L’évolution des parlers occitans du Briançonnais, ou comment la diachronie se déploie dans l’espace

Jean Sibille *

Les parlers actuels du Briançonnais historique sont travaillés par des tendances évolutives menant à l’amuïssement des consonnes finales et à la disparition des oppositions de longueur vocalique. Mais nombre d’entre eux sont loin d’avoir mené cette évolution à son terme. D’un point de vue typologique, ils présentent des affinités anciennes avec les parlers du nord du domaine vivaro-alpin et, au-delà, avec les parlers du nord de la zone traditionnellement définie comme nord-occitane. En revanche, ils se distinguent très nettement, dès le Moyen-Age, des parlers alpins plus méridionaux qui n’ont pas connu la chute de -s implosif et ont conservé un système vocalique simple ignorant les oppositions de longueur.

In the northern part of what historically used to be the Briançonnais region, the vernaculars currently spoken have been affected by evolutionary tendencies which have led either to the weakening or the disappearance of final consonants and to the disappearance of vocalic oppositions in terms of length. In many cases, however, this evolution is far from complete. From a typological point of view, these vernaculars show long-standing affinities with the ones spoken in the northern Vivaro-Alpine domain, and, beyond that, with those spoken in the northern part of the northern Occitan area. They are, however, quite different from the Alpine vernaculars spoken in the south, which have preserved a simple vocalic system without opposition of length and in which the implosive -s did not disappear.

* Université de 8.

Cahiers de Grammaire 29 (2004), « Questions de linguistique et de dialectologie romanes », pp. 121-141 L’évolution des parlers occitans du Briançonnais

0. Introduction Avant 1713, le Briançonnais historique, composé de cinq circonscriptions appelées “escartons” (Briançon, Queyras, Oulx, Pragela, Château-Dauphin) était partie intégrante du Dauphiné. Les escartons d’Oulx, Pragela et Château-Dauphin, cédés au royaume de Piémont-Savoie en 1713 lors du traité d’Utrecht, sont aujourd’hui italiens, après être repassés sous administration française de 1798 à 1814. Les parlers actuels du Briançonnais historique sont des parlers occitans appartenant à l’ensemble dénommé “vivaro-alpin” dans la terminologie la plus couramment employée. Comme dans l’ensemble des parlers nord- occitans , on y observe les deux traits suivants : – palatalisation de CA en cha : * CANTARE > chantar ( cantar en occitan méridional) – Chute de D intervocalique latin, alors qu’en occitan méridional il passe à [z] : AUDIRE > *auir > auvi r, SUDARE > suar ; oc. méridional ausir , susar . On y observe également le traitement des occlusives sourdes intervocaliques caractéristique des parlers vivaro-alpins. Dans ces parlers, le traitement des occlusives sourdes latines, intervocaliques ou intervocaliques devenues finales (finales romanes), ne correspond ni à celui du reste de l’occitan, ni à celui du français (et du francoprovençal) on a, en effet :

LUPU -LUPA AMATU –AMATA JOCU –*JOCARE oc. référentiel : lop – loba , aimat – aimada , jòc – jogar oc. alpin : lop – loba , aimà – aimaa , jòc – joar français 1 : lou ou leu – louve , aimé – aimée jeu – jouer

2 Contrairement à ce qui se passe en fr. et fpr. , en occitan vivaro-alpin, P et C [k] se maintiennent en finale ; à l’intervocalique P aboutit à [b] et non à [v]. Autrement dit, pour P on a le traitement occitan, pour T le traitement français (et francoprovençal), pour C [k] le traitement occitan en finale et le 122 traitement français (et francoprovençal) à l’intervocalique. Ce système qui représente un état intermédiaire entre la situation des autres dialectes occitans et celle du français (et du francoprovençal), témoigne de ce que le vivaro- alpin a subi plus longtemps que le reste de l’occitan, des évolutions communes avec le domaine francoprovençal et oïlique. Mais le système étant attesté dès les plus anciens textes, il apparaît que l’occitan vivaro-alpin avait cessé à date pré-littéraire de suivre la même pente évolutive que le français et

1 En français, le p de loup est moderne et purement orthographique. 2 La lénition de type français atteint également le piémontais et le ligurien ; tandis qu’en lombard on a le même traitement qu’en occitan référentiel.

Cahiers de Grammaire 29 (2004) L’évolution des parlers occitans du Briançonnais le francoprovençal, pour entrer dans une dynamique évolutive commune avec les autres dialectes occitans. On note également : – La chute de J [j] et DI [dj] intervocaliques latins : MAJORE > maor > mòur , *BAPTIDIARE > batear ; oc. référentiel : major [ma ⎆(d) Ћur], batejar [bate ⎆(d) Ћa]. – Le futur en / ⎆E/ : alors que l’ancien occitan classique et la plupart des parlers actuels présentent une voyelle thématique /a/ aux personnes 1, 2, 3, 6, et /e/ aux personnes 4 et 5, les parlers alpins ont généralement / E/ pour tout le paradigme : oc. référentiel : parlarai , parlaràs , parlarà , parlarem , parlaretz , parlaràn 3 ; alpin : parlarei , parlares, parlare, parlarem , parlaretz , parlaren4. Ce trait n’est général que dans l’Est du domaine vivaro-alpin. Dans l’Ouest (Yssingealais, Vivarais, Valentinois), on a, soit le type classique (Yssingeaux 5, Albon, 07 6), soit des types mixtes comme -ei , -es , -a, -em , -etz , -an (La Louvesc, 07 7 ; Le Chambon-sur-Lignon, 43 8) ou des formes plus curieuses telles que : ameré , t’amerè , ol amerê 9, ameran , vous ameri , il ameran (Chantemerle-les-Blés, 26 10 ).

