<<

Histoire et Droit dans l'Histoire des deux Indes de Title Raynal/Diderot

Author(s) OHJI, Kenta

Citation ZINBUN (2006), 38: 77-114

Issue Date 2006-03

URL https://doi.org/10.14989/48826

© Copyright March 2006, Institute for Research in Humanities Right Kyoto University.

Type Departmental Bulletin Paper

Textversion publisher

Kyoto University ZINBUN 2005 No.38

Histoire et Droit dans l' Histoire des deux Indes de Rayna1/Diderot*

Kenta OHJI

o. Position du probleme.

Parler de l' Histoire philosophique et politique des et α b l i s s e m e n s et du eomュ meree des Europeens dans les deux Ir 枕 s (les trois editions successives en 1770 , en 1774 et en 1780) 1 de G uillaume- Thomas Raynal dans Ie cadre de la ge 的a­ logie des savoirs juridiques n うa rien d うevident. Historien ぅjournaliste et collaboュ rateur de la diplomatie fran<;aise , Raynal ぜ a pas de formation juridique tout comme la plupart des contributeurs de son ぽuvre うparmi lesquels se trouvent う entre autres うDenis Diderot うAlexandre Deleyre ou Jean- Fran<;ois de Saintュ Lambert. 2 Ecrite et reecrite en r ・ e p o n s e aux grandes mutations de la politique

* Ce texte est base sur la communication prononcee au colloque ォ Une g 白lealogie des savoirs juridiques: Ie carrefour des Lumieres »ぅ a u Centre d うHistoire de la Philosophie Moderne du CNRS うVillejuif , うIe 25 avril 2003. 1 Nous utilisons les editions suivantes : Anonyme ぅ His t o ire philosophique et politique des et αblissemens et du commerce des Europeens d αns les deux Indes ぅ A m s t e r d a m う 1 7 7 0 , 6 vo l. うin 8 [HDI 70 うpar la suite] ; Ano町me , Histoire philosophique et politique des etα­ blissemens et du commerce des Europeens d α ηs les deux Indes ぅ L a Haye , Gosse fils う1774 う 7 vo l. うin 8 [HDI 74 うpar la suite] ;Guillaume-Thomas Raynal , Histoire philosophique et politique des et αblissemens et du commerce des Europeens d αns les deux Indes ぅ G e n e v e , J.-L. Pellet , 1780 う4 vol ・ ぅin 4 [HDI 80 ぅpar la suite]. Nous donnons en reference s 町cessi­ vement I モdition , Ie numero du livre うdu chapitre ヲdu tome et de la page. Quand Ie texte en question est repris dans les editions diflhentes ぅnous donnons la reference de toutes les editions correspondantes ぅen les reliant par Ie sig 配 « + 沖(entre HDI 70 et HDI 74) ou ォ ++ サ (entre HDI 74 et HDI 80) dans les cas 0 む l e s variantes existe 帆et par un «ー» dans les cas contraires. 2 Sur Raynal et l' Histoire des deux Indes ぅ v o i r ぅ A n a t o l e Feugere , L'αbbe Rαynalタprecurseur de l α R 白olutio 凡 A n g o u l e m e , Imprimerie Ouvriere う1922; Hans Wolpe , R ανnal et sa mα­ chine de guerre , Stanford うStanford UPう1957; Michele Duchet う H i s t o i r e et α n t h r o p o l o g i e α u siecle des Lumieres ぅ d e u x i e m e edition , Paris うMichel う1995; id. う D i d e ro t et l タ'Histoire

77 KENTA OHJI internationale apres la fin de la Guerre de Sept Ans ぅl'int 紅 白princi pal de l う H i s i o i r e des deux Indes reside avant tout dans ses interventions dans les d ふ bats politiques d'une cuisante actualite うa propos des reformes de la Compagnie des Indes et de la gestion du commerce colonial , de la traite dite ォ des Negres サ ou de l'Independance des Etats- U nis d うAmerique Septentrionale. Le discours historique y sert d うabord d'un outil d うinterrogation sur les conditions de posュ sibilite de toute decision politique dans un etat d うexception うet la question juridique apparait comme essentiellement soumise a cette exigence politique imminente. Si jamais il ya un tribunal qui interesse Raynal , ピest bien Ie triュ bunal de 1 うhistoire 0 む l e s souverains passes et presents sont convoques et juges ぅ tout imbu qu'il soit de l'idee tacitienne de l'historien comme un juge impartial de la posterite. Ce que l'on constate dans l' Hisioire des deux Inde ム c ' e s t donc la soumission du Droit a la Politique , et de la Politique a l'Histoire :on verra comment cette double soumission est operee sous la plume des historiens des deux Indes うautour de leur concept-de de ォ civilisation» , d組ni a la fois comme un processus historique et comme un acte politique. Mais prernierement うil faut se demander ce qui conditionne une telle souュ mission , en ゲ i n t e r r o g e a n t sur les premisses historiographiqu 杭philosophique et politique de 1 う H i s i o i r e des deux Indes. Pour cela うil convient de replacer cette 田 u v r e dans un vaste contexte culturel de l'historiographie des Lumi むres , celui de la transformation de l'histoire universelle. On connait la remise en question philosophique d うun Discours sur l'1山ioire universelle de Bossuet par Voltaire dans son Ess α i sur les m 配 u r s :c'est en elargissant Ie champ geographique de l うespace historique bien au-dela des frontieres de l'ancien Empire Romain et en retragant Ie processus de 1 もmergence des Etats souverains modernes en depuis l'avenement de l'Empire Carolingien , que Ie patriarche des philosophes realise sa contestation de l'eveque de Meaux. L う H i s i o i r e des deux Indes , en tant qu'histoire philosophique a 1 もchelle mondiale du commerce et des coloュ nies des modernes Europeens うa bien sa place dans ce mouvement intellectuel , et la transformation qu'elle opere des relations entre Ie Droit , la Politique et l'Histoire ぜ y est pas indifferente. Au premier moment de notre enquete うno

des de ωIndes , Paris うNizet う1978; Hans-Jiirgen Lii 問brink et Manfred Tiez (ed.) , Lecュ tures de R αyn α l う O x f o r d , Voltaire Foundation ヲ1991; Hans-Jiirgen Liisebrink et Anthony Strugnell (ed.) , L 'Histoire des deux Indes : reecriture et polygrapl 府 う O x f or d , Voltaire Foundation , 1995; Gilles Bancarel et Gianluigi Goggi (ed.) R αynal , de I α p o l e m i q u e d I'histoire , Oxford うVoltaire Foundation , 2000.

78 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H IS T O IR E DES DEUX INDES DE RAYNALjDIDEROT ses premiers ecrits historiques , avant d うexaminer les modalites de la soumission du Droit a la Politique et de la Politique a l'Histoire dans Ie chef-d' 白uvre de sa maturite. Trois poles ぜ i n v e s t i g a t i o n ぜ i m p o s e n t d 冶bord : 1) 1 う a d o p t i o n du concept d う « espece humaine サ naturaliste; 2) l'heritage du ォ germanisme サ de Boulainvilliers et 3) la question des relations i 凶ernationales

1. Tr ois premisses de l' Histoire des deux Indes. 1.1. Droit natureI et Histoire : Ie concept d'ォ espece humaine サ.

On sait que jusqu'a la premiere moitie du siecle des Lumieres ぅl'histoire universelle うdont Ie concept meme provient de la tradition judeo-chretienne う presupposait la continuite de l'histoire sacree telle qu うon la trouve dans la Bible et de l'histoire de l'humanite qui devrait en decouler. Cette demarche う qui reduit la duree de l'histoire humaine a quelques quatre milles annees atュ testees par les diverses versions de la Bible うimplique par ailleurs l'acceptation de l'idee de 1 う u n i t e du genre humain うlaquelle est a 伍rmee par Ie recit de la Creation biblique et confirmee par la tradition theologique thomiste : 1 う homme est cree a l'image de Dieu , et il participe a la raison divine par sa droite raison , ne serait-ce que dans les bornes assignees par la religion revelee. Cet argument est fondamental うil garantit 1 う u n i v e r s a li t e de la religion chretienn 札mais en meme temps うpose des apories aux historiens europeens modernes うcharges de rendre compte de 1 う a n t i q u i t e des civilisations asiatiques et de 1 う e x i s t e n c e de la population dans les terres decouvertes de l' Amerique. Ainsi うdepuis la seconde moitie du XVIIe siecle , la di 伍culte de conformer Ie recit biblique et les histoires palennes fait couler beaucoup d'encre aux missionnaires jesuites et aux chroュ nologistes うqui ぜ e m p l o i e n t de leur mieux a faire deriver ces histoires palennes d'une source unique pre- ou post-diluvienne , et ainsi a reintegrer la pluralite des histoires humaines dans un et seul recit de l'histoire chretienne. 3 C うest d 冶illeurs contre cette histoire universelle chretienne et ce ォ monogenisme サ qui la determine , que Voltaire dans sa Philosophie de l'histoire (1765) oppose la theorie ォ polygeniste », aux tonalites franchement ォ racistes サ a l'egard des Africains.

3 Sur cette question , voir notamment うVirgile Pinot , LαChine et I αformation de I' esュ prit philosophique , Paris , Geuthner う1932; Giuliano Gliozzi , Adα m et Ie Nouve αu Monde う traduit de l'italien par Arlette Esteve et Pascal Gabellon 巳Paris うTheetete , 2000; Riュ chard Popkin ぅ I sααc L αPeyrere (1596- 1676) , his life タ ωork α ηd in βuence , LeidejNew YorkjCopenhaguejCologne , Brill , 1987; Claudine Poulouin ヲ L e temps des origines , Paュ ris , Champion う1998.

79 KENTA OHJI

Dans ce debat うinfluence sur ce point par Diderot うRaynal adopte Ie concept naturaliste d ヲαespece humaine サ que l'on doit a Buffon. Ce concept buffonien est bien connu : I うhomme est une espece purement animale うqui est vouee a sa conservation et a sa reproduction うdont l'unite specifique se definit essentielュ lement par la possibilite de se reproduire par copulation sur au moins deux generations de suite; Quant aux varietes physiques de l'homme dans les diι ferentes regions du monde ぅelles s 冶xpliquent par les differences de climat うla fagon de se noun 廿 うles m 田urs et les usages. 4 Ce concept est a la fois oppose au ォ monogenisme サ chretien et au ォ polygenisme サ voltairien ぅdans la mesure ou il permet de penser aussi bien I うunite de l'homme うmais sans faire intervenir la Creation divine ぅque la diversite physique des peuples du monde entier sans l うinscrire dans une hierarchie preetablie. Ayant recours a ce concept うl'histoire universelle rompt avec Ie recit de la Creation et de la diffusion du genre humain う et parvient a englober la pluralite des peuples et de leurs histoires desormais comprise dans leurs rapports reciproques , aussi en matiere politique , econoュ mique うsociale ヲqu モventuellement sexuelle. II convient cependant d もtre attenュ tif a l'usage que Diderot fait d'une notion buffonienne d う « espece humaine サ. Car , alors que Buffon ぅpar prudence ぅn うoubliait pas d うaccorder a l'homme une place privilegiee dans la nature うen reconnaissant que la ォ pensee »ぅ s i n o n la ォ raison» , etait sa di 百 台ence specifique ,5 Diderot うen materialiste consequent う pousse I うanimalisation de l'homme jusqu'a I うextreme うet ぜ h e s i te pas a a伍rmer: ォ L'homme [...J avec une main qui se plie a tout et se soumet a tout うa dans ce seul organe du tact ぅtous les instruments reunis de la force et de l'adresse. […I Ce n うest point parce qu'il leve les yeux au ciel comme tous les oiseaux ぅqu'il est Ie roi des animaux; c'est parce qu'il est arme d'une main souple , 日exible う ind ustrieuse うterrible et secourable. Sa main est son sceptre. サ6 Et tandis que

4 Georges-Louis Leclerc de Buffon , De l'homme , in (E uvres philosophiques ぅ ed . J. Piveauュ teau ぅParis うPUF う1954. Diderot reprend ォ Des vari 白 色dans l'espece humaine 沖de Buffon dans son article Hum αine (Espece) de l' Encyclopedie [ENC うpar la Sl 此 e ] . Sur Ie concept de l'espece humaine chez Bu 百'on , voir うJacques Roger ぅLα s c i e n c e de la vie d αns l αpe ηsee fr αn r;. αise du XVIIle siecle う d e u x i e m e edition , Paris うMichel , 1994, p.536-538. 5 Buffon , De I'homme , op. cit. ヲ p . 2 9 8 ぅ B . 6 HDI 70 ぅliv. XV ぅt.5 , p.73-74-HDI 74 ぅliv.XV ぅt.5 ぅp.70-71-HDI 80 ヲliv. XV ぅt.4 ヲ p.62-63. Raynal semble etre bien conscient de la difference des concepts d う « espece humaine サ et de ォ genre humain サ. En e旺'et ヲdans la description du climat de l'lnde , nous lisons Ie passage suivant : ォ En general , ne peut 明on pas 部surer que Ie climat Ie plus favorable a 1 う e s p e c e humaine est Ie plus anciennement peuple? Un air pur , un climat doux ぅun sol fertile , et qui produit presque sans culture , ont dfi rassembler les premiers hommes. Si Ie genre humain a pu se multiplier et s もtendre dans des climats affreux 0 也 il

80 HISTOIRE ET DROIT DANS L ヲ H IS TO IR E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

Raynal remarque :ォ Lucrece a dit , non pas que l'homme a regu des mains pour s うen servir; mais qu'il a eu des mains et qu'il ぜen est servi ゅ う 7 Diderot ぜ e e r i e en deplorant la destruction des ォ castors civilises サ du Canada : ォ 0 nature! ou est ta providence , ou est ta bienfaisance d うavoir arme les animaux ぅespece contre espece ヲet l'homme contre tous? が Cette a 山nalisation de l'homme selon Raynal/Diderot a des consequences majeures dans leur conception du Droit うde la Politique et de l'Histoire. C うest que , dans leur vision materialiste うla nature ne connait ni finalite ni providence う et l'homme , en tant qu'etre purement animal , est completement affranchi de la soumission a une norme morale うnaturelle etα p r i o r i . Les belles ames de la 80rュ bonne ne se sont done pas trompees en censurant Ie passage precite うavec ぅa leur appui , une citation de De Legibu8 de Ciceron que Diderot falsifie :ォ La Raison que l'Homme apporte en naissant うl'unit intimement ala Divinite うet lui donne う avec elle うune espece de ressemblance. Il differe des animaux par l'entendement う la liberte ヲIe sentiment moral , l'aptitude a la societe うl' organe de la parole うIe pouvoir presque illimite de perfection うilles surpasse aussi par la forme de son corps , qui Ie rend propre a exercer tous les arts. Ces regards tournes vers Ie del , ce front ou se peint la fierte de commandement うtout annonce la superiorite de sa nature. ゾSelon les docteurs ,nier la raison comme la di 能renee specifique du genre humain うc'est nier l'isomorphisme de Dieu et de l'homme うet remettre en question , non seulement la veri 伯 尚velee うmais aussi 1 うexistence de la loi natuュ relle. On notera d うailleurs que sur ce point うRaynal/Diderot ne s もloignent pas seulement de la tradition scolastiqu 札mais encore des premisses theologiques et metaphysiques de l'Ecole protestante du droit naturel moderne :chez Groュ ti us comme chez Pufendorf en effet うsi Ie systeme du droit naturel se laisse deduire de la sociabilite naturelle (Grotius) jointe a l'amour propre (Pufen-

a fallu lutter sans cesse contre la nature [… l う a v e c quelle facilite n'a-t-on pas dii se reunir dans ces contrees delicieuses うou l'homme exempt de besoins n'avait que des plaisirs a desirer ,o也jouissant sans travail et sans inquietude des meilleures productions et du plus beau spectacle de I うunivers うil pouvait s うappeler a juste titre I もtre par excellence et Ie roi de la nature? »,in HDI 70 うliv. I うt. 1, p. 29-HDI 74 うliv. I うt. 1 ぅp. 34-HDI 80 うliv. I う t. 1 ヲp.33. 7 HDI70 ぅliv. XV , t. 5 ぅp.64-HDI74 ぅliv. XV , t. 5 ぅp. 61-HDI 80 ぅliv.XV ぅt.4 , p.55. 8 HDI 70, liv. XV ぅt.5 ぅp.72-HDI 74 ぅliv. XV ぅchap.LIX ぅt.5 ぅp.69-HDI80 ぅliv. XV , chap. IX うt. 4, p.61 (D). 9 Determin αtio s αcrαefi, αcultatis pαris i e ηs is . .. ぅ P ar i s ぅ C l o u s i e r , 1781 ヲp. 3. En note ぅles theoュ logiens donnent a lire Ie texte de Ciceron que voici : ォ Tous les animaux furent courb 白 vers la terre qui les nourrit うl'homme seul re c;ut une demarche noble , et fut en quelque sorte invite a porter ses regards vers Ie ciel うcomme vers Ie lieu de son domicile. ぃ 沖

