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1954-2004 : il y a cinquante ans, la guerre , ALGÉRIE MÉMOIRES EN MARCHE     Une « guerre subversive » Le photographe Marc Comment enseigne-t-on Femmes d’Algérie sanglante. Regards Garranger revient sur l’histoire à l’école, aujourd’hui : leur bilan. rétrospectifs sur le les lieux où il a servi comme en France et en Algérie ? La « nostalgérie » des

» colonialisme en Algérie, soldat. Il a retrouvé ceux Que transmettent les rapatriés, les ex-« porteurs 

 le terrorisme, la torture, qu’il a connus il y a 44 ans. anciens du FLN, du MNA, les de valises », la Casbah et « le FLN, de Gaulle et l’OAS. Un reportage exclusif pieds-noirs et les ? Hassi Messaoud en 2004.  La rupture Camus-Sénac. pour « ». Que savent leurs enfants ? La bibliographie essentielle.

 p. II à X et XXIV p. XI à XIV p. XV à XVIII p. XIX à XXIII et XXIV   CAHIER DU « MONDE » DATÉ JEUDI 28 OCTOBRE 2004, NO 18586. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT II/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE histoire Un mariage forcé, une séparation sanglante historien de l’algérie, gilbert meynier retrace les 130 ans d’existence de la seule grande colonie de peuplement de l’empire colonial français, dont elle fut le fleuron. et les huit années d’une guerre atroce, jusqu’à l’indépendance des algériens

A guerre d’Algérie ne commence moins de deux décennies. Le service ments politiques algériens forment feste et de la liberté (AML). Le PPA Mohammed Larbi Ben M’hidi, depuis l’affaire Dreyfus et Vichy. pas en 1954, mais dès 1830. La militaire obligatoire, lui, avait été un premier front : le Congrès musul- est son aiguillon. Messali Hadj est Rabah Bitat, Mohammed Boudiaf, Toute la société française va dès lors L conquête du pays dura près de imposé en 1912 sans contrepartie man. Première désillusion : celui-ci déporté à Brazzaville (avril 1945). Le Mourad Didouche seront rejoints être concernée, et bientôt fracturée, trente ans. Brutale, sanglante, elle citoyenne. Jusqu’en 1946, les Algé- ne résiste pas à l’échec du timide 8 mai 1945, jour de la Libération de la deux mois plus tard par Krim Belka- sur la « question algérienne ». coûta à l’Algérie le tiers de sa popula- riens n’auront aucune représenta- « projet Viollette », visant à donner France, des manifestations sont cem. Avec les « extérieurs » du Caire Les premiers contacts algéro-fran- tion. Plusieurs insurrections troublè- tion parlementaire, alors que la mino- la citoyenneté à 20 000 Algériens déclenchées dans le Constantinois. (Aït Ahmed, Ben Bella et Khider), ils çais, en 1956-1957 resteront inabou- rent la quiétude des conquérants, jus- rité des Français d’Algérie élisait, elle, triés sur le volet. Le gouvernement Ses participants réclament la libéra- formeront les neuf « chefs histori- tis. Les Français s’en tiennent au trip- qu’à celle de l’Aurès contre la six députés et trois sénateurs. Mais Blum renonce à déposer à la Cham- tion de Messali, acclament l’indépen- ques » de la « révolution algérien- tyque chronologique cessez-le-feu, conscription, en 1916-1917, en pleine près de 300 000 Algériens participè- bre ce projet. Et il interdit l’ENA. dance algérienne. Le soulèvement ne ». C’en est fini du primat messalis- élections, négociations. Les Algé- première guerre mondiale. Du côté rent aux deux guerres mondiales, et est accompagné d’un mot d’ordre te du politique, qui fait désormais riens posent comme préalable la français, l’Algérie était « française » 30 000 y perdirent la vie. Dans les    d’insurrection générale, improvisé place à la sacralisation de la seule reconnaissance par la France de l’in- sans discussion. Seule grande colo- assemblées régionales et locales, Pendant toute la domination fran- par le PPA mais aussitôt rapporté. La « lutte armée ». L’été 1954 se passe dépendance de l’Algérie. Les promet- nie de peuplement française, elle seuls quelques strapontins étaient çaise, les avancées en direction des répression est sanglante : 4 000 à en tractations préparatoires. Une teuses tentatives enclenchées avec la était le fleuron de l’empire, portant réservés aux « indigènes ». Algériens seront systématiquement 7 000 civils tombent sous les balles ALN (Armée de libération nationale) Tunisie par Alain Savary, secrétaire une charge émotionnelle particu- Au lendemain de la première annihilées par un groupe de pression françaises. Dès lors, le fossé de sang est constituée, chargée de la mise à d’Etat socialiste aux affaires tunisien- lière. Mais jamais les Algériens ne se guerre mondiale, l’émir Khaled, capi- représentant les grands colons, qui ne s’asséchera plus. Le mouvement feu. Le 1er novembre, ceux que l’on nes et marocaines, ne résistent pas à résignèrent. La colonisation terrien- taine « indigène » et petit-fils du célè- fera des angoisses des « petits indépendantiste radical sera marqué nommera les « Fils de la Toussaint » l’arraisonnement, le 22 octobre ne fut permise par la codification Blancs », la masse de la population par une obsession : transformer l’es- passent à l’acte. Les attentats n’em- 1956, de l’avion dans lequel six chefs d’une propriété privée aux bases non indigène, son fonds de commer- sai manqué du printemps 1945. brasent pas pour autant d’un coup historiques du FLN se rendaient, de intangibles. Elle s’empara de 40 % La domination ce. C’est cet informel « parti des Comment réagit ? Ses répon- toute l’Algérie. Le gouvernement Rabat à Tunis, à une conférence des terres cultivables, les meilleures. colons » qui avait déjà eu raison en ses vont être systématiquement Mendès France, par la voix de son maghrébine s’apprêtant à faire Devant la restriction des terrains de française 1927 du gouverneur éclairé Maurice conservatrices. L’ordonnance gaul- ministre de l’intérieur Mitterrand, œuvre de compromis historique. Le parcours, l’élevage fut gravement Viollette. C’est lui qui obtient, en lienne du 7 mars 1944 édicte un « pro- réagit par une fin de non-recevoir compromis avorte. Savary démis- touché. Le vieux mode de produc- modernise le pays, 1948, le remplacement du gouver- jet Viollette » élargi, désormais hors musclée. sionne du gouvernement Mollet. tion communautaire ne s’en releva neur Yves Chataigneau – surnommé de saison. En septembre 1947, un pin- Il faut attendre le soulèvement Paris a encore une fois basculé du pas. En 1868, une famine fit un demi- mais dans par lui « Ben Mohammed » – par gre Statut de l’Algérie crée deux « col- populaire du Nord-Constantinois, le côté de l’intransigeance des colons : million de morts. Périodiquement, Marcel Naegelen, célèbre organisa- lèges » de représentation, sorte de 20 août 1955, pour que l’insurrection foin de compromis politique, le rôle d’autres disettes séviront jusqu’à la la brutalité teur d’élections truquées. C’est lui citoyenneté à deux vitesses. Mais sur devienne nationale. La répression y assigné à l’armée est de « gagner » seconde guerre mondiale, des ban- qui, en toutes circonstances, bloque- place, même ce Statut est « trop » fait des milliers de morts. L’Oranie, une guerre de reconquête coloniale. des d’exclus de la terre errant sous le ra toute initiative d’« assimilation » pour le « parti des colons » : au prin- plus influencée par le PCA, commen- régime français. bre Abd el-Kader, leader de la résis- des « indigènes » à la cité française. temps 1948, les élections à l’Assem- ce à bouger. Au printemps 1955, les    Celui-ci, par ailleurs, modernise tance à l’envahisseur français Le triomphe du lobby colon fut si blée algérienne sont entachées de tru- « centralistes » ont rallié le FLN. Dès lors, celle-ci devient atroce : décisivement le pays ; mais dans la (1832-1847), incarne la revendication constant qu’il ne s’explique que par quage généralisé, l’autorité du gou- Courant 1956, l’ensemble des mouve- « ratissages » sans merci, incendies brutalité. Les Français transforment anticoloniale, sans remettre en cause sa connivence structurelle avec le vernement déconsidérée. ments politiques algériens le rejoi- massifs de mechtas (villages algé- la mosquée Ketchaoua en cathédrale la domination française. Paris l’élimi- pouvoir d’État à Paris : pour ce der- gnent. Troisième et dernier « front » riens), massacres de bétail et empoi- d’Alger. Le culte musulman est ne politiquement à l’été 1923. L’entre- nier, bon an mal an, les pieds-noirs ’ algérien, le FLN autoritaire ne sera sonnements de puits, viols répétés, domestiqué et manipulé : la loi de deux-guerres va voir se créer la Fédé- représentaient la France en Algérie. La période 1945-1954 est une cependant jamais une fédération que les rapports militaires français 1905 sur la laïcité ne sera jamais appli- ration des élus indigènes, notables Ces blocages feront le lit de l’esprit veillée d’armes. Ferhat Abbas recons- librement consentie de partis. Les désignent sous l’euphémisme quée. La domination française, c’est « évolués », et l’Association des oulé- d’indépendance. En 1937, Messali titue un mouvement modéré, l’UD- adhésions n’y seront acceptées qu’à d’« indélicatesses » commises par la aussi la discrimination et le Code de mas, se réclamant de l’islam et de Hadj fonde le PPA : le Parti du peu- MA (Union démocratique du Mani- titre individuel. Seul le MNA (Mouve- troupe, déracinement brutal de l’indigénat, et toutes ces « occasions l’arabisme. A Paris, des immigrés ple algérien. Comme l’ENA, il est à feste algérien). En leader plébéien, ment national algérien), créé fin populations civiles, jusqu’à la torture manquées » avant même que d’avoir créent l’Etoile nord-africaine (ENA), son tour interdit, en 1939. Messali est Messali Hadj, libéré en 1946, fait institutionnalisée dans les DOP (dis- été tentées. L’arabe, langue de à l’indépendantisme radical. Sous la interné. Même les plus modérés des muer son PPA clandestin en un positifs opérationnels de protec- culture depuis plus d’un millénaire, direction de Messali Hadj, elle dé- Algériens se mettent à regarder MTLD (Mouvement pour le triom- Le primat du tion), sans compter les exécutions ne sera bientôt plus enseigné que borde la revendication d’assimilation- au-delà de l’« assimilation ». Durant phe des libertés démocratiques) sommaires de « fuyards abattus lors comme… langue étrangère. En terre égalité exprimée par les notables. Le la guerre mondiale, le PPA clandestin légal, comptant sur les urnes pour politique fait place d’une tentative de fuite », dites « cor- tenue pour française, la France ne Parti communiste, dans un premier engrange les ressentiments, une foi œuvrer à l’indépendance. En son vées de bois ». fait pas respecter l’obligation scolai- temps indépendantiste à la bolchevi- messianique en un aboutissement sein émerge une élite politique qui à la sacralisation Le FLN-ALN use, lui aussi, des re : 5 % des enfants sont scolarisés en que, débouche en 1936 sur un PC violent s’aiguise. En 1943, un pharma- finit par dominer son comité central. moyens les plus brutaux : il liquide 1914, 10 % en 1954, moins de 30 % à algérien (PCA) aux positions proches cien, Ferhat Abbas, lance un « Mani- On désignera bientôt ses membres de la seule les opposants politiques, « traîtres » la rentrée de 1962, année où le pays de celles des notables. En juin 1936, feste du peuple algérien », revendi- sous le nom de « centralistes ». ou autres collaborateurs, et s’engage accède à l’indépendance. Après un avec la victoire en France du Front quant une république algérienne Benyoussef Ben Khedda est désigné « lutte armée » bientôt dans une politique de terreur siècle, les réalisations sanitaires y éga- populaire, premier gouvernement associée à la France. L’année suivan- en 1953 secrétaire général. Une OS à l’encontre des populations - laient à peine celles conduites au du type « Union de la gauche » avec te se constitue, sans les communis- (organisation spéciale) est créée en péennes. Mais, des atrocités de Maroc par le maréchal Lyautey en soutien communiste, les mouve- tes, le mouvement des Amis du Mani- catimini, pour préparer le recours 1954 par Messali, le dirigeant histori- masse françaises, plus industriali- aux armes. Entre le CC et l’OS, cen- que désormais minoritaire, refusa de sées, qui touchent l’ensemble du peu- tralistes et activistes, Messali s’effor- s’y agréger. D’où une cruelle guerre ple algérien, le FLN engrange seul les ce de maintenir le cap. En 1949, il algéro-algérienne. Au FLN, une nou- bénéfices. Car la France est la puis- LES WILAYAS, ZONES MILITAIRES ET ADMINISTRATIVES DU FNL P.C. de s’oppose fermement au « complot velle figure émerge : Ramdane Abba- sance occupante, et le FLN devient, WILAYA IV WILAYA III WILAYA II l'état-major berbériste », nommé ainsi à cause ne, sorte à la fois de Lazare Carnot et de fait, le porte-parole effectif de e Tizi Ouzou ouest ESPAGNE é ALGÉROIS KABYLIE CONSTANTINOIS de l’origine de ses promoteurs, qui de Jean Moulin de l’Algérie. Il organi- l’immense majorité des Algériens, n Vallée du de l'ALN r a ALGER Soummam Philippeville prônaient une nation algérienne plu- sera le congrès de la Soummam même s’il a entrepris localement une e r Orléansville i t Bougie Bône raliste et moderne. Il lui substitue (20 août 1956), mettant sur pied l’or- guerre de conquête sanglante contre d E é LI M e r M BY autoritairement le primat de l’arabo- ganigramme de l’ALN et les institu- diverses populations rétives, favora- G DE KA Blida islamisme, qui restera dès lors intan- tions du FLN : son exécutif, le CCE bles au vieux MNA ou à la collabora- Souk gible. En 1950, l’OS est démantelée (Comité de coordination et d’exécu- tion avec la France (les harkis). Rapi- Ahras GHARDIMAOU Melouza Constantine par les forces de l’ordre à coups de tion), et un parlement de la résistan- dement, l’appareil militaire nationa- Batna centaines d’arrestations. Les ce, le CNRA (Conseil national de la liste autoritaire du FLN concurrence Sidi Bel Abbes Tébessa S condamnations pleuvent. En 1952, révolution algérienne). l’appareil militaire paternaliste coer- RÈ OUJDA Tlemcen AU WILAYA I Messali est placé en résidence sur- Le 6 février 1956, le président socia- citif colonial dans le contrôle du peu- P.C. de Biskra AURÈS veillée à Niort. Un des chefs de l’OS, liste du conseil, Guy Mollet, accède ple algérien. S OULE l'état- NTS DE D NAÏL , s’échappe de la aux revendications des manifestants L’année 1957 représente l’apogée major El Aricha WILAYA V MO général ORANIE TUNISIE prison de Blida et gagne l’Égypte, où européens d’Alger : Robert Lacoste pour l’ALN : jusqu’à l’été, elle a l’ini- de l'ALN Laghouat WILAYA VI il retrouve Hocine Aït Ahmed et est nommé « ministre résident ». tiative en terrain rural. Mais, à Alger, Mecheria SAHARA Mohammed Khider. Leur heure va Objectif : mettre fin aux « trou- le mot d’ordre de « grève des huit MAROC bientôt sonner. bles », dans ce que personne ne veut jours » (28 janvier-4 février) déclen- Aïn Sefra Touggourt Au sein du MTLD, l’affrontement, encore appeler une guerre. Le che une brutale répression, sous la A L G É R I E très dur, entre « centralistes » et 12 mars, le Parlement vote les pou- supervision du général Massu, Ghardaïa « messalistes » explose fin 1953. A voirs spéciaux sur l’Algérie au gou- auquel le gouvernement Mollet H A R l’été 1954, la scission est entérinée vernement, qui décide de faire appel confère les pleins pouvoirs. Le plus A A par deux congrès concurrents du par- au contingent. La France s’enfonce attachant des chefs historiques du Colomb-Béchar S Ouargla ti, dont l’éclatement est vécu comme dans une guerre qui va profondé- FLN, Larbi Ben M’hidi, est capturé, Foyers d'insurrection Limite des wilayas Siège du corps un traumatisme. Dès juin, d’anciens ment marquer les jeunes appelés, torturé puis assassiné début mars. et expansion (1954-57) en 1959 d'armée cadres de l’OS avaient jeté les bases entre le mal-être qu’elle entraîna et Les paras français gagnent la Présence de Ligne Morice (barrages Zone d'implantation du MNA G T l'ALN aux frontières électrifiés et minés) du futur Front de libération natio- la découverte du tiers-monde. Et « bataille d’Alger », y démantèlent nale, le FLN, sous l’égide du « Comi- générer la plus grande commotion les structures du FLN. Le CCE s’en- 100 km Sources : Atlas de la guerre d'Algérie (Autrement), té des six ». Mostefa Ben Boulaïd, nationale qu’ait connue le pays fuit en Tunisie. Pendant qu’à Paris

MESSALI HADJ GUY MOLLET FERHAT ABBAS PROPHÈTE VAINCU DU NATIONALISME ALGÉRIEN SOCIALISTE ET HOMME DE LA GUERRE LE RÉFORMISTE REJETÉ PAR LE COLONIALISME Né en 1896 à Tlem- triomphe des libertés démocrati- Partisan de la paix Le 6 février, Guy Mollet est accueilli à Il est des destins qui qui prône « la participation immédiate cen, dans l’Ouest ques) puis en MNA (Mouvement en Algérie, Guy Mol- Alger par des jets de tomates. Désta- s’inscrivent contre la et effective des musulmans algériens algérien, au sein national algérien). En avance sur son let a mené, contre bilisé, il écarte Catroux, nomme naissance et l’inclinai- au gouvernement de leur pays ». d’une famille pau- temps, alors qu’un Ferhat Abbas ses convictions so- Robert Lacoste, un socialiste pro- son naturelle. Ferhat Elu député de Sétif, il assiste aux vre, Messali Hadj réclamait encore l’intégration des cialistes, une politi- guerre, et s’emploie à gagner celle-ci. Abbas, fils de bonne manœuvres du pouvoir colonial pour arrive en métropole Algériens, mais isolé de ses partisans que de va-t-en- Il en assumera le pire : la torture. famille pétri de cultu- faire échec au mouvement national. Il au lendemain de la par l’exil, il va perdre graduellement guerre qui s’expli- Il voit dans la nationalisation du re française, était ce rejoint, au Caire, en 1956, ses « frères » première guerre mondiale, comme contact avec la réalité de son pays au que par la pression des événements canal de Suez par Nasser les prémi- que l’on appelait, dans les années 1930, du FLN. Il ira porter leur parole à Tunis, travailleur migrant. moment où le FLN – fondé par des et par l’idée qu’il se faisait de sa fonc- ces d’un nouveau Munich, d’autant un « nationaliste culturel ». à Rabat et ailleurs. A l’heure où le FLN Dès 1925, il fonde l’Etoile nord- militants ayant fait scission du tion de président du conseil. plus que le raïs égyptien ne ménage Pharmacien, il ouvre à Sétif une offi- crée un gouvernement provisoire de la africaine, avec le soutien des commu- MTLD – monte en puissance. Après Né en 1905 dans l’Orne dans une pas son soutien au FLN. L’échec de cine, rendez-vous de la bourgeoisie République algérienne, c’est naturelle- nistes français. Après sa rupture avec le début de l’insurrection, les mili- famille modeste, il sera répétiteur de l’expédition franco-britannique, stop- progressiste. Ferhat Abbas, qui épouse- ment à lui que l’on songe pour le diri- le PCF, cette organisation, qui sera tants du MNA seront violemment lycée puis professeur d’anglais et syn- pée net par Washington et Moscou, ra une Alsacienne, est un patriote ger. Il occupe le poste jusqu’à l’été dissoute en 1929 puis en 1937, devien- pourchassés par ceux du FLN. Messa- dicaliste. « Laboulle » dans la Résis- est une nouvelle étape de son che- modéré. « Je ne mourrai pas pour la 1961, où on lui préfère Benyoussef Ben dra le précurseur d’un mouvement li Hadj se ralliera à de Gaulle et mour- tance, maire d’Arras en 1945, secrétai- min de croix à Matignon qui s’achève patrie algérienne parce que cette patrie Khedda, plus rude négociateur. nationaliste algérien s’appuyant sur ra en exil à Paris, le 3 juin 1974. Il sera re général de la SFIO (le PS de l’épo- après quinze mois et vingt et un n’existe pas. J’ai interrogé l’histoire, j’ai M. Abbas se retire avec dignité. Pre- l’islam. Son chef aura vite maille à enterré, dans la discrétion, en Algé- que) en 1946, année où il devient jours, le record de la IVe République. interrogé les vivants et les morts, j’ai mier président du Parlement de l’Algé- partir avec la police et devra fuir un rie. Le colonel Boumediène, qui député, il est porté à la tête du gou- Européen convaincu, antisoviétique, visité les cimetières, personne ne m’en a rie indépendante, il démissionnera temps à Genève. Il passera une bon- l’avait longtemps combattu, dira vernement, le 1er février 1956, par un il facilitera le retour de De Gaulle au parlé », écrit-il dans L’Entente, journal avec fracas, jugeant trop autoritaire la ne partie de sa vie en prison ou en qu’il fut « un nationaliste de premier Front républicain. L’une de ses pre- pouvoir, qui le fera ministre d’Etat, et qu’il a fondé en 1936. Les Américains, Constitution de 1963. Ben Bella l’arrête résidence surveillée, long exil entre- ordre ». Mais, après avoir été en avan- mières décisions est de nommer le approuvera la nouvelle Constitution. qui débarquent à Alger en novem- l’année suivante et l’envoie en rési- coupé de brèves visites en Algérie. ce sur son temps, le vieux prophète général Georges Catroux ministre- Il rompt ensuite avec le gaullisme bre 1942, sont plus réceptifs à ses dence surveillée. Ferhat Abbas se En 1937, Messali crée le Parti du peu- du nationalisme algérien avait raté résident en Algérie. Réputé libéral, avant d’être écarté de la tête de la revendications que le maréchal Pétain. retirera de la vie politique sans jamais ple algérien (PPA), qui se transforme- son rendez-vous avec l’histoire. celui-ci doit remplacer Jacques Sous- SFIO. De là la publication, l’année suivante, faire allégeance au régime. ra en MTLD (Mouvement pour le Patrice de Beer telle, que les Européens chérissent. Bertrand Le Gendre du « Manifeste du peuple algérien », Jean-Pierre Tuquoi LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/III ALGÉRIE histoire

BEN BELLA DE L’ORGANISATION SECRÈTE À LA PRÉSIDENCE a Le 2 juillet Presque nonagénaire 1956 par l’armée française après que 1962, (il est né en 1918), l’avion civil marocain qui le menait de le photo- Ahmed Ben Bella fait Rabat à Tunis eut été intercepté en graphe figure de rescapé plein espace aérien international. Déte- Marc Riboud d’une guerre dont il nu jusqu’à la signature des accords est à Alger a été l’une des figu- d’Evian, il entre dans Alger le 3 août en liesse res majeures, avant 1962, après l’avoir emporté sur ses le jour de de devenir premier chef d’Etat de l’Al- rivaux. Il dirige le gouvernement et le l’indépen- gérie indépendante. FLN et se fait élire le 15 septembre 1963 dance ; Combatif, meneur d’hommes, M. Ben président de la République. des dizaines Bella fut d’abord un sous-officier exem- Il n’occupera pas le poste bien long- de milliers plaire dans l’armée française. Il le prou- temps. Le colonel Boumediène, qui de jeunes vera au cours de la campagne d’Italie, l’avait aidé à écarter ses adversaires, descendent en 1944, où sa bravoure lui valut d’être prend le pouvoir et l’incarcère, le des hauteurs décoré par le général de Gaulle. La 19 juin 1965. Ben Bella sera maintenu vers le guerre terminée, il milite au Parti popu- au secret jusqu’au 4 juillet 1979, soit centre-ville. laire algérien (PPA, d’où est issu le quatorze ans, date à laquelle le prési- MTLD de Messali Hadj) avant d’être dent Chadli décide de le placer en liber- nommé dès 1949 à la tête de l’Organi- té surveillée. Encore un peu et il recou- sation secrête (OS), où se retrouvent vrera une totale liberté de mouve- les plus décidés des nationalistes algé- ment, qu’il met à profit pour créer un riens. C’est l’année où l’attaque de la parti politique, le Mouvement pour la poste d’Oran (pour renflouer les cais- démocratie en Algérie (MDA), une for- ses de l’organisation) lui vaut d’être mation où le nationalisme et l’is- incarcéré à la prison de Blida. Il s’en lamisme cohabitent. Le MDA n’a évade en 1952 et rejoint Le Caire d’où, jamais réussi à percer et Ben Bella, avec les autres chefs historiques, il don- nomade entre la Suisse et l’Algérie, à ne le signal du soulèvement du défaut de redevenir un acteur de la vie er  1 novembre 1954. publique, a pris place parmi les gran- Considéré comme le principal anima- des figures de l’histoire de l’Algérie.  teur du FLN, il est arrêté le 22 octobre J.-P. T. © agonise la IVe République, le CCE gérie française, réduire une tentative nales, qui accentuent en retour la ten- éclater les déchirements. Le CNRA, JACQUES MASSU civil désigné au congrès de la Soum- de putsch menée par deux anciens dance à l’autoritarisme. Fin 1958, en mai-juin, se termine par un clash mam est remplacé sous la pression chefs d’état-major en Algérie (les quatre « colonels » de wilaya (cir- ouvert à propos du pouvoir à ériger. par un directoire militaire supervisé généraux Salan et Challe) en conscription administrative et militai- Deux blocs s’opposent plus que LA TORTURE ET LES REGRETS les « 3B » (les « colonels » Belkacem avril 1961 ; lutter, enfin, contre l’OAS re du FLN) envoient des maquis un jamais : celui du GPRA civil, soutenu La longue carrière du L’ordre régna à Alger, mais à quel prix, Krim, Abdelhafid Boussouf et (Organisation de l’armée secrète), rapport critique violent au GPRA. Le notamment par le « groupe de Tizi- général Jacques Mas- et pour combien de temps ? Des intel- Lakhdar Ben Tobbal). Ce « premier où se réfugieront un conglomérat renseignement militaire français Ouzou », représentant une partie su, qui s’est étendue lectuels, quelques politiques, plusieurs coup d’Etat », comme dira le diri- d’irréductibles du maintien de l’or- exploite à merveille ces dissensions. des maquis ; et, autour du « groupe sur quatre décen- journaux, dont Le Monde, dénoncèrent geant du FLN Saad Dahlab, est enté- dre colonial, devenu, en métropole, Dans ce contexte, sous la houlette de Tlemcen », l’« armée des frontiè- nies, restera à jamais ces « bavures », comme la mort sous la riné par le CNRA au Caire (20 août l’ultime investissement du vieux d’un « colonel » paranoïaque, Ami- res » de Boumediène et Ben Bella, marquée par son torture de Maurice Audin, et Hubert 1957), trafiqué par les clans militai- nationalisme français. rouche, procès expéditifs et purges appuyée sur d’autres éléments séjour en Algérie. Beuve-Méry demanda : « Sommes- res. Sous la férule de Boussouf, des Côté algérien, l’appareil militaire maquisards. Pendant que la situa- De la manière expéditive employée nous les vaincus de Hitler ? » services de renseignement et de sécu- s’impose paradoxalement au som- tion sombre dans l’anarchie, que durant la « bataille d’Alger » – janvier Chef des forces françaises en Allema- rité sont mis sur pied, qui devien- met du FLN au moment même où Le FLN-ALN va règlements de compte et pillages se à octobre 1957 – pour mater le FNL gne (1966-1969), il reçut de Gaulle à dront la colonne vertébrale du futur celui-ci perd l’initiative sur le terrain multiplient, que les pieds-noirs algérois à son rappel à Paris en jan- Baden Baden le 29 mai 1968 alors pouvoir d’Etat. Abbane est marginali- des armes. En 1960, l’ALN est exsan- fuient ce qui était leur patrie, mais vier 1960, après qu’il eut critiqué la poli- que Paris était la proie des manifes- être constamment tants. Réconforté, le général regagna sé. Le 27 décembre 1957, ce politi- gue, victime des SAS (sections d’ad- pas leur nation, le peuple algérien tique algérienne de De Gaulle, auquel la capitale. cien jacobin et gêneur est attiré par ministration spécialisées) et de leur réapprend à vivre en pansant ses il vouait pourtant un profond respect. secoué par Massu sortit de sa retraite en 2000 les « 3B » dans un guet-apens au scoutisme militarisé, des « camps de plaies et en pleurant ses morts. En passant par le 13 mai 1958, où il quand, répondant aux accusations de avait pris la tête du Comité de salut Maroc, et étranglé (lire page VII). regroupement » qui déracinèrent des luttes la militante FLN Louisette Ighilahriz, public. plus de deux millions de personnes, ’ torturée en 1957, il déclara « vraiment      de l’offensive du général Challe qui fractionnelles Le 3 juillet, après référendum, l’in- Jusque-là, Massu avait été un officier regretter » ce qui s’était passé en Algé- En novembre 1957, Paris fait adop- désorganisa rudement les maquis en dépendance est proclamée. Le parmi d’autres, rallié à Leclerc, de tous rie. « La torture faisait partie d’une cer- ter une loi-cadre sur l’Algérie qui 1959-1960, et de la dramatique pénu- GPRA est accueilli dans l’enthousias- les combats pour la libération de la taine ambiance. On aurait pu faire les confirme tous les blocages colo- rie d’armes causée par l’étanchéité sanglantes sont menés au sein de me à Alger, pendant que le cartel France, servant en Indochine et à Suez choses autrement », admit-il, ajoutant niaux. Le 13 mai 1958, des dizaines des barrages électrifiés frontaliers. l’ALN contre d’imaginaires « traî- Ben Bella-Boumediène fourbit ses en 1956. Mais, à Alger, il se fit remar- que la torture n’était « pas indispensa- de milliers de manifestants euro- Mais, politiquement, le FLN a tres », désignés à dessein par les ser- armes. Le 30 juin, Ben Khedda, prési- quer pour avoir fait utiliser la torture ble en temps de guerre ». Il est mort péens acclament de Gaulle à Alger, engrangé les bénéfices des épreuves vices français, qui contribuent à la dent du gouvernement, destitue par les paras de sa 10e DP afin de briser deux ans plus tard, le 26 octobre 2002. ouvrant la voie à son retour sur la endurées par le peuple algérien. Le décimer. Le chef de la wilâya 4 (Algé- l’EMG. Peine perdue : le rapport des la résistance du FLN. P. de B. scène politique. Le général semble, 19 septembre 1958, le CCE s’est rois), Si Salah, tente alors de négo- forces n’est pas en faveur du GPRA. au début, se rallier au cours domi- transformé en gouvernement provi- cier l’arrêt des combats, par-dessus Le 22 juillet, le « groupe de Tlem- nant, tant parmi les Européens d’Al- soire de la révolution algérienne le GPRA, avec de Gaulle (juin 1960, cen » proclame unilatéralement un gérie que parmi les militaires fran- (GPRA). Il s’impose internationale- lire page IV). C’est un coup d’épée « bureau politique » du FLN. çais, dit de l’« intégration ». Il intensi- ment comme l’embryon d’un futur dans l’eau, mais la voie est ouverte L'« armée des frontières » entre en fie parallèlement guerre et réformes. Etat. En Algérie, il s’était d’emblée vers les premiers pourparlers, qui se Algérie. Largement supérieures en RÉSISTANT HISTORIQUE ET ASSASSINÉ Son « plan de Constantine » vise à imposé comme contre-Etat. De tiendront à Melun. nombre et en armement aux troupes Un des « neuf chefs de la direction politique de l’insurrec- moderniser l’Algérie et à raboter les même en métropole, où sa Fédéra- Au sommet du pouvoir, les « 3B » de la wilaya 4, qui veulent les arrêter, historiques » du FLN, tion après le congrès de la Soumman aspérités les plus choquantes du sys- tion de France contrôle de près les se regardent en chiens de faïence. les forces de Houari Boumediène Krim Belkacem est (1956) et entrera au Conseil national tème colonial. Il compte sur l’émer- immigrés, contre ses rivaux messalis- Chacun redoute que l’un des deux s’ouvrent dans le sang la voie sur né en 1922 en Kaby- de la révolution algérienne (CNRA). gence d’une « troisième force », tes. Etat, le FLN le fut beaucoup plus autres l’emporte. Cette compétition Alger. Début septembre, celui-ci s’y lie. Rentré au pays Vice-président du GPRA, le gouverne- entre indépendantistes et collabora- qu’il ne fut une « révolution » : en laisse insensiblement le champ libre installe avec Ben Bella. Ce fut le après avoir combat- ment provisoire (1958), responsable teurs du système colonial. Elle se matière de société et de mœurs, il à un client de Boussouf, en fait son « troisième coup d’Etat » algérien – tu comme caporal- des forces armées, « ministre des affai- dérobera vite. Les sondages d’opi- fut plutôt conservateur, sinon par- rival discret. L’homme, Houari Bou- en attendant les suivants. Sous le fra- chef dans l’armée française durant la res étrangères » (1960), il dirigera la nion, en France, l’orientent progressi- fois réactionnaire. mediène, est jeune, efficace et intelli- gile fusible d’un dirigeant historique seconde guerre mondiale, il rejoint le délégation du FNL aux négociations vement vers une solution distante de gent. A l’été 1959, paralysé par ses (Ben Bella), la guerre avait installé PPA nationaliste de Messali Hadj et avec Paris qui aboutiront aux accords l’Algérie française. Les manifesta-    divisions internes, le GPRA se dessai- un appareil militaire aux comman- prend le maquis dès 1947. d’Evian. Après l’indépendance, il s’éloi- tions citadines des Algériens de Du fait des barrages frontaliers, le sit de ses pouvoirs au profit d’un des. Le peuple, lui, n’avait pu que Hors-la-loi, caché dans les montagnes gne de Ben Bella, dont il n’apprécie pas décembre 1960 l’impressionnent. Il sommet de ce FLN-Etat reste profon- conclave de dix « colonels », qui pré- manifester son désarroi, sous le d’où il descend pour des coups de l’autoritarisme, et va rapidement bas- entreprend alors de s’affranchir de dément coupé du peuple et de la pare à sa main la convocation d’un signe du slogan désespéré : « Huit main, il met sur pied la guérilla en culer dans l’opposition. Il ne s’enten- l’Algérie, « ce boulet », pour que la base combattante. L’asphyxie de conseil national à Tripoli, fin ans, ça suffit ! » Le FLN de guerre Kabylie, devenue la wilaya III, dès le dra pas mieux avec son successeur, le France « épouse son siècle » (lire page l’« intérieur » provoque chez les 1959-début 1960. Le « deuxième avait joué sa partie. Il devint un parti début de l’insurrection de 1954. Il repré- colonel Boumediène, et sera condam- IV). Il lui faudra pour cela vaincre chefs des maquis la grogne contre coup d’Etat » au sein du FLN est en unique, subordonné à une bureau- sentera ces chefs militaires de l’« inté- né à mort pour complot en 1969. l’opposition des Européens d’Algé- une direction accusée de rester route, qui crée un état-major géné- rieur » qui affronteront, dans des condi- Vivant en exil, Krim Belkacem sera rie, qui, dès janvier 1960, avec la « planquée ». En corrélation avec les ral, confié au colonel Boumediène. tions difficiles, l’armée française, alors assassiné en octobre 1970 dans une « Semaine des barricades », se sen- ressentiments des maquis, le FLN- Le robinet des armes vers les maquis Sous le fusible que les dirigeants de l’armée régulière chambre d’hôtel de Francfort. Il sera tent trahis par de Gaulle. Faire, aussi, ALN va être constamment secoué coupé par les barrages, son « armée sont en Tunisie. Il éliminera aussi les réhabilité en 1984 avec d’autres chefs céder les officiers promoteurs de l’Al- par des luttes fractionnelles ou régio- des frontières », en Tunisie et au Ben Bella, la guerre partisans de Messali Hadj, avec lequel historiques du FLN. Maroc, engrange les armements pro- il a rompu. Krim Belkacem fera partie P. de B. venant surtout du monde communis- avait installé un JACQUES CHEVALLIER te, de Chine en particulier. Boume- diène en fait une garde prétorienne appareil militaire RAOUL SALAN « CHRÉTIEN, FRANÇAIS ET ALGÉRIEN » surarmée. Lui sait qu’il faudra un jour négo- GÉNÉRAL, PUTSCHISTE ET CHEF DE L’OAS Nous, Algériens… Le des représentants du FLN. Jacques cier avec les Français. Il n’en tire pas cratie militaire qui allait être l’alpha titre de l’ouvrage Chevallier, qui incarnait l’aile libéra- moins à boulets rouges contre les et l’oméga de l’Algérie. « Raoul Salan, ex- vaut d’être la cible de « l’attentat au de l’ancien maire le de la bourgeoisie d’Alger, fut vite « civils » chargés de négocier, à par- Les Européens avaient quitté le général d’armée des bazooka » perpétré en janvier 1957 par d’Alger définit par- haï par les tenants de l’Algérie fran- tir du 20 mai 1961. A l’été 1961, deux pays pour la « métropole ». Globale- . » des ultras de l’Algérie française. Mais, faitement la person- çaise. Plastiqué, menacé, il n’a cessé pôles s’entredéchirent : d’un côté ment, la France pensa avoir tourné Ainsi le chef de petit à petit, il évolue. S’il n’est pas à nalité de cet hom- de lutter contre les « tragiques une légalité civile constitutionnelle la page. C’était compter sans les mul- l’OAS, l’organisation l’origine des événements de 1958 à me, pied-noir, libé- erreurs » de la guerre. En mai 1962, incarnée par le GPRA, présidé par tiples liens algéro-français qui armée des partisans Alger, il en tire profit, lâchant même ral, Français d’Algérie qui consacra alors que l’Algérie était à feu et à Ben Khedda, de l’autre une volonté allaient rejouer à l’avenir. Il y avait de l’Algérie françai- un « Vive de Gaulle ! » le 15 mai, au sa vie à tenter de rapprocher deux sang, il jouera le médiateur entre le tenace de prendre le pouvoir à partir eu « un long mariage qui, pour avoir se, décline-t-il son identité, le 15 mai balcon du Gouvernement général, communautés que l’histoire et la chef de l’exécutif provisoire, Abder- de l’armée des frontières. Les pour- été forcé, n’en avait pas moins produit 1962, devant le Haut Tribunal militai- qu’il regrettera amèrement. politique allaient séparer de maniè- rahman Farès, et Jean-Jacques Susi- parlers initiaux (Evian 1) avaient une sorte de “confusion des senti- re, où il risque la peine de mort. Rappelé en métropole au bout de six ni ; mais les extrémistes des deux re graduelle mais irrémédiable. achoppé au début de l’été, ils repren- ments” ». Ainsi Jacques Berque écri- Combattant de 1914-1918, grièvement mois par de Gaulle qui l’a nommé délé- bords mettront un terme à cet ulti- Né en 1911, à , d’une vieille nent à l’automne, après la renoncia- vit-il pendant la guerre : « La France blessé au Levant en 1921, Raoul Salan gué général, avec les pouvoirs civils et me espoir. « Une seule chose comp- famille pied-noire, il devient maire tion par de Gaulle à la souveraineté et l’Algérie ? On ne s’est pas entrelacés est né en 1899 dans le Tarn. Il participe militaires, il entre vite dans la clandes- tait pour nous : le destin de notre d’El-Biar en 1941, puis député d’Al- française sur le Sahara. Un protocole pendant cent trente ans sans que cela commune et jeune patrie », déclare- à la campagne de France à la tête d’un tinité, à Madrid d’abord, où il préside à ger en 1946 ; il abandonnera son ra-t-il au Monde en juin 1962, ajou- d’accord est entériné en février par descende très profondément dans les bataillon de Sénégalais et, remarqué la création de l’OAS, puis à Alger, où il mandat pour siéger à l’Assemblée tant : « J’accepte dès maintenant de le FLN. Les négociations (Evian 2) âmes et dans les corps. » « C’était vrai par de Lattre, devient en 1945 le plus participe, sans y avoir été mêlé initiale- algérienne. Maire d’Alger de 1953 devenir un citoyen algérien. » Ce aboutissent aux accords du 18 mars de notre génération, celle qui a su tran- jeune général de brigade de l’armée ment, au « pustch des généraux ». Il jusqu’à sa démission au lendemain que cet humaniste mettra en prati- 1962, et au cessez-le-feu du 19. Un les liens. Est-ce encore vrai française. échappera finalement à la peine de du 13 mai, il a été entre-temps secré- que : titulaire de la double nationali- exécutif provisoire algérien s’instal- aujourd’hui pour les nouvelles généra- Commandant en chef en Indochine, Le mort, à la grande fureur de De Gaulle. taire d’Etat puis ministre de la té, il sera vice-président du port et le, sur fond d’attentats sanglants de tions ? », se demandait récemment, Mandarin – c’est son surnom – passe Amnistié en 1968, il se consacrera à la défense nationale sous Mendès de la chambre de commerce d’Alger. l’OAS, derniers feux de la présence dans ses Mémoires, le grand histo- pour un officier républicain. Lorsqu’il rédaction de ses Mémoires, au titre France. Ce « chrétien, français et algérien » coloniale française en Algérie. rien algérien Mohammed Harbi. arrive en Algérie, en 1956, avec le titre révélateur : Fin d’un empire (quatre En 1956, il a tenté d’éviter l’irrépara- est mort à Alger en 1971. Au FLN, le retour des chefs histori- de commandant en chef, on le croit volumes, Presses de la cité, 1970-1979). ble en rencontrant clandestinement P. de B. ques emprisonnés depuis 1956 fait Gilbert Meynier même mendésiste. Sa réputation lui B. L. G. IV/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE HISTOIRE L’homme qui sut aller de l’avant contre les siens « je renie tout ce que je n’écris pas », confia un jour le général de gaulle à son chef de cabinet. il commencera par dire « je vous ai compris » aux français d’algérie, puis il mettra en place le processus d’autodétermination des algériens

