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Les américains et les autres André Roy

Numéro 66, avril–mai 1993

URI : https://id.erudit.org/iderudit/22745ac

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Éditeur(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique)

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Citer cet article Roy, A. (1993). Les américains et les autres. 24 images, (66), 50–51.

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sélection officielle, qui a croulé sous l'académisme, avec Le té­ légraphiste, du Norvégien Erik Gustavson et Chagrin damour, du Suédois Nils Malmros, pour donner deux exemples extrêmes. LES AMÉRICAINS ET LES AUTRES On a surtout eu comme impres­ sion que les cinéastes avaient par André Roy envie de présenter un travail propre, convenu, sans aucune audace. Les deux films qui ont eu conjointement l'Ours d'or le n n'a cessé, au fil des ans, Vito, Love Field, de Jonathan quentée et les cinéastes ont pro­ prouvent amplement. O d'accuser le Festival de Kaplan, Malcolm X, de Spike testé contre cette ghettoïsation La noce, du Taïwanais Ang Berlin, surtout avec sa compé­ Lee, Toys, de Barry Levinson et de leur cinéma. Lee, situe son histoire aux États- tition officielle, de servir de Used People, de Beeban Ki- On retrouvait quatre films Unis, à New York précisément, rampe de lancement aux ré­ dron. Et ce, sans parler de ceux allemands en compétition offi­ où vit son petsonnage, Wai cents films américains, qui se qu'on retrouvait dans la section cielle dont trois ne valaient pas Tung Gao, naturalisé américain retrouvent là en territoire con­ parallèle, dite Panorama, trois le déplacement (Inge, avril et et qui travaille dans l'immo­ nu, leur territoire puisqu'ils oc­ fois plus peuplée que la com­ mai, de W. Kohlhaase et G. bilier où il réussit très bien. cupent durant l'année presque pétition avec sa soixantaine de Denecke, Tous les moyens sont Sauf qu'il partage sa vie avec un 90% des écrans allemands. Le films. C'est une section beau­ bons..., de D. Buck, et La Américain, Simon, dans une directeur de la Berlinale, M. Mo­ coup plus intéressante, et même dénonciatrice, de T. Mitscher- confortable maison de Brook­ ritz de Hadeln, a eu beau dire plus risquée que l'officielle, lich). Le quatrième était signé lyn, y écoulant des jours heu­ que cette année on avait mis un dans laquelle les documentaires Dusan Makavejev, cinéaste né à reux jusqu'à l'arrivée de ses bémol à la présence américaine, et les films dits d'art et d'essai Belgrade et depuis longtemps parents pour son mariage arran­ les habitués du festival n'y ont sont nombreux. Ce qui n'empê­ citoyen du monde (certains di­ gé de toutes pièces! On imagine guère vu de différence d'avec les chait pas d'y retrouver Jack the sent qu'il est maintenant de na­ les quiproquos, les tensions, les années précédentes. Ainsi a-t-on Bear, de Marshall Herkovitz, tionalité suédoise, d'autres, de situations drôles ou tristes que ouvert la manifestation 1993 Accidental Hero, de Stephen nationalité française). Mais on se provoque la présence des pa­ avec un faux-vrai film améri­ Frears, Singles, de Cameron dit que son film ne pouvait être rents, pas si idiots que ça et qui cain, Arizona Dream (qui sort Crowe et Husbands and Wives, qu'allemand, tant Gorilla comprendront tout. Ang Lee a en Amérique sous le titre Ame­ de Woody Allen. Malgré tous Bathes at Noon brasse une mis toutes les chances de son rican Dream), une production les beaux discours de Moritz de matière politico-sociale irré­ côté pour faire de La noce une française signée par un Bosnia­ Hadeln, on peut quand même ductible aux événements ré­ réussite populaire, juste ce qu'il que musulman, Emir Kusturi­ parler de domination américai­ cents. Un officier russe a été faut d'émotions et de surprises, ca, mettant en vedette Johnny ne. Et, semble-t-il, personne n'y oublié pat sa troupe qui a quitté de comédie et de leçon de ci­ Depp, et Jerry peut rien. Berlin après la chute du Mur. Il visme, de tolétance (l'homo­ Lewis (vendeur de Cadillac!) en Et encore moins les cinéas­ tentera de survivre, sans argent sexualité est un sujet tabou dans rêveurs loufoques, dans une tes et producteurs allemands (personne ne veut lui acheter le cinéma oriental). Malgré les Amérique nostalgique qui rap­ qui voient leur cinéma plongé son billet d'Aeroflot!), rencontre têtes asiatiques, on a quand mê­ pelle plus les années 50 que les dans une crise profonde depuis diverses personnes tout aussi me l'impression d'avoir vu ce années 90. En fait, l'Arizona de plusieurs années (au moins dix dépourvues que lui. Il se remet genre de film mille fois. Kusturica est plus proche de sa ans). L'européanisation de la en question en voyant le dé­ Les femmes du lac des Bosnie natale, et ses perdants, production cinématographique montage de la statue de Lénine âmes parfumées est un film un peu fous, un peu hystériques, empirerait les choses, et le ciné­ à Berlin-Est, là où son père chinois — la Chine était très semblent plutôt sortir de Te ma dit d'auteur a peine à survi­ participa à la prise du Reich­ présente à Berlin — de Xie Fei, souviens-tu de Dolly Bell?, son vre (ce qui expliquerait que les stag. On retrouve, après les der­ cinéaste dit de la 4e génération premier film de 1981. Emir Kus­ cinéastes deviennent de plus en niers films ratés, enfin le vrai qui avait déjà obtenu l'Ours turica n'a pas perdu la main plus leurs propres producteurs). Makavejev, sa douce ironie, son d'argent en 1990 pour Soleil dans une production qui fut très La Berlinale s'est sentie obligée sens inné du collage pour ex­ noir (que nous n'avons jamais longue, privilégiant son hu­ de présenter un panorama du primer les conflits intérieurs, vu). Xie Fei situe son histoire mour, son lyrisme, son sens de nouveau cinéma allemand (près son côté surréaliste qui illustre dans le nord de la Chine pour y la poésie, dans un récit assez d'une trentaine de films), mais parfaitement la tragédie des traiter de questions que les répétitif. Mais Arizona Dream qui ne prouve rien puisque la vies. C'est très vivant et c'est auteurs de sa génération ont osé, était un poids plume si on le majorité de ces œuvres ne surtout très vivifiant. de peine et de misère (à cause de comparaît aux poids lourds prendront jamais l'affiche sur les Malheureusement, Gorilla la censure), poser depuis quel­ qu'alignait la compétition of­ écrans germaniques. D'ailleurs, Bathes at Noon n'était guère ques années. Ici la violence con­ ficielle: Hoffa, de Danny De cette rétrospective a été peu fré- représentatif de la qualité de la jugale, l'infidélité maritale, les