81 KENTA OHJI

dorf) うla refutation du scepticisme d'un Carneade suppose la reconnaissance de l'homme comme une cr 句tion divine. lO Certes ぅRaynal/Diderot ne rejettent pas pour autant les concepts de droit うde sociabilite ou de loi naturels. Selon Diderot , Ie droit naturel est commun a tous les animaux ぅc'est l'instinct de la conservation de soi et de l'espece; par ailleurs , on trouve chez l'homme de certaines caracteristiques purement physiques qui sont comme des ォ germes de sociabilite »ぅ C う e s t Ie desir sexuel qui se derive de la necessite de se reproduire par copulation. Ainsi うDiderot うtout en faisant l'economie de toutes premisses theologiques , peut accorder que la sociabilite est bien Ie fondement de toutes les lois morales et politiques , dont la finalite est la conservation et la proュ pagation de l'espece. Pour autant うet c'est tout l'int 紅 白de ce remaniement theorique , cette loi naturelle de conservation et de propagation ne prescrit rien dans la sphere morale et politique う C うest une fin sans moyens うde sorte qu う « ane considerer que l'effet , on dirait que toutes les societes r ピ o n t pour principe ou pour supreme loi うque la si1rete de la puiss αnee dominante サ.11 Le droit naturel existe うainsi que Ie germe de la sociabilite うet leur valeur explicative est certaine. Mais l'un et 1 、utre sont incapables de mettre fin aux conflictualites inherentes aux rapports humains ぅet ne designent aucun ordre juridico-politique parfait et 1 2 stable vers lequel tendrait 1 うhumanite ; qui pire est うce droit et cette sociabiュ lite naturels sont meme a 1 うorigine des guerres うtant civiles qu'exterieures うqui dechirent les soci 白 色formees. 1 3 En consequence うDiderot affirme que la societe S う o r g a n i s e non pas a 1 うimage de la nature うmais pour se defendre contre ォ tous

10 Hugo Grotius ぅ D ro i t de l αGuerre et de la P α む う d i s c o ur s preliminaires , traduit par Jean Barbeyrac うAmsterdam , De Coup ぅ1724 , 2 vo l. うsec. XII うt. 1 ぅp. 10 et Samuel Pufendorf う Droit de la N αture et des Gens う t r a d u i t par Jean Barbeyrac うB§Je うTourneisen ぅ1732 う2 vo l. うliv. II ぅchap. III ぅsec. XX , t.1 ぅp.204. Cf. うaussi うJean-Fran<;ois Courtine ぅ Suα rez et systeme de l αmet α .physique ヲ P a r i s う P U F う 1 9 9 0 et Richard Tuck う « The modern theory of naturel law» , in Anthony Pagden (ed.) う T h e l αng αges of Politic αl Theory in Earlyュ Modern Europe ぅ C a m b ri d g e , Cambridge UP う1990 ぅp.99-119. 11 HDI74 ヲliv. XIX ぅt.7 ぅp. 410-HDI 80 ぅliv. XIX ぅt.4 ぅp.47 1. 12 HDI 80 ぅliv. XIX , t.4 ぅp.473. Selon Diderot , la ォ loi de la nature 沖ne dicte que la ォ succession des di 百erents gouvernements サ. Sur ce point うcomparer avec Paul-Henri Thiry d うHolbach ヲLα p o l i t i q u e n αturelle う L o n d r e s う 1 7 7 3 . 13 HDI80 ぅliv. XIX ぅt. 4, p.470. On sait que Diderot conteste la conception du droit naturel des jusnaturalistes protestants deja a l'epoque de son art. DROIT NATUREL de l'ENC うen adoptant la definition d うinspiration aristotelicienne de l'entente universelle de l'espece humaine. Cf. ぅaussi l'art. BESOIN de l'ENC de Diderot うqui fait reference explicite a l' Esprit des Lois. Sur Raynal うvoir en bas ヲp.14.

82 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S T O I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT les maux de la nature» ぅ14 tandis que Raynal remarque par ailleurs :ォ les droits primitifs de l'espece humaine ne peuvent pas etre toujours les fondements de l うadministration サ.15 Dans leur conception du droit うde la sociabilite et de la loi naturels うles historiens des deux Indes sont d うaccord avec Montesquieu ぅqui donne raison a Ulpien contre Ie rationaliste stolcien Gaius ぅpour juger que Ie droit naturel est commun aux hommes et aux animaux. 16 De meme うils suivent Montesquieu うen ce qu'ils congoivent Ie droit dans sa positivite historique うalors que Ie droit natuュ reI est annexe comme un droit inalienable atitre d'un parmi d'autres des droits existants - ceci est aussi une consequence du refus du finalisme jusnaturaliste う qui deduit un systeme juridique universel apartir du droit naturel individuel et subsume ceIui-ci dans Ie droit positi f. De meme encore , lorsque Diderot exュ horte les historiens-philosophes a decrire la societe dans sa globalite うincluant les etudes ォ du climat うdu sol うdes productions うdes quadrupedes うdes oiseaux ぅ des poissons , des plantes うdes fruits , des mineraux , des m 白urs , des usages , des superstitions うdes prejuges ぅdes sciences うdes arts うdu commerce うdu gouverneュ ment et des lois »ぅ 1 7 il n 冶st pas difficile de trouver l'origine de cette invitation dans l' Esprit des Lois. 18 Pour emprunter une formule a Althusser ぅon peut dire que chez Raynal/Diderot うcomme chez Montesq 町 民la け o i - c o m m a n d e m e n t » ぅ consideree comme une norme theologique , est remplacee par la ォ loi-rapport サ produit historique et empirique des rapports naturels et sociaux. 19 Cependant う la differe 恥e qui separe Ie projet de Raynal/Diderot de celui de Montesquieu n うen est pas moins flagrante うcar , les ォ lois サ ne sont q ぜun element certes esュ sentiel うmais marginal de 1 う o b j e t ォ societeサ chez les historiens des deux Indes う alors que chez Ie President tout se rapporte aux ォ lois» , objet central de ses etudes. C うest la raison pour laquelle ils peuvent se permettre de negliger comme objet de leur histoire les ォ rapports [des lois] entre elles ぅ [ … ] avec leur origine ぅ

14 HDI80 ぅliv. XIX ぅt.4 , p.39 1. 15 HDI 74 ぅliv. I ぅt. 1 ぅp. 7~HDI 80 ぅliv. I ぅt.1 , p. 7. 16 Voir , Robert Shackleton , Montesquieu , traduit par Jean Loiseau ぅPU de Grenoble ぅ1977 う chap. X I. Sur 1e concept de droit naturel chez les juristes romains ぅvoir ヲJean Gaudemet , ォ Quelques remarques sur Ie droit naturel a Rome 抄 ぅin Revue intern αtional des Droits de I'Antiquite 1 う1952 ぅp. 445~467. 17 HDI 80, liv. XI , t. 3, p. 128-129. 18 Montesquieu ぅ D e l'Esprit des lois ぅ e d . Robert Derath 色Paris ぅGarnier Freres , 1973, 2 vo l. [EL par la suite] うliv. I, chap. III うt. 1, p. 13. 19 Louis Althusser , Montesquieu , la politique et l'histoire , septieme edition , Paris ぅPUF う 1992 ぅchap.II.

83 KENTA OHJI

avec l'objet du legislateur , avec l'ordre des choses sur lesquelles elles sont etaュ blies »ぅ 2 0 bref ヲl うintelligence de la systematicite que constitue l'ensemble des rapports entre les lois et l'histoire des lois proprement dit dans leur autonoュ mie relative. Par ailleurs うl'insistance excessive sur les elements naturels et climatiques chez les historiens des deux Indes merite d もtre soulignee うpuisqu'il s うagit la d'une consequence de la banalisation de la ォ theorie du climat サ de Montesquieu qu'ils acceptent par 1 うintermediaire de Buffon ou de Cornelius de Pauw ぅavec qui ils soutiennent la febrilite physique des Americains sous 1 うeffet du climat du Nouveau Monde. 21 A la difference de Montesquieu , pour qui Ie ォ climat サ constituait un element certes majeur , mais non moins integre dans la surdetermination de la vie sociale et politique par la pluralite des causes う Raynal/Diderot amplifient Ie poids des conditions climatiques うa tel point q ザil leur arrive de separer les ォ causes physiques サ des ォ causes morales », et de les considerer comme les deux seules facteurs dont il convient de tenir compte dans les etudes de la societe. 22 L うunite complexe de l'ordre juridique qu もtudie l' Esprit des Lois ぜ e t a n t ainsi eclatee ヲles lois perdent Ie statut privilegie de l'orュ ganisateur des rapports sociaux dans 1 う H i s t o i r e des deux Indes う e t la separation de l'ordre naturel et moral autorise desormais aux historiens des deux Indes d うopposer , eventuellement うles hommes dans sa naturalite aux gouvernements. Ainsi うRaynal peut dire: ォ L うauteur d'un ouvrage うdont la duree eternisera la gloire de la nation Frangaise うmeme lorsque Ie despotisme aura brise tous les ressorts et tous les monuments du g 白ie et de la valeur d うun peuple cher au monde , par tant de qualites aimables et brillantes : Montesquieu ぅlui-meme う ne s 冶st pas apergu qu'il faisait des hommes pour les gouvernements , au lieu de faire des gauvernements pour les hommes. サ23 Cependant うpour delimiter la portee de cette critique うil faut maintenant examiner 1 うarticulation de l'espace historique selan Raynal うce que nous proposons de faire a travers une genealogie de l'historiographie raynalienne depuis ses premiers ecrits historiques jusqu'a l う H i s t o i r e des deux Indes.

20 EL , liv. I ぅchap. III , t. 1 ぅp.13. 21 HDI 70 ぅliv. XVII , t.6 ぅp.195-HDI 74 ぅliv. XVII ぅt.6 ぅp.189-HDI 80, liv. XVII ぅt.4 , p. 175. Pour la banalisation de la theorie du climat chez les materialistes de la deuxieme moitie du siecle des Lumieres , voir , Georges Benrekassa ぅ « Politique et materialisme au siecle des Lumieres »ぅ i n L αpolitique et s αm e-moire ぅ P a ri s う P a y o t う 1 9 8 3 う c h a p . IV. 22 HDI80 ぅliv. V ぅt. 1 ぅp. 571-572 et HDI 80, liv. IX , t. 2 ぅp. 357~358. 23 HDI 74 ぅliv. XVIII ぅchap. IX ぅt. 7 ぅp.70-HDI80 ぅliv. XVIII , chap. XIV ぅt.4 ぅp.309.

84 HISTOIRE ET DROIT DANS L ヲ H IS T O I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

1. 2. La quer・elle du romanisme et du germanisme , ou la question du ォ gouvernement 抄 . Pour l'articulation de l'espace historique et pour la reorganisation de l'hisュ toire universelle selon Raynal , Ie deba 抗t romanist 悦te/ ザ /厄ger 町 即 moi 比ti 括e du 討is 色託de a une importance de白te 位rmi 泊nan 凶1此te. μ2 4 En e 旺e抗t , un des points de depart de l' Histoire des deux Indes se trouve dans une petite contribution du jeune Raynal au debat en question うintitulee Ess α i sur les progr おdu Gouverneュ ment de la M onarchie Fran c; αise (1750) う p a r u dans Ie Mercure de Fr α, η c e dont il se charge alors de la redaction. D ヲautre part うce debat n うest pas sans interet dans la reflexion sur la relation entre Ristoire et Droit , etant donne que son origine remonte jusqu'a l'epoque des ォ fondations de la connaissance historique moderne サ (Donald Kelly) chez les juristes de 1 モpoq 田de la Guerre de Reliュ gion , comme Bodin うDumoulin うDu Tillet ou Pasquier. Pour ces defenseurs de l うautonomie de la monarchie frangaise et de l'Eglise Gallicane うl'histoire etait une methode privilegiee qui leur permet de refuter les pretentions universalistes de l'Empire Germanique et de l'Eglise Catholique , et de defendre l'indepenュ dance nationale de la monarchie frangaise. C うest d うailleurs contre les ォ Galloュ It ali ens »ぅ r as s e mb l e s autour de Catherine de Medici うque la these germaniste voit sa premiere formulation par Rotman , qui cherche a legitimer les propoュ sitions monarchomaques par Ie retour a la constitution primitive des Gaules Frangaises. 25 Cependant うapres 1 うaffermissement de la royaute en France qui succede a la Guerre de Religion , la ォ methode de l'histoire サ elaboree par les doctes cede sa place a l'αγs historicα う r h e t o r i qu e flatteuse a l'egard de l' autorite royale うsoutenue par les eloquents. Ainsi うsuite au declin de l'Empire Germaュ nique et de l'Eglise Romaine et a la preponderance de la puissance frangaise en Europe sous Ie regne de Louis XIV う I e debat romaniste/ germar 山te subit une transformation radicale et dans son articulation politique et dans sa position

24 Pour la place que ce debat occupe dans la reorganisation de l'universalite dans l'espace historique moderne うvoir うGeorges Benrekassa う « La position de la romanite dans 1 う E s p r i t des Lois »,in L αpolitique et sα m e m o i r e , op. cit. う c h a p . V. 25 Julian Franklin ヲ J eαη B o d i nα n d the 16th century revolution 仇the methodology of law α n d history ヲ N e w York うColumbia UP う1963; Donald Kelly う T h e Foundations of modern historical schol αrship う P r i n c e t o n う P r i n c e t o n UP う1970; George Huppert う L 'idee de l'hisュ toire p αrfl αite う t r a d u i t par Frangoise et Paulette Braudel うParis うFlammarion , 1973 et Sergio Bertelli , ォ Romani e Francogalli 沖 ぅin Ribelli , Libert仇 i e orthodossi nella storioュ gr α fi α b αroce α う F i r e n z e う L a N uova It a l i a ヲ 1 9 7 3 う p . 221~246.