E 4 juin 1958, de Gaulle a ren- appelle, ne lui disent rien qui temps. Il a beau déclarer le maturation, la déclaration du des accords d’Evian (18 mars amour, la seule victoire, c’est la fui- dez-vous avec l’Algérie françai- vaille. En même temps, il a laissé 29 avril 1959 à Pierre Laffont, 16 septembre 1959 sur l’« autodé- 1962). te. En matière de décolonisation, la L se. Lorsque sa haute silhouette des proches, dont le ministre de la directeur de L’Echo d’Oran : termination » produit l’effet Les propos publics et privés de seule victoire, c’est de s’en aller » paraît au balcon du gouvernement défense nationale, Jacques Cha- « L’Algérie de papa est morte » escompté. Elle est promise solen- De Gaulle, ces années-là, sont (conseil des ministres du 4 mai général, une folle clameur jaillit du ban-Delmas, encourager en sous- (l’entretien a un énorme retentis- nellement aux Algériens par un de comme un nuancier. Aujourd’hui 1962). Forum où sont massés des dizai- main les conjurés. Entre autres sement), les partisans de l’Algérie Gaulle sûr désormais de son autori- encore, ils suscitent des exégèses L’autre part de lui-même lui dic- nes de milliers d’Algérois. plans, ceux-ci ont prévu de lancer française espèrent encore. Ils té. S’ils veulent aller jusqu’à la contradictoires, difficiles à dépar- te un réalisme proche du cynisme Méfiants, fiévreux, prêts pourtant des paras sur Paris au cas où le saluent comme un présage favora- « sécession », autrement dit l’indé- tager. De Gaulle ne croit pas à l’in- dont les pieds-noirs, tenus pour à s’abandonner, ils guettent ses pouvoir républicain – le gouverne- ble le plan de développement éco- pendance, libre à eux. La France tégration des musulmans à la Fran- responsables du chaos final, premiers mots. Va-t-il prononcer ment de Pierre Pflimlin (démocra- nomique et social dit « plan de les y aidera. ce et encore moins à leur assimila- feront les frais. La fuite éperdue la formule sésame qui lui ouvrirait te-chrétien) – ne céderait pas. De Constantine », annoncé par de A partir de cet instant, l’essen- tion : « Si tous les Arabes et les Ber- des rapatriés et les massacres de les cœurs : « Vive l’Algérie françai- Gaulle a-t-il donné son feu vert à Gaulle le 3 octobre 1958 lors d’un tiel est accompli, la route est tra- bères étaient considérés comme harkis et d’Européens qui survien- se ! » ? Espoir déçu. Le rebelle de cette opération, baptisée « Résur- troisième voyage en Algérie. cée. De Gaulle n’en déviera pas. Français, comment les empêcher de dront au lendemain de l’indépen- juin 1940 n’est pas homme à se lais- rection » ? Les historiens en discu- Consacrer autant d’argent aux Fini la paix armée avec les parti- venir s’installer en métropole, alors dance seront passés par pertes et ser dicter sa conduite par le tumul- tent, pointant le fait que certains départements français d’outre- sans de l’Algérie française. Place à que le niveau de vie est tellement profits par le stratège de l’Elysée. te du moment. Du haut de son de ses fidèles, Michel Debré en Méditerranée pour les abandon- la guerre de mouvement. Il plus élevé. Mon village ne s’appelle- Déjà il a l’esprit ailleurs, indiffé- mètre quatre vingt-treize tombe la tête, étaient prêts à sortir de la ner aussitôt ? Impensable… connaît. rait plus Colombey-les-Deux-Eglises rent à la haine inextinguible qui formule fameuse : « Je vous ai com- légalité. pris ! » Un instant décontenancée, De Gaulle, s’il n’a pas fomenté la foule l’acclame, malgré tout. ce quasi-coup d’Etat, en a profité Chef-d’œuvre d’habileté pour adroitement. Il souffrira long- les uns, de duplicité pour les temps de ce péché originel malgré autres, cette entrée en scène est l’abnégation de Pierre Pflimlin, qui lui a cédé dans les formes la présidence du conseil le 1er juin, et Par la grâce des celle de René Coty, qui quittera l’Elysée le 8 janvier 1959. factieux d’Alger, A l’égard de l’Algérie, sa marge de manœuvre est étroite. Pendant voilà de Gaulle plusieurs mois, il va chercher la solution, sans se dévoiler publique- à nouveau au ment, donnant des gages, puisqu’il le faut, aux nostalgiques d’un pouvoir. Cela en empire à l’agonie. Une seule fois, a Juin 1958. un « Vive l’Algérie française ! » lui Le général fait-il leur débiteur ? échappe, le 6 juin 1958 à Mostaga- de Gaulle nem (Oranie), où, le surlendemain se rend pour Certains de son oblique « Je vous ai com- quatre jours pris ! », il est venu prendre le pouls en Algérie. y comptent, à tort de la population. Les partisans de Ici, lors de l’Algérie française ne lui pardonne- son célèbre ront pas. Rentré à Paris, il lâche à discours d’une ambiguïté calculée. Laisser Pierre Lefranc, son chef de cabi- du Forum entendre, ne rien promettre, satis- net : « Nous ne pouvons pas garder d’Alger, où faire les uns sans mécontenter les l’Algérie. Croyez bien que je suis le il lance aux autres : le de Gaulle de 1958 est premier à le regretter mais la pro- Européens : tout entier dans cette équivoque. portion d’Européens est trop fai- « Je vous ai Deux semaines auparavant, les ble. » Surprenant ? Pas venant de compris ! » partisans de l’Algérie française ont lui. N’a-t-il pas déclaré un jour à porté l’estocade à la IVe Républi- l’écrivain François Mauriac : « Je que. Par la grâce des factieux d’Al- renie tout ce que je n’écris pas » ? ger, voilà de Gaulle à nouveau au Avant toute chose, de Gaulle pouvoir. Cela en fait-il leur débi- entend imposer son autorité aux teur ? Certains y comptent, à tort. hommes du 13 mai, qui le tiennent Dans quatre ans, de par sa volon- pour la plupart en suspicion. Il inti- té, l’Algérie sera indépendante. Un me l’ordre aux militaires de ne retournement inimaginable, qui plus siéger dans les Comités de tient de l’exploit politique autant salut public nés de l’insurrection, / que de la lucidité historique. S’il tandis que le général Raoul Salan,  navigue au plus près, le fondateur que de Gaulle a nommé le 9 juin de la Ve République voit loin. Tacti- 1958 délégué général en Algérie, cien et stratège, tel est Charles de est rappelé à Paris. Le 19 décembre Le « plan Challe », de reconquê- La semaine des « barricades » mais Colombey-les-Deux-Mos- sourd de l’attentat manqué dont il Gaulle ces années-là. il est remplacé par un civil, Paul te militaire du terrain, qui débute (24-31 janvier 1960) le trouble quées ! » (à Alain Peyrefitte, dépu- est la cible au Petit-Clamart le En ce printemps 1958, le funam- Delouvrier, et par le général Mauri- en février 1959, met pareillement mais ne l’intimide pas. Ulcérés par té gaulliste, le 9 mars 1959). En 22 août 1962. bule est sur la corde raide. Il a refu- ce Challe, à qui échoit la responsa- du baume au cœur des partisans sa déclaration sur l’autodétermina- même temps, dès le 4 juin 1958, de Une fois lancé le processus sé de donner des gages à ceux qui, bilité des opérations militaires. de l’Algérie française. Pourchassés tion, les protagonistes du 13 mai Gaulle proclame au balcon du gou- d’« autodétermination », de Gaul- le 13 mai, sont entrés en rébellion Accaparé par le référendum et sans relâche dans le djebel, les 1958 (Pierre Lagaillarde, Jo Ortiz, vernement général « que à partir le perçoit l’Algérie comme un bou- contre le pouvoir en place. Mais il les législatives qui mettront la rebelles se débandent même s’ils Jean-Claude Perez…) rêvent de dic- d’aujourd’hui la France considère let : « L’Algérie nous coûte – c’est le ne les a pas désavoués. Les Ve République sur les rails, de ne renoncent pas. De Gaulle en ter une nouvelle fois leur loi à que, dans toute l’Algérie, il n’y a que moins que l’on puisse dire – plus « braillards d’Alger », comme il les Gaulle cherche à gagner du profite pour donner un coup d’ar- Paris. Mais de Gaulle est d’une (…) des Français à part entière ». cher qu’elle nous rapporte (…). C’est rêt à la guerre psychologique, dite autre trempe que ses prédé- En conséquence, le double collège un fait, la décolonisation est notre « contre-révolutionnaire », où se cesseurs et l’affaire tourne court, électoral, qui favorisait la représen- intérêt et, par conséquent, notre L’« affaire » Si Salah, négociateur secret du FLN complaisent les officiers du cin- sans gloire. Lui va de l’avant, choi- tation des Européens d’Algérie au politique » (conférence de presse quième bureau. De Gaulle raille sissant ses moments, les scandant détriment des musulmans, est sup- du 11 avril 1961). Il a hâte de réo- Au printemps 1960, de Gaulle n’a pas encore renoncé à ces militaires qui, sous prétexte de de son verbe, jusqu’à admettre primé. rienter les crédits militaires, obé- obtenir un cessez-le-feu, qu’il considère comme un préa- gagner à la France la population lors de sa conférence de presse rés par les opérations en Algérie, lable à toute négociation. Politiquement, le moment est musulmane, jouent « les bonnes du 11 avril 1961 que l’indépendan- vers la force de frappe nucléaire, bien choisi : son discours sur l’« autodétermination » a d’enfants ». Leur rôle est de faire la ce de l’Algérie est désormais la « Napoléon disait son grand dessein. Il souffre des semé le doute parmi les insurgés que le « plan Challe » a guerre. La politique, il s’en charge. seule issue. répercussions de ce conflit d’un affaiblis militairement. C’est sur ces entrefaites que, S’il ne doute pas qu’il devra un Une seconde « semaine des bar- qu’en amour, la autre âge sur l’image de la France sans en référer à la direction du FLN, des combattants de jour négocier, de Gaulle entend ricades » est en vue. Elle prend la dans le monde, lui qui s’efforce la wilaya IV (Algérois) offrent de mettre fin aux combats. être en position de force. Tel est le forme d’un « putsch » dit « des seule victoire, c’est chaque jour de la rehausser. Dans Leur chef, Si Salah, est un Kabyle de 31 ans, fils d’instituteur, dont la sincéri- ressort caché du « plan Challe ». généraux », qui n’est pas un ses Mémoires, il peut ironiser sur té paraît si évidente qu’il sera reçu, en grand secret, à l’Elysée par de Gaulle Puisque les insurgés ne veulent putsch (de civils armés) mais un la fuite. En matière « la curiosité de la galerie mondia- lui-même. Le chef d’Etat ne décourage pas Si Salah de tenter de rallier à sa pas entendre parler de « la paix pronunciamiento militaire. Il doit le » pour les événements d’Algé- cause d’autres wilayas. Mais de Gaulle a plusieurs fers au feu et ne tardera des braves » qu’il leur a offerte le moins aux généraux portés à sa de décolonisation, rie. La guerre diplomatique que pas à reconnaître le FLN comme seul interlocuteur valable. Devenu inutile, 13 octobre 1959, il la leur impose- tête (Maurice Challe, Edmond Jou- mènent contre la France, aux Si Salah est dénoncé à ses coreligionnaires par Si Mohamed qui a été reçu ra. Les réduire, obtenir un cessez- haux, Raoul Salan, André Zeller) la seule victoire, Nations unies, les Etats afro-asiati- avec lui à l’Elysée. Il trouvera mystérieusement la mort dans le Djurjura, en le-feu puis prendre langue. En cet qu’à un groupe de colonels qui for- ques nouvellement émancipés lui juillet 1961, au cours d’un accrochage avec l’armée française, sans qu’on automne 1959 où tout se noue, le meront bientôt l’ossature de l’OAS c’est de s’en aller » pèse. Il s’en irrite mais il en tient sache quel sort lui réservait la direction du FLN. stratège se dévoile enfin. (Organisation armée secrète),  ,   compte. Sa déclaration sur Méditée pendant des mois de espoir ultime des ultras de l’Algé- l’« autodétermination » coïncide    4  1962 rie française. au jour près avec l’ouverture de la Les insurgés se sont lancés dans XIVe session de l’ONU, où la Fran- leur folle équipée le 22 avril 1961. Sans doute, si les circonstances ce risque une nouvelle fois d’être Le dimanche 23, à 8 heures du lui avaient laissé les mains libres, mise au ban des nations. Heureuse- Le « chagrin » de Michel Debré soir, de Gaulle, en uniforme, est à de Gaulle aurait-il opté pour une ment, à New York aussi, son dis- la télévision et à la radio, plus jupi- association étroite de la France cours fait mouche. La menace térien que jamais : « Au nom de la avec l’Algérie, dotée d’une large s’éloigne. partisan de l’algérie française, il resta fidèle au général France, j’ordonne que tous les autonomie. D’où ses tentatives de Depuis qu’il a fait adopter la moyens, je dis tous les moyens, séduction de la population musul- Constitution de la Ve République, ICHEL DEBRÉ s’est tou- un pamphlet fameux, Ces princes qui soient employés pour barrer la route mane. Il pousse un temps les feux de Gaulle dispose d’un formidable jours fait une certaine idée nous gouvernent (Plon, 1957), il sou- à ces hommes-là, en attendant de dans cette direction avant de se porte-voix, le référendum, pour M de de Gaulle. Sans sa fidéli- tient sur le même ton que l’abandon les réduire. » Et de dénoncer l’aven- raviser. Le FLN, avec lequel il faut faire savoir urbi et orbi que la Fran- té au grand homme, touchant à l’ab- de celle-ci favoriserait « l’expansion ture d’un « quarteron de géné- bien composer, ne veut rien enten- ce est derrière lui. Il en use avec négation, l’abandon de l’Algérie soviétique ». raux »… dre. Et les Européens jusqu’au- maestria : référendum sur l’autodé- aurait été pour lui plus douloureuse Garde des sceaux en 1958 (il est Deux jours plus tard, l’insurrec- boutistes rendent cette solution termination (8 janvier 1961) et sur encore. l’un des pères de la Constitution), tion s’effondre. L’aventure est ter- illusoire. Assez vite, de Gaulle com- les accords d’Evian (8 avril 1962). Membre du Conseil d’Etat avant premier ministre en 1959, il fait preu- minée. De Gaulle n’a désormais prend que le divorce est inévita- Référendum en Algérie, le guerre, il est de ces technocrates qui, ve d’un « complet loyalisme » qu’une hâte : en finir. Il lance un ble. Le 19 décembre 1960, il prédit 1er juillet 1962, à l’avant-veille de à la Libération, entreprennent de quand s’impose l’indépendance de appel appuyé au FLN algérien, même à Alain Peyrefitte le drame l’indépendance. Mais il en use moderniser la France – on lui doit la l’Algérie, malgré son « chagrin », reconnu comme unique interlocu- qui va suivre : « Ces pauvres Fran- sans grand risque : depuis la fin création de l’Ecole nationale d’admi- dixit de Gaulle dans ses Mémoires. teur, et renonce à la souveraineté çais d’Algérie sont en train de se sui- des années 1950, les sondages le nistration. Elu sénateur, il dénonce Vingt-cinq ans plus tard, dans ses française sur le Sahara, deux cider (…). Ils préparent un bain de disent, les Français aspiraient à la chaque semaine dans Le Courrier de propres Mémoires, Michel Debré concessions auxquelles il s’était sang dont ils seront les premières vic- paix, fût-elle au prix du renonce- la colère, dont il est l’âme, les mœurs reconnaîtra qu’un empire n’est pas refusé. Rien ne s’oppose plus à la times. » De là sa conclusion, ment à l’Algérie. de la IVe République et ses faux- viable « sans la volonté de demeurer signature, après des mois de négo- qu’une part de lui-même énonce à fuyants à l’égard de l’Algérie. Dans ensemble ». ciations secrètes ou au grand jour, regret : « Napoléon disait qu’en Bertrand Le Gendre LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/V ALGÉRIE HISTOIRE

l’état d’urgence et le recours à l’article 16 de la Constitution. 136 ans de liens 25 avril : échec du putsch, Challe se rend. Salan, Jouhaud et Zeller se cachent, Roger Degueldre s’enfuit. 1827 aux Assemblées algériennes. 20 mai-13 juin : début 30 avril : coup d’éventail du dey 1950 des négociations d’Evian. d’Alger au consul de France. Démantèlement de l’OS. 31 mai : le général Challe est 1830 1954 condamné à quinze ans de réclusion. 14 juin : débarquement Mars-avril : création du Comité 26 août : Ben Khedda succède des Français, qui prennent Alger révolutionnaire pour l’unité à Ferhat Abbas à la tête du GPRA. le 5 juillet. et l’action (CRUA). 8 septembre : attentat OAS contre 1843 Juillet : l’OS reconstituée décide de Gaulle à Pont-sur-. 14 août : défaite d’Abd el-Kader, de passer à la lutte armée. 17 octobre : 20 000 Algériens qui se rendra le 24 décembre 1847. 1er novembre : le CRUA se manifestent à Paris. La répression, 1848 transforme en Front de libération sur l’ordre du préfet Papon, La Constitution déclare l’Algérie nationale (FLN), sous la direction fait plus de 200 morts. territoire français. Les colons de Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben 1er novembre : une Journée seront représentés au Parlement. Bella, Larbi Ben M’hidi, Rabah Bitat, nationale pour l’indépendance 1873 Mohammed Boudiaf, Mostefa Ben organisée par le FLN en Algérie La loi Wargnier francise la propriété, Boulaïd, Didouche Mourad, provoque la mort de 100 personnes. spoliant familles et tribus. Mohamed Khider et Krim Belkacem. 1962 1870 Une série d’attentats marquent 3-4 janvier : affrontements entre 24 octobre : les décrets Crémieux le début de l’insurrection. Européens et musulmans à Oran. rattachent l’Algérie au ministère 23-24 janvier : 22 attentats de l’intérieur et naturalisent au plastic, dont un contre la population juive. François Mitterrand (1916-1996) le domicile d’Hubert Beuve-Méry 1900 (directeur du Monde). Autonomie budgétaire. Il est ministre de l’inté- 7 février : attentat de l’OAS 1916 rieur en 1954 dans le chez André Malraux à Boulogne. gouvernement Men- Révoltes dans le Constantinois. dès France et déclare, 8 février : à la fin d’une 1926 au lendemain de la manifestation anti-OAS à Paris, Mars : naissance en France « Toussaint rouge » : a La Une du Monde du lendemain de la « Toussaint rouge ». Qui comprend alors qu’une « guerre » commence ? la répression policière fait 8 morts de l’Etoile nord-africaine, première « La seule négociation, c’est la guerre. » Il et plus de 200 blessés au métro organisation indépendantiste. sera garde des sceaux sous Guy Mollet Charonne. 1942 (1956). Président de la République de 1981 10e division de parachutistes,est 24 septembre : arrestation sa première tournée des popotes. 10 février : rencontre des Rousses à 1995. Novembre : débarquement chargé du maintien de l’ordre à de Yacef Saadi, chef FLN d’Alger. 16 septembre : de Gaulle proclame entre le GPRA et le gouvernement américain en Algérie et au Maroc. Alger. le droit à l’autodétermination. français. 1943 5 novembre : le MTLD interdit. 16 janvier : attentat du bazooka. 19 septembre : Georges Bidault 18 mars : accords d’Evian. 10 février : Ferhat Abbas rédige 3 décembre : Messali Hadj crée 18 février : le général Yacef Saadi (né en 1928) forme le Rassemblement 19 mars : cessez-le-feu. Christian le « Manifeste du peuple algérien ». le Mouvement national algérien. de La Bollardière, qui condamnait la pour l’Algérie française. Fouchet est nommé haut Boulanger, membre de 1944 1955 torture, est relevé de ses fonctions. l’OS jusqu’en 1952. En commissaire et Abderrahmane Farès 7 mars : ordonnance sur l’égalité 20 janvier : premières grandes 25 février : Larbi Ben M’hidi 1954, il devient chef de président de l’exécutif provisoire. entre Français et musulmans. opérations françaises dans l’Aurès. est arrêté ; il sera torturé à mort. l’organisation militaire Georges Bidault (1899-1983) L’OAS appelle à la grève. er 1945 1 février : Pierre Mendès France du FLN à Alger. De Président du conseil 23 mars : à Alger, l’OAS ouvre le feu 24 avril : déportation de Messali nomme l’automne 1956 à l’été en 1949-1950. Il sou- sur les forces de l’ordre. Violents Hadj. gouverneur général. Larbi Ben M’hidi (1923-1957) 1957, il y organise les attentats à la bombe. tient de Gaulle en combats à Bab el-Oued. er Arrêté le 24 septembre 1957, condamné à mai 1958. Après le dis- 1 mai : manifestations nationalistes 23 février : investiture mort, il est libéré en mars 1962. 26 mars : sanglante fusillade rue dans toute l’Algérie du gouvernement Edgar Faure. Chef historique du FLN, cours sur l’autodéter- d’Isly, à Alger, entre Européens et 8 mai : la France célèbre la victoire. 13 mai : le général Cherrière, il coordonne à Alger mination de l’Algérie, forces de l’ordre : 46 morts. l’action de la guérilla. il succède en 1962 à Salan à la tête de Les manifestations de Sétif commandant en chef en Algérie, Arrêté le 15 février 1957, 30 septembre : le projet l’OAS. Amnistié en 1968. 30 mars : Salan crée un Conseil s’étendent à une partie du définit le principe de responsabilité il déclare, à propos des de « loi-cadre » pour l’Algérie est national de la résistance (CNR). Constantinois. Brutale répression collective. attentats : « Donnez- repoussé à l’Assemblée nationale. 8 avril : les accords d’Evian de l’armée. Reddition « officielle » 20 août : offensive de l’ALN nous vos chars et vos avions, et nous vous Bourgès-Maunoury démissionne. 1960 sont approuvés par référendum des tribus le 22 mai. dans le Nord-Constantinois. donnerons nos couffins », dans lesquels les Octobre : capture de Ben Hamida, 24 au 31 janvier : « Semaine par 90,70 % des votants. Le nombre de colons tués varie 12 septembre : le PCA est interdit terroristes plaçaient leurs bombes. Tortu- fin de la « bataille d’Alger ». des barricades » à Alger. Après 14 avril : condamnation à mort ré puis pendu le 5 mars 1957. entre 88 et 103. Le bilan des victimes et Alger Républicain suspendu. 27 décembre : Boussouf une fusillade qui fait 20 morts, les du général Jouhaud. algériennes reste mal connu. 1956 fait assassiner Abbane Ramdane. émeutiers se retranchent au centre 19 mai : l’exode des pieds-noirs Les militaires ont parlé de 6 000 2 janvier : victoire du Front 23 mars : assassinat d’Ali 1958 de la ville. Etat de siège. Le camp se transforme en panique. à 8 000 morts, Benjamin Stora républicain aux législatives. Boumendjel, avocat du FLN. 8 février : en riposte aux attaques retranché se rendra le 1er février. 24 mai : le général Salan est de 15 000, les autorités algériennes 1er février : investiture 21 mai : chute du gouvernement du FLN venues de Tunisie, l’aviation 24 février : découverte du « réseau condamné à la détention à vie. de 45 000 et Ben Bella de 65 000. du gouvernement Guy Mollet, de Guy Mollet. française bombarde Jeanson » d’aide au FLN. 15 juin : contacts entre l’OAS et 1946 qui nomme Robert Lacoste 29 mai : massacre par le FLN Sakhiet-Sidi-Youssef, faisant 3-5 mars : deuxième tournée le FLN pour faire cesser les attentats 23 octobre : Messali Hadj crée ministre résident. des hommes du village de nombreux morts. Tunis exige des popotes. De Gaulle parle (« accords Susini-Mostefaï »). le Mouvement pour le triomphe Mars : Paris reconnaît de Melouza. l’évacuation des bases françaises. d’« Algérie algérienne ». des libertés démocratiques (MTLD). l’indépendance du Maroc (le 2) Juin : construction de barrières 13-21 février : Habib Bourguiba 30 mars : le général Challe est 1947 et de la Tunisie (le 23). électrifiées le long des frontières saisit le Conseil de sécurité remplacé par le général Crépin. Création de l’« Organisation 12 mars : l’Assemblée nationale avec le Maroc et la Tunisie. de l’ONU. Paris et Tunis acceptent 10 juin : Si Salah, chef de la wilaya 4, Roger Degueldre (1925-1962) spéciale » (OS) par le Parti du vote les « pouvoirs spéciaux ». 11 juin : arrestation de Maurice les « bons offices » anglo-américains. est reçu à l’Elysée. Résistant FTP, il s’enga- peuple algérien (PPA) et le MTLD. 22 avril : Ferhat Abbas rallie le FLN. Audin, qui sera assassiné. 15 avril : chute du gouvernement 25-29 juin : échec des pourparlers ge dans la Légion. Il 20 août : congrès du FLN 12 juin : investiture du Félix Gaillard. de Melun avec des émissaires déserte le 22 avril 1961 dans la vallée de la Soummam gouvernement Bourgès-Maunoury. 13 mai : des manifestants du GPRA. lors du putsch. Chef des et création du Comité national L’opinion commence à s’interroger envahissent le gouvernement 6 septembre : « Manifeste des 121 » commandos Delta de Hocine Aït Ahmed (né en 1926) l’OAS, il est arrêté le de la révolution algérienne (CNRA). sur le bien-fondé de la guerre. général à Alger. Création sur le droit à l’insoumission. 5 avril 1962 et fusillé le 6 juillet au fort d’Ivry. Il dirige de 1947 à Eté 1956 : affrontements du Comité de salut public dirigé 9 au 13 décembre : manifestations 1949 l’Organisation entre MNA et FLN. par le général Massu. d’Européens contre le voyage spéciale (OS). Chef er historique du FLN, il 22 octobre : détournement sur Alger Maurice Audin (1932-1957) 14 mai : investiture de de Gaulle en Algérie. Premier 1 juillet : référendum en Algérie : de l’avion des chefs FLN du gouvernement Pfimlin. Appel défilé d’Algériens en faveur du 5 975 581 voix pour le « oui » est arrêté en octo- Mathématicien, mili- bre 1956 avec d’autres qui se rendaient à Tunis. Ben Bella, tant du PC algérien, il de Massu au général de Gaulle. GPRA ; 120 morts à Alger. et 16 534 voix pour le « non ». dirigeants du FLN lors de l’arraisonne- Aït Ahmed, Khider, Boudiaf, Bitat est arrêté le 11 juin Déclaration du général Salan : 19 décembre : l’assemblée générale 3 juillet : la France reconnaît ment de leur avion. Il sera détenu et Mostefa Lacheraf sont arrêtés. 1957 par les paras et « Je prends en main provisoirement de l’ONU reconnaît le droit l’indépendance de l’Algérie. Arrivée jusqu’en 1962. 5 novembre : expédition de Suez. torturé pendant dix les destinées de l’Algérie française. » de l’Algérie à l’indépendance. du président du GPRA à Alger. 13 novembre : le général Salan jours. Le 21 juin, il est 15 mai : de Gaulle prêt « à assumer 1961 4 juillet : début des exécutions 20 septembre : nouveau statut nommé commandant en chef déclaré « disparu ». Son corps n’a jamais les pouvoirs de la République ». 8 janvier : le référendum sur et enlèvements de pieds-noirs été retrouvé. qui « maintient l’Algérie au sein en Algérie. 17 mai : Soustelle rentre à Alger. l’autodétermination est approuvé et de harkis à Oran. de la République française ». 1957 1er juin : l’Assemblée investit par 75,25 % de « oui », dont 69,09 % 22 juillet : constitution du bureau 1948 7 janvier : « Bataille d’Alger » : 12 septembre : démission de Gaulle à la tête du gouvernement en Algérie. politique du FLN. Elections législatives truquées le général Massu, chef de la de Paul Teitgen, opposé à la torture. et reconduit les pouvoirs spéciaux. 3 août : Ben Bella, puis 4 juin : premier voyage en Algérie Boumediène, arrivent à Alger. de de Gaulle, qui prononce son Lucien Bitterlin (né en 1932) 22 août : de Gaulle échappe « Je vous ai compris » et dit qu’il n’y Militant gaulliste, nom- à un attentat OAS au Petit-Clamart. a en Algérie « que des Français mé, en mars 1960, pro- Combien de victimes ? Un douloureux bilan, à part entière avec les mêmes droits ducteur à la RTF en Algé- et les mêmes devoirs ». rie, il y implante le Mou- Houari Boumediène (1932-1978) vement pour la Coopéra- tant sur le plan politique que statistique 7 juin : Salan nommé délégué Après une formation général et commandant tion (MPC), favorable à l’indépendance. En 1961, il dirige la lutte des militaire en Egypte, il ES souvenirs restent assez dou- l’indépendance, les militaires fran- Selon Mohammed Harbi, « ce chiffre en chef en Algérie. « barbouzes » français contre l’OAS. rejoint l’Oranie en 1955, loureux pour que le débat sur les çais estimaient à 227 000 le « total ne tient pas la route ». Il préfère sui- 20 août : la direction du FLN où il organise la guérilla. morts demeure chargé d’émo- général des musulmans victimes de la vre « le même raisonnement qu’Age- est purgée par les chefs de l’ALN. Chef d’état-major de L l’ALN en 1960, destitué tion. Y a-t-il eu « un million et demi guerre ». Plusieurs études démogra- ron, qui a fait un travail fiable » sur 19 septembre : fondation au Caire Février : constitution de en juin 1962, Ben Bella le nommera ministre de martyrs » algériens ou 100 000 ? phiques aboutissent à un chiffre voi- un sujet qui reste toujours « embar- du « Gouvernement provisoire l’Organisation armée secrète (OAS). de la défense. Boumediène le renversera en Combien y eut-il de victimes françai- sin : la Revue du plan et des études rassant » en l’absence d’une position de la République algérienne » 20-22 février : Ahmed Boumendjel 1965 et restera président jusqu’à sa mort. ses du FLN et de l’OAS, combien économiques estimait à 290 000 per- officielle. (GPRA) présidé par Ferhat Abbas. (négociateur du FLN) rencontre d’Algériens tués par le FLN ? sonnes « la mortalité due à la Autre historien algérien, Daho 28 septembre : la Constitution en Suisse. Côté français, l’armée répertorie guerre ». Selon l’historien Charles- Djerbal estime que ce chiffre « a été française est approuvée en Algérie 2 mars : verdict du procès 5 septembre : Alger placée sous 24 643 tués, dont 15 583 au combat, Robert Ageron, qui s’est livré à des fabriqué à partir d’une discussion par 95 % des suffrages exprimés. des barricades : Joseph Ortiz le contrôle du bureau politique. 7 917 accidentellement et 1 144 de recherches fouillées, les pertes civiles entre dirigeants et cadres politiques 3 octobre : de Gaulle annonce condamné à mort par contumace, 20 septembre : plébiscite en faveur maladie. Les pertes civiles, victimes et militaires seraient de 234 000 à du FLN. Il s’agit d’une simple estima- le plan de Constantine. Lagaillarde à dix ans de détention. de la liste unique FLN des candidats du FNL et de l’OAS, sont estimées 290 000 morts. tion » et le chiffre réel reste à établir. 23 octobre : de Gaulle propose 21-25 avril : les généraux en retraite à l’Assemblée nationale. entre 4 500 et 5 000. De son côté, El Moudjahid avait Il faudrait accéder aux archives des au FLN « la paix des braves », Challe, Jouhaud et Zeller s’emparent 1963 Côté algérien, les pertes des com- donné, le 15 octobre 1959, le chiffre wilayas, qui tenaient à jour la liste de qui sera rejetée le 25 par le FLN. du pouvoir à Alger. Le général Salan 15 septembre : Ahmed Ben Bella battants – chiffre basé sur les deman- de « plus de 500 000 tués et disparus leurs pertes, et « qui sont toujours 19 décembre : Salan est remplacé les rejoint peu après. est élu président de la République. des de pensions des familles de (combattants et civils, hommes, fem- sous séquestre entre des mains qu’on par le délégué général Paul 23 avril : le gouvernement décrète « martyrs » – ont été estimées à mes et enfants) ». Même bataille de ignore ». Delouvrier et le général Challe. Thouria Adouani 152 863, sur un total de 336 748 chiffres pour les harkis. Plutôt que Même raisonnement pour les har- 21 décembre : de Gaulle est élu maquisards et soldats de l’ALN. Un celui, « incantatoire », de 150 000 vic- kis : les archives françaises devraient président de la République. Maurice Challe (1905-1979) taux de pertes d’environ 50 % auquel times du FLN en 1962, il apparaît permettre de chiffrer le nombre de 1959 Aviateur, il prend en Les portraits de Messali Hadj, Guy il faut ajouter le bilan des purges aujourd’hui plus réaliste de se limiter disparus parmi les Algériens qui ser- Janvier : début du « plan Challe » ; 1958 le commande- Mollet, Ferhat Abbas, Jacques Cheval- entre FLN et MNA qui atteindrait à une fourchette de 6 000 à 10 000. vaient la cause française. Là aussi, libération de Messali Hadj. ment des forces françai- lier, Ben Bella, Jacques Massu, Krim 12 000 morts, selon l’historien Ce débat sur les chiffres touche « le travail n’a pas été fait en raison de 8 janvier : de Gaulle propose ses en Algérie. Après la Belkacem, Raoul Salan, Michel Mohammed Harbi. désormais aussi l’Algérie. Mustapha la conjoncture, et c’est dommage ». l’association de l’Algérie à la France. Semaine des barrica- Debré, Abbane Ramdane, Paul Aussa- Nul ne doute que la population Haddab, professeur de sociologie à « Entre refoulement et révisionnisme, 28 mars : les commandants des des (janvier 1960), de resses, Maurice El-Médioni, Blaoui Gaulle l’éloigne. En janvier 1961, il deman- algérienne a payé un lourd tribut, l’université d’Alger, voit dans le chif- il y a place pour un travail sérieux sur wilayas 3 et 4 sont tués au combat. de sa retraite anticipée et prend la tête du El-Houari, Rachid Mekhloufi, Jean- mais le bilan est difficile à établir. fre de 1,5 million et demi de victimes notre histoire commune », conclut-il. 21 juillet : début de l’opération putsch du 22 avril. Condamné à quinze ans Jacques Susini, Yasmina Khadra, Was- Combien sont morts dans des opéra- « un slogan indéboulonnable, une Jumelles en Kabylie. de détention, il sera libéré en 1966. sila Tamzali, Benjamin Stora (pages II tions de « pacification » ? Peu avant devise, mais qui fait mal à l’histoire ». P. de B. Début août : de Gaulle effectue à XXIII) sont des photos AFP. VI/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE GUERRE ET VIOLENCES Des djounouds souvent « livrés à eux-mêmes » Lakhdar Bouregaa, 70 ans, ex-chef de compagnie de l’ALN, raconte les difficultés du maquis, ses blessures, les pressions du commissaire politique du FLN chargé de débusquer les « traîtres », les séances d’autocritique et ses amis, morts au combat

