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Cahiers De Sambre Et Meuse

Cahiers De Sambre Et Meuse

Revue trimestrielle, BELGIQUE - BELGIE 86e année 5000 NAMUR 1

N° 2/2010 P. P. 4 1450 avril, mai, juin N° d’agrément : P 801 243

Société royale SAMBRE ET MEUSE (A.S.B.L.) CAHIERS DE

Siège social : avenue Gouverneur SAMBRE ET MEUSE Bovesse, 24 bte 12 5100 Namur (Jambes) Le Guetteur Wallon www.sambreetmeuse.org

Éditeur responsable : Fr. Jacquet-Ladrier

Prix du numéro : 6,5 €

Le souvenir des combats de juin 1815 en province de Namur Société royale SAMBRE ET MEUSE A.S.B.L. Siège social : av. Gouv. Bovesse, 24 bte 12, 5100 Jambes (Namur) Arrondissement judiciaire de Namur http://www.sambreetmeuse.org

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Membres : Mmes O. Maréchal-Pelouse, A. Liétart, M. Arickx-George, M. Mercier-Lecharlier MM. C. Istasse, J. Lambert, O. Martinelle, L. Michaux, Th. Naniot, M. Ronvaux

Les articles publiés n’engagent que leurs auteurs. Le directeur de la revue a essayé de contacter les ayants droit au copyright des illustrations. Néanmoins, si l’un d’eux constatait que des illustrations ont été publiées à son insu, qu’il veuille bien prendre contact avec lui. Toute reproduction d’un article ou d’un extrait d’article, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite, sauf autorisation préalable de l’éditeur.

Édité avec le soutien de la Communauté française et de la Ville de Namur.

Cotisation annuelle : 20 € Compte : 068-2009608-86 de Sambre et Meuse a.s.b.l. - 5100 Namur IBAN : BE78 0682 0096 0886 - BIC : GKCCBEBB

Cahiers de Sambre et Meuse

SOMMAIRE n° 2010-2

Souvenir napoléonien : La stèle du colonel prussien Heinrich von Zastrow (combats de Namur, 19-20 juin 1815) Cédric ISTASSE p. 62

Lettre autographe du prince prussien Frédéric Guillaume (futur Guillaume Ier, empereur allemand) adressée au magistrat de Namur, 5 octobre 1815 Cédric ISTASSE, Laure TIQUET & Fabienne VANOIRBEEK p. 90

Cinq vétérans de Wallonie légataires de l’empereur Napoléon Ier, au titre de blessés des batailles de Ligny et de Waterloo Cédric ISTASSE p. 92

Comptes rendus p. 103

COUVERTURE Page 1 : Plaque commémorative inaugurée le 31 mai 1986 par l’Association pour la Conservation des Monuments Napoléoniens (parc Louise-Marie, place d’Omalius, Namur). Page 4 : BARTLETT & PAYNE, View on the Meuse, near Namur (détail), Londres [1re moitié du XIXe siècle] (collection privée).

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Souvenir napoléonien : La stèle du colonel prussien Heinrich von Zastrow (combats de Namur, 19-20 juin 1815)

Tous les Namurois connaissent la plaque de métal apposée sur le dernier pilier de gauche de la grille d’entrée du parc Louise-Marie, place d’Omalius. Inaugurée le 31 mai 1986, cette initiative de la délégation de Belgique de l’Association pour la Conservation des Monuments Napoléoniens 1 rappelle aux passants qu’« ICI S’ÉLEVAIT / LA PORTE DE BRUXELLES. / LE 20 JUIN 1815, CETTE PORTE / FUT TÉMOIN DES COMBATS / OPPOSANT L’ARRIÈRE- GARDE / DU MARÉCHAL GROUCHY / À L’ARMÉE PRUSSIENNE. » Mais rares sont ceux qui connaissent le rapport étroit entre cette plaque commémorative et une stèle située dans le cimetière de Namur-Belgrade. Ce monument, inauguré en 1857, est consacré à la mémoire du colonel prussien Heinrich von Zastrow, mortellement blessé durant lesdits combats namurois du 20 juin 1815.

La ville et les habitants de Namur en mai 1815

Au début de l’année 1815, profitant d’un congé de longue durée, le major anglais William Edward Frye (1784-1853) décide d’entreprendre un grand voyage à travers le Vieux Continent. Ce tour d’Europe, qui durera jusqu’en 1819, le mènera successivement en Allemagne, en France, en Suisse, en Italie et en Autriche. Son périple débute par le tout jeune royaume des Pays-Bas, né le 16 mars 1815 – date à laquelle Guillaume d’Orange a pris le titre de roi des Pays-Bas sous le nom de Guillaume Ier 2. Aux termes du Congrès de Vienne, auquel il doit d’avoir vu le jour, ce nouvel État est constitué par l’union des anciennes provinces-unies des Pays-Bas avec les ci-devant provinces bel- giques 3. Au moment où Frye met pied à terre à Ostende, le 2 mai 1815, il ne peut ignorer les menaces de guerre qui pèsent à nouveau sur le continent européen. Depuis l’Île d’Elbe, territoire dont il est le souverain en vertu du traité de

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1. A. CHAPPET, R. MARTIN et A. PIGEARD, Le guide Napoléon. 4000 lieux de mémoire pour revivre l’épopée, Paris, 2005 (Bibliothèque napoléonienne), p. 856. 2. Journal officiel du gouvernement de la Belgique, 2e sér., t. V, n° 1, Bruxelles, 1815, p. 2-7. Guillaume d’Orange, proclamé « Prince souverain des Provinces-Unies des Pays-Bas » à Amsterdam dès le 02 décembre 1813, s’était vu promettre un accroissement de territoire par l’art. 6 du traité de Paris du 30 mai 1814 (Recueil des traités et conventions entre la France et les puissances alliées en 1814 et 1815 ; suivi de l’Acte du Congrès de Vienne, Paris, 1815, p. 12). 3. Art. 65 de l’Acte du Congrès de Vienne du 09 juin 1815 (Ibid., p. 140). Les articles relatifs au nouveau royaume des Pays-Bas sont les n° 65 à 75 (Ibid., p. 140-146).

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La Citadelle et la ville de Namur sous le Premier Empire français (dessin aquarellé s.d. [c. 1804-1815] : reproduction et commentaire dans N. BASTIN, Vues anciennes de Namur, s.l. [Namur], 1978, p. 30-31).

Fontainebleau d’avril 1814, Napoléon Bonaparte a suivi avec attention la montée du mécontentement de la France envers la politique des Bourbons « ramenés dans les fourgons de l’étranger ». Il a également pris connaissance de projets relatifs à sa personne, visant à une déportation plus lointaine. Le nom de Sainte-Hélène a même été prononcé. Le 26 février, l’empereur a donc quitté son lieu d’exil et, le 1er mars, a débarqué à Golfe-Juan. Il y a proclamé : La victoire marchera au pas de charge ; l’Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame 4. Vingt jours plus tard, et sans qu’aucun coup de feu n’ait été tiré, il était effectivement de retour à Paris. Porté en triomphe par ses partisans, il est rentré aux Tuileries, que Louis XVIII avait fui quelques heures plus tôt pour se réfugier à Gand. Depuis, le drapeau tricolore flotte à nouveau sur la France. Revenu au pouvoir par la volonté des paysans, des ouvriers et de l’armée (mais pas des notables, dont le soutien lui fait défaut), Napoléon Ier a multiplié les offres de paix à l’Europe coalisée. En vain. Les souverains d’Europe, qui ne voient en lui qu’un aventurier et un usurpateur, ont refusé toute négocia-

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4. Proclamation de S.M. l’Empereur à l’armée (Golfe-Juan, 1er mars 1815), dans Bulletin des lois, 6e sér., t. unique : Contenant les lois rendues pendant le second trimestre de l’année 1815, Paris, 1815, p. 5 ; Correspondance de Napoléon Ier publiée par ordre de l’empereur Napoléon III, t. XXVIII, Paris, 1869, p. 4. Un exemplaire de pla- card reproduisant cette proclamation, imprimé à Charleville en mars 1815, est conservé en ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR [= A.É.N.], Archives de l’Intendance départementale de Sambre-et-Meuse et de l’administration provinciale de Namur sous la domination hollandaise (1814-1830) [= Régime hollandais], II-8.

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tion. Bien plus, réunis en congrès à Vienne, ils l’ont déclaré hors la loi. Un nouveau choc armé est donc inévitable. Anglais et Prussiens restent stationnés en Belgique, tandis que Russes et Autrichiens refont marche sur la France. L’empereur des Français reconstitue donc ses troupes et commande armes et munitions.

Parmi les premières étapes du périple de William Frye, figurent Bruxelles et diverses cités wallonnes, telles Namur, , , , et Liège. Dans son journal de voyage 5 , le major anglais consigne ses impressions quant à l’état d’esprit des Belges qu’il rencontre 6. Ainsi, le 9 mai 1815, alors en séjour à Bruxelles, il écrit : En général, et d’après tout ce que je puis voir ou entendre, les habitants de la Belgique ne sont nullement satisfaits du présent état de chose 7. Au fil des pages, relevant les raisons de ce mécontentement, il note que les Belges regrettent fort qu’on les ait séparés de la France et n’hési- tent pas à déclarer leur attachement à l’Empereur (…). Parmi les boutiquiers et parmi les braves gens avec qui j’ai conversé, et qu’on a faussement représentés [en Angleterre] comme des victimes de la tyrannie de Napoléon, je n’en ai pas rencontré [beaucoup] qui aient de l’antipathie pour sa personne ou pour sa façon de gouverner (…) et les femmes ont beaucoup moins envie ici qu’à Londres d’aller embrasser le vieux Blücher 8. D’après Frye, trois causes principales expliquent les regrets que nourrissent les Belges pour leur ancienne appartenance à la France. Raison économique, tout d’abord : les traités internationaux, en les faisant citoyens du royaume des Pays-Bas, ont signifié pour eux la perte du marché intérieur français, gage de prospérité sous l’Empire 9. Raison politique, ensuite : l’amalgame des deux peuples, belge et hollandais, n’a pas du tout l’air de se faire 10. Raison militaire, enfin : les habitants se plaignent des Prussiens, qui commettent (…) toutes sortes d’exactions sur les campagnards chez qui ils sont cantonnés 11. Selon Frye, ce dernier élément est également le principal. Les problèmes engendrés par le régime d’occupation instauré par les puissances victorieuses de Napoléon Ier reviennent d’ailleurs à de nombreuses reprises dans ses notes. ______

5. Les notes de voyages du major Frye n’ont été publiées qu’après sa mort par S. Reinach, sous le titre After Water- loo. Reminiscences of European Travel, 1815-1818, Londres, 1908. Les passages que nous citerons ici sont ex- traits de M. HÉLIN, Le journal de voyage de W.E. Frye (1815). Itinéraire wallon, dans La vie wallonne, t. XXV, 1951, p. 101-118. 6. Sur les récits de voyageurs anglais ayant séjourné en Belgique après la chute du Premier Empire français, cfr J. DESCHAMPS, Études sur la formation de la légende de Napoléon : En Belgique avec les Anglais après Water- loo, dans Revue des études napoléoniennes, nvelle sér., XIXe année, 1930, p. 224-249 et 276-304. Cet article, primitivement paru dans Revue de littérature comparée en 1930, a ensuite été intégré dans une étude plus large : J. DESCHAMPS, Sur la légende de Napoléon, Paris, 1931 (Bibliothèque de la Revue de littérature comparée, 73). Il en a également été publié un court résumé dans [J. DESCHAMPS], En Belgique avec les Anglais après Waterloo, dans SOCIÉTÉ BELGE D’ÉTUDES NAPOLÉONIENNES, Bulletin, [1re sér.], n° 51, 1965, p. 50-57. Cfr aussi les sources britanniques répertoriées dans Ph. DE MEULENAERE, Bibliographie analytique des témoignages oculaires imprimés de la campagne de Waterloo en 1815, Paris, 2004. 7. M. HÉLIN, Le journal de voyage de W.E. Frye…, p. 104 (9 mai 1815). 8. Ibid., p. 104-105 (9 mai 1815). 9. Ibid., p. 106 (12 mai 1815). 10. Ibid., p. 104-105 (9 mai 1815). 11. Ibid., p. 106 (12 mai 1815).

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Le 12 mai 1815, contant son trajet entre Genappe et Namur, il a cette réflexion : Mais que peut-on attendre d’une armée dont le commandant en- courage ses hommes dans tous leurs excès ? Blücher, d’après tout ce qu’on en dit, est un vandale et se laisse inspirer par un pur esprit de vengeance. Les Prussiens reprochent aux Belges de soutenir les intérêts français ? Comment pourrait-il en être autrement ? (…) La façon dont se comportent les Prussiens n’est certes faite ni pour leur attirer des sympathies, ni pour inspirer de la vénération envers le souverain qui a des alliés si gloutons 12. Les rapports des troupes d’occupation de 1814-1815 avec la population belge, et leurs effets sur l’opinion publique, n’ayant pas encore fait l’objet d’une solide recherche histo- rique, nous nous contenterons de souligner ici à quel point une telle étude scientifique serait précieuse. Signalons toutefois dès à présent, en appui du récit de Frye, que les heurts avec les militaires prussiens constituent une réalité largement attestée dans les archives de l’époque.

Du 12 au 13 mai 1815, le major Frye est à Namur, où il loge à l’hôtel d’Arenberg. La ville connaît alors les derniers jours d’une période politique troublée. Détaché de fait de l’Empire français fin janvier 1814, suite à son in- vasion par les armées liguées contre Napoléon, le département de Sambre-et- Meuse a été soumis quelques mois au régime de tutelle provisoire mis en place par les Coalisés. Ces derniers ayant décidé de soumettre les territoires belges à deux autorités transitoires distinctes, dont la Meuse constituait la ligne de démarcation, le département a alors été démembré en deux parties. La pre- mière, située à l’ouest du fleuve et comprenant la ville de Namur, relevait du « Gouvernement général [ou provisoire] de la Belgique », institué par les Anglos-Néerlandais 13. Le 23 février 1814, cette instance avait nommé Gabriel -Amour-Joseph de Bruges de Branchon au titre d’« intendant du département de Sambre-et-Meuse ». Arrivé à Namur trois jour plus tard, il s’était installé à l’hôtel de la ci-devant préfecture de Namur, où il avait dès lors remplacé l’« administration provisoire du département » mise en place au départ des fonctionnaires français 14. Depuis le 16 mars 1815, cette première moitié du département de Sambre-et-Meuse 15 a intégré le royaume des Pays-Bas, offi- ciellement créé à la hâte à cette date. Quant à la seconde partie, constituée des territoires sis à l’est de la Meuse, ils ont été placés sous l’autorité du « Gouvernement du Bas et Moyen-Rhin »,

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12. Ibid., p. 106 (12 mai 1815). 13. Succédant aux « Commissaires-Généraux des Hautes Puissances alliées », ce gouvernement provisoire est créé le 11 février 1814 et installé quatre jours plus tard (Journal officiel du gouvernement de la Belgique, t. I, Bruxelles, 1814, n° 1, p. 7-8 et n° 2, p. 15-16). 14. Mémorial administratif du département de Sambre-et-Meuse, n° 106, 03 mars 1814, p. 73-74. Sur de Bruges, cfr L. BERGERON et G. CHAUSSINAND-NOGARET, dir., Grands notables du Premier Empire, t. 22 : C. DOUXCHAMPS-LEFÈVRE, Sambre-et-Meuse, Paris, 1995, p. 26-27 ; et les documents mentionnés dans Fr. JACQUET-LADRIER, Inventaire des archives du château de Sart-Eustache, Bruxelles, 1982 (Archives de l’État à Namur, Inventaire, 44), p. 19. 15. Ce n’est que par l’art. 2 de la Loi fondamentale de 1815 que le vocable français « département de Sambre-et- Meuse » disparaîtra au profit de la dénomination « province de Namur » (Journal officiel du gouvernement de la Belgique, 2e sér., t. V, supplément au n° 29, Bruxelles, 1815, p. 5). Cette constitution sera proclamée par Guil- laume Ier le 24 août de la même année (Ibid., n° 29, p. 410-417). 65

dépendant des Prussiens. Le 12 septembre 1814, ceux-ci ont créé le départe- ment de Meuse-et-, par rassemblement des parties des anciens départe- ments de l’Ourthe, de Sambre-et-Meuse et de la Meuse-Inférieure se trouvant sous leur tutelle 16. En vertu du Congrès de Vienne, la majeure partie de cet éphémère département de la rive droite du fleuve a été cédée à son tour à Guillaume d’Orange, qui en a pris possession le 12 mai 1815 17. Voici en quels termes Frye décrit son nouveau lieu de villégiature : Namur est maintenant le siège du quartier général du maréchal Blücher 18, à qui l’on a décerné divers noms de guerre 19, tels que « Marshall Vorwärts », « Der alte Teufel » 20 (…). Le site de Namur est extrêmement pittoresque, surtout quand on le contemple des hauteurs qui dominent la ville, là où s’élevait la citadelle qui fut démolie par ordre de Joseph II 21, comme le furent toutes les fortifica- tions des places de la Barrière 22. L’actuel gouvernement belge 23, toutefois, projette de les reconstruire, celle de Namur en particulier, dont la citadelle, vu la valeur militaire qu’elle tient à sa situation, est une position trop importante pour être négligée 24. Quant à la ville, située au confluent de la Sambre et de la Meuse, elle s’étend dans une vallée complètement commandée et protégée par la citadelle. Les églises sont splendides, et les boutiques donnent une vive impression de prospérité (…). À l’auberge et dans les magasins où nous sommes entrés nous avons entendu les mêmes plaintes contre les Prussiens. La région environnante est extrêmement variée d’aspect, et c’est le premier site montagneux que nous ayons rencontré jusqu’ici. Les rives de la Meuse offrent aux regards tantôt des rochers à pic, tantôt des coteaux plantés de vignobles qui s’inclinent doucement jusqu’au bord du fleuve. Namur est distant de trente-quatre milles de Bruxelles, et il y a un service de transport par eau d’ici à Liège et à Mastricht 25.

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16. Arrêté de son Excellence le gouverneur-général du Bas-Rhin & du Rhin-Moyen, concernant l’étendue actuelle du gouvernement-général du Bas-Rhin & du Rhin-Moyen, sa division & son administration, dans Mémorial adminis- tratif du département de Meuse-et-Ourte, n° 1, 21 septembre 1814, p. 3-10. 17. Mémorial administratif du département de Meuse-et-Ourte, n° 26, 12 mai 1815, p. 369-375. 18. Plus précisément, le quartier-général prussien était établi au siège de la préfecture, c’est-à-dire dans l’actuel palais provincial. 19. En français dans le texte. 20. « Maréchal “En avant !” » et « Le vieux diable ». 21. À ce sujet, cfr D. DOUETTE, Le démantèlement des fortifications de Namur entre 1781 et 1815, mémoire de licence en Histoire, Université Libre de Bruxelles, 2003. 22. Le traité de la Barrière, signé le 15 novembre 1715 entre l’Autriche et les Hollandais, donnait à ces derniers le droit de tenir des garnisons dans huit places fortes des Pays-Bas méridionaux, dont Namur. 23. Bien qu’employée ici pour désigner le gouvernement du royaume des Pays-Bas, l’expression « gouvernement belge » ne doit pas surprendre. Face à la difficulté de trouver un nom pour les habitants du nouvel État, Guil- laume Ier opta en effet pour un compromis linguistique : jusqu’en 1830, la traduction officielle en français de Nederlanden fut Belgique et celle de Nederlander, belge (à ce propos, cfr S. DUBOIS, L’invention de la Belgique. Genèse d’un État-nation, Bruxelles, 2005, p. 148-170). 24. Sur cette reconstruction, cfr notamment L. BARBIER et al., Namur, une citadelle européenne, Namur, 1999 (Les amis de la citadelle de Namur), p. 27-30 ; L. BARBIER, Quelques souvenirs de l’occupation hollandaise, dans Les amis de la Citadelle de Namur, n° 77, 1997, p. 23-25 ; J. FIVET, À propos de la reconstruction de la citadelle de Namur, dans loc. cit., n° 18, 1983, s.p. ; ID., À propos de la reconstruction de la citadelle sous l’administration hollandaise, dans loc. cit., n° 87, 1999, p. 24-25 ; et A. GANY, La reconstruction de la citadelle de Namur sous Guillaume Ier roi des Pays-Bas, dans loc. cit., n° 23 et 24, 1984, s.p. 25. M. HÉLIN, Le journal de voyage de W.E. Frye…, p. 107-108 (12 mai 1815).

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La stèle du colonel prussien H. von Zastrow dans son premier aména- gement au cimetière de Namur-Belgrade, repro- duite dans Namur, vor und im Weltkrieg. He- rausgegeben von der Kai- serlichen Fortifikation Namur, Munich (R. Piper & Co. Verlag), 1918, p. 138, fig. 3. Ce même ouvrage comporte égale- ment des photographies de la façade de la maison dans laquelle serait mort von Zastrow (sise aujour- d’hui au n° 20 de la rue de l’armée Grouchy) et de la pièce précise dans laquelle il aurait rendu son dernier soupir (p. 137, fig. 1 et 2. Voir aussi commentaires en p. 13-16).

