Quand le Street met le droit au pied du mur

Mémoire

Maxence Perrot

Maîtrise en droit - avec mémoire Maître en droit (LL. M.)

Québec, Canada

© Maxence Perrot, 2021

Quand le met le droit au pied du mur

Mémoire Maîtrise en droit - avec mémoire

Maxence Perrot

Université Laval Québec, Canada Maîtrise en droit

Sous la direction de :

Georges Azzaria, directeur de recherche

Résumé

Si le « Street art » constitue aujourd’hui un élément indissociable du paysage urbain, et si sa reconnaissance du point de vue artistique ne fait aucun doute, son appréhension et son traitement par le droit demeure problématique et soulève de nombreux questionnements. Dès lors que cette forme d’expression répond aux critères du droit d’auteur, l’œuvre est protégée et bénéficie des mêmes droits et prérogatives que d’autres œuvres plus classiques dirons-nous, telles que des peintures de Maîtres, des œuvres littéraires des plus belles plumes de ce monde… Toutefois, lorsque leur créateur décide de mettre en scène son art sans considération pour le propriétaire du support sur lequel il s’inscrit, cette protection même si légitime est remise en cause. Le droit pénal ou encore le droit des biens par exemple se hissent face au droit d’auteur, et des compromis doivent être trouvés pour apaiser les tensions découlant d’une telle pratique. Propriétaire ou auteur, doit-on forcément n’en favoriser qu’un ?

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Abstract

Although « Street art » is today an inseparable part of the urban landscape, and its artistic recognition is beyond doubt, its apprehension and treatment by law remains problematic and raises many questions. As long as this form of expression meets the criteria of copyright, the work is protected and enjoys the same rights and prerogatives as other more classical works, we shall say, such as paintings of Masters, literary works of the most beautiful feathers of this world... However, when their creator decides to stage his art without consideration for the owner of the medium on which he fits, this protection even if legitimate is called into question. Criminal law and property law, for example, rise up to copyright, and compromises must be found to ease tensions arising from such a practice. Owner or author, do we necessarily have to favour only one?

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Table des matières

Résumé ...... ii Abstract ...... iii Table des matières ...... iv Remerciements ...... viii Introduction ...... 1 Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant aux critères du droit d’auteur ...... 17 I. Tags, , Street art : une nécessaire distinction terminologique ..... 18 A. La naissance du « Street art » : de Pompéi à aujourd’hui ...... 18 B. Le « Street art » : une indispensable clarification d’une appellation « fourre-tout » ...... 24 II. Le maintien d’une protection par le droit d’auteur pour les œuvres de « Street art » illégales ...... 28 A. La notion d’œuvre au sens du droit d’auteur ...... 28 B. Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du Tag du régime de protection du droit d’auteur ...... 31 C. Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation ..... 35 III. Les bénéfices découlant de l’assujettissement des œuvres de « Street art » au régime du droit d’auteur ...... 40 A. Les prérogatives dévolues aux street artistes ...... 40 B. Les problématiques liées à la détermination de la titularité des droits en présence du « Street art » illégal ...... 45 C. L’illégalité du « Street art » : une potentielle entrave à l’exercice du droit d’auteur ...... 51 Chapitre 2 La pratique : l’exercice d’une telle protection limitée par d’autres branches du droit ...... 55 I. Vandalisme et « Street art » : du règlement municipal au droit pénal ..... 56 A. Les règlements municipaux ...... 56 B. Le Code criminel ...... 65 II. La ferme opposition du droit des biens : la propriété privée ...... 71 A. L’appréciation des attributs reliés au droit de propriété : outil essentiel à la compréhension du conflit avec le droit d’auteur ...... 71

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B. La propriété matérielle de l’œuvre : droit du propriétaire ou droit d’auteur ? ...... 77 C. Le législateur pour trancher la question...... 83 Chapitre 3 : Les biens communs et la protection du patrimoine culturel : vers l’utilisation de régimes sui generis encadrant efficacement le « Street art » ..... 86 I. Le régime des biens communs : l’exemple italien d’une gérance ni privée, ni publique...... 88 A. Les contours du régime des biens communs ...... 89 B. Les biens communs à l’italienne, une solution d’application incertaine en droit Québécois ...... 92 II. La transposition d’un modèle préexistant : le régime du patrimoine culturel ...... 97 A. L’évolution du régime : un champ d’application en perpétuel accroissement ...... 98 B. La transposition du régime du patrimoine culturel aux œuvres de « Street art » ...... 103 C. Un régime rétribuant les concessions faites par les propriétaires ..... 116 Conclusion ...... 120 Bibliographie ...... 124

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À Suzanne.

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« Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c’est dépasser son droit ».

Victor Hugo, 1832.

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Remerciements

Je remercie mon directeur de mémoire, Monsieur le Professeur Georges Azzaria, d’avoir accepté de me superviser durant ces deux dernières années et d’avoir pris le temps de répondre tant à mes questions, qu’à mes inquiétudes, et ce, à chacune de mes nombreuses sollicitations.

Je remercie également ma conjointe, pour tous les précieux conseils dont elle m’a fait part tout au long de ce travail.

Et enfin, je remercie mes parents pour leur soutien indéfectible malgré la distance.

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Introduction

« Ce qu’on englobe aujourd’hui sous le nom approximatif de street art est devenu un phénomène quasi universel. Car ce qui était initialement interprété comme du « » vandale ou rebelle – une pratique d’écriture ou de gravure située dans des rues désaffectées de villes à l'abandon, sur des murs décrépis – , ce qui était initialement des interventions de rue militantes – des mots d’esprit et des affiches insolentes – s'est affirmé en tous lieux et tous milieux »1.

Par ces propos, Christophe Genin illustre à merveille les difficultés entourant le courant artistique qu’est le « Street art ». Une complexité qui découle de sa nature composite, car regroupant sous une même appellation une multitude de genre et styles, soulevant par la même occasion des problématiques sur le plan légal, le droit ne parvenant que difficilement à appréhender une telle notion

Nombreux considèrent que le « Street art » tire ses origines du Graffiti, courant souvent injustement assimilé à différentes techniques artistiques2 n’ayant majoritairement, aux yeux du monde, pour seule similitude qu’un caractère illégal dans leur apposition3. Il a d’ailleurs été longtemps traité au même titre que du vandalisme et tant les mairies du globe que l’opinion publique, n’ont eu de cesse de le réprimer et de le détruire systématiquement. Il n’y avait alors aucune distinction entre les différents styles qu’englobait ce terme4 et les problématiques que générait le Graffiti

1 Christophe GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », Cahiers de Narratologie, (8 Janvier 2016), p.2. En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396. 2 Ville de Québec, « Graffiti ». En ligne : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/propriete/graffiti/index.aspx. 3 Ibid., « Le graffiti est considéré comme un acte de vandalisme lorsqu’il est réalisé sans consentement ou autorisation légale sur un lieu public ou privé au même titre que toute autre forme de détérioration d’un bien public ou privé ». 4 Public Works and Environmental Services, Ville d’Ottawa, Contrôle des graffitis, Règlement n° 2008-01, 7 novembre 2019. En ligne : https://ottawa.ca/fr/vivre-

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semblaient ainsi facilement solvables : enrailler l’expansion de cette pratique en définissant notamment les sanctions applicables. Entendue à l’époque comme un ensemble, la nécessité d’établir une distinction entre les différents styles que regroupait ce terme n’avait alors à ce moment aucune raison d’exister, car tous étaient appréhendés sur le même pied d’égalité.

C’est à la fin du 20ème siècle qu’une mutation s’opère tant dans les œuvres de rue elles-mêmes que dans leur perception par l’opinion publique. En effet, dérivé de l’esprit du Graffiti, le street art fait peu à peu son apparition, remplaçant l’utilisation de la calligraphie par celle d’images plus significatives, ayant pour effet de toucher un public plus large et davantage réceptif. Par cette mutation, le street art ou post-graffiti5, selon les auteurs, est devenu petit à petit plus populaire et rapidement le terme général « Street art » tel que nous le connaissons aujourd’hui a fait son apparition.

Avant de poursuivre la lecture de ce mémoire, il est important de préciser que l’utilisation de l’expression « Street art » fait référence au terme dans son sens large, il est un terme générique regroupant une multitude de styles urbains, tels que le Graffiti, Tag, street art, ou encore œuvre commandée. Le terme street art quant à lui, est un terme spécifique qui comprend uniquement le style « post-graffiti » tel qu’évoqué précédemment.

ottawa/reglements-licences-et-permis/reglements/reglements-z/controle-des-graffitis- reglement-ndeg-2008-01. 5 Anna WACLAWEK, From graffiti to the street art movement: negotiating art worlds, urban spaces, and visual culture, c. 1970-2008., thèse de doctorat, Department of art history, Concordia University, 2008. En ligne : https://spectrum.library.concordia.ca/976281/1/NR63383.pdf.

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Le « Street art » n’est toutefois pas resté longtemps dans l’ombre de l’image négative que le Graffiti renvoyait et à grand coup de publications dans les réseaux sociaux, il a su conquérir l’opinion publique, passant du statut de paria à celui de martyre. Il devient la source de grandes indignations lorsque certaines de ses œuvres les plus célèbres se font malmener6 et n’est bientôt plus automatiquement assimilé au vandalisme7. Les politiques de gestion du « Street art » des mairies notamment, semblent d’ailleurs évoluer en ce sens et de plus en plus d’entre elles adoptent des politiques d’encadrement8 plutôt que de répréhension systématique9. Les acteurs du milieu de l’art viennent même se mêler au phénomène10 et s’arrachent pour une petite fortune les œuvres des artistes les mieux cotés11. Cette popularité grandissante met en lumière un mouvement longtemps dissimulé dans l’ombre, entrainant toutefois dans son sillage de nouvelles problématiques jusqu’à présent

6 Julien BALDACCHINO, « Un disparu à Paris : décrocher une œuvre de street art, c’est du vol ? », France Inter, 28 janvier 2019. En ligne : https://www.franceinter.fr/culture/un-banksy-disparu-a-paris-decrocher- une-oeuvre-de-street-art-c-est-du-vol. 7 Louise WESSBECHER, « Rétroprojecteur : 30 ans de graffiti en France, de vandalisme à nouvel art contemporain », France 24, 4 juin 2016. En ligne : https://www.france24.com/fr/20160604-retroprojecteur-30-ans-graffiti- france-vandalisme-a-nouvel-art-contemporain. 8 Ville de Québec, « Plan de gestion des Graffitis ». En ligne : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/propriete/graffiti/docs/plan-gestion- graffitis.pdf. 9 Ville de Sherbrooke, « Je suis artiste urbain - Ville de Sherbrooke ». En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art-culture-et- patrimoine/tags-et-graffitis. 10 Voir classement établi par Art Price, « Le marché de l’art contemporain 2018 ». En ligne : https://fr.artprice.com/artprice-reports/le-marche-de-lart-contemporain- 2018/top-500-artistes-contemporains/top-500-des-artistes-contemporains-n1-a-n50/. 11 Stéphanie TROUILLARD, « Une vente record pour une toile de Banksy en écho avec le Brexit », France 24, 4 octobre 2019. En ligne : https://www.france24.com/fr/20191004-art-contemporain-vente-record- toile-banksy-singes-parlement-britannique-brexit-communes.

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insoupçonnées (vol d’œuvre, introduction dans la sphère de commerce de l’art, contrefaçon, etc…)12.

Qui n’a pas eu en effet l’occasion de lire un article sur l’indignation d’un quartier, lorsque le travail d’un street artiste de sa rue se fit dérober13, ou lorsque le mur sur lequel une création de « Street art » est apposée, se retrouve vendu sur un autre continent14? La situation s’inverse, le vandale est maintenant le vandalisé et se retourne alors vers le droit d’auteur pour se protéger.

Pour saisir l’ampleur des enjeux, il s’avère indispensable à ce stade de notre développement de clarifier et de déterminer de façon précise ce qu’est réellement le « Street art », terme faisant référence à deux nombreux styles, dont l’énumération détaillée n’aurait pas grand intérêt ici. Il a donc fallu choisir ceux qui seraient les plus à même de nous permettre de répondre aux problématiques que soulèvent ce sujet. Dès lors, trois catégories sont selon nous les plus représentatives du « Street art » et se distingueront dans notre mémoire : le Tag, le Graffiti et le Street art.

Tout d’abord, le Graffiti, qui correspond à « des inscriptions et des dessins non officiels tracés à main levée, et suppose des supports (mur de bâtiment, muraille, colonne, etc.) d'un caractère particulier »15. Souvent

12 Voir par exemple : Berreau v. Mcdonald’s Corp., No. 2:16-Cv-07394 (C.D. Cal. Jan. 30, 2018); Tierney v. Moschino S.p.A., No. 2:15-cv-05900-SVW-PJW, 2016 WL 4942033 (C.D. Cal. Jan. 13, 2016). 13 Léa POLVERINI, « On ne peut pas « vandaliser » un Banksy », Slate.fr, 31 janvier 2019. En ligne : http://www.slate.fr/story/172875/vandaliser-banksy-street-art-bataclan. 14 Frédéric JOIGNOT, « Street art, le mur de l’argent », Le Monde.fr, 2 mai 2013. En ligne : https://www.lemonde.fr/culture/article/2013/05/02/street-art-le-mur-de-l- argent_3170069_3246.html. 15 Scott DECKER, Glen CURRY et William MCLEAN, « GRAFFITI », Encyclopædia Universalis.

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assimilé au tag, duquel il tire sa mauvaise réputation, car trop souvent confondu en raison du style calligraphique qu’ils empruntent tous deux, ils poursuivent toutefois un objectif et une exécution attestant d’une identité propre à chacun. Si d’une part le Graffiti résulte d’un réel travail artistique et original démontrant, tant le jugement que le talent16 de son auteur, d’autre part le Tag, sous sa forme la plus basique, ne serait bien souvent que la signature stylisée de son auteur17. En effet ce dernier n’est généralement qu’une apposition machinale, rapidement exécutée et dépourvue d’originalité18 et c’est d’ailleurs pourquoi, il est régulièrement assimilé aux inscriptions territoriales des gangs ou aux marques faites hâtivement dans le but de laisser une simple trace de son passage. Par ailleurs, certaines villes du Québec, telle que Sherbrooke, le distingue du graffiti en le considérant toujours illégal.

Le street art quant à lui est une version « plus allégorique » du Graffiti, ayant pour objectif de transmettre des idéaux relatant les maux d’une société, et ce, par l’alliance d’images et/ou messages des plus

En ligne : https://www.universalis.fr/encyclopedie/graffiti/3-un-art-populaire/. 16 Björn ALMGVIST, Tobias BARENTHIN LINDBALD, Mikael NYSTROM, Le manuel du graffiti: Style, matériel et techniques, 28 août 2014, Eyrolles. Le graffiti est art complexe regroupant de nombreuses techniques telles « qu’une pièce, le graffiti pas à pas, peindre vite, le photoréalisme, les caps, les techniques mixtes, graffer sur toile, le croquis » et qui nécessite l’expression d’un talent et d’un jugement particulier de la part de l’auteur. 17 Gabriel ST-LAURENT, « Le graffiti et le droit d'auteur – Réflexions, mise en oeuvre et considérations juridiques », (décembre 2019), La référence, EYB2019DEV2781, p. 469- 512. En ligne : https://www-lareference-editionsyvonblais- com.acces.bibl.ulaval.ca/maf/app/document?&src=rl&srguid=i0ad82d9b00000173f2c1 9b4e15d51921&docguid=m5B3C04BC59044766BD007CF96A8615F2&hitguid=m5B3C0 4BC59044766BD007CF96A8615F2&spos=1&epos=1&td=1&crumb- action=append&context=39&&showSnippets=true#targetfn9. 18 Ibid., et voir en ce sens : « Différence entre un tag et un graffiti - Ville de Sherbrooke ». En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art- culture-et-patrimoine/tags-et-graffitis. Celia LERMAN, « Protecting Artistic Vandalism: Graffiti and Copyright Law », (2013) 2 N.Y.U. Journal of Intellectual Property & Ent. Law 295, p. 308. « For instance, simple tags, signatures and other spray-paint graff iti may be too small or too simple to be considered artistic “work.” ».

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percutants19. Il est à l’instar de son prédécesseur, le Graffiti, le fruit d’une expression artistique originale.

Autrefois inutile lorsqu’il n’existait que le Graffiti et le Tag, la distinction des différents styles que comprend le « Street art » semble aujourd’hui primordiale. Puisque les œuvres de « Street art » sont devenues sources de grandes convoitises, il nous apparait nécessaire que l’appréhension des abus et conflits liés à cet engouement exponentiel se fasse au travers de la protection de certaines d’entre elles.

S’agissant de cette protection, le droit d’auteur offre un régime juridique avantageux, en octroyant, sous réserve de la qualification d’œuvre au sens de la loi20, des droits protégeant tant la matérialisation d’une expression artistique que l’auteur de celle-ci21. Néanmoins, tous les styles regroupés sous l’appellation « Street art » ne peuvent bénéficier du statut d’œuvre au sens de la Loi sur le droit d’auteur et dès lors, la distinction des différents styles qu’il comprend permettrait d’établir ceux répondant aux critères mis en place par ladite loi.

Toutefois le caractère illégal résultant de l’apposition de ces créations soulève de nombreux problèmes sur le plan juridique. Si, autrefois, il suffisait à justifier légalement et moralement la destruction des œuvres, et ce, alors même qu’elles étaient protégées par le droit d’auteur, actuellement, nous assistons à une reconsidération de l’importance de ce critère. S’opposent ainsi d’un côté, les partisans d’un tel courant artistique, soutenant que l’illégalité résultant du choix dans l’apposition

19 C. LERMAN, Ibid., p. 298. « [U]nlike spray-paint graffiti, street art is an aesthetic work that the general public is able to interpret and with which the public can connect ». 20 Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c 42, art. 2. 21 Ibid.

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de cet art ne devrait pas, à lui seul, être à l’origine d’un traitement différent vis-à-vis d’autres créations s’inscrivant dans un environnement plus classique. Et de l’autre les propriétaires, notamment du support sur lesquels ces toiles à ciel ouvert s’inscrivent, qui revendiquent l’irrationalité de conférer un régime protecteur a des œuvres vandales. Cette reconnaissance par le public et son indignation lors de la destruction d’œuvres, devraient amener le législateur à s’interroger sur la faisabilité d’exercer des droits d’auteur en dépit du caractère illégal découlant de l’apposition de certaines de ces œuvres, et questionne par la même occasion quant aux chevauchements pouvant survenir avec d’autres branches du droit impliquées malgré elles.

Certes le « Street art » est devenu populaire, certes, certaines de ses œuvres sont cotées à plusieurs milliers de dollars mais qu’en est-il du propriétaire foncier? Le droit de propriété privée est un droit reconnu depuis longtemps par tous, un droit fondamental22, pouvant être malmené du fait de l’apposition d’une œuvre et ce sans considération aucune pour les droits préexistants et détenus par le propriétaire du support. Quand bien même une telle œuvre serait protégeable par le régime du droit d’auteur, il n’en demeure pas moins que des intérêts contradictoires s’opposent. Qui de l’artiste ou du propriétaire devrait en pareil cas être préféré23 ? Comment le législateur québécois pourrait-il répondre face à ce conflit de droits?

Le droit criminel se voit aussi bousculé par l’émergence de ces nouvelles problématiques mettant en lumière de nouveaux conflits de droits.

22 Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12, art. 5. 23 Louise WESSBECHER, « Les street artists du mythique immeuble 5Pointz vont toucher plus de 6 millions de dollars d’indemnisation », France 24, 14 février 2018. En ligne : https://www.france24.com/fr/20180214-street-artists-mythique-immeuble- 5pointz-vont-toucher-plus-6-millions-dollars-dindemnisation.

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Criminalisée depuis la fin du 20e siècle par le biais du « méfait », l’apposition attentatoire est toutefois souvent à la base même du « Street art » illégal, s’écartant des règles régissant notre société et prenant pour support sans requérir une autorisation préalable, les murs de la ville. Si originales, ces œuvres sont alors supposément protégeables, toutefois illégales les droits qui les entourent sont difficilement exerçables.

Au regard de ces divers enjeux, notre question de recherche est la suivante : au Québec, une protection des œuvres de « Street art » est- elle envisageable malgré le caractère illégal de leur apposition ? Si oui, dans quelle mesure ?

Avant d’apporter une réponse précise à cette problématique, il nous faut répondre à quatre questions de recherche spécifiques que nous développerons tout au long de la démonstration :

1. Est-il nécessaire d’opérer à une distinction entre les différentes techniques incluses sous le terme général de « Street art » ? Si oui, la légalité de l’apposition est-elle le seul élément à prendre en compte ? 2. Le « Street art » est-il éligible au régime de protection octroyé par le droit d’auteur ? 3. Dans quelle mesure le « Street art » entre-t-il en conflit avec des règles qui relèvent d’autres branches du droit? 4. L’avenir juridique du « Street art » pourrait-il résider dans un régime similaire à celui du patrimoine culturel?

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Il découle alors de ces questions sous-jacentes plusieurs hypothèses qui constitueront chacune le point de départ d’une étude plus approfondie du sujet.

Dans un premier temps notre hypothèse est qu’une distinction au sein du terme « Street art » est primordiale pour résoudre notre première question spécifique. En effet ce terme, résultant d’une compilation de différents styles d’art de rue, suggère une appréhension juridique très variée. Il s’agira alors de distinguer les œuvres légales et commandées, qui sont apposées avec l’accord des propriétaires du support, de celles illégalement apposées. Sur ce point, nous excluons directement de notre développement, les œuvres dites « légales », car n’entrant pas en conflit avec d’autres branches du droit que celui-ci ne saurait déjà régler.

Dans un second temps, notre hypothèse est qu’il faut effectuer une distinction pour déterminer les formes de « Street art » illégal potentiellement éligibles au régime de protection du droit d’auteur. Par exemple, si le Tag et le Graffiti se ressemblent énormément, nous l’avons vu précédemment, le Tag est bien souvent écarté du régime de protection, car ne consistant généralement qu’en l’apposition répétée d’une marque. Ainsi, l’éligibilité ou non de ces formes d’expression au régime du droit d’auteur permettra d’établir, lesquelles de ces dernières entrent en conflit avec d’autres branches du droit.

Dans la mesure où une œuvre répondrait aux critères du régime de protection du droit d’auteur, il appert que le caractère illégal de l’apposition reste toutefois problématique. En effet le support n’étant pas la propriété de l’auteur de l’œuvre, le propriétaire matériel de ce dernier pourrait revendiquer la suprématie de son droit de propriété et les prérogatives que ce dernier confère. Ainsi, notre hypothèse est qu’alors

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même que l’œuvre répondrait aux critères du droit d’auteur, le caractère illégal de son apposition expose l’auteur à des poursuites et vient par la même limiter la possibilité d’exercer une partie des prérogatives qui lui seraient dévolues.

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Enfin, dans notre dernière hypothèse nous avancerons le fait que le « Street art » reste toutefois une forme d’art méritant une protection juridique. Dans cette optique, nous mettrons en lumière de nombreuses solutions alternatives, dans le cas où l’exercice du droit d’auteur serait limité à tel point qu’il en deviendrait inopérant. Quelques solutions commencent à poindre, notamment en Italie24 où la doctrine semble étendre le régime de protection des biens communs aux œuvres de « Street art »25. À l’initiative des mairies, de plus en plus de murs légaux26 sont créés afin de partager le paysage urbain avec les artistes du « Street

24 Pierre CHARBONNIER et Daniela FESTA, « Biens communs, beni comuni. Introduction », (2016), Tracés Revue de Sciences humaines. En ligne : https://journals.openedition.org/traces/6622?fbclid=IwAR07ouvWoSb6G_m0u- IwHhmhmvnQx4fNKXVMryZ6Xbrr26u-0GFHPw2sPBc. 25 Eleonora ROSATI, « Street heart: urban as common goods », The IPKat. En ligne : http://ipkitten.blogspot.com/2018/01/street-heart-urban-murals-as- common.html. 26 Voir en ce sens la définition donnée par la ville de Québec : « Un mur légal est un mur dûment identifié sur lequel la réalisation de graffitis est autorisée d’office, pourvu que soient respectées les heures et la surface d’utilisation, la propreté des lieux, la quiétude des voisins, ainsi que certaines restrictions quant aux contenus haineux ou vulgaires ». En ligne : https://www.ville.quebec.qc.ca/citoyens/propriete/graffiti/murs-legaux.aspx

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art »27 (Paris28, Toronto29, Tokyo30, Sanaa31, Sherbrooke32, Aberdeen, Auckland, Dakar, Djerba, Fukushima, Gaza, Guadalajara, Kaboul, Le Caire, Papeete, Pékin, Philadelphie, Reykjavik, Saint Petersburg, Sao Paulo, Sète, Shiraz, Sidney, Soweto, Tananarive, Tel-Aviv, Tunis, Washington33). En l’espèce, notre hypothèse serait d’établir un régime similaire à celui du patrimoine culturel34, faisant peser des devoirs et des droits tant pour le propriétaire que pour l’auteur. Dans certains cas particuliers, le propriétaire lésé pourrait notamment en échange de l’intégrité d’une œuvre recevoir une contrepartie financière sur les bénéfices qui reviennent normalement au titulaire des droits économiques.

Compte tenu de ces enjeux, multiples et contemporains, l’intérêt de notre recherche apparaît comme une évidence, les cas d’espèce entourant les

27 Paul CAUCHON, « « Street Art » : partout sur les murs des villes », Le Devoir, 2018. En ligne : https://www.ledevoir.com/culture/543519/street-art-partout-sur-les-murs- des-villes . 28 Clotilde KULLMANN, « De l’exposition de la Tour Paris 13 au concept de musée à ciel ouvert. Le street art au service du projet urbain ? », (2015), Téoros Revue de recherche en tourisme. En ligne : https://journals.openedition.org/teoros/2776. 29 National Post, « City of Toronto launches street art map for locals and visitors », National Post, 2019. En ligne : https://nationalpost.com/pmn/news-pmn/canada-news-pmn/city-of-toronto- launches-street-art-map-for-locals-and-visitors. Carte disponible en ligne : https://streetart.to/. 30 Agence France-Presse, « Un Banksy à Tokyo ? La municipalité mène l’enquête », Le Soleil, 17 janvier 2019. En ligne : https://www.lesoleil.com/arts/un-banksy-a-tokyo--la-municipalite-mene- lenquete-a6ff5c3b5df7c52c1a2d41fa1483cacd. 31 Samia METHENI, « Le Street art, une arme de paix au Yémen », France 24, 22 mars 2019. En ligne : https://www.france24.com/fr/video/20190322-le-street-art-une-arme-paix- yemen. 32 Ville de Sherbrooke, supra note 9. 33 Emma CHAABOUNI, Mur…Mur., Arabesques Éditions, Tunis, 2015, dans Christophe GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », (8 Janvier 2016), Cahiers de Narratologie. En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396. 34 Loi sur le patrimoine culturel, RLRQ c P-9002.

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œuvres de « Street art » sont nombreux et en font aujourd’hui l’un des sujets favoris de nos médias. Sorties de la rue35, copiées36, détruites37, exposées38, arrachées39, etc., les œuvres de « Street art » ne sont plus en sécurité dans la ville, mettant le droit au pied du mur face à un phénomène hors de contrôle. L’intérêt de notre recherche comporte ainsi deux aspects.

