'atteindre le domaine du

surr-ee1~ ou tous 1es contraires s I accordent. Gi raudoux est en effet proche du merveilleux surrealiste~ qui vient de la nature et des objets qui nous entourent. Mais le resultat ne se produit que lorsque nous depouillons ces objets de leur aspect habituel et utilitaire pour les regarder en eux-memes comme des choses i nso1ites qui evei 11 ent notre imagi nation et qui crista11 i sent 1es appe1s de notre i nconscient. Gi raudoux s Ii nsere donc dans le courant du surrealisme.

Cependant, le mervei1leux chez Giraudoux qui, comme nous l'avons exp l ique, est en grande partie synonyme du surnaturel , ne se limite pas aux objets et a la nature, mais evoque en meme temps l'intervention d'etres ou de forces surnaturels , ce qui nous amene a notre deuxieme definition. Bien que ses personnages soient des gens comme nous-memes , habitant 1e monde ou nous sommes~ ils se trouvent souvent devant ce que nous pouvons appeler l'inexplicable: des f'antbmes , des anges, des dieux et des ondines. Les fantomes sont traditionnellement des II appari tions surnature11 es des personnes mortes (sett dans 1eur ancienne apparence~ soit dans la tenue caracteristique attribuee aux fantomes}II.2 Toutefois dans l'oeuvre de Giraudoux ce sont plutot des chimeres~ c'est-a-dire les fantomes de l'imagination~ ou peut-etre des apparitions· sans realite.

Les etres et les forces surnaturels abondent dans les pieces comme Judith, Amphitryon 38 et Ondine. 11 s'agitdans ces pieces

1. DUROZ01, G: Breton~ Andre: L'Ecriture Surrea1iste, Librairie Larousse~ Paris Vie~ 1974~ p.16l. 2. ROBERT: Rubrique 'fantome~ 44 JEAN GIRAUDOUX

CHEZ GRASSET u" ...,.: /1 fro r.s..~ :..)",. \ .. ~ .

"Tu es la clarte••• la grace ••• l'aventure .~. la transparence••• " Ondine, II,xi, p, 62.

ONDINE. Affiche pour 1'edition d'Ondine, publiee i chez Bernard Grasset par Tchelitchew, 1939. 45

du royaume de Oieu, des anges, des dieux mythologiques et des ondins dont nous allons parler par la suite.

11 nous reste a present a di scuter 1a troi si erne definition du surnature1 qui concerne 1 1 imagi nation 1itteraire et i 1 devi ent evident que 1e surnature1 chez Gi raudoux prend son essor dans l'imagination, dans une transfiguration du reel. Le reel ordinaire est subitement bouleverse par quelque evenement etrange et inexplique. Pour citer de nouveau Intermezzo, la petite ville est en emoi. Des phenomenes bizarres s'y manifestent, que l'on attribue a la presence dlun spectre rodant dans 1es envi rons: cette .. 11 i nfl uence i nconnue" , (I,I,tv,p,262) , en ebran1ant 1es fQndements de la morale et de 1a societe ctvi l tsees, restitue provisoirement une justice conforme aux normes traditionnel1es ou Illes enfants que leurs parents battent, par exemp1e, quittent leurs parents, 1es femmes qui ont un vieux mari, ivrogne, laid et poilu, l'abandonnent simplement pour quelque jeune amant, sobre et a 1a peau lissell• (I,I,iv, p.263). Grace a l'intervention des puissances cachees , i1 advient aussi que 1I1e hasard frappe a coup sur: ainsi a 1a loterfe, cest 1e plus pauvre qui gagne 1e gros lot et non 1e mi 11 i onnai re, qui est le gagnant habituel, et 1a motocyclette est revenue au IIjeune champion", au lieu de lila superieure des bonnes soeurs a laquelle e11e echeait regulierementll. (I,I,iv,p.262). Le village est dans un etat etonnant ..ou tous 1es voeux s 1 exaucent, ou toutes 1es di vagations se trouvent etre justes" et que l' auteur 1ui -meme definit comme "l letat poetique ". (I,I,iv,p.263)'. L'imagination poetique fait partie integrante du surnaturel giralducien.

Une des premieres manifestations de cette imagination poetique se voit dans le des ir d'evasion, autrement ditllla fuite hors

ll 1 du monde habituel, dans un monde nouveau ou imaginaire • Les jeunes filles de 1a constellation giralducienne, 1es elues de

1• BENAC: op. cit .' p. 121 , 46

son coeur ~ portent en elles 1e desi r de qui tter 1a condi tion humainepour un temps. Lasses d'une existence imp1acab1ement reg1ee~ elles souhaitent changer de cadre et de condition pour connaitre un sort met l l eur, un destin moins banal. Elles savent que cette evasion est i llusoire: Suzanne comprend que son sejour sur 11i1e est un lJ.lirage~ une pure utopie, et Juliette sait qu'elle reviendra enfin a Gerard. Les heroines veu1ent s'enfuir pour "aller la-basil 1, dans une terre inconnue et imprecise, dont e11es aper~oivent 11appe1 mysterieux. Cet lai11eurs' auque1 e11es aspirent leur semble plus satisfaisant que 1e petit monde qui 1es ennui e. Les Aventures de Jerome Bardi ni ~ Combat avec 1 1 Ange et Choix des E1ues evoquent aussi 1a nostalgie d'un univers mei11eur que celui de 1 1 experience ordinaire. Ces jeunes filles~ Isabe11e~ comme Juliette~ ont leur intermede~ leur aventure~ mais on est oblige de constater qu 'e11es ne se pretent que provisoire­ ment aux seductions des reyeS et de 11irree1 car leur desir nlest pas de rester en permanence dans 1 1 au-del a. En fin de compte, rna 1gre ce desi r d Ievasion ~ 1 1 envi e abso 1ue de 11 aventure ~ elles revi ennent 11 une comme 11 autre a 11 entourage fami 1i er 00 elles ont 1eurr61e habitue1•.

Dans Intermezzo Giraudoux oppose 1a jeune fi11e au spectre, c'est-a-dire~ l'ideal modeste fait face au destin avec tous ses sorti1eges. LIi ntermede .dans 1a vi e d IIsabe11e est 1e moment privi1egie de l'existence 00 la jeune fi11e eprouve 1a soif de l'infini, le desir de 1Iau-dela~ Elle sera prete a accepter les consequences. Toutes ces' fuites vers 1linconnu, vers 1es merveilles de 1a nature, vers 1e neuf, ont une valeur mora le, car 11etre est renouvel e par le contact avec une vie exotique. Par 1Iimagination, 1a sensibi1ite des etres est enrichie et ils ont tous 1e moyen d'echapper aux tristesses de la vie.

1. Ce desir pour s'evader se manifeste souvent dans 1a litterature fr-ancatse : L'Invitation au Voyage de Baude'l af re, et Bri se Marine de Mallarme, nIen sont que deux exemp 1es. 47

L'evasion implique aussi la fantaisie, dont la valeur reside principalement dans l'imagination et dans la faculte d'agir 1ibrementet sans contrainte. Les personnages feminins chez Giraudoux sont presque tous des fantai sistes qui se comportent ~. leur guise, "au mepris de ce qu'il fautfaire ou de ce qui se fait ordinairement".l La fantaisie repond ~ leur besoin dlevasion. La feerie, le monde ou figurent des personnages surnaturels, fait aussi partie de l'idee de 1'evasion et de la quete constante du bonheur chez les jeunes filles. Elles cherchent l'ideal, qui exprime non l'apparence des choses, mais leur essence meme. La feerie giralducienne s'apparente etroitement au domaine du fantastique et par consequent, ~ celui du surnaturel.

L'exoti sme evoque une notion equi va1ente a celle de l ' evasion, car l'heroine giralducienneest toujours marquee de la volonte de decouvrir un nouveau monde, telle Suzanne qui partait "pour un autre monde ..• innocemment". 2 , ecrivain influence par Giraudoux constate que "ce qui fait le charme et I' attrait de l'Ailleurs, de ce que nous appelons 'exotique' ce nlest point tant que la nature y soit belle, mais que tout y parait neuf, nous surprend et se presente ~ notre oei 1 dans une sorte de virginite":- 3 Ce sentiment de l'exotique repond justement aux aspirations des jeunes filles giralduciennes qui cherchent "au 4 fond de l'inconnu pour trouver du nouveau [11. Nous pouvons constater que tout dans l'univer$ de Giraudoux est neuf, car pour ses femmes tout arrive pour la premiere fois. "Tout ce qui est vegetal n'etait plante que d'hier pour [Juliette] dans le monde ••.

1. ROBERT: Rubrique 'fantaisie~ 2. Suzanne et le Pacifique, .op.cit. p.45. 3. MORAND, P: "Adieu ~ Giraudoux", Porrentruy, Suisse: Editions de Portes de France, 1944, sans pagination. 4. BAUDELAIRE, C: Les Fleurs du Mal, op-cit, La Mort, Le Voyage, Partie 8, p.150. 48

ce n I etait que 1e debut de son f1 i rt avec un des regnes de 1a nature" 1, et Suzanne savourait "cette heure conune si c'etait lapremiere du monde ••. 112 L~innocence etla fraicheur des jeunes filles sont ainsi soulignees par l'emerveillement qu'e11es montrent devant l'univers. C'est ce qu'on pourra appeler 'l'edenisme' de Giraudoux, le goOt des auroras, 1e goOt des vi rgi ni tes: pour citer Magny, 111 a nostalgi e du premier jour de

ll 3 la Creation, du premier matin du monde • Ce sont les personnages feminins qui traduisent ce besoin de l'abso1u, et cette capacite de lereconnaitre. Ce qu 'e11es cherchent et ce qu'e11es decouvrent, c1est 1a renovation de l'existence et de la realite. Leur faculte de creer, de. croire a des possi bi 1i tes nouvelles et a la vie elle-meme, fait d'elles des symboles de l'imagination de notre poete.

Cons iderons a present, l'imagination creetrtce de Giraudoux. 11 existe dans la 1itterature, 1e conte traditionnel, folklorique, le genre 'conte de fees', ou se trouvent habituellement 1es archetypes du roi pui ssant, du pri nce charmant, de 1a belle princesse et de 1a mechante sorciere. La belle princesse a part, ces personnages stereotypes ne font pas partie du repertoire

giralducien. Louis Vax les appe11e des II si l houet t es precises dans

ll un monde froi d ; nous ne participons ni a 1eur vi e ni a 1eurs emotions. 11 existe pourtant un lien entre 'la belle princesse', qui date de la tradition orale qui chante l'amour et la femme, et l'image de lao jeune 'princesse', tr-ansf'ormee, mais p1einement deve10ppee chez Giraudoux.

1. GIRAUDOUX, J: Juliette au Pays des Hommes, Grasset, 1955, p.54. 2. Suzanne et 1e Pacifique, op .cft . p.92. 3. MAGNY: op ~it. p.26. 4. VAX, L: L'Art et 1a Litterature Fantastique, Presses Universitaires de France, Paris 1963, p.5. 49

Le conte traditionnel, qui comprend le fantastique, se carecteri se par ce que Louis Vax appelle "une intrusion brutale du mys tere dans 1e cadre de 1a vi e ree11 ell. 1 LI homme eprouve subitement la presence de forces cachees et redoutab1es. Le mystere dont il s I agi t i ci est que1que chose d I epouvantab1e, lhomme. d 'effroyable et d 'inaccessible a 1 I1 se sent menace devant ce phenomene incomprehensible et impenetrable. Par contre, le mystere dans l 'oeuvre de Gi raudoux a une autre face. Les heroines, capables d 'exp1oits fabuleux et douees d'une comprehension instinctive de l lunivers, peuvent entendre pousser 1lherbe, comprendre 1e 1angage des fourmis ou des mer1es, ce qui symbo 1; se pour elles 1e I mystere I du monde. Vax aff; rme ensut te que 1e mystere est normalement "1;e aux etats morbides de 1a conscience qui, dans 1es phenomenes de cauchemar ou de delire, projette devant elle des images de ses angoisses ou de ses terreurs ". 2 Poe et Di ckens utilisaient des spectres moralisateurs pour provoquer 11horreur ou 1a vertu. Mais ce nlest pas 1e cas chez Giraudoux, qui slarrete devant cet aspect morbide. La presence du surnature1 dans son univers donne une dimension qui fait ec1ater 1es limites ordinaires du monde nature1 et 11effet en va toujours dans 1e sens d'un optimisme att.t rant, d I une joie de vi vre contagi euse. L I auteur essaie de nous "r estituer une humanite fraichement creee et tout ll. nature11ement insta11ee dans la dignite du bonheur 3 Ses oeuvres sont en effet peuplees de- creatures exemp1aires, capab1es de goOter p1einemenf a 1a vi e. LI Isabe11 e d I Intermezzo en est un echantillon parfait.

1independance Cette piece insiste sur 1a l tberte de 1 I homme, 1

1. Ibid - p. 10. 2. Ibid - p. 21. 3. DECAUNES, L: Litterature de Notre Temps, Recueil I, p.131. sans date. 50

de L'humanf te, mais souligne en meme temps, que bien que libre, 1a vi e de 1 1 homme serait plus heureuse s Ii 1 pouvai t vi vre en harmonie avec 1 1 uni vers et accepter qu Ii 1 exfste des forces ext.erieures, que l'homme ne peut jamais comprendre. L'apparence exterieure charmante dIIsabe11 e, cache un des i r secret pour ce qui est : non-humain et spirituel, un voeu aussi pour la perfection qui pour elle est absente du monde humain qui l'entoure. 11 est donc evident qu'Isabelle veutetre a liaise dans les deux universe Quand le Contr-o leur constate que "si elle voit les fantomes, clest qu'elle est la seule aussi a voir les vivants", (I,III,iii,p.311l), nous comprenons qu'elle est a son aise dans les deux mondes, ce qui est l'apanage particulier de toutes les heroTnesgiralduciennes.

11 semble impossible de continuer a parler de l'univers giralducien, sans se mettre a songer lCl au role essentiel que jouent le style et 1e langage si riche de sens de notre auteur. Rappelons ici 1es limites de notre etude: i1 nlest pas pertinent d'examiner en detail le style litteraire de Giraudoux, mais en meme temps il est d'une importance primordialede soul igner que c Iest justement son 1angage, ses metaphores, sa preciosfte et ses symboles qui lui permettent de creer son univers poetise et fantaisiste et d'exprimer son monde feerique. Par consequent clest aussi au moyen du style que Giraudoux fait penetrer ses personnages feminins dans 1a dimension surnaturelle et nous aide a .compr-endr-e les tres nombreuses manifestations du surnaturel dans son oeuvre.

ll l Giraudoux croit imp1icitement a la "vertu magique des mots.

Dans son Impromptu de Pari s i 1 defend 1es droits du II beau langagell (IP,I,iii,p.333) et de l'imagination qui se confondent, car clest aux images que son propre style, caracterise par une

I invention perpetuel Ie' doit avant tout sa qual t te. Giraudoux

1". Juliette au Pays des Hommes, op .cit. p.39. 51

s'efforce de trouver "une langue capable de tradutre, sans l a

ll l trahtr-, sa vision du monde • Pour lui les mots comptent plus que les choses. C'est par le langage poetique que Giraudoux veut faire renaitre1a communion entre l'homme et l'univers, et nous discernons la joie qu'eprouvent tous les personnages devant les mille choses du monde: IIlabrise souffle. Chaque arbre, et dans chaque arbre chaque feuille, frissonne comme l'oiseau qui reGoit la becquee ( .•. ). le premier rayon frappe mes yeux ( .•. ) Je les inspecte .tous "; 2 Tous les details sont apercus, contemples et remarques minutieusement. 11 y a dans celangage poetique des echos desromantiques allemands, tels Richter, Hoffmann et Nova 1i s entre autres, qui ont beaucoup i nfl uence Giraudoux, en ce qui concerne l' allusion constante a une harmonie cachee du monde ,. de meme que l a volonte de faire renaitre un langage poetique, magnifie par l'imagination.