La stèle dans son aménagement actuel. On notera que l’élément décoratif placé en son sommet diffère sensiblement : seul le casque grec à croix de fer a subsisté. Récemment, le socle d’origine (1m35 de hauteur ; 56cm de côté) a été entièrement restauré et nettoyé.

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L’ombre de la guerre à venir plane toutefois sur la ville. Le 9 mai déjà, alors qu’il se trouvait à Bruxelles, Frye écrivait : Les gens d’ici, du moins ceux qui réfléchissent, sont étonnés que Napoléon n’ait pas encore pris l’offensive (…). Les préparatifs en vue du conflit imminent sont menés grand train 26. Concer- nant les habitants de Namur, il indique que, du fait qu’ils vivent dans une ville- frontière, ils sont fort inquiets du conflit qui se prépare, car ils auront vraisem- blablement à souffrir de la part des deux adversaires 27. Rappelons en effet que le traité de Paris du 30 mai 1814 a conservé à la France une grande partie de l’Entre-Sambre-et-Meuse, en lui attribuant dans le département de Jemmape, les cantons de , Merbes-le-Château, Beaumont et , et dans celui de Sambre-et-Meuse, les cantons de Valcour, Florennes, Beauraing et Gedinne (art. 3, § 1-2) 28. Ce n’est que par le second traité de Paris du 20 novembre 1815 que la France sera ramenée à ses frontières de 1790, et perdra en outre les territoires de Philippeville et de Mariembourg (art. 1, § 1) 29. À l’annonce de la défaite des troupes prussiennes à Ligny, le 16 juin 1815, le drapeau orange est retiré de la tour de l’hôtel de ville de Namur 30.

Les combats des 19 et 20 juin 1815 à Namur

Tant les opérations militaires des 19 et 20 juin 1815 que le vécu des civils namurois lors de ces évènement attendent toujours de faire l’objet d’une étude historique complète et rigoureuse. L’une et l’autre problématique ne consti- tuant toutefois qu’un élément du cadre général du présent article, et non son sujet, il n’entre pas dans notre propos de mener pareille recherche. Nous avons donc décidé de ne livrer ci-après qu’une très brève synthèse de la biblio- graphie déjà parue sur le sujet. Outre le rapport du maréchal Grouchy inséré au Moniteur universel du 24 juin 1815 31, on consultera notamment A. ARCQ et al., Wavre et le combat de Namur, 18-21 juin 1815. L’épilogue de la cam- pagne de Belgique, Allonzier-la-Caille, 2008 (Les batailles oubliées, 11), p. 91- 106 et 116 ; J. BORGNET, Promenades dans Namur, Namur, 1839, p. 335- 340 32 ; Ph. BRAGARD et al., Namur en état de siège, de Jules César au général Hodges, Namur, 2004 (Les Amis de la citadelle de Namur), p. 75-77 ; H.-J. ______

26. Ibid., p. 104 (9 mai 1815). 27. Ibid., p. 108 (12 mai 1815). 28. Recueil des traités et conventions entre la France et les puissances alliées…, p. 8. 29. Ibid., p. 39. 30. A.ÉN., Régime hollandais, II-15 : Courrier du sous-intendant de Namur au gouverneur de la province de Namur, 21 janvier 1818. Ce drapeau sera toutefois replacé dès le 17 juin par un nommé Philippe Gérard Richald, qui saura plus tard monnayer cet acte. 31. Dans ce rapport adressé à l’Empereur, daté de Dinant le 20 juin 1815 à minuit et demi, le maréchal Grouchy relate ses opérations à partir du 18 juin vers 19h00 : il y rend compte des mesures qu’il a prises et des combats menés par ses troupes contre les Prussiens à Wavre, à Limal et à Namur (cfr Ph. DE MEULENAERE, Bibliographie analytique des témoignages…, p. 133-134). Sur les Mémoires de Grouchy, publiés à Paris en 5 volumes en 1873- 1874, cfr J. TULARD, Nouvelle bibliographie critique des mémoires sur l’époque napoléonienne écrits ou traduits en français, nvelle éd., Genève, 1991 (Centre de recherche d’histoire et de philologie de la IVe section de l’École pratique des hautes études, V : Hautes études médiévales et modernes, 67), p. 140-141. 32. Relation namuroise, basée sur des récits de contemporains – qui « ne concordent pas toujours entre eux », selon le propre aveu de l’auteur – de la retraite des troupes de Grouchy et des combats du 19 juin à la porte de Bruxelles et du 20 dans les rues de Namur.

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COUVREUR, Le drame belge de Waterloo, Bruxelles, 1959, p. 99-101 et 152 ; A. DULIÈRE, Les nouveaux fantômes des rues de Namur, Namur, 1983, p. 258 -270 33 ; H. HEUSE, La défense de Namur le 20 juin 1815, dans La vie wal- lonne, t. XIII, 1932-1933, p. 382-385 ; G. MAISON, À Namur, le 20 juin 1815. Les Français partent, les Prussiens arrivent, dans Les amis de la citadelle de Namur, n° 42, 1988, p. 22-26 34 ; A. PIGEARD, Dictionnaire des batailles de Napoléon, 1796-1815, Paris, 2004 (Bibliothèque napoléonienne), p. 593-594 ; P. VERHAEGEN, L’armée Grouchy et la campagne de 1815 en Belgique d’après les textes de Clausewitz et Jomini, Vedrin, 1986. On trouvera égale- ment quelques références supplémentaires dans nos notes infraginales. Quant à notre propre revue, elle a publié L.-J. LAMBILLION, Li r’traite di Waterlo, dans Le Guetteur Wallon, 6e année, 1929, p. 152-155 ; et L. LAROSSE, Au len- demain de Waterloo à Namur. Une version allemande des combats à l’ouest et au nord de Namur, en juin 1815, pendant la retraite de l’armée Grouchy, dans Le Guetteur wallon, 61e année, 1985, p. 27-30. Enfin, on trouvera la référence des mémoires de contemporains traitant de cet épisode dans Ph. DE MEULE- NAERE, Bibliographie analytique des témoignages oculaires imprimés de la campagne de Waterloo en 1815, Paris, 2004, p. 831.

Le 18 juin 1815, l’Empereur des Français est vaincu dans les plaines de l’actuelle province du Brabant wallon. La bataille de Mont-Saint-Jean, qui entrera dans la postérité sous le nom de « bataille de Waterloo » (du nom du village où le duc de Wellington a établi son état-major et rédige la dépêche annonçant la victoire des forces anglo-bataves et prussiennes), met un terme définitif aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Mais les combats ne sont pas encore totalement terminés pour autant. Les troupes coalisées poursuivant les soldats français qui battent en retraite vers Paris, quelques faits d’armes ont encore lieu durant les jours qui suivent l’affrontement décisif 35. Organisant méthodiquement l’opération de recul de l’armée française, le maréchal Grouchy décide d’emprunter la route Namur-Dinant-Givet, après avoir récupéré une partie du matériel et chargé les blessés sur des charrettes 36. De Wavre à Namur, la marche est particulièrement pénible pour les Français, sans cesse harcelés par les Prussiens, tant sur leur flanc que sur leurs arrières.

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33. Cfr aussi A. DULIÈRE, Les fantômes des rues de Namur, Namur, 1956, p. 217-219 ; ID., La retraite de la Grande Armée par Namur et Givet, dans Waterloo illustré. Publication historique, touristique et folklorique, n° 3/I, 1954, p. 78-81. 34. Cet article comprend entre autres un extrait du célèbre Journal du capitaine Charles François (1777-1853) : J. JOURQUIN, éd., Journal du capitaine François dit le Dromadaire d’Égypte, t. II, Paris, 1984, p. 887-893 (concernant cette source, cfr J. TULARD, Nouvelle bibliographie critique…, p. 124-125). 35. Selon Alain Pigeard, la dernière des batailles de la Révolution et de l’Empire est le siège de Vincennes, comman- dée par le général Daumesnil, qui prit fin le 15 novembre 1815. C’est également la dernière victoire française des années 1792-1815 (A. PIGEARD, Dictionnaire des batailles de Napoléon, 1796-1815, Paris, 2004 (Bibliothèque napoléonienne), p. 905 et 1002). Sur le territoire belge, le dernier fait d’armes des guerres de cette époque est la reddition de la place forte de Philippeville, le 09 août 1815 (Ibid., p. 655 et 1002). 36. Cfr notamment J. DUBUCQ, La retraite du maréchal Grouchy entre Wavre et Namur (19 juin 1815). Un épisode de la dernière campagne napoléonienne en Belgique, dans Bulletin du cercle « Art et Histoire » de Gembloux et environs, t. II, n° 29, 1987, p. 471-478.

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À Namur, la défaite de Napoléon est connue dès le 19 juin, vers sept heures du matin, lorsque les premiers soldats français rescapés en apportent la nouvelle 37. Un peu plus tard dans la journée, commence le défilé de l’armée française à travers la ville. Celui-ci s’opère en bon ordre et dure un peu moins de vingt-quatre heures, du 19 juin vers dix-sept heures jusqu’au 20 juin en début de soirée. Grouchy lui-même ne reste pas à Namur ; il poursuit sa route avec la plus grosse partie de ses troupes en direction de Dinant. Prévoyant que, dans la vallée de la Meuse, ses hommes ne pourront plus avancer que sur une seule colonne, il donne l’ordre de retarder les Prussiens devant Namur et laisse le général Vandamme, avec les restes du IIIe Corps, pour la défense de la ville. Ce général place ses hommes à environ trois quarts d’heure au nord- ouest de Namur. Après quelques premières attaques prussiennes, les Français se retirent vers la ville, où ils doivent essuyer les assauts commandés par le lieutenant-général von Pirch I. Namur a alors, sur la rive gauche du confluent de la Sambre et de la Meuse, trois portes : à l’ouest, la porte de Bruxelles ; à six cents pas vers l’est, la porte de Fer ou porte de Louvain ; et, à 1200 pas plus loin, vers la Meuse pour communiquer avec elle, la porte Saint-Nicolas 38. C’est devant ces trois portes qu’ont lieu les plus sérieux engagements, le 20 juin 1815. Malgré l’état très délabré de la place (depuis 1803, la ville n’est plus fermée que par un simple mur d’octroi) et une artillerie insuffisante (six pièces), un peu moins de deux mille soldats français parviennent à repousser les offensives ennemies. D’après le général Teste, commandant de la 21e Division, les pertes françaises à Namur se montent à un officier tué et deux blessés, dix soldats tués et quarante-trois blessés, et aucun prisonnier 39. Quant à eux, les Prussiens lais- sent sur le terrain quarante-quatre officiers et mille deux cents soixante-seize hommes 40. À six heures du soir, la retraite est ordonnée. Les Français se retirent de Namur par un mouvement dérobé ; les Prussiens parviennent alors à ouvrir les portes de la ville, qui est investie après quelques derniers échanges de coups de feu 41. La Division Teste, toujours à l’arrière-garde des troupes françaises, se dirige vers Givet. C’est retranchée dans cette place qu’elle pourra permettre à l’armée menée par Grouchy de poursuivre sa route sans plus être inquiétée.

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37. Namur après Waterloo, dans Pays de Namur, n° 30, 1973, p. 11. 38. L. LAROSSE, Au lendemain de Waterloo à Namur. Une version allemande des combats à l’ouest et au nord de Namur, en juin 1815, pendant la retraite de l’armée Grouchy, dans Le Guetteur wallon, 61e année, 1985, p. 28. 39. Le rapport, rédigé le 23 juin 1815, dans lequel général Teste relate la participation de la 21e Division à la défense de Namur, est conservé aux Archives du Ministère français de la Défense. Il est reproduit par H. HEUSE, La défense de Namur le 20 juin 1815, dans La vie wallonne, t. XIII, 1932-1933, p. 385. Voir aussi les annexes 1 et 2 du présent article. 40. L. LAROSSE, op. cit., p. 30. 41. F. COURTOY, Souvenirs namurois au Musée de Nancy, dans Namurcum. Chronique de la Société archéologique de Namur, 5e année, 1928, p. 31-32. Cet article traite des clés de la serrure et du cadenas de la grille de fer de la porte de Bruxelles. Une photographie de ces objets figure dans Ph. BRAGARD et al., Namur en état de siège, de Jules César au général Hodges, Namur, 2004 (Les Amis de la citadelle de Namur), p. 77.

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Le 26 juin, l’intendant départemental annonce par placard aux Namurois la seconde abdication de Napoléon (22 juin) 42. Le Premier Empire napoléonien n’est plus ; Louis « deux fois neuf », comme le surnommeront les chansonniers parisiens 43, remonte sur le trône de France.

Quant à l’attitude des Namurois durant ces deux journées, disons seule- ment qu’ils ont fait bon accueil à l’armée napoléonienne, offrant aux soldats vin et nourriture, soins et hébergement, ainsi que nous l’apprennent divers témoins d’époque 44. Parmi ceux-ci, citons le général Berton, commandant une brigade de Dragons, qui raconte : Nous n’avions à parcourir qu’une contrée d’amis, l’accueil généreux de la ville de Namur ne sera jamais oublié par ceux qui en furent les témoins (…). Nous ne saurions trop le répéter à toute la France : Namur a bien mérité de notre patrie 45. Pour sa part, le général Teste estime que le plus grand ordre régnait dans la ville pendant l’action (…). Les habitants de Namur ont prouvé dans cette circonstance de la manière la moins équivoque qu’ils étaient dignes d’être Français 46. Résumant sources namu- roises et témoignages, l’historien H. Houssaye écrit : « Les Français en retraite apportent [à Namur] les risques terribles de la guerre. Ils n’en sont pas moins reçus en amis (…). Les Namurois prêtent leurs barques pour le transport des blessés par la Meuse et aident eux-mêmes à les embarquer. Les femmes appor- tent, jusque sous les balles, des vivres aux soldats, des secours aux blessés » 47. Ces initiatives d’aide et de soutien ont été tant l’œuvre de particuliers que de la municipalité, qui a distribué cent mille parts de pain et autant d’eau de vie 48. Outre les sentiments d’humanité bien naturels face à des hommes en déroute et bien souvent blessés, peut-être faut-il voir dans cette attitude secou- rable et bienveillante de la population namuroise envers les Français, l’écho de l’état d’esprit d’alors des habitants de nos provinces, que nous évoquions plus

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42. Extrait du journal de Paris du 23 juin 1815. Déclaration au peuple français, Namur, 26 juin 1815 (conservé en deux exemplaires aux A.É.N. : Collection d’imprimés réunie par A. Borgnet et F. Golenvaux, XVIe-XXe siècle, 4336 ; et Ville de Namur, 2405). 43. Th. LENTZ, Napoléon, Paris, 2001 (Idées reçues. Histoire & Civilisations), p. 45. 44. En plus de ceux cités ici, cfr notamment H.-J. COUVREUR, Le drame belge de Waterloo, Bruxelles, 1959, p. 99- 101 ; A. DULIÈRE, Les nouveaux fantômes des rues de Namur, Namur, 1983, p. 262-263 ; J. FIVET, Souvenirs militaires du XIXe siècle dans le Pays de Namur, dans Pays de Namur, n° 162, 1996, p. 5-6 ; G. MAISON, À Namur, le 20 juin 1815. Les Français partent, les Prussiens arrivent, dans Les amis de la citadelle de Namur, n° 42, 1988, p. 23-24 ; Namur 1815, dans Pays de Namur, n° 144, 1992, p. 6-7. Cfr aussi A. DULIÈRE, La com- plainte d’un blessé français de 1815, dans SOCIÉTÉ BELGE D’ÉTUDES NAPOLÉONIENNES, Bulletin, n° 30, 1959, p. 17-20 : reproduction du poème anonyme Aux habitans de Namur, par un blessé français après la retraite de 1815, s.l.n.d. (sur ce document, conservé dans les archives du musée de Groesbeeck-de Croix, cfr aussi F.-D. DOYEN, Bibliographie namuroise, indiquant les livres imprimés à Namur depuis le XVIIe siècle jusqu’à nos jours ; les ouvrages publiés en Belgique ou à l’étranger par des auteurs namurois, ou concernant l’histoire du comté ou de la province actuelle de Namur, t. II : 1800-1830, Namur, 1887, p. 188-189 ; et A. DULIÈRE, Pierre Darrigade, chirurgien aux armées de la Révolution, s.l., 1972, à compléter par A.É.N., Régime hollandais, II-46 : Déclaration de Pierre Darrigade, 05 avril 1814). 45. Cité par F. ROUSSEAU, Namur et la France [conférence donnée le 15 juillet 1958 à la séance inaugurale du 77e Congrès de l’« Association française pour l’avancement des sciences », tenu à Namur du 15 au 22 juillet 1958], dans Le Guetteur wallon, 35e année, 1959, p. 16. 46. Cité par H. HEUSE, op. cit., p. 384. 47. H. HOUSSAYE, 1815. Waterloo, 85e éd., Paris, 1921, p. 480-481. L’épisode namurois est traité en p. 478-483. 48. Ph. BRAGARD, et al., op. cit., p. 76.

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haut. D’autant que, parmi les membres de cette armée en recul, beaucoup de Namurois ont reconnu des anciens frères d’armes, voire même des conci- toyens – comme par exemple le chef d’escadron André Lafontaine, aide de camp du maréchal Grouchy 49. Par ailleurs, certains habitants de Namur, eux- mêmes vétérans des armées napoléoniennes, se sont même joints aux efforts des Français, à l’instar d’un dénommé Albert-François Modave, ancien artil- leur qui a pointé le canon contre les Prussiens à la porte de Bruxelles 50. Toute- fois, notons que les archives nous apprennent que les troupes prussiennes, également, ont pu bénéficier de l’aide des habitants de Namur, qui ont soulagé les souffrances de leurs blessés 51.

La mort du colonel prussien H. von Zastrow, le 20 juin 1815

Parmi les officiers prussiens qui poursuivent les restes de la Grande Armée au lendemain de la bataille de Waterloo, se trouve le baron Alexander- Heinrich-Gebbardt von Zastrow. Né le 20 août 1768 à Kölpin 52, il est alors colonel au 9e régiment Royal d’infanterie prussienne, dit « de Colberg » 53, et participe activement aux combats des 19 et 20 juin 1815. Ainsi, le premier jour, alors que les Français sont toujours postés en avant de Namur, il dispose lui-même quelques canons attelés destinés à bombarder une position française située juste avant le faubourg de Belgrade 54. C’est le 20 juin, tandis que les combats ont lieu sous les murs de Namur, que le colonel von Zastrow est mortellement touché par une balle française. Une relation prussienne de ces affrontements nous livre quelques détails de cet évènement. L’armée française a garni de canons les portes de Bruxelles et de Fer et occupé, par de l’infanterie, les étages supérieurs des maisons proches. Lors d’une tentative pour s’emparer de ces lieux, les Prussiens subissent de fortes pertes ; le colonel von Bismarck, oncle du futur « Chancelier de Fer », est notamment au nombre des morts. Les assaillants n’étant pas pourvus de matériel d’assaut et une nouvelle avance de l’artillerie étant interdite par le terrain, une pénétration rapide dans la ville [est] impossible. Devant la porte de Bruxelles, les bataillons prussiens se m[ettent] bientôt à couvert dans un cime- tière 55. À cette époque, l’entrée de Namur par cette porte est une chaussée pavée, bordée de pavés et de quatre rangées de peupliers 56. Devant la porte de Fer, c[’est] beaucoup plus difficile (…). Les troupes prussiennes n’envo[ient]

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49. À ce sujet, cfr Des Namurois dans l’Armée de Grouchy, dans Pays de Namur, n° 108, 1986, p. 32-33. 50. Namur après Waterloo…, p. 12 ; Ph. BRAGARD et al., op. cit., p. 76. 51. Voir l’article Lettre autographe du prince prussien Frédéric Guillaume (futur Guillaume Ier, empereur allemand) adressée au magistrat de Namur, 5 octobre 1815, ci-après. 52. A. CHAPPET, R. MARTIN et A. PIGEARD, op. cit., p. 938. Cette localité, qui se situe aujourd’hui en Pologne, porte actuellement le nom polonais de Kiełpino. 53. L’Éclaireur. Journal de la province de Namur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857. Sur ce corps d’armée, cfr K. VON BAGENSKY, Geschichte des 9ten Infanterie-regiments genannt colbergsches, Colberg, 1842. 54. L. LAROSSE, op. cit., p. 28. 55. Ibid., p. 29. 56. Ph. BRAGARD et al., op. cit., p. 76. Cfr également La porte de Bruxelles ou en Trieux, dans Les amis de la Cita- delle de Namur, n° 32, 1985, s.p.