ALGER national, et ne porte pas dans son 1956-1958 : loin des grandes vil- Dans les maquis de la wilaya 4, rescapé parmi six maquisards. « On diller l’oreille. L’histoire encore du de notre envoyé spécial cœur les « gros richards de colons ». les, la guerre de libération a un côté où toute présence féminine a été était encerclé. Un béret vert français frère de Lakhdar, tué les armes à la C’est devenu une sorte de rendez- Pourquoi n’avoir pas déserté ? dérisoire. Sur le papier, une organi- bannie, la vie quotidienne est rude nous narguait en nous demandant main et à qui les soldats français vous sacré. De pèlerinage obligé. « Briançon, c’était le bout du mon- sation existe, avec des spécialistes et bien encadrée. Une séance s’il nous restait des munitions. » Ou rendront hommage pour sa bravou- Chaque année, le 1er novembre, de. » du sabotage, du renseignement, d’autocritique suit chaque embus- ce photographe français, qu’ils re. Et combien d’autres récits, tous quand Alger verse dans la commé- Le jeune homme va attendre la des groupes de choc. Mais la réalité cade. Chacun doit justifier l’emploi avaient recueilli pendant près de dramatiques, couleur de sang… moration grandiloquente, Lakhdar fin du service militaire et le retour est autre. Envoyés l’été 1956 établir des munitions. En cas de dérive, un six mois, persuadés qu’il s’agissait Le plus étonnant, paradoxale- Bouregaa quitte la capitale et en Algérie, au printemps 1956, un contact avec les groupes de commissaire politique veille au d’un déserteur. « Il nous avait ment, est postérieur à 1962 et à la retourne dans le maquis. Il part pour rejoindre son frère Rabah, l’Oranais, Lakhdar Bouregaa et ses grain, et un tribunal siège pour appris à nous servir d’un appareil fin de la guerre. Il a pour cadre seul, pour la journée, dans les mon- maquisard de la première heure, compagnons reviennent bre- juger les « traîtres ». Lire un journal photo et nous avait tous photogra- Paris, où Lakhdar Bouregaa, reve- tagnes qui bordent la Mitidja. Là, douilles deux mois plus tard. Le français, écouter la radio d’Alger phiés. On le considérait comme un nu de bien des illusions (il fera huit loin du monde, il a rendez-vous bilan militaire est mitigé : le champ – contrôlée par Paris – sont des ges- des nôtres. Il avait adopté le prénom années de prison sous Boumediène avec ses souvenirs et les âmes mor- « Je suis parti d’un colon incendié ; trois fusils, un tes interdits. Mais des étudiants d’un maquisard tué au combat. » pour des raisons politiques), bague- tes de ses compagnons. « Je mar- fusil-mitrailleur et une carabine maquisards ont créé une troupe de Un jour, le Français disparaît dans naude à la fin des années 1970. « Je che, je parle à tous ceux qui ont été une nuit, pris lors d’une embuscade. Bien théâtre. Et des cours d’alphabétisa- la nature. « Pour nous, c’était un suis tombé en arrêt devant la plaque tués pendant la guerre. Parfois je plus tard, ils apprendront par leurs tion existent, où l’on peut appren- martyr. Beaucoup plus tard, en lisant d’une rue. Elle portait le nom du colo- pleure », dit, d’une voix sourde, l’an- emportant un fusil chefs (qui l’ont lu dans Le Monde…) dre le français ou l’arabe. « Chaque un livre de Massu, j’ai découvert que nel avec qui, en tant que comman- cien maquisard. qu’un commandant français a été combattant devait toujours avoir sur c’était un espion infiltré dans nos dant du Centre de la wilaya 4, j’avais A 70 ans passés, la moustache de de chasse tué dans l’accrochage. « On était lui un carnet, un stylo, une brosse à rangs »… signé le cessez-le-feu local en 1962. l’ancien djounoud (comme s’appel- dans l’improvisation, livrés à nous- dents et du dentifrice. C’était une Il y aussi l’histoire de cette vieille Nous nous étions serré la main. A lent alors les combattants des caché sous mêmes », dit-il. façon d’éduquer le peuple. » femme, folle de douleur, à qui les Paris, quand j’ai vu son nom sur la maquis) est grisonnante, le cheveu Cette drôle de guerre va bientôt De cette période, Lakhdar Boure- maquisards amenèrent un prison- plaque, je me suis mis au gar- se fait rare, mais la mémoire de la paille et une prendre une tournure autrement gaa pourrait parler des journées nier français pour qu’elle se venge de-à-vous en pleine rue pendant demeure. Il raconte la guerre de dramatique. L’armée française est entières. Les anecdotes s’enchaî- de la mort de ses deux fils, assassi- quelques secondes. » libération qui a fait de lui un chef demi-douzaine bien renseignée. Aux embuscades, nent. Il y a cette embuscade d’où il nés sous ses yeux par des légionnai- de guerre couturé de partout. Il s’ajoutent des batailles rangées, qui est sorti miraculeusement, unique res. Elle se contentera de lui mor- Jean-Pierre Tuquoi sort des photos un peu grises qui de cartouches » saignent les rangs des fellagas. dorment dans un album épais, mon- Dans les maquis, les pertes sont tre des tracts lancés par les avions lourdes. Promu chef de compagnie, français et qui, photo à l’appui, pro- dans ces montagnes de la wilaya 4 Lakhdar se souvient qu’elle a été mettaient la mort aux rebelles… qui couronnent la capitale. « Je n’ai reconstituée pas moins de trente et Lakhdar Bouregaa se souvient rien dit à personne, surtout pas à ma une fois ! Lui-même a été blessé à bien du 1er novembre 1954. Il avait mère. Je suis parti une nuit, empor- six reprises, dont une fois griève- a La fatigue 20 ans et faisait son service militai- tant un fusil de chasse caché sous de ment, au ventre. « J’ai saupoudré la et l’attente re en France, dans les chasseurs la paille et une demi-douzaine de blessure avec le DDT qu’on nous don- de la fin alpins à Briançon. Un « officier chré- cartouches. » nait dans du papier journal et mis du d’une guerre tien », le premier, lui a annoncé Tout est à inventer. « Notre arme- scotch dessus. Le médecin m’a traité que l’on sent qu’un soulèvement venait d’avoir ment était ridicule. On vivait dans les de fou. Je m’en suis sorti. J’ai eu de la proche. lieu. D’autres informations sui- montagnes au-dessus de Blida, sans chance. » En 1962, vront, fournies par les supérieurs. chef, sans directive, sans moyens de Les maquisards sont des gueux. Marc Riboud « On en parlait beaucoup. Il n’y communication et sans vraiment L’équipement arrive au compte- photographie avait pas de problème entre les appe- mener d’actions. On se déplaçait gouttes de Tunisie, où est installé le des lés algériens – nous étions 11 au sans cesse. Les marches se faisaient FLN dit « de l’extérieur », que les maquisards total – et les militaires français. Mais de nuit. Des guides nous amenaient djounouds affublent du titre de de la wilaya je ne disais pas tout ce que je pen- d’un village à l’autre. Dans les « maquisards par correspondan- III de l’ALN, sais », précise-t-il. hameaux, des gens sûrs nous don- ce ». « Lorsqu’un adversaire était près de Le soldat Bouregaa a la fibre naient à manger et nous rensei- tué, la consigne était de lui prendre Tizi Ouzou. nationaliste. Comme son père, com- gnaient sur l’armée française. Mais en priorité son fusil, puis ses chaussu- me son frère, Rabah, et son maître c’est une légende de dire que toute la res, son pantalon et enfin sa veste. » à l’école coranique. Adolescent, il a population était avec nous. Beau- Les photos des compagnons de croisé Mourad Didouche, un des coup ne se sentaient pas impliqués. Lakhdar Bouregaa, en treillis et ves-  fondateurs du FLN. Il admire Mes- Le colonialisme, ils ne savaient pas te militaire français, témoignent sali Hadj, père du mouvement ce que ça signifiait. » que la règle était appliquée.  ©

spécialiste de l’algérie et d’histoire militaire, jean-charles jauffret explique comment le fln a basculé dans la terreur de masse, y compris contre les siens, et pourquoi les militaires français n’ont rien compris a la « guerre subversive » « Un fond de culture de la violence s’est implanté »

En quoi consistait la en février 1947. Avant que la police ne mette le fonctionnement de l’adversaire. Le colonel les dans la rubrique des « faits divers » ! Ici, méthodes de répression françaises devien- « guerre révolutionnai- la main dessus, elle dispose de 1 000 hom- Lacheroy sera le grand théoricien de la « guer- un train avait déraillé, là, un « règlement de nent de plus en plus collectives. Pourtant, il y re » que prônait le mes, armés et entraînés. Elle a copié l’organi- re contre-révolutionnaire ». Leur mot d’ordre comptes » avait eu lieu dans une ville d’Algé- a eu aussi débat du côté français. Des hauts FLN ? sation de la résistance française, en cloison- est « vaincre le terrorisme ». Ils croiront avoir rie. Il y avait un déni et un aveuglement extra- gradés ont longtemps dit : « On ne peut pas Issu de la nébuleuse nant encore plus, par groupes de trois person- « gagné la guerre » en remportant la bataille ordinaires. faire n’importe quoi. » Le général Gambiez, le marxiste-léniniste, le ter- nes. L’étanchéité est presque absolue. Mais d’Alger, sans voir que, si le FLN y a été déman- Quelles vont être les conséquences de la colonel de parachutistes Seguin-Pazzis pro- me se décline en trois ver- tous ne partagent pas la même vision de la lut- telé, sa willaya 4 a, en même temps, multiplié guerre révolutionnaire ? testeront contre la répression aveugle. La tor- sions : entraîner les mas- te armée. Au PPA, il y a deux courants. L’un par dix ses effectifs. Tout leur aveuglement Le modèle terroriste va entraîner le FLN ture ne sera banalisée qu’après la bataille d’Al- ses pour prendre le pouvoir par tous les est panislamiste et panarabe, l’autre, égale- tient en une image : pendant que ces militai- vers l’abandon progressif de l’idée d'« algéria- ger. Mais la « guerre contre-révolutionnai- moyens, c’est le cas bolchévique ; étouffer les ment panarabe, adopte la notion d'« algéria- res « gagnaient » à Alger, dans les maquis de nité » incluant toutes les communautés re » finira par utiliser l’arme de l’autre, la ter- villes à partir de la campagne, comme Mao nité », qui induit l’accession de l’Algérie à la la willaya 4 les djounouds, à la veillée, chan- vivant sur le sol algérien. Le tournant survient reur, dans l’idée de lui faire encore plus peur Zedong ; enfin, mener une « guerre subversi- modernité. Les deux chefs de l’OS dévelop- taient, en français, le Chant des partisans ! La le 20 août 1955, avec le massacre de Philippe- qu’il ne vous fait peur. ve », c’est le schéma classique de Ho Chi pent des visions différentes de la guerre sub- bataille d’Alger fut une ville : 500 victimes parmi les Européens, mais Quelles seront les conséquences ulté- Minh au Vietnam. Des éléments des trois versive. Le commandant politique, Aït victoire militaire et une aussi des ouvriers algériens. Le colonel rieures du succès de la guerre subversive ? modèles se retrouvent dans les formations Ahmed, veut une « guerre de partisans ». Ses « Chacun immense défaite. Zighout Youssef a agi seul. Le FLN le couvri- Sa validation comme modèle de « libéra- qui prônent la guerre révolutionnaire. Celui modèles sont la résistance française et Ho doit être Un troisième groupe ra. La répression est effroyable : peut-être tion » influencera de nombreux mouvements du FLN se fondait sur un schéma simple. Un : Chi Minh. Son idée : commencer par instau- d’officiers est issu de l’ar- 10 000 morts. Pourquoi le FLN se lance-t-il anticolonialistes. Sa glorification s’accompa- provocation. Vous êtes encore minoritaire et rer des « zones libérées » dans des régions dans mée d’Afrique. Ceux-là, dans la terreur de masse ? Parce que beau- gnera d’une réécriture de l’histoire, et d’une très faible face à la puissance coloniale. Vous difficiles d’accès pour l’armée. En face, le chef un camp comme le général Geor- coup jugent que la guerre progresse trop len- magnification de la culture de la violence. attaquez des « objectifs sympathiques », du militaire, Ahmed Ben Bella, parie sur le terro- ges Spillmann, sont tement. Il constate qu’il reste énormément Ceux qui l’ont utilisée pour renverser le pou- moins en théorie : tout ce qui représente le risme qui porte la guerre au cœur de l’adver- ou dans convaincus que la politi- d’indécis dans la population. En commettant voir établi considéreront légitime d’en user pouvoir colonial. Et vous espérez qu’il réagira saire. Au 1er novembre 1954, son choix est ava- l’autre » que du gros bâton est une provocation à grande échelle, on obtient pour réprimer toute contestation de leur pou- comme d’habitude, au marteau pilon. Deux : lisé, avec l’assassinat de l’instituteur Monne- une erreur tragique. Ils ce qu’on recherche : une réaction à plus gran- voir, perçue comme émanant d’un « enne- la répression fait des dommages énormes rot, dans les Aurès. disent : cessons de consi- de échelle. La grande terreur commence là. mi ». Lorsque la guerre éclatera entre le régi- dans la population civile, morts, arrestations, Les militaires français comprennent-ils dérer les gens comme des bougnouls, L’irréparable a été commis, la neutralité me et les islamistes, la mémoire de la guerre étouffement du quotidien. Trois : une spirale ce qui se passe ? construisons des routes, des écoles, des dis- devient impossible. Pourtant, fin 1956, au subversive resurgira. Les islamistes assimile- de contamination s’enclenche : il n’y a plus de Malgré leur expérience en Indochine, ils pensaires. Ils penseront les premiers à recru- congrès de la Soummam, la thèse de la « guer- ront le pouvoir d’Alger à une copie du « pou- place pour les neutres, les modérés. Chacun vont être de bout en bout hors sujet. Ils ne ter des harkas, fonderont les SAS (sections re de partisans » reste toujours le modèle. En voir français colonial ». Ce dernier, à l’inverse, doit être dans un camp ou dans l’autre. Qui comprennent pas que l’Algérie n’est pas l’In- administratives spécialisées) pour améliorer 1957, des commandants locaux FLN pren- clamera que les islamistes sont les « fils de har- n’est pas avec vous devient mécaniquement dochine, qu’y existe une aspiration, minoritai- le sort des populations du bled. Leur dernier nent peur des dérives du terrorisme aveugle. kis qui rêvent de revanche ». Chacun accusera votre ennemi. Quatre : le stade ultime, l’inter- re mais réelle, à la citoyenneté française par- représentant, le général Lorillot, partira à la Certains disent « halte au feu ». N’oublions l’autre d’être le « parti de la France ». La vio- nationalisation. L’opinion mondiale, celle du mi les Algériens. Beaucoup d’officiers évo- fin 1956. Ce groupe ne croit absolument pas à pas qu’au sommet de sa puissance intérieure, lence révolutionnaire induit le refus d’admet- pays colonisateur et celle de pays « amis » se quent la population arabe en disant « les l’efficacité de la guerre contre-révolution- en janvier 1958, l’ALN comptera 50 000 hom- tre comme légitime toute autre vision que la saisit de votre conflit. Votre adversaire a per- Viets ». Ils sont convaincus d’avoir affaire, naire. mes. En face, l’armée française, avec ses har- sienne : l’autre ne peut être qu’un ennemi à du le jour où l’opinion, politiquement, admet comme au Vietnam, à une « subversion com- Et la classe politique française ? kas, spahis, gendarmes, SAS, groupes d’auto- liquider. Or l’effroyable guerre d’Algérie fut le bien-fondé de votre point de vue. muniste » et ne comprennent pas la spécifici- Elle ne comprend rien de plus que les mili- défense, etc., regroupe 160 000 Algériens aussi une guerre civile entre Algériens, qui Ce qui s’est passé pour la France ? té du FLN, son populisme traditionaliste et taires, hormis Mendès France, qui en 1954 armés. Du côté algérien, la guerre révolution- s’est terminée en guerre civile à l’indépendan- Oui. Le FLN n’a jamais eu l’espoir de « vain- religieux. s’occupe de la Tunisie et du Maroc et croit naire est donc aussi une guerre civile. Jus- ce, quand les colonels de l’extérieur ont pris le cre » militairement. La guerre ne sert à rien si N’ont-ils pas procédé à un bilan de leur pouvoir repousser la question algérienne, et qu’au bout, il y aura des gens au FLN pour pouvoir contre les combattants des maquis. elle n’est pas accompagnée d’un mouvement échec vietnamien ? de Gaulle, qui, dès son discours aux pieds- dire que le terrorisme contre les Français et Elle s’est aussi terminée par l’exode des Euro- national. En septembre 1960, aux Jeux olympi- Non. Ils sont saupoudrés d’un vernis, noirs en 1943, sait qu’un immense change- les Algériens qui ne le suivent pas est contre- péens, les massacres de harkis, puis la répres- ques de Rome, un sportif français montant croient avoir compris la guerre subversive, ment doit avoir lieu en Algérie. Paris n’a productif. sion des Kabyles. Un fond de culture de la vio- sur le podium se faît conspuer : la France a mais restent engoncés dans leurs certitudes. qu’une obsession : le « retour au calme ». On Pourquoi ne sont-ils pas suivis ? lence s’est implanté durablement. perdu la bataille de l’opinion. Quelques mois Cela dit, les militaires français ont des sensibi- croit aujourd’hui que tout commence le Parce qu’une fois la violence imposée au après, le Conseil de sécurité adopte la résolu- lités différentes, que la bataille d’Alger (1957) 1er novembre 1954, parce que la France com- sein-même du FLN, la mécanique est lancée. Propos recueillis par Sylvain Cypel tion 1514 exigeant que Paris « donne sa liber- nivellera. On distingue trois groupes. Les indif- me le FLN ont fait de cette date le déclen- Dès qu’Abbane Ramdane, chef le plus charis- té au peuple algérien ». férents, hauts gradés venus de France, se cheur de la guerre. Mais c’est faux. Le matique de l’intérieur, est assassiné par les Comment le FLN en est-il arrivé à la stra- demandent ce qu’ils font là. Ils développent 1er novembre est l’acte de naissance politique siens (lire page VII), la terreur est légitimée JEAN-CHARLES JAUFFRET, professeur à l’IEP tégie de la guerre révolutionnaire ? la « mentalité du bordj » : pas de vagues, que de la guerre révolutionnaire, mais aupara- contre « tous les ennemis ». Pour vaincre, d’Aix-en-Provence, dirige le groupe L’expression « guerre subversive » est plus le calme règne dans leur secteur ; ce qui se vant il n’y avait pas « le calme ». Sur la seule peu importe les moyens. Le phénomène est de recherches du CNRS « Histoire militaire, juste. La lutte armée vient de loin au sein du passe en profondeur ne les concerne pas. année qui précède, on dénombre 56 attentats facilité parce que, des deux côtés, la vendetta défense et sécurité » à l’université FLN, qui en est l’archétype. L’OS (Organisa- Ensuite, les officiers d’Indochine. Revan- en Algérie, dont un en plein jour, rue d’Isly à l’emporte sur les logiques politiques initiales. de Montpellier. Auteur de Soldats en Algérie : tion spéciale), bras armé d’un parti interdit, chards, ceux-là disent : « On ne se fera pas Alger ! Mais on ne voulait rien voir. Les jour- Plus on s’approche de l’issue du conflit, plus les expériences contrastées des hommes le Parti du peuple algérien (PPA), est créée avoir deux fois. » Ils croient avoir « compris » naux d’Alger et de Paris publiaient ces nouvel- l’adversaire est diabolisé globalement. Les du contingent, Autrement. LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/VII ALGÉRIE GUERRE ET VIOLENCES

quarante-sept ans après, des témoins tirent les leçons L’assassinat d’Abbane Ramdane, a A Paris, les Algériens arrêtés « premier crime de l’Etat-FLN » le 17 octobre 1961 furent L a sa tombe au cimetière d’El Alia Deux des principes adoptés au congrès de la Soum- emmenés – où sont enterrés les héros ou mam, celui de la « primauté de l’intérieur sur l’exté- en car vers I acteurs officiels de l’Algérie. Mais rieur » et « du politique sur le militaire », sont contestés des centres cette tombe est vide. La dépouille par les adversaires d’Abbane. A la conférence du Caire, de tri d’Abbane Ramdane, haut responsa- en septembre 1957, des amendements sont proposés, de la police ble du FLN, liquidé par ses pairs le auxquels Abbane, pragmatique, se rallie. « Le seul qu’il à Vincennes, 27 décembre 1957, à Tétouan n’a pas accepté, c’est celui qui remettait en cause la primau- au Palais (Maroc), n’a jamais été rendue aux té de l’intérieur sur l’extérieur, rappelle Mabrouk Belhoci- des sports siens. « Au moment des commémorations, son fils me ne. Il s’est abstenu. C’était ça, le casus belli, le pourquoi de et au stade demandait pourquoi son père, que je lui ai toujours présenté sa liquidation. » L’historien Daho Djerbal, directeur de la de Coubertin. comme un héros de la Révolution, n’avait pas son portrait, revue Naqd, est plus précis : bien que la conférence comme les autres, en tête des défilés. Longtemps, je n’ai pas du Caire l’ait affaibli, Abbane « avait trouvé des alliés à su quoi dire », rapporte celle qui fut, d’avril 1956 à décem- l’intérieur de l’Armée de libération nationale » (ALN) et bre 1957, l’épouse du principal artisan de la « plate-forme s’était ainsi donné une « assise militaire ». Cet atout de la Soummam », texte fondateur du FLN en guerre, devient sa faiblesse. « En détenant, grâce à ces alliances, adoptée lors de son congrès, le 20 août 1956. la possibilité de renverser le cours de la révolution et d’en Elle n’a rien gardé de son homme, pas même un mou- prendre la direction, explique l’universitaire, Abbane deve-  choir ou une lettre. « Le dernier message qu’il m’a fait pas- nait dangereux : il signait sa condamnation à mort. » ser, en décembre 1957, disait seulement : “Rejoins-moi.” Je Mabrouk Belhocine assure avoir pris connaissance ne l’ai pas gardé. A l’époque, on brûlait le courrier dès qu’on d’un procès-verbal des délibérations entre les militaires l’avait ouvert… » Quand elle quitte Alger, aux premiers du Comité de coordination et d’exécution (CCE), se pro- 17 octobre 1961 : les enjeux jours de janvier 1958, Saliha Abbane est « à mille lieues » nonçant, à une voix près, pour la liquidation d’Abbane. d’imaginer que son mari est mort. Elle ne l’apprendra que Ce n’est qu’en juin 1958, six mois après sa disparition, le 27 mai, à Tunis, par un représentant du FLN. Abbane, que Seliha Abbane apprend, par la bande, que son lui dit-on, est « tombé au champ d’honneur ». Autrement époux n’est pas tombé face aux soldats français, mais cachés d’une manifestation dit : tué au combat par l’armée française. Cette version n’a assassiné par les siens. « On était en pleine guerre. Comme jamais été démentie, de façon explicite, par la République il y avait beaucoup de régionalisme, les Kabyles auraient pu algérienne. « C’est le premier grand mensonge de l’Etat FLN ruer dans les brancards. Je me suis dit que je devais me tai- Ce jour-là, le fln mobilise ses troupes à paris. la répression est en gestation », estime Belaïd Abbane, installé en France, re, se rappelle-t-elle. La révolution terrible. des travaux récents permettent de mieux comprendre qui travaille à la publication d’un livre sur son illustre était plus importante que les gens. Je parent. « Voilà un homme, ajoute-t-il, qui tient une place « On était pensais que le jour viendrait, quand prépondérante dans la guerre de libération, avec, en face de en guerre, le pays serait libre, où ça se saurait, e l’occultation à la commé- véritable chef clandestin du FLN France en Algérie agrémentées de lui, trois de ses pairs, les colonels Krim Belkacem, Bentobbal où je pourrais parler… » moration, il a fallu des décen- en France, et les responsables de la diffusion aux émigrés de messa- et Boussouf. Ceux-ci se donnent le rôle de procureurs, de je me suis Elle a un sourire amer. « Ce jour D nies pour mettre en lumière la Fédération de France, exilés à ges enregistrés par leur famille au juges et d’exécuteurs. Il y a là toute une symbolique, l’esquisse dit que n’est jamais arrivé. » Il faut attendre la tragique réalité de la répression Cologne. Ils montrent comment, bled) et la répression la plus violen- d’une culture du complot, qui sera celle du système FLN. Elle la fin des années 1980 pour que soit de la manifestation du FLN du sous la pression des « Parisiens », te (un premier couvre-feu avait été reste gravée, jusqu’à maintenant, dans la culture politique je devais publié, en France, Abbane Ramda- 17 octobre 1961, à Paris. Des mili- les dirigeants de la fédération de instauré à Paris en 1958). de l’Algérie. » me taire » ne, héros de la guerre d’Algérie tants-historiens comme Michel France accepteront que soit avan- De certaines archives du FLN, Au-delà de la méthode crapuleuse utilisée pour élimi- (L’Harmattan, 1988), première bio- Levine et Jean-Luc Einaudi, relayés cée la manifestation, qu’ils pré- qu’elle a exhumées, Linda Amiri a ner Abbane (attiré au Maroc pour une « réunion », il a été   graphie de son mari signée Khalfa par des enfants de l’immigration voyaient pour le 1er novembre, tiré une description terriblement étranglé en secret par des hommes de Boussouf, chef des Mammeri. En Algérie, ce n’est algérienne en quête de mémoire, jour anniversaire de l’insurrection. réaliste du sort des manifestants, services secrets du FLN) et du travestissement de son qu’en 2000 que Mabrouk Belhocine ont, les premiers, secoué l’amné- Surtout, ils expliquent que cette mais aussi de la coercition que l’or- assassinat en mort patriotique, reste la question, encore fait paraître les documents inédits qu’il détient depuis sie, au début des années 1990, et décision a été prise contre l’avis du ganisation exerçait sur les « frè- objet de polémique et de procès en Algérie, des mobiles quarante ans : Le courrier Alger-Le Caire (Casbah édi- bataillé pour obtenir l’ouverture gouvernement provisoire algérien res » ou les « éléments », selon la de son exécution. Pour les uns, comme l’universitaire ber- tions) présente et commente la correspondance entre des archives de la préfecture de (GPRA), qui n’en voyait pas l’utili- terminologie en vigueur, pour bériste Hassan Hireche, installé à Paris, « s’il n’avait pas Abbane et la délégation extérieure du FLN, au Caire. police. Des historiens plus classi- té avant la reprise des négocia- qu’ils participent aux cortèges. été kabyle, il aurait peut-être eu la vie sauve ». Selon lui, « Jusqu’aux années 1980, il était impossible de rien publier, ques comme Guy Pervillé ou Jean- tions avec Paris, qui aboutiront, en « Pour ceux qui ne sont pas sortis Abbane a été victime du nationalisme arabe, du « panara- explique l’auteur. Et puis je ne voulais pas que ces docu- Paul Brunet ont pris le relais. mars, aux accords d’Evian. Dès la (les craintifs), nous avons organisé bisme nassérien » très influent à l’époque. Ahmed Ben ments soient utilisés par les partis politiques », ajoute le Après la redécouverte de cette fin octobre, d’ailleurs, le GPRA, des cellules qui sont passées dans les Bella – alors installé au Caire et qui n’assistait pas au vieil homme, moqueur. nuit de terreur oubliée, après le hôtels. Nous sommes en possession congrès de la Soummam – était soucieux, poursuit D’un tempérament « bagarreur », selon les uns, « auto- rappel du rôle de , des noms et prénoms et adresses de M. Hireche, de « diminuer la place d’Abbane Ramdane et, ritaire », d’après les autres, Abbane Ramdane ne fut sans préfet de police, après la mise au La Fédération de ceux qui n’ont pas suivi le mot d’or- même, d’en faire un traître ». Pour éliminer un rival, mais doute pas le parangon de vertu démocratique que rencart des mensonges officiels dre », indique un compte rendu du aussi, plaide M. Hireche, parce qu’« il ne fallait pas que des d’aucuns aimeraient voir en lui aujourd’hui. Il suffit de – 32 à 285 morts selon les sources, France voulait se FLN, reproduit dans son livre, La Kabyles incarnent le mouvement national algérien ». lire le « rapport » qu’il rédigea, en 1956, à l’intention du contre 3 reconnus à l’époque –, Bataille de France (Robert Laffont, Mabrouk Belhocine, natif de Kabylie et souvent présen- Conseil national de la révolution algérienne (CNRSA) : il après la diffusion des photos positionner dans octobre 2004). L’historien et an- té, dans la presse algérienne, comme le principal « archi- s’y félicite de ce que les militants de la fédération de Fran- d’autobus remplis d’Algériens ter- cien dirigeant du FLN Mohammed tecte » de la « crise berbériste » de 1949, réfute ce point ce du FLN aient « entrepris la liquidation physique de tous rorisés, des corps en sang et des les manœuvres Harbi indique que la contrainte de vue. « Abbane était un nationaliste jacobin. Un Robes- les messalistes » (Naqd, n 12, printemps-été 1999). graffitis haineux, bref, après le réta- n’excluait pas un réel patriotisme. pierre. Il ne se présentait jamais en Kabyle. D’ailleurs, la pre- « C’était la guerre, n’oubliez pas ! », plaide Mabrouk blissement des faits, l’heure est pour le pouvoir Il se rappelle avoir entendu un mière fois que je l’ai rencontré, en 1949, il m’avait exprimé Belhocine. Lui-même s’est tu, volontairement, afin que venue d’analyser les enjeux poli- membre des « groupes de choc » son désaccord sur la question berbère, qu’il ne jugeait pas la nouvelle de l’assassinat d’Abbane ne mette pas le pro- tiques de l’événement. du FLN lui dire, à propos du opportun de mettre en avant », souligne-t-il. « C’était un cessus indépendantiste en péril. Quant aux commanditai- Avec Neil MacMaster, ensei- établi à Tunis, effacera les événe- 17 octobre : « J’ai été revolver au fédérateur qui ne tolérait pas que des clivages, régionaux ou res, le vieil homme hausse les épaules. « C’étaient des gnant à l’université d’East Anglia, ments du 17 « de la mémoire offi- poing, je les ai fait sortir. » autres, entravent la marche vers l’indépendance. C’était le assassins, OK, mais aussi des patriotes et des nationalistes. et Jim House, de l’université de cielle du gouvernement ». Côté fran- Les nombreuses facettes s’éclai- plus politique des révolutionnaires. » Que des « rivalités de Des criminels, d’accord, mais ils nous ont conduits Leeds, plus question de s’indigner çais, l’inflexible répression s’éclai- rent donc progressivement, même personnes » aient existé, M. Belhocine ne le nie pas : jusqu’aux accords d’Evian : une prouesse extraordinaire ! ou de dénoncer, mais de compren- re par la volonté de ménager un si de larges parts d’ombre demeu- « D’un côté, Ben Bella, que les Egyptiens préparaient com- Et puis, conclut-il, regardez la révolution française, la dre. D’apprécier le contexte dans rapport de forces dans la perspecti- rent, notamment sur la réalité du me “le” futur zaïm [chef] arabo-musulman d’Algérie, avait révolution russe, la révolution yougoslave… Vous connaissez lequel la fédération de France du ve des négociations. massacre perpétré dans la cour de peur de se faire évincer. De l’autre, Krim se considérait com- beaucoup de pays qui ont fait la révolution avec la FLN a pris la décision d’appeler les Cette obsession du rapport de la préfecture de police, sur les évé- me le seul survivant du Comité des six du 1er Novembre et ne démocratie ? » émigrés algériens de Paris à sortir forces est présente au sein même nements en province et sur le nom- voulait pas qu’Abbane puisse lui faire de l’ombre. Ce dernier, La veuve d’Abbane Ramdane a au moins une consola- en masse, avec femme et enfants du camp nationaliste. La décision bre exact de victimes. Les confes- il est vrai, leur était infiniment supérieur… ». tion. Au cimetière, la stèle élevée à la mémoire de son mais sans armes, pour braver le du FLN de défiler le 17 octobre sions d’anciens responsables et Aux yeux d’Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire géné- mari est, certes, située « sur la même ligne que les tombes couvre-feu visant les « Français obéissait certes à la nécessité de l’ouverture de certaines archives ral du FLN, qui travailla pendant la guerre sous les ordres de ses bourreaux », mais elle est symboliquement bien musulmans d’Algérie » que le pré- canaliser les tensions provoquées personnelles promettent d’autres d’Abbane Ramdane, ce dernier avait une « conception entourée : « entre l’émir Abdelkader et Larbi Ben M’hidi », fet Papon venait de rétablir. parmi les militants parisiens par développements. Ombre de taille : bien à lui de la direction de la Révolution ». C’est cela, deux héros du nationalisme algérien, dit-elle avec fierté. Dans un article de la revue l’intensification de la répression. les archives algériennes restent « plus que les querelles de personnes », qui a conduit à l’af- Vingtième siècle (juillet-septembre Mais elle répondait aussi au souci inaccessibles aux chercheurs. Offi- frontement. « Pour Abbane, l’indépendance ne pouvait se Catherine Simon 2004), ils portent un regard inédit de la fédération de France, pour- ciellement, elles n’ont pas encore réaliser qu’avec les armes, mais aussi en impliquant toutes sur les enjeux de pouvoir qui ont voyeuse d’une énorme contribu- été traitées, faute de moyens. Leur les forces politiques. Aucune, si minime soit-elle, ne devait res- sous-tendu l’organisation de ce tion financière à la « guerre de libé- gestion dépend directement de la ter en-dehors de la Révolution. Or, poursuit M. Mehri, Abba- ABBANE RAMDANE, assassiné le 26 décembre 1957 défilé, puis son oubli. Dans les ration », de se positionner par rap- présidence de la République. ne avait, face à lui, une conception différente, selon laquelle par ses frères d’armes, est né en 1919 à Blida. Membre archives de la préfecture de police port au GPRA dans les obscures la direction de la Révolution devait être autoritaire et, sur- du MTLD, incarcéré de 1950 à 1955, il imposé la primauté de Paris, ils ont découvert le dou- manœuvres pour le pouvoir, qui Philippe Bernard tout, restreinte. » Cette opposition va se révéler mortelle. des politiques au congrès FLN de la Soummam (août 1956). ble contexte dans lequel s’inscrit le commençaient en vue de l’indépen- 17 octobre. D’une part, une réorga- dance. « En lançant la vague de nisation du FLN, destinée à faire manifestations du 17 octobre pour face aux infiltrations policières et à créer un choc important sur les   ...   répondre à l’afflux de militants ; médias et sur l’opinion internationa- de l’autre, la mobilisation des servi- le, écrivent-ils, [la fédération de « ’         » ces de renseignement, qui fournis- France] donnait l’impression de « Vous êtes psychanalyste et 1954-1962. Alors que la colonisation n’avait pendance savaient qu’ils puisaient dans cet sent à la DST une connaissance devancer le GPRA. » écrivain, comment appréciez- pas réussi à régler la question de l’identité héritage des droits de l’homme et pensaient très détaillée du réseau nationalis- Les historiens éclairent aussi vous le poids des non-dits et de algérienne en accordant l’égalité des droits, qu’après la victoire ces valeurs aideraient à te, aboutissant, trois semaines « l’erreur fatale » qui, selon eux, a la violence du nationalisme algérien sur l’évo- l’Algérie indépendante n’a pas su gérer en son régler la question identitaire. Malheureuse- après la manifestation, à une série consisté pour le FLN, qui « s’atten- lution de l’histoire du pays ? sein l’héritage de cette violence : elle a perpé- ment, l’isolement du pays et la domination massive d’interpellations. dait sans doute à des arrestations Alors que les textes fondateurs du FLN lais- tué à rebours les exclusions de la colonisation d’un tiers-mondisme teinté de stalinisme l’a En région parisienne, les prolon- massives », à envoyer les Algériens saient entendre que l’Algérie se libérerait du en oubliant que l’indépendance signifiait la fin empêché d’accepter sa diversité. Aujourd’hui gements de la guerre en métro- manifester seuls et à se passer du colonialisme par une indépendance reconnais- de l’histoire coloniale et non pas la fin des rela- encore, malgré les assassinats d’intellectuels, pole, avec la multiplication d’atten- soutien du PCF et de la CGT. Il est sant la diversité culturelle religieuse et linguis- tions franco-algériennes. Cela explique qu’au- de femmes et d’écoliers, des éléments demeu- tats FLN visant des policiers, vrai que le peu d’empressement tique du pays, l’après-1962 a vu un parti uni- jourd’hui encore les Algériens souhaitent pou- rent pour sortir de cet héritage de la violence. avaient instauré un incroyable cli- des militants de gauche français que engager le pays dans l’arabo-islamisme, voir venir en France sans se sentir étrangers. L’actuelle difficulté à nommer « guerre civi- mat de haine raciale. Des policiers annonçait l’attitude des Parisiens un national-socialisme, et le refus des accords Ces incertitudes identitaires expliquent- le » les événements récents n’est-elle pas de prenaient l’initiative de ratonna- qui, le 17 octobre, « aidèrent les d’Evian qui liaient la paix à la construction de elles la perpétuation de la violence ? mauvais augure ? des, implicitement encouragés par policiers dans leurs “ratonnades” liens nouveaux avec la France. Le dispositif de Les anathèmes prononcés par l’Algérie indé- Ne pas reconnaître la guerre civile des un préfet qui avait engagé les fonc- ou bien restèrent inertes face à la suspicion généralisée à l’égard du pluralisme pendante aussi bien en matière de langue années 1990, c’est dramatique car cela empê- tionnaires à porter dix coups violence et à la mort. » mis en place a fini par aboutir à la guerre civile (mise à l’écart du français et du berbère) que che d’envisager la réconciliation civile. Pour- « pour un coup donné ». Sa déci- Doctorante à l’Institut d’études des années 1990. Comme si cette violence de religion (départ des juifs et des chrétiens) tant, 50 ans après l’insurrection, on peut esti- sion d’imposer un couvre-feu aux politiques de Paris, Linda Amiri, cathartique récente exprimait tout ce qui était annoncent ceux lancés par les islamistes mer que le moment est venu de naître à la plu- Algériens, le 5 octobre, impose autre actrice de la remise en pers- resté caché dans l’histoire des institutions. contre « le parti de la France ». Or les Algériens ralité des histoires, d’en finir avec un récit une réaction du FLN, dont l’activi- pective du 17 octobre, montre Mais en réalité, depuis les débuts de la colo- ont gardé de l’enseignement du français non réduit à l’affrontement entre bourreaux et vic- té s’organise précisément le soir, comment le préfet Papon a organi- nisation avec leurs combats pour la terre jus- pas le message colonial, mais une réflexion times. Cela est possible, car au-delà de la après le travail à l’usine. sé dès 1958 à Paris les structures qu’au régime de Vichy, le pays a périodique- sur les droits et libertés. Beaucoup de nos désespérance des Algériens il y a la santé d’un MacMaster et House reconsti- destinées à juguler le FLN, mêlant ment été secoué par des guerres internes qui enseignants français étaient anticolonialistes. peuple qui dépasse l’affrontement. tuent le « dialogue » entre Moha- l’action psychologique (projec- n’ont fait que s’exacerber pendant la période Au début de la guerre, les militants de l’indé- Propos recueillis par Philippe Bernard med Zouaoui, alias « Maurice », le tions de films sur l’œuvre de la VIII/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE GUERRE ET VIOLENCES La torture, ou que faire de cet encombrant passé ? Depuis 2000, témoignages, articles et procédures judiciaires se succèdent en france, portant sur les pratiques de l’armée durant les « événements » d’Algérie. des pratiques amnistiées. mais l’amnistie n’induit pas obligatoirement l’amnésie