Au moment au le Destin est en train de se manifester aux personnages 1e vocabu 1aire semb1e prendre une resonanance supplementatre et enrichissante. C'est en effet par les mots que le Destin se depIo i e aux hommes, et ceux-ci ont toujours recours auxmots pour echapper a l'angoisse et se renfermer dans l'ordre universe1.. Quand Isabelle s'evanouit et oscille entre l a vie et la mort, ce sont les recitations de ses eleves qui la rappellent definitivement au monde reel: aussit6t "tout est redevenu normal". (I,III,vi,p.325).Ainsi avec Alcmene , qui

repousse 1e di eli" Jupiter qui est epri s die11 e: "Je n I ai pas a nourrir de reconnaissance speciaie a Jupiter so us pretexte qu'i1 a cree quatre elements•.. 11 (A,II,v,p.147). Chacun de ses mots est humiliant pour le dieu, mais ils traduisent la fa~on toute nature11e et fami 1i ere dont A1cmene resout 1e prob1erne de sa condition de femme ordinaire. Meme les mots quotidiens jouent

1. SERTElON: op.cit. p.sO, 2. GIRAUDOUX, J: Adorable Clio, Emile-Paul Freres, Paris 1920, p.123. 52

un role important dans l'oeuvre de Giraudoux, fait qu'il sou1igne a plusi eurs repri ses: quand 1es Ond i ne decouvrent 1e mensonge, ils voientna'tre sous les eaux "le mot tromper", "le mot trahir" (O,II,xi,p.60); Hector doit renoncer non a la vo lupte, mais "au mot vo lupte II. (G,I,viii,p.153). Tout au long del loeuvre nous rencontrons non lice bonheur", mai s 111 e mot bonheur"; 1I1e mot pl atre .", (A,II,ii,p.130). Cependant le procede nlest pas gratuit, car comme le fait remarquer Robichez: II I1 est comparab1e au costume des acteurs, a 1eur i ntonation de theatre" 1 , et chaque mot a sa necessf te jiropre, Tel est le secret de Giraudoux. 11 accorde a chaque mot une finesse et une elegance inimitables, - si bien que lion sent avec ses personnages qu I i1 donne II je ne sai s que 1 bonheur aux noms" et qu lil parle avec les II mots fran~ais si purs".2

Sous l ' i nfl uence du symbol i sme re1aye par 1e surreal i sme, 1es romans se peuplent dlinventions poetiques et au theatre la poesf e est introduite par le biais de la fantaisie. Giraudoux entremele constamment le reel et le merveil1eux et son langage est un jeu perpetuel de transpositions, de symboles et de reyes. Chaque chose est elle-meme mai s affi rme ega1ement sa parente essentielle avec une autre. A cet egard, la description de la floreet de la faune de l"le 00 vit Suzanne, est revelatrice. Les fl eurs, 1es oiseaux et 1es animaux changent 1eurs couleurs et 1eurs attributs, et l ' uni vers devient une successi on rapi de et changeante d'impressionset. de sensations, un veritable kaleidoscope. IIDes moineaux dores , noirs et rouges qui en se posant devenaient des boules incolores, des merles au vol blanc••• devenaient des poires de pourpre et d'indigo: ••• toutes

1. ROBICHEZ: op.cit. p.69. 2. Ibid -s.zo . 53

ces couleurs changeaient comme dans un kaleidoscope. lIl Tout vit et se transfigure et 1es parentes secretes et profondes entre notre monde et le cosmos s'ec1aircissent.

Tout dans le monde de Giraudoux est d'emblee au superlatif. 0 100 son desir manifeste de creer un monde ideal et parfait. Judith est lila plus belle de nosfilles, la plus pure", (J,I,i,p.184), et Suzanne voyai t se 1ever 1e solei1 "pour 1a mi 11 i erne foi s" 2 et savourait "cette heure comme si c'etait la premiere du monde 11:3 Pour attei ndre a 1a perfection, tout etre et toute chose, chaque lieu et chaque moment dans l'univers gira1ducien peuvent se definir par ce ' que l'on peut appeler un hyperbole poett se. Juliette etait soigneuse, "c'etait 1a jeune fille qui avait perdu 1e moins de mouchoirs en sa vie II~ De meme , "1e bon sommeil des Fontranges etait legendaire. Leur chateau restait sans doute la seu1e demeure en France 00 1e service du maitre endormifut aussi mi nutieux que 1e service du maitre 1eve 11,.5 Le precede du super1atif sou1igne 1a recherche de 1'abso1u et de "idea1, et 1e 1angage est e10igne du rea1isme pour designer 1'essence des choses,

Autre precede qu' uti 1i se Gi raudcux c ' est ce qu I on appe11 e sa prectostte, La prectosfte peut etre une affectation dans 1es manieres ou dans le langage. Au debut du XVIIe siec1e 1a preciosite se ~anifestait dans certains salons en France, revi1ant une IItendance auraffinement des sentiments, des manieres et de 11expression iitteraire ~~ L'esth~tique precieuse du XVIIe siecle consf derat t necessatre une epuration de 1a

1. Suzanne et 1e Pacifique - op .ctt , p.l6. 2. Ibid -p.139. 3. Ibi d - p. 140. 4. Juliette au Pays des Hommes - op.cit. p.2l. 5. Eglantine - op.cit. p.l. 6. LAROUSSE - rubrique 'pricieux~ 54

langueet une suppression des termes vulgaires. Chez Giraudoux la pr~ciosite "proteste contrel'impuret~ de l'existenc~l~l Syst~matiquement a travers la preciosfte Giraudoux a cr~~ un univers ..a lui, en contraste absolu avec le monde de l'existence. La vo lonte de Giraudoux d'apporter au monde la redemption, de nous offrir une image parfaite cache son d~sespoir devant l'irr~m~diable imperfection de la creat-ion. Les ~crivains du th~atre de l'Absurde, tels Ionesco, Genet et Kafka, sentaient aussi un malaise devant l'irrationnel de la condition humaine, mais Giraudoux differe de ces dramaturges qui ont montr~ l'absurdite de la condition humaine dans l'existence en l'illustrant sur la scene avec des images concretes. La reaction de Giraudouxau meme malaise est de creer un univers ou regne la perfection, la beaute et 1'harmonte, et ce sont les personnages f~mi nins qui ont 1es sens percents et 1a capaci t~ de transformer 1e monde rea 1i ste autour d' eux en un monde de beaut~ parfaite. Chaque objet devient parfaitement lui-meme et acquiert une espece de nouvelle realite en perdant la fonction que nous·lui attribuons normalement: ainsi pour Suzanne sur son ile, les oiseaux "secouaient non leurs plumes, mais leur couleur el le-meme ", 2 De meme , "toutes ces racines qui etaient de lar~glisse, toutes ces herbesfolles qui etaient de la vanille, ces troncs qui etaient du lait, ces pierres qui etaient des perles" 3, evoquent la simplicite naturelle avec laquelle Suzanne est en communion avec le cosmos.

11 convient d'ajouter que 1a spontan~ite du style de Giraudoux est due aussi a son usage de metaphores qui jai1lissent, etincelantes, dans 1'oeuvre. Les sauts du reel au monde de l'irrea1ite qui ponctuent toute son oeuvre, s'inserent

1. MAGNY: op.cit. p.40. 2. Suzanne et 1e Pacifique - op.cit. p.139. 3. Ibid - p.95. 55

facilement, grace a l'emploi des metaphores. Ionesco deformait 1e ree1 par 1a deformati on du 1angage; Giraudoux transforme 1e reel par des images frappantes: dans Bella, un Dubardeau decouvre que "1 e petit champ obscur qu'il explorait, avec les Hoiles de onz teme ou de dtx-septieme grandeur", devient "1e vrai journal du ciel".l L'arbre parle dans Intermezzo: "Par ses branches, les saisons nous font des signes toujours exacts." (I,I,vi,p.272) • Frequemment Giraudoux donne 1i bre cours a sa fantaisie et a son imagination, et accumule image sur image pendant plusieurs phrases ou meme pendant des pages entieres , Cette i nspi ration metaphort que s ' eta1e dans 1es oeuvres comme Provinciales, Eglantine, Choix des Elues et Suzanne et le Pacifique pour citer des exemples. Il est dit que le talent litteraire depend en grande partie de son langage. Le critique Celler dit que "l 'oeuvre de Jean Giraudoux est un exemple parmi les plus interessants du style image dans la litterature contemporai ne ", 2 Cette opini on est soutenue par p1usieurs 3 critiques.

Nous pouvons donc plus facilement comprendre la reussite des aventures i nvrai semb1ab 1es de ses personnages: Isabe11e vi t dans la familiarite d'un spectre; Jerome Bardini quitte sa femme, ses habi tudes, son pays; Dndine commande aux elements. Le style litteraire de Giraudoux nous aide a definir et a comprendre la dimension et lestres nombreuses manifestations du surnaturel dans son oeuvre. Le style joue un role significatif dans .l'etabl.issement des rapports avec le surnature1. xxxxxxxxxx

1• Be11a, op.cit. p, 10 . 2. CELLER, M: Giraudoux et la metaphore, Mouton, The Hague - Paris, 1974, p.13.

3. Le lecteur qui s I interesse au style de Giraudoux peut se reporter a: Claude Edmonde MAGNY: Precieux Giraudoux, Ope cit. MANKIN, PaulA : Precious Irony, The Theatre of Giraudoux, Mouton & Co, The Hague,· 1972, CELLER: Giraudouxet la Metaphore, Ope cit. . 56

Le surnature1 peut ainsi se manifester par des revelations, des reves, des miracles et des fantomes. Traditionne11ement, surtout au Moyen Age, ces aspects fi gurent dans 1es drames sacres aux sujets empruntes aux vies des saints, et lion faisait intervenir Di eu, 1es saints, 1es anges et 1es di ab1es. Dans l'oeuvre de notre ecrivain1es etres surnature1s prennent 1a forme d'anges, de naiades et de dieux mytho loqtques, L'auteur fait ega1ement allusion au Dieu bib1ique bien que ce1ui-ci ne se reve1e pas. Comme nous avons deja dit, 1a dimension re1igieuse est tota1e­ ment absente.

Se10n Debidour, Giraudoux -s'effor<;ait de "1aisser Dieu etre Dieu"~ de "mettre Dieu ~ part, non pour 1e nier, mais que chaque chose soit a sa place, Di eu avec Di eu, et 1es hommes avec 1es hommes". 1 Dans sa preface au debut de Suzanne et 1e Pacifique, Giraudouxavait ecrit: liLa croyance en Dieu est 11eterne1 debut d I un amour, c I est-a-di re, un si 1ence ". 2 CI est justement ce silence qui se trouve dans Judith, lice grand silence, cette grande absence.••" (J,I,iv,p.191).

Pour reprendre les manifestations du surnaturel dans l'oeuvre, considerons d'abord 1es revelations, dans le sens poetf que et cosmique, non pas dans le sens theoloqtque, Electre ignore la raison de sa haine singuliere, pourtant c'est par une intuition inexplicable qu'el1e a eu 1a revelation du meurtre d'Agamemnon, dont e11ea vu 1ecadavre _en reve 01,3). Les revelations peuvent etre egalement les 'actlons de Dieu qui font connaitre 3 aux hommes "l es verites que "leur raison ne saurait decouvrir". Ainsi Judith se souvient d'avoir entendu, quand el1e etait enfant, "cette resonance d'arc-en-ciel qui est l'accent de Dieu". (J,I,iv,p.190). Elle croyait en cette inspiration, en

1. DEBIDOUR: op.cit. p.106, 2. Litterature - op.cit. p.121. 3. LAROUSSE: rubrique 'reve1ation~ 57

cette revelation surnature11e. Mais plus tard, en jeune femme e11e attendait vainement de Lui, "une tiedeur! Un mot! L'echo d'un motl" (J,I,iv,p.190). La Sainte de Bethulie se sent dupee et il nous est evident qu'il y a tres peu de manifestations du surnaturel par la revelation. Cette question sera examinee dans un chapitre ulterieur.

Quant auxreves, i 1s sont pour nous , un ensemble d' images ou d Ii dees , parfoi s i ncoherents, II qui se presentent a l'esprit

11 durant 1e sommei 1 1: mais i 1 n I y a pas de reves a proprement dit chez Giraudoux. Son oeuvre est plutot plonqee dans une atmosphere de reve ou 1es . jeunes fi 11 es songent au bonheur ou a l'evasion hors du reel.

Quelques-unes des heroines giralduciennes sont neanmoins d'une certaine maniere des visionnaires, car elles ont des visions ou des revelations surnaturelles:- E1ectre devine le passe, Helene et Cassandre pressentent l'avenir; Ondine lit les pensees d Iautrui et a une obscure prescience de l' aveni r. Elle entend les injures de Bertha qui est cependant silencieuse, "e l l e se parle a el le-meme, j'entends tout... Elle dit que par ce scanda1e je me perds mo t-meme , qu'une semaine de pareille II beti se mIarrachera mon mari, . •• que j e meure de chagrin • (O,II,x,p.58). Aussi Ondine se rend-elle compte que la prophetie du roi des Ondines se realisera: Hans va la tramper et elle mourra. Son sort est prevu des 1e debut.

Le surnaturel se manifeste ausst par des miracles. Par miracle on entend une guerison miraculeuse d'une maladie ou une piece de theatre, un drame religieux au Moyen Age. Chez Giraudoux cependant, ce qui est miraculeux, c'est l'apparition subite du fantome dans Intermezzo. Les miracles dans l'univers de

1. BENAC: op.cit. p.287. 58

Giraudoux sontdonc plut5t des circonstances inexplicables, etonnantes et extraordinaires qui se produisent. Ces derni eres manifestations du surnaturel ne sont pas frequentes dans

1 1 oeuvre, par consequent i 1 n1 est pas necessaire de 1es deve lopper plus longuement. Par contre, l'interference de la mythologie traditionnelle est marquante. Cornrne bien des ecrivains du vingtieme siecle, tels que Sartre, Cocteau, Anouilh et Tennessee Williams,. Giraudoux lui aussi, reprend les mythes anciens, ces contes fabuleux d'origine populaire,pour encadrer un message moderne ou plut5t, pour proposer une verite eternelle de 1a vie et des rapports de l' hornrne avec 1a vie et avec 1e destin. Les heros mythiques sont presents, mais contrairement aux heros d'Eschyle, de Sophocle ou d'Homere, ceux de Giraudoux sont conscients, vivants et modernes. Dans les oeuvres de l'Antiquite les dieux tenaient une place dominante. Leur pouvoir se voyait partout et l'hornrne en avait peur. Le Destin pres idaft a tout. Par contre, les pieces antiques de Giraudoux sont ecrites contre l'Olyrnpe. L'hornrne admet les puissances surhumaines mais il sedefend contre elles tout en reconnaissant "l'hypocrisie des dieux, leur malice". (E,I,iii,p.208). Les dieux mytho 1ogiques deviennent des symbol es d 1 hosti 1ite contre 1esque1s l' hornrne doit 1utter pour defendre sa veri te. Gi raudoux cherche a conserver le lien entre 1es humains et la societe, carle .jeu des dieux "est bien connu. Ils s'occupent a separer un etre de 1a masse des humains". (E,I,iii,p.210).

10euvre La fatal ite s 1 i nsere dans 1 de Gi raudoux sous forme du destin, 1a vo10nte des dieux, 1a predestination ou 1a providence. Ainsi toute la dimension de 1a fatalite fait partie du surnaturel et de 1a mytho10gie chez Giraudoux. Dans 1a 1itterature ancienne 1es hornrnes et 1es dieux etaient si inextricab1ement lies, que l'on ne doutait pas de 1'omnipresence du divino Giraudoux, a plusieurs reprises, {Elpenor, Amphitryon 59

38, Electre, La Guerre de Troie N'Aura pas Lieu) a evoque l'antiquite mais dans des intentions fort differentes des ecrivains classiques. Ce qui l'interesse crest le prob leme de la situation de l'homme dans la vie cosmique. Par consequent il s'oriente vers le concept de la tragedie et, de la, vers la mythologie. Le point de depart pour la creation des pieces het lent santes nest donc pas le mythe, mais le theme qu'offre le my the. En se rendant compte del'affinite entre l'homme moderne et le heros mythologique, Giraudoux remet a neuf les approches aux vieilles legendes. 11 propose des solutions differentes aux problemes, mais les conflits fondamentaux y restent identiques. IIJamais chez les grecs, l'evenement n'est incertainll l, ecrit P.H. Simon. Donc, sachant deja le denouement, l ' interet du dramaturge est a 1 1 argumentation par 1aque11 e on atteint la conclusion.C'est pour i11ustrer des themes essentiels que Gi raudoux, comme d' autres, a choi si deremettre sur scene des Electre, des Helene et des Cassandre: il l'a fait avec

l'intenti on man i feste d' i 11 umi ner 1es prob 1emes ou d I exprimer des sentiments de son epoque.