72 que quelques balles dans la courte allée d’entrée, qui réunit le faubourg à la porte. Presque chaque balle de l’ennemi port[e], de sorte que toutes les sections engagées dans cet étroit espace subi[ssent] une perte excessivement grande. Cette petite rue [est] ainsi couverte de tués et de blessés 57. C’est alors que von Zastrow entreprend la manœuvre qui va lui coûter la vie. Comme l’assaut ne p[eut] se faire, ceux qui approch[ent] de la porte avec des haches étant aussitôt abattus, le colonel von Zastrow (…) v[eut], accompa- gné de son adjudant (lieutenant Goltdammer), longer le mur de ville à gauche depuis la porte de Fer, pour trouver un point par où la pénétration serait peut- être possible. En chemin, malgré les tirs de couverture du 1er bataillon, sa poitrine [est] transpercée par une balle ennemie 58. Il se trouve alors dans l’avancée de la porte de Bruxelles 59, qui n’est à vrai dire qu’une grille de fer soutenue par des colonnes et fermant une portion de vieux remparts abat- tus 60. Aussitôt, le lieutenant Goltdammer va chercher les adjudants de régi- ment se trouvant à proximité, le lieutenant Neumann et quelques hommes, qui port[ent] le colonel dans un champ de blé proche, où il [est] bandé ; ensuite, de nuit, il [est] mis à couvert dans le faubourg, donc dans Namur même 61. Henrich von Zastrow ne survit que quelques jours à ses plaies, avant de mourir à Namur, le 23 juin. Le lieu précis de son décès est, selon une tradition digne de foi, une maison sise dans le faubourg de Saint-Servais, au n° 20 rue d’Astedon (actuelle « rue de l’armée Grouchy ») 62. L’acte de décès, dressé par l’adjoint à la mairie de Namur Joseph Mauderbach et consigné dans les re- gistres d’état-civil de la ville, ne nous en apprend pas plus : M. le colonel De Zastrow, époux de madame son épouse inconnue, commandt la 6e brigade du 2e corps d’armée au service du roi de Pruse [sic], chevalier de plusieurs ordres supérieures de trois souverains, décédé [le 23 juin 1815] à dix heures du soir, par suite de blessures, âgé de cinquante ans, né en Poméranie, fils des père et mère inconnus 63. Il est alors enterré au cimetière de Namur 64.

L’inauguration du monument, le 20 juin 1857

Malgré les années, le souvenir du colonel von Zastrow ne se perd pas dans son régiment. En 1856, celui-ci résout d’élever un mausolée à sa mémoire dans le cimetière de Namur 65. Le corps d’officiers en confie l’exécution à monsieur Adolphe Balat, marbrier namurois 66, et sollicite de l’administration commu- ______

57. L. LAROSSE, op. cit., p. 29. 58. Ibid., p. 29. 59. Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857. 60. Namur après Waterloo…, p. 11. Cfr l’illustration reproduite dans Ph. BRAGARD et al., op. cit., p. 75. 61. L. LAROSSE, L., op. cit., p. 29. 62. Ibid., p. 30. 63. A.É.N., Registre aux actes d’état-civil de la commune de Namur : décès, 1815 (à la date du 24 juin 1815). Repro- duisant cet acte de décès, la Revue de Namur commettra une erreur de transcription, puisqu’elle le qualifiera de commandant de la 7e brigade du 2e corps d’armée (La Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857). 64. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 65. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 66. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857 ; Éclaireur, 26e année, n° 166, 20 juin 1857. Le sculpteur Adolphe Balat (Gochenée, 1820 – Namur, 1892) a notamment exposé à Namur en 1838 et en 1868 (P. PIRON, Dictionnaire des artistes plasticiens de Belgique des XIXe et XXe siècles, Ohain, 2003, p. 53). 73

nale une concession de terrain, qui lui est accordée avec empressement 67. Il est en outre décidé que l’inauguration du mausolée se ferait avec une certaine pompe 68. Au début du mois de juin 1857, la date de découverte du monument fu- nèbre est fixée au 20 courant 69, décision qui est remise au roi de Prusse 70. Quelques jours plus tard, le ministre de l’Intérieur informe le bourgmestre de Namur qu’une députation militaire, nommée par le souverain prussien, assiste- ra à la cérémonie d’inauguration 71. Partie de la ville de Stettin, où se trouve le lieu de sa garnison 72, cette députation arrive dans notre ville le 18 ou le 19 juin 73. Elle est composée d’un officier de chaque grade du régiment ancien- nement commandé par le colonel von Zastrow. Descendue à l’hôtel de Hollande 74, son premier soin est de rendre visite au gouverneur de la pro- vince, au bourgmestre et aux généraux de la garnison de Namur 75. Les officiers de cette députation du 9e régiment Royal d’infanterie prus- sienne (Colberg) sont : le colonel von Borcke, le capitaine Osten Sacken I et le lieutenant Malotki von Trzebiatowski I 76. Elle comprend également le général retraité von Zastrow, fils du colonel tué en 1815, lui-même ancien colonel du 9e régiment et commandant du régiment Alexandre, des gardes du roi de Prusse 77. Ce serait à lui que reviendrait l’idée de faire élever la stèle 78. Enfin, s’y trouvent un sous-lieutenant, un sergent-major et un soldat 79.

Le gouvernement belge ayant voulu que l’armée concourût à l’inauguration du mausolée 80, des ordres ont été donnés en conséquence. C’est ainsi que, le matin du 20 juin 1857, un grand appareil militaire [est] déployé pour contri- ______

67. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. Il n’est fait nulle part mention de cette concession de terrain dans le Recueil administratif de la ville de Namur pour les exercices 1856 et 1857. 68. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 69. L’Ami de l’ordre. Journal politique, commercial et littéraire, 19e année, n° 158, 09 juin 1857. 70. Ami de l’ordre, 19e année, n° 158, 09 juin 1857. De 1840 à 1861, le roi de Prusse est Frédéric-Guillaume IV. 71. Ami de l’ordre, 19e année, n° 167, 19 juin 1857. Le ministre belge de l’Intérieur est Pierre-Jacques-François de Decker (de 1855 à 1857) et le bourgmestre de Namur, Nicolas-François-Joseph-Ghislain Dufer (de 1842 à 1867). 72. Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. La ville de Szcze- cin se situe actuellement en Pologne, où elle est chef-lieu de la Voïvodie de Poméranie occidentale. Prussienne de 1720 à 1918, elle portait alors le nom allemand de « Stettin ». 73. Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857 ; La Sentinelle de Namur. Journal de la province, 4e année, n° 74, 20 juin 1857. 74. Ami de l’ordre, 19e année, n° 168, 20 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. Cet établis- sement, qui n’existe plus aujourd’hui, était situé rue des Fossés depuis le XVIIIe siècle ; il y était encore en 1878 (F. JACQUES, Namur en 1784. Paroisses, rues, immeubles, propriétaires et essai de constitution d’un plan parcel- laire, Namur, 1980, p. 113 et 137 ; Fr. MAELFRENNOUT, Namur. Guide du touriste et du négociant dans la ville et la province de Namur, 2e éd., Namur, 1879, p. 339). Il ne s’agit donc pas de l’établissement éponyme situé place de la gare à la fin du XIXe siècle (J. BAUDHUIN, Aspects de l’hôtellerie namuroise en 1899, dans Le Guetteur Wallon, 62e année, n° 1, 1986, p. 28). 75. Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857. De 1853 à 1875, le gouverneur de la Province de Namur est Charles de Baillet. 76. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857 ; Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857 ; Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 77. Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857 ; Sentinelle de Namur, 4e année, n° 74, 20 juin 1857 ; Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 78. Sentinelle de Namur, 4e année, n° 74, 20 juin 1857. 79. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857 ; Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857 ; Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 80. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857.

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buer à la pompe de l’inauguration du monument funèbre 81 : pas moins de deux bataillons d’infanterie du 3e régiment de Ligne et deux escadrons de cavalerie à pied du même régiment ont été commandés pour l’occasion 82. Vers 10 heures du matin, la délégation belge arrive, musique en tête, devant l’hôtel de Hollande 83. Outre les troupes déjà citées, elle est composée du lieutenant-général Duroy et des généraux-majors, Frison, Servaes et Dupont, ce dernier commandant de province, suivis d’un nombreux état-major 84. Ces officiers se rendent dans l’établissement, où les attendent les membres de la députation prussienne. Le cortège se remet ensuite immédiatement en marche, précédé de la musique du 3e de Ligne et suivi des deux bataillons et deux esca- drons de ce régiment 85. Il suit les rues de la Monnaie, de l’Ange et de Fer 86. La députation prussienne forme la tête du cortége, le sergent portant une couronne de laurier et les autres insignes funèbres ; viennent ensuite les géné- raux commandant la place et la division, avec leurs divers états-majors, suivis d’un grand nombre d’officiers de la garnison, tous en grande tenue 87. Se sont également joints le colonel Pertry, commandant de place, et, à la députation des officiers prussiens, M. Magnus, secrétaire d’ambassade de Prusse à Bruxelles, avec grade de capitaine de hussards 88. Par contre, on note l’absence de toute autorité civile dans le cortège : ni le gouverneur, ni le collège échevi- nal, ni la garde civique ne sont représentés 89.

Parvenues au cimetière, les troupes se massent en cercle autour du monu- ment découvert 90. Le colonel prussien von Borcke prononce un discours funèbre dans ce magnifique langage allemand qui se prête si bien à l’éloquence en plein air 91. Ce discours, au dire que ceux qui l’ont compris 92, retrace la vie et la carrière militaire du défunt et les circonstances de sa mort 93. Parvenu à la péroraison, le colonel von Borcke saisit la couronne de lauriers et la dépose sur le casque grec qui surmonte le mausolée. Selon les journaux namurois, cette couronne aurait été soit tressée par la veuve octogénaire du colonel tué en 1815 94, soit envoyée par sa mère presque centenaire 95. Le discours termi- ______

81. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 82. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 83. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 84. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857 et n° 170, 22 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 85. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857 ; Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 86. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 87. Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. La présence, durant la cérémonie d’inauguration, des autorités militaires et des officiers et troupes de la garnison de la ville est également confirmée par l’Éclaireur, 26e année, n° 166, 20 juin 1857 et par la Sentinelle de Namur, 4e année, n° 74, 20 juin 1857. Quant à lui, l’Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857 précise : ainsi que les officiers de la garnison qui n’étaient pas de service. 88. Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857 ; Éclaireur, 26e année, n° 166, 20 juin 1857. 89. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 90. Sauf indication contraire, les informations relatives à la cérémonie ayant eu lieu au cimetière ont pour sources : Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857 et Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857. 91. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 92. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 93. Confirmé par l’Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857. 94. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 95. Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857.

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né, la musique du 3e régiment entonne l’air national de Prusse, tandis que le fils du défunt fon[d] en larmes 96. Après cette exécution, le général Dupont s’approche du tertre et prononce en français le discours suivant, précédé et suivi de la « Brabançonne » 97 : “ Messieurs, Le lieutenant-général, ici présent, me charge de vous dire quelques mots pour vous exposer le but et l’occasion de la triste cérémonie qui nous rassemble autour de cette tombe. Cette cérémonie est sans contredit une des plus touchantes à laquelle nous puissions assister. Les enfants d’un régiment prussien ont voulu élever un monument à leur ancien colonel, mort glorieusement sur le champ de bataille il y a 42 ans, à l’endroit même où il a succombé, dans la force de l’âge, lorsqu’un bel avenir s’ouvrait devant lui. C’est là un noble et admirable exemple d’esprit militaire. Il prouve les liens étroits d’affection qui unissent tous les membres de ce corps ; il prouve en outre que le colonel qu’ils ont voulu honorer d’un souvenir vivant était un digne et brave commandant, puisque sa mémoire vénérée et chérie vit toujours dans les cœurs, alors que les cadres ont été renouvelés par plusieurs généra- tions. Dans cette triste enceinte, à cet endroit qui fut témoin des dernières luttes de l’Empire, je pourrais déplorer les évènements de cette époque, pleurer la chute du plus grand capitaine des temps modernes. Mais à quoi bon raviver des haines éteintes ? Nous sommes ici pour rendre un éclatant hommage à la valeur, à l’héroïsme d’un courageux enfant de la Prusse ! Je n’éprouve aujourd’hui ni tristesse ni regrets. Il est beau, il est noble de mourir au champ d’honneur ; pour sa patrie et son Roi. Soldats, je vous souhaite à tous un aussi beau destin. Des armées de toutes les nations ont pris part à cette lutte gigantesque. Beaucoup de Belges ont ici mordu la poussière. Tous ils se sont conduits vaillamment. C’est donc un hommage que nous rendons aux héros de tous les pays ” 98. Ensuite, s’adressant à la députation prussienne, le général Dupont clôture la cérémonie par ces mots : “ Et vous, messieurs, vous redirez à votre beau régi- ment la scène touchante dont vous avez été les témoins, vous reporterez à vos camarades l’expression de nos sentiments fraternels. Vous leur direz que ce monument est placé sous la sauvegarde de l’armée belge ”.

Le colonel von Borcke remercie alors les autorités militaires en quelques paroles, que le général Dupont traduit en français aux officiers de la

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96. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 97. Éclaireur, 26e année, n° 166, 20 juin 1857. 98. Nous reproduisons ici la relation de la Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. Ce discours fut égale- ment retranscrit dans l’Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857 et dans l’Éclaireur, 26e année, n° 167, 21 juin 1857 (qui reproduit en réalité intégralement l’article du 21 juin de la Revue de Namur).

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garnison 99. Ensuite, le cortège quitte le cimetière et les troupes rentrent dans leurs casernes respectives. Quant aux officiers prussiens, ils s’en vont visiter l’hôpital militaire et les casernes 100. Enfin, le soir, à quatre heures, le général réunit dans un grand banquet la députation prussienne et les autorités mili- taires de la province 101. L’évènement que fut cette inauguration de la stèle du colonel von Zastrow, annoncée à plusieurs reprises à la population par les journaux namurois dès le début du mois de juin 102, avait attiré une affluence de monde considérable 103.

Emplacement de l’ancien cimetière général de Namur de 1786 à 1865, détail du Plan de la ville de Namur et de ses envi- rons, dressé à l’échelle de 1 à 2500 par H.-J. Rolen, Établissement géogra- phique de Bruxelles,

Épilogue

Le cimetière de Namur dans lequel fut inhumé le colonel von Zastrow en 1815 et qui vit la cérémonie d’inauguration du 20 juin 1857, n’existe plus au- jourd’hui 104. Situé en face de la prison, à l’emplacement de l’actuelle place Ab- bé André, il a depuis été désaffecté. Peut-être est-ce à cette occasion que la dépouille mortelle de von Zastrow a été conduite au cimetière allemand de Lommel, où elle repose encore actuellement 105. Quant à sa stèle commémorative, elle a été transportée au cimetière de Namur-Belgrade (ouvert en 1862) 106, où elle est toujours visible aujourd’hui.

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99. La Sentinelle de Namur, 4e année, n° 74, 20 juin 1857 dit que quatre discours allemands ont été prononcés sur la tombe dudit défunt, mais il est le seul à contenir pareille information. 100. Ami de l’ordre, 19e année, n° 170, 22 juin 1857. 101. Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857. 102. Ami de l’ordre, 19e année, n° 158, 09 juin 1857, n° 167, 19 juin 1857 et n° 168, 20 juin 1857 ; Éclaireur, 26e année, n° 165, 19 juin 1857. 103. Éclaireur, 26e année, n° 166, 20 juin 1857. Confirmé par la Sentinelle de Namur, 4e année, n° 74, 20 juin 1857 et l’Ami de l’ordre, 19e année, n° 169, 21 juin 1857. 104. À noter qu’un monument en mémoire des soldats de l’armée Grouchy aurait également été élevé dans le même cimetière communal de Namur, également en 1857 (L. VAN NECK, Waterloo illustré. Campagne de 1815, spécia- lement au point de vue de la Belgique, 2e éd., Bruxelles, 1906, p. 211 ; Quelques monuments namurois, dans Pays de Namur, n° 75, 1981, p. 5-6 ; G.-P. SPEECKAERT et I. BAECKER-RENARD, Vestiges et monuments commémo- ratifs des combats de 1815 en Belgique. Inventaire, description, textes, 74 illustrations, 7 plans, Lasne, 2004, p. 100). Nous n’en avons toutefois trouvé aucune trace. Peut-être s’agit-il là d’une confusion avec la stèle de von Zastrow, répétée d’ouvrage en ouvrage. 105. A. CHAPPET, R. MARTIN et A. PIGEARD, op. cit., p. 536. La ville de Lommel est située dans la province belge du Limbourg. 106. Quelques monuments namurois…, p. 8. Ce cimetière est situé au 436 de la chaussée de Waterloo à 5001 NAMUR. 77

Située à gauche en entrant, en bordure de l’allée centrale, près de l’habitation du gardien, elle porte encore les épigraphes d’époque : « HEINRICH VON ZASTROW / OBERST UND COMMANDEUR DES KOENIGLICH PREUSSISCHEN, / 9TEN INFANTERIE REGIMENTS (COLBERG), / FIEL AN DER SPITZE / DES REGIMENTS DEIM STURM AUF NAMUR, / AM 20TEN JUIN 1815 ». Au bas de la stèle, figurent en outre les mots suivants : « DAS OFFICIER CORPS DES REGI- MENTS / DEM ANDENKEN SEINES TAFFEREN FUHRERS ». Le temps ayant fait son œuvre, ces inscriptions sont néanmoins devenues difficilement déchif- frables 107. Une plaque de métal, de facture plus récente, a donc été placée au pied du mausolée : « GRABMAL DES / HEINRICH VON ZASTROW, / OBERST UND KOMMANDEUR / DES KÖNIGLICH, PREUSSISCHEN, / INFANTERIEREGI- MENTES NR. 9 / GEFALLEN VOR NAMUR IM KAMPF / GEGEN NAPOLEO- NISCHE TRUPPEN / UNTER MARSCHALL GROUCHY / AM 20. JUNI 1815 ».

La nouvelle plaque de bronze placée au pied de la stèle.

Contrairement au monument que les Allemands avaient fait élever dans ce même cimetière de Belgrade durant la Première Guerre Mondiale, en souvenir de leurs soldats morts durant le siège de Namur, la stèle de von Zastrow n’a donc pas été démontée en 1919 108. Elle avait pourtant été érigée en haut lieu de mémoire prussienne par l’occupant. Le 20 juin 1915 en effet, les autorités allemandes stationnées en Belgique avaient commémoré le centenaire de la bataille de Waterloo en envoyant quelques soldats de la garnison de Namur rendre les honneurs au colonel von Zastrow 109.

Cédric ISTASSE 77, rue de l’Aurore 5100 Jambes ______

107. La Revue de Namur, 12e année, n° 1960, 21 juin 1857, écrit que cette inscription était gravée en lettres d’or. Il s’agit sans doute davantage là d’une figure de style que d’une description. 108. Cfr Namur, vor und im Weltkrieg. Herausgegeben von der Kaiserlichen Fortifikation Namur, Munich, 1918, p. 89-90, 96-100 et 237-239 (fig. 147-150) ; Quelques monuments namurois…, p. 7. 109. Cfr la photographie de la manifestation publiée dans Namur 1815. Une version allemande, dans Pays de Namur, 1991, n° 138, p. 12. Elle figure également dans Quelques monuments namurois…, p. 6, mais avec une légende erronée, puisqu’elle parle de monument « aux morts prussiens » des combats de juin 1815 à Namur.