D’une part un intérêt social, le « Street art », nous le répétons encore, est sujet à une importante évolution. Autrefois, les règlements des grandes métropoles du globe, n’avaient pour seul objectif que d’entraver un phénomène populaire, nuisible pour le paysage urbain. Du vandalisme pour tous, il a progressivement acquis l’approbation du plus grand nombre, entrainant corrélativement un accroissement du nombre de victimes. Le public40 se voit privé de ses œuvres fétiches, les street- artistes41 se font piller, les atteintes à la propriété se multiplient et le droit

35 Marion COCQUET, « De Londres à Miami : la mystérieuse affaire du Banksy volé », Le Point, 20 février 2013. En ligne : https://www.lepoint.fr/culture/de-londres-a-miami-la-mysterieuse-affaire- du-banksy-vole-20-02-2013-1630220_3.php. 36 Roxana AZIMI, « Banksy devient une marque pour empêcher la vente de produits dérivés », Le Monde.fr, 8 mars 2019. En ligne : https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/03/08/banksy-devient-une- marque-pour-empecher-la-vente-de-produits-derives_5433013_4500055.html. 37 Amanda HOLPUCH, « Graffiti mecca painted white as demolition day nears », The Guardian, 19 novembre 2013. En ligne : https://www.theguardian.com/artanddesign/2013/nov/19/5-pointz-graffiti- mecca-new-york-painted-white. 38 Aurélie MAYEMBO, « L’art urbain entre au musée », Le Soleil, 4 octobre 2016. En ligne : https://www.lesoleil.com/arts/expositions/lart-urbain-entre-au-musee- 400d0d851020e8618e0b3a8c93567109. 39 Charlotte GRÉ, Street art et droit d’auteur. À qui appartiennent les œuvres de la rue?, L’Harmattan, Paris, 2014, p 62. 40 Julien BALDACCHINO, « Un Banksy disparu à Paris : décrocher une œuvre de street art, c’est du vol ? », France Inter, 28 janvier 2019. En ligne : https://www.franceinter.fr/culture/un-banksy-disparu-a-paris-decrocher- une-oeuvre-de-street-art-c-est-du-vol. 41 L’Obs et Agence France-Presse, « Space Invader perd son procès contre les arracheurs d’une de ses mosaïques », L'Obs, 24 mars 2016. En ligne : https://www.nouvelobs.com/culture/20160324.AFP1011/space-invader- perd-son-proces-contre-les-arracheurs-d-une-de-ses-mosaiques.html.

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n’a jusqu’à présent pas été en mesure de fournir un argument suffisamment conséquent pour réguler ce nouveau « Far West urbain ». En ce sens, il apparait pertinent d’effectuer une recherche fondamentale permettant de clarifier si l’illégalité sera toujours un frein à la mise en œuvre d’une quelconque régulation.

Enfin, et c’est ici que réside l’intérêt scientifique de notre sujet, il s’agira d’apporter une proposition de réforme, ou encore de développer un régime propre au « Street art », pour actualiser le droit positif en la matière et insuffler les prémisses d’une coexistence entre les acteurs et intérêts en jeu.

Du point de vue méthodologique, notre recherche repose sur une approche dogmatique. À travers l’étude approfondie du droit positif et des différentes branches en opposition, nous nous attacherons à interpréter les règles juridiques existantes en matière de protection des œuvres de « Street art », ce qui nous permettra à l’issue de ce travail de recherche d’apporter « une solution souhaitable »42 pour tous les acteurs concernés et concurrents.

L’illégalité dans l’apposition de ces œuvres est au cœur du débat et ce d’autant plus que la position du droit concernant ses répercussions sur leur potentielle protection est incertaine. D’un côté le droit d’auteur ne semble pas tenir compte de cet élément pour octroyer une protection, ce qui penche en faveur d’un traitement équivalent du street art illégal à celui de toute autre forme d’expression artistique, tandis que du côté du droit pénal et du droit des biens, son caractère illicite semble au contraire

42 Rafael ENCINAS DE MUNAGORRI, Source du droit (théorie des), 2005, Hal sciences de l'homme et de la société, ffhalshs-02289771, p. 738. En ligne : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02289771.

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lui desservir, ne pouvant empiéter sur les prérogatives du propriétaire. La jouissance des droits de ce dernier n’est toutefois pas absolue comme le Code civil du Québec nous le rappelle43, nous démontrant qu’il sera essentiel de ne pas se borner à une seule lecture exégétique traditionnelle et d’effectuer un réel travail d’interprétation des textes étudiés.

Afin d’explorer une multitude de possibilités, nous serons amenés, au fil de notre recherche, à utiliser une grande quantité de sources touchant plusieurs branches du droit positif. Dans un premier temps, les différents textes législatifs tant canadiens que québécois en la matière constitueront les premières pistes de recherche de ce mémoire. Nous verrons notamment la Loi sur le droit d’auteur44, le Code civil du Québec45, le Code criminel46 et la Loi sur le patrimoine culturel47.

Dans un second temps, c’est au travers de certains principes et doctrines étrangères que nous finaliserons notre étude du droit. Nous ferons référence, entre autres, à la doctrine émergente des biens communs en Italie48 et au principe des monuments historiques français49, mais aussi à la gestion du « Street art » faite par d’autres pays. Ce mémoire n’est toutefois pas guidé par une approche comparée, il s’agira simplement d’appuyer nos propos sous un angle externe.

Finalement nous adoptons une perspective de recherche interne, combinant tant une étude exégétique traditionnelle des différents textes

43 Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991, art. 947. 44 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20. 45 Code civil du Québec, supra note 43. 46 Code criminel, LRC 1985, c 46. 47 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34. 48 E. ROSATI, supra note 25. 49 En ce sens voir : Ministère de la culture, « Monuments historiques », France. En ligne : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments- historiques/Presentation/Les-monuments-historiques.

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législatifs mis en avant précédemment, permettant d’établir la position du législateur à l’heure actuelle, qu’une étude théorique de la doctrine canadienne, semblant être de plus en plus en faveur d’une protection du « Street art ».

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Chapitre 1 Le « Street art » : une forme d’expression artistique répondant aux critères du droit d’auteur

Le terme « Street art » suggère autant de réactions qu’il ne possède de formes d’expressions. Il est un art que beaucoup semblent connaitre mais que peu comprennent réellement. Il est donc important lorsque l’on parle « Street art » de s’assurer que l’interlocuteur est bien en connaissance de ce qu’il représente et de ce qui le compose. Ainsi, il s’agira pour ce faire, d’établir les contours du « Street art » en appréciant tant les motivations qui ont mené à sa genèse, que celles qui l’ont sorti de l’ombre et propulsé à son apogée. Néanmoins, bien que fort de cette nouvelle notoriété, il n’en reste pas moins qu’il est encore majoritairement apposé illégalement, nécessitant alors de procéder à une distinction quant à son apposition. Bien que comprises sous la même appellation, les nombreuses expressions qui le composent peuvent être amenées à subir un sort très différent sur le plan juridique (I). À la lumière de ces précisions, il nous sera alors possible de déterminer les expressions du « Street art » susceptibles d’une protection juridique, le droit d’auteur semblant alors tout désigné pour leur porter secours. Ce régime n’est toutefois pas sans conditions, ce qui nous permettra d’opérer à une ultime distinction au sein des œuvres de « Street art » illégal, en soulevant par la même occasion, un point litigieux essentiel : tout le « Street art » ne peut être protégé par le droit d’auteur (II). Finalement, nous aborderons l’intérêt d’une telle protection pour les œuvres concernées (III).

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I. Tags, Graffitis, Street art : une nécessaire distinction terminologique

Le « Street art » est un terme « fourre-tout »50 accumulant en son sein toujours plus de nouvelles formes d’expressions au fil des époques et n’ayant pendant longtemps pour seul dénominateur commun que leur caractère illicite. Ainsi, des « écriture[s] officieuse[s] sur les murs »51 de Pompéi, à la commercialisation démesurée des œuvres d’aujourd’hui, le « Street art », pour être compris, doit être nécessairement éclairci (A). Cette clarification permettra par la suite de comprendre les distinctions qu’il est important d’établir entre le « Street art » légal et illégal premièrement, puis la distinction entre les différents styles du « Street art » illégal deuxièmement (B). Distinctions, rappelons-le, qui auront un impact juridique plus que conséquent quant à l’éventuelle protection des travaux des auteurs de ce dernier.

A. La naissance du « Street art » : de Pompéi à aujourd’hui

Il est difficile d’établir une date précise quant à la naissance du « Street art » et ce pour plusieurs raisons. Puisque de nombreux styles lui ont été associés au travers des époques, il n’est pas évident de déterminer avec exactitude lesquels sont réellement compris dans ce style artistique et de ce fait lequel en est à l’origine, semant la confusion dans l’esprit du public. Aussi, bien que son existence remonte à plusieurs siècles, le terme général « Street art » en lui-même est une création contemporaine apparue qu’à la fin du 20ème siècle. Il est donc nécessaire de clarifier

50 Christian GUÉMY, alias C215, « Graffiti, street art, muralisme… et si on arrêtait de tout mélanger ? », (2013), dans Christophe GENIN, « Le street art : de nouveaux principes ? », Cahiers de Narratologie, (8 Janvier 2016), p. 2. En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7396. 51 S. Decker, G. Curry et W. MClean, supra note 15.

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l’origine et les évolutions ayant mené à ce terme, pour apporter une définition précise de ce qu’il en est réellement aujourd’hui.

1. La genèse du « Street art » : le graffiti

L’origine du « Street art » semble dépendre des styles qui lui ont été rattachés. Certains diront qu’il descend de l’art pariétal (comme celui retrouvé dans les grottes de Lascaux en France52), tandis que d’autres évoqueront les inscriptions retrouvées sur les murs de l’ancienne cité de Pompéi53, ou encore les « sgaffiare » de l’Italie du 16ème siècle54. Mais alors, qu’elle serait réellement la forme originelle du « Street art » ?

Il est possible de retrouver des points communs dans chacune de ses formes d’expressions. Concernant l’art rupestre par exemple, nous pouvons constater que le support utilisé est une surface extérieure tout comme pour les travaux de « Street art » et que la technique de peinture soufflée utilisée dans la préhistoire se rapproche fortement de l’effet obtenu avec la bombe aérosol. Mais cela est-il suffisant pour établir un lien de « parenté » entre ces deux styles ? Le « Street art » se résume-t- il simplement à la technicité utilisée ? Selon nous la réponse est non, en ce sens que ce n’est ni le médium ni la technique qui le définissent mais plutôt l’objectif recherché par ce dernier. L’art pariétal semble être destiné à raconter des hauts faits et des évènements notables de la vie de l’époque, alors qu’il est tout autre pour le « Street art ». Ainsi dans ce

52 Voir en ce sens, « L’art dans la rue », (2012), Médiathèque de Serris. En ligne : http://mediatheques.valeurope- san.fr/images/articles/espace_pro/dossierpedagogique/DPartdelarue.pdf. 53 BRASSAÏ (Gyula HALÀZS), Graffiti, 1960, Paris, Les éditions du temps, dans Christian GERINI, « Le street art a-t-il toujours / n’a-t-il jamais existé ? », (2016), Cahiers de Narratologie. En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7492. 54 Giorgio VASARI et Giovambatista ADRIANI, Le vite de’ piu eccellenti pittori, scultori, e architettori, 1568. En ligne : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54559371.

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sens, le muralisme qui souvent injustement rattaché au « Street art », serait lui aussi un style très différent bien qu’utilisant globalement les mêmes codes (surfaces extérieures, peintures, sur les murs des rues pour une grande visibilité, …). L’objectif ici est de relater des évènements remarquables à des fins de propagande55. Concernant la deuxième forme d’expression : des « écriture[s] officieuse[s] sur les murs »56 de Pompéi; puisqu’elles ne correspondent qu’à de simples publicités et outre le fait qu’elles soient apposées sur des murs, nous serions encore bien loin du « Street art » tel que nous le connaissons aujourd’hui, ce dernier ne pouvant se résumer à des créations murales ou un usage publicitaire.

De ce fait nous nous dirigeons vers le troisième style d’expression qui semblerait être le plus à même de correspondre à la première apparition d’une forme de « Street art ». Ce type nous viendrait du mot italien « sgaffiare »57 qui, apparu au 16ème siècle, faisait référence à « tous griffonnages, grattages et gribouillis, quels que soient leurs supports »58 et généralement apposés sans autorisation, autrement dit le graffiti. Néanmoins, il ne s’agirait ici que d’une forme très simplifiée nous permettant simplement de définir un point de départ au « Street art ». Si nous nous arrêtions à cela, nous ne rendrions alors pas justice au Graffiti, qui connut réellement son essor avec l’invention de l’aérosol et qui reflète bien plus que de simples gribouillis. D’ailleurs avec le temps, le terme graffiti connut de nombreuses autres améliorations quant à son interprétation pour enfin être défini comme toute inscription et dessins

55 Didier GUÉVEL, « La juridicisation du Street Art : Hymne de gloire ou requiem? », dans, Géraline GOFFAUX CALLEBAUT, Didier GUÉVEL et Jean-Baptiste SEUBE, Droit(s) et street art – De la transgression à l’artification, Édition Lextenso, 2016, p.11. 56 S. DECKER, G. CURRY et W. CLEAN, supra note 15. 57 G. VASARI et G. ADRIANI, supra note 54. 58 Ulrich BLANCHÉ, « Qu’est-ce que le Street art ? Essai et discussion des définitions », (2015), Cahiers de Narratologie. En ligne : https://journals.openedition.org/narratologie/7397.

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officieux pourvus d’un caractère distinct et ayant pour médiums des supports urbains59. Toutefois cette définition a généré plusieurs amalgames, notamment avec le tag.

2. Le graffiti une pratique populaire réprimée

Le graffiti tel que nous le connaissons aujourd’hui a commencé à se faire connaitre dans l’Amérique des années 1960. Il était initialement pratiqué par de petits groupes d’initiés de Philadelphie, avant d’être majoritairement repris par l’art de gang et les artistes du métro newyorkais dans les années 197060. Toutefois, il est important de distinguer ici deux styles compris sous la même appellation.

Premièrement, bien qu’associés dans l’esprit du public et dans la pratique, ils ont chacun un rôle différent dans ce milieu. Deuxièmement parce que le tag majoritairement repris par les gangs de rue est venu ternir l’image du graffiti, ce qui a eu une grande importance dans l’appréhension de cet art tant par le public que par les autorités. Il apparait en effet que le graffiti correspondrait théoriquement à l’œuvre en elle-même en ce sens qu’il nécessite un travail bien réfléchi de plusieurs heures, tandis que le tag ne serait que le nom stylisé de l’artiste, il « est la signature du graffiteur, son pseudonyme et la forme plus simple »61. Ce dernier serait donc essentiel à la pratique originale du graffiti en ce sens qu’il est initialement destiné à accompagner les travaux du graffiti, mais détourné par l’usage répété des « Gang » qui l’utilisent pour délimiter leur territoire.

59 S. DECKER, G. CURRY et W. MCLEAN, supra note 15. 60 A. WACLAWEK, supra note 5, p.2. 61 Guy BELLAVANCE, avec la collaboration de Daniel LATOUCHE et Culture et société INRS-Urbanisation, Graffiti, tags et affichage sauvages: évaluation du plan d’intervention de la Ville de Montréal, Institut national de la recherche scientifique, 2è éd., Montréal, 2009, p. 12. En ligne : http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/1983469.

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Ce détournement du tag est ainsi venu accentuer la mauvaise image de cette pratique artistique déjà majoritairement illicite, alimentant toujours plus les justifications des politiques de répressions mises en place par les mairies des villes affectées. C’est donc à cette même période que sont nés les amalgames qui perdurent encore de nos jours, à savoir : Graffiti et vandalisme, Tag et violence62.

On observe d’ailleurs corrélativement à ce détournement, la première criminalisation de cette pratique sous le mandat du maire de New-York John Lindsay en 1972, qui rendit « illégale la possession d’aérosols dans les transports en commun et spécifi[a] que nul n’a le droit d’écrire, de peindre ou de dessiner sur les propriétés publiques »63. Ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard, que cela sera repris par les grandes villes québécoises avec comme pionnière en la matière la ville de Québec en 1991, puis la ville de Montréal en 199664.

Il n’en est pas moins une forme d’art et c’est majoritairement une des justifications qui nous permet de défendre l’idée selon laquelle le « Street art » pourrait être protégé par le droit d’auteur. En ce sens, il a très vite été repéré par le milieu de l’art « légal » qui a su percevoir les qualités artistiques de cette pratique illicite65. Le graffiti franchit d’ailleurs grâce à son association avec la culture hip-hop, les portes des galeries d’art dans les années 1980, faisant de ce fait ses premiers pas tant dans la légalité que dans d’autres villes du globe.

62 C. GRÉ, supra note 39. 63 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61. 64 Ibid. 65 Pierre-Édouard WEILL, La consécration du graffiti par le marché de l’art contemporain, Wenceslas LIZÉ, Delphine NAUDIER, Séverine SOFIO (dir.), Les stratèges de la célébrité. Intermédiaires et consécration dans les univers artistiques, Éditions des Archives Contemporaines, 2014, p. 16.

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3. La mutation du graffiti en populaire « Street art »

Le « Street art » tirerait donc son origine du graffiti. Néanmoins comme nous l’avons souligné, la définition qui ressort de ce style peut être une source de confusion avec d’autres qui, à l’image du tag, suppose des objectifs différents. En ce sens, le graffiti est la transposition d’une idée sur un support, ayant pour finalité un objectif artistique (bien que souvent seulement compris des initiés), tandis que le tag dans sa version la plus basique correspond à la signature stylisée de l’artiste ou parfois même à la simple marque délimitant un territoire de gang. Mais alors qu’en est-il du terme « Street art », quel est son lien avec le graffiti ?

Lorsqu’il fait son entrée dans le monde de l’art dans les années 1980, le graffiti connait une fulgurante notoriété insufflée par la proximité qu’il entretient avec la culture hip-hop. Toutefois, cela ne sera que de courte durée puisque toujours très mal perçu par les mairies des grandes métropoles nord-américaines, il continua de subir la « tolérance zéro » de leurs programmes anti-graffiti. Néanmoins, nous détaillerons plus précisément ce point dans un chapitre ultérieur.

Ce n’est qu’au travers d’une mutation dans la forme même du graffiti que ce dernier a pu se faire accepter. En effet, en substituant les lettres stylisées propres à cet art, par des logos ou des images figuratives plus significatives66, il a engendré un nouveau style attirant un public plus diversifié et plus enclin à supporter cette expression artistique à la mauvaise réputation. C’est ainsi que nous sommes passés du graffiti sanctionné, au « post graffiti »67 encensé. Ce terme n’a toutefois que très

66 A. WACLAWEK, supra note 5. 67 Ibid.

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peu été utilisé et a rapidement été remplacé par son appellation anglaise : street art.

À la fin des années 1990, grâce à des artistes comme ou Jean-Michel Basquiat, le graffiti connu ainsi son deuxième épisode de gloire fort de cette nouvelle version de lui-même qu’est le street art, attirant plus d’adeptes qu’il n’en avait jamais eu. Il est toutefois ici important d’apporter une précision terminologique pour l’utilisation du terme street art. L’artiste américain en donnait une définition négative en le décrivant comme « tout ce qui n’est pas du graffiti »68, mais cette définition ne fait référence qu’au sens restreint du terme. Or, tel qu’il est utilisé de nos jours, le terme « Street art » est compris majoritairement dans le sens large du terme, englobant tant le tag, que le graffiti ou encore le post-graffiti. D’un point de vue plus juridique, cela aurait donc pour conséquence d’inclure sous la même bannière une multitude de styles qui seraient jugés et appréciés de façon équivalente alors même que certains ne sont pas illégaux ou même encore protégeables.

B. Le « Street art » : une indispensable clarification d’une appellation « fourre-tout »69

Le « Street art », nous l’avons vu, se compose d’une multitude de styles qui, bien qu’ayant de nombreux dénominateurs communs, ne possèdent pas toujours une même finalité. Certains d’entre eux vont par exemple être apposés légalement telles que les œuvres commandées, ou sur différents médiums ou supports ce qui va influer sur leur situation

68 John FEKNER cité dans C. LEWISOHN, Street art. The Graffiti Revolution. Cat. Exp. à la Tate Modern, Londres, Abrams, 2008, p. 23. 69 C. GUÉMY, supra note 50.

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juridique. Il serait donc pertinent de procéder à plusieurs distinctions afin de déterminer les différents styles qui posent réellement un problème.

Aujourd’hui, nous l’avons vu, nous regroupons de façon assez simpliste l’ensemble des styles d’arts visuels de rue sous un même terme « fourre- tout »70 : le « Street art ». Cet amalgame n’a aucun impact majeur si l’on reste dans un cadre artistique et est même compréhensible lorsque l’on se penche sur les critères communs et l’évolution corrélative de ces différents styles. Toutefois d’un point de vue juridique cela implique de nombreuses conséquences, impactant la protection de certains travaux de cet art.

Il est donc nécessaire d’établir certaines distinctions. La première à opérer réside dans l’apposition des œuvres. En effet, même si la plupart sont illégalement apposées dans le paysage urbain, beaucoup le sont néanmoins fait de façon légale. Loin des politiques de répression, les mairies d’aujourd’hui sont en effet de plus en plus enclines au dialogue et ont compris que la meilleure façon de gérer cette forme d’expression résidait dans le compromis. Ainsi, de nombreux murs légaux ont commencé à poindre le jour dans le paysage urbain. L’une des premières villes à utiliser cette méthode fut Philadelphie, qui en 1984 développa son Murals arts program71 offrant des alternatives légales aux adeptes de ce milieu. L’idée fut ensuite reprise à New-York avec le célèbre 5 pointz72, regroupant tous les grands noms du graffiti de l’époque ou encore à Montréal avec son plan de gestion des graffitis de 1996 alliant

70 Ibid. 71 Véronique COLAS, Amine Ali BABIO, Soumaya FREJ et Conseil jeunesse de Montréal, Les graffitis: une trace à la bonne place? : les jeunes montréalais et le graffiti signé, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2008, Montréal, p. 26. 72 Ibid., p. 25.

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sensibilisation et création de murs légaux73. Quelles années plus tard, fort du regain de notoriété généré par l’émergence du street art, de plus en plus d’œuvres se sont vues être commandées par les mairies, promoteurs ou autres particuliers permettant ainsi d’embellir les espaces urbains sans s’exposer aux divers conflits que cet art dans sa forme illégale suppose. De ce fait, bien que comprises sous l’appellation « Street art », les œuvres légales ou commandées régies par des contrats et/ou le droit d’auteur, n’empiètent aucunement sur des règles qui relèvent d’autres branches du droit impliquées par cette forme d’expression. Aux fins de ce mémoire, nous ne traiterons donc pas de ces œuvres de « Street art » puisqu’elles ne semblent générer aucun conflit que le droit des contrats ou le droit d’auteur ne sauraient résoudre.

Ce mémoire a en effet pour objectif de traiter les formes du « Street art » qui entrent potentiellement en conflit avec d’autres branches du droit. De ce fait, comme nous l’avons vu précédemment, les styles dits légaux du « Street art » sont à écarter de notre recherche. Toutefois, sont-ils les seuls à ne pas générer de conflit que le droit ne saurait déjà résoudre ?

Parmi les différents styles que le « Street art » illégal englobe, certains semblent refléter l’expression d’une intention artistique, qui pourrait conduire à la reconnaissance d’une protection via le droit d’auteur, tandis que d’autres, ne seraient que l’expression de la volonté de laisser machinalement une trace dans le paysage urbain et, de ce fait, sont exclus d’office de toute protection du droit d’auteur. En effet, ce régime, nous le verrons prochainement, ne saurait accepter sous sa protection, des œuvres qui ne résulteraient que d’une apposition machinale ou dépourvue de toute créativité.

73 Ibid., p. 53.

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Cette distinction, tout comme la première, ne semblerait alors primordiale que d’un point de vue juridique, en ce sens qu’elle permettrait de distinguer au sein du « Street art » illégal, les formes qui poseraient un réel problème.

Pour qu’il y ait conflit de droits, il apparait évident que cela suppose une opposition entre différents droits. Ainsi, si nous nous penchons sur les critères d’admissibilité requis par le régime de protection des œuvres du droit d’auteur, certains styles du « Street art » pourraient y répondre tandis que les autres ne seraient reconnus par le droit que comme du vandalisme. C’est donc ici que le droit d’auteur fait son entrée dans ce mémoire, puisqu’il permettra de définir quels styles seraient sujets à une protection juridique par ce dernier et de ce fait quelles œuvres pourraient potentiellement se prévaloir de droits face aux autres branches du droit. À contrario, les expressions artistiques ne répondant pas à ces critères ne seraient pas titulaires de droits et de ce fait ne seraient pas la cause de conflits de droits.

Enfin, une ultime distinction est à mettre en lumière quant aux styles compris dans le « Street art » illégal, puisque les médiums, matériaux ou surfaces utilisés auront un impact dans l’appréciation de la sanction encourue par les auteurs. Le droit pénal et les règlements municipaux, nous le verrons dans une prochaine partie traitant les conflits, sanctionnent en effet différemment les œuvres de « Street art » illégal dépendamment de là où elles sont apposées, du support utilisé ou encore de la permanence de l’inscription sur le support. En ce sens une œuvre apposée sur un immeuble privée ou sur un lieu de culte ne sera pas traitée de la même façon, de même qu’une œuvre apposée avec de la peinture versus une inscrite à la craie.

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II. Le maintien d’une protection par le droit d’auteur pour les œuvres de « Street art » illégales

La Loi sur le droit d’auteur 74 confère une protection pour toutes œuvres littéraires, dramatiques, musicales ou artistiques, à la condition qu’elles soient originales et fixées. Ce régime octroie des droits au titulaire d’une œuvre protégeable lui permettant de s’opposer à quiconque violerait le monopole intellectuel ainsi acquis. Face à la problématique du « Street art » illégal, il est donc nécessaire de déterminer si toutes les créations artistiques qu’il recoupe, correspondent à la définition d’œuvre que le droit d’auteur retient (A), répondant aux conditions d’originalité (B) et de fixation (C) qu’il exige. Le fait de déterminer ce qui est protégeable ou non dans le « Street art » permettrait, au même titre que la distinction entre « Street art » légal et illégal, de préciser les styles qui posent réellement problème.

A. La notion d’œuvre au sens du droit d’auteur

À l’image du terme street art, la notion d’œuvre suppose deux interprétations. La première établissant la distinction entre propriété matérielle et intellectuelle75, la seconde permettant d’établir le sens à donner à une œuvre76. La notion d’œuvre dans le sens large du terme suppose deux types de propriété. On retrouve ainsi, la chose matérielle correspondant à l’œuvre tangible qui correspondrait dans le cadre du « Street art » au support utilisé (tel qu’un mur, une porte, un wagon, …),

74 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art 5. « Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’auteur existe au Canada, pendant la durée mentionnée ci- après, sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale si l’une des conditions suivantes est réalisée » 75 Millar c. Taylor, 1769 CA. 76 Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 2019, Toronto, Thomson Reuters, p. 77.

