Droits Des Enfants, Valeurs Éthiques Et Quêtes Héroïques : Les Adaptations Cinématographiques
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006-pp85-150_238 ArticlesOK 19/12/07 15:50 Page 123 Droits des enfants, valeurs éthiques et quêtes héroïques : les adaptations cinématographiques par Anna Battista* © Ingrid Vang Nyman / Saltkråkan AB Cet article est une version « Le véritable monde de l’enfance doit à abrégée de l’intervention tout prix prévaloir, être rétabli / restauré : d’Anna Battista au colloque ce monde empli de qualités éphémères, de Stockholm. héroïques et mystérieuses qui se nourrit Il met l’accent sur les autres de matins clairs et dont la substance est médias de diffusion d’une œuvre si peut adaptée à supporter le contact littéraire, les adaptations brutal de l’inquisition des adultes. » des livres pour la télévision D’après Jean Cocteau, Les Enfants Terribles et le cinéma en particulier. Dans un monde moderne Le cinéma, l’enfance et les enfants où la culture des enfants enfance est vraiment un thème se construit très largement universel, au-delà des frontières à travers des images L’ culturelles, et ce thème apparaît et des écrans, ces films dans plusieurs classiques de la littérature, et ces séries contribuent aussi dès le XVIIIe siècle, lorsque l’enfant à assurer une forme de pérennité. devint « l’objet d’un intérêt littéraire sans précédent »1. On le retrouve plus tardivement dans toute une série de films, parfois adaptés ou inspirés par des œuvres littéraires. Dans ceux-ci, néan- moins, la représentation de l’enfance ou des enfants peut rester limitée, en partie *Anna Battista est traductrice, journaliste et critique de parce qu’elle est souvent vue à travers films. les yeux des adultes. Ces films finissent dossier / N°238-LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS 123 006-pp85-150_238 ArticlesOK 19/12/07 15:50 Page 124 ainsi par refléter plutôt les conceptions L’œuvre d’Astrid Lindgren a fasciné, en de ces adultes sur ce qu’est un enfant. tout cas, de nombreux metteurs en scène Quelques metteurs en scène ont aussi qui ont produit des versions de ses his- traité ce thème afin d’explorer leur propre toires pour le grand écran, de Rolf nostalgie, leurs souvenirs, ou représenter Husberg à Olle Hellbom, de Lasse leur propre fascination pour leur enfance, Hallström à Tage Danielsson, Göran voire leur réticence à entrer dans la Carmback et Johanna Hald. Certains de société adulte ; d’autres l’ont interprété ces films, en particulier ceux dont de façon post-romantique, posant l’en- Lindgren a écrit le scénario, ont atteint fant comme un symbole de l’imagina- peu à peu le statut de films cultes, pas tion, de la sensibilité et de la nature. seulement en Suède mais aussi à l’extérieur Il y a même eu des metteurs en scène du pays. Quel était leur secret ? Ils font par- qui ont exploré l’enfance par rapport à tie de ces films, trop peu nombreux, qui l’âge adulte, en termes freudiens, en racontent aux enfants une histoire de la montrant comment les racines de l’esprit façon dont eux-mêmes pourraient le faire des adultes prennent naissance dans la et qui, en même temps, mettent l’accent sur conscience enfantine. les valeurs importantes de la vie, parmi Une tendance des metteurs en scène est lesquelles l’amitié, l’innocence, l’amour à l’adaptation pour l’écran de romans où de la nature, mais aussi l’éternelle les personnages principaux sont des bataille entre le bien et le mal. enfants particulièrement sages ou ayant une perception profonde de la vie, afin De Fifi à Karlsson : construire de contribuer au côté moral ou éducatif l’amitié, faire équipe et défier le du film. Cependant, il y a eu des met- monde des adultes teurs en scène qui ont développé une Les films adaptés de livres pour enfants autre image de l’enfant et qui ont montré se sont parfois révélés être des désastres. une sensibilité particulière, parmi eux Le Fifi Brindacier de Per Gunvall fait par- deux cinéastes Suédois, Kjell Grede et le tie de ces films, en cela qu’il n’a pas défunt Ingmar Bergman. Le premier a réussi à transmettre les valeurs évoquées produit plusieurs films sur les enfants, dans les livres de Lindgren, voire se comme Hugo et Joséphine (1967), adapté situait en contradiction avec l’humanisme d’un travail combiné de Maria Gripe, une et la tolérance véhiculés par ceux-ci. des auteures suédoises les plus appré- Lorsque Astrid Lindgren collaborait à ciées, et d’Astrid Lindgren. Bergman a l’écriture des scénarios pour les films tourné en 1975 La Flûte Enchantée, et, au inspirés de ses livres, les films deve- début des années 80, Fanny et naient naturellement plus fidèles aux Alexandre, film dans lequel il rend hom- histoires d’origine, mais ils accordaient mage aux souvenirs de son enfance. aussi une attention toute particulière à Bergman