Une approche de l’immigration Italienne à JOUDREVILLE & BOULIGNY

par Gérard GIACOMELLI

Après 1900 le petit village de JOUDREVILLE qui comptait à peine une centaine d’habitants va connaître un bouleversement considérable : le sous-sol lorrain riche en minerai de fer, attire les groupes industriels qui vont obtenir de l’État des concessions afin d’en exploiter le sous-sol.

La main d’œuvre locale étant insuffisante, en plus d’un recrutement dans les départements voisins, il sera fait appel à des travailleurs immigré Italiens dans un premier temps, Polonais un peu plus tard …

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UNE APPROCHE DE L’IMMIGRATION ITALIENNE

A JOUDREVILLE & BOULIGNY

Une production « Les enfants de Joudreville », écrit par Gérard Giacomelli Mai - 2014

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LES ENFANTS DE JOUDREVILLE

Contact : [email protected]

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Sommaire

1. PRESENTATION ...... 4

2. CARTE DES REGIONS ITALIENNES ...... 5

3. BREF HISTORIQUE DE L’IMMIGRATION DANS LES MINES DE FER...... 5

3.1. De 1906-1907 ...... 6

3.2. De 1911 à 1913 ...... 6

3.3. La guerre de 14/18...... 7

3.4. Les années 1920 – 1930 ...... 7

3.5. La récession (1930 – 1939) ...... 7

3.6. La guerre 1939 – 1945 ...... 8

3.7. L’après - guerre et le début du déclin ...... 8

3.8. Le retour au pays… pas si simple ...... 8

4. LES REGIONS DE L’IMMIGRATION ...... 10

...... 12 4.1. Immigration Italienne à Joudreville ...... 12 4.1.1. Les régions d’origine 4.1.2. Les régions d’origine pondérées par le poids de population ...... 13

4.2. Quelques commentaires ...... 14

5. L'IMMIGRATION A JOUDREVILLE ET BOULIGNY ...... 14

5.1. Les origines de l'immigration italienne à Bouligny ...... 15

5.2. Une ébauche d'explication...... 15

5.3. Les embauches et l'instabilité de la main d'œuvre ...... 15

5.4. - premier enseignement: ...... 16

5.5. - le recrutement étranger avant1914 ...... 16

5.6. - avant 1914, le recrutement français à Joudreville (55): ...... 16

5.7. Un recrutement qui s'organise ...... 17

5.8. Après 1918, le recrutement s'élargit à l'Europe centrale ...... 17

5.9. L'immigration polonaise ...... 17

5.10. Les années de crise...... 18

5.11. La guerre de 39/45 et l'après-guerre ...... 19

5.12. Pourquoi un tel retour? ...... 19

6. BIBLIOGRAPHIE ...... 20

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1. PRESENTATION

L'idée de regarder d’un peu plus près l’histoire de l'immigration italienne à Joudreville (cités du Nord-Est) m'est venue en découvrant l'application:

http://www.gens.info/italia/it/turismo-viaggi-e-tradizioni-italia

Application qui permet de localiser les noms de famille au niveau des communes, et donc leur origine géographique, du moins pour une grande majorité de ceux-ci.

Et puis me piquant au jeu je suis allé un peu à la pêche aux informations, histoire d'étoffer un peu le propos.

Rien de bien ambitieux, pas d'approche historique ni sociologique; juste un retour sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés les diverses périodes de l'immigration et la vie de ses acteurs.

Ce document est articulé en trois chapitres:

1. UN BREF HISTORIQUE DE L'IMMIGRATION DANS LES MINES DE FER Rappel des grandes dates et périodes de l'immigration

2. LES REGIONS DE L'IMMIGRATION ITALIENNE

C'est l'exploitation graphique de l'application citée ci-dessus aux cités de la mine du Nord-Est.

3. L'IMMIGRATION A JOUDREVILLE ET BOULIGNY

Ce dernier chapitre est rédigé à partir des éléments issus d'un mémoire de maîtrise de : Marie Danielle HARBULOT, Intitulé "BOULIGNY – SES MINES- SES CITES" (Université Nancy II – juin 1977)

Qui nous apprend beaucoup, chiffres et analyses à l'appui, sur toutes les immigrations, les conditions de vie des mineurs et leurs familles et sur le travail à la mine.

Etant donné la similitude des conditions d'immigration entre les cités de Joudreville (54 et 55) et de Bouligny, avec quelquefois des différences étonnantes, ce mémoire recèle un même intérêt pour les cités de la mine du Nord-Est.

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2. CARTE DES REGIONS ITALIENNES

3 . BREF HISTORIQUE DE L’IMMIGRATION DANS LES MINES DE FER.

A partir de 1870, date de l’unité italienne, commencent les grandes immigrations vers les Amériques et la . Le nord-est de la France deviendra la région qui attirera le plus ces mouvements, avec l’essor de la sidérurgie mais aussi, fin du XIX° siècle, pour des activités plus " traditionnelles " comme la construction des usines et des cités ; et vers les Vosges pour l’exploitation des carrières.

Dans les mines et la sidérurgie les besoins en main d’œuvre étaient tels que la population locale dès le début de l’aventure n’a pas suffi*. Les maîtres de forges ont dû recourir aux travailleurs étrangers, et en particulier aux immigrés italiens. Pendant près d’un siècle, le Pays Haut a vu

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arriver des dizaines de milliers d’Italiens, dont beaucoup sont restés.

La main d’œuvre en provenance des pays frontaliers et des autres régions françaises a surtout travaillé dans la sidérurgie, laissant aux Italiens le dur métier de la mine.

*fin XIX° le procédé Thomas a permis l’utilisation de la " minette " lorraine pour la fabrication de l’acier, que sa teneur en phosphore rendait impossible jusque là

3.1. De 1906-1907

Les Italiens forment la première communauté étrangère du Pays-Haut.

Mais rien ne fut linéaire, il y eut des hauts et des bas, des incidents historiques et aussi beaucoup d’instabilité dans ces mouvements.

Les immigrés étaient jeunes, le plus souvent célibataires et donc très mobiles ; ils changeaient très facilement de lieux d’embauche, allant au plus offrant. Ils se considéraient comme immigrants permanents, donc pas attachés ni à un pays, ni même à un continent. N’oublions pas que l’Amérique (Etats Unis, Argentine…) était l’autre terre d’immigration.

3.2. De 1911 à 1913

Devant la demande croissante de main d’œuvre les maîtres de forges, après s’être livrés à une surenchère sur les salaires pour attirer (débaucher !) les mineurs, ont été obligés de collaborer pour organiser de façon plus efficace le recrutement des immigrés italiens.

- En 1911 ils créent un bureau de recrutement à Chiasso en Suisse, à la frontière italienne, avec pour conséquence un accroissement sensible des mouvements migratoires.

- En 1912 pour répondre aux besoins des migrants le ministère des affaires étrangères italien ouvre, en plus du consulat de Nancy, deux vice-consulats à Briey et .

Dans la même période les premières cités sont construites avec les premiers équipements sociaux et sportifs ; toujours dans le but de fixer la main d’œuvre. Les institutions patronales créent alors les centres d’apprentissage, les écoles ménagères, les églises, les centres de santé… Le logement, l’éducation et la santé sont privilégiées car les familles, considérées comme un élément de stabilité, leur donnent une grande importance.

A titre d’exemple, la consultation gratuite des nourrissons sera un argument utilisé sur place en Italie pour faire venir les futurs mineurs et leur famille.

Parallèlement aux grands mouvements migratoires se met en place une immigration qu’on pourrait appeler "de proximité". On recrute au sein de la famille des mineurs déjà bien installés ou dans les mêmes villages, recréant ainsi des petites communautés qui s’intègrent plus facilement.

Dans le même ordre d’idée on facilite la création de cantines. On attribue à la famille qui veut

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en prendre la charge un double logement, un pour la famille du mineur et un pour loger les pensionnaires. C’est généralement l’épouse qui tient la cantine. Les patrons, pour stabiliser les célibataires un peu trop remuants, ont voulu utiliser une image très italienne de la mamma qui exerce une autorité naturelle sur ces "mécréants" (paternalisme quand tu nous tiens).

3.3. La guerre de 14/18.

Les usines et les mines sont fermées, certaines sont ennoyées faute de pompage. Par décret préfectoral les travailleurs étrangers sont renvoyés chez eux. Dans le Piennois ce sont 3000 Italiens touchés du jour au lendemain. Beaucoup partent à pied sur la route de Verdun, puis en train vers Saint Nazaire via Paris, avec interdiction de descendre et sous surveillance militaire. Enfin ils rejoignent Gênes par bateau en passant par Gibraltar.

3.4. Les années 1920 – 1930

A la fin de la guerre il faut reconstruire les équipements industriels et les logements. Le besoin de main d’œuvre est toujours aussi fort, aggravé par les pertes humaines et les mutilés du conflit.

Si l’Italie reste la première terre d’immigration on fait aussi appel à la main d’œuvre des pays de l’Est, polonaise surtout (création du centre de tri (sic) polonais à ), mais aussi tchèque et yougoslave…

A partir de 1922 date de l’avènement du fascisme en Italie l’immigration prend aussi un caractère politique avec l’arrivée des opposants pourchassés par le nouveau régime.

On notera que certains ouvriers présents avant 1914 et de retour après 1918 accèdent à certains postes de responsabilité ; c’est dire si la pénurie se faisait sentir à tous les niveaux.

Après les années 1906 -1914 cette décennie fut la seconde grande période d’immigration dans les mines.

3.5. La récession (1930 – 1939)

Cette récession mondiale fut beaucoup moins marquée dans les mines que dans les autres domaines d’activité. Elle se traduit par une baisse des effectifs de 10 à 15% relativement modérée et par le recours aux jours chômés, ce qui a limité la "casse".

On a donc eu recours à ce que l’on a appelé pudiquement " des rapatriements " qui ont plus touché la main d’œuvre polonaise qu’italienne. Mais à partir de 1936 le rythme des embauches est reparti.

Une anecdote à ce sujet : une loi demandait à ce que l’on favorise l’embauche des chômeurs français, ce qui fut fait. Mais il s’est avéré que cette main d'œuvre était moins fiable et moins stable que la main d’œuvre immigrée. On a donc fait appel, très faiblement, à la main d’œuvre d’Afrique du Nord qui avait l’avantage d’être moins revendicative (en avait-elle le pouvoir ?).

Mais surtout les lois de 1936 ont favorisé la naturalisation des travailleurs étrangers ce qui eut pour effet de faire remonter le taux des ouvriers français.

Au début de la décennie on assiste à une baisse de la productivité mais qui peu à peu est compensée par la modernisation de l’outil de production (premiers chargeurs mécaniques,

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estacades…). Et puis il fallait bien compenser la mise en application de la loi des 40 heures votée en 1936 et des congés payés ! Cet effort fut malheureusement stoppé par l’entrée en guerre en 1939.

3.6. La guerre 1939 – 1945

A partir de début 1940 a commencé le transfert de mineurs vers les charbonnages du Nord (Bruay, Courrières) et du centre du pays (Le Creusot). Variables selon les mines les chiffres s’élèvent à quelques dizaines de mineurs.

En parallèle fut organisée l’exode familial vers les mines du sud (Gard, Cévennes, Decazeville…). Cet exode n’est en rien comparable à celle que l’on voit d’habitude dans les médias et qui a touché les populations du nord du pays : familles à pied sur les routes avec valises, matelas… et quelquefois bombardées. Ce fut certes un déchirement mais le voyage en train était pris en charge et un emploi attendait les mineurs à l’arrivée, en remplacement de leurs collègues mobilisés.

L’exploitation des mines était plus que réduite et ne fut vraiment réactivée qu’avec l’arrivée des Allemands. Ils ont compensé en partie le déficit de main d’œuvre avec les prisonniers russes ; traités comme des esclaves. En 1943 la majorité des "réfugiés" était de retour dans les cités.

3.7. L’après - guerre et le début du déclin

Après-guerre la reprise de la production était soutenue avec cependant peu d’embauches et un recours à l’immigration de faible ampleur. C’est la modernisation et la mécanisation du travail qui furent les piliers de la relance.

Les Italiens étaient de moins en moins présents d’autant que dans les années 50 l’Italie connut elle aussi son miracle économique. Ce qui a accéléré les grands mouvements internes, en particulier du Sud vers les grands pôles industriels de Milan et Turin. Avec d’autres problèmes…

En 1984 la mine du Nord-Est fut fermée, marquant la fin d’une histoire avec ses drames, mais aussi le début d’une autre période…

3.8. Le retour au pays… pas si simple

Tout immigré porte en lui l’idée du retour au pays. "Je me fais un petit pactole et je retourne me monter une affaire". Mais les choses ne sont pas si simples.

Il y a la famille et surtout les enfants, important les enfants! Rappelons-nous, tout a été fait pour favoriser la venue des familles car elle était facteur de stabilité de la main d'œuvre et souvent d'une installation définitive. La capacité d'intégration des enfants était très forte. Le rôle de l'école est à souligner; une institutrice a rappelé "qu'il ne fallait guère plus de 6 mois à un enfant pour maîtriser la langue française".

Et ensuite de servir de relais auprès des parents, en particulier à leur mère qui avait le plus souvent une vie recluse ou alors avec uniquement des contacts au sein de sa communauté. Ils devenaient interprètes, assuraient les démarches administratives (les papiers…) et les échanges avec les commerçants et le voisinage, brassage de cultures et de langues différentes. Et puis le futur était tracé quand les enfants grandissaient, le "certif, les bleus" et puis la mine

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(pour les plus jeunes "le certificat d'études et le centre d'apprentissage.")

Leur vie, les enfants l'imaginaient en France, leur éducation était française et le droit du sol leur en donnait la nationalité, du moins à ceux nés ici. Seuls les parents perpétuaient les contacts avec l'Italie.

Alors souvent la première génération attendait la retraite pour rentrer au pays; mais pas toujours facile de sauter le pas. Et peu l'ont fait. Vraiment pas facile…

On peut toujours lire ou relire:

- "Marie Romaine" d’Anne - Marie BLANC (éditions Serpenoise), beau roman sur la vie d'une immigrée dans nos cités, de sa famille, de ses espoirs et ses luttes. - et "Les Ritals" de Cavanna, qui nous raconte l'histoire d'une autre 'immigration italienne.

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4. LES REGIONS DE L’IMMIGRATION

En premier lieu quelques précisions quant à l'usage de cette application

- Il a fallu procéder au recensement des noms de famille d'origine italienne à Joudreville à partir de plusieurs sources: - La mémoire personnelle, partielle évidemment, mais assez féconde en fin de compte - Le recours aux annuaires téléphoniques, actuels et plus anciens - Et puis il y a l'annuaire des "Enfants de Joudreville"… Au final ce sont plus de 230 noms recensés, bien suffisant pour l'exercice.

Au passage un petit rappel pour ceux qui utiliseront le logiciel: - en italien le nom de famille se dit "cognome" - et le prénom se dit "nome"

La localisation géographique des noms est contemporaine, il y a donc un petit risque d'erreur. Mais ce risque est très limité car cette répartition a peu évolué dans le temps.

La seule correction qui s'est imposée concerne le fait de l'immigration interne, celle vers les grands pôles industriels de Milan et Turin à partir de la fin de la guerre. Ces villes sont donc surreprésentées. Le sachant, j'ai procédé à quelques corrections systématiques.

Enfin il est des noms tellement fréquents que leur localisation n'est pas exploitable; par contre d'autres plus rares sont sans équivoque.

(Voir les cartes ci-après établies à partir des noms "Rossi" et "Piubello", d'origine vénitienne avérée pour ce dernier) Entre ces deux cas il a fallu utiliser quelques coefficients de pondération.

Il y a à coup sûr un déficit de rigueur scientifique, mais vu la nature des résultats ce déficit reste contenu.

Application: http://www.gens.info/italia/ avec les noms "ROSSI" et "PIUBELLO"

présents respectivement dans 4541 communes et 50 communes. (L’Italie compte 8091 communes)

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4.1. Immigration Italienne à Joudreville

4.1.1. Les régions d’origine

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4.1.2. Les régions d’origine pondérées par le poids de population

Dans ce cas les régions les plus émettrices sont dans l’ordre :

  Les Marches   L’Ombrie   L’Emilie Romagne   La Toscane   La Vénétie  La Lombardie

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4.2. Quelques commentaires

A l'évidence mais aussi sans surprise, c'est l'Italie du nord et du centre qui a généré la quasi- totalité de l'immigration à Joudreville, avec en tête la Lombardie région la plus peuplée et la plus proche, suivie de l'Emilie –Romagne, puis de la Vénétie et la Toscane.

Le sud du pays et les iles (Sicile et Sardaigne) ne sont pas représentés à Joudreville. On verra plus loin que ce ne fut pas le cas à Bouligny, pourtant si proche.

L'immigration du sud était de tradition maritime, vers les Etats-Unis et l'Argentine. En Amérique du sud ne dit-on pas que " les Brésiliens descendent des esclaves et les Argentins descendent du bateau!!!" A contrario l'immigration sicilienne fut conséquente en Belgique, quoique plus tardive.

D’autres flux migratoires étaient liés soit à la proximité géographique et/ou à une tradition historique. Ainsi la Ligurie (Gênes) vers les Alpes Maritimes et le Val d'Aoste vers la Savoie (appartenance commune au duché de Savoie).

Si on pondère les flux par le poids démographique des régions, celles du centre sont les premières terres d'immigration (Marches, Ombrie). Ce sont exclusivement des régions agricoles, sans développement industriel, durement et longuement frappées par les crises.

5. L'IMMIGRATION A JOUDREVILLE ET BOULIGNY

L'intérêt du mémoire de Marie Danielle HARBULOT est multiple.

Il complète et précise les éléments historiques de l'immigration locale. Il traite de l'ensemble des immigrations, italienne et de l'Europe de l'Est et particulièrement polonaise.

Il nous montre aussi que malgré la proximité des cités ces immigrations ne furent pas homogènes.

Son approche est bien plus large car y sont abordés les aspects économiques, politiques, sociaux et celui des hommes au travail. Pour ce faire elle a eu accès aux archives des deux mines*, de la commune de Bouligny, des services des mines de Metz, de l'académie… Bref un véritable travail universitaire.

*mine d'Amermont – Dommarie (M.A.D.) et cités de Bouligny, mine de Joudreville (55) et cités de Joudreville "la Côte" (54 et 55). Il ne prend pas en compte les cités de la mine de La Mourière (54) partagées entre 54 et 55. Rien n'est vraiment simple…

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5.1. Les origines de l'immigration italienne à Bouligny

Entre 1918 et 1945 les embauches à la M.A.D. se sont réparties ainsi: Vénétie 970 Lombardie 620 Frioul Vénétie Julienne 570 Sardaigne 520

En comparaison avec Joudreville (54) la Vénétie vient en premier, devant la Lombardie. On note une forte présence du Frioul-Vénétie-Julienne inexistante à Joudreville. Ici c'est une immigration du nord-est de l’Italie. Et surtout la présence d'une communauté sarde très importante.

5.2. Une ébauche d'explication.

La langue italienne n'existe pas au début du XX° siècle, même si fin du XIX° la langue toscane, celle de Dante, fut décrétée langue officielle du nouvel état italien. Dans la réalité les langues régionales ont dominé jusque très tard dans le siècle. Peut être jusqu'à l'avènement de la télévision!!!

Il y a donc une mosaïque de communautés italiennes, assez hermétiques. Alors on finit par se regrouper par communautés, ne serait-ce pour se comprendre. Car les langues sarde et frioulanne, pour ne citer qu'elles, n'avaient rien en commun avec l'italien. Et il y a aussi l'effet des regroupements familiaux et des recrutements locaux.

Pour se comprendre il y avait bien une langue commune, la langue française, pratiquée à la mine, dans les commerces et à l'école, langue latine donc d'un abord plus aisé (même si nos anciens ont su l'accommoder à leur "sauce"). Dans ce cas la langue fut un élément déterminant d'intégration au même titre que le travail.

Elle le fut beaucoup moins pour les arrivants d'Europe de l'Est, car d'un accès plus fermé; d'où la présence jusqu'à une période récente d'écoles polonaises, de religieux polonais…

5.3. Les embauches et l'instabilité de la main d'œuvre

Examinons les embauches:

Période M.A.D. Joudreville Total

1906-1914 9000 4000 13000

1918-1931 8900 3800 12700

1932-1945 1600 700 2300

19500 8500 28000

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5.4. - premier enseignement:

Les mines n'ayant employés à elles deux jamais plus de 1800 salariés, seule la mobilité ou l'instabilité de la main d'œuvre explique l'importance des embauches au cours des 40 premières années d'activité, et surtout des 8 premières années. On comprend l'importance du problème, surtout pour les patrons. Terre d'immigration, certes, mais pour beaucoup terre de passage.

5.5. - le recrutement étranger avant1914

Il est italien en très large majorité. A la M.A.D. les effectifs italiens passent de 100 à 500 entre 1907 et 1912. A Joudreville entre 1907 et 1914, 300 Italiens s'embauchent en moyenne annuellement. Et certains mois le nombre des départs est supérieur à celui des arrivées.

Exemple à la M.A.D.:

Année Effectifs Embauches Départs

1907 222 647 582

1909 578 1164 934

1911 732 1615 1329

1913 920 1564 1131

Entrez 1906 et 1945 c'est près de 28000 hommes qui sont inscrits sur les registres de la M.A.D. et de Joudreville.

5.6. - avant 1914, le recrutement français à Joudreville (55):

916 Français s'embauchent à Joudreville, dont 115 meusiens, mais la majorité vient de la Meurthe et Moselle proche.

Notons que 256 embauchés viennent du Massif Central (Allier, Puy de Dôme). A cela une explication simple: le principal actionnaire de la mine de Joudreville est la société Commentry- Fourchambault, dont les établissements sont concentrés dans l'Allier et la Nièvre. Cette main d'œuvre a surtout servi d'encadrement.

À la M.A.D. et au Nord-Est, l'encadrement pour des raisons analogues est venu du Nord de la France (le pourquoi de la rue de "Valenciennes"?).

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5.7. Un recrutement qui s'organise

Dès 1909 la M.A.D. cherche à organiser son recrutement en Italie. Elle s'adjoint l'aide d'un Italien parlant français qui se montrera très efficace.

En 1910 le directeur de la mine s'indigne du manque d'implication de l'industrie française et de la concurrence déloyale entre les différentes mines et usines.

En 1911 un service collectif de recrutement est créé par le Comité des Forges et Mines de fer de Meurthe et Moselle.

Mais il faut aussi compter avec la concurrence des industries allemandes et leurs bureaux de recrutement en Italie, en Alsace – Moselle (encore allemande à cette époque) complétés par des agents recruteurs qui sillonnent l'Italie du nord.

Le journal "l'Opéra di Assistenza, la Patria" pourtant subventionné par le Comité des Forges et fort lu par les candidats à l'immigration, dénonce les mauvaises conditions de vie, le manque d'hygiène, de médecins, les baraques insalubres… et l'insécurité du travail dans les mines.

C'est donc sous la pression, et non par philanthropie, que la direction de la M.A.D. commence la construction de logements à partir de 1910, instaure la Société de secours mutuel, la consultation des nourrissons… Période de construction, qui soit dit au passage, augmente les besoins de main d'œuvre. Et d'où viendront les maçons?

5.8. Après 1918, le recrutement s'élargit à l'Europe centrale

A la déclaration de guerre la plupart des Italiens ont regagné la péninsule. Dès 1918, il faut donc relancer le recrutement. Les campagnes françaises sont décimées par la guerre, le retour des exilés est insuffisant, l'instabilité de la main d'œuvre est toujours de rigueur, autant de circonstances qui rendent nécessaire une relance massive de l'immigration.

Le contrat de travail fut une avancée pour attirer et maintenir le travailleur à sa mine. Il précise le lieu d'embauche, la durée du travail, les conditions de salaire, de logement, les allocations familiales, mais aussi les cotisations à la caisse de secours mutuel et à la caisse de retraite. L'ouvrier étranger sera considéré l'égal de l'ouvrier français.

5.9. L'immigration polonaise

A partir de 1925 le recrutement s'élargit à l'Europe centrale, et particulièrement vers la Pologne (accords commerciaux franco-polonais de 1922). C'est la dernière grande vague d'immigration.

Rappelons qu'aucun Polonais n'est alors né en Pologne stricto sensu. Avant 1918 ce pays est divisé entre ses voisins allemand, russe et autrichien.

Tous passent par le centre d'immigration de Toul qui oriente leur première affectation. Ils arrivent bien souvent à Bouligny après un passage dans les bassins du Nord, du Gard, du Saône et Loire… en grande majorité dans les années 1925/26. de 1906 à 1945 De 1924 à 1931

M.A.D. 2990 2570

Joudreville 751 612

Total 3741 3182

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En 1929 le directeur de la M.A.D. se plaint "de l'instabilité et du manque d'assiduité des polonais". Critiques comparables à celles portées en son temps sur les Italiens. Le recrutement s'oriente donc vers d'autres pays. - 200 Yougoslaves entre 1929 et 1933 à la M.A.D. - 100 Tchèques entre 1929 et 1930 à Joudreville

Les Italiens voient leur importance relative se réduire. C'est surtout le cas de la M.A.D. où les Polonais deviennent majoritaires, mais pas à Joudreville où leur nombre reste faible.

Une explication tient au fait que la mine de Joudreville a refusé l'installation d'une école polonaise. En "représailles" le gouvernement de Varsovie refuse le visa aux travailleurs demandant un contrat de travail pour cette mine.

5.10. Les années de crise

A partir de 1931 on assiste à une réduction générale des embauches. Les travailleurs, moins sûrs de trouver un emploi sont plus stables. C'est la mine qui est en position de force.

Des rapatriements sont organisés, ils touchent la main d'œuvre la plus récente.

Evolution des effectifs (Attention: tous les manquants n'ont pas été rapatriés)

Français Italiens Europe centrale

M.A.D. +35 -19 -204 (entre 32 et 35) (+18%) (-6%) (-34%)

Joudreville -39 -124 -97 (entre 29 et 35) (-20%) (-34%) (-58%)

A partir de 1936 pour maintenir la production et contenir les effets des lois de 1936 la mine doit réembaucher.

Comme on l'a vu plus avant, la priorité donnée aux ouvriers français s'est avérée insuffisante et le gouvernement a autorisé, dans les mines de fer, l'introduction d'un contingent d'ouvriers qualifiés, Italiens et Polonais. Dès 1937/38 le gouvernement suspend cette autorisation.

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5.11. La guerre de 39/45 et l'après-guerre

Au début de la guerre on assiste à l'abandon des mines et à l'exode vers les mines de la zone libre.

Puis par la reprise de l'exploitation par les Allemands et le retour en 1943 des mineurs et de leurs familles.

Cette période marque aussi la fin de l'immigration, du moins dans sa forme organisée. Place est faite à partir de 1946 à la modernisation. La machine prend peu à peu la place de l'homme. On connait la suite.

Un fait mérite cependant qu'on s'y arrête et qui touche aussi à l'immigration. C'est ce que l'on a appelé "les retours en Pologne".

A Bouligny la communauté polonaise est la plus forte. En 1945 on compte pas moins de 1142 polonais (mineurs et familles).

Un mouvement de retour exceptionnel amène un grand nombre de polonais à regagner leur pays en 1947/48, devenu depuis peu une république socialiste. Fin 1948 la population polonaise est passée à 639 habitants, soit une diminution de 463 personnes (plus de 40%) et de 103 mineurs (43% de l'effectif polonais).

Ces chiffres sont un maximum car certaines familles ont pu aller s'embaucher ailleurs, mais il reste remarquablement élevé. En tous cas dans les autres exploitations le nombre des départs des Polonais semblent avoir été plus faible (42 mineurs polonais ont quitté la mine de Joudreville durant la même période.

Dans quelle proportion à la mine du Nord-Est?

5.12. Pourquoi un tel retour?

On sait que dès 1945 les représentants de l'ambassade de Pologne sont venus dans l'Est inviter les colonies polonaises "à retourner en masse dans leur pays et contribuer ainsi à sa reconstruction". Le nouveau régime avait besoin d'une main d'œuvre expérimentée et offrait quelques avantages aux candidats au retour. Deux types d'explication, formulées par la population de Bouligny coexistent: - les uns mettent l'accent sur le côté politique et idéologique.

- les autres insistent sur le fait que beaucoup de Polonais avaient toujours gardé l'espoir d'un retour. L'argent gagné leur a permis d'acheter un terrain ou de racheter leur part d'héritage pour s'installer dans la ferme paternelle. Dans les deux cas l'attachement au pays était leur point commun.

Comment leur situation a évolué au sein du bloc soviétique? Ce n'est pas le sujet ici.

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Ici se termine ce petit exercice, partiel avec un déficit d'informations précises concernant les cités de la mine du Nord-Est. Mais il peut être amendé, complété; rien n'empêche de le faire vivre dans le temps. A chacun d'y apporter sa contribution.

6. BIBLIOGRAPHIE

Quelques références bibliographiques, parmi d'autres:

- "Mineurs au jour le jour – Un siècle dans les cités du fer – 1890/1990" Musée de l'histoire du fer – C.C.S.T.I. du fer et de la métallurgie.

- "Complainte en sol mineur" Sylvain Dessi et Serge Truba – éditions Serpenoise

- "Les petites Italie" Claire Villaume – éditions Serpenoise

- "Le bassin de " Collectif paru à l'occasion des fêtes de mai en 1991

- "La ligne rouge des hauts-fourneaux" Serge Bonnet et Roger Humbert – Denoël/Serpenoise

- " – 79 jours au fond pour la Lorraine" Jacques Jandin – éditions sociales

- et bien entendu la référence :"L'homme du fer" en 3 tomes écrits par Serge Bonnet

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