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puis la chose incorporelle correspondant au contenu de l’œuvre et au travail de réflexion que la création sous-entend77. Cette distinction est, en plus d’être un principe fondateur de la propriété intellectuelle, primordiale afin de saisir les conflits que le « Street art » engendre sur le plan juridique : la propriété matérielle n’opérant en aucun cas cession des droits d’auteur au profit du propriétaire du support. De fait, l’apposition d’une œuvre sur son mur ne permet pas d’être investi des droits qui l’entourent, au même titre que l’acquéreur d’une toile ne sera pas subrogé dans les droits de l’artiste. Par ailleurs, cette distinction est également la cause d’une superposition de droits de propriété ; ainsi lorsque l’artiste appose son travail sur un support qui ne lui appartient pas ou sans l’accord du propriétaire de la chose matérielle en question, il vient ajouter une propriété sur une propriété préexistante. Le support initial reste la chose du propriétaire mais deviendrait, par la même occasion et du fait de l’apposition, la propriété immatérielle de l’auteur, générant dès lors une première source de conflit. En effet, l’article 13(1) de la loi sur le droit d’auteur semble instaurer une présomption selon laquelle l’auteur est supposé être le premier propriétaire du droit d’auteur sur l’œuvre78. En ce sens, le droit de propriété ainsi conféré viendrait se juxtaposer et se confronter au droit de propriété détenu par le possesseur originel du support sur lequel s’incorpore l’œuvre de street art. Il est donc primordial de déterminer si toutes les créations du « Street art » illégal sont des œuvres selon le droit d’auteur et c’est au travers du sens restreint du terme qui nous est possible de le faire.

« [L]e mot « œuvre » employé dans la Loi sur le droit d’auteur englobe toute chose au sujet de laquelle la Loi déclare qu’il y aura droit d’auteur, que cette chose soit une production artistique ou un produit de

77 Ibid. 78 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art 13(1).

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manufacture ou de technologie »79. Ainsi, une œuvre serait comprise comme étant tout ce que la Loi sur le droit d’auteur définit comme tel. Soit en l’espèce, tout travail fixé qui révèlerait d’une originalité selon l’article 5(1) de la Loi sur le droit d’auteur 80.

Le droit d’auteur distingue quatre types principaux d’œuvres; littéraire, dramatique, musicale ou artistique 81. Toutefois les définir toutes dans le cadre de ce mémoire, n’aurait aucune pertinence. En effet, les œuvres littéraires82, dramatiques83 ou musicales84 ne comprennent, au vu de leur intitulé, vraisemblablement pas des œuvres de « Street art » et seule la définition d’œuvre artistique semble ici opportune.

Au sens de la Loi sur le droit d’auteur ce type d’œuvre comprend ainsi: « les peintures, dessins, sculptures, œuvres architecturales, gravures ou photographies, les œuvres artistiques dues à des artisans ainsi que les graphiques, cartes, plans et compilations d’œuvres artistiques »85. De ce fait, cette définition très large semble permettre de venir englober l’ensemble des styles compris dans le « Street art » illégal. En effet, que l’on soit en présence de tags, de graffitis ou de street art, il n’y a dans cette définition de l’œuvre artistique aucun point qui les exclut.

79 Fly by Nite Music Co c. Record Wherehouse Ltd, 1975 CF 386 (1ère inst). 80 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 5. 81 Ibid., art. 5(1). 82 Ibid., art. 2. « œuvre littéraire : Y sont assimilés les tableaux, les programmes d’ordinateur et les compilations d’œuvres littéraires. » 83 Ibid. « œuvre dramatique : Y sont assimilées les pièces pouvant être récitées, les œuvres chorégraphiques ou les pantomimes dont l’arrangement scénique ou la mise en scène est fixé par écrit ou autrement, les œuvres cinématographiques et les compilations d’œuvres dramatiques » 84 Ibid. « œuvre musicale : Toute œuvre ou toute composition musicale — avec ou sans paroles — et toute compilation de celles-ci » 85 Ibid.

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Les œuvres de « Street art » sembleraient donc déjà mériter, à tout le moins dans leur ensemble, la dénomination d’œuvre au sens juridique du terme. Néanmoins, il s’agirait désormais de se pencher sur les critères d’originalité et de fixation, pour établir si ces œuvres pourraient bénéficier d’une protection juridique reconnue par le droit d’auteur.

B. Le critère d’originalité : vers une exclusion presque systématique du Tag du régime de protection du droit d’auteur

Pour qu’une œuvre artistique soit susceptible de protection par le droit d’auteur, elle doit revêtir un caractère d’originalité. Cette notion essentielle du droit d’auteur est toutefois difficile à établir. Elle n’est définie par aucune convention internationale dont le Canada est signataire, y compris la Convention de Berne86, qui bien que faisant référence à cette notion d’originalité plusieurs fois, ne la définit jamais précisément. Elle n’est pas non plus traitée par les lois canadiennes notamment la Loi sur le droit d’auteur qui bien qu’y faisant toutefois référence à de nombreuses reprises (articles 2, 5(1), 60), ne la définit pas. C’est alors vers la jurisprudence qu’il nous faut nous tourner et notamment vers l’arrêt CCH Canadienne Ltée contre Barreau du Haut- Canada87.

Dans cette décision, la compagnie CCH Canadienne Ltée. soutient que la copie de ses compilations de sommaires par la Grande bibliothèque d’Osgoode Hall pour les membres du Barreau, constitue une violation de

86 Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, 9 septembre 1886. En ligne : https://wipolex- res.wipo.int/edocs/lexdocs/treaties/fr/berne/trt_berne_001fr.pdf. 87 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, [2004] 1 RCS 339. En ligne : https://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2004/2004csc13/2004csc13.html.

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ses droits d’auteur, ceux-ci étant des œuvres originales protégées par le droit d’auteur. Or, la Cour indique que si la compilation de sommaires en elle-même était originale et en ce sens protégeable, les « motifs judiciaires » photocopiés de celle-ci, eux ne l’étaient pas. De ce fait, aux fins de cette affaire, les juges de la Cour ont été amenés à statuer sur une définition plus précise de l’originalité d’une œuvre. C’est alors, au travers d’une combinaison de la définition britannique du « labour and skills »88 et de celle américaine du minimum de créativité89, qu’ils ont interprété la notion d’originalité applicable au Canada. Ils exposent ainsi qu’une œuvre est dite originale dès lors qu’elle reflète le produit de « l’exercice du talent et du jugement » d’un auteur, soit « le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre »90 et « la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre »91. Aussi, ils complètent leur définition en précisant que le travail effectué ne doit pas correspondre à « une entreprise purement mécanique »92, il est donc nécessaire de faire foi d’un minimum de créativité. En application aux œuvres de « Street art », il s’agit donc de déterminer si ces dernières remplissent toutes les attentes de la définition canadienne d’originalité et c’est ici que le tag dans sa forme la plus

88 Sam RICKETSON, The Berne Convention for the Protection of Literary and Artistic Works : 1886-1986 (1987), p. 900, cité dans CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut- Canada, [2004] 1 RCS 339 (Cour suprême du Canada) par. 19. « [L]es pays de common law comme l’Angleterre ont, en retenant le critère de l’effort et du labeur pour décider de l’originalité, [TRADUCTION] « rompu avec l’esprit, voire la lettre de la Convention [de Berne] », étant donné qu’une œuvre dont la production a nécessité du temps, du travail ou de l’argent, mais qui n’est pas vraiment une création intellectuelle artistique ou littéraire bénéficie de la protection du droit d’auteur ». 89 Feist Publications Inc c. Rural Telephone Service Co, 1991, 499 US 340. 90 CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, supra note 87, par. 16. 91 Ibid. 92 Ibid.

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simple93 semble s’écarter du graffiti et du street art. En effet, bien que « l’exercice du talent et du jugement »94 de l’auteur soit éventuellement défendable pour ces types de tag, le caractère répétitif de l’apposition d’une marque reflète plus « une entreprise purement mécanique »95 que l’expression d’un minimum de créativité. Aussi, en observant les motifs qui poussent les auteurs à effectuer ces marques, nous constatons qu’il s’agit généralement, pour cette forme de « Street art », d’apposer le plus rapidement possible et en grande quantité leur pseudonyme sur diverses surfaces, telles que des murs, bancs…, permettant d’étendre leur notoriété, intimement liée au nombre de tags apposés. Ainsi, en ce sens il appert que ce type de tag pourrait majoritairement être exclu de la protection offerte par le droit d’auteur. D’autres formes de tag plus abouties comme le « throw up »96 ou le « piece »97 semblent au contraire répondre à ce critère d’originalité. En effet, ces techniques spécifiques du tag, intégrant des formes et des images propres aux codes du « Street art », se rapprochent fortement du graffiti et du street art en ce sens qu’ils sont l’exercice créatif du talent et du jugement de l’auteur. L’objectif de ces différents styles n’est pas ici d’apposer en nombre quasi-industriel et machinale une marque mais bien de créer une œuvre reflétant la conscience, la rationalité et la créativité de l’auteur98. Il suffit d’ailleurs

93 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 32. « La signature du graffiteur, son pseudonyme et la forme plus simple de ce genre de graffiti ». 94 Daniel GERVAIS, « Le droit d’auteur au Canada : Le point après CCH », (2005), 203 Revue Internationale du Droit d'Auteur, RIDA 2-61. 95 Ibid. 96 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 12. « Le « Throw-up » est une forme plus complexe de tag, une signature formée d’un petit nombre de grosses lettres gonflées, habituellement monochrome ou bicolore ». 97 Ibid. « Le « Piece » (ou fresque en français) est la forme la plus achevée. Il couvre de grandes surfaces, comporte un grand nombre de couleurs et de lettres, et intègre souvent des images. C’est habituellement un ouvrage collectif qui nécessite plusieurs heures de travail et une grande quantité de peinture » 98 Sophie VERVILLE, « La publicité et la signalisation des droits de propriété intellectuelle : un encadrement à parfaire », (2013), 54 Les Cahiers de droit 689, par. 87. En ligne : https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2013-v54-n4-cd01015/1020650ar/.

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d’observer les œuvres des plus grands noms du milieu pour comprendre qu’elles témoignent d’autant d’originalité que n’importe quelle autre forme d’expression artistique. Aussi, il est important de préciser qu’originalité n’est pas ici synonyme de nouveauté, en ce sens qu’une œuvre de « Street art » peut-être, et sera surement, très similaire à d’autres sans pour autant que cela nuise automatiquement à sa qualification par le droit d’auteur d’œuvre originale. Pour reprendre l’exemple de la professeure Sophie Verville, plusieurs peintres « qui s’installent côte à côte devant un paysage et qui le rendent sur toile d’une manière similaire mais individuelle peuvent générer, chacun, leur propre droit d’auteur sur leur réalisation »99. Dès lors, sous réserve de reproduction ou copie de l’ensemble ou d’une partie importante d’une des œuvres, elles peuvent toutes être qualifiables comme étant originales, ce qui sera assurément applicable aux œuvres de « Street art ».

Au vu des éléments législatifs et jurisprudentiels précités, il semblerait que le législateur et les juridictions tant canadiennes que québécoises ne prennent pas en compte, pour déterminer l’originalité d’une œuvre, les techniques utilisées par ces différents styles. En ce sens, « Le travail d’un auteur ou d’un créateur devien[drait] une œuvre dès lors qu’il répond au critère de l’originalité et qu’il dépasse le stade de la simple idée »100, ce qui suppose pour ce dernier d’être fixé.

99 Ibid., par. 90. 100 N. TAMARO, supra note 74.

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C. Les conséquences juridiques dans le choix du support de fixation

La notion de fixation renvoie à la matérialisation d’une idée sur un support matériel quelconque101. On parle alors ici, d’une œuvre qui « est écrite ou autrement attestée sous une forme raisonnablement permanente (« fixée ») »102. Ainsi, concernant le critère de fixation, sa détermination pour les œuvres de « Street art » n’apparait pas comme étant entièrement problématique. En effet, alors même que la Cour suprême nous rappelle que la fixation « sert à distinguer les œuvres susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur des idées générales »103, il apparait que ce critère est assez facilement atteint en matière de « Street art » puisque exprimé sous une forme visuellement perceptible104.

Toutefois il apparait important d’apporter quelques précisions en matière de « Street art », puisque la destination éphémère de ses œuvres pourrait soulever des interrogations. En effet, certains styles du « Street art » peuvent s’avérer très fugaces du fait de leur fixation. Par exemple, il est courant de trouver des œuvres faites à la craie, via des affiches en papier ou bien encore à l’aide de déchets urbains105 qui, aux premières intempéries ou en raison d’un nettoyage, seront vouées à disparaitre.

101 Marc BARIBEAU, « L’opinion juridique et le droit d’auteur », (1996), Conférence des juristes de l'État, p. 4. En ligne : https://www.conferencedesjuristes.gouv.qc.ca/files/documents/3l/71/lopinionjuridique etledroitdauteur.pdf 102 Hugh LADDIE et Peter PRESCOTT, The Modern Law of Copyright and Designs, par. 1.2, 3è éd, 2000, Tel que cité dans Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002], 2 RCS 336. 103 Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., [2002], 2 RCS 336. En ligne : https://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2002/2002csc34/2002csc34.html. 104 Apple Computer Inc. c. Mackintosh Computers Ltd, [1988], 2 RCS 209, par. 703. 105 Dominic BRASSARD et Danny BRAUN, « Quand les déchets des uns font le bonheur de l’artiste Romain Boz », Radio Canada, 5 juin 2017. En ligne : https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/le-15- 18/segments/entrevue/26271/artiste-urbain-muraliste-dechets-romain-boz.

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Aussi, bien que la majorité des autres types d’œuvres de « Street art » soient apposés de façon plus permanente, il n’en est pas moins qu’elles sont aussi considérées comme éphémères, puisque apposées dans la rue ces dernières ne sont pas destinées à traverser les époques ou du moins plus difficilement qu’une peinture conservée dans un musée. De ce fait, le caractère éphémère de l’ensemble de ces œuvres pourrait-il s’avérer être une entrave à l’octroi d’une protection juridique par le droit d’auteur ?

Afin de répondre à cette question, il est important de distinguer ce que le caractère éphémère sous-entend outre sa signification générale106. Dans un premier temps, l’éphémérité concerne le choix du support et rejoint la notion de « forme matérielle quelconque » introduite par l’article de 3 de la Loi sur le droit d’auteur. Le support peut être choisi sans réelle condition de durabilité, permettant l’utilisation de supports voués à une destruction inéluctable, telle qu’une affiche en papier, un bloc de glace ou encore des déchets urbains. Dans l’affaire Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique CGI inc. 107, le juge Tremblay-Lamer nous le rappelle d’ailleurs :

« [l]e droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre sous une forme matérielle quelconque (article 3 de la loi). Or, il n’y a pas de définition de ce qu’est une forme matérielle, Il faut donc s’en tenir au sens ordinaire des mots. Une forme matérielle est une forme palpable, tangible, perceptible ».

106 Dictionnaire Larousse, s.v. « éphémère ». « Qui ne vit qu'un jour, un temps très court ». En ligne : https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9ph%C3%A9m%C3%A8re/303 11 107 Eros - Équipe de recherche opérationnelle en santé inc. c. Conseillers en gestion et informatique CGI inc., [2004] CF 178, par. 113-119.

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De ce fait, tant que le support constitue une forme matérielle perceptible, il est en mesure de répondre au critère de fixation exigé par le droit d’auteur.

Néanmoins, dans un deuxième temps, il est question d’appréhender le caractère éphémère d’une œuvre dans la temporalité de son apposition. En effet, les auteurs de « Street art » ont conscience qu’en choisissant d’apposer leurs travaux aux yeux du monde, ils exposent leurs œuvres aux aléas extérieurs tant météorologiques, qu’humains. De ce fait, ils ont conscience du caractère temporaire de leurs travaux. Toutefois, ici encore, l’éphémérité de l’œuvre qui viendrait à être produite ne serait-ce que pour une journée, ne saurait contrevenir à sa protection. En ce sens le juge Tremblay-Lamer a retenu par exemple que « l’affichage à l’écran des parties importantes des formulaires CTMSP n’est pas éphémère »108, retenant ainsi que la temporalité d’une œuvre n’est pas prise en compte dans l’appréciation du critère de fixation, puisque le simple affichage sur un écran peut s’avérer relativement bref et ne faisant pas obstacle à une protection par le droit d’auteur.

Ainsi, peu importe l’éphémérité de la fixation due au choix du medium, du matériau utilisé ou de la durée d’apposition. L’œuvre est protégeable dès qu’elle dépasse le stade de la simple idée et qu’elle est matérialisée.

Toutefois bien que le critère de fixation ne soit pas une source de problème dans sa détermination, l’emplacement du support utilisé aux fins de cette dernière reste au cœur du débat. En effet, s’il advenait qu’une œuvre de « Street art » soit reconnue par la protection du droit d’auteur, elle octroierait pour l’auteur de cette dernière divers droits et

108 Ibid.

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notamment le droit à l’intégrité de son œuvre109. Dans le contexte du « Street art » qui est un art in situ110, c’est-à-dire qui trouve sa qualification dans l’emplacement de son apposition, cette intégrité de l’œuvre pourrait alors être interprétée en fonction de son lieu de fixation.

En effet, il appert que la fixation d’une œuvre de « Street art » réside, comme n’importe quelle œuvre, dans l’apposition de cette dernière sur un support matériel. Toutefois ce dernier à l’inverse d’œuvres plus classiques, se situe dans un ensemble urbain spécifique qui souvent résulte d’une recherche méthodique de l’auteur souhaitant apporter une signification supplémentaire à son œuvre, dépendamment du contexte qui l’entoure. De ce fait, il est possible de porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre soit en altérant son contenu, soit en altérant sa fixation.

Concernant l’atteinte à l’intégrité du contenu de l’œuvre, elle est facilement déterminable si le régime de protection du droit d’auteur venait à s’appliquer puisque la simple preuve d’une altération ou détérioration suffirait à justifier le caractère préjudiciable111. Néanmoins lorsqu’il s’agit de prouver une violation de l’intégrité de l’œuvre quant à sa fixation cela se complexifie, car le contenu de l’œuvre et donc l’œuvre en elle-même pourrait ne pas avoir été altérée112. C’est au travers des critères d’appréciations du préjudice que cela causerait à l’auteur que nous pouvons alors apporter une réponse. La jurisprudence reconnait en effet, tant le caractère subjectif qu’objectif d’un préjudice, permettant la prise

109 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20. 110 Peter BENGSTEN, Street art World, 2014, Lund : Almendros de Granada Press, p. 11 dans Ulrich BLANCHÉ, « Qu’est-ce que le Street art ? Essai et discussion des définitions », (2015), Cahiers de Narratologie, par. 13. 111 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 28(2)(3). 112 Sarah LYALL, « Borough Searches for Missing Boy, Last Seen on Wall », The Times, 28 février 2013. Sur l’arrachage d’une œuvre de Bansky, « Slave labor », du mur d’un magasin sans l’endommager. L’emplacement de cette œuvre prenait tout son sens du fait de son emplacement sur ce mur spécifique.

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en considération de facteurs tels que « les réactions provenant de l’entourage de l’auteur, les opinions du public ou des experts » 113. De ce fait, au vu de l’évolution de l’image du « Street art », il serait par exemple aisé d’invoquer les réactions d’une communauté pour justifier une atteinte à l’intégrité d’une œuvre, si celle-ci venait à être retirée de son emplacement de fixation114. Ce critère serait donc dans le cadre du « Street art », la dernière condition sine qua non de l’octroi d’une protection par le droit d’auteur, mais aussi un outil pour l’exercice des droits qu’il octroie.

Aussi, au vu des éléments du présent chapitre, nous sommes dorénavant en mesure d’affirmer que les œuvres de « Street art » sont, au même titre que toutes œuvres, susceptibles de protection si elles remplissent les critères exigés. Il reste néanmoins à déterminer si l’exercice des droits octroyés ne serait pas remis en question par l’illégalité de l’apposition, ce que nous verrons dans cette prochaine partie.

113 N. TAMARO, supra note 74, p. 723. 114 Voir en ce sens l’indignation face à l’arrachage de l’œuvre de Banksy sur la porte du Bataclan et l’affaire Snow c. The Eaton Centre Ltd, (1982), 70 CPR (2d) 105.

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III. Les bénéfices découlant de l’assujettissement des œuvres de « Street art » au régime du droit d’auteur

L’intérêt d’octroyer une telle protection pour les œuvres de « Street art » réside dans les prérogatives que le droit d’auteur confère aux titulaires d’œuvres originales et donc protégeables. En effet, une fois sous l’égide de ce régime le propriétaire d’une œuvre peut notamment s’opposer à toute utilisation non consentie de son art (A). Bénéficiant d’une présomption de titularité (B), l’auteur est également investi de droits économiques et moraux. Néanmoins, si de telles énonciations constituent la règle en théorie, qu’en est-il face aux œuvres de « Street art » illégales (C) ?

A. Les prérogatives dévolues aux street artistes

La protection d’une œuvre par le droit d’auteur fait naître deux types de prérogatives alors dévolues à l’auteur. En ce sens ce dernier sera investi, d’une part de droits dits économiques115 (1) et d’autre part, de droits dits moraux116 (2). Compte tenu de la potentielle apposition illégale de certaines œuvres de « Street art », l’auteur ne serait plus en possession de la maîtrise matérielle de l’œuvre, et ce au profit du propriétaire du support. En ce sens, il est primordial de distinguer ce que ces droits confèrent pour en mesurer, par la suite, les potentielles atténuations.

115 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 3. 116 Ibid., 14(1).

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1. Les droits économiques

Initialement présents à la création du droit d’auteur dans le Copyright Act117, les droits dits économiques ou patrimoniaux, sont généralement préférés aux droits moraux par le droit d’auteur canadien. Ce dernier privilégie en effet « l’exploitation économique de l’objet de la création » au maintien du statut de l’auteur en tant que tel118. Cette préférence peut se justifier par la reconnaissance plus tardive par le législateur des droits moraux119, mais surtout comme nous le rappellent les juges de l’affaire Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., par le fait que le législateur cherche à maintenir « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur »120.

Dans le cadre d’une œuvre, le « droit d’auteur s’entend du droit visé »121 à l’article 3(1) de la Loi sur le droit d’auteur. Par cet article le législateur introduit les prérogatives économiques que ce régime de protection octroie. Il énonce tout d’abord, dans son premier paragraphe, les droits patrimoniaux fondamentaux, puis les précises en en donnant des exemples dans les alinéas le succédant.

117 Copyright Act, 1709. 118 Pierre-Emmanuel MOYSE, « Droits moraux », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit des affaires », Propriété intellectuelle, fasc. 7, Montréal, LexisNexis Canada, à jour 20 août 2019, par. 68. 119 Ibid. par. 51. « Beaucoup s’entendent pour dire que la loi de 1931 n’a pas consacré une jurisprudence préexistante mais est plutôt le résultat direct de la ratification du texte de 1928 de la Convention de Berne. Avant cette date, l’existence du droit moral est incertaine » 120 Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc, [2002] 2 R.C.S. 336, 2002 CSC 34, par. 30, tel que cité dans Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 2019, Thomson Reuters, p. 279. 121 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 2.

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Nous retrouvons donc le droit exclusif de produire son œuvre, « c’est-à- dire de confectionner une version sous une forme matérielle quelconque »122; de reproduire, soit « d’en permettre une nouvelle production et d’en reprendre une partie substantielle sous la même forme ou sous une autre forme »123; de l’exécuter ou de la représenter visuellement en public et de la publier en partie ou totalité.

« [l]e droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, d’en exécuter ou d’en représenter la totalité ou une partie importante en public et, si l’œuvre n’est pas publiée, d’en publier la totalité ou une partie importante » [Nous soulignons]124.

Les alinéas suivants ne sont, quant à eux, que les illustrations de ces droits principaux comme nous l’expose d’ailleurs la juge dissidente Abella dans l’affaire Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc. : « [l]es droits dont la liste figure al. 3(1)a) à 3(1)j) sont des exemples de ces trois droits fondamentaux »125.

Enfin puisqu’ils ont avant tout un intérêt économique, ces droits sont cessibles par leur titulaire. Ce dernier peut en jouir comme bon lui semble et de ce fait les monnayer en suivant toutefois les conditions de formes exigées par la Loi sur le droit d’auteur126, ce qui, nous le verrons dans un prochain chapitre, pourrait avoir un impact sur la titularité des droits conférés à une œuvre de « Street art ».

122 N. TAMARO, supra note 74. 123 Ibid. 124 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 3. 125 Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., [2015] 3 R.C.S. 615, 2015 CarswellNat 6093, EYB 2015-259030, 2015 CSC 57, tel que cité dans Normand TAMARO, Loi sur le droit d’auteur, texte annoté, 2019, Thomson Reuters, p. 279. 126 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 13(4). « [L]a cession ou la concession n’est valable que si elle est rédigée par écrit et signée par le titulaire du droit qui en fait l’objet »

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Nous l’avons évoqué, les droits économiques ne sont pas les seuls à avoir été instaurés par la Loi sur le droit d’auteur. En effet cette dernière a, bien des années plus tard, été complétée par une construction législative menant à l’insertion des droits dits moraux127.

2. Les droits moraux

Alors que les droits d’auteur revêtent un caractère économique, les droits moraux, quant à eux, sont plutôt axés sur le caractère personnel de l’auteur. Ils viennent compléter ces droits128 mais accroissent le contrôle de l’auteur sur son œuvre, qui, même départi de certains droits économiques au profit d’un autre, serait toujours en mesure de lui opposer ses droits moraux129.

Selon l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur, ces droits moraux sont définis, pour les œuvres, à l’article 14.1(1) de la même Loi. Ainsi, « [l]’auteur d’une œuvre a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre »130, c’est-à-dire à ce qu’aucune action faite sur l’œuvre ne porte atteinte « d’une manière préjudiciable à l’honneur ou à la réputation »131 de ce dernier. En ce sens, la Haute Cour de justice de l’Ontario a par exemple, dans l’affaire Snow c. Eaton center Ltd.132, reconnu que le fait d’apposer des rubans décoratifs sur des statues que l’artiste Snow avait réalisées pour le centre commercial, constituait une atteinte à l’intégrité des œuvres, bien que le centre Eaton ait acheté lesdites statues. Aussi, « à l’égard de tout acte mentionné à l’article

127 P-E. MOYSE, supra note 115, par. 51. 128 Desputeaux c. Éditions Chouette (1987) inc, [2001] RJQ 945 (CA). 129 Les droits économiques étant cessibles individuellement. 130 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 14.1(1). 131 Ibid., art. 28.2(1). 132 Snow c. The Eaton Centre Ltd, supra note 111.

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3 »133, l’auteur possède « le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création »134. Le législateur reconnait de ce fait à l’auteur, un droit de paternité sur son œuvre, lui permettant, sauf renonciation de sa part, de toujours être rattaché à cette dernière. Il peut toutefois choisir de conserver son anonymat135.

Selon l’article 14.1(2) de la Loi sur le droit d’auteur, les droits moraux sont incessibles et sauf renonciation de l’auteur de l’œuvre, ils seront présumés détenus par ce dernier. Aussi, à la différence de la cession des droits économiques, la renonciation des droits moraux n’est pas contrainte par des conditions de forme et peut être effectuée, oralement ou tacitement.

La question de la renonciation tacite des droits moraux est essentielle quant à l’exercice des droits détenus par l’auteur d’une œuvre de street art. En effet, nous l’avons dit, les droits moraux sont intimement liés à la personne de l’auteur et ne recouvrent pas une vocation économique mais bien une vocation préservatrice de l’expression artistique des auteurs (respect de la génétique d’une œuvre). Face à une œuvre de street art illégale, il est légitime de s’interroger quant à l’exercice de ces droits moraux par leur titulaire. Un artiste peut-il valablement prétendre à une revendication globale de ces droits ? L’acceptation du risque de destruction de son œuvre du fait de son apposition non consentie, ne pourrait-elle pas être interprétée comme une forme de renonciation tacite de ces droits moraux ? En effet, il appert que l’ensemble des adeptes de cet art, soient au fait des conséquences que cette apposition illégale implique, continuant malgré tout de s’exprimer de la sorte. Les street-

133 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 14.1(1). 134 Ibid., art. 14(1) et art. 14.1(1). 135 Ibid., art. 14.1(1).