La f'atal t te vtmp l tque donc la tragedie, qui trouve souvent son origi ne dans 1es mythes ou dans 1es1egendes. L' i ndi vi du et 1a societe s'affrontent dans 1a guerre et 1a pai x, 1a rai son et lajustice. La fatalite pese dans une certaine mesure sur les personnages giralduciens et i1 est dit dans Intermezzo que, 1I1 e monde n' offre avec generosite .que sa cruaute ou sa betise II. (I,II,iii,p.290). Il semble meme que le destin' prenne plaisir en multipliant les crimes ou les catastrophes de l'humanite. Si au moins Helene et Paris s'aimaient, remarque Andromaque, il y aurait un semblant de raison pour la guerre. Mais Helene n'aimait pas Paris, et faute d'un motif aussilogique, c'est comme gratuitement que s "ouvrent 1es portes de 1a guerre pour

1. SIMON, P.H.: Theatre et Destin, Armand Colin, 1959, Chapitre III. 60

II ••• je me crois, je me vois~ je me sens vraiment maitre des dieuxl~ Amphitryon 38, I,v, p. 123.

ZEUS, dieu supreme des Grecs, figure en bronze, 460 avant Jesus Christ, in Greek Art, John Boardman, Thames and Hudson. 61

reveler Helene dans 1es bras de Troilus! On est force de comprendre que 1a 1ogi que n I y est pas et que ce sont 1es machinations de 1a fatalite qui constituent le vrai ressort.

Les dieux contemp1ent 1es maneqes humatns , car "Ieur privilege, c vest de voir 1es catastrophes d'une terasse". (G,II,xiii,p.189). Une fois que 1a f'atel i te est ainsi en marche, i1 n'y a plus rien a faire. L'union d'A1cmene avec Jupiter est prevue de.toute eternite et 1a guerre de Troi e aura 1i eu. Pour arriver a ses fins,le destin emprunte1es traits les plus inattendus et i 1 n'est pas faci 1e de dece1er 1es etres quIi 1 a choi sis pour instruments. Chez Giraudoux, ce sont souvent des jeunes filles comme Judith,E1ectre et Helene qui "nont l'air de rien. Elles sontde ces rares creatures que 1e destin met en circulation sur 1aterre pour son usage personne1".(G,II,xiii,p.19U. Clest ainsi qu'il slest servi de 11inconstance d'He1ene pour dechainer la guerre. Helene est dirigeepar 1a f'atal i'te, qui fait partie du surnaturel.

Une des idees qu Ia exprimees Gi raudoux avec 1e plus de force c 'est 1e message d I amour et d' esperance qui semb1e etre 1a c1e destineea rendre comprehensible cette existence, comme A1cmene d I Amphi tryon 38 qui croit en 1a terre et en son mar'i , Gi raudoux ne manque pourtant pas de souligner que pour apprecier la vie, il faut parfois accepter des compromis; comme le dit 1e Jardinier dans E1ectre, IIEvidel11l11ent la vie est ratee, mais c'est tres, tres bien la vie". (E, Entr'acte,p.237)•.

Nous constatons ainsi que tentees qu'e11es soient par l'aventure,

1a p1upart des femmes gi ra1duci ennes s I en tiennent fi na1ement a 1a condi tion humai ne et a 1 1 amour conjugal. A .1 1 immorta1i te que 1ui propose Jupi ter, A1cmene prefere 1es p1ai sirs simples et les servitudes d'une existence terrestre partagee avec 62

Amphitryon. La simp1icite et 1a conscience sont 1es antidotes de 1a fatal i te: 1e mei11 eur remede contre 1e tragique chez Giraudoux est de 1e refuser. Le destinest evidenunent l ' ennemi de 1 1 homme contre 1eque1 1uttent toutes 1es jeunes fi 11 es. E11es ont le privilege de la vision et de la prescience qui 1es ai dent a etab1i r un equi 1i bre entre I' homme et 1e cosmos. On sent l ' ecrivai n touche par 1e spectacle d' un monde qui ne demande quia vivre tranqui11ement "plein de familles, d'01ives, de pai xII. (A,II, ii,p.136). En refusant 1e tragique Giraudoux se campe dans une attitude reso1ument en faveur de 1a vi e quotidienne.

L'on peut'. dire avec Alberes que 1es dieux de Giraudoux appartiennent a IItrois mythologies". 11 existe dlabord 1a mythologie grecque et la presence constante de 1a fatalite que nous venons d'examiner. Deux iemement , i1 y a la mytholoqf e des 1egendes a11 emandes et des mar-chen, qui fourni t l ' atmosphere d'lntermezzo et dlOndine. Giraudoux a subi l'influence du romant i sme a11 emand par ses etudes et par ses 1ectures des ecrivains te1s que Hoffmann, Andler et Kleist. Une feerie comme Le Vase. d'Or et un poeme cabaliste conune les Romances du Rosai re illustrent nettement· un uni vers dans 1eque 1 1es

1 elements comptentp1us que 1 homme, un monde II ou tout evenement

terrestre ne prend son sens que Iorsqu 1 i 1 est transcrit dans un ctelvtnv'istbl e". 1 Nous pouvons voir que c'est bien ce que cherchait Giraudoux pour traduire sa vision du monde. Mais i1 ne s'applique nu11ement a suivre les mode'les de cette 1i tterature a11 emande; illeur emprunte des principes et reste i ui -meme , 11 adopte 1e renversement de perspective des romantiques allemands, 11homme vu par rapport a 11univers

1. ALBERES: Ope cit. p.130. 63

mysterieux et non 1 'univers decrit a travers l'homme rationnel. Le genre litteraire du merchen, qui sont des contes poetiques et imaginatifs, s'apparente aux recits de Giraudoux. 11 a trouve dans le marchen le cadre le plus souple et le plus libre, dlou l linspiration de son Ondine, librement fondee sur l'Undine de la Motte Fouque, L'a11usion a une harmonie cachee du monde,

l'exi stence d I une harmoni e cosmi que sont 1es postul ats communs des romanti ques allemands et de Gi raudoux. I1 nous semb 1e donc que 1a 1ecture et l' i nfl uence du romanti sme allemand soi t a 1• l'origine de son "esthetique cosmique"

La troisi erne 'mytho1ogi e '. est cell e du Oi eu de l'Ancien Testament que nous rencontrons dans Judith, Choix des Elues et Sodome et Gomorrhe. Le Oieu de la Bible apparait hostile, etranger et malefique et represente ainsi un nouvel element dans l'ecriture de notre poete. En ce qui concerne le Oieu biblique, Giraudoux se situe hors de la foi religieuse, loin du catho1i ci sme de son enfance.La conception de Oi eu dans son oeuvre ne saccorde pas avec celle du christianisme. Oans son article Oieu et la Litterature, Giraudoux se classe parmi les ecrivains qui doutent de Oieu. Mais il declare que ce serait un geste indiscret dlexprimer ce doute dans une oeuvre litteraire. Et pourtant il se revele obsede par le probleme de Oieu et il transpose quand meme au theatre ses conflits interieurs.

L'intrusion de Oieu se manifeste dans deux preces , Judith et Sodome et Gomorrhe. Oans Judith la jeune fille est traquee par Oieu, mais c'est un Oieu cache, un Oieu silencieux, "sourd et muet" (J,1,iv,p.230) qui plane sur l'aventure de la vierge de Bethulie. Elle attend vainement de lui un signe, mais la presence pesante du di vi nest lourdement ressentie jusqu' a 1a

1. Terme employe par ALBERES. 64 /

-,

--

"11 n'y a plus rien I faire, nlest-ce pas ange? Nos efforts n'y c~angeront plus rien?" Sodome et Gomorrhe, II,ix; p. 147.

COMBAT AVEC L'ANGE, Christian Berard, Illustration pour Combat avec 1lange, Be11ac, Maison nata1e. 65

fin de 1a tragedie. Di eu nese montre que par 1a bouche d' un garde ivre et Judith, desesperee, s'exprime, tourmentee, lima sa1ete et rna gl oi re ne me 1ai ssent plus d' autre frequentati on que Dieu". (J,III,viii,p.251). Giraudoux se moque de Dieu et nous donne une caricature du Di eu traditi onne1 d' amour, du Pere misericordi~ux et clement. Sodome et Gomorrhe, c'est le desespoir supreme, 1a haine et la colere.

Giraudoux devient de plus en plus pessimiste danscette prece lugubre, car 1a situation dans 1a piece est insoluble. Dieu exige l'existence d'un seu1 couple heureux et sans cela i1 va detruire 1e monde. Le couple Lia/Jean s'affronte et ne s'entend plus. Sanspouvoir restaurer l'ordre du monde, i ls sont voues

a l'aneanti ssement cause par 1eur affreuse II so1i tude a deux II • (SG,XI,vii,p.138). Le message du Dieu implacable de Sodome et Gomorrhe est 1e desi r que l' homme et 1a femme soient une unite, un couple; mais ils sont figes dans leur orgueil et dans leur egolsme. 11 n'y a aucun espoir dans cette piece amere a cause de la perdition du couple, et l'imperfection du monde est done complete.

Nous remarquons ainsi une certaine ambigulte chez Giraudoux dans la notion de Dieu. Dieu represente une force mena~ante ce qui est egalement le ~as chez les dieux mythiques tandis que les autres aspects du surnaturel baignent dans l'optimisme et la joie. Mais en meme tempsce~te oeuvre suit une courbe de pessimisme de plus en plus profond, surtout avec l'apparition du Dieu biblique.

Dans ses oeuvres plus optimistes, Giraudoux accueillait volontiers les messagers celestes, les esprits et 1es spectres, car i1 s symbol i saient "l'expression d' unerea1i te cosmique"l

1. ALBERES: op .cit. p.395. 66

que 11humanite avait negligee. Cette Ir ea1ite cosmique l comprend 1es forces de la nature avec 1aquelle llhomme doit communiquer. Toutes ses heroines recherchent une communion immedi ate avec l a. nature, hors de leur vie humaine etroite, et elles sont toutes atttrees par 1e mystere de 1a nature, ce que nous pourrions appe1er 1es attraits du surnature1. Ces forces et ces etres i nvi sib1es repondent en un sens au besoi n dIune harmonie avec 1e cosmos et dIun ordre dans 11uni vers. Le surnature1 dIIntermezzo confirme 1a presence de 11i nvi sib1e qui entoure 1a vie humaine.

Pourtant a 1a nosta1gie de· 1a communion avec Iuntver-s se me1e la mefiance, chez notre ecrivain devant un univers etranger, peuple de "df eux' qui menacent cette communion et ainsi 1e bonheur des etres. Les dieux issus de la mytho1ogie grecque ne sont que des pantins qui jouent un role officiel. Le fait qu'Alcmene peut duper les dieux, quelle a ete plus habi1e qu1eux, sou1igne qu 'i1s ne sont qulune caricature du role determinant des dieux. Ces dieux mytho10giques paraissent comme serviteurs eux-menes du destin, quIi 1s ne determi nent poi nt. Les personnages nlont pas de confiance en 1es dieux. Pour E1ectre, IIi 1 est de grandes indifferences, qui sont les dieux". (E,I,iii,p.209). La Guerre de Troie formu1e 1a meme condamnation. IILe commandement est irresponsable. Tout 1e monde t vest, Les dieux aussi II. (G,.II,xiii ,p.189).

Des 1e debut, Giraudoux cultive une vision poetique du monde, ou tout est en harmonie. Les jeunes fi lles pures et innocentes eprouvent cette liaison avec 1es elements et 1es reves: 1es spectres et 1es anges font partie integrante de cet universe Mais i1 devient de plus en plus evident que 11harmonie est un etat reve p1utot qu 'un etat qufj-eleve de 1a realite. Dans 1e cas des di eux mytho1ogi ques et du Dieu de 11Ancien Testament on voit chez Giraudoux un pessimisme qui slinsere dans sa pensee 67

et dans son oeuvre. L'element constant dans l'oeuvre, cependant, c 'est que 1e surnature1 n'est compris que par 1es personnaqes feminins. Seules les heroines ont un rapport definitif avec l'au-dela. 68

CHAP ITRE II I

LE RAPPORT ENTRE LES JEUNES FILLES ET LE SURNATUREL

~ ••.Une jeune fil1e a 1e droit de s'~lever au-dessus de sa vie quotidienne et de donner un peu de jeu ~ sa raison."

Intermezzo - 11,7; p.302.

Nous avons consacr~ un premier chapitre a un expos~ de 1a femme gira1ducienne. Puis nous avons examine ce que c'est que 1e surnature1dans l'univers de Giraudoux. Nous avons vu qu'i1 existe trois cateqortes du surnature1 dans son oeuvre. Dans ce chapitre-ci, nous allons examiner 1a premiere cateqorie dans 1aque11e 1es personnages f~minins ant une entente avec 1a nature et l' i rr~e 1, cell e de 1a jeune fill e, et dans 1aque11 e se rangent Suzanne, Juliette, Eglantine, Isabelle et Ondine. La jeune fil1e, dans son adolescence, est 1e protagoniste gira1ducien parfait, car e1le est dou~e d'une imagination extraordinaire qui lui permet de servir d'intermediaire entre 1e r~e1 et l'irr~e1.

L'oeuvre de Giraudoux est peup1ee de creatures vierges, de jeunes fi lles ou d' adol escerrtes qui cherchent a s I evader hors de 1a vie quotidienne et bornee,A cause de leur naivete, leur purete et 1eur innocence, elles ont toutes 1e don de voi r 1es choses avec un nouveau regard. Nous avons deja constate que dans cet uni vers tout arri ve toujours pour 1a premi ere foi s et pour ses jeunes fi 11es tout est en effet un perpetuel commencement.

"Demain tout recommence II 1 sont 1es derniers mots dans

1. Simon le Patheti que , op. cit. - p.246. 69

Simon 1e Patheti que et i1 s s 'app1i quent a tous 1es romans et a toutes les pi~ces de Giraudoux. M!me dans Sodome et Gomorrhe, sa pi ece la plus pessimiste, qui se termine sur une catastrophe cosmique, l'espoir luita la fin et nous voyons le jardinier qui est en train de sauver la derniere rose du monde. L'aurore appara,t a la fin de la pi~ce et l'optique prometteuse continue.

Le theme de l'aurore, lie a celui du recommencement,de l voptimi sme et du bonheur, motifs chers a notre auteur, parcourt aussi toute son oeuvre. L'avis de Bernard, que "tout etait frais et merveilleux" 1 est 1 I attitude revelee par presque chaque personnage. Les 'elues' de Giraudoux font preuve d'une confiance en lavie et d'une sensibt l i te a cette f'ra'icheur qui les rattachent au theme fondamenta1 de l ' aurore. L I aurore est bi en

laube le moment 00 , I accord avec le cosmos est total: mais l ne dure pas et ne constitue qu'un passage entre la nuit et le jour.