1. Le Briançonnais linguistique, définition A l’intérieur du Briançonnais historique, les parlers des anciens escartons de Briançon, Oulx et Pragela, sont de type alpin nord-central dans la terminologie retenue par Philippe Martel 11 . Ils se distinguent des parlers alpins du sud, principalement par le fait que, comme en limousin, la longueur des voyelles est phonologiquement pertinente et joue un rôle essentiel dans la morphologie. L’allongement de la voyelle s’accompagne de la chute de la consonne qui suit : [s], [r] ou [l] en position de coda. Les parlers du Moyen-Cluson et de la Val Germanasca (vallées vaudoises) ont, comme les parlers cisalpins du sud des formes du masculin pluriel issues du cas-sujet, mais sont, par ailleurs, d’un point de vue 123 phonétique, morphologique et lexical, très proches des parlers des anciens escartons de Briançon, Oulx et Pragela. On conviendra donc de distinguer un

3 Le gascon a [a] pour tout le paradigme : parlarai , parlaràs , parlarà , parlaram , parlaratz , parlaran . 4 Le soulignement indique ici la voyelle tonique ; l’aperture du E est très variable suivant les parlers. 5 Martin 1997. 6 Quint 1999. 7 Dufaud 1986. 8 Felice (de –) 1983. 9 ê = E “très ouvert”. 10 Abert 1994, graphie de l’auteur. 11 Martel 1983.

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Briançonnais historique, composé des cinq escartons et un “Briançonnais linguistique” qui sera notre zone de référence, composé des seuls escartons d’Oulx, de Pragela, et de Briançon (amputé de la Vallouise et de St Martin de Queyrière proches linguistiquement de l’Embrunais et du Queyras), auxquels on ajoutera le Moyen-Cluson et la Val Germanasca qui historiquement ne font pas partie du Briançonnais (voir carte page suivante). Dans leur état actuel, les parlers du Briançonnais linguistique présentent des stades d’évolution phonétique différents : certains sont très conservateurs (Val Cluson, Val Germanasca, Le Monêtier), d’autres (Cervières) présentent une tendance à la sur-évolution. Cependant, et même s’ils peuvent témoigner d’influences extérieures diverses, ils ont conservé une assez grande unité sur le plan morphologique, lexical et syntaxique.

2. Quelques traits caractéristiques Les caractéristiques majeures des parlers de notre zone de référence sont les suivantes.

2. 1. Voyelles longues Ces parlers connaissent une opposition phonologique entre voyelles longues et voyelles brèves :

[⎆pa ⍧tѐ] “pâte”, [pat( ⍧)ѐ] “patte” ; [ba ⍧(t)] “bât”, [bat] “il bat” ; [ve ֊⎆gy ⍧] “venus”, [ve ֊⎆gy] “venu” ; [b ѐ⍧(k)] “bois”, [t ѐk] “morceau” ; [sur ⎆ti ⍧] “sortir, sortis”, ; ”la] “parlé, parlée⎆ש la ⍧] “parler, parlés, parlées” , [pa⎆ש sur ⎆ti] “sorti” ; [pa] [le ֊⎆sѐ⍧(l)] “drap”, [m ѐ(l)] “mou” ... Le produit de l’allongement de [e] est généralement [ej] 12 sauf devant [l] où on a [e ⍧], voire [e•ϯ] ou même [e•a] ; en position prétonique il peut, localement, passer à [ij], [i ⍧], [i], [e] : 124 ejt Ѐѐ] “fraîche”, mēl [me ⍧(l)] “miel”, estableשtres [trej] “trois” , frescha [⎆f [ej ⎆table] > [ij ⎆table], [i ⍧⎆table], [i ⎆tabl ђ] ; [e ⎆tabl ђ] “étable”. En position post-tonique ces parlers opposent des voyelles brèves ou ultra brèves à des voyelles longues ou “moyennes” ; le nombre de voyelles y est plus restreint qu’en position prétonique et les oppositions de quantité y sont généralement redondantes avec des oppositions de timbre. Par exemple : [e ]( et [ ѐ]( s’opposant à [i], [u], [a ⍧] ; [ ђ] et [ Ϫ]( s’opposant à [i], [u], [a ⍧] ; [ ђ] s’opposant à [e], [u], [a]…

12 [e ⍧] en Val Germanasca ; [e( ⍧)] en position prétonique dans le Haut-Cluson.

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Zone de référence

125 ▬▬▬▬▬▬▬ : Limite de la zone de référence -o-o-o-o-o-o-o-o- : Limite de l’occitan au nord •••••••••••••••••••• : Frontière actuelle entre la et l’Italie ++++++++++++ : Frontière entre la France et le Piémont-Savoie jusqu’en 1713 ——————— : Limites des anciens escartons

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Le timbre et la longueur des voyelles post-toniques peuvent également varier selon qu’elles se trouvent en fin de syntagme nominal ou verbal, ou à l’intérieur du syntagme. Cela est dû à l’affaiblissement (voire à la disparition) des accents de mot précédant l’accent final de groupe ; le syntagme tendant à constituer une seule unité accentuelle. C’est ainsi qu’on a par exemple :