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artistes exerçant ainsi illégalement pourraient, de par la non prise en compte de ces risques, renoncer à l’exercice de leurs droits moraux et, de ce fait, n’interagir avec leur œuvre que par le biais de leurs droits économiques.

Il serait donc nécessaire, afin d’établir si toutes les œuvres de Street art (légales ou non) bénéficient d’une protection par le droit d’auteur, de clarifier les problématiques entourant la question de la titularité des droits, tant moraux, qu’économiques.

B. Les problématiques liées à la détermination de la titularité des droits en présence du « Street art » illégal

La titularité du droit d’auteur suit le régime de principe de l’article 13(1) de la Loi sur le droit d’auteur, considérant l’auteur de l’œuvre comme étant le titulaire du droit d’auteur136. Ce dernier est en effet, jusqu’à preuve du contraire, présumé être le détenteur tant des droits moraux que des droits économiques137 (1). Toutefois, encore faut-il qu’il n’ait pas cédé ou renoncé tacitement à ces droits, ce qui en matière de « Street art » illégal soulève certaines difficultés (2).

1. Régime de principe : Le droit d’auteur pour l’auteur

Le principe général énoncé par l’article 13(1) fait référence au fait que, « [l]’auteur d’une œuvre, c’est-à-dire le créateur responsable de sa concrétisation originaire, donc le véritable créateur, est le titulaire

136 Ibid., art. 13(1). « Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l’auteur d’une œuvre est le premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre ». 137 Ibid., art 34.1(1)b). « L’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur .

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originaire des droits pécuniaires sur l’œuvre »138. Ce principe est voué à s’appliquer à tous les auteurs, « sous réserve des autres dispositions de la présente loi », c’est-à-dire, lorsque l’œuvre de l’auteur répond aux critères d’admissibilités, évoquées dans les parties précédentes, mais aussi en l’absence de convention, contrat ou tout autre lien engageant l’auteur. Dans le cadre du « Street art » illégal, il est peu probable qu’un tel engagement soit survenu et de ce fait que l’auteur ait renoncé par écrit à certains, ou à la totalité, de ces droits d’auteur.

Dès lors le street-artiste semble donc être titulaire des droits rattachés à l’œuvre et ce, jusqu’à preuve du contraire.

Le législateur fédéral a toutefois cru bon de le rappeler dans la Loi sur le droit d’auteur, puisque, à l’inverse d’un régime de protection comme celui des brevets, aucune procédure n’est requise par l’auteur pour faire valoir les droits qui sont rattachés à son œuvre139. Ladite Loi fait en effet peser sur l’auteur, une présomption légale de propriété dans le cadre de toute procédure civile initiée en vertu de cette dernière140.

« Dans toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi où le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur : a) l’œuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur;

138 N. TAMARO, supra note 74, p. 445. 139 Voir en ce sens Bureau du droit d’auteur, « Loi sur le droit d’auteur », Bibliothèque Université Laval. En ligne : https://www.bda.ulaval.ca/notions-en-droit-dauteur/loi-sur-le-droit- dauteur/. 140 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art 34.1(1). « Dans toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi (…) ».

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b) l’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur ». [Nous soulignons]

Il est alors important de spécifier que le législateur, au sein de l’article 2847 du Code civil du Québec, distingue spécifiquement les présomptions simple et absolue au travers des termes « présumé » et « réputé »141. La première « peut être repoussée par une preuve contraire », tandis que la seconde ne peut se voir opposer aucune preuve142. Or il appert, à la lecture de l’article ci-dessus, que le législateur ait spécifiquement prévu une exception à la règle du Code civil, puisqu’il indique que la présomption de titularité des droits, bien que « réputé[e] », peut être renversée par une preuve contraire. Cette spécification n’allant pas en la faveur de l’auteur de « Street art » n’est toutefois pas un cas isolé. La jurisprudence143, notamment dans le cadre de l’article 1632 du Code civil du Québec144, a en effet déjà été amenée à conclure que l’utilisation du terme réputé n’entrainait pas toujours présomption irréfragable, dès lors que le législateur le spécifiait.

Ainsi, la personne souhaitant faire opposition à la titularité des droits liés à l’œuvre d’un auteur, ou tout simplement à l’existence même de ces droits, pourra alors aisément en rapporter la preuve contraire. Il faut néanmoins nuancer ce principe du fait que le droit d’auteur distingue

141 Code civil du Québec, supra note 43, art. 2847. « La présomption légale est celle qui est spécialement attachée par la loi à certains faits; elle dispense de toute autre preuve celui en faveur de qui elle existe. Celle qui concerne des faits présumés est simple et peut être repoussée par une preuve contraire; celle qui concerne des faits réputés est absolue et aucune preuve ne peut lui être opposée. » 142 Ibid. 143 Banque Nationale du Canada c. Sorrachi, JE 2000-527, [2000] JQ no 471 (CA), par. 57, tel que cité dans François GRONDIN et Patrick PLANTE, « Présomption », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Droit de la preuve, fasc. 7, Montréal, version étudiante 2019, p. 7-13. 144 Code civil du Québec, supra note 43, art. 1632.

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propriété matérielle et immatérielle, chacune comportant des droits propres et dissociables les uns des autres. En ce sens, s’opposer aux droits rattachés à la propriété matérielle n’entrainerait pas obligatoirement une remise en cause de ceux reliés à la propriété immatérielle.

Dans la recherche de titularité des droits reliés à une œuvre de « Street art », cette distinction prend alors toute son sens, puisque démontrer que nous sommes physiquement en possession de l’œuvre ne signifie pas obligatoirement que nous sommes titulaires des droits qu’elle suppose. Prenons pour exemple le propriétaire d’un support ayant servi à l’apposition illégale d’une œuvre. Ce dernier ne pourrait pas simplement faire valoir son titre de propriété, même antérieur à la création, pour renverser la présomption de propriété des droits économiques qui repose sur le street-artiste. En effet cela apporterait, tout au plus, la preuve d’une titularité matérielle du support de l’œuvre et non d’une titularité des droits d’auteur qui lui sont reliés. Puisque ces droits ne sont cessibles qu’à la condition d’être fait par un écrit émanant de l’auteur145, il devra donc être fait preuve de cette cession afin de contester les droits économiques de l’auteur.

Néanmoins, il n’est pas si certain que cela vienne à s’appliquer aux droits moraux rattachés à l’œuvre. En effet, à l’inverse des droits économiques, il n’est pas nécessaire pour l’auteur d’établir un écrit afin de renoncer à ces derniers146, ce qui, dans le cadre d’une procédure visant à renverser la présomption de propriété de ces droits, pourrait permettre à quiconque d’apporter la preuve que l’auteur y a tacitement ou oralement renoncé. L’illégalité de ce « Street art » semble alors contrevenir pour la première

145 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20. 146 Renonciation tacite ou orale possible.

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fois à sa protection, en ce sens que la connaissance du caractère illégal de cet art peut être interprétée comme une renonciation des auteurs à leurs droits moraux.

2. Régime d’exception : potentielle renonciation tacite liée à l’apposition illégale de l’œuvre

Nous ne cessons de le répéter, le droit d’auteur confère deux types de droits pour l’auteur de l’œuvre protégée : les droits économiques cessibles, et les droits moraux incessibles. Pour les premiers, une cession est juridiquement possible et valable, si elle est spécifiquement faite par écrit et signée par l’auteur147. Pour les deuxièmes, toute cession est impossible, et l’auteur peut simplement y renoncer « en tout ou en partie »148, indépendant ou non d’une cession de ces droits économiques.

En effet, la cession de ces droits, comme nous le rappelle le législateur, n’entraine pas automatiquement la renonciation aux droits moraux149. Par ailleurs, la Loi sur le droit d’auteur, à l’inverse de la cession, n’indique aucunement que la renonciation doit être faite par écrit. Il est donc théoriquement possible d’y procéder oralement ou même encore tacitement150. Cette distinction de formalité dans la transmission de ces différents droits peut surprendre, mais vient néanmoins s’inscrire dans la continuité du traitement du droit moral par le législateur canadien, qui a toujours favorisé l’aspect économique de l’objet de l’œuvre au détriment souvent du contrôle que pourrait avoir l’auteur151.

147 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art 13(4). 148 Ibid., art. 14.1(2). 149 Ibid., art. 14.1(3). 150 P-E. MOYSE, supra note 115, par. 66. 151 Ibid., par. 68.

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De ce fait, bien qu’il ait été démontré précédemment que l’auteur de « Street art » illégal est toujours titulaire de ces droits économiques sur l’œuvre, il appert que cela peut en être tout autrement lorsqu’il s’agit des droits moraux. Il est donc nécessaire à ce stade, de déterminer les éléments permettant d’établir si l’auteur y renonce tacitement du simple fait de la nature illégale de son art.

Qu’elle soit tacite ou orale, la renonciation n’en est pas moins un acte juridique menant à l’abandon d’un droit ou de son exercice152. À ce titre, il est donc indéniable qu’elle doit être faite selon les règles de droit commun, c’est-à-dire avec le consentement non équivoque, libre et éclairé153 de l’auteur. Nous pouvons dès lors supposer, au vu de ces règles de droit commun, qu’il serait très compliqué pour un auteur de donner son consentement de façon éclairée pour une renonciation totale de ses droits moraux. Effectivement, bien qu’ayant conscience de l’éphémérité et l’illégalité propre au « Street art » et de ce fait des conséquences que cela impliquerait potentiellement pour son œuvre, cela n’en reste pas moins théorique ! Il est en effet impossible pour l’auteur de renoncer entièrement à ces droits alors même qu’il ne peut avoir connaissance de toutes les potentielles futures atteintes154. Comment pourrait-il renoncer à exercer ses droits face à des atteintes dont il n’a pas encore connaissance, ou dont il ne soupçonne même pas l’existence ?

Tout comme Normand Tamaro, nous sommes d’avis que les tribunaux viendront certainement limiter les effets d’une telle renonciation totale,

152 Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues - Biens, Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2012, s.v. « renonciation ». En ligne : https://nimbus.mcgill.ca/pld-ddp/dictionary/search. 153 Code civil du Québec, supra note 43, art. 1399. 154 Le droit français condamne en ce sens, la renonciation des droits futurs.

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selon les circonstances155. De ce fait, il n’est pas possible de déterminer avec certitude si la connaissance des risques majeurs qu’impose le « Street art » est suffisant pour affirmer que le street-artiste renonce totalement à ces droits moraux. Toutefois, au vu du caractère illégal de cette pratique, nous sommes d’avis que les tribunaux, en cas de litige, seraient amenés à prendre en compte l’illégalité de l’apposition de l’œuvre et la connaissance du street artiste concernant les risques encourus, pour établir s’il y a eu ou non renonciation tacite de la part de ce dernier.

De ce fait, dans le cas d’une œuvre de « Street art », même apposée illégalement, il apparait que juridiquement, aucune cession ou renonciation de droits n’ait valablement été effectuée par l’auteur au profit du propriétaire du support ou de toute autre partie, et ce tant pour les droits d’auteur que moraux.

Ainsi, bien que l’auteur soit le titulaire des droits rattachés à l’œuvre, l’illégalité de son apposition n’en demeure pas moins problématique quant à l’exercice de ses droits.

C. L’illégalité du « Street art » : une potentielle entrave à l’exercice du droit d’auteur

Il est avant tout nécessaire de comprendre que les problématiques liées à l’illégalité en matière de « Street art » ne concernent pas le contenu de l’œuvre mais son apposition sur un support appartenant à autrui et ce, sans son consentement. Il est nécessaire ici de distinguer illicéité interne et externe. Ainsi pour les œuvres de « Street art », il est bien question d’illicéité externe puisque le contenu de l’œuvre n’enfreint aucune

155 N. TAMARO, supra note 74, p. 562.

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disposition législative. Bien entendu, il est possible qu’une œuvre au contenu contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public puisse soulever des problématiques d’ordre moral, mais la Loi sur le droit d’auteur156, à l’inverse du droit français157, ne fait aucune référence à une quelconque limitation de protection, du fait d’un contenu moralement litigieux. Ce « vide juridique » dans la Loi sur le droit d’auteur158, n’est toutefois pas dépourvu de sens, puisque sous l’égide de la Charte des droits et libertés de la personne159, rappelons-le ayant valeur constitutionnelle, le principe de liberté d’expression ne saurait être atténué par une simple mesure législative. De plus, en observant l’évolution du régime des brevets (rattaché au même titre que le droit d’auteur à la propriété intellectuelle), il nous est possible de constater que le législateur canadien s’est rapproché de la vision utilitariste américaine, plus encline à contenter l’innovation en fonction des avantages et désavantages qu’elle comporte, en abrogeant l’article 27(2) de la Loi sur les brevets160 et de ce fait, le caractère d’ordre public lors de l’établissement d’un tel régime de protection161. En ce sens, nous pouvons alors affirmer que, premièrement, si le législateur avait voulu inclure un tel caractère dans la loi sur le droit d’auteur, l’aurait expressément fait à l’image du régime des brevets. Deuxièmement, qu’en l’absence d’une telle précision, nous pouvons en

156 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20. 157 Voir en ce sens l’interprétation faite par Nathalie BLANC, « Art subversif et droit d’auteur », dans Géraldine GOFFAUX CALLEBAUT, Didier GUÉVEL et Jean-Baptiste SEUBE, Droit(s) et street art – De la transgression à l’artification, Édition Lextenso, 2016, p. 66, de l’arrêt TGI Paris, 13 octobre 2000, RIDA, jamv 2003, p 378, Comm com, électr 2002, n°10, comm 126, obs Ch Caron ; Adde CA Paris, 27 sept 2006, Légipresse 2007, III, p 84 et s, note B Gleize. 158 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20. 159 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 22. 160 Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4. En ligne : https://www.canlii.org/fr/ca/legis/lois/lrc-1985-c-p-4/derniere/lrc-1985-c-p- 4.html. 161 Maxence RIVOIRE et E. Richard GOLD, « Propriété intellectuelle, Cour suprême du Canada et droit civil », (2015), 60:3 McGill Law J, p. 417 En ligne : https://www.erudit.org/en/journals/mlj/2015-v60-n3- mlj02036/1032675ar.pdf.

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conclure que le contenu d’une œuvre de « Street art » devra suivre les règles que la liberté d’expression consacre, ce que nous n’aborderons pas plus dans cette recherche, puisque ce sujet mériterait un mémoire à lui seul. C’est alors dans l’apposition de l’œuvre que nous retrouverons les éventuelles limitations d’exercice du droit d’auteur.

Une fois encore en nous fondant sur une lecture à contrario de la Loi sur le droit d’auteur, il appert qu’il n’est nullement fait référence à la légalité afin de déterminer les œuvres qui pourraient être sujettes à une protection par le droit d’auteur ou non. Le caractère illégal de l’apposition ne semble ainsi pas être pris en compte par cette dernière, bien que visiblement problématique au moment d’exercer les droits rattachés à une œuvre.

Le « Street art » et les styles qu’il englobe, constituent lorsque pratiqués sans accord, une violation d’autres droits reconnus par le législateur, générant par conséquent des conflits tant dans l’application de ces derniers que dans leur exercice. Par exemple, le Code criminel sanctionne toute personne qui « volontairement (…) détruit ou détériore un bien » ou en « empêche, interrompt ou [en] gêne l’emploi, la jouissance (…) légitime »162, et s’oppose en ce sens à l’exercice du droit de paternité de l’auteur163. Ce dernier ne pourra en effet faire valoir son droit moral qu’à la condition de s’exposer à une sanction d’ordre pénal, ce qui pour les artistes les plus célèbres peut ne pas être un frein en raison de la valeur de leur œuvre, mais qui pour les moins reconnus pourrait vite devenir une source de dissuasion. L’illégalité viendrait donc ici limiter les possibilités d’exercice des droits de l’auteur.

162 Code criminel, supra note 46, art 430(1). 163 Loi sur le droit d’auteur, supra note 20, art. 14.1 (1). « (…) le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en revendiquer, même sous pseudonyme, la création (…) ».

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Il est aussi possible que ce caractère illégal génère des conflits dans l’application de plusieurs droits. En effet, lorsqu’il appose son œuvre sur le bien d’autrui, l’auteur commet non seulement un méfait selon le Code criminel, mais surtout porte atteinte aux droits reliés à la propriété privée de ce bien. Il est un principe fondamental de notre société moderne, qui consiste en l’inviolabilité de la demeure164 dans une jouissance paisible et libre de ses biens165. Or, si l’auteur d’une œuvre de « Street art » illégal se voit octroyer des droits afin de protéger cette dernière, ils entreront en conflit avec les droits du propriétaire.

Ainsi, afin de répondre à ces questionnements, nous nous devons de tenir compte des autres branches du droit impliquées malgré elles dans ce guêpier juridique. Le caractère illégal ne pose certes pas de problème pour la détermination d’une protection par le droit d’auteur mais rien n’est moins sûr lorsqu’il s’agit de les faire valoir.

164 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 22, art. 7. « La demeure est inviolable ». 165 Ibid., art. 6. « Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi ».

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Chapitre 2 La pratique : l’exercice d’une telle protection limitée par d’autres branches du droit

Nous l’avons vu précédemment, les œuvres de « Street art » sont protégées par le droit d’auteur et ce, peu importe leur éphémérité ou leur apposition illégale, ce dernier ne se bornant pas à de telles caractéristiques pour accorder une protection. Néanmoins, le droit d’auteur n’est pas le seul régime normatif concerné en l’espèce et il doit faire face à d’autres branches du droit venant mettre en péril l’exercice plénier des droits ainsi dévolus aux street artistes.

En ce sens, d’un côté le droit pénal et les règlements municipaux sanctionnent le caractère illégal de l’apposition (I). Tandis que d’un autre côté le droit des biens n’a de cesse de rappeler qu’une telle apposition constitue une atteinte aux droits rattachés à la propriété, qu’elle soit meuble ou immeuble, publique ou privée (II).

Nous allons donc successivement mettre en avant les différents conflits juridiques qui s’interposent face à l’exercice des droits d’auteur, en tentant de déterminer avec le plus de justesse possible, la légitimité d’une telle protection au vu du droit positif québécois.

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I. Vandalisme et « Street art » : du règlement municipal au droit pénal

Dès ses débuts, le graffiti s’est vu confronté à la réticence des mairies nord-américaines, quant à son existence. Synonyme de dégradation du paysage urbain, de nombreuses municipalités, à l’image de New-York ou Philadelphie, ont rapidement pris des mesures pour l’interdire166 et surtout entraver son expansion167(A). Corolaire de la notoriété naissante du « Street art », nous constatons toutefois un assouplissement progressif dans la gestion que les mairies font de cet art, ces dernières modifiant peu à peu le contenu répressif de leurs règlements respectifs. Le Code criminel quant à lui reste inflexible face à cette pratique artistique et c’est notamment par son biais que les opposants du « Street art » trouvent les moyens les plus efficients pour s’y opposer. Considéré comme de la dégradation et du vandalisme, le « Street-art » est en effet traité au même titre que le « méfait », par un droit pénal intransigeant, subissant de ce fait de lourdes sanctions168(B).

A. Les règlements municipaux

1. Évolution

Le graffiti et plus tardivement le « Street art », se sont développés par l’entremise de la jeunesse des grandes villes nord-américaines169. Ces dernières n’ont, à l’époque, pas entrevu le potentiel de cet art et ne l’ont

166 Voir en ce sens, Ville de Montréal, Ville de Montréal - Arrondissement de Verdun - Contrôle des nuisances. En ligne : http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8637,95835801&_dad=portal&_sche ma=PORTAL. 167 Voir en ce sens, Ville de San Francisco, San Francisco Public Works Code, art. 23. En ligne : https://sfpublicworks.org/graffiti. 168 Code criminel, supra note 46, art. 430. 169 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, sommaire.

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alors assimilé qu’à une appropriation illicite de l’espace urbain. Dès lors, cette appréhension du graffiti a immédiatement suscité de virulentes réactions de la part des mairies concernées et dès 1972, des politiques ultra-répressives ont commencé à poindre le jour, avec comme fer de lance la mairie de New-York, gouvernée à l’époque par John Lindsay170. Durant le mandat de ce dernier et celui de ses prédécesseurs, la ville de New-York a été amenée à octroyer plusieurs millions de dollars aux fins de destruction et d’effacement systématiques des graffitis qui jonchaient alors les murs de la métropole171. Les politiques de « tolérance zéro » se suivent, se ressemblent, mais s’essoufflent néanmoins chacune à leur tour, essuyant la même défaite à chaque nouvelle tentative. Des milliers de dollars disparaissent tandis que des milliers d’œuvres continuent d’apparaitre.

En 1995, le Maire Guiliani, renforce la croisade de New-York face au « Street art » et réussit enfin à le bouter hors des murs du cœur de l’île de Manhattan, mais à quel prix ? En effet, si nous faisons le compte des dépenses, nous observons qu’en 1972 la première politique mise en place, visant à l’effacement des graffitis, coûtait déjà 10 millions de dollars. Dix ans plus tard son coût était doublé, pour finalement s’élever à 52 millions par année entre 1984 à 1989172. Effacement systématique des œuvres sur les rames du métro ou encore installations de clôtures électriques, voilà où partaient tous ses moyens financiers qui, selon nous, ne semblent pas vraiment correspondre à l’image que l’on se fait d’une politique victorieuse.

170 Ibid., p. 13. 171 Ibid., p. 14. 172 Ibid., p. 14.

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De l’autre côté de la frontière, puisque l’apparition du problème et la gestion qui en résulte sont beaucoup plus tardives, l’on parvient à tirer des enseignements des erreurs du modèle américain et on s’organise au départ afin d’offrir des solutions alternatives pour éviter la récidive et amenuir les coûts d’effacement. Ainsi, bien qu’il soit possible d’observer, dès 1987, des démarches visant à limiter l’apparition d’œuvres de « Street art »173 dans la ville de Vancouver, cette dernière instaure en 1994 les premières mesures répressives canadiennes dans son règlement. Aussi surprenant que ce soit, ce dernier imposait d’ailleurs l’effacement des créations sous 60 jours et ce, à l’initiative des propriétaires (ce délai est aujourd’hui de 10 jours174).

D’autres villes du Canada, telles que Ottawa et Calgary suivront ce mouvement aux mesures coercitives et vont même aller jusqu’à interdire le « Street art » légal consenti par des propriétaires privés, si les œuvres apparaissent à la vue du public.

Article 19. « No person shall create or apply Graffiti on or to any (a) Premises, (b) Structure, or (c) Other property which is owned or occupied by another Person. Unless the Graffiti is not in public view and the Person who owns or occupies the Premises, Structure or other property to which the Graffiti has been created or applied has given prior written approval for the creation or application of the Graffiti. Every owner or occupier of a Premises shall ensure that Graffiti placed on their Premises is removed, painted over, or otherwise blocked from public view »175.

173 Mesures incitatives ou préventives. 174 City of Vancouver, Graffiti by-law no. 7343, art. 6. « Every owner or occupier of real property must remove from that real property any unsightly accumulation of graffiti within 10 days after the Director of Licenses and Inspections causes a notice to be served upon the owner or occupier requiring such removal ». En ligne : https://bylaws.vancouver.ca/7343c.PDF. 175 Maire de Calgary, by-law no. 5M2004, Being a bylaw of the city of Calgary to regulate neighbourhood nuisance, safety and liveability issues.

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Le Québec suivra rapidement la tendance canadienne plus répressive et des villes comme Montréal ou Sherbrooke adopteront également des politiques de proscription et d’effacement systématique, dès 1996176. Seule la ville de Québec semble conserver, à cette époque, sa propre direction telle qu’établie depuis 1991. Plus souple et déployant bien moins de moyens pour la destruction des œuvres que ses consœurs, elle semble moins impactée par les problématiques qui entourent cet art. Ainsi en 1996, alors que la majorité des municipalités québécoises étaient à leur stade répressif, Québec faisait quant à elle installer sa « graff-zone » sur les piliers Dufferin-Montmorency177.

Ce n’est qu’en 2003 que la ville se dote d’une politique plus répressive, recensant une à une les créations apposées sur les murs de la ville et adaptant la sanction en fonction du nombre d’œuvres que l’auteur aurait supposément apposé. La ville traque les street artistes les plus actifs qui peuvent, selon le nombre d’œuvres réalisées et la gravité des atteintes, écoper d’une simple amende (entre 100 et 3000 dollars) ou faire face à des poursuites judiciaires178.

À l’image de Montréal179, ces plans de gestion instaurés dans le milieu des années 90 demeureront, jusqu’à notre époque, la ligne de conduite des municipalités québécoises en matière de sanction. Dès lors, comment

En ligne : https://www.calgary.ca/_layouts/cocis/DirectDownload.aspx?target=http%3a%2f%2f www.calgary.ca%2fCA%2fcity-clerks%2fDocuments%2fLegislative- services%2fBylaws%2f5M2004-CommunityStandards.pdf&noredirect=1&sf=1. 176 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61. 177 Alexandre OLLIVE, Graffitis et graffiteurs dans la ville pratiques spatiales des graffiteurs de Québec et marquage symbolique de l'espace urbain, mémoire de maîtrise, Québec, Faculté des études supérieures, Université Laval, 2006, p. 57. 178 Ibid., p. 60. 179 Voir en ce sens, Ville de Montréal, « Unité graffiti | Banque d’information 311 ». En ligne : http://www1.ville.montreal.qc.ca/banque311/content/unit%C3%A9-graffiti.

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s’articulent les sanctions introduites par ces plans de gestion du « Street art » ?

2. Les sanctions municipales au Québec

Sanctionner la pratique du « Street art » illégal est un élément qui fédère les mairies du Québec. Que nous soyons à Montréal, Sherbrooke ou encore dans la capitale nationale, toutes ont été amenées à introduire dans leurs règlements respectifs des articles visant à interdire le « Street art » illégal. Toutefois, le degré de sévérité peut varier en fonction des municipalités ou arrondissements (a), de la nature des biens touchés (b), ou encore de la technique utilisée (c), complexifiant la compréhension qui doit être faite de ce qui est prohibé ou non.

a. L’imprécision des règlements municipaux menant à une appréciation incertaine des styles urbains sanctionnés

Nous l’avons constaté dans le chapitre précédant, l’utilisation des termes adéquats est primordiale lorsqu’il s’agit du traitement juridique du « Street art ». Or, à la lecture des divers règlements municipaux des grandes villes du Québec, force est de constater que des flous terminologiques persistent. À titre d’exemple, nous mettons en lumière deux articles de règlements instaurés dans deux arrondissements de la métropole de Montréal.

D’un côté, le Règlement sur la propreté des terrains privés, applicable à l’arrondissement du Plateau Mont-Royal, interdit en son article 3 les « graffitis » et les « tag » lorsqu’apposés sans consentement du propriétaire privé :

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« Il est interdit de tracer des graffitis ou des tags sur un bâtiment situé sur un terrain privé sauf dans le cas de murales ou dessins autorisés par le propriétaire du bâtiment, ou par l’arrondissement conformément à la réglementation en vigueur »180.

Tandis que d’un autre, dans l’arrondissement de Verdun, le Règlement interdisant les graffitis et exigeant que toute propriété soit gardée exempte de graffiti proscrit toutes techniques se rattachant au graffiti et ce, alors même que le propriétaire serait consentant!

« Constitue une nuisance et est prohibé pour une personne, le fait : 1° d’écrire, de dessiner, d’apposer, de marquer, de graver ou de tracer des graffitis sur tout immeuble; 2° de laisser ou de permettre que soit laissé sur son immeuble, des graffitis »181.

Les deux arrondissements s’accordent donc sur le fait qu’il faille interdire le graffiti, mais semblent suivre des voies différentes lorsqu’il s’agit de définir le champ d’application des styles prohibés ou la prise en compte du choix du propriétaire.