85 KENTA OHJI de la question juridique うlorsqu'il fait retour a l'aube du siecle des Lumieres. 26 Nous ne reviendrons pas ici sur la these romaniste du Discours sur lJhisュ toire unive γselle (1681) de Bossuet et de l' Histoire critique de lJet αblissement de l αmonar cJ 前ir αn, c; αise d αns les G αul ω ( 1 7 3 4 ) de Dubos. 27 On sait que Ie providentialisrne de Bossuet designe la monarchie frangaise comme successeur de l'Empire Romain , par 1 う i n t e r m e d i a i r e de Charlemagne et selon la logique de la translatio imper 仏 t a n d i s que Ie mythe d うorigine de Dubos soutient la concession de l' imper ・ium rom αnum , avec son ordre juridique うadministratif et social y incl us ぅd うAthanase a Clovis ou de Justinien a Theodebert. Pour notre propos ぅl うimportant est de signaler que ces romanismes soumettent 1 う H i s t o i r e a la perpetuite du Droit うet Ie discours historique a la demonstration de cette derュ niere. Ce qui va de soi pour Bossuet うqui se consacre a l'exhibition de la ォ suite de la Religionサ et des ォ revolutions des Empires» ぅtout en situant l'Empire Romain et son successeur frangais comme un point de touche pr かilegie de ces deux ordres di 旺'erents :chez 1 モ v e q u e de Meaux ぅl うHistoire est soumise au Droit divin ぅtranscendent et immuable うraison pour laquelle Ie roi absolu n'est resュ ponsable de sa bonne conduite que devant ce Droit. Mais il est aussi vrai pour Dubos ぅmeme si son effort pour expliquer Ie syncretisme juridique du Royaume de France n'est pas negligeable. Car , pour lui う ピest au fond Ie droit politique romain deja fermement etabli dans les Gaules avant l'arr 行 的des Francs うqui assure aux rois de France Ie pouvoir absolu ぅvoire ォ despotique », et permet de consid 紅 白toutes les mutations historiques qu'ils subissent うtell もtablissement de la feodalite うcomme autant d うecarts うautant d う « usurpations 衿en provenance du deuxi 色me ardr ・e. Consacre a la legitimation une fois pour toutes de l'ordre monarchique etabli , l'espace historique des romanistes est un espace securise et absorbe par avance dans un ordre juridique transcendant. II ぜ a g i t la d うun discours ideolagique au service du Roi de France triomphant うqui se revendique Ie pouvoir absalu par rapport a ses sujets et la legitimite de sa pretention a la monarchie universelle eu Europe contre ses rivaux de l'Empire Germanique et de l'Eglise Romaine.

26 Sur ce debat ぅvoir notamment Elie Carcassonne ぅ M ontesquieu et le probleme de l αconsti­ tution Jr αn, c; αise αu XVIIIe siecle う 同 i m p r e s s i o n de 1 も d i t i o n de 1910 うGeneve , Slatkine う 1978 et Benrekassa う « La position de la romanite... 沖 ぅα r t . cit.. 27 Sur Bossuet ぅvoir ぅTherese Goyet ぅ L ' h u mα n i s m e de Bossuet ぅ P a ri s ぅ K l i n c k s i e c k ぅ 1 9 6 5 ぅ 2 vo l. うt.2 ぅp. 251-343 et Gerard Ferreyrolles ぅ«L うinfluence de la conception augustinienne de l'histoire au XVIIe siecle », in Dix-Septieme Siecle う 1 3 4 う 1 9 8 2 ぅ p . 2 3 7 - 2 4 1. Sur Dubos ぅ Alfred Lombard う L 'α b b e Du Bos : un initi αteur de la pensee moderne , Paris , Hachette う 1913 う413-496 reste 1 う o u v ra g e de reference.

86 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S T O I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

L'int 紅 白princi pal du germanisme de Boulainvilliers consiste justement a renverser l'ordre de I'Histoire et du Droit うen faisant de I'Histoire meme Ie fonュ dement du droit politique. 28 Ainsi ウon trouve dans ses Lettres historiques sur les P α γlements (l a publication posthume en 1727) うune critique de la theorie de la monarchie de droit divin selou Bossuet qu'il compare avec Ie stolcisme de l'Empereur Marc Aurele うselon laquelle la soumission du souverain a la seule loi universelle et morale ぜ a b o u t i t qu'a justifier Ie caractere arbitraire de son pouvoir. 29 Boulainvilliers pour sa part voudrait voir la monarchie mod 佐 役 う 0 1 江 l'autorite du souverain est ォ temperee par la concurrence de ce lIe de plusieurs Tribunaux », tels que l'on voit dans les pays ォ formes en Europe du dememュ brement de l'Empire Romainサ. 30 Dans une telle perspective , Ie germanisme de Boulainvilliers doit etre considere comme une figuration historiographique de I モclatement du cadre stolco-catholique うa la fois politique et metaphysique う aussi bien que comme une tentative de la reconsideration du droit politique du point de vue des rapports de force immanents au corps politique meme , ou a la ォ nationサ en tant que pouvoir constituant. Certes うil ya un caractere fortement ォ reactionnaire サ dans Ie discours historique de ce fervent defenseur de l'ancienne noblesse うchez qui I うattachement au droit de conquete des Francs う l'idealisation du gouvernement feodal et Ie rejet des ォ usurpationsサ des rois う allies constant du clerge うdes robins et du Tiers-Etat うsont bien reels. D うailleurs う tourne vers Ie passe うBoulainvilliers cherche a montrer Ie declin du ォ gouverneュ ment feodalサ et Ie renforcement du pouvoir royal a travers la transformation de I うorganisation sociale et politique de la nation frangaise. Mais ce faisant うson analyse met en evidence les liens entre la distribution du pouvoir politique うla redistribution de la propriete terrienne et la reorganisation militaire うjudiciaire et 五nanciere うsous l'in fl.uence croissante du commerce et de l'expansion des rapports monetaires , processus amorce うselon lui うdes l'a 旺'ranchissement des

28 Pour Boulainvilliers ぅvoir ぅRenee Simon ぅ H e n r υ d e Boulainvillier , Gap ぅLouis Jean ぅ1940; Andre Devyver ヲ L e s αng epure う B r u x e ll e s う E d i t i o n s de l'Universite libre de Bruxelles , 1973 ぅp. 353-390; Harold A. Ellis ぅ B o u l a i n v i ll i e r sα n d the French M 0ηα rc h払IthacaうCor­ nell UP う1988; Diego Venturino , Le r αgioni dell α t n αdizione , Torino うLe Lettere う1993; Miュ chel Fo 町ault う ( ( Il f' α ωdefendre l αsociete» , Paris ぅGallimard/Seuil , 1997; Olivier Thoュ lozan , Henri de Boul αinvilliers , αnti- αbsolutiste legitime de l'histoinム A i x- e n - P rove n c e , PU d'Aix-Marseille う1999. 29 Henri de Boulainvilliers , Lettres historiques sur les P αdements ou Et αts-Generaux ぅ c o n t e ­ nues dans I'Histoire de l'ancie ηgou りernement de l αFrance ヲ L a Haye/ Amsterda 瓜1727 う 3 vol , t. 1 ぅp.253-254. 30 ibid. , t. 1 ぅp.25 1.

87 KENTA OHJI

Gaulois par Louis Ie Gros. De fait うl'essentiel dans cette doctrine est qu 冶n faisant remonter 1 うorigine de la legitimite du pouvoir politique de la noblesse a la conquete des Gaules par les Francs , elle ouvre la possibilite d うasseoir la legitimite du pouvoir politique sur les evenements historiques , et ainsi rend concevables les mutations de l'organisation politique de la nation frangaise : car , en e 百et うsi Ie droit de l'ancienne noblesse n'est fonde que sur un eveneュ ment originel de la conquete うqu'est-ce qui incrimine au fond les ォ usurpationsサ des autres ordres , survenues depuis au cours d うun millenaire suivant? De fait , la conclusion que Boulainvilliers lui-meme tire de son historiographie est un constat amere de la cohesion du corps politique achevee sous la ferule d'un monarque tout puissant , reduisant a neant les prerogatives de l'ancienne noュ blesse. 31 Et s'il exercera une influence majeure et durable dans l'historiographie frangaise au XVlII e siecle う ピest bien parce qu'il aura inaugure la possibilite de penser la decadence du gouvernement feodal non plus a travers Ie prisme des doctrines juridiques des legistes ぅmais par 1 うanalyse des conflits politiques flucュ tuants que se livrent les divers ordres , comme autant de puissances militaires et economiques de la nation. C うest I ・esolument dans cette veine que s'inscrit Raynal , lorsqu'il redige son Ess α i sur les progres du Gouvernement de la M onαrchie Fran c;αise , consacre a l'histoire de l'ancienne France depuis Clovis jusqu'a Louis X I. L うessai consiste en une tentative de reprise de la these germaniste うtelle qu'on la trouve enonュ cee dans les Considerations sur le gouvernement αncien et present du marquis d' Argenson (en circulation depuis 1737) う q u i retrace l'histoire de l'ancienne France dans la perspective du depassement du gouvernement feodal et des progres conjoints de la monarchie et de la democratie. 32 A premiere vue , la position politique de Raynal semble a l'oppose de celle de Boulainvilliers. Mais comIne Ie montre l'emprunt direct de la critique du despotisme de Louis XI et l'hommage rendu a Charlemagne ou a Charles VII , Raynal n 冶n partage pas moins avec Ie comte normand Ie meme ideal politique うcelui de la monarュ chie mod 紅 白qui reposerait sur l'equilibre des puissances des divers ordres. 33 D う ai lleur s , dej a en 1747 う d a n s les Nouvelles litteraires qu'il adressait a la prin-

31 ibid. う t . 3 ぅ p . 2 0 5 . 32 Mercure de France [MF ぅpar la suite] , Ie juillet 1750 , t. 59 ぅp. 33-6 1. Sur cet article , voir , Gia山1igi Goggi , ォ Raynal et l' Histoire du p αrlement d'Angleterre (1748) », in Bancarel et Goggi (ed.) , Rα卯 αl : de l αpoUimique a l'histoire , op. cit. う p . 4 8 - 5 1 ぅ q u i lui attribue ォ la these royale 沖 . 33 Sur l'emprunt de Raynal a Boulainvilliers ぅcomparer ぅMF ぅt.59 , p.61 et Boulainvilli 町 民 Lettres historiques sur les P α γlements う t . 3 ぅ p . 1 6 6 .

88 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H IS TO IR E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT cesse de Saxe-Gotha うRaynal presente elogieusement un memoire que Ie duc de Nivernais pronongait a l'Academie royale des Inscriptions et des Belles-Lettres う relatif a l' Independ αnee de nos premiers rois p αrn αpport al' Empereur (1747) う lequel est une refutation de la these romaniste despotique de Dubos. 34 C うest pourquoi on est peu surpris de constater que dans son Ess α i de 1750 うRay­ nal refuse categoriquement Ie romanisme despotique de Dubos , et se range du cote de Nivernais うHenault うMontesquieu et d うArgenson ぅpour faire sienne la these. de la conquete initiale des Caules par les Francs うsans pour autant acュ corder a ceux-ci Ie droit de conquete. Pour lui うil semble possible d' a 伍rmer la conquete des Caules par les Francs ぅpour instituer une entite nationale des l'origine de la monarchie frangaise うet d うy reconnaitre 1 五 e t e r o g e n e i te de ses composantes et les conflits qui les opposent. Par ailleurs うen renongant a la nostalgie du passe feodal que caressait Ie germaniste nobiliaire うRaynal ωsume pleinement les mutations historiques au fondement de la constitution frangaise : ォ L'Empire Frangais うcomme tous les empires うeleve sur les debris de l'ancienne Rome ぅn'eut que des fondements ruineux ぅet qui 1 う e x p o s a i e n t necessairement a de cruelles vicissitudesサ. 35 Ainsi う il revise Ie germanisme dans la perspective du depassement du ォ gouvernement vicieux et barbare サ et des ォ guerres ciュ viles 妙incessantes うet entreprend une analyse historique du gouvernement en France うse concentrant sur les transformations de l'organisation sociale selon la distribution de la propriete terrienne うet faisant valoir les effets des transュ formations des relations internationales , notamment a propos des Croisades et de la Guerre de Cent Ans. On comprendra que dans cette nouvelle version du germanisme , la reference au droit recule derriere la description des rapports de force entre les ordres うen fonction du refus du recours au droit de conquete et au droit feoda l. Pour Raynal うla monarchie mod 紅 白et la cohesion du corps politique ne sauraient etre envisagees par Ie retour au droit ancien , mais par Ie depassement du despotisme louis-quatorzien dans la montee en puissance du Tiers-Etat : il s 冶git la d うune des premisses fondamentales de la politique reformiste de Raynal うqui contribue a l'occultation de la question juridique. Cet Ess α i de 1750 nous permet donc うune fo

34 Nouvelles littemires 9 うin Friedrich-Melchior Grimm et alii う C o r r e s p o n dα n e e litter αire , ed. Maurice Tourneux ぅParis , Garnier Freres , 1877~ 1882 う16 vol., t.1 うp. 108-109. Le memoire de Nivernais est publie en 1751 dans les Memoi 陀s de l'Ac αdemie roυα l e des Inscriptions et des Belles-Lettres う t . 2 0 . 35 MF ぅt.59 ぅp.33.