11 nous semble que 1es heroines de Giraudoux sont plus que des creatures vivantes, l'incarnation d'un sens particulier de l a vie, d'une attitude originale devant le monde. Juliette au Pays des Hommes, c I est 1a tentati ve d I echapper au 'sens uni que' par lequel notre vie nous mene ineluctablement a la mort, et ~Juliette s'engage a la recherche des existences possibles; Les Aventures de Jerome Bardini, c'est le desir d'une humanite plus libre et plus bel Ie; Eglantine, c'est l'epouvante devant le changement et, par consequent, une predilection pour ce qui ne changera jamais, la vieillesse. Edmee et Claudie dans Choix des Elues sJefforcent de decouvrir la liberte. "00 pouvons-nous aller, Claudie, 00 nous ne soyons jamais allees? Au parc Washington - Claudie n'hest t at t jamais. A toutes les questions elle avait sa reponse pr!te... Quelle heureuse inspiration

1. GIRAUDOUX, Jean: L'Ecole des Indifferents, Editions Grasset, 1922, p.139. 70 d'avoir choisi, le moment ou les jardins publics sont inutiles aux humains". l L'on se rend compte de 1'intuition et de l' accord entre 1es deux femmes et 1es choses, et Sartre constate que c I est dans 1eur "essence d I avoi r cette 2 intuition". Avec Edmee et Claudie, l'harmonie entre l'hero'ine archetype1e de Gi raudoux et l ' univers se mani feste et nous nous rendons compte de combien il est facile pour ces etres d'entrer dans le monde surnaturel.

Un aspect frappant que partagent ces personnages des romans est 1eur manque d' epat sseur et 1eur nature i nsai si ssab 1e. Pourtant Giraudoux a miraculeusement reussi a animer ces creatures ephemer-es , car chacune d'e11es exprime une aspiration profonde de l ' etre huma in, une atti tude parti cu1i ere en face du monde. Par consequent elles sont d'emblee per-tees au point de perfection au elles ignorent les conflits et les contradictions de 1'univers. Les desagrements du monde ne laissent pas de trace sur ces personnages: apres six ans sur un atoll du Pacifique, Suzanne retourne a Bell ac sans une ri de au vi sage, sans aucune inquietude d'ame; Bella reste radieuse jusque dans la mort et Edmee revi ent au foyer apres une absence de dix ans , comme si rien ne s'etait passe. 11 nous semble que tout dans l'univers de Giraudoux est Eden, d'une place de village du Limousin jusqu'a une ile du Pacifique et chaque creature giralducienne est en parfait accord avec sa nature et le reste de la creation.

Soulignons que ce sont precisement les personnages feminins chez Giraudoux qui representent f'elan vers l'univers ideal. Elles aspi rent to utes a un aspect du surnature1 avec 1eque1 elles

l. Choix des Elues, Ope cit. - p.52. 2. SARTRE, Jean-Paul: "M. Jean Giraudoux et la philosophie d' Aristote", in Situations NRF, mars, 1940, pp.339 - 354. 71

entretiennent des rapports plus ou moins intimes.

Revenons a Suzanne dans son ile du Pacifique. Le theme de base ilustre dans ce roman, c'est le conflit entre le reel et l'ideal; l'homme se trouve restreint a l'interieur d'une realite terne et retrecie qui ne contient ni imagination ni poesie. La jeune fille giralducienne essaie d'echapper a cette situation renfermee pour entrer dans le royaume de l'ideal, de l'inconnu. Ell e cherche un contact avec 1e cosmos et avec 1a nature car elle sent intuitivement qu'il doit y avoir une realite plus parfaite, une surr-eal i te. C'est ainsi qu'e11e sevade du monde reel, mais a la suite de cette evasion elle se rend compte que l'ideal n'est qu'un moyen d'apprendre comment aborder la realite. Ell e peut accepter 1a real ite une foi s que celle-ci est tei nte de poesie et d'imagination. C'est de cette f'acon qu'e11e peut ennoblir son existence, et creer une harmonie entre l'etre humain et l'univers, entre la vie quotidienne et le Cosmos.

A la suite d'un naufrage, Suzanne se trouve sur une ile deserte. El1e s'organise la une vie de reve, se faisant des colliers avec d'enormes per1es qu'e11e peche au fond de l'eau, se bat i ssant un lit avec les plumes de toutes les couleurs qui jonchent l'ile

'p1ei ne d I oi seaux. Ce qu I e11 e fait est peu commun pour nous, le lecteur, pourtant Suzanne est tout a fait a liaise parmi les choses qui l 'entourent. "C I est ai nsi.. . que je creat s l'univers" 1 , decl ere-t.-el le, "tout le luxe etait la, tout le confort que peut donner 1a mature''• 2 Ell e s ' entend tr-es bien avec les oiseaux, ainsi qu'avec les singes de l'ile en face," ..• ces etres qui donnent plus a l ' homme que des chapeaux et des peignes". 3 Suzanne associ e 1a nature et ses secrets au nom de

1. Suzanne et le Pacifique, op cit.-p.1l7. 2. Ibid - p.123. 3. Ibid - p.10S. 72

trois ecrivains: Mallarme, Rimbaud et C1aude1. Elle donne leur nom a des rui sseaux et a des promontotres et 1es imagi ne dans de diverses circonstances, donnant 1ibre cours au pouvoir createur de son imagination, "mo i qui jamais ne reve, je sentis en moi un nouveau coeur, fragi 1e... j' avai s reve tI.1 Debordante de vie et peti1lante de joie, Suzanne est comme une mervei11euse fleur tropicale qui est la personnification d'une creature spontanee , l iberee de toutes les contraintes de la civilisation grace a son sejour sur l'i1e et apte a se livrer a une vie qui n'est que la realisation d'un beau reve. Elle represente l'odyssee interieure de Giraudoux et de n'importe quelle

personne qui s I evade d' une vi e trop grise a l' ai de de son imagination.

Dans Suzanne et le Pacifique, Giraudoux cree un monde feerique, qui vit d'il1usion, de de l i re parfois, toujours d'espoir, et surtout de l'espoir d'un enrichissement a 1a suite de nouvelles experiences. Tres nettement dans 1e sens d'une recherche d'evasion et de solitude, Suzanne devient un etre qui se separe des hommes. Giraudoux 1a place hors de l ' atmosphere humai ne et el1e y decouvre un monde infiniment plus vaste. Ce contact avec 1eCosmos est pour Suzanne une elevation morale, une.experience presque religieuse. Giraudoux nous reve1e qu 'i1 existe deux mondes, ce1ui des hommes enf'ermes dans 1eurs petits souci s et un autre monde, surhumain, pittoresque et image. La nature est un aspect de ce monde extra-humain, Les jeunes fi 11 es, soeurs de Suzanne, c'est-a-dire 1es heroines des romans, different de certai nes heroines du theatre. Les heroines dramati ques s ' affrontent di rectement a des etres surnature1s et i 1 y a un contact presque personnel avec cette dimensi on, tandi s que 1es heroines des romans sont entourees de forces i ntangi b1es et i nvi si b1es qui ne se manifestent poi nt sous une forme prect se comme ce11e d'un dieu ou d'un spectre.

1. Ibid - p.123. 73

Be11 ac apporte a Suzanne '" equi 1i bre de 1 1 arne qui semble fait pourles humains, tandis que l'ile lui apporte une richesse plus vaste. Bien que la vie provinciale a Bellac lui procure un certai n bonheur, l' i 1e 1ui offre un bonheur plus expansi f et moins mesure; Le monde humain regle et equt f tbre le bonheur, tandis que le monde extra-humai~ l"offre genereusement. Suzanne peut saisir la richesse de l'univers seulement parce qu'elle

a quttt e 1es hommes. Ell e s 1 efforce d 1 humani ser son ile oceanique, de baptiser un rocher du nom de Claudel, de chercher au mi 1i eu du Pacifi que 1e nom des neuf Muses, des quarante academtcf ens - mais c"est la partie non-humaine du cosmos qui l'attire en particulier. Elle decouvre que la vie cosmique est parfai te, mys teri euse et meme un peu .i nqui etante: 1a vi e humai ne par contre est equt l tbree mais renfermee dans ses limites. 11 est ainsi evident qu"entre ce macrocosme et ce microcosme, il

existe une unite, qui rappelle l'idee des 1 correspondances 1 deja dtscutee,

Eglantine la soeur de lait de Bella et de Bell ita, filles jumelles de Fontranges, cherche comme les autres jeunes filles "une recreation hors du temps".l Fontranges porte a la jeune fi11e un amour pudique et discrete Le hasard, cependant, fait connaitre a Eglantine le riche banquier Moise et e11e se lie avec lui. Elle ne s'interroge pas sur la nature de son affection pour les deux hommes: sa liaison avec Moise ne lui donne nullement le sentiment qu"elle. "fait tort a Fontranges, tant 2 elle se sent au coeur du domaine ou il l'avait transportee". Enfin elle quitte Moise et revient a Fontranges en essayant en vain de chercher dans son amour un recours contre le contact avec taus les hommes, "moisissure supreme de l'univers"3, contre

1. Eglantine, Ope cit. - p.165. 2. Ibid - p.60. 3. Ibid - p.6l . 74

"1' entree dans 1e couvent terri b1e des humai ns". 1 Ce qui atti re Eglantine c'est la vieillesse, car "sa confiance dans le bonheur, son desir d'une realite la poussaient tout naturellement vers ces deux etres qui, depuis son enfance, etat ent restes les memes, c'est-a-dire vers les vieillards". 2 Comme Suzanne et Ju1iette qui cherchent 1eur ideal, Eg 1ant i ne trouve son ideal a ell e avec ces deux viei 11 ards et dans 1a rassurance de la viei11esse, qui lui parait lila part resi stante , la constance du monde". 3Mais son engagement n'est rien de plus qu'un eloignement de la realite de la vie, une tentative d'echapper aux vicissitudes de la vie. Comme toutes les jeunes fi 11 es gi ra1duciennes, elle doit traverser cette crise avant de s'installer dans le monde reel. A la fin du roman Eglantine se rend compte qu'elle doit quitter ce royaume pur de Fontranges et de Moise. Elle reconnait que le passage du temps est inevitable, et el1e reviendra pour rentrer dans le monde quotidien.

Toutes les jeunes fi11es des romans cherchent l 'evasion hors de 1a vie quotidienne. Rien ne 1es rattache a nos soucis banals. Elles menent une existence entre terre et cie1 - Suzanne, Juliette, Eglantine, Bella, Stephy, Malena - et enfin e11es se "retrouvent toutes en Edmee , mari ee avec un po 1ytechnicien nonme Pierre. (Bien que mar iee, Edmee rentre dans cette cateqor-ie de 'jeunes fi1les', .car elle aussi cherche l'evasion et e11e a le meme caractere qu 'e1les.) Avec ~a fi1le Claudie, Edmee s'evade de son foyer, ell e quitteson bonheur devenu trop encombrant et el1e aspire a 1a legerete. D'ou son p1aisir quand el1e caresse la tete de Frank, quel le n'aime pas, mais qui la de1ivre d'elle-meme. Cette evasion dure dix ans pendant lesque1s

1. Ibid - p.229. 2. Ibid - p.60. 3. Ibid - p.61 . 75

IIAdieu ••• Gerard. Je t'aime et dans un mois je serai ta femme~ Juliette au Pays des Hommes, Chapitre I, p. 22.

JULIETTE AU PAYS DES HOMMES ­ Emile - Paul Freres, 1926. 76

Edmee a retrouve 1es sources de sa pees i e i nterieure. Ell e revient a son mari, comme si elle l'avait quf t te la veille, intacte et heureuse d'avoir accompli son destin.

Giraudoux se plait toujours dans l'insolite, dans 1'exceptionnel, a la limite du croyable. Juliette peut bien chercher son

aventure "au pays des hommes"; ce -qu 1 elle y trouve n 1 est pas '-- la .vi e de l'homme ordinaire. Une jeune provinciale, Juliette eprouve 1 1 envi ed' emp 1oyer 1e dernier moi s avant son mari age a mettre un peu de romanesque dans sa vie: elle quitte son fiance Gerard, qu'elle connaissait trop, depuis l'enfance. Juliette l'aime, maisil est si indolent et si satisfait de son sort, et 1e bourg ou ils habitent entre Limagne et Bourbonnai s est si etrique et somnolent, qu'elle a besoin d'un brin d'aventure, de froler la tentation au moins. Elle va donc solliciter le hasard et le hasard la mene a Paris chez les plus singuliers orlglnaux: un biologiste cloitre dans son laboratoire, un ecrivain qui veut la convertir au style a la mode, et un emigre russe qui veut slemparer d'elle. Giraudoux est en train

de parodi er ces hommes, qui nesont pas capab1es d I autre chose que des bi zarreries. Il s ne sont pas authentiques, mai s ce sont plutct des creatures de fantaisie nees de l'i~agination de 'notre ecrivain et c'est pour cette raison que la jeune fille Ju 1i ette a un rapport avec eux. Pourtant ce ne sont guere 1es reactions de Juliette qui interessent Giraudoux. Elle n1est pas marquee ni impressionnee ~ar toutes ces rencontres extraordinaires, ou par ces fantoches insolites: elle voulait seulement "verifi er tous ces possibles qui depl acent parfois

ll l tellement loin les bornes sur les bas-cotes de notre existence • Elle etait curieuse d'entrevoir le vice, de meme que Malena, mais celui-ci se dissipe devant sa purete. Elle retrouve Gerard, qui retombe dans l'authenticite et elle s'aper~oit qu'elle ne

1. Juliette au Pays des Hommes, op. cit. - p.21. 77

l'avait pas vraiment connu. Quand elle 1e voit nager nu et fragile, elle se rend compte quel le a tout a decouvrf r en lui. Mais Juliette avait besoin de son aventure, de son evasion pour pouvoir prendre conscience de cette verite. 11 lui fa11ait justement 1es rapprochements inattendus et 11allure vagabonde, pour rentrerdans le monde reel.

-" Nous voyons encore une fois comment 1'evasion des jeunes fi1les est une experience presque re1igieuse, une elevation de l ' arne. Leur contact avec 1a nature, avec l'inso1ite signifie une communion avec ce qui est merveil1eux, et par consequent, avec un aspect du surnature1.

L'histoire d'Isabelle, 1a jeune fille et le protagoniste de 1a piece Intermezzo est une autre variation de Suzanne et de Juliette. Sous 1e masque de 1a fantaisie 1a plus gracieuse, Intermezzo traite de l'affrontement entre 1e rationne1 et l'irrationne1, entre l'utopie et 1a rea1ite. La prise de contact avec 1e monde des enfers et 1e debat entre 1a nature, la surnature et l'humain se revele avant 1a tombee du rideau: "El Ie est perdue! Elle est sauvee!" (I,III,vi,p.324). L'intrigue se noue autour d' un f antome qui apparait au crepuscu1e pres de -l'etang d 'un village 1imousin et adresse la parole a Isabelle, l'institutrice. Un conf1it ne tarde pas a surgir entre Isabelle et l' i nspecteur, venu tout expres de Limoges pour enqueter sur 1es entorses a l'ordre public _signa1ees dans 1e village. Le spectre n'est qulune forme du surnature1 gira1ducien, une evasion possible pour 1a jeune fille. 11 y en a d'autres que nous discuterons plus loin, comme 1es nymphes et les ondins.

Isabelle est 1a creation origina1e de Giraudouxdans 1aquelle i 1 a i ncarne 1e plus be1 idea1 poeti que et l' idea1 de 1a j eune fille. Clest un personnage plein d'imagination, de sensibi1ite 78 - -

.p - . res de chaque - sembl e la clef d.etre, de chaque objet ell estlnee a 1e rendre co'mprehensib1e" e­ 260. Caricature r _ Intermezzo ... Ch epresentant 1 . , I,lli, P , arIes K.~l.fer, 1933. es personnages d'Intermezzo • 79

et de delicatesse, qui est en harmonie avec le monde. Ses perceptions sont si bi en aigui sees qu' elle voit et entend ce qui echappe aux autres. Adolescente eternelle, dont la religion est celle du bonheur, Isabelle comprend l'enfance et la dirige en suivant ses inspirations a elle. Nous le pensons significatif qu'elle soit institutrice, car elle peut partager sa connaissance et ses croyances avec ses eleves. En effet, e11e " donne aux enfants un enseignement exempt de tout conformi sme dans ses princi pes comme dans ses methodes. LI i nspecteur 1ui dit avec mepr.t s: II Ah, vous apprenez 1e bonheur avos e1eves Mademoiselle!" (I,I,vi,p.276) et e11e repond: IIJe leur apprends ceque Dieu a prevu pour elles". (I,I,vi,p.276). E11e essaie de 1eur mon trer un monde ou tout a sa place, et ou ri en ne se passe sans raison. " ...Je veille a ce que ces enfants ne croient pas a 1'injustice de la nature. Je leur en presente toutes les grandes catastrophes comme des details, regrettables il est vrai, mais necessaires pour obtenir un univers satisfaisant dans son ensemble et la puissance, l'esprit qui les provoque, nous l'appelons, pour cette raison, l'Ensemblier!" (I,I,vi,p.276).