50 N°66 24 IMAGES vent en groupe), et de leurs conversations comme de ses mouvements de caméta, très complexes, il va dessiner la carte de leurs désirs, en traquant et fouillant leurs motivations. C'est à un vrai travail de deuil que s'adonnent Théo, Mirabelle, Ismaël et les autres, surtout Ismaël, le personnage principal, constamment présent durant les deux heures du Jeune Werther. Le cinéaste français confirme de nouveau qu'il est un grand di­ recteur d'acteurs tout autant qu'un grand dialoguiste. Son film est simple, direct, presque âpre; il a déjà les allures d'un classique. Âpre et direct aussi, le der­ nier Marco Ferreri qui a reçu, lui, un accueil houleux, comme il y a deux ans sa Maison du sourire divisa le public (il avait obtenu l'Ours d'or). Le journal d'un maniaque est une œuvre glaciale, volontairement banale dans son effort pour épouser la vacuité de son personnage Beni­ to (le prénom de Mussolini!), un vendeur de produits d'entretien qui drague et couche toujouts avec les mêmes femmes disper- traditions et leur cortège de ré­ téalisation m'a paru douteuse, les peines du monde pour illus­ sées dans Rome. Il tient un gressions, l'entreprise privée. pout ne pas dire plus. Adapté trer puritainement le compor­ journal (d'où le titre) où il con­ On dit que Xie Fei a eu beau­ d'un roman très connu de Ian tement déviant de ses enfants, signe minimalement son état de coup de difficultés à tourner ce McEwan, le film nous plonge mais son sujet sulfureux devient santé et ses aventures amou­ film qui risquait de choquer les dans un univers volontairement un pétard mouillé sous l'affé­ reuses. Il est aussi insignifiant Chinois sous plusieurs points de bizarre et mystérieux, celui de terie et la virtuosité vide de la qu'il est bref dans ses notations. vue. Aussi s'est-il efforcé de fai­ quatre enfants orphelins de père réalisation. À sa mort, on découvrira ce re passer son sujet sous une for- et de mère. La mère a été ense­ Quant à voir de vrais jeu­ journal à intétêt limité. Marco me poétique sérieuse, filmant velie à la cave dans une caisse nes, normaux à part ça, mieux Ferreri ne fétichise rien (c'est sa tranquillement, mais à mon avis remplie de ciment; les enfants vaut se tourner vers Jacques grande qualité), se plaçant de assez pauvrement, la détresse ont décidé de ne tien révéler aux Doillon et son Jeune Werther, plain-pied avec son vendeur, se d'une femme d'âge moyen qui autorités. Bifkin ne nous refait libre adaptation des Souffrances tenant au plus près de ses pro­ voit son commerce d'huile de pas le coup, merveilleux, de La du jeune Werther, de Goethe. Il pos, tout en jouant subtilement sésame prendre un essor, mais sa fracture du myocarde, de nous plonge dans l'adolescence, des rapports entre le journal et vie amoureuse et familiale tom­ Jacques Fansten, mais trafique abordée il y a deux ans avec Le ce qu'il illustre. Benito est un ber en lambeaux. C'est honnête, un huis clos à connotation for­ petit criminel. Ses garçons et mort-vivant, peut-on dire, et sa et c'est un beau portrait de la tement sexuelle qui se termi­ ses filles, lycéens, sont très préoc­ ville, Rome, semble vivre sous solidarité et de la force des fem­ nera par un inceste entre la sœur cupés par leurs amours et ils se asphyxie. On comprend que ce mes chinoises (ici la mère et sa aînée (16 ans) et le benjamin prennent très au sérieux. Leurs tableau de mœurs désenchan- bru). ( 15 ans) obsédé par la mastutDa­ propos sont d'autant plus graves teur ait été refusé par la ma­ Parlant d'honnêteté, il vaut tion. Il y a un côté touche-pipi qu'ils ont comme point de dé­ jorité des spectateurs. On ima­ peut-être la peine de se pencher désagréable et malsain, que part la mort de l'un de leurs gine que la réaction ne sera sur Le jardin de ciment, un l'auteur tente de masquet par camarades de classe (il s'est sui­ guère différente si le film est film anglais d'Andrew Birkin une atmosphère érotico-poétique cidé, pensent-ils, par amour). présenté un jour à Montréal. • (le frère de Jane) qui a obtenu tonitruante et sursignifiante. Jacques Doillon réunit ses per- beaucoup de succès et dont la Andrew Birkin se donne toutes sonnages (ils sont le plus sou­

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