La première sanctionne en effet les « graffitis » et les « tags » sans réellement poser d’autres limites. Il n’est donc pas aisé de déterminer ce qu’elle entend par ces termes, laissant planer le doute quant aux œuvres de street art. Sont-elles autorisées ou doit-on comprendre au travers de l’utilisation de ces deux termes, qu’il ne s’agit que d’exemples illustrant une interdiction plus globale du « Street art »? «

180 Plateau Mont-Royal, Mairie de Montréal, Règlement sur la propreté des terrains privés, art. 3. 181 Arrondissent De Verdun, Mairie de Montréal, Règlement interdisant les graffitis et exigeant que toute propriété soit gardée exempte de graffiti, art. 3.

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La seconde quant à elle va procéder par une énumération de certaines techniques d’apposition utilisées par le graffiti, sans pour autant les définir toutes ou faire référence aux autres styles qui se rattachent généralement à ce dernier. Une fois encore, il est difficile d’interpréter l’utilisation limitée de ces termes.

Notre opinion est que ces utilisations ambigües des termes rattachés au « Street art », doivent être interprétées corrélativement à l’importance donnée au consentement du propriétaire. Dans le règlement du plateau Mont-Royal, nous constatons que l’interdiction se cantonne à deux styles, mais qu’ils peuvent néanmoins être légitimés, si consentis par le propriétaire. La municipalité ne cherche alors pas à interdire la pratique dans son ensemble, mais plutôt à la maîtriser, permettant d’interpréter l’utilisation des deux termes au sens propre, soit au graffiti et au tag, excluant les œuvres de street art.

À l’inverse dans le règlement de Verdun, la municipalité détaille des techniques d’apposition et non des styles, tout en interdisant spécifiquement les propriétaires à consentir à l’apposition de telles œuvres sur leur propriété privée. La mairie expose donc de façon suffisamment précise qu’elle s’oppose à toute forme de « Street art ». Les termes utilisés ne permettant pas une appréciation large de ce qui peut être autorisé, mais plutôt de ce qui ne peut pas l’être.

Il est donc important d’identifier les objectifs d’une municipalité afin de comprendre ce qu’elle sanctionne, certaines étant plus enclines au développement maîtrisé de la pratique, tandis que d’autres s’y opposeront dans toutes ses formes. Ces objectifs ne sont toutefois pas les seuls éléments à prendre en compte lorsqu’il s’agit de sanction et d’autres facteurs entrent en compte au moment d’en définir les contours.

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b. Propriétaire privé et public : l’importance du choix du support/ La prise en compte du matériau de l’œuvre lors du choix de la sanction

Lorsqu’une œuvre est apposée sur un bien privé ou public, il est possible de constater deux gestions d’effacement diamétralement opposées. Dans des villes comme Sherbrooke182, ou l’arrondissement de Verdun183, il est imposé aux propriétaires de faire effacer les œuvres ou de faire en sorte qu’elles soient enlevées lorsque le directeur des services le requiert. Le problème est toutefois que les frais de nettoyage sont ou peuvent être à la charge du propriétaire. Ce dernier est alors doublement sanctionné pour la faute d’autrui, subissant tant l’apposition sans son consentement d’une œuvre sur sa propriété, que le fait de devoir la faire nettoyer à ses frais. Cette sanction du propriétaire a alors, selon nous, un effet positif pour les politiques anti « Street art », puisqu’ainsi sanctionné le propriétaire sera plus enclin à prendre des mesures visant à limiter cette pratique et ne plus en faire les frais à ses dépens. Cela vient toutefois encore alourdir les tensions qui gravitent autour de cet art.

À l’inverse, nous observons dans des municipalités comme la ville de Québec, et pour les œuvres apposées sur des biens publics que l’effacement est à la charge de la ville. Cette dernière fait en effet appel à des entreprises privées de nettoyage ou aux street artistes eux-mêmes lorsqu’ils se font interpeler. L’objectif est alors ici de sensibiliser les adeptes du « Street art », en leur faisant prendre conscience de l’impact négatif de leur travail si exécuté sans consentement.

182 Voir en ce sens, Ville de Sherbrooke, « Tags et graffitis ». « [R]esponsable de faire disparaître les tags et les graffitis illégaux de [sa] propriété ». En ligne : https://www.sherbrooke.ca/fr/culture-sports-et-loisirs/art-culture-et- patrimoine/tags-et-graffitis. 183 Arrondissement de Verdun, supra note 178, art. 11. « Le Directeur peut, en cas de défaut du propriétaire de se conformer à l’article 3, en plus de tout autre recours prévu par la loi, faire ou faire faire aux frais du propriétaire, toute chose que le présent règlement lui impose de faire en rapport avec cet immeuble ».

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La distinction entre bien privé et public ne semble toutefois pas avoir d’impact dans l’établissement de la sanction, du moins au stade des sanctions municipales. Par exemple, à la lecture du Règlement sur la propreté des terrains privés184 et du Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain185 de l’arrondissement du plateau Mont-Royal, nous avons constaté que les amendes encourues sont similaires que ce soit apposé sur un bien public ou privé. D’autres éléments déterminent alors la sévérité de la sanction qui peut résider par exemple dans la récidive du street artiste interpelé. Depuis 2011186 dans l’arrondissement de plateau Mont-Royal, l’amende peut aller pour une première infraction de 1000 à 2000 dollars, pour une première récidive de 2000 à 3000 dollars et enfin pour toute récidive additionnelle de 3000 à 5000 dollars (Il est à noter que ces amendes s’inscrivent parmi les plus élevées au Québec). « Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain »

Enfin, la nature des inscriptions est aussi un élément à prendre en compte pour l’établissement de la sanction. En effet, des inscriptions dites « légères », moins permanentes (affiches, craie, ...), seront traitées par les municipalités et leurs nombreux règlements municipaux existants,

184 Mairie de Montréal, supra note 177, art. 11. « Quiconque contrevient à l’article 3 du présent règlement commet une infraction et est passible : a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000 à 2 000 $; b) pour une première récidive, d’une amende de 2 000 à 3 000; c) pour toute récidive additionnelle, d’une amende de 3 000 à 5 000 ». 185 Plateau Mont-Royal, Mairie de Montréal, Règlement sur la propreté et sur la protection du domaine public et du mobilier urbain, art. 29.1. « Quiconque contrevient à l’article 7 et au paragraphe 3˚ de l’article 21 du présent règlement commet une infraction et est passible : a) pour une première infraction, d’une amende de 1 000$ à 2 000$; b) pour une première récidive, d’une amende de 2 000$ à 3 000$; c) pour toute récidive additionnelle, d’une amende de 3 000$ à 5 000$ ». 186 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61, p. 26. Avant 2011, les auteurs d’œuvres illégalement apposées étaient « passibles d’une amende de 100 $ à 300 $ s’il s’agit d’une première infraction, jusqu’à 500 $ dans le cas d’une première récidive, et jusqu’à 1 000 $ pour toute récidive additionnelle ».

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tandis que les inscriptions dites « lourdes », ayant un caractère plus permanent (peintures, gravures, …), seront sanctionnées au niveau du droit criminel au travers du méfait187. Les règlements municipaux ne sont donc pas seuls à entrer en conflit avec le « Street art » illégale et semble alors simplement constituer la première barrière limitant l’exercice du droit d’auteur, en ce sens qu’une exposition à des amendes pouvant s’élever jusqu’à 5000 dollars peut rapidement devenir un motif de réflexion même pour les auteurs de « Street art » les plus téméraires.

B. Le Code criminel

Les sanctions établies par l’entremise des règlements municipaux ne sont que la première étape des recours envisageables pour limiter la pratique du « Street art » illégal. En effet, en complément de ces recours, existent des sanctions criminelles venant à s’appliquer lorsque l’apposition d’une œuvre illégale génère des préjudices plus importants. Au sein des sanctions reconnues par le droit criminel, plusieurs éléments sont à prendre en compte afin de déterminer la sévérité de ces dernières. Néanmoins, tout comme pour les règlements municipaux, nous nous interrogerons sur l’opposabilité des dispositions du Code criminel face à l’exercice de celles du droit d’auteur.

Ainsi, lorsque l’inscription est dite « lourde », comme nous l’avons vu précédemment, c’est-à-dire établie à l’aide de moyens plus permanents (peinture, gravure, …) et de ce fait générant des coûts d’effacement plus conséquents, l’article 430 du Code criminel vient souvent à s’appliquer188.

187 Nicole ROBUCHON, « Graffitis: le temporel et l’interprétation des lois », HuffPost Québec, 30 mai 2015. En ligne : https://quebec.huffingtonpost.ca/nicole-robuchon/graffiti-montreal-lois- amendes-legislation-arrondissement-art-public-_b_7436858.html?guccounter=1. 188 Code criminel, supra note 46, art. 430.

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Article 430(1) : « Commet un méfait quiconque volontairement, selon le cas : a) détruit ou détériore un bien; b) rend un bien dangereux, inutile, inopérant ou inefficace; c) empêche, interrompt ou gêne l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien; d) empêche, interrompt ou gêne une personne dans l’emploi, la jouissance ou l’exploitation légitime d’un bien ».

À la lecture de cet article il appert qu’à la lumière du droit criminel, l’apposition illégale d’une œuvre de « Street art » est caractérisée de méfait, car « détériorant » un bien et s’opposant en ce sens à la jouissance et l’exploitation paisible dudit bien. Néanmoins, notons qu’à ce stade on requiert la preuve préalable de la permanence de l’inscription, et qu’elle a eue pour « effet de détériorer et/ou rendre moins apte à sa destination première l’usage ou la valeur du bien »189. Si cela est établi, l’œuvre de « Street art » n’est alors plus du simple vandalisme et est dès lors traitée au même titre qu’un méfait. Le glissement vers un acte criminel de cette apposition illicite est lourd de conséquences190, puisqu’elle peut conduire à une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 10 ans en théorie191, alors que les sanctions municipales ne peuvent quant à elles qu’être pécuniaires. Il est donc encore une fois essentiel de rappeler l’importance de distinguer les différentes créations comprises sous l’appellation « Street art », au vu de l’impact majeur que cela aura sur leur traitement juridique. Cette peine maximale prévue par le Code criminel est cependant à nuancer avec divers éléments ayant une

189 G. BELLAVANCE, D. LATOUCHE et INRS-Urbanisation, supra note 61. 190 Code criminel, supra note 46, art. 430(2). Cet article prévoit une peine d’emprisonnement à perpétuité dans les cas où le méfait causerait « un danger réel pour la vie des gens », toutefois dans le cadre du « Street art », nous supposons qu’il est difficilement concevable que l’apposition d’une œuvre puisse causer un danger pour la vie d’une personne. 191 Code criminel, supra note 46, art. 430(3).

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influence considérable sur la sévérité de la sanction. Ainsi, le lieu d’apposition ou encore l’importance du préjudice causé seront tant de facteurs permettant de déterminer la sanction la plus adaptée à chaque situation donnée.

De ce fait, les articles 430 et suivants du Code criminel distinguent les inscriptions faites sur des biens spécifiques, prenant en compte tant la valeur de ces derniers que leur signification sociale. Ainsi, la sanction variera relativement à la valeur du bien que celle-ci soit supérieure ou inférieure à 5000 dollars192. En effet, alors que les œuvres apposées sur un « bien qui constitue un titre testamentaire ou dont la valeur dépasse cinq mille dollars » seront sanctionnées d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement193, celles faites sur un autre type de bien que ceux cités ci-dessus n’entraineront qu’une peine maximale de deux ans194.

Toutefois, il serait aussi possible de voir la peine alourdie lorsque l’apposition de l’œuvre ayant conduit au méfait a été réalisée sur des biens religieux, ou publics utilisés par un groupe identifiable195, commémoratifs196 ou culturels197. En effet, si l’apposition est « motivé[e] par des préjugés ou de la haine fondés sur la couleur, la race, la religion, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre ou la déficience mentale ou physique » et qu’elle est établie sur un des biens visés aux alinéas de l’article 430(4.101)a) à d)198, elle sera sujette à une peine pouvant aussi aller

192 Ibid., art 430(3) et 430(4). 193 Ibid., art. 430(3). 194 Ibid., art. 430(4). 195 Ibid., art 430(4.1). 196 Ibid., art 430(4.11). 197 Ibid., art 430(4.2). 198 Ibid., art. 430(4.101)a) à d).

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jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Cette sanction est toutefois à nuancer car en pratique elle ne semble pas souvent appliquée199. Les alinéas susvisés font notamment référence aux biens meubles et immeubles « servant principalement au culte religieux »200 ou utilisés par « un groupe identifiable » (établissement d’enseignement201, structures utilisées pour des activités ou événements à caractère administratif, social, culturel ou sportif202 ou encore comme résidence pour personnes âgées203).

Aussi, la sanction sera alors similaire pour « [q]uiconque commet un méfait à l’égard d’un bien culturel au sens de l’article premier de la Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, conclu à La Haye le 14 mai 1954 ».

199 Voir en ce sens : R. v. Lelas, 58 C.C.C. (3d) 568. Alors que l'accusé avait inscrit des insultes antisémites sur une école juive et une synagogue, il n’a écopé que d’une peine d’un an d’emprisonnement. R. v. Creagham C.A. Alberta (1991) AJ 560. Ici encore alors qu’il s’agissait de graffitis haineux contre la communauté juive et apposés sur une église, ils n’ont été condamnés qu’au remboursement des dommages (1000 dollars) et à 200 heures de travaux communautaires. 200 Code criminel, supra note 46., « a) de tout ou partie d’un bâtiment ou d’une structure servant principalement au culte religieux — notamment une église, une mosquée, une synagogue ou un temple —, d’un objet lié au culte religieux se trouvant dans un tel bâtiment ou une telle structure ou sur le terrain où ceux-ci sont érigés, ou d’un cimetière ». 201 Ibid., « b) de tout ou partie d’un bâtiment ou d’une structure, utilisés principalement par un groupe identifiable, au sens du paragraphe 318(4), comme établissement d’enseignement — notamment une école, une garderie, un collège ou une université — , ou d’un objet lié à un établissement d’enseignement se trouvant dans un tel bâtiment ou une telle structure ou sur le terrain où ceux-ci sont érigés ». 202 Ibid., « c) de tout ou partie d’un bâtiment ou d’une structure servant principalement à la tenue, par un groupe identifiable au sens du paragraphe 318(4), d’activités ou d’événements à caractère administratif, social, culturel ou sportif — notamment un hôtel de ville, un centre communautaire, un terrain de jeu ou un aréna —, ou d’un objet lié à une telle activité ou un tel événement se trouvant dans un tel bâtiment ou une telle structure ou sur le terrain où ceux-ci sont érigés ». 203 Ibid., « d) de tout ou partie d’un bâtiment ou d’une structure, utilisés principalement par un groupe identifiable, au sens du paragraphe 318(4), comme résidence pour personnes âgées ou d’un objet lié à une telle résidence se trouvant dans un tel bâtiment ou une telle structure ou sur le terrain où ceux-ci sont érigés ».

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Enfin, bien que la peine maximale soit également similaire pour les œuvres inscrites sur un bien meuble ou immeuble érigé « en l’honneur des personnes tuées ou décédées en raison d’une guerre »204 (monument commémoratif de guerre, cénotaphe ou cimetière), le législateur prévoit ici spécifiquement, des peines minimales dépendamment du nombre d’infractions commises par l’auteur205.

Bien qu’ici deux lois semblent s’opposer, il appert, à la lecture de ces dernières, qu’elles n’entrent pas réellement en conflit. Il est en effet important de distinguer les deux types de sanctions que le Code criminel prévoit afin de mieux comprendre l’interaction qui mènerait à une opposition entre ce dernier et le droit d’auteur. Ainsi, d’un côté nous retrouvons les sanctions dites pécuniaires et de l’autre les sanctions dites privatrices de libertés.

Les premières n’ont pas pour finalité de limiter l’exercice de droits d’auteur, elles sont certes un frein à la pratique du « Street art », en ce sens qu’elles font assurément réfléchir les artistes lorsqu’il s’agit d’apposer illégalement une œuvre, mais elles n’ont pas pour objectif de la faire effacer ou détruire et en ce sens, ne génèrent pas de conflit.

Les secondes quant à elles sont certes privatrices de droits, mais uniquement sur la personne de l’auteur et non sur les droits rattachés à

204 Ibid., art. 430 (11). 205 Ibid., a) « que l’infraction soit poursuivie par mise en accusation ou par procédure sommaire, des peines minimales suivantes : (i) pour la première infraction, une amende minimale de mille dollars, (ii) pour la seconde infraction, un emprisonnement minimal de quatorze jours, (iii) pour chaque infraction subséquente, un emprisonnement minimal de trente jours ».

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la protection de l’œuvre. À la lecture des articles 430 et suivants du Code criminel, il n’est en effet fait référence qu’à des peines d’emprisonnement.

De ce fait, à l’inverse des dispositions de certains règlements municipaux visant à l’effacement des œuvres de « Street art », le Code criminel vient dissuader tout au plus la pratique illégale de cet art, mais ne prévoit en aucun cas l’atteinte ou la limitation de l’exercice du droit d’auteur, ne générant donc aucun conflit avec ce dernier. L’auteur pourra donc faire valoir ses droits sur l’œuvre, mais au risque d’être sanctionné par le droit criminel qui n’est d’ailleurs pas le seul à s’opposer à la pratique du « Street art », les propriétaires fonciers rappelant fréquemment qu’en plus de constituer en un méfait, il s’agit d’une atteinte intolérable à leur droit de propriété privée.

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II. La ferme opposition du droit des biens : la propriété privée

À la différence du droit criminel de compétence fédérale, la loi constitutionnelle de 1867, introduit le principe selon lequel les législations provinciales ont compétence exclusive en matière de droit de propriété. De ce fait chaque province est libre de déterminer les pouvoirs que confère la propriété privée.

Au Québec ce droit correspond à « l’ensemble des droits juridiques dont jouissent les individus à l’égard des choses et des obligations qu’autrui leur doit et que l’État garantit et protège »206. Ces droits permettent ainsi, l’utilisation, la jouissance et l’aliénation de la propriété privée de façon quasi absolue, dans la limite des usages conforme à la législation207 (A). Le propriétaire d’un bien peut donc faire valoir ses droits en cas de violation et normalement s’opposer à tout empiétement fait sur son bien, toutefois rien n’est moins sûr lorsque le « Street art » entre en jeu (B).

A. L’appréciation des attributs reliés au droit de propriété : outil essentiel à la compréhension du conflit avec le droit d’auteur

« Parmi l’ensemble des rapports qu’une personne entretient avec les biens, la propriété demeure le plus complet. Elle consacre le propriétaire maître de la chose objet de son droit. Cette maîtrise lui permet de bénéficier de l’ensemble des avantages qu’est susceptible d’offrir un bien. Ce droit se distingue des autres droits réels par son caractère absolu, exclusif et perpétuel. Le propriétaire a le « plein pouvoir sur la

206 Gordon BALE et John E.c. BRIERLEY, « Droit des biens », (7 février 2006), Encyclopédie Canadienne, à jour au 5 mars 2014. En ligne : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/droit-des-biens. 207 Supra note 32.

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chose » (pleina in re potestas) comme l’a exprimé le droit romain » [Nous soulignons]208.

Comme nous le rappelle ici, le professeur Sylvio Normand, le droit de propriété est un principe fondamental de notre société. D’abord consacré par le Code civil du Bas-Canada209 à l’article 406, il était alors un droit absolu allant quasiment uniquement dans le sens du propriétaire210 et rédigé de la façon suivante : « [l]a propriété est le droit de jouir des choses de la manière la plus absolue pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements »211. Cette définition a ensuite évolué avec l’arrivée du Code civil du Québec, qui la réintroduit dans son article 947212 ne faisant désormais plus référence au terme « absolue ». Ce dernier définit la propriété comme étant « le droit d’user, de jouir et de disposer librement et complètement d’un bien »213. Par ailleurs, le législateur québécois persiste à maintenir une limitation du caractère absolu de la propriété et complète sa nouvelle définition en conservant les bornes légales déjà prévues dans le Code du Bas-Canada. L’article 947 se termine alors avec la phrase suivante, « sous réserve des limites et des conditions fixées par la loi »214.

En 1975 ce principe est consacré au rang de droit fondamental par la Charte des droits et libertés de la personne215 (loi à valeur quasi- constitutionnelle) en son article 6, cependant ici encore, le législateur

208 Sylvio NORMAND, Introduction au droit des biens, 2è éd., coll. « Manuel de l'étudiant », Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 83. 209 Code civil du Bas-Canada. En ligne : https://www.canlii.org/fr/qc/legis/lois/ccbc/derniere/ccbc.html. 210 Louis PERRET, « L’évolution du Code civil du Bas-Canada ou d’une codification à l’autre : réflexion sur le Code civil et son effet de codification », (1989), 20:4 Revue Générale Droit, p. 724. 211 Supra note 210, art. 406. 212 Code civil du Québec, supra note 43, art. 947. 213 Ibid. 214 Ibid. 215 Charte des droits et libertés de la personne, supra note 22.

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québécois conservera la direction prise par le Code civil du Québec, à savoir que le droit de propriété est un droit fondamental certes, mais qui peut être limité : « [t]oute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi »216. En ce sens il est possible de voir dans des affaires comme Droit de la famille - 172129, que les droits reliés à la propriété peuvent être atténués par d’autres dispositions incombant aussi au propriétaire. En l’espèce ladite propriétaire de par ses obligations de curatrice, s’est vu limiter l’accès à son bien dans certains cas217. Toutefois, comment se traduisent concrètement ses limitations sur les prérogatives conférées par le droit de propriété ?

Ce dernier octroie quatre attributs au propriétaire, le droit d’user, de jouir, de disposer et d’accession. En théorie, ces droits peuvent être exercés de façon absolue par leur titulaire, toutefois en pratique nous venons de le voir, la loi peut intervenir pour les limiter.

Premièrement, le droit d’user (l’usus) permet au propriétaire d’un bien de l’utiliser et de s’en servir comme bon lui semble. Il peut alors, au travers de cette prérogative, déterminer la destination de son bien ou l’usage qu’il souhaite en faire, l’imposant par là même à toute personne dès lors qu’il n’y a pas intention de nuire à autrui. Ainsi, lorsqu’une œuvre de « Street art » est apposée sur un bien, cela ne viendrait porter atteinte à ce droit que d’en l’éventualité où l’apposition, soit modifierait la destination du bien, soit en entraverait l’usage, ce qui apparait difficilement concevable. En effet, à moins que l’œuvre ne soit exprimée en trois dimensions, le

216 Ibid. 217 Droit de la famille — 172129, 2017 QCCS 4133, SOQUIJ AZ-51425486 dans David HABIB, "Le droit de propriété, un droit absolu ?", (5 octobre 2017), Civil général, Famille et personnes, SOQUIJ. En ligne : https://blogue.soquij.qc.ca/2017/10/05/droit-de-propriete-droit-absolu/.

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propriétaire serait toujours en mesure d’user de son bien et d’en conserver la destination. Dès lors, nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’il est compliqué pour un propriétaire de nuire aux droits de l’auteur au travers de son droit d’usus.

Deuxièmement, le droit de jouir (fructus) est la prérogative qui permet à son titulaire de bénéficier des revenus que le bien génère218, lui permettant par exemple de s’opposer à la reproduction de l’image de son bien dans certains cas219. Ainsi, dans l’éventualité où une œuvre est apposée illégalement sur un bien qui n’appartient pas au street artiste, le titulaire du fructus (propriétaire du support sur lequel s’inscrit l’œuvre dans notre hypothèse), est-il en droit de bénéficier des revenus générés par le bien ceci incluant les profits pouvant provenir de l’œuvre ? Pour y répondre, il faudrait préalablement déterminer si la juxtaposition de l’œuvre sur un bien préexistant mène à son incorporation dans ledit bien ou s’ils demeurent deux entités distinctes : le bien originel et le bien émanant de l’œuvre, ce que nous développerons dans la suite de nos propos.

Pour revenir à l’articulation du fructus et du droit d’auteur, nous supposons que le droit de jouir peut-être une source de limitation de l’exercice du droit d’auteur, en ce sens que le propriétaire pourrait s’opposer à la reproduction de l’image de son bien sous certaines conditions. En France avant 2004, cette opposition pouvait être justifiée

218 Code civil du Québec, supra note 43, art. 910. 219 Comité régional de tourisme de Bretagne c. Kerguezec, Cour d'appel de Paris, 7ème chambre, 12 avril 1995 (J.C.P. 1997-22806, 19 mars 1997, p. 131) et Élise Charpentier, "Entre droits de la personnalité et droit de propriété : cadre juridique pour l'image des choses ?", (2009) 43 R.J.T. 531-558 dans Sylvio NORMAND, Introduction au droit des biens, 2è éd., coll. « Manuel de l’étudiant », Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 90.

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avec la simple utilisation commerciale220 de l’image du bien lorsque le propriétaire n’y avait pas consenti221. Toutefois, depuis un revirement jurisprudentiel de la Cour de cassation222, le propriétaire, pour s’opposer à l’utilisation de l’image de son bien, doit maintenant démontrer un trouble anormal223. Ce principe consacré par la jurisprudence française pourrait néanmoins s’appliquer en droit civil québécois, puisque très similaire à législation française. De ce fait, dès lors que l’auteur d’une œuvre de « Street art » souhaiterait commercialiser l’image de l’ensemble dans lequel son œuvre se situe, il pourrait se voir opposer le droit de jouir du propriétaire de l’immeuble si cela venait à générer des troubles anormaux224, limitant par la même l’exercice de ses propres droits. En effet, rappelons-le, l’auteur n’a de droit que sur l’image de son œuvre et non sur l’ensemble dans le lequel il s’inscrit. Aussi dans la situation

220 François CORONE, « De l’image d’une propriété à la propriété de l’image d’un bien », (1995), Legicom, p. 36‑40. En ligne : https://www.cairn.info/revue-legicom-1995-4-page-36.htm. 221 Voir en ce sens Comité régional de tourisme de Bretagne c. Kerguezec, Cour d'appel de Paris, 7ème chambre, 12 avril 1995 (J.C.P. 1997-22806, 19 mars 1997, p. 131). 222 Cour de Cassation, Assemblée plénière, du 7 mai 2004, 02-10450, Publié au bulletin. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007048576. 223 Jean-Michel BRUGUIÈRE, « L’exploitation de l’image des biens », (2005), Legicom, p.13-31. La jurisprudence reste plutôt floue quant à l’appréciation des termes « trouble anormal ». Très utilisés lorsqu’il s’agit de trouble du voisinage, il est cependant compliqué d’en comprendre le sens lorsqu’il s’agit d’utilisation de l’image d’un bien. En ligne : https://www.cairn.info/revue-legicom-2005-2-page- 13.htm?fbclid=IwAR2Y0kF17Iaw6YhxONCr7wENZEb7JrsFQCkkmkgnps9TwESaaDj9zya u5bo. Voir aussi en ce sens Cour de Cassation, Chambre civile 1, 5 juillet 2005, 02-21.452. Une atteinte pour trouble anormal peut résulter d’une atteinte à la tranquillité ou à l’intimité du propriétaire. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000007050084. 224 Nous pouvons ici défendre l’idée, que l’œuvre d’un artiste célèbre pourrait être la source de convoitise, pouvant entrainer, comme nous l’avons déjà constaté, à l’arrachage d’une partie du mur par exemple. Il semble aussi concevable que l’attroupement du public devant l’œuvre pourrait aussi générer des troubles pour le propriétaire. À tout le moins nous pouvons affirmer que la simple utilisation commerciale à elle seule ne justifie pas suffisamment un trouble anormal. Voir en ce sens Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 31 mars 2015, 13-21300. En ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000030445947.