Isabe11 e tente surtout d I enseigner a ses e1eves a voir 1es mervei 11 es de 1a nature, dont 1e princi pe d I unite s I appe11e

l 11'Ensemblier •

Isabelle, comme les autres jeunes filles g~ralduciennes, cherche une evasion hors de la vie reelle. Elle s'occupe du surnaturel et de son desir de savoir plus au sujet de la vie et de la mort. Donald Inskip fait remarquer que pour Isabelle, jeune, fra'che, spontanee et imaginative, "there is more attraction about the dark stranger than about the young men she can see around her in a small provincial town, and if, as she inclines to think, the stranger is in fact a ghost,the thrilling nature of clandestine meetings in the gathering dusk is therefore heightened".l Nous pensons, pourtant, qu'Tl y a plus dans

1. INSKIP, Donald: The Making of a Dramatist, Oxford University Press, 1958, p.7l. 80

1' interet d' Isabe11 e que 1a seu 1e recherche de que1que chose de different ou de passionnant. 11 est ..possible qu'e11e soit entratnee par le surnaturel a cause de son impatience avec les gens qui l'entourent. E11e est etonnee par l'etroitesse d'esprit de l'humanite et croit qu'une education conventionnelle tue laconnaissance intuitive d'un enfant, qui accepte egalement l a vie et la mort. Le Contr61eur commente: "On vous a appris "- le savoir humain", et elle lui repond , lice qu'on appe11e ainsi, c'est tout au plus la religion humaine et e11e est)n ego'isme terrible". (I,II,iii,p.290).

Isabelle imagine que la mo~t est une suite de la vie: les morts rient, tombent, mais ils ne se rendent pas compte qu'ils sont immortels et c'est justement ce qu'1sabelle veut leur expliquer. "Ne croyez-vous pas que tout serait mervei 11eusement change, pour vous et pour nous , s I i 1 surgi ssai t un jeune mort... qui leur fasse aimer leur etat et comprendre qU'ils sont immortels?" (I,I,viii,p.280). Ses idees sur la vie apres la mort sont peu conventionnelles. Inebranl abl e dans son opinion, e11e fait part au Contr61eur qu'elle prendra seulement un mari qui ne lui interdise pas "d vaimer a la fois la vie et la mort". (I,II,iii, p.291). Le Contr61eur essaie de l'avertir des dangers qui menaceraient un etre humain qui se mele au surnaturel: "Ne touchez pas aux bornes de la vie humaine, a ses l tmttes", et i 1 continue, "Mefiez-voux des morts... Leurs intentions ne sont pas pures..." (I,II,iii,pp.292,293). La pensee que llequilibre delicat de l'humanite serait detruit si lIon s'exposait a quelque chose de surhumain~ est plus tard exprimee par le Chevalier Hans, dans Ondine, qui se sent "pris entre toute la nature et toute la destinee, comme un rae'. (0,III,vi,p.89). Giraudoux nous revele une situation sans issue, ou il est dangereux de deranqer l ' ordre nature1 des choses si l ' on veut en sortir. La difference entre les hommes et les femmes chez 81

Gi raudoux est c marquante i ci, et i 1s se di vi sent nettement en deux groupes distincts. C'est Hans, et lui seu1, qui est responsab1e de son sort ma1heureux. De meme Gerard, 1e fiance de Juliette, "1'homme 1e plus provincial de l'infini"1 , est si orguei 11 eux "de sa condi tion d' homme" 2 , qu' i 1 pousse Juliette a s'evader et a 1e quitter. Pierre, 1e mari d'Edmee, incarne aussj 1'incomprehension et l'insensibilite. Ainsi sa femme et Claudie, sa fi11e,se trouvent contraintes a s'echapper. au foyer. Ce sont donc 1es hommes qui occasi onnent eux-memes leur propre infortune. Les femmes, en revanche, ne s'attirent pas de te1s ma1heurs, ou, si e11es se heurtent a un prob leme, e11es sont assez habiles pour s'en soustraire. Isabelle est insensible aux arguments du control eur: "Je reverrai 1e spectre..• i1 m'attend". (I,III,iii,p.312). E11e admet plus tard au Spectre qu'elle a de1iberement tente de l'attirer: "toute rna chambre est en apparence une chambre pour vi vants. •• Mai s si l'on regarde de pres, on s vapercot t que tout est cal cule pour que cette marque de 1umi ere sur des objets fami 1i ers•.. soit entretenue sans arret... C'est 1a mon piege, et je n'ai pas He surpri se 1e soi r ou j' ai vu votre vi sage a rna fenetre". (I, II,vi,p, 301 ). 11 est frappant de remarquer qu' Isabe11 e s ' attendai t a voir 1e spectre, que son apparition ne l ' a pas du tout etonnee. 11 semb 1e qu ' elle appartient a ce monde i rree1 ou l' i ntrusion du spectre etait evenement journal i er. Gi raudoux broui11e 1a distinction traditionnelle entre rea1ite et irrea1ite et1'on est parfois P9rte a se demander que1 univers est en effet 1e plus 'reel'.'

Isabelle ne s'interroge pas sur 1a nature des fantomes, ni sur 1es circonstances de leur manifestation: e11e1es accepte. C'est en revanche, 1e 1ecteurou 1e spectateur qui pose des questions,

1. Juliette au Pays des Hommes, Ope cit. -p.12. 2. Ibid - p.10. 82

qui cherche a comparer les valeurs de son monde a celles d'Isabelle. C'est lui qui est depayse, et par consequent, il se trouve ob1i ge de prendre ses di stances vi s-a-vi s de son propre monde, qu ' i1 apprend a regarder du dehors au 1ieu d 'Y prendre part. Pour Giraudoux la communication avec un monde irreel est un phenomene quotidien, done il renversela situation traditionnelle, si bien que le surnaturel devient en quelque sorte 'naturel'. C'est sa fa~on a lui de nous amener a reconnaitre la verite de ce qu'il propose sur scene.

Isabe11 e est enfi n detour-nee du Spectre quand ell e comprend qu'elle est aimee par un etre humain, et que le Controleur des Poids et Mesures, (le meme Controleur qui avait rassure Suzanne), lui montre que meme la vie d'un fonctionnaire n'est pas sans poes te ou sans beaute. Isabelle comprend que cette vie calme et bien reglee est le chemin qui mene naturellement a la mort. Elle est emue quand 1e Controleur i ndi que qu ' i 1 y a en effet de la place pour l'imagination et pour l'imprevu: "Songez, Mademoiselle Isabelle, que nous changeons tous les trois ans a peu pres de residence... [nous] balan [~ons] sans arret entre Gap •.. et Bressiure". (1,III,iii,p.314). Isabelle est persuadee; "Quel beau voyage que votre vte", (I,III,iii,p.314).Apres cette 'expression de confiance, le Controleur n'hesite plus et se resoud a rester pour vaincre le Spectre devant elle. C'est donc par sa passion que le Controleur arrive a liberer Isabelle des forces de l'au-dela. Acceptan~ sa defaite devant un homme vivant, le Spectre fait ses adieux a Isabelle, mais ce11e-ci s'evanouit.

C'est le Droguiste qui est le vrai 'deus ex machina' de la piece. Marchand de plantes med icinales , i 1 est· des le debut associ e aux forces magiques de la nature. De plus, il est doue d'une sensibilite profonde a la nature humaine, trait de caractere rare chez les personnages masculins de Giraudoux. 83

Lui, i 1 sait instinctivement que le seul remede qui guerira Isabelle, "c'est de rapprocher d'aussi pres que possible de sa conscience endormi e ,1 e brui t de 1a vi e habi tue11 e" . (I, I II,iii, p.315). Les citoyens du village ne le comprennent pasmais les petites filles comprennent parfaitement car, comme le fait remarquer Serenson, "elles ont le genie de leur age" ~ "M. le Droguiste veut condenser autour die11 e taus 1es bruits de 1a petite ville et"" tous ceux du printemps". (I,III,v,p.322), dit Luce, "comme une symphonie". Dans cette symphonie il y aura tout a coup un humb 1e son qui "1' attei ndra au coeur II et pui s "1e coeur repartiral" (I,III,v.p.322).

Petit a petit, Isabelle se revei lle en entendant les rumeurs de 1a vi e quoti di enne et progressi vement ell e reprend contact avec l'existence terrestre. Visiblement tout est bien rentre dans l'ordre authentique du monde et le Droguiste a le dernier mot: "Guerie l'ame d'Isabelle - et fini l t internedet " (I,III, vi,p.325).

11 nous devient clair qu'Intermezzo represente presque une synthase de toutes les oeuvres anterieures de notre ecrivain. Certes le spectre represente un-appel du cosmos et du reve dans la vie quotidienne, un appel dont Isabelle a besoin. Isabelle, comme Suzanne, comme Juliette, comme Edmee , cherche a quitter son domaine pour un -autre royaume: mais comme elles, elle rentre dans la realite." Pourtant, le theme de l'evasion nlest pas epuise: Ondine reposera le meme prob l eme qui Intermezzo, mais ensens inverse.

Selon les paroles de llauteur Iut-meme, le theme dlOndine est "la liaison de l'homme avec les elements naturels, Ja flirtation

1. SQRENSON: op. cit.-p.123. 84

l du monde animal avecle royaume de llhomme". Dans cette pi ece nous decouvrons une confrontation entre le destin et l'humanite,

1 c I est-a.-dire entre 1 homme et un etre surnaturel. Le protagoniste est le Chevalier Hans von Wittenstein et le destin est represerite par une belle jeune fille ephemere et feerique de qui nze ans qui est en apparence aussi humai ne que Hans. Dans Intermezzo, au contraire, cvest une jeune fi11e qui est le protagoniste et le destin est designe par un fant6me masculin.

Inspire du marchennovelle, Und i ne de Friedrich de 1a Motte-Fouque (811), 1'Ondine de Gi raudoux est un retour aux passions profondes de la mytho1ogi e allemande. Pourt ant, Giraudoux ne cherche pas seu1ement a IIrenouveler par ses artifi ces feeri ques 1e duo traditionne1 de 1 1 amour" .2 11 veut montrer que 1 1 honme , en face de 1a nature, personni f tee par Ondi ne,sort de son indifference et apprend a repondre a 1a nature. Neanmoins chez Giraudoux, comme dans llUndine de Fouque, l' action commence dans une petite cabane en pleine f'oret , ou 1e vi eux pecheur Auguste et sa femme Eugeni e attendent 1eur fi11e adoptive, Ondine. Nous sommes demb lee plonqes dans une atmosphere i nqui etante: des tetes et des formes mysteri euses apparai ssent dans 1 1 encadrement de 1a f'enetre. Gi raudoux veut evidemment sou1igner des 1e debut, cette ambiance surnaturelle et feeri que.

11 nousest evident qu 1 une.femme ordi nai re ne suffit pas a

Giraudoux pour .decrire 1a comp1exite de 1 1 amour ,du couple. IIIui faut en effet une" ondine, un etre i rree1, une des creatures e1ementales issue dlun esprit. Une ondine, comme une na'iade, appartient a. 1a famine des nymphes. Les naiades sontles nymphes de 1'eau. "En tant que nymphes, elles sont des etres femi ni ns , douees d' une tres grande 1ongevite,

1. ROUSSEAUX, Andre: "Un quart d' heure avec Jean Gi raudoux, II Candide Vol. 6. No. 294, 1929. 2. MERCIER-CAMPICHE: op.cit. - p.123. "Je suis nee depuis des siecles. Et· je ne mourrai jamai s •••" Ondine, II,xi, p. 63. LES NYMPHES - Musee archeologique de Delphi. 86

Les Naiades incarnent aussi la dtv int te de la source ou du cours d I eau qu "e11 es habi tent" . 1 Les nymphes jouent un grand ro 1e dans 1es 1egendes et i nterviennent, comme 1es fees, dans beaucoup dlhistoires folkloriques. Giraudoux se sert done d I une figure de mythe, pour mi eux reveler a l ' hommel e vi sage dlun amour en harmonie avec la nature. t'undtne de Giraudoux, bien que magicale et fantastique, est neaomo tns tres credible. 11 la depeint comme entierement humaine. El1e s'adapte pleinement au rythme de la vie terrestre, "el Ie a accepte l'entorse, le rhume des foins, la cuisine au l ard", (O,III,iv,p.80). Elle est belle etblonde et sa beaute retentit dans l'univers: IILe soleil passe ou elle passe", (O,II,;v,p.44). En harmonie avec l'absolu, elle est eternelle comme l'est la nature, sans age, mysterieuse. Elle avoue elle-meme a la Reine Yseult, IIJe suis nee depuis des stecles, Et je ne mourrai jamais... 11 (O,II,xi,p.59). Elle reste seche dans la pluie et peut voir dans la nuit la plus sombre. Elle parle gentiment aux animaux et auxesprits,et crest reciproque­ en effet, tout 1e monde l' aime. Di rectement 1i ee au surnature1, Ondine est lila nature meme ll (O,I,vii,p.28), c'est-a-dire qu'elle est opposee aux conventions et aux mesqui neries humai nes pour Tesquelles Hans semble etre ne, et elle veut surtout le diriger vers le bonheur. Ondine est a la fois fee et femme, qui symbo 1i se 1a nat~re autant que l' amour. Giraudoux nous averti t des le premier acte qu'il -y a IIde grandes forces autour d'Oridinell (O,I,vii,p.28), te qui nousrevele que l'heroine entretient un rapport intime avec la nature. Ce sont en effet ces 'forces' dans Ondine qui comprennent tout un monde cree pour la piece: crest un monde d'absolu5 - l'amour absolu, la beaute absolue, la retribution absolue. Ondine illustre done ce monde

1. GRIMAL, P: Dictionnaire de la Mythologie Grecque et Romaine, Presses Universitaires de France, 1951, rubrique 'nymphes'. 87

tresspecia1. En comparaison avec ce monde, 1e royaume humai n est u1e milieu ou lion oub1ie, ou 1'on change d'avis,. ou 1'on pardonne ".(O,[I,xi~p.61). Clest Hans qui repr~sente cette i nconstance: i 1 est bien de 1a race et du monde des hommes. Commeeux, i1 reni e1a bienvei 11 ance et 1a vie profonde de lamour-propre 1I amour. Comme nous l'avons d~ja signa1~, 1 mascu1in secambre devant 1es femmes. Les hommes sont des enfermes vo 1ontai res, d~ 1i b~r~ment rec1us dans 1eur condi tion. Tout ce qu Ii 1s font aboutit dans 1e mal heur a cause de 1eur balourdise, leur b~tise et leur manque de sens1hi1it~.

L10ndine de Giraudoux est beaucoup plus qulune histoire d'amour. Li~a cette histoire d'amour se situe 1e prob leme du couple, question qui pr~occupait Giraudoux depuis des ann~es. Intermezzo traite aussi dans une certaine mesure ce prob leme , Mais dans cette piece Isabelle est prot~g~e par 1e contro1eur des tentations de l'au-de1a. Juliette rentre dans la vie r~e11e pour ~pouser G~rard et Alcmene r~ussit a proteger son amour, a sauver 1e bonheur du couple, en res i stant auxavances du dieu. Dans Ondi nec Iest un renversement total: ce n' est plus une jeune fil1e humaine qui est attir~e paT un spectre, ni une jeune femme qu} est courtisee par un dieu. 11 s'agit dans cette piece d'une jeune fil1e qui appartient a un ordre extra-humain, qui, venant parmi 1es hommes, n'y rencontre que la trahison et l'infidelite, si bien i1lustrees par 11inconstance vo1age de Hans.