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Annexe 1 : Militaires au service de France et de Prusse décédés à Namur en juin-décembre 1815 (selon ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR, Registre aux actes d’état-civil de la commune de Namur : décès, 1815) 1

Militaires au service de France

[identité inconnue] Grenadier au 23e régt d’infe de 20 juin env. 30- Ligne 31 ans PAUGET Jean-Marie Grenadier au 2e bon du 75e régt 20 juin Dépt de l’Ain RAGONISE Nicolas Soldat au 1er voltigeur du 20 juin 29 ans Dépt de la Marne 85e régt d’infe de Ligne Décédés à l’hôpital militaire des Cazernes 17 soldats dont (…) 3 26-27 juin français dont on n’a pu savoir les noms [identité inconnue] Soldat au 86e régt d’infe de Idem Ligne, 1re cie, 1er bon ROUSSONVILLE Louis Sous-lieutenant au 33e régt d’infe 30 juin 2 27 ans Beauvais (dépt de l’Oise) François de Ligne DE GOUT Robert Chef de bataillon au 33e régt 29 juillet 3 35 ans Metz (dépt de la Marne) (chevalier) d’infe de Ligne FORQUET François Prisonnier de guerre 04 octobre 32 ans Renaires, en France MAENDEVILLE Jean Prisonnier de guerre 30 octobre 36 ans Duslet (dépt de la Haute- Garonne) DELERY Jean-Baptiste Prisonnier de guerre 11 novembre 26 ans Champierou (dépt de la Côte d’Or RIBOULEAU Pierre Prisonnier de guerre 26 novembre 34 ans Chataunoy (dépt du Loiret)

Militaires au service de Prusse

KAMLAH Frédéric Capitaine au 27e régt d’infe de 19 juin 4 22 ans Stetembourg Ligne, commandant le 1er bon HOENERT Christiane Dragon au 1er régt de 19 juin 32 ans Breslo Wesphalie, 1er escadron DE MOSEL Gustave Capitaine au 26e régt d’infe de 22 juin 22 ans Meurs, en Allemagne Ligne Est décédé à l’hôpital militaire 14 soldats prussiens dont on n’a pu 22 juin savoir les noms SCHULTZE Frederich Soldat au 2e bon, 1e cie 23 juin PETERS Johan Soldat au 1er régt de Hurmärk 23 juin Duckom, en Pomeren Landwerer, 8e cie KALLEWY Elbert Fusilier au 5e régt de Wesphalie, 23 juin Mose, province de 9e cie Padebom PASEMANN Fréderich Soldat au 2e bon, 1re cie 24 juin Décédés à l’hôpital militaire des Cazernes 17 soldats dont 14 prussiens 26-27 juin (…) dont on n’a pu savoir les noms CREFFNITZ 1er lieutenant au 26e régt d’infe 28 juin 30 ans Shlasaihem, en Allemagne de Ligne VILLISSEN Capitaine au 28e régt d’infe de 8 juillet 5 26 ans Oasstas dez Magdebourg Ligne SCHEELE Auguste 1er lieutenant au 26e régt d’infe 23 juillet 20 ans Colberg, en Poméranie de Ligne ROESLER Jean Sergent à la 3e cie du 11e bon de 1er août 30 ans Glogoer, en Silésie Ligne SCHUMAN Wilhem Soldat 06 septembre 21 ans Reelkau, dépt de Saudan TANNER Christiaan Soldat 06 septembre 33 ans Risbag, dépt de Slezine KONON Frédéric Soldat 06 septembre 28 ans Zuhlen, dépt de Neuropin SOWARD Johan Soldat 09 septembre 29 ans Sniort-lez-Breslau, en Prusse SCHREYBER Johan Fusilier au régt de Colberg 09 septembre 25 ans Berghols-lez-Berlin, en Prusse RESCKER Frederick Fusilier au 26e régt d’infe de 11 septembre 18 ans Slief Kowern, en Ligne, 2e bon, 8e cie Wesphalie KERSEHHOF Christiaan Sous-officier au 25e régt d’infe, 13 septembre 20 ans Pruismenner, en Wesphalie 2e bon DREPTO Martin Fusilier au régt de Pommers, 14 septembre 23 ans Keslin, en Poméranie 1er bon, 4e cie

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HAIRSER Charles Fusilier au 2e régt d’infe de Ligne 15 septembre 26 ans Rosental, près westprussien, 3e bon, 3e cie Zwynesehekrietz BLANKENBURG Frederic Fusilier au 5e Courneurkze 15 septembre 32 ans Lubas Landorf Landwer, 3e bon, 2e cie KESSING Herman Fusilier au 27e régt d’infe de 16 septembre Enger, en Wesphalie Ligne, 1er bon, 1re cie BOSCH Abraham Fusilier au 29e régt d’infe de 17 septembre 20 ans Dussendorf Ligne, 3e bon, 9e cie ALBERTZ Willem Fusilier au 21e régt d’infe de 19 septembre 26 ans Brobstin Nymant Ligne, 1er bon, 1re cie NAUHEIM Johan Soldat 21 septembre 19 ans Cobern Coblenz DOHENDORF Heinrich Fusilier au 27e régt, 1er bon 27 septembre 27 ans Klosterhiesheins, près de Halberstad MIDDELMAN Wilhelm Soldat au 1er régt de Pommers 28 septembre 26 ans Dortmand infe de Ligne, 2e bon, 6e cie ZULSKI Christoffer Soldat au 2e régt Westprusse, 30 septembre 23 ans Grosberngoldsens, en infe, 1er bon, 1re cie Prusse KOLMEYER Carel Landwehr au 2e régt de la 03 octobre 26 ans Pruisminde, en Wesphalie Wesphalie, 3e bon, 9e cie PANVOL Jean Fusilier au 11e bon 26 octobre 25 ans Schémèse, en Silésie-Haute PAPIK Jean Soldat 26 octobre 21 ans Hilsa, en Silésie KONING Jean Soldat au 25e régt d’infe de 1er novembre 19 ans Bélzemen, en Prusse Ligne, 3e bon, 2e cie BARTEL Frédéric Soldat au 24e régt d’infe de 04 novembre 26 ans Bervimtz, en Middelmark Ligne, 1er bon, 1re cie BECKER Rodolf Canonnier 06 novembre 31 ans Lisen, en Bingenberger Kreitz RAMDOHR Guilliam 2e lieutenant au 1er régt de 06 novembre 23 ans près de Stargardt Poméranie LEISCH Johann Soldat au 1er régt de l’Elbe, 08 novembre 17 ans Calbe, en Main Landwehr BARST Ernst Canonnier au Marck artile Cie, 3e 12 novembre 19 ans Karriten, en Sterren corps d’armée Bergen Kreitz KUNING Hendrig Canonnier au 12e artile, batterie 13 novembre 38 ans Westtepel-by-Munster, en n° 10 Wesphalie DOMSCHEID Henri Soldat 23 novembre 22 ans Langeberg, près d’Ebervelst PELKE Frederic Canonnier au régt de Marsch 6e 25 novembre 26 ans Tissoff, en Poméranie corps d’armée SCHOFF Frederic 24 novembre 20 ans Neigelaie, près de Berlin BOZENINS Christiane Uhland au 7e régt 26 novembre 33 ans Stekkersdorf, en Prusse MEKKLENBERGER Martin Soldat au train de la colonne 28 novembre 25 ans Kurgatz, en Prusse n° 4 ? ALKER Antoine Sergent-major au bon de 1er décembre 26 ans Zaoqvitz, canton de garnison n° 11 Leovscartzer MEYER Frederic Soldat 10 décembre 20 ans Gryfoldendorf, en Wesphalie VANDAMME Wilhelm [fils du soldat prussien Antoine 22 décembre 13 jours Namur Frederich Vandamme] BAATH Frederic Sous-officier 23 décembre 27 ans Sterven, en Rouppine (Prusse)

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1. Sauf Jean-Marie Pauget : ARCHIVES DÉPARTEMENTALES DE L’AIN, sous-série 3R : Courrier adressé par les offi- ciers comptables et dépositaires des archives du 67e-75e régiment de Ligne au préfet du département d’Ain, 28 mars 1816 (reproduit sur http://www.napoleonprisonnier.com/documents/waterloo.html). 2. † à l’hôpital d’Harscamp. 3. † à l’hôtel d’Arscamp. 4. † par suite de blessures reçues à l’affaire du 16 du mois. 5. † à la suite de ses blessures reçues le 16 juin (…) à Fleurus.

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Annexe 2 : Officiers français tués ou blessés durant les combats de Namur de juin 1815 (selon A. MARTINIEN, Tableaux par corps et par batailles des officiers tués et blessés pendant les guerres de l’Empire (1805-1815), Paris, s.d. [1899])

Les recherches menées par A. Martinien livrent un total de quatre-vingt officiers français tués ou blessés à Namur en juin 1815. Ces militaires se répartissent comme suit : un membre de l’état-major général (le général de division Vandamme), un membre des services d’état- major, soixante hommes des troupes d’infanterie (12e, 30e, 33e, 34e, 46e, 65e, 75e, 86e et 96e régiments d’Infanterie de Ligne, et 8e et 15 e régiments d’Infanterie légère), seize hommes des troupes de cavalerie (20e régiment de Dragons et 1er régiment de Hussards) et deux hommes des troupes d’artillerie (2e régiment d’Artillerie à pied). On comptabilise soixante-et- onze blessés (dont trois moururent dans les jours suivants) et neuf tués. On n’y retrouve que deux noms déjà cités dans l’annexe 1 : De Goux (ou De Gout) et Rousseauville (ou Roussonville). Leurs grades et unités correspondent bien ; par contre, tous deux sont mentionnés comme simplement blessés par Martinien mais comme décédés par A.É.N.

NOM Grade et unité B/T Date Événement Martinien BATELLE sous-lieutenant (22e régt Ligne) B 19 juin Combat route de Namur p. 173 BERNARD chef d’escadron (1er régt B 17 juin Affaire route de Namur p. 622 Hussards) BONFILLIOU capitaine (12e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 146 BONNEFOY capitaine (46e régt Ligne) T 20 juin Combat devant Namur p. 249 BOURDON chef de bataillon (86e régt B 20 juin Combat de Namur p. 300 Ligne) BOURELLE sous-lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 BOURGON lieutenant adjudant-major B 20 juin Combat de Namur p. 300 (86e régt Ligne) CARBONNIER capitaine (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 CHAMPY sous-lieutenant (12e régt Ligne) T 20 juin Combat de Namur p. 146 CHOPY capitaine (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 COLOMB capitaine (1er régt Hussards) B 20 juin Combat de Namur p. 616 CREPIN lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 CRISPIELS capitaine (20e régt Dragons) B 20 juin Combat de Namur p. 560 DE GOUX chef de bataillon (33e régt B 20 juin Combat de Namur p. 197 Ligne) DEBUTTES lieutenant (75e régt Ligne) B 19 juin Combat de Namur p. 286 DELAURIER capitaine (Service d’état-major, B 20 juin Combat devant Namur p. 57 aide de camp) DELUCCI lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 DESFONTAINES lieutenant adjudant-major B 20 juin Combat de Namur p. 192 (30e régt Ligne) DESNOYELLES sous-lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 DUCHET lieutenant (75e régt Ligne) B 19 juin Combat de Namur p. 286 DUFFOR lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 DUFRENEL capitaine (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 DUMOLARD sous-lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 DUPILLE capitaine (22e régt Ligne) B 19 juin Combat route de Namur p. 173 DUPONT lieutenant (65e régt Ligne) T 19 juin Combat devant Namur p. 270 DUPONT lieutenant (2e régt Artillerie à B 20 juin Combat devant Namur p. 638 pied) DURANTHON capitaine (86e régt Ligne) B 20 juin († le Combat de Namur p. 300 13 août) FAUVILLE lieutenant (96e régt Ligne) T 20 juin Combat de Namur p. 315 FERRARIS sous-lieutenant (20e régt B 20 juin Combat de Namur p. 560 Dragons)

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FRÉMY sous-lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 808 GACHOT sous-lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 GARNIER capitaine (75e régt Ligne) B 19 juin Combat de Namur p. 286 GERSON lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 GIRARDIER sous-lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 GIROD sous-lieutenant (15 e régt B 20 juin († le Combat de Namur p. 428 Infanterie légère) 16 juillet) GOBERT sous-lieutenant (20e régt T 20 juin Combat de Namur p. 560 Dragons) GOLJEAC lieutenant (1er régt Hussards) B 20 juin Combat de Namur p. 616 GUÉRARD capitaine (1er régt Hussards) B 20 juin Combat de Namur p. 616 HÉNARD capitaine (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 HEULZ capitaine (20e régt Dragons) B 20 juin Combat de Namur p. 560 HULOT sous-lieutenant (20e régt B 20 juin Combat de Namur p. 560 Dragons) LANGLOIS lieutenant (8e régt Infanterie B 20 juin Combat de Namur p. 408 légère) LAPISSE capitaine (75e régt Ligne) T 19 juin Combat de Namur p. 286 LAROCHE sous-lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 LEBLEU capitaine (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 LEBRUN capitaine (20e régt Dragons) B 20 juin Combat de Namur p. 560 LECORBEILLER capitaine (2e régt Artillerie à B 20 juin Combat devant Namur p. 638 pied) LEFORT lieutenant (96e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 315 LELOUP capitaine (12e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 146 LEMAIRE capitaine (75e régt Ligne) B 19 juin Combat de Namur p. 286 LION sous-lieutenant (12e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 146 MALHER sous-lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 MARIE sous-lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 MARIGUET capitaine (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 MENJOULET lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 807 MESSERSCHMITZ lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin († le Combat de Namur p. 300 10 août) NAU sous-lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 NEUMANN capitaine (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 NICOLAS sous-lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 OFFENSTEIN lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 OLLIVERO DE lieutenant (96e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 315 RUBIANCA OTTHENIN capitaine (1er régt Hussards) B 19 juin Affaire route de Namur p. 623 OZENNE capitaine (96e régt Ligne) T 20 juin Combat de Namur p. 314 PENNET sous-lieutenant (1er régt B 20 juin Combat de Namur p. 616 Hussards) PITET lieutenant (86e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 300 PLANÇON capitaine (30e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 192 REVERCHON lieutenant (12e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 146 ROUDOLPHIE lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 ROUGIRON capitaine (34e régt Ligne) B 21 juin Route de Namur p. 200 ROUSSEAUVILLE sous-lieutenant. (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 ROVAL sous-lieutenant (20e régt B 20 juin Combat de Namur p. 560 Dragons) TALBEAUX sous-lieutenant (65e régt Ligne) B 19 juin Combat devant Namur p. 270 TATAREAU lieutenant (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 TESTU capitaine (33e régt Ligne) B 20 juin Combat de Namur p. 197 THORY sous-lieutenant (1er régt B 20 juin Combat de Namur p. 616 Hussards) VANDAMME général de division B 20 juin Combat de Namur p. 16 (commandant le 3e Corps) VAUCHEZ lieutenant (1er régt Hussards) B 20 juin Combat de Namur p. 616 VAUZOUR lieutenant (22e régt Ligne) T 19 juin Combat route de Namur p. 173 VENIGER sous-lieutenant (1er régt B 20 juin Combat de Namur p. 616 Hussards) VILLEMINOT capitaine (30e régt Ligne) T 20 juin Combat de Namur p. 192

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Annexe 3 : Courrier de l’Intendant départemental de Sambre-et-Meuse au Secrétaire d’État du royaume des Pays-Bas (Namur, 22 juin 1815)

Nous reproduisons ci-après, en l’assortissant de quelques notes infrapagniales, un document que le juriste et historien Jacques Logie (1938-2007) avait exhumé des archives du royaume des Pays-Bas (NATIONAAL ARCHIEF [La Haye], Algemeene Staatssecretarie en Kabi- net des Konings, 1813-1840, 6584) 1.

Monseigneur,

J’ai eu l’honneur de rendre compte à Votre Excellence par mes lettres écrites de Liége le 19 et 21 de ce mois, des évenemens qui se sont passés à Namur avant l’entrée de l’armée fran- çaise, qui a fait sa retraite par cette ville le lundi 20 du courant. Cette armée était bien plus nombreuse que je n’ai eu l’honneur de l’annoncer à V. Ex. dans mon rapport ; on l’évalue être de 20 à 25 mille hommes avec beaucoup d’artillerie et une pro- digieuse quantité de caissons et de bagages ; elle était composée des débris des corps 1° de Vandame 2 2° d’Excelmans 3 3° de Pajol 4 4° de Gérard 5 et 5° de la cavalerie de Grouchy 6. Cette armée qui disait n’avoir point été battue mais d’avoir reçu l’ordre de se retirer, a commencé à passer à Namur le lundi 19, vers sept heures du soir et y a défilé pendant presque toute la nuit, plusieurs régimens étaient en bon ordre et ont passé musique en tête, mais cha- cun formait à peine un bataillon ; il y avait beaucoup de cavallerie dont les chevaux étaient efflanqués et harassés. Plusieurs corps ont crié : Vive l’empereur et excitaient la populace à en faire autant, sans y réussir. Le restant de cette armée marchait pèle mèle et en désordre. Voici ce qui s’est passé en ville pendant le séjour qu’y a fait cette armée et à son départ qui a eu lieu le mardi 20 vers huit heures du soir.

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1. J. LOGIE, Namur et Wavre pendant la campagne de 1815, dans Bulletin des Amis du Musée Wellington et du Musée de Waterloo, n° 3, mars 1987, p. 12-16. 2. (1770-1830) Général français. Placé sous les ordres de Grouchy, il servit à Ligny le 16 juin, à Wavre le 18 juin, et fut blessé à Namur le 20 juin, alors qu’il commandait les 3e et 4e Corps (J. GARNIER, Vandamme (Dominique- Joseph-René, comte d’Unsebourg), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon, nouv. éd., vol. II, Paris, 1999, p. 915-916 ; G. SIX, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire (1792-1814), vol. II, Paris, 1934, p. 528-529). 3. (1775-1852) Général français. Placé sous les ordres de Grouchy, il commandait le 2e Corps de cavalerie (Dragons) et servit à Fleurus le 15 juin, à Ligny et à Wavre (J. GARNIER, Exelmans (Remy-Joseph-Isidore, baron), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon, nouv. éd., vol. I, Paris, 1999, p. 780 ; G. SIX, Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l’Empire (1792-1814), vol. I, Paris, 1934, p. 434-435). 4. (1772-1844) Général français. Placé sous les ordres de Grouchy, il commandait le 1er Corps de réserve de cavale- rie et servit à Fleurus, à Ligny et à Wavre (J. GARNIER, Pajol (Pierre-Claude Pajot dit), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. II, p. 458-459 ; G. SIX, Dictionnaire biographique…, vol. II, p. 281-283). 5. (1773-1852) Général français. Placé sous les ordres de Grouchy, il commandait le 4e Corps et servit à Ligny et à Wavre (J. GARNIER, Gérard (Maurice-Étienne, comte), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. I, p. 869 ; G. SIX, Dictionnaire biographique…, vol. I, p. 497-499). 6. (1766-1847) Maréchal français. En juin 1815, il parvint à effectuer le repli de l’armée impériale en bon ordre, malgré des conditions des plus difficiles (J. GARNIER, Grouchy (Emmanuel, marquis de), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. I, p. 917-918 ; G. SIX, Dictionnaire biographique…, vol. I, p. 531-533).

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Les officiers généraux seuls ont été logés chez les particuliers, les corps ont bivouaqués. Les généraux paraissaient très inquiets, s’informaient à tout le monde où étaient les Prussiens et quels étaient les plus courts chemins pour regagner la France, il ignoraient où était leur empe- reur, et disaient ne s’être douté de la défaite de son armée que quand ils avaient appris que les Prussiens étaient à Sombreffe et leur coupaient la retraite par la route de Charleroy. À peine cette armée était elle arrivée à Namur que les Prussiens n’en étaient qu’à deux lieues vers Temploux. Le lieutenant général 7 Gérard, égaré de son corps d’armée et blessé de trois coups de feu 8 a passé le 19 vers trois heures de l’après midi à trois lieues et demi de cette ville fuyant sur Auvelais où il a passé la Sambre. Les généraux et l’armée se sont bien comportés en ville (il n’en est pas de même dans les campagnes) et n’ont exigé aucune contribution ; probablement qu’ils prévoyaient qu’ils n’avaient pas le tems de la faire payer ou qu’ils voulaient avoir l’air de ménager un pays qu’ils disaient ouvertement devoir être réuni à la France. Un général s’est présenté chez le receveur particulier pour avoir sa caisse, ce dernier s’étant mis de côté, son épouse produisit au général l’ordre que j’avais donné au fonctionnaire de se retirer avec la caisse et tout ce qui concernait sa comptabilité. Le 20 à 9 heures du matin, on entendit une cannonade assez forte à une petite lieue de la ville, où il s’engagea une affaire assez chaude entre l’arrière garde de l’armée française et les Prussiens, on s’y battit avec acharnement de part et d’autre ; les Français se battirent ainsi en se retirant jusqu’aux murs de la ville. Les Prussiens attaquèrent avec extrêmement de vivacité et une bravoure presque téméraire, ce qui leur occasionna une perte assez forte en hommes, les Français perdirent aussi du monde et quelques pieux de canon. Le général Vandame qui commandait cette affaire voulait tenir quelques tems pour protéger la retraite de l’armée fran- çaise, et fit placer du canon sur nos remparts pour arrêter les Prussiens qui commencèrent l’attaque de la ville vers les trois heures de l’après midi, ce qui dura jusqu’à près de huit heures, avec un feu continuel de mousqueterie et de canons à mitrailles, les Prussiens jettèrent même quelques obus dans la ville, qui n’y ont fait que quelques dégats, parce qu’ils voulaient la ména- ger ; enfin ayant enfoncé le grillage de la porte de Bruxelles à coup de boullets, ils pénétrèrent dans la ville, s’y battirent pendant quelques tems avec les Français dont plusieurs furent tués dans les rues, et les mirent en fuite. Vandame voulait faire sauter le pont qui est sur la Sambre, mais les habitans ayant montré beaucoup de commisération pour les blessés et leur ayant donné les secours que l’humanité réclame, il se contenta de baricader la rue du pont, de placer des tirailleurs dans quelques mai- sons et de faire un grand feu de fagots, vis-à-vis de la porte de la plante sur la route de Givet pour arrêter la cavalerie prussienne qui était à sa poursuite à l’exception de 2000 hommes de cavalerie, qui ont pris la route de Ciney, tout le reste de cette armée s’est retiré sur Givet. Ce général doit avoir été blessé d’un coup de feu en sortant de la ville, à ce que m’assurent plu- sieurs personnes qui disent avoir vu le sang couler le long de sa cuisse.

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7. Le titre de « lieutenant général » est l’équivalent de celui de « général de division ». Il a été instauré sous la Restau- ration, par ordonnance du 16 mai 1814. Les généraux participant à la campagne de 1815 sont parfois nommés lieutenants généraux au lieu de généraux de division, car Napoléon Ier leur avait permis de conservé ce titre par décret du 22 mars 1815 (A. PIGEARD, Dictionnaire de la Grande Armée, Paris, 2002 (Bibliothèque napoléo- nienne) p. 375). 8. Gérard, qui commandait le 4e Corps, fut blessé le 18 juin 1815 au combat de Wavre (A. MARTINIEN, Tableaux par corps et par bataille des officiers tués et blessés pendant les guerres de l’Empire (1805-1815), Paris, s.d. [1899], p. 16).