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inverse, où le propriétaire de l’immeuble souhaiterait commercialiser l’image de son bien, avec la nouvelle œuvre dedans, il se verrait opposer les droits de l’auteur sur l’image de son œuvre.

Troisièmement, le droit de disposer (abusus) est certainement la prérogative qui pourrait générer le plus de conflits avec le droit d’auteur. En effet, ce droit dit résiduaire permet au propriétaire du bien de poser des gestes relatifs à la matérialité de ce dernier225. Il en résulte que le titulaire de l’abusus est en mesure de modifier le bien, d’en disposer ou de l’aliéner à sa guise. Il lui est aussi possible de détruire ce bien, à la condition que cela ne vienne pas mettre en péril la propriété d’autrui, sans quoi il engagerait sa responsabilité226. Ainsi, à l’instar du droit de jouir, si l’apposition de l’œuvre sur le bien du propriétaire mène à l’incorporation de celle-ci en un seul et même bien, cela pourrait-il avoir un impact important quant à l’exercice tant des droits d’auteur que des droits moraux? En effet, si nous suivons cette hypothèse, le propriétaire du bien, serait-il en mesure de modifier l’œuvre (ce qui serait à l’origine d’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre) ou de vendre le support de l’œuvre lui appartenant (constituant alors une atteinte aux droits économiques) du seul fait qu’il puisse opposer ses droits à ceux de l’auteur puisqu’il ne ferait qu’exercer les prérogatives qui lui sont dévolues du fait de sa titularité de l’abusus rattaché à son bien?

Cela soulève alors deux questions sous-jacentes, la propriété matérielle de l’œuvre appartient-elle au propriétaire du bien ? Si oui, peut-il de ce fait ignorer le droit d’auteur ? Pour y répondre nous nous attarderons sur

225 S. NORMAND, supra note 208. 226 Saint Louis c. Goulet, [1954] B.R. 191,185 (juge PRATTE) dans S. NORMAND, supra note 208, p. 91.

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le quatrième attribut conféré au titulaire du droit de propriété, le droit d’accession.

B. La propriété matérielle de l’œuvre : droit du propriétaire ou droit d’auteur ?

« La propriété du bien donne droit à ce qu’il produit et à ce qui s’y unit, de façon naturelle ou artificielle, dès l’union. Ce droit se nomme l’accession »227. Cela signifie que le droit d’accession (accessio) permet à son titulaire de bénéficier tant du bien en lui-même, que des accessoires qui viendrait s’y incorporer228. Dans le cadre du conflit avec le « Street art », cela reviendrait alors à dire que l’œuvre apposée sur un bien ayant déjà un propriétaire deviendrait par accession la propriété matérielle de ce dernier. Il faut toutefois nuancer ce propos puisqu’il appert qu’en fonction du bien, immeuble ou meuble, cette solution vient à changer. En ce sens, il s’agira alors d’étudier les possibilités issues de l’accession, immobilière (1) dans un premier temps, puis mobilière (2) dans un second temps229.

1. L’accession immobilière

Lorsqu’il s’agit d’un bien immobilier, il est possible, en vertu de l’article 954 du Code civil du Québec, de constater deux types d’accession. Ainsi,

227 Code civil du Québec, supra note 43, art. 948. 228 S. NORMAND, supra note 209. 229 Jean-Baptiste SEUBE, « Street Art et droit des biens », dans Géraline GOFFAUX CALLEBAUT, Didier GUÉVEL et Jean-Baptiste SEUBE, Droit(s) et street art – De la transgression à l’artification, Édition Lextenso, 2016, p.55. « Aujourd’hui, le droit français des biens impose de distinguer selon que l’œuvre est apposée sur un meuble ou un immeuble. Ainsi, même si l’artiste ne s’en rend pas compte, la question de l’appropriation de son œuvre ne sera pas du tout réglée de la même façon selon qu’il l’applique sur un meuble (comme un panneau de signalisation) ou un immeuble. »

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« [l]’accession à un immeuble d’un bien meuble ou immeuble peut être volontaire ou indépendante de toute volonté. Dans le premier cas, l’accession est artificielle; dans le second, elle est naturelle »230. Puisque l’accession naturelle ne résulte pas de la volonté d’une personne, mais d’un événement naturel (alluvions231, formation d’île232, nouveau bras de rivière233) il est improbable qu’une œuvre de « Street art » soit rattachée à un bien immeuble suivant ce type d’accession. De ce fait, nous l’écartons de notre réflexion. À l’inverse, l’accession artificielle est bien le fruit de la volonté d’une personne et à ce titre mérite que notre attention s’y porte.

L’article 955 du Code civil234 introduit une présomption à l’avantage du propriétaire, qui est présumé être celui à l’origine des « constructions, ouvrages ou plantations » réalisés sur son immeuble. Ainsi, à partir du moment où certaines modifications sont faites sur son bien, il en deviendrait le propriétaire. Toutefois, une œuvre de « Street art » correspond-elle réellement aux notions de construction ou d’ouvrage ? (Il n’est pas nécessaire de préciser qu’il ne s’agit pas d’une plantation).

Bien qu’il n’y ait pas de définition légale d’une « construction », la jurisprudence semble toutefois en dessiner les contours. D’abord dans Springman v. The Queen235, la Cour suprême du Canada la définit comme

230 Code civil du Québec, supra note 43, art. 954. 231 Ibid., art. 965. « L’alluvion profite au propriétaire riverain ». 232 Ibid., art. 968. « Les îles qui se forment dans le lit d’un cours d’eau appartiennent au propriétaire du lit ». 233 Ibid., art. 969. « Si un cours d’eau, en formant un bras nouveau, coupe un fonds riverain et en fait une île, le propriétaire du fonds riverain conserve la propriété de l’île ainsi formée ». 234 Ibid., art. 955. « Les constructions, ouvrages ou plantations sur un immeuble sont présumés avoir été faits par le propriétaire, à ses frais, et lui appartenir ». 235 Springman v. The Queen, [1964] SCR 267, CanLII 69 (SCC), p. 273 dans OVE Décors ULC, 2019 Tribunal canadien du commerce extérieur, par. 29. Dans « [u]ne construction, c’est quelque chose qui est construit, mais les choses construites ne sont pas toutes des

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quelque chose qui est construit de façon permanente et aux grandes dimensions. Par la suite, le Tribunal canadien du commerce extérieur va préciser cette définition dans OVE Décors ULC, nous permettant alors de déterminer si une œuvre de « Street art » correspond ou non à une construction. Ainsi, en ajoutant le critère qu’une construction « doit avoir la capacité de supporter quelque chose d’autre »236, le Tribunal écarte (sans le savoir) les œuvres de « Street art » de cette notion. En effet, même en admettant que ces créations artistiques soient « construites » de façon permanente et aux dimensions demandées, il apparait peu probable qu’elles soient sujettes à supporter quelque chose d’autre et de ce fait qu’elles soient considérées comme des constructions.

Concernant la notion d’ouvrage, il est encore difficile d’établir une interprétation précise de ce terme, puisque ni le Code civil, ni la jurisprudence n’en fixent les contours. Le législateur n’établissant pas de liste exhaustive quant à ce qu’inclue la notion d’ouvrage en son article 955, nous laisse libre, en l’espèce, de considérer le « Street art » comme tel. De plus, en nous appuyant sur l’étymologie latine du mot ouvrage, qui renvoie au terme « d’œuvre », nous supposons que la notion comprise dans cet article, renvoie possiblement à tous types d’ouvrages, qu’ils résultent du travail d’un artisan ou d’un artiste. De ce fait, les œuvres de « Street art » seraient alors incluses dans le champ d’application de l’article 955 du Code civil. Ces dernières, ainsi comprises parmi les améliorations pouvant mener à une accession artificielle, seraient alors présumément la possession matérielle du propriétaire de l’immeuble.

constructions. (…) Une construction, c’est une chose de grandes dimensions, construite à partir de pièces distinctes et destinées à demeurer en permanence sur des fondations permanentes, mais c’est une construction même si certaines de ses parties constituantes peuvent être déplacées ». 236 Ibid.

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Cependant comme nous le rappelle le professeur Sylvio Normand237, cet article ne prévoit qu’une présomption simple238 pouvant être renversée par toute preuve contraire239. De ce fait, nous nous interrogeons quant à l’hypothèse où l’auteur d’une œuvre de « Street art » illégale invoquerait la présomption de l’article 13(1) de la Loi sur le droit d’auteur pour contrer celle de l’article 955 du Code civil. L’une peut-elle prendre le dessus sur l’autre ? Nous ne sommes malheureusement pas en mesure de répondre avec certitude à cette interrogation et supposons alors que puisqu’il s’agit de deux présomptions simples, chacune peut être renversée, laissant les tribunaux seuls maîtres de trancher selon le cas d’espèce.

Finalement, même dans l’éventualité où un tribunal trancherait en faveur du propriétaire du bien immeuble, cela ne lui octroierait que la propriétaire matérielle de l’œuvre et non la titularité des droits d’auteur. De ce fait, bien que le propriétaire de l’immeuble soit, dans cette hypothèse, en possession de l’œuvre, serait-il quand même tenu de respecter les droits de l’auteur au même titre que le titulaire d’un tableau ou d’une sculpture? Pour répondre à cette interrogation il faudrait réussir à établir, comme pour le droit criminel ou les règlements municipaux, une hiérarchie nous permettant de prendre parti pour l’un de ces deux acteurs en jeu. Toutefois nous aborderons le sujet seulement après avoir traité de l’accession mobilière.

2. L’accession mobilière

L’approche utilisée par le législateur concernant l’accession de biens meubles diffère totalement de celle des biens immeubles. En effet, alors

237 S. NORMAND, supra note 208, p. 94. 238 Code civil du Québec, supra note 43. 239 Ibid.

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que pour les seconds, l’adage « l’accessoire suit le principal » semble maitre, pour les premiers rien n’est moins sûr.

L’accession mobilière est l’outil permettant l’éventuelle résolution d’un conflit qui surviendrait entre deux biens meubles distincts qui n’en formeraient plus qu’un. Dans ce cas d’espèce, deux propriétaires s’opposent afin de déterminer à qui revient la propriété du nouveau bien240. Le législateur va se fonder sur l’équité pour solutionner le problème et attribuera le nouveau bien, lorsqu’une séparation est impossible241, « à celui des propriétaires qui a contribué davantage à sa constitution, par la valeur du bien initial ou par son travail »242. De ce fait, la titularité de la propriété d’un bien meuble n’apparait pas aussi immuable que pour celle d’un bien immeuble.

Le propriétaire du bien original peut ainsi se faire retirer la propriété de son bien si sa valeur initiale est inférieure à celle du travail effectué ou, comme le précise l’article 972 du Code civil pour les matières, à celle de la transformation réalisée243. Dans tous les autres cas qui ne sont pas prévus par les deux précédents articles, le principe de l’équité viendra à s’appliquer244. Dès lors, dans le cadre du « Street art », l’appréciation des conditions d’apposition de l’œuvre aura une importance capitale.

240 Ibid., art. 971. « Lorsque des meubles appartenant à plusieurs propriétaires ont été mélangés ou unis de telle sorte qu’il n’est plus possible de les séparer sans détérioration ou sans un travail et des frais excessifs, le nouveau bien appartient à celui des propriétaires qui a contribué davantage à sa constitution, par la valeur du bien initial ou par son travail ». 241 Location Fortier Inc. c. Pacheco, 1997, CanLII 7989 (QC CS), par. 46. En ligne : https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/1997/1997canlii7989/1997canlii7989.html. 242 Ibid., art. 971. 243 Ibid., art. 972. « La personne, qui a travaillé ou transformé une matière qui ne lui appartenait pas, acquiert la propriété du nouveau bien si la valeur du travail ou de la transformation est supérieure à celle de la matière employée ». 244 Ibid., art. 975. « Dans les circonstances qui ne sont pas prévues, le droit d’accession en matière mobilière est entièrement subordonné aux principes de l’équité ».

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En effet, si l’œuvre est un bien réalisé ultérieurement puis apposée (soudée, collée, …) sur un bien meuble de telle sorte qu’il est impossible de les séparer, l’article 971 viendrait à s’appliquer et la propriété du bien dépendra de la valeur du travail, donc de celle de l’œuvre. Si la création résulte de la transformation d’une matière (gravure, découpage, …) et qu’une fois encore la valeur de la mutation est supérieure à la valeur du bien initial (la matière), l’article 972 s’appliquera et le nouveau bien appartiendra à l’auteur. Toutefois, dans cette hypothèse, il devra dédommager le propriétaire initial de la valeur de son bien « perdu »245. Enfin si le nouveau bien n’est le résultat d’aucun des cas prévus ci-dessus, comme par exemple l’apposition directe de l’œuvre sur le bien à la bombe aérosol, l’article 975 et l’équité246 viendront à s’appliquer, laissant les tribunaux libres d’interprétation.

Finalement, l’accession mobilière peut permettre, dans certains cas, de solutionner le conflit qui réside entre le propriétaire initial et le street artiste247, mais une énorme partie du conflit entre droit des biens et droit

245 Ibid., art. 973. « Le propriétaire du nouveau bien doit payer la valeur de la matière ou de la main-d’œuvre à celui qui l’a fournie ». 246 Pierre-Antoine FENET, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, Titre préliminaire, « De la publication, des effets et de l’application des lois en général, présentation au Corps législatif, exposé des motifs par le conseiller d'État Portalis », 4 ventôse an XI, tome VI, pp. 359 et ss. dans Jean-Michel DOYON, « Droit, Loi et Équité » (1995), Revue Générale Droit, 26(2), p. 331. « Le mot équité est susceptible de diverses acceptions. Quelquefois il ne désigne que la volonté constante d'être juste, et dans ce sens il n'exprime qu'une vertu. Dans d'autres occasions, le mot équité désigne une certaine aptitude ou disposition d'esprit qui distingue le juge éclairé de celui qui ne l'est pas, ou qui l'est moins. Alors l'équité n'est, dans le magistrat, que le coup d'œil d'une raison exercée par l'observation, et dirigée par l'expérience. Mais tout cela n'est relatif qu'à l'équité morale, et non à cette équité judiciaire dont les jurisconsultes romains se sont occupés, et qui peut être définie un retour à la loi naturelle, dans le silence, l'obscurité ou l'insuffisance des lois positives ». 247 Philippe MALAURIE, Laurent AYNÈS, Les biens, 6è éd., 2015, Defrénois, n*411, dans Géraldine GOFFAUX CALLEBAUT, Didier GUÉVEL et Jean-Baptiste SEUBE, Droit(s) et street art – De la transgression à l’artification, Édition Lextenso, 2016, p. 56. Cette solution est toutefois très rarement utilisée en droit français, ce qui nous amène à penser qu’il en serait de même au Québec. « Ces articles [565 et suivants du Code civil] restent

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d’auteur reste toutefois en attente de réponse. En effet, nous ne sommes toujours pas en mesure de déterminer une solution régissant l’ensemble du conflit, qui de l’auteur ou du propriétaire pourra assoir la supériorité de ses droits 248? Nous explorerons donc une dernière piste de recherche allant légèrement dans le sens de l’auteur, au travers de l’étude des différentes atteintes à la propriété déjà prévues par le législateur québécois.

C. Le législateur pour trancher la question

« I don't think any legislature has the right to deprive a person of his property, but by the theory of the constitution it has the power. In a word, it is assumed that the legislature is the judge of the morality of its own legislation »249.

Cet extrait de l’arrêt Municipality of Cleveland c. Municipality of Melbourne & Brompton Gore de 1881, fait référence à la notion de suprématie parlementaire, concept britannique qui consiste en ce que le parlement (donc le législateur) possède un pouvoir illimité. En ce sens, comme le rappelle ici la Cour, bien que le législateur ne soit pas moralement supposé de porter atteinte à la propriété privée, il en a toutefois le pouvoir. Par exemple, l’article 952 du Code civil prévoit une atteinte aux droits de propriété, en mettant en place une expropriation d’utilité publique moyennant toutefois une contrepartie financière pour le

cependant très peu utilisés et sont parfois considérés comme « du droit mort, jamais appliqué ». 248 J-B. SEUBE, supra note 229, p. 55. « [I]l est difficile d’apporter ici une réponse définitive : tout dépendra des circonstances de fait, du talent des avocats, de la sensibilité du juge… » 249 Municipality of Cleveland c. Municipality of Melbourne & Brompton Gore, (1881) 1 Dorion C.A. 353, 356.

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propriétaire. On constate ainsi que le législateur a reconsidéré l’absolutisme du droit de propriété avec, néanmoins, une certaine tempérance. Il est aussi possible, de constater des restrictions législatives au travers de la Loi sur le patrimoine culturel250 qui, dans l’intérêt de protéger les biens culturels meubles ou immeuble, va mettre en place des limites aux prérogatives normalement dévolues à un propriétaire, moyennant souvent, encore une fois, des contreparties financières251 pour ce dernier. Il s’agit notamment d’imposer au propriétaire des mesures de conservation ou de non-modification252 d’un bien qui revêtent une importance majeure, qu’elle soit historique, culturelle, ou naturelle253.

Ainsi, dans le cadre du « Street art », il serait techniquement envisageable de légiférer en faveur de la prévalence des prérogatives que confère le droit d’auteur. À l’image des biens culturels ou ceux ayant une utilité publique, les œuvres de « Street art » illégal pourraient être à l’origine d’une nouvelle exception législative, qui viendrait limiter les prérogatives du propriétaire. Il serait toutefois ici question de protéger tant l’intégrité de l’œuvre, que son accessibilité au public et non d’augmenter les pouvoirs reconnus à son auteur. Il faut en effet garder à l’esprit qu’initialement l’apposition est ici un acte illégal, qui ne saurait être légitimé du fait de sa notoriété. Si tel était le cas, la propriété privée n’aurait plus aucune valeur, puisque sous couvert de ces éventuelles exceptions n’importe qui pourrait porter atteinte à la propriété d’autrui dans l’espoir d’être légitimé par la suite.

250 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34. 251 Les contreparties financières s’articulent autour de différentes subventions visant à aider le propriétaire dans sa tâche de conservation du bien. 252 Ces mesures sont définies au sein de la Loi sur le patrimoine culturel et dépendent de la protection mise en place, ce que nous verrons par la suite. 253 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34, art. 1.

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Il apparait alors qu’une telle solution, bien que réalisable en pratique, ne soit pas opportune pour gérer le conflit existant entre les propriétaires de biens meubles ou immeubles et les auteurs d’œuvres de « Street art » illégal, puisqu’il aurait simplement pour effet d’inverser le rapport de force, sans réellement apporter de nouvelle solution au conflit.

Ainsi, puisque nous ne sommes pas en mesure d’établir une solution avec l’état actuel du droit positif québécois, nous devons donc nous pencher sur des solutions émergeant dans la doctrine, qu’elle soit québécoise ou étrangère. En ce sens, il sera pertinent d’aborder la doctrine italienne des biens communs254 et d’approfondir la piste de la Loi sur le patrimoine culturel255.

254 P. CHARBONNIER et D. FESTA, supra note 24. 255 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34.

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Chapitre 3 : Les biens communs et la protection du patrimoine culturel : vers l’utilisation de régimes sui generis encadrant efficacement le « Street art »

Nous l’avons constaté tout au long de ce mémoire, malgré une reconnaissance par la Loi sur le droit d’auteur, le « Street art » illégal n’est pas accueilli de façon similaire par le reste du droit positif québécois. En effet alors que, les règlements municipaux et le Code criminel tentent d’en dissuader la pratique, le droit des biens vient quant à lui directement s’opposer à l’exercice du droit d’auteur, faisant naître de multiples problématiques juridiques semblant pour certaines sans issues.

Face à de tels conflits de normes, c’est désormais au sein de régimes dits sui generis que se puiseraient des solutions plus équilibrées permettant de concilier protection de l’œuvre, de son auteur et des intérêts divergents se heurtant de plus en plus fréquemment à cette nouvelle pratique artistique.

C’est alors au travers de la doctrine italienne que nous abordons le régime des biens communs (I) que certaines grandes municipalités telles que Rome (le Théâtre Valle256), Bologne ou Naples (pour la gestion de l’eau257) ont déjà commencé à appliquer. Un régime ni privé ni public, il faisant

256 SIMON, « Les communs du monde : le Teatro Valle à Rome », (2019), Nantes en communes En ligne : https://www.nantesencommun.org/blog/2019/01/18/les-communs-du- monde-le-teatro-valle-a-rome. 257 Simone RANOCCHIARI et Christophe MAGER, « Bologne et Naples au prisme des biens communs : pluralité et exemplarité de projets de gestion « commune » de l’urbain », Développement Durable Territoire Économie Géographie Politique Droit Sociologie, Vol. 10, n°1, 2019. En ligne : https://journals.openedition.org/developpementdurable/13238.

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l’objet d’une gestion collégiale permettant de s’écarter des problématiques liées aux conflits de droits et de titularité matérielle de l’œuvre, précédemment évoqués.

Enfin, la Loi sur le patrimoine culturel québécoise nous permettra d’aborder une nouvelle gestion moins attentatoire aux droits des acteurs concernés (II). La propriété matérielle des œuvres de « Street art » serait ici transférée au titulaire du bien support qui deviendrait par là même dépositaire des droits moraux de l’auteur, devenant ainsi le « gardien » de l’intégrité de l’œuvre. Le but ici étant de garantir la survie de l’Art tout en respectant un principe fondamental qu’est la propriété privée.

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I. Le régime des biens communs : l’exemple italien d’une gérance ni privée, ni publique

Bien que nous l’évoquions grâce aux travaux réalisés par la doctrine italienne, le régime des biens communs n’en est pas un qui leur est propre. L’on peut en effet remonter ses origines au droit romain, en faisant un principe inscrit dans toutes les législations de tradition civiliste. Ils sont néanmoins laissés à l’abandon, au profit d’un autre type de régime, dit des biens publics258. Les biens communs ne commenceront alors à réapparaitre dans la doctrine émergeante que récemment, notamment grâce aux travaux du prix Nobel Elinor Ostrom. Nous ne sommes donc pas face à un nouveau régime à proprement dit, mais bien face à l’appropriation d’un préexistant dans le but d’améliorer la gestion du « Street art » illégal. Il est d’ailleurs possible d’en retrouver les fondements juridiques dans le droit positif québécois, qui envisage déjà certains biens communs dans son Code civil259 et certaines lois spécifiques 260(A). Dès lors, l’adaptation de ce régime faite par les juristes italiens concernant le « Street art » est-elle concevable pour les acteurs québécois en jeu (B)?

258 Fabien LOCHER, « Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la « Tragédie des communs » », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 60-1, 2013 p. 7-36. En ligne : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2013-1- page-7.htm. 259 Code civil du Québec, supra note 43, art. 913. « Certaines choses ne sont pas susceptibles d’appropriation; leur usage, commun à tous, est régi par des lois d’intérêt général et, à certains égards, par le présent code ». 260 Il est toutefois majoritairement question de textes portant sur des ressources naturelles.

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A. Les contours du régime des biens communs

Les biens communs, selon Stefano Rodota juriste italien, consistent en des « choses qui expriment une utilité fonctionnelle à l’exercice des droits fondamentaux ainsi qu’au libre développement de la personne ». Ils constituent une troisième catégorie de biens, distincts des biens privés ou publics.

La définition des biens communs a d’abord été économique et était alors guidée par deux critères permettant de les différencier des biens publics notamment ; la rivalité d’un côté, et l’excluabilité de l’autre261. Ainsi, la rivalité d’un bien suppose qu’une utilisation de ce dernier puisse être faite sans altérer l’usage ultérieur que toute autre personne pourrait en faire. En ce sens, l’exemple des pâturages utilisé par l’économiste Garett Hardin262 en est la juste illustration : si un berger fait consommer tout le pâturage à ses bovins, le suivant ne pourra plus utiliser ledit pâturage qui serait donc dans cette éventualité un bien rival.

Concernant l’excluabilité, cette notion fait quant à elle référence à la potentielle limitation de l’accès à un bien. Toujours en reprenant l’exemple du pâturage, si son accès est limité à un certain nombre de bergers, le bien revêtira un caractère d’exclusion puisque ceux n’étant pas inclus ne pourront y accéder. À l’inverse donc, si l’accès est libre pour tous, il sera dit non-excluable. Dans le cadre des biens communs et des biens publics, il est donc possible d’affirmer que ces deux types sont dits non-excluables,

261 Alain LÉTOURNEAU, « La théorie des ressources communes : cadre interprétatif pour les institutions publiques ? », Éthique Publique, vol. 17, n° 2, 2015, par. 16. En ligne : https://journals.openedition.org/ethiquepublique/2284#quotation. 262 Garrett HARDIN, La tragédie des communs, 2018, Éditions Puf, 64, dans F. LOCHER, « Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la « Tragédie des communs » », Revue d’histoire moderne et contemporaine, n° 60-1, 2013, p.7-36.

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en ce sens qu’il est possible d’accéder à chacun sans limitation pour un groupe donné. Pour les premiers il s’agira de ne pas en limiter l’accès en raison de leur fonction essentielle pour l’être humain (eau, air, lumière) et pour les seconds du fait de leur importance pour un État donné (culturel ou historique par exemple). En revanche, alors que les biens communs sont rivaux, les biens publics quant à eux ne le sont pas.

Cette dichotomie au travers du critère de rivalité est importante à la compréhension d’une éventuelle gestion du « Street art » par le régime des biens communs, car souvent confondus du fait de leur caractère non- excluable, il sera l’un des seuls éléments nous permettant d’affirmer que les œuvres de « Street art » illégal peuvent être considérées comme des biens communs et non comme des biens publics. Nous l’avons en effet évoqué précédemment, les créations de « Street art », bien qu’illégales pour certaines, peuvent faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, conférant à leur créateur un certain monopole juridique qui pourra être opposé aux tiers. Cette opposition suppose ainsi une rivalité qui, alors qu’elle fait défaut aux biens publics, est une caractéristique essentielle des biens communs. Néanmoins, transposé au « Street art », cette vision économique des biens communs, est moins pertinente pour ce dernier que celle, plus institutionnelle, élaborée par la politologue Elinor Ostrom.

En effet dernièrement, et c’est ce qui a justifié partiellement ce regain d’intérêt dans cette doctrine émergeante, celle-ci s’étant détachée de la définition purement économique des biens communs, en constatant que leur apparition contemporaine résulterait plutôt d’une « décision collective et des usages qui en découlent »263. Effectivement, alors que la première

263 Ludovic VIÉVARD, « Les (biens) communs : de la définition économique à l’affirmation politique » (2015), dans Biens publics, biens communs : de quoi parle-t-on vraiment ?, Cahier 20, Les entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’innovation publique, p. 13.

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définition s’attarde sur la nature du bien, cette dernière quant à elle, révèle que c’est au niveau institutionnel qu’apparait « une volonté de réappropriation et de réorganisation de l’espace public »264. Un groupe ou une collectivité peut donc être à l’origine de la gestion d’un bien comme s’il faisait partie de la catégorie des biens communs. Concrètement pour reprendre l’exemple du pâturage, cela impliquerait deux points.

Le premier serait qu’un bien commun n’a plus besoin d’être non-excluable pour être défini comme tel, puisque résultant d’un groupe ou d’une communauté, son accès pourrait être limité pour en assurer la préservation. Le second point serait que l’ensemble desdits bergers seraient non seulement à l’origine de cette qualification de communs, mais surtout à l’origine de l’organisation des règles régissant l’usage du bien. Dès lors selon cette nouvelle définition, « pour faire des communs, il faut une ressource commune + une communauté de commoners + des règles et des normes pour gérer cette ressource »265. Il est alors possible, en application au « Street art », qu’un quartier, une communauté ou tout autre groupe légitime s’accorde afin de protéger et gérer l’usage qui pourrait être fait d’une œuvre de « Street art » illégalement apposée. Dans le cas du vol de « Slave labor » de Banksy266, cela aurait impliqué par exemple que la communauté concernée puisse maintenir l’œuvre sur son lieu d’apposition initial ou même en légitimer le retour. Le propriétaire, privé ou public, n’est alors plus en mesure d’agir sur cette partie de sa propriété, de même que l’auteur qui semblerait finalement « offrir » au public les droits qu’il détiendrait sur son œuvre.

264 Ibid. 265 David BOLLIER, La Renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, Éd. Charles Léopold Mayer, Paris, 2014, p. 146, dans Ludovic VIÉVARD, « Les (biens) communs : de la définition économique à l’affirmation politique », (2015), dans Biens publics, biens communs : de quoi parle-t-on vraiment ?, Cahier 20, Les entretiens Albert-Kahn, Laboratoire d’innovation publique, p. 13. 266 M. COCQUET, supra note 35.

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Bien qu’attrayante, cette solution est toutefois difficilement concevable. Peu importe la définition utilisée, permettre d’incorporer des œuvres de « Street art » en tant que bien commun, aurait pour effet de soulever certaines discriminations au sein de ces dernières. En effet, quelle collectivité serait suffisamment légitime pour déterminer lesquelles de ces œuvres pourraient être régies par ce régime, en dépit tant du droit d’auteur que du droit de propriété ? Supposons que l’œuvre soit apposée sur un bien privé, le propriétaire devrait-il pâtir de la décision d’une collectivité ou d’un groupe dont il ne fait pas partie ? Idem si cette apposition avait été faite sur un bien public ? Une fois encore, une partie se retrouve toujours lésée et le problème semble juste être déplacé. Dès lors nous démontrerons en quoi la doctrine italienne en la matière ne devrait pas être la solution « finale » ou idéale pour l’avenir du « Street art » québécois.

B. Les biens communs à l’italienne, une solution d’application incertaine en droit Québécois

Qu’il s’agisse de l’Italie ou du Québec, nous retrouvons des similitudes dans l’appréciation du « Street art » en tant qu’œuvre protégée. En effet, à l’instar du Québec, si la Legge 248/2000267 sur les "Nuove norme di tutela del diritto d'autore"268 confère, une protection aux œuvres de « Street art » indépendamment de l’éventuel caractère illégal qui réside dans leur apposition et le Code pénal quant à lui en prévoit les sanctions

267 Nuove norme di tutela del diritto d'autore, Loi 248/2000. En ligne : https://www.camera.it/parlam/leggi/00248l.htm. 268 Traduction « Nouvelles règles pour la protection du droit d’auteur ».

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au travers de ses articles 639269 et 635270. Le législateur italien est ainsi confronté aux mêmes problématiques quant à la gestion du « Street art » illégal que nous retrouvons ici au Québec. Conscients de ces enjeux, deux juristes italiens, Giovanni Maria Riccio et Federica Pezza, offrent une alternative et une nouvelle lecture de la doctrine des biens communs appliquée ici directement aux œuvres de « Street art »271.

La première étape de cette doctrine est bien évidemment la qualification en tant que bien commun de l’œuvre du fait son importance aux yeux d’un groupe ou d’une collectivité. Sur ce point, nous l’avons vu précédemment, cela est aussi tout à fait concevable au Québec puisque tant vis-à-vis de la définition économique, qu’institutionnelle, le « Street art » peut être analysé comme tel.

La deuxième étape serait ensuite de pallier les problèmes que nous avons soulevés précédemment, à savoir qui serait suffisamment légitime pour établir les règles et le champ d’application d’un tel régime ? Selon les deux juristes, il serait pertinent de confier ces tâches à des autorités administratives publiques telle que la Soprintendenza per i beni culturali272.

« [C]e choix pourrait être accordé à une autorité administrative publique qui pourrait être habilitée à prendre toute décision concernant la valeur artistique de l'œuvre, la possibilité de retirer ou de détruire l'œuvre elle-même ou même de la déplacer dans un autre lieu, afin d'assurer la préservation de

269 Codice penale, Deturpamento e imbrattamento di cose altrui, [nous traduisons] « Détritus ou dégradations des biens d'autrui », art. 639. En ligne : https://www.brocardi.it/codice-penale/libro-secondo/titolo-xiii/capo- i/art639.html. 270 Ibid., art. 635. 271 E. ROSATI, supra note 25. 272 [Traduction] « Surintendance du patrimoine culturel »

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l'œuvre, où ses valeurs artistiques et culturelles sont reconnues »273.

Ce mode alternatif de gestion de certaines ressources a en effet déjà fait ses preuves dans plusieurs domaines et municipalités du pays. À Bologne par exemple, la ville tout entière est considérée comme un bien commun depuis 2014, date de l’adoption du Règlement sulla collaborazione tra cittadini e amministrazione per la cura e la rigenerazione dei beni comuni urbani274. La municipalité et les communautés qui la composent interagissent ainsi conjointement dans l’organisation de la ville. Du simple citoyen, à l’association, tous sont alors légitimés afin d’établir règles, responsabilités et modalités d’évaluation des projets urbains à venir. Ce modèle n’est alors pas sans rappeler celui qui résonne dans les travaux de la prix Nobel Elinor Ostrom, une communauté pour réguler et gouverner des biens communs.

À plus petite échelle, il est aussi possible de retrouver ce type de gouvernance des biens dans la capitale italienne, comme par exemple pour le Teatro Valle après sa fermeture début 2011. Dans ce cas précis, ce sont les employés et les spectateurs qui se sont organisés pour revendiquer la gestion du théâtre. En juin 2011, ils font donc valoir le statut de bien commun de cet établissement culturel et en assument la gestion jusqu’en 2014, date à laquelle ils se font expulser du bâtiment par l’État italien. Nous apercevons dès lors les limites d’un tel régime,

273 Voir en ce sens, CALIMAQ, « Et si on repensait le Street Art comme un bien commun ? », S.I.Lex, 15 janvier 2018. En ligne : https://scinfolex.com/2018/01/15/et-si-on-repensait-le-street-art-comme- un-bien-commun/. 274 Bologne, Regolamento sulla collaborazione tra cittadini e amministrazione per la cura e la rigenerazione dei beni comuni urbani. [Traduction] Règlement sur la collaboration entre les citoyens et l’administration pour la gestion et la régénération des communs urbains. En ligne : http://www.comune.bologna.it/sites/default/files/documenti/REGOLAMENTO%20BENI %20COMUNI.pdf.

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puisque n’importe qui n’apparait pas comme suffisamment légitime aux yeux de la loi lorsqu’il s’agit de s’approprier un espace ou un bien. Il est donc indispensable pour la reconnaissance d’un tel régime, que le groupe ou la communauté qui revendique un bien comme commun, soit légitimé par une autorité étatique. Le succès de Bologne réside dans le partenariat avec la municipalité et c’est uniquement selon ce modèle qu’une application des biens communs « à l’italienne » pourrait, à notre avis,

évoluer de façon pérenne dans le droit positif québécois.

Toutefois, dès lors que l’aval d’une autorité compétente est requis pour « revendiquer » la gestion d’une zone dédiée au « Street art », ne serions-nous pas déjà dans un régime existant au Québec, à savoir les murs légaux ? Ces derniers, à l’origine des municipalités, constituent une solution efficace pour cantonner la pratique en un seul et même endroit sous la supervision de celles-ci, permettant d’entériner, ou du moins d’encadrer une pratique parfois problématique. Ainsi selon nous, les biens communs « à l’italienne » ne seraient qu’une variante à plus grande échelle d’un régime d’ores et déjà existant au Québec (et dans beaucoup d’autres municipalités du globe). Toutefois, à l’instar des murs légaux ne permettant pas de trancher de manière efficace les litiges émanant du « Street art » illégal, cette doctrine italienne ne constituerait alors pas aussi une réponse satisfaisante.

Cette proposition de régime méritait néanmoins selon nous une place dans ce chapitre sur les solutions alternatives, puisqu’avec la création d’un tel organisme de gestion, la protection des œuvres ne serait plus dépendante d’une zone prédéfinie. En effet, à l’inverse des murs légaux qui prévoit un « Street art » légal, il est question pour le régime italien d’adapter la protection en fonction d’œuvres préexistantes, ce qui répond dès lors beaucoup plus à notre problématique de protection du « Street

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art » illégal. Cette gouvernance symbiotique avec un groupe non étatique, permettrait aussi de prendre des considérations autres que légales pour conserver ou non une création de « Street art » et de ce fait, de sauvegarder des œuvres indépendamment de la popularité ou de la côte de l’artiste. Nous sommes cependant toujours face à un ultime problème : certes le public conserve la possibilité d’admirer les œuvres, certes les artistes voient l’intégrité de leur œuvre préservée, mais le propriétaire du support quant à lui ne semble pas ici entrer dans l’équation.

Proche du régime des biens communs, se trouve celui du patrimoine culturel. Que ce soit en France (régime des monuments historiques) ou au Québec, les États ont rapidement perçu l’importance de préserver leur patrimoine culturel et/ou historique, qu’il soit dans les mains d’un propriétaire privé ou public. Ainsi, nous exposerons l’hypothèse selon laquelle une application de ce régime aux œuvres de « Street art », pourrait être la solution la plus profitable pour tous, puisque n’oubliant aucun des acteurs impliqués lorsqu’illégale.

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II. La transposition d’un modèle préexistant : le régime du patrimoine culturel

Historiquement, la protection du patrimoine culturel est le fruit d’un long processus législatif (A), inspiré pour beaucoup par le régime des « Monuments historiques » français. Aujourd’hui, le fonctionnement de ce régime est en partie similaire à celui des biens communs, en ce sens qu’il est nécessaire pour le bien d’être reconnu par une autorité administrative comme étant d’une importance particulière pour qu’il puisse bénéficier de ce dernier. Transposé au « Street art », il sera donc essentiel de déterminer avant tout, s’il était possible de rentrer dans le champ d’application d’un tel régime (B). Bien que similaire sur certains points, ce régime diffère néanmoins de celui présenté par les deux juristes ci- dessus. Premièrement quant à sa nature, puisque le bien n’acquiert pas ici un nouveau statut (il reste soit un bien privé, soit un bien public) et deuxièmement quant aux avantages qu’il confère. En effet, lorsqu’un bien répond à l’un des statuts légaux prévus par la Loi sur le patrimoine culturel, cela crée pour le propriétaire certes l’obligation de préserver l’intégrité dudit bien, mais en contrepartie toutefois de subventions275 (C) et de pouvoirs sur ce dernier276.

275 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34, art. 78(4) et (5). 276 Judith ROCHEFELD, « Quel modèle pour construire des « communs » ? », dans Béatrice PARANCE, Jacques DE SAINT VICTOR, Repenser les biens communs, 2014, Paris, p. 124, « est responsable de la conservation du monument et ne peut pas détruire ou déplacer son bien, même en partie ; il ne peut pas entreprendre une restauration, une réparation ou une modification sans l’autorisation de l’autorité publique (du préfet de région et cette opération se déroulera, alors, sous le contrôle scientifique et technique des services de l’État chargés des monuments historiques). (…) En contrepartie, le propriétaire peut recevoir des subventions de l’État. ».

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A. L’évolution du régime : un champ d’application en perpétuel accroissement

Bien que la protection des monuments historiques par l’État ait été réclamée pour la première fois en 1832277, par le célèbre écrivain français Victor Hugo, ce n’est qu’en 1919 qu’un pays, la France, se dote du premier régime général en la matière, au travers de la Loi sur les Monuments historiques. Cette dernière s’inscrivant dans un contexte post 1ère guerre mondiale, visait alors tant la protection des monuments historiques de guerre, que la lutte contre le pillage des objets d’art278.

Au Canada, la naissance de la protection de ces « monuments historiques » est tout autre. En effet, puisqu’influencé tant par la tradition civiliste française que par la Common Law anglaise, ce dernier tente de composer avec les deux régimes pour en établir un qui lui serait propre. En ce sens, plusieurs initiatives verront ainsi le jour, visant toutefois chacune, à protéger un lieu ou monument bien précis, telle que la protection des fortifications de la ville de Québec ou l’adoption de la Loi des réserves forestières et des parcs fédéraux279.

277 Victor HUGO, « Guerre aux démolisseurs », (1er mars 1832), Revue des deux mondes. « Il faut arrêter le marteau qui mutile la face du pays. Une loi suffirait. Qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à d'ignobles spéculateurs que leur intérêt imbécile aveugle sur leur honneur ; misérables hommes, et si imbéciles qu'ils ne comprennent pas qu'ils sont des barbares ! Il y a deux choses dans un édifice : son usage et sa beauté. Son usage appartient au propriétaire, sa beauté à tout le monde, à vous, à moi, à nous tous. Donc, le détruire, c'est dépasser son droit ». 278 Xavier PERROT, « Le droit des monuments historiques et la grande guerre : conservation des vestiges et souvenirs de guerre en question », dans Jean-Pierre BADY, Marie CORNU, Jérôme FROMAGEAU, Jean-Michel LENIAUD, Vincent NÉGRI, De 1913 au Code du patrimoine. Une loi en évolution sur les monuments historiques, 2018, la documentation française, p. 32. « [i]l est également rapidement question de protéger et conserver un nouveau patrimoine, le patrimoine de guerre, fait d’installations militaires, d’abris, de tranchées, voire de champs de batailles et de villages en ruine ». 279 Voir en ce sens, Ministère de la Culture et des Communications, « Histoire de la protection du patrimoine au Québec », (19 novembre 2015). En ligne : https://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=5122.

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Néanmoins, puisque la propriété mobilière et immobilière est de compétence provinciale, c’est au Québec que revient la gestion et la préservation de son patrimoine culturel. Il faudra cependant attendre 1922, pour qu’une première loi ayant une portée plus générale soit sanctionnée, cette dernière s’intéressant alors à la conservation des monuments et des objets d'art ayant un intérêt historique ou artistique280. Bien qu’il faille le consentement des propriétaires pour que le Conseil exécutif puisse classer le bien sur recommandation d’une Commission des monuments historiques du Québec, le principe fondamental tel que nous le connaissons aujourd’hui est bel et bien établi et aucun bien classé ne peut alors être altéré281.

En 1952 une nouvelle loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques282 est sanctionnée, modernisant la législation en la matière et octroyant plus de pouvoirs à ladite Commission. D’ailleurs, forte de ces nouvelles prérogatives, cette dernière va étendre le champ d’application des biens inclus dans le régime comparativement à l’ancienne loi283, conditionner l’aliénation des biens mobiliers classés et rendre imprescriptibles ceux détenus par la province284. En 1963, la Loi des monuments historiques est ratifiée285, elle élargit le champ

280 Loi relative à la conservation des monuments et des objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique, ch. 30, sanctionnée 21 mars 1922. 281 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. 282 Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques, ch. 24, 1952. 283 Ibid., art. 5. « Sont compris, entre autres, parmi les immeubles susceptibles d'être classés: a) les monuments préhistoriques, les terrains renfermant des vestiges de civilisation ancienne et les paysages et sites présentant un intérêt scientifique, artistique ou historique; b) les immeubles dont la possession est nécessaire pour isoler, dégager ou autrement mettre en valeur un monument ou un site classé. » 284 Ibid., art. 13. « Les objets mobiliers classés qui appartiennent à la province sont inaliénables et imprescriptibles; les autres ne peuvent être aliénés, détruits, altérés, restaurés ou réparés qu'avec l'autorisation du secrétaire de la province, sur la recommandation de la commission » 285 Loi des monuments historiques, 1963.

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d’application aux arrondissements historiques286 et proscrit toute exportation de biens classés hors de la province287.

La Loi sur les biens culturels de 1972 vient chambouler le régime préétabli288. Le Conseil exécutif n’est plus en charge de classer un bien, cette tâche revenant désormais au ministre des affaires culturelles289 qui peut alors classer tout bien peu importe en quelques mains il se trouve. La Commission de monuments historiques du Québec n’a maintenant plus qu’un avis consultatif290 auprès du ministre et peut émettre des recommandations quant à la conservation des biens classés291.

Du côté du propriétaire, nous constatons aussi des changements puisque son consentement n’est plus une limite au classement d’un bien, le ministre pouvant en effet classer ou reconnaître tout bien292. Cette reconnaissance est d’ailleurs une nouvelle création introduite par cette Loi qui, fortement inspirée du régime français, vient apporter une solution plus souple que le classement293. La procédure est ici simplifiée, le ministre devant seulement inscrire le bien dans un registre et en avertir

286 Ibid., art. 20. « Le lieutenant-gouverneur en conseil peut, sur la recommandation de la commission, déclarer arrondissement historique une municipalité ou une partie d'une municipalité où se présente une concentration d'immeubles présentant un intérêt historique ou artistique ». 287 Ibid., art. 13. « Les biens classés ne peuvent être expédiés hors de la province, sans la permission de la commission ». 288 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. 289 Loi sur les biens culturels, 1972, art. 15. « Le ministre peut, sur avis de la Commission, reconnaître tout bien culturel dont la conservation présente un intérêt public ». 290 Ibid., art. 2. « Un organisme de consultation est institué sous le nom de « Commission des biens culturels du Québec » avec siège social à Québec ». 291 Ibid., art. 5. « […] Elle peut aussi faire au ministre des recommandations sur toute question relative à la conservation des biens culturels ». 292 Ibid., art. 8. « Tout bien culturel, y compris tout bien du domaine public, peut être reconnu ou classé en tout ou en partie par le ministre conformément à la présente section ». 293 Ann CHOUINARD, « La législation en matière de biens culturels en droit français et en droit québécois », (1975), Les Cahiers de droit, p. 431-458.

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le propriétaire ou celui qui en a la garde294, de même que les prérogatives et obligations que confère ce régime, ce que nous aborderons dans la partie suivante.

Ce régime, bien qu’améliorant la protection des biens culturels, reste toutefois peu efficient lorsqu’il s’agit d’intervenir rapidement. En effet, puisque ce dernier est dépendant du ministre, il suppose un processus fastidieux aux termes duquel, lorsqu’un bien est immédiatement menacé, n’arrive souvent pas à temps. Ainsi en 1985, lorsque le législateur révise son texte de loi, il prend en compte une demande qui persiste depuis une trentaine d’années, à savoir la possible intervention des municipalités295. Ces dernières sont alors en mesure de protéger leur patrimoine immobilier et, puisqu’à moindre échelle, de le faire beaucoup plus rapidement. Le chapitre les habilitant prévoit alors deux mesures fortement similaires au classement : la citation d'un monument historique296 et la constitution d'un site du patrimoine297.

La dernière étape législative venant parfaire le régime est survenue en 2011, avec l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel298. Cette

294 Loi sur les biens culturels, supra note 288, art. 16. « La reconnaissance d'un bien culturel est faite au moyen d'une inscription sur le registre visé à l'article 11. Avis de cette inscription doit être signifié à celui qui a la garde du bien culturel […] ». 295 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. « (…) les municipalités réclamaient depuis longtemps des pouvoirs supplémentaires. Leur intérêt pour la conservation du patrimoine s'était manifesté dès le 4 juillet 1956 par le décret du Vieux-Trois-Rivières comme « zone historique » par la Ville, et par la création de la Commission Jacques-Viger à Montréal en 1962 ». 296 Loi sur les biens culturels, supra note 288, art. 70. « Une municipalité peut, par règlement de son conseil et après avoir pris l’avis de son comité consultatif, citer tout ou partie d’un monument historique situé dans son territoire et dont la conservation présente un intérêt public ». 297 Ibid., art. 84. « Une municipalité peut, par règlement de son conseil et après avoir pris l’avis du comité consultatif, constituer en site du patrimoine tout ou partie de son territoire où se trouvent des biens culturels immobiliers et dans lequel le paysage architectural présente un intérêt d’ordre esthétique ou historique ». 298 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34.

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évolution terminologique est le résultat d’une impulsion internationale allant dans le sens d’une protection plus large, ce à quoi le Québec se devait d’adhérer. Dès lors, la nouvelle Loi prend en compte dans champ d’application tant « la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission des biens patrimoniaux (mobiliers et immobiliers) »299, que « des paysages culturels patrimoniaux, du patrimoine immatériel, des personnages, des événements et des lieux historiques »300. Il ne s’agit donc plus simplement de protéger les biens mobiliers et immobiliers. Cette loi introduit également un nouvel acteur dans le schéma décisionnel, découpant ce dernier en deux, avec d’un côté le ministre de la Culture et des Communications et le Gouvernement du Québec (chapitre III), puis de l’autre les municipalités locales (chapitre IV).

On retrouve aussi plusieurs nouveaux statuts légaux qui se distinguent quant à la nature de l’élément à préserver et qui s’élèvent à présent au nombre de cinq. Ainsi, la désignation et l’identification sont utilisées pour tout élément du patrimoine immatériel, personnages historiques, évènements ou lieux historiques, la première étant relative au ministre et au Gouvernement (dans le cadre d’un paysage culturel patrimonial) tandis que la seconde est effectuée par les municipalités. Le classement et la citation sont aussi deux statuts dont la nature du bien est similaire, en ce sens qu’ils vont tous deux porter sur un site ou bien patrimonial. Néanmoins, alors que le premier relèvera de la compétence du ministre, le second sera la prérogative des municipalités. Enfin, la déclaration se rattache uniquement aux sites patrimoniaux et confère un régime, à l’initiative du gouvernement, qui est moins important que celui du classement.

299 Ministère de la Culture et des Communications, supra note 279. 300 Ibid.

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Finalement il apparait que « le bilan des gestes posés antérieurement par les autorités (…) constitue une fenêtre sur le passé et une image des préoccupations à différentes époques. Il s'agit d'un itinéraire qui contribue à sa façon à assurer une meilleure compréhension de notre histoire et de notre identité culturelle »301. Cet extrait reflète ainsi parfaitement les raisons qui nous ont poussé à appréhender ce régime pour une éventuelle protection du « Street art ». Comme l’auteur le rappelle, la préservation du patrimoine culturel est le fruit d’une multitude d’actions qui ont pris en considération des problématiques propres à chaque époque. De ce fait, au vu des nombreuses questions soulevées par cette pratique, ne serait- il pas envisageable de modifier le régime une nouvelle fois et d’en étendre l’application aux œuvres de « Street art » ?

B. La transposition du régime du patrimoine culturel aux œuvres de « Street art »

Tel que nous l’avons constaté dans la partie précédente, le législateur a fait ressortir plusieurs situations visant la protection des biens étant sous l’égide du régime du patrimoine culturel. Depuis la Loi sur le patrimoine culturel de 2011, ces statuts légaux bien qu’ayant augmentés en nombre, sont toutefois toujours répartis selon deux catégories, d’un côté ceux étant à l’initiative du ministre de la Culture et des Communications (autrefois celui des affaires culturelles) et du gouvernement (1) et de l’autre ceux à l’origine des municipalités (2). Il apparaît donc judicieux de déterminer lequel de ces statuts serait le plus pertinent au vu d’une adaptation aux œuvres de « Street art ».

301 Ibid.

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1. Une adaptation à l’initiative du ministre et du Gouvernement

La Loi sur le patrimoine culturel de 2011, nous venons de le voir, octroie au ministre de la Culture et de Communication des prérogatives quant à au classement ou à la désignation d’un bien qui, à l’instar de la déclaration par le gouvernement, sont déterminés en fonction de leur nature (a), soit par exemple bien matériel ou immatériel et de la notion d’intérêt public (b). S’il advenait qu’un de ces statuts légaux puisse s’appliquer au « Street art », il serait alors régi par ces derniers, ce qui pourrait ainsi être la source de la résolution de nombreux conflits (c).

a. La nature du bien comme premier critère d’identification

Le classement vise les éléments matériels, c’est-à-dire les biens patrimoniaux, soit « un document302, un immeuble303, un objet304 ou un site patrimonial305 »306, « dont la connaissance, la protection, la mise en valeur ou la transmission présente un intérêt public »307. En l’espèce, si l’on considère que le « Street art » constitue un objet (objet d’art plus

302 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34, art. 2. « (…) selon le cas, un support sur lequel est portée une information intelligible sous forme de mots, de sons ou d’images, délimitée et structurée de façon tangible ou logique, ou cette information elle- même, qui présente un intérêt pour sa valeur artistique, emblématique, ethnologique, historique, scientifique ou technologique, notamment des archives ». 303 Ibid. « (…) tout bien immeuble qui présente un intérêt pour sa valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique, paysagère, scientifique ou technologique, notamment un bâtiment, une structure, un vestige ou un terrain ». 304 Ibid. « (…) tout bien meuble, autre qu’un document patrimonial, qui présente un intérêt pour sa valeur archéologique, artistique, emblématique, ethnologique, historique, scientifique ou technologique, notamment une œuvre d’art, un instrument, de l’ameublement ou un artéfact » 305 Ibid. « un lieu, un ensemble d’immeubles ou, dans le cas d’un site patrimonial visé à l’article 58, un territoire qui présente un intérêt pour sa valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique, identitaire, paysagère, scientifique, urbanistique ou technologique ». 306 Ibid. 307 Ibid., art. 29.

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précisément) dans son individualité, ou bien même un immeuble par rattachement quand apposé sur un mur, alors au sens de l’article 2 de Loi sur le patrimoine culturel. Plus largement parvenir à une telle conclusion permettrait d’affirmer que les œuvres de « Street art » correspondraient aux biens visés par le classement.

Concernant la déclaration, celle-ci peut être faite par le gouvernement « sur la recommandation du ministre qui prend l’avis du Conseil » afin de « déclarer site patrimonial un territoire dont la connaissance, la protection, la mise en valeur ou la transmission présente un intérêt public »308. Il s’agit ici d’un régime majoritairement semblable au classement, si ce n’est qu’il se cantonne aux sites patrimoniaux correspondant à un territoire dont la « valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique, identitaire, paysagère, scientifique, urbanistique ou technologique »309 présente un intérêt. C’est ainsi que le Vieux-Québec, le Plateau Mont- Royal, l’île d’Orléans ou encore l'Archipel-de-Mingan, sont déclarés sites patrimoniaux310. Ici, encore la nature du bien n’écarte pas les œuvres de « Street art » de l’applicabilité du statut légal constitué par la déclaration, en ce sens que rien ne semble s’opposer au fait qu’un ensemble d’œuvres puisse être qualifié de site patrimonial. Par exemple, les piliers Dufferin- Montmorency de Québec, pourraient constituer un site dont la valeur artistique présente un intérêt majeur et qui relèverait alors du régime du patrimoine culturel.

308 Ibid., art. 58. 309 Ibid., art. 2. 310 Voir en ce sens Conseil du Patrimoine Culturel Québec, Sites patrimoniaux déclarés. En ligne : http://www.cpcq.gouv.qc.ca/index.php?id=patrimoine.

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Enfin nous arrivons à la désignation qui, à l’initiative du ministre, peut porter sur « des éléments du patrimoine immatériel, un personnage historique décédé, un événement ou un lieu historique »311. Ces énumérations ne semblent toutefois pas correspondre aux œuvres de « Street art » puisque comme l’article 2 l’énonce, le patrimoine immatériel ne comprend que « les savoir-faire, les connaissances, les expressions, les pratiques et les représentations transmis de génération en génération et recréés en permanence, en conjonction, le cas échéant, avec les objets et les espaces culturels qui leur sont associés ». Si à première lecture, l’on pouvait vouloir inclure le « Street art » sous l’appellation de « savoir-faire », une telle notion semble plutôt promouvoir la transmission et la pratique d’une culture ancestrale. Or, la contemporanéité du « Street art » et sa pratique revêtant une infinité de techniques, communes à certains, mais parfois propres à d’autres, semblent faire obstacle à une telle qualification.