36 Sur la contribution de Montesquieu au debat sur la constitution frangai 民voir ぅoutre

89 KENTA OHJI

ment a l'Esp パ t des Lois う t a n t pour l'analyse de la confusion du gouvernement apres la mort de Clovis ,3 7 que pour l'explication de la fondation de la dynastie carolingienne par la volonte de la nation ,38 1 もloge du gouvernement de Charュ lemagne ,39 ou encore l'analyse du declin de la feodalite par la generalisation du droit de succession par primogeniture sous Hugues Capet. 40 II s 冶n ecarte cependant sur des points essentiels うcomme la question de l'origine des fiefs,4 1 ou celle de savoir la position q ザoccupe Ie gouvernement feodal dans 1 うhistoire de France. En effet うsur ce dernier point うalors que Montesquieu reconnait dans Ie gouvernement feodal une espece de matrice de ce qu'il appelle ォ gouュ vernement modere », Raynal うpour sa part うY voit surtout Ie ォ despotisme サ qui reduit la ォ multitudeサ ou Ie ォ peuple サ a 1 モtat d うesclavage; sans doute う reprend-t-ille terme de ォ gouvernement modeI ・e », celui-ci ne s'inscrit plus dans la continuite avec Ie gouvernement feodal うmais bien plut6t dans son depasュ sement par Ie systeme meritocratique realise sous une monarchie centralisee う eventuellement assortie ala representation de la nation par Ie Parlement et les Etats-Generaux. 42 Outre cette divergence politique de taille , Raynal se separe encore de son prestigieux predecesseur Quant ala place reservee au droit dans l モtude de l'histoire de l'ancienne France. On sait que Montesquieu complete son histoire du droit politique fran<;ais par celle du droit civil fran<;ais ぅqu'il fait remonter jusqu'aux droits barbares , au droit romain et au droit ecclesiastique う pour proposer une explication de l'imbrication de ces diverses sources en foncュ tion des evolutions de l'organisation sociale dans la monarchie fran<;aise うsans la faire dependre directement de l'intervention du pouvoir legislatif de l'Etat monarchique. 43 Rien de cette analyse ne se retrouve chez Raynal ,qui s'interesse

Carc 剖sonne うIris Cox ぅ M ontesquieu αnd the history of French laws ぅ O x f o r d う V o l t a i r e Foundation , 1983, p.151-172. 37 Comparer , MF ぅt.59 ぅp. 36 et EL , liv. XXVI ぅchap. XVI , t. 2 ぅp.186-187. 38 Comparer , MF ぅt. 59, p. 36-37 et EL ぅliv. XXXI ぅchap. III ぅt.2 ぅp.360. 39 Comparer , MF ぅt.59 ぅp.39-41 et EL ぅ !iv. XXXI , chap. XVIII ぅt.2. 40 Comparer ぅ 乱iF ぅt.59 ぅp.49 et EL うliv. XXXI , chap. XXXIII ぅt.2 ぅp.405. 41 Comparer , MF ぅt.59 ぅp. 45; EL ぅliv. XXXI , chap. VII , t. 2 ぅet Charles-Fran<;ois Henault , Abrege chmnologique de l'histoire de F ヤ α n e e , quatrieme edition , Paris うPrault pere et fils- Desaint et Saillant う1751 う2 vol, t. 1, p.92-93. 42 Comparer , MF , t. 59, p. 47; EL , liv. XXXI , chap. XXII , t. 2 ぅp.338 et RenιLouis Voyer d'Argenson ぅ C o n s i d e ra t i o n s sur le gouver ηement αneien et present de Frane 民 A m s t e r ­ dam ぅRey ぅ1764 ぅp.115-119.

43 Voir ぅGeorges Benrekassa ぅ « Philosophie du Droit et Histoire dans les livres XXVII et XXVIII de l' Esprit des Lois» , in Le eoneentrique et l' exeentrique :Mαrges des Lumieres , Paris ヲPayot ヲ1980 et Cox , Montesquieu αnd the histor νof Freneh l αws , op.eit. う p . 2 0 - 4 1.

90 HISTOIRE ET DROIT DANS L ヲ H I S T O I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT exclusivement aux ォ progr白du Gouvernement de la Monarchie Frangaise »ぅ en soulignant la rupture entre l'Empire Romain et la monarchie frangaise a la suite de Boulainvilliers. La subsistance et la transformation des droits parュ dela les changements du gouvernement うainsi que la regulation autonome des rapports sociaux etant impens 的 人tout dans l'historiographie raynalienne se passe comme si Ie droit n うexistait que par rapport au gouvernement en place et que ce gouvernement dependait entierement うsinon de la volonte うdu moins de l'organisation sociale de la nation. La nation constituante うIe gouvernement et Ie droit forment ainsi un cercle speculaire completement ferme , aveugle en tout cas a l'autonomie du droit うet surtout peu respectueux de l'heritage du droit civil romain うdesormais reduit a un appendice de la politique.

1.3. Guerre et Commerce , ou la civilisation et ses malaises. Chez Raynal うl'adoption du germanisme ne debouche pas simplement sur la constitution de l'espace historique national , mais aussi sur la reorganisation de l'espace historique europeen , voire mondial うa travers 1 う h i s t o r i o g r a p h i e des relations internationales. Cette extension suit deux axes centraux ぅguerre et commerce うqui etaient deja presentes dans l'historiographie de Boulainvilliers comme les facteurs determinants de la distribution des puissances politiques et sociales au sein de la nation. Une fois replacee dans cette problematique fondaュ mentale de l'historiographie raynalienne うl う H i s t o i r e des deux Indes se presente comme un aboutissement de l'histoire internationale que Raynal elabore deュ puis les annees 50 うetendue a 1 もche ll e mondiale a travers les recherches des echanges commerciaux internationaux. C うest d 冶illeurs en cela que 1'histoire de Raynal se distingue profondement de l' Ess α i sur les m 配 u r s de Voltaire う pour qui 1 も l a r g i s s e m e n t de l'espace historique du point de vue geographique etait avant tout destine a tourner en derision la pretention a l'universalite du Discours sur l'histoire universelle de Bossuet. A propos de la question des relations internationales de l'Europe moderne う J. G. A. Pocock a montre qu'il ぜagit d'une preoccupation majeure de 1'ォ hisュ toire philosophique サ du XVIIle siecle ヲdans la mesure ou s'y joue la possibilite d'apporter une legitimation ideologique a 1 もm e r genc e d'un systeme d うequilibre des puissances d うechelle europeenne et a la prosperite commerciale et cultuュ relle qui s うa 白rme apres la paix d うUtrecht: la critique des conditions politiques medievales , caracterisees par la prevalence de la puissance spirituelle du Pape

91 KENTA OHJI et par 1'ォ anarchie feodale »ぅ t r o u v e sa place dans une telle perspective. 44 Ceュ pendant うIe cas de Raynal ne se plie pas facilement a un tel scheme PI ・ e c o n <; u . Certes うlorsqu'il ぜengage dans l'histoire internationale de l'Europe dans les annees 50 avec les Anecdotes historiques , militαires et politiques de l'Europe depuis l' elev αtion de Charl ω-Quint αu tr6ne de l'Empi 陀jusqu'au 7 干α i t e d'Aixュ lα - C hα p e ll e en 1748 (1753) , son projet etait de retracer une histoire complete des relations internationales europeennes depuis la formation de l'opposition Habsbourg/Bourbon comme leur axe centrale jusqu うala paci 五cation ultime de cette rivalite a Aix-la-Chapelle. En effet うles premiers volumes des Anecdotes decrivent l'hostilite entre Charles-Quint et Fran<;ois r う l ' u n i fi c a t i o n et l'extenュ sion des puissances monarchiques en Espagne et en France , l'emergence des Etats protestants en Angleterre et dans Ie Nord ou la decadence de la vertu republicaine en It ali e: si 1 う 白uvre a 仇e poursuivie dans cette veine , nul doute qu'elle aurait confirme Ie scheme propose par Pococ k. Mais Raynal interrompt cette grande entreprise apres avoir publie les trois premiers volumes consacres au xvr e siede , et lorsqu'il fait retour a la scene publique en 1762 う ピ e s t par la publication de l' Ecole milit ω 似 c o m m a n d e e par Ie gouvernement うqui est un recueil des harangues et des anecdotes militaires destine a l'education morale des futurs 0 伍 c i e r s : 1 うoptimisme qui l'aurait anime Quant a la possibilite de maintenir un equilibre des puissances europeen n'a pas resiste aux bouleverseュ ments des relations internationales survenues avec la Revolution Diplomatique de 1756 et Ie decωde ape ぽr<; 伊oit tout une au凶1此tr 陀.モe tωonali 比te dans les deux 白uvres rna 吋jeures de l' うヨ百hi吐is 坑toir 陀'e e internationale de Rayna 札1 que son 凶I此t l'Hi おst ωoir 陀でdes G1 匂Ler γ門'T で>es et l' う H おi s ωt o i r e des deux Indes う l ' u n e et l'autre redigees dans un contexte politique tout a fait nouveau qui voit ぜ e t a b li r la domination de l' Angleterre sur les mers , la consolidation des positions de la Prusse de Frederic II et de la Russie de Catherine II et Ie recul de la puissance de la monarchie fran<;aise sur Ie plan de la politique internationale europeenne. Des Ie debut de l' Histoi 陀des Guerres (l a seconde moitie des annees 1760) う qui se presente うd u moins en partie ヲcomme la reecriture sous forme narrative des fragments recuei

92 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S TO I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

perpetuite de l'etat de guerre sans legalite dans les relations internationales , en guise de critique des philosophes ォ cosmopolitesサ :

[Le] bonheur g 句eral ne saurait jamais existe r. Les lois par lesquelles des hommes prudents et sages ont etou 旺'e les dissensions privees ぅsans force au-dela de la ligne qui separe une societe d うavec une autre うn うont jamais pu operer que Ie bien-etre plus ou moins grand de la portion d うhommes pour laquelle elles furent faites. Chacun de nous etant dans 1 も t a t civil avec ses concitoyens et dans 1 モ t a t de nature avec tout Ie reste du monde うnous ぜ a v o n s PI ・evenu les guerres particulieres que pour en allumer de generales qui sont mille fois plus terribles; et en nous consistant a quelques hommes うen formant ce qu' on appelle une nation ぅnous sommes reellement devenus les ennemis du genre humain. 46

Dans ce passage うdont il faut rappeler qu'il precede la refutation du projet pour la paix perpetuelle de Saint-Pierre inspiree par Rousseau うRaynal reconュ nait dans les relations internationales la scene privilegiee de la manifestation de ce que les philosophes des Lumieres appellent ォ hobbisme entre les nations サ47 : essayer de surmonter ces conditions reelles en formant un reve platonicien ou stolcien ne serait qu うun effort vain うil est bien plus necessaire de chercher a connaitre ces cruelles et miserables conditions qui constituent l'horizon inュ depassable de la politique moderne post-imperiale. Mais ぅdans l' Histoire des Guerres ぅ i l n 冶st pas question de proceder a une exaltation de la guerre うl うimpor­ tant est de reinscrire cette derniere dans la genealogie de l'Europe moderne う depuis 1 う i n v a s i o n de la France en It ali e en 1497 (dont on sait que c うest une annee fatidique pour les historiens italiens comme Ma舵chiav 刊el ou Gu凶icha 紅r吋d出in叫) jusquぜ1ピうala 五n de la Guerre de Sept Ans 民 う O 也 S問e deploi 蛇e tωou 凶t Ie geni 蛇e mi 日li 比ta 羽ir 町e de Fr尚ede 位ric II. Selon Rayna 札 1 en e 百eωt うIe depassement des conflits religieux うainsi que Ie declin de l'ambition pour la ォ monarchie universelle サ en Europe うla consolidation des Etats souverains et l'extension du droit international うsont

ォ Memoires sur les protestantsサ (en partie) うf. 1-120; sous la cδte BN ぅn.a.fr.6433 う ォ Histoire des guerres de Turcs contre les chretiens »ぅ p . 1-109; ォ Guerres contre les Usュ coques », p.ll0-197; ォ Guerres d うEspagne» ぅp. 198-303; ォ Guerres intestines d ヲAngle­ terre» , p. 305-381 ;sous la cote Mss.f r. 6434 ぅ « Gl 町res du Nord », f. 3r. -f. 32v. ;[Guerres d うAllemagne] ヲf. 33.r- f. 104. r. ;ォ Gl悶res de Flandres », f. 105.r-f. 200v. ;[Pieces diverses] ぅ f. 201 r.-461 v. ;sous la cote BN ヲn.a.fr. 6435 う 制Discours preliminaire 抄et [Guerres d' Itaュ lie] う f. 72r-113r. Les titres entre crochets sont de nous. 46 BN ぅn.a.f r. 6435, f. 72. 47 Paul Henri Thiry d うHalbach う P o l i t i q u e naturelle ぅ L o n d r e s ぅ 1 7 7 3 ぅ 2 vol ・ ぅt.2 ぅp.218.

93 KENTA ORJI

autant de consequences directes et majeures de ce que Ceo 百'rey Parker appelュ lera ォ revolution militaire サ48 : 1 うintroduction des armes a fe 民Ie remplacement des chevaliers par les fantassins comme une force centrale de l'arm 飴 , l'instiュ tution de l'armee perpetuelle et l'augmentation du nombre de soldats ou la montee en surface de la question administrative et 白nanciere dans l'organisaュ tion de corps d うarmees importantes - toutes ces transformations conduisent aux changements de 1 う e t h o s militaire , la ォ disciplineサ et 1'ォ ordre 抄prenant place de la ォ vertu », contribuant ainsi a 1 も t ab li s s e me nt de l'ordre politique monarchique. Par ailleurs , si l'on assiste a la pacification relative de l'Europe depuis Ie debut du XVIIl e siecle et que Ie droit international est mieux respecte durant les affrontements militaires entre les pays europeens ぅ C うest precisement grace au monopole de l'exercice legitime de la violence que les Etats souveュ rains europeens ont acquis dans les guerres successives des siecles passes. La ォ veriteサ de l'ordre politique moderne n'appartient pas pour Raynal a la raュ tionalite d'un systeme juridique qui se laisserait deduire du droit naturel et universel du genre humain うcomme Ie pensent Crotius ou Pufendorf うmais a l うorganisation des armees et a l' ethos militaires specifiques qui prennent naisュ sance dans les rapports de force les plus brutaux ぅceux des guerres civiles et des confrontations des nations voisines. Cette permanence de l'etat de guerre national et international impose a chaque gouvernement la necessite incontourュ nable de la defense militaire et de la ォ politique »ぅ C う e s t - a - d i r e la ォ diplomatie »ぅ les ruses machiaveliques des souverains incluses ぅentierement finalisee par l'exiュ gence du maintien de 1 う u n i t e du corps politique dans un contexte international foncierement antagoniste. Cependant うRaynal ne s うarrete pas au constat de la pregnance de re αlpolitik dans les relations internationales. Car うl う H i s t o i r e des Guerres souligne encore les limites politiques de l'Europe des Etats souverains うtels qu'ils apparaissent sous leur forme achevee au XVlII e siらcleo Tout d うabord うIe ォ gouvernement militaire サ et despotique de Louis XIV うde Charles XII de la Suede ou de Frederic II de la Prusse うimposent a Raynal de reformuler sa conception du ォ gouvernement modere サ dans Ie cadre la monarchie contemporaine. En seュ cor

48 Geoffrey Parker ぅ T h e Milit α r y Revolutio 凡 d e u x i e m e edition augmentee , Cambridge , Cambridge UP う1996.

94 HISTOIRE ET DROIT DANS L ヲ H I S TO IR E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT sibilite de consolider la paix par-dela Ie virtuel etat de guerre dans l'equilibre des puissances europeennes. C うest a la reprise de ces trois problemes forteュ ment lies entre eux que va ぜ a t t e l e r l' Histoire des deux Indes ヲ e t ピ e s t autour du concept de ォ civilisationサ que vont s'articuler les reponses de Rayna l. En e f:fet う l ' Histoire des deux Indes doit bien etre consideree comme un suppUiment de l' Histoire des Guerres qui la precede de peu , tant du point de vue du sujet principal (la gl 悶re/le commerce) うque du point de vue de 1 もtendue geograュ phique (l宮町 o p e /les ォ deux Indes サ) et de la periode historiq 問centrale (l es XVle et XVIIe siecles/le XVIIle siecle). Mais c'est surtout dans la perspective politique qu'elles ouvrent que la supplement α バ it de ces deux histoires internaュ tionales de Raynal est manifeste うpuisque aux Etats souverains militaires qui constituent Ie principe ala fois explicatif et normatif de 1 うH お t o i r e des Guerr り う se substitue desormais celui des Etats souverains mod 佐 伯et civilises. Chez Raynal うIe concept de ォ civilisationサ se presente d うabord comme un processus historiquιcelui de la formation de l'Europe moderne depuis la deュ cadence de l'Empire Romain jusqu'a la fin du XV e siecle. En fait ぅpoursuivant l'Ess α i sur les progres du Gouve γnement de la M on αrchie Fran r;αise de 1750 a l もchelle europeenne うl うintroduction de 1 う H i s t o i r e des deux Indes retrace ce proュ c らs de civilisation de l'Europe pre-moderne sous l'influence du developpement du commerce うpar lequel Ie ォ gouvernement feodal サ et la ォ monarchie univerュ selleサ de l'Eglise catholique cedent la place aux Etats souverains う 立 l' insterieur desquels Ie Tiers-Etat se constitue en puissance politique par l'a 旺'ranchissement a travers l'acquisition des richesses うparticipant ainsi aux «部 s e m b l e e s natioュ nales サ aux cotes du clerge et de la noblesse. 49 II est indiscutable que Raynal formule par la l'idee regulatrice de son historiographie et de ses politiques う selon laquelle Ie commerce うl うenrichissement de la nation et la constitution du Tiers-Etat en tant que puissance politique au sein de la monarchie defiュ niraient Ie cercle vertueux de l'Histoire うentra l'nant Ie gouvernement modere

49 HDI70 ぅliv. I , t. 1 ぅp.1-22 + HDI 74, liv. I うt. 1 ぅp. 1-24 ++ HDI 80 ぅliv. I ヲp. 1-22. Cette introduction de l' Histoire des deux Indes presente la vision de l'histoire medievale sinュ gulierement proche de celie que William Robertson articule dans A View of the P γogress of Society in Europe ぅ i n t r o d u c t i o n de son History of the reign of the Emperor Ch αries V (1769). Quoique Raynal ne semble pas avoir une bonne connaissa 町e de l'a 時lais et que la traduction fran<;aise de l' 田uvre de Robertson ne paraisse pas avant 1771 うil est probable que Raynal consulte l' 田uvre de Robertson lorsqu'il redige 1 う i n t ro d uction de son 田uvre う etant donne que Ie traducteur fran<;ais de Robertson ぅJean-Baptiste Suard うest son ami proche. Dans sa traduction fran<;aise d'ailleurs うSuard utilise Ie mot ォ civilisation» , qui ne figure pas dans 1 う o r i g i n a l anglais.