Il es granda [il ej ⎆gr Ϫ dѐ] “elle est grande” ; una granda vacha [ ⎅yn ђ ⎅gr Ϫ dђ ⎆va Ѐ⍧ѐ] “une grande vache” (Chaumont). ‘Las son grandas [la ⍧ su ֊ ⎆gr Ϫ dæ ⍧] “elles sont grandes” ; doas grandas vachas [ ⎅dua ⍧ ⎅gr Ϫ da ⍧ ⎆va Ѐ⍧æ⍧] “deux grandes vaches” (Chaumont). Son bonas [sum ⎆buna] “elles sont bonnes” ; de 13 bonas botas [d ђ ⎅buna ⍧ ⎆but ⍧a] “de bonnes bouteilles” (Val Germanasca ). Dans certains parlers, la présence d’une voyelle longue (ou anciennement longue) en position post-tonique peut provoquer une fermeture de la tonique, sans que pour autant il y ait déplacement de l’accent sur la finale :

la lausa [l Ϫ⎆lawz Ϫ] “la lauze”, las lausas [la( ⍧) ⎆lѐwza( ⍧)] “les lauzes” (Salbertrand) ; la montanha [la mun ⎆ta ْ⍧ђ] “la montagne”, las montánhas [la( ⍧) [mun ⎆tœْ⍧a⍧] “les montagnes” (Jouvenceaux) ; faita [ ⎆fajt (ђ)]“faite”; faitas [ ⎆fϯjta “faites” (Rochemolles) 14 . Aboutissent à une voyelle longue : 1. – En toute position (tonique, prétonique, post-tonique), les voyelles suivies 15 de S entravé, S final, S devenu final :

CASTELLU > chastèl [t Ѐa⍧⎆tϯ(l)] “château”, AMOROSU > amorós [amu ⎆ru ⍧] “amoureux”, TRES > tres [trej] “trois”, FESTA > fèsta [ ⎆fϯ⍧tѐ] ~ [ ⎆fe ⍧tѐ] “fête”, PRATOS > pras [pra ⍧] “prés” , PORTAS > pòrtas [ ⎆pѐrta ⍧] “portes”, OMINES > òmes [⎆ѐmej] “hommes”. C intervocalique devenu final, suivi de E ou I, provoque également 126 l’allongement de la voyelle :

13 Pons et Genre 1997. 14 Limousin : la lausa [l ѐ⎆lawz ѐ], las lausas [la( ⍧) l ѐw⎆za ⍧] ; la montanha … [l ѐ mun ⎆ta ْѐ], las montanhas [la( ⍧) munt ѐ⎆ْa⍧] 15 Au Monêtier toutefois, l’ALP relève quelques mots où s en syllabe prétonique se maintient: chastèl [t Ѐas ⎆tϯ] “château”, crespir [kres ⎆pi] “crépir”, desclavá [desklavá] “rouvrir avec une clé” en face de cresta [ ⎆kr ௎ejt ѐ] “crête”, fenèstra [fe ⎆nϯtra] “fenêtre”, eschara [it Ѐa⎆ra] “échelle”, escharon [it Ѐa⎆rѐ֊] “échelon”, escharier [it Ѐa⎆rja] “escalier”, pèscha [ ⎆pϯ⍧tЀa] “pêche”, estèra [i ⎆tϯra] “étoile”, esclair [i ⎆kl ϯr] “éclair”, escabèl [ika ⎆bϯl] “escabeau”, escuma [i ⎆kyma], "écume", espià [i ⍧⎆pj э] “épi”.

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VOCE > votz [vu ⍧] “voix” ; CRUCE > crotz [kru ⍧] “croix”.

En revanche, les voyelles suivies de [s] issu de CE ~CI + Voyelle, ou issues de l’évolution de -ts , ne subissent pas l’allongement ; dans ce cas, dans la plupart des parlers, il n’y a pas chute de la consonne associée à la coda :

LAQUEU > *LACEU > *latseu > laç [las] “lacet” (mais LASSU > las [la ⍧]), *GRANDACEU > *grandatseu > grandaç [gran ⎆das] “très grand”, GLACIE > *glatse > glaç [glas] “glace”; * PLATTOS > plats [plas] “plats”. On peut en conclure que l’allongement est antérieur au passage de -ç et -ts à [s].

2. – En position tonique, les voyelles suivies de [l] issu de L (simple) latin, devenu final :

SALE > sāl [sa ⍧(l)] “sel” ; MELE > mēl [me ⍧(l)] “miel”; LINTOLEU > lenç ōl [len ⎆sѐ⍧(l)] “drap”. Le pluriel est, la plupart du temps, identique au singulier, mais dans les parlers les plus conservateurs, qui maintiennent [s] final dans la prononciation, il n’y a pas d’allongement de la voyelle au pluriel : fees ōl [fe ⍧zѐ⍧ÒÏ] “haricot”, feesòls [fe ⍧⎆zѐls] “haricots” (Pragela, Talmon 1914, p. 81). Les voyelles suivies d’un l issu de LL latin, ne subissent pas l’allongement :

GALLU > jal [d Ћa(l)] “coq”; MARTELLU > martèl [mart ϯ(l)] “marteau”; MOLLE > mòl [m ѐ(l)] “mou”.

3. – En position tonique, les voyelles suivies de [r] issu de R (simple) latin, devenu final :

CANTARE > chantar [t Ѐan ⎆ta ⍧] “chanter”; FLORE > flor [flu ⍧] “fleur”.

En revanche, les mots terminés par RR reçoivent un [e] paragogique et ne e] 127שsubissent pas d’allongement de la voyelle tonique : FERRU > fèrre [ ⎆fϯ “fer ”. Dans certains parlers, la voyelle précédant un [r] entravé s’allonge à partir du moment où la consonne finale s’est amuïe ; on aura donc mòrt [mѐrt] “mort ” dans les parlers les plus conservateurs, mais [m ѐ⍧r] ou [m ѐ⍧] dans d’autres parlers ; ce type d’allongement est donc plus récent que l’allongement devant [r] libre qui est général ; même s’il procède du même mécanisme.