Concernant cette fois, les autres éléments de cet article, ces derniers permettent d’emblée exclure le « Street art » de leur champ, nous permettant d’en éluder l’analyse. Dès lors nous écarterons la désignation de l’hypothèse d’une éventuelle adaptation.

b. L’intérêt public : la porte ouverte à une interprétation positive pour le « Street art »

Les articles 29 et 58 de la Loi sur le patrimoine culturel, suivent une structure similaire dans leur rédaction. En effet, il est d’abord fait référence à l’entité pouvant initier la procédure, puis à la nature des biens concernés et enfin à l’intérêt que ces derniers doivent revêtir. Les deux

311 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34, art. 13.

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premiers éléments nous ayant permis de retenir le classement et la déclaration, nous devons à présent déterminer si les œuvres de « Street art » pourraient répondre au dernier élément : l’intérêt public.

Lorsque le législateur fait appel à la notion d’intérêt public, c’est généralement pour faire face à un conflit où des parties divergentes pourraient s’opposer. De ce fait, cette notion peut revêtir une pluralité de sens qui seront interprétés par les juges en fonction de chaque cas d’espèce. Ainsi, une définition précise du sens à donner à « l’intérêt public » dans le cadre de ces articles de la Loi sur le patrimoine culturel est impossible puisque ces termes ont ici spécifiquement été choisis pour ne pas limiter les possibilités d’applications. En effet, « (…) lorsque l'unanimité [du sens à donner] n'existe pas, on aura tendance à énoncer une règle renvoyant à l'appréciation que fera le juge de l'intérêt public (…) », ce dernier « command[a]nt à l'interprète de s'enquérir de ce qui est acceptable dans le milieu dans lequel la décision va s'appliquer »312.

Dès lors, il appert que ladite notion peut être interprétée en faveur du « Street art » s’il advenait que cette pratique fasse dorénavant partie des mœurs acceptables. Nous sommes d’avis que l’engouement, tant du public que des municipalités, ou encore de certaines communautés qui gravitent autour des œuvres, reflète un changement majeur quant à l’appréciation du « Street art », même illégalement pratiqué. De ce fait, nous irions dans le sens d’une interprétation positive de la notion d’intérêt public inscrite dans ces deux articles, permettant ainsi de faire entrer

312 Pierre TRUDEL, « L’intérêt public: son rôle et les rouages de sa détermination » dans Yves-Marie MORISSETTE, Wade MACLAUCHLAN et Monique OUELLETTE, La transparence dans le système judiciaire, 1994, Montréal, Institut canadien d'administration de la justice, éditions Thémis, p.38.

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cette pratique dans le champ d’application du régime de protection du patrimoine culturel québécois.

Dans le sens d’une telle protection, nous allons donc exposer ce que le classement et la déclaration impliqueraient concrètement pour tous les acteurs en jeu : public, auteurs, propriétaires.

c. Les prérogatives dévolues par un tel régime

Une fois que le ministre a transmis au propriétaire l’avis dénonçant son intention de classer, que ce dernier a été inscrit au registre foncier313 et que le Conseil du patrimoine culturel a émis sa recommandation, le bien peut légitimement être classé et inscrit au registre du patrimoine culturel314. Ce classement, en plus d’être rétroactif à la date d’émission de l’avis au propriétaire315, impose dès lors une multitude de limitations aux attributs du droit de propriété dévolus aux titulaires.

En ce sens, nous retrouvons des atteintes au droit d’usage au travers de l’obligation pour tout propriétaire d’un bien classé, qu’il soit mobilier ou immobilier, de mettre en place toutes « les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de ce bien »316. Concrètement cela implique pour les œuvres de « Street art », que le propriétaire n’est désormais plus libre de définir l’usage qu’il voudrait faire de son bien, si tant est qu’une œuvre y soit apposée, lorsque cela serait susceptible de nuire à sa préservation, devenant garant de l’intégrité de l’œuvre.

313 Loi sur le patrimoine culturel, supra note 34, art. 30. 314 Ibid., art. 33. 315 Ibid., art. 34. 316 Ibid., art. 26.

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Nous constatons ensuite que l’article 48 de la Loi, s’attaque au droit de disposer du bien. En effet, il est prévu dans cet article que « [n]ul ne peut, sans l’autorisation du ministre, altérer, restaurer, réparer, modifier de quelque façon ou démolir en tout ou en partie un bien patrimonial classé et, s’il s’agit d’un immeuble, le déplacer ou l’utiliser comme adossement à une construction »317. Le propriétaire n’est alors plus libre de modifier son bien si ce dernier constitue le support d’une création, ce qui une fois encore permet de garantir l’intégrité des œuvres classées.

C’est toutefois au niveau de son droit d’aliénation que les limitations sont les plus prononcées. L’article 52 de la Loi interdit tout d’abord l’aliénation (vente ou donation) d’un bien mobilier classé à tout « gouvernement, y compris ses ministères et organismes, autre que le gouvernement du Québec »318, mais aussi à toute « personne physique qui n’a pas la citoyenneté canadienne ou la résidence permanente »319 et à toute « personne morale dont le principal établissement n’est pas situé au Québec »320. De plus, le législateur vient préciser « [qu’aucun] bien patrimonial [donc meuble et immeuble] classé ne peut être transporté hors du Québec sans l’autorisation du ministre »321. Reprenant l’exemple de « Slave Labor », l’œuvre arrachée d’un mur de Londres puis revendue aux États-Unis, cela n’aurait alors pas été possible si le bien avait été classé. Aussi, la vente aux enchères d’un bien patrimonial, mobilier ou immobilier, ne peut être faite sans que le ministre en ait été averti au moins 60 jours avant322, ce dernier étant d’ailleurs préféré à tout autre acheteur pour les biens mobiliers323.

317 Ibid., art. 48. 318 Ibid., art. 52(1). 319 Ibid., art. 52(2). 320 Ibid., art. 52(3). 321 Ibid., art. 47. 322 Ibid., art. 54. 323 Ibid., art. 56.

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Dès lors, nous sommes en mesure d’affirmer que ce régime de classement est à même de répondre au questionnement laissé sans réponse dans la partie sur le droit des biens, où nous n’étions pas en mesure de déterminer quels droits, entre ceux du propriétaire et ceux de l’auteur devaient être préférés. Or, grâce à ce régime, il n’est plus question de prévalence des droits, mais de protection d’un bien ayant un intérêt artistique suffisamment important pour l’intérêt public. En ce sens, les attributs conférés au propriétaire, même dans les cas où l’œuvre est apposée illégalement seront limités, de même que ceux de l’auteur qui, toujours titulaire de ses droits, voit néanmoins son œuvre protégée. Le propriétaire ne voit toutefois pas ses prérogatives limitées sans contreparties. Dans cette adaptation du régime du patrimoine culturel, il n’est pas dépossédé de sa propriété et est souvent rétribué en échange de ses nouvelles obligations.

Concernant la déclaration, « [l]e gouvernement peut, sur la recommandation du ministre qui prend l’avis du Conseil, déclarer site patrimonial un territoire (…) » dans les trois ans qui suivent la publication à la Gazette officielle du Québec de l’avis dudit Conseil324. Une copie de la recommandation doit être transmise à la municipalité dont le territoire fait partie, en faisant mention du délai 120 jours avant que la recommandation ne soit soumise au gouvernement et du fait qu’un décret sera rétroactivement appliqué à la date de publication de l’avis de recommandation325.

Bien que le gouvernement soit à l’origine de la déclaration, c’est le ministre qui établit un plan de conservation avec l’avis de la municipalité concernée, comprenant alors « ses orientations en vue de la préservation,

324 Ibid., art. 58. 325 Ibid., art. 59.

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de la réhabilitation et, le cas échéant, de la mise en valeur de ce site en fonction de sa valeur patrimoniale et de ses éléments caractéristiques ». En plus de ce plan de conservation, qui s’apparente aux « mesures nécessaires pour assurer la préservation » de l’article 26 vu précédemment, la Loi sur le patrimoine culturel prévoit deux articles restreignant les actions possibles sur le territoire ainsi déclaré. De ce fait, sans l’autorisation du ministre, nul ne peut « faire un nouvel affichage, modifier, remplacer ou démolir une enseigne ou un panneau-réclame »326, mais aussi, « diviser, subdiviser, rediviser ou morceler un terrain, ni modifier l’aménagement ou l’implantation d’un immeuble, ni faire quelque construction, réparation ou modification relative à l’apparence extérieure d’un immeuble, ni démolir en tout ou en partie cet immeuble, ni ériger une nouvelle construction »327.

Cette fois-ci, reprenons l’exemple du mythique « Five Pointz », ce complexe industriel devenu temple du « Street art » puis complètement détruit. Au regard des critères que nous venons d’énoncer (nous sommes dans l’hypothèse où un tel cas d’espèce se serait produit au Québec), s’il avait été déclaré comme site patrimonial, ce qui est selon nous fort probable au vu de son importance artistique, nul n’aurait pu altérer l’immeuble ou une quelconque partie de ce dernier ou même encore certains éléments proches de l’immeuble et s’inscrivant dans cet ensemble. De ce fait, l’intervention destructrice faite par le propriétaire, n’aurait pu avoir lieu sans l’autorisation préalable du ministre, de même que celles potentiellement entreprises par la municipalité sur ces éléments externes au complexe, sans quoi ils auraient été sanctionnés.

326 Ibid., art. 65. 327 Ibid., art. 64.

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Néanmoins bien que ces deux statuts légaux soient rétroactifs à la date d’émission ou de publication de leur avis, ils restent des processus longs à mettre en place et pourraient souvent n’intervenir qu’une fois l’altération ou l’aliénation accomplie. Aussi, puisque résultant d’une autorité supérieure, il se pourrait que l’ensemble du patrimoine culturel ne soit pas complètement appréhendé. Il semblerait alors que l’intervention plus locale des municipalités, soit un outil nécessaire à la pérennisation du régime de protection du patrimoine culturel du Québec, ce que le législateur semble avoir bien saisi en créant un chapitre entièrement dédié à cet effet.

2. Une adaptation à l’initiative des municipalités

Introduite par la Loi sur les biens culturels de 1985, l’intervention des municipalités locales est aujourd’hui bien ancrée dans le processus de reconnaissance du patrimoine culturel. En effet, dans la Loi sur le patrimoine culturel, ces dernières ont la possibilité d’intervenir dans la préservation dudit patrimoine à l’aide de deux statuts légaux, la citation et l’identification. Ces derniers s’articulent de la même manière que les statuts évoqués ci-dessus, c’est-à-dire autour de la nature du bien protégé, de son intérêt public (a) et des prérogatives conférées par un tel régime (b).

a. La reprise de la nature du bien et de l’intérêt public comme critère de qualification

L’identification prévue dans le chapitre dédié aux municipalités ne concernant que la protection du patrimoine immatériel et des personnages, évènements et lieux historiques, il n’est pas nécessaire de

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s’attarder sur un tel procédé. En effet, comme nous l’avons démontré précédemment, les œuvres de « Street art » semblent difficilement rattachables à de telles qualifications, rendant l’application de ce statut légal inopérant en l’espèce. Dès lors nous ne traiterons que celui correspondant à la citation.

Cette dernière s’apparente pour beaucoup au classement, en ce sens que la nature des biens touchés est la même, c’est-à-dire qu’une municipalité peut « citer en tout ou en partie un bien patrimonial [nous soulignons] situé sur son territoire »328, de même qu’un « site patrimonial »329. De plus à l’instar des biens classés, ceux cités doivent revêtir le caractère d’intérêt public commun aux deux articles introduisant ces statuts.

Ainsi, en application aux œuvres de « Street art », cela n’est donc guère différent du premier régime envisagé précédemment. En effet, que l’œuvre soit un bien mobilier ou immobilier, si elle est jugée d’intérêt public, elle entrera dans le champ d’application de la citation. Une fois encore notre hypothèse penche en faveur de l’application d’un tel régime aux œuvres de « Street art », puisque leur préservation serait suffisamment justifiée étant donné l’intérêt artistique de la plupart d’entre elles. Il faut toutefois légèrement nuancer le propos concernant les objets patrimoniaux, puisqu’ici la municipalité ne pourra les citer que si elle en est propriétaire330. Cette précision ferme donc la porte aux œuvres dont la fixation serait mobilière, tel qu’une œuvre vissée sur un mur qui ne serait alors pas un immeuble par destination puisque détachable de l’immeuble support.

328 Ibid., art. 127 al. 1. 329 Ibid., art. 127 al. 2. 330 Ibid., art. 127 al. 3.

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La procédure de citation débute par un avis de motion qui est émis par le conseil municipal et qui notifie le bien patrimonial visé331, les motifs332, la date d’entrée en vigueur de l’éventuel règlement333 et « la possibilité pour toute personne intéressée de faire ses représentations auprès du conseil local du patrimoine »334. Un avis public est aussi transmis pour que toute personne intéressée par la citation puisse faire valoir ses représentations au moins trente jours avant l’adoption du règlement335. L’avis de motion peut alors mener à l’adoption d’un règlement à partir du soixantième jour336 et restera valide jusqu’au cent-vingtième337.

Dans l’éventualité où le conseil municipal adopte un règlement de citation, le bien ou le site patrimonial sera alors inscrit au Registre du patrimoine culturel à la date prévue de son entrée en vigueur et une notification sera transmise à celui qui a la garde du bien cité338. Par ailleurs cette date d’entrée en vigueur sera sujette à une variation dépendamment de la nature du bien. S’il s’agit d’un objet, cette date sera au moment de l’adoption du règlement339, puisqu’appartenant nécessairement à la municipalité elle ne se notifiera pas à elle-même l’adoption de son propre règlement. S’il s’agit d’un immeuble ou d’un site patrimonial, ce sera à la date de notification du ou des propriétaires340. La procédure semble donc bien moins longue que celles initiées par le ministre ou le gouvernement, ce qui en matière de « Street art », peut être un élément déterminant quant à la protection des œuvres qui suppose fréquemment une

331 Ibid., art. 128(1). 332 Ibid., art. 128(2). 333 Ibid., art. 128(3). 334 Ibid., art. 128(4). 335 Ibid., art. 130. 336 Ibid., art. 131. 337 Ibid., art. 132. 338 Ibid., art. 133. 339 Ibid., art. 134(1). 340 Ibid., art. 134(2).

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intervention rapide afin d’éviter toute mesure de destruction telle qu’imposée par certains règlements municipaux.

Puisqu’applicable au « Street art », nous sommes à présent en mesure d’appréhender les implications d’une telle citation, quelles sont les obligations qui en découlent pour chacun des acteurs impliqués ?

b. Les prérogatives dévolues par le statut légal : la citation

Une fois n’est pas coutume, la citation se rapproche fortement du classement, y compris dans les mesures coercitives que cette dernière impose. En effet, tout comme l’article 26, l’article 136 de la Loi sur le patrimoine culturel, oblige le propriétaire d’un bien cité à prendre toutes « les mesures nécessaires pour assurer la préservation de la valeur patrimoniale de ce bien ».

Cela implique alors qu’aucune altération, restauration, réparation ou modification ne peut être faite sauf à être conformes « (…) aux conditions relatives à la conservation des valeurs patrimoniales (…) » dudit bien, « (…) auxquelles le conseil peut l’assujettir et qui s’ajoutent à la réglementation municipale ». En ce sens, il est donc nécessaire pour le propriétaire d’en avertir la municipalité au moins 45 jours avant de procéder. Ces mesures sont toutefois plus douces que pour le classement, puisque le propriétaire reste libre de le faire si cela respecte les conditions prévues par la municipalité. Ce dernier n’est en effet pas tenu d’attendre son autorisation pour agir, celle-ci contrôlant uniquement le résultat final. C’est ici que nous apercevons, une première faiblesse de ce régime s’il venait à s’appliquer au « Street art », puisque le propriétaire pourrait attenter à l’intégrité d’une œuvre (de bonne ou mauvaise foi), et ce, avant

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même que la municipalité ne contrôle l’altération et de ce fait avant que l’atteinte ne soit constatée.

Cependant, cela ne concerne que les modifications « mineures » puisque le propriétaire, ou toute autre personne, ne peut sans l’autorisation du conseil, « détruire tout ou partie » d’un bien mobilier patrimonial, « démolir tout ou partie d’un immeuble patrimonial cité, le déplacer ou l’utiliser comme adossement à une construction ». Le législateur perpétue ainsi la fermeté des mesures coercitives découlant des statuts à l’origine du ministre et garantit la survie, même partielle, de tout bien qui serait cité. Transposé au « Street art », cela serait un atout conséquent dans la mesure où, par exemple, un mur recouvert d’œuvres ne pourrait être détruit entièrement sans l’autorisation du conseil et il serait alors possible d’en préserver une partie.

Ces statuts légaux, qu’ils soient instaurés par le ministre ou une municipalité, n’imposent toutefois pas toutes ces mesures répréhensives aux propriétaires sans contrepartie, ce qui permettrait de légitimer aux yeux de tous les acteurs en jeu, cette hypothétique adaptation du régime du patrimoine culturel aux œuvres de « Street art ».

C. Un régime rétribuant les concessions faites par les propriétaires

Nous l’avons abordé tout au long de ces dernières parties, le régime du patrimoine culturel est sans aucun doute un outil efficace lorsqu’il s’agit de protéger la pratique du « Street art », même illégale. L’œuvre ou l’ensemble d’œuvres une fois protégé par un tel régime ne peut être altéré ou détruit par le propriétaire du support, ou du moins pas sans l’autorisation de l’autorité compétente. Ce dernier est en effet limité sur

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bon nombre de ses droits et se retrouve pieds et poings liés quant à la gestion de son bien.

Néanmoins, à l’inverse du régime des biens communs exposé précédemment, celui du patrimoine culturel apparaît beaucoup moins attentatoire aux droits du propriétaire. Tout d’abord, ce dernier reste propriétaire ! Il ne s’agit pas ici de modifier le statut du bien, d’un bien privé ou public à un bien commun. De ce fait, le propriétaire reste titulaire des droits qui sont rattachés à sa propriété, il devient malgré lui le gardien de l’intégrité de l’œuvre et dès lors du respect de certains droits moraux de l’auteur.

Aussi, dans l’éventualité d’un tel régime de protection, nous supposons que la propriété matérielle de l’œuvre n’est alors plus au cœur du conflit et serait dans cette hypothèse rattachée au propriétaire du support, qu’il soit privé ou public. Ce régime organise selon nous la gestion de l’œuvre, en redistribuant l’exercice des droits qui lui sont rattachés parmi tous les acteurs impliqués et sous le contrôle d’une entité administrative. La contrepartie est donc double, l’auteur qui rappelons-le était conscient de l’illégalité de son geste, voit son œuvre pérennisée et le propriétaire voit ses droits conservés.

Finalement, bien que le propriétaire soit toujours en possession de son bien, l’apposition d’une œuvre sans son accord n’en reste pas moins une atteinte à sa pleine jouissance dont il bénéficiait initialement. De ce fait, le législateur a prévu dans la Loi sur le patrimoine culturel plusieurs types de compensations. Tout d’abord l’article 78(4) prévoit que le ministre peut octroyer son soutien au propriétaire dès qu’il le juge approprié. Ainsi, il pourra :

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« contribuer à l’entretien, à la conservation, à la restauration, à la mise en valeur, à la transformation ou au transport d’un élément du patrimoine culturel désigné, classé, identifié ou cité ou d’un bien situé dans un site patrimonial classé, déclaré ou cité, ainsi qu’à la reconstitution d’un immeuble patrimonial classé ou cité ou d’un édifice sur un immeuble patrimonial classé ou cité ou sur un site patrimonial classé, déclaré ou cité et détenir sur les biens faisant l’objet d’une contribution, toute charge, droit réel ou hypothécaire qu’il juge approprié ».

La compensation se traduit donc ici par un soutien dans la préservation du bien classé, cité ou déclaré, ne faisant ainsi pas peser le poids des frais rattachés à ce dernier sur le propriétaire. Ensuite, l’article 78(5) permet au ministre « [d]’accorder des subventions dans le but de favoriser la connaissance, la protection, la transmission ou la mise en valeur des éléments du patrimoine immatériel, (…), des biens patrimoniaux ou des biens situés dans un site patrimonial classé, déclaré ou cité ». Cette disposition peut être cumulative avec la première et de ce fait permet au propriétaire d’être largement compensé vis-à-vis des tâches qui lui incombent.

Du côté des municipalités, il est aussi possible de trouver certaines compensations alors même que Loi sur l’interdiction de subventions municipales (chapitre I-15)341 le proscrit normalement. En ce sens premièrement, une municipalité est en mesure « (…) [d’] accorder, aux conditions qu’elle détermine, toute forme d’aide financière ou technique pour la connaissance, la protection, la transmission ou la mise en valeur d’un élément du patrimoine culturel identifié ou cité par elle » [nous soulignons]. Deuxièmement, la municipalité peut « accorder une aide financière ou technique » à des biens qui auraient fait l’objet d’un classement, d’une déclaration ou d’une désignation lorsque ces derniers

341 Loi sur l’interdiction de subventions municipales, RLRQ, c I-15. En ligne : http://legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showDoc/cs/I-15?&digest=.

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se situent sur son territoire ou qu’ils lui sont reliés. Le propriétaire d’un tel bien semble ainsi pouvoir cumuler tant les aides ministérielles que celles municipales.

À la lumière de tous ces éléments, nous en sommes arrivés à la conclusion suivante : le régime du patrimoine culturel peut être la solution adéquate permettant de temporiser les conflits que génère le « Street art ». Il vient favoriser la préservation des œuvres par l’intervention d’une entité externe, permettant ainsi de trouver, selon nous, un juste équilibre entre droit de propriété et droit d’auteur. Néanmoins, nous le rappelons l’application de ce régime ne dépend que d’un élément, l’intérêt public, un critère demeurant toutefois incertain en matière de « Street art ».

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Conclusion

Ce mémoire avait pour objectif de déterminer si l’illicéité dans l’apposition de certaines œuvres de « Street art » faisait d’une part, barrage à un quelconque assujettissement au droit d’auteur et d’autre part, dans l’hypothèse d’un rattachement à un tel régime, si l’illégalité avait pour effet de restreindre les prérogatives alors accordées. En effet, l’apposition « sauvage » de telles œuvres est à l’origine de nombreuses conséquences légales et notamment en ce sens qu’elle interpelle et confronte de multiples intérêts antagonistes. En ce sens, nous avons abordé notamment, les conflits naissants entre l’auteur de l’œuvre et le propriétaire du support sur lequel elle s’insère et tenté de faire émerger un modèle de traitement juste et équilibré en l’espèce.

Nos recherches nous ont permis de mettre en évidence un des aspects à l’origine des difficultés entourant cet art et il appert ainsi, que c’est le terme même de « Street art » qui occasionne des difficultés quant à l’appréhension et au traitement de cet art par le droit. En effet, ce dernier est aujourd’hui dénué de sens, car englobant une multitude de styles (voire même un trop plein) pouvant ou non répondre aux critères du droit d’auteur et à l’origine d’une certaine confusion. Chaque cas en est un d’espèce et c’est principalement une appréciation in concreto qui permettra de déterminer si l’expression artistique litigieuse est ou non soumise au droit d’auteur et donc entrant potentiellement en conflit avec des droits préexistants.

Dès lors nous pouvions répondre par l’affirmative à la problématique de notre mémoire, « au Québec, une protection des œuvres de « Street art » est-elle envisageable malgré le caractère illégal de leur apposition ? »,

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OUI. En effet, le « Street art » semble être protégé au même titre que n’importe quelle autre œuvre qui remplirait les conditions exigées par le droit d’auteur, à savoir originalité et fixation, et ce quand bien même l’apposition serait illicite. Une position qui se justifie d’autant plus si l’on considère que le droit d’auteur n’a pas pour vocation de juger du mérite artistique d’une œuvre. Discriminer le « Street art » du seul fait de son illégalité aux yeux d’autres branches du droit aurait eu pour effet de vider de son sens l’un de préceptes fondamentaux du droit d’auteur.

Toutefois, ces propos sont à nuancer avec la pratique qui s’oppose bien souvent à l’exercice des droits conférés par un tel régime de protection. Certes le droit d’auteur ne prend pas en compte la légalité pour octroyer sa protection, mais d’autres branches du droit, nous le répétons, tels que le droit criminel et le droit des biens s’opposent à l’illégalité qui réside dans les œuvres réalisées sans consentement sur la propriété d’autrui.

Le droit criminel et les règlements municipaux sanctionnent la pratique illégale (voir même légale pour certaines municipalités) du « Street art » au même titre que le méfait ou le vandalisme, imposant ainsi mesures d’effacement, amendes et peines d’emprisonnement. Il est question ici d’enrailler l’expansion de cet art en affaiblissant ceux qui le pratiquent. Néanmoins selon nous, seules les sanctions pécuniaires semblent légitimes lorsqu’une œuvre de « Street art » observe une protection par le droit d’auteur. En effet, les mesures d’effacements généralement imposées par les mairies, sont attentatoires à l’intégrité des œuvres et ne peuvent, encore une fois selon nous, légitimement être exécutées. Les possibilités d’effacement s’arrêtent alors où le droit d’auteur commence.

Le droit des biens est quant à lui plus complexe à appréhender. Il n’est pas question ici de sanctionner le « Street art », mais de lui opposer un

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droit quasi-immuable, qu’est celui de propriété! Droit d’auteur ou droit du propriétaire telle est la question ? Pour y répondre nous avons tenté d’approcher des solutions alternatives qui nous auraient permis de mettre un point final au débat. Or, que ce soit avec le régime des biens communs remis sur le devant de la scène par la doctrine italienne ou celui du patrimoine culturel, une des parties est, dans chacune de ces solutions, toujours lésée.

Notre choix se porte tout de même sur le régime du patrimoine culturel qui, à l’inverse de celui des biens communs, ne retire pas la propriété du bien à son propriétaire original. Ce dernier reste en effet en possession de son bien mais se voit imposer, en échange de contreparties financières, des devoirs de préservation dudit bien dans son ensemble et nouvellement inclut sous l’un des régimes de protection du patrimoine culturel. Il est, selon nous, le régime le moins attentatoire pour le propriétaire du bien mais n’en reste pas moins une atteinte.

En conclusion de ce mémoire nous ne sommes alors en possession que de deux certitudes sans toutefois posséder de véritable solution « miracle » à ces problématiques contemporaines. Premièrement, le « Street art » est protégeable juridiquement par le droit d’auteur, qu’il soit légal ou illégal. Deuxièmement, l’exercice des droits que ce régime confère est possible mais limité par des droits concurrents. La voie la plus sécuritaire pour les street-artistes semble alors être celle de la légalité et de la contractualisation de leur pratique. En effet, profitant d’une nouvelle notoriété depuis quelques temps, que ce soit auprès du public ou des institutions qui l’ont longtemps traqué, le « Street art » est aujourd’hui un phénomène populaire dont la demande ne cesse de croitre. Embellissement urbain au travers d’œuvres commandées, exposition dans les musées, explosion des prix dans les ventes aux enchères d’art,

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tout semble indiquer que les street-artistes auraient tout à gagner à développer une pratique légale de cet art. Néanmoins selon certains artistes, cela pourrait aussi être la fin du « Street art » puisque lui soustraire son illégalité, lui retirerait également son essence et sa raison d’exister. Le « Street art » semble alors se retrouver au pied du mur.

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