souhaitait adapter au cinéma le son public principal, les enfants. roman d’Astrid Lindgren « Lotta de la Rue Fifi Brindacier sur les sept mers (1970), des Fauteurs de Troubles » (1962), mais il Fifi s’enfuit (1971) et Fifi s’embarque n’y parvint jamais2. (1973) ont un scénario qui se caractérise Le livre fut adapté en 1992 et tourné par par des dialogues simples et par des scènes Johanna Hald. dans lesquelles les personnages agissent 124 LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS-N°238/dossier 006-pp85-150_238 ArticlesOK 19/12/07 15:50 Page 125 plus qu’ils ne parlent, pour laisser libre héroïne, elle est avant tout une petite cours à l’imagination et à la fantaisie des fille excentrique et subversive qui par- enfants. C’étaient des choix précurseurs : vient à charmer tout le monde grâce à les films sont avant tout un media son inépuisable tendresse. visuel, et pourtant, de nos jours, de Quand la série télé « Fifi » fut diffusée nombreux scénarios se composent de pour la première fois en Italie entre 1970 longs dialogues fastidieux car les grands et 1971, elle déclencha un débat houleux studios cinématographiques pensent que car les parents avaient peur que leurs les enfants ont une compréhension limi- enfants n’essayent d’imiter le comporte- tée de ce qui n’est pas verbalisé. Et ceci ment de Fifi, voire certaines de ses cas- n’est pas la seule révolution. Pendant cades les plus dangereuses, comme mar- longtemps les films avaient été centrés cher sur le mur et au plafond avec l’aide sur des petits garçons, une tendance de la super-glu. Les parents se faisaient forte dans cette industrie dominée par du souci car ils n’avaient sans doute pas les hommes, alors que les films de Fifi lu les livres et n’avaient pas compris que représentaient une bouffée d’air frais, Fifi ne représentait pas une menace pour puisqu’ils mettaient en scène une petite la société. La seule menace éventuelle fille drôle, courageuse et forte, qui défiait est pour le monde des adultes et parti- constamment les conventions des adultes. culièrement pour le monde des hommes, De plus, jusqu’alors, les films pour mis en scène de façon très comique. enfants montraient de façon très conven- C’est le cas des deux policiers qui pour- tionnelle qui était le gentil, mais les films chassent Fifi dans les premiers épisodes de Hellbom suggèrent quelque chose de de la série, scènes qui se transforment plus subtil. Tout comme dans les histoires invariablement en sketchs dignes de de Lindgren, les films mettent en valeur Laurel et Hardy, ou celui du Capitaine l’amitié et la solidarité ; on ne demande Brindacier qui se met à sangloter comme pas aux enfants de choisir entre Fifi, un bébé lorsque les pirates le capturent. Tommy ou Annika, mais ils sont encoura- L’amitié et les défis au monde des gés à faire équipe ensemble, face aux défis adultes sont aussi les thèmes au centre de la vie. d’un autre film d’Hellbom, Vic sur le À l’inverse, dans Les Nouvelles Aven- Toit (1974). Dans ce film, Vic est repré- tures de Fifi Brindacier (1988), mis en senté comme un étrange hybride entre scène et écrit par Ken Annakin, Fifi est la un vieil homme et un petit garçon qui, seule et unique héroïne du film. Même si telle une machine, est équipé d’une l’intrigue est sensiblement la même, on hélice rétractable dans le dos, pour perd d’une certaine façon l’âme des his- voler. Vic est nettement moins gentil toires de Lindgren, puisque Fifi a été que Fifi, plus révolté et il est extraordi- « américanisée ». Dans ce film, Fifi est nairement goinfre. Pourtant Michel est représentée comme une jeune Wonder heureux de l’avoir comme ami, car il se Woman qui sauve même, de façon spec- sent souvent seul et il s’ennuie. Vic est taculaire, deux enfants d’un orphelinat un personnage excentrique, dont le défi en flammes. consiste à prouver à la société qu’il Dans les films d’Hellbom, Fifi est coura- existe et qu’il n’est pas seulement l’ami geuse et forte, mais plutôt qu’une super- imaginaire de Michel. dossier / N°238-LAREVUEDESLIVRESPOURENFANTS 125 006-pp85-150_238 ArticlesOK 19/12/07 15:50 Page 126 Les valeurs relayées par ce genre de apparaît dans un certain nombre d’adap- films charment toujours de nouvelles tations des livres de Lindgren – a parfai- générations d’enfants : en Italie, la série tement réussi à incarner à l’écran la télé « Fifi » d’Hellbom est toujours diffu- façon insouciante qu’a Oscar d’aborder sée par une chaîne italienne privée le la vie, son honnêteté et sa chaleur dimanche matin, coincée entre « Totally humaine. Spies », une production Marathon et Pour autant, dans les deux films, le mes- TF1, qui raconte les aventures de trois sage est le même : les enfants doivent espionnes adolescentes, et le très gla- être aimés et protégés, pour pouvoir être mour « Bratz » produit par Mike Young heureux.