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Les parlers les plus conservateurs (Val Germanasca, Haut-Cluson 16 ...) distinguent nettement les voyelles longues des voyelles brèves, aussi bien en position prétonique qu’en position tonique. Dans d’autres parlers (Salbertrand, Bassin de Bardonnèche, Rochemolles), la longueur n’est véritablement sensible qu’en position tonique. Dans les parlers présentant de fortes tendances évolutives (Cervières), les oppositions de longueur disparaissent et sont remplacées dans certains cas, par des alternances de timbre; c’est ainsi qu’à Cervières : chaval [t Ѐa⎆va] > [t Ѐa⎆vϪ] “cheval ”, sal [sa ⍧] > [sa] “sel ” ; chantar [t Ѐan ⎆ta ⍧] > [t Ѐan ⎆ta] “chanter ”, chantá [t Ѐan ⎆ta] > [t Ѐan ⎆tϪ] “chanté ”; aimarès [ejma ⎆rϯ⍧] > [ema ⎆re] “tu aimeras ”, aimarè [ejma ⎆rϯ] > [ema ⎆rœ] “il aimera ”. On observe également, dans les parlers présentant des tendances évolutives marquées, une tendance à la réduction de certaines diphtongues ([aj], [ ϯj] > [ ϯ] ; [ej] > [i] …). Les parlers qui conservent le mieux la longueur sont également ceux qui conservent les consonnes finales. A l’inverse, ceux qui amuïssent les consonnes finales ont également tendance à neutraliser la longueur. Si l’on prend, par exemple, les mots : chastèl “château”, malnet “sale”, bòsc “bois”, rat “rat”, rats “rats”, tirar “tirer”, donar “donner”, doná “donné”, fuòc~fuec “feu”, lop “loup”, la pòrta “la porte”, las pòrtas “les portes”, sal “sel”, jorn “jour”, on a : 17 – en Val Germanasca : [t Ѐa⍧⎆tϯl], [ma ⍧l⎆net], [b ѐ⍧k], [rat], – , [ti ⎆ra ⍧], [du ⎆na ⍧], ; [ta], [sa ⍧l], [d Ћuђrnשtѐ], [la ⍧⎆pѐשdu ⎆na], [f іøk], [lup], [la ⎆pѐ] ,[a⍧], [du ⎆na ⍧م⎆ as], [tiש ] ,[atש ] ,[à Chaumont (Chiomonte) : [ Ѐa⍧⎆tϯl], [ma ⍧⎆net], [b ѐ⍧ – ; [tæ⍧], [sa ⍧], [ Ћu⍧שtѐ], [la ⍧⎆pѐשdu ⎆na], [fj ѐk], [lup], [la ⎆pѐ] [as], [ti ⎆Ѣa⍧], [du ⎆na ⍧], [du ⎆na], [fj ѐש ] ,[atש ] ,[à Salbertrand : [ Ѐa⎆tϯ], [ma ⎆ne], [b ѐ⍧ – ; [ta], [sa ⍧], [ Ћu⍧שtϪ], [la ⎆pѐשou [fj ѐk], [lu], [l Ϫ⎆pѐ – à Cervières : [t Ѐa⎆tœ], [ma ⎆ne], [bw ѐ], [ ⎆௎œte], [ ௎a], [ti ⎆Ѣa], [du ⎆na], [du ⎆nϪ], [f іѐ], [lu], [l Ϫ⎆pѐ௎tѐ], [la ⎆pѐ௎ta], [sa], [d Ћu]. 128 2.2. Consonnes longues Dans les parlers de la partie italienne de notre zone de référence, lorsque la voyelle tonique est brève, une consonne post-tonique intervocalique se présente sous une forme allongée qui se traduit le plus souvent par une gémination (ou quelquefois, pour les fricatives, par un allongement de la durée d’émission) : marata [ma ⎆rat ⍧ѐ] “malade” (au féminin), bato [ ⎆bat ⍧u] “je

16 Pour le Monêtier, Chaix (1854) note très soigneusement les voyelle longues et insiste dans son commentaire sur la longueur des voyelles ; elles sont irrégulièrement notées dans l’ALF et les carnets d’Edmond Edmont ; l’ALP de manière générale ne les note pas. 17 La Val Germanasca ignore les pluriel en -s au masculin, le masculin pluriel y étant issu du cas sujet.

Cahiers de Grammaire 29 (2004) L’évolution des parlers occitans du Briançonnais bats”, vite [ ⎆vit ⍧e] “vite”, Diable [ ⎆djab ⍧le] “diable”, vacha [ ⎆va Ѐ⍧ѐ] “vache”, pecha [ ⎆pe Ѐ⍧ѐ] “il pèche”, vinha [ ⎆vi ْ⍧ѐ] “vigne”, ielos [ ⎆jel ⍧u⍧] “eux”; en face de : banasta [ba ⎆na ⍧tѐ] “panier”, basto [ ⎆ba ⍧tu] “je mets le bât”, vista [ ⎆vi ⍧tѐ] “vue”, pescha [ ⎆pej Ѐѐ] “il pêche”... Ce phénomène existe aussi dans certains parlers francoprovençaux et a sans doute existé en ancien français. En piémontais (où il n’y a pas de voyelles longues), la gémination se produit après un [ ђ] tonique : erbëtta “herbette”. Dans l’escarton de Briançon, les sources disponibles ne permettent pas d’établir l’existence de consonnes longues mais il ne fait guère de doute qu’elles ont existé car il s’agit d’un phénomène en corrélation avec l’existence de voyelles longues toniques, dont l’existence historique est bien établie, même si, dans les parlers contemporains des environs de Briançon, la longueur tend à disparaître (voir ci-dessus).