A torture en Algérie ne date guerre subversive à laquelle ils trature suprême, celui-là occupe- pas de 1957, année de la s’étaient trouvés confrontés. ra l’une des plus hautes fonctions L bataille d’Alger, ni même de Dans cette nouvelle guerre du au sein de l’armée. Tous, abon- 1954. Les exactions commencent renseignement qu’est l’Algérie, damment décorés, sont à l’abri dès 1830, quand les troupes fran- seuls comptent l’« efficacité » et des lois d’amnistie décrétées çaises débarquent à Sidi Ferruch, le « rendement ». La torture au après l’indépendance. Amnistie pour une expédition coloniale lon- sens large – car il faut y ajouter les signifie-t-elle amnésie ? Long- a Rafle dans gue de quarante ans. Pillages, car- innombrables « corvées de bois » temps on a pu le croire, mais ces la Casbah nages, incendies de maisons, (exécutions sommaires) et les dernières années ont prouvé le d’Alger, nuit rafles de civils à grande échelle, déplacements massifs de popula- contraire. du 26 au etc. La conquête de l’Algérie s’ac- tions – va crescendo. Le 10 août Le témoignage de Louisette 27 mai 1956. compagne d’actes de barbarie, les 1956 éclate la première bombe Ighilahriz, le 20 juin 2000, dans Le La « bataille documents d’histoire en attestent. « terroriste », rue de Thèbes, dans Monde, suivi des « regrets » du d’Alger » Extrait d’une lettre d’un soldat à la casbah d’Alger. Elle est le fait de général Massu le surlendemain, n’a pas sa famille en métropole : « Nous deux activistes européens – qui ne puis des premiers aveux du géné- commencé, rapportons un plein baril d’oreilles, seront jamais inquiétés – et fait ral Aussaresses, le 23 novembre mais le récoltées paires à paires sur les pri- près de 70 morts parmi la popula- 2000 (six mois avant la parution gouverne- sonniers. (…) Je lui fis couper la tête tion musulmane. Le FLN use aussi de son livre, Services spéciaux), ment de et le poignet gauche, et j’arrivai au des attentats aveugles. C’est l’en- vont provoquer un brusque retour Guy Mollet camp avec sa tête piquée au bout grenage. Le torture se généralise de la mémoire, le plus important a obtenu d’une baïonnette. (…) Je l’envoyai et s’institutionnalise, comme le depuis quarante ans. Pendant les « pleins au général Baraguay, qui fut reconnaîtra le général Massu, en deux ans, le débat s’installe en pouvoirs » enchanté. » Aujourd’hui encore, novembre 2000, dans Le Monde, France, dans la presse, à la radio pour les noms des généraux Monta- ce qui ne veut évidemment pas et à la télévision. Douze intellec- « ramener gnac et Turenne restent connus dire que toute l’armée française a tuels, parmi lesquels Noël Favreliè- l’ordre ». en Algérie pour leurs « enfuma- re (qui préféra déserter avec son des » de centaines de civils dans prisonnier, en 1956, plutôt que des grottes, en 1836 et 1837. Les Français sont procéder à une « corvée de e e Au XX siècle, comme au XIX , la bois »), le scientifique Laurent /’ « pacification » en Algérie passe divisés. Les uns Schwartz et l’ethnologue et  par la répression (comme en Indo- ancienne résistante Germaine  chine ou à Madagascar). Policiers, disent que mieux Tillion, ou encore l’avocate Nicole gendarmes, magistrats disposent Dreyfus, signent un manifeste de pouvoirs beaucoup plus impor- vaut tourner la appelant le président de la Répu- et des législatives de 2002. Le lea- mation en première instance et Que faire de cet encombrant tants qu’en métropole. Ils sont sur- blique et le premier ministre à der du Front national perdra son attend à présent l’appel qu’il a passé ? Les Français sont divisés tout totalement autonomes. Dès page. Les autres reconnaître l’utilisation de la tortu- procès en première instance, puis interjeté, prévu pour le 17 mars sur cette question. Les uns font 1947 et 1948, André Mandouze et re pendant la guerre d’Algérie et à en appel le 6 octobre 2004. 2005. L’ancien chef d’état-major a valoir que rien ne sert de Francis Jeanson s’alarment, dans rétorquent qu’on la condamner solennellement. La De son côté, Louisette Ighilahriz également été condamné, en pre- « remuer la boue » et qu’il faut la revue Esprit, de la situation qui parole se libère, et les écrits se poursuit l’ancien chef mière instance puis en appel, le « tourner la page ». Les autres prévaut dans les trois départe- ne peut le faire multiplient. d’état-major, le général Maurice 15 octobre 2004, pour avoir traité rétorquent qu’on ne peut la tour- ments français. Mais ils crient S’ensuit une cascade de procé- Schmitt, pour avoir, dans un débat un ex-appelé, Henri Pouillot, de ner sans l’avoir écrite et lue, ne dans le désert. En 1951, un ancien sans l’avoir lue dures. Le parquet poursuit le géné- télévisé en mars 2002, qualifié son « criminel ou menteur », après que serait-ce que par égard pour les résistant, le journaliste Claude ral Aussaresses pour apologie de livre, Algérienne, de « tissu d’affa- ce dernier eut évoqué les multi- victimes, puisqu’il n’y a plus de Bourdet, pose la question la torture. Il se retrouve condam- bulations » et son récit dans Le ples viols commis à la villa Sésini justice possible. D’autres encore « Y-a-t-il une algérien- torturé en Algérie. Dans certaines né en première instance, puis de Monde de « pseudo-témoignage ». en 1961 et 1962. Le général soulignent qu’établir la vérité, si ne ? » dans les colonnes de L’Ob- unités, aucune exaction n’a été nouveau en appel, le 25 avril 2003. Lieutenant puis capitaine pendant Schmitt a en revanche gagné en pénible soit-elle, permettra peut- servateur, et décrit les méthodes tolérée. Tout dépendait, en fait, Jean-Marie Le Pen poursuit Le la guerre d’Algérie, basé à l’école première instance, en mai dernier, être d’en tirer les leçons. Divul- en vigueur dans les commissa- du commandement. Monde pour avoir dévoilé son pas- Sarouy, centre d’interrogatoires à Marseille, une autre procédure guer, pour ne pas répéter… riats : électricité, baignoire, pen- Cette question de la torture sé de tortionnaire en Algérie, à la bien connu à Alger, le général pour diffamation, qu’il avait enga- daison et « un supplice qui semble « institution d’Etat » va marquer veille de l’élection présidentielle Schmitt sera condamné pour diffa- gée contre Henri Pouillot. Florence Beaugé nouveau, [la sodomie par] la bou- toute une génération, près de teille ». deux millions de jeunes Français En 1955, le gouvernement ayant servi en Algérie pendant les charge un inspecteur général de années de guerre. Tandis que le Aussaresses, entre menaces de ses pairs et félicitations ambiguës l’administration, Roger Wuillau- pouvoir politique joue les Ponce me, d’enquêter sur la réalité des Pilate, n’ignorant nullement ce ’IL y a une chose qu’il ne qui m’avait remis la croix de commandeur. Lui- Ses frères d’armes, des héros, seraient souvent sévices en Algérie. Ses conclu- qui se passe sur le terrain et même comprend pas, c’est bien cel- même en était titulaire. J’ai deux boîtes pleines de prêts à reconnaître ce qu’ils ont fait, mais leurs sions sont claires : « Toutes les poli- l’encourageant, l’armée se salit les S le-là : qu’on ait pu le sanc- décorations, mais il n’y en avait qu’une d’importan- épouses et leurs familles les en empêchent. « Elles ces » [gendarmerie, police judiciai- mains. L’affaire Audin, du nom tionner pour ce qu’il a dit, et pas te pour moi : la Légion d’honneur », soupire-t-il. leur disent : “Tais-toi, tu vas mettre la honte sur la re, police des renseignements d’un jeune mathématicien mort pour ce qu’il a fait. Le général Envisage-t-il de se lancer dans la publication famille.” Ce sont des culs bénis, des grenouilles de généraux] torturent » en Algérie, sous la torture, le 21 juin 1957 à Paul Aussaresses continue d’as- d’autres livres ? Cela dépend des jours. Parfois bénitier, des chaisières… » et ces « pratiques [sont] ancien- Alger, alors qu’il est aux mains des sumer « sans remords ni regrets » oui, parfois non, répond-il, un petit sourire en Plus ou moins réconcilié avec ses filles – elles nes », souligne-t-il dans son rap- parachutistes, va avoir un écho ses actes passés en Algérie, mais il a le sentiment coin. Ce vieux provocateur a encore des choses à ont du mal à lui pardonner ses révélations, qui port final. Ces procédés sont telle- considérable en métropole, parce d’une profonde injustice. Reconnu coupable dire, « mais pas sur l’Algérie » et, de toutes les ont été, d’après elles, à l’origine de la mort de ment « unanimement admis » que que la victime est européenne. d’apologie de la torture dans son livre, Services façons, assure-t-il, « je ne mouillerai personne ». leur mère –, le général Aussaresses vit désormais Roger Wuillaume suggère non de En dépit de la démission du pré- spéciaux Algérie 1955-1957, et condamné pour Encore que… Raconter les reproches, les mena- loin de Paris, dans l’est de la France. Il voyage les bannir – on risquerait dans ce fet Paul Teitgen, des avertisse- cette raison à 7 500 ¤ d’amende (tandis que ses ces et les intimidations de ses pairs de l’armée, ces beaucoup, participe à de nombreuses réunions cas de « plonger [la police] dans le ments répétés de certains « jus- éditeurs Perrin et Plon l’étaient à hauteur de trois dernières années, ne serait pas pour lui d’anciens parachutistes où il est « accueilli com- désarroi et la paralysie », dit-il –, tes », le général de La Bollardière, 15 000 ¤ chacun), le général (86 ans) attend pour déplaire. « Boucle-la ! », « SILENCE RADIO ! », me une légende », selon son épouse, une Alsacien- mais d’en autoriser quelques-uns les écrivains François Mauriac et le 9 novembre l’issue de son pourvoi en cassa- « Etouffe-toi ! », lui ont écrit ou téléphoné plu- ne médaillée de la Résistance à 17 ans, qui dit lors des interrogatoires à Alger. Pierre-Henri Simon, les historiens tion. Il estime qu’il n’a fait que « témoigner » – et sieurs généraux, tandis qu’un autre haut gradé veiller sur lui « comme une tigresse ». Aussaresses Comme le résume l’historien Henri Marrou et Pierre Vidal- qu’il sert aujourd’hui de « bouc émissaire ». entrait en contact avec ses filles pour tenter de le n’a-t-il pas été président national de l’UNP Pierre Vidal-Naquet dans son Naquet, notamment, ainsi que de Sa condamnation par la justice ? Dans le fond, faire mettre sous tutelle. (l’Union nationale des parachutistes) ? N’est-il ouvrage La Torture dans la Républi- nombreux témoignages écrits Aussaresses s’en moque. Une seule chose compte pas un ancien « Jedburgh », l’un de ces héros des que, « pour la première fois, un – en particulier ceux d’Henri Alleg vraiment à ses yeux : la suspension de sa Légion « ’        » forces spéciales alliées pendant la seconde guerre haut fonctionnaire de la Républi- (La Question) et de Robert Bon- d’honneur, prononcée en juin 2001 par le prési- Des secrets qui intéressent l’Histoire – s’il en mondiale ? N’a-t-il pas commandé le 11e Choc que, n’appartenant pas à la police, naud (La Paix des Nementchas) –, dent Jacques Chirac. Son grade de chevalier, il avait encore –, c’est au SHAT (Service historique (bras armé du service Action), dont il est resté proposait tout simplement de légali- la gangrène se répand aussi sur l’avait obtenu en 1948 pour ses exploits « dans le de l’armée de terre) qu’Aussaresses les a confiés, membre d’honneur ? ser la torture [abolie en France en l’autre rive de la Méditerranée. feu de l’action » pendant la seconde guerre mon- voilà maintenant trois ans, « avec garantie de confi- Partout où il passe, il est fêté, dit-il, et félicité. 1789] et de rétablir ce qu’on appe- A partir de septembre 1957, diale (notamment un parachutage derrière les dentialité » sur du long terme. « J’avais le droit et le « Ne vous faites pas d’illusions. On le félicite pour lait jadis, avant Louis XVI, le mais surtout en 1958, on applique lignes allemandes, en uniforme allemand). Son devoir de parler », répète-t-il obstinément, tandis ce qu’il a fait [utiliser la torture], et pas seulement “supplice de l’eau”, tout en y ajou- la « méthode algérienne » (eau et grade d’officier, il l’avait décroché en 1952 pour sa que son épouse fustige « ces femmes de généraux pour ce qu’il a dit », répond son épouse. Beau- tant l’usage plus moderne de l’élec- électricité) dans les locaux de la participation à la guerre d’Indochine. Et le plus qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas et veulent coup de ses anciens paras lui disent : “Si on cha- tricité ». Cette proposition fut DST, rue des Saussaies à Paris, ain- prestigieux, le grade de commandeur, il l’avait nous imposer le silence ». A en croire la nouvelle touillait un peu les types en Irak, ça fait long- énergiquement rejetée par Jac- si qu’à Lyon, notamment. Quatre obtenu en 1965 pour son rôle... pendant la guerre Mme Aussaresses – car le général s’est remarié en temps qu’on aurait retrouvé et libéré nos deux ques Soustelle, alors gouverneur victimes algériennes osent porter d’Algérie. juillet 2002, quelque temps après être devenu veuf otages français…” » général à Alger. plainte (restée sans suite) et en Sa sanction, le général Aussaresses la vit donc –, ce sont ces « bonnes femmes », pas leurs époux, Après les massacres d’août 1955 font le récit dans un livre, La Gan- comme « une plaie ouverte ». « C’était mon père qui critiquent Paul et lui reprochent d’avoir parlé. Fl. B. dans le Constantinois, l’armée grène, publié par les éditions de prend la relève de la police pour Minuit. Michel Debré, premier organiser la répression en Algérie. ministre de l’époque, qualifie l’ou- Appelés et rappelés sont mobili- vrage « d’affabulation totale »… sés en masse. Un certain nombre La guerre d’Algérie terminée, d’officiers de carrière mettent à beaucoup de tortionnaires notoi- Pourquoi si peu d’écho en Algérie ? leur tour en pratique les métho- res feront carrière, en toute impu- des (électricité notamment) rame- nité. L’un sera ministre, l’autre évoquer les tortures et les viols heurte l’opinion et les intérêts des gouvernants nées d’Indochine, la première député, celui-ci briguera la magis- ALGER de nos amnésies », déplore Abdelma- par l’armée française, les pertes sement de la population algérienne de notre envoyé spécial djid Merdaci, professeur de sociolo- humaines, l’éclatement des familles fait que les noms d’Aussaresses et De récentes tentatives de justification Le témoignage de la militante du gie à l’université de Constantine. entre les deux camps, les viols et les même de Ben M’hidi ne sont plus FLN Louisette Ighilahriz sur le viol Même si – ou peut-être parce que – tortures ont provoqué de tels déchi- guère familiers à la masse des Algé- Dans son numéro d’avril 2004, Le Casoar, revue trimestrielle des anciens des femmes et la torture par les mili- les manuels d’histoire sont saturés rements que le silence a souvent été riens. Saint-Cyriens, a publié un dossier de onze pages, non signé, intitulé « Torture, taires français (Le Monde du 20 juin d’images de violence, le poids des considéré comme la seule issue Les gouvernants, eux, ont une cas de conscience : le dilemme des deux immoralités », avec en sous-titre : 2000) durant la guerre, puis les souffrances du passé reste intériori- pour préserver les équilibres indivi- ultime raison de ne pas faire des cri- « L’éthique de responsabilité confrontée au terrorisme ». L’avant-propos qualifie aveux du général Aussaresses sur sé. « Le colonialisme, puis la confisca- duels et sociaux. Louisette Ighila- mes de l’armée coloniale un thème ce texte « d’étude approfondie, courageuse, mesurée » en dépit de son « caractè- les meurtres du dirigeant nationalis- tion des idéaux démocratiques se hriz, en rompant le silence sur le de mobilisation politique : rouvrir re dérangeant ». Malgré certaines précautions de langage et des « fausses bor- te Larbi Ben M’hidi après sa torture sont superposés pour intégrer la peur viol, a transgressé un tabou et… le dossier de la torture au moment nes », la thèse exposée propose ni plus ni moins de revenir sur la Convention et d’Ali Boumendjel, jusque-là pré- et l’anxiété dans le tableau clinique s’est attiré bien des foudres. où se précise la perspective de la internationale contre la torture de 1984 et d’accepter le recours à la torture, sentés par la France comme des sui- de la société algérienne », avait expli- Ces non-dits ont sans doute signature d’un traité d’amitié fran- « sous certaines conditions », ou de lui offrir « un cadre juridique », afin de lutter cides, ont suscité en Algérie de mul- qué le psychologue algérois Tahar contribué à la répétition du proces- co-algérien risquerait de heurter efficacement contre le terrorisme. tiples articles de presse. Pourtant, la Absi, lors d’un colloque à Paris sur sus de violence dans l’Algérie des l’ancien adversaire devenu partenai- Vingt-trois organisations ont signé une pétition adressée début juillet au question de la torture n’a pas don- les traumatismes de guerre (Le Mon- années 1990. Dans les sphères du re. Les jeunes chercheurs algériens président Jacques Chirac pour lui demander de « condamner fermement de tel- né lieu à un vaste débat national. Et de du 7 octobre 2003). pouvoir actuel, la discrétion sur la se plaignent que, depuis l’« affaire les théories » et de veiller à ce que la France « reste fidèle à l’image de patrie elle ne constitue pas un objet parti- L’ampleur et la nature de ces trau- mémoire de la torture à l’époque Aussaresses » en France, l’accès des droits de l’homme, qu’elle revendique ». Parmi ces organisations : La Ligue culier d’intérêt pour les historiens, matismes expliquent en partie ces coloniale renvoie à la crainte de aux archives sur ces questions a été des droits de l’homme, Amnesty International, L’Action des chrétiens pour ni un thème de mobilisation pour réticences. La destruction des villa- voir évoquer et dénoncer les métho- rendu plus difficile à Alger. l’abolition de la torture, la Cimade, la Fédération protestante. les politiques. ges et le déplacement forcé d’un des similaires utilisées contre les « En Algérie, on n’a pas dit le poids tiers de la population algérienne islamistes. L’exceptionnel rajeunis- Philippe Bernard LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/IX ALGÉRIE FIGURES

mohammed harbi, historien réputé de l’algérie, réfugié en france depuis 1973, assume son engagement nationaliste, mais il procède à un bilan sévère des dérives autoritaires du pouvoir algérien. et il s’attache à en comprendre les origines dans le fln « Longtemps, l’esprit de résistance fit taire mes critiques »

N 1954, vous avez 21 ans, vous étu- te que les autorités connaissaient nos pro- fondément car j’étais lié à des enfants qui voyais les clivages s’aggraver et, en 1958 et des règles et pas sur des formes de pres- diez l’histoire à Paris et codirigez le jets et préparaient une vaste opération de disparaissaient pour aller travailler à l’âge 1959, mon attitude, l’expression de mes sion. Je n’ai été suivi sur aucun de ces E collectif étudiant du MTLD, le parti police. Alors, même nous qui étions réser- de 10 ans. Si les idées socialistes de mes désaccords m’ont valu de passer deux fois points et cela ne me semblait pas de bon nationaliste de Messali Hadj. Qu’avez- vés sur la date de l’insurrection, nous nous professeurs du lycée de Philippeville en conseil de discipline. Lorsque j’ai dé- augure. vous vécu, ressenti le 1er novembre ? sommes dits : « Heureusement qu’ils sont (aujourd’hui Skikda) ont pris tout de suite, missionné de mes responsabilités au minis- 1957, c’est aussi l’année de l’assassinat En apprenant le matin à la radio ce qui partis ! » Nous pensions que si le peuple c’est que ces références sociales étaient là, tère des affaires étrangères, en 1960, j’ai d’Abbane Ramdane par d’autres diri- s’était passé en Algérie, j’ai ressenti un prenait en charge l’insurrection, elle pou- sous mes yeux. Nos parents nous avaient exprimé dans ma lettre mon « refus d’ac- geants du FLN. Est-ce un événement qui choc beaucoup plus qu’une surprise, car je vait réussir. Sinon, la répression s’abat- élevés dans l’idée de l’égalité, ils pensaient cepter la conception policière de l’action poli- a compté ? savais que la question de l’insurrection trait. Or nous vivions dans le souvenir brû- que l’émancipation viendrait par l’éduca- tique qui prévaut au sein du FLN ». Pour- Je l’ai appris en Allemagne, où la fédéra- était en débat : à la fin octobre, deux diri- lant de la répression des émeutes du 8 mai tion. Mais les gens de ma génération ne tant, même à cette époque, l’inquiétude tion de France du FLN s’était repliée, pres- geants du parti avaient débarqué à Paris et 1945 à Sétif et Guelma. croyaient plus aux petits pas. Nous vou- restait mêlée à de l’espoir. Je me disais que que un an après les faits, en septem- nous avaient pris dans un coin : « Nous Ces événements ont-ils déterminé lions l’indépendance du pays. ce n’était pas possible qu’une société se bre 1958. Des camarades de passage m’ont allons tenter de voir les frères au Caire pour votre engagement ? Dans votre lycée, l’engagement était la laisse faire. C’était peut-être un refus de la dit : « Ils ont assassiné Abbane » [lire page les convaincre de reporter la date de l’insur- Notre génération est arrivée après de règle ? réalité. VII]. On était au restaurant et ils parlaient rection, mais ils sont décidés. Si nous ne les grosses secousses. J’ai perdu plusieurs Le jour de la fête du Mouloud, on nous Avez-vous attendu d’être vous-même à voix basse, regardant de tous côtés com- faisons pas fléchir, vous prendrez vos respon- membres de ma famille en mai 1945 à Guel- obligeait à aller en classe. Nous, la minori- incarcéré pour perdre réellement l’es- me s’ils étaient épiés. A l’époque, je ne sabilités. » Le choc a été d’autant plus vif ma. Ensuite, il y a eu le trucage des élec- té d’élèves musulmans, nous faisions grève poir ? savais pas que le FLN avait déployé un que le parti vivait une scission entre les par- tions d’avril 1948. J’avais 15 ans, j’étais massivement. Le lycée où j’étais interne a Non, j’ai pensé quitter les sphères du incroyable dispositif policier pour espion- tisans de Messali et ceux qui voulaient pas- lycéen, je lisais Le Monde et La Tribune des été une pépinière de dirigeants nationa- pouvoir dans les années 1964, 1965. Mais ner. Je les ai crus sur parole parce que ser immédiatement à l’action armée. Nous nations et c’est à ce moment-là que je me listes depuis les années 1930. Nous avions ensuite, le coup d’Etat de Boumediène est c’étaient des amis, alors que le FLN préten- pensions que si on devait aller à l’insurrec- suis engagé. Mon grand-oncle était candi- des professeurs communistes et trotskistes arrivé, et partir aurait signifié abdiquer. Jus- dait qu’Abbane était mort « au champ tion, il fallait absolument être unis. Avec dat, favorable aux assimilationnistes. J’ai auxquels je rends hommage, mais notre qu’au bout, je suis resté dans une posture d’honneur ». Les Français avaient affirmé mes camarades, j’étais partagé entre une volé tous les bulletins de vote et je les ai activité politique était totalement clandesti- autoréflexive. Je n’avais aucune haine ni qu’il avait été assassiné mais nous pen- grande inquiétude et l’impatience de vivre jetés. Toute ma famille maternelle était ne. Tous les gens avec lesquels je militais mépris pour mes adversaires. Je souffrais sions que cette rumeur relevait de l’action des événements que nous attendions engagée depuis longtemps dans le nationa- étaient fils de fonctionnaires ou de pro- beaucoup de cette culture de la haine qui psychologique. Je savais donc que c’était depuis longtemps. lisme. priétaires terriens, les autres n’allaient pas s’est développée après l’indépendance, une éventualité mais j’avais du mal à le Pourquoi étiez-vous favorable au Vous militez aussi par une sorte de au lycée. La plupart de mes camarades comme pour donner une assise à un senti- croire : Abbane était le dirigeant qui avait report de l’insurrection ? fidélité familiale ? sont morts au maquis, ont séjourné en pri- ment national un peu fragile. réussi à faire du FLN l’interlocuteur de la Le parti était déchiré et je me disais que Je suis né dans une famille de propriétai- son ou dans des camps, tous ont fini par Qu’est-ce qui vous a empêché de deve- France. Son assassinat a joué un rôle de les choses devaient se faire de façon ordon- res fonciers et je crois avoir connu de très militer au FLN. nir un apparatchik ? catalyseur dans ma démission de la fédéra- née, rationnelle. Nous avons appris ensui- près la misère rurale. Cela me touchait pro- La problématique démocratique, Etant donné la famille d’où je venais et tion de France en 1958. essentielle pour vous aujourd’hui, était- les études que j’avais faites, je ne cherchais Depuis votre exil en France, en 1973, elle déjà présente ? pas dans la politique un moyen d’ascen- vous vous êtes imposé comme un histo- a Mohammed Harbi, militant FLN, puis emprisonné par les siens, aujourd’hui historien Nous parlions de démocratie, mais sion sociale. J’ai avalé beaucoup de couleu- rien reconnu. Peut-on être historien de en France. Il est le premier à avoir entrepris une historiographie critique « de l’intérieur ». c’était un discours destiné à être opposé vres en pensant que, le jour où nous sa propre histoire ? aux Français, la question des libertés indivi- serions plus nombreux à nous opposer, les Mon premier livre d’histoire, Aux origines duelles n’était pas fondamentale. Nous choses changeraient. Malheureusement, la du FLN, était partisan, militant. Par la sui- n’admettions pas que des gens aient suite m’a montré que le pouvoir qui s’était te, j’ai vu ces défauts et j’ai tout fait pour d’autres opinions que nous, nationalistes. installé en Algérie avait une capacité d’inté- dépasser les implications personnelles et En quelque sorte, nous avions repris à la gration ou de désintégration de ses adver- faire œuvre d’historien, n’ajoutant de com- religion sa démarche. Dans la tête des mili- saires exceptionnelle. mentaires personnels qu’en les signalant tants, le principe de la souveraineté popu- Quand avez-vous pris conscience de comme tels. J’adopte cette démarche parce laire, que nous défendions, signifiait avant cette capacité du parti à broyer les gens ? que je trouve que la chose la plus dure en tout le rejet de la domination étrangère et A partir du moment où, en 1957, j’ai com- Algérie, c’est que chacun fait son discours l’exigence d’un Etat. mencé à me poser la question du rapport mais personne ne dialogue. Les Algériens Quand avez-vous changé ? entre la fin et les moyens. Jusque-là, je mili- sont parfaitement capables de discuter Nous avons été quelques-uns à changer tais dans l’esprit de 1789, comme un jaco- avec des étrangers, mais pas entre eux. Si dès le lycée parce que nous avions des bin habité par la nécessité d’assurer le j’adoptais la même démarche, je n’aiderais enseignants marxistes qui attiraient notre changement. La Révolution française me en rien à changer les choses. Ce que je n’ai attention sur les limites du nationalisme. servait à justifier certaines formes de ter- jamais cessé de rechercher. Mon professeur d’histoire, Pierre Souyri, a reur. Petit à petit, en réfléchissant au cas été un pilier de Socialisme et barbarie. de l’Union soviétique, je me suis rendu Propos recueillis par Philippe Bernard Mon professeur de lettres, Jean Jaffré, était compte qu’une révolution sans assises au PC. C’est essentiellement grâce à eux démocratiques finit par avaler ses propres que la problématique démocratique a tou- enfants. MOHAMMED HARBI a occupé des fonctions ché certains élèves. Mon militantisme en a Pourquoi situez-vous en 1957 cette pri- importantes au FLN durant la guerre. Devenu été profondément marqué. se de conscience ? opposant, il a été emprisonné, en 1965, A quel moment de votre itinéraire Cette année-là, j’avais demandé à ce par le régime algérien. En France depuis 1973, avez-vous compris que vous ne seriez qu’on arrête les attentats entre Algériens, il est professeur à l’université Paris-VIII.