Ondine, une creature des eaux r transparente et amoureuse, evoque pour nous la nature te11e que Giraudoux veut nous 1a faire voir: les poissons forment des couples fideles jusqu'a 1a mort; ("Chez 1es ondins, i1 n'y a jamais eu d'~pOUX infidele" (O,II,xi,p.60) tandis que 1es hommes trompent et trahissent. Se10n 1e jeu de met aphoras 11auteur projette certaines vertus sur 1a nature et certains vices sur les humatns, Ondine, parei11e a Al cmene et a Andromaque, lutte pour maintenir la cohesion entre elle et "Mais jamais holtllle et feltllle nlont ete lies dlaussi pres en ce monde II Ondine, I,ix, p. 36. HANS ET ONDINE - Photographies de Scene: ONDINE, 1939, C I. Lipnitzki - et Madelaine Ozeray. 89

celui qui l'aime, qui est sa seule raison de vivre. Le couple edenique se forme: Hans sait qu';l abandonnera Bertha et Ondine sait qu'elle. abandonnera sa vraie famille, dans le royaume enchante des eaux que gouverne 1e Roi des Ondi ns. Mal heureuse­ ment la rupture dece couple ne tarde pasi eclater. Poursuivie et traquee, Ondi ne est condamnee i mort dans un proces ou 1a fi gure toute pui ssante du Roi des Ondi ns surgi t en bourreau: Hans reco i t la mort et Ondine, l'oubli, et le couple edenique se rompt de fa~on irremediable. Hans meurt de n'etre qu'un homme imparfait, incapable de fidelite, sourd au langage de la nature. 11 est atteint de cette tare origi ne11 e que Gi raudoux semble definir par le mauvais usage que l'homme fait de sa liberte et de l'amour. Ondine, entratnee dans le fleuve, oubliera tout son passe et, contemplant le beau chevalier etendu sur la dalle regrettera qu'Tl soit mort, car sinon dit-elle, elle l'aurait aime.

Un regard retrospectif sur les personnages feminins que nous venons d'etudier nous permet d'apercevoir une certaine identite parmi les jeunes filles gira1duciennes, dans la mesure ou elles sont toutes jeunes, belles et heureuses. Le motif de base de leur bonheurest la liberte, la lucfdt te et l'aisance avec 1esque11 es elles semb1ent vi vre autant dans notre monde que dans 1'autre monde. On a parfois 1'impression que ,Iauteur 5uggere que " i ntermede est renverse: ne pourrai t-on pas di re que cIest bien dans , e monde _ ici - bas que 1es personnages feminins giralduciens ont leur tntermede, tant elles sont i liaise dans les deux univers? LIon peut imaginer que si elles avaient eu une preexistence, elles auraient fait partie el les­ memes du monde surnature1. 90

CHAPITRE IV

LES HEROINES GIRALDUCIENNES ET LES DIEUX

"Les dieux infestent notre pauvre univers." ;

Judith II,S.

LI univers anthropomorphe de Gi raudoux est remp 1i de di eux et de mythes et i 1 nous est evi dent, comme nous l' avons deja demontr-e , que 1e surnature1 symbol i se par ces di eux joue un role preponderant dans son oeuvre. A 1a difference de C1aude1, qui evoque constamment Dieu, Giraudoux n'aime pas parler de Dieu, mais affirme sa presence pesante et si1encieuse. 11 ne nie point l'existence d'une puissance surhumaine, mais son Di eu se manifeste par une espece de presence sous-entendue, quoique souvent accab1ante et meme mena~ante.

Les heroines gira1duciennes prennent p1aisir a 1a 1iberte d'action presque i11imitee dans 1e domaine visible de l'univers jusque dans 1e monde invisible des dieux. Elles constituent un trrtermedi ai r-e et assurent une communication entre 1es deux univers, d'oQ l'existence d'un rapport entre 1es heroines et l'au-de1a. Ce sont 1es personnages feminins chez Giraudoux qui nous permettent de concevoir son univers comme une harmonie tota1e dans 1equel 1e visible et 11invisib1e cohabitent et ou chaque evenement tempore1 a un echo dans 11 eterniteo

Dans cette partie de notre etude nous allons tenter de presenter 1es personnages femini ns qui se mettent en rapport avec 1es dieux mythiques et ensuite discuter celles qui se trouvent en face du Dieu bib1ique. 91

Rappelons que Giraudoux a pui se quatre fois dans l'antiquite, dans E1ectre, La Guerre de Troie n'aura pas lieu, Amphitryon 38 et E1penor. 1 Dans Electre et La Guerre de Troie n'aura pas 1ieu i 1 n'y a pas de rapport evi dent entre 1es personnages feminins et le surnaturel. Ce qui existe dans ces pieces c'est la manifestation du surnature1 sous forme de la Fatal l te. La Fata1i te joue un r61 e capital dans 1a my tho1ogi e et Gi raudoux se sert de ces deux pieces comme estrade pour donner son i nterpretati on du destin et des gens qui en sont 1es instruments.

Dans E1ectre Giraudoux nous introduit demblee dans 1e monde mervei11eux de 1a Grece antique, ou 1e surnature1 etait chose nature11 e: ce monde est aussi 1e monde gi ra1duci en, ou toute apparence se double d'une ressemb1ance, ou le connu est egalement inconnaissab1e, et ou l'homme doit s avoir dechiff'rer 1e message que 1ui transmettent 1es choses. 11 en est de meme chez Giraudoux, ou a 1a suite d' une sorte de renversement, 1e monde mervei 11 eux est rendu accessi b1e ou reel, si bi en que 1e 1ecteur ou l ' auditoire peut l' accepter parfaitement. Parmi·1es romans et 1es pieces que nous avons deja etudies, nous avons vucomment les personnages gira1duciens s'accordent avec l ' uni vers. Le monde de Gi raudoux apparait a1ors comme lila fiction d'un monde" ou 1a vie se10n l'expression de Cantique des Cantiques, est lice qu'e11e devrait etre, et ce qu'elle nest pas: un jeu et u~e benediction". (C,I,i,p.360). Les personnages sont 1i beres des 1imites et des imperfections humaines. Le Mendiant d'E1ectre est "si parfait comme mendiant" que "1e bruit court que ce doit etre un dieu ". (E,I,iii,p.208). Les petites Eumenides ont 1a perfidie et 1a ma1ignite du

1. E1penor appartient a l'antiquite et raconte 11histoire d'U1ysse, mais cet ouvrage n'a pas de pertinence dans .. notre etude. 92

"Toute cette haine que j I ai en moi, elle te rit, elle t'accueille, elle est mon amour pour toi~' Electre, I,viii, p. 229. ELECTRE ET ORESTE, figure en bronze, 460 avant J.C. in Greek Art, John Boardman, Thrones and Hudson. 93

"destin enfant" (E,I,i,p.203), mais elles ne sont pas 1es Erinyes de 1a traqed ie grecque. Giraudoux les presente sous une 1umiere idealisee, conforme a sa vision du monde.

Nous avons deja constate qu' en empruntant a 1a legende 1es sujets d 'E1ectre, de La Guerre de Troie et d'AmphHryon 38, Giraudoux si tue son theatre dans le pays des 'merveilles', c'est-a-dire, dans un monde qui n'a pas d'existence reelle, dans un monde plutot imaginaire et tnvente, Le mythe devient l'appui pour rendre une verite plus sensible'par le biais de 1a 1egende, et qui met en scene des situations qui sont eterne11es. L'utilisation du mythe comme cadre presuppose que les dieux influencent le deroulement de l'action et 1a destinee des personnages. Dans La Guerre de Troie 1es dieux detaches et impassibles, surveillent l'action "d'une terrasse" (G,II,xiii,p.189), tout en sachant que c1est leur puissance surhumaine qui dirige le destin de 1lhomme.

Chez E1ectre i1 n'y a pas de rapport direct avec les dieux. Electre, la jeune heroine de la piece semble etre l'instrument du destin, mais non pas des dieux. E11e ne fait aucun appe1 aux dieux, en effet, elle 1es mepri se , "Dans ce pays qui est 1e mien on ne s 'en remet pas aux dieux du soin de 1a justice. Les di eux ne sont que des artistes. Une belle 1ueur Sur un incendie, un beau gazon sur un champ de bataille, voila pour eux 1a justice. Je ne L'accepte pas". (E,II,viii,p.267). Debidour signa1e qu'Electre .est "1e soleil de 1a fatalite, et en un certain sens, e11e n I est meme pas responsable de ce quel le fait I~ 1 E1ectre el l e-meme se refere a cette haine qui "nest pas la mienne". (E,I,viii,p.228). Cette sinistre per-ticularl te d'E1ectre exp1ique 1 I impression qu'elle est peut-etre T'ntaqe de 1a Fatalite. Pourtant, ce nlest point

1.DEBIDOUR: op.cit. - p.90. 94 pour obei r a un di eu que s' accomp 1it sa vengeance, rna is bien aucontraire, c I est paramour et par haine , amour de son pere, haine de Clytemnestre et de 1'injustice, qu'Electre agit.

Il nous faut consacrer un moment a la notion de la tragedie et comment Giraudoux l'interprete. Robert no us dit que le tragique, "evoque une situation 00 l' homme prend douloureuse­ ment consci ence d' un desti n au d I une fatal ite qui pese sur

ll sa vie, sa nature au sa condition meme • Henri Amer nous rappe 11 e que "1 a tragedie antique est 1elieu des confl its entre l' homme et un surnature1 tourne vers 1a rui ne et 1a u.l mort Selon Giraudoux, la tragedie "c 'est 1 I affirmation dun 1i en horri b1e entre 11 humarri te et un destin plus grand que le destin humain u.2 La piece Electre correspond le mieux a la definition que donne Giraudoux de la tragedie: Electre est tragique par le sujet lui-meme 3 et par la presence constante de la Fatalite. Cependant Giraudoux donne l'impression de refuser ce tragique par 1e titre de 1a pi ece quIi 1 defi ni t comme Ipi ece en deux actes' et met en contraste avec Judith, la seule piece qu'il nomme 'tragedie'. Son Electre nest point comme la Phedre de Racine, au l'hero'ine est victime de la vengeance des di eux, uprise comme un rat".

1-. AMER, Henri: "Le Hasard, 1 1 homme et les dieux", Nouvelle Revue Fran~aise, Vo 1. 25, 1965, pp.4l0-433. 2. GIRAUDOUX, J: Litterature, op. cit. - p.228. 3. La fami 11 e maudite dIAtrides. Oreste tue sa mere pour venger son pere. 4. Ces mots se trouventaussi dans l'Antigone d'Anoui1h. 95

sans relache de cette moisissure supreme et mobile qu'est l'humanite, mais parvenus a un tel grade de serenite et dublquite, qu'i1 ne peut plus etre que 1a beatitude, c'est-a-dire l'inconscience". (E,I,iii,p.209). Rien n'est donc plus oppose a la notion du tragique que cette conception des di eux qui se detournent de 1 1 humani te et qui ne 1ui pretent guere d'attention.

Il est neanmo i ns vrai, que quand 1es hommes "font trop de signes", (E,I,iii,p.211), quand ils attirent llattention des di eux, ceux-ci sont revei 11 es et peuvent frapper. Egisthe 1e sait et il se rend compte'des 1e debut qu'E1ectre, "c'est 1e type de femmes a histoires", (E,I,ii,p.205), qui refuse 1e simp1e bonheur , qui est dangereuse et qui n' a pas peur des confrontations. Pour Egisthe el1e est comme une menace latente qui attire 1e mal heur et fi gure une rea1ite i nqui etante. 11 s' efforce de neutral i ser Electre en 1a mari ant au Jardi ni er, mai s i 1 echoue , Electre est de ces heroines qui cherchent 1a verite, qui se rebellent contre l'injustice, qui ne pardonnent jamais le crime et qui exigent le chatiment des coupables. De te11es personnes sont pour Giraudoux les 'Elues'. Ces femmes occasionnent les catastrophes et renversent la paix des societes qui acceptent le mal dans l'interet de 1a tranqui11ite. E1ectre est une de ces femmes designees par Giraudoux comme une elue: "elle est forte, e11e enjambe les crues, elle renverse les trones, elle arrete les armees .•. Quand i 1 y en a une elle est l'impasse du monde... Mai selle est rare. 11 faut fuir quand on l a voi t , car si elle aime , si e11e deteste, e11e est implacable... Mais elle est rare" .1

1. GIRAUDOUX, J: Choix des Elues , op. cit. - p.237. 96

L'action d' Electre est tota1ement opposes a cell e des jeunes fi 11es du chapi tre precedent. Electre attei nt son but et se sent comblee, mais ses intentions se distinguent nettement de celles d'Isabelle, de Suzanne et d'autres. L'interet en jeu chez Electre est le fait qu'e11e a ete le serviteur du destin, ce destin qui dirige tout. Bien qui i 1 n' y ait pas de rapport direct entre Electre et le surnaturel, e11e est sans doute 1 1 instrument du destin, et comme nous l' avons deja vu, le destin fait partie integrante du surnaturel. 11 nous est devenu evident que Giraudoux ne montre aucune predilection pour 1e tragique et qu Ii 1 nous en offre une alternati ve. Il n' est pas non p1us a 1 1 ai seavec 1es di eux , Pour Gi raudoux 1e theatre est avant tout un 1i eu d Ienchantement dans 1eque 1 i 1 revi ent presque toujours. Remarquons done qu 1 il n I y a qu 1 une chose qui 1i e E1 ectre a d Iautres heroines gi ra1duci ennes, a savoir 1e fait qu'e11e accepte ce qu 'e11e est. Accepter sa nature, c'est accepter l'univers, et crest le trait caractert sti que d 1 A1cmene, de Suzanne, d IIsabe11 e, comme d 'E1ectre.

La Guerre de Troie nlAura Pas Lieu est semb1able a E1ectre dans 1a mesure ou c' est encore une foi s 1a Fata1i te qui mene 1e jeu. Ironiquement c'est 1a premiere piece dont les personnages pri nci paux ne sont pas des femmes. Ce sont 1es hommes qui acceptent 1a guerre desi ree par 1es di eux. CIest en p1eine conscience de cause qu 'i1s mettent en marche 1e mecant sme qui rendra cette. guerre i nevi tab1e. C1 est bi en ce qu'entrevoit Cassandre, la prophetesse, des 1e retour de son frere, Hector. D'une maniere inspiree et enigmatique, e11e averti t Andromaque: 1e monstre s Iavance, "et i 1 monte sans brui t tous 1es esca1i ers du pal ai s , I1 pousse du mufl e 1a porte... 1e voi l a". (G,I,i,p.135). Nous sentons avec Cassandre la presence de 1a Fata1ite invisible mais redoutable qui represente, dans la tradition grecque, 1e danger qui nous 97

guette si nous pretendons viser au-de1a de nos forces. Giraudoux cree done 1e sentiment chez 1e 1ecteur ou chez l'auditoire, qu'i1 ne faut pas tenter 1e destin.

Tandis qu'i1 n'existe pas de lien direct entre 1es personnages feminins d'E1ectre et 1e surnature1, La Guerre de Troie nlaura pas 1ieu revel e p1usi eurs femmes empruntees di rectement a 1a mytho1ogie grecque, et chez Giraudoux e11es ne perdent pas 1es dons avec 1esque1s e11es sont nees.

Prenons d'abord Helene, ce11e qui est a 1a fois 1e pretexte

1enjeu et 1 de 1a guerre- et 1 I instrument du destin. En apparence e11e est forte en beaute, lithe face that launched a thousand shi ps" 1 ; 1e prototype des femmes fatales, ell e est 1egere, transparente et aerienne: elle est bi en sur 1a fi11e du roi de l'Olympe, nee de l'union du cygne avec 2 Leda. E11e a l'air d'un etre fragile, aux reactions instinctives et quasi inconscientes. Mais e11e est aussi enigmatique et depourvue d'emotions humaines et tendres. Ce detachement est bien exp1ique par son enfance, qu 'e11e a passe "a denicher et a e1ever des oiseaux", (G,II,viii,p.176), et e11e a l t af r froid et indifferent. L'intuition feminine d 'He1ene est deve1oppee a un te1 poi nt qu I elle est presque prophetesse: e11e peut deviner 1e futur et prevoir 1es ma1heurs. "Je ne lis pas l t aventr", dit-e11e. "Mais dans cet aveni r , je voi s des scenes co1orees, d ' autres ternes. /I (G,I,ix,p.155). Ce sont 1esfameuses 'chromos' d'He1ene: (les choses co 1oriees qui arrivent, et 1es choses qu I elle voi t mal qui n' arri vent pas). Ell e vit done dans un royaume d' images, et son 1angage emprunte ses cou1eurs et ses vibrations aux etoi1es, aux p1antes, aux animaux et aux oiseaux surtout.

1. MARLOWE, C: Dr. Faustus, London, Ernest Benn Limited, 1965, p.80.

2. C I est sous 1a forme d' un cygne que Jupi ter s'est approche de Leda. 98

Autrement dit c'est la voix de la nature. Helene, en accord avec l t ordre des choses, vit en harmoni e avec 1es forces de la vie et "incarne la Fat.al i te a laquelle elle ne peut se soustraire, pas plus qu'elle ne peut ni ne veut echapper a elle-meme" . 1 Helene est 1a creature 1a plus mysterieuse de toute l'oeuvre de Giraudoux: elle est de passage dans ce monde mais nay appartient pas. C'est plut6t dans 1'autre monde, dans le monde surnaturel qu'elle se sent a liaise.

La Cassandre de Gi raudoux est encore 1a devi neresse de 1a mythologie antique: elle est clairvoyante en ce qui concerne les gens et les situations. Elle reconnait la froideur fondamentale de la sensuelle Helene: "Elle est nee de l'ecume, quoi! La froideur est nee de l'ecume, comme Venus". (G,I,iv, p.140). Elle previent que la guerre de Troie aura lieu et bien qu'elle sache susciter la Paix, elle ne peut la conserver. Cassandre est le symbole de la lucidite en face du desastre qu'elle est impuissante de divertir.

Bien que Cassandre et Helene entretiennent toutes les deux des rapports avec 1e surnature1, ce sont des femmes completement differentes l'une de l'autre: Helene voit des evenements ul terteurs dans "des scenes colorees," Par contre Cassandre ne voit rien "colore ou terne. Mais chaque etre pese sur moi par son approche meme , A 11angoi sse de mes veines, je sens son destin". (G,I,x,p.157). Elle est compatissante et se sent desesperee enessayant vai nement d' empecher que ses propheties soient accomplies. N1aura-t-elle pas voulu retenir la Paix? Quant a Helene, elle contemple la souffrance et la misere avec indifference et sangfroid. Rien ne l'emeut,

1. VERSTRAETE, 0: "Eros et Fatalite dans le Theatre de Giraudoux Inspire de la Tragedie Grecque". French Studies in South Africa, Johannesburg, September 1982, pp.26 - 33. 99

ni ne la touche. Elle a, selon Campiche, "la meme durete que 1es mi roirs, et comme eux sont 1e reflet du monde, elle est, semble-t-il, le reflet d'un destin atroce, la guerre".l La vision d'Helene est un don qu'elle accepte, mais qu'elle n'utilise pas. Cassandre emploie son don de prevision pour chercher la verite, comme elle le dit, "je tate la verite". (G, l ,x , p. 158). Ces deux femmes sont des personnages secondai res dans La Guerre de Troi e n 1 aura pas 1;eu, mai s i1 existe cependant un rapport entre elles et le surnaturel. L'attitude qu'elles ont a l'egard du surnaturel est tres differente et elles communiquent chacune a sa f acon avec un element du surnaturel.

La troisieme piece de Giraudoux qui s'inspire de la mythologie grecque et que nous allons traiter dans ce chapitre, c'est Amphitryon 38. Avec cette piece , 1es di eux font 1eur entree sur scene et Gi raudoux renouve11 e 1e theme Herne1, eel ui de la mortelle aimee dlun dieu.

Jupiter, maitre des dieux, est epr is dAl cmene, la jeune et belle epouse du general thebain Amphitryon. Mais Alcmene n'aime que son mari, en effet elle est insensible a tout ce qui n'est pas Amphitryon. 11 est vrai qu'elle aime et accepte 1e monde surhumai n, 1e monde des dieux, de Mercure et de Jupiter. Alcmene jeune fille reve des dieux, comme Isabelle reve de son spectre, et ell~ avoue a Mercure: "Toute rna jeunesse s'est passes ales imaginer, a leur faire signe... Je caresse le ciel! ... J'aime les dieux". (A,II,iii,p.144). Mai s quand Jupi ter veut 1a sedui re, i 1 est force d' emprunter 1 1 apparence meme du mari qu' i 1 va tromper, tant A1cmene adore Amphitryon.

1. MERCIER-CAMPICHE, M: Ope cit. - p.53. 100

Gi raudoux prete au couple que forment A1cmsne etAmphitryon une so1i di te et un goQt profond du bonheur si mp 1ement huma in. Donc "quand l'amour cimente un couple, le ciel lut-meme ne peut pas grand-chose contre 1ui II 1 Aux tentati yes de Jupiter pour se faire reconnaitre et desirer comme amant et comme dieu, Alcmene oppose une parfaite fidelite a son epoux et a la realite terrestre, une sereine satisfaction devant son destin de morte11 e. (I,vi; II,i i) . Quand Jupiter se presente ouvertement comme 1e maitre des di eux, i 1 n' a pas plus de succes : "Pourquoi ne veux-tu pas etre immortel1e?" demande-t-il a Alcmene. Elle lui repond franchement qu'elle deteste les aventures, "cest une aventure, l'immortalite". (A.II,ii,p.134) . Aussi, A1cmene aime-t-e11 e Jupiter non pas parce qu' i 1 est di eu, mai s parce qu' il prend 1a forme d' Amphitryon et dans

1a mesure ou i 1 parvi ent a II deveni r" Amphi tryon. Le di eu se trouve donc empetre dans sa toute puissance, pris a son propre piege. Nous nous rendons compte du rapport intime qui existe entre A1cmene et 1e monde surnature1. Ce derni er n' a point de mystere , ni d'interet pour e11e et e11e ne pose pas de questions. Elle parle au dieu avec franchise, facilite et innocence et lui offre son ami t ie. Il est interessant a ce point-ci de relever les rapports differents de ces femmes avec les dieux. Les signes que faisait Alcmene aux dieux en jeune fille different des signes que fait Electre, par exemple.

Celle-ci suscite l t inqutetude et le malaise, tandis qu'Al cmene admire de loin 'le ciel' pendant sa jeunesse, et elle le refuse en adulte, ayant nettement refuse les tentatives de Jupiter de la seduire.

C'est a ce stade de son oeuvre que Giraudoux accorde une importance primordiale au couple et a l'amour conjugal, ce qui marque une evo1ution a parti r des premi eres oeuvres. Les

1. MERCIER-CM4PICHE, M: Ope cit. - p.75. 101

priori.tes de 1 1 heroine ont change et A1cmene ne songe poi nt a se separer, meme provisoirement, de l'humanite. Ce sont ses reactions en face de l'ordre naturel qui sont soul tqnees , Les heroines precedentes, telles qui Isabelle et Suzanne, reviennent a la vie quotidienne apres leurs evasions dans le surnaturel. Pourtant elles avaient besoin de leurs aventures, de cette II sai son passaqere hors de l' humanite" 1 l' aventure par 1aque 11 e i 1 est necessat re de passer, ouvre aces jeunes fi 11 es des portes qui donnent sur des mondes plus vastes, et en contemplant l'infinie variete de l'univers, ces jeunes filles peuvent accepter la fonction qu'elles doivent finalement y remplir. Mats on ne peut pas s'empecher de remarquer qu ' A1cmene reve1e., des 1e debut, par son appreciation de la nature autour dlelle, cette capacite de communion avec la nature. Elle nla donc pas ce besoin dlevasion.

Neanmoins crest en vain que 1es mortels tentent, par leurs artifices, d'opposer leurs pauvres desseins au destin que conduisent 1es dieux: A1cmene est predestinee a la couche de Jupiter comme Judith a cel1e d'Holopherne. Leur union est "faite de toute eternite" (A,II,v,p.148), revele Mercure a A1cmene. Te11e est la manifestation dune Fatal i te a 1aquelle 1 1 etre humai n se trouve pri s , mais heureusernent pour A1cmene clest sa fidelite meme a l'humanite qui la sauvegarde. On peut 1 1 appe 1er une des ' e1ues' de Gi.raudoux rnai s dans un sens tout a fait oppose a II I e1ue' que represents Electre. A1cmene est une e1ue parce que cornrne 1a plupart des heroines giralducienne$, comme Juliette, comme Suzanne, comme Isabelle, c'est elle qui jouele rOle de mediatrice "dansle rnalentendu qui existe entre l'homrne et le Cosmos" 2, et cest elle qui reste f i del e a l'humanite et a la verite.

1. ALBERES: Ope cit. - p.315. 2. ALBERES: Ope cit. - p.193. 102

Dans E1 ectre, dans La Guerre de Iroie et dans Amphi tryon 38, nous avons vu dans quell e mesure l'etre humai nest constamment soumis a 1a pesee du destin et que ce sont 1es dieux mytho10giques qui dirigent tout.

Dans 1a traqedte de Judith et 1a piece Sodome et Gomorrhe c I est 1e Di eu de l ' Anci en Testament qui entre en jeu. Bi en que si1encieux, ce Dieu semble menacer 1a 1iberte et 1e bonheur humain. Ces deux pieces font partie de 11evolution vers 1e pessimisme dans l'oeuvre de Giraudoux'. Sur 1es donnees immuab1es de 1a Bible, qui lui fournit un cadre, un decor, Gi raudoux illustre a sa mani ere, des themes qui s ' annoncat ent deja dans Amphitryon 38.

Giraudoux reprend 1a 1egende de Judith qui apparait dans l' apocryphe. Dans 1a pi ece c ' est Di eu qui gagne 1a partie et Judith est pri se au pi ege. Dans cette tragedi e 1a Fata1ite et 1a creature huma i ne s I empoi gnent dans une etrei nte mortelle. La plus digne d'entrer dans 1a tragedie, Judith est se10n Giraudoux !'1a Sainte Genevieve ou 1a Jeanne d'Arc juive, interpretee d'apres sa condition de vierge et sa race".l

LI attitude de Judith envers Di eu est tres comp 1exe et change p1usieurs fois au long de 1a piece, mais i1 n'y a aucun doute qu'e11e ne cesse jamais de croire en Dieu. Pendant sa jeunesse e11e sentait son atteinte et son regard et i1 lui par1ait en signes: "Entre tous 1es rayons du solei1, un rayon avait tout a coup une cou1eur specia1e,etait son regard". (J,I,iv,p.190). Plus tard dans 1a piece, Judith decide el le-meme d'aller chez Ho10pherne, n'ayant pas entendu personne11ement 1a voix de Dieu. Elle se voit abandonnee de Dieu," je ne sais pourquoi, mais i1 m'a abandonnee", (J,II,vii,p.230), et elle croit agi r pour son propre compte. A 1a fi n de 1a piece ,

1. Cite par Y. f40RAUD: "Judith ou l'impossib1e l tberte", Archives des Lettres Modernes, 1971(6) No. 125, p.14. 103

Judith, qui croit qu'e11e a en fait trahi 1e peup1e juif, voudrait confesser cette verite. Mais Dieu veut qu'e11e paraisse au peup1e, au contraire, comme celle qui l'a sauve, comme une Sainte. Un garde, agent de Dieu, l'empeche de parler, et elle est donc contrainte d'accepter cette reputation. G'est 1a verite de Dieu qui prevaut, et non pas 1a sienne. La parole de Dieu s'est eff'ectuee; 1a prophetie s ' est accompli e. L' heroine est enve 1oppee de 1a toute puissante presence si1encieuse de Dieu.

Des 1e debut de 1a piece, Judith constitue un defi: aux hommes qu'elle fascine et irrite ala fois et a Dieuqu'elle provoque. Vierge, dlune virginite "sans cesse frc>lee", (J,I,II,i;,p.214), mais intacte, 1ucide et ambitieuse, Judith n'oub1ie jamais son etat et sa caste aristocratique. E11e cherche 1a victoire, "e11e aime a dominer et a etre aimee". (J,I,;i,p.187). Orgueilleusement, et protegee par sa virginite, elle declare qu'elle reserve sa beaute et sa purete "non pour un homme, mais pour un grand moment du monde". (J, I,v, p. 197). Judith est sans doute l'e1ue de Dieu: mais s li1 est vrai, comme 11ecrit Camus, que "1e spectacle de 110rgueil humain est inega1ab1e"1, i1 est ega1ement insupportable pour Dieu.

Le drame de Judith, comme ce1ui d 'A1cmene, c'est d'etre une creature eminemment terrestre, un etre humain trop humain. De caractere oppose, e11es so~t paradoxa1ement 'coupab1es' de 1a meme fa~on: i1 y a dans 1a fidelite exclusive de l' epouse a l' epoux et dans 1a passi on que 1a vi erge se porte a el l e-meme , que1que chose de trop qui excite 1a colere des dieux. Clest du fait de cette humanite sereine quI habite

A1cmene que Jupi ter trouve des rai sons d' i nterveni r et c I est a cause de 1a complaisance arrogante de Judith a l'egard

1. CAMUS, Albert: Le My the de Sisyphe - Collection Idees, Ga11imard, 1942, p.75. 104

II II Par amour , elle l'a tue Judith, III,vi, p. 244.

LE RETOUR DE JUDITH A BETHULIE - Bottice11i in Bottice11i, Rizzoli, New York, 1979. 105

die11 e-meme et a l' egard de son peup1e, que Di eu 1a prend au piege. Dansle cas de ces deux heroines ce sont 1es dieux qui cherchent a. avoi r des rapports avec ell es et non pas 1e contraire comme dans les romans et 1es pieces examinees au chapi tre precedent. Nous voyons donc que 1a nature du contact

entre 1es personnages femi ni ns et 1e surnature1 evo1ue d 1 une oeuvre a l ' autre. Dans Amphitryon 38 1e monde surhumain et le monde de la raison s'unissent pour produire Hercu1e qui va sauver l'humanite: dans Judith 1e monde d'Ho10pherne est

detru'it par 1e monde surnature1 qu 1 i 1 rejette et par Judi th el l e-neme , c'est-a.-dire que 1a verite qui combine tous 1es deux mondes, est aussi aneantie.

Ainsi 1a faute initia1e a ete commise par 1a creature humaine. Il faut que Judith se sente coupab1e car e11e savait exactement ce que Dieu vou1ait d 'e11e. E11e est en fait coupab1e d'avoir ose interroger Dieu. Pour 1e Tout-Puissant, crest son obstination a el1e qui est 1a pire faute. Judith s' entete et sa tragedie se trouve dans 1e Createur qui tend inexorab1ement ses pieges et dans 1a creature qui se jette eperdumentrdans 1es chemins qu' ell e croi t encore 1i bres. Le mecanisme tragique ne se declenche qu'avec 1es reactions de Judith a 1a determi nati on di vi ne. On peut di re qu ' en fi n de compte, les rapports entre Judi th et Di eu se redui sent a. une 1utte et un conf1it perpetue1.

Qu'elles soient 1ibres ou qu'el Ies aient seu1ement l 'illusion de 1aliberte, 1es heroines de Giraudoux sont assoiffees de l'abso1u. Tel est le cas avec Electre et Judith, aussi bien qu' avec Li a, l'heroine revo1tee de Sodome et Gomorrhe. Nous • nous retrouvons dans l'antiquite bib1ique, en Palestine, a. Sodome. Dieu songe a detrui re cette vi 11 e OU 1es couples sont tous desunts , seu1s Jean et sa femme Lia, maries depuis cinq ans , semb1ent s'aimer f i de lement , Mais Lia revele qu'en 106

"Depuis que je suis 'enfant, je n'ai aim~ et touch~ que 1es objets de 1a terre qui m10nt ~t~ pr~sentes par des anges~ Sodome et Gomorrhe, I,iv, p. 122. LIA ET L'ANGE, Sodome et Gomorrhe, Photographies de Scene, 1943, Photographies Harcourt, Fonds J. H~bertot. 107

realite elle n'aime plus Jean, dont elle a trop 1'habitude. D~s lorsla fin de Sodome est ineluctable et la foudre tombera sur ces couples desunis.

Li a, comme 1es autres heroines gi ra1duci ennes, est i nte11 i gente et 1uci de. Elle ales memes reves de jeune ,fi 11 e que par exemple Alcmena, qui, enfant, avait voulu rencontrer les dieux, au Isabelle, qui voulait parler aux morts. Lia, jeune fille, revai t des anges. "Depui s que je suis enfant, je n1ai jamai s aime et touche que 1es objets de 1a terre qui

ll m10nt ete presentes par des anges • (SG,I,iv,p.122). En adulte, Lia cherche a s'approcher de l'ange qui lui apparait de temps en temps: elle espere qu1une union avec cet emissaire du surnaturel lui r amenera le bonheur. Mais l'ange lui conseille de s'unir,de nouveau avec son mari pour retrouver leur bonheur perdu. Lia continue de faire valoir ses qual i tes feminines devant l'ange, car e11e aspire a etre atmee de l'ange pour elle-meme. Pourtant l'ange lui enseigne qu'une telle union n'est pas possible, et que c'est dans la vie humaine qu'elle doi t redecouvri r son sal ut. Sa tentati ve de sedui re 11ange se termine donc en echec.

Mais Lia, qui est le symbole de la verite, veut aimer un ange. Ell e ne peut pas trouver une telle verite chez 1es hommes. Elle blame Dieu pour l'incapacite de l 'homme de voir la veracf te et d 1 etre satisfait par 1es apparences exteri eures. Dieu a cree un couple sans, harmonie, mais ce couple semble ignorer 1e manque d'harmonie, et parait tout a fait sans conscience des difficultes. Lia l'explique en disant que c'est parce que Dieu, lui aussi, est masculin: "D'i eu est comme vous (Jean). Lui aussi se derobe, Que les etres qu'i1 a crees soient de pi~ces et d'arondes que rien n'ajuste, peu lui importee 11 a son tapis volant, qui est le ciel, et l'alibi qu 1 est pour vous votre corps, pour 1ui c ' est l ' ange. C1 est 108

de lao que vient tout le mal: Dieu est un homme". (5G,1,ii, p.Tl O}. La colere de Lia va jusqu'au blaspheme. Elle va plus loin quand elle dit que Dieu lui aussi, n'a pas d'explication pour la d~sunion du monde: "11 nous torture pour nous arracher ce secret qui 1ui ~chappe... Le secret de cette mal f acon ... 11 est comme nous. 11 ne comprend pas ..." (5G,II,v,p.135). Nous pouvons ainsi conclure qu'il y a un lien direct entre Lia et Dieu mais que tout aboutit a une impasse: Lia, haineuse, amere , debordante de rancune et de rna 1~di ctions est persuades qu'elle est innocente, et c'est Dieu qu'elle met en accusation et qu'elle def ie, Dieu, de son c5t~, n'exige que la paix et la tendresse du couple. Une fois que l'etre humain lui d~sob~it par son obstination, Dieu est obl iqe de le condamner et de l' aneanti r , Autrement dit, l ' homme refuse de se transformer ou de se soumettre a la volonte divine et tout ce qui reste est une 1utte d' orguei 1 entre l ' homme et Di eu. Nous devons nous souvenir du fait que l ' homme est cr~~ avec une vo lonte 1i bre et c' est justement pour cette rai son qu' i 1 peut, s ' il le veut, refuser Dieu.

Nous devons neanmo ins remarquer comment Giraudoux transforme 1es donnees bi b1i ques dans cette piece , 11 substitue 1e couple a l'appareil traditionnel charg~ du salut de la ville. Cette substitution constitue encore un exemple de l'importance que Gi raudoux accorde au coup 1e a travers son oeuvre. Gi raudoux semble aussi renier la l tberte conditionnelle que la Bible accorde a 1'homme, car dans la piece de Sodome et Gomorrhe l'etre humain ne d~pend pas des d~cisions et des interventions de la puissance divine. C'est, par contre, la divinit~ qui attend jusqu'a l'extreme limite une initiative de la vo lonte humaine. Lia en remarque: "C'est touchant: un ange attend un miracle des hommes". (SG,II,vii,p.141). Giraudoux veut ainsi demontrer que c' est en effet l ' etre humai n qui est maitre de son propre sort dans l' univers que cr~e notre ~crivain. Nous 109

avonsdonc 1 1 impression que Gi raudoux se moque de Di eu et rapetisse la toute puissance de Dieu.

Parmi les pieces ou se trouve une parente, soit directe soit indirecte, entre les personnages feminins et les dieux, nous avons vu que ce sont toujours les femmes qui sauvent les peuples et redressent les situations, tiennent en echec le destin et s'entretiennent avec les morts. Grace a sa Iuc idt te et a sa sensibi l i te tnnee au surnaturel, llheroine dramatique percoi t 1a dual i te qui existe entre 1e monde humain et 1e monde divino

Dans ce dernier chapitre nous avons sf qnale 1a mefi ance de Giraudoux a l'egard des dieux. 11 nous est donc evident que 1e surnature1 que prefere Gi raudoux reste 1e domai ne de 1a nature si bien i11ustre par les heroines des romans. 110

CON C L U S ION

"Clest ( ..• ) ~tre r~el dans llirr~el~

Impromptu de Paris.

Dans cette etude nous avons vu que 1es romans autant que 1es pieces de Jean Giraudoux traduisent, chacun a sa maniere, l'expression d'une vision poetique du monde. Nous souscrivons vo1ontiers a la conclusion que tire Rene Bray quand il constate que "Giraudoux est le createur d'un autre Paradis ... fait de fantaisie, de jai11issement et de spontane i te... detourne de 1a sombre real ite vers 1a joie ... II .1 Nous pouvons nuancer un peu cette observation, en disant que les sentiments de Giraudoux osci11ent entre l'euphorie et le pessimisme, comme son univers se,balance entre le reel et l'imaginaire.

Les personnages feminins et le surnaturel jouent tous les deux un role primordi a1 dans l ' oeuvre de Gi raudoux et nous avons vu qu'il existe un lien etroit entre les deux. L'impression dominante qui se degage de cette oeuvre, c1est l'invincible attrait de l'harmonie cachee de l'univers et la correspondance exceptionnelle qui relie les etres et les choses. Ce sont les personnages f~mi ni ns qui menent 1e· jeu et ce sont ell es qui s I adaptent aux exigences de l'autre monde, en effet, e11es le recherchent. La femme giralducienne incarne l'intuition et la perception aigues: elle reussf t a retenir sa sensibi l i te et sa superior-i te supremes grace a sa capaci te de s I evader pour un temps dans 1e monde surhumain.

1. BRAY, Rene: La Preciosite et les Precieux, Albin Michel, Paris, 1948, p.375. 111

Il n I y a aucun doute que 1a femme a toujours tenu une place speci ale dans 1e coeur de Gi raudoux. C'est presque toujours une hero ine et non pas un heros qui joue 1e premi er r61e dans son oeuvre; i1 semble bi en que Gi raudoux pense que 1a femme est superi eure a l ' homme. Dans 1a seri e de causeri es intitul ee La France et 1a Fran~ai se , Gi raudoux commente l' attitude traditionnelle de l 'homme envers la femme. L'homme la consi der-e soit comme une servante, soit comme une deesse, mais jamais comme son semblable. Pour Giraudoux, qui avait une comprehension profonde de 1a femme, lie 11 e est comme 1 1 homme" 1, son ega1e et sa vraie inspiratrice. I1 suggere meme que puisque la femme est caracteri see par 111 e bon sens et 1a generosite" 2, elle pourrait, si lion lui donnai t un role plus actif dans la societe, exercer un effet bien salutaire sur elle.

Les qual i tes que Gi raudoux attri bue a ses personnages femi ni ns ne varient pas trop d'une oeuvre a l'autre. Elles incarnent toutes la purete, l t innocence , la fraicheur et la luc idtte, Elles sont pour lui les 'elues ' et comme il les defi nt t dans Choix des Elues, elles sont I rares I. CI est surtout 1a jeune fi 11 e qui est douee des attributs exceptionnels de la perception et de la luc id l te, Elle est '1 letre neuf ' qui nlest pas touche par les lourdes responsabilites dont la vie quotidienne est chargee. Clest la jeune fille qui repand le bonheur dans l'univers giralducien. Giraudoux dit lu i-meme que Illes femmes ne doivent connaitre ni le depi t , ni la lassitude.•. elles n'ont quia disposer dans chaque semaine une petite esperance, dans chaque moi s un petit bonheur... II 3 Les heroines .gira1duci ennes acceptent 1e bonheur que leur donne l'illusion, le songe, le monde de mystere, de spectres, d'ondins et de dieux. Pour elles cela fait partie de la realite du monde.

1. La France et la Fran~aise, op.cit.- p.lll. 2. Ibid - p.129. 3. L'Ecole des Indifferents, op. cit. - p.133. 112

I1 nous semble quia travers le symbole de la jeune fi11e, qui tres souvent, n'a pas de vrais liens familiaux, Giraudoux trouve

1 1 etre humai n parfait qui sert d I exemp 1e de 1a purete et qui est par consequent aisement en communion avec l'au-dela. Suzanne vit chez son tuteur, Ju1i ette habite chez son onc1e. Eglantine est decrite comme la soeur de 1ait de Bella. Judith, e11e aussi, n'a personne sauf son oncle. Aucune fami1le ne les entoure, ne 1es protege du monde. Ell es sont toutes orphe1i nes et i1 se peut, que clest 11iso1ement d'une tel1e situation qui

1eur a donne 1a sensi bi 1i te et 1a force necessat res d I abord pour reconna itre et ensuite pour entreprendre 1eur recherche d'une vie di ff'erente et plus satisfaisante. L'autre monde est plus attirant que le monde des hommes.

Un des apanages 1es plus importants que Gi raudoux accorde a la jeune fille est sa f acul te de percevoir 1linvis;b1e et de ce point de vue e11e devient leo porte-parole de laphilosophie giralducienne. Le fait que la jeune fille est en accord parfait avec le cosmos traduit la conviction de Giraudoux lui-meme qu'il existe un monde cache, un univers au-de la de l'humanite - et que, si nous, les lecteurs, accueillions cet untvers-Ia, nous serions plus heureux dans notre monde. Giraudoux doue ses personnages feminins de clairvoyance; il est pourtant possible que cette puissance surnature11 e ne soit rien d I autre qu I une exaqeratton poet ique que Giraudoux a accordee a ses heroines dans son univers onirique. Quoiqu'il en soit, la communion entre 1es heroines et 1e monde invi si b1e est toujours traduit dans une lueur d'optimisme, cher i notre ecrivain.

Gi raudoux a souvent pui se aux deux sources qui ont nourri 1a civilisation occidentale: la Bible et la Mythologie. Quand 1es dieux traditionnels apparaissent sur scene, 11s semblent constituer une menace a l'humanite ou aux profondeurs indefinis­ sables de la nature humaine. Pourtant nous avons ega1ement vu, 113

dans Intermezzo et dans Ondine par exemple, le regret que ressent Gi raudoux quan d l' homme se coupe deli berement du cosmos pour se figer dans le monde borne de sa propre creation. Neanmoins meme s'il traite des sujets et.ernel s , Giraudoux ne perd jamais cette fine sens tbt l tte et cette attitude prudente et pudique, qui sont ses marques indel ebi les , 11 navoue jamais son tncredul i te en Oieu ni son manque de foi. Clest avec reticence qui il constate que "des visites que Oieu m'a faites ou ne m'a pas faites •.. personne n'en saura jamais rien. Oieu, d'ailleurs, tient-il tellement a ce que nous parlions de Lui? Ne prefere-t-il pas etre un secret, a etre une divulgation?" 1

Plusieurs critiques jugent que les personnages feminins de Gi raudoux sont des types ou des symbo 1es p1ut6t que des etres vivants. Maurice Bourdet commente l luniversalite des heroines giralduciennes: "Les femmes de Giraudoux sont les femmes de toujours. Peut-etre est-ce pour cette rai son que nous ne pouvons pas 1es sentir tres proches de nous... et ce qui peut etonner chez Giraudoux, (c'est) qu'une Anne, qu'une Bella eOssent pu vivre en d'autres siecles, sans que leur aspect en fut beaucoup altereII. 2 Il est probab1ement vrai que 1es heroi'nes de Giraudoux typifient chacune une attitude particuliere en face du monde: Alcmene , crest la fidelite a l'epoux et la fidelite a la condition humaine; Ondine, la decheance volontaire vers la condition mortelle; Isabelle le refus de la terre et la tentation de l'au-dela; Judith l'acceptation orgueilleuse de l'election divine, et Electre, lao purete et le refus d'un bonheur f'onde sur le mensonge et la compromission. Cependant, il nous est possible de les accepter comme vivantes: Alcmene, qui ne s I interesse qu I a sa vie terrestre et a son mari, n I est-e11 e pas l'epitome de la vraie femme feminine? Comment ne pas sentir une telle comme 'proche de nous', humaine et vivante?

1. Li t terature, op.. ci t , - p. 12l. 2. BOUROET, Maurice, p.292, "Jean Giraudoux-son oeuvre"; La nouvelle revue critique, Paris, 1928, p.292. 114

Le fond de l'ori gi na1ite et de 1a vi si on poeti que de Gi raudoux repose sur l' opposition d I un cote des pui ssances superi eures et du destin et de l' autre cote de l' homme borne. A l ' issue de ce conf1it entre 1e divin et l'humain, i1 est loisib1e de voir s'ebaucher un rapprochement entre 1es deux. C'est 1'heroine gira1ducienne, belle et sedui sante , qui resoud le dilemme et qui trouve 1a parente de l'homme avec 1lunivers. 115

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

1. "Po rtrai t de Jean Gi r audoux'' (1882-1944), 1 Bib1iotheque Nationa1e, 1982.

2. "Suzanne et 1e Pecf f i que", t l lustre par J.E. 18 Laboureur, Paris, Les Cent une, 192~

11 3. "Ampn i tr-yon 38 , Paul Co 1in Affiche - annonce 27 i11ustre en cou1eurs, Comedie des Champs E1ysees, Theatre Louis Jouvet.

ll 4. 1I0 ndi ne , Affiche par Tchet1ichew, Editions 44 Bernard Grasset, 1939.

5. "Zeus , dieu supreme des Grecs"; fi gure en 60 bronze, 460 avant J.C. dans Greek Art - John Boardman, Thames and Hudson.

6. "Combat avec l t anqe"; Christian Berard, 64 Illustration pour Combat avec l'ange, Be11ac, Maison Natale.

7. "Jul tette au pays des hommes"; Emile-Paul 75 Freres, 1926.

8. Caricature representant 1es personnages 78 d'Intermezzo, Charles Kiffer, 1933. 140

9. "Les Nymphes ll, Musee archeo1ogique de De 1pht, 85 sans date.

10. IIHans et Ondinell, Photographies de Sc~ne: 88 Ondine, 1939, Acte I, ix. Cl. Lipnitzki ­ Louis Jouvet et Madelaine Ozeray.

11. "Electre et Orestell , Figure en bronze, 460 92 avant Jesus Christ dans Greek Art, John Boardman, Thames and Hudson.

12. IILe Retour de Judith -a Bethulie", Botticelli 104 dans Botticelli, Rizzoli, New York, 1979.

13. IILia et l t anqe", Photographies de scene, 106 Harcourt, 1943, Fonds J. Herbertot. 141

TABLE DES MATIERES

PAGE

INTRODUCTION .•..•.•.•..••.....•..•.•...... •...... 2

CHAPITRE I Le personnage feminin dans 1•oeuvre de 11 Jean Giraudoux ~ ...... •......

CHAPITRE II

Le monde surnature1 dans 110euvre de 38 Gi raudoux .

CHAP ITRE II I Le rapport entre 1es jeunes fi11es et 68 1e surnature1 •••••....•....••.••••••••.••••.•.•.•...

CHAPITRE IV Les heroines gira1duciennes et 1es dieux .•...... •••• 90

CONCLUSION •..•••••••••.••••••.•••••••••••••.•.••••.• 110

BIBLIOGRAPHIE .....••.....•..•.•.••••..••••.•••.•..•. 115

TABLE DES ILLUSTRATIONS ••....•....••••••••••..•...•. 139 TABLE DES MATIERES •.•..••••.•.•••••.•...•..••....•.. 141 \