2.3. Consonnes finales Globalement, les parlers du Briançonnais sont soumis à des tendances évolutives qui conduisent à l’amuïssement des consonnes finales de mot ; mais cette tendance atteint les différents parlers de façon très variable et parfois irrégulière, et il est impossible de tracer des isoglosses entre des zones qui seraient soumises à l’amuïssement des finales et d’autres qui ne le seraient pas. La chute de [s] final après une voyelle longue post-tonique ou tonique est générale 18 : vachas [ ⎆vat Ѐa⍧] “vaches”, pras [pra ⍧] “prés” ; celle de [r] final des infinitifs est quasi générale 19 . Pour le reste, certains parlers, très conservateurs ne sont absolument pas touchés et toutes les consonnes finales s’y maintiennent intactes (Haut-Cluson, Val Germanasca, Le Monêtier), dans d’autres leur chute est générale ou quasi-générale (Cervières, Puy St André). Entre ces deux extrêmes, toutes les situations intermédiaires sont possibles.

2.4. Syncope 129 Dans l’ensemble des parlers de notre zone de référence, [e] prétonique est dans un premier temps passé à [ ђ] : semana [s ђ⎆man ѐ] “semaine”; tenir [t ђ⎆ni ⍧] “tenir” ; te donar [t ђ du ⎆na ⍧] “te donner”; pechit [p ђ⎆tЀit] “petit”; pelar [p ђ⎆la ⍧] “peler”. Les parlers de l’escarton de Briançon en sont généralement restés à ce stade. En revanche, dans la partie italienne, [ ђ] s’affaiblit et on ђ aboutit souvent à de véritables syncopes : setmana [ ⎆sman ђ], tenir [t ⎆ni ⍧] ou ђ ђ [tni ⍧], te donar [t du ⎆na ⍧] ou [ tdu ⎆na ⍧], pechit [p Ѐit] ou [ Ѐit], pelar [pla ⍧]. Dans

18 Sauf en “liaison étroite” devant voyelle : las vachas [la ⍧⎆vat Ѐa⍧], las autras [la z⎆awtra ⍧], mais : las vachas e las chabras [la ⍧⎆vat Ѐa⍧ e la ⎆tЀabra ⍧]. 19 Il se maintient à Laux et aux Usseaux (Haut-Cluson) et, en liaison devant voyelle, dans quelques hameaux de la Val Germanasca.

Cahiers de Grammaire 29 (2004) L’évolution des parlers occitans du Briançonnais quelques mots très usuels, la syncope touche aussi la voyelle [u], totjorn > tejorn [t Ћu⍧] ou [t Ѐu⍧] “toujours”, coma tu > cma tu [kma ⎆ty] ou [ma ⎆ty] “comme toi” ; c’est le cas pour l’article défini masculin singulier : lo ђ ђ país > le país [l ђpa ⎆i⍧], [l pa ⎆i⍧], [ lpa ⎆i⍧] “le pays”, voire, en début d’énoncé : [alpa ⎆i⍧] (la Val Germanasca garde lo ) ; la comparaison des différentes sources montre qu’au Monêtier et dans les environs de Briançon on avait lo au début du XIX e siècle, le [l ђ] à la fin du même siècle. On aurait tort de voir dans la syncope une influence du français, c’est un phénomène macro-régional qui touche tout le domaine gallo-italique, le frioulan, ainsi que de nombreux parlers francoprovençaux. On ne peut pas avoir deux voyelles consécutives soumises à la syncope. Ceci a pour conséquence qu’en phonétique syntactique, notamment dans une ђ ђ ђ chaîne de clitiques, un [ ] suivi d’un autre [ ], passe à [a] : le dono [l ⎆dunu] ђ “je le donne”, lhe dono [l ⎆dunu] 20 “je lui donne”, mais lhe le dono > lha’l dono [ ѭal ⎆dunu] “je le lui donne” ; ce qu’aul vòl [sku ⎆vѐ⍧] “ce qu’il veut”, ça ђ⎆ que tu, te vòres , [sak ⎆ty t vѐræ ⍧] “ce que toi, tu veux”, ce qua’t vòres [skat ⎆vѐræ ⍧] “ce que tu veux”. A l’intérieur d’un mot, lorsqu’on a deux [e] prétoniques consécutifs, le premier se maintient ou passe à [i] : medecin > [me⎆dsi ֊] ou [mi ⎆dsi ֊].

2.5. Conjugaison pronominale La conjugaison pronominale est générale ; elle peut être plus ou moins systématique suivant les parlers, mais la série des pronoms sujets atones est toujours distincte de celle des pronoms toniques, ce qui rend possible le “pléonasme pronominal” : iel, aul vòl [jel u v ѐ⍧] “lui, il veut”. En outre, il existe un pronom sujet neutre de 3 ème personne du singulier la [la], qui s’oppose au masculin aul [u( ⍧)] ou al [a( ⍧)] (< el ) et au féminin il [i] : aul parla “il parle”, il parla “elle parle”, la parla “ça parle” ; la plòu “il pleut”. 130 3. Evolution phonétique et phonologique depuis le XVème siècle La comparaison entre les textes du XVI e siècle et les parlers modernes de notre zone de référence, permet de mettre en évidence la continuité entre la langue du début du XVI e siècle et les parlers actuels. Sur le plan de la phonétique et de la phonologie, les parlers modernes sont travaillés par des tendances évolutives menant à l’amuïssement des consonnes finales et à la disparition des oppositions de longueur vocalique. Mais nombre d’entre eux sont loin d’avoir mené cette évolution à son terme.