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Vous sentez Monseigneur, quelle consternation éprouvaient dans ce moment les malheu- reux habitans de cette ville, dans les rues de laquelle on se battait ainsi avec acharnement ; un bourgeois qui indiquait aux Prussiens une petite rue où quelques Français s’étaient retirés, fut tué par ceux-ci de deux coups de feu. La ville a été pendant 24 heures dans des angoisses mortelles, s’attendant à tout moment à un massacre et à un pillage général ; heureusement qu’elle n’a que des actions de grâce à rendre à Dieu d’en avoir été préservée. Mais dans nos campagnes depuis Gembloux jusqu’à Namur, tout a été ravagé et pillé, il ne reste rien ; deux de nos fauxbourgs ont subi le même sort. L’affaire en avant de Namur et la prise de cette ville a causé au moins un millier de morts de part et d’autre et une grande quantité de blessés, qui sont rapportés en ville où on leur pro- digue tous les secours possibles. Des simples ouvriers vont à la recherche des blessés jusqu’à plus d’une lieue de la ville les y ramènent ou rapportent quand ils ne sont en état de marcher ; nos dames de tous les rangs vont les soigner, les penser et donner des rafraichissemens ; mais les chirurgiens manquent, nous en avons peu dans la ville et ils ne peuvent suffire à les penser, tour à tour, surtout que tous les blessés de Gembloux et des environs rentrent aussi dans notre ville ; tous ceux qui sont en état d’être transportés sont placés dans les batteaux et conduits à Liége, par la Meuse, mais il en reste encore infiniment. J’ai chargé la commission des hospices civils de mettre de l’ordre, de la régularité et de la propreté dans les différens endroits où sont placés ces différens blessés et de veiller surtout à la salubrité en ayant soin de faire désinfecter l’aire des salles par tous les moyens possibles. Quant à l’esprit public, jamais, Monseigneur, il n’a été meilleur que dans ces circonstances à l’exception de quelques individus nés français, qui ont souvent été signalés au gouvernement et de quelques autres du pays, connus pour être ouvertement du parti de Napoléon, tout le reste de la population a manifestement montré son horreur pour les Français par la consterna- tion qu’a répandue leur arrivée, toutes les portes furent fermées en un instant d’un bout de la ville à l’autre, sans que nulle part il n’y ait eu un rassemblement ni acclamations, que les mili- taires tâchaient cependant d’exciter en criant vive l’empereur. Que votre Excellence me permette de la prier de vouloir bien porter à la connaissance de S.A.M. les sentimens d’affection qu’a manifesté le bon peuple de ce Dépt. en apprenant par les Bulletins que j’ai fait répandre et imprimer ce matin, que ce valeureux prince avait été blessé à la bataille du 18 9 ; il ne peut s’en consoler que par l’espoir que la blessure n’est pas dange- reuse et par la gloire nouvelle qu’elle répand sur le front de ce héros chéri. Mon premier soin en arrivant ici, ce matin, a été d’aller visiter les hopitaux, de me faire rendre compte par le Maire et le Sous intendant des mesures qui avaient été prises dans ces circonstances difficiles et de les approuver. Le Maire va me faire incessamment un rapport des dépenses qu’il a été obligé de faire et qu’il devra continuer ; j’aurai l’honneur de le transmettre à V.E. en la suppliant de vouloir éga- lement le faire approuver par le gouvernement. Mille dépenses imprévues doivent se faire sans retard ni délai, elles ne sont cependant pas prévues au budget, il faut donc absolument un crédit extraordinaire pour y faire face.

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9. Guillaume, prince d’Orange (1792-1849), fils aîné du roi des Pays-Bas Guillaume Ier, commandait nominalement le 1er corps de l’armée de Welligton pendant la campagne de 1815 et fut blessé à Waterloo (J. LOGIE, Waterloo. La campagne de 1815, Bruxelles, 2003, p. 173).

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Les habitans de la ville et des communes voisinnes sont trop malheureux, trop épuisés et ruinés de toute manière, que pour compter de rien obtenir d’eux par la voie de la réquisition ; on ne peut plus rien avoir sans payer ; les Prussiens sont exigeant et très pressés quand ils exi- gent ; tantôt c’est du fer pour les maréchaux, des médicamens pour les hommes et les che- vaux, des souliers pour leurs soldats qui n’en n’ont point, et il faut satisfaire à toutes ces de- mandes, si l’on veut éviter les exécutions militaires qui dégénèreraient bientôt en espèce de pillage. La différence de langue augmenter la difficulté d’être constamment d’accord avec eux ; au moindre retard qu’ils éprouvent dans leurs demandes ils prennent de l’humeur et nous traitent de français 10. Il est impossible que la garde Bourgeoise qui a rendu les plus grands services depuis le départ des Prussiens jusqu’à l’arrivée des Français, puisse continuer de maintenir l’ordre sans s’exposer à tous momens à des rixes désagréables et dangereuses avec les Prus- siens, qui sont à la vérité en très petit nombre dans cette ville, mais qu’il ne faut pas moins ménager. Le peu de gendarmerie que nous avons ici, n’ose aussi se compromettre avec eux et leur commandant a dû leur donner l’ordre d’éviter soigneusement toute altercation avec eux. Cependant notre ville est ouverte, sans défense exposée à tous les événemens. Beaucoup de trainards, des brigands mêmes qui s’approprient les habits et les armes de militaires tués, en- tourent notre ville et y commettent mille excès qu’on n’ose ou que ne peut réprimer, je supplie V.E. de vouloir nous faire envoyer soit quelques cents hommes de troupes de Notre Roi, soit au moins un renfort de gendarmerie tant pour la ville que pour la campagne, sans cela je crains que nous ne tombions sous peu dans toutes les horreurs du plus cruel brigandage. Le Commissariat général civil 11 avait laissé dans les magasins du gouvernement, lors de l’arrivée des Français, des quantités considérables de farine, de grains, de biscuits, d’eau de vie, de viande, de ris, de sel, cent et onze bêtes à corne sur pied, que la garde Bourgeoise a soi- gneusement soustrait et conservé aux recherches des commissaires français auxquels ont seu- lement été délivrés les objets suivant pour éviter le pillage du reste : trois mille setiers d’avoine 2.400 litres d’eau de vie 5.176 livres de viande 15.000 rations de biscuits et 14.000 pains (cette réserve que l’on n’a pas eu le tems de sauver a été pillée). C’est ici, Monseigneur, un rapport général, où V.E. trouvera que plusieurs objets ne peu- vent la concerner ; mais si elle daignait en parler aux Commissaires généraux que ces objets concernent, elle obtiendrait bien, plutôt que moi, qu’ils soient remplis avec toute la prompti- tude que l’urgence des besoins réclame. Je prie Votre Excellence, de m’accuser réception du présent rapport et agréer l’hommage de mon profond respect. ______

10. Il est un fait bien connu que de nombreux Prussiens, confrontés à une population francophone et ayant fait partie intégrante de la France vingt ans durant, considéraient que nos régions étaient françaises. On songera au titre de l’ouvrage du célébrissime officier et théoricien militaire prussien Carl von Clausewitz : Der Feldzug von 1815 in Frankreich [consulter la traduction de A. Niessel, parue à Paris en 1899 et rééditée à Paris en 1973 : Cam- pagne de 1815 en France]. 11. Le 1er août 1814, le prince d’Orange avait officiellement pris en main le gouvernement provisoire de la Belgique, succédant ainsi au « gouvernement général de la Belgique » mis en place par les chefs des états-majors des armées coalisées à leur entrée sur le territoire belge. Par arrêté du 12 août 1814, il supprima les « secrétariats généraux » qui avaient assuré la transition, et créa pour les remplacer quatre « commissariats généraux » (Guerre, Finances, Intérieur, Justice) chargés d’établir des règles provisoires à l’effet de pourvoir à la bonne expédition des affaires dans les provinces belgiques (cfr Fr. ANTOINE, Inventaire des archives du Commissariat général de l’Intérieur (1813-1818), Bruxelles, 2006 (Archives générales du Royaume, Inventaire, 387), p. 21-27).

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Annexe 4 : Documents d’archives namurois inédits

Nous reproduisons ci-après, parmi tant d’autres, quelques-uns des documents d’archives inédits relatifs aux combats de juin 1815, conservés aux Archives de l’État à Namur.

Rapport du commissaire de police de Namur au maire de la même ville, 1er juillet 1815 1

Les grands événemens qui ont eu lieu pendant le mois qui vient de s’écouler, les pré- paratifs et les circonstances qui les ont précédés et accompagnés, ont exigé de la part de la police une activité et une surveillance continuelle et extraordinaire. Aussi nos agents ont-ils été pendant le mois de juin occupés nuit et jour pour le service public et militaire ; pendant ce tems difficile ils se sont prêtés à tout avec zèle : les veilles, le port, tant de nuit que de jour, d’une multitude de réquisitions faites sur les habitans de cette ville, la surveillance des secours administrés aux militaires blessés, de leur transport aux hopitaux, de leur embarquement sur des bateaux, rien ne les a rebutés, et on peut assurer avec toute vérité qu’ils ont rempli leurs diverses fonctions avec un courage et un zèle infatigable (…).

Rapport du commissaire de police de Namur au maire de la même ville, 10 juillet 1815 2

Conformément aux instructions que vous m’avez données relativement à des propos injurieux à la personne sacrée de S.M. notre roi, ou tendant à faire soulever le peuple, qu’on prétendoit s’être tenus en quelques endroits, et nomément les sieurs Rouvroy demeurant en cette ville et Rudemann demeurant à la Ste Croix, quelques jours avant et pendant le passage des troupes françaises par cette ville, qui a eu lieu le 19 juin dernier, j’ai à ce sujet pris tous les renseignemens que l’importance de la chose exi- geoit, tant par moi-même que par un de mes agents de police. Je dois vous avouer qu’après avoir interrogé en secrèt un grand nombre de personnes sur ce sujet, nous n’avons rien découvert qui méritât l’animadversion des loix ; de sorte que les rapports qui vous ont été faits sur cette matière, paroissent être dénués de fondement.

Courrier du sieur Nieuwenhuisen (habitant au n° 1810 de la rue du Couvent, à Anvers) au gouverneur de la province de Namur, 1er avril 1824 3

Le soussigné s’étant présenté à l’audience du 11 février dernr il a plu, à Votre Excel- lence 4, de lui permettre de vous adresser une notte des services rendus par lui en 1815, pourque Votre Excellence put se rappeller et juger de ce qui a été fait dans ce tems-là sous votre direction à Liège et à Dinant ; tandis que Votre Excellence n’ignore pas les services qu’il a rendu au lieu actuel de votre résidence, ce que les autorités locales voudront bien constater. Il prend donc la liberté de vous en faire le détail ci-après. ______

1. ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR [= A.É.N.], Ville de Namur, 2771. 2. A.É.N., Ville de Namur, 2705. 3. A.É.N., Archives de l’Intendance départementale de Sambre-et-Meuse et de l’administration provinciale de Na- mur sous la domination hollandaise (1814-1830, II-14ter. 4. De 1815 à 1830, le gouverneur de la province de Namur est le géologue liégeois J.B. d’Omalius (A. DULIÈRE, Les fantômes des rues de Namur, Namur, s.d. [1956], p. 179-187 ; J. GUEQUIER, Omalius d’Halloy (Jean-Baptiste Julien d’), dans ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE, Biogra- phie nationale, t. XVI, Bruxelles, 1901, col. 157-166).

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Ayant été chargé en 1815, par l’inspecteur-général du service de santé pour l’armée et la force navale de Sa Majesté, de l’organisation du service des hôpitaux qui devaient servir pour recevoir les malades et blessés de l’armée prussienne dans quelques unes des provinces méridionnales ; principalement de ceux qui devaient être mis en activité à Liège et à Namur ; je suis arrivé en conséquence, le 20 juin à Liège. Après m’être assuré, que les blessés de l’armée pouvaient être convenablement reçus à Breda, Bois le Duc et Maastricht, et après avoir réglé et donné ordre dans le dernier endroit que les Prussiens transportables, qui, y seraient conduits de Liège, y pouvaient être reçus, pour être évacués à Aix la Chapelle, j’ai réglé dès le jour même avec le prédécesseur de Votre Excellence 5 les moyens de transport, et assuré ceux qui devaient servir pour faire réussir mon plan d’économie. Ensuite j’ai fait l’inspection de l’établissement de St Laurent ; et pris de suite des mé- sures convenables, avec les autorités prussiennes pour y introduire la propreté, si né- cessaire pour prevenir les fièvres qui regnent ordinairement dans les hôpitaux, et les maladies contagieuses dont les suites si pernicieuses aux habitans, ne pouvaient être calculées. Le susdit établissement ne pouvant contenir tout au plus que 810 blessés, et incertain si mon plan d’économie réussirait, j’ai fait arranger, à bien peu de frais le couvent de Ste Egate ; pour y recevoir momentanément les prisonniers de guerre, et pour laisser la bonne bourgeoisie en possession du couvent le Premontré, où je m’étais assuré préalablement, que les blessés étaient soignées d’une manière louable sous tous les rapports et au dédommagement de la patrie. Par ces moyens j’ai été à même de ne pas devoir me servir de l’autorisation que j’avais pour organiser à Liège des hôpitaux pour 3000 blessés, et par là j’ai prevenu à l’État une dépense de plus de 300,000 francs, outre ce qu’il en aurait couté de plus, si cela aurait du se faire dans quatre différens établissemens ; tandis que par ces mésures le Palais de Serrain est resté disponible pour une fin dont la Ville de Liège avait tout à craindre : ce batiment ayant été accordé, dans la nuit, selon mon avis, aux autorités prussiennes, pour y garder leur trein de campagne, caissons à poudre, &a. En outre, Seigneur, il vous est connu, que dans toute autre circonstance difficile, j’ai été consulté par votre estimé prédécesseur ; et que je l’ai représente comme commis- saire ad hoc pour la reception des dons gratuits, faits pour le besoin des blessés et malades ; lesquels dons patriotiques sont estimés, seulement pour fournitures d’hôpi- tal, valoir une somme de 287,466 frs 20 cs : tandis que la reception, le maintien et transport pour différens établissemens, n’en a couté à l’État que 650 francs. Étant invité par le prédécesseur de Votre Excellence, de me rendre à Dinant pour m’assurer, si les Prussiens y avaient réëllement besoin, comme ils l’exigeaient, d’un hôpital de 500 blessés, je les trouvais, à mon arrivée en cette place, déjà occupés à se rendre maîtres pour cette fin d’une des plus belles manufactures de coton et com- mencés à en abattre la mécanique. J’ai réussi, aussi en cette place, d’engager les autori- tés prussiennes de renoncer à cette prétention et de se contenter d’une ambulance de 50 blessés, pour ceux qui ne pouvaient être transporté et qui selon mon calcul pouvaient provenir du corps qui assiégeait Givet. Cet établissement, autant pour

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5. Le prédécesseur en question est l’intendant départemental de Sambre-et-Meuse G.A.J. de Bruges (cfr p. 65 du présent article).

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ustenciles, que ce qui était besoin pour le service chirurgical et pharmaceutique, avec les objets du même genre, nécessaires à Liège, n’ont guère couté ensemble que 1350 francs. Après cela je me suis rendu à Namur, pour convenir avec le général commandant Van Geen, messieurs l’intendant et maire, sur des moyens, pour reprendre le service de la direction des hôpitaux prussiens. Ayant donné avis de mon arrivée à Mr Platen, commandant des Prussiens, je me suis occupé de suite à controller les objets que j’y avais envoyé de Liège, ainsi que ceux qui y étaient envoyés par les habitans de Mons, Tournay et Malines, tant à la Régence, qu’à l’économe Femmink : ensuite, je suis con- venu avec la Régence qu’elle fournirait à 94 ½ cents des matelats et oreillers de mousse, autant que besoin. En attendant, j’avais fait venir les médicamens qui étaient destinés pour le siège de Bois le Duc, ainsi que les ustenciles de cette ville et de Liège. J’ai donc réussi en cette ville, non seulement, à faire cesser toute requisition en masse et à reprendre le service des autorités prussiennes, mais aussi à la commencer et conti- nuer avec bien peu de frais. Agissant ainsi, de prudence et avec reflexion, l’établissement d’un hôpital sédentaire de 3000 blessés à Liège n’a pas été nécessaire ; la Ville de Dinant a été préservée d’un semblable établissement de 500 blessés ; et à Namur, le projet d’y établir un hôpital sédentaire de 2000 blessés est, non seulement, devenu superflu, mais aussi ai-je pu laisser les pauvres dans leur possession (quoique l’ordre de quitter le dépôt de mendi- cité fut déjà donné), contracter quelques faveurs avec la direction à leur égard, et laisser le tout sous sa surveillance respective. Enfin, avant mon départ de Namur, j’ai fait connaître les améliorations nécessaires, pour le local où les blessés nationaux étaient soignés ; demandé les fonds nécessaires pour l’économe, assuré l’un et l’autre service, ainsi que j’ai eu soin que la comptabilité put se faire en regle. Je lasserais à la fin, la patience de Votre Excellence, si je voulais l’entretenir plus longtems de ce dont je me suis occupé alors ; et cela d’autant plus, que les circonstances et le service difficile dont j’ai été chargé dans ce tems-là, vous sont fort bien connus, et dont la bonne reussite a souvent dependu du secours puissant que le prédécesseur de Votre Excellence a bien voulu me prêter ; tandis que, avec les meilleurs soins et le traitement nécessaire pour le soldat blessé, il a été préser- vé pour l’État des trésors plus considérables qu’on ne le croirait (…).

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Lettre autographe du prince prussien Frédéric Guillaume (futur Guillaume Ier, empereur allemand) adressée au magistrat de Namur, 5 octobre 1815

Lors des combats qui virent s’affronter les armées françaises et prussiennes à Namur, les 19 et 20 juin 1815, les habitants de la ville apportèrent aide et assistance aux blessés des deux camps. Cette attitude secourable parvint à la connaissance du prince de Prusse Frédéric Guillaume Louis (Wilhelm Friedrich Ludwig von Preuβen, 1797-1888), par l’intermédiaire du maréchal Gebhard Leberecht von Blücher. Par lettre du 05 octobre 1815, adressée au Magistrat, il remercia les Namurois des soins et attentions apportés à ses soldats. Ce document, dicté à un secrétaire mais signé de sa main, est aujour- d’hui conservé aux Archives de l’État à Namur 1. Fils cadet de Frédéric Guillaume III, roi de Prusse (1770-1840), le prince prit part aux campagnes militaires menées contre l’empereur des Français Napoléon Ier en 1814 et 1815. Présent à la bataille de Waterloo, il y commanda la réserve du corps de Bülow. En 1840, à l’avènement au trône de son frère Frédéric Guillaume IV (1795-1861), il fut nommé gouverneur de Poméranie. À partir de 1858, suite à la maladie de son aîné, il devint régent de Prusse, avant de lui succéder le 02 janvier 1861. Dix ans plus tard, le 18 janvier 1871, il fut proclamé empereur allemand (Deutschen Kaiser) dans le cadre prestigieux de la Galerie des Glaces du château de Versailles, sous le nom de Guillaume Ier d’Allemagne. Jusqu’à sa mort, survenue le 09 mars 1888 à Berlin, il fut donc roi de Prusse et empereur allemand. Son petit-fils, Guillaume II d’Allemagne (1859-1941), lui succéda à partir du 15 juin de la même année, après une courte régence. Nous donnons ci-après reproduction de ce courrier de 1815, rédigé en go- thique cursive, avec transcription de la traduction réalisée à l’époque 2.

J’apprends, par une nouvelle que me donne le Maréchal Blucher prince de Wahlstadt, avec quelle humanité la ville de Namur prodiguoit ses soins au grand nombre de blessés qui étaient venus dans ses murs, et que non seule- ment elle les a toujours reçus et soulagés avec le plus grand empressement, mais que même le Comte Carré 3 accompagné de quelques autres personnes, savoir les femmes Lokem, Jacob la 1ere, Jacob la 2e, Greuse et Debru, se trouvoient tous les jours à l’hopital, soulageaient par des rafraîchissements, ______

1. ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR, Ville de Namur, 2471. 2. Conservée dans le même fonds d’archives. 3. Lire : de Quarré.

90 nourrissaient et pansoient eux mêmes les souffrants. Les preuves qu’ils donnent de leur participation aux souffrances de mes guerriers, ont été très agréable à mon cœur, et je prie le magistrat de la ville de Namur de remercier, surtout en mon nom, tous les habitans, le Comte Carré, ainsi que les dites femmes de ce qu’ils ont concouru aussi noblement à la conservation de plusieurs de ces blessés.

Paris, le 5 octobre 1815 Fait signé Frederick Wilh.

