Le Mandingue
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André Larquié président Brigitte Marger directeur général le Mandingue : l’empire de la parole introduction Ce n’est pas un hasard si la cité de la musique, à la veille de l’an 2000, s’est intéressée aux héritiers d’un Royaume qui a connu son apogée au XIIe siècle de notre ère… C’est même un défi lancé au temps : découvrir une musique contemporaine de notre Moyen Age euro- péen qui a su rester vivante, populaire, évolutive, «classique » au sens noble du terme… Car si cette musique émerveilla les premiers décou- vreurs de l’Afrique noire, c’est aussi celle qui se joue aujourd’hui à l’ombre des gratte-ciel d’Abidjan comme dans les faubourgs de Bamako ou de Conakry, sous ces auvents de toile qui barrent les rues lors des mariages ou des funérailles ; vous l’entendez dans les cours des chefs de village comme à la radio ou à la télévision : dans toute l’Afrique de l’ouest, c’est la musique la plus écoutée, la plus respectée. En cassette, en disque compact, on l’enregistre jour et nuit dans les studios où elle s’accommode sans honte de tous les sons à la mode : synthétiseurs et boîtes-à-rythme ne risqueront pas de dénaturer la musique « mandingue », avec ses voix héroïques, ses instruments de bois et de peaux parfaitement sem- blables à ceux que décrivait le grand explorateur arabe Ibn Batouta en 1352. Cette musique presque millénaire - car elle a sûre- ment précédé la fondation de l’empire du Mali, celui des Mandingues - c’est avant tout celle des « griots ». Une partie des chanteurs et musiciens programmés dans ce cycle de concerts appartiennent à cette caste traditionnellement investie d’un rôle essentiel : la trans- mission de la mémoire par la parole dans une société sans écriture - car malgré l’islamisation très ancienne, hors des mosquées, l’arabe coranique n’a jamais réussi à supplanter la tradition orale. La musique mandingue est avant tout « verbale » : elle est l’expression d’une langue magnifique qui, dans ses diverses variantes (bambara, dioula, malinké, etc.), joue dans toute l’Afrique de l’ouest un rôle prépon- dérant - économique, historique, politique et social - car notes de programme | 3 le Mandingue : l’empire de la parole c’est la langue du commerce… sur les marchés, elle a toujours été préférée à la langue coloniale, le français. La langue mandé, comme la plupart des langues afri- caines ou asiatiques, est une langue « à tons ». En fonction de sa tonalité (basse, modulée ascendante ou haute), chaque syllabe peut avoir trois sens différents. Ce qui signifie, pour simplifier, qu’un mot à trois syl- labes peut avoir jusqu’à 27 significations possibles, selon la façon dont il est « chanté ». Pour un musicien mandingue, la mélodie est donc avant tout affaire de sens. Les contraintes de la modu- lation signifiante prédéterminent forcément toute consi- dération artistique, à moins que cette musicalité de la langue, partagée par tous ses locuteurs pour la plu- part illettrés, ne soit dès son origine un choix esthé- tique qui échappera toujours à ceux qui ne comprennent pas le mandé. Rassurez-vous : ce débat compliqué entre linguistes et musicologues - aussi passionnant qu’il soit - n’em- pêche pas de tomber amoureux, dès la première écoute, des musiques de l’ancien empire mandingue. La splendeur lyrique des voix ; la délicatesse des harpes, des luths et des xylophones ; l’énergie tré- pidante des tambours mêlée aux sons grêles des hochets, et parfois à ceux des guitares et claviers électroniques ; tout ce qui fait la musique mandingue d’aujourd’hui, si proche de celle d’avant-hier, c’est bien plus qu’une idée neuve de l’Afrique : c’est le modèle unique d’une musique qui a su conserver son originalité au fil des siècles et qui offre au monde un exemple de continuité et d’ingéniosité pour le pro- chain millénaire. Gérald Arnaud 4| cité de la musique carte de l’empire Mandingue Jean-Pierre Magnier © cité de la musique Comme le montre cette carte, la zone d’extension actuelle de la culture mandingue excède largement les frontières historiques de ce royaume. Il faut néanmoins préciser que ces frontières sont encore discutées aujourd’hui par les historiens. vendredi 15 octobre - 20h chants de femmes salle des concerts Mauritanie durée : 1 heure Dimi Mint Abba, chant, ardin Feyrouze Mint Seymali, Dendenny Mouna Mint, chœur Dendenny Louleid Ould, guitare Moloud Adeba Ould, percussions, tidinit Mohamed Ahmed Ould Fall, basse entracte Mali durée : 1 heure Oumou Sangaré, chant, percussions Nabintou Diakité, Alima Touré, chœurs, percussions Brehima Diakité, kamale n’goni Baba Salah, guitare Abdoulaye Fofana, flûte, percussions Khalifa Koné, basse Basidi Keita, djembé, percussions concert enregistré par Radio France le Mandingue : l’empire de la parole Dimi Mint Abba : Monique