/ pas du côté des vainqueurs ? les violences contre les messalistes. J’avais Il a récemment publié des Mémoires Longtemps, l’esprit de résistance nous a demandé aussi que la contribution financiè- (La Découverte, 2000) et La Guerre d’Algérie soudés et fait taire mes critiques. Mais je re des Algériens à la Révolution repose sur (avec B. Stora, Robert Laffont, 2004).  Maurice et Houari, des années folles d’Oran aux retrouvailles khaled a réuni deux amis musiciens, l’un juif, l’autre musulman, inventeurs du « swing arabo-andalou » oranais des années 1950

RAN, 1954. C’est encore le qui avaient débarqués en novem- sante majorité des artistes algériens, tête de la station régionale d’Oran C’est Khaled, le chanteur de raï, diquement, à travailler ensemble. temps de l’amour, des bre 1942 à Oran m’avaient initié au espère que son pays va accéder à l’in- de la RTA (radiodiffusion et télevi- qui a pensé les réunir à nouveau à Jusqu’à sa mort, Reinette « l’oranai- O copains et de l’aventure pour jazz, au boogie woogie et à la dépendance. A vrai dire, Maurice sion algérienne), avant de diriger, à Paris. Pour enregistrer avec eux, un se » insistait pour que des musiciens Maurice et Houari, jeunes trentenai- rumba. » aussi. Mais, contrairement à ses Alger, en 1967, le Théâtre national. demi-siècle plus tard, une nouvelle comme le pianiste Mustapha Skan- res, deux de la médina qui Fêtes juives ou musulmanes, les amis musulmans, une crainte pro- En 1970, il participe, durant sept version de H’mama : « C’était émou- drani, ou le violoniste Abdelghani, partagent deux passions : la musi- deux amis animent des orchestres, fonde l’accompagne déjà. « Il y avait mois, à l’animation de l’Ensemble vant, admet Maurice El-Médioni, l’accompagnent dans ses concerts, que en général, et américaine en par- reprenant des standards français ou le problème du Proche-Orient. Avec musical algérien, qui se produisait à mais aucun de nous deux n’a pleuré. en France comme ailleurs. Line Mon- ticulier, et l’envie de plaire à toutes américains. Ensemble, ils créent un Blaoui, on évitait de parler d’Israël. l’Exposition universelle d’Osaka, au On est resté comme à l’époque ty, Lilli Boniche ou Salim Hellali ont les filles de la Terre. L’un est juif, « style oranais », mêlant swing et Mais je savais qu’après l’indépendan- Japon. De retour en Algérie, Blaoui d’Oran. C’est l’épouse de Blaoui, une fait de même. Aucune de leurs chan- l’autre musulman. Mais, dans la ville sons arabo-andalous. Quand, en ce, le problème de mon peuple et d’Is- transite par Paris. Premières retrou- femme apparemment attachée à la sons n’évoque la guerre ou la sépara- cosmopolite, la seule ligne de 1950, Blaoui El-Houari est nommé raël se poserait pour les juifs algé- vailles. « J’accompagnais alors Samy religion, qui porte le hidjab, qui a tion forcée, mais dans leur répertoi- démarcation est celle qui sépare chef d’orchestre à l’Opéra d’Oran, riens… » El-Meghribi et Salim Hellali. Bien sur, pleuré pour nous deux. “Il m’a telle- re commun la nostalgie de l’Anda- riches et pauvres. Tous deux enfants où se produisent nombre d’artistes L’indépendance : elle va, très dou- Houari s’est joint pour jouer avec ment parlé de vous” m’a-t-elle dit », lousie recouvre désormais une autre de prolos, Blaoui El-Houari et Mau- de musique traditionnelle, arabo- loureusement, séparer Maurice et nous. Ce fut une soirée magnifique », confie-t-il, ému. perte : celle de l’Algérie multiconfes- rice El-Médioni forment un duo Houari. Le premier, après un bref dit Maurice. Le contact renoué, les Séparés à l’indépendance du pays, sionnelle. digne des héros de bandes dessi- « L’épouse de séjour en Israël, s’installe en France. deux amis s’écrivent, se télépho- nombre de musiciens juifs et musul- nées de l’époque. Blaoui El-Houari est nommé à la nent. Mais ils ne se voient plus… mans d’Algérie ont continué, épiso- Tewfik Hakem Houari est beau comme un acteur Houari, qui porte des studios de cinéma du Caire, Mau- le hidjab, a pleuré rice drôle comme personne. La place pour nous deux » Sidi Blel, dans le quartier populaire  - de M’dina Jdida, où habite Houari, et la rue de la Révolution, au cœur Mekhloufi, « moudjahid du ballon rond » du quartier juif, où vit la famille de Houari et Maurice Maurice, sont à un quart d’heure de un mois avant la coupe du monde de 1958, le zidane de l’époque rejoint le fln marche. Les deux amis sont toujours ont enregistré fourrés l’un chez l’autre. « Le vendre- avec Khaled une N avril 1958, l’équipe de secret. Parmi eux, deux mem- natif de Sétif, ville martyre qui matches pendant quatre ans di était jour de repos pour les musul- nouvelle version France se prépare à partici- bres de l’équipe de France : le fut le théâtre d’émeutes nationa- contre des « sélections » étrangè- mans. Pour les juifs c’était le samedi. de H’mama E per à la Coupe de Monde, en défenseur monégasque Mousta- listes réprimées dans le sang en res n’ayant pas le label d’équipe Mais pour nous tous, le dimanche, Suède, où elle va d’ailleurs brillam- pha Zitouni et l’attaquant stépha- mai 1945. nationale en raison du refus de la c’était juste le jour où l’on se retrou- ment s’illustrer. Dans ses rangs, nois Rachid Mekhloufi – qui, un Fédération internationale (FIFA) vait », résume Maurice El-Médioni, andalouse et même moderne, il un footballeur de 22 ans à qui cha- an auparavant, a largement contri- « La Coupe du de reconnaître ces footballeurs en aujourd’hui installé à Marseille. engage immédiatement Maurice cun prédit une carrière brillantis- bué au premier titre de champion exil. A l’indépendance, amnistie Dans les années 1940, le père de El Médioni. En 1954, les deux amis sime : Rachid Mekhloufi. Le 15, la de France de son club. monde ? Ce n’était oblige, Mekhloufi revient comme Blaoui El Houari tenait un café, ont déjà fait, ensemble, plusieurs nouvelle tombe comme un coup Mekhloufi est l’étoile montante rien en regard Algérien à Saint-Etienne. Avec les Chez Tazi, situé à l’angle du Bain de tournées en Algérie. La presse leur de tonnerre : une dizaine de foot- du foot français. Enrôlé à l’épo- de mon pays » Verts, il remportera trois titres de l’Horloge, à l’entrée du quartier juif. consacre des articles élogieux. Houa- balleurs algériens du champion- que au bataillon de Joinville (uni-   champion (1964, 1967, 1968) ainsi Maurice y rencontre pour la premiè- ri s’apprête à enregistrer H’mama, nat de France ont fui vers Tunis, té de l’armée composée de spor- qu’une Coupe de France (1968) re fois son ami musulman : « Blaoui « colombe », une des plus belles pour rejoindre le FLN ! « Patrio- tifs d’élite), champion du monde dont il sera le héros en marquant jouait, à l’accordéon ou à la guitare, chansons d’amour dans le style tes conséquents, plaçant l’indépen- militaire sous les couleurs fran- Rejoints en 1959 et en 1960 par deux buts en finale contre Bor- des vieux standards de raï qu’il adap- moderne oranais. « Les ennuis sont dance de leur patrie au-dessus de çaises, le fuyard, devenu déser- une vingtaine d’autres joueurs ori- deaux (2-1). tait merveilleusement aux musiques venus après. Quand la guerre éclate, tout », comme le proclame alors teur, risque la cour martiale. « La ginaires d’Algérie, ces moudjahi- Des regrets ? « Aucun. Nous de l’époque » se rappelle Maurice, les nationalistes algériens nous ont un communiqué du Front, ces Coupe du monde ? Bien sûr que j’y dins du ballon rond vont consti- étions des militants, des révolution- qui, lui, est pianiste. « Moi aussi, demandés de ne plus jouer pendant joueurs, issus d’Angers, Lyon, ai pensé. Mais ce n’était rien en tuer, à Tunis, l’ossature d’une naires au service du peuple. C’était ajoute-t-il, j’étais attiré par la musi- les fêtes françaises », dit-il. Monaco, Saint-Etienne, Toulouse, regard de l’indépendance de mon « équipe du FLN ». « Outil de la nos plus belles années. » que américaine. Les GI et les marines Blaoui El-Houari, comme l’écra- se sont envolés dans le plus grand pays », expliquera plus tard ce révolution », elle va multiplier les F. P. X/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE figures Jean-Jacques Susini, de l’OAS au Front national il fut le mentor du général salan, chef des « putschistes » contre de gaulle en 1961, puis le chef de l’OAS, les commandos terroristes de l’algérie française. deux fois condamné à mort, à 71 ans, après une carrière au fN, il ne renie rien de son passé

’ALGÉRIE illustre les affinités qui relient l’ex- détermination », il revendique avec dirigent, Susini dispose de l’appui la « trahison », une accusation dont tâche n’a rien d’exaltant. L’ex-père française trême droite d’aujourd’hui à celle emphase cette filiation : « Je dési- d’un groupe d’étudiants activistes, Susini mit longtemps à se remettre. Joseph de Salan supporte mal L n’est pas d’hier, le FN à l’OAS. rais (…) réconcilier le mouvement le Front nationaliste (le FN, déjà…) Réfugié cinq ans en Italie, il est l’autoritarisme de Le Pen et ses morte. L’extrê- Jean-Jacques Susini est né le d’émancipation sociale qui secoue le et de sa branche militaire, les condamné deux fois à mort par maladresses, même si sa fidélité me droite culti- 30 juillet 1933 à Alger, dans une monde entier et le fait national. J’ai « commandos Z ». Il bénéficie sur- contumace, la première comme diri- demeure. La rupture du « chef » ve toujours son famille corse. Son père, un chemi- tenté (…) d’établir la synthèse généra- tout de la confiance de Salan, chef geant de l’OAS, la seconde pour avec Bruno Mégret déclenche une souvenir, sur- not auprès duquel il a peu vécu, est le de ces deux courants qui ont suprême de l’OAS, dont il est la plu- avoir été l’un des instigateurs de guerre fratricide dans les Bouches- tout dans le plutôt de gauche et optera pour l’in- secoué le XXe siècle. » Autrement dit me et le mentor. Habitué aux facili- l’attentat manqué contre de Gaulle du-Rhône, où Susini a été nommé Midi, où nombre de rapatriés ont dépendance de l’Algérie. La figure le nationalisme et le socialisme. tés de son rang plus qu’aux désagré- au Mont-Faron, à Toulon en 1964. en octobre 1998 secrétaire de la pris souche. Cette mémoire doulou- tutélaire est la grand-mère mater- Elève des jésuites au collège ments de la clandestinité, l’ex-géné- Rentré en France après l’amnistie fédération, en même temps qu’il reuse et revancharde a poussé Jean- nelle, corse elle aussi, qui pleurait Notre-Dame-d’Afrique d’Alger, ral d’armée est sous la coupe d’un de 1968, il est arrêté en 1970 puis entrait au bureau politique du par- Marie Le Pen à confier, en 1997, la « en écoutant Mussolini à la radio ». Susini est étudiant en médecine en étudiant de 28 ans dont il loue remis en liberté en juillet 1971. La ti. Les effectifs locaux fondent, l’ar- direction du Front national dans les Le grand-père maternel, dont l’as- métropole lorsque surviennent les l’énergie, la dialectique et les justice le soupçonne d’être le com- gent manque. Susini, à contre- Bouches-du-Rhône à Jean-Jacques cendant n’est pas moindre, rejoin- événements de mai 1958. En talents d’organisateur. manditaire de hold-up commis sur emploi, se lasse de jouer les missi Susini. Figure emblématique de dra la Légion des combattants de novembre 1959, de retour au pays, Officiellement chargé de l’action la Côte d’Azur au nom de l’OAS. Il dominici, comme il se lasse vite de l’OAS, l’Organisation armée secrète Vichy. il est élu président de l’Association psychologique et de la propagande est acquitté en février 1974 par la son siège de conseiller régional, où qui s’opposa, jusqu’au bout, à Même s’il a adhéré un temps au générale des étudiants d’Algérie, en au conseil supérieur de l’OAS, un il a été élu en 1998. La politique l’« abandon » de l’Algérie françai- RPF, le parti gaulliste d’après la même temps qu’il adhère au Front poste taillé à sa mesure, Susini est locale lui paraît fade, lui qui a se, deux fois condamné à mort, Libération, Susini doit beaucoup à national français de Jo Ortiz, le plus que cela. Il a des relations étroi- Il revendique tutoyé l’histoire. Susini, devenu chef d’entreprise, ces influences. En 1960, lors du pro- patron poujadiste de la Brasserie tes avec le lieutenant déserteur Ses scores à Marseille, au second n’était pas fait pour le rôle et a fini cès des « barricades », dressées à du Forum, auprès de qui il participe Roger Degueldre, le chef des redou- son passé de tour des législatives de 1997 par renoncer. Mais son itinéraire Alger par les opposants à l’« auto- à la semaine des « barricades ». La tables commandos « Delta », bras (41,63 %) et des cantonales de 1998 rencontre avec Le Pen date de cette armé de l’organisation. Il veille à terroriste comme (32,91 %), sont conformes à époque, puis leur amitié, que le tout, supervise tout, jusqu’à deve- l’audience du FN. Un autre que lui Ce que fut l’Organisation armée secrète (OAS) temps ne démentira pas. nir le patron de fait de l’OAS à un « honneur » aurait fait aussi bien. En mars 2004, Transféré à la prison de la Santé Alger, après les arrestations succes- au terme de son mandat de b Référence. L’OAS se veut l’héritière sont Paul Vanuxem, André Regard, à Paris après l’échec du soulève- sives de Degueldre et de Salan, au conseiller régional, Susini, qui a 70 de l’Armée secrète de l’Occupation. Pierre Sergent et enfin André Canal. ment, Susini écope de deux ans printemps 1962. cour d’assises des Bouches-du-Rhô- ans et plus d’autre responsabilité Ses membres se voient comme Fixée en Espagne, sa troisième d’emprisonnement avec sursis. Celles-ci lui ont porté un coup ne, mais il était retourné en prison au Front depuis la fin 1999, rentre à des résistants et usent, comme eux, branche (Antoine Argoud, Avant même sa condamnation, il a décisif ? Qu’importe ! Susini va ten- en octobre 1972, d’où il sortira en Paris, jurant mais un peu tard… de pseudonymes (Raoul Salan Pierre Lagaillarde, Joseph Ortiz…) fui à Madrid où le pouvoir franquis- ter un « coup » qui lui ressemble, septembre 1974, après la dispari- Orateur précieux et intarissable, est « Soleil » dans la clandestinité). ne reconnaît pas l’autorité d’Alger. te ferme les yeux sur les intrigues mélange d’utopie révolutionnaire tion inexpliquée du colonel Ray- c’est en public qu’il donnait le Successeur de Jean Moulin b Victimes. L’OAS est responsable du général Raoul Salan et de la poi- et de réalisme froid. Si l’indépen- mond Gorel, le trésorier de l’OAS. meilleur de lui-même. Pieds-noirs à la tête du Conseil national d’environ 2 000 assassinats gnée de comploteurs qui refusent dance de l’Algérie est inéluctable, il Susini, qui nie avoir été mêlé à ce dans leur majorité, militants et élus de la résistance, Georges Bidault en Algérie, dont 85 % de musulmans. le « bradage » de l’Algérie. C’est faut en tirer parti. Ainsi, dans la probable assassinat, bénéficie méridionaux du FN aiment s’enten- crée en 1962 un CNR-OAS dont On lui doit de nombreux attentats dans la capitale espagnole, au désolation des ultimes soubresauts d’une ultime amnistie en 1987, à la dre dire que « le combat en Afrique il justifie l’appellation dans et vols d’armes en métropole début de l’année 1960, que naît le de l’Algérie française, échafau- veille de comparaître aux assises. du Nord n’est pas terminé ». Surtout D’une résistance à l’autre (18 explosions de plastic à Paris sigle OAS, « inventé » par Susini et de-t-il, via Abderrahmane Farès, le Après avoir repris ses études de par un homme qui revendique son (Les Presses du siècle, 1965). pour la seule nuit du 17 au Pierre Lagaillarde, figure de proue président de l’exécutif provisoire médecine, il entre dans la vie active passé de terroriste comme un b Trois branches. L’OAS-Algérie 18 janvier 1962). Les domiciles du 13-Mai et de la semaine des algérien né des accords d’Evian, un à 48 ans, comme cadre d’une entre- « honneur ». A l’évocation de ce (un millier de « combattants », du directeur du Monde, « barricades ». accord FLN-OAS destiné à arracher prise parisienne de sécurité, qu’il a combat, les foules frontistes enton- 3 000 militants) est sous l’autorité Hubert Beuve-Méry, et L’Organisation armée secrète ne aux vainqueurs des garanties pour rachetée et revendue depuis. nent Le Chant des Africains, l’hym- d’un Conseil supérieur commandé de trois de ses journalistes prendra réellement son essor les Européens qui choisiraient de C’est en 1997 que « l’ami de tou- ne de l’Algérie française. Pour elles, par Salan. Ses subordonnés (dont Jacques Fauvet) seront qu’après l’échec du putsch rester en Algérie. La manœuvre jours », Jean-Marie Le Pen, le tire ces valeurs-là sont éternelles. à la tête de l’OAS-Métropole plastiqués en 1962. d’avril 1961. Pour s’imposer parmi tourna court, tandis que les activis- de l’oubli, en l’envoyant défendre les généraux et les colonels qui la tes les plus intransigeants criaient à les couleurs du FN à Marseille. La Bertrand Le Gendre Le « porteur de valises » est désenchanté, pas amer « on a été éthiques plus que politiques. idiots, mais aussi utiles », dit Jean-Marie Boëglin, qui créa en 1959 un réseau de soutien au FLN. « je n’ai pas su déjouer les pièges du nationalisme », regrette cet ex-adhérent fervent DE la « révolution algérienne »

L ne déteste pas les formules, sait de quoi il parle. De la « Révolu- « Tout ce que racontent Hamon et propre réseau. En quelques semai- « évadées de la Petite-Roquette » : tion de jouer les pièces en arabe litté- pourvu qu’elles soient drôles. Cel- tion algérienne », il est revenu Rotman est exact. » nes, c’est chose faite. quatre « porteuses de valises » que raire (difficilement compréhensible I le de Lénine, qui qualifiait cer- depuis longtemps. De l’Algérie, pas Ne manquent, peut-être, que ces Le réseau Boëglin, fort d’une cin- les réseaux militants ont réussi à fai- du grand public, contrairement à tains des étrangers, supporteurs de tout à fait. « Je suis désenchanté, « cauchemars » et ces « fantômes », quantaine de personnes, fonctionne re sortir de la prison (aujourd’hui l’arabe dialectal et au français) ne le la révolution russe, d’« idiots uti- c’est vrai. Mais pas désengagé. » dont il a mis lui-même des années à en cellules qui n’ont aucune relation détruite) de la rue de la Roquette, choque pas outre mesure. Pas plus les », l’a toujours amusé. Jean-Marie Dans leur livre, Les Porteurs de vali- reconnaître l’existence. Il n’a pas été entre elles. Lui-même n’a de dans le 11e arrondissement de Paris. que le mépris où sont alors tenues Boëglin sourit. Un « idiot utile », ses (Albin Michel, 1979), Hervé seul. Au moment où Les Porteurs de contacts qu’avec les chefs de cellule En juin 1961, la petite bande arrive à les femmes qui souhaitent faire du c’est bien ce qu’il a été, lui aussi ! Hamon et Patrick Rotman ont valises ont été publiés, le mythe – à charge, pour ces derniers, de Tanger, puis gagne la capitale, théâtre leur métier. Chef du réseau lyonnais des « por- raconté l’histoire de ces Français de d’une Algérie démocratique et popu- recruter leurs propres troupes et Rabat, – où Boëglin obtient le statut « La profession de comédienne ou teurs de valises » à la fin des années l’ombre, qui ont, dès février 1956, laire était encore prégnant au sein d’organiser l’action clandestine. de réfugié politique. de danseuse était alors, comme en 1950, exilé au Maroc en juin 1961, aidé les militants algériens du FLN, de la gauche française. Longtemps, Comme d’autres exilés, eux aussi Europe au début du siècle, plus ou puis installé en Algérie de hébergeant clandestinement ses res- Jean-Marie Boëglin y a cru, lui aussi. condamnés par la justice française, moins assimilée à la prostitution ou, juillet 1962 à juin 1981, l’ancien ponsables ou transportant des C’est aux côtés de son père, un « Au fond, j’ai fait il aurait pu rentrer en France en plus exactement, au métier de courti- « pied-rouge », ami de l’écrivain fonds, voire des armes. Boëglin et cheminot de Chalon-sur-Saône, res- 1966, année où l’amnistie est accor- sane », reconnaîtra-t-il en 1995, lors Kateb Yacine et cofondateur du son réseau lyonnais y sont cités, ponsable FTP (francs-tireurs et parti- ça par égoïsme, dée. L’idée ne lui plaît pas. « Qu’on d’un colloque en France. De même, Théâtre national algérien (TNA), bien sûr. Ce dernier confirme : sans) pendant la seconde guerre nous mette, nous, les anticolonialistes sur la question des harkis, il avoue mondiale, que le futur « porteur de pour ne pas avoir qui avaient aidé l’Algérie, sur le s’être réveillé bien tard, ayant long- valises » a fait ses premières armes. même plan que l’OAS, ça m’a mis temps minimisé l’ampleur des repré- a C’est avec ces En 1945, à la Libération, il a 15 ans honte de moi » hors de moi, explique-t-il. J’ai boudé sailles. De cet « aveuglement » tena- faux papiers que et s’inscrit « tout naturellement » l’amnistie. » Installé à Alger au lende- ce, Jean-Marie Boëglin ne tente pas Yacoubi Ahmed, aux Jeunesses communistes. Il en J-M B main de l’indépendance, il décide de se disculper : « Aujourd’hui, com- alias Jean-Marie est exclu deux ans après, sous l’accu- d’y rester. « C’était le temps des uto- me beaucoup d’autres, je me sens Boëglin, homme de sation d’« anarchisme ». En 1951, il pies, des turbulences, le temps de complice et victime », ajoute-t-il. théâtre et membre rencontre l’acteur et metteur en scè- Comme nom de guerre, Boëglin l’Afrique. Che Guevara nous rendait Complice de m’être accommodé du du réseau Jeanson, ne Roger Planchon, qu’il rejoindra choisit celui d’Artaud – clin d’œil à visite. Nous avons cru vivre une épo- discours dominant sur “la religion, fer condamné par plus tard à Lyon, quand sera créé le Antonin Artaud, le dramaturge. que nouvelle et contribuer à la nais- de lance de la résistance au colonialis- contumace à dix Théâtre de la Cité de Villeurbanne, Son réseau, qui travaille en liaison sance d’un homme nouveau ! », rap- me”. Victime aussi, parce que je n’ai ans de réclusion en et un comédien algérois, Mohamed avec les équipes de Francis Jeanson, pelle-t-il dans Alger, chronique urbai- pas su déjouer les pièges du nationalis- 1960, passera du Boudia, avec qui il se lie d’amitié. puis avec celles d’Henri Curiel, sem- ne (Bouchène, 2001), le livre de son me – que j’habillais, moi, le “petit Maroc en Algérie Passionné de théâtre, le jeune pro- ble rôdé. Jusqu’à ce jour de novem- ami l’architecte Jean-Jacques Deluz, blanc” culpabilisant, de toutes les ver- en août 1962 vincial ne connaît presque rien de bre 1960, où un militant algérien est lui aussi installé à Alger. tus… ». (ci-dessous, l’Algérie. En 1956, son « job » de arrêté et retourné par la police. Plu- Pour le « pied-rouge » Jean- Dans l’appartement grenoblois, à Tlemcen après journaliste à L’Union de l’amè- sieurs membres du réseau lyonnais Marie Boëglin, ces années algéroi- quai de France, où il vit désormais, son arrivée). ne à couvrir « toutes les manifesta- sont jetés en prison. Ils y resteront ses sont belles. Il ne veut pas voir les Jean-Marie Boëglin a accroché deux tions de rappelés » : dans plusieurs vingt-huit mois. Lui-même, filant lézardes qui menacent l’édifice. tableaux de Baya, la grande peintre villes de France, les trains assurant d’une cache à l’autre, de Paris à Après avoir participé, en 1963, aux algérienne, aujourd’hui décédée. le transport des troupes pour l’Algé- Milan en passant par Megève, suit côtés de son vieil ami Mohamed « Tout compte fait, je ne m’en veux rie sont sabotés. En 1957, alors qu’il de loin, par journaux et informa- Boudia, à la création du TNA, il pas : on était des gens éthiques, plus a rejoint Planchon à Villeurbanne, il teurs interposés, le déroulement du prend la direction de la section d’art que politiques. Et si on a été idiots, on apprend la mort d’un des responsa- procès de ses amis. dramatique de l’Institut national de a aussi été… utiles. Malgré tout ! » bles du théâtre de la cité universitai- « Un jour, le juge a demandé à formation dramatique et chorégra- re de Grenoble. Le jeune homme, quoi servaient les sacs de ciment que phique de Bordj El-Kiffan. L’obliga- Catherine Simon Kader, avait été « emmené à Lyon, la police avait trouvés, rangés dans rue Vauban, et torturé à mort », se une des planques de l’organisation. Je rappelle Jean-Marie Boëglin. C’est ne sais même plus si quelqu’un lui a Ce que fut le « réseau Jeanson » le déclic. Sans trop réfléchir, il pro- répondu », lâche-t-il, avec un rire pose ses services aux amis algériens nerveux, terrible. Lui, il savait ! Combien furent-ils ? Le secret est, jusqu’à ce jour, bien gardé. Quelques dizai- de Kader. La machine est lancée. Rétifs ou trop lents à payer leurs nes de vrais activistes, quelques petites centaines de collaborateurs, pas plus : « Au fond, je suis devenu porteur cotisations au FLN, bien des Algé- communistes en rupture de ban, chrétiens de gauche anticolonialistes – on de valises par égoïsme. Pour ne pas riens sont morts pour l’exemple. Les comptera plusieurs prêtres dans leurs rangs –, militants des droits de l’homme avoir honte de moi », s’esclaffe-t-il pieds coulés dans le ciment. « Si les avant l’heure. De 1957 à 1961, les membres du « réseau Jeanson », organisés en aujourd’hui. Pendant plusieurs eaux du canal de Jonage pouvaient petits groupes clandestins et cloisonnés en France, aideront le FLN sans trop mois, il sert de « facteur » aux mili- parler… », s’écrie Jean-Marie poser de questions sur les missions qui leur sont confiées : transmission de tants du FLN de la « willaya III » Boëglin, la voix cassée soudain. messages, transport de fonds, d’armes – d’explosifs, parfois. française, qui regroupe la vallée du A l’issue du procès, il est condam- A leur tête : Francis Jeanson, spécialiste de Jean-Paul Sartre (il avait publié Rhône et les Alpes. En 1959, à la sui- né par contumace à dix ans de pri- un Sartre par lui-même dès 1955), et Henri Curiel, compagnon de route du com- te d’une vague d’arrestations, à son et à la privation de ses droits munisme et militant anticolonialiste. Le 1er octobre 1960, Jeanson sera condam- Lyon et dans la région, de militants civiques. C’est Jeanson qui le né par contumace à dix ans de prison, lors du célèbre procès de son réseau. algériens et de Français qui leur ont convainc, lors d’une brève rencon- Curiel, arrêté peu après, sera libéré en juillet 1962 sans avoir été jugé. Il sera apporté leur aide, le FLN suggère à tre à Bruxelles, d’accompagner clan- assassiné en mai 1978 à Paris ; ses meurtriers n’ont jamais été retrouvés. Jean-Marie Boëglin de former son destinement jusqu’au Maroc les LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XI ALGÉRIE IMAGES Retour aux sources Soldat en Kabylie de 1960 à 1962, Marc Garranger a pris des milliers de clichés de militaires, de combattants du FLN et surtout des populations locales. il y est retourné Pour « le monde », à la recherche de ceux que son objectif avait happés, il y a 44 ans

ARFOIS, ses yeux s’embuent. La voix, brusque- merie algérienne. Il a rencontré le fils de Bouakli, le était partagé entre l’enthousiasme – revoir les lieux et celle de Marc Garranger. Il a 15 ans en 1950, lorsqu’il ment, se voile. Ou, quelques secondes, au bord commissaire politique du FLN – capturé, torturé et les gens qui ont marqué, dit-il, « l’expérience fonda- commence à « shooter » de-ci de-là avec un vieux Fol- P d’être envahi, il s’arrête de parler. L’émotion décédé dans la caserne où lui, Marc, servait. Le fils mentale » de sa vie –, l’inquiétude – qui retrouverait- ding 6 × 9 de 1935 appartenant à ses parents. L’adoles- remonte, trop forte. Marc Garranger revient d’Algérie. avait alors 7 ans, et il n’avait jamais cette dernière pho- il ? – et une certaine anxiété : comment se passeraient cent adore ça. A 17 ans, son père lui offre un Focca Il a revu les lieux mêmes où il a servi sous les dra- to de son père, blessé, sur son lit de camp. Celle où il ces retrouvailles entre l’ancien photographe en unifor- 35 mm. Mais pour ce dernier, photographe, ce n’est pas peaux, les bourgs et les mechtas dont son bataillon est encore vivant. me et ces Algériens dont la plupart un métier. Marc devient instituteur. avait la charge, les gens qu’il a photographiés, pen- Quand Marc la lui a montrée, il l’a embrassée sous espéraient alors le voir, lui et ses Sursitaire, il poursuit des études de dant deux ans. C’était il y a quarante-quatre ans. Des ses yeux, éperdu de reconnaissance (photos 8). Mais congénères soldats, déguerpir de sciences naturelles à l’université. Pre- clichés de l’époque, il en a quelque 20 000... surtout il a revu tous ces gens, ces hommes, ces fem- chez eux. mier grand voyage en 1957, au Séné- Il a revu Benchérif, le commandant local de l’ALN, mes, ces enfants qu’il a côtoyés, dans cette Kabylie du Leur accueil, dit-il, « a été au-delà gal et au futur Mali. Et premier choc. qui a connu les prisons françaises (photos 6) et qui, sud où, bidasse, il était affecté, et qui se sont reconnus de ce que j’espérais, un bonheur extra- « J’ai découvert les colonies, les gens sous Boumediène, est devenu le patron de la gendar- sur ses clichés. Avant de retourner en Algérie, Marc ordinaire ». Etonnante histoire que n’y parlaient que d’indépendance. »

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1. LA FEMME DU BIJOUTIER Marc Garranger : « Lorsque le déplacement des populations dans des “villages de regroupement” a été entrepris par l’armée, il m’a été demandé de faire des photos d’identité de tous les habitants. Cette femme, c’est Cherid Barkouane. Elle était l’une des deux femmes de Ferhat Mansour, le bijoutier du village de Bordj Okhriss, dans notre zone militaire. Il travaillait surtout l’argent et fabriquait des merveilles. Sa femme (à droite) avait 40 ans quand je l’ai photographiée. Tous les villageois devaient “y passer”. Au début, les femmes enlevaient le voile, qu’elles posaient sur leurs épaules, mais gardaient leur chèche sur la tête. L’officier a alors exigé qu’elles le retirent aussi. C’était une terrible humiliation, pour elles, d’apparaître “en cheveux” devant des soldats français. La plupart me fusillaient des yeux. Mais regardez le regard de celle-ci : il exprime d’abord une détresse inouïe. La plupart d’entre elles sont mortes aujourd’hui. Lorsque j’ai montré à quelqu’un du village une vieille photo de Ferhat dans son atelier, il m’a dit que sa femme était encore en vie. Celle-ci a aujourd’hui 84 ans. Elle est encore terriblement vive. Je lui ai montré mon livre sur les femmes algériennes. Elle s’est reconnue, a reconnu d’autres personnes. Elle n’avait jamais vu ces photos. Ensuite, ça a été formidable. Je n’ai plus eu aucun problème pour faire cette photo de Cherid, entourée de ses petits enfants. »

PHOTOS MARC GARRANGER POUR 0123 Marc Garranger a publié deux albums sur l’Algérie : La guerre d’Algérie vue par un appelé du contingent (Le Seuil, 1984, réédition 2001) et Femmes algériennes 1960 (1982, réédition Atlantica, 2002).