20 Dans le parler choisi pour ces exemples (Chaumont), le pronom objet direct graphié le et le pronom datif graphié lhe sont homophones devant consonne : ђ [l ], mais pas devant voyelle où l’on a l’ [l] et lh’ [ ѭ].

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En effet, les parlers les plus archaïsants (Cluson, Val Germanasca, et à un moindre degré, Le Monêtier) restent proches de la langue du XVI e siècle : les consonnes finales y restent très solides et la longueur vocalique s’y maintient bien. Les parlers les plus évolués restent localisés dans les environs immédiats de Briançon qui paraît être le centre à partir duquel se sont diffusées les innovations majeures (voir carte en annexe II). Les parlers de l’escarton d’Oulx se situent pour la plupart à un stade d’évolution intermédiaire. Le tableau 1 ci-dessous retrace l’évolution du système des voyelles simples 21 , en position prétonique, tonique et post-tonique :

TABLEAU 1 : Evolution du système vocalique (voyelles simples) Proto-système Système Système intermédiaire évolué (Cervières) Prétonique /i/ /i ⍧/ /i/ 1 /i/ 1,3 22 /e/ /ej/ /ђ/2 /ej/ 3 /ђ/2 , /e/ < [aj] /a/ /a ⍧/ /Ϫ/4 /a ⍧/5 /a/ 4,5 /u/ /u ⍧/ /u/ 6 /u/ 6 /y/ /y ⍧/ /y/ 7 /y/ 7 Tonique /i/ 1 /i ⍧/2 /i/ 1 /i ⍧/2 /i/ 1,2 /e/ 3 /ej/ 4 /e/ 3,5 /ej/ 4 /œ/3,5 23 /ϯ/5 / ϯ⍧/6 (ϯ) /ϯ⍧/6 /e/ 4,6 , / ϯ/ < [aj] /a/ 7 /a ⍧/8 /a/ 7 /a ⍧/8 /Ϫ/7 /a/ 8 (*)

/ѐ/9 / ѐ⍧/10 /ѐ/9 / ѐ⍧/10 /ѐ/9,10 /u/ 11 /u ⍧/12 /u/ 11 /u ⍧/12 /u/ 11,12 /y/ 13 /y ⍧/14 /y/ 13 /y ⍧/14 /y/ 13,14 …/… 131 24 (*) Certains parlers ont / ϯ/ au lieu de / Ϫ/

21 On a vu que, d’un point de vue phonologique, /ej/ doit être considéré comme une voyelle simple qui fonctionne comme /e ⍧/. 22 [aj], analysable phonologiquement comme /a/+/j/, donne /e/. Dans certains parlers /e/ est aussi le produit de /ej/ (qui ailleurs donne /i/). 23 [aj] analysable phonologiquement comme /a/+/j/, donne / ϯ/. 24 St-Chaffrey, Villar-St-Pancrace, Le Bez (enquête Mailles). Ce phénomène existe aussi dans le Nord de la Haute-Loire (Nauton 1974 : 45-46), en Basse Auvergne (Dauzat 1906 : 60), dans le Forez (Gardette 1941 : 182-185), dans le Nord de l’Ardèche (Quint 1999 : 10). A Cervières et – semble-t-il – à Puy St- André, / Ϫ/ peut prendre un timbre voisin de [ œ] ou [ э] lorsqu’il est suivi d’une

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Post-tonique Proto-système Système Syst. évolué, Syst. évolué, Intermédiaire (Cervières) variante 25 /i/ (i ⍧) /i/ 1 /i/ 1,3 /i/ 1,3 (ou /e/) /e/ /ej/ /e/ 2 /ej/ 3 /e/ 2 /ђ/2,4 /ç/ /a ⍧/ /ç/4 /a ⍧/5 /ç/4 /a/ 5 /a/ 5 /u/ (u ⍧) /u/ 6 /u/ 6 /u/ 6

Dans le système intermédiaire, en position tonique ou post-tonique, la longueur est toujours redondante avec d’autres traits 26 . En position post- tonique, elle est doublée par une alternance de timbre : / ç/–/a ⍧/ (ou / Ϫ/–/a ⍧/), /e/–/ej/. En position tonique, il faut distinguer plusieurs cas : Lorsqu’on a le schéma ⎆VCCV# ou ⎆VC#, la voyelle tonique est toujours brève, il n’y a pas d’opposition possible (alors que cette possibilité existe dans le proto-système). Lorsqu’on a le schéma ⎆VCV#, si la voyelle tonique est brève, la consonne qui suit est longue (c’est-à-dire tendue et/ou géminée) ; si la voyelle tonique est longue, la consonne qui suit est brève. Lorsqu’on a le schéma ⎆V#, une voyelle longue et une voyelle brève s’opposent également par le schéma intonatif ; sur une brève, on a un ton haut-uni, alors qu’une longue, toujours accentuée sur la première more, présente un ton montant-descendant. Dans une notation phonétique rigoureuse, une voyelle tonique longue, par exemple /a ⍧/, en finale absolue, devra donc être notée [ ⎆a•a] et non *[ ⎆a⍧]. On constate, globalement, une corrélation entre d’une part la disparition des oppositions de longueur vocalique et d’autre part l’amuïssement des consonnes finales et la disparition des consonnes longues. En effet, la concentration de l’effort articulatoire (physique et psychique) sur la voyelle tonique entraîne une baisse de la tension articulatoire sur les consonnes, qui 132 conduit à l’amuïssement des consonnes finales et à la neutralisation de l’opposition entre consonnes tendues (longues) et consonnes non tendues. Ceci entraîne une perte de redondance qui fragilise l’opposition entre voyelles longues et voyelles brèves, et entraîne sa disparition. Mais ponctuellement, et à date récente, d’autres mécanismes d’évolution (comme

consonne antérieure ; c’est ainsi qu’à Cervières on a parlá [pa ௎⎆lϪ] “parlé”, mais ráte [ ⎆௎œte] “rat” (Roux ; enquête Mailles). 25 L’existence de /i ⍧/ et /u ⍧/ post-toniques dans le protosystème est probable mais ne peut être démontrée de façon indiscutable. 26 La position prétonique est celle où l’opposition longue-brève est le plus fragile, car dans cette position elle n’est redondante avec aucun autre trait ; elle est cependant bien attestée dans certains parlers (Val Germanasca, Chaumont...).