95 KENTA OHJI

a l'interieur de chaque pays et la paci 白cation de l'ordre international a son exterieur. Cependant うRaynal ne souscrit pas pour autant a une conception ireniste de l'Histoire うloin ぜ e n faut; car うl うexpansion europeenne et commerュ ciale dans Ie monde n'est pas congue selon lui comme une prolongation lineaire du proces de civilisation. Ce n うest pas seulement q ぜau debut de l'expansion europeenne du XVle siecle うles Portugais et les Espagnols ont fait prevaloir l う « esprit de conquete サ etendant leur Empire a l'echelle mondiale うinegalee meme par l'Empire Romain うtout en faisant affluer les metaux sur Ie contiュ nent europeen. 50 Dans Ie siecle suivant うles Hollandais ont apporte 1'ォ esprit de commerce », mais cela au point de mettre en danger leur propre republique par cet ォ esprit d ラinteret うqui entraine toujours la division サ51 devant les meュ naces exterieures et l'ambition du stathoude r. Au XVlIIe siecle うles progres de l'exploitation agricole des colonies frangaises et anglaises dans les Antilles s うaccompagnent de l'augmentation massive de la traite des Negres , que Rayュ nal appelle ironiquement ォ ra伍nement de la barbarie europeenne サ52 ;d'autre part うl う « esprit de commerceサ qui devrait consacrer la pacification du monde amene non seulement la ォ jalousie du commerceサ dont parlait Hume ぅmais aussi la ォ guerre de commerce サ53 entre la France et l'Angleterre うalors que ォ la monarchie universelle des mers サ54 de l'Angleterre emerge de la Guerre de Sept Ans , pour donner suite au debut de la colonisation de l'Inde et a l'Indepenュ dance des colonies Americaines , simultanement. Si Ie proces de civilisation est en marche malgre tout a travers l'expansion des rapports marchands dans Ie monde う il reste extremement ambigu , et ne permet pas d うy voir un quelconque terme de 五nitif ala conflictualite intrinseque aux rapports politiques et sociaux. C うest dans ce cadre que doit etre compris Ie fragment celebre de Diderot sur la civilisation de la Russie うqui se lit comme un commentaire en marge sur Ie processus historique que Raynal decrit dans la totalite de l' Histoire des deux Indes:

L うa 旺'ranchissement うau ce qui est Ie meme sous un autre nom うla civilisation d'un empire est un ouvrage long et di 伍cile. Avant q ぜune nation ait €te can五rmee par

50 Sur la critique de l'imperialisme portugais et espagnol, et notamment la comparaison de ces deux empires avec l'Empire Romain ぅvoir うHDI70 う !iv. I うt.l , p.l07 et HDI 70 う liv. VIII うt.3 ぅp.305 + HDI 74 うliv. VIII うt.3 , p.303-HDI 80, liv. VIII うt. 2, p. 336.

51 HDI70 ぅliv. I, t. 1, p. 2l7-HDI 74 ぅliv. I, t. 1 ぅ p . 236-HDI 80, !i v. I, p. 240. 52 HDI 70 ヲliv. VII ぅt.3 ぅp. l45-HDI 74 ぅliv. VII ぅt.3 ぅp. l54-HDI 80 ぅliv. VII ぅt. 2, p.209. 53 HDI 74 ぅliv. XIX ぅt.7 , p. 3l8-HDI 80 ぅliv. XIX うt.4 ぅp.597. 54 HDI 74 ぅliv. XIX, t. 7 ぅp.302.

96 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S T O I RE DES DEUX INDES DE RAYNALjDIDEROT

l うhabitude dans un attachement durable pour ce nouvel ordre de choses うun prince peut par ineptie うpar indolence うpar prejuge , par jalousie ぅpar predilection pour les anciens usages うpar esprit de tyrannie うaneantir ou lai 節 目tomber tout Ie bien opere pendant deux ou trois regnes. Aussi tous les monuments attestent-ils que la civilisation des etats a plus ete l'ouvrage des circonstances que de la sagesse des souverains. Les nations ont toutes oscille de la barbarie a l'etat police うde l'etat police a la barbarie うjusqu'a ce que des causes imprevues les aient amene a un aplomb qu'elles ne gardent jamais parfaitement. 55

On mesure a la lecture de ce passage combien Ie concept de ォ civilisationサ chez RaynaljDiderot est di 百'erent de celui うbeaucoup plus optimiste うde ォ civiliュ zationサ chez John Millar , disciple d うAdam Smith , qui l'articule ala theorie des quatre stades , lesquels sont autant de variations dans Ie mode de procuration et de production des aliments et des biens ぅet dont Ie stade ultime serait la societe commerciale う I ・ealisation pleine et entiere de la sociabilite naturelle. 56 lci on retrouve chez RaynaljDiderot うa l' CB uvre dans leur conception meme de la ォ civilisation» , Ie rejet du finalisme de la theorie du droit naturel , dont les philosophes ecossais se revendiquent les heritages. 57 Pour les historiens des deux lndes うla marche de l'Histoire est sans finalite うet les marges du maュ n 白uvre du souverain うsurdeterminees par elle うsont bien limitees. Cependant う C う e s t justement pour cette raison ぅet malgre ses limites ぅque l'acte politique de ォ civilisationサ est necessaire ぅafin que se poursuive l'affranchissement du Tiers et que se constitue et se maintienne l'unite du corps politique. Comme on Ie

55 HDI 80 ぅliv.XIX ぅt.4 ぅp.482. On remarquera que Diderot utilise Ie mot ォ civilisationサ comme un synonyme de 1 ヲ « affrancl 山sement 怜[des serfs Russes ぅen l' occurre 町e] et Ie met en relation stricte avec la perspective du depassement de 1'ォ Empireサ par la constiュ tution des ォ etats サ des ォ nationsサ. Sur ces deux points fondamentaux ぅDiderot reprend l うintroduction de l' Histoire des deux Indes redigee par Rayna l. 56 Parmi une abondante litterature ぅje renvoie ici seulement a Ronald Meek ぅ T h e Soュ ciα I Science αnd the Ignoble s αvage う C a m b r i d g e ぅ C a m b ri d g e UP う1976. En e 百et うRay­ naljDiderot ont recours aux Obser ωtions concerning the distinction of nα n k s (1 771) de John Millar うdisciple et collegue d うAdam Smith de l'Universite de Glasgow. Mais tout en acceptant 1 う a r t ic u l a t i o n des progres de la societe civile selon quatre stades du mode de procuration et de production des aliments et des biens ぅils ne cessent de souligner chaque fois les degats qu 冶ntraine la societe commerciale. Sur ce point うcomparer notamュ ment HDI 80 ヲliv. XI, t.3 , p. 187-195 et John Millar う O b s e r りα t i o n s .. ・ ぅLondon うMurray う 1771, chap. V [sur l'esclavage] 57 Voir, sur ce point , Knud Haakonssen, Natural L α ω αnd Moral Philosophy , Cambridge, Cambridge UP う1996.

97 KENTA OHJI voit ぅ C うest dans l'articulation du proces historique de civilisation et de l'acte politique de civilisation que se jouent les rapports du Droit ala Politiquιet de la Politique a 1 うHistoire. Pour l'examen de cette articulation ぅnous procederons dans notre seconde partie a la confrontation des politiques de civilisation de Raynal/Diderot ala theorie d もconomie politique des ォ economistes »ゥ d i s c i p l e s de Quesnay et de Gournay ぅet aux pensees politiques de Montesquieu.

2. Politiques de civilisation.

2. 1. Contre les ォ economistes サ: de l' economie politique aux poliュ tiques economiques. Raynal formule la critique des ォ economistes サa propos des deux reformes dans Ie domaine du commerce international ヲcelles de la Compagnie des Indes et du regime dit ォ Exclusifサ dans Ie commerce colonial des iles Antillaises. Il ぜ a g i t la des problemes politiques d'une brulante actualite dans la France des annees 1760 うimmediatement apres la Guerre de Sept Ans. Car うces reュ formes du regime economique mercantiliste s'inscrivent dans la tentative du gouvernement Choiseul d うop 紅 白Ie retablissement de la puissance maritime う coloniale et commerciale de la France うen vue d'une eventuelle revanche proュ chaine contre la puissance de l' Angleterre うdominatrice des mers うde l'Inde et de l' Amerique. 58 Dans la discussion sur ces reformes うles ォ economistes »ぅ l e s physiocrates et les disciples de Gournay うtel Morellet うsoutiennent la ォ liberte de commerce サ et 1 うabolition de tout regime mercantiliste う ゲappuyant sur des doctrines economiques dont on peut faire remonter les origines au jusnaturaュ lisme de Pufendorf :etant donne que la ォ liberte de commerceサ fait partie du droit naturel imprescriptible de l'hommιles obstacles qui l'entravent doivent etre ecartes a tout prix うafin de realiser ce que Le Mercier de la Rivi 色re appelle 1'ォ ordre naturel et essentiel des societes politiques »ぅ d a n s lequel la hierarchie politique cOIncide avec celle des classes economiques , Ie renforcement de la puisュ sance economique de l'Etat se voit accompli et la concorde internationale est assuree par les relations commerciales. 59 Or , a cette revendication fervente de

58 Sur ce point うvoir ぅPhilippe Haudrere ぅLα C a m pα g n i e Fran c; αise des Indes αu XVIIIe siede う P a r i s , Librairie de l'Inde , 1989, 4 vo l. ぅt.4 うchap. X et Jean Tarrade , Le commerce colonial de la Fr αnce ala fi η d e I'Ancien Regime , Paris うPUF う1972 う2 vo l. 59 Catherine Larrere ぅ L 'invention de I' economie αu XVIIIe siecle ぅ P a r i s ぅ P U F ぅ 1 9 9 1. Il n 冶st pas lieu ici de discuter la difference fondamentale de l'economie politique des physiocrates et des disciples de Gournay うnotamment en mati 色re de l'appreciation du commerce. On sait que chez les physiocrates うpour qui l'agriculture est la seule source des richesses うIe

98 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S TO I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT la liberte de commerce de la part des ォ economistes »ぅ R a y n a l oppose Ie point de vue ォ politique サ. Ce n'est pas qu'il reprouve en principe l'idee de la ォ liberte de commerce »ぅ a laquelle il donne son assentiment des qu'il en a l'occasion. Cependant うpour lui , il ya toujours des conditions historiques contingentes qui empechent l'application systematique de ce principe. Sur ce point うIe passage suivant insere dans la discussion sur les reformes de la Compagnie des Indes apporte Ie temoignage Ie plus eloquent:

Liberte de commerce うliberte civile. Nous adorons avec eux [les economistes] ces deux divinite titulaires du genre humain. Mais sans nous lai 節 目seduire par des mots うnous nous 剖tta 同achon 凶l目sa l'ide 仇e quザ うi出Is 問eprr 尚es 問en 凶1此ten 此1北t. Qu問1肥e demande 白Z je aces respectables enthousiastes de la liberte うque les lois abolissent jusqu うau nom de ces anciennes compagnies うafin que chaque citoyen puisse se livrer sans crainte a ce commerce うet qu 'ils aient taus egalement les memes moyens de se procurer des jouissances うles memes ressources pour parvenir a la fortune. Mais si de pareilles lois avec tout cet appareil de liberte ne sont dans Ie fait que des lois tres exclusives うleur langage trompeur vous les fera-t-il adopter? Lorsque l'Etat permet a tous ses membres de faire des entreprises qui demandent de grandes avances les mains d'un tres petit nombre de citoyens うje demande ce que la multitude gagne a cet arrangement? II semble q ぜon veuille se jouer de sa credulite en lui permettant de faire des choses qu'il lui est impossible de faire. Aneantissez les compagnies en totalite うIe commerce de l'Inde ne se fera point うou ne se fera que par un petit nombre de negociants accredites. 60

Tout en approuvant les ideaux des ォ economistes »ぅ l う o p p o s i t i o n de Rayュ nal a leur requete pour 1 う a b o li t i o n de la Compagnie n 冶st pas moins ferme : en alleguant 1 も v e n t u a li t e de la de~truction totale du commerce de~ Inde~ ou

commerce et les industries sont consid 紅 白comme d うeventuels entraves a la r 句lisation de l'ordre economique et politique ideal うdu fait du desequilibre qu'ils entrainent dans la distribution de la population et la circulation des richesses entre les ォ classesサ econoュ miques. 11 en va tout autrement pour les disciples de Gournay うqui arrivent うavec Turgot う a une theorisation du cycle de reproduction du capital integrant tous les secteurs ecoュ nomiques. Cependant うmalgre ces di 民rences fondamentales de l'orientation theorique , les disciples de Quesnay et de Gournay se sont rassembles au cours des annees 60 sous la banniere de la ォ liberte de commerceサ en matiere du commerce international et du commerce des grains ぅet Raynal lui-meme ne fait pas de distinction entre eux dans la critique qu'il leur adresse. 60 HDI70 ぅliv. V う t . 2 ぅ p . 2 8 7-HD I 74 ぅliv. V , t. 2 ぅp.296-HDI 80 ぅliv. V う t . 1 ぅ p . 7 0 9 .

99 KENTA OHJI de la concentration de ses profits chez quelques riches negociants うil soutient Ie maintien de la Compagnie au nom de l'int 紅 白general de 1'Etat. En effet う l'alternative que Raynal propose contre les ォ economistes サ est pour Ie moins tordue. D'une part うil accepte la liberte du ォ commerce d うIndes en Indes サ et meme la revocation du privilege exclusif de la Compagnie うen ceci d うaccord avec les tenants de la けiberte de commerce サ. Mais うde 1 うautre part うil n'en demande pas moins au gouvernement de conserver la Compagnie sous sa proュ tection , et de la decharger de la gestion et de 1 うapprovisionnement des colonies de l'Ocean Indien pour qu'elle puisse se consacrer entierement son activite 61 commerciale : selon Raynal うla Compagnie des Indes ainsi reformee devrait garantir les richesses du commerce international a la nation fran<;aise et leur distribution equilibree en son sein うpar 1 うintermediaire de ses nombreux acュ tionnaires. 62 Soumise ala domination massive des Anglais en Inde うet compte tenu des inegalites dans la repartition des capitaux qui existe parmi la naュ tion fran<;aise ヲune Compagnie transformee en une societe anonyme purement commerciale et acaractere semi-public lui semble la moins mauvaise solution , en tout cas bien mieux adaptee que son demantelement brutal a la situation politique et economique actuelle de la France. Par ailleurs うen matiere du commerce des colonies Antillaises , pour lequel les ォ economistes サ et les colons demandent l'ouverture des ports coloniaux aux negociants etrangers - et notamment Anglais ぅqui ma .itrisent la navigaュ tion et Ie commerce des mers Caribeennes 一 ぅRaynal fait aussi montre d'une grande prudence politique :une fois encore うtout en accueillant favorablement la revendication de la ォ liberte de commerce 抄lancee par Jean Dubuc , ami des philosophes et commis du commerce originaire de la Martinique うil met en garde les lecteurs contre les risques encourus pour la securite des colonies en cas d'ouverture compl 色te du marche colonial うdu fait de la menace que constitue la marine anglaise. 63 Selon lui うIe probleme du commerce colonial dont une des origines est a chercher dans Ie mecontentement des colons a l'egard des negociants metropolitains - doit etre replace dans un contexte plus global , celui de la reorganisation totale de la structure economique うso­ ciale うpolitique et militaire d

61 HDI 70, liv. V ぅt.2 , p.283-285-HDI 74, liv. V, t.2 うp.293-295-HDI 80 うliv. V ぅt.1 う p.706-708. 62 HDI 70, !i v. V ヲt.2 ヲp. 287-288-HDI 74 ぅ !iv. V うt.2 ぅp. 297-HDI 80, !i v. V ぅt. 1 ぅp.710. 63 HDI 70, !i v. XIII ぅt.5 ぅp. 167-168-HDI 74 ぅ !iv. XIII ぅt. 5, p. 162-163.

100 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S T O I RE DES DEUX INDES DE RAYNAL!DIDEROT

la defense うla distribution de la propriete うles impots うIe droit de succession うIe mode de reglement des dettes うl う 掛surance des debouches metropolitains pour les productions coloniales , et l αst but not le αst , l'installation d'un gouverneュ ment autonome des creoles , alors qu'en matiere de la liberte du commerce う Raynal se contente d うapporter son soutien a l'ouverture restrictive du marュ che colonial que Ie gouvernement cherche alors amettre en place. 64 II est vrai que plus tard dans la troisieme edition , il soutiendra l'ouverture generale du marche colonial う 6 5 mais cela n 冶st pas l'indice d'une contradiction dans les prinュ cipes chez l'historien. C'est qu 札derriere ce revirement , il ya un changement considerable des relations internationales dans les Antilles ぅen l' occurrence うla declaration d ヲIndependance des Etats- U nis d うAmerique et Ie commencement de la G uerre d うIndependance うdans laquelle les colons Antillais ぜ e n g a g e n t du cote des ォ Insurgents サ d うAmerique. On comprendra des lors pourquoi les principes de la politique raynalienne etaient longtemps qualifies de purement opportunistes. Cependant うcette qualiュ fication est injuste うcar , meme si Raynal recuse constamment quelconque theoュ rie unitaire d'economie politique comme Ie fondement universel de la poliュ tique うla variete des prises de position et des moyens mis en 白uvre n 冶n est pas moins constamment au service d'une fin unique: Ie maintien du corps politique contre les antagonismes internationaux militaires ou economiques al'exterieur う et contre la desagregation economique et sociale al'interieur. Pour cela うl'Etat doit etre compris comme une instance superieure a l'espace d もchanges marュ chands うet se charger de l'organisation et du controle de cet espace うen se conformant en meme temps aux exigences changeantes des circonstances et a la necessite de la continuite dans une longue duree. Sur ces points うles poliュ tiques economiques de Raynal ont des a 自nites profondes avec celle de son ami Galiani うcelebre critique de la liberte du commerce des grains うou avec celle de Necker うson patron et directeur de la Compagnie des Indes. 66 Comme on Ie voit う ce n 冶st pas seulement sur Ie terrain metaphysique que Raynal se separe de la

64 HDI70 ぅliv. XIII ぅt.5 ぅp.129-179 十 日DI74 ぅliv. XIII ,t. 5 ぅp.125-179 十 十HDI80 うliv. XIII う t.3 うp.455-508. 65 HDI 80 , liv. XIII ぅt.3 ぅp.485-486. 66 En effet , la defense de la Compagnie des Indes selon Raynal a ete elaboree en etroite connexion avec la direction de la Compagnie ou Necker occupe une place importante apres la Guerre de Sept Ans. Selon Philippe Haudrere う C うest Raynal qui aurait redige la premiere intervention du jeune Necker dans I う a s s e m b l e e des actionnaires de la Compagnie qui a eu lieu en 1762. Voir Haudrere うLα C o m pα g n i e fT' α n r; α i s e des Indes , op. cit. う t . 4 ヲ p.1087-1088.

101 KENTA OHJI tradition du jusnaturalisme う どest encore sur Ie plan politique des reformes a mener ,ol江sa methode historique apparait comme un outil de combat en faveur du pragmatisme politique soucieux de la singularite de la situation politique actuelle うcontre les revendications universalistes et systematiques des partisans de 1 もconomie politique うavatars du droit naturel moderne.

2.2. La critique de Montesquieu dans l' Histo 仇des deux Indes. Si la confrontation de Raynal avec les ォ economistes サ se limite essentielュ lement au domaine des reformes economiques des annees 1760 う s e s rapports avec Montesquieu s'inscrivent dans un contexte politique plus global et plus complexe. Sur Ie plan historiographique et philosophique , on a deja vu ce qui rapproche et ce qui separe Raynal/Diderot de leur predecesseur. II ぜ a g i t mainュ tenant de savoir quelles sont les consequences politiques qui resultent de ces dissensions theoriques うdans Ie contexte historique particulier des dernieres deュ cennies de l'Ancien Regime. C'est d うabord dans la discussion sur la politique frangaise que Ie concept raynalien de ォ civilisationサ se heurte Ie plus franchement au ォ gouvernement modere サ de Montesquieu. Car , en considerant 1 うaffranchissement des serfs et la constitution en puissance politique du Tiers-Etat comme les fondements du ォ gouvernement modere サ moderne うla ォ civilisationサ selon Raynal ぜ o p p o s e clairement a la position de Montesquieu telle qu'elle est exprimee dans les livres XXX et XXXI de l' Esp バt des Lois. Sur ce point うRaynal est coherent avec les theses qu'il defendait a l'epoque de l' Ess α i sur les progres du Gouvernement de la Mon αrchie Fran c; αise. En effet うdes l'introduction de l' Histoire des deux Indes う o n trouve a deux reprises la critique de Montesquieu うsur Ie point de savoir si l'affranchissement du Tiers trouve sa premi むre cause dans Ie developュ pement des richesses ou dans la religion :avec Linguet うet contre Montesquieu donc ヲRaynal se rallie a la premiere these. 67 Cette critique est ingenieusιen ce qu うelle articule a la fois Ie refus d うattribuer toute fonction politique a des institutions religieuses et l'idee selon laquelle la politique ne devrait pas freiュ ner Ie developpement du commerce dans les bornes de la societe d うordres. Derriere cette critique de Montesquieu qui ぜ a p p r o f o n d i t au cours des annees 1770 う o n percevra aisement Ie contexte des mutations politiques majeures en France apres la Guerre de Sept Ans ぅmarque par 1 うexpulsion des Jesuites et par

67 HDI70 ぅliv. I ヲt. 1 ぅp.4-HDI74 ぅliv. I ぅt. 1, p. 7-HDI 80 ぅliv. I, t. 1 ぅp. 7 et HDI 70 ぅliv. I, t. 1 ヲp.12-HDI74 うliv. I うt. 1 ヲp.16-HDI80 うliv. I うt. 1 うp.14.

102 HISTOIRE ET DROIT DANS L' HISTOIRE DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

Ie Parlement de Maupeou. Bouleversant l'equilibre des puissances au sein de l'Etat うces deux incidents politiques semblent avoir rendu caduc Ie ォ gouverneュ ment modere サ dans Ie cadre de la societe d うordres monarchique うdans lequel Montesquieu defendait la place privilegiee pour l'Eglise et pour Ie Parlement consider 白comme les corps intermediaires susceptibles de balancer Ie pouvoir du monarque. Cependant うon aurait tort de reduire la prise de distance des historiens des deux Indes par rapport au President aux seuls e 百'ets des circonュ stances , car elle provient aussi de leur conscience aigue des mutations sociales qui ぜ o p e r e n t dans une duree plus longue. En effet うRaynal ぜ a c c o r d e avec Dideュ rot et Deleyre aconstater la degradation irresistible du principe de l'honneur qui , selon Montesquieu , fonde la monarchie frangaise , et ala consid 紅 白comme une consequence de la transformation de l'organisation de l'armee et de l'exュ pansion des rapports marchands en France: des lors que la noblesse n 冶st plus la composante principale de la force armee et que Ie commerce s 冶st developpe a un niveau qui ne permet plus d うenvisager de Ie limiter dans les bornes de l'exhibition des privileges sociaux a travers des depenses somptuaires うl'hon­ neur ne peut plus etre Ie moteur de la vie politique dans la monarchie. 68 Ainsi ヲ dans 1 う H i s t o i r e d ωdeux Indes う l a critique de Montesquieu est strictement mise en relation avec les recherches d'un nouveau principe et d うun nouveau mode de equilibrage politique うmieux adaptes a la I ・ e a li t e de la monarchie frangaise qui est desormais tout impregnee de la prosperite commerciale de la fin du XVIIIe siecle. Alors que l'ordre juridique apparait comme depasse par l'evolution de i うordre social et economique dans Ie cas de la politique frangaise う C うest au contraire Ie retard de l'ordre social et economique par rapport a 1 うordre juュ ridique qui est en cause en Russie. En e 旺et うla critique de Montesquieu selon Raynal doit etre mise en regard avec la question de la civilisation de la Rusュ sie. Car うc'est precisement dans ce contexte que Raynal denonce l'auteur de l' Esprit des lois う e n disant que celui-ci ォ ne s'est pas apergu qu'il faisait des hommes pour les gouvernements うau lieu de faire des gouvernements pour les hommes サ.69 De fait うce passage est insere dans les deux dernieres editions de l' Histoire des deux Indes う e n lieu et place Ot

68 Sur ce point , voir , HDI 70, liv. XIII , t. 5, p.165 + HDI 74, !i v. XIII , t. 5, p.160-161 +十 HDI80 うliv. XIII ヲt.3 ぅp. 481-482; HDI 74 うliv. XIX うt.7 ぅp. 287 ++ HDI 80 うliv. XIX うt.4 う p. 566; HDI 74 うliv. XIX うt.7 ぅp. 419~HDI 80 う !iv.XIX うt.4 , p.696 et HDI 74 うliv. XIX う t.7 ぅp. 362~HDI 80 うliv. XIX うt.4 ぅp.634. 69 HDI74 ぅliv. XVIII ぅchap. IX ぅt.7 ぅp. 70~HDI 80 ぅ !iv. XVIII , chap. XIV ぅt.4 ぅp.309.

103 KENTA OHJI l' Esprit des Lois dans ses Instructions (1767) en trahissa 凶son esprit. C うest dire qu うentre la premiere et la deuxieme edition , il y avait un changement de l うappreciation des Instructions de Catherine II chez Raynal/Diderot ヲce qui n うest d うailleurs pas pour surprendre , du fait que Diderot redige les Observ α ­ tions sur le Nakaz (1774) pour la refutation de la Tzarine. 70 Bien entendu , ni Raynal うni Diderot ne confondent Ie PI ・esident et l'Imperatrice. Mais la Beche destinee a cette derni 色re atteint aussi Ie premier うd'autant plus que うselon les historiens des deux Indes うla civilisation de la Russie se doit d うetre うd うabord et avant tout うl'acte politique d うaffranchissement des serfs , dans Ie but de ォ forュ mer des hommes »ぅ 71 la 0 む o n ne trouve pour 1 う h e u r e que des esclaves. De plus う Diderot reproche a la politique de Catherine d うavoir accorde la priorite a la reforme de la legislation. Par-dela la contestation de Montesquieu うil est donc question du statut du droit dans la politique reformatrice que les historiens des deux Indes ne cessent de promouvoir. En effet うselon Diderot :ォ En lisant avec attention ses instructions [de Catherine II] [...J,y reconnait-on quelque chose de plus que Ie desir de changer les denominations うd もtre appelee monarque au lieu d うautocratie うd うappeler ses peuples sujets au lieu d ヲesclaves ? サ.72 II ne s うagit pas seulement ici de denoncer une ruse d'un despote qui se veut eclaire う mais bien d うun desaccord portant sur la nature des reformes a engager pour mettre la Russie sur la voie de la civilisation. Puisque la proposition de Dideュ rot qui en decoule consiste a abandonner Ie terrain purement jUI 吋ique pour se diriger vers les champs うplus globaux , de l'economique et du socia l. ォ II faut commencer par Ie commencement» , encourager l'agriculture et les industries nationales , faire prosperer les lettres et les sciences et former un Tiers- Etat riche et eclaire 73 : ce sont la うselon Diderot うles conditions prealables a 1'ォ afュ franchissement サ juridiqu払ou a 1 も t ab li s s e m e nt de la liberte civile et politique en Russie. Sur ce point うIe projet de la civilisation que Diderot et うavec lui う

70 Sur cette question , voir Gianluigi Goggi ぅ « Diderot et la Russie », in L' Encyclopedie , Diュ derot , l' esthetique , melanges Chouillet うParis うKlincsieck ヲ1991 ぅp. 99-112 et id. ォ Diderot et 1 冶 b b e Baudeau サ in Recherches sur Diderot et l'Encyclopedie 14 ヲ1993 ぅp.23-84. Sur Diderot et l' Observ αtion sur le N α k αz , voir notamment Georges Dulac , ォ Pour reconsid ふ rer l'histoire des Observ αtions sur le N α, k αz» ぅ i n Studies on Volt α か ε αnd the Eighteenth century ぅ 2 5 4 ヲ 1 9 8 8 ぅ p . 467-514 et Jean-Christophe Rebejkow ぅ « Diderot lecteur de l' Esprit des Lois de Montesquieu 沖in Studies on Volt αire αnd the Eighteenth century ぅ 3 1 9 , 1994, p.295-312. 71 HDI80 ぅ !iv. V ぅt.1 ヲp.637. 72 HDI80 ぅ !iv.XIX ぅt.4 ぅp.485. 73 HDI 74 ぅ !iv. V うt.2 ぅp. 219-HDI 80 ぅ !iv. V ぅt. 1 ぅp.640.

104 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H I S T O I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

Raynal mettent en avant n'est pas loin de celui que preconisent les ォ econoュ mistes サ comme Baudeau et Letrosne. 74 Ainsi う ピest it Diderot de rencherir : ォ Je ne dirais pas it un peuple esclave ぅsois libre; mais je lui mettrais devant les yeux les avantages de la liberte うet il la desirerais サ.75 Sans Ie fondement de la base economique et sociale qui ne peut se construire que par etape うau travers d'un long processus historique うIe titre de ォ citoyen サ et Ie principe de ォ liberte サ ont beau etre inscrits dans les lois , ils ne feront que rester de vains mots. Aussi faut-il que la politique de civilisation se propose la constitution de cette base うmelle si cet acte ne peut se faire qu 冶n se conformant it la marche generale de l'Histoire. Comme on Ie voit うla soumission du Droit it la Politique et de la Politique it l'Histoire est clairement formulee dans cette refutation des reformes de la legislation par Catherine II う o u la modalite de la civilisation de la Russie constitue un axe central de la reflexion de Diderot. Chez les historiens des deux Indes うcette double soumission implique par ailleurs Ie renouvellement de la conception de l'acte politique. En e 旺et う S討i Ie郎s poか町 litiques de ォ civilisationサ qu' う'il孔Is preconisent ont toujours eu Ie souci de garantir la coordination 白ed 1 う、o 吋r - d 問r e j 町u1江I r 吋 i同q 問u1肥e ωe t 白d e l' うOωrd 企re ecωonomique et social うelles deュ bouchent aussi sur la revalorisation de la liberte politique qui deborde Ie cadre juridique des droits constitutionnels. Ainsi うon trouve dans un des fragments de Diderot sur la Russie うune virulente critique du despotisme eclaire :

Le meilleur des princes うqui aurait fait Ie bien contre la volonte generale うserait criminel うpar la seule raison qu'il aurait outrepasse ses droits. II serait criminel pour Ie present et pour I' avenir : car う ぜil est eclaire et juste うson successeur, sans etre heritier de sa raison et de sa vertu うheritera su.rement de son autorite うdont la nation sera la victime. Un premier despote juste うferm 民eclaire うserait un grand mal; un second despote juste うferm 札eclaire うserait un plus grand mal; un troisieme qui leur succederaient avec ces grandes qualites serait Ie plus terrible fieau dont une nation pourrait etre frappee. 76

Dans ce passage ぅqui prend obliquement pour cible un chapitre du Discorsi de Machiavel ,77on voit les ォ hommes »ぅ r a s s e m b l e s en une entite nationale ヲ

74 HDI 74 ぅliv. V うt.2 , p.214-220 ++ HDI 80 ぅliv. V うt. 1 ぅp.635-641 et HDI 80 ぅliv.XIX ヲ t.4 ぅp.482-487. 75 HDI74 ぅliv.V うt.2 ぅp. 217-HDI 80, liv. V ぅt. 1 ぅp.639. 76 HDI80 ぅliv. XIX ぅt.4 ぅp.482. 77 Voir ぅMachiavel ヲ D is c o urs sur I αpremiere dec αde de Tite- Live , in 白山 r e s ぅ t r a d u i t par Christian Bee, Paris うLa旺ont う1996 うp. 231-232 :ォ La succession continue de deux grands

105 KENTA OHJI se constituer en une puissance politiqu 払et l'Histoire うse definir comme un lieu privilegie de la manifestation de la volonte de cette nation. La vi γ t it du prince ne doi t pas se proposer de surmonter et de soumettre la fortune うelle doit tout au contraire suivre うvoire se soumettre a la fortune incarnee par Ie mode d もtre de la nation ぅmeme si celle-ci prefere rester dans 1 うinertie うcontre la bonne volonte du prince: Ie sujet de l'acte politique n 冶st plus precisement Ie prince qui agit う ピest plutot la nation qui determine les marges de man 臼uvre du prince. Si うdans Ie cas de la Russie , la nation apparait encore essentiellement pasュ sive うil ya aussi dans 1 う H i s t o i r e des deux Indes un moment privilegie du passage al'acte de la ォ nationサ - ou plus precisement des ォ hommes サ se constituant en ォ nationサ - face au ォ gouvernement サ: on aura reconnu la ォ Revolution de l' Ameriqueサ. En effet うil n'est pas impossible d うinterpreter la prise de distance al'egard des reformes juridiques de Catherine II et la critique de Montesquieu qui l'accompagne dans la perspective du ralliement de Raynal/Diderot avec les ォ Insurgentsサ de l' Amerique うet notamment avec les ideologues de l'Indepenュ dance Americaine comme Richard Price うJoseph Priestley ou ThornωPaine う dont on sait qu'ils s うinspirent de la philosophie de Locke et de sa theorie revoュ lutionnaire de la ォ dissolution du gouvernement サ. Au demeurant うIe passage precite de Raynal (<< Montesquieu lui-meme ぅne s'est pas apergu q ザil faisait des hommes pour les gouvernements うau lieu de faire des gouvernements pour les hommes サ) se trouve precisement dans Ie chapit 問consacre ala constitution de la Caroline du Nord etabli par Locke. En effet うtout ぜ y passe comme si うau fil des reeditions de l' Histoire des deux Ind 同 l う a p p r e c i a t i o n de plus en plus favorable de la doctrine de Locke precipitait la depreciation de Montesquieu. Car , alors que Raynal critiquait la constitution lockienne de la Caroline du Nord dans la premi 色re edition , pour avoir ouvert la voie a 1 うintolerance et pour avoir limite la liberte civile うil reconnait au contraire la necessite de ces limiュ tations compte tenu des conditions historiques de 1 モpoque うdes la deuxieme edition et a mesure qu'il prend sa distance a l'egard de Montesquieu. 78 Dans la troisieme edition , d うailleurs うDiderot rend un hommage appuye aLocke qu'il compte parmi les plus ォ augustes legislateurs サ du Nouv

princes produit de grands effets... サ. 78 Voir ぅHDI70 ぅliv. XVIII ぅt.6 ぅp. 333-336 + HDI 74 ぅliv. XVIII ぅt. 7, p. 66-71 ++ HDI 80 ぅ liv. XVIII うt.4 ぅp.308-310. 79 HDI80 ぅliv. XVIII ぅt.4 ぅp.408.

106 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H IS TO I R E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

rapprochement n 冶st pas hasardeux ぅet il porte sur les aspects essentiels de la theorie de Locke , puisque Diderot apporte la justification theorique de l'Inュ dependance des Etats-Unis comme ォ l'exercice legitime d'un droit inalienable et naturel de l'homme q ぜon opprime うet meme de I'homme q ぜon n' opprime pas» ぅ80 tout en ォ materialisant サ la theorie d うinspiration lockienne des Obュ ser υ αtions sur l αliberte civile (1776) de Price par la substitution du concept d'ォ espece humaine サ aux multiples references aDieu et a la Religion. En renュ cherissant encore うIe philosophe hisse Ie ton de sa grandiloquence a la fin d うun long passage q ぜil a tire du Sens Commun (1775) de Paine: ォ Ce 山 s t plus Ie temps de calculer. Dans Ie grand parti a prendre うtrop de circonspection cesse d モtre prudence. Tout ce qui est extreme demande une resolution extreme. Alors les demarches memes les plus hardies sont les plus sages; et l'exces de l'audace meme devient Ie moyen et Ie garant du succes. サ81 II est vrai que Raynal うpour sa part うreste sceptique Quant a I うissue de l'Independance うen prenant en consideration la guerre en cours et les conditions economiques acュ tuelles des colonies qui sont encore largement dependantes de la metropole. 82 Cependant うIe scepticisme de Raynal ぜ e x p li q u e largement par son opposition a la participation de la France dans la Guerre d'Independance conduite par Vergennes うruineuse pour Ie Tresor d うEtat dirige alors par son ami Necker うplu­ tot que par d うhypothetiques dissensions theoriques avec Diderot うson proche collaborateur , ou avec ses amis anglais comme Price et Priestl ey83 : il ぜ a g i t

80 HDI80 ぅ !iv. XVIII , t.4 うp.393. L う O b s e rりα t i oη s u r l αliberte civile de Richard Price est traduite et introduite en France par les Affaires de l'Angleterre et de l'Ameriquム j o u rn a l specialement edite pour suivre Ie cours des conflits coloniaux Britanniques en France. Voir うt.3 うno.12 ぅp.45-88 うno.13 ぅp. 113-176 et no. 14 ぅp.177-23 1. 81 HDI 80 , !i v. XVIII ぅt.4 ぅp.417. La premiere publication partielle du Sens Commun de en frangais se trouve dans la ォ Lettre d'un B α ηquier de Londres Ii M. 村 求 Ii Anvers , de Londres Ie 15 juin 1776 »,in Affaires de l'Angleterre et de l'Amerique , t. 1 う no.4 ぅp.34-84. 82 HDI 80 , liv. XVIII ぅt.4 ぅp. 422-458. C 冶st cette circonspection qui lui attirera les foudres de Paine lui 四meme うdans les Rem αrques sur les erreurs de l'Histoire philosophique et politique de Mr. Guill αume-Thom αsR αyn αlp αr r α, .pport α ω α :ffaires de l'Amerique Sepュ tentrion αle う B r u x e ll e s う F r a n c q う 1 7 8 3 . 83 Sur les relations personnelles de Raynal avec Price et Priestley , voir Gianluigi Goggi ぅ ォ Autour du voyage de Raynal en Angleterre et en Hollande サ in Bancarel et Goggi う Rαυnα l : de la polemique Ii l'histoinムop.cit. う p . 371-425. Compte tenu des sources utiliュ sees par Diderot うnous pouvons nous demander si Diderot n 冶pas redige ses fragments eloquents qui apportent Ie soutien fervent a l'Independance des Etats-Unis dans les anュ nees 1776-1777 うimmediatement apres la declaration de l'Independance en 1776. En ce cas la うl うecart entre la position enthousiaste de Diderot et celle うsceptiqu 民de Raynal

107 KENTA OHJI donc 1< 1 de la difference des points de vue entre Diderot うen charge de l'apoュ logie des ォ Insurgents », et Raynal , ぜoccupant de la question de la prise de position de la monarchie fran~aise face a cette nouvelle mutation des relations internationales. Par-dela l'apparente ォ contradictionサ relevant de la division du travail entre Ie philosophe et l'historien うl うun et l'autre semblent accepter l うappellockien a la defense des droits naturels comme un discours politique Ie plus opportun dans une circonstance historique singuliere de la ォ Revolution de l' Amerique» ぅet Ie plus propre a constituer les hommes rassemblees en une nation revolutionnaire. Encore une fois う ぜil se trouve que c'est un discours jusnaturaliste de Locke qui apporte la legitimation a la revolution independentiste うce discours ne sauュ rait en aucun cas etre considere par les historiens des deux Indes comme Ie fondement universel des politiques de civilisation , etant donne que Ie seul prinュ cipe universel que so 凶ent Raynal/Diderot est celui qu 加cun principe uniュ versel ne pourrait avec succes ぜappliquer systematiquement a tous les cas. En meme temps うil ne faudrait pas voir une solution radicale de continuite entre les politiques de civilisation et Ie soutien a la ォ Revolution de l' Ameュ riqueサ chez Raynal/Diderot : c ヲest que certains usages de la theorie lockienne du droit naturel peuvent trouver sa place au sein des politiques de civilisaュ tion ぅsans pour autant que les historiens des deux Indes eprouvent Ie besoin de s うadherer au jusnaturalisme. En effet うIe concept de ォ civilisation », elaュ bore dans la quete de la nouvelle organisation politique a partir de la prise de conscience de l'irreversible processus du developpement du commerce うpeut eventuellement rejoindre a la theorie juridico-politique qui aurait contribue ala formation de 1 官 t a t liberal democratique Ie mieux adapte a l'administration de l'economie du marche. 84 Certes うcette meme theorie du droit naturel sert うdans l うappel ala revolte des esclaves africains a venir う 8 5 de fondement theorique ala contestation diderotienne du monde civilise comme il va うet que Ie philosophe reconnait dans les Etats- U nis d うAmer 匂ue naissants Ie retour des republiques

pourrait refieter Ie changement de la situation des conflits coloniaux en Amerique : la participation de la Fr ance dans la Guerre d うIndependance ne se fait qu 冶n 1778.

84 C. B. MacPherson ヲ T h e Political Theory of Possesive Individualism ぅ O x f o r d ヲ O x f or d UP う 1962 ヲpart. v. 85 HDI 80 ぅliv. XI ぅt.3 ぅp.194-196. Cependant うen pratique ぅDiderot comme Raynal souュ tiennent une politique beaucoup plus mod 台ee de I うaffranchissement graduel des esclaves dans une longue dur 白 うavec Ie programme de distribution de la propriete terrienne et d もducation. Voir , HDI 70 うliv. XI , t. 4 ぅp.171-174 一 一HDI 74, t. 4 ぅp.163-167 十 + HDI 80 う liv. XI , t. 3 ぅp.201-203.

108 HISTOIRE ET DROIT DANS L'HISTOIRE DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT antiques et agricoles. 86 Cependant うla variete des prises de positions politiques de l' Histoire des deux Indes ne tendent pas moins constamment a la constituュ tion du monde des Etats-Nations sur Ie fond du commerce mondial うd'autant plus qu'elle soutient avec insistance Ie refus de l'Empire ou la contestation de la ォ monarchie universelle des mers サ de l' Angleterre ヲla constitution de 1 うunite nationale appuyee sur 1 うaffranchissement du Tiers et la pacification des rela 司 tions internationales par l'extension du commerce mondiale. De ce point de vue うlorsque les historiens des deux Indes lancent ォ Faire des gouvernements pour les homrnes サ contre Montesquieu うon pourrait dire que ces ォ hommes サ sont essentiellement des hommes economiques qui cherchent a se hisser au rang de ォ citoyens サ: la contestation de Montesquieu selon Raynal/Diderot reI らve donc largement de leur divergence de l'appreciation du role des richesses ecoュ nomiques dans les Etats contemporains de la fin du XVIIle siecle. Cependant う il ya dans cette contestation une autre dimension , plus fondamentale encore a notre avis , concernant precisement Ie rapport entre Histoire et Droit. Car , ces ォ hommes サ dont parlent les historiens des deux Indes apparaissent dans la br らche ouverte entre Ie Droit existant et la dynamique de l'Histoire ぅque ce soit Ie Tiers-Etat frangais montant en defaut de la participation politique , les serfs Russes rebaptises ォ sujets サ en manque de leur base economique うou les colons americains proclamant la legitimite de leur constitution en une nation independente a la metropole. Quoiqu'articulees differemment selon les circonsュ tances et les rythmes divers de l'histoire de chaque peuple うles politiques de civilisation de Raynal/Diderot n 冶n demandent pas moins obstinement de faire ォ devenir quelque chose» , ce qui n うetait que ォ rien サ du point de vue du droit politique , si nous nous permettons ici d'emprunter la cel 色bre formule de Si 色yes. Par-dela la confrontation avec Montesquieu うles historiens des deux Indes souュ levent donc la question suivante : qu うest-ce qui legitime un acte politique qui excede Ie droit existant うou quel est Ie fondement う ぜil y en a un ぅde la legiュ timite d うune politique qui se veut alIer au-dela de la legalite? Ona vu qu'en cette derniere instance うnos historiens font appel aI' exigence de la cohesion du corps politique dans une circonstance his

86 HDI80 ぅliv. XVIII , t.4 ぅp.422.

109 KENTA OHJI ainsi s'arroger Ie titre de ォ legislateur du monde サ ?87

3. En guise de conclusion: Arc α n αimperii et tribunal de l' histoire.

Dans la troisieme edition de l' Histoire des deux Indes , Diderot evoque une fois les di 伍cultes de 1 も c o n o m i e politiqu 仏qu'il appelle ォ science de l'homme publicサ. Apres avoir constate la subtilite de cette science , incomparable avec la mathematique pour laquelle Ie g 白lie de Newton a su白pour une innovation totale うIe philosophe avertit Ie public de l'extreme complexite du probleme politique :

On croit うau premier coup d 今 回il うn'avoir q ザune di 伍culte a resoudre :mais bientot cette di 伍culte en entraine une autre うcelle-ci une troisi 色m 弘 前ainsi de suite a l'infini; et l'on s うapen:;oit qu'il faut ou renoncer au travail うou embrasser a la fois Ie systeme immense de l' ordre social うsous peine de r ピobtenir qu うun resultat incomplet et d€fectueux.Les donnees et Ie calcul varient selon la nature du local う ses productions うson numeraire うses ressources うses liaisons うses lois うses usages う son gout うson commerce et ses m 白urs. Quel est l'homme assez instruit pour saisir tous ces elements? Quel est l'esprit assez juste pour ne les apprecier que ce qu'ils valent? Toutes les connaissances des di 旺'erentes branches de la societe ne sont que les branches de l'arbre qui constitue la science de l'homme public. II est ecclesiastique; il est militaire; il est magistrat ;il est financier; il est commen:;ant ; il est agriculteur. II a pese les avantages et les obstacles auxquels il doit s ヲattendre des passions うdes rivalit 白 うdes interets particuliers. Avec toutes les lumieres qu'on peut acquerir sans genie; avec tout Ie genie qu'on peut avoir re<:;u sans lumi 色res う il ne fait que des fautes. 88

87 C 冶st Gibbon qui consacre ce titre a Raynal うdans un passage ironique que void: ォ Yesュ terday afternoon I lay or at least sat in state to receive visits ヲand at the same moment my room was 五lled with four different nations. The loudest of these nations was the single voice of the Abbe Raynal うwho like your friend has chosen this place for the asylum of freedom and history. His conversation which might be very agreeable is intolerably loud う peremptory and insolent and you would imagine that he alone was the Monarch and legislator of the World. », dans la lettre au Lord She 白eld en date du 14 novembre 1783 う in The Letters of Edw αrd Gibbon, ed. J. E. Norton , London , Cassel, 1956 ヲ3 vo l. ヲt.2 , p.373. 88 HDI80 ぅliv. XIII , t. 3 ぅp.488-489. Signalons que cette addition de 1780 est inseree dans Ie livre consacre ala discussion sur les reformes du commerce colonial des Antilles franュ gaise 弘 前que Raynal lui-meme y ecrivait dans les deux premieres editions ォMais les verites politiques veulent etre agit 白s longtemps avant d もtre senties. Beaucoup d うerreurs

110 HISTOIRE ET DROIT DANS L う H IS T O IR E DES DEUX INDES DE RAYNAL/DIDEROT

Pour guider une saine politiqu 払donc うil faudrait une science globale de la societe うqui eclaircisse l'ensemble des rapports constitutifs de celle-ci うsans negliger aucune donnee empirique うnaturelle うeconomique うsociale ヲculturelle ヲ juridique ou politique , les traitant d'un point de vue impartial うqui transcenュ derait toute division du travail et tous conflits sociaux. U ne telle science est la au moins comme une idee regulatrice qui guide les historiens-philosophes dans la redaction de leur Histoire des deux Indes. Cependant うa cause de l'infinite d うobjets qui se presentent et des multiples clivages qui divisent la societe うDi­ derot est conduit a un constat bien amer de l'impossibilite d うaccomplir une telle science generale de la societe うqui pourrait servir d'une reference ultime a l'acte politique. lci うIe philosophe est loin de partager 1 う « esprit de systeme サ des economistes qui se plaisent a construire 1'ォ ordre naturel et essentiel des societes politiques サ d うune maniere deductive ヲet qui reussissent a esquisser la premiere ebauche analytique du capitalisme industriel うa coup d うabstrac­ tion. Mais il est aussi loin d うeprouver une joie intime de Montesquieu voyant se plier l'in 白nie diversite des choses au principe qu'il a pose うa la decouverte de la surdetermination des lois en 白uvre dans un corps politique. Ce qui est certain , ピest que l' Histoire des deux Indes n うa pas la pretention de detenir la verite ultime de l'Histoire うnon plus que ses auteurs ne se consid らrent comme les guides universels de toute politique , malgre la profusion de conseils , jugeュ ments et propositions en tous genres qui forment la trame de Ie 町 田uvre : la science de l'Histoire dont on attribue l'invention a un Marx n うexiste pas chez Raynal/Diderot C うest justement pour cette raison que l' Histoire des deux Indes se veut avant tout une intervention politique et polemique dans l'espace public うqui souleve うdiscute et cherche a resoudre les problemes de la politique actuelle う nationaux et internationaux , sans pour autant renoncer a la fidelite a un cerュ tain principe et a l'exigence des savoirs necessaires de la science うdonc うelle passe a la pratique politique うen assumant sa propre limitation et en s'inserant dans l'espace conflictuel de la societe qui se dechire. En effet ぅpour pallier a ce manque de fondement scientifique a la politique , Diderot ne revendique pas d 、utre chose que Ie recours a 1 うo

se sont introduites うchez les hommes d もtat comme chez le peuple うsans examen. Le miュ nistre de France うlongtemps aveugle par les 伯尚 b r e s 0 白 i l laissait dormir sa nation ぅn'a pas encore pu ぜ e cl a i r e r sur 1 う a d m i n i s t r a t i o n qui convenait le mieux a ses colonies. Ii ne sait pas encore quel est le gouvernement le plus propre ales faire prosperer. サ in HDI 70 うliv.XIII うt.5 ぅp. 170-HDI 74, liv. XIII うt.5 ぅp.165.

111 KENTA OHJI matiere sur laque lIe on ne puisse librement ぜ e x e r c e r. Plus elIe est grave et di 自 由 cile うplus il est important qu'e lIe soit disc 目 的 . Or , en est-il de plus importantes ou de plus compliquees que ce lIes du gouvernement? Qu'aurait donc de mieux afaire une caur qui aimerait la verite うque d うencourager tous les esprits a ぜ e n occuper? Et quel jugement serait-on autorise aporter de ce lIe qui en interdiュ rait 1 冶 t u d e , si ce n'est ou la mefiance de ses operations うou la certitude qu'e lIes sont mauvaises? サ.89 On trouvera ce fondement bien fragile うet bien chancelant pour l'art de gouverne r. Ceci est d うautant plus vrai que les historiens des deux Indes う a la di 百'erence des physiocrates うne croient pas que l'opinion puisse en quelque maniere que ce soit conduire a la verite immuable. Les historiens des deux Indes ne l'ignorent pas うpuisque ce sont eux qui assistent aux derapages du patriotisme qui ont conduit l'Angleterre libre ala guerre d うexpansion ,90 et quia 伍rment aussi que la liberte de parole en matiere politique peut servir aussi bien des Trajan que des Tibere. 91 On aurait tort sans doute de meconnaltre Ie caractere novateur de cette demarche mise en 白uvre :fonder la politique sur l うopinion , accepter que la seule bonne politique soit ce lIe qui est en conformite avec la ォ volonte generale de la nation» ぅcomprise non pas comme une ォ voュ lonte generale サ rousseauiste transcendant les interets particuliers , mais bien plutδt comme l'equilibre precaire auquel parvient un corps social profondeュ ment divise; de meme qu うon aurait tort de sous-estimer la nouveaute du geste qu'opere par son existence meme l' Hisioire des deux Indes ぅ v e r i t a b l e s sommes de debats qui contribuent aelargir ce nouvel espace de l'opinion publique. Reste qu'en depit de cette nouveaute al'heure qu'il est うce recours a 1 う op i ­ nion publique うcar il est fait suite au constat de l'impossibilite de la ォ science de l'homme public» , fait revenir deux figures bien archalques sous une forme renouvelee :nous entendons l'α r cαnα i m p e r i i et Ie tribunal de l'histoire うdeux concepts-des de Tacite historien. II est quelque peu paradoxal de voir dans l'appel a la publicite des debats politique un vestige du mystere du pouvoir う

89 ibid. ぅ t . 3 ぅ p . 4 8 9 . 90 HDI 70 liv. X ぅt.4 ぅp.71 一 一HDI74 ヲ !iv.X ぅt.4 ぅp.67-HDI80 ぅ !iv. X ぅt.3 ぅp. 60. Voir aussi la description de l'echau 百ement de l' ォ esprit publicサ et de l'hostilite contre la France

en Angleterre うnotamment HDI 70, !i v. X うt.4 うp. 91-HDI 74 う !iv. X うt.4 うp.87-HDI80 ヲ liv.X うt.3 ぅp.79. 91 HDI80 ぅ !iv. X , t. 3 ぅp.61 :引 S o u v e r a i n s ぅ v o u l e z - vous etre mechants ? Laissez ecrire; il se trouvera des hommes pervers qui vous serviront selon votre mauvais g 白ie et qui vous perfectionneront dans l'art des Tiberes. Voulez 四vous etre bons? Laissez encore ecrire; il se trouvera des hommes honnetes qui vous perfectionneront dans l'art des Trajans. Combien il vaus reste de chose a savoir pour etre grands うsoit en bien , soit en mal! サ

112 HISTOIRE ET DROIT DANS L ヲ H I S T O IR E DES DEUX INDES DE RAYNALjDIDEROT mais c'est bien cette conception qui transparait chez Raynal/Diderot. Ce 的 s t pas seulement que l'acte politique , que ce soit celui d'un souverain ou d'une nation revoltee うne se deduit jamais d'une science preetablie うet qu'il est par l'excellence l'art de traiter un cas うtoujours singulier うdans I うignorance de ses determinations compl 色tes. Mais ピ e s t surtout parce q ぜ « ils ne savent pas ce qu'ils font» ぅet que ce decalage fatal qui s'insere entre un acte politique et ses consequences reste irreparable: la ォ veriteサ en politique ne se revele qu うα , p r e s coup う d a n s I うavenir de l'Histoire qui se fait うdans Ie cours du temps ぅparfois lent , parfois accelere. D うo むvient うd'autre part , l'appel sans cesse lance ala posterite dans l' Histoire des deux Inde ム p a r Diderot うet aussi et non a un moindre deュ gre , par Rayna l. Cet appel a la posterite est autre chose que la projection du fantasme narcissique des historiens-ph i1osophes vers Ie futur , ou i1 s se feraient m 自 n reconnaitre comme les proph 色tes incompris de leurs contemporains; i1 s うagit bien plut6t de l'expression de leur conscience aigue うtant de la necessite de l'insertion de la politique dans la longue duree de l'Histoire ぅque du besoin inevitable du renvoi al'opinion avenir concernant Ie sort d うu 日acte politique. Le tribunal de l'histoire chez Raynal/Diderot n 冶st do 町pas simplement ceュ lui de l'histoire qui s もcrit うo 也l'historien siegerait en juge うmais aussi celui de l'Histoire qui se fait うou les ォ hommes サ a venir prononceront leur sentence sur les actions des hommes du passe うet auquelles historiens-philosophes euxュ memes pourraient etre cites. 92 Est-ce dire que Raynal/Diderot se redament au fond une conception de la politique bien moder 的 うvoire moderantiste うqui la reduirait aun echange d うopinions atravers les si 色des? Le tribunal de l'histoire n うest-il q ぜun espace public qui se prolonge a travers l'Histoire? Decidement pas. Car ぅles historiens des deux Indes connaissent precisement la fragilite du fondement de l'opinion publiqu 払voire les limites memes des politiques de ciュ vi1isation, soumises a la marche imprevisible de l'Histoire. Ainsi うen marge

92 Nous donnons un seul exemple , inscrit らla fin de l' Histoire des deux Indes : ォ Puissent des ecrivains plus favorises de la nature achever par leurs chefs-d' 田uvre ce que mes essais ont commence! Puisse , sous les auspices de la philosophie , s もtendre un jour d'un bout du monde a l'autre cette chaine d'union et de bienfaisance qui doit rapprocher toutes les nations policees !Puissent-elles ne plus porter aux nations sauvages l'exemple des vices et de l'oppression! Je ne me Ratte pas q ぜ a l' epoque de cette heureuse revolution monnom vive encore. Ce faible ouvrage qui ぜ a ur a que le merite d'en avoir produit de meilleurs ぅ sera sans doute oublie. Mais au moins je pourrai me dire que j 冶i contribue autant qu'il aHe en moi au bonheur de mes semblables , et prepare peut-etre de loin l'amelioration de leur sort. Cette douce pensee me tiendra lieu de gloire. Elle sera le charme de ma vieillesse , et la consolation de mes derniers instants. », in HDI 74 うliv. XIX , t. 7 うp.423 424-HDI80 うliv. XIX うt.4 うp.706.

113 KENTA OHJI de l' Histoire d ωdeux Indes う D i d e r o t remarque a propos d うun restaurateur de l'Etat corrompu : ォ C'est un architecte qui se propose de batir sur une aire couverte de ruines. C'est un medecin qui tente la guerison d'un cadavre ganュ grene. C うest un sage qui preche la reforme a des endurcis. II ぜ a que de la haine et des persecutions a obtenir de la generation presente. II ne verra pas la generation future. II produira peu de fruit , avec beaucoup de peine うpendant sa vie うet n うobtiendra que de steriles regrets apres sa mort. Dne nation ne se 尚氏 n e r e que dans un bain de sang. サ93 Les 五gures du jugement que forme la posterite ne revetent pas toujours la forme de la conversation de salon ou de la bataille des livres うnous rappelant ainsi que Ie tribunal de l'histoire peut fort bien ぜ a ff r a n c h i r des regles de la civilite. La Revolution s うapprochιelle est dej a a l'horizon de l' Histoire des deux Indes. Mais on en est decidement sorti du domaine du Droit , dont Raynal et Diderot au fond ne se souciaient guer ・e.

93 HDI 80 , !i v. XI ぅt.3 ぅp. 102-103. Ce passage prophetique doit etre mis en relation avec Ie pessimisme du philosophe - toujours croissant apres Ie Parlement de Maupeou-pour la possibilite des rHormes politiques en France. Sur ce point うvoir notamment un de ses ecrits russes うintitule ォ Essai historique sur la police de la France depuis son origine jusqu'a son extinction actuelle »,in CEuvres politiques ぅ e d . Paul Verniere , Paris うGarnier う 1963 うp.224-225.

114