2. « MAX LE MENTEUR » ET LA « COMÉDIE » DU PUTSCH D’ALGER des généraux” (22-25 avril 1961), le commandant n’avait pas bougé. On est parvenu à 7 heures du matin à Alger. Tout était calme. M. G. : « Lui, c’est “Max le Menteur”. Ce n’était pas son nom, bien Lorsque, le 25 à minuit, on a entendu à la radio que les putschistes Des CRS géraient la circulation. Des pieds-noirs, aux fenêtres, sur, mais tout le régiment l’appelait comme ça. Il avait 20 ans. C’était s’étaient rendus, il a dit “on fait route pour Alger !” Brusquement, comprenant qu’on était des “loyalistes”, nous insultaient, nous un camelot qui écumait les marchés en région parisienne, un gars il voulait montrer sa “loyauté” à de Gaulle. On est tous monté faisaient des bras d’honneur. Tout ça était bidon. Notre arrivée malin, un hâbleur. Pour lui aussi cette guerre était absurde. Cette dans des half-tracks. On a roulé tous feux éteints vers Alger. à Alger était une comédie. On est resté la journée et on est reparti le photo (à droite), je l’ai prise à Alger. Il est de dos, dans le half-track En route, on a vu un régiment qui avait soutenu le putsch soir. Démobilisé, “Max” a repris les marchés. On a continué à se voir (photo de gauche). Moi, je suis assis derrière lui. Pendant le “putsch et qui faisait le chemin inverse. On s’est regardés sans un mot. de temps à autre. Aujourd’hui, il est retraité (photo de gauche). » XII/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE IMAGES

3. LES DANSEUSES DE LA FÊTE DE LA FÉCONDITÉ M. G. : « J’adore cette photo (ci-contre). Je l’ai prise, en mars 1960, lors d’une fête religieuse de printemps, destinée à assurer la fécondité des récoltes et des animaux. Je venais à peine d’arriver en Algérie. Les populations locales étaient essentiellement des Berbères arabisés. A l’époque, les femmes se paraient de leurs plus beaux atours pour cette fête. Le marabout réglait le cérémonial, faisait les prières, et les gens, à tour de rôle, lui agrafaient un billet sur le gilet. Je suis revenu sur le lieu, et l’une des femmes s’est reconnue sur la photo. Ça a été un moment fou. Elle m’a dit que l’autre vivait encore, et on s’est tous retrouvés chez elle. Elles sont très vieilles, aujourd’hui. Je crois que j’étais encore plus ému qu’elles. Celle de gauche (ci-dessus) se nomme Messaouda Lagounie, celle de droite, qui sourit à la cantonade, Mazia Ouaïl. Autour d’elles, il y avait leurs familles, plusieurs générations. Tout le monde se passait la vieille photo d’il y a quarante-quatre ans de main en main. Avec la guerre contre les islamistes, ces fêtes de la fécondité ont désormais été annulées pour “raisons de sécurité”. »

4. HADDA ET SON « MALABAR » DE FRÈRE M. G. : « Je suis à Aïn Terzine, montrant mes albums, quand, soudainement, une femme dit “c’est moi, c’est moi, la petite fille, là” (ci-dessus). Elle s’appelle Hadda Kahloul. Elle avait 8 ou 9 ans à l’époque. Elle fait partie de tous ces gens que je photographiais de ma propre initiative. Aujourd’hui, elle est mère de famille. “Vous voulez voir mon petit frère, celui qui est dans mon dos ? me demande-t-elle. C’est lui, là, dans le champ, qui laboure sur le tracteur”. Il s’appelle Saïd, un véritable malabar (assis près d’elle, photo ci-dessus). Il arrive et elle lui montre la photo. Il était dans un état d’émotion indescriptible. Ces gens n’avaient pas d’appareil photo, ils n’ont pas de photos de leur petite enfance. Ils m’ont fait un accueil incroyable. A Aïn Terzine, tous les anciens se souvenaient du “photographe de l’armée”… »

5. LE MESDOUR, UN « VILLAGE DE REGROUPEMENT » et isoler le FLN. Sur place, les gens devaient eux-mêmes reconstruire leurs M. G. : « J’ai pris cette photo d’hélicoptère. Un “village de regroupement”, mechtas en terre ; ça n’a pas coûté un sou à l’armée. Ce village s’appelait c’était ça. On construisait un fortin, puis les villageois des environs étaient le Mesdour. Aujourd’hui, il est méconnaissable. Je n’ai pas pu y retrouver forcés de quitter leurs fermes isolées, qui étaient ensuite rasées, pour l’emplacement de la tour du fortin. C’est une cité de HLM comme on en venir rebâtir leurs maisons dans des rues disposées en enfilade pour que, voit partout en Algérie, avec des constructions pavillonnaires qui ont du fort, la mitrailleuse puisse tout contrôler du haut de la tour. L’idée était poussé de manière complètement anarchique. Il reste ici et là quelques de vider le djebel des populations, pour le transformer en zone interdite mechtas en terre, qui servent en général de rangement. » LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XIII ALGÉRIE IMAGES

6. LE « FELLAGA » CAPTURÉ DEVENU COLONEL M. G. : « Le 25 octobre, le colonel m’a fait venir au QG du secteur, à Aumale. Ahmed Benchérif, le chef de l’ALN, l’Armée de libération nationale, venait d’être capturé. Les services psychologiques du régiment avaient préparé un tract, qu’ils s’apprêtaient à diffuser dans les douars. L’objectif était de démoraliser les gens. Le tract disait : “Les échecs du FLN continuent. Le soi-disant commandant BEN CHÉRIF vient à son tour d’être débusqué de sa tanière. Menant à la mort de nombreux chefs de la zone 1 de la willaya 4, il s’est rendu, lui, sans combattre, en agitant à la pointe de son arme un caleçon en guise de drapeau blanc. Djounoud, n’attendez pas d’être obligés d’agiter votre caleçon comme BEN CHÉRIF. Soyez plus dignes, cessez ces combats inutiles.” Le colonel me dit : “Prenez une photo du type, on va la mettre au dos du tract.” On n’a pas échangé un mot. Benchérif m’a lancé ce regard, et j’ai shooté (ci-contre). Quand le colonel a vu la photo, il l’a observée et m’a dit : “On ne va pas la mettre.” Pour la première fois, un officier s’est aperçu que mes photos ne correspondaient pas à son discours. Les autres officiers, eux, n’y voyaient que du feu. Le tract disait que cet homme était un traître et un lâche. Or son regard, sur le cliché, dit exactement l’inverse. Une fierté, une détermination extraordinaire. Personne ne pouvait croire que cet homme-là s’était rendu “le caleçon à la main”. J’ai revu Benchérif une première fois en 1975. Sous Boumediène, il était devenu colonel, commandant de la gendarmerie. Aujourd’hui, il vit, retraité, à Alger. Quand il a su que je venais, il m’a accompagné et il est resté une journée avec moi sur place. Il m’a aidé à retrouver certaines personnes. Là, il est assis avec deux jeunes et deux anciens (ci-dessous), à Aïn Terzine. »

7. LE RESTÉ AU VILLAGE ET LE HARKI DISPARU M. G. : « A l’époque, le mardi était jour de marché à Bordj Okhriss. J’y suis donc allé un mardi : ça l’est toujours. Les gens feuilletaient mes photos quand mon traducteur, montrant l’un d’eux, me dit : “Celui-là, c’est un harki” (ci-contre, photo de droite). Il regardait la photo de Bouakli, le commissaire politique de l’ALN, sur son brancard (ci-dessous) après sa capture. On lui a expliqué qui j’étais et il m’a dit : “Bonjour, collègue.” Collègue ! Ça m’a fait drôle. Ce type avait fait partie de la harka locale. C’était un “collabo” de l’armée française, et il est resté là. Il ne cache pas du tout qu’il a été harki à l’époque. Il y a des lieux, comme ça, en Algérie, où les gens ont surmonté leurs contradictions. Des harkis, j’en avais beaucoup photographié à Bordj Okhriss. Ils portaient un uniforme de combat et un calot distribués par les Français. Le cliché du harki de la photo de gauche a été pris le jour de l’Aïd, en 1961. Sa femme prépare le couscous, sa petite fille rayonne de joie dans les bras de son père. Mais lui a les yeux de la peur. Il porte sur son visage une frayeur incommensurable, comme s’il savait déjà qu’il avait choisi le mauvais camp. J’ai demandé autour de moi, personne ne l’a reconnu. Il a disparu. Peut-être est-il parti, peut-être a-t-il été tué après la victoire du FLN. Ou peut-être que personne, à Bordj Okhriss, n’a voulu se souvenir. »

8. LA MORT DU PÈRE, L’ÉMOTION DU FILS semaines après, je suis allé prendre la photo du lieu M. G. : « Pour moi, la photo de droite est peut-être où Bouakli avait été enterré. Surtout, j’ai eu entre les la plus importante de toutes celles que j’ai faites. mains le constat de la gendarmerie. “Le commissaire Je l’ai prise le 19 mars 1960, très peu de temps après Meziane, disait-il, commettant une erreur, puisqu’il mon arrivée en Algérie. Le commissaire politique s’appelait Ameziane, est mort à la suite de blessures du FLN, Ameziane dit Saïd Bouakli, avait été blessé par balles à la jambe gauche, au thorax et dans la boîte à la jambe dans un accrochage et capturé. On m’a crânienne.” demandé de prendre un cliché sur le lit de camp où J’étais arrivé depuis moins de trois semaines,et là, il gisait, dans le bureau de l’officier de renseignement j’avais tout compris sur ce qui se passait. Ma photo : du bataillon. J’ai pris cette photo, puis une autre. une balle dans la jambe. Le constat officiel : trois On voit bien que le prisonnier n’a qu’une seule balles, dont une dans la tête. Quand je suis revenu à blessure, sa jambe est bandée. En haut à gauche, Bordj Okhriss, c’est son fils, Ahmed Ameziane, qui on voit le genou du type que chacun connaissait m’a trouvé. On a d’abord parlé. Il m’a dit : “J’avais pour pratiquer les tortures. 7 ans quand mon père est mort.” J’ai sorti mes photos. Ensuite, je suis allé faire la photo du garde du corps Celle-là, il ne l’avait jamais vue, seulement une petite de Bouakli, qui, valide, était resté jusqu’à sa capture photo cadrée sur le visage, paru dans un livre d’Henri avec lui. Il s’appelait Ouaïl Mohamed. Il a été abattu Alleg. L’émotion l’a alors submergé. Il est resté sur place. On voit nettement la balle en pleine silencieux devant elle, puis il a porté l’album à ses poitrine, tirée à bout portant (ci-dessus, à gauche). A lèvres et il a embrassé la photo. J’étais bouleversé. l’époque, on ne faisait pas de prisonniers. Quelques Ensuite, on est resté longtemps à parler. » XIV/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE IMAGES

9. LA « PORCHERIE » ET LE PRISONNIER les “fells” en attente de leur interrogatoire. C’était une Les gens du FLN savaient à quoi ils s’exposaient, M. G. : « Cette porcherie de l’ancienne maison forestière du pièce minuscule ; personne n’y revenait jamais. s’ils étaient capturés. Quarante-quatre ans plus tard, à mon seul pied-noir du coin était devenue le lieu d’incarcération Ce jour-là, quand quelqu’un a ouvert la petite porte, il n’y immense surprise, j’ai retrouvé cette bâtisse. Elle avait été du camp d’Aïn Terzine. A l’époque, elle était entourée de avait qu’un seul prisonnier. J’ai shooté instantanément. un peu retapée. Les gens l’appellent “la maison de l’âne”, barbelés. L’endroit était très sale : c’est là que l’on parquait On voit dans son regard la terreur avant d’être interrogé. parce que c’est là qu’on le met pour la nuit… »

10. L’ÉGLISE, LA MOSQUÉE... M. G. : « C’est jour de défilé des troupes françaises, à Aumale. Au centre, on aperçoit le colonel. Derrière, l’église, avec, juste devant, le monument aux morts, surmonté de la plaque RF, République française. Aumale était la grande ville du secteur. Elle a peu changé, sinon qu’elle se nomme désormais Sour el-Ghozlane, que des HLM ont poussé comme des champignons dans les faubourgs tout autour, qu’on y voit beaucoup de femmes en habit gris islamique, et... qu’une mosquée à remplacé l’église ! Le monument aux morts, lui, est devenu le socle d’une statue (visible sur la photo ci-dessous, à gauche de la mosquée). »

b b b SUITE DE LA PAGE XI masquant sentiments et convictions. Et « shooter » ce mois se terminait et il ne l’avait pas atteint. Alors il me lan- daient, les femmes voilées. Je plaçais un tabouret à l’ombre qu’on lui demande – et ce qu’on ne lui demande pas. çait “mission photo !” Je montais dans l’hélico avec un d’une mechta, ils s’asseyaient l’un après l’autre, et je pre- Etudiant, Marc est sursitaire. Mais, en novembre 1959, « Je recevais des ordres, mais j’avais aussi une liberté pilote et je partais photographier. Des fois, on faisait la nais instantanément un seul cliché. Presque tous avaient le le couperet tombe : il est appelé sous les drapeaux. Et, inouïe. » De ces milliers de photos, il fera, plus tard, des chasse à la perdrix ! C’était dingue ». La grande théorie visage de la protestation. Un regard de détestation. La plu- début mars 1960, au camp Frileuse où il est soldat de livres et de nombreuses expositions. de l’armée, à l’époque, s’appelle « pacification ». Objec- part étaient des femmes. Les hommes étaient soit au 2e classe, la nouvelle tombe : « Le régiment part en Algé- Son premier choc survient à peine arrivé. Un bidasse tif : regrouper les paysans pour les extraire à l’influence maquis, soit membres d’une harka. Les femmes m’assassi- rie. » Dans quel état d’esprit y allait-il ? « Je ne voulais le tire par la manche. « Viens voir, on a capturé un prison- du FLN. D’hélicoptère, Marc va photographier ces « vil- naient du regard, surtout celles qu’on avait obligées à reti- pas y aller. J’espérais rester en France : les services photo- nier important ». L’homme, Saïd Bouakli, gît dans le lages de regroupement » construits pour « protéger les rer leur chèche ». Lorsque Marc est rentré avec ses pre- graphiques de l’armée, à Vincennes, m’avaient promis de local du renseignement militaire, une balle dans la cuis- populations ». L’alignement des rues, prises en enfilade miers portraits, le capitaine « jubilait », dit-il. « Il a lancé me prendre, mais l’affectation n’est jamais arrivée. Quand se. Il est commissaire politique du FLN de la zone. La par une mitrailleuse sur la tour, montre bien qu’il s’agis- à la cantonade : “Qu’elles sont laides, on dirait des maca- la nouvelle est tombée, j’ai été dans une déprime inimagi- photo faite, le commandant lui intime cet ordre qui sait d’abord de les contrôler (photos 4). « C’était une ques”. Lui voyait des animaux, et moi je savais que mes nable. J’avais une fille de trois mois. Et je savais que tout ça retentit encore à ses oreilles : « Garranger, va photogra- supercherie. Les gens étaient déracinés, les lieux où ils photos disaient toute l’humanité de ces femmes ». était foutu. L’écrivain [communiste] Roger Vailland phier les fells au tapis ! » Il part en hélicoptère, avec le avaient habité rasés et décrétés zone interdite. Quiconque Garranger sera démobilisé fin février 1962, quatre m’avait convaincu. Je l’avais rencontré plusieurs fois en commando de chasse, jusqu’au lieu où Bouakli et ses s’y trouvait encore pouvait être tué sans sommation. » mois avant l’indépendance. En 1966, Pierre Gassmann, 1958-1959. Il était en rupture de ban avec le PC. Ses mots djounouds s’étaient fait piéger. Ceux-ci gisent là, morts. Une fois ces villages bâtis, « le commandant a dit : “Il directeur du laboratoire Pictorial Service, le poussera à m’avaient frappé : “La guerre d’Algérie est une guerre colo- Le commando ne faisait pas de prisonniers. Il ramenait faut que ces gens aient des papiers d’identité.” Là, je me présenter un dossier devant le jury du prix Niepce. Lau- niale. Comme celle du Vietnam, elle est vouée à l’échec”. celui qui comptait pour l’interroger. Les autres... suis beaucoup demandé quoi faire. C’était participer à une réat, sa carrière est lancée. Plus tard – le milieu peut être En partant, j’étais convaincu qu’elle était inutile et serait « Quand j’ai vu ça, je n’ai plus eu aucun doute sur la natu- opération de contrôle policier. J’avais en tête les célèbres cruel – il essuyera des reproches. Les photos de Garran- perdue ». re de cette guerre », dit Marc. photos d’Indiens d’Edward Curtis, réalisées en 1900 aux ger, diront certains, sont « ambiguës »... « J’en ai enten- Marseille, le bateau pour Alger, le train jusqu’à Boui- « Le commandant disait “Hop là, on y va.” Je devais Etats-Unis. Je me suis dit : ici c’est pareil. J’ai décidé de le du ! Surtout sur mes photos de femmes. On disait : “Ces ra, enfin le camion pour Aumale (aujourd’hui Sour partir avec lui, généralement en jeep, parfois en hélicoptè- faire, mais pas comme on me le demandait. Au lieu de pho- images sont du viol, elles ont été prises de force, sur ordre”. el-Ghozlane) où se trouve le QG du régiment. Son re. Il avait un quota d’heures de vol mensuel. Parfois, le tos d’identité, j’ai fait des portraits en buste. Les gens atten- Moi, j’ai fait tous mes clichés dans l’unique idée de dénon- bataillon est affecté à Aïn Terzine, une région monta- cer le colonialisme. Et on me renvoie à mon statut de mili- gneuse, rocailleuse, dure. La population est berbère ara- taire dans l’armée coloniale. Mais mes photos parlent pour bisée. Marc a 25 ans. Plus âgé que les autres soldats, il M. G. : « Oumerriche Saou, petite fille dans les rues du Mesdour. Aujourd’hui, elle vit près de Paris. » moi. Et pas un seul Algérien n’a jamais fait la moindre allu- est aussi étudiant. Un intello ? Au secrétariat ! Il laisse sion au fait que j’étais militaire. » traîner quelques photos sur son bureau, le commandant En août 2004, Marc Garranger est retourné, pour a une idée : il le bombarde « photographe du régi- Le Monde, à Sour el-Ghozlane, à Aïn Terzine, au Mes- ment ». Un poste, dit Marc, « qui n’avait aucun statut dour, à Bordj Okhriss. « J’avais peu de noms, mais beau- militaire ». Pourquoi l’officier a-t-il pris cette décision ? coup de traces. Tout c’est passé comme dans un rêve. » Les « Il voulait se faire mousser auprès du colonel, lui montrer gens se sont souvenus de lui : le fils du marabout, l’épou- ses succès. » La vie de Marc Garranger bascule. « Je se du bijoutier... Le colonel Benchérif l’a aidé, les fem- devais photographier ceux que l’on m’indiquait, mais per- mes se sont reconnues sur ses albums. « Le contact a par- sonne ne se préoccupait de ce que je photographiais par fois été difficile. Mais dans la plupart des cas, les gens ailleurs. Les gars voulaient que je les prenne aussi, ça leur étaient émus au tréfonds. Ils se reconnaissaient, ou recon- faisait des souvenirs. Moi, je n’avais qu’une idée : shooter naissaient d’autres personnes et m’amenaient les voir. J’ai au maximum, pour montrer la réalité des gens, ce qu’était vécu douze jours durant dans une transe exceptionnelle. une guerre coloniale. Ni les officiers ni les bidasses, ne com- Les gens me disaient : “Vous êtes rentré dans nos cœurs”. prenaient ce qui me motivait. Au contraire, tout le monde Entendre ça, c’était fou. » On va le laisser, il en pleurerait. était content. » Alors il va faire, vingt-quatre mois durant, son travail de bidasse photographe officieux, Sylvain Cypel LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XV ALGÉRIE PASSAGES Les beurs, légataires du « grand bug » les enfants français d’origine algérienne souffrent des silences de la mémoire familiale. silence sur les terribles conflits intra-algériens durant la guerre. et sur cette question : pourquoi leurs parents sont-ils restés ou venus vivre en france ?

AIS-TOI, tu vas réveiller les hai- milliers de morts en métropole) témoigne de la perception ambi- en Algérie en 1962 puis en 1965 de véritables citoyens français. choisir entre la France et l’Algérie, nes ! » A table, la phrase a ont laissé des traces. Tokia Saïfi, guë que les émigrés ont eue de l’in- augmentera encore le trouble, Significativement, nombre d’en- voire entre l’islam et la république. T longtemps servi à la grand- ancienne secrétaire d’Etat dépendance. Sociologue, Abdelma- niant la contribution pourtant fants d’immigrés ont attendu la dis- Ravageurs dans le débat politique mère Hadjam pour couper court aujourd’hui députée européenne lek Sayad a montré comment la majeure des émigrés au combat parition de leur père pour se faire français, les sifflets contre La Mar- aux questions embarrassantes de (UMP), a appris, dans des conver- guerre, en vidant des zones entiè- pour l’indépendance. établir une carte d’identité françai- seillaise et l’interruption du match sa petite-fille sur les rivalités entre sations familiales, que son père, res de ses habitants, avait accéléré Silences et mensonges ont laissé se et revendiquer un lien, souvent de football France-Algérie, en FLN et MNA, les frères ennemis militant messaliste, avait failli être le phénomène d’émigration de lourdes traces. La génération passionnel, avec la France. octobre 2001, témoignent de cette du nationalisme algérien, au sein assassiné par des membres du déclenché quelques décennies des émigrés a construit sa vie sur Les impasses de la mémoire et impossibilité à choisir entre la de la famille. Mimouna Hadjam, plus tôt par la confiscation des ter- la mystification d’un retour jamais de la transmission familiales pro- patrie des parents, l’Algérie, et la responsable de l’association Afri- res, consécutive à la colonisation. accompli – sauf, parfois, au duisent des traumatismes indivi- sienne, la France, entre la fidélité ka à La Courneuve (Seine-Saint- Les sifflets contre L’indépendance, loin de stopper moment d’être inhumé. Les géné- duels dont témoigne la psychana- familiale et l’évidence d’un choix Denis), est de cette génération le mouvement, l’a décuplé. Ni l’Al- rations suivantes, prisonnières des lyste Alice Cherki dans un article de vie… beur qui a grandi dans le silence « La Marseillaise », gérie, en pleine fièvre nationaliste, discours, aussi bien français qu’al- (Ni honte ni gloire, actualité du trau- Et celle de la nécessité de récon- assourdissant de la guerre d’Algé- ni la France, gaullienne et pressée gériens, niant le lien entre colonisa- ma, éditions ERES, 2002). Elle cilier, ou du moins d’imbriquer rie et de ses drames. Assourdis- en octobre 2001, de tourner une page humiliante de tion, guerre d’indépendance et décrit le cas d’un patient souffrant l’histoire de la guerre d’Algérie et sant : Saïd Bouamama, l’histoire, n’ont jamais eu intérêt à émigration, restent les otages de d’une grave asthénie et de la sensa- celle de l’immigration maghrébi- aujourd’hui sociologue, se sou- témoignent souligner cette réalitén qui contre- ces ambiguïtés. tion de posséder des souvenirs ne, de métisser les mémoires pour vient, lui, que lorsqu’il était disait les discours officiels mais, en Produits de la décolonisation, « appartenant à quelqu’un réussir l’intégration. Un défi auda- enfant, sa mère, à Roubaix, se de l’impossibilité fait, les servait : l’Algérie nouvelle héritiers de ce silence et de ces d’autre ». Elle relie ces troubles à cieux dans un pays où, selon Benja- réveillait parfois en hurlant. Plus y voyait un moyen de soulager ses mensonges, les beurs en vivent les l’impossibilité, pour ce jeune hom- min Stora, pas moins de 6 millions tard, il a compris qu’elle avait été à choisir entre la tensions sociales, tandis qu’une conséquences bien concrètes : me, de savoir ce que ses parents de personnes – anciens appelés, torturée (lire ci-dessous). France en pleine période d’expan- racisme et discriminations mar- ont fait pendant la guerre d’Algé- pieds-noirs, immigrés, harkis, por- Les filles et fils d’immigrés algé- patrie des parents sion trouvait une main-d’œuvre qués par la survivance des préju- rie, et donc de s’inscrire dans une teurs de valise – ont « l’Algérie au riens ont tous vécu la même épreu- bon marché. Ironiquement, la clau- gés et des appellations injurieuses représentation « ni honteuse ni cœur ». ve : être né de parents apparem- et la France se des accords de paix d’Evian pré- forgés pendant la colonisation et glorieuse » d’une Histoire concer- Dans cet enrichissement histori- ment sans histoire. Ou plutôt de voyant le maintien de la libre circu- la guerre, ambiguïté de la relation nant à la fois l’Algérie et la France. que, les enfants de l’immigration parents terriblement silencieux, lation entre les deux pays, rendue avec la nationalité française que la Quand l’obsession d’un passé de jouent un rôle moteur : la recon- incapables de raconter et de trans- FLN. illusoire par l’exode forcé des loi, autre ironie de l’histoire, leur souffrances méconnu domine la naissance des événements du mettre un itinéraire paradoxal : Nombre de beurs ont également pieds-noirs, a trouvé à s’appliquer attribue à la naissance (car leurs construction identitaire, la projec- 17 octobre 1961, celle du rôle des après avoir désiré, cotisé et sou- recueilli des confidences, souvent pour les Algériens. parents sont nés en Algérie avant tion dans un avenir positif devient troupes d’Afrique noire et du vent lutté pour l’indépendance de de leur mère, à la fois sur l’espoir La mise à l’écart de la Fédéra- 1962, donc sur le sol français) alors difficile, analyse Saïd Bouamama, Nord dans la libération du pays, l’Algérie, puis s’être usés au travail formidable que suscitait la perspec- tion de France du FLN par les que les parents, indigènes musul- auteur d’une enquête sur les sont directement liées à leur dans l’espoir de pouvoir, un jour, y tive de l’indépendance et sur le clans qui s’emparent du pouvoir mans colonisés, n’ont jamais été enfants d’immigrés et de harkis. action, tout comme la décision de rentrer, ils ont fait leur vie dans le trouble que jetaient les méthodes (Les héritiers involontaires de la créer une Cité nationale de l’histoi- pays qui leur avait dénié le droit à coercitives du FLN. guerre d’Algérie, éditions du re de l’immigration. Aujourd’hui, l’indépendance – chez l’ancien Le nœud se situe en 1962, quand FLN contre MNA, une mémoire sanglante Creops, 2002). Le sociologue voit nombre de travailleurs sociaux et colonisateur, voire « l’ennemi ». les émigrés, après avoir fêté l’indé- dans le comportement de certains d’enseignants ont conscience que De ce passé impossible à justifier pendance, ont décidé de rester en La sanglante rivalité entre les deux branches du nationalisme algérien, le jeunes les traductions du malaise la rupture avec les silences du pas- au regard des schémas classiques France. Certains, après une tentati- Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj et le Front de libération lié au fossé des mémoires : tendan- sé est un passage obligé de la de l’histoire, de ce « grand bug », ve de retour dans la patrie recon- nationale (FLN), fait partie des réalités les plus fortement imprimées dans la ce à l’autonégation ou à la survalo- construction, forcément comple- selon l’expression de Malek quise, ont fait machine arrière, mémoire de la « première génération » de l’immigration algérienne et transmi- risation, rapport méfiant au mon- xe, des jeunes. Leur existence par- Boutih, secrétaire national au Par- effarés par le désordre et le naufra- ses à leurs enfants. Cette violence a causé la mort de quelque 4 000 person- de, refus des emplois manuels qui tagée leur permettra de s’inscrire ti socialiste, résultent nombre d’in- ge des promesses démocratiques. nes, des Algériens pour la plupart, en métropole. renvoient à des pères méprisés, dans une généalogie collective. compréhensions, de craintes et La mémoire n’a d’ailleurs pas rete- D’autres violences fratricides, en Algérie, alimentent cette mémoire doulou- rapport épidermique à l’injustice, Mais combien de temps faudra-t-il d’obstacles au vivre ensemble. nu que, au moment même où les reuse et occultée : le massacre dit « de Melouza » du 29 mai 1957, où plus de qui évoque aussi le statut des encore, cinquante ans après l’insur- Différents types de « cadavres » pieds-noirs étaient contraints de 300 villageois, accusés de sympathies messalistes, furent massacrés par l’ALN. parents. rection algérienne, pour que les peuplent encore les placards de partir, s’amplifiait une vague inédi- Moins connue, mais présente dans les souvenirs, est la « nuit rouge » du 13 au Les mêmes silences confortent héritiers franco-algériens de la ces existences. Ils ne se rapportent te d’émigration d’Algériens vers la 14 avril 1956, premier grand massacre de la guerre civile intra-algérienne : les aussi l’usage de l’islam comme guerre parviennent à arrimer leur pas qu’à la guerre. Les affronte- France (180 000 en 1962, 262 000 490 habitants du village kabyle de Tifraten, femmes et enfants inclus, furent patrie imaginaire de substitution. histoire familiale à l’Histoire de ments sanglants entre nationalis- en 1963, contre 72 000 en 1960 et égorgés. Le FLN les accusait d’avoir dénoncé aux Français ses exactions. Ils rendent insupportable l’injonc- France ? tes algériens (qui ont fait plusieurs 103 000 en 1961). Ce mouvement tion incessante des politiques à Philippe Bernard Appelés, immigrés : des souvenirs distillés « peu à peu » Le père de clovis guerrin était bidasse. Celui de Jérôme Gaildraud chef de harka. celui de yann Sigg fut médecin militaire et déserteur. ceux de samia messaoudi, saïd bouamana, linda amiri, militants FLN. comment ont-ils appris ce que fut leur vie ?

ES uns ont porté leur honte comme avec ma femme… J’ai réali- ce qu’il avait pu ». « Je n’ai ni hon- est resté frustré. Alors il a pris sa pendant plus de vingt ans. Les sé que je resterais incompris et je te ni fierté, je suis juste content qu’il plume pour le lui dire… dans un L autres ont tu leurs faits de gloi- me suis enfermé dans ma ait fait en sorte qu’il n’y ait pas de roman. « C’était une manière de re militante. Parler de « sa » guer- coquille », se souvient Jean-Pier- violences là où il officiait », assure lui dire : “Parlons-nous.” J’étais re d’Algérie, qu’elle ait été vécue re. Son fils, Jérôme, a appris peu à ce jeune lycéen de première. quand même fier d’avoir eu un du côté de l’armée occupante ou peu. « . J’ai posé des questions à De la fierté malgré tout, c’est ce père qui a déserté et fut emprison- de celle de libération, fût souvent l’adolescence. Mon père parlait que ressent Yvan Sigg, peintre et né pour ça », insiste Yvan. douloureux, voire impossible. très facilement de l’Algérie, du romancier. « C’était un père dur, La transmission n’a pas été plus Pourtant, la mémoire fut transmi- pays... mais pas de ce qu’il avait autoritaire mais il est resté comme spontanée du côté des Algériens. se. Par bribes, à des moments par- fait. Il ne se livrait qu’à ses réunions un résistant à mes yeux », admet-il. Les enfants, première et seconde ticuliers, les anciens appelés de de la Fédération nationale des générations immigrées confon- l’armée française ou les militants anciens combattants en Algérie » dues, ont dû, eux aussi, gratter, du FLN ont raconté. (la Fnaca) , commente ce cadre de « Mon père parlait questionner, se plonger dans cet- « Ces images m’ont hanté pen- France Télécom. Pour qu’il com- te histoire pour en comprendre le dant vingt ans », dit Jean-Pierre prenne mieux, son père l’a emme- très facilement sens. Les pères militants FLN, Gaildraud, ancien chef de harka né, en 1990, sur le tournage du engagés dans le maquis ou sim- et professeur d’histoire. Cette documentaire Les Années algérien- de l’Algérie, ples activistes en métropole, obsession de la guerre, de l’hor- nes, de Bernard Favre. « Là, j’ai avaient tourné la page, la guerre reur des amis tombés sous le feu, été saisi par ce lien si fort. » du pays... faisait partie du passé. « Il n’y a  des scènes de représailles dans les La parole a semblé plus facile à pas eu de parole spontanée. C’est bleds, de tortures, revient dans Clovis Guerrin. Son père, Jean, a mais pas de venu petit à petit lors de moments chaque évocation des anciens senti une urgence à se libérer lors propices comme les fêtes familiales  appelés. C’est toute une généra- de la publication du livre du géné- ce qu’il avait fait » où la situation en Algérie venait sur tion – plus d’un million et demi ral Aussaresses sur la torture en le tapis. Les vieux évoquaient alors a Scène de la vie quotidienne des appelés : près de deux millions d’entre d’hommes concernés – qui, reve- Algérie, en 2001 (lire page VIII). Il leurs souvenirs », remarque Saïd eux ont effectué leur service en Algérie entre 1954 et 1962. nue du front, n’a pas pu, ni su, a alors adressé à chaque membre Alors que son père a l’impression Bouamama, sociologue et mili- dire ce qu’elle avait vécu, dans de sa famille son « droit d’inventai- qu’il ne s’est jamais intéressé à tant associatif. une France alors en plein boom re », une dizaine de feuillets dans son passé – « il n’a jamais voulu en C’est ainsi qu’il a connu le par- du FLN, en France. « Il ne m’en que des Algériens, allant manifester économique et qui ne voulait pas lesquels il racontait « sa » guerre : parler avec moi » – Yvan Sigg a le cours de son père, Ali, clandestin avait pas parlé avant que je sois étu- dignement en famille contre le cou- savoir. Alors, ils se sont tus, pen- envoyé dans une palmeraie de Bis- sentiment inverse. Celui d’avoir dans le maquis de la Mitidja, exfil- diante en histoire et que je l’interro- vre-feu, s’étaient fait tirer dessus », dant de longues années. kra comme responsable de poste, posé des questions restées sans tré vers la France quand son ge. Pour lui, cela faisait partie de sa relate Samia Messaoudi, écrivai- « Quand je suis revenu, je venais il y est resté deux ans « sans tirer réponse : « Je ne comprenais pas réseau fut démantelé, alors que sa jeunesse, c’était du passé. » Il lui a ne. Cette histoire, avoue-t-elle, a de vivre un drame humain où un seul coup de feu, ni participé ou pourquoi il ne me racontait pas son femme était arrêtée. Le souvenir alors décrit les militants qui pas- marqué sa génération. j’avais été obligé d’abandonner ma assisté à des tortures ou des exécu- histoire, au lieu de rédiger des bou- est encore douloureux, malgré la saient relever les cotisations, le Avec d’autres, elle a fondé une compagnie de harkis, après les tions », y écrit-il. quins de psy sur la transmission de « fierté » : le sociologue se rappel- « devoir » de solidarité, les gens association – Au nom de la avoir désarmés. J’avais vu mon Son récit a été « plutôt bien reçu la mémoire ! » le des cris poussés par sa mère tués par le FLN pour leur refus de mémoire –, pour réclamer la second égorgé. Mon père m’a dit : par ses frères, qui s’y sont retrou- Le trajet de Bernard Sigg, psy- lors des cauchemars où elle revi- payer, l’angoisse des familles reconnaissance officielle des mas- “Ne nous emmerde pas avec ta vés », se souvient Clovis. Lui chanalyste, jeune appelé alors vait les séances de torture. « Nous devant la violence policière mais sacres. « Mon père nous a raconté guerre.” Je me suis heurté avec n’avait pas attendu la prose pater- interne en médecine, était pour- ne comprenions pas ce qui se pas- aussi la solidarité concrète entre par bribes la violence et la peur, les tous mes amis, militants de gauche, nelle pour « savoir qu’il avait fait tant plus facile à porter : un pre- sait. Mes frères et sœurs aînés res- Algériens d’alors. « Les révélations jours suivant la manif d’octobre, où mier séjour au Maroc dans la mari- pectaient la consigne implicite de sur la torture de ces dernières il fallait se compter pour savoir qui ne, puis la mutation punitive en silence des parents. » Ce n’est qu’à années ont réveillé beaucoup de manquait à l’appel. » Elle se sou- Deux millions d’appelés Algérie pour propagande pacifis- l’adolescence que les « petits » choses auprès des anciens du vient – elle avait 7 ans – des sor- te ; enfin la désertion, par refus de ont osé poser des questions. « Ma FLN », assure la jeune femme. ties de son père pour la collecte b Appelés. Deux millions porte de 18 à 27 mois la durée la torture : « Je devais remplacer mère nous a avoué avoir eu peur de Les premières commémora- des dons pour le FLN, la liste des de Français ont effectué leur service du service militaire. Au plus fort un médecin aspirant qui “retapait” nous charger avec ses souvenirs. » tions, dès 1991, de la manifesta- contacts à la main ? De la boîte miliaire en Algérie entre 1955 de la guerre, 400 000 militaires les prisonniers pour qu’ils tiennent Il a raconté en détail son histoire tion du 17 octobre 1961, à l’appel métallique où il rangeait soigneu- et 1962. Dès août 1955, le français, dont 80 % d’appelés, plus longtemps ». Et, dès lors, le dans La crème des beurs (Philippe de la Fédération de France du sement ses enveloppes. Des gouvernement Edgar Faure rappelle quadrillent l’Algérie. passage à la clandestinité, et Bernard, Le Seuil, 2004). FLN, que la préfecture de police bijoux de la mère vendus pour la 60 000 jeunes soldats récemment b Victimes militaires. Les pertes l’aide aux Algériens, après l’indé- Attendre que les enfants gran- réprima dans une violence inouïe cause. Des espoirs déçus, aussi, libérés et maintient sous les militaires s’élèveraient à près de pendance. Le père a toujours esti- dissent, dire « plus tard » semble (lire page VII), ont sonné aussi quand elle questionnait sur ce drapeaux 180 000 recrues 25 000 morts, dont plus d’un tiers mé « n’avoir jamais rien caché », l’attitude généralement adoptée. l’heure du souvenir. « Chaque qu’était devenue la révolution libérables. Un an plus tard, le par accident (manipulation d’armes, avoir même milité pour la libre Linda Amiri, doctorante à l’Insti- année, depuis l’adolescence, mon algérienne : « Il n’aimait pas qu’on gouvernement Guy Mollet accélère transports, etc.), auxquels s’ajoutent parole au sein de l’Association tut d’études politiques de Paris, père nous a bassinés avec cette critique l’Algérie. » l’envoi du contingent en Algérie et 65 000 blessés et 485 disparus. républicaine des anciens combat- n’a compris qu’une fois en faculté manif. Il pensait avec raison que tants et victimes de guerre. Le fils l’engagement de son père au sein c’était important que nous sachions Sylvia Zappi XVI/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE PASSAGES Enquête sur l’enseignement de l’histoire en Algérie déçus par des manuels scolaires longtemps stéréotypés, les jeunes vont chercher l’information « ailleurs : dans la presse, à la télévision ou chez les islamistes ». Mais, mirage ou réalité, la volonté d’aggiornamento s’exprime désormais partout