Cahiers de Grammaire 29 (2004) L’évolution des parlers occitans du Briançonnais l'influence du français) ont pu jouer ; c’est ainsi qu’au Monêtier les consonnes finales restent solides alors que les oppositions de longueur, bien attestées au milieu du XIX e siècle, ont – semble-t-il – disparu. La disparition (ancienne) de -s implosif et la disparition (récente) des consonnes finales, induisent une tendance à la syllabation ouverte, notamment en position tonique. Alors que dans le proto-système on a un riche éventail de possibilités combinatoires à droite de la voyelle tonique (voir tableau 2 ci-dessous et annexe I), dans les systèmes les plus évolués, on a un éventail restreint de possibilités : – pour les oxytons, une syllabe ouverte ( ⎆V#) ou se terminant par une voyelle post-nasalisée ( ⎆V ݄) ; – pour les paroxytons, le schéma ⎆VCV, ou ⎆VC 1C2V, avec un nombre restreint de possibilités en ce qui concerne C 1 qui, dans les mots de formation populaire, ne peut être que /R/ ou /N/, auxquels il faut ajouter /l/ et /s/ dans des emprunts savants au latin ou des emprunts récents à d’autres langues.

TABLEAU 2 : Possibilités combinatoires à droite de la voyelle tonique. Proto-système Système Système intermédiaire évolué (Cervières) 27 /–⎆vc1cvc/ /–⎆vcvc/ /–⎆vc1cv/ [–⎆vc1cv] [–⎆vc 1cv] /–⎆vcv/ [–⎆vc⍧v] [–⎆vcv] /–⎆v⍧cv/ [–⎆v⍧cv] /–⎆v/ [–⎆v] [–⎆v] /–⎆v⍧/ [–⎆v•v] [–⎆v݄] /–⎆vc/ [–⎆vc]

/–⎆vc 1c/ /–⎆v⍧c/ 133

27 Lorsque la voyelle tonique est suivie de deux consonnes, les possibilités

combinatoires sont restreintes en ce qui concerne la première (C1) qui, dans la plupart des contextes, ne peut être que /r/, /N/, /l/ : parla “il parle”, mòrt “mort”, sent “il sent”, (que) senta “qu’il sente”, comba “combe”, plomb [plump] “plomb”, fals “faux”, falsa “fausse”, alba “aube”; /s/ apparaît exclusivement dans des mots savants : cristian [kris ⎆tjan] “chrétien” (mais gasta [ ⎆ga ⍧tç] “il gâte” et non *[ ⎆gast ç]) ; les groupes [ks] et [ps], sont possibles en finale, mais pas [ts], toujours réduit à [s]. En finale absolue, une occlusive orale est toujours sourde, conformément à une règle générale en occitan.

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Dans le tableau qui précède (ainsi que dans l’annexe 1) le protosystème est présenté en notation phonologique car, même si certains parlés actuels sont proches de ce protosystème, il n’est pas possible d’en reconstruire rigoureusement la phonétique telle qu’elle était vers 1500 ; ce qui, en revanche, est possible pour la phonologie. On a adopté les symboles c pour consonne simple ; c⍧ pour consonne longue ; v⍧ pour voyelle longue ; v pour voyelle brève ; v pour voyelle , lorsque la voyelle peut être longue ou brève sans que cela affecte la structure considérée, ou pour noter le système évolué dans lequel il n’existe plus d’opposition de longueur ; enfin, en notation phonétique, [ ⎆v•v] pour voyelle tonique longue affectée d’un ton montant-descendant.

4. Conclusion La comparaison entre les parlers de notre zone de référence et ceux des régions environnantes permet de constater que nos parlers présentent des affinités anciennes avec les parlers du nord du domaine vivaro-alpin (Oisans, Triève, Vercors, Valentinois, Yssingealais), tant d’un point de vue phonétique ou phonologique que morphologique ou lexical. Au-delà, ils présentent des affinités phonétiques, également anciennes, avec les parlers du nord de la zone traditionnellement définie comme nord-occitane (Velay, Basse-Auvergne, Haut-Limousin). Ils s’inscrivent aussi dans la même dynamique évolutive, même si, dans l’ensemble, ils sont (avec les parlers de l’Oisans) nettement plus conservateurs que les parlers plus occidentaux. En revanche, témoignant d’influences venues du nord ou, à tout le moins, d’évolutions communes avec le francoprovençal et les parlers d’oïl, ils se distinguent très nettement, dès le XV e siècle (et sans aucun doute à une époque bien plus ancienne, mais les témoignages manquent) des parlers alpins plus méridionaux (Embrunais, Gapençais, Queyras, Ubaye, arrière pays niçois, cisalpin du sud) qui n’ont pas connu la chute de -s implosif et ont 134 conservé un système vocalique simple ignorant les oppositions de longueur. Pour ce qui est de la chronologie, les évolutions qui ont conduit du proto-système au système intermédiaire sont décelables dans les textes dès la fin du XV e siècle et se sont poursuivies jusqu’à l’époque actuelle. En revanche, les sources dialectologiques montrent que le début de l’évolution du système intermédiaire vers le système le plus évolué n’est pas antérieure au milieu du XIX e siècle. Comme c’est souvent le cas en géolinguistique, mais sûrement ici plus qu’ailleurs, la diachronie peut se lire dans la synchronie. En effet, si l’on se déplace de Sestrière jusqu’à Briançon en passant par Cézanne, Oulx, Bardonnèche, Névache, on parcourt, en quelques dizaines de kilomètres, presque cinq siècles d’évolution linguistique.

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ANNEXE I Possibilités combinatoires à droite de la voyelle tonique, exemples

Proto-système Système Système Intermédiaire évolué (Cervières)

/–⎆vc 1cvc/ parlo(c) 1/ ⎆parluk/

/–⎆vcvc/ bato(c) 2/ ⎆batuk/

/–⎆vc 1cv/ [–⎆vc 1cv] [–⎆vc 1cv] lonja 3/lund Ћç/ 3[ ⎆lund Ћç] 3[ ⎆lund Ћç] [lu] 1[ ⎆pa ௎luש pa⎆ ]1 /–⎆vcv/ [–⎆vc ⍧v] [–⎆vcv] bota 4/ ⎆but ç/ 4[ ⎆but ⍧ç] 4[ ⎆but ç] 2[ ⎆bat ⍧u] 2[ ⎆batu] 5[ba ⎆nat ç] 10[ ⎆௎œte] 16[ ⎆fç௎e] /–⎆v⍧cv/ [–⎆v⍧cv] banasta 5/ba ⎆na ⍧tç/ 5[ba ⎆na ⍧tç]

/–⎆v/ [–⎆v] [–⎆v] vendú 6/ ⎆ven ⎆dy/ 6[v ђn⎆dy] 6[v ђn⎆dy] 8[v ђn⎆dy] [la/ 7[par ⎆la] 7[pa ௎⎆lϪ⎆ש parlá 7/pa 9[pa ௎⎆la] 138 11[ ⎆௎a] 12[t ç] 14[ ⎆tSa⎆va] 14[ ⎆tSa⎆vϪ] 15[ ⎆dЋu] 20[ ⎆sa] 21[ ⎆b(w) ç] /–⎆v⍧/ [–⎆v•v] vendús 8/ven ⎆du ⍧(s)/ 8[v ђnd ⎆y•y ] [ l⎆a•aש la ⍧(s)/ 9[pa⎆ש parlás 9/pa 15[d Ћ⎆u•u ] 16[f ⎆ç•ç (r)] 20[s ⎆a•a ] 21[b ⎆ç•ç ]

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/–⎆vc/ [–⎆vc] [–⎆v݄] rat 10/ ⎆rat/ 10[ ⎆rat] rats 11/ ⎆ras/ 11[ ⎆ras] tòc 12/ ⎆tçk] 12[t çk] man 13/man/ 13[ma ֊] 13[ma ݄] chaval 14/ ⎆tSa⎆val/ 17[ ⎆tSa֊] 17[ ⎆tSa ݄] 19[plu ֊] 19[plu ݄]

/–⎆vc 1c/ jorn 15/ ⎆dЋurn/ fòrt 16/ ⎆fçrt/ chant 17/ ⎆tSant/ sals 18/sals/ plomb 19/ ⎆plump/

/–⎆v⍧c/ sal 20/sa ⍧ևލ/ bòsc 21/b ç⍧k/

1/ je parle ; 2/ je bats ; 3/ longue ; 4/ bouteille ; 5/ panier ; 6/ vendu ; 7/ parlé ; 8/ vendus ; 9/ parlés ; 10/ rat ; 11/ rats ; 12/ morceau ; 13/ main ; 14/ cheval ; 15/ jour ; 16/ fort ; 17/ chant ; 18/ sels ; 19/ plomb ; 20/ sel ; 21/ bois.

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Cahiers de Grammaire 29 (2004) L’évolution des parlers occitans du Briançonnais ANNEXE II Evolution des parlers du Briançonnais

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140 L’évolution des parlers occitans du Briançonnais Légende :

– – – – – – – – : lignes de crêtes ––––––––––– : fonds de vallée ▬▬▬▬▬ : limite de la zone de référence • • • • • • • • • • : frontière actuelle entre la France et l’Italie >< : col

BA : Bardonnèche BR : Briançon CE : Cervières CH : Chaumont CN : Cézanne EP : Envers-Pinache (Inverso Pinaca) FE : Fénestrelle MO : Le Monêtier NE : Névache OU : Oulx PG : Pragela PR : Pral (Prali) RO : Rochemolles RR : Roure SA : Salbertrand SC : Sauze-de-Césanne

Le signe  indique les points les plus conservateurs, le signe Θ les points les moins conservateurs. Les parlers du Sauze-de-Césanne (SC) et des environs, du Cluson (PG, FE, RR, EP) et de la Val Germanasca (PR) restent proches du proto-système ; le parler de Chaumont (CH) est représentatif du système intermédiaire dans sa phase initiale, voire, par certains aspects, un peu plus conservateur. Le parler du Monêtier (MO) représente un cas particulier car les oppositions de longueur semblent y avoir disparu, alors que les consonnes finales y restent solides. Le signe – ↔ + signifie que lorsqu’on va dans le sens du +, on se dirige vers des parlers plus conservateurs, dans le sens du –, vers des parlers moins conservateurs. Cahiers de Grammaire 29 (2004)

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