Brandily, auteur d’une Introduction aux la reine des « Iggawin » musiques africaines (co-édition Actes Sud - cité de la musique), a bien noté que la séparation entre les cultures du Maghreb et de l’Afrique noire sahélienne, fondée sur l’étude des arts plastiques, n’a aucun sens pour un ethnomusicologue. Si l’expansion de l’Islam a inhibé les arts plastiques issus de l’expressionnisme animiste africain, elle n’a pas établi une frontière pré- cise entre les musiques du « Soudan » (mot arabe qui désigne l’Afrique) qui est, depuis mille ans, l’un des principaux enjeux de la conquête musulmane. En Mauritanie - dernier pays à avoir aboli officielle- ment l’esclavage en 1982 -, la co-existence entre Maures et Négro-Africains reste une affaire politique complexe ; mais la musique a depuis longtemps sur- monté cette opposition raciale. Comme au temps de l’Empire Mandingue (qui englobait le sud du pays), la plupart des musiciens appartiennent à des dynas- ties, celles des Iggawin. Et quelle que soit la couleur de leur peau, ils utilisent à peu près les mêmes ins- truments que ceux de leurs voisins Maliens ou Sénégalais. Contrairement à un préjugé habituel sur les sociétés islamiques, en Mauritanie, les femmes ont toujours - comme dans le Maroc voisin - dominé la vie musi- cale : ce qui n’est pas le cas dans nombre de pays africains peu touchés par l’Islam. Paradoxalement la musique actuelle mauritanienne est peut-être la plus proche de celle de l’ancien Empire Mandingue : visitant le Sultan du Mali, Ibn Batouta raconte que, tandis que le Griot-Interprète joue du balafon, « ses épouses et ses femmes esclaves chan- tent avec lui et jouent avec des harpes ». La même harpe, sans doute, qui accompagne aujourd’hui Dimi Mint Abba : cette « ardin » semblable à la « kora » des griots guinéens ou maliens, et qui n’est jouée chez elle que par des femmes. notes de programme | 7 le Mandingue : l’empire de la parole Oumou Sangaré : Ceux qui ont assisté à son premier concert parisien une diva de la world lors de la Fête de la musique en juillet 1990 n’oublie- music ront jamais ce moment : inconnue en France mais déjà célèbre au Mali, somptueusement vêtue, à la tête d’un groupe bien préparé, Oumou Sangaré avait su tétaniser un public de hasard, subjugué par la voix de cette sculpturale diva. On ne connaissait alors rien en Europe de cette tra- dition assez austère qu’incarnent les femmes du Wassoulou, une région plutôt privilégiée par sa richesse agricole, au sud du Mali… Très éloigné de l’art des grandes griotes mandingues, qui, d’une façon très « verticale » assez proche du bel canto, rivalisent avec les improvisations échevelées des harpistes et des xylophonistes, le style Wassoulou est plus archaïque, assez répétitif. Il s’est imposé depuis quelques années dans toute l’Afrique de l’ouest et aussi en Europe et aux USA où il est perçu comme un ancêtre hypothétique du blues et du rock… Oumou Sangaré est ainsi devenue une superstar de la world music. Elle n’a rien fait pour cela, mais le nom de sa région (« wassoulou ») est reconnu grâce à elle comme celui d’un style nouveau qui séduit toute l’Afrique de l’ouest en revalorisant des instruments traditionnels naguère en voie de disparition, tels les grelots de cauris sur calebasse, le luth kamele n’goni (celui des jeunes) ou dozo n’goni (celui des chasseurs). Le succès mondial d’Oumou Sangaré prouve que l’adoption des instruments « modernes » issus de la colonisation - hormis la guitare, qui s’est imposée dès le XVIIe siècle - n’est pas une fatalité dans l’évolu- tion des musiques africaines. G. A. 8| cité de la musique samedi épopée 16 octobre - 16h30 mandingue de Sunjata Keita dimanche 17 octobre - 15h M’Bady Kouyaté, kora amphithéâtre du musée Diaryatou Kouyaté, chant ensemble instrumental de Guinée : Sekou Kouyaté, kora Kemoko Condé, chant Ibrahim Sylla, percussions Sekou Bembeya Diabaté, guitare Sekou Sylla, balafon Amadou Camara, chant concert sans entracte, durée : 1 heure Ce spectacle est proposé pour le jeune public le mercredi 13 octobre à 15h et le jeudi 14 octobre à 14h30. le Mandingue : l’empire de la parole épopée mandingue Depuis les origines de l’Empire Mandingue - c’est-à- de Soundiata Keita, dire la conversion à l’Islam, au XIe siècle, de quelques par M’Bady Kouyaté : clans établis sur les rives du Niger -, les mêmes noms une odyssée africaine de famille ont traversé les siècles. C’est alors que des lignées de griots (Diabaté, Dramé, Kanté, Kouyaté) nous racontent en musique depuis près de mille ans, fidèlement, l’histoire de grandes dynasties : Keïta, Konaté, Traoré… Ces épopées sont plus complexes que les chansons de geste du Moyen- Age européen, plus alambiquées que les sagas nor- diques et surtout plus actuelles puisqu’aujourd’hui encore, elles constituent les fondements de la cul- ture mandingue.