ALGER émotion le portrait d’un grand-père doyen des professeurs d’histoire à nal ». Dans ce nouveau catéchisme ceux qui avaient combattu pour l’indé- et quelques impasses. « Les étudiants de nos envoyés spéciaux mort pendant la « guerre de libéra- l’université d’Alger. L’histoire est historique, chaque Algérien est pré- pendance. » ont tendance à confondre l’enseigne- Entre l’ennui des commémora- tion nationale », toujours en bonne devenue une discipline proche de l’ins- senté comme résistant, la nation se Il est vrai qu’après 1962, l’Algérie ment et la scolastique. Je me bats pour tions rabâchées, la fierté d’être un place, comme chez Hamane. Racon- truction civique. On a exalté les construisant autour de la figure du indépendante s’était trouvée face à qu’ils ne considèrent pas mes paroles petit enfant de moujahid et la vertigi- tent, avec Naïma, comment ils ont valeurs portées par notre révolution, peuple algérien, présenté comme un double défi : assurer brutalement comme la vérité révélée, témoigne neuse perplexité, Amel, Hamane ou assouvi un fort besoin d’en savoir comme vous l’avez fait en France avec « le seul héros ». une scolarisation massive (moins de l’historien Daho Djerbal. L’ennui est Naïma, adolescentes algéroises davantage sur la torture pratiquée 1789. On a donc enseigné que la révo- Ce choix de la « table rase », selon 20 % des enfants musulmans fré- que 80 % d’entre eux ne parlent d’aujourd’hui, balancent. « Pour par l’armée française, en regar- lution avait apporté la liberté et la jus- l’expression de l’historien Moham- quentaient l’école auparavant) et qu’arabe alors que 80 % des ressour- moi, le 1er novembre 1954, c’est de dant... France 2 via la parabole. tice. Le problème est que les jeunes med Harbi, était destiné à l’origine, écrire une histoire nationale se subs- ces bibliographiques en histoire sont l’histoire ancienne. Tous les ans ça Que s’est-il passé dans l’école algé- d’aujourd’hui se demandent où sont à légitimer le régime du parti unique tituant au sempiternel « nos ancêtres en français. Certains n’ont jamais ren- recommence », lâche la première, rienne pour qu’un tel désenchante- la liberté et la justice. » en place, permettant de passer sous les Gaulois » de l’école coloniale. contré un Européen de leur vie. La plu- élève en terminale rencontrée à la ment, un tel désarroi s’installent par- En dépit des amendements appor- silence non seulement les rivalités « Notre nation avait été ébranlée pen- part ignorent que leur campus est une sortie du lycée, place Maurice- tés depuis la fin du parti unique, en entre nationalistes avant 1962, mais dant cent trente ans, déculturée. Il ancienne caserne française ». Audin. « Les Français considéraient 1989, les manuels en usage dans les la guerre interne au FLN qui a engen- nous fallait un Panthéon », écrit Paradoxe lourd de conséquences, nos ancêtres comme des esclaves. J’ad- « L’histoire classes où la « guerre de libération » dré le régime autoritaire. Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l’Histoire, censée cimenter le pays, mire les héros qui nous ont libérés », est au programme (derniers niveaux Pendant trois décennies, des figu- l’éducation entre 1965 et 1970. est devenue suspecte et compte par- proclame la seconde, lycéenne en est devenue une du primaire, du collège et du lycée) res emblématiques du nationalisme De ces chocs linguistiques, cultu- mi les disciplines les plus méprisées section scientifique. « L’histoire demeurent fidèles à leur conception comme Messali Hadj, Ferhat Abbas, rels et religieux, de cette Histoire par les élèves. « Les étudiants nous qu’on nous enseigne en classe n’a rien discipline proche d’origine : une approche manichéen- Hocine Aït Ahmed, Mohamed Bou- mythique souvent transmise avec disent : ‘‘On nous a menti.” Et comme à voir avec ce que me raconte ma ne, mythique et apologétique qui diaf ou Ahmed Ben Bella avaient zèle par des professeurs sans forma- on ne leur a pas appris leur histoire, ils grand-mère de 89 ans qui a vécu la de l’instruction fait débuter l’histoire du pays le purement et simplement disparu tion, résultent une immense rigidité ont été la chercher ailleurs : dans la guerre. », confie la troisième, rencon- 1er novembre 1954. Du passé colo- des manuels avant de réapparaître trée à la porte du lycée Ourida-Med- civique » nial, « il ne sera retenu que les séquen- dans les années 1990. Quant à Abba- dad entre Bab el-Oued et la Casbah. ces de résistance violente plus ou ne Ramdane, apôtre des « politi- Nombril à l’air, visage voilé ou moins dégagées de leur contexte et ques » au sein du FLN étranglé en T-shirt-baskets, les élèves algériens mi les jeunes Algériens à l’évocation considérées comme une sorte de proto- 1958 par ses rivaux militaires, il a sont enclins à considérer la « Révolu- d’une histoire pourtant enseignée histoire dont la finalité (…) ne pouvait longtemps été présenté comme tion » vieille d’un demi-siècle à l’au- comme glorieuse et fondatrice de la être que la révolution du 1er novem- « martyr » (sous-entendu : tué par ne du temps présent : ils s’empor- nation depuis plus de quarante bre », analyse Hassan Remaoun, les Français) avant que sa dispari- tent, comme Zoraïda, 17 ans, contre ans ? Pour que les manuels soient professeur de sociologie politique à tion ne soit gratifiée de l’euphémis- des dirigeants qui puisent leur légiti- accusés de « mentir » à longueur de l’université d’Oran et précurseur me sibyllin « mort au Maroc ». mité dans leur passé d’anciens com- pages ? dans l’examen critique de l’enseigne- « A l’instrumentalisation politique battants mais n’ont « rien à voir avec « Après l’indépendance, nous ment de l’histoire. Cette date « est par le colonisateur qui prétendait que ceux qui ont fait la révolution de avons sacralisé notre histoire et empê- présentée comme le moment véritable nous n’existions pas en tant que peu- 1954 » et ont amené le « foutoir ché le développement de l’esprit criti- de rupture avec le système colonial et ple, renchérit Mahfoud Kaddache, a actuel, énorme ». Evoquent avec que, reconnaît Mahfoud Kaddache, l’acte de naissance de l’Etat natio- répondu l’instrumentalisation par

« J’enseigne que la guerre n’a pas opposé les bons aux méchants » Hayat, 37 ans, professeur dans un lycée d’Al- que que c’est toute l’Algérie qui s’est soulevée contre savoir ce qu’il faut en penser. Il faut commencer par ger : « Mes élèves ne considèrent pas les Français l’occupation française. » déconstruire leurs préjugés tout en sortant du messa- comme des ennemis. Ils sont inquiets pour leur ave- Houria, 35 ans, professeur à Bechar (Sud algé- ge de nos manuels qui met tous les protagonistes sur nir et ont tendance à penser que les choses allaient rien) : « Je suis la fille d’un maquisard torturé par l’ar- le même plan. » mieux avant (…). Le chapitre de notre programme mée française. Pourtant, j’enseigne à mes élèves que Isabelle, 29 ans, professeur dans un collège de sur la guerre de libération n’a aucune prise sur eux et la guerre de libération n’a pas opposé les bons aux Seine-Saint-Denis : « Lorsque je présente le pro- je ne peux pas m’en contenter au moment où les méchants. Je leur parle d’Alleg, d’Audin. Je leur mon- gramme en début d’année, c’est la première ques- tabous sur notre histoire tombent à la télévision (…). tre que, sans les ultras, une issue pacifique aurait été tion de mes élèves : “Parlerez-vous de la guerre d’Al- L’école a une responsabilité dans la fabrication des possible. Je leur explique que la France est une chose gérie ?” Le sujet est abordé après la deuxième guer- jeunes terroristes. Elle enseigne que ce qui a été pris et le colonialisme une autre. Je considère que le rôle re mondiale et les élèves, quelle que soit leur origine, par la force ne peut être repris que par la force. Moi, de tous les professeurs d’histoire est de faire détester font le parallèle entre les maquisards algériens et les j’explique que les problèmes politiques peuvent trou- la guerre. Etant donné ce que les Algériens viennent résistants français, notamment à propos de l’usage ver une issue politique et non violente. » de vivre, les élèves comprennent bien le message. » de la torture. Je ne me fais pas l’avocate de l’armée Karim, 36 ans, professeur à Azaga (ex-Miche- Malika, 30 ans, professeur dans un collège de française, mais j’explique que les soldats n’étaient let), en Grande Kabylie : « Je suis amené à me Seine-Saint-Denis : « L’an dernier, j’ai fait le choix pas des nazis (...). Les élèves découvrent aussi l’exis- démarquer du programme officiel pour donner un militant de consacrer quatre heures de cours à la tence des pieds-noirs et cela modifie leur vision du minimum de crédibilité à mon enseignement. Par guerre d’Algérie. Le cours de géo sur les USA en a conflit. Beaucoup d’élèves issus de l’immigration se exemple, je leur dis que la nation arabe est une fic- pâti et le sujet est tombé au brevet… Mais les élèves mettent dans la peau de ces gens forcés de quitter tion et qu’il faut mieux se contenter de dire “les pays ont été passionnés : le clivage juste-injuste les intéres- un pays qu’ils considéraient comme le leur. » arabes” ou à la rigueur “le monde arabe” (…). Cer- se toujours. Pour sortir du manichéisme sur la guerre tains de mes élèves sont persuadés que seule la Kaby- d’Algérie, il faut être extrêmement compétent, Propos recueillis par Philippe Bernard lie a souffert de la guerre de libération. Je leur expli- d’autant que les élèves, selon leur origine, croient et Tewfik Hakem a « Histoire-géographie, classe de 3e », de Vincent Adoumié (Hachette). Les manuels français insèrent l’Algérie dans le thème de la « décolonisation ».

Abdelmadjid merdaci, enseignant à l’université de constantine, revient sur la « béance mémorielle » dans son pays, le monopole politique sur l’histoire et la possibilité de bâtir, des deux côtés de la méditerranée, un récit commun « Il faut aujourd’hui reconstruire l’identité algérienne sur une connaissance du passé et non plus sur sa mystification »

Cinquante ans après tématiquement héroïque. Il a fait grand cas re collectif. Le moment d’engager ce travail ment héroïque, le « peuple algérien », à l’his- Chirac m’a rappelé mon enfance, lorsqu’on ce que les Algériens des sources islamiques du nationalisme, est venu. toire d’individus, anciens responsables du nous distribuait de petits drapeaux français nomment la « guerre mais passé à la trappe certains fondateurs On parle souvent d’une « amné- FLN et de l’ALN qui témoignent dans leur à agiter sur le passage des officiels. Sans l’im- de libération nationa- du FLN. Il a présenté la lutte pour l’indépen- sie française » à propos de la guerre d’Al- diversité sans pour autant être des oppo- pensé de l’Algérie française, pareil accueil le », quelle relation dance comme une réaction non pas au colo- gérie. La mémoire algérienne n’est-elle sants politiques. Un matériau neuf émerge. aurait été impossible. entretiennent les jeu- nialisme, mais à une agression contre notre pas, elle aussi, défaillante ? Dans notre univers marqué par le terrorisme Concevez-vous une réconciliation fran- nes Algériens avec ce identité arabo-musulmane. Il a glorifié la lut- Les Algériens, eux aussi, ont eu envie et la négation de l’individu, l’émergence de co-algérienne sur le modèle franco-alle- passé ? te armée et occulté la dimension politique d’oublier : il faut du temps pour cicatriser ces témoignages individuels marque un pas mand ? Pendant longtemps, les jeunes ont été du conflit. Cette violence transmise par les des blessures comme la torture, le viol ou le vers l’accès aux vérités historiques. Elle illus- On peut l’imaginer sur le long terme, à saturés de discours mémoriels. Les commé- manuels a été institutionnalisée par l’Etat déplacement forcé de plus de 2 millions d’ha- tre les rivalités de pouvoir qui jalonnent condition que les Algériens acceptent une morations incessantes et un enseignement algérien, notamment lors de la répression bitants. Le régime du parti unique n’a pu notre histoire, et rompt avec nos mythes una- vision plus complexe de leur histoire, et que scolaire de l’histoire calibré pour légitimer le des émeutes de 1988. Aujourd’hui, la refonte organiser l’histoire sans un certain consente- nimistes. Cette amorce de construction d’un les Français se libèrent de l’hypothèque de la pouvoir en place ont provoqué une grande des programmes scolaires est un thème ment de la société. Le deal a longtemps été rapport algéro-algérien à l’histoire permet colonisation. Tant qu’à Alger la fracture lassitude à l’égard de ces « vieilles histoi- récurrent du débat algérien. le suivant : le peuple n’interpellait pas le pou- d’espérer une sortie des relations d’allégean- algéro-algérienne qu’a creusée, aussi, la guer- res ». Tout a changé avec les années 1990, Cette insistance sur la violence com- voir sur sa légitimité politique, tandis que ce ce qui ont survécu à la guerre de libération, re ne sera pas assumée, nous courrons le ris- qui marquent une rupture tragique sur la me unique source de règlement des dernier se gardait de questionner le degré et la construction d’une véritable citoyenne- que de la voir resurgir. Nous en avons fait la question de l’identité algérienne. conflits et sur les sources religieuses du d’héroïsme des uns et des autres pendant la té qui consacrerait enfin la proclamation du cruelle expérience dans les années 1990. La décennie sanglante que nous venons nationalisme a-t-elle préparé la « décen- guerre. Le maintien du mythe d’un FLN 1er novembre 1954. Quant aux Français, ils doivent se libérer de de vivre repose une question fondamentale : nie sanglante » des années 1990 ? homogène et d’un peuple unanimement Quel regard portez-vous sur la vision la peur que nous leur inspirons en tant que qu’est-ce que cette nation algérienne qui a Dès l’arrivée de Boumediène au pouvoir héroïque était à ce prix. française de la guerre ? musulmans. Même sans être un prosélyte légitimé l’insurrection de 1954 ? Autant les en 1965, la gestion des questions identitaires La fin du parti unique en 1989, la montée J’apprécie le fait que la parole sur cette musulman, on se sent heurté par cette stig- premières générations d’après l’indépendan- a été déléguée aux réformistes musulmans. de la revendication berbère et surtout le terro- période passe progressivement des politi- matisation si lourde de souvenirs. Mais le ce ont été abreuvées de mensonges d’Etat, Leur conception n’a cessé d’imprégner les risme islamiste ont frappé d’obsolescence la ques aux universitaires, et la forme d’apaise- jour où les Algériens comprendront, par autant les jeunes d’aujourd’hui font face à programmes dans le contexte de scolarisa- conception de l’identité algérienne projetée ment qui en résulte. Pour moi, la reconnais- exemple, qu’en 1962 les juifs de ce pays ont un silence officiel qui n’est guère apaisant. tion massive de l’après-indépendance. Pour- par le discours institutionnel. Il faut sance officielle de l’expression « guerre d’Al- été expatriés et non rapatriés, le jour où Ils butent sur une béance mémorielle et sont tant, ceux qui prétendent qu’un système sco- aujourd’hui la reconstruire sur une connais- gérie » par les députés français en 1999 ne les Français cesseront de nous percevoir com- invités à s’identifier à des ailleurs imaginai- laire sinistré a fabriqué les terroristes des sance du passé et non plus sur sa mystifica- lève aucune hypothèque sur les responsabili- me des colonisés héréditaires, il sera possible res, à une « françalgérie » relayée par les années 1990 ont perdu le sens de la mesure : tion. tés du conflit. Il faut aller vers une reconnais- de transmettre autre chose que de la haine. paraboles. Pour eux, la France, c’est Star Ac’ les maquis n’ont jamais accueilli plus de 2 % La multiplication des publications de sance de sa singularité et de sa multiplicité, ou M6, et le colonialisme une abstraction ou 3 % de la jeunesse scolarisée. En réalité, Mémoires d’acteurs de la guerre et la de tous ses aspects, qu’ils soient glorieux ou Propos recueillis par Ph. Be. archaïque. les GIA ont commencé de perdre la bataille libre diffusion d’ouvrages critiques en non. Il faut aussi voir que l’indépendance n’a Ce silence sur la séquence qui fonde la lorsque les parents d’élèves ont refusé leur Algérie ne contredisent-ils pas l’impres- pas fait cesser le rapport de domination. La ABDELMADJID MERDACI, 59 ans, docteur citoyenneté algérienne reflète un délitement mot d’ordre de boycott de l’école du « pou- sion de silence et d’amnésie ? France s’est libérée du statut de puissance en sociologie et diplômé en histoire, du lien social d’autant plus inquiétant qu’il voir impie ». L’institution école, considérée Pendant longtemps, le monopole du politi- coloniale. Mais elle a accouché d’un monstre enseigne à l’université Mentouri intervient au moment précis où nous avons comme plus sacrée que certaines formes de que sur l’histoire a contribué à la disqualifier néocolonial sur son territoire avec l’immigra- de Constantine. Editorialiste au quotidien le plus besoin de le renforcer, de le repenser. religiosité, aura été le socle de la résistance aux yeux de l’opinion, d’autant que les tion algérienne et reproduit à son égard les La Tribune, il est un spécialiste de l’histoire Les programmes scolaires ont-ils une patriotique contre l’islamisme. Pendant tou- acteurs restaient silencieux et les sources dif- rapports coloniaux. Vos médiateurs dans les du mouvement national algérien et responsabilité dans cette impasse te cette période, nous n’avons eu ni le temps ficilement accessibles. Aujourd’hui, on assis- cités et vos élus municipaux beurs évoquent de la musique contemporaine. mémorielle ? ni peut-être le courage de questionner la pla- te à un phénomène inédit : on passe de l’his- pour moi les bachagas de l’époque colonia- Son dernier essai est consacré à l’évolution Notre enseignement de l’histoire a été sys- ce que tient la violence dans notre imaginai- toire idéalisée d’un acteur collectif forcé- le. Côté algérien, la visite du président de la fonction présidentielle. LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XVII ALGÉRIE PASSAGES En France, un conflit enseigné a Le martyrologe mais perdu dans le programme est central dans l’éducation « C’est devenu un chapitre assez plan-plan, sans commune mesure algérienne. Ici, le manuel avec ce qui peut se passer avec l’islam ou le Proche-Orient » unique de CM1 (enfants UR le papier, tout est clair ou cipalement pour expliquer la chute ou la question du Proche-Orient. » de 9 ans). presque. S’offusquer, comme il de la IVe République. Ce statut ambi- « La guerre d’Algérie, pour la plupart Titre : « Le est de bon ton de le faire, de ce gu amène bon nombre d’ouvrages à des élèves, c’est comme la guerre de colonialisme S que la guerre d’Algérie serait oubliée traiter de la guerre de 1954-1962 non 1914-1918 », confirme Eric Till, pro- français e torture et dans les programmes et les manuels pas dans le cours lui-même mais fesseur à Paris (XX ) dans le numéro tue ». scolaires relève de l’erreur de fait ou dans des pages « documents », où le que vient de consacrer la revue Histo- Cadre gris : du discours rebattu sur l’amnésie. récit fait la place aux textes et aux riens et géographes à l’enseignement « L’ennemi a « La décolonisation » figure dans les illustrations, notamment pour évo- de la guerre d’Algérie. senti que les instructions officielles pour la classe quer le recours à la torture. Si la période 1954-1962 peine à coups portés quotidienne- de troisième et les manuels consa- Cette dispersion des éléments d’in- trouver sa place dans l’enseigne- ment par les crent au drame algérien un chapitre formation sur une guerre déjà éloi- ment, c’est non seulement à cause soldats de succinct mais non négligeable. Il en gnée jette un doute sur la compré- des mémoires conflictuelles qui l’Armée de est de même a fortiori en terminale, hension que peuvent en retirer des coexistent à son sujet dans les clas- libération dont le programme publié en 2002 élèves unanimement décrits comme ses, mais surtout parce que, estime nationale prévoit l’analyse de « l’émancipation « très demandeurs » sur cette pério- Claude Manceron, historien et res- faisaient que la révolution des peuples dominés », illustrée, dans de, et rend d’autant plus détermi- ponsable à la Ligue des droits de gagnait jour les livres scolaires, par un court récit nant le rôle de l’enseignant, astreint l’homme, « l’école et les institutions après jour. Il et des documents assez abondants. à aborder la guerre d’Algérie en une françaises n’ont pas de vision claire du a donc opté Ainsi, chez Hachette (coll. « Lam- heure maximum (beaucoup moins fait colonial ». « Quand ils font cours pour des bin »), quatre pages denses consa- en lycée professionnel, où 14 heures sur la révolution française ou le nazis- moyens crées à la période 1958-1962 se annuelles doivent couvrir la période me, les enseignants transmettent un infernaux pour demandent « Que faire en Algé- allant de 1939 à nos jours). certain nombre de valeurs, analyse l’étouffer : rie ? », tandis que chez Nathan (coll. M. Manceron. Sur la guerre d’Algérie, arrestations, « Marseille »), le thème « Les Fran- «     » ils sont un peu gênés. » tortures, çais et la guerre d’Algérie » et la ques- « 85 % des professeurs se sentent un Attaché à cantonner l’enseigne- assassinats. » tion de « la place importante et dou- peu paniqués par la pression des élè- ment de l’histoire « dans le camp du loureuse » de cette guerre « dans la ves et craignent d’être débordés, de ne savoir » en le protégeant des assauts mémoire des Français » occupent pas être à la hauteur. Leur cours n’est du « devoir de mémoire » et de l’em- aussi quatre pages. jamais faux, jamais enflammé non brigadement des élèves « dans le Pourtant, la guerre d’Algérie n’oc- plus : ils collent au manuel pour ne champ clos de la culpabilité », Jean- cupe pas une place clairement identi- pas prendre de risques, constate Jean- Pierre Rioux reconnaît néanmoins fiée ni dans les programmes ni dans Pierre Rioux, inspecteur général que le lien entre la guerre d’Algérie les manuels. Son traitement, néces- d’histoire honoraire de l’éducation et l’apprentissage de la citoyenneté sairement succinct, apparaît insuffi- nationale et spécialiste de la période. est « une question non réglée ». Mais sant en comparaison de l’importan- Les 15 % restants ‘‘y vont” sereinement il constate aussi que les jeunes ensei- ce accordée aux réalités de la coloni- mais carrément. Il y a un décalage très gnants s’intéressent à la guerre d’Al- sation (aspects curieusement exclus fort entre la vision très planifiée, bana- gérie moins en référence aux valeurs du programme des séries ES et L). lisée des premiers, et l’activisme de la républicaines que pour son lien avec Surtout, le conflit algérien n’est pas mémoire des seconds. » des sujets actuels comme le terroris- étudié en soi. En terminale, son trai- Pourtant, selon l’historien, l’idée me, l’islamisme et même l’« absurdi- tement se trouve écartelé entre le selon laquelle un cours sur la guerre té camusienne des choses ». Ainsi, la presse, à la télévision et chez les isla- veau dosage entre identité et ouvertu- guerre – 1,5 million – inscrit lui aussi vaste chapitre « Colonisation et indé- d’Algérie peut facilement mettre le guerre d’Algérie n’échapperait pas mistes », témoigne Fouad Soufi, uni- re, mais nous devons veiller à ce que au panthéon du nationalisme algé- pendance », où il n’occupe pas plus feu à une classe relève du « fantas- au principe selon lequel chaque géné- versitaire et conservateur en chef l’histoire soit rassembleuse et ne crée rien ne devrait pas non plus être de place que l’indépendance de l’In- me ». « C’est devenu un chapitre rela- ration cherche dans l’histoire les aux Archives nationales d’Algérie. pas de cassures nouvelles. » ébranlé en dépit de sa réfutation par de ou du Congo belge, et le chapitre tivement plan-plan, témoigne-t-il, réponses à ses propres questions. Aujourd’hui, moins d’un tiers des L’omniprésence de la violence les historiens. D’ailleurs, le pouvoir institutionnel sur « La France de sans commune mesure avec ce qui candidats au baccalauréat choisis- dans les manuels – tous édités par a-t-il réellement la volonté de favori- 1945 à nos jours », où il apparaît prin- peut se passer lorsqu’on aborde l’islam Philippe Bernard sent le sujet sur la « guerre de libéra- l’Etat – se trouve aussi remise en cau- ser les débats sur un passé si lourd et tion nationale » immanquablement se. Nombre d’historiens imputent en si présent ? De recoller les morceaux proposé parmi deux questions au effet une part de responsabilité à l’en- du récit national, source première de choix. « Seuls les élèves les plus faibles seignement dans le recours réitéré à l’identité en s’ouvrant à la pensée cri- Les mots pour dire ou ne pas dire « la guerre » choisissent ce sujet car ils pensent s’en la violence pour régler les problèmes tique, en un mot, de « libérer l’histoi- sortir en glorifiant la révolution, témoi- politiques. « 7,5 millions d’élèves re » ? La plupart des historiens fran- EUPHÉMISATION en France, glorification en Algé- l’envoi du contingent, en 1955, ne modifiera pas. gne Saïd Abidi, professeur au lycée reçoivent de manière répétitive un dis- cophones veulent y croire, vibrant rie : le vocabulaire utilisé pour désigner le conflit de – « Opérations effectuées en Afrique du Nord » : l’ex- Bouamama (ex-Descartes) d’Alger. cours où la figure de l’homme en aux propos ouverts d’Abdelaziz 1954-1962 a connu une évolution qui reflète la percep- pression est contenue dans le code des pensions mili- La plupart l’évitent car ils ont peur de armes l’emporte toujours sur le poli- Bouteflika. « Le président sait qu’à tion que les autorités ont cherché à en véhiculer. taires jusqu’en 1999. déplaire au correcteur. Ils sèchent les tique », déplore Daho Djerbal. « Il ne l’heure de l’ouverture sur l’Europe, cet- En Algérie. – « Guerre d’Algérie » : courante depuis l’époque cours en avril, au moment où la guerre faut plus que chaque génération te vision tronquée de l’histoire n’a plus – « Révolution » : le mot désigne à la fois la guerre dans le langage courant, l’expression n’a été recon- est abordée et font l’impasse à l’exa- transmette ses traumatismes et ses cours, commente Fouad Soufi, que contre le colonialisme français et la naissance du régi- nue officiellement que par le vote de la loi du 18 octo- men. » Pour eux, le réveil a dû être fantasmes aux suivantes. Il faut laisser les jeunes ne considèrent plus la Fran- me algérien après l’indépendance, singulièrement bre 1999, fruit d’une proposition de loi du député (PS) difficile en juin dernier : pour la pre- le temps aux jeunes de réinterpréter le ce comme une ennemie. » après le coup d’Etat militaire de Houari Boumediène, Jacques Floch. Le texte substitue l’expression « la mière fois depuis l’indépendance, passé de façon critique », ajoute Nettement plus sceptique, Daho en 1965, et l’arrestation d’Ahmed Ben Bella. Adoptant guerre d’Algérie et les combats en Tunisie et au Maroc » aucun sujet sur la « guerre de libéra- Hassan Remaoun, membre de la Djerbal assimile le mouvement en alors des orientations socialistes et une structure de à la tournure « les opérations effectuées en Afrique du tion » n’a été proposé aux candi- commission, pour qui le « drame de cours à un ravalement de façade, pouvoir autoritaire, la « République algérienne démo- Nord » et reconnaît la qualité d’anciens combattants dats au bac littéraire. l’école algérienne est d’avoir enseigné « parce que la société n’a pas encore cratique et populaire » est alors dirigée par un Conseil aux appelés de la guerre d’Algérie. Un signe des temps, car l’heure la haine ». les moyens de s’exprimer pour accéder de la révolution qui concentre tous les pouvoirs. Dans les manuels scolaires actuels. est au grand ménage de l’histoire Le responsable de la réforme des au statut de nation, parce que l’esprit – « Guerre d’indépendance » et « guerre de libéra- – En Algérie, les livres utilisés dans les classes, dont dans l’Algérie, qui se réveille sonnée programmes assure que l’école doit du parti unique est encore là ». Il tion nationale » sont les expressions courantes l’Etat a le monopole de la conception, de l’édition et après une décennie de terrorisme. aider à « refermer doucement les entrevoit des changements « non pla- aujourd’hui pour désigner cette époque. La seconde de la diffusion, parlent de la « Révolution », des « sol- Avec l’avènement du multipartisme plaies ». Il pense d’abord aux enfants nifiés, sous la forme de crise entre l’of- est directement calquée sur le nom du principal arti- dats de l’occupation » et de « libération nationale ». et de la presse indépendante, la fin qui, dans la période de terrorisme fre de contenus historiques et la san de l’indépendance, le Front de libération nationa- – Les manuels français traitent de la « guerre d’Algé- des années 1980 avait déjà fait sortir récente, « ont vu des camarades égor- demande de savoir » et une résistan- le (FLN) et son Armée de libération nationale (ALN). rie », voire de « guerre de décolonisation ». Ils évo- quelques cadavres des oubliettes et ce des enseignants « arabistes », En France. quent la « cause nationaliste » algérienne, l’envoi du délié les langues. Tandis que la plu- dont une moitié « au mieux » seule- – « Opérations de maintien de l’ordre », « événe- « contingent » et l’accession à « l’indépendance ». part des professeurs, peu formés, Pendant trente ans, ment est moderniste, d’après lui. ments » : ce sont les euphémismes utilisés par l’admi- s’en tiennent à la lettre des manuels « Quand il s’agira de parler de la pla- nistration française et les politiques dès 1954 et que Ph. Be. et ne dialoguent pas avec les élèves, de grandes figures ce dans l’histoire des laïcs, des commu- d’autres prennent des libertés avec nistes, des juifs et des chrétiens, il y les programmes pour éviter d’être du nationalisme aura blocage », pronostique-t-il. discrédités. Mirage ou réalité, affichage ou La multiplication des témoignages ont disparu des nécessité, la volonté d’engager l’ag- d’anciens militants indépendantis- giornamento historique s’exprime Des chants patriotiques au rap tes, la floraison d’ouvrages d’histo- manuels d’histoire de toutes parts. Reste à ne pas riens publiés en France et autrefois recreuser dans l’histoire récente le contre le « politiquement correct », des groupes contestent interdits et la généralisation des para- fossé que l’on prétend combler pour boles ont fendillé la langue de bois. gés sous leurs yeux ». « Il faut faire la guerre d’indépendance. A cet aujourd’hui « ceux qui ont profité de la mort des martyrs » Nombre d’observateurs évoquent entrer le sourire dans les classes, égard, la manière dont les dernières en outre la « catharsis » provoquée oublier cette période en attendant éditions des manuels officiels trai- N Algérie, l’histoire de la « guer- de succès et qui continue, près de tion, pour aborder en filigrane des par la décennie islamiste. « La jeunes- qu’elle entre dans l’histoire, prône-t-il. tent les événements qui ont secoué re de libération nationale » trente ans après sa réalisation, à être sujets qui le sont beaucoup moins : la se bouillonne, n’éprouve aucune haine La décennie 1990 a exacerbé la dicho- l’Algérie des années 1990 peut inquié- E n’est pas seulement cantonnée rediffusé. liberté de conscience, et dans cer- à l’égard des Français et exige la véri- tomie entre l’Algérie et l’Occident, ter. Les élèves apprennent bien que aux programmes d’histoire. Dans les Prendre le risque de contredire ce tains cas la nécessité de désobéissan- té. Elle a vécu trop de drames et veut dont la France en particulier. Cette le président Chadli Bendjedid a cours d’arabe et de français, les élè- qui est écrit dans les manuels scolai- ce. Cet exemple édifiant a été rappor- comprendre. Les autorités n’ont plus le blessure-là aussi, l’école doit aider à la démissionné en 1992, « laissant un ves algériens étudient des textes res pour ne pas mentir à ses élèves, té par des jeunes rappeurs d’Alger. choix », témoigne un professeur cicatriser. » vide constitutionnel », mais leur livre d’auteurs qui témoignent de la pério- tel était le dilemme de M. Hassan, Nourris par les chants patriotiques à d’histoire. A propos de la guerre de « oublie » de leur dire que les élec- de coloniale. D’Albert Camus à l'instituteur du petit Omar dans le l’école, marqués par les musiques Dans le cadre d’une réforme globa- 1954-1962, concernée par la réforme tions législatives remportées par le Abdelhamid Ben Badis et Mouloud roman de Mohammed Dib La Gran- urbaines du monde, dont le rap amé- le du système éducatif, une Commis- à partir de la rentrée 2006, M. Adel FIS – dont le nom n’est jamais cité – Feraoun, la palette est large. Les de Maison (édité en 1952) – et du ricain, certains de ces jeunes rap- sion nationale des programmes, pense qu’à terme il faudra arriver à avaient été auparavant annulées par auteurs étudiés ont eu certes chacun feuilleton à succès. Un passage peurs n’hésitent pas à contester l’his- composée d’inspecteurs et d’universi- une histoire méditerranéenne, com- les militaires qui avaient obligé le pré- des visions sensiblement différentes important que tous les enseignants toire officielle algérienne. Le groupe taires, a été chargée par le ministère mune aux Français et aux Algériens. sident à quitter la scène politique, de ce que fut la guerre d’Algérie, et lycéens algériens connaissent par Hamma a été le premier à oser sam- de réformer les contenus d’enseigne- « Le colonisateur a remis en cause son alors que nul ne l’ignore en Algérie. mais les textes choisis pour les cœur se déroule en 1939 dans une pler un poème du très officiel Moufdi ment, dont ceux d’histoire. Ouvertu- propre rôle, explique-t-il, le citoyen « L’enseignement de l’histoire sera manuels scolaires ne contredisent école algérienne, pendant une leçon Zakaria (auteur de l’hymne national re sur le monde, remise en perspecti- français d’aujourd’hui doit être perçu digne de ce nom lorsqu’il ne fera pas jamais la version officielle de l’histoi- de morale consacrée à la patrie : algérien), pour raconter dans L’Algé- ve, brassage des identités avec la autrement que comme un tortionnai- l’impasse sur ce que les autorités consi- re de la guerre de décolonisation. « Ce n'est pas vrai si on vous dit que la rie, le conte de fées toutes les promes- reconnaissance de la « berbérité » et re. » Mais une telle vision, dans un dèrent comme mauvais », commente Pourtant, c’est à travers la littérature France est votre patrie, finit par lâcher ses trahies de la guerre d’indépendan- pacification des esprits en sont les pays où les traumatismes physiques un historien. D’autres demandent que les élèves algériens ont le plus de M. Hassan à ses élèves, d'une voix bas- ce. Le groupe Intik lui a emboîté le maîtres mots. Mais le monopole de et psychologiques de la « guerre de « un peu de temps » pour que l’Algé- chances de pouvoir développer un se, où perçait une violence qui intri- pas avec Soldat, un rap sans conces- l’Etat sur l’écriture et l’édition des libération » restent très présents, rie affronte, enfin, « son réel ». En sens critique. guait. » sion avec « ceux qui ont profité de la manuels d’histoire ne semble pas ajoute-t-il, « ne peut être obtenue attendant qu’un jour, peut-être, De tous les auteurs algériens étu- mort des martyrs de la guerre ». remis en cause. « Nous allons vers sans consensus ». Ainsi, parler des Amel, Hamane et Naïma puissent diés, Mohammed Dib figure en bon-   Aujourd’hui, Lotfi, le rappeur d’Anna- une histoire plus authentique et plus harkis en classe ne semble guère raconter à leurs petits-enfants une ne place, entre autres parce que sa Aujourd’hui à Alger, quelques ba, continue en Algérie à alimenter vivante des événements, pour expli- envisageable. « Sans doute fau- Histoire qui ressemble à leurs trilogie sur l’Algérie en pleine fièvre enseignants profiteraient, entre ce rap contestataire qui refuse une quer que 1954 n’est pas tombé du ciel, dra-t-il dire que leurs enfants ne sont manuels scolaires. nationaliste à la fin des années 1940 autres exemples, de ce chapitre a lecture simpliste de l’histoire. déclare Farid Adel, le président de la pas eux », admet cependant M. Adel. a été adaptée en feuilleton, El-Har- priori « politiquement correct » puis- commission. Nous élaborons un nou- Le nombre de « martyrs » de la Ph. Be. et T. H. rik (L’Incendie) qui a eu beaucoup qu’il légitime la guerre de décolonisa- Tewfik Hakem XVIII/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE PASSAGES Le cinéma et la guerre, très loin de l’épopée les films français sont radicalement différents de ceux d’hollywood sur le vietnam. les productions algériennes, encadrées par l’état, qui en définit les formes et les visées politiques, ont une connotation plus mythologique

