SoSmommmaiarie re

Revue d’information trimestrielle de la La Vie de la Fondation Fondation de la Libre Le mot du président 1 Parution : Mars 2018 Réception d’Alain Delon à la Fondation 1 Numéro 67 Les conférences de la Fondation 2

En couverture : Les activités de la Fondation 2 Seconde séance du colloque « La France Libre et la question syndicale », mercredi 18 janvier Histoire 2017. De gauche à droite, on reconnaît Guy Krivopissko, Gilles Les syndicalistes collaborationnistes et la France Libre 3 Morin, Émeline Vanthuyne et Sébastien Albertelli (cliché Mariette Les syndicalistes, saboteurs de la France Libre ? 9 Buttin, coll. Christophe Bayard). et les contacts avec les syndicats 14 © Fondation de la France Libre La place des syndicalistes (et du syndicalisme) dans le CNR 21 Second débat 26 Conclusion des Actes du colloque 27 Sur les traces des marins de la France Libre I - XVI

Livres 30

In memoriam 32

Carnet 34

Dans les délégations 35

N° commission paritaire : 0217 A 056 24 N° ISSN : 1630-5078 Reconnue d’utilité publique (Décret du 16 juin 1994) RÉDACTION, ADMINISTRATION, PUBLICITÉ : Il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente publication – 16, cour des Petites-Écuries – 75010 loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur. Tél. : 01 53 62 81 82 - Fax : 01 53 62 81 80 MISE EN PAGE, IMPRESSION, ROUTAGE : E-mail : [email protected] Imprimerie GROUPE PRENANT - 01 49 59 55 55 - www.prenant.fr VERSEMENTS : CCP Fondation de la France Libre Dépôt légal 1 er trimestre 2018 Paris CCP La Source 42495 11 Z Prix au N° : 5 Euros DIRECTEUR DE LA PUBLICATION : Général Robert BRESSE Abonnement annuel : 15 Euros RÉDACTEUR EN CHEF : Sylvain CORNIL-FRERROT

© « BULLETIN DE LA FONDATION DE LA FRANCE LIBRE ÉDITÉ PAR LA FONDATION DE LA FRANCE LIBRE » LA VIE DE LA FONDATION

Le mot du président

L’année qui commence s’annonce dense et féconde. Elle sera également rythmée par deux commémorations majeures, le 75 e anniversaire de la campagne de Tunisie et le 70 e anniversaire de la proclamation, à Paris, de la déclaration universelle des droits de l’homme, dont les contributeurs français étaient trois Français Libres. Les actions à conduire seront développées à l’occasion de la réunion de nos délégués le 28 mars prochain. Je dois aussi souligner l’investissement du siège dans le Concours national de la Résistance et de la Déportation 2017-2018. Le thème que nous avions proposé et qui a été retenu « S’engager pour libérer la France » correspond totalement aux Français Libres. Nos délégués ont relayé cette action à leur niveau, qui est essentiel à son succès. S’ouvre à présent le temps des corrections et des remises de prix aux futurs lauréats. Malheureusement, une fois de plus la « France Libre », baptisée par le sang des volontaires et consacrée par l’histoire, fait l’objet d’une tentative de récupération, cette fois par un média en ligne. Nous ne sommes pas, et ne voulons pas être, une marque déposée, mais nous devons faire savoir le mépris que nous inspirent ces tentatives. Les Français Libres venaient de partout, leurs professions de foi étaient diverses, leurs opinions contrastées, mais ils avaient en commun le refus de la résignation et de la défaite. Ils n’étaient la propriété de personne et sont devenus, avec la Libération, celle du pays tout entier. À ce titre, aucun parti, aucun mouvement, courant de pensée ou d’opinion ne peuvent en confisquer l’héritage, clamez le haut et fort.

Général Robert Bresse

Réception d’Alain Delon à la Fondation

Au cours de cette visite, qui s’est déroulée dans une ambiance des plus chaleureuses, Alain Delon a été présenté à M. René Marbot, ancien Cadet de la France Libre, et a reçu des mains du général Robert Bresse, président de la Fondation, la médaille de la Fondation de la France Libre, accompa - gnée d’un diplôme d’honneur. Cette dis - tinction visait à remercier l’engagement infatigable de l’une des plus grandes gloires du cinéma français en faveur de la mémoire du général de Gaulle et des Français Libres. La rédaction

Jean-Luc Pradier, le général Robert Bresse, président de la Fondation, Alain Delon, avec le diplôme d’honneur de la Fondation, et Christophe Bayard, vice-président de la Fondation et délégué de l’Orne, devant l’entrée de la Fondation (coll. Christophe Bayard). Jeudi 18 janvier 2018, la Fondation de la Gabin à Moulins-la-Marche. Nul n’ignore le Libre a eu l’honneur et le grand plaisir d’ac - grand respect d’Alain Delon pour celui qu’il cueillir à notre siège M. Alain Delon pour appelle avec affection « le Vieux ». N’ayant une réception amicale. Cette rencontre fai - pu prendre part à cette manifestation à sait suite à l’hommage que notre délégation laquelle il accordait un grand intérêt, c’est de l’Orne a rendu, en novembre 2017 au donc avec un immense plaisir qu’il a Alain Delon échange avec René Marbot dans le bureau Français Libre Jean Gabin, ancien - accepté notre invitation à découvrir nos du président. En arrière-plan, Christophe Bayard et tant de la 2 e DB, sur l’hippodrome Jean locaux. Jean-Luc Pradier (coll. Christophe Bayard).

Mars 2018 • N° 67 l 1 LA VIE DE LA FONDATION

Les conférences de la Fondation

Mercredi 29 novembre 2017, Alexis Le Gall Mercredi 24 janvier 2018, Jean-Charles Stasi devait nous retracer son parcours au sein des intervenait sur l’histoire des parachutistes Forces françaises libres de juin 1940 à 1945, à français libres engagés au sein Special Air l’occasion de la parution de ses mémoires, Service britannique. Dans son allocution, Les Clochards de la gloire . Toutefois, empêché l’orateur a décrit le parcours de ces combat - par des ennuis de santé, il a été remplacé au tants engagés entre 1940 et 1945, leur intégra - pied levé par le général Patrick Jardin, instiga - tion au SAS en qualité de French Squadron, teur de cette édition et auteur de la postface, ainsi que leurs principaux combats, en qui a captivé le public par son évocation du Afrique du Nord et en , particulière - quotidien des combattants et de leur état ment ceux de Bretagne, menés parallèlement d’esprit, dont l’ouvrage est un fidèle reflet. aux opérations du débarquement allié en Normandie. La réunion s’est achevée par une séance de dédicace de son dernier ouvrage, Christophe Bayard et Stéphane Simonnet, qui présente Les Paras français du jour J . un cliché du commando Kieffer, le 13 décembre 2017 (cli - ché Sylvain Cornil-Frerrot, coll. Fondation de la France La rédaction

Le général Patrick Jardin, avec Christophe Bayard, vice- président de la Fondation, le 29 novembre 2017 (cliché Sylvain Cornil-Frerrot, coll. Fondation de la France

Mercredi 13 décembre 2017, Stéphane Simonnet, docteur en histoire et membre du conseil scientifique de la Fondation, nous présentait l’histoire du 1 er bataillon de fusi - liers marins commandos, plus connu sous le nom de commando Kieffer. Rien, apparem - ment, ne prédisposait Philippe Kieffer, ban - quier d’une quarantaine d’années installé à Haïti, à créer une telle unité. L’orateur nous a décrit, avec brio, les conditions de sa forma - tion, les différents combats auxquels le com - mando a pris part, sans négliger la question Christophe Bayard et Jean-Charles Stasi, devant le public de la conférence (cliché Sylvain Cornil-Frerrot, coll. Fondation de sa mémoire. de la France Libre).

Les activités de la Fondation

La Fondation poursuit son cycle de confé - nistrateur de la Fondation, nous entretien - Pour vous tenir informés des activités de la rences mensuelles. Pour le deuxième tri - dra de la 1 re compagnie de chars entre juin Fondation, vous pouvez consulter les mestre 2018, nous aurons le plaisir d’ac - 1940 et 1943. actualités de notre site Internet – cueillir Nicolas Mazurik, qui nous relatera, Mercredi 20 juin, à 18 heures, Christine www.france-libre.net – ou vous inscrire, mercredi 25 avril, à 18 heures, le parcours Levisse-Touzé, historienne, ancienne depuis celui-ci, à notre lettre d’informa - de deux bataillons ukrainiens déserteurs conservatrice du Musée du Général tion trimestrielle en ligne. de l’armée allemande qui participèrent au Leclerc de Hauteclocque et de la libéra - sein des Forces françaises de l’intérieur à la L’enregistrement vidéo de nos premières tion de Paris – musée Jean-Moulin de la libération de la Franche-Comté, avant conférences est désormais disponible dans Ville de Paris et membre du conseil d’être affectés à la 13 e DBLE . l’espace multimédia de notre site Internet : scientifique de la Fondation, intervien - www.france-libre.net/multimedia , et sur la Mercredi 16 mai, à 18 heures, le colonel dra sur la vie du général Leclerc, à l’occa - chaîne YouTube de la Fondation. Pierre Robédat, ancien Français Libre, pré - sion de la parution de Leclerc , patriote et sident de l’Amicale de la 1 re DFL et admi - rebelle (Ouest-France, 2017). La rédaction

2 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

Les syndicalistes collaborationnistes et la France

le dire autrement, le syndica - « corporatistes » sont mises à mal, sans lisme collaborationniste n’est pour autant disparaître. pas seulement un phénomène Éclatement et recompositions concernent historique conjoncturel, il ne à la fois la CGT – de loin le plus important peut être compris simplement syndicat du pays – et les autres compo - en le situant dans son milieu et santes syndicales, chrétienne, indépen - dans son temps. dantes ou corporatistes, que les autorités Les choix divergents s’inscrivent de Vichy entendent rassembler dans des en partie dans des positionne - syndicats uniques. Par-delà le régime, les ments antérieurs. Depuis la sollicitations en sens contraire ne sont pas brève explosion des effectifs moins fortes. Pour les collaborationnistes, syndicaux sous le Front popu - ceux du Rassemblement national popu - laire, les éléments de dissolu - laire (RNP) et du Parti populaire français tion se sont multipliés dans la (PPF) principalement, les syndicalistes CGT. Par-delà le rejet com - constituent une des bases populaires mun, mais plus ou moins essentielles, l’une des rares à leur disposi - puissant, de la « colonisation tion. Les sollicitations de la Résistance et Gilles Morin, lors de la seconde séance du colloque communiste » , la question de la guerre et de de la France Libre qui recherchent des (cliché Mariette Buttin, coll. Christophe Bayard). la paix a creusé un fossé pratiquement cadres aguerris et des liens avec la popula - inconciliable au sein même des ex-confé - tion ne sont pas moins pressantes vers les Le syndicalisme français subit durant dérés. Sur fond d’effondrement des effectifs autres syndicalistes. Tout devrait les oppo - l’Occupation un double processus d’éclate - syndiqués depuis au moins la répression de ser. Pour autant, on ne constate pas de ment et de recomposition partielle. Le phé - la grève générale de novembre 1938 2, le nouvelle scission ouverte dans le monde nomène de balkanisation relève tout pacte germano-soviétique a été refusé par syndical durant l’Occupation, où, grossiè - rement, quatre tendances constituées d’abord de circonstances imposées, parmi une partie de la base, y compris par certains cohabitent, ouvertement ou clandestine - lesquels la division par les Allemands du cadres communistes : la dissolution des ment, dans les syndicats et dans de nom - pays en plusieurs zones relativement syndicats dirigés par les communistes en breuses structures comme les rares syndi - étanches et l’interdiction des confédéra - septembre 1939 a créé des fractures fonda - tions à l’automne 1940 par le gouverne - cats uniques réellement mis en place ou mentales entre les deux principales compo - ment de Vichy 1. Le mouvement syndical se dans les comités de la Charte du Travail. Les santes de la réunification de 1936. trouve d’autant plus atomisé que de nom - clandestins, résistants, sont en majorité les breux départements sont coupés par la Les choix personnels et collectifs s’inscri - communistes, interdits, mais qui font de zone de démarcation. Les velléités corpora - vent également dans des affrontements l’entrisme dans la CGT légale et même dans tives du régime donnent aussi plus d’im - plus anciens. Parmi ceux-ci figurent les les organismes de la Charte ; on trouve portance aux branches professionnelles vieilles oppositions face à la question de la aussi dans ce groupe des confédérés. pourtant fracturées par les différentes défense nationale, celles entre partisans Ensuite, les syndicalistes résistants, fidèles zones. Ensuite, les syndicalistes sont de la classe autonome et ceux de l’inscrip - à Léon Jouhaux pour la plupart, qui se lient confrontés à des défis et à des pressions tion dans la nation ou la communauté de rapidement avec Libération-Sud, dans la « zone libre » 3 ou avec Libération-Nord dans inédites : tout d’abord celles de Vichy, travail, l’acceptation ou le refus de la lutte la zone occupée 4, et que l’on retrouve par ensuite celles des collaborationnistes pari - des classes et des compromis sociaux, la siens et enfin celles des « autorités ailleurs dans une multitude de mouve - tentation ou le refus du corporatisme, l’in - d’Occupation » qui tous courtisent les mili - ments et réseaux. Défenseurs de la Charte fluence du pacifisme, voire du défaitisme, tants syndicaux. Sur fond de misère d’Amiens qu’ils opposent à la Charte du et de l’anarcho-syndicalisme. Sans oublier extrême que subissent les travailleurs, l’atti - Travail, ils sont hostiles à la Collaboration bien sûr les intérêts propres aux diffé - tude à adopter envers l’occupation alle - comme à Vichy. Ensuite, autour de René mande, la question nationale et le régime rentes branches, le poids des conflits pas - Belin et de ses successeurs, les « fédéraux » , de Vichy s’avèrent des questions domi - sés, des solidarités personnelles et enfin « loyaux au régime » , qui récusent la lutte nantes : faut-il s’accommoder et accepter les enjeux en terme de postes de perma - des classes et acceptent la Charte du que la France s’intègre dans une Europe nents dans un univers où la professionna - Travail. Enfin, le syndicalisme collabora - allemande et nazie ? Faut-il maintenir le lisation du syndicalisme a connu un saut tionniste. Il est hostile à Vichy et, jusqu’au principe de l’indépendance syndicale majeur depuis 1936. Cette situation per - retour de Laval au pouvoir en 1942, réticent contre vents et marées ? Au total, les diver - sonnelle des permanents guide de nom - envers la Charte du Travail. Ce classement gences et déchirements internes au syndi - breux choix durant l’Occupation. Dans ce sommaire ignore une vaste zone grise de calisme sont plus complexes que la simple cadre complexe, les anciennes divisions syndicalistes moins engagés et, surtout, opposition Résistance/collaboration. Pour entre « révolutionnaires » , « réformistes » et évoluant au rythme des événements de la

1 L’ouvrage de référence est celui de Jean-Pierre Le Crom, Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme , Paris, Éditions de l’Atelier, 1995. Voir aussi, Denis Peschanski, Jean-Louis Robert (dir.), Les Ouvriers pendant la Seconde Guerre mondiale , Paris, CRHMSS-IHTP, 1992 ; Le Syndicalisme dans la France occupée , sous la direction de Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky, Rennes, PUF, 2008, p. 15. On trouvera aussi des éléments nécessairement brefs dans les synthèses sur l’histoire de la CGT. Citons, Michel Dreyfus, Histoire de la CGT. Cent ans de syndicalisme en France , Bruxelles, Complexe, 1995, 407 p. 2 Guy Bourdé, La Défaite du Front populaire , Paris, Maspero, 1977. 3 Laurent Douzou, La Désobéissance : Histoire du mouvement Libération-Sud , Paris, Odile Jacob, 1995.

Mars 2018 • N° 67 l 3 HISTOIRE

guerre, pouvant parfois appuyer l’une ou collaborationnistes parisiens, il distingue de Vichy et de la dissolution des confédéra - l’autre des tendances. Dans leurs luttes trois « pôles étroitement imbriqués les uns tions. Les divergences avec les résistants contre Vichy, les collaborationnistes ren - aux autres » : le journal L’Atelier , le Comité portent, outre la question de l’indépen - contrent ponctuellement des appuis variés syndical de propagande (CSP), le Front dance nationale, sur les choix syndicaux. et pas seulement de la zone grise. social du travail (FST). Ces créations, qui L’Atelier , selon le premier éditorial de s’étalent sur une quinzaine de mois, tour - Lafaye, a été créé pour « défendre l’idée de Cette situation ambiguë, la présence de nent toutes autour du RNP de Marcel Déat. la collaboration sociale » . Les deux formes cadres éprouvés et les moyens matériels Pourtant, ce parti collaborationniste n’est préconisées de collaboration, sociale et importants dont ils disposent du fait de pas le seul à avoir des relais syndicaux. nationale, attirent des figures majeures du l’appui de l’occupant donnent aux syndi - Parti collaborationniste le plus ancien syndicalisme de la zone occupée. Les prin - calistes collaborationnistes des possibilités puisque constitué en 1936 (si l’on exclut le cipaux fondateurs de L’Atelier sont l’ancien d’influence certaine. Leur choix straté - Francisme qui n’a pas de vrais relais syndi - député Gabriel Lafaye et René Mesnard, gique, radicalement opposé à celui de la caux), le PPF dispose de militants éprouvés tous deux ex-syndicalistes CGT très France Libre, devrait logiquement se tra - formés dans les écoles communistes à l’ac - connus du milieu et anciens néo-socia - duire par des attaques en règle contre les tion ouvrière, tout comme le Parti ouvrier listes girondins. Dans l’équipe dirigeante Alliés dans le combat contre le nazisme. et paysan français (POPF) de Marcel figurent aussi deux anciens secrétaires Mais, là encore, les positions sont plus Gitton, fondé en 1941. L’influence du POPF généraux adjoints de la confédération – complexes. Pour le comprendre, nous rap - reste cependant très limitée en comparai - Georges Dumoulin, le principal éditoria - pellerons successivement ce qu’est ce syn - son de celle du PPF. Le PPF est bien second liste, et Aimé Rey –, des secrétaires de fédé - dicalisme collaborationniste dans sa diver - sur ce terrain, derrière les syndicalistes rations importantes de la CGT – Marcel Roy sité et sa place dans le jeu syndical durant l’Occupation, puis ses positions face à la proches du RNP. Nous ne disposons pas de pour la métallurgie, Pierre Vigne pour le France Libre et le contenu de ses critiques, chiffres, même approximatifs, mais les res - Sous-Sol, Marcel Bonnet pour l’habille - avant d’avancer quelques hypothèses sur ponsables du PPF se mettent sur ce terrain ment, Gabriel Loriot pour les ports et la faiblesse de son engagement contre la à la remorque de ceux du RNP. Les syndica - docks, Fernand Hamard pour les techni - France Libre. listes du Mouvement social révolution - ciens –, ainsi que d’autres figures impor - naire (MSR), regroupés dans la Fédération tantes de leurs milieux. Ainsi Ludovic Réalité et diversité du syndicalisme professionnelle autonome, n’ont guère Zoretti et Georges Albertini, pour les uni - laissé de traces, mais il est vrai que l’action versitaires, ou l’ancien secrétaire de la collaborationniste syndicale n’a pas été première chez les puissante union fédérale de la Seine, Le syndicalisme collaborationniste reste cagoulards activistes. De plus, certains Gaston Guiraud, dit « petite gueule » , et mal connu. Il a souffert d’un manque d’inté - d’entre eux, comme André Levant, le secré - même des collaborateurs du ministère du rêt jusqu’à une date récente, que l’ouverture taire général de la Fédération profession - Travail, Roger Bertrand et Albert Perrot 10 . récente des archives de la Seconde Guerre nelle autonome, émanation de l’organisa - Notons que tous ne rejoignent pas le RNP mondiale n’a pas encore compensé. Il est tion, l’ont quitté et sont demeurés au RNP lors de sa création 11. Le journal signale des ainsi pratiquement ignoré dans l’ouvrage lors de la scission d’octobre 1941 entre RNP congrès et réunions du RNP et publie en collectif sur Le Syndicalisme dans la France et MSR 7. Revenons donc en premier à ceux août 1941 un manifeste social de la section occupée 5, hormis à la fin de l’ouvrage. qui tournent dans l’orbite du RNP, fondé en économique du Groupe Collaboration 12 . Pourtant, dans un monde aux « frontières février 1941. L’Atelier , qui n’a jamais vraiment percé, tire souvent brouillées » comme le remarquaient L’Atelier a été créé, en décembre 1940, trois néanmoins à 30 000 exemplaires à ses justement dans l’introduction les directeurs mois avant la naissance du RNP 8. À son ori - débuts, 20 000 par la suite, selon diverses de cet ouvrage, le terrain sur lequel ce syndi - gine, il y a le refus de la dissolution des sources. Adressé aux responsables syndi - calisme s’est installé semble le plus facile à confédérations syndicales, nous y revien - caux de toutes tendances, l’hebdomadaire délimiter ; eux n’ont pas pratiqué de dou - drons. On peut ici faire un parallèle, ou plu - a une influence non négligeable et perdure bles jeux avec la Résistance, tout au plus tôt opposer cet engagement à la publica - jusqu’à l’été 1944. Fin 1941, une page est avec Vichy, comme nous le verrons. tion du Manifeste des 12, à l’origine de la réservée au patronat et surtout à Eugène Jean-Pierre Le Crom, dont la synthèse reste naissance de Libération-Nord 9. Les choix Schueller, le patron de Monsavon, fonda - fondamentale 6, oppose ceux qu’il qualifiait qui en découlent sont antinomiques, mais teur de l’Oréal et dirigeant fondateur du de « parisiens » aux « fédéraux » . Pour ces il s’agit de deux formes extrêmes du refus MSR après avoir soutenu « la Cagoule » 13 .

4 Alya Aglan, La Résistance sacrifiée : Le mouvement Libération-Nord (1940-1947) , Paris, Flammarion, 1999, rééd. 2006. 5 Michel Margairaz et Danielle Tartakowsky, op. cit. Il y est surtout pratiquement confondu avec les « fédéraux » . De même, ses militants y sont pratiquement ignorés, à part Marcel Roy, dont le nom apparaît assez régulièrement. Gabriel Lafaye et René Mesnard n’interviennent que dans l’utile chronologie finale, au titre de collaborateurs de L’Atelier . Francis Desphelippon, du FST, et la plupart des syndicalistes du PPF, à l’instar de René Teulade et Albert Beugras, sont absents de l’index. 6 J.-P. Le Crom, Syndicats nous voilà , op. cit. 7 Il devint délégué à la propagande du RNP, avant de travailler avec le cagoulard El Maadi auprès des Nord-Africains. 8 Dominique Durrleman, « L’Atelier, hebdomadaire du travail français. Des syndicalistes dans la collaboration, 1940-1944 » , Cahiers d’histoire de l’Institut Maurice Thorez , n° 14 spécial, juillet-septembre 1975, pp. 118-159 ; Jacques Rancière, « De Pelloutier à Hitler, syndicalisme et collaboration » , Les Révoltes logiques , n° 4, 1 er tri - mestre 1977, pp. 23-61. 9 Alya Aglan, La Résistance sacrifiée , op. cit. 10 Sur ces responsables syndicaux, voir le Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (Maitron), Paris, Éditons de l’Atelier. Une partie des notices seront complétées sur le Maitron en ligne. 11 Trois d’entre eux, qui ont participé aux discussions précédant la fondation du parti, annoncent garder leur indépendance : Gaston Guiraud, Albert Perrot et surtout Marcel Roy. 12 L’Atelier , 9 août 1941. 13 Gabriel Lafaye se plaint à Déat que Mesnard se serait laissé « acheter » par Schueller : ce dernier a donné de l’argent à L’Atelier et lui aurait offert un contrat de publicité important. Marcel Déat, Journal de guerre , 20 octobre 1941.

4 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

Le Comité syndicaliste de Propagande, de France-Europe, poussés à la fusion par rent-complément dans le monde des pour le droit au travail et la construction de l’ambassade d’Allemagne, occupent une anciens communistes, le POPF de Marcel l’Europe nouvelle (CSP) est fondé au prin - place centrale au RNP et obtiennent, par Gitton. Ses cadres ont été formés, pour les temps 1941, pratiquement par les mêmes ailleurs, un hebdomadaire, La France plus anciens, à la CGTU et l’ont quittée – hommes. Lafaye et Dumoulin avaient socialiste , qui donne une large place aux ou à la CGT – à l’occasion des multiples tenté de créer un « Rassemblement syndical syndicalistes et au FST. départs et purges qu’a connu le PC. Les national » , mais Déat et l’ambassade derniers ont rompu à l’occasion du pacte Dans les faits, le FST prolonge plutôt la tra - d’Allemagne s’y sont opposés pour ne pas germano-soviétique. Connus dans leurs dition française des cellules d’entreprises vider le RNP de ses forces vives et de sa milieux comme militants, ils ont l’expé - de partis politiques, pratique initiée avec base ouvrière 14 . L’ambassade a de fait rience des pratiques syndicales. contraint le CSP à se mettre partiellement succès par le PC dès les années vingt, puis sous l’égide du RNP : les locaux nationaux repris comme « Amicales socialistes d’entre - Le PPF prône de longue date le corpora - et de ceux de certains départements sont prises » à la SFIO au temps du Front popu - tisme et entretient des rapports privilégiés loués par le parti et le financement assuré laire, mais sans grand succès pour cette avec une partie du patronat de combat. Il a partiellement par les Allemands. Le CSP dernière. Francis Desphelippon assure la une pratique antisyndicale avérée (en fait participe officiellement au 1 er congrès du continuité entre les trois organisations. contre la CGT), en lien avec ce patronat, RNP et les deux organisations organisent Par-delà la création de sections d’entre - comme l’illustre le cas d’Albert Beugras, un 1 er mai commun en 1941. Le CSP est prises, le FST s’efforce de fonder des permanent patronal dans la région - l’une des rares organisations dans l’orbite unions locales puis des unions profession - naise, puis dans tout le pays, et membre du du parti de Déat à dépasser l’influence de nelles régionales et nationales, enfin, d’au - bureau politique du PPF. On touche ici une celui-ci, car d’autres collaborationnistes y tres services et unions « affinitaires » . Parmi différence entre PPF et RNP, et pas seule - participent. Ainsi, en novembre 1941, le les plus actives, semble-t-il, l’Union de ment dans le domaine syndical. Les syndi - CSP organise une Conférence nationale l’Enseignement de Zoretti, une Union calistes proches du RNP, qui ont longtemps syndicale où, à côté de son président, Aimé féminine, une des vieux travailleurs, une rechigné ou refusé de se réclamer du cor - Rey, se retrouvent René Mesnard, Georges Amicale des ouvriers français travaillant en poratisme, défendent le syndicalisme clas - Dumoulin, Ludovic Zoretti, Roger Paul, Allemagne et même une Union nord-afri - sique, « libéré » naturellement de l’in - Georges Albertini, Gabriel Lafaye, tous caine. On est plutôt ici dans des structures fluence communiste. Le PPF prône, lui, membres du RNP, ainsi que André Parsal, parallèles aux syndicats que dans un cadre depuis 1936 la collaboration de classe, du POPF, et surtout Albert Beugras, du PPF, proprement syndical. Sans grand succès intégrale. Au 4 e congrès du PPF, le 7 novem - qui rédige en 1941 une brochure au nom semble-t-il. bre 1942, Maurice Roux, est chargé de trai - 15 du CSP et participe régulièrement à ses Si les membres du syndicat des techniciens ter du rôle social des employeurs 17 . assemblées. De fait, le CSP apparaît rapide - dominent au FST, on retrouve globalement ment comme une annexe élargie aux Pour autant, les lignes ne sont pas immua - dans les trois instances de la mouvance du bles. D’autre part, des organismes servent autres collaborationnistes de L’Atelier et de RNP une partie des mêmes hommes. son équipe 16 . de lieux de rencontre entre les divers syndi - Le syndicalisme PPF constitue un angle calistes collaborationnistes et les autres Le Front social du travail, dont le nom se mort de l’historiographie du Front popu - syndicalistes. Tout d’abord, le Secours réfère à l’organisme social nazi, est né laire et de l’Occupation. De même, pour le national et son appendice parisien, d’une transformation du mouvement « syndicalisme indépendant » des syndicats l’Entr’aide d’hiver, fondée en décembre France-Europe, appellation également professionnels français (SPF), proches du 1940 18 . Sans oublier le Conseil national de transparente. France-Europe rassemblait Parti social français (PSF) du colonel de La Vichy ou le Comité d’information et de des pacifistes et anticommunistes, à domi - Rocque. Celui-ci, né en réaction au Front propagande ouvrière (CIOS) 19 . nante syndicaliste, avec, parmi eux, nom - populaire et au communisme, se réfère, il Toutes ces variantes de syndicalistes colla - bre d’anciens cadres du PC et des est vrai, au corporatisme plutôt qu’au syn - Jeunesses communistes marqués par l’an - borationnistes sont des ennemis acharnés dicalisme. Le PPF, dont la plupart des mem - des syndicalistes communistes et confédé - timilitarisme antérieur au pacte Laval- bres ont dû quitter la CGT unifiée dès avant rés ; ils s’opposent non moins à ceux que Staline. Dirigé par Francis Desphelippon, la guerre, a fondé au début de l’Occupation Jean-Pierre Le Crom appelle les « fédé - formé au Kominterm avant de devenir res - la Fédération nationale des groupements ponsable des Amicales d’entreprises de la raux » ou les « belinistes » , partisans de corporatifs français (FNGCF), dont le siège SFIO, on y retrouve aussi des minoritaires Vichy, de René Belin, Lagardelle et autres. est au 10, rue des Pyramides. Il a regroupé de la Ligue des droits de l’homme, comme Ils n’ont pas accepté la suppression des aussi des hommes du SPF, mais il est diffi - René Château. Ses cadres appartenaient confédérations nationales – et pour cer - cile de dire s’il s’agit de ralliements indivi - déjà en majorité au RNP, mais restaient en tains, le renvoi de Laval, qui conserve duels ou collectifs. retrait jusqu’à la scission du RNP, réticents encore une certaine influence dans les envers la place occupée dans le RNP par le Issu d’une rupture avec le communisme, le milieux syndicalistes, du fait de son passé MSR de Deloncle, auquel ils étaient hos - PPF compte dans ses rangs des syndica - d’avocat des ouvriers, de maire de banlieue tiles. Après l’exclusion du MSR, les anciens listes éprouvés, de même que son concur - ouvrière et d’homme politique sachant uti -

14 Le Journal de guerre de Marcel Déat signale de nombreuses rencontres entre celui-ci, Mesnard et Dumoulin. Mesnard, après avoir envisagé ce « Rassemblement syndi - cal » , a voulu constituer « une branche syndicale dans le cadre du RNP » , écrit-il le 28 mars 1941. Tous trois discutent sur l’organisation du CSP en avril, puis sur le projet de faire un congrès syndicaliste pour « re-coordonner les syndicats » (25 juin 1941). Mais ce dernier est refusé par les Allemands (13 août 1941). 15 La France socialiste , 21 novembre 1941. 16 Les abonnements au CSP peuvent être pris ou envoyés au siège de L’Atelier . Celui-ci annonce aussi ses réunions (voir par exemple, le numéro du 7 juin 1941). 17 Arch. PPo, 77W1383/381. 18 J.-P. Le Crom, Au secours, Maréchal ! : L'instrumentalisation de l'humanitaire (1940-1944 ), Paris, PUF, 2013, 357 p. 19 J.-P. Le Crom, Syndicats nous voilà , op. cit.

Mars 2018 • N° 67 l 5 HISTOIRE

liser aussi bien la corruption que les liens rence à l’indépendance syndicale dans une dans des articles de Lafaye, où il dénonce, interpersonnels. lecture étroite de la Charte d’Amiens. par exemple, les organes de presse qui Nombre d’anarchistes et d’anarcho-syndi - « semblent confondre Révolution nationale Avant de voir de quelle façon, et dans quelle calistes entretiennent des rapports ambi - avec réaction sociale 22 ». On en trouve aussi mesure, ces syndicalistes collaboration - gus avec le RNP. Certains y adhèrent même, une expression résumée dans les carica - nistes s’opposent concrètement aux comme Charles Dhooghe ou le responsable tures qui foisonnent dans leur presse, hommes et aux combats de la France Libre, CGT du Calvados, Marceau Degardin ; dénonçant Vichy comme réactionnaire et voyons maintenant en quoi leurs positions d’autres, par pacifisme et anticommu - allant à l’envers de la bonne voie 23 . sont en contradiction avec celles de la France Libre et de ses soutiens. nisme, en sont proches – comme Louis Lecoin – ou Le collaborationnisme syndicaliste figurent parmi ses rares sou - aux antipodes de la France Libre tiens extérieurs. Les syndicalistes collabora - Le collaborationnisme syndical dépasse les tionnistes ne critiquent jamais rangs des membres des partis parisiens. les Allemands – ce qui, à vrai Marcel Roy, par exemple, se distingue en se dire, ne serait pas possible situant dans l’entre-deux du collaboration - publiquement, s’ils en avaient nisme et du belinisme. Pacifiste intégral, cet eu le désir –, mais ils justifient ancien communiste est l’un des fondateurs toutes leurs actions au nom de de L’Atelier ; il est présent ensuite aux réu - l’Europe à construire et attri - nions préparatoires à la naissance du RNP, buent à Vichy, aux Alliés et au s’en retire après sa formation, milite au CSP blocus toutes les consé - et participe en 1943 à la fondation de la très quences négatives, telles que pacifiste Ligue de la pensée française de Caricature parue dans L’Atelier du 8 février 1941. René Château, refusant toute idée de guerre la pénurie et le pillage du pays. Surtout, ils participent aux campagnes pour le travail civile. Ce qui lui vaut de violentes attaques Gabrielle Drigeard et Denis Peschanski, en Allemagne, volontaire puis obligatoire. du RNP et de ses proches, en fin de période. examinant les « vocabulaires syndicaux » de Des délégations de syndicalistes se rendent S’il n’appartient à aucun parti, Roy ne cache L’Atelier et d’ Au travail , avaient déjà remar - outre-Rhin dans ce qui rappelle la pratique pas ses opinions collaborationnistes. Il s’en qué avec étonnement une relative modéra - des visites Potemkine en URSS avant- justifie en renvoyant à la pratique concrète tion des éditorialistes de cette presse 24 . Le guerre. Comme leurs devanciers en propa - de la classe ouvrière. Au secrétaire général mot collaboration est peu cité ; il est surtout gande, ils rendent compte de ce qu’ils pré - de la fédération des métaux de la puissante employé pour revendiquer la collaboration tendent avoir vu sur plusieurs numéros de union locale de Saint-Nazaire, qui critique de classe entre patrons et ouvriers. À consi - sa politique, il répond ainsi : leurs organes de presse, puis multiplient les dérer cette presse et les discours qui nous tournées en province pour diffuser leur « On me reproche quoi ? D’être partisan de la sont parvenus, les syndicalistes collabora - message à la base ouvrière 21 . Ils montrent collaboration économique et commerciale tionnistes sont moins virulents que les poli - l’intérêt matériel d’aller travailler en avec l’Allemagne, mais alors, il faut faire ce tiques collaborationnistes et leur presse. Allemagne, les bonnes conditions qu’y reproche à la plupart des travailleurs de la L’antisémitisme y est peu présent, réservé trouvent les ouvriers et, au-delà, font l’apo - métallurgie, et particulièrement à nos surtout à flétrir les vieux ennemis des syn - logie du modèle social nazi et de l’organisa - camarades de Saint-Nazaire […] Et puis, dicats, au premier rang desquels Georges tion « La Force par la joie » . Une partie de n’est-ce pas révolutionnaire que de recher - Mandel, dont le passage aux PTT avait sus - ces syndicalistes – de seconde zone, il est cher la collaboration économique avec tous cité une haine durable dans le milieu 25 . vrai – trouve des postes de permanents les pays quels que soient les régimes qui les L’antisémitisme est bien plus présent au dans les offices locaux de recrutement. gouvernent […]. Oui, je suis partisan de la PPF. À considérer Le Cri du Peuple , organe 20 création des États-Unis d’Europe . » Les syndicalistes collaborationnistes n’ont du parti de Doriot en zone Nord, et La Vie Ces collaborationnistes sont totalement qu’un point commun avec la France Libre : ouvrière , son organe corporatif, on est aux antipodes du gaullisme en acceptant la la dénonciation de Vichy. Toutefois, ils criti - frappé par la différence de ton. Dans le pre - victoire allemande et le mythe de la créa - quent le régime pour d’autres raisons que mier, la haine, l’appel à l’action, l’antisémi - tion d’une Europe unie, quel que soit le les gaullistes et épargnent, contrairement à tisme sont monnaie courante, structurent régime, c’est-à-dire, ici, sous la botte nazie. ceux-ci, la personne même du maréchal le discours. Le second est surtout informa - On ne saurait sous-estimer en l’affaire le Pétain et, surtout, Pierre Laval jusqu’en tif, corporatif, donnant des conseils, moins poids de la tradition anarcho-syndicaliste, 1943. Cette critique de la politique de Vichy, politique même que ne l’est L’Atelier . Même l’indifférence à la forme de l’État et la réfé - on en trouve des expressions multiples les bombardements sur les usines de ban -

20 Lettre de Roy à Jouvance, citée par J. P. Le Crom dans Le Syndicalisme dans la France occupée , op. cit. , p. 399. 21 L’Atelier et La France socialiste publient une série de ces reportages. Voir par exemple, la une du numéro du 29 mars 1941. 22 Le Progrès , 17 juillet 1943. 23 On notera que le dessinateur fétiche de L’Atelier , René Dubosc, exerce aussi au Petit Parisien et à La Vie ouvrière , organe corporatif du PPF en zone Nord. Ancien com - muniste, il ne recule pas devant l’antisémitisme, mais, notons-le, dans L’Atelier et même dans La Vie ouvrière , l’antisémitisme est rare, ce qui, en cette période, ne peut résulter que d’un choix éditorial. 24 Gabrielle Drigeard, Denis Peschanski, « Paris-Vichy : Syndicalisme légal (1940-1944) » , Mots , 1993-36, pp. 18-32. 25 L’Atelier du 20 septembre 1941, présentant positivement l’exposition « Le Juif et la France » , conclut par le fait que le Français qui la visite comprend mieux après l’avoir visité « le pourquoi des choses qui lui semblaient obscures » , quels sont les « grands hommes » réfugiés à l’étranger qui font une « besogne farouchement antifrançaise » . Il peut alors « saisir le machiavélisme des fauteurs de guerre, discerner les mobiles qui font agir les Berstein, les Gombault et autres Boris, qui, embusqués derrière les micros de Boston et de Londres s’emploient à assassiner la France, dont ils ont, en des temps pas si lointains, largement profité et abusé » . L’article n’est pas signé.

6 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

lieue, à partir de mars 1942, ne suscitent pas où l’on n’aime guère les « culottes de peau » les mêmes titres que les instruments de et les « ci-devant » , où l’antisémitisme n’est propagande des partis. pas ignoré 27 , insister sur la qualité de mili - taire du chef de la France Libre, sur les Quelles critiques envers la France rumeurs sur son entourage royaliste et juif Libre ? n’est pas sans efficacité. La presse syndicale collaborationniste n’ac - Enfin, dès lors que des communistes sont corde qu’une très faible place au gaullisme, délégués à Londres, le gaullisme est pré - incomparablement moins critiqué que senté comme leur agent. Lafaye dénonce Vichy, notons-le. par exemple la « politique communisante de l’ex général de Gaulle » dans Le Progrès Il faut attendre pratiquement la mi-1941 du 15 janvier 1944. Caricature de René Dubosc parue dans La Vie ouvrière pour voir dans L’Atelier Gabriel Lafaye faire du 24 janvier 1944. allusion au gaullisme, sous la forme péjora - Les caricatures de la presse syndicaliste libérateurs. La tragicomédie du Comité tive classique alors chez les collaborateurs aux ordres des nazis reprennent ces dissident d’Alger, la politique communi - du mot « degaulliste » . Le 31 mai, dans un thèmes. René Dubosc, ancien caricatu - sante de l’ex-général de Gaulle, le retrait de papier de L’Atelier , « Tour d’horizon fran - riste de L’Humanité , flétrit ainsi dans La Giraud, les ronds de jambe de Tassigny, les çais » , le co-directeur du journal constate : Vie ouvrière les divisions et le sectarisme désordres en Afrique du Nord, les arresta - « Un malaise profond pèse actuellement sur gaullistes. Le 15 décembre 1943, sous le tions d’hommes politiques dans cette la France. Ce malaise est un auxiliaire pré - titre « L’un qu’il faut tenir à l’œil » , il repré - région, autant d’éléments qui contribuent cieux de la propagande degaulliste et de l’ac - sente au fond d’une salle à colonnes, un à ramener à une plus saine compréhension tion antifrançaise qui l’accompagne » . Ce militaire, grand et maigre passant devant des choses bon nombre de nos compa - malaise aurait deux causes, le ravitaille - un panneau « Comité d’Alger » . Au premier triotes » (Le Progrès , 15 janvier 1944). ment et les salaires. De ces difficultés, il plan, trois personnages typés discutent. rend responsable Vichy. Le premier grand Leur dialogue est le suivant : Toutes ces attaques classiques de la presse papier s’en prenant à la France Libre, dû à collaborationniste contre la France Libre et Aimé Rey, figure en une du numéro 41 de son chef sont présentes dans les écrits et L’Atelier , le 20 septembre 1941. On peut lire : discours syndicalistes. Pourtant, redisons- « Anticommunistes, oui, pleinement d’accord, le, elles tiennent une place secondaire. mais aussi antigaullistes et capitalistes » . Vichy s’avère bien la cible principale des Ceci observé, dans les rares articles consa - syndicalistes collaborationnistes jusqu’au crés au gaullisme et à la France Libre, on printemps 1944 et nombre de critiques de retrouve une série de critiques classiques, la France Libre visent en fait ce régime et mais adaptée au milieu de destination. ses soutiens « réactionnaires » , accusés de Trois grands thèmes de propagande contre faire le jeu des Alliés, par un jeu de billard la France Libre peuvent être relevés à partir plus ou moins habile. Au mieux, contre de la lecture de la presse syndicale collabo - Vichy, les collaborationnistes appellent à ne pas confondre « républicains » et hommes rationniste et des discours prononcés. « Je le suspecte de tiédeur à l’égard du gaullisme. - Qui donc ? - De Gaulle ! » de gauche, qui ne veulent pas se renier, et Les gaullistes seraient des agents de la plou - « Un qu’il faut tenir à l’œil », caricature de René Dubosc « anglophiles » , telle La France socialiste qui tocratie anglo-saxonne et du capitalisme parue le 15 décembre 1943 dans La Vie ouvrière . accuse : « Des hommes comme M. Bernard international. Celui-ci serait en compéti - Faÿ ont tenté de confondre en une redouta - Le 24 janvier 1944, parodiant une publicité tion avec le régime national-socialiste qui a ble équivoque républicains et anglophiles. populaire pour la marque Valentine, mis selon eux une muselière à son capital Cette politique a conduit à mettre à l’écart Dubosc croque six personnages, dont un national. Ces agents du capitalisme se des hommes courageux, vieux militants de militaire et un ouvrier à casquette. Ils inscri - voient reprocher en sus de brader l’Empire la collaboration franco-allemande dont le vent chacun leur tour sur le dos de celui qui français à l’Empire britannique, privant la seul crime était d’être de gauche. Ainsi le les précèdent le mot « suspect » . France de l’une de ses dernières cartes. Ce Gouvernement a été privé de l’appui de mili - thème apparaît à l’occasion de l’affaire Le thème des membres de la France Libre tants énergiques et avertis 28 ». En jouant ce syrienne dès le printemps 1941, ressurgit « déserteurs et lâches » , très présent dans la jeu de la division des « révolutionnaires » , ce fortement après l’opération Torch en presse des partis collaborationnistes, n’est serait les ultra-vichystes qui seraient les Afrique du Nord et se retrouve régulière - guère employé ici. Mais les divisions complices de l’Angleterre, à l’instar du ment jusqu’à la Libération. internes « des dissidents » et les désordres général de Gaulle et des siens, selon eux. Ensuite, la France Libre serait peuplée de qui en résultent sont, eux, un objet d’at - Gabriel Lafaye, dans un papier intitulé militaires non républicains : « Ni de Gaulle, taques régulières contre la France Libre à « Diviser c’est trahir » , écrit ainsi en juin ni Giraud ne sont des hommes de gauche : ce partir du débarquement anglo-américain 1942, après le retour de Laval : « Aujourd’hui ne sont même pas des républicains » , lit-on à Alger. Lafaye utilise par exemple ce plus qu’hier diviser c’est trahir, c’est renforcer ainsi dans La France socialiste 26 . Venant thème pour éveiller la méfiance de ceux les espoirs des bolcheviks et de certains d’hommes qui prônent un régime autori - qui attendent la libération des anciens conservateurs gaullistes et anglophiles que taire et admirent l’Allemagne nazie, cela alliés : « La faiblesse des qualités militaires n’émeut même pas l’attaque contre peut faire sourire. Mais en terme d’effica - dont font preuve les soldats anglo-améri - Madagascar. Après 18 mois d’interruption cité, dans un milieu ouvrier et syndicaliste cains trouble ceux qui voyaient en eux des dommageables aux intérêts français, la poli -

26 « Se perdre ou se sauver » , La France socialiste , 27 novembre 1942. 27 Michel Dreyfus, L’Antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours , Paris, La Découverte, 2009, 360 p. 28 « Se perdre ou se sauver » , La France socialiste , 27 novembre 1942.

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tique de Montoire vient de renouer. Tous tature occulte des juifs, des francs-maçons et compte tenu des réalités de l’Occupation, ceux qui, hier, ont applaudi à ce grand acte des gaullistes qui pourrissent les services » . les gaullistes n’avaient que peu de place, historique comprendront où est leur devoir, La salle hurle alors : « Au poteau » , selon le même pour les dénoncer au service des celui-ci est de faire la chaîne autour compte-rendu policier. Même tonalité de la Anglo-Américains. part du chef de la rubrique sociale du Cri du d’hommes qui sont décidés avec courage et Enfin, un certain nombre de syndicalistes Peuple , pour qui « on retrouve trop souvent intelligence, à permettre à la France de se collaborationnistes sont engagés très active - dans les rouages de l’administration fran - sauver, de sauver son Empire et son avenir ment dans un autre organisme, où la dénon - çaise les Francs-maçons et les gaullistes qui en remplissant son devoir européen et en ciation envers les Alliés et les gaullistes est 29 refusant de signer sa propre déchéance . » veulent que tout aille mal pour favoriser les essentielle : le Comité ouvrier de secours dessins des ennemis de notre pays » . Pour lui, Contrairement à ce que pourrait faire immédiat (COSI). Ce dernier a été fondé en les trusts, toujours aussi puissants, « sont croire une lecture trop rapide, ce n’est pas mars 1942, après le bombardement de la alliés au communisme et au gaullisme pour l’action gaulliste qui est visée ici comme ville de Boulogne-sur-Seine, à l’initiative de barrer la route à l’ordre nouveau » . contribuant à la « division » . Elle est citée René Mesnard et Jules Teulade. Les Français comme simple repoussoir, intégrée aux Là encore, les attaques visent prioritaire - Libres y sont présentés sans nuance comme « conservateurs » , alliés avec les « bolche - ment les communistes et les Juifs, alors que complices des « assassins anglo-saxons » . La viks » . L’ennemi premier des syndicalistes les « degaullistes » et « anglophiles » vien - multiplication des bombardements du pays collaborationnistes, ce n’est pas le Vichy de nent loin derrière. permet aux syndicalistes du COSI, Mesnard Laval, mais celui de Pétain – qualifié de et Teulade en tête, de se faire une spécialité réactionnaire, revanchard et frein à la véri - Pourquoi ce relatif silence sur le « degaul - de ce thème 31 . Seulement parisien à sa nais - table politique de collaboration euro - lisme » ? Plusieurs hypothèses sont plausi - sance, le COSI essaime rapidement en pro - péenne. C’est Pétain qui fait l’objet de cette bles. vince et fonde autour de lui des comités de diatribe. Les références permanentes à la Les premières sont fonctionnalistes. Elles sinistrés qui élargissent sa surface sociale au- politique de Montoire, « acte historique » vont de la plus simpliste, la corruption, à la delà du monde ouvrier et syndical. Ici, foin fondateur de l’engagement « européen » plus scientifique, la « dérive fasciste » , de neutralité et de Charte d’Amiens, derrière selon eux, illustrent tout ce qui sépare les constatée pour des hommes politiques l’aide aux populations souffrantes, il s’agit syndicalistes collaborationnistes des comme Déat et Doriot. Mais alors, pourquoi essentiellement d’un organisme de propa - hommes de la France Libre. Toutefois, ces épargner la France Libre, si l’on est cor - gande pro-nazi, ce qui n’évite naturellement derniers ne sont même pas secondaires, ils rompu ou fasciste ? Une des explications les pas la corruption. viennent en troisième position dans le plus crédibles, selon nous, est le rôle octroyé L’apparente et étonnante modération de la rejet, après Vichy et les communistes. aux collaborationnistes par les nazis. Ils doi - critique de la France Libre par les syndica - Remarquons que les attaques contre les vent prioritairement servir d’aiguillon à listes collaborationnistes dans leur presse Anglais – accusés de piller les colonies fran - Vichy, jouer le rôle de contre-pouvoir poten - et dans leurs réunions publiques n’est que çaises et d’assassiner les Français par leurs tiel. Ils remplissent leur rôle en dénonçant relative. D’une part, les positions sont tota - bombardements – s’accentuent. Après le Vichy et en ne s’en prenant aux hommes de lement antagonistes. De l’autre, la fonction bombardement de Boulogne-Billancourt, la France Libre qu’accessoirement. première des syndicalistes collaboration - nistes est d’être au service des nazis et de Lafaye reprend dans un papier intitulé « Aux Pour autant, les causalités essentialistes ne s’opposer à Vichy. Enfin, les mêmes, dis - crucifiés de 1942 » le thème classique de la peuvent être écartées. Les syndicalistes col - crets sur le plan syndical, se targuent de propagande antibritannique nazie depuis laborationnistes qualifiés de « parisiens » leurs fonctions de défenseurs de la classe 1939, selon laquelle la « France de 1939 devait défendent, à leur façon, leurs structures ouvrière pour animer, par l’intermédiaire fournir la chair humaine » dans la guerre syndicales, l’héritage au moins matériel de du COSI, un organe de combat efficace contre l’Allemagne. Selon lui, la France de la vieille CGT. Ces hommes, républicains contre les gaullistes et surtout les Anglo- 1942 subit « un acte de “barbarie” qui est bien d’origines, mais pour une large part anti - Saxons. Mais, comment ne pas remarquer dans la caractéristique de “l’esprit” britan - parlementaires et sceptiques de longue nique » ; elle fournit l’occasion de revanche ce paradoxe de voir des syndicalistes date envers la démocratie « bourgeoise » , et de diversion à propos « du “front russe” et proches de la France Libre cohabiter aveuglés par la continuité de leurs luttes du “désastre du Pacifique” »30 . jusqu’au bout avec ces hommes dévoyés passées, se situent en permanence dans la condamnés à la Libération ? Au PPF, la tonalité est nettement plus fasci - poursuite d’un combat contre la vieille sante. Lors du « meeting corporatif » du 15 réaction française bien incarnée par Vichy : Gilles Morin février 1942, où sont présentes 1 800 per - le cléricalisme, le militarisme et la techno - sonnes au Magico-City, on trouve des cratie. Leurs critiques, le refus du corpora - Notice biographique points communs avec les milieux du RNP : tisme tel qu’il est voulu par des vichystes, le Gilles Morin est enseignant-chercheur le PPF envisage de créer le Front du travail refus des limitations des libertés syndicales, au Centre d’histoire sociale du XX e siècle. français, préconise la création de sections un anticapitalisme qui les maintient hos - Il a co-dirigé notamment, avec Christian d’entreprises, stigmatise le patronat anti - tiles ou réticents envers la Charte du Travail Chevandier, André Philip, socialiste, social et « égoïste » qui se refuse à suivre les recoupent des positions d’autres courants patriote, chrétien (Comité pour l’histoire directives données par le Maréchal et hostiles à Vichy. La question de la Charte a économique et financière de la France, récuse à la fois le capitalisme libéral et la certainement constitué un pôle de fracture 2005), et, avec Pascal Plas, Adrien Tixier, lutte des classes. Mais le ton diffère : un essentiel entre syndicalistes vichystes et 1893-1946, l’héritage méconnu d’un délégué des agents communaux de la leurs anciens camarades de la tendance reconstructeur de l’État en France région parisienne, après avoir demandé « syndicats » de la CGT. Dans cette vision (Lucien Souny, 2012). des salaires convenables, dénonce « la dic - rétrécie et datée du combat syndicaliste,

29 La France socialiste , 1 er juin 1942. 30 « Le nouveau crime britannique contre le peuple de France. Aux crucifiés de 1942 » , L’Atelier du 14 mars 1942. 31 J.-P. Le Crom, Au secours, Maréchal ! , op. cit. , consacre un chapitre au COSI, pp. 199-227.

8 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

Les syndicalistes, saboteurs de la France Libre ?

Une France Libre de gauche Malgré son rejet des catégories politiques anciennes et ses prétentions affichées à l’apolitisme, la France Libre naissante penche à droite. Il existe pourtant en son sein un petit groupe d’hommes qui restent attachés à leurs idées de gauche et militent – plus ou moins ouvertement et en témoi - gnant plus ou moins de fidélité au général de Gaulle – pour que le mouvement se fixe une ligne politique républicaine et sociale. Parmi ces hommes, on trouve le socialiste Henri Hauck, chargé des questions concer - nant le Travail et les relations avec les syndi - cats britanniques, l’ancien collaborateur de Léon Blum, Georges Boris, affecté à la direction de l’information de la France Libre et qui assure la liaison du mouvement avec la BBC à partir du printemps 1941, ou encore André Labarthe, directeur de l’ar - mement et fondateur de la revue mensuelle La France Libre , qui finira par incarner avec l’amiral Muselier une forme d’opposition interne à de Gaulle et dont tout le monde Sébastien Albertelli (cliché Mariette Buttin, coll. Christophe Bayard). ignore évidemment en 1940 qu’il travaille pour les Soviétiques. Dès l’été 1940, ces Le sabotage s’inscrit dans une double prend ses distances avec une telle arme hommes prennent la parole sur les ondes généalogie, militaire et syndicale, qui avant même le déclenchement de la de la BBC, le plus souvent dans les émis - remonte aux dernières décennies du XIX e Grande Guerre, ce sont surtout les services sions françaises du matin (6h15) destinées siècle. Cette arme, légitimée par un secrets qui travaillent à faire passer le au monde ouvrier, à l’exception de contexte de guerre – pour les uns interna - sabotage de la théorie à la pratique. Labarthe, qui prend souvent la parole dans tionale, pour les autres sociale – est alors celles du soir. progressivement conceptualisée : il s’agit Lorsque la France Libre voit le jour au Ce petit noyau de gauche professe ainsi une d’une atteinte volontaire et consciente à cours de l’été 1940, elle entend fonder son foi intacte dans la capacité du monde des biens matériels, qui fait l’économie ambition politique – incarner la vraie ouvrier à demeurer un acteur majeur de d’un affrontement direct et physique avec France – sur sa contribution militaire à la l’histoire et à défendre les valeurs démocra - l’adversaire ; le sabotage s’inscrit dans une victoire future. Le général de Gaulle, qui tiques bafouées par l’occupant. Il est stratégie, définie par une organisation doit composer avec l’extrême faiblesse de convaincu qu’un « esprit de lutte et de résis - dont l’activité est marquée du sceau du ses moyens au regard d’une telle ambition, tance » subsiste ou renaît en France et que secret et du clandestin ; enfin, sa valeur opte pour une stratégie de présence, qui le les ouvriers constituent le cœur et même la stratégique repose sur la disproportion conduit à disperser ses maigres troupes troupe de choc de cette résistance en gesta - entre la faiblesse des moyens – humains et sur l’ensemble des fronts sur lesquels tion 1. Ces hommes puisent dans l’histoire – matériels – engagés et l’ampleur des effets combattent ses alliés, sur terre, sur mer et syndicale et militaire – des raisons d’espérer attendus, ce qui le rend particulièrement dans les airs. À côté de ces fronts tradition - que les ouvriers en général, et les syndica - adapté au contexte d’une lutte du faible nels émerge lentement un front clandes - listes en particulier, peuvent se muer en contre le fort. En somme, le sabotage est tin, en France même, sur lequel la France saboteurs au service de la France Libre. Ils l’arme des faibles, même si les puissants Libre peut espérer peser sans engager les les invitent à se replonger « dans l’histoire ne dédaignent pas d’en faire usage. gros bataillons dont elle ne dispose pas. Dans cette perspective, le sabotage – arme du mouvement ouvrier » et dans « les bro - Les similitudes sont telles que les mili - des faibles, répétons-le – s’impose comme chures syndicalistes » du début du siècle taires, malgré leurs réserves à l’égard d’un l’une des armes idéales de la France Libre, pour y redécouvrir le sabotage, une tech - 2 mot issu du monde syndical, finissent eux au côté du renseignement qui doit per - nique de combat à leur portée . Ils font aussi par parler de sabotage après la mettre aux troupes alliées de préparer leur grand cas du précédent de la Grande Guerre, au cours de laquelle techniciens et Première Guerre mondiale pour désigner débarquement sur le sol français. non plus seulement des actions à leurs ouvriers français auraient sans relâche yeux condamnables de la mouvance révo - Comment les hommes de la France Libre saboté la production destinée à l’occupant lutionnaire, mais certaines destructions s’engagent-ils dans cette voie et quelle dans les provinces du Nord 3. À leurs yeux, orchestrées par les services secrets. Bien place accordent-ils aux syndicalistes dans l’histoire se répète : puisque l’occupant plus, alors que le mouvement ouvrier leurs projets ? exploite à son profit les industries et les

1 Wilfred Pickles, « Call for information » , BBC, 30.1.41 ; André Labarthe, « Aux ouvriers français » , BBC, 29-30.12.40. 2 W. Pickles, « Industrial non-cooperation » , BBC, 28.3.41. 3 A. Labarthe, « Saboteurs of 14-18 » , BBC, 5.9.40.

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réseaux de transport français, qui ne peu - de Gaulle a mis sur pied un état-major, bien au-delà des rangs des seuls saboteurs. vent fonctionner qu’avec de la main d'œu - dont le 2 e Bureau, confié au capitaine « Des représailles que rien ne justifie , vre française, ils veulent croire que « le Dewavrin, alias Passy, constitue l’em - explique-t-il, présentent l’avantage d’exas - sabotage est le point faible de l’appareil bryon des futurs services secrets, par la pérer les populations qui, comprenant militaire 4 ». Cette technique offre à des suite connus sous les noms successifs de qu’elles n’ont plus rien à perdre, sont mûres civils, dans le cadre habituel de leurs activi - Service de Renseignement (SR, avril 1941) pour un soulèvement général 12 ». tés professionnelles ou à raison de leurs et de BCRA (1942). Dès le 24 juillet 1940, Au cours des dernières semaines de 1940, connaissances et de leurs compétences, Passy envisage de créer « des foyers de le 2 e Bureau noue des relations avec le l’opportunité de porter des coups directs à résistance clandestins » en France pour SOE, le service britannique chargé de la l’ennemi. « L’arme du sabotage , affirment- organiser « le sabotage sur des bandes guerre subversive, qui assurera la forma - ils, habilement et savamment employée, étendues de territoire 10 ». Mais le chef de la tion au parachutisme puis au sabotage peut renverser les plans les mieux préparés France Libre, qui est de ce point de vue un des agents recrutés par les Français des tyrans nazis 5 ». Les appels se multi - militaire traditionnel, s’intéresse peu à ces Libres. Ces contacts sont formalisés au plient donc pour que les ouvriers saisissent services secrets, encore moins au sabo - cours de l’été suivant, le SR et le SOE col - cette opportunité de jouer un rôle décisif tage, et il s’applique dans un premier laborant désormais pour envoyer en dans la guerre. Les orateurs de la BBC sont temps à les cantonner dans leur activité France des agents clandestins chargés soit au demeurant convaincus que les ouvriers de renseignement. de mener eux-mêmes des opérations de n’ont pas attendu pour saboter la produc - Cela n’empêche pas Passy de poursuivre sabotages, soit d’établir une liaison avec tion industrielle destinée à l’occupant, sa réflexion. Son intérêt pour le sabotage des groupes de résistants afin de préparer voire pour couper les lignes télégraphiques est renforcé par les renseignements qu’il des sabotages destinés à faciliter un ou déboulonner les rails des voies ferrées 6. reçoit de France. Ceux-ci attestent que les débarquement en France. S’ils se refusent à leur donner des conseils groupes de résistance qui se développent et encore moins des consignes précises, ils Le SR partage avec le petit groupe de sont décidés à agir, y compris de manière les encouragent à redoubler d’effort : gauche qui s’exprime à la BBC le constat violente. Quelques rares émissaires attei - que le patriotisme qui renaît en France « La lutte continue sous d’autres formes, gnent Londres et le confirment, à l’exem - après le choc de l’été 1940 est « fonction c’est la guerre muette, c’est la guerre silen - ple de l’abbé Dartein, dépêché par un inverse des intérêts » , c’est-à-dire que les cieuse, c’est la guerre indirecte, c’est la groupe de résistants de . Celui- classes moyennes, les paysans et les guerre obstinée […]. C’est le sabotage qui ci s’appuie sur l’expérience de l’armée ouvriers se révèlent les plus hostiles à l’oc - est l’arme la plus redoutable et la plus française dans la Ruhr, en 1923 : cupant et les plus favorables à une victoire sûre. […] Si vous gagnez la guerre muette « En pays occupé , explique-t-il, le com - britannique 13. Il se refuse toutefois à en du sabotage, vous aurez gagné une grande mandement vit dans la crainte des sabo - tirer les mêmes conclusions et notam - bataille humaine 7. » tages organisés car il sait que, pour y faire ment à considérer qu’il pourrait utiliser « Français ! […] Votre devoir est de saboter, les syndicalistes comme saboteurs. Son de saboter tout ce qui est destiné à l’en - face, il lui faudrait des effectifs en quantité idée est que les Français rejettent tout ce nemi. […] Chaque métier, chaque usine, imprévisible et que, fixé sur place, il serait qui rappelle la III e république – à com - chaque village doit avoir son régiment dans l’incapacité de manœuvrer. Il devient mencer par les partis et les syndicats – et secret de saboteurs 8. » donc nerveux et surmène la troupe que gagne sa propre inquiétude et qui a l’im - que la France Libre se condamnerait à Pour ces adeptes de gauche, la France pression, très déprimante, d’être à la merci l’échec si elle tentait d’aller à l’encontre de Libre doit donc s’appuyer sur les troupes de la population ennemie qui, par sa seule cette tendance. La Direction des Affaires ouvrières et syndicales pour saboter la masse, pourrait la submerger en se refer - Politiques, pourtant créée fin 1940 pour machine de guerre allemande et elle doit mant sur elle. […] Les sabotages doivent « mettre sur pied une organisation de la d’une manière plus générale lier son donc toujours avoir au moins l’apparence France Libre couvrant les anciennes ou action aux syndicalistes et aux socialistes, d’avoir été organisés c'est-à-dire effectués nouvelles formations politiques, sociales, qui jouent d’après eux un rôle majeur d’après un plan général 11 . » religieuses, économiques, professionnelles, dans « le redressement moral » du peuple intellectuelles » , partage ce point de vue. français 9. La France Libre doit donc défi - Dartein ajoute deux arguments en faveur nir une ligne politique qui tienne compte du sabotage qui seront à la base du dis - Toute démarche en direction des syndi - des aspirations ouvrières. cours des résistants les plus activistes calistes est exclue. Laurent Douzou a jusqu’en 1944 : d’une part, la pratique du retracé les conditions dans lesquelles, Le sabotage sans les syndicalistes sabotage permet d’aguerrir les volontaires ; début 1941, Henri Hauck parvient à d’autre part, le système des otages auquel convaincre de Gaulle de nouer des Au sein de la France Libre, un autre l’ennemi est contraint de recourir permet contacts avec les organisations ouvrières groupe s’intéresse au sabotage. Le général d’impliquer la population dans le combat résistantes, indépendamment du service

4 A. Labarthe, « Il faut apprendre à saboter » , doc. cit. 5 Cité in Ping, « Railway resistance » , French Service, BBC, 8.9.42. 6 Georges Boris, Les Français parlent aux Français, BBC, 21.12.40 ; Henry Hauck, « Advice » , BBC, 26.12.40. 7 A. Labarthe, « Il faut apprendre à saboter » , Honneur et Patrie, BBC, 9.8.40. 8 A. Labarthe, Les Français parlent aux Français, BBC, 12.4.41. 9 H. Hauck, Note au général de Gaulle, 24 octobre 1940, Archives nationales (AN) 3AG1/257. 10 Passy à de Gaulle, 24.7.40, AN 3AG2/7. 11 « Souvenirs de la Ruhr (1923-1924) » , 10.2.41, AN 3AG2/230. 12 Ibid. 13 2e Bureau, « Rapport de quinzaine » [ci-après RQ], 16 novembre 1940 ; RQ, 1 er décembre 1940, Service historique de la Défense (SHD) TTC10 ; Déclaration des socialistes français, « quelque part en France » , septembre 1940, AN 3AG1/278/1.

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de Passy. Hauck recrute un jeune syndi - du sabotage qu’en sa défaveur – est désor - caliste, Yvon Morandat, mais, faute de mais mobilisée pour souligner que l’orga - moyens opérationnels et faute d’un nisation et la discipline l’ont toujours accord avec des services britanniques emporté sur les « mouvements violents et eux-mêmes divisés à l’idée de contacter mal préparés » qui ne conduisent qu’à des des syndicalistes, il ne parvient pas à l’en - échecs sanglants 20. Le sabotage reste de voyer en France. Il en rejette toute la faute mise, mais on insiste désormais sur le fait sur le SR et l’état-major, auxquels il prête qu’il doit être insaisissable : « des sympathies politiques d’extrême droite » et auxquels il reproche d’aliéner « Rappelez-vous donc, camarades, que les au gaullisme « les sympathies des masses gestes les plus spectaculaires ne sont pas populaires » et de « rejeter les ouvriers toujours les plus utiles. Rappelez-vous, français vers le bolchevisme 14 ». camarades cheminots, […] qu’un train déraillé, un pont détruit, s’ils sont de De fait, même si les archives ne sont pas magnifiques gestes de résistance, s’ils très loquaces sur le sujet, les rares éléments constituent de magnifiques avertissements épars dont on dispose confirment l’hostilité aux nazis et aux traîtres, ne valent pas du SR à l’idée de s’appuyer sur les syndica - autant, s’ils ont coûté des vies françaises, listes en France. Dès 1940, l’un des premiers que des gestes moins ambitieux, répétés dix agents du service, Raymond – Gilbert fois, cent fois, mille fois si vous le voulez 21. » Renault, le futur colonel Rémy – laisse libre cours à ses opinions réactionnaires et André Labarthe (coll. La Documentation française). Le BCRA partage ces appels à ne pas se manifeste son dégoût à l’idée de contacter lancer inconsidérément dans l’action, les anciens leaders syndicalistes 15. Peu des communistes parmi les saboteurs, mais il ne peut s’en contenter car son rôle après, un autre agent majeur, Pierre dont chacun est vite convaincu, et la vio - est de rechercher des hommes prêts à exé - Fourcaud, affirme que les activités syndi - lence de la répression conduisent le petit cuter des sabotages, bien visibles ceux-là cales sont « réduites à zéro » , que René Belin groupe de gauche au sein de la France – notamment contre les voies ferrées –, – ancien cadre de la CGT nommé ministre Libre à modérer son ardeur en faveur du pour entraver l’acheminement des ren - du Travail par Pétain – est populaire et que sabotage. Les appels lancés en direction forts allemands vers les zones où les si les ouvriers sont dans l’ensemble anglo - des syndicalistes s’accompagnent désor - troupes alliées débarqueront en France. philes, ils sont surtout « très apathiques 16 ». mais d’exhortations à la prudence. « Le Où trouver de tels saboteurs ? La réponse Au même moment, Passy confie à son jour - courage est de savoir durer » , explique qu’il apporte à cette question au cours des nal intime son inquiétude face au « pas du Labarthe : il faut donc être prudent et premiers mois de 1942 marque un chan - général vers les milieux syndicalistes 17 ». Les « apprendre à saboter » avec intelligence 18. gement radical de posture. plans qu’il élabore au cours de l’été 1941 et Le sentiment qui domine est que l’ur - Plusieurs éléments expliquent cette évo - qui sont confirmés au cours de l’automne, gence commande désormais de calmer lution. En premier lieu, les mouvements notamment avec Jean Moulin, reposent les ardeurs des plus activistes. Wilfred de résistance, sur lequel il comptait donc sur l’utilisation comme saboteurs des Pickles explique le 2 septembre 1941 : jusque-là s’appuyer, suscitent alors une membres de groupes de résistants auxquels certaine désillusion : plusieurs agents qui il ne prête aucun antécédent militant et « Nous honorons, nous remercions ces mil - reviennent de mission en France estiment auprès desquels il a commencé à envoyer liers de héros anonymes qui font dérailler qu’ils sont pour l’essentiel inutilisables des équipes de liaison. les trains et sauter les convois, qui incen - dient usines et entrepôts, qui sabotent de sur le plan militaire, notamment en raison de leurs ambitions politiques et de leurs Revirements façon systématique et obstinée l’industrie et les transports français vendus aux lacunes en matière de sécurité. Le BCRA L’attaque de l’URSS par l’Allemagne en Allemands. Nous comprenons votre colère, et le chef d’état-major concèdent auprès juin 1941 a de profondes répercussions en nous admirons votre courage, nous parta - des Britanniques qu’ils ont surestimé le France : les appels au sabotage venus de geons votre résolution, mais nous nous potentiel des mouvements de résis - 22 Moscou se multiplient et sont répercutés permettons de glisser au milieu des tance . Un tel constat les place dans une dans L’Humanité clandestine. Surtout, les applaudissements et des remerciements situation d’autant plus difficile que – et c’est le deuxième élément du contexte – sabotages se multiplient effectivement, quelques conseils de prudence. La résis - ils n’excluent pas qu’un débarquement notamment contre les voies ferrées et les tance active est importante, mais les com - puisse intervenir en France dès 1942. Un lignes électriques. Ils contribuent, avec bats de demain le seront davantage, et les l’assassinat de soldats allemands, à sentiment d’urgence s’empare donc vies françaises sont précieuses 19. » accroître considérablement la tension en d’eux. Dans ces conditions, nécessité fait zone occupée, où les Allemands exécutent La tradition syndicale – qui contient en loi et la position du BCRA à l’égard des désormais des otages. La prééminence définitive autant d’arguments en faveur syndicalistes s’infléchit nettement. Déjà,

14 Henry Hauck, Rapport au général de Gaulle, septembre 1941, doc. cit. 15 Rémy, « Annexe supplémentaire D… » , 1 er octobre 1940, doc. cit. 16 « Informations communiquées par F.98 [Lucas] » , 23 décembre 1940, doc. cit. 17 Carnet personnel de Passy, entrées des 11 et 14 janvier 1941, AP Daniel Dewavrin. 18 A. Labarthe, 9.8.40, doc. cit. 19 W. Pickles, « Thanks to Railwaymen » , French Labour Talk, BBC, 2.9.41. 20 H. Hauck, « What you can do » , French News Talk, BBC, 30.9.41. 21 W. Pickles, 2.9.41, doc. cit. 22 Lettre de Billotte à Sporborg, 7 avril 1942, AN 3AG2/173.

Mars 2018 • N° 67 l 11 HISTOIRE

en septembre 1941, le plus important des L’agent de renseignement vedette de potentiel militaire des mouvements de agents de liaison en France avait indiqué Passy revient à Londres fin février 1942. résistance, l’arrivée « de mandataires des que les chefs de la CGT seraient prêts à Parmi la multitude de contacts qu’il a syndicats ouvriers et des communistes collaborer avec la France Libre s’ils dispo - noués en France, il mentionne Christian français venant se mettre aux ordres du saient à Londres d’un homme comme Pineau, avec lequel il a pu s’entretenir à Général de Gaulle » éclaire la situation Léon Jouhaux, capable de « les rassurer sur plusieurs reprises. Il explique que son « d’un jour nouveau 25 ». En pratique, le le développement politique futur » . Le pro - interlocuteur, entièrement acquis à la BCRA mise toutefois davantage sur les pos n’avait pas eu de suite, mais l’idée res - cause de la France Libre, dirige le mouve - troupes communistes que sur les syndica - surgit début 1942. De retour à Londres ment Libération, qui regroupe les trois listes de pour procéder à après une longue mission en France, le grands syndicats ouvriers de zone Nord et des sabotages. En témoigne le vaste plan socialiste André Weil-Curiel signale que attend d’être convoqué à Londres pour se qu’il met sur pied pour exploiter le poten - Jouhaux n’a cessé « de prêcher la résis - mettre aux ordres du général de Gaulle 24. tiel communiste, plan qui ne débouchera tance » et désire venir se mettre à la dispo - Un tel ralliement est évidemment porteur en pratique sur rien de concret. sition du général de Gaulle 23. Par ailleurs, de profondes implications politiques, qui on l’a dit, le BCRA est convaincu depuis se matérialisent par le célèbre Manifeste Mais l’intérêt du BCRA pour les syndica - longtemps que les milieux populaires sont aux mouvements que le chef de la France listes est néanmoins conforté en mai 1942 ceux qui rechignent le moins à s’engager Libre remet à Pineau avant son retour en par l’arrivée à Londres d’Emmanuel concrètement dans l’action violente. France, véritable profession de foi démo - d’Astier de la Vigerie, fondateur et chef du L’idée s’impose alors, au cours du prin - cratique qui matérialise la rupture avec mouvement Libération en zone Sud cette temps 1942, que la capacité des services l’apolitisme de la première France Libre. fois. Parmi les premières organisations de gaullistes à concrétiser rapidement leurs Mais l’impact du séjour de Christian résistance, ce mouvement se distingue par projets en matière de sabotage dépendra Pineau à Londres, de fin mars à fin avril, l’importance qu’il accorde au monde du largement des contacts qu’ils auront n’est pas seulement politique : le BCRA travail : dès novembre 1941, d’Astier a noués avec les forces organisées qui sub - s’applique à le convaincre de travailler conclu avec Léon Jouhaux un accord déci - sistent chez les communistes mais aussi pour lui, non seulement pour monter un sif qui lui donne accès à un vivier de recru - 26 chez les syndicalistes. Le moindre des ou plusieurs réseaux de renseignement, tement inespéré . À son arrivée à Londres, paradoxes n’est pas que la concrétisation mais pour recruter des saboteurs. Le ser - il réalise que ses interlocuteurs attendent de cette inflexion doive beaucoup aux vice présente ainsi Pineau au SIS – le ser - beaucoup de lui en matière de sabotage. À contacts noués par Rémy, l’un des agents vice de renseignement britannique – mais défaut de pouvoir faire état de résultats du BCRA les plus anticommunistes et les aussi au SOE, en expliquant à ce dernier spectaculaires, il met l’accent sur les possi - plus hostiles aux syndicats. que, s’il a effectivement surestimé le bilités immenses qu’il prête à son mouve - ment dans ce domaine et il demande qu’on lui fournisse, « industrie par indus - trie, des consignes de sabotage » qu’il se propose de faire diffuser par son journal 27. Au cours des mois suivants, les cadres de Libération approfondissent cette ques - tion, rédigeant des circulaires, parfois très détaillées, pour orienter le sabotage dans chaque secteur économique. Comme les syndicalistes qui s’expriment à la BBC, il concentre toutefois son attention sur le sabotage insaisissable . En définitive, ce printemps 1942 apparaît à bien des égards comme une parenthèse dans les projets du BCRA : les espoirs que le service place dans les syndicalistes recu - lent ensuite rapidement, tandis que ceux placés dans les mouvements, un temps abandonnés, reprennent de la vigueur. Le travail de Jean Moulin, sur le terrain, est essentiel dans le lien qui se tisse, enfin, entre les mouvements et les services de la France Libre. La création de l’Armée Secrète, début octobre 1942, avec des troupes issues des mouvements, atteste de André Dewavrin, alias le colonel Passy (le deuxième à partir de la droite), au sein de l’état-major du général Koenig ce retour à l’idée initiale du BCRA : l’action (assis), commandant supérieur des forces françaises en Grande-Bretagne et commandant des Forces françaises de l’intérieur, en mai-juin 1944. À leurs côtés, de gauche à droite : Bernard Dupérier, Pierre de Chevigné, Pierre Lucas violente repose avant tout sur les mouve - et Roger Raulin (Rue des Archives). ments de résistance.

23 Interrogatoire d’André Weil-Curiel, Gibraltar, 7 janvier 1942, SHD TTC 41. 24 Rémy, Situation générale en France occupée au 25 février 1942, s.d., Livre Blanc du BCRA, chap. 8. 25 Lettre de Billotte à Sporborg, 7 avril 1942, doc. cit. 26 L. Douzou, La Désobéissance. Histoire du mouvement Libération-Sud , Paris, Odile Jacob, 1995, pp. 86-89 et 190. 27 « Rapport Bernard » , Londres, 20.5.42 ; Rapport verbal de M. Bernard à M. Pleven, Londres, 20.5.42, AN 3AG2/378.

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sionnelle, le « goût de l’ouvrage bien fait 28 », de destruction 31 ». Rien ne permet toutefois l’attachement à l’instrument de travail et de croire que l’Action ouvrière (AO) organi - qui donne la priorité à l’action collective sur sée par les mouvements dans le monde du l’action individuelle. Si le BCRA ne travail prône une action très différente de dédaigne pas le sabotage insaisissable , l’ac - celle des syndicats clandestins : bien plus cent mis par les syndicalistes sur cette que le sabotage, elle aussi privilégie la pro - forme de sabotage ne peut pleinement pagande et le travail d’organisation en vue satisfaire un service d’état-major qui d’une grève 32 , une position qui leur vaut entend évaluer l’action menée sur le terrain évidemment d’être taxés d’attentisme par pour pouvoir la piloter et la contrôler. Le les communistes, bien plus portés, on le service peut observer que c’est dans les sait, à l’action immédiate. mouvements les plus directement liés aux En définitive, il est possible de repérer des syndicalistes que les groupes-francs, char - cas dans lesquels des ouvriers syndicalistes gés notamment de procéder à des sabo - contribuent à des sabotages. C’est le cas par tages sans attendre, se développent le plus exemple d’une équipe fournie par la CGT et lentement et le plus difficilement 29 . Il est formée par l’instructeur du BCRA Edmond bien placé pour constater que les dirigeants Leylavergne ( Plantoir ) qui procède au syndicaux non communistes sont très sabotage de l’usine de roulements à billes réservés à l’égard du sabotage et restent SKF d’Ivry, le 17 mai 1944. Mais dans l’en - fidèles à une tradition qui privilégie le tra - semble, l’espoir des services londoniens, vail d’organisation, la propagande et la soulevé par la venue à Londres de Christian André Philip le 17 août 1965 (DNA). grève. Fin 1943, Marius Vivier-Merle, l’un Pineau au printemps 1942, d’utiliser la des dirigeants de la CGT clandestine, masse des ouvriers syndicalistes comme Le service n’abandonne pas tout espoir explique qu’il redoute d’engager les saboteurs n’aura pas véritablement d’utiliser les syndicalistes comme sabo - ouvriers dans une action prématurée, au dépassé le stade des promesses. teurs, mais il n’en fait pas la pierre angulaire risque d’aggraver les souffrances de la de ses plans. Au demeurant, il prend classe ouvrière et, en définitive, de compro - Sébastien Albertelli conscience que si le sabotage a effective - mettre l’avenir du mouvement syndical 30 . ment été conceptualisé comme arme au Installé à Londres pour représenter la CGT sein de la CGT dès la fin du XIX e siècle, les à partir du printemps 1943, et préoccupé réticences qu’il a rapidement suscitées au avant tout d’organiser la lutte contre « la Notice biographique sein du monde syndical restent vivaces. Les déportation des ouvriers en Allemagne » , Sébastien Albertelli est agrégé et docteur mêmes réserves qui s’étaient exprimées Albert Guigui évoque très peu la question en histoire. Il a publié notamment Les avant même la Grande Guerre ressurgis - du sabotage dans ses interventions à la Services secrets du général de Gaulle sent : elles sont suscitées par la peur du BBC. À son arrivée à Londres, il explique à (Perrin, 2009, rééd. poche Nouveau gendarme, bien sûr, mais aussi par la André Philip et au général de Gaulle que Monde éditions, coll. Chronos, 2017), crainte – particulièrement forte chez les Jouhaux prône une répartition des rôles Atlas de la France Libre (Autrement, 2010) cheminots – de porter préjudice à des civils entre les organisations syndicales, qui doi - et Histoire du sabotage de la CGT à la français plutôt qu’à des militaires alle - vent « recommander aux ouvriers de freiner Résistance (Perrin, 2016). Il prépare actuel - mands ; elles plongent également leurs la production par tous les moyens adé - lement un travail sur les femmes engagées racines dans la culture syndicale elle- quats » , et les mouvements, auxquels dans le Corps des volontaires féminines. même, qui valorise la conscience profes - incombe la responsabilité des « sabotages

28 H. Hauck, « What you can do » , French News Talk, BBC, 30.9.41. 29 « Rapport AX03 » , « Historique » & « Services spéciaux » , Londres, 12.10.42, AN 3AG2/378 ; Courrier AX03 du 22.11.42, doc. cit. 30 Alban Vistel, La Nuit sans ombre , Paris, Fayard, 1970, p. 273. 31 Albert Guigui, Mémorandum adressé au général de Gaulle, Londres, 22.3.43, in B. Georges et alii, Léon Jouhaux dans le mouvement syndical français , Paris, PUF, pp. 397-405. 32 A. Vistel, La Nuit… , pp. 270-272.

Appel à contributions Héritière de la Revue de la France Libre , organe de l’Association des Français Libres de 1946 à 2000, Fondation de la France Libre publie des articles consacrés à l’histoire de la France Libre, de son chef, le général de Gaulle, de ses membres et de ses combats, jusqu’à la victoire de 1945. Longtemps organe de la mémoire française libre, la revue se veut aujourd’hui un relais entre cette mémoire, la recherche scientifique et la vulgarisation de la connaissance historique. Les auteurs désireux d’y contribuer doivent adresser leurs propositions d’articles : à l’adresse électronique suivante : [email protected] ou par courrier postal à : Fondation de la France Libre • 16, cour des Petites-Écuries • 75010 Paris.

Mars 2018 • N° 67 l 13 HISTOIRE

Jean Moulin et les contacts avec les syndicats

apportant ainsi à son pays et à la cause Rex dans la capitale en avril 1941 puis en alliée, une contribution exceptionnelle. 1942. Par son action tenace et continue, est l’un La mobilisation pour la fête du Travail le 1 er des artisans de la réunion des combattants mai 1942, la stratégie à adopter face à la français de l’intérieur et de l’extérieur. relève, la réquisition de la main d’œuvre et A été à la base des manifestations de résis - la réunification syndicale sont les axes tance patriotique des 1 er mai et 14 juillet en principaux de l’action de Jean Moulin. France non-occupée qui ont permis d’affir - mer au monde, l’existence d’une seule 1. Les grandes manifestations du France combattante 2. » 1er mai 1942 Si l’unification de la Résistance est la ligne Le 18 avril 1942, Pierre Laval, de retour au forte de Jean Moulin dans le premier pouvoir avec l’appui des occupants, semestre 1943, dont la composante syndi - affirme ses convictions et sa volonté de col - cale, ses contacts et ses activités dans ce laborer davantage avec l’Allemagne dans domaine sont plus ténus et plus souter - son combat contre le bolchévisme, impli - rains en 1942 et découlent à la fois des quant ainsi toujours plus la France à l’effort ordres de Londres et du cours de la guerre. de guerre du III e Reich. Manifester à l’occa - L’ordre de mission rédigé par le général de sion de la fête du Travail, c’est opposer une Gaulle « est d’intensifier l’action actuelle de France résistante à un gouvernement qui propagande, d’élargir le nombre et la répar - s’enfonce de plus en plus dans la collabo - ration et la répression. Christine Levisse-Touzé (coll. Fondation de la France tition sociale de ses adhérents de base et de Libre). sympathisants [...], de réunir tous rensei - L’idée des manifestations du 1 er mai et 14 gnements intéressant la situation morale, juillet 1942 est à imputer au Mouvement On croit tout connaître du travail clandes - matérielle et sociale de la France, l’action de ouvrier français (MOF), organisation mise tin du représentant personnel du général l’ennemi, celle du gouvernement de Vichy et sur pied par Jean Moulin et Yvon de Gaulle. Mais l’action de Jean Moulin en de ses fonctionnaires. » Le représentant per - Morandat. Secrétaire général du syndica - direction des syndicalistes et des syndi - sonnel du chef de la France Libre pour la lisme chrétien de Savoie avant-guerre, cats est méconnue, voire ignorée, même si zone non directement occupée de la Français Libre, ce dernier a été envoyé en 3 elle a été un passage obligé de l’unifica - métropole a choisi une bonne fois pour zone non occupée, fin novembre 1941, par tion des composantes de la Résistance toutes de se mettre au service de l’homme le général de Gaulle pour contacter la dans la mise sur pied du Conseil de la du 18 juin d’octobre 1941 à sa disparition. CFTC et la CGT. Il rassemble les travailleurs Résistance. C’est l’objet de cette étude qui Il ne varia jamais dans son action et s’as - chrétiens et les ex-confédérés. Cette créa - ne prétend pas à l’exhaustivité durant sura de la diversité des opinions, condition tion, au printemps 1942, répond à la 4 cette année période charnière du prin - de la vie démocratique . volonté des syndicalistes résistants de développer une action autonome avec les temps 1942-printemps 1943. Les archives nationales, et plus spécifique - appuis considérables des composantes du ment le fonds du BCRA, conservent les Le rapport du colonel Passy proposant monde du travail. Y siègent des personnali - câbles de Rex attestant de son intérêt et de d’attribuer à Rex 1 la croix de compagnon tés ès qualités, André Philip, Augustin son travail vers les milieux syndicaux. Au de la Libération du 17 septembre 1942 Laurent, Pierre Viénot pour les socialistes, premier semestre 1942, il s’attache à doter invite à la réflexion : « Chef de mission à Robert Lacoste, co-rédacteur du manifeste la Résistance de structures nouvelles donner en exemple. Venu de France par ses des douze signé avec Christian Pineau en (bureau d’information et de presse, ser - propres moyens, en surmontant de nom - novembre 1940, Raymond Perrier pour la vices de parachutages et de transmissions breuses difficultés, pour permettre d’établir CGT et Marcel Poimbœuf pour la CFTC : il pour maintenir le lien vital avec Londres, la liaison entre les F.F.C. et les mouvements regroupe pour l’essentiel les leaders syndi - comité général d’études…), pour assurer la de résistance, est reparti dans des conditions caux de la région lyonnaise. mainmise sur les mouvements. Jean particulièrement périlleuses. Moulin est aussi le chef pour la zone non Jean Moulin, qui a été préfet, sait mieux « Quoique accidenté à son arrivée et séparé occupée de tous les éléments dépendant que personne quel peut être l’effet négatif de ses camarades de travail, a néanmoins de la France Libre, avec pour adjoint Henri de ce genre de manifestations si les grâce à ses hautes qualités de courage et de Manhès, alias Frédéric, connaissance ami - Français ne soutiennent pas de Gaulle et la sang-froid, réussi à accomplir sa mission. cale du cabinet de Pierre Cot qui s’appuie Résistance ; il se laisse finalement convain - A permis par un travail particulièrement sur Pierre Meunier et Robert Chambeiron. cre par Yvon Morandat qui défend opiniâ - constructif le regroupement et l’organisa - Des contacts sont noués tôt en zone occu - trement cette opération 5. Le cégétiste Louis tion des éléments de résistance français pée et nourris de séjours épisodiques de Saillant et le chef fondateur du mouve -

1 Pseudonyme de Jean Moulin. 2 Archives de l’Ordre de la Libération, dossier Jean Moulin : le rapport est adressé au lieutenant-colonel Billotte, chef de l’état-major particulier du général de Gaulle. 3 Daniel Cordier, Jean Moulin, la République des Catacombes , Paris, Gallimard, 1999. p. 152. 4 Daniel Cordier, op. cit. , p.132 5 Yvon Morandat, Souvenirs inédits , Les Cahiers de l’IHTP , septembre 1994, n° 29, Paris, CNRS, pp 106-107.

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émissions ouvrières, Henri Hauck 7, dési - Georges Boris 13 insiste : « Français le 1 er mai, gné par de Gaulle pour représenter la vous ferez connaître que vous n’avez pour France Libre au Bureau international du l’Ordre nouveau et pour la collaboration travail, caution syndicale de la France comme pour la Révolution nationale Libre. Le texte de la proclamation est qu’horreur, dégoût ou mépris. Vous signifie - adressé au Comité national français de rez à Hitler comme à Laval, comme à Londres pour approbation et transmis aux Pétain, votre choix. Vous affirmerez votre foi principaux journaux clandestins : « Encore dans les destinées de la France, dans les un Premier Mai de guerre » . principes de justice qu’elle représente aux yeux du monde, vendredi soir, en passant Maurice Schumann le lit le 29 avril : « C’est silencieusement et individuellement à par - en France même que le Mouvement ouvrier tir de 6 heures et demie devant les statues de français vous a adressé l’appel que nous la République, images de la France, pays de allons vous répéter « Français manifestez le liberté, et devant les mairies, centres et sym - 1er mai ! Pour la dignité des travailleurs ! boles de la communauté française, libre, Pour un ordre plus juste ! Pour la France égale et fraternelle 14. » libérée dans une humanité affranchie ! Passez silencieusement et individuelle - En France, les syndicats clandestins sor - ment à partir de 18 heures 30 le 1 er mai tent de leur réserve pour affirmer leur sou - er devant les statues de la République et les tien fraternel, le 1 mai, à la Fédération mairies. » L’appel que nous venons de vous syndicale mondiale et aux travailleurs du monde libre : « Notre pays est toujours en répéter a été lancé en France même par « le guerre. Notre représentant, le représentant Mouvement ouvrier français » . Faites-le du peuple de France – le général de Gaulle – Pierre Viénot, à son bureau de sous-secrétaire d’État connaître autour de vous 8. » aux Affaires étrangères, en 1936 (cliché de l’agence de combat aux côtés des Alliés » . presse Meurisse, BnF). Les grands journaux clandestins de la À l’issue des manifestations du 1 er mai Résistance, Libération , Franc-Tireur , 1942, tandis que les exhortations, à Thiers, ment Libération, Emmanuel d’Astier de la Combat , L’Humanité , l’ Avant-Garde , La Vie de Pétain aux travailleurs pour la solidarité Vigerie, sont réservés. Ouvrière , le diffusent largement, tandis que nationale laissent indifférents, au total, les le MOF, le Comité d’action socialiste et les Les cortèges et toutes les réunions grandes villes ont montré leur mobilisa - mouvements de résistance, par tracts et publiques ont été interdits en France occu - tion : 50 000 personnes à Lyon, 30 000 à journaux, invitent les Français, le 1 er mai de pée. Une consigne de manifestation natio - Marseille, 20 000 à Paris, 10 000 à 18 h 30 à 19 h 30, à passer dans chaque nale est diffusée à la suite d’une décision Montpellier et à Clermont-Ferrand, 80 000 localité devant la statue de la République prise au comité directeur de Combat, réuni à Toulouse, 3 000 à et encore ou devant la mairie, « symbole des pre - à Clermont Ferrand, auquel ont participé 2 000 Roubaix. mières libertés obtenues par la Nation fran - Jean Moulin et , chef du çaise 9 ». Selon Jean Moulin, plus de 120 000 Jean Moulin peut se montrer satisfait de bureau d’information et de presse. journaux et 250 000 tracts ont soutenu l’ac - l’unité d’action des trois grands mouve - De Londres, la France Libre recommande tion de ce 1 er mai 1942 de manifestation 10. ments de zone sud qui commence à porter d’insister sur « l’unanimité nationale » avec ses fruits : « C’est la première manifestation Le 30, le général de Gaulle – que le télé - pour mot d’ordre « contre la faim, contre la concertée au sein de la Résistance. gramme de la veille de Rex, qui a trouvé misère, contre la servitude, pour le travail Organisée par le monde ouvrier, c’est-à-dire « regrettable Général pas lancé lui-même libre dans la France libérée » et d’associer l’union des éléments résistants de l’ex-CGT appel promis occasion première manifesta - de ce fait les communistes. Pour la pre - et des Syndicats chrétiens, elle a reçu le tion commune ouvrier et mouvements de mière fois, Radio Moscou s’y associe 6. Les concours absolu des trois mouvements de Résistance 11 », a dû ébranler – souligne consignes des services londoniens sont de zone libre « Libération » , « Combat » et l’importance de cette fête nationale, « celle limiter à la zone non occupée les manifes - « Franc-Tireur » et de la SFIO. Elle a marqué du peuple laborieux » qui devra, en mani - nettement la communion d’idées et la tations pour éviter la répression des résis - festant, faire comprendre à tous que la volonté d’action de la Résistance derrière de tants et des travailleurs en zone nord. France « a retrouvé dans l’union fraternelle Gaulle que tous ont revendiqué comme chef La campagne est lancée le 25 avril sur les de tous ses enfants, l’ardente certitude de et symbole. Si elle n’a pas eu partout le ondes de la BBC par le spécialiste des son destin 12 ». même succès, elle a eu un effet considérable

6 Aurélie Luneau, 1940 -1944 : Les Voix de la Liberté , Paris, Radio France/Perrin, p. 153. 7 Professeur d’histoire, engagé dans les rangs de la SFIO et de la CGT, marié à une Anglaise, il est attaché au Travail à l’ambassade de Londres. Il conserve des liens étroits avec les Trade Unions britanniques. 8 À l’émission de 21 h 30 « Les Français parlent aux Français », sous la direction de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté, ici Londres 1940-1944 , tome II : Le Monde en feu 8 décembre 1941-7 novembre 1942 , Paris, La Documentation française, 1975, p.101. 9 Aurélie Luneau, op. cit. , p.153 et suivantes. 10 Archives nationales (AN), 3AG2 400, câbles de Rex ; cité aussi par Aurélie Luneau, p. 153. 11 AN, 3AG2 400. 12 Sous la direction de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté, ici Londres 1940-1944 , tome II : Le Monde en feu 8 décembre 1941-7 novembre 1942 , Paris, La Documentation française 1975, p. 101. 13 Ancien directeur de cabinet de Léon Blum ; à l’émission de 21 h 30 Les Français parlent aux Français . 14 Sous la direction de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté, ici Londres 1940-1944 , Paris, La Documentation française, 1975, p.101.

Mars 2018 • N° 67 l 15 HISTOIRE

sur les militants qui sentent pour la pre - par Henri Hauck et Adrien Tixier 18, délégué cieuse, c’est la guerre indirecte, c’est la guerre mière fois le synchronisme entre Londres et de la France Libre auprès du gouvernement obstinée, l’ouvrier français la conduit dès les chefs locaux 15 . » Elles ont été communes américain, fait impression sur les Alliés. maintenant avec l’arme la plus redoutable aux syndicalistes, au Comité d’action socia - Hauck se porte ainsi caution démocratique et la plus sûre, mais c’est aussi celle qui liste avec l’appui du PC et un impact plus du chef de la France Libre auprès des Trade demande le plus d’intelligence. Il faut fort sur l’opinion. Unions et de son collègue, le ministre du apprendre à saboter. » et puis réitère ses travail anglais Bevin. exhortations aux cheminots le 28 août 20. Maurice Schumann lit le texte intégral à la L’appui syndicaliste pour renforcer la BBC le 24 juin au soir : « Voici qu’entre la France Libre dans l’opinion est alors une France combattante du dedans et la France tâche politique de première importance. combattante du dehors un grand pacte vient André Philip, qui a rejoint Londres en juil - d’être conclu : un pacte d’avenir 19. » let et a succédé à André Diethelm au com - missariat à l’Intérieur, dans un courrier à De son côté, actif militant, André Labarthe, Rex en octobre 1942 : « Nous allons mettre à ami de Jean Moulin, poursuivant inlassa - la disposition du mouvement syndical fran - blement la mobilisation du monde ouvrier çais, en la personne de Léon Jouhaux, les sur les ondes, conseille, le 7 août, aux tra - sommes nécessaires à la réorganisation vailleurs français : « Voici ce que vous pou - secrète du mouvement syndical et à l’action vez faire. Gardez votre confiance, écoutez contre le travail forcé [..]. Était envisagé la des informations radiodiffusées, répandez- venue à Londres de deux cégétistes, Louis les autant que possible, démentez les bruits Saillant et Robert Lacoste qui faisaient l’ob - lancés par les Allemands, ou répandus par jet d’un nouveau télégramme le 21 juin la presse française, aujourd’hui aux ordres 1942 mais qui restent sur leurs gardes de l’Allemagne. » Le lendemain, il insiste : jusqu’au printemps. Les ex-unitaires de la « La lutte continue sous d’autres formes, CGT communistes continuant de se méfier c’est la guerre muette, c’est la guerre silen - du général de Gaulle 21. »

Jean Moulin (photo Harcourt, DR).

En réponse, en zone occupée, une série de sabotages sans précédent contre les voies ferrées et les installations industrielles ont ponctué cette journée. Le déraillement d’un train militaire allemand à Caen fait 10 tués et 22 blessés allemands. Le 2 mai, Henri Hauck adresse son message de soutien aux « organisations syndicales libres du monde entier, aux travailleurs de tous les pays et plus particulièrement aux ouvriers anglais, américains et russes sur lesquels repose le plus lourd fardeau dans la tâche de la délivrance 16 ». Ce succès incite Jean Moulin et les mouve - ments à renouveler l’opération le 18 juin, par le pavoisement aux couleurs natio - nales, et le 14 juillet. Entre-temps, la Déclaration aux mouve - ments, acte d’engagement républicain, signée par le général de Gaulle, rapportée par Christian Pineau, fondateur du mouve - ment Libération Nord, composé en majo - 17 rité de socialistes et syndicalistes , pour Après la libération de Marseille, revue des troupes par les autorités civiles et militaires. Au premier plan, André rassurer les résistants, et qui a été suscité Diethelm et Emmanuel d’Astier de la Vigerie. Marseille, 29 août 1944 (cliché Jacques Belin, ECPAD).

15 Courrier du 7 mai 1942 de Rex à Londres cité par le colonel Passy, Souvenirs , tome 2 : Duke Street, Londres (Le B.C.R.A.) , Monaco, Raoul Solar, 1948, p.75. 16 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté , tome 2, op. cit. , p. 103. 17 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté , op. cit. , p. 432. Ex-secrétaire de la section fédérale CGT de banque et de bourse. 18 Spécialiste du droit du travail, à son poste à Genève, au Bureau international du travail, il refuse l’armistice et rejoint Washington où il représente le BIT puis rejoint la France Libre. 19 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté , tome 2, op. cit. , p. 152, émission de 21 h 25. 20 Daniel Cordier, Jean Moulin : La République des Catacombes , Paris, Gallimard, 1999, p.103. 21 Jean-Pierre Azéma, in Jean Moulin , op.cit. , p. 301.

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2. Pourvoyeur de fonds Mouvement ouvrier français 22 : autorisant la réquisition de la main d’œuvre - câble d’octobre 1942 : le 4 septembre et celle du 16 février 1943 En administrateur, Jean Moulin sait que la sur le budget de Rex, dotation 1 000 000 F changent la donne et mettent le feu aux manne financière est fondamentale. Comme - 20 décembre 1942 poudres. La lutte contre les réquisitions de pour les mouvements de résistance, c’est le à Robert Lacoste 70 000 F la main d’œuvre devient au fil des mois, et répartiteur des crédits venant de Londres. - 8 janvier 1943 à Buisson 100 000 F plus encore après l’instauration du Service Centralisateur, Jean Moulin délègue à son - Versement le 13 janvier 1943 du travail obligatoire le 16 février 1943, un secrétaire, Daniel Cordier, la distribution des pour février à Buisson 100 000 F événement décisif dans l’histoire de la enveloppes aux syndicalistes qui viennent en Résistance et un puissant moyen d’unité zone sud ; ou, à l’inverse, le secrétaire se Syndicats chrétiens d’action de toutes les sensibilités. Rex, de déplace à Paris qui devient, en mars 1943, la - novembre 1942 300 000 F son côté, ne veut pas laisser le parti commu - capitale de l’État clandestin, Lyon ayant - décembre 1942 300 000 F niste et son organe relais, le Front national, perdu ses avantages depuis l’invasion alle - - le 12 janvier 1943 pour février seuls actifs dans ce combat des ouvriers. mande de la zone sud. Promu ministre d’État à Brodier 30 000 F en mission par les instructions du général de - le 11 février 1943 à Poimbœuf 40 000 F Déclenchée le 13 octobre 1942 dans l’atelier Gaulle de février 1943, Jean Moulin y fait ins - - mars 1943 à Poimbœuf 40 000 F de réparations d’Oullins (Rhône) à cause de taller l’ensemble des services de la - 3 mai 40 000 F la désignation de 30 cheminots pour tra - Délégation générale. C’est de la capitale qu’il vailler en Allemagne à la Reichsbahn 25, la CGT convient de préparer l’installation d’un gou - grève gagne les usines Berliet de - 1 000 000 F vernement provisoire, dans la perspective de Montplaisir et Vénissieux, puis Caluire et les - novembre 1942 300 000 F la libération, dont la première étape est la quartiers industriels la Croix-Rousse, - 1 er janvier 1943 à Nycollin 125 000 F mise sur pied du Conseil de la Résistance. Gerland. Les grévistes arrêtés sont relâchés - 14 janvier 1943 à Perrier 300 000 F mais la contestation de la Relève fait date. Sans prétendre à l’exhaustivité, les sommes - 6 février à Perrier 300 000 F En dépit de la répression et de l’occupation suivantes ont été versées d’octobre 1942 à - 3 mars 1943, 400 000 F allemande de la zone sud un mois plus tard, juin 1943. pour chaque zone 800 000 F - mars 1943 300 000 F la contestation ne faiblit pas et les grèves se - 5 avril 1943 ZO 1 200 000 F poursuivent. Un câble du 20 octobre 1942 - avril 1943 ZNO via Clément 800 000 F de Rex salue l’ « attitude très digne du monde 26 - 3 mai 1943 ZO 1 200 000 F 23 ouvrier ». Entre-temps, un tract du 16 octobre signé de Combat, Franc-Tireur et Les sommes, allouées proportionnellement Libération, du Front national et du parti aux effectifs, sont voisines de celles remises communiste condamne le départ en aux mouvements de résistance et permet - Allemagne comme un acte de trahison de la tent de faire face aux déplacements d’une Nation. Pour la première fois, dans un zone à l’autre, de cacher les persécutés, de document figurent les signatures du parti faire face à leurs dépenses courantes et communiste clandestin et de son mouve - d’assurer les diffusions clandestines. Tous ment relais, le Front national de l’indépen - les mois, Rex adresse des relevés des dance de la France, aux côtés des trois comptes au BCRA. Au total, ce ne sont pas grands mouvements de zone sud, Combat, des budgets somptueux, même si on Franc-Tireur et Libération 27 . Un autre est observe une augmentation significative en diffusé sous le sceau du Mouvement 1943. À titre de comparaison, du 1 er janvier ouvrier français. Ce sont les prémices au 31 mai 1943, un total de 71 272 850 F a « d’une coopération entre mouvements et été versé à la Résistance, dont 55 120 000 F 24 partis résistants 28 ». aux mouvements toutes zones. Pour la même période, 8 075 000 F ont été attribués L’investissement de Rex est d’autant plus aux syndicats. L’allocation de budgets men - grand que la pétaudière algéroise a fait sur - suels, outre la pérennisation de leur action, gir une autre France au combat sous pro - est aussi un moyen de pression dans le sens tectorat américain : le 25 novembre, « Ai de l’unité derrière le chef de la France profité grèves et résistance ouvrière pour Combattante. négocier avec ex-CGT pour sa reconstitution 3. Les divergences quant au mode clandestine sur bases solides. Ouvertures faites à Jouhaux. Ai promis mensualités d’action 200 000 ZNO et 300 000 F ZO sous réserve, Daniel Cordier, volontaire des Forces françaises libres, La Relève par Laval le 22 juin 1942, les lois de 1° reconnaissance Général de Gaulle ; en 1940 (coll. particulière). réquisition de la main d’œuvre de Vichy 2° bonne entente avec syndicats chrétiens » .

22 AN, AG3 400. 23 S’ajoute en décembre 500 000 F pour la mission Brandy qui doit assurer sans doute le transfert de syndicalistes à Londres. 24 AN, F1a 3728, dossier Rex, rapport du 4 juin 1943 à André Philip. 25 Cécile Hochard, Les Cheminots dans la Résistance , La vie du Rail/AHICF, 2011, p. 84. 26 AN, 3AG2 400, câble de Rex. 27 Cécile Hochard, op. cit. , p. 85. 28 Laurent Douzou, notice, octobre 1922 : grèves dans la région lyonnaise.

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Les mouvements, dont Combat, reprennent les facilités de liaisons avec la Suisse, Rex eux-mêmes l’initiative pour lutter contre la propose la création d’un organisme res - collaboration et la réquisition et mettent en treint pour lutter contre la Relève qui coor - place des groupes d’action ouvrière dans les donnerait les actions de solidarité et les ini - usines, « capable d’agir immédiatement et tiatives des mouvements, des syndicats et par tous les moyens contre la collaboration des partis. L’objectif est de secourir les gré - en sabotant les entreprises travaillant pour vistes. Le Comité central de la Résistance l’occupant. Partisans de l’action immédiate, ouvrière mis sur pied fin octobre, destiné à c’est ainsi qu’au sein de Combat, se mettent faire évoluer le mouvement ouvrier fran - en place les équipes de saboteurs sur les che - çais, est formé de cinq membres, un du mins de fer et des groupes d’action prélevés MOF, un de chaque mouvement, un du sur les effectifs de l’armée secrète 29. » Ces parti communiste s’appuyant sur sept groupes voient le jour dans les régions de bureaux de résistance ouvrière pour l’exé - Marseille, Lyon, Toulouse et Clermont- cution des consignes 33. Est mis fin à la mis - Ferrand. Les démonstrations de force orga - sion d’Yvon Morandat, rappelé à Londres nisées à Montluçon le 6 janvier 1943, ras - fin novembre 34. Pour cet organisme dirigé semblant les mouvements de résistance, les par Lacoste, Moulin alloue un budget d’un communistes et les syndicalistes s’opposant million de francs ce qui n’est pas rien, tant au départ de requis, sont significatives du la question des finances est rude 35. tournant décisif, les manifestants criant : Le débarquement anglo-américain au « Vive l’Union soviétique, vive de Gaulle, pas Maroc et en Algérie le 8 novembre 1942 pré - de Français en Allemagne, pas de soldats cipite l’union. Tenu à l’écart de l’opération pour Hitler 30 ». , membre du Comité français de la Libération nationale (Library of Congress). alliée, jamais la position de De Gaulle n’a À Londres comme en France occupée, on est été autant menacée. Pour s’imposer, il lui divisé sur la stratégie à adopter contre la obtenir davantage de moyens et notam - faut rassembler derrière lui toute la réquisition en Allemagne. « Sur la question ment augmenter les liaisons aériennes et Résistance intérieure. Mais les mouve - de l’envoi de main-d’œuvre civile en de parachutage, Rex câble à son secrétaire ments de résistance, ne suffisent pas. Il y a Allemagne position de principe de la CGT a avoir obtenu 6 000 cartes d’identité pour les des forces morales, des forces syndicalistes, été et reste un refus formel. Cependant, étant réfractaires 32. C’est loin de calmer l’ire des des forces patriotiques. Rex prend toute la donné l’impossibilité pour nos organisations chefs de mouvements, dont Frenay qui en mesure de l’imbroglio politique d’Alger et syndicales d’opposer un obstacle infranchis - réclame quatre fois plus et veut déclencher entend adopter une stratégie forte pour sable à la politique Laval-Hitler, la CGT et ses la guérilla, accusant Rex d’être attentiste. renforcer la cohésion de la Résistance et organisations affiliées se sont préoccupées de Les moyens ne sont pas au rendez-vous et assurer l’autorité du chef de la France rechercher les meilleurs moyens de garder ou le haut-commandement allié recommande Combattante, seul gouvernement légitime d’établir des contacts avec les ouvriers envoyés de ne pas activer la guérilla. de la France selon lui. Le général de Gaulle en Allemagne dès que furent appliquées les Il faut attendre juillet 1943 pour que des est aussi le seul espoir de la Démocratie. premières mesures résultant des accords entre solutions soient à la mesure du drame avec Roosevelt et Churchill, en ayant traité avec Vichy et les autorités allemandes. » Les ins - la création du comité d’action contre la l’expédient provisoire Darlan, acceptent de tructions recommandées sont de former des Déportation qui coordonnera les actions facto un vichysme sous protectorat améri - noyaux d’amis sûrs, observer attentivement d’ampleur pour cacher les requis du STO, cain. En revanche, les partis politiques et les autour de soi, ne point faire d’excès de zèle, recueillir les renseignements, détruire les syndicats qui représentent la Nation sont réduire la production et saboter jusqu’aux fichiers et produire les faux papiers. essentiels pour asseoir la légitimité du limites de sécurité personnelle 31. On se général de Gaulle 36. Jean Moulin propose à méfie de l’action frontale lourde de consé - 4. La reconstruction et réunification de Gaulle, le 14 décembre, un conseil poli - quences pour les résistants. syndicales tique, organisme fédérateur fondant la légi - timité du chef de la France Combattante. Le phénomène nouveau, d’ampleur inéga - Préfet et chef de cabinet dans un gouverne - lée, est le développement des ment de Front populaire, Jean Moulin ne Moulin a fait approcher par Lacoste Léon refuges pour les réfractaires au Service du peut manquer d’être attentif au monde Jouhaux, à qui de Gaulle fait passer un mes - travail obligatoire, qui crée des divergences ouvrier et d’en mesurer le poids social. En sage, le 21 octobre : « Très secret. Cher entre chefs de mouvements et Jean Moulin. contact constant avec Robert Lacoste, relé - Monsieur Jouhaux, je vous demande d’être De Londres, au plus fort des réunions avec gué par le gouvernement de Vichy à la per - directement associé à nous, c’est-à-dire à moi les services du SOE à Dorset Square pour ception de Thonon, poste privilégié pour et au Comité national, pour tout ce qu’il vous

29 Henri Noguères en collaboration avec Marcel Degliame-Fouché et Jean-Louis Vigier, Histoire de la Résistance en France , tome 2 : juillet 1941-octobre 1942 , Robert Laffont, 1969, p. 547. 30 Henri Noguères en collaboration avec Marcel Degliame-Fouché, Histoire de la Résistance en France , tome 3, p. 163. 31 Robert Bothereau, Le syndicalisme dans la tourmente 1940-1945, récit rapide du temps qui nous furent longs, 15 mars 1944 , textes extraits du bulletin Force ouvrière information , n° 173, août 1973, p. 27. 32 Daniel Cordier, Jean Moulin : La République des Catacombes , op. cit. , p. 324. Citant les câbles de Rex 67 à 69, AN, 3 AG 401. 33 Robert Lacoste se fait fort d’obtenir l’accord du CAS par les socialistes avec lesquels il est en lien par l’intermédiaire de Georges Buisson. 33 Robert Lacoste se fait fort d’obtenir l’accord du CAS par les socialistes avec lesquels il est en lien par l’intermédiaire de Georges Buisson. 34 Daniel Cordier, Alias Caracalla , Paris, témoins Gallimard, 2003, pp. 487 et suivantes. Pierre Brana et Robert Lacoste, De la Dordogne à l’Algérie, un socialiste devant l’histoire , Paris, L’Harmattan, 2017, p.106. 35 Pierre Brana et Joëlle Dusseau, op. cit. , p. 113. 36 Daniel Cordier, Alias Caracalla , op.cit. , p. 503 et suivantes.

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Architecte de cette création dont il n’a pas la paternité, il met en garde le général de Gaulle : « De quoi s’agit-il en dehors de la libération du territoire ? Il s’agit pour vous de prendre le pouvoir contre les Allemands, contre Vichy, contre Giraud et peut-être contre les Alliés 43. » Le propos ici n’est pas de centrer sur les questions des partis politiques connues et largement étudiées, mais d’insister sur le rôle des syndicalistes. Le MOF apporte une adhésion indiscutable à la France Combattante et agit en envoyant à Londres des représentants mandatés. D’abord, Albert Guigui, de la Fédération des métaux, part en février, en tant que représentant officiel de la CGT, avec un document signé de Georges Buisson, Robert Bothereau, secrétaires, Robert Lacoste, membre du conseil d’admi - nistration, Marius Vivier Merle, Julien Forgues, du CCN : « Nous soussignés, mem - Le général Giraud, Roosevelt, le général de Gaulle et Churchill, devant les journalistes, lors de la conférence d’Anfa, bres du bureau confédéral de la commission le 17 janvier 1943 (coll. NARA). administrative du comité confédéral natio - est possible de faire. Pour nous, la résistance sait à quoi s’en tenir concernant Giraud qui nal de la CGT, conférons par délégation de de la classe ouvrière est un élément exem - l’a éconduit sur la question de l’armée nos mandants à Albert Guigui, délégué confé - plaire et essentiel de la Résistance fran - secrète. En contact avec le colonel de déral de la CGT, le pouvoir de partir traiter çaise 37. » Linarès 41, chef de son état major particu - hors de France au nom de la Confédération 44 lier, Rex lui a montré l’erreur de ne pas ral - générale du travail . » Quant à Marcel Entre-temps, de Gaulle a étendu les mis - lier de Gaulle. Rex 42 connaît les arrière- Poimbœuf, à qui Jean Moulin remet le bud - sions confiées à Jean Moulin le 22 octobre pensées de Giraud à l’égard des alliés et ne get, il devient l’envoyé spécial des syndica - 1942 : « Vous aurez à assurer la présidence listes chrétiens à Londres en avril 1943. d’un comité de coordination au sein duquel s’illusionne pas sur la durée des négocia - seront représentés les trois principaux mou - tions avec le général de Gaulle. Albert Guigui, qui retrouve sur les ondes de vements de résistance [...]. Vous continuerez C’est pourquoi, le 28 janvier 1943, il réitère la BBC son ami Henri Hauck, s’adresse aux d’autre part, comme représentant du la création d’un « comité de direction de la Français le 29 mars 1943 45 : « Dissoute par la Comité national en zone occupée, à prendre Résistance » ou « d’un conseil de la volonté de Vichy, la CGT reste vivante et bien tous les contacts politiques que vous jugerez Résistance » avec, comme membres éven - vivante, par la volonté inflexible des travail - opportuns 38. » Rex expose à la CGT le projet tuels, la CGT et les syndicats chrétiens. Il leurs français. [...] Elle est maintenant pré - de création d’un comité de coordination met à profit son séjour à Londres du 15 sente partout : dans le petit atelier du fau - 39 de la résistance . Robert Lacoste, à l’occa - février au 20 mars pour peser sur les déci - bourg comme dans la vaste usine de ban - sion d’un de ses voyages en Suisse, fait sions du général de Gaulle, plus réceptif lieue ; dans le salon de coiffure de la petite connaître, au plus fort de la pétaudière après la déconvenue de l’entrevue d’Anfa ville de province comme dans les services algéroise, le soutien des syndicalistes CGT, avec Giraud sur fond d’arbitrage américain. publics des grandes cités ; dans les ateliers de cosigné d’un responsable de la CFTC, au Il devient son représentant pour l’ensemble chemin de fer comme dans le plus petite des 40 général de Gaulle . du territoire, président des deux comités de gares de campagne. […] L’action ouvrière a eu Fin décembre, l’élimination de Darlan par coordination des zones sud et nord, prési - raison de la charte du travail. […] L’action un résistant et son remplacement par le dent des Mouvements unis de la Résistance ouvrière a arraché à Vichy et à l’Allemagne le général Giraud imposé par les Américains créés le 26 janvier. Enfin, il est le maître masque de la Relève. [...] J’ai rencontré le ne modifie pas fondamentalement la d’œuvre de la mise sur pied du Conseil poli - général de Gaulle dès mon arrivée. D’une donne algéroise et l’existence d’une autre tique de la Résistance, rassemblant compo - manière absolue, je lui ai confirmé l’adhésion France au combat qui gouverne au nom du santes, mouvements, politiques et syndi - de la CGT, du mouvement ouvrier français, à maréchal Pétain empêché. Jean Moulin cales. la France Combattante, dont il est le chef. »

37 Jean-Pierre Azéma in Jean Moulin, le rebelle, le politique, le résistant , Paris, Perrin, 2003, p.300. 38 BNF, lettre de mission du général de Gaulle 22 octobre 1942, fonds manuscrit Jean Moulin. 39 Rex alloue un le budget mensuel alloué est 300 000 F pour la CGT et les syndicats chrétiens. 40 Pierre Brana, Joëlle Dusseau, op.cit. , p.109. 41 Chargé de son évasion. 42 Rex assure l’exfiltration de Linarès sur Londres. 43 AN, F1a 3728, dossier Rex, rapport du 7 mai 1943. 44 Pierre Brana et Joëlle Dusseau, op. cit. , p. 115 ; Robert Bothereau, « Le syndicalisme dans la tourmente 1940-1945, récit rapide de temps qui nous furent longs » ; textes extraits du bulletin de Force ouvrière information , n° 173, août 1973. 45 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la Liberté , tome III : La fin du commencement, 8 novembre 1942-9 juillet 1943 , La Documentation française, 1975, émission Honneur et Patrie, p.122.

Mars 2018 • N° 67 l 19 HISTOIRE

Georges Buisson 46, ancien secrétaire de la manière à « établir un programme social et Fédération nationale des employés, adjoint économique immédiat 52 ». Mais Rex rejette de Léon Jouhaux, rejoint Londres fin avril catégoriquement les prétentions à obtenir 1943, avec charge de représenter la CGT deux représentants : un pour la CGT et un près des syndicats britanniques puis du pour la confédération chrétienne. Rendant Comité français de la Libération nationale, compte à André Philip, le 4 juin 1943 : « En ce en juin 1943, co-présidé par Giraud et de qui concerne les syndicalistes, j’ai eu aussi à Gaulle à Alger. Comme Albert Guigui, il aplanir un différend assez sérieux. La CGT s’implique dans les émissions officielles de demandait, en effet, deux sièges au Conseil la France Combattante pour favoriser pour que, arguaient ses représentants, les l’union syndicale scellée par le général de ouvriers et les employés puissent faire enten - Gaulle. Le 29 avril, Marcel Poimbœuf, mem - dre leur voix. J’ai dû me montrer très ferme bre du bureau de la CFTC : « Travailleurs et dans l’application du principe du représen - travailleuses de France, il ne faut pas crain - tant unique [...]. Par ailleurs, le fait d’admet - dre d’appeler les choses par leur nom. Une tre la pluralité de la représentation aurait révolution est en cours. Elle naît sous nos entraîné fatalement certaines formations yeux, de la guerre et des immenses boulever - politiques à exiger une représentation pro - sements qui en sont déjà ou en seront la portionnelle et un « dosage » inacceptable. conséquence. […] Ma tâche [...] va consister à Enfin l’OCM qui réclamait un siège pour la publier, avec force et exactitude ce que pen - Confédération des Travailleurs intellectuels sent les militants syndicalistes chrétiens de aurait été en droit d’exiger que celle-ci fut éga - France et [...] tous ceux-là d’au-delà des fron - lement représentée [...] 53. » tières, [...] qu’il [le militant] vous crie le 18 juin 1943 à l’Albert Hall de confiance et courage et qu’il dit en ce qua - Londres, lors du discours en hommage aux morts de la La motion votée le 27 mai par les membres trième 1 er mai de guerre, qu’il voudrait voir France Combattante (coll. particulière). est connue : « La France entendait que fût être le dernier, sa joie – lui syndicaliste chré - formé en Afrique du nord un véritable gou - Le 25 mai 1943, Rex annonce à André Philip tien – de lutter d’un même effort, d’un même vernement [...] et qu’il fût confié au général que son action pour la réunification de la cœur, avec ses frères de la CGT française 47. » de Gaulle âme de la Résistance aux jours CGT confédérés et la CGT unitaire a abouti sombres 54. » À la différence des partis politiques, les ques - aux termes des accords verbaux du Perreux tions syndicales ne suscitent pas de diver - le 17 avril 1943, mais que cette réunification Conclusion gences concernant la reconstruction et la réu - doit être encore tenue secrète. Ils sont Jean Moulin disparaît, mais les semences nification dans la future organisation poli - conclus verbalement entre Louis Saillant, produiront les fruits des efforts du chef de tique, sur laquelle tous les protagonistes sont cégétiste qui, dès juillet 1940, a posé les l’armée de l’ombre : le programme écono - d’accord. À ceci près, toutefois, que Pierre bases d’une résistance syndicale favorable à mique et sociale du Conseil national de la Brossolette était favorable à la création d’un la réunification des unitaires et des confédé - Résistance. Cette étude est une ébauche qui « CNR tout à fait indépendant des organisa - rés, et Robert Bothereau, Henri Raynaud et demande à être approfondie par la consul - tions ouvrières ne comprenant que les mou - André Tollet 50. Ce dernier a témoigné à plu - 48 tation de fonds d’archives non explorés vements de résistance proprement dits ». sieurs reprises de l’investissement discret jusque-là, dont celui de l’Institut social de la mais efficace de Jean Moulin dans cette Éviter la désunion est l’obsession de CGT conservé à la Bourse du travail de Lyon. Moulin. C’est le cœur de son différend avec affaire, même si l’unitaire Benoît Frachon a Pierre Brossolette (Brumaire) et Passy eu sa part. Il en rend compte le 29 mai. « Ai La voie est ouverte à un travail de recherche (Arquebuse), hostiles tous deux au retour pris initiative réunion représentants CGT élé - complémentaire. ments unitaires pour jeter base unité syndi - des partis politiques. Jean Moulin a Pour sa part, c’est tout naturellement que cale – Suis heureux vous annoncer que négo - exprimé les mêmes réserves, mais il a évo - Jean Moulin, préfet, républicain de gauche, ciations ont abouti et que bureau confédéra - lué, dès lors qu’il s’est rendu compte que a conçu sa mission de rassembleur des tion commune a été constitué sur base unité ces formations syndicales et politiques ser - forces vives de la Résistance dans son syndicale – Suis heureux vous annoncer que viraient les intérêts du chef de la France acception la plus large sans aucun doute. Combattante. À l’occasion du 1 er mai 1943, négociations ont abouti et que bureau confé - le général de Gaulle martèle que « l’unité dération commune a été arrêté mais condi - Christine Levisse Touzé ouvrière se cimente dans le combat » et que tions présent accord prévoient que ledit Historienne les cadres de la résistance ouvrière « seront accord demeurera secret pour raisons impé - Directeur de recherche associé à Paris au premier rang de cette élite sur laquelle ratives sécurité – Ne pas en faire état publi - Sorbonne compte la France pour conduire l’œuvre quement 51. » Georges Boris le félicite et lui Conservateur général honoraire du immense et fraternelle de la rénovation 49 ». recommande de faire venir un unitaire de patrimoine de la Ville de Paris

46 Mari de Suzanne Buisson, assistante de Daniel Mayer. 47 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la liberté , tome 3 : La fin du commencement 8 novembre 1942-9 juillet 1943 , op.cit. , pp. 146 -147. Émission honneur et patrie. 48 Guillaume Piketty, Pierre Brossolette, un héros de la Résistance , Paris, Éditions Odile Jacob, 1998, p. 278. 49 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, Les Voix de la liberté , tome 2, op.cit. , p. 151. 50 Témoignage d’André Tollet à l’auteur. 51 AN, 3AG 400. 52 Jean-Pierre Azéma, op. cit. , p. 302. 53 AN, F1a 3728, dossier Rex rapport du 4 juin 1943. 54 Jean Moulin et le CNR, étude et témoignages , sous la direction de François Bédarida et Jean-Pierre Azéma, IHTP, 1983. P.129.

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La place des syndicalistes (et du syndicalisme) dans le CNR

çais), engage une contre-révolution sociale sans précédent dans l’histoire nationale. Aux confédérations syndicales ouvrières interdites et dissoutes sont substitués des comités d’organisation d’inspiration cor - poratiste fasciste tenus en main par l’État : aux commandes, René Belin, ex-secrétaire de la CGT devenu ministre de la Production industrielle et du Travail, et les anciens diri - geants de l’ex-confédération patronale, du Comité des forges et du Comité des houil - lères dissous mais reconvertis. Les droits anciens élémentaires de protec - tion et de défense des travailleurs des villes et des champs sont supprimés – en premier lieu, toutes les formes d’expressions reven - dicatives, en tête, le droit de grève, passible désormais des peines les plus graves, dont la peine de mort. Intervention de Guy Krivopissko (cliché Mariette Buttin, coll. Christophe Bayard). La répression antisociale et antisyndicale est effective dès l’automne 1940 dans toutes Le 12 septembre 1944, lors du rassemble - tiplier et de se démultiplier, au point de res - les zones. La destruction de la République ment organisé par le Conseil national de la sembler, dans son architecture et son fonc - et de la démocratie politique s’accompagne Résistance (CNR) au Palais de Chaillot, le tionnement, à une confédération. Quelle de celle de la démocratie sociale, aggravée, général de Gaulle expose, au nom du GPRF place et quel rôle jouent les syndicalistes elle aussi, par des lois racistes et antisé - qu’il préside, les fondements de la politique membres du CNR dans les évolutions et les mites. Pour les syndicalistes qui n’accep - du gouvernement issu de la Résistance. Son transformations du Conseil, dans son fonc - tent pas cette situation, deux voies du refus discours s’ouvre par un hommage appuyé tionnement et son action ? s’ouvrent, l’une syndicale et l’autre poli - au CNR. Dans son discours du 12 septembre 1944, tique, distinctes et complémentaires dans Le CNR auquel il s’adresse est, depuis la le général de Gaulle accorde une place leur temporalité, comme dans leurs veille, présidé par Louis Saillant, membre importante à la rénovation de la démocra - champs et leurs formes d’action. fondateur du CNR au titre de la CGT, dont tie politique, économique, sociale et cultu - C’est d’abord sur le terrain du maintien il a été l’un des acteurs de la réunification relle du pays. Si ses propos prolongent ceux d’un syndicalisme authentique, outil de dans la clandestinité le 17 avril 1943. qu’il prononce avec constance dans ses défense du monde du travail que ceux qui Cette place et cette fonction éminem - discours de guerre, ils se font aussi l’écho refusent – ex-CGT unitaires, ex-CGT confé - ment politique d’une organisation syndi - de propositions contenues dans le pro - dérés, gravement divisés depuis 1938, et ex- cale et de l’un de ses dirigeants semblent gramme du CNR, adopté dans la clandesti - CFTC – vont se retrouver, se reconnaître et évidentes en 1943 comme à la Libération. nité le 15 mars 1944 et adressé alors au se réunir. Cependant, elles sont inédites, jamais général de Gaulle et à l’Assemblée consul - rééditées. Comment comprendre cette tative à Alger. Quels sont les apports des Pour les ex-unitaires, dès l’été 1940, Benoît situation exceptionnelle ? organisations syndicales et des syndica - Frachon, dans La Vie Ouvrière clandestine, listes membres du CNR au programme du appelle les syndiqués à créer des comités Le CNR auquel le général de Gaulle rend Conseil, à celui de la Résistance au pouvoir populaires sur leurs lieux de travail et, hommage ce 12 septembre 1944, n’est pas et dans sa mise en œuvre ? quelques mois plus tard, à investir les syn - ou n’est plus le Conseil de la Résistance dicats légaux. originel créé sur ses instructions par Jean Moulin. Comment comprendre cette affirma - Les ex-confédérés et certains dirigeants de tion syndicale, cette place et cette la CFTC – que la rencontre entre Robert D’une part, certains de ses promoteurs et fonction politique nouvelle, inédite Bothereau (ex-secrétaire adjoint de la CGT) acteurs – en premier lieu Jean Moulin – ont du syndicalisme et de ses dirigeants ? et René Belin, en août 1940, a définitive - disparu sous les coups de la répression ou ment convaincu de l’irréversibilité de la ne sont pas revenus des camps de concen - Sous le double drapeau de la Révolution rupture avec la faction de syndicalistes tration ; d’autres ont été appelés à nationale et de la Collaboration – dont le entrés en collaboration – rédigent et diffu - l’Assemblée consultative ou au gouverne - point culminant, au plan économique et sent à la mi-novembre 1940 un manifeste ment provisoire. D’autre part, depuis sa social, est le Service du travail obligatoire du syndicalisme. Paru sous le titre création – à laquelle participent les deux (STO) – l’État français, avec l’assentiment « Rassemblement syndical pour l’action » , grandes confédérations syndicales (CGT et intéressé des occupants allemands et ita - leur texte est salué par Benoît Frachon dans CFTC) –, le CNR n’a cessé de faire évoluer liens et le concours de l’ex-CGPF La Vie Ouvrière clandestine du 8 mars 1941 : ses missions, de se transformer, de se mul - (Confédération générale du patronat fran - « Pour la première fois depuis la guerre, des

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militants échappés à l’influence des chefs etc.) est étendue, durant l’année 1943, à général de Gaulle, dès le 19 juin 1940, félons formulent quelques claires revendica - toute la France. L’hommage aux cheminots conseiller du Travail de la France Libre. tions qui correspondent à leur appréciation et à la bataille du rail, que rend Gaston Adrien Tixier (CGT) devient en juin 1943 le de la situation. À la VO nous nous en réjouis - Tessier (CFTC), au nom du CNR, le 7 octo - premier ministre des Affaires sociales dans sons. Depuis 7 mois, nous travaillons au ras - bre 1944, lors d’un rassemblement au Vel’ l’histoire de France et Yvon Morandat semblement de forces saines d’un mouve - d’Hiv’, à Paris, n’est pas de pure forme. (CFTC), recruté par Henri Hauck, est ment syndical. Quelques-unes des revendi - L’analyse de la situation inédite née le 17 envoyé en novembre 1941 en mission en cations présentées par ce groupe de militants juin et le 10 juillet 1940 conduit nécessaire - France, notamment pour nouer des liens sont capables d’aider au rassemblement » . ment les syndicalistes résistants à associer, avec le syndicalisme résistant en zone Sud. Les deux démarches sont complémen - au combat social qu’ils continuent, le com - Ce n’est donc pas tout à fait un hasard que, taires. Elles conduisent, dès décembre bat politique, pour la reconstruction de la de la rencontre entre Christian Pineau 1940, les deux courants du refus et de la République : une République nouvelle, (CGT et Libé-Nord) et le général de Gaulle résistance syndicale à se rencontrer puis à plus démocratique et enfin sociale. en avril 1942 – à laquelle assistent Henri se réunir (accord du Perreux, le 17 avril Hauck et Adrien Tixier –, naisse la 1943, fondant la réunification de la CGT 1) et Cet engagement inédit de syndicalistes dans le champ politique (la seule excep - Déclaration aux mouvements, le texte fon - à agir ensemble (création d’un comité d’en - dateur de l’union des deux pôles de la tente des deux confédérations CGT-CFTC). tion, durant la Grande Guerre, n’aura ni cette envergure et ni cette nature) trouve Résistance française, comme ce n’est pas Ce processus unitaire accompagne et ren - son prolongement : un hasard non plus que ce grand texte, qui force un mouvement social revendicatif définit les bases de la rénovation démocra - continu et croissant durant toute la guerre – dans la création de mouvements de résis - tique du pays à la Libération, lie étroite - et l’Occupation. Il porte sur les conditions tance à l’instar de Christian Pineau (CGT) ment les questions politiques aux ques - de travail, les salaires et le ravitaillement avec Libération-Nord ou de Maxime tions économiques et sociales. notamment – comme l’attestent des Blocq-Mascart (Confédération des travail - cahiers revendicatifs, des délégations, des leurs intellectuels) avec l’Organisation Aussi logiquement, les instructions don - arrêts de travail, voire des manifestations et civile et militaire (OCM) ; nées par le général de Gaulle à Jean Moulin, le 21 février 1943, pour la création des grèves. Il est impulsé et soutenu par un – dans la prise de la direction du mouve - du Conseil de la Résistance mentionnent à travail de propagande syndicale foison - ment Front national (FN), initié par le parti part entière les organisations syndicales nant sous forme de papillons, de tracts, de communiste français (PCF) en mai 1941, résistantes. Ces convergences, vivifiées journaux clandestins. Aux revendications pour Pierre Villon (CGT) ; économiques et sociales se mêlent très dans la dynamique des combats des résis - rapidement des sentiments patriotiques, à – mais aussi au sein des mouvements, tants sur tous les fronts, rendent la place l’exemple des mots d’ordre de la grève des dans l’organisation et la direction de des deux confédérations syndicales mineurs des bassins houillers du Nord et groupes spécifiques de combat à base ter - ouvrières et celle de deux de ses principaux du Pas-de-Calais, en mai 1941 ( « Pas de ritoriale et professionnelle comme c’est le dirigeants évidentes au CNR dès sa fonda - c’arbon pour les boches » ) et plus encore cas pour nombre de comités profession - tion, le 27 mai 1943. lors des manifestations interdites du 1 er nels du FN, à l’exemple de celui de l’Opéra mai, appelées à partir de 1942 par la CGT, de Paris, avec Jean Rieussec, ou de Quelles influences syndicales dans mais aussi par la CFTC (une première dans manière assez semblable, en Bretagne, ses évolutions et ses transforma - son histoire), par les principaux mouve - pour le mouvement paysan initié par tions ? Quelle place et quel rôle du François Tanguy-Prigent, alliant luttes ments de la Résistance et par la France syndicalisme dans le fonctionnement Libre. L’affrontement social et patriotique sociales paysannes, avec la création de la atteint son point culminant dans la lutte Confédération générale de l’agriculture et l’action du CNR ? conduite contre le STO. (un syndicat clandestin), et combats poli - La place accordée au syndicalisme résis - tiques et militaires, avec Libération-Nord. tant dans les instructions données par le Il convient de ne pas oublier la dimension L’Action ouvrière du mouvement Combat, militaire du syndicalisme résistant dans sa général de Gaulle à Jean Moulin avait créée et dirigée par Marcel Degliame- conduit ce dernier à rencontrer des diri - capacité à nuire et à détruire les forces Fouché (CGT) et Maurice Kriegel- ennemies. À titre d’exemple, début 1943, geants des confédérations clandestines, en Valrimont (CGT), et le Mouvement ouvrier l’Union départementale (UD) CGT clan - particulier ceux des deux courants de la français de Libération-Sud, dont l’initia - destine de la Seine dirigée par André Tollet CGT 2. André Tollet, dans son ouvrage La tive revient à Yvon Morandat (CFTC), sont met sur pied des groupes de sabotages et Classe ouvrière dans la Résistance , rapporte de même nature. de destruction (GSD) commandés par la teneur de leurs échanges et le souci pres - Joseph Epstein (CGT et ancien des Un constat assez semblable pourrait être sant qu’avait Jean Moulin de voir la CGT se Brigades internationales) et Raymond fait pour la France Libre, à travers les réunifier. Participe à cette réunion straté - Bucquet. La formation de ces groupes très figures, les parcours, les responsabilités et gique, peu avant la réunification, Joseph efficaces (dans les secteurs des transports, l’action de syndicalistes. Ainsi, Henri Epstein, le responsable des groupes de de la métallurgie, des télécommunications, Hauck, syndicaliste CGT, est nommé par le sabotage et de destruction de la CGT.

1 Chronologie des rencontres : - décembre 1940, rencontre de Maurice Langlois (unitaires) et de Louis Saillant (confédérés) au siège de la Fédération du Bois ; - 17 mai 1941, rencontre de René Bontemps et Maurice Langlois (unitaires) avec Christian Pineau et Pierre Neumeyer (confédérés) chez Christian Pineau. Un compte- rendu est adressé à la Fédération syndicale internationale et à Londres ; - 22 septembre 1942, rencontre entre Raymond Semat et Léon Jouhaux en présence de Saillant à Cahors ; - janvier 1943, premier appel commun des deux tendances de la CGT ; - automne 1942-été 1943, en parallèle, des rencontres régulières entre André Tollet (CGT unitaires) et Gaston Tessier (CFTC) chez l’industriel Max André. 2 cf. la communication de Christine Levisse-Touzé.

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que rend le général de Gaulle le 12 septem - bre 1944, dans lequel il reprend presque à l’identique les mots par lesquels le CNR se présente dans son « Appel à la Nation » de l’été 1943 : « Le Conseil qui inspira et coor - donna sur place, au prix de quels périls et de quelles pertes ! l’action menée contre l’en - nemi et les usurpateurs » . Comme prévu dans les instructions reçues par Jean Moulin, le Conseil se dote d’une commission permanente de cinq mem - bres appelée « Bureau » , où siège (point 9 des instructions) le délégué du Comité national français (CNF) puis du Comité français de la Libération nationale (CFLN). Sur les cinq membres du bureau clandes - tin de l’été 1943, on compte 3 syndica - listes, dont 1 au titre des deux confédéra - tions et 2 au titre des mouvements (FN/PCF/Fédération républicaine : Pierre Villon, CGT Ports et docks ; CGT/parti socialiste/Libé Nord/CFTC : Louis Saillant, CGT Bois ; OCM/Ceux de la Résistance Les membres du Conseil national de la Résistance en septembre 1944. De gauche à droite, au premier rang : Gaston (CDLR)/Ceux de la Libération (CDLL) : Tessier (CFTC), Joseph Laniel (Alliance démocratique), Georges Bidault (démocrate-chrétien), président, Henri Ribière (Libération-Nord), Daniel Mayer (CAS), (Parti radical), Auguste Gillot (PC), Louis Saillant Maxime Blocq-Mascart, Confédération (CGT) ; au second rang : Jacques Debû-Bridel (Fédération républicaine), Pierre Villon (FN), Robert Chambeiron, des travailleurs intellectuels 3). secrétaire, Pascal Copeau (Libération Sud), Jacques Lecompte-Boinet (CDLR), André Mutter (CDLL), Jean-Pierre Lévy (Franc-Tireur), Pierre Meunier, secrétaire (coll. MRN). Le Conseil crée aussi des commissions ou comités de travail qui intègrent dans leurs Le 27 mai 1943, rue du Four, à la réunion fon - Ainsi, le 12 septembre 1944, sur 17 mem - champs de responsabilités et d’activités datrice du CNR, qui s’appelle alors Conseil bres, 8 sont des syndicalistes : quasiment certains de ceux mis sur pied antérieure - de la Résistance, siègent, aux côtés des 14 la moitié. 2 y participent au titre de la CGT ment par les mouvements. On dénombre représentants des partis et des mouvements, et de la CFTC (Benoît Frachon, CGT, et le Comité d’action contre la déportation Louis Saillant pour la CGT (il est l’un des Gaston Tessier, CFTC Employés), 5 au titre (CAD), le Comité médical de la résistance quatre acteurs de l’accord récent de réunifi - des mouvements et partis (FN : Pierre (CMR), le Noyautage des administrations cation) et Gaston Tessier pour la CFTC. Villon, CGT Ports et docks ; Libé-Nord : publiques (NAP) et le Super-NAP (haute Henri Ribière, CGT ; OCM : Maxime À y regarder de plus près, ils ne sont pas les administration), la commission du ravitail - Blocq-Mascart, Confédération des travail - seuls syndicalistes présents, ce jour-là : une lement, la commission des désignations ; leurs intellectuels ; Combat : Marcel confirmation de la place et du rôle des syn - la commission du sabotage. Il ne faudrait Degliame-Fouché, CGT Textile ; PCF : dicalistes dans l’ensemble des organisa - pas oublier aussi des organisations d’unité Auguste Gillot, CGT Métallurgie) et le tions de la Résistance. Sur les 17 membres, spécifiques comme les Forces unies de la nouveau président, Louis Saillant, ancien 6 sont des syndicalistes : plus du tiers. Les Jeunesse patriotique (FUJP), le service représentant de la CGT. deux déjà cités le sont au titre de la CGT et national santé, l’Union des cadres indus - de la CFTC : Louis Saillant, CGT Bois, et L’arrestation et la mort de Jean Moulin triels de la France Combattante et, plus Gaston Tessier, CFTC Employés ; quatre ouvrent la voie à des évolutions des mis - encore, le Comité d’action militaire du autres le sont au titre des mouvements et sions du Conseil de la Résistance, à des CNR (COMAC), qui a l’autorité sur l’état- partis (FN : Pierre Villon, CGT Ports et transformations de son organisation et de major national des Forces françaises de docks ; Libé-Nord : Charles Laurent, CGT son fonctionnement. Il n’entre pas dans l’intérieur (FFI). Fonctionnaires ; Franc-Tireur : Eugène mon propos de rendre compte des aléas, À observer de plus près la composition de Claudius Petit, CGT Bois ; PCF : André des incertitudes et des drames provoqués ces commissions et comités du CNR, on Mercier, CGT Restauration). Sans oublier par cette disparition. mesure, là encore, la place et le rôle essen - que nombre des « petites mains » qui ont Le Conseil de la Résistance, qui ne devait tiels du syndicalisme résistant. À titre permis la tenue d’une telle réunion et être qu’ « une représentation » et « un d’exemple, le CAD naît en juillet 1943 à assuré sa sécurité, comme Robert conseil politique » (point 8 des instructions Lyon. À la réunion fondatrice, à Lyon, en Chambeiron, adjoint de Pierre Meunier, reçues par Jean Moulin), devient de fait un juillet 1943, autour d’Yves Farge, président sont aussi des syndiqués résistants. véritable organisme politique et militaire du comité, se retrouvent Charles Laurent et Les conséquences de la répression, les de direction et d’action de toute la son fils Marc (CGT et Libé-Nord), Pierre nominations à l’Assemblée consultative Résistance en France, justifiant ainsi, en Villon (CGT, FN et CNR), Georges modifient la composition du CNR et décembre 1943, l’insertion du qualificatif Delamarre (CGT Métallurgie et Libé-Nord), confortent cette présence syndicale au « national » à sa dénomination. Cette évo - Henri Rol-Tanguy (CGT Métallurgie et Conseil. lution est actée dans l’hommage au CNR FTP), ainsi que Pierre Kaan (Mouvements

3 En sont aussi membres Georges Bidault, Démocrates-chrétiens et Pascal Copeau, Libération-Sud.

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unis de Résistance) et les docteurs Fouché (CGT et Combat). Le CPL se déve - mations, critiques, amendements, constat Descomps et Leibovici (FN). C’est donc loppe à l’image du CNR. À titre d’exemple, de divergences, re-navette, re-critique et sans surprise, lors de la nomination d’Yves à la libération de Paris, Raymond Bossus, re-amendements, nouvelle mouture, re- Farge comme commissaire de la responsable dans la clandestinité des UD navette, re-critiques et re-amendements, République, que la présidence du CAD CGT de la zone Nord, préside le comité jusqu’à un texte final, plus riche, plus com - revient à Louis Saillant (CGT). local de libération (CLL) du 11 e arrondisse - plexe, plus exigeant, faisant l’unanimité. ment ; Jean Rieussec, le Comité de la libé - En France, cette pratique de la démocratie Le travail concret de fond engagé par le ration des théâtres lyriques nationaux, au est, pour moi, typiquement syndicale, liée Comité pour soustraire à l’Occupant et ses titre de la CGT ; Alain Poher, le Comité de la à l’essence du syndicalisme, qui est d’unir. complices les forces vives du pays est réa - Libération du ministère des Finances, au Je pense que l’unité réalisée le 27 mai 1943 lisé en relation étroite avec les syndicalistes titre de la CFTC 4. fut maintenue, contre vents et marées, résistants, agissant soit dans les syndicats grâce à cet apport majeur du syndicalisme clandestins, soit dans les mouvements, soit Là encore, il serait utile d’engager l’étude résistant à l’ensemble de la Résistance. dans les organisations de jeunesse issues des CDL, des CLL et des autres institutions des mouvements et formations politiques, concourant au rétablissement de la légalité syndicales et confessionnelles entrées en républicaine à la Libération sous l’optique Quels sont les apports des organisa - résistance (Jeunesses communistes, du syndicalisme en résistance. tions syndicales et des syndicalistes Jeunesses socialistes, Jeunes syndiqués de membres du CNR au programme du Entre l’été 1943 et l’été 1944, la place prise la CGT, Jeunesse ouvrière chrétienne, Conseil, à celui de la Résistance au par les syndicalistes dans la construction Jeunesse agricole chrétienne, Jeunes de de cette organisation protéiforme, efficace pouvoir et dans sa mise en œuvre ? l’Organisation civile et militaire, etc.) voire et à large spectre d’action, est essentielle, – à vérifier – avec le syndicalisme étudiant Le discours du général de Gaulle le 12 sep - comme nous l’avons vu, sans pour autant représenté par l’UNEF. tembre 1944 au Palais de Chaillot accorde ignorer et minorer le rôle d’autres, notam - une place significative aux questions éco - L’Union des cadres industriels de la France ment celui du gouvernement provisoire et nomiques et sociales et expose les prin - Combattante, qui assure notamment le de ses représentants en France et leurs cipes de la future action du gouvernement lien entre le CAD, le patronat et l’encadre - apports à cette construction. dans ces domaines. ment patronal résistant, est dirigée par Pour conclure cette deuxième partie tou - Pierre le Brun, membre de la direction du C’est une synthèse des réflexions et des chant à l’architecture du CNR et à son FN, syndicaliste de la CGT et très proche projets mûris, durant les quatre années de fonctionnement, voici quelques questions compagnon de Léon Jouhaux. guerre et d’occupation, tant par la France et pistes de réflexion. Libre que par la Résistance intérieure. Le Comité d’action militaire du CNR Le CNR originel est, par définition, une (COMAC), qui, en mai 1944, prend la relève Deux grands textes, implicitement, nour - confédération c’est-à-dire un rassemble - de la Commission d’action des mouve - rissent son propos : d’une part, la ment volontaire de groupes animés par un ments, a une direction tricéphale, compo - Déclaration aux mouvements d’avril 1942, même idéal (la liberté) et un même but (la sée de deux syndicalistes : Pierre Villon remise à Christian Pineau (CGT et libération), et qui se sont alliés pour les réa - (CNR et FN) et Maurice Kriegel-Valrimont Libération-Nord), à Londres ; d’autre part, liser dans un mouvement (la France (zone Sud, Libé-sud et Action ouvrière), le programme du CNR du 15 mars 1944. Combattante), autour d’un chef (de auxquels s’ajoutent Jean de Vogüé (zone Les deux textes sont eux-mêmes le prolon - Gaulle). Pour autant, aucun d’entre eux n’a Nord, CDLR), le troisième « V » , et le chef de gement de débats et de propositions multi - renoncé à sa souveraineté et à son autono - l’état-major national des FFI, Alfred ples venues d’horizon divers. La poursuite mie. Les évolutions engagées dès l’été Malleret-Joinville, militant de la CGT résis - des travaux d’Henri Michel et de Boris 1943, les agrégats, les surgeons, les ramifi - tant au sein de Libé-sud. Participent aussi Mirkine-Guetzévitch sur « une histoire des cations qui en découlent, non seulement aux réunions du Comité militaire Jacques idées politiques et sociales de la résistance 5 » ne modifient en rien la nature première du Chaban-Delmas, délégué militaire natio - ne serait-elle pas opportune ? CNR, mais y trouvent leur source et leur nal et, à titre consultatif, le général Revers raison. Ce cadre de type confédéral est La CGT, de manière différente, a contribué pour l’ORA. familier à ces principaux acteurs du CNR et à l’écriture de ces deux textes. Il serait intéressant de poursuivre l’examen à leur culture syndicale. Aussi, fort du des - Si le projet de rénovation sociale à la de ces structures du CNR ou liées à lui sous sein des architectes (de Gaulle-Moulin) Victoire est affiché très tôt par le général de l’angle du syndicalisme résistant. construisent-ils l’édifice avec les matériaux Gaulle – ne proclame-t-il pas que l’article 3 et les outils qu’ils maîtrisent, puis l’habi - Enfin, il faut remarquer que c’est dans le de la politique de la France Libre est de per - tent et le sociabilisent avec les codes et les giron du CNR que naît, dans la Seine, en mettre aux Français « de vivre, de penser, de pratiques de cet héritage syndical, au point octobre 1943, après trois mois de consulta - travailler, et d’agir dans la dignité et la sécu - de lui donner l’allure et la vie d’une confé - tions, le premier comité départemental de rité » dans son discours du 15 novembre dération syndicale. En témoigne notam - libération (CDL) en France : le Comité pari - 1941 à l’Albert Hall de Londres ? –, il appa - ment son fonctionnement. sien de la Libération (CPL), présidé par raît que c’est à l’issue des longs et intenses André Tollet, secrétaire de l’UD CGT illé - Le fonctionnement démocratique du CNR échanges avec Christian Pineau, en pré - gale de la Seine et un des acteurs de l’ac - est souvent souligné, en particulier sence d’Henri Hauck et d’Adrien Tixier, que cord du Perreux. On peut noter qu’André lorsqu’est rapportée l’élaboration du pro - le projet de politique sociale du général de Tollet doit sa première rencontre avec Jean gramme du CNR, entre novembre 1943 et Gaulle se précise, au point de devenir un de Vogüé (CDLR), et donc avec les mouve - mars 1944 (nous y reviendrons d’ailleurs) : élément clé de son programme pour la ments à l’été 1943, à Marcel Degliame- projet de base, navette entre toutes les for - Libération.

4 Charles Riondet, Le Comité parisien de la Libération, 1943-1945 , Rennes, PUR, 2017. 5 Henri Michel et Boris Mirkine-Guetzévitch, Une histoire des idées politiques et sociales de la Résistance , Paris, PUF, 1954.

24 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

À la lecture de la Déclaration aux mouve - Les propositions sont avant tout d’ordre discours du 12 septembre 1944 : intérêts ments, quels apports de la CGT pouvons- social, concrètes et en phase avec les mal - particuliers toujours contraints par l’intérêt nous détecter ? Tout d’abord, la dénoncia - heurs vécus par le monde du travail et les général ; grandes ressources de la richesse tion des grandes concentrations capita - espoirs que porte la Libération : revalorisa - commune exploitées et dirigées non au listes industrielles et financières responsa - tion des salaires, stabilisation et contrôle profit de quelques-unes, mais à l’avantage bles de la défaite, en ayant œuvré pour leurs des prix, stabilité de la monnaie, congés de tous ; abolition des coalitions d’intérêt ; intérêts propres contre le pays et l’intérêt payés et, évidemment, sanctions contre les vivre et élever ses enfants dans la sécurité et général. C’est un des points forts de l’intro - profiteurs de guerre et les collaborateurs. la dignité. Et dans l’immédiat, il propose : duction du Manifeste du syndicalisme de élévation du niveau de vie ; réquisition et Les ex-unitaires y ajoutent l’abrogation des novembre 1940. Puis l’affirmation du lien séquestre d’entreprises publiques et pri - lois antisociales de l’État français (en pre - dans le combat pour la Libération entre vées ; sanctions des profiteurs ; fixation des mier lieu la Charte du travail), ainsi que le l’émancipation nationale et l’émancipation prix et contrôle des échanges. sociale. Cette idée, le général de Gaulle la rétablissement et l’extension des droits ramassera en une formule toujours reprise sociaux d’avant-guerre. Il faut remarquer En affirmant que « les plus nobles principes jusqu’à la Libération : « buts conjugués de la que, sans attendre la Libération, le 27 juillet du monde ne valent que par l’action » , ce dis - sécurité nationale et de la sécurité sociale » . 1944, le CFLN abolit la Charte du travail et cours du 12 septembre annonce clairement Son discours du 30 avril 1942, appelant les rétablit la liberté syndicale. Les ex-confé - la mise en chantier du plus vaste plan de Français à célébrer par des manifestations dérés, de leur côté, demandent le contrôle réformes économiques et sociales de notre patriotiques le 1 er mai (fête des travailleurs des fortunes, la confiscation des biens des histoire nationale, réalisé en deux années et non la fête du travail), témoigne de cette profiteurs et la nationalisation des activités par la Résistance au pouvoir, en grande par - prise de conscience forte. d’intérêt général et national. Les ex-uni - tie sous la direction du général de Gaulle. taires, à la charnière des années 1943-1944, Le CNR et, en tête, les deux confédérations En juillet 1943, à la suite de différentes pro - se rallient au projet de nationalisation. positions programmatiques venues syndicales qui en sont membres, vigilants d’Alger (et transmises par Émile Laffon, Force est de constater : et exigeants, continueront d’apporter leur contribution constructive à ce chantier. envoyé du CFLN) ou du parti socialiste, la - que ces revendications et propositions CGT – tout juste réunifiée – rédige et dif - constituent l’essentiel du contenu des cha - Guy Krivopissko fuse aux autres organisations de pitres économiques et sociaux de la Paris, 18 janvier 2017 Résistance sa propre contribution à la deuxième partie du programme du CNR. 6 réflexion sur l’après-libération . Ce texte Sans oublier que, par d’autres voies, les est original dans son élaboration, sa revendications des travailleurs de la terre et Notice biographique forme, son contenu. Témoin de la culture de la petite paysannerie, portées notam - Guy Krivopissko est professeur d’histoire démocratique du syndicalisme français, il ment par le syndicat agricole clandestin de retraité. Détaché au Musée de la est composé de trois textes. Le premier François Tanguy Prigent, trouvent, elles Résistance nationale, à Champigny-sur- expose les revendications qui font consen - aussi, leur place dans le programme du CNR, Marne, il était conservateur du Musée de sus. Le deuxième présente celles des ex- comme le statut du fermage et du métayage. la Résistance nationale. Il a publié unitaires n’ayant pas été partagées par les notamment La Vie à en mourir : Lettres ex-confédérés. Le troisième, enfin, pré - - que les grands principes et les objectifs de de fusillés 1941-1944 (Seuil, 2006) ou Les sente les revendications des ex-confédérés la contribution de la CGT sont partagés par Résistants 1940-1945 (Belin, 2015). refusées par les ex-unitaires. le général de Gaulle et présents dans son

6 Claire Andrieu, Le Programme commun de la Résistance , Paris, Les Éditions de l’Érudit, 1984.

L’accès à la Fondation Le siège de la Fondation de la France Libre est installé au rez-de-chaussée du 16, cour des Petites-Écuries , dans le 10 e arrondissement . On y accède au nord par le passage des Petites-Écuries, entre le 15 et le 17 de la rue des Petites-Écuries, à l’est par le n° 63 de la rue du Faubourg-Saint-Denis, au sud par le n° 20 de la rue d’Enghien.

Pour y parvenir, plusieurs moyens de transport sont à votre disposition : • en métro en métro par les stations Château d’eau (ligne 4), Strasbourg-Saint-Denis (lignes 4, 8 et 9) et Bonne-Nouvelle (lignes 8 et 9) ; • en bus par les stations Château d’eau (bus 38, 39 et 47), Strasbourg-Saint-Denis (bus 20 et 39), Faubourg-Saint-Denis et Hauteville (bus 32), Petites-Écuries (bus 48) et Poissonnière-Bonne-Nouvelle (bus 20,39 et 48).

Des possibilités de stationnement sont à la disposition des automobilistes au n° 6 de la rue d’Hauteville, au n° 107 de la rue du Faubourg-Saint-Denis et au n° 5 de la rue du Faubourg-Poissonnière.

Mars 2018 • N° 67 l 25 HISTOIRE

Second débat

Michel Dreyfus, lui a permis de constater évolution, il convient de signaler l’in - que les secrétaires d’UD communistes fluence de certains textes démocrates- étaient plus jeunes, en moyenne, que les chrétiens, écrits par de grands philo - confédérés – ce qui explique, au passage, sophes exilés, en particulier À travers le qu’il y ait plus de morts parmi les confédé - désastre de Jacques Maritain 2 ; le discours rés prisonniers en Allemagne ou déportés d’Oxford (25 novembre 1941) est prononcé en Algérie que parmi les unitaires. En l’oc - juste après que de Gaulle a reçu l’exem - currence, les hommes de L’Atelier sont rela - plaire dédicacé d’ À travers le désastre . Les tivement âgés. projets anglo-saxons de réforme sociale, dans lesquels baigne la France Libre, ont Un certain nombre d’entre eux ont eu un dû sans doute également compter, même engagement dreyfusard. C’est également le si leur rôle est difficile à quantifier. cas de personnalités qui ont pu collaborer à L’Atelier , sans être forcément syndica - Gilles Morin suggère que cette évolution se listes, appartenant simplement à cette situe dans une ambiance culturelle plus mouvance, comme Francis Delaisi. générale. La remise en cause du libéra - Membre du comité central de la Ligue des lisme, d’un état démocratique failli qu’il droits de l’Homme, du Comité de vigilance faut tenter de réaménager, est, dans les des intellectuels antifascistes avant-guerre, premiers temps, un thème commun aux lié d’amitié à Léon Jouhaux dès avant la vichystes, à la Résistance, au gaullisme, la Grande Guerre, ce dreyfusard historique différenciation se faisant dans un second anime un comité d’étudiants, à Rennes, temps. En ce qui concerne les idées qui prend la défense de soutiens du capi - sociales du général de Gaulle, il trouve cer - taine Dreyfus, notamment Émile Zola. taines correspondances avec les discours et les écrits d’Eugène Schuller pendant Ces dreyfusards ont en commun certains l’Occupation, qui révèle un esprit assez Intervention d’Henri Écochard, en conclusion du col - accents antisémites. Ainsi, Delaisi, qui semblable sur le salaire proportionnel ou loque qui rappelle qu’avant 1941-1942, hormis le géné - contribue à forger le concept des « deux l’encouragement. Ces idées circulent ral de Gaulle, tous les Français Libres se battaient pour cents familles » , a tendance à mettre en l’honneur et pensaient que l’Allemagne allait gagner la depuis des années et constituent un fond avant les familles juives. Ces gens sont sou - guerre (cliché Mariette Buttin, coll. Christophe Bayard). où chacun puise, en les recomposant. À ce vent assez antiparlementaires ; ils ont été titre, il faut citer l’importance des déçus par la République, au début du siè - réflexions des années trente, notamment Interrogé sur la nature du modérantisme cle. On va donc trouver un petit noyau de des anticonformistes. des gens de L’Atelier – syndicalistes colla - dreyfusards bien spécifiques, qui ont borationnistes proches de Marcel Déat –, dérivé, par pacifisme, vers l’entente avec En plein accord avec Jean-François Gilles Morin juge que, s’ils sont effective - l’Allemagne, à la veille de la guerre. C’est Muracciole sur l’antériorité de la réflexion ment pleinement engagés dans le collabo - notamment le cas de la plupart des sept du général de Gaulle dès l’automne 1941, rationnisme, allant jusqu’à prôner une responsables de la Ligue des droits de Sébastien Albertelli précise que, le 1 er sep - alliance avec l’Allemagne, ils sont relative - l’homme qui ont démissionné en 1937, tembre 1941, de Gaulle regagne Londres ment parmi les plus modérés, dans le afin de ne pas cautionner la position de la après plus de cinq mois d’absence. Le monde collaborationniste – songeons LDH sur les procès de Moscou et de mani - contexte dans lequel il se trouve alors notamment au Pilori – et se distinguent en fester leur désaccord sur la question de la plongé a considérablement changé. particulier par un ton moins agressif. Cette résistance à Hitler. Toutefois, ces engage - Arrivent de France, à cette époque, des modération renvoie donc à la fois aux ments dreyfusards sont minoritaires. informations qui modifient grandement sa vision de la situation en France. thèmes politiques, comme l’antisémi - Enfin, Jean-François Muracciole revient tisme, et au rapport à la violence. sur le rôle des syndicalistes et des syndi - Guy Krivopissko confirme que les ques - Une autre question porte sur les motiva - cats dans l’évolution et la structuration de tions sociales sont présentes très tôt dans tions des syndicalistes collaborationnistes la France Libre, et particulièrement dans la les discours du général de Gaulle. La ren - et la validité, dans ce cas précis, de la piste formation et l’évolution de la doctrine du contre avec Pineau ne fait que conforter signalée par Simon Epstein, concernant le général de Gaulle, considérant que, si leur cette évolution, Pineau n’apportant sans passé dreyfusard de nombre de collabora - rôle fut réel, il ne faudrait sans doute pas le doute que des arguments supplémentaires tionnistes 1. surestimer. Par exemple, le ralliement pour conforter les options sociales du explicite et définitif de De Gaulle à la général de Gaulle. Les formules « sécurité En préalable, Gilles Morin tient à souligner République et à la démocratie, à travers la nationale » et « sécurité sociale » sont d’ail - une différence de générations. Une étude Déclaration aux mouvements d’avril 1942, leurs typiquement gaulliennes. Mais c’est sur les secrétaires d’unions départemen - a fait l’objet d’un mûrissement antérieur, lors de ces rencontres que vont se nouer tales (UD), menée conjointement avec dès l’été et l’automne 1941. Dans cette d’autres évolutions du général de Gaulle.

1 Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l’Occupation , Paris, Albin Michel, 2001, et Un paradoxe français : Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance , Paris, Albin Michel, 2008. 2 Jacques Maritain, À travers le désastre , New York, Éditions de la Maison française, 1941.

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Conclusion

d’autres qui, un jour, prirent le relais, ou bien, par exemple dans le monde syndi - cal, en raison des logiques d’appareil 3. Il convient enfin de prendre en compte les porosités initiales telles que celles mises en évidence par Gilles Morin. Les interrogations qui ont occupé les Français Libres au début de leur épopée méritent également attention, qu’elles aient porté sur les modalités d’action ou sur celles et ceux – syndicalistes, mais pas seulement – qui allaient agir. Ainsi, comme l’a rappelé Sébastien Albertelli, la question du sabotage ou les débats qui opposèrent les partisans de l’apolitisme à ceux d’une action résolue vers les partis et les syndicats. De telles considérations renvoient au pragmatisme bien compris qui fut – aussi – une marque de fabrique française libre. Elles pointent en direction de la situation concrète du mouvement gaullien, frêle esquif lancé dans une guerre mondiale, et donc vers les révi - sions drastiques de méthodes et d’objec - Guillaume Piketty présente la conclusion du colloque (cliché Mariette Buttin, coll. Christophe Bayard). tifs que les Free French ont dû accomplir pour exister quand même, malgré leur Au moment de conclure ce dossier, il semblés au sein d’organisations. Bien petit nombre et leurs très faibles moyens, convient de rappeler à quel point, au davantage que des conclusions, elles sug - dans le maelstrom des années 1940, 1941 cœur des résistances françaises, toutes les gèrent ou confirment donc de promet - et 1942. Elles commandent de considérer cartes furent régulièrement rebattues. Les teuses pistes de travail. Plusieurs champs la position de la France Libre dans le dis - femmes et les hommes qui s’engagèrent de réflexion se dégagent en effet qui pren - positif allié, i.e. notamment le mouve - au service du « Non intransigeant 1 » à un nent la « question syndicale » en compte, ment tel qu’il fut envisagé par les moment ou à un autre de la Seconde mais qui souvent la dépassent, et dont les Britanniques, les Soviétiques et les Guerre mondiale, en France métropoli - lignes qui vont suivre évoqueront cinq Américains, et non uniquement l’inverse. taine ou ailleurs, s’investirent souvent parmi les principaux. Un tel renversement de perspective ne dans des activités qu’il leur appartenait au peut être que fructueux. Comme l’ont notamment rappelé préalable de découvrir, voire d’inventer. Sébastien Albertelli et Laurent Douzou, la Ainsi que Laurent Douzou l’a explicite - Nombre d’entre ces rebelles évoluèrent nécessité s’impose plus que jamais d’étu - ment rappelé et qu’une bonne part des substantiellement aux plans intellectuels dier les débuts de la France Libre, et pas contributions l’ont illustré, mettre à jour, et politiques. Jusque-là limitées à des seulement dans ses relations avec la analyser et comprendre le phénomène cénacles réduits, certaines de leurs idées Résistance intérieure. Par-delà les struc - résistant impose de se pencher sur la trouvèrent tout à coup une audience et un tures mises en place au cours des pre - résistance « d’en bas » , d’en étudier préci - écho parfois considérables. En d’autres miers mois d’existence du mouvement, sément la composition et les arcanes. Une termes, envisager la façon dont la France au-delà des avatars successifs du Comité telle remarque ne revient évidemment Libre s’est attaquée à la question syndi - national français (CNF), il convient ainsi pas à invalider certains des développe - cale impose de s’orienter dans un maquis de considérer l’improvisation des com - ments proposés par Christine Levisse par essence très compliqué. mencements, le foisonnement des initia - Touzé et par Guy Krivopissko, pour ne Les riches contributions qu’il nous a été tives, le rôle souvent évolutif joué par les citer qu’eux, a fortiori lorsqu’il s’agit donné de lire participent à ce travail uns et par les autres, les tentatives plus ou d’examiner l’œuvre de la Délégation d’orientation et de mise en ordre. Elles moins réussies, les débats, voire les dis - générale en direction du monde syndical, illustrent également la difficulté de sensions internes 2 au sein d’une organisa - l’action des syndicalistes au sein du reconstituer le détail des relations entre le tion décidément loin d’avoir été un bloc Conseil national de la Résistance (CNR), mouvement fondé à Londres par le géné - unanime. Essentielle, la tâche est évidem - ou encore leur présence dans les orga - ral de Gaulle le 18 juin 1940 et les syndica - ment complexe car, bien souvent, les nismes liés audit conseil. Elle ne listes français, qu’ils aient été ou non ras - acteurs des débuts ont été éclipsés par débouche pas non plus sur la récusation

1 Alban Vistel, Héritage spirituel de la Résistance , Lyon, Lug, 1955, p. 28. 2 À ce sujet, voir par exemple les propos de Sébastien Albertelli. 3 Ainsi par exemple, pour la propagande-diffusion, Édouard Ehni évoqué par Laurent Douzou.

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des travaux le plus souvent remarquables Mais les influences purent aussi consister particulièrement évident à Londres en qui ont été publiés au fil des ans sur les en des oppositions ouvertes ou larvées. 1942 et jusqu’au printemps 1943. Ainsi organisations de résistance, que celles-ci En ce qui concerne les sujets syndicaux, le que Jean-François Muracciole l’a rappelé aient émané de la France Libre ou de l’ar - premier cas est illustré par le groupe Jean dans son propos introductif en évoquant mée des ombres. Mais, décidément, l’ap - Jaurès et son journal France , tandis que le notamment les travaux d’Éric Jennings 6, proche « par le haut » ne suffit pas. second est par exemple incarné par Paul cette « préoccupation sociale » a trouvé de Vignaux. Le cas de ce dernier est d’ailleurs solides limites en Afrique, lesquelles méri - Il importe donc, à la suite notamment de saisissant. Ainsi que l’a montré Jean teraient d’être étudiées en détails ou à Jean-François Muracciole 4, de placer la Lecuir, Vignaux – et avec lui Joseph Botton tout le moins incluses dans une étude qui focale au « ras » des résistances. Ce faisant, – était capable d’analyses fines, fouillées il convient d’accorder toute leur place – poursuivrait et développerait au sujet de et parfois même visionnaires. Sa très capitale, surtout dans les temps initiaux – « La France Libre et la question syndi - grande difficulté à évoluer, à s’adapter au aux individualités. S’agissant de la ques - cale » . En juin 1943, un commissariat au fil de la guerre n’en est que plus intéres - tion syndicale, c’est précisément ce qu’ont Travail et à la Prévoyance sociale fut sante. Il arriva également que le système rappelé tous les contributeurs à ce dossier confié à Adrien Tixier dans le cadre du spécial, en évoquant des figures telles que, d’interactions s’organise sous le signe de Comité français de la Libération nationale notamment, Emmanuel d’Astier de la divergences nettement plus fondamen - (CFLN). Au mois de novembre suivant, le Vigerie, Georges Boris, Joseph Botton, tales. À cet égard, le début du propos de portefeuille de l’ancien représentant de la Julien Forgues, Albert Guigui, Henri Hauck, Guy Krivopissko et les développements de France Libre aux USA prit le nom Edmond Jouhaux, Robert Lacoste, Léon Gilles Morin fournissent des illustrations d’ « Affaires sociales » sans pour autant « Yvon » Morandat, Adrien Tixier, Paul tout à fait éloquentes. changer de contenu. Lors du remanie - ment du Gouvernement provisoire de la Vignaux, et bien sûr le général de Gaulle Plus largement, il est permis de rêver à des lui-même. Soulignons aussi l’importance recherches qui, en matière de syndica - République française (GPRF) qui eut lieu des premiers contacts, des rencontres et lisme et de travail, analyseraient les le 9 septembre 1944, Alexandre Parodi des discussions dans le monde résistant. influences subies, exploitées, rejetées par succéda à Tixier à la tête d’un ministère L’évocation par Laurent Douzou des entre - la France Libre aux plans notamment des cette fois nommé « du Travail et des vues d’Astier – Jouhaux, et celle par idées, des pratiques militantes et des liens Affaires sociales » . Au-delà des questions Christine Levisse Touzé des entretiens avec les partis politiques. De tels travaux de dénomination et de titulaire, et alors Moulin – Morandat en fournissent d’excel - débuteraient à Londres, capitale de que s’intensifiait la préparation de la lents exemples. l’Europe en exil, et prendraient en compte Libération, la réflexion sur l’ensemble des aussi bien les syndicalistes européens sujets liés au travail et aux enjeux syndi - Le troisième champ de réflexion pourrait caux se poursuivit ainsi avec constance. À être résumé par un mot : « influences » . expatriés que les gouvernements exilés. Ils se tourneraient ensuite vers le plus l’évidence, donc, les projets réformateurs Car la France Libre fut un melting pot au impulsés par la France Libre à Londres sein duquel les Free French se trouvèrent large monde, en particulier et d’abord vers l’Amérique du Nord, qu’il s’agisse des puis sur la scène algéroise, et notamment durablement soumis à des influences évoqués par Jean-François Muracciole nombreuses, variées et puissantes. À tout États-Unis d’Amérique ou du Canada. dans le premier débat, mériteraient d’être seigneur tout honneur, et à la suite de Au terme de cette rapide et succincte évo - étudiés systématiquement et en profon - Jean-François Muracciole puis de la pré - cation des influences auxquelles les deur. Par-delà l’évolution de la pensée et sentation détaillée proposée par Laurent Françaises et les Français libres furent de la parole gaulliennes – très utilement Lasne, songeons en premier lieu au géné - soumis, il convient d’insister à nouveau rappelée par Laurent Lasne –, il convien - ral de Gaulle. À partir de ses deux discours sur l’ampleur et sur l’importance des évo - drait de se pencher sur le parcours de cer - fondateurs au Royal Albert Hall de lutions que connurent un certain nombre tains individus, sur la formation et le Londres et à l’Université d’Oxford, de ces femmes et de ces hommes, qu’il développement de groupes de travail l’homme du 18 juin emprunta en matière s’agisse de leurs doutes et de leurs ques - dédiés, et sur les débats qui eurent cours syndicale aux socialistes, aux radicaux et tionnements, des réponses qu’ils s’effor - au sein des cénacles officiels, qu’il agisse aux démocrates-chrétiens français. cèrent d’élaborer, ou encore des convic - Soulignons également combien, par-delà tions qui en découlèrent. Après un tel ces interactions que l’on pourrait qualifier « voyage » intellectuel, le retour – c’est-à- de naturelles, le fondateur de la France dire la sortie de guerre – s’avéra ô combien Libre ne cessa d’écouter et d’observer, difficile pour beaucoup d’entre eux 5. c’est-à-dire de glaner, quatre années durant. Beaucoup au sein du mouvement En quatrième lieu, des investigations gaullien adoptèrent une démarche ana - complémentaires s’imposent à propos logue tout au long de la guerre. De son des projets conçus au cœur de la France côté, Guy Krivopissko a décrit le système Libre et de la France Combattante, puis à d’échanges et de discussions qui s’est Alger. Soulignons-le à nouveau, nombre rapidement mis en place au sein du CNR de Free French , à commencer par et des organismes qui en dépendaient. De l’homme du 18 juin, ont manifesté tout au telles interactions eurent également cours long du second conflit mondial, et dès au sein des principales organisations de avant la formation du CNF, leur intérêt Émeline Vanthuyne, présidente de séance, remercie les participants, en clôture du colloque (cliché Mariette l’armée des ombres. pour les questions sociales. Celui-ci fut Buttin, coll. Christophe Bayard).

4 Jean-François Muracciole, Les Français libres. L’autre Résistance , Paris, Tallandier, 2009. 5 À ce sujet, voir par exemple Guillaume Piketty, “From the Capitoline Hill to the Tarpeain Rock? Free French Coming Out of War” , European Review of History. Revue européenne d’histoire , Vol. 25, No. 2 (2018), pp. 354-373. 6 Éric Jennings, La France Libre fut africaine , Paris, Perrin, 2014.

28 l Mars 2018 • N° 67 HISTOIRE

du CFLN et du GPRF ou encore, à partir de matière syndicale en 1946 et 1947, dans le novembre 1943, de l’Assemblée consulta - cadre du Rassemblement du peuple fran - Notice biographique tive provisoire (ACP). çais (RPF), voire même, ainsi que Laurent Guillaume Piketty est professeur d’his - Lasne l’a rappelé, durant les premières Le cinquième et dernier champ d’investi - toire contemporaine à Sciences Po années de la V e République. gation découle logiquement du précédent (CHSP, Paris, France), ainsi que Associate et et pourrait être résumé par le mot « héri - Née d’une rébellion et « parti[e] de rien 7 », member of the Faculty of History tages » . Les études à venir qui porteraient, organisée par la grâce d’une « passion col - Visiting Fellow at Worcester College au sens large, sur « La France Libre et la lective » et d’une « ardeur qui soul[evait] les (Université d’Oxford). Il est membre per - question syndicale » devraient en effet montagnes 8 », la fascinante aventure Free manent du comité historique et pédago - gique de la Fondation de Résistance et concerner également la mise en œuvre French fut d’abord dédiée au combat pour membre du conseil scientifique du concrète des projets conçus durant les la libération de la France. Très vite, nombre musée de l’ordre de la Libération. Il a années noires, c’est-à-dire l’action effecti - de celles et ceux qui l’animaient s’attachè - notamment publié Résister. Les archives vement conduite en matière syndicale tout rent à penser autrement, à regarder ailleurs intimes des combattants de l’ombre au long des mois de la Libération puis de et à accueillir les influences vertueuses afin (Textuel, 2011) et La bataille des l’immédiat après-guerre. Il s’agirait là de d’élaborer une série de projets destinés à Ardennes . 16 décembre 1944-31 janvier poursuivre dans la voie indiquée, chacun rénover en profondeur le pays libéré. 1945 (Tallandier, 2013). Il a codirigé le selon son point de vue, par Guy Comme l’a amplement montré le dossier Krivopissko et par Laurent Lasne. On Dictionnaire de Gaulle (avec Claire que les présentes lignes viennent conclure, Andrieu et Philippe Braud ; Robert considérerait ainsi tour à tour ce qui fut cette volonté réformatrice s’appliqua éventuellement pensé au sein des diffé - Laffont « Bouquins » , 2006) et notamment au travail et, plus largement, l’ Encyclopédie de la Seconde Guerre mon - rents comités locaux de Libération, accom - aux affaires sociales. Formons le vœu que, pli par les organisations syndicales pro - diale (avec Jean-François Muracciole ; dans le sillage du renouvellement historio - Robert Laffont « Bouquins » , 2015). gressivement reconstituées, mis en œuvre graphique actuellement en cours 9, l’impor - par le GPRF au fil du rétablissement de la tant objet constitué par « La France Libre et légalité et de l’ordre républicains, puis de la la question syndicale » trouve ses nouveaux reconstruction. Enfin, et là n’est pas le historiens. moindre défi, les analyses à venir devraient également porter – ou porter à nouveau –, Guillaume Piketty sur les héritages de la France Libre en 28 janvier 2018

7 René Cassin, Les hommes partis de rien. Le réveil de la France abattue (1940-1941) , Paris, Plon, 1974. 8 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, La France Libre. De l’appel du 18 Juin à la Libération , Paris, Gallimard, 1996, p.96-97. 9 Voir par exemple, parmi les ouvrages et dossiers les plus récents : François Broche et Jean-François Muracciole (dir.), Dictionnaire de la France libre , Paris, Robert Laffont « Bouquins » , 2010 ; Sylvain Cornil-Frerrot et Philippe Oulmont (dir.), Les Français libres et le monde , Paris, Nouveau Monde Éditions, 2015 ; Jean-Louis Crémieux- Brilhac, De Gaulle, la République et la France Libre 1940-1945 , Paris, Perrin, 2014 ; Charlotte Faucher and Laure Humbert (eds.), special issue “Beyond de Gaulle and beyond : The French External Resistance and its international networks / Les réseaux internationaux de la Résistance : historiographie, sources et méthodes” , European Review of History. Revue européenne d’histoire , Vol. 25, No. 2 (2018) ; Patrick Harismendy et Erwan Le Gall, Pour une histoire de la France Libre , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012 ; Eric Jennings, op. cit. ; Jean-François Muracciole, Les Français libres… op. cit.

La Médaille de la Fondation de la France Libre

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Mars 2018 • N° 67 l 29 LIVRES

Leclerc, patriote et rebelle

Tant de livres ont été consacrés à Leclerc, depuis la Seconde Guerre mondiale. Tout n’avait-il pas déjà été dit ? Nous pensons notamment au Leclerc de Jean-Christophe Notin (Perrin, 2005). La commémoration du soixante-dixième anniversaire de son décès pouvait-il apporter quelque chose de neuf dans notre connaissance de cet officier d’exception ? Pari gagné pour Christine Levisse-Touzé et Julien Toureille qui, en six chapitres strictement répartis, nous retracent successivement les années de formation d’un fils cadet de la noblesse picarde, la carrière prometteuse d’un jeune officier de cavalerie dans une Europe troublée, l’engagement total du Français Libre, le chef de guerre à l’épreuve du combat, en France et en Allemagne, le pacificateur réaliste, tant en Indochine qu’en Afrique du Nord, enfin, les évolutions de sa mémoire, qui commencent par célébrer le patriote, avant de laisser apparaître ses aspérités, pour livrer jour au rebelle. Derrière l’officier de légende et le brillant tacticien, on découvre ainsi l’homme de caractère – un caractère forgé dès l’enfance, où se mêlent une détermination sans faille, dure au mal, une foi profonde, des colères mémorables, mais aussi une extrême humanité –, le penseur militaire et, ce qui est moins connu, le politique, conscient des enjeux de l’après-guerre. Cette biographie fait le point sur les différents débats historiques qui entourent la figure du maréchal Leclerc, leur apportant à chaque fois un éclairage bienvenu. On saluera également la qualité formelle de cet album richement illustré, en particulier grâce aux fonds du musée du Général Leclerc et de la Libération de Paris et musée Jean Moulin.

Directeur de recherche associé à Paris Sorbonne et conservateur général honoraire Leclerc, patriote et rebelle du patrimoine de la Ville de Paris, ancienne conservatrice du musée du Général Leclerc et de la Libération de Paris et musée Jean Moulin, Christine Levisse-Touzé Christine Levisse-Touzé et Julien Toureille est l’auteur de plusieurs livres et expositions sur Leclerc. Elle est membre du conseil Éditions Ouest-France, octobre 2017, 169 p., 45 € scientifique de la Fondation de la France Libre.

La Résistance oblitérée

Voici un titre d’une puissance suggestive indéniable, mais qui rend compte imparfaitement de l’ambition réelle de l’ouvrage. Passons sur l’ambiguïté du mot « oblitération » , qui pourrait laisser supposer un effacement. Or, même si sa célébration ne fut ni constante ni hégémonique, la Résistance ne fut jamais oubliée : 129 timbres lui ont tout de même été consacrés entre 1945 et 2010, avec des tirages à chaque fois très importants. Nous pourrions nous attendre, au vu du titre, à une étude de l’ensemble des hommages rendus par les services postaux à la Résistance, depuis trois quarts de siècles. Sans doute sont-ils tous présents, même de manière allusive, mais le livre se concentre, plus modestement, sur cinq séries de timbres – les 27 figures de « héros de la Résistance » – diffusés par les services postaux de 1957 à 1961 et, de manière secondaire, sur la série des cinq « hauts lieux de la Résistance » , qui leur font suite, en 1962 et 1963. En 1945, c’est la Libération de la France que l’on choisit de célébrer, à l’occasion de son premier anniversaire, de même que l’on commémore le martyre de cinq communes françaises, victimes d’un massacre (Oradour-sur-Glane) ou des bombardements alliés. La Résistance doit attendre 1947 pour avoir les honneurs d’un timbre, sous la forme d’un résistant anonyme, pieds nus et débraillé, saisi au moment de sa capture par des soldats allemands. Durant les dix années qui suivent, quelques timbres sont dédiés à des figures et à des épisodes militaires, les uns renvoyant à l’épopée de la France Libre, les autres aux combats de l’armée réunifiée. La série des « héros de la Résistance » est l’œuvre d’un homme, Eugène Thomas, résistant-déporté, député SFIO du Nord, plusieurs fois ministre des PTT sous la IV e République et président de la FNDIR-UNADIF. C’est lui qui l’a conçue, qui a déterminé les critères de sélection – seuls les volontaires de 1940 seront célébrés, à l’exclusion volontaire des communistes – et qui l’a inscrite dans la durée. Les personnalités de la France Libre ne manquent pas, parmi les figures retenues, mais il s’agit uniquement d’envoyés de Londres (Jacques Bingen, Pierre Brossolette, Honoré d’Estienne d’Orves, Jean Moulin, Fred Scamaroni) ou d’agents de réseaux du BCRA (Jean Cavaillès, Edmond Debeaumarché, Yvonne Le Roux, Simone Michel- Lévy, Jacques Renouvin, Gilbert Védy-Médéric). De même, les socialistes prédominent, par rapport aux autres familles de pensée. Le retour au pouvoir du général de Gaulle, en 1958, ne remet pas en cause l’hommage. Seule la difficulté de choisir « entre d’authentiques héros » finit par avoir raison de cette série des héros. La série des hauts-lieux la prolonge encore deux ans. Après 1963, l’hommage ne cesse pas, mais se fait plus ponctuel, avec « de frappantes sautes d’intensité » liées aux anniversaires (appel du 18 juin, Bir Hakeim, débarquements, Libération, victoire, libération des camps, mort du général de Gaulle…). Celles-ci font l’objet d’une brève présentation, à la fin du dernier chapitre, dans l’épilogue et dans les annexes. Un beau livre agréable à feuilleter et d’une grande richesse d’illustrations, qui nous La Résistance oblitérée : Sa mémoire gravée dans les timbres permet d’appréhender un pan majeur de la Laurent Douzou et Jean Novosseloff politique mémorielle de la Résistance. Éditions du Félin, coll. Résistance Liberté-Mémoire, septembre 2017, 169 p., 24 €

30 l Mars 2018 • N° 67 LIVRES

Dunkerque, la guerre selon Nolan

Selon la réclame, ce film serait, paraît-il, le récit de la fameuse évacuation des troupes alliées de Dunkerque en mai 1940. L’ultime mise en scène d’une grande tragédie historique. Même, selon le critique du Journal du Dimanche : « En racontant un épisode méconnu de la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur britannique Christopher Nolan signe un film immense avec Dunkerque » . Méconnue, la bataille de Dunkerque ? Ah bon. Film immense ? Pourquoi-pas, pouvait-on se dire a priori. Il était cependant à craindre qu’une vision unilatérale britannique du grand rembarquement soit proposée au spectateur, mais, au vu des bandes-annonces époustouflantes, on allait en avoir plein les yeux et, à défaut de voir les soldats français traités à la mesure de leur participation historique, mais ça, on commence à avoir l’habitude dans les productions anglophones, on allait voir un spectacle qui s’est donné les moyens d’être grand. Grosse erreur. Le pire n’est pas le découpage du film, où l’on passe sans transition d’un jeune soldat britannique qui cherche sur la plage à rentrer au pays, un civil qui vogue vers la France avec son fils malgré le danger sur son chalutier, tantôt avec une armada d’autres petits navires, tantôt seul sur la mer, et un pilote de la RAF, protégeant l’évacuation au péril de sa vie avec ses ailiers volant toujours proche de l’eau parce que ça fait certainement de plus jolies images. Le pire, ce n’est pas non plus cette musique lancinante, ainsi que le tic-tac d’une montre voulant certainement retranscrire un suspense insoutenable et qui ne finit que par rappeler que 1h47 de film, dans ces conditions, c’est long. Le pire, ce n’est pas non plus les soldats allemands que l’on ne verra jamais et qui sont pourtant tout proches, vu que, dès le début du film, ils tirent sur les fuyards britanniques dans les rues de Dunkerque. La production a dû aussi oublier que les plages de Dunkerque, fin mai 1940, c’était le chaos. Il n’y a donc pas un canon, pas un véhicule abandonné. C’est une plage quasiment immaculée, avec juste quelques colonnes de soldats attendant les pieds dans l’eau de la marée montante et selon les plans, des bateaux dans le lointain. Ou pas. Il y a quand même l’attaque des Stukas , faisant vrombir leurs sirènes, qui rajoute de l’intensité dramatique, mais les bombardiers en piqué larguent en revanche leurs bombes à plat. Et trois avions qui larguent une bombe chacun, ça fait neuf explosions, ah oui. Pas grave, stoïques sous les explosions, les soldats britanniques poussent le flegme à ne pas bouger d’un centimètre. Logique quand les figurants sont en carton. Pour être clair, le pire de ce film est surtout dû à l’absence de scénario ; les multiples trous dans l’intrigue du film suffisent à le prouver. Mais aussi à l’absence de direction d’acteurs, ce que confirmera notre ami François Perreau, nouveau délégué de la Fondation pour les Pays-Bas. En tant que figurant, il a passé des journées sans savoir ce qu’il devait faire. À part être à bord du Roermond , son vieux dragueur de mines, réquisitionné tout comme l’escorteur Maillé-Brézé pour les besoins du film, mais en conservant leurs équipements d’après-guerre, évidemment. Seuls Christopher Nolan et quelques rares privilégiés avaient le script du film et on comprend mieux le manque d’entrain des figurants qui se demandaient ce qu’ils faisaient là. Finalement, tout le reste du film en découle. Si on veut chercher un film sur l’évacuation de Dunkerque, autant se reporter sur le Dunkirk de 1958, par Leslie Howard, ou même Week-end à Zuydcoote qui est, malgré ses Dunkerque imperfections, bien plus réaliste que le long-métrage d’un Nolan qui a voulu ajouter un film de guerre à sa réalisation. Christopher Nolan Wbs, décembre 2017, 107 mn, DVD zone 2 : Une dernière chose : pour tourner Dunkerque , Christopher Nolan a touché 20 millions de 19,99 €, édition spéciale blu-ray 24,99 € dollars (17,8 millions d’euros). On aurait préféré que ces 20 millions de dollars soient investis dans les figurants, le matériel, le décor et les effets spéciaux. Vincèn Carminati

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Mars 2018 • N° 67 l 31 IN MEMORIAM

tones. Sophie, qui maîtrise l’arabe, le fran - çais et l’arménien, décide de se porter volontaire. Elle rallie les Forces françaises libres à Beyrouth et signe une première fois son acte d’engagement, le 18 juillet 1942, pour la durée de la guerre en qualité d’assis - tante sociale interprète. Dès le lendemain, elle va faire confectionner sa tenue militaire chez un tailleur. Affectée au bureau central d’assistance aux soldats du Levant, elle est dirigée vers la région territoriale des Alaouites, au dispensaire de Lattaquié, situé sur la côte méditerranéenne, à 200 km au nord de Beyrouth. Une de ses premières missions, en qualité d’interprète, va consister à rejoindre Hassetché, situé à 400 km au nord-est du pays. Le voyage doit se faire en avion. Elle embarque à bord d’un Potez 25 pour effec - tuer la traversée, mais elle est victime d’un très sérieux mal de l’air, et l’avion doit atter - rir à Deir ez-Zor pour débarquer sa passa - gère, qui finit son voyage par voie terrestre. Victor Desmet au milieu de ses souvenirs (coll. particulière). De retour au dispensaire, elle pratique les activités d’aide-soignante auprès des Victor Desmet malades et des convalescents. Elle partage sa chambre avec le sergent-chef Denise Né le 20 décembre 1919 à Roubaix, Victor Couttier, 21 ans, ambulancière, arrivée au Desmet s’engage en juin 1939 au 2 e régi - Moyen-Orient six mois auparavant, en pro - ment de zouaves et embarque à Marseille venance de Brazzaville, d’où elle avait rallié à destination du Levant, via l’Algérie. la France Libre. Le 26 juin 1940, il passe en Palestine et intè - Elles sont toutes deux missionnées pour gre, à Ismaïlia, le 1 er bataillon d’infanterie de parcourir les montagnes pendant plusieurs marine (1 er BIM), où il est affecté à la 1 re sec - semaines, à la rencontre de militaires en tion de la 1 re compagnie du BIM, engagée poste, et atteindre divers villages isolés, tels dans première campagne de Libye sous les que Haffé, Sahyoun, Jisr al-Choghour, ordres du lieutenant Barberot. Il prend part Qénâye, El-Ourdou, Djeblé, Bâniâs, aux opérations de Sollum et de Bardia et se Tartous, Masyaf, Kadmous… distingue à Tobrouk en descendant au fusil- mitrailleur un avion italien puis en faisant Après plusieurs mois sans solde, Sophie prisonnier un général italien. Hagopian finit par informer le bureau cen - tral de sa situation et s’aperçoit que son En avril 1941, il suit le lieutenant Barberot à acte d’engagement ne semble avoir été ni la 1 re compagnie de la 13 e demi-brigade de enregistré ni classé. Elle signe donc un Légion étrangère en Érythrée. Décoré de la second acte d’engagement, à Beyrouth, en croix de la Libération par le général de Gaulle à Qastina (Palestine) le 26 mai 1941, il participe à la campagne de Syrie en juin Sophie Hagopian en 1942 (DR). 1941 . À la fin de 1941, il quitte les Forces fran - Sophie Hagopian çaises libres et s’engage, en Palestine, dans l’armée belge, où il sert jusqu’à la fin Sophie Gauthier, née Hagopian, est décé - e de la guerre. dée le 10 août 2017, dans sa 97 année. Ayant contracté un nouvel engagement À l’été 1941, la jeune Syrienne, âgée de 20 dans la Légion étrangère en décembre ans, habite Kessab, sa ville natale, située au 1948, il part pour l’Indochine, où il sert au nord-ouest de la Syrie. Issue d’une famille 71 e bataillon mixte Génie-Légion jusqu’en d’origine arménienne, elle a passé plu - 1952. De retour à la vie civile, il travaille sieurs années en France, à Orléans, pour dans le secteur commercial jusqu’à son poursuivre sa scolarité dans une école départ en retraite, en 1985. Il est décédé le catholique. À l’issue de la campagne de 29 janvier 2018 à Croix (Nord). Il était titu - Syrie, les Forces françaises libres prennent laire de la croix de la Libération par décret position sur les territoires syrien et libanais. du 7 mars 1941, de la croix de guerre 1939- Les autorités militaires sont rapidement à la 1945 avec palme et de la croix du combat - recherche d’interprètes pour faciliter le dia - Denise Couttier (première à gauche) et Sophie Hagopian tant 1939-1945. logue avec les diverses peuplades autoch - (troisième) avec deux camarades des AFAT (DR).

32 l Mars 2018 • N° 67 IN MEMORIAM

date du 3 novembre 1943, et demande à Né en 1914 à Tarbes, ville natale du maré - intégrer l’école d’infirmière de l’hôpital chal Foch, son oncle direct par sa mère Verbizier, à Damas, où elle est affectée à Sophie Foch, il sort de l’École de Saint Cyr compter du 1 er décembre et reclassée per - en 1938. Marié, ayant eu cinq enfants, sonnel féminin de 4 e catégorie. Elle y André Prunet-Foch a toujours été un retrouve son amie Denise qui suit égale - combattant engagé. ment la formation d’élève infirmière. Après la campagne de France en 1940, il En août 1944, Sophie Hagopian est déta - reste dans l’armée pendant l’occupation chée au centre de convalescence de jusqu’à hiver 1942. Il franchit alors les Bloudane, situé dans les montagnes, à 45 Pyrénées avec un faux passeport canadien km au nord-est de Damas. sous le pseudonyme d’ « André Palmer » ; il connaît les geôles de Franco à Pampelune À la fin du conflit, en mai 1945, elle est mise puis s’évade et traverse l’Espagne jusqu’à à disposition de la direction des AFAT Gibraltar pour rejoindre le général de Gaulle (Auxiliaires féminines de l’armée de terre), à Londres par les convois de l’Atlantique. en France, et quitte le Proche-Orient par voie maritime pour débarquer un mois plus Envoyé en Afrique du Nord pour rallier les tard à Marseille. Mutée dans un premier officiers et soldats de Vichy à de Gaulle, il temps à l’hôpital complémentaire est ensuite affecté à la 1 re division fran - d’Asnières, près de Paris, elle est promue au çaise libre comme aide de camp du géné - grade de personnel féminin de 3 e catégorie. ral Brosset. Il prend part activement à toutes les campagnes de la 1 re DFL : En janvier 1946, elle est affectée à l’hôpital Tunisie, Libye, campagne d’Italie, Monte Jean-Édouard Riche (DR). militaire de Percy-Clamart, où, un an plus Cassino, prise de Rome, débarquement en tard, elle est élevée au grade de personnel Provence (prise de la ville d’Hyères et de C’est à l’âge de 17 ans en 1940 (le titre de féminin de 2 e catégorie. Elle obtient sa Toulon), remontée par le couloir rhoda - l’ouvrage qu’il devait publier en 1996) que naturalisation française au mois de janvier nien jusqu’à Lyon. l’adolescent s’engage en Résistance, en pro - 1947. À la mort accidentelle du général Brosset, cédant au relevé et à la transmission, pour En mars 1949, Sophie Hagopian quitte l’ar - il reste l’adjoint de son successeur, le Londres, de plans, de photos et de rapports mée d’active à sa demande, pour aller pour - général Garbay, et participe à la cam - des installations défensives développées suivre sa carrière d’infirmière dans des pagne d’Alsace, puis à la libération de par l’ennemi sur la côte picarde. hôpitaux du service public. Elle termine sa Colmar et à la défense de Strasbourg. Arrêté à trois reprises par la Gestapo et sou - carrière professionnelle comme cadre de À la sortie de la guerre, il embrasse la car - mis à des interrogatoires de plus en plus santé au service traumatologique de l’hôpi - violents, il est sauvé in extremis par le tal Foch, à Suresnes. rière diplomatique : « Le combat n’est plus avec les armes, il doit se porter ailleurs pour consul du Danemark, à l’issue du troisième. Une fois à la retraite, elle utilise une bonne rapprocher les peuples ». Il prend une part Il choisit alors la vie clandestine, sous le partie de son temps libre à voyager aux qua - déterminante à la reconstruction de nom de Jean-Ernest Roux, et poursuit des tre coins du monde. Après une vie bien l’Europe et au rapprochement franco-alle - études de droit jusqu’en juin 1943, couver - remplie au service des autres, elle repose mand à l’arrivée au pouvoir du général de ture de ses activités prohibées. désormais au cimetière nouveau de Gaulle. À la Libération, engagé volontaire au 24 e RI, Colombes (Hauts-de-Seine). e Il occupe différents postes importants au dans le 2 corps d’armée (général Frédéric Bentley service des relations économiques du Monsabert) de la 1 re armée française, il par - Association pour la Mémoire des FAFL ministère des Affaires étrangères. Il ter - ticipe à la campagne de France, en ce terri - mine sa carrière comme viguier de la prin - ble hiver 1944-1945, en Alsace, avec la cipauté d’Andorre et prend sa retraite en poche de Colmar. Parvenu en Allemagne, il 1981. intègre le gouvernement militaire d’occu - André Prunet-Foch pation et retrouve la France en 1948. Il s’est éteint dans la paix, entouré de sa Gaulliste de la première heure, conseiller nombreuse descendance : 74 enfants, national au RPF, il s’investit totalement petits-enfants, arrière-petits-enfants et dans son entreprise, qu’il développe, puis même deux arrière-arrière-petits-fils. dans sa commune de Méneslies, dans la Il reste pour tous ceux qui l’ont côtoyé une région du Vimeu (Somme), dont il sera référence en terme de constance dans maire pendant trente ans. Vice-président l’engagement et la combativité. de la CCI d’Abbeville, il soutient de nom - breux mouvements autour de lui. Marc Prunet-Foch Officier de l’ordre national du Mérite et titu - laire de la croix de guerre avec étoile de ver - meil, Jean-Édouard Riche a été fait cheva - Jean-Édouard Riche lier de la Légion d’honneur le 8 mai 2015. Nous saluons respectueusement sa Une nouvelle fois cette année, notre déléga - mémoire, et redisons à son épouse et tion aura connu le deuil, avec la disparition André Prunet-Foch (coll. familiale). toute sa nombreuse famille notre peine de notre fidèle et généreux ami, viscérale - profonde et sincère. Il y a un an, le 30 janvier 2017, André Prunet- ment patriote, M. Jean-Édouard Riche, Foch nous quittait dans sa 103 e année. décédé le 29 octobre 2017, dans sa 95 e année. Daniel Bourriez

Mars 2018 • N° 67 l 33 CARNET

DÉCÈS ALLAINMAT André (SAS), LEGRAND Margaret (veuve de Michel, SAS), le 23 janvier 2018 le 9 janvier 2018 à Bath (Royaume-Uni) CASTIGLIONE Victor (SAS), LE HÉGARAT Louis (contre-amiral, fils de Louis, FNFL), le 28 mai 2017 à Reims (51) le 21 octobre 2017 à Lorient (56) COHEN Raymond (1 er RA, 1 re DFL), NAYNAMEN Hélène, épouse Lebel (SFF, FNFL), le 30 janvier 2018 à Paris (75) le 29 octobre 2017 à Montréal (Canada) e COUËDEL Armel (RTST, Force L puis 2 DB), NEUGI Victor (BIMP, 1 re DFL), le 11 février 2018 à Arradon (56) le 21 janvier 2018 à Nouméa (988) DA COSTA Manuel (évadés de France par l’Espagne), PIQUET Pierre (FAFL), en janvier 2018 à Saint-Jean-de-Luz (64) le 13 janvier 2018 à Paris (75) DESMET Victor (1 re DFL), le 29 janvier 2018 à Croix (59) TALARMIN Édouard amiral, (FNFL), le 19 février 2018 à Ploudalmézeau (29) DUHALDE SOTOMAYOR Margot (FAFL), le 5 février 2018 à Santiago (Chili) TUPËT-THOMÉ Geneviève, née Allain (épouse d’Edgard, BCRA, SAS), GUÉNA Oriane, née de La Bourdonnaye-Blossac le 4 février 2018 à Plerin (22) (veuve d’Yves, 1 er RMSM, 2 e DB), le 9 janvier 2017 à Chantérac (24) VICTOR Philippe (23 e flottille de MTB, FNFL), le 21 novembre 2017 (Royaume-Uni) GUEZ Félix (1 re DFL), le 25 décembre 2017 à Annemasse (74)

LÉGION D’HONNEUR ANNIVERSAIRE Grand-croix : Daniel Cordier Marcel Barbary a été reçu le 23 janvier 2018, avec sa famille Grand-croix : Hubert Germain et ses amis, par le préfet de région de Nouvelle , Didier Lallement, à la résidence préfectorale pour souffler son 104 e anniversaire.

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34 l Mars 2018 • N° 67 DANS LES DÉLÉGATIONS

Alpes-Maritimes Cap-Martin a inauguré, le 11 janvier 2018, Le 9 novembre 2017, à l’occasion de l’an - l’avenue Robert-Bineau, compagnon de la niversaire de la mort du général de Gaulle, Les Palmes académiques Libération, en présence de ses enfants et une messe a été célébrée à sa mémoire et de nombreuses personnalités. Ont été rap - à celle de son épouse Mme Yvonne de Le 29 octobre 2017, un grand moment de pelées la valeur de l’homme, son sens du Gaulle, en présence de nombreux compa - solennité a envahi tout le palais des devoir tout au long de son épopée militaire. gnons et fidèles. congrès d’Antibes lorsque Mme Monique Il a veillé à la transmission de la mémoire Apréa, présidente départementale de avec d’autres compagnons, jusqu’au seuil C’est en l’église Saint-Jérôme, à Toulouse, l’Association des membres de l’ordre des de sa mort, et entretenu avec la ville de que celle-ci fut dite par le Père Lizier de Palmes académiques (AMOPA) a remis l’in - Roquebrune une relation régulière et affec - Bardies, recteur de la paroisse, à la signe de commandeur des Palmes acadé - tive. La commune l’avait d’ailleurs nommé demande de la Fondation de la France miques à deux membres de la Fondation de citoyen d’honneur en 2010. Libre et de son délégué départemental, M. la France Libre des Alpes-Maritimes. Henri Marie-Olive. Cette promotion a été prononcée à titre Gérard Garrigues exceptionnel, par dérogation aux condi - tions générales d’obtention de cet ordre, afin d’exprimer la reconnaissance du ministère de l’Éducation nationale à Grande-Bretagne l’égard de deux témoins actifs dans la transmission de la mémoire de la Cette année, la cérémonie du souvenir a été Résistance et de la déportation. pluvieuse et ventée dans le carré du cimetière de Brookwood. C’était la première cérémo - Ancien combattant et résistant, M. Raymond nie de notre nouvel ambassadeur, Jean- Bonnet rencontre les élèves des collèges de Pierre Jouyet, et de notre député, Alexandre la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur Inauguration de l’avenue Robert Bineau, compagnon de la Libération. Holroyd. Le sénateur des Français de l’étran - dans le cadre du devoir de mémoire et du Concours national de la Résistance et de la Désormais, c’est l’artère d’un nouveau Déportation (CNRD). Il a décrit son par - quartier qui porte le nom de ce grand cours de résistant dans un ouvrage : homme qui s’est illustré dans les heures D’Aurillac à Saigon, tribulation d’un résis - les plus sombres de l’histoire de France en tant, 1941-1946 . répondant à l’Appel du général de Gaulle Lui aussi ancien combattant et résistant, et qui, pour son engagement hors pair au M. René Heren, participe de façon intense service de la France, avait été nommé à la préparation des collégiens du départe - compagnon de la Libération par décret du ment au Concours national de la 17 novembre 1945. Résistance et de la Déportation (CNRD). Marie-Christine Fix Ses interventions captivent son auditoire et Déléguée des Alpes-Maritimes sont unanimement saluées et reconnues de tous. À cette occasion, il n’oublie pas d’évoquer son expérience dans la 2 e divi - Les membres de l’assemblée posent devant le monu - sion blindée du général Leclerc. Haute-Garonne ment, après la cérémonie. La Fondation de la France Libre leur exprime toutes ses félicitations pour cette belle promotion dans l’ordre des Palmes académiques.

Remise des palmes académiques aux témoins de la Résistance et de la déportation.

Inauguration de l’avenue Robert-Bineau à Roquebrune- Cap-Martin C’est dans le quartier de Cap Azur, proche de la mer, que le maire de Roquebrune- Le Père Lizier de Bardies.

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ger, Olivier Cadic, était également présent, senter son engagement dans la période l’école, une représentante de l’académie et ainsi que le général de division Laurent 1939-1945. Suite à une mauvaise chute la le délégué de la Fondation de la France Kolodziej, ancien attaché militaire de veille de son intervention, la présentation a Libre. Sur les trente-neuf travaux collectifs Londres, de même que Mme Sylvaine Carta- été reprise par le général (2S) Jean-Pierre ou individuels présentés, trois par classe Levert, consule générale à Londres, Jérôme Dubois, secrétaire général de l’Association ont été sélectionnés. Certains de ces tra - Lussan le président des associations fran - des Français Libres et amis de l’Hérault, et le vaux ont repris le périple de Lucien Festor, çaises de Grande-Bretagne, Guy Audibert, colonel (R) Gérard Verdanet, délégué dépar - d’autres, d’une façon plus générale, l’his - président de l’AMAC, Bernard Masson, pré - temental de la Fondation de la France Libre. toire des Français Libres, la Seconde Guerre sident de l’ONM, des membres de la mission mondiale ou des personnages illustres de défense, une délégation d’officiers et sous- ce conflit. Les supports des présentations officiers servant à Northwood, un détache - étaient des plus divers : maquettes, créa - ment du patrouilleur de service public tions de livres, dessins, peinture... Flamant , enfin, une délégation de trois offi - Le 8 décembre, les enfants du groupe sco - ciers de l’École militaire de Saint-Cyr. laire, accompagnés de leurs directeurs et pro - Nous avions trois porte-drapeaux, cette fesseurs, ainsi que de nombreuses associa - année. Le clairon a retenti, suivi d’une allo - tions et leurs porte-drapeaux, élus et repré - cution émouvante de notre ambassadeur sentants de la Fondation, ont assisté à une rappelant le don de leur jeunesse, le sacri - Intervention de Lucien Festor lors de la cérémonie du 8 cérémonie commémorative au monument fice de ces jeunes marins ainsi que l’amitié décembre 2017. aux morts de la commune. De nombreux franco-britannique. enfants ont manifesté leur joie de rencontrer Cette conférence au profit du groupe sco - Lucien Festor, lors de la cérémonie commé - Les éléments n’ont pas diminué le caractère laire Georges Brassens de Villeneuve-lès- morative puis lors de la remise des prix. solennel de ce lieu. Notre ambassadeur a Béziers a rassemblé quatre-vingts élèves de procédé à la remise de décorations, dont CM1-CM2 accompagnés de leur directeur Gérard Verdanet deux croix de la Légion d’honneur et une de d’école et de quatre professeurs. Elle pré - commandeur de l’ONM ; trois Britanniques cède un travail à réaliser individuellement ont reçu la médaille de la Défense nationale. ou en groupe. Ces travaux sont soumis à un Hong Kong Les personnes intéressées ont procédé aux jury ; ceux primés sont récompensés. Cette À l’initiative de l’association du Souvenir dépôts de gerbes. J’ai eu l’honneur, cette action mémorielle s’est conclue par une français en Chine et du consulat général, un année encore, de représenter la Fondation cérémonie au monument aux morts de hommage a été rendu aux Forces françaises de la France Libre. Villeneuve-lès-Béziers le 8 décembre 2017. libres au cimetière militaire de Stanley le 1er décembre 2017, à l’occasion du 76 e anni - La minute de silence a été suivie de La En introduction de la conférence, le général versaire de la bataille de Hong Kong. Marseillaise , chantée par toute l’assemblée. (2S) Dubois a évoqué le souvenir de son père, capitaine en 1939 affecté à Tréflon Au lendemain de l’attaque sur Pearl La cérémonie s’est terminée par les remer - (frontière Belge). Blessé lors de l’offensive Harbour, les troupes japonaises ont lancé, le ciements des autorités présentes aux per - allemande, il est soigné puis interné dans 8 décembre 1941, une offensive contre Hong sonnes venues se recueillir en ce samedi 11 un camp de prisonniers. Il tente de s’évader Kong. Durant cette bataille, des Français se novembre pour le souvenir de ceux qui ont quatre fois. La quatrième tentative est la sont engagés dans le corps de volontaires de tant donné. bonne. Le capitaine Dubois rejoint alors les défense de la colonie britannique et certains Brigitte Williams troupes américaines, avec lesquelles il ter - ont payé cet engagement de leur vie. mine la guerre. Pour leur rendre hommage, la section de Le délégué de la Fondation a ensuite pré - Hong Kong du Souvenir français de Chine a Hérault senté la période du point de vue de Lucien élaboré une cérémonie devant la stèle com - Festor et son engagement en tant que portant les noms de six Français qui se sont Interventions au groupe scolaire Français Libre. Il passe sa jeunesse à sacrifiés pendant la bataille de Hong Kong ; Georges Brassens à Villeneuves- Moyeuvre, en Moselle. Le 10 juin 1940, le étaient entre autres présents une équipe du lès-Béziers maire, averti de l’arrivée prochaine des consulat général, une centaine d’élèves du Allemands, lui conseille de quitter rapide - lycée français international de Hong Kong, ment la région. Accompagné de trois l’attaché de défense de l’ambassade de camarades, il traverse la France à bicy - France à Pékin et son adjoint, des membres clette jusqu’à Marseille, avec l’espoir de de l’association des ex-servicemen et de la pouvoir embarquer pour rejoindre Royal British Legion, ainsi que John Siewert, l’Angleterre. L’embarquement ne pouvant vétéran de la Seconde Guerre mondiale se faire, il reprend ses études d’instituteur. décoré de la Légion d’honneur. Il est nommé à Digne, où il rejoint rapide - Le consul général a livré un discours dans ment un réseau de résistance et intègre le lequel il a salué le courage des Français BCRA (bureau central de renseignements morts pour la liberté pendant la Seconde et d’action). Guerre mondiale, avant de laisser la parole à Vue sur les travaux des élèves. En fin d’exposé, les élèves ont posé de nom - M. François Drémeaux, représentant du breuses questions, manifestant un réel Souvenir français de Chine. Celui-ci a évo - La journée du 16 octobre a été initiée par M. qué le progrès des démarches pour effectuer intérêt pour les présentations. Yves Benoît, vice-président de la commis - la restauration de la stèle et ajouter les noms sion mémoire de l’Office national des Le 7 décembre, les élèves ont présenté leurs de quatre autres volontaires français ou anciens combattants et victimes de guerre travaux devant un jury composé de quatre indochinois qui ont également sacrifié leur de l’Hérault. M. Lucien Festor devait pré - personnes : M. Yves Benoît, le directeur de vie au cours de la période d’occupation japo -

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associés à cette cérémonie du souvenir qui fut évoqué par le délégué départemental Francis Ruffier-Monet. Une magnifique gerbe en croix de Lorraine a été déposée au pied du monument par le délégué départemental accompagné dans ce geste par ses fidèles compagnons de la FNAME-OPEX, dont le président de sec - tion Alain Garcia, tous participants à la Fondation de la France Libre. Après les diverses sonneries et l’hymne national, la lyre municipale a terminé la manifestation aux accents de la marche El Alamein-Tunis . Francis Ruffier-Monet

Mémoire des FAFL Inauguration d’une stèle à la mémoire d’un pilote FAFL à Ramstein, en Allemagne

Parmi les différents groupes présents, des étudiants de Hong Kong Baptist University du département des Études Le 1 er juillet 2017, à Ramstein, en européennes ont répondu à l’invitation. Ils entourent ici le consul général Éric Berti, les représentants de la mission Allemagne, ville située au nord-est de de défense de l’ambassade de France à Pékin et le président du Souvenir français de Chine à Hong Kong et nouveau délégué de la Fondation. Sarreguemines, à 30 km de la frontière fran - çaise, a été inaugurée une stèle commémo - naise, et qui méritent également d’avoir Lot-et-Garonne rative à la mémoire du sous-lieutenant leurs noms gravés sur ce monument. pilote Bernard Scheidhauer (FAFL) et du 47 e anniversaire de la mort du pilote Squadron Leader Roger Bushell Des élèves du lycée français ont lu les bio - (RAF). graphies des membres des Forces fran - général de Gaulle çaises libres dont les noms sont sur la stèle, La Fondation de la France Libre a répondu d’autres ont déclamé le poème de Paul à l’invitation du général de brigade aérienne Bernard Lebrun, représentant les Éluard Liberté . Une chorale composée forces françaises auprès du commande - d’élèves du lycée français a ensuite livré ment air de l’OTAN de la base aérienne de une émouvante interprétation du Chant Ramstein. La Fondation était représentée des partisans . Après le dépôt de plusieurs par Frédéric Bentley qui, à cette occasion, gerbes de fleurs au pied de la stèle, l’assis - avait amené le drapeau de l’Amicale des tance a observé une minute de silence FAFL. Il était accompagné de Sébastien avant d’entonner La Marseillaise . Agamennone, délégué pour la Moselle. François Drémeaux Plus de deux cents personnes civiles et mili - Délégué de Hong Kong taires étaient présentes à cette cérémonie franco-britannique, dont William Magne, neveu de Bernard Scheidhauer, et sept membres de sa famille. La stèle a été dévoilée avec la participation, d’une part, de Christelle Magne, petite- nièce de Bernard Scheidhauer, accompa - gnée du général Bernard Lebrun, et, d’autre part, de Caroline Kennard, nièce de R. Bushell, accompagnée de l’Air Marshal Francis Ruffier-Monet avec la croix de Lorraine de la Stuart Evans. délégation. À cette occasion, Frédéric Bentley et Jeudi 9 novembre 2017 a été commémoré Sébastien Agamennone, accompagnés au monument aux morts de Villeneuve-sur- d’un des arrière-petits-neveux de Bernard Lot le 47 e anniversaire de la mort du général Scheidhauer, ont déposé une magnifique de Gaulle, en présence des autorités civiles composition florale en croix de lorraine et militaires de la circonscription. De nom - confectionnée par une habitante de Metz. breux présidents d’associations d’anciens Cette stèle a été dressée sur une aire de par - combattants accompagnés de leurs porte- king, au bord de la route, menant à l’entrée La chorale du lycée français international Victor-Segalen de Hong Kong a interprété le Chant des partisans pour drapeaux, ainsi qu’une assistance de per - ouest de la base aérienne de Ramstein, clôturer la cérémonie. sonnes diverses et de jeunes élèves, se sont située à quelques centaines de mètres de

Mars 2018 • N° 67 l 37 DANS LES DÉLÉGATIONS l’endroit où ont été précisément assassinés Morbihan dans les jardins de la Garenne. L’historique par la Gestapo Bernard Scheidhauer et et l’appel du 18 juin 1940 ont été lus par Roger Bushell, le 29 mars 1944. Tous deux Concours national de la deux jeunes du lycée Lesage de Vannes et venaient de s’évader du camp de prison - Résistance et de la Déportation du collège de Rhuys de Sarzeau. niers du Luft Stalag III de Sagan (Pologne). À Lorient, Mme Claire Lécuyer représentait Roger Bushell était à l’initiative de ce plan 347 lycéens et collégiens ont participé au la Fondation de la France Libre. Notre d’évasion, secondé par Bernard Scheidhauer, CNRD. Après la cérémonie au monument gerbe a été déposée par notre ami Guy Le qui devait initialement permettre à plus de aux morts, présidée par M. Raymond Le Citol, Français Libre, et Robert Pourchasse, deux cents prisonniers de s’évader, après Deun, préfet, en présence des autorités ancien résistant-déporté, membre de notre quinze mois de préparation et la réalisation civiles et militaires du département, la remise association. de plusieurs tunnels. Finalement, l’évasion des prix aux cinquante lauréats départemen - est lancée dans la nuit du 24 mars 1944, taux s’est déroulée en préfecture. mais les soldats allemands donnent l’alerte Cérémonies à Sérent et Plumelec plus tôt que prévu et seulement soixante- Après le dépôt d’une gerbe à la Croix des seize prisonniers parviennent à s’évader. parachutistes, sur les landes de Pinieux, la Une chasse à l’homme d’une grande enver - délégation de notre association s’est ren - gure est alors menée par l’armée allemande. due au monument de la Nouette, élevé à la Soixante-treize évadés sont repris, trois seu - mémoire des résistants des Forces fran - lement réussissent leur évasion. Décision çaises de l’intérieur et des parachutistes du est prise, en guise de représailles, d’exécuter 4e SAS du commandant Bourgoin, qui ont cinquante des évadés, parmi eux Bernard combattu le 18 juin 1944 contre plusieurs Scheidhauer, âgé de 23 ans, et Roger bataillons allemands. Invité par M. Alain Bushell, âgé de 33 ans. Le film La Grande Marchal, maire de Sérent, le délégué de la évasion , sortie en 1963, reproduit cette Fondation a présenté l’historique de ce extraordinaire aventure. Les cendres de Les lauréats du CNRD ont posé avec le préfet et Mme combat. Notre drapeau était porté par Lecomte, présidente du comité de liaison (coll. Patricia Bernard Scheidhauer reposent au cimetière Arzel-Mazet). Denis Possémé, tandis que Benjamin militaire britannique de Poznan, en Pologne. Bauché portait celui des anciens combat - La réalisation de cette stèle est à l’initiative Cérémonie du 18 juin à Vannes et tants de Sérent. du Dr Silvano Wueschner, historien de l’Air Lorient Le 9 juillet, à Plumelec, comme chaque University, avec le concours, entre autres, Comme chaque année, les anciens com - année, une émouvante cérémonie s’est de la municipalité de Ramstein et de l’asso - battants français libres et les amis de la déroulée dans le village de Kerihuel. Après ciation du Souvenir Français. France Libre ont été associés à l’organisa - la cérémonie religieuse, célébrée à l’en - droit même où s’est déroulé le drame du 12 Frédéric Bentley tion de la cérémonie du 18 juin, qui s’est juillet 1944, le maire, M. Stéphane Hamon, Association pour la Mémoire des FAFL déroulée devant le monument aux morts, a évoqué le combat que livrèrent ensemble les parachutistes SAS et les résistants des FFI. Notre délégué et M. Joseph Jégo ont procédé à la lecture des 18 noms inscrits sur la plaque apposée sur le mur de l’an - cienne ferme, puis déposé notre gerbe avec le lieutenant-colonel Loïc Kerihuel, délégué militaire départemental.

Denis Possémé et Benjamin Bauché (coll. Pierre Oillo).

Cérémonies à Trédion et Bieuzy-les-Eaux Le 14 juillet à Kerlanvaux-en-Trédion et le 15 juillet à Rimaison-en-Bieuzy, se sont dérou - De gauche à droite, MM. Lesueur (initiateur de la stèle inaugurée en 1999 sur l’île anglo-normande de Jersey, non loin lées les traditionnelles cérémonies à la de l’emplacement où Bernard Scheidhauer dut faire un atterrissage forcé avec son Spitfire le 18 novembre 1942, après mémoire des parachutistes du 4 e SAS et des quoi il fut arrêté par l’armée allemande et transféré au camp de prisonniers du Luft Stalag III de Sagan, Pologne), William Magne, 94 ans, neveu de Bernard Scheidhauer avec sept membres de sa famille, le général Bernard Lebrun, patriotes victimes de la barbarie nazie. À Frédéric Bentley et Sébastien Agamennone (© armée de l’air, avec autorisation de publication par le général Lebrun). Kerlanvaux, Denis Possémé a déposé au

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nom de la Fondation notre gerbe au pied du Assemblée générale 2017 nés à des gendarmeries du département monument portant les noms du lieutenant les noms des gendarmes morts pour la Tisné et des parachutistes Decrept, L’AG de l’association des Anciens combat - France qui ont combattu pour la plupart Harbinson, Perrin, Miot, Galiou, Collobert tants français libres et des amis de la France avec les parachutistes de la France Libre ; et du fermier Armand Kerhervé. Le sous- Libre s’est tenue le 25 novembre au Palais avec M. Marc Benredjem, membre de lieutenant de Kerillis (Skinner) et le lieute - des Arts et de la Culture à Vannes, en pré - notre association, président d’une asso - nant Fleuriot, faits prisonniers à Kerlanvaux, sence de M. Arnaud Bayeux, directeur ciation regroupant des harkis et des après avoir été torturés à Pontivy, furent départemental de l’ONAC, de Mme familles de harkis, à la préparation de assassinés à Rimaison-en-Bieuzy. À la Christine Penhouet, vice-présidente du l’inauguration, le 25 septembre prochain demande de membres des familles d’Alain conseil départemental, du général André à Saint-Avé, d’un menhir portant une de Kerillis et de Jean Pessis, dont les corps Roux, président honoraire du Souvenir plaque à la mémoire de la cité des harkis, reposent toujours dans le cimetière de Français, du général Bruno Thévenon, pré - créée dans cette commune en 1965 pour Bieuzy, grâce à l’adhésion de M. le maire de sident de l’ASAF et de nombreux présidents abriter 25 harkis et leurs familles. Bieuzy et de son conseil municipal, deux d’associations patriotiques. Le président a Après l’approbation à l’unanimité du rap - places portent désormais les noms de ces rappelé les relations amicales de l’associa - port moral et du rapport financier, deux jeunes sous-lieutenants parachutistes, tion avec le Souvenir Français, les Amis de M. Arnaud Bayeux a remis à Henri héros de la France Libre. la gendarmerie et son président le colonel Roland Lambert, le musée de Saint-Marcel Brosset, notre porte-drapeau, le cadeau Philippe-Maurice Navarre, membre de et son conservateur le commandant Tristan de Noël de l’ONAC. En conclusion, le pré - notre association et président de l’associa - Le Roy, l’UNACITA, représentée par M. sident a invité l’assistance à prendre le pot tion des anciens du bataillon de Corée, Eugène Le Gouarin, de Grand-Champ, et de l’amitié, pour arroser la décoration qui déposa notre gerbe devant le monument François Le Guen, notre correspondant à lui a été remise le 14 juillet. élevé à Rimaison à la mémoire des Français Plumelec, ainsi que plusieurs communes, Pierre Oillo Libres : le lieutenant Fleuriot, les sous-lieu - dont la mairie de Vannes, Lorient, Grand- tenants Alain de Kérillis et Jean Pessis, le Champ, Saint-Marcel et Plumelec, repré - sergent-chef Cauvin, Claude Sendral, sentée par MM. Daniel Lemarchand, Robert Jourdren, six patriotes et deux 1er adjoint, et Léon Guyot, maire honoraire. Haut-Rhin inconnus identifiés depuis comme étant Dimanche 27 août, à 11 heures, a été rendu, deux Français Libres : Édouard Paysant, Comme chaque année, l’association a parti - à Richwiller, sous la présidence du préfet, chef du BOA Bretagne, et Alain-René Bour, cipé activement aux cérémonies du 18 juin, M. Laurent Touvet, l’hommage départe - son secrétaire, dont les corps reposent à à la messe à la mémoire du général de mental aux incorporés de force, à l’occasion Sainte-Anne d’Auray. Gaulle, à la préparation du CNRD et à l’orga - nisation de la cérémonie de remise des prix du 75 e anniversaire de la publication du Le 14 juillet à Vannes départementaux. Mme Yvette Lecomte, pré - décret des autorités allemandes du 25 août sidente du comité de liaison du CNRD, 1942. ayant souhaité quitter sa fonction, c’est Très belle cérémonie du 14 juillet, prési - Dimanche 12 novembre, à 10 heures, a été Mme Claire Lécuyer, notre correspondante dée par M. Le Deun, préfet du Morbihan, célébré au temple Saint-Paul, à Mulhouse, à à Lorient, qui la remplace. Deux réunions célébrée à Vannes sur l’esplanade du port. l’initiative de la délégation, un office reli - préparatoires au CNRD ont réuni à Saint- Après l’accueil des autorités civiles et mili - gieux à la mémoire du général de Gaulle et e Avé et à Lorient, avec Mme Chombart de taires et le salut au drapeau du 3 RIMa, il de la France Libre, devant 450 personnes et Lauwe et le CV Gérald Cauvin, près de fut procédé à une remise de décorations 25 drapeaux d’associations patriotiques, au lieutenant-colonel Danigo, chef de 700 lycéens et collégiens. dont les trois ordres nationaux, en présence corps, qui reçut la croix de chevalier de la Dans le cadre de la convention avec le de Mme le maire, Michèle Lutz. Le délégué Légion d’honneur, et à Pierre Oillo, notre musée de Saint-Marcel, nous avons sou - de la Fondation a évoqué la mémoire de délégué départemental, qui reçut des haité apporter notre contribution pédago - Victor Boltz et Antoine Becker, policiers, de mains du général Jean Le Thiec, la croix gique pour la rénovation du musée. Patricia Simone Joffres et Marie-Christine Musslin, d’officier de l’ordre national du Mérite. La Arzel-Mazet, notre trésorière, a remis au agents de renseignements affiliés au BCRA. cérémonie se termina par un défilé, très conservateur du musée de la Résistance applaudi par la nombreuse assistance, qui bretonne et des parachutistes de la France Roland Keidel réunit les gendarmes motocyclistes, une Libre une clé USB contenant une dizaine de e compagnie du 3 RIMa, les jeunes témoignages de Français Libres, de résis - sapeurs-pompiers du département et un tants de l’intérieur et de résistants déportés, Haute-Saône important détachement de véhicules des que nous avons recueillis au fil des ans, sapeurs-pompiers. dans le cadre de la préparation du CNRD. C’est à Vesoul, le 27 mai dernier, que les lau - Une deuxième clé sera remise aux archives réats du CNRD ont été récompensés, à l’oc - de la Fondation. casion d’une cérémonie à la salle Parisot, en présence de représentants de l’État, des Pour 2018, en plus de nos activités habi - collectivités locales et des associations tuelles, nous participerons, avec la muni - patriotiques, notamment la Fondation de la cipalité de Guéhenno, à l’inauguration France Libre. d’une rue à la mémoire du lieutenant Deplante et des parachutistes de son stick Dimanche 18 juin, le 77 e anniversaire de arrivés dans cette commune dans la nuit l’appel historique du général de Gaulle a du 5 au 6 juin 1944 ; avec le colonel été commémoré à Lure devant une foule Massip, commandant le groupement de assez nombreuse, en présence de M. le gendarmerie du Morbihan et le colonel de sous-préfet de l’arrondissement, du maire Le général Le Thiec Danigo remet sa décoration à Pierre gendarmerie Roland Lambert, à l’établis - et vice-président du conseil régional de Oillo (coll. René Fernandez). sement des dossiers pour que soient don - Bourgogne Franche-Comté. La gerbe de la

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Sanary-sur-Mer (les collégiennes Flore Le François et Olivia Troin, en présence de M. Émorine, leur professeur d’histoire), Six- Fours-les-Plages (Clotilde Panchuquet- Lassay, du collège Font de Fillol, et Jade Escriva, des Maristes), Le Beausset (Michel Magnaldi et cinq collégiens de Jean Giono avec leur professeur d’histoire, Mme Baccelli et le principal du collège, Richard Suffren), Fréjus (Mme Delahalle professeur d’histoire d’Albert Camus, Sana Hamlaoui et Léa Basanjon, lauréates 2 e et 6 e prix devoir individuel lycée 2017 du CNRD83), St-Raphaël (Julia Chaillet, Luc Ocimek et Roland Delsol, porte-drapeaux)… Le 30 novembre, la délégation, associée au comité local du CNRD83, organisait une double rencontre littéraire à la librairie Charlemagne avec le journaliste Étienne Guillermond, pour Addi Bâ , et Olivier Maurel, pour Danse au bord du précipice , recueil de lettres et d’écrits de guerre de Micheline Maurel, résistante toulonnaise du réseau français libre Marco Polo et Les maires de Plancher-Bas et Champagney, un ancien combattant du bataillon de choc et Olivier Cardot. ancienne déportée. Le 1 er décembre, était rendu au lycée Fondation a été déposée par MM. Guy (Solenne Desblach, lauréate 1 er prix lycée Bonaparte, à l’initiative de la délégation, un Châtel et Olivier Cardot. devoir individuel 2017 du CNRD83 en ter - hommage à Micheline Maurel, avec inaugu - minale au lycée du Coudon), Carqueiranne ration d’une plaque, lecture de deux Le 19 novembre dernier avait lieu la tradi - (Mme Di Costanzo, professeur d'histoire, et poèmes de cette grande dame, dont un iné - tionnelle cérémonie au mémorial du géné - un collégien), Brignoles (Romane Haas et dit issu des archives du CNRD83, composé à ral Brosset, chef de la 1 re DFL mort à Nael Guesquier, lycéens à Raynouard), Toulon en août 1946 et dédié à ses sœurs des Champagney le 20 novembre 1944. À cette Evenos (Chiara Muckensturn, 11ans), camps, par des lycéens, dont ses arrière- occasion, une gerbe a été déposée par les maires de Champagney et Plancher-Bas et une autre par le délégué départemental de la Fondation de la France Libre. Le temps passe. Néanmoins, nous restons fidèles au souvenir de ces Français Libres morts au service de la Nation. Olivier Cardot Délégué de la Haute-Saône

Var La Délégation Var de la Fondation de la France Libre était présente aux cérémonies du 11 novembre 2017, notamment à Toulon où le CV André Lemaire, dernier président PACA des combattants volon - taires évadés de France par l’Espagne, le CF Louis Fiori, Marc Duran, proviseur du lycée Bonaparte, et un lycéen de Bonaparte ont déposé une gerbe. Nos délégués et correspondants ont parti - cipé au cycle du centenaire de la Grande Guerre par la lecture de textes de Charles Péguy et Marcel Rivier ( « Soir tendre » , com - posé en octobre 1914) dédiés aux mères des poilus, qui ont touché les auditoires, très nombreux, de La Seyne-sur-Mer (Priscille Débat au Royal, à l’occasion de la projection de Nos patriotes , entre les lycéens, le journaliste Étienne Guillermond, l’ac - teur belge Marc Zinga, invité pour une première fois à débattre sur Addi Bâ en dehors de la promotion du film, Michel Delaporte et Olivia Tremintin), La Valette- Magnaldi, délégué de la Fondation, initiateur de l’événement, le CV André Lemaire, le général René Grisolle, suppléant du-Var (Morgan Maginot), La Garde du délégué au jury 2018 du CNRD83, Franck Laussel, Louis Fiori....

40 l Mars 2018 • N° 67 DANS LES DÉLÉGATIONS

petit-neveux Enzo (correspondant de la mune de Toulon, la Fondation et le CNRD83 nom de la Fondation de la France Libre et délégation au Revest-les-Eaux) et Olivier ont déposé des gerbes dans la cour du lycée du CNRD83. Maurel (son jeune frère), qui récita le poème Bonaparte, lors d’une cérémonie ponctuée De nombreux lycéens ont ensuite visionné le plus connu : « Il faudra que je me sou - par La Marseillaise et Comme toi de J.-J. le film Nos patriotes , séance suivie d’un vienne » . L’Éducation nationale, la com - Goldman. Michel Magnaldi s’est exprimé au débat, au cinéma d’art et d’essai toulonnais Le Royal, avec Étienne Guillermond et l’ac - teur principal, Marc Zinga, venu de Bruxelles. Cette séance a été suivie de l’inau - guration de l’exposition Addi Bâ au CDI du lycée Bonaparte et d’une conférence sur Addi Bâ et les Forces françaises libres dans son théâtre Pertus, avec Étienne Guillermond, Marc Zinga, Michel Magnaldi, les responsables de l’ONACVG83, Jérôme Guervin, Juliette Tropato, Franck Laussel, Roland Delsol, Louis Fiori… Ces événe - ments s’inscrivent dans la promotion du thème 2017-2018 du CNRD, « s’engager pour libérer la France » . Le 19 janvier 2018, la délégation, composée de Marie-Hélène Châtel, Jean-Claude Dufort et Michel Magnaldi, participait, avec 29 représentants varois d’associations du monde combattant, aux vœux aux armées du président de la République sur le BPC Dixmude . Nous remercions Guy Renosi et Philippe Jérôme Guervin, Jean Liparski, président de la maison du combattant de Toulon, Michel Magnaldi, Marie-Hélène Châtel, déléguée de la Fondation en Haute-Marne, déléguée Var des Anciens combattants franco-américains et Maurel qui ont réalisé le montage des membre de l’Amicale de la 1 re DFL, Jean-Claude Dufort, représentant de la délégation au conseil départemental des vidéos de la délégation. Retrouvez nos pho - anciens combattants (ONACVG83), Gérard Estragon, de l’ANACR, Guy Eddernon, président des retraités de la gen - tos et vidéos sur la page Facebook de la darmerie nationale et membre de l’Association varoise de l’Appel du 18 juin, Alain Illich, président départemental délégation : www.facebook.com/fflvar /. du Souvenir français, Françoise Begey, de l’association Ceux de Verdun, et Michel Blati, de l’AMMAC, après les vœux aux armées. Michel Magnaldi

Communication à nos correspondants

Étant donné les contraintes de pagination, et afin de permettre à chacun de s’exprimer, les articles consacrés aux activités des délégations ne doivent pas dépasser une longueur de 3 000 signes (espaces compris) par numéro.

Par ailleurs, les rédacteurs de projets d’articles destinés à la revue qui souhaitent adjoindre à leur texte une ou plu - sieurs photographies sont priés de suivre les recommandations suivantes :

• Seuls les tirages photographiques et les fichiers numériques seront acceptés pour des raisons de qualité d’impres - sion. Il est inutile de nous adresser des coupures de presse, des photocopies ou des impressions sur papier clas - sique pour vos illustrations.

• En ce qui concerne les fichiers numériques, les auteurs doivent bien faire attention à nous adresser un fichier grand format, c’est-à-dire au minimum de 300 dpi (dots per inch) ou ppp (points par pixel), en particulier pour les photos de petite taille, comme les photos d’identité. Les clichés de moins de 100 ko auront un mauvais rendu à l’impression.

• N’oubliez pas d’indiquer la légende que vous souhaitez voir figurer et le nom de l’auteur du cliché (crédit photo).

Pour tout renseignement, vous pouvez contacter la rédaction par téléphone au 01 53 62 81 84 ou par courriel à [email protected] .

La rédaction

Mars 2018 • N° 67 l 41 La Fondation vous accueille

L’espace d’exposition Le centre de documentation (© Serge Le Manour). et de recherches La Fondation conserve les archives de l’Association des Français Libres et d’un certain nombre d’amicales affiliées, ainsi que des documents et un ensemble de photographies de la période de la France Libre. Elle a vocation à accueillir des archives nouvelles provenant d’acquisitions ou de dons de particuliers, à les conserver et à les mettre à la disposition des L’espace d’exposition chercheurs. Un espace aménagé permanent, destiné à accueillir des La bibliothèque regroupe près de 2 000 volumes sur l’histoire expositions temporaires, est installé dans le hall du siège de de la France Libre, des Français Libres et de la Seconde Guerre la Fondation. Il peut accueillir des panneaux et des bornes mondiale, dont un certain nombre de publications de la interactives, et des vitrines sont à disposition afin de recevoir période de la guerre. des objets. Le centre de documenta - tion et de recherches est accessible sur rendez-vous. Pour consulter les archives et/ou accéder à la biblio - thèque, vous devez prendre contact avec Sylvain Cornil- Frerrot par téléphone au 01 53 62 81 84 ou par courriel à documentation@france- Vue du centre de documentation (© Serge Le Manour). libre.net.

Les salles de réunion Le siège de la Fondation compte deux salles de réunion. 2 La première, avec ses 21 m , peut recevoir une quinzaine de L’espace d’exposition et le présentoir de la boutique (© Serge Le Manour). participants. La seconde dispose d’une surface d’environ 75 m2 avec une capacité d’accueil d’une soixantaine de per - sonnes et des possibilités de vidéo-projection. La boutique

La salle de réunion extérieure Installée dans le hall (© Serge Le Manour). d’accueil du siège de la Fondation, elle accueille un ensemble de livres, de DVD et d’objets (insigne, médaille commémora - tive, plaque émaillée de rue « Bir Hakeim », carte de vœux, cravate, briquet zippo…) en rapport avec l’histoire de la France L’accueil de la Fondation et de la boutique Libre ou la Fondation. (© Serge Le Manour). Pour tout renseignement sur les salles de réunion, l’espace d’exposition ou la boutique, vous pouvez contacter Mariette Buttin par téléphone au 01 53 62 81 82 ou par courriel à La salle de réunion intérieure [email protected]. (© Serge Le Manour).