WINTERHALTER, S.A.R. le Prince Frédéric- Guillaume (ensuite Empereur d’Allemagne), dans J. BARDOUX, éd., La Reine Victoria d’après sa correspondance inédite, t. II : 1844-1853, Paris, 1907, p. 476-477.

Cédric ISTASSE Laure TIQUET Fabienne VANOIRBEEK

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Cinq vétérans de Wallonie légataires de l’empereur Napoléon Ier, au titre de blessés des batailles de Ligny et de Waterloo

C’est à Ligny, dans l’actuelle province de Namur 1, que Napoléon Ier remporta sa dernière victoire sur les troupes coalisées, le 16 juin 1815. Deux jours plus tard, la bataille de Mont-Saint-Jean, qui entra dans la postérité sous le nom de « bataille de Waterloo » (du nom du village où le duc de Wellington avait établi son état-major et rédigea la dépêche annonçant la victoire des forces anglo-bataves et prussiennes) 2, mit un terme définitif au règne de l’empereur des Français. Six ans plus tard, retenu prisonnier sur l’île anglaise de Sainte-Hélène et sentant approcher l’heure de sa mort, Napoléon n’oublia pas tous ceux qui s’étaient battus à ses côtés lors de ces deux terribles journées, et qui en portaient toujours les stigmates dans leurs chairs meurtries.

I. Le testament de Napoléon Ier

Il est un fait bien connu que dans ses dernières volontés, rédigées à Longwood entre le 16 et le 29 avril 1821 3, l’empereur déchu disposa d’impor- tantes sommes d’argent en faveur de ses anciens soldats. Ainsi, le 15 avril 1821, il légua son domaine privé 4, dont il estimait alors le montant à 200 millions de francs, moitié aux officiers et soldats qui restent de l’armée française, qui ont combattu depuis 1792 à 1815 pour la gloire et l’indépen- dance de la nation ; la répartition en sera faite au prorata des appointements d’activité 5. Neuf jours plus tard, il ajouta un legs supplémentaire de cent mille francs pour être répartis entre les proscrits qui errent en pays étranger,

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1. Ligny est actuellement une section de la commune de Sombreffe. C’était une commune à part entière avant la fusion de 1977 (M.-S. BOUCHAT et P.-P. DUPONT, Ligny, dans H. HASQUIN, dir., Communes de Belgique. Dic- tionnaire d’histoire et géographie administrative, t. II, Bruxelles, 1980, p. 876-877). 2. Les Allemands l’appellent également « bataille de la Belle-Alliance » (« Belle-Alliance Sieg »), du nom d’un des lieux marquants du site sur lequel s’est déroulé l’affrontement. 3. Le « testament de Napoléon Ier » est en réalité un ensemble de documents, composé du testament proprement dit, de huit codicilles, d’instructions pour les exécuteurs testamentaires, de diverses lettres et d’un legs informe à son fils Napoléon II (dicté rapidement à Marchand sur le dos d’une carte à jouer le 29 avril 1821 au soir). Hormis le dernier, ces documents sont conservés aux Archives Nationales à Paris. Cfr Testament de Napoléon, dans J. MACÉ, Dictionnaire historique de Sainte-Hélène. Chronologique, biographique et thématique, Paris, 2004 (Bibliothèque napoléonienne), p. 427-434 ; J. SAVANT, Le testament de Napoléon, Paris, 1951. 4. Concernant cette notion, cfr P. BRANDA, Domaine privé de l’empereur, dans Th. LENTZ, dir., Quand Napoléon inventait la France. Dictionnaire des institutions politiques, administratives et de cour du Consulat et de l’Empire, Paris, 2008 (Bibliothèque napoléonienne), p. 233-234. 5. Art. III.2 du testament proprement dit (entièrement autographié, signé, cacheté et daté du 15 avril 1821), page numérotée « 5 » en 1853.

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▲ A. THIERS, Collection de 350 gravures, dessins de Philippoteaux, etc. pour l’Histoire du Consulat et de l’Empire, Paris, 1870, ill. 337 : Bataille de Ligny : Napoléon, descendu du moulin d’où il avait pu examiner la position de l’ennemi, donne ses ordres d’attaque.

◄ Article annonçant la victoire de Ligny, paru dans Le Moniteur Universel, n° 170, lundi 19 juin 1815.

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Français, ou Italiens, ou Belges, ou Hollandais, ou Espagnols, ou des départe- ments du Rhin 6. Enfin, dans les instructions pour ses exécuteurs testamen- taires 7 qu’il dicta entre le 22 et le 25 avril, il ordonna : S’il y avait un retour de fortune et que mon fils remontât sur le trône, il est du devoir de mes exécu- teurs testamentaires de lui mettre sous les yeux tout ce que je dois à mes vieux officiers et soldats et à mes fidèles serviteurs 8. Par contre, on ignore bien souvent que Napoléon Ier institua en légataires privilégiés ceux de ses anciens compagnons d’armes qui avaient combattu à Ligny et à Waterloo. Disposant de six millions qu’il avait placés en partant de Paris en 1815, et sur les intérêts à raison de cinq pour cent, depuis juillet 1815 9, l’empereur exilé décida le 15 avril 1821 que tout ce que ce placement produira au-delà de la somme de cinq millions six cent mille francs (…) sera distribué en gratifications aux blessés de Waterloo, et aux officiers et soldats du bataillon de l’île d’Elbe, sur un état arrêté par Montholon 10, Bertrand 11, Drouot 12, Cambronne 13 et le chirurgien Larrey 14. Ces legs, en cas de mort, seront payés aux veuves et enfants, et au défaut de ceux-ci, rentreront à la masse 15. Neuf jours plus tard, il fit encore don de deux cent mille francs pour être répartis entre les amputés ou blessés grièvement de Ligny, Waterloo, en- core vivants, sur des états dressés par mes exécuteurs testamentaires, auxquels seront adjoints Cambronne, Larrey, Percy 16 et Emmery 17. Il sera donné double à la garde, quadruple à ceux de l’île d’Elbe 18.

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6. Art. 21 du sixième codicille (écrit entre le 21 et le 24 avril 1821 ; autographe, signé et daté du 24), page numérotée « 24 ». 7. J’institue les comtes Montholon, Bertrand et Marchand mes exécuteurs testamentaires (Art. III.2 du testament proprement dit, page numérotée « 5 »). 8. Art. 32 des instructions pour les exécuteurs testamentaires (dictées à Marchand entre le 22 et le 25 avril 1821 ; signées de Napoléon et datées par Marchand le 26), page numérotée « 2 ». 9. Art. III.35 du testament proprement dit, page numérotée « 4 ». 10. (Paris, 1783 – id., 1853) Charles Tristan, marquis de Montholon-Sémonville. Officier français et compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (G. MARTINEAU, Montholon (Charles de), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Na- poléon, nouv. éd., vol. II, Paris, 1999, p. 340-341 ; Montholon-Sémonville, Charles Tristan, dans J. MACÉ, Dic- tionnaire historique de Sainte-Hélène…, p. 333-336). 11. (Châteauroux, 1773 – id., 1844) Henri Gatien, comte Bertrand. Officier français et compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (S. DE LA VAISSIÈRE-ORFILA, Bertrand (Henri-Gatien, comte), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon, nouv. éd., vol. I, Paris, 1999, p. 216-218 ; Bertrand, Henri Gatien, dans J. MACÉ, Dictionnaire histo- rique de Sainte-Hélène…, p. 131-135). 12. (Nancy, 1774 – id., 1847) Louis Antoine, comte Drouot. Officier français ; il suivit Napoléon Ier à l’Île d’Elbe, dont il fut nommé gouverneur, mais pas à Sainte-Hélène (J. GARNIER, Drouot (Antoine, comte), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. I, p. 676). 13. (Nantes, 1770 – id., 1842) Pierre Jacques Étienne, vicomte Cambronne. Officier français. Il ne fut pas du nombre des compagnons de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (J. GARNIER, Cambronne (Pierre-Jacques-Étienne, vicomte), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. I, p. 355-356). 14. (Beaudéan, 1766 – Lyon, 1842) Jean Dominique, baron Larrey. Médecin militaire français et précurseur en ma- tière de secours aux blessés sur les champs de bataille, il fut chirurgien en chef de la Grande Armée. Il ne fut pas du nombre des compagnons de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (J.-Fr. LEMAIRE, Larrey (Jean-Dominique), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. II, p. 154-155). 15. Art. III.36-37 du testament proprement dit, page numérotée « 4 ». 16. (Montagney, 1754 – Paris, 1825) Pierre François, baron Percy. Médecin français, chirurgien en chef des armées sous la Révolution et l’Empire. Il ne fut pas du nombre des compagnons de Napoléon Ier à Sainte-Hélène (J.-Fr. LEMAIRE, Percy (Pierre-François), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. II, p. 488-489). 17. (Grand-Lemps, 1786 – id., 1821) Joseph Augustin Apollinaire Emmery (ou Émery). Chirurgien militaire ; il suivit Napoléon Ier à l’Île d’Elbe, en tant que chirurgien de la Garde, mais pas à Sainte-Hélène (J. TULARD, Emmery (Joseph), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. I, p. 720). 18. Art. 22 du sixième codicille, page numérotée « 24 ».

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Longtemps, ces dispositions testamentaires demeurèrent lettre morte. Ce n’est que sous le Second Empire, après que Napoléon III fût entré en posses- sion du testament de son oncle 19, que le gouvernement français procéda enfin à l’exécution de la « dette de reconnaissance » 20 que le Petit Caporal avait souscrite à la veille de sa mort. Outre des raisons de piété familiale 21, il n’est pas douteux qu’il faille voir là le résultat de calculs politiques. Soucieux d’asseoir la légitimité de son régime et d’assurer sa popularité, le nouvel empe- reur veillait en effet à se placer dans la glorieuse lumière de son illustre prédé- cesseur. La propagande officielle tentait de rallier les anciens soldats des an- nées 1792-1815 à la cause de leur souverain, voire de les instrumentaliser 22. Ces vétérans, encore fort nombreux, étaient perçus par le pouvoir comme favorables au rétablissement de l’Empire. Ils étaient en outre susceptibles d’exercer une réelle influence politique sur leurs contemporains, auréolés qu’ils étaient par le souvenir de leur passé militaire. Le gouvernement impérial savait que l’opinion publique n’avait pas oublié les jours de gloire de l’épopée napo- léonienne.

Art. 22 du sixième codicille du testament olographe de l’empereur Napoléon Ier.

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19. L’ensemble des documents formant le testament de Napoléon Ier (moins le huitième codicille) avait été déposé le 10 décembre 1821 par Montholon au greffe de la Cour de Cantorbéry à Londres, dont relevait le territoire de Sainte-Hélène. Napoléon III adressa à la reine Victoria une demande officielle de restitution du testament, qui fut remis à l’ambassadeur français en Grande-Bretagne Walewski le 16 mars 1853. Cfr J. LEMAIRE, Le testament de Napoléon, un étonnant destin, 1821-1857, Paris, 1975. 20. P. GANIÈRE, Sainte-Hélène (médaille de), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire Napoléon…, vol. II, p. 712. 21. Louis-Napoléon Bonaparte est le fils du roi de Hollande Louis Bonaparte et de Hortense de Beauharnais, et donc le neveu de Napoléon Ier et le petit-fils de Marie Josèphe Rose de Tascher (dite Joséphine) de La Pagerie, veuve de Beauharnais. Élu président de la République française le 10 décembre 1848, il devint empereur des Français sous le nom de Napoléon III le 02 décembre 1852, un an jour pour jour après un coup d’État qui lui avait permis de rester au pouvoir au-delà de son mandat initial. 22. Cfr N. PETITEAU, Lendemains d’Empire. Les soldats de Napoléon dans la France du XIXe siècle, Paris, 2003, p. 100-104 et 291-297.

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L’exécution de ce legs pieux 23, selon les propres termes de Napoléon III, prit trois formes : le vote de secours annuels pour d’anciens militaires, la cons- titution d’une commission chargée de répartir les dons consentis par testament par Napoléon Ier, et l’institution de la médaille commémorative de Sainte- Hélène. Nous ne nous intéresserons ici qu’à la deuxième de ces mesures, puisque c’est l’organe qu’elle créa qui eut à traiter la mise en œuvre des dispo- sitions de l’Aigle relatives aux blessés de Ligny et de Waterloo.

II. La « Commission chargée de l’exécution du testament de l’Empereur Napoléon Ier »

Une commission préalable, chargée d’examiner les questions relatives à l’exécution du testament de 1821, avait rendu un rapport favorable, présenté à l’empereur Napoléon III par le ministre d’État 24 le 12 août 1853 25. Un an plus tard, par décret du 05 août 1854, fut instituée la « Commission chargée de l’exécution du testament de l’Empereur Napoléon Ier », dont les membres étaient nommés par le monarque. Toute attribution ou répartition devait être approuvée par l’empereur, après quoi elle sera[it] souveraine en définitive, et ne pourra[it] être l’objet d’aucun recours 26. Un crédit extraordinaire de huit millions de francs fut ouvert au ministère d’État sur l’exercice 1854, pour être affecté à ces travaux 27. Un premier rapport, adressé à l’empereur le 5 mai 1855 28, répartit les sommes allouées entre cinq catégories de légataires : les soixante-seize per- sonnes nommément désignés dans le testament (4.000.000 fr.), les blessés des batailles de Ligny et de Waterloo (200.000 fr.), les membres du bataillon de l’Île d’Elbe (300.000 fr.), les villes de Brienne et de Méry (700.000 fr.), les vingt -six départements ayant le plus souffert des deux invasions de 1814 et 1815 (1.700.000 fr.) 29 et les anciens militaires de la République et du Premier Em- pire (1.000.000 fr.). ______

23. Discours prononcé par Sa Majesté l’Empereur, à l’ouverture de la session législative de 1858, le 18 janvier 1858, s.l. [Paris], Imprimerie impériale, 1858, p. 4 (document joint en annexe à ARCHIVES DU MINISTÈRE BELGE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE EXTÉRIEUR [Bruxelles], Correspondance politique. Légation de Belgique en France, vol. 16 à 18 (1853-1858), Df 649 : Courrier de l’envoyé extraordinaire et ministre plénipoten- tiaire du roi des Belges à Paris au ministre belge des Affaires étrangères, 18 janvier 1858). 24. (Paris, 1800 – Tarbes, 1867) Achille Fould, homme politique français. Ministre d’État et de la Maison de l’Empe- reur de 1852 à 1860 (Fr. BARBIER, Fould (famille), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire du Second Empire, Paris, 1995, p. 535-536 ; Fould (Achille Marcus), dans B. YVERT, dir., Dictionnaire des ministres de 1789 à 1989, Paris, 1990, p. 262-263). Concernant cette fonction, cfr É. ANCEAU, Ministère d’État, dans J. TULARD, dir., Diction- naire du Second Empire…, p. 829-830. 25. CENTRE HISTORIQUE DES ARCHIVES NATIONALES [= C.H.A.N., Paris], Ministère d’État (Second Empire) [= M.É.], F70 98 : Décret impérial du 05 août 1854. 26. Ibid. 27. Bulletin des lois de l’Empire français, 11e série, t. IV, Paris, 1855, p. 210-211. Ce crédit sera annulé le 02 juin 1855, pour être remplacé par deux nouveaux crédits de quatre millions de francs : le premier en 1855 et le second en 1856 (Bulletin des lois de l’Empire français, 11e série, t. V, Paris, 1855, p. 1156-1157, t. VI, 1856, p. 453 et 456, et t. VIII, 1857, p. 844 ; C.H.A.N., M.É., F70 98 : MINISTÈRE D’ÉTAT. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL. COMPTABILITÉ. Ordonnancement des legs faits aux blessés de Ligny et Waterloo, s.d. [c. 1856]). 28. Rapport inséré au Moniteur universel. Journal officiel de l’Empire français du 06 mai 1855. 29. De plus, cinq cents mille francs furent mis à la disposition de Napoléon III pour soulager l’infortune des familles victimes des événements de 1815.

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Les sommes attribuées aux membres du bataillon de l’Île d’Elbe et aux blessés des batailles des 16 et 18 juin 1815 furent réparties conformément à des listes établies avant le 05 mai 1855 30. Toutefois, plusieurs demandes supplémentaires, appuyées de pièces justificatives, parvinrent après cette date à la Commission, qui ne crut pas devoir les écarter. Concernant respectivement soixante-dix (Île d’Elbe) et quatre-vingt-trois (Ligny et Waterloo) anciens mili- taires, tant officiers que sous-officiers ou soldats, ces réclamations représen- taient un montant total de 103.468,75 fr. Cette somme fut puisée sur le reli- quat des legs particuliers à hauteur de 55.923,45 fr. et, pour les 47.545,30 fr. restant, sur le million destiné aux anciens militaires, se fondant sur cette consi- dération que, parmi les vieux soldats, les plus dignes d’intérêt sont ceux que l’auguste testateur a honorés d’une mention toute spéciale 31. Concernant les paiements, il faut remarquer qu’une différence était établie entre les deux groupes de bénéficiaires 32. Les mandats en faveur des blessés de Ligny et Waterloo ne devaient être acquittés qu’au profit des titulaires en- core vivants, leurs héritiers directs ou indirects n’ayant aucun droit. Par contre, en cas de décès d’un titulaire du bataillon de l’Île d’Elbe, l’argent était versé à la veuve et aux descendants (enfants ou petits-enfants, les héritiers collatéraux étant exclus), la veuve ayant une part d’enfant. Par ailleurs, conformément aux dispositions concertées entre les ministres français d’État et des Affaires étran- gères 33, les frais de paiement à l’étranger (timbre et recouvrement) furent fixés au taux uniforme de 2 % à charge de la partie prenante 34.

III. Les cinq vétérans de Wallonie légataires de Napoléon Ier

Un premier état des blessés des batailles de Ligny et de Waterloo, compre- nant trois cents quarante-huit noms, fut arrêté le 8 juin 1855 par le ministre d’État 35. S’y ajouta un complément de quatre-vingt-trois vétérans, comme signalé précédemment. C’est donc une liste de quatre cents trente-et-un noms que la Commission arrêta le 21 novembre 1856 (pour un total de

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30. A. FOULD, Rapport à l’Empereur. Compte rendu de l’exécution du testament de l’Empereur Napoléon Ier, pré- senté par la Commission (Paris, 20 février 1857), dans Le Moniteur universel. Journal officiel de l’Empire français du 20 mars 1857. 31. Ibid. 32. C.H.A.N., M.É., F70 98 : MINISTÈRE D’ÉTAT. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL. BUREAU DU SECRÉTARIAT, Note pour la comptabilité, 08 juin 1855. 33. (Walewice (Pologne), 1810 – Strasbourg, 1868) Alexandre Walewski, homme politique et diplomate français. Fils naturel de Napoléon Ier et de Marie Walewska, il fut ministre des Affaires étrangères de 1855 à 1860 (J. VALYNSEELE, Walewski (Alexandre, comte), dans J. TULARD, dir., Dictionnaire du Second Empire…, p. 1329- 1331 ; Florian Alexandre Joseph Colonna, comte), dans B. YVERT, dir., Dictionnaire des ministres…, p. 314- 315). 34. C.H.A.N., M.É., F70 97 : MINISTÈRE D’ÉTAT. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL. BUREAU DU SECRÉTARIAT, Note, 13 décembre 1855. 35. C.H.A.N., M.É., F70 98 : MINISTÈRE D’ÉTAT. SECRÉTARIAT GÉNÉRAL. COMPTABILITÉ. Ordonnancement des legs faits aux blessés de Ligny et Waterloo, s.d. [c. 1856]. Sans doute s’agit-il du document suivant : C.H.A.N., M.É., F70 97 : Blessés de Ligny et de Waterloo, État, s.d. N’y figurent que deux étrangers : les Wallons Deloyers et Ghilain. 36. C.H.A.N., M.É., F70 556 : Exécution du testament de Napoléon 1er. Liste du Bataillon de l’Île d’Elbe & des Bles- sés de Ligny & de Waterloo, s.d.

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241.274 fr.) 36. Les bénéficiaires se répartissaient comme suit : soixante-treize anciens de la Garde Impériale, qui recevaient chacun 988 fr. et parmi lesquels on ne compte que des Français ; et trois cents cinquante-huit anciens de la Ligne, qui recevaient chacun 494 fr. et parmi lesquels figurent cinq étrangers, qui tous résidaient alors en Belgique – et, plus précisément, en Wallonie. Après février 1857, époque de la clôture définitive des travaux de la Com- mission, quelques demandes furent encore adressées par d’anciens militaires ayant été blessés à Ligny ou Waterloo. Seize de ces requêtes furent admises. Le ministre d’État proposa alors à l’empereur l’imputation d’une dépense extraor- dinaire sur l’exercice 1859, payé par la liste civile 37, initiative que Napoléon III approuva le 10 avril 1859 38. Aucun autre résidant de Belgique ne bénéficia de cette mesure.

Voici les noms des cinq vétérans de Wallonie, ainsi que les renseignements qui figurent à leur propos dans les archives parisiennes : - Jean Baptiste BERTRAND, ancien soldat, domicilié à Nafraiture (province de Namur) ; - Laurent DELOYERS, ancien officier au 37e régiment d’Infanterie de ligne en 1815, blessé le 16 juin 1815, domicilié à Anhée (province de Namur) ; - Jean FOUSSE, ancien soldat, domicilié à Farciennes (province de Hainaut) ; - Jacques GHILAIN, ancien lieutenant au 82e régiment d’Infanterie de ligne en 1815, blessé le 16 juin 1815, domicilié à Liège ; - François PETIT, ancien soldat, domicilié à Liège.

Pour chacun d’entre eux, nos recherches dans les sources conservées en Belgique permettent de compléter quelque peu ces informations sommaires : Jean Baptiste BERTRAND : Décédé à Gembes (province de Luxembourg) le 17 février 1862, à l’âge de 70 ans 39. Brigadier de douane retraité, il était alors domicilié à Nafraiture et veuf de Marie Joseph Gutin. Laurent DELOYERS : Joseph Laurent Deloyers, vannier, né à Anhée et y décédé célibataire le 1er novembre 1863, à l’âge de 85 ans 40. Il était sous- lieutenant en 1815 41. Jean FOUSSE : Né dans le département de la Moselle, à Schwellen (vraisemblablement : Scheyen), le 10 février 1788, il combattit en 1815 dans le 33e régiment d’Infanterie de ligne français 42. C’est à Farciennes, où il était

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37. C.H.A.N., M.É., F70 97 : Rapport présenté à l’empereur par le ministre d’État, mars 1859. 38. C.H.A.N., M.É., F70 97 : Courrier du conseiller d’État, secrétaire général du ministère de la Maison de l’empereur, au conseiller d’État, secrétaire général du ministère d’État, 11 avril 1859. 39. ARCHIVES DE L’ÉTAT À NAMUR [= A.É.N.], Registre aux actes d’état-civil de la commune de Nafraiture : décès, 1862. 40. A.É.N., Registre aux actes d’état-civil de la commune de Anhée : décès, 1863. 41. A. MARTINIEN, Tableaux par corps et par batailles des officiers tués et blessés pendant les guerres de l’Empire (1805-1815), Paris, s.d. [1899]), p. 208. 42. ARCHIVES GÉNÉRALES DU ROYAUME [= A.G.R., Bruxelles], Archives du ministère de l’Intérieur. Première série (ancien fonds) [= M.I. 1], 492 ; J. KAISIN, Annales historiques de la commune de Farciennes, t. II, Tamines, 1889, p. 431.

98 tailleur d’habits, qu’il reçut la médaille de Sainte-Hélène et qu’il décéda, le 15 mai 1863, veuf de Marie-Thérèse Quintart 43. Jacques GHILAIN : Si le 82e de Ligne fut bien présent à la bataille de Ligny, aucun Jacques Ghilain n’est toutefois mentionné dans la liste des officiers de ce régiment blessés le 16 juin 1815 établie par A. Martinien 44. Sans doute s’agit-il en réalité du nommé Jacques Ghislain, natif de Liège et lieutenant au 22e régiment d’Infanterie de ligne français en 1815, répertorié par H. J. Couvreur 45. Si tel est le cas, nous pouvons alors l’identifier comme étant Jacques François Joseph Ghilain (Liège, 15 ou 16 avril 1787 – Liège, 15 septembre 1868) 46. Les archives de l’armée belge nous apprennent qu’il rentra comme milicien (comprendre : conscrit) le 10 janvier 1807 dans le 22e régiment de Ligne de l’armée française 47. Gravissant les échelons de la hiérarchie jusqu’à sa nomination comme lieutenant le 02 décembre 1813, il fit les campagnes de 1807 à la Grande Armée (Prusse), de 1808-1814 en Espagne, et de 1815 en Belgique. Il fut blessé par trois fois : à la tête au siège de Lérida le 2 mai 1810 48, à l’épaule gauche au siège de Tortose le 28 décembre 1811 49, et au côté droit devant Alcoy le 18 décembre 1812 50. Présent à Waterloo dans les rangs de Napoléon 51, il démissionna le 1er février 1816. Lieutenant dans l’armée des Pays-Bas à partir du 15 avril de la même année, il devint capitaine en 1829 et démissionna le 16 novembre 1830. Capitaine dans l’armée belge à dater du 28 du même mois, il devint major en 1832 et lieutenant-colonel ho- noraire en 1843, année de sa mise à la retraite. En outre, sa date de mort per- met de penser qu’il a été décoré de la médaille de Sainte-Hélène 52, et qu’il y donc identité entre lui et le J.F.J. Ghilain, vétéran des 22e de Ligne, 117e, 71e et 82e de Ligne 53, mentionné dans les journaux liégeois de janvier 1858 54.

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43. ARCHIVES DE L’ÉTAT À MONS, Registre aux actes d’état-civil de la commune de Farciennes : décès, 1863. 44. A. MARTINIEN, Tableaux par corps et par batailles… 45. [H.J. COUVREUR], Liste des officiers belges qui d’après les contrôles des régiments se sont trouvés à la bataille de Ligny, dans LES AMIS DE LIGNY a.s.b.l., Ligny 1815. La dernière victoire de l’Aigle : http://ligny 1815.org/ histoire/officiers.html (site Internet consulté le 26 janvier 2010). À noter qu’aucun Jacques Ghislain du 22e de Ligne ne figure non plus dans A. MARTINIEN, Tableaux par corps et par batailles… 46. ARCHIVES DE L’ÉTAT À LIÈGE [= A.É.L.], Registre aux actes d’état-civil de la commune de Liège : décès, 1868 ; MUSÉE ROYAL DE L’ARMÉE ET D’HISTOIRE MILITAIRE [= M.R.A., Bruxelles], Fonds « Matricule générale des officiers » [= M.G.O., registres réalisés par J.F.G Berden, 1842-1851], notice 1583. 47. ARCHIVES Les archives du département de l’Ourthe relatives à la conscription précisent que Jacques Franç[ois] J[osep]h Ghilain, natif de Liège et appartenant à la classe 1807, s’enrôla volontairement en 1807 pour le 22e de Ligne (A.É.L., Fonds français, G300. Ce renseignement nous a aimablement été communiqué par M. René Wil- kin, que nous remercions chaleureusement). 48. La bataille de Lérida (guerre d’Espagne et du Portugal), se tint effectivement du 29 avril au 14 mai 1810 (Lérida, dans A. PIGEARD, Dictionnaire des batailles de Napoléon, 1796-1815, Paris, 2004 (Bibliothèque napoléonienne), p. 471-472). 49. Sans doute faut-il lire 1810, puisque le siège de Tortose (guerre d’Espagne et du Portugal), se tint du 03 juillet 1810 au 02 janvier 1811 (Tortose, dans A. PIGEARD, Dictionnaire des batailles…., p. 849-850). 50. La bataille d’Alcoy (guerre d’Espagne et du Portugal) se tint effectivement le 18 décembre 1812 (Alcoy, dans A. PIGEARD, Dictionnaire des batailles…, p. 29). 51. Les registres de l’armée belge ne font par contre mention d’aucune blessure reçue durant les Cent-Jours. 52. Les registres de l’armée belge n’indiquent pas la médaille de Sainte-Hélène parmi ses décorations. 53. Cet état de service est toutefois curieux, puisque le 71e de Ligne a été versé dans le 35e en octobre 1803. 54. Gazette de Liége, 19e année, n° 11, 13 janvier 1858 ; Journal de Liége, 11 janvier 1858.

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François PETIT : Par un hasard aussi heureux qu’exceptionnel, une partie du dossier qu’il constitua en 1854 a été conservé 55. Né à Lille le 12 ou le 13 novembre 1788, fils de Christophe Joseph et d’Angélique Joséphine Delo- belle, François Louis Joseph César entra au 2e régiment de Voltigeurs de la Jeune Garde le 8 juillet 1809. Il passa ensuite successivement au 9e régiment le 15 mai 1812 puis au 2e Léger le 21 mai 1814, avant d’être licencié le 16 septembre 1815. Il fit les campagnes de 1809 en Allemagne, de 1810, 1811 et 1813 en Allemagne, de 1813 en Prusse, de 1814 en France, et de 1815 en Belgique 56. À son dossier est joint une courte biographie, peut-être rédigée par un tiers sur base de ses souvenirs, qui livre une version plus complète et quelque peu différente des états de service que nous venons de reproduire : Milicien de la levée de 1809, il partit de Lille pour Strasbourg et fut incorporé au 4e régiment des conscrits chasseurs de la Jeune Garde 1er bataillon 1re compagnie, sous les ordres du colonel Mouton, du lieutenant-colonel Kes- sell et du capitaine Colaubon. De Strasbourg, ce régiment partit pour Friberg, et après la paix de 1809 rentra a Paris ; de Paris se rendit en Espagne, et de la le soldat Petit changea de régiment et passa au 3e régiment de voltigeurs, ayant pour colonel Cambrun. Il quitta l’Espagne en 1812 et rejoingnit la Grande Ar- mée de Russie a Dresde avec laquelle il fit toutes les campagnes de Dresde, de Lepsy 57, etc. A l’exil de l’empereur il fut incorporé au 2e régiment de volti- geurs légers 1er bataillon ; quelques temps après, passa au 4e bataillon du même régiment, assista à la bataille de Waterloo. Y fut gravement blessé et demeura sur le champ de bataille. Nota : A St Pedro le voltigeur Petit, s’empara d’une pièce de canon. A Albourgeau il arriva le premier pour sauver la vie a son co- lonel Mouton, assailli par six dragons (anglais) et reçu une blessure a la main droite, en parant un coup de sabre destiné à son colonel 58. À son dossier, Petit avait également joint deux certificats établis à sa de- mande et attestant de ses blessures reçues au combat durant les Cent-Jours 59. Le premier fut rédigé par le docteur J. Duchesne, de Jemmapes, qui constata que le vétéran était atteint d’une carie des os de sa jambe gauche, suite d’un coup de feu qu’il a reçu à la bataille de Waterloo. Cette affection le rend inca- pable de travailler depuis le 24 juillet de l’année dernière et ne laisse plus d’es- poir d’obtenir une guérison radicale 60. Le second est du docteur J.J. Fraikin, médecin à Liège, qui déclarait avoir donné des soins, en 1815, au nommé Petit (…) soldat français recueilli chez Monsieur Bidaut, d’un convoi de blessés à la ______

55. M.R.A., Médaille de Sainte-Hélène [= M.S.H.], 637-643. 56. État de service dressé sur base de M.R.A., M.S.H., 640 : EMPIRE FRANÇAIS. MINISTÈRE DE LA GUERRE. 7e DIRECTION. BUREAU DES LOIS ET ARCHIVES, Extrait certifié des registres matricules et documents déposés aux Archives de la Guerre, 28 décembre 1854. 57. Lire : Leipzig. 58. M.R.A., M.S.H., 643 : Document sans marque d’identification. 59. Ces blessures sont non constatées dans les archives de l’armée française (M.R.A., M.S.H., 640 : pièce déjà citée). 60. M.R.A., M.S.H., 638 : Déclaration de J. Duchesne, médecin à Jemmapes, 1er septembre 1854. Quelques années plus tard, Petit fit dresser un second certificat par ce même docteur, attestant qu’il était atteint d’une carie de l’extrémité supérieure du tibia de la jambe droite, déterminé par une balle reçue à la bataille de Waterloo. Cet ancien militaire est pour son âge et surtout pour son infirmité tout à fait incapable de travailler pour se procurer les moyens nécessaires à sa subsistance (M.R.A., M.S.H., 641 : Déclaration de J. Duchesne, médecin à Jemmapes, 30 juillet 1857).

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journée des quatre bras. Cet homme avait été atteint, à la partie supérieure et antérieure de la jambe gauche, d’un coup de feu avec fracture comminutive du tibia. Après une abondante suppuration, pendant plusieurs mois, et l’extraction successive de plusieurs fragmens osseux, la consolidation a été lente et très difficile, les cicatrices profondes et inhérentes ont nécessairement laissé une grande difficulté de mouvement et l’incapacité d’un travail soutenu 61. Ce serait donc le 18 juin 1815, et non à Ligny, qu’il fut blessé. Domicilié à Liège depuis 1817 62, Petit y reçut la médaille de Sainte- Hélène 63 . C’est également dans cette ville qu’il mourut, le 19 juin 1871, veuf de Marie Josèphe Galopin 64.

On voit que, sur ces cinq vétérans « wallons » dûment identifiées, deux sont natifs de France. Même si cette donnée ne figure pas dans les archives pari- siennes, nul doute que les membres de la « Commission chargée de l’exécution du testament de l’Empereur Napoléon Ier » en avaient connaissance. Ils avaient en effet eu accès aux dossiers complets des personnes qui avaient solli- cité de pouvoir participer au legs impérial – documents préparatoires qui ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Cela restreint donc d’autant la proportion d’anciens soldats originaires des « départements belgiques réunis » qui furent désignés comme légataires de l’Aigle.

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Annexe : Les légataires du bataillon de l’Île d’Elbe

La liste des membres du bataillon de l’Île d’Elbe, arrêtée par la Commission le 21 novembre 1856, admettait au legs trois cents soixante-quatre vétérans (pour un total de 362.009 fr.) 65. Ceux-ci se répartissaient entre six catégories : Officiers (15 personnes), Veuves et enfants d’officiers (12), Sous-officiers (39), Veuves et enfants de sous-officiers (18), Soldats (148), et Veuves et enfants de soldats (150).

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61. M.R.A., M.SH., 639 : Déclaration de J.J. Fraikin, docteur à Liège, 02 septembre 1854. 62. M.R.A., M.S.H., 642 : Certificat dressé par le bourgmestre de la ville de Liège, 31 août 1857. 63. Gazette de Liége, 19e année, n° 11, 13 janvier 1858 ; Journal de Liége, 11 janvier 1858. Dans ces deux gazettes, ses états de service sont présentés comme suit : 4e régiment des conscrits, aux chasseurs de la jeune garde, 1er bat., 1re compe. et 3e rég. de voltigeurs. Cette version – proche de M.R.A., M.S.H., 643 – a peut-être également été dressée sur base des souvenirs de Petit. 64. A.É.L., Registre aux actes d’état-civil de la commune de Liège : décès, 1871. À noter que cette source donne le 16 novembre 1788 comme date de naissance et « Angélique Joseph Delober » comme nom de sa mère. 65. C.H.A.N., M.É., F70 556 : Exécution du testament de Napoléon 1er. Liste du Bataillon de l’Île d’Elbe & des Bles- sés de Ligny & de Waterloo, s.d. Cfr aussi, en C.H.A.N., M.É., F70 97 : Bataillon de l’île d’Elbe, État, 09 juin 1855 ; Bataillon de l’Île d’Elbe (1re liste supplémentaire), 15 novembre 1855 ; Bataillon de l’Île d’Elbe (liste supplémentaire), n° 3, 29 décembre 1855 ; Bataillon de l’Île d’Elbe (2e liste supplémentaire), n° 4, 04 mai 1856 ; et Bataillon de l’Île d’Elbe, n° 5, 29 novembre 1856.

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Aucun Belge ne figure dans les quatre premières catégories. Il est vrai que les étrangers semblent en avoir été largement exclus, puisque l’on n’y compte que quatre personnes établies en Italie (deux sous-officiers et deux héritiers) et une en Prusse (une veuve de sous-officier). Dans les deux dernières catégories, le nombre d’étrangers est par contre plus important. Ainsi, parmi les cent quarante-huit soldats, figurent treize Italiens et trois Belges 66. Ces derniers sont : - Joseph Antoine CAMBIER, soldat de la 5e Cie, domicilié à Nivelles (province de Brabant) 67 ; il fut toutefois rayé de la liste pour cause de décès sans héritier direct (malgré leurs demandes, ses deux sœurs ne purent avoir droit au legs) 68 ; - Isidore MASNI, domicilié à Lumontré (vraisemblablement Lamontzée, en province de Liège 69) ; - J. Charles VAN DAMME, domicilié à Gand 70. Les deux derniers touchèrent 467 fr., via la Légation de France 71. Quant aux cent cinquante héritiers directs de soldats, ils comportent en leur sein les familles de trois autres soldats belges : - (prénom non indiqué) OLIVIER 72 : sa veuve établie à Bruxelles et ses cinq enfants, dont deux firent carrière dans l’armée belge, les trois autres habitant à Courtrai ou à Messines ; - Henri RAUSENT : sa fille, établie à Limelette (province de Brabant) ; - Joseph WESTERLING : sa veuve établie à Gand et ses trois enfants résidant à Bruges, Gand et Maldeyhem (vraisemblablement Maldegem, en province de Flandre-Orientale). Ces familles perçurent également la somme de 467 fr., par le même biais. Par ailleurs, lorsque la veuve du vétéran belge Ambroise LAMBERT 73 adressa quelques années plus tard une requête visant à bénéficier de la dotation de feu son mari, elle se vit répondre que ce dernier avait reçu 467 francs sur le testament de l’Empereur comme ayant fait partie du bataillon de l’île d’Elbe 74. Il ne figure pourtant sur aucune des listes conservées aux Ar- chives Nationales à Paris.

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66. Sur la présence de soldats belges à l’Île d’Elbe en 1814-1815, cfr notamment A. BIKAR, L’odyssée de 24 grognards belges : des adieux de Fontainebleau à Waterloo, en passant par l’Île d’Elbe, dans SOCIÉTÉ BELGE D’ÉTUDES NAPOLÉONIENNES, Bulletin, n° 58, 1967, p. 26-33 et n° 59, 1967, p. 10-23. 67. Né le 06 janvier 1790 dans le département de la . Grenadier (A. BIKAR, L’odyssée de 24 grognards…, p. 15). 68. C.H.A.N., M.É., F70 97 : Courriers du ministre français des Affaires étrangères au ministre d’État, 18 octobre 1855 et 24 novembre 1855. 69. Parmi les vétérans de Lamontzée médaillés de Sainte-Hélène, figure un Isidore Mazni (A.G.R., M.I. 1, 493). 70. Parmi les Gantois médaillés de Sainte-Hélène, figurent un Jacques Van Damme (M.R.A., M.S.H., 173 et 1198) et un Jacques Charles Van Damme (A.G.R., M.I. 1, 487). Peut-être y a-t-il identité entre ces personnes. 71. C.H.A.N., M.É., F70 97 : Courrier de la comptabilité du secrétariat général du ministère d’État à M. Perron, 18 janvier 1856 ; C.H.A.N., M.É., F70 97 : Courriers du ministre français des Affaires étrangères au ministre d’État, 18 octobre 1855 et 24 novembre 1855. 72. Deux hypothèses sont possibles pour l’identification de ce personnage. Soit Joseph Olivier, né le 1er août 1787 dans le département de Jemmapes et grenadier à l’Île d’Elbe (A. BIKAR, L’odyssée de 24 grognards…, p. 15). Soit Jean-Nicolas-Marie L’Olivier (Bruxelles, 1er juin 1792 – Liège, 03 octobre 1854) : engagé comme soldat au 112e de Ligne le 1er mars 1804, nommé chef de bataillon le 21 mars 1814 et démissionné sur sa demande le 09 décembre 1814 ; capitaine dans l’armée des Pays-Bas à partir du 27 février 1815, nommé major en 1826 et démissionné sur sa demande le 12 novembre 1830 ; colonel dans l’armée belge à dater du 05 du même mois, lieutenant-général en 1842 ; chevalier de la Légion d’Honneur le 17 juillet 1809 et commandeur du même ordre le 05 novembre 1846 (M.R.A., M.G.O., notice 1742). Un de ses fils, Charles-Pierre-Jean-Baptiste L’Olivier (1820- 1879), fit effectivement carrière dans l’armée belge (M.R.A., M.G.O., notice 4816). Cfr aussi H.-J. COUVREUR, Figures d’officiers belges anciens soldats du Premier Empire français. Le lieutenant général Jean-Nicolas-Marie L’Olivier, organisateur et premier colonel du 7e régiment de ligne, dans L’officier retraité, t. XCVIII, n° 3, 1954, p. 19-23 ; J. LIAGRE, L’Olivier (Jean-Nicolas-Marie), dans ACADÉMIE ROYALE DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE, Biographie nationale, t. XII, Bruxelles, 1892-1893, col. 322-324. 73. Né le 25 octobre 1789 dans le département de Jemmapes. Grenadier (A. BIKAR, L’odyssée de 24 grognards…, p. 15). 74. C.H.A.N., M.É., F70 113 : Note jointe au courrier de la veuve Lambert à Napoléon III, 04 février 1862.

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Comptes rendus

ANGES ET DEMONS, Musée en Piconrue, Art religieux et Croyances popu- laires en Luxembourg, Bastogne, 2009.

Il faut suivre les publications du Musée en Piconrue de Bastogne et, si possible, visiter les expositions qu’elles accompagnent. Depuis bientôt 25 ans d’activités, toutes ont été d’excellente qualité et nous en avons rendu compte plus d’une fois dans cette revue. Aujourd’hui, c’est d’Anges & Démons, en Ardenne et en Luxembourg qu’il s’agit, un volume de 282 pages abondamment illustré de reproductions en couleurs bien choisies pour leur rare- té et leur pouvoir de suggestion. Beaucoup, mais non toutes, sont extraites des collections du musée ou du patrimoine des églises de la région.

Difficile aujourd’hui de parler de ce monde intermé- diaire entre le divin et l’humain qui eut tant d’importance pour les chrétiens jusqu’au concile Vatican II, loin d’être seul responsable de sa désaffection. Les idées qu’on s’en fait sont imprécises alors qu’autrefois anges et démons étaient catalogués, spécialisés, hiérarchisés et qu’il ne fallait pas être théologien pour en démêler au moins l’abc. Qui d’entre nous serait encore ca- pable de citer de mémoire et à brûle-pourpoint la hiérarchie des neuf chœurs des anges c’est-à-dire les Séraphins, les Chérubins, les Trônes qui forment la première, la plus proche de Dieu, les Dominations, les Vertus et les Puissances, qui constituent la deu- xième, et enfin, les Principautés, les Archanges et les Anges, la troisième, la plus proche des hommes, hiérarchies tout à fait familières à n’importe quel chrétien jusqu’au milieu du XXe siècle ? Depuis le moyen âge, anges et démons peuplent les textes sacrés, vivent dans les miniatures, animent les sanctuaires, taillés dans la pierre des portails et des chapiteaux ou dans les bois des autels ou des chaires de vérité. Ils sont à l’origine de dévotions – pensons à saint Michel – comme de terreurs, de fantasmes ( les possessions, la sorcelle- rie). Ils remplissent des missions divines sur terre tel Gabriel, l’ange de l’Annonciation, ou s’efforcent de tuer les humains ou tout au moins de les pousser au Mal irrémédiable : le démon qui attaqua le moine de Saint-Hubert protégé par Thierry de Leernes, son futur abbé, le Méphistophélès de Faust, les femmes-perverses et tentatrices d’un Félicien Rops ou encore « Le Grappin » contre lequel lutta inlassablement le curé d’Ars. Et, a contrario que dire de l’Ange gardien, voué à la protection de chaque humain, constamment aux côtés de celui-ci, qui le « sauve du péril », « pleure » lorsqu’il fait le mal et recueille l’âme du juste au dernier moment de la vie ? Les auteurs posent longuement et scientifiquement un cadre dont ils font percevoir l’évolution au cours des siècles. Mais peut-on voir émerger une spécificité ardennaise ? C’est souvent la question qui leur vient à l’esprit au terme de leur étude. Il semble bien qu’en dépit de son caractère « mystérieux », l’Ardenne ne se soit pas distinguée particuliè- rement des autres régions. Bien sûr, elle a ses proverbes, ses maximes, ses formules, ses chansonnettes, en wallon local, sur le sujet, mais le fond ne diffère guère de ce que l’on trouve dans la chrétienté d’Occident à la même époque. Quatorze auteurs, tantôt historiens, théologiens, voire romaniste ou journaliste 1 se sont partagé les différentes contributions. Comme l’index des noms des anges et des dé- mons, l’épilogue La seconde chute des anges ? L’avenir des anges et des démons dans la culture contemporaine est signé par Jean Pirotte. Avec le même clin d’œil que celui qui

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animait Maurice Gillet dans le chapitre précédent, celui-ci clôture un ouvrage, somme toute difficile, en lui apportant fantaisie et humour. L’un et l’autre n’hésitent pas à plonger dans le vocabulaire français d’aujourd’hui pour souligner que des expressions telles que « danser d’une façon endiablée » ou qu’ « être spirituel en diable » n’ont plus rien de diabo- lique ; pas plus qu’ils n’hésitent à faire appel aux tentations du capitaine Haddock, aux publicités contemporaines (l’asepsie du Lange Gabriel, le confort des chaussures Mephis- to) et même au feuilleton populaire télévisé (Joséphine, ange gardien), pour montrer qu’anges et démons ne font plus guère partie de l'univers spirituel de l’homme occidental contemporain.

Françoise JACQUET-LADRIER

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1. J. PIROTTE, Anges et démons. Un monde d'entre-deux, tourbillonnant et sulfureux ; A. WENIN, Anges et démons dans la Bible ; J. KRIER, Les « Amours » dans l’iconographie gallo-romaine de la région trévire ; Fr. DE VRIENDT, Diables et démons dans quelques Vies médiévales de saints d’Ardenne (VI-XIIe siècles) ; Th. FALMAGNE, Anges et démons dans les manuscrits du Moyen-Age : textes, images et imaginaire luxembour- geois ; J.-M. DOUCET, Autour d'une gravure de Jean Valdor l'Ainé (1622). Une « évasion » diabolique à l’abbaye de Saint-Hubert d'Ardenne ; A. LANGINI, Anges et démons à l’époque baroque ; A. HAQUIN, Anges et démons dans la liturgie catholique aux XIXe et XXe siècles ; Ph. PIERRET, Anges et démons dans la tradition juive ; L. KNAEPEN et A. GUIDERDONI-BRUSLE, La reconstitution du tour angélique ; A. COLIGNON, Le diable est-il ardennais ? ; G. PECHEUR, Anges et démons dans les expressions populaires (wallon d'Ar- denne) ; M. GILLET, Prête-moi ta plume. L’aile, les noms, les mots.

Jean LECOMTE, Les origines et la fondation de la justice de paix du canton de Fosse, s.l.n.d. [Mettet, 2009], 150 p., 5 €.

Jean Lecomte est loin d’être un inconnu de la société Sambre-et-Meuse, puisqu’il a déjà publié pas moins de sept articles dans notre revue (dont La bataille de Presles où César vainquit les Nerviens en 1992, et L’hérédité celtique de Sainte Brigide, patronne de Fosses-la-Ville et les origines païennes de son culte en 2004). Celles et ceux qui s’intéres- sent à l’histoire de Fosses le connaissent également fort bien, en sa qualité d’auteur de nombreuses études sur ce sujet : Les armoiries de la ville de Fosses (dans Guetteur Wallon, 1989), L’atelier monétaire de Fosses au Moyen Âge (dans Guetteur Wallon, 1991), Saint Feuillien et la fondation du monastère de Fosses (Bouge, 1994), Introduction à l’histoire de Fosses-la- Ville, des origines à l’an mil (Bouge, 1995), Armoiries et sceaux du chapitre de Fosses-la-Ville (dans Guetteur Wallon, 1996), Introduction à l’histoire de Fosses-la-Ville, de l’an mil à 1200 (Bouge, 1999), L’éveil de la démocratie à Fosses-la-Ville, aux XIIIe et XIVe siècles (Bouge, 2002), Fosses-la-Ville (Histoire et patrimoine des communes de Belgique, Province de Namur : Bruxelles, 2008), etc. 1 C’est avec grand plaisir que nous avons découvert sa der- nière étude, consacrée à la justice de paix du canton de Fosses – thème pour le traitement duquel il était sans doute la personne la mieux habilitée, puisqu’en plus d’être spécialiste de l’histoire de cette entité, il est lui-même ancien juge de paix 2. Plus précisément, il y ______

1. Jean Lecomte est également l’auteur d’œuvres littéraires : Les reliques de saint Feuillien racontent… (Bouge, 2002) et Le Grand-Écossais de Saint-Pholien. Roman policier du XVIIIe siècle (Bouge, 2006). 2. Docteur en Droit (1959), il exerça successivement les fonctions d’avocat au barreau de Namur (jusqu’en 1963), de substitut du procureur du roi de Namur (jusqu’en 1981) et de juge de paix du canton de Fosses (1981-1999).

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traite des origines et des premières années de cette institution : de la fin de l’Ancien Ré- gime jusque et y compris l’année 1796. Il convient de souligner que cet ouvrage a essentiellement été rédigé sur base de docu- ments d’archives. Non seulement ceux provenant du fonds « Commune de Fosses » con- servé aux Archives de l’État à Namur, mais également ceux – inédits ! – de la justice de paix du canton. Écoutons l’auteur : Autrefois ces archives étaient conservées dans les combles de l’hôtel de ville de Fosses. Elles y avaient reçu à plusieurs reprises la visite de philatélistes et de collectionneurs qui, malgré les consignes, s’étaient permis de dégarnir des registres, de dénouer des liasses de jugements, de mélanger les documents qui leur tombaient sous la main, et même d’emporter certaines pièces, pour leur usage personnel. En 1987, lors du déménagement de la justice de paix, ce local fut remis à la disposition des autorités communales. Les archives judiciaires devaient être transférées à Namur (…). C’est pourquoi on n’aménagea aucune pièce destinée à les recevoir dans le nouveau bâti- ment du tribunal. Malheureusement le dépôt des archives de l’État à Namur ne put en prendre possession, faute de place. Ces archives étaient éparpillées dans un désordre in- descriptible sur le sol du grenier de la maison communale, et on dut se résoudre à les en- tasser jusqu’au plafond d’un réduit exigu, sans fenêtre ni aération, situé au sous-sol du nouveau bâtiment (p. 51-52). Historiens et archivistes n’auront pas manqué de trembler à la lecture de cette descrip- tion – qui nous permet au passage d’attirer l’attention des autorités sur l’état de conserva- tion catastrophique auquel les manques de budget condamnent, de nos jours encore, cer- taines archives. Le moindre des mérites de Jean Lecomte n’est donc pas d’avoir recueilli ces pièces (Lorsqu’en juillet 2007, nous avons pu accéder à ce monceau de documents, nous avons dû soulever des nuages de poussières pour les extraire de leur cagibi et pour les transporter dans un autre endroit afin d’en examiner le contenu) et d’avoir trié les do- cuments exploitables selon un classement chronologique et méthodique (p. 52). Le résultat qu’il nous livre est utile à un double titre, puisque s’y mêlent, d’une part un inventaire de pièces conservées avec mention des dates, parties en cause et objets (p. 57- 61, 65-69, 78-109 et 112) et reproduction de documents d’archives, et d’autre part un ta- bleau des activités et de la jurisprudence des premiers magistrats cantonaux de Fosses, dressé par un œil averti. Sa conclusion nous apprend que les premiers juges départemen- taux nommés à Namur en novembre 1795 n’étaient pas dépourvus d’aptitudes juridiques, et (…) les habitants du pays de Fosses ont, dès la fondation d’une justice de paix, bénéfi- cié des services de juges de proximité, salariés par l’État, et qui connaissaient le droit (p. 144). L’intérêt de l’étude du personnel, du fonctionnement et de l’activité des justices de paix n’est plus à démontrer ; il découle notamment du fait que, de toute la pyramide judi- ciaire, ces institutions sont de celles qui sont les plus proches de la vie quotidienne du citoyen lambda. Dans le cas présent, ajoutons que, en outre, l’auteur s’est intéressé à une période de transition ; exercice toujours difficile, mais d’autant plus précieux. Il est à sou- haiter que Jean Lecomte poursuivra ses recherches, et prolongera son analyse du cas de Fosses au-delà de 1796, pour s’intéresser à la suite de la période française, au régime tran- sitoire mis en place par les Coalisés en 1814-1815, à la période hollandaise et aux pre- mières années de la Belgique indépendante. Ces compléments seraient d’autant plus inté- ressants qu’il dispose pour ce faire d’un cas de figure idéal : Pierre Robert Mélan, nommé juge de paix du canton de Fosses en l’an IV, resta en fonction sans discontinuer jusqu’à sa retraite, en 1833.

En vente au Syndicat d’Initiative de Fosses-la-Ville (place du Marché ; 071/71.46.24).

Cédric ISTASSE

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Marie-Élise GALET (avec la collab. de Catherine GHOS), Godinne, un regard sur le passé et le présent, catalogue d’exposition (Centre culturel « La Vieille Ferme », octobre 2007), Godinne, éd. Marie-Élise Galet, 2009, 159 p., 19 €.

L’exposition « Godinne, un regard sur le passé et le présent », organisée par Marie-Élise Galet (bibliothécaire au Centre de Documentation et de Recherche Religieuses, à Namur) en collaboration avec Catherine Ghos (photographe professionnelle) et avec le soutien de l’a.s.b.l. « Le patrimoine de Godinne », fut un franc succès. Tout le long du mois d’octobre 2007, grâce aux panneaux exposés sur les murs de la grange de la Vieille Ferme, les visiteurs purent remonter le temps et parcourir l’histoire de la région de Godinne, de la fin du XIXe siècle à nos jours. Et ils furent nombreux à regretter de ne pouvoir repartir chez eux avec une trace de ce voyage. Il est vrai que le travail réalisé par les organisatrices était réellement remarquable. Durant des mois, Marie- Élise Galet a prospecté dans les biblio- thèques et auprès de l’administration communale d’Yvoir, afin d’y collecter le matériel iconographique et informatif nécessaire. Surtout, elle a contacté nombre de Godinnois et d’habitants des villages voisins, afin d’exhumer les photographies et cartes postales conservées dans les albums privés et de recueillir les témoignages et les traces de mémoire. Démarche ô combien précieuse, comme le prouvent à l’envi les documents et les renseignements qui ont ainsi pu quitter leur sphère confidentielle pour être mis à la connaissance de tous. Il est à espérer que cet exemple fera école, et que les organisateurs de futures expositions consacrées à l’histoire locale auront le courage de consentir au même investissement. En outre, après que les illustrations ainsi rassemblées aient été répertoriées, Catherine Ghos s’est livrée à un exercice toujours particulièrement apprécié par les visiteurs : la réalisation de photographies actuelles de ces lieux, en respectant le plus possible le ca- drage des prises de vue anciennes. Ce sont ces clichés, d’hier et d’aujourd’hui, qui furent reproduits sur les panneaux proposés au public, accompagnés de commentaires d’identifi- cation et d’histoire. Désormais, le dernier souhait des visiteurs est exaucé : celui de disposer du catalogue d’exposition. Sa réussite est à la hauteur de celle de l’évènement de l’automne 2007. L’ouvrage a notamment bénéficié d’une remarquable qualité de reproduction des docu- ments iconographiques. Et ce n’est pas peu dire, lorsque l’on sait que le lecteur y trouvera pas moins de trois cent vingt illustrations (dont cent cinquante-deux en couleurs, les autres étant reproduites en sépia ou en noir et blanc) : cartes et plans, photographies de jadis et actuelles (sur le principe déjà mentionné de l’avant-après), faire-parts, portraits, publicités d’époque, inscriptions, peintures, sculptures, aquarelles, extraits de journaux, vues aériennes, etc. En outre, le catalogue s’est enrichi de photographies supplémentaires

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(dues notamment à Edgar Wuyame et à la comtesse de Brouchoven de Bergeyck), ainsi que de reproductions de peintures d’artistes célèbres (Josette Dreessens et George Lam- billotte). Bien entendu, y figurent également les textes de l’exposition. L’itinéraire de lecture a également été respecté : Nous apercevons tout d’abord quelques cartes de Godinne à travers les siècles, suivies de plusieurs vues générales du village ; nous entrons ensuite à Godinne par la route dite « La Corniche », et en passant par la rue Grande, nous arrivons au cœur du village ; de là, nous nous dirigeons vers le pont et survolons la Meuse en découvrant les Îles. Revenant sur terre, nous sommes à la hauteur des cliniques et après la descente de la rue de Mont, nous découvrons le quartier Saint-Roch et nous terminons notre périple au pied des rochers de Fidevoye. Chemin faisant, ce superbe livre nous fait ainsi (re)découvrir les villas mosanes, l’ensemble église- château-Vieille Ferme, la gare (qui remporta le premier prix des gares fleuries), le château de Mariencourt, les Îles, le sanatorium, le collège Saint-Paul, l’accueil Sainte-Dorothée, et bien d’autres habitations et sites.

Points vente à Namur : « Point Virgule » (rue X. Lelièvre), librairie ancienne « Au Vieux Quartier » (rue de la Croix), « Papyrus » (rue Bas de la Place) et « Agora » (rue É. Cuvelier). Également disponible sur commande en écrivant à l’auteure : [email protected].

Cédric ISTASSE

Alain ARCQ (avec la collab. de Pierre COUVREUR, Pierre D’HARVILLE et Firoud DIB ; illustr. de Florent VINCENT), Ligny, 16 juin 1815. La dernière victoire de l’Empereur, Allonzier-la-Caille, Historic’One Éditions, 2006 (coll. « Les batailles oubliées », 8), 112 p., 20 €. Alain ARCQ (avec la collab. de Pierre COUVREUR, Firoud DIB et André- Charles SONMEREYN ; illustr. de Florent VINCENT), Wavre et le combat de Namur, 18-21 juin 1815. L’épilogue de la campagne de Belgique, Allonzier-la- Caille, Historic’One Éditions, 2008 (coll. « Les batailles oubliées », 11), 112 p., 20 €.

Le commandant Alain Arcq, officier d’active et alcoologue 1, est un érudit en Histoire. Son intérêt porte principalement sur les évènements militaires de la République française et de l’Empire napoléonien. En particulier, il s’est spécialisé dans les fouilles archéolo- giques menées sur les anciens champs de bataille 2. Le premier terrain sur lequel il mena ses investigations est celui des combats qui se tinrent aux Quatre-Bras les 15, 16 et 17 juin 1815.

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1. Né à Charleroi en 1958, il est spécialiste en toxicomanies au département belge de la Défense. 2. Les participants au « Congrès de Namur » organisé par la Société archéologique de Namur du 28 au 31 août 2008 (8e Congrès de l’Association des Cercles francophones d’Histoire et d’Archéologie de Belgique – LVe Congrès de la Fédération des Cercles d’Archéologique et d’Histoire de Belgique), ont ainsi pu entendre sa communication L’archéologie des champs de bataille de 1815 ou comment interpréter les secrets de la terre.

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Sa collaboration avec la collection « Les batailles oubliées » est pour le moins fructueuse, puisqu’elle a déjà donné naissance à six ouvrages 3. Parmi ceux-ci, deux sont consacrés aux affrontements de 1815 qui eurent pour théâtre l’actuelle province de Namur : Ligny, 16 juin 1815. La dernière victoire de l’Empereur, et Wavre et le combat de Namur, 18-21 juin 1815. L’épilogue de la campagne de Belgique. À un texte clair et précis, ces ouvrages joignent trois atouts. Premiè- rement, ils sont sertis d’une iconogra- phie riche et abondante, bénéficiant d’une grande qualité de reproduction. Deuxièmement, ils offrent de nombreux plans et cartes, qui soutien- nent utilement la compréhension des déplacements et des manœuvres mili- taires des différents camps en pré- sence. Troisièmement, ils s’appuient sur une solide documentation, consti- tuant ainsi de très honorables syn- thèses de l’état actuel de nos connais- sances sur ces journées de juin 1815. Des journées qui, à proprement parler, n’ont pas été « oubliées » des historiens, mais soit qui n’ont fait l’objet que de peu de recherches (Namur), soit qui à l’inverse ont été au centre de tant de débats qu’il était bon de faire le point sur les faits et sur les controverses (Ligny et la retraite opérée par Grouchy). L’intérêt dépasse même le cadre de la seule synthèse lorsque sont abordés les sujets d’étude de prédilection d’Alain Arcq, car y sont alors apportés des éléments récents voire neufs : les affrontements de Ligny et des Quatre-Bras 4. Pour la bataille de Namur en revanche, on ne pourra que regretter que les auteurs aient manifestement limité leurs re- cherches à la bibliographie existante. Cette publication constituait pourtant une parfaite occasion pour un retour aux sources d’archives.

Disponible en librairie et sur le site Internet de l’éditeur : www.historic-one.com.

Cédric ISTASSE

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3. Outre les deux ouvrages qui font l’objet du présent compte rendu, citons notamment : Fleurus, 26 juin 1794. La Révolution française est sauvée (n° 9), Les Quatre-Bras, 16 juin 1815. Le second prélude à Waterloo (n° 7) et Leernes et Collarmont, 22 août 1914. Les oubliés de la bataille de Charleroi (n° 10). 4. Signalons à ce propos qu’Alain Arcq est membre du conseil d’administration de l’a.s.b.l. « Les amis de Ligny ».

L’assemblée générale annuelle de l’asbl Sambre-et-Meuse se tiendra le 17 avril prochain à l’hôtel-restaurant « Les Tanneurs », rue des Tanneurs à Namur. Notre conférencier sera M. Albert Lemeunier, conservateur du Musée Curtius à Liège. Tous nos membres y sont d’ores et déjà invités.

108 C’est quoi, le Club Richelieu ? C’est le seul « Club de service » international exclusivement francophone.

Son objet : promouvoir, sans arrogance, auprès des francophones de naissance, d’adoption ou auprès des personnes ayant choisi le français comme langue culturelle, les valeurs humanistes liées à la francophonie.

Sa diffusion : le « Richelieu » est présent dans plus de 15 pays, avec plus de 240 clubs, comptant au total plus de 5300 membres.

Son action sociale : elle est essentiellement consacrée à l’épanouissement physique, moral et culturel des jeunes, spécialement les plus défavorisés.

Sa devise : PAIX ET FRATERNITE

www. richelieuNamur.yucom.be

Vient de paraître :

Châteaux. Topographies castrales et histoire du Moyen Âge. L'exemple du pays mosan par Benoît Tonglet. [email protected] www.vieuxquartier.net 150 pages, illustrations. Tiré à 100 exemplaires. 18 EUR