ONTRAIREMENT à une idée question, qu’il vient de republier tats de l’OAS. Interdit encore, ce film reçue, le cinéma français n’a sous le titre Imaginaires de guerre, les extraordinaire à bien des égards, C pas ignoré la guerre d’Algérie. images des guerres d’Algérie et du Viet- date dans l’histoire du cinéma, Le On en a l’impression parce que l’on nam (La Découverte, 2004) – Petit Soldat, tourné en 1960 par Jean- recherche systématiquement la com- qu’aucun film concernant la guerre Luc Godard, et qui dérogeait à tou- a « Muriel », paraison avec les films américains d’Algérie ne sera un succès public. tes les habitudes du « cinéma politi- d’Alain sur la guerre du Vietnam. Or, le ciné- Il y eut, bien sûr, les films mili- que ». Si le lieutenant Le Pen appe- Resnais ma français a fréquemment évoqué tants, engagés aux côtés des combat- lait contre cet « étranger » les fou- (1963), celle d’Algérie, mais pas de la même tants algériens. Ceux-là furent impi- dres de la justice, la gauche dénonça exprime manière. Les bibliographies consa- toyablement censurés – d’autant cette œuvre exceptionnelle, qui la place crées au sujet – France-Algérie, ima- plus efficacement que, longtemps, appelait à réfléchir quand il n’était du conflit ges d’une guerre, ouvrage collectif l’indépendance algérienne ne dispo- convenu que de s’engager, qui posait algérien sous la direction de Mouloud sa pas de soutiens puissants en Fran- la question de regarder en face la tor- dans Mimouni (Cahiers de Ciné-Ima n 1, ce, notamment de la part du Parti ture, et demandait avec quel regard l’imaginaire 1992) et La Guerre d’Algérie à l’écran, communiste et des syndicats. Aussi cela était possible, quand, à l’omerta collectif ouvrage collectif sous la direction de Une nation, l’Algérie, de René Vautier imposée par l’armée et l’Etat et à l’in- français : Guy Hennebelle, avec Mouny Ber- – film disparu –, Algérie en flammes, différence collective, répondait une celle rah et Benjamin Stora (Cinémaction du même, Les Réfugiés, de Cécile de dénonciation minoritaire, à la fois d’un secret n 85, 1997) – attestent du nombre Cujis – monteuse des premiers films nécessaire et insuffisante. toujours

de titres, documentaires et fictions. de la Nouvelle Vague avant d’être Si la guerre d’Algérie, c’est-à-dire  dissimulé. Mais la très grande majorité de ces emprisonnée pour son soutien au ce qu’en perçoivent la majorité des films ne sont pas des films de guerre. FLN –, Réfugiés, de Pierre Clément, Français, l’envoi de l’autre côté de la Ce sont des films le plus souvent 58-2/B, de Guy Chalon ou Secteur Méditerranée des appelés, constitue  situés en métropole, qui réfractent la postal 89098, de Philippe Durand l’horizon ou le ressort dramatique manière dont celle-ci a majoritaire- (première fiction), ne connurent-ils plutôt que le sujet de films impor- ment perçu la « guerre sans nom » : qu’une diffusion ultraconfidentielle. tants de l’époque, comme Cléo de 5 de la décennie 1960, c’est clairement sé qui passera d’autant moins qu’il Les Frères des frères, le beau docu- pas comme une guerre, justement, Ce sera aussi le destin du montage à 7, d’Agnès Varda (1961), Les Para- Muriel, d’Alain Resnais (1963), qui ne trouve pas à être partagé. C’est ce ment de Richard Copans sur le mais comme un ensemble d’événe- de documents tournés durant le mas- pluies de Cherbourg, de Jacques désigne la place du conflit dans l’ima- blocage, cette forclusion minoritaire, réseau Jeanson, la guerre d’Algérie ments inquiétants, mettant en péril sacre commis par la police parisien- Demy (1963) ou Adieu Philippine, de ginaire collectif : celle d’un secret chez ceux qui « y sont allés », que ressemble toujours à une page fantô- des personnes, des intérêts, un cer- ne le 17 octobre 1961, Octobre à Jacques Rozier (1963), si la situation que chacun, pour des motifs diffé- mettra en scène le beau documentai- me de l’histoire de France. tain mode de vie, une éthique de l’ac- Paris. A l’époque, l’événement qui historique est au centre des deux pre- rents, préfère ou accepte de ne pas re de Bertrand Tavernier et Patrick Côté « européen », il faut enfin tion, des illusions issues de l’après- « fait image », c’est la répression miers films d’Alain Cavalier, Le Com- laisser remonter à la lumière. Rotman La Guerre sans nom (1991). mentionner un ensemble de films guerre. C’est cela qu’évoquera sur- (sanglante, mais de bien moindre bat dans l’île (1962) et L’Insoumis Le film de fiction met également Au début des années 1970 – après consacrés moins à la guerre d’Algé- tout le cinéma français d’alors. proportion), au métro Charonne, de (1964), et bien sûr de l’œuvre majeu- en question le statut des images Mai 1968 puis le départ du général rie qu’à ce qu’a été, pour les pieds- Encore faut-il remarquer – comme la manifestation organisée par le re quoique mal connue de Chris Mar- documentaires, ces plans de torture de Gaulle – Elise ou la vraie vie, de noirs, la vie là-bas. Depuis le magnifi- le fait Benjamin Stora dans l’ouvrage PCF et les syndicats, l’année suivan- ker, Le Joli Mai (1963), parmi bien ramenés par le soldat traumatisé et Michel Drach (1970), Avoir 20 ans que Les Oliviers de la justice, de James le plus approfondi consacré à cette te, pour protester contre les atten- d’autres tournés entre 1962 et la fin que hante douloureusement un pas- dans les Aurès, de René Vautier Blue (1963), jusqu’au très fin Certai- (1971), RAS, d’Yves Boisset (1973) nes nouvelles, de Jacques Davila évoqueront, sur le mode de la fic- (1979), et à Outremer (1990), de Brigit- tion, une histoire devenue légende te Roüan, plusieurs films ont évoqué Slimane Azem, chantre exilé des sacrifiés de la guerre sans avoir jamais pu se charger de sans manichéisme, mais non sans dimension mythologique. Là est la mélancolie, un mode de vie qui aura E 28 janvier 1983, à 65 ans, respectueusement, est le premier artiste algérien compositeur Kamel Hamadi. Pour se protéger, différence avec Hollywood. Il n’y a également eu droit à son chantre mourait Slimane Azem, que Disque d’or. Dans la réception organisée à l’occa- Hachelaf lance un défi à Azem : si Radio Paris (sta- pas de films américains sur le Viet- spectaculaire et anecdotique, Alexan- L les Kabyles désignent sion par Pathé Marconi, il y avait un représentant tion dirigée par les officiers des affaires musulma- nam, il y a plein de films américains dre Arcady (Le Coup de sirocco, 1978, comme leur « plus grand poète de l’ambassade d’Algérie et un autre de la très offi- nes) accepte la diffusion des deux titres, il s’engage sur l’Amérique telle que l’idée qu’elle Le Grand Carnaval, 1983, Là-bas… du XXe siècle ». Né à Agouni cielle Amicale des Algériens, se souvient l’ethnomu- à les presser. Ce qui fut fait trois mois plus tard. s’est faite d’elle-même s’est joué au mon pays, 2000). Gueghrane, village de Grande sicologue Mehenna Mahfoufi, auteur d’une enquê- Quand les responsables français se rendent comp- Vietnam. « L’idée de la France », Kabylie, il est enterré à Moissac (Tarn-et-Garon- te fouillée, Chants kabyles de la guerre d’indépen- te des propos subversifs des chansons, le program- quoi qu’en pensent ceux dont l’exis-   ne), où il aura fini sa vie avec son épouse Lucien- dance. Algérie 1954/1962, éditée en novembre 2002 mateur, A. Nessakh, a déjà rejoint la clandestinité. tence a été tragiquement marquée Côté algérien, la situation est diffé- ne, dite Malika. (Séguier éd.). « Même les Kabyles qui travaillaient En Algérie, Slimane Azem subit les pressions des par les événements de 1954-1962, ne rente, mais moins antinomique A sa mort, la communauté kabyle de France pour l’Etat algérien appréciaient en privé Slimane militants du FLN, qui lui demandent une bonne s’est pas jouée en Algérie. Le cinéma qu’on aurait pu croire : si la guerre pleure « le chantre de la chanson de l’exil ». A Bar- Azem. Certains ont tout fait pour tenter une média- partie de ses recettes, et celles des Français. A-t-il français, qui a fait de la mythologie d’indépendance, événement fonda- bès, le quartier parisien de la diaspora algérienne, tion entre le chanteur banni et Alger, dit-il. Pourtant réellement enregistré pour l’émission « La Voix du avec la Résistance, n’a jamais eu teur de la collectivité, joue naturelle- tous les artistes arabophones et berbérophones lui Azem avait été un des premiers chanteurs à deman- bled » l’Hymne des harkis, comme cela lui sera matière à faire quoi que ce soit de ment un rôle mythologique, le fait rendent hommage. En Algérie, l’émotion est la der l’indépendance du pays. » reproché ? Des artistes pro-FLN comme Kamel comparable avec les djebels. qu’il s’agisse, en ce qui concerne le même. Mais la Kabylie retient ses larmes : dans En 1955, Azem compose, à Paris, deux chansons Hamadi et Akli Yahyaten l’ont toujours défendu. Depuis les années 1970, quelques cinéma (et la télévision), de produc- son pays, Slimane Azem est banni des ondes et crypto-nationalistes : Le croissant de lune apparaît « Il était MNA plutôt que FLN, mais il a toujours été bonnes volontés et quelques nostal- tions soigneusement encadrées par interdit de séjour. Ses disques, ramenés par les tra- et, surtout, Criquets, quittez mon pays : « Criquets, nationaliste », juge Hamadi. gies alimentent la production, de l’Etat, qui en définit les formes et les vailleurs immigrés, circulent sous le manteau. vous avez abusé du pays, je me demande Deux frères de Slimane Azem étaient harkis, un temps en temps, d’un nouveau film, visées politiques, limite la puissance Aucune raison officielle n’a jamais été formulée pourquoi/vous en avez rongé le cœur et dilapidé l’hé- troisième, député à l’Assemblée, partisan de l’Algé- qui ne changera rien à cet état de émotionnelle et esthétique des films. pour expliquer cette interdiction, mais chacun sait ritage de nos pères/Même si vous devenez perdrix, il rie française. En 1962, la famille s’exile en France. fait : du tranchant L’Honneur d’un Le FLN se dote, dès 1957, d’un servi- que le chanteur populaire est fortement suspecté n’y aura plus de entre nous (…) Criquets, Tous les artistes contestataires kabyles, de Lounis capitaine, de Pierre Schoendorffer, ce cinéma, qui réalise des documents d’avoir été un « traître » pendant la guerre. retournez d’où vous venez. » Quand, en février Ait-Menguelet à Maatoub Lounès, ont rendu hom- au magnifique Liberté la nuit, de Phi- consacrés à différents aspects de la Ecouté clandestinement en Kabylie, Azem se 1956, il propose ces deux titres à Pathé Marconi, mage, en chansons et en allant lui rendre visite, à lippe Garrel, ou à l’opiniâtre Cher lutte sur le terrain, lesquels forme- produisait en France. Ses deux derniers Olympia, Ahmed Hachelaf, qui s’occupe du catalogue arabe « Dda Slimane », le « fabuleux fabuliste »... frangin, de Gérard Mordillat, en pas- ront l’ossature du programmatique les 30 et 31 janvier 1982, affichaient complet. En et kabyle, mesure les risques. « C’était la guerre, per- sant par le rageur La Question, de Djazaïrouna (Notre Algérie) en 1961. juin 1970, « Dda Slimane », comme on l’appelait sonne ne pouvait y échapper ! » se souvient l’auteur- Tewfik Hakem Laurent Heynemann, sans oublier Le Taleb (1962), court métrage d’Ab- delhalkim Nacef, offre à l’Algérie son premier film de fiction. Après l’in- dépendance, une importante produc- tion de documentaires précise la ver- sion que le régime entend donner de Harkis : 40 ans pour que les filles racontent les parents la lutte et affiche ses objectifs. Mais le premier grand film de l’Al- « étrangères » pour les français, enfants de « traîtres » pour les immigrés, trois femmes témoignent gérie indépendante est incontestable- ment Le Vent des Aurès, de Moha- ETITS paysans analphabètes, étaient harcelées par les militaires. La hangar ; les adolescents remuants, griffonnés sur sa table, au lycée de et de brimades qui allaient suivre. » med Lakhdar Hamina (1966), récit ils se sont engagés, plus ou nuit, les maquisards venaient se servir arrachés aux parents et placés en Villeneuve-sur-Lot, l’avaient laissée Hadjila Kemoum, elle, a dû « s’ap- de la longue quête d’une paysanne P moins forcés, auprès des trou- dans nos vivres. Un matin, mon grand- foyer de redressement… pleine de rage. « Je lui en ai tellement proprier » ce passé sans les paroles cherchant son fils arrêté par les Fran- pes françaises, avant d’être abandon- père, mon père et mon oncle ont été La famille est sorti de cet univers voulu de subir les conséquences de ce du père. Elle a toujours « su » qu’il çais, où on perçoit, pour le meilleur, nés. Les harkis l’ont chèrement arrêtés par les Français, et relâchés en achetant une maison à crédit, qu’il avait fait... » avait été harki. Elle se souvient enco- l’influence du cinéma soviétique clas- payé, mais ont souvent préféré se tai- trois jours plus tard. Soupçonnés avec les allocations familiales et quel- Le père ne se livrera qu’en 2003. re douloureusement des insultes, au sique et du néoréalisme italien. Le re. Aujourd’hui, des filles prennent d’avoir parlé, ils ont été condamnés à ques économies. A l’école, les S’installant chez lui, sa fille le « har- collège et au lycée : « Je subissais le même Hamina offrira à l’Algérie la la plume. Trois femmes, qui ont mort par les fellagas. Il a fallu fuir et enfants rattraperont leurs quatre cèle » : « Avec les témoignages que je racisme des Algériens, car je ressem- reconnaissance internationale avec essayé de s’approprier cette histoire rejoindre la harka. » Quand le prési- ans de retard scolaire grâce à un cou- recueillais, je l’ai amené à se lâcher. » blais à une Française, et des Français la Palme d’or en 1975, pour sa Chroni- pour mieux comprendre leur père. dent algérien ple d’instituteurs. « Voilà dix ans que Le petit paysan de la région de parce que je m’appelais Malika », dit que des années de braise, fresque aux D’abord il y eut le silence. Celui est venu en France et a traité ces j’ai mûri mon envie de raconter mon l’Ouarsenis, devenu policier parce cette grande femme blonde, qui tra- accents lyriques qui témoigne que, à du déshonneur qui a anéanti leurs hommes de « collabos », Mme Besna- père. J’ai cherché à comprendre pour- que la terre ne nourrissait plus après vaille dans la télécommunication. la différence d’en France, la guerre pères, considérés comme traîtres à ci-Lancou s’est sentie « anéantie » : quoi j’étais fille de harki », explique deux ans de famine, découvre la « Mon père est arrivé à 19 ans : il a est bien matière à mythologie. leur peuple et oubliés par une Fran- « Je l’ai vécu comme un deuxième cette jeune journaliste à L’Express. A guerre lorsqu’il est envoyé en été de suite embauché hors du camp, Hormis L’Opium et le Bâton, d’Ah- ce qu’ils avaient servie. Ils se sont abandon. Alors, j’ai voulu montrer l’adolescence, elle fut pleine d’amer- Kabylie. « Il a été complètement à la SNCF. » Ses souvenirs se résu- med Rachedi (1969), les autres tenta- alors murés : trop douloureux, trop comment une famille pouvait bascu- tume de ne pas avoir un père héros brisé d’être rejeté par les Algériens ment à l’alcoolisme du père, isolé tives en ce sens (comme le film collec- de drames derrière la fuite. Les paro- ler du côté du colonisateur. » de l’indépendance, comme ses copi- et méprisé par les Français. Il avait dans un petit village de l’Ain, à la tif L’Enfer à dix ans, ou La Voie de les venaient des mères et des grands- nes. Les insultes – « fille de traî- un tel respect de la France qu’il dépression de sa mère, au place- Mohammed Slim Riad, Décembre, mères, racontant les familles de har-    tre » –, les graffitis « sale Arabe » n’imaginait pas les années de misère ment des huit enfants dans un foyer. de Lakhdar Hamina, Sueur noire, de kis massacrées, quand les militaires C’est par sa mère et ses frères et Mme Kemoum ne sait toujours pas Sidi Ali Mazif) ne donneront pas français les ont désarmées, en 1962, sœurs que Dalila Kerchouche a dans quelles conditions ses parents grand-chose. Il faut en revanche ou la survie, due à un officier compa- « appris ». Elle n’avait qu’un an et Ils sont aujourd’hui 400 000 se sont embarqués avec un bébé de mentionner les beaux films de tissant. Les mots disant cette « chan- demi quand la famille (onze trois mois. Elle a préféré la fiction, Mohammed Zinet (Tahia Ya Didou, ce inouïe », Fatima Besnaci-Lancou enfants) est arrivée au camp de Bias b Population. Ces musulmans pro-français, nommés tous improprement harkis, pour laisser cette pudeur demeurer. 1971) et de Mohammed Bouamari les a entendus. (Lot-et-Garonne). Sauvés grâce à un sont estimés à 265 000 hommes, soit, avec leur famille, près d’un million Aujourd’hui, « devenue fille de harki (Le Charbonnier, 1972), précurseurs Cette directrice d’une petite mai- colonel qui avait combattu avec son de personnes. Outre les appelés et les engagés musulmans, l’armée française à 40 ans », elle emmène sa fille dans d’une veine désenchantée, sinon criti- son d’édition médicale se souvient grand-oncle durant la seconde guer- a aussi recruté des « supplétifs », les harkis. On dénombrait 60 000 harkis, les réunions de son association, que, qu’illustrera plus tard Omar Gat- de sa mère, chuchotant dans la caser- re mondiale et a désobéi aux ordres, qui auront des fonctions diverses : militaires de carrière, élus, fonctionnaires, Harkis et droits de l’homme. Pour lato, de Merzak Allouache. ne où des dizaines de réfugiés emmenant avec lui les Kerchouche. anciens combattants et éléments de police ou de sécurité (moghaznis qu’elle sache d’où elle vient. Enfin, le cinéma algérien aura été étaient entassés. « A travers une cloi- Les camps à et Bias lui ou groupes mobiles de protection des villages). inhabituellement tôt capable de pro- son, elle racontait à une voisine berbè- ont été rapportés. Des bribes qui b Massacres. Alors que les accords d’Evian prévoient que « nul ne peut être Sylvia Zappi duire des comédies sur ce thème dra- re ce qui nous était arrivé », rela- racontent le froid en arrivant d’une inquiété (…) en raison d’actes commis en relation avec les événements politiques matique, avec la série des Hassan te-t-elle. L’assassinat du grand-père, terre de soleil, quand on n’a qu’une survenus en Algérie », le 25 mai 1962, Louis Joxe, ministre des affaires e Fille de harki, de Fatima Besnaci- Terro, à partir de 1968. Bien plus le supplice de l’oncle et la tante, la robe légère et des sandales en plasti- algériennes, signe une circulaire secrète menaçant de sanctions les militaires Lancou, éditions de l’Atelier, 2003. tard, des cinéastes reviendront avec mise en sécurité du père à la caser- que ; le couvre-feu, l’électricité cou- débarquant des supplétifs en métropole. Le nombre de supplétifs massacrés Mon père, ce harki, de Dalila Ker- un solide sens critique sur le sort des ne, puis la fuite… Tout s’est éclairé pée, les douches collectives une fois par le FLN varie entre 30 000 et 100 000, selon les estimations. chouche, éditions du Seuil, 2003. Algériens des bidonvilles français alors : « J’ai compris pourquoi cer- par semaine ; le regroupement sépa- b Rapatriés. Grâce à l’aide de rares officiers désobéissant aux ordres, quelque Mohand, le harki, de Hadjila d’alors, Okacha Touita avec Les Sacri- tains membres de ma famille étaient ré des « asociaux », ces célibataires 20 000 harkis ont trouvé refuge en France en 1962, rejoints par leurs familles. Kemoum, éditions Anne Carrière, fiés (1982) ou Boualem Guerdjou devenus harkis », explique cette fem- devenus fous ou invalides, assom- La plupart ont longtemps été parqués dans des camps isolés. Avec leurs 2003. avec Vivre au paradis (1998). me de 49 ans, d’une voix douce. més de calmants après les massa- descendants, leur nombre atteint aujourd’hui 400 000 « Français musulmans ». Lire aussi, p. XXIII, le compte-rendu « Le jour, les familles du village cres ; l’école à 80 enfants sous un du livre de Zahia Rahmani, Moze. Jean-Michel Frodon LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XIX ALGÉRIE HÉRITIERS ALGÉRIENS

a A Alger, en 2004, cette publicité vante en arabe la boisson Parler arabe ou français ? à la framboise Sultan. Mais, afin d’attirer les investisseurs étrangers et les touristes, le français revient en force sur les produits Un débat « schizophrénique » de grande consommation.

L’arabisation des élites à marche forcée a été un succès. elle a engendré autant de problèmes qu’elle en a résolu ministre des affaires étrangères s’ex- ALGER les maux dont souffre l’Algérie : gue française, si ce n’est plus », esti- prime en français, à l’occasion de de notre envoyé spécial montée de l’intégrisme, échec de me Khaoula Taleb Ibrahimi, profes- l’ouverture de l’Année de l’Algérie « Aujourd’hui, les Algériens peu- l’école, fuite des cerveaux, persis- seur de littérature arabe à la en France, je maintiens que c’est vent s’exprimer en français sans tance du système clanique et du faculté d’Alger et auteur d’un essai honteux, et que le colonialisme per- avoir l’impression de commettre un parti unique… De leur côté, les éli- intitulé Les Algériens et leur(s) dure. C’est une atteinte à ma digni- crime », résume Mustapha Had- tes arabophones stigmatisent « la langue(s) (éd. ENAG). « La consé- té, à notre indépendance, à la dab, professeur de sociologie à secte des néo-colonisés », qui empê- quence, dit-elle, est que pour une mémoire de nos martyrs. » Alger et parfait bilingue, comme la che la nation de « se reconstruire majorité de mes étudiants l’arabe Moins radical, mais tout aussi cri- plupart des universitaires algé- sur la base de ses constantes », et est associé à un devoir, à des sujets tique, l’ancien secrétaire général riens. Quinquagénaire, il a fait tou- une « élite occidentalisée », accu- comme la religion, la morale, l’His- du FLN, Abdelhamid Mehri, cite tes ses études en français. Dans les sée tout à la fois d’être « hizb fran- toire. Le français l’est au développe- Frantz Fanon : « Le Noir a ten- années 1970, enseignant à l’univer- ment technologique, à un plaisir dance à croire qu’il devient blanc sité des sciences humaines, il s’est d’évasion porteur de plus de liberté, quand il parle la langue des adapté, comme ses congénères, à aux relations amoureuses… » Blancs. » Artisan de l’arabisation, l’arabisation menée par les gouver- Depuis la rentrée Décembre 1996, sous la présiden- M. Mehri a été secrétaire général nements successifs du FLN. ce du général Zeroual, une assem- du ministère de l’éducation de Voulue par Ben Bella, lancée par scolaire de cette blée désignée (le Conseil national 1965 à 1976 : « L’arabisation par Boumediène et parachevée par de transition) vote une loi sur la décret a été une politique nuisible, Chadli, les trois premiers prési- année, le français « généralisation de l’utilisation de la admet-il, mais on oublie que c’était dents, cette politique volontariste langue arabe ». Elle stipule qu’à une profonde revendication des Algé- va scinder en deux camps distincts est enseigné partir du 5 juillet 1998 (et en 2000  riens. On oublie aussi que le premier – « arabisants » et « bilingues » – pour l’enseignement supérieur) décret d’arabisation en Algérie a été les premières élites formées après à partir de la « les administrations publiques, les voulu par le général de Gaulle, qui l’indépendance. Pour les premiers, institutions, les entreprises et les  l’a cosigné avec Michel Debré en © le français constitue le dernier ves- deuxième année associations, quelle que soit leur 1961. De Gaulle a senti que les Algé- tige colonial, dont il faut se débar- nature, sont tenues d’utiliser la seule riens voulaient se réapproprier leur rasser ; pour les seconds, il est « un du primaire langue arabe dans l’ensemble de du caduque la loi sur l’arabisation : ne suis pas certaine que cette franci- langue. A l’indépendance, on a fait butin de guerre » – la formule est leurs activités ». sur les murs de la capitale, les pan- sation à rebours réglera les problè- ce qu’on pouvait avec les moyens de l’écrivain Kateb Yacine – à pré- Voté à l’unanimité, le texte se neaux publicitaires vantent – en mes de l’Algérie », note Khaoula qu’on avait… » server au nom de l’ouverture et du ça », le « parti de la France », et un veut résolument répressif : « L’utili- français – les mérites d’une bois- Taleb Ibrahimi, membre de la com- En disgrâce, M. Mehri ne détient progrès. « suppôt du pouvoir ». sation de toute langue étrangère son américaine, d’une voiture japo- mission de réforme de l’éducation. aujourd’hui aucune fonction politi- A partir des années 1980, les ara- Le cinéaste Mohamed Latrèche, dans les délibérations et débats des naise ou d’un yaourt hexagonal. « La commission a failli éclater à que. Cela n’empêche pas cet bisants sont nettement majoritai- 33 ans, se souvient de la schizo- réunions officielles est interdite. » La Pour tourner la page du terroris- deux reprises. Il n’y a pas eu de ancien ambassadeur de son pays res sur le marché du travail, mais phrénie de ces années 1980. Il était loi a fait couler beaucoup d’encre me, attirer les investisseurs étran- consensus à propos du français. Le en France (1984-1988) d’exprimer les débouchés sont maigres : ils alors lycéen à Sidi-Bel-Abbès : « Le dans la presse tant francophone gers et rêver de concurrencer ses débat idéologique l’a emporté sur le ses désaccords avec le régime, y ont le choix entre l’administration, français ne devait pas sortir des qu’arabophone, nourri quelques voisins maghrébins dans le touris- débat de fond », ajoute-t-elle. Offi- compris dans sa récente réhabilita- l’éducation ou la justice. Les autres murs du lycée. Parler français dans discussions passionnées dans les me, l’Algérie de Bouteflika semble, ciellement, l’Algérie, le pays le plus tion du français : « Les accords secteurs préfèrent encore recruter la rue, c’était comme renoncer à sa cafés universitaires… sans jamais s’être réconciliée avec le français. francophone d’Afrique, ne parti- d’Evian stipulaient que les deux pays dans la minorité bilingue. La crise virilité. Pour une fille c’était toléré, être scrupuleusement appliquée. Signes inimaginables il y a dix ans : cipe pas au Sommet de la franco- s’engageaient chacun à enseigner la économique de 1986 va accentuer en revanche, un garçon était traité En 2004, le français revient d’une à la télévision, le président de la phonie. Mais cette année le minis- langue et la civilisation de l’autre. les rancœurs. Les élites se déchi- d’efféminé. » manière ostentatoire dans les République et ses ministres n’hési- tre des affaires étrangères, Abdela- Malgré tout ce qu’on a dit sur l’ara- rent. Pour les francophones, les « L’arabisation a fait autant de grands centres urbains. L’écono- tent plus à discourir dans la langue ziz Belkhadem, a brisé le tabou, en bisation, on a tenu nos engage- arabisants sont coupables de tous mal à la langue arabe qu’à la lan- mie de marché à l’algérienne a ren- de l’ancien colonisateur. évoquant un éventuel changement ments : le français a fait des progrès Enfin, première mesure de la d’attitude. considérables en Algérie. Sans réforme de l’éducation décidée par « J’insiste pour que mes romans contrepartie : l’enseignement de   …  ,  Abdelaziz Bouteflika et appliquée soient traduits en français, déclare l’arabe a périclité en France », affir- cette année à la rentrée scolaire, le l’écrivain Tahar Ouettar, qui les me-t-il. «    ’     » français est enseigné à partir de la rédige en arabe. Je ne suis contre Comment vivez-vous le fait d’être un Des écrivains arabophones s’étaient félicités lors- deuxième année du primaire. « Je aucune langue. Mais quand notre Tewfik Hakem écrivain algérien écrivant en français ? que Malek Haddad avait renoncé à son génie, simple- Pour moi, la langue française n’est ni ment parce qu’il écrivait dans la « langue de l’enne- un butin de guerre ni une assimilation. Je l’aime, un mi ». De prime abord, on croit assister à une guerre point, c’est tout. Elle m’a fourni l’essentiel de ce que je froide dressant l’arabité contre les influences sulfureu- possède et m’a enseigné tout ce que je sais. Elle reste, ses de la culture occidentale. Mais la vérité est ailleurs. Le FIS se présente comme pour moi, d’abord d’une grande générosité. Je suis fils Il y a, chez les écrivains et intellectuels algériens, aussi du Sahara. Je sais dire les choses comme je les ressens, bien chez les arabisants que chez les francisants, une pas comme il sied aux débats ambiants. haine implacable envers celui qui, parmi eux, parvient le « vrai » héritier du FLN A partir de cette année, le français sera enseigné à se faire un nom quelque part. Rappelez-vous la dès la deuxième année du primaire, qu’en pensez- manière avec laquelle Kateb Yacine était traité par le pouvoir, lui, l’accuse de regrouper les « fils de harkis » vous ? ceux-là même qui, aujourd’hui, parce qu’on enterre C’est une excellente chose, une initiative que je loue mieux les vivants en honorant les morts, lui rendent E Front islamique du salut (FIS), blir, disent-ils, entre une « guerre de depuis sa sortie de prison en 2003, il et cautionne pleinement. Il est grand temps d’arrêter hommage à chaque coin de rue. Essayez de compren- parti légalisé en 1989 avec l’avè- libération », d’essence « progressis- refuse, lui aussi, mais pour d’autres de renifler nos aisselles, comme on dit chez nous, et dre pourquoi Mohammed Dib préférait se calfeutrer L nement du multipartisme en te », et une « guerre contre les raisons, de comparer l’Algérie en de relever la tête pour aller de l’avant. Le retour de la dans son coin plutôt que de se frotter à ses congénè- Algérie et interdit trois ans plus tard civils », obscurantiste. Pourtant, guerre de 1954 à celle de l’insurrec- langue française dans l’éducation nationale n’est res. La France – comme sa langue – m’a appris une après avoir remporté le premier dans le conflit qui va plonger l’Algé- tion islamiste récente. « En 1954, les qu’un retour aux sources, naturel et longtemps atten- chose fondamentale : être seul est, parfois, la meil- tour des législatives, est-il « le fils du rie des années 1990 dans le chaos, la protagonistes avançaient à visage du. Celui qui y voit le retour du joug colonial est un leure façon de rester lucide… et digne. Aussi, cette FLN », comme certains analystes référence à novembre 1954 est sou- découvert. Le conflit s’est terminé par imbécile. Le Prophète ne nous recommandait-il pas histoire de conflit arabophono-francophobien ne me l’ont écrit ? Pour les anciens mili- vent brandie par les acteurs de la des accords qui ont été respectés par avec insistance de nous ouvrir à la langue des autres ? stimule pas plus qu’un attouchement dans le sens du tants indépendantistes du camp laïc nouvelle tragédie algérienne. En voi- les deux parties. Le général de Gaulle Alors, où est le problème ? poil. Par conséquent, je renonce à y tomber. (nationalistes, panarabistes, berbé- ci trois exemples. et Benyoussef Benkhedda [chef du Pour de nombreux Algériens, le français reste la ristes et communistes), la question Ali Benhadj. Quand, au début gouvernement provisoire algérien] langue de la colonisation et de la déculturation… Propos recueillis par T. H. est, en elle-même, diffamatoire. Il des années 1990, le FIS commence à avaient, tous deux, un vrai courage et n’y a absolument aucun lien à éta- faire le plein des diverses voix le sens des responsabilités que n’ont contestataires d’un pays en crise, le pas ceux qui, aujourd’hui, détiennent régime, qui tient sa légitimité de la le pouvoir en Algérie », dit-il. « guerre de libération », fait circuler Néanmoins, dans son livre-inter- Etre « enfant de martyrs », ça aide... le bruit, largement repris par la pres- view Le Fis du peuple, Madani pointe se, qu’Ali Benhadj, le numéro deux « la similitude frappante » entre ces du FIS, n’est « même pas algérien ». deux incarcérations. Dans les deux Lobby fidèle a tous les pouvoirs, l’onec, puissante organisation, est en première ligne Comme par hasard, au même cas, il s’agissait, dit-il, de « défendre moment, les premiers « terroristes » le droit du peuple algérien à la liberté Alger sous la tutelle du ministère des des carences des forces de l’ordre. une retraite anticipée, des facilités arrêtés sont aussi pour une bonne et à la souveraineté, à une vie honora- de notre envoyé spécial anciens combattants », assure son Les « patriotes » en paient le prix en bancaires ; et elle interdit, de facto, partie des « fils de harkis ». ble et décente et à édifier le projet civi- En Algérie, la « guerre de libéra- secrétaire général actuel, Tayeb termes de morts. le licenciement d’un enfant de chou- En mai 1991, Benhadj, dans sa der- lisationnel qui lui a été ravi ». tion nationale » est une sorte d’héri- El-Houari. Ce n’est pas tout à fait Lorsque le président Laimine hada. La loi était peut-être trop bel- nière conférence de presse avant Mohammedi Saïd. Les premiers tage sacré. Y avoir participé est un exact : par le biais de dizaines de rap- Zeroual, méfiant vis-à-vis d’un FLN le : les décrets d’application n’ont son arrestation, exhibe une vieille grands massacres punitifs attribués passeport qui ouvre les portes de la ports commandés à l’ONEC, le gou- devenu difficile à contrôler, décide jamais été publiés et exceptionnel- photographie d’un homme portant aux GIA dans les villages algériens fortune aux audacieux. Etre le fils vernement subventionne bel et bien de créer un parti malléable, le Ras- les sont les entreprises qui appli- un fusil : « Ce moudjahid, c’est mon dès 1992 ont tout de suite été compa- (ou la fille) d’un de ceux qui sont l’association. L’un des plus récents semblement national démocratique quent la nouvelle législation sans y père », clame-t-il. Et il ajoute, mena- rés aux massacres d’Algériens perpé- « tombés au champ d’honneur » est concernait « la solidarité familiale (RND), ce sont encore les cadres de être contraints. çant : « Si je dois prendre les armes trés par d’autres Algériens un atout tout aussi important – et comme facteur de réussite de la cohé- l’ONEC qui en forment l’ossature. Il n’empêche qu’avoir sa carte de pour défendre nos droits comme a fait entre 1954 et 1962. Ainsi le massacre monnayable. Pour qui sait en jouer, sion de la famille algérienne »… « Les trois quarts des fondateurs du l’ONEC procure des avantages maté- mon père contre le colonialisme, je le de Melouza (lire page XV), 300 villa- il peut déboucher sur un emploi, L’aide gouvernementale récom- RND sont des enfants de chouhada », riels. « Ça aide pour trouver du ferai ! » Prédicateur radical, Ali Ben- geois assassinés en 1957 par le FLN, l’octroi d’un logement, d’un prêt pense une organisation qui n’a pas confirme M. Benbaibèche, qui un travail et un logement. On règle beau- hadj jouissait auprès de la jeunesse aurait été exécuté par le lieutenant bancaire… Comme le disait un colo- ménagé sa peine pour venir au temps cumula le poste de secrétaire coup de problèmes, concède M. Ben- islamiste d’une grande popularité. Abdelkader Bariki, dit Sahnoun, agis- nel – aujourd’hui décédé –, ancien secours du pouvoir, lorsque celui-ci général et du RND et de l’ONEC. baibèche. De mon temps, on était un Mais le FIS a préféré mettre à la tête sant sous les ordres de Mohammedi maquisard : « J’ai fait la révolution était chancelant. Créée en 1989 Depuis sa création, cette dernière lobby puissant. » Il le reste. La de son parti Abassi Madani, qui Saïd, colonel de la wilaya 3. Le pour moi et pour ma famille. » alors que le pays s’enfonçait dans la a toujours soutenu le pouvoir en meilleure preuve en est l’augmenta- avait l’avantage, lui, d’avoir la « légi- même homme sera, trois décennies Une institution représente ces guerre civile, l’ONEC a été un instru- place à Alger. Elle était aux côtés du tion continue du nombre d’adhé- timité historique ». plus tard, l’un des fondateurs du orphelins de la guerre : l’Organisa- ment de combat dans la lutte contre général Zeroual au plus fort de la rents malgré les années qui passent. Abassi Madani. Nationaliste dès FIS. tion nationale des enfants de chou- les islamistes. « On était en première guerre contre les groupes islamis- D’ailleurs, l’ONEC n’entend pas dis- la fin des années 1940, celui-ci fut Dans la nuit du 22 au 23 septem- hada (ONEC). Installée dans un ligne. Les institutions publiques tes. Elle soutiendra Abdelaziz paraître avec la fin de la génération effectivement un activiste FLN de la bre 1997, à Bentalha, 400 personnes immeuble du front de mer, à Alger, étaient aux abonnés absents. Il y avait Bouteflika lorsqu’il briguera la suc- des enfants de chouhada. première heure. Arrêté le 17 novem- sont assassinées dans des conditions elle revendique actuellement plus un vide à combler. Nous avons pris cession en 1999, puis en 2004. « On changera de nom et de sigle bre 1954 par les autorités françaises aussi barbares qu’à Melouza en de 800 000 adhérents (dont une bro- nos responsabilités », explique celui Les responsables politiques ont s’il le faut, mais nous allons rester pour avoir participé à un attentat 1957. Les massacres sont attribués chette de parlementaires) : un qui en fut le premier secrétaire géné- su récompenser l’appui sans faille pour perpétuer les idéaux de novem- contre Radio-Alger, il passera les aux GIA par le régime. Abassi Mada- bureau dans chaque préfecture, une ral, Tahar Benbaibèche. de l’ONEC aux heures sombres. En bre 1954 et combattre la culture sept années de la guerre d’indépen- ni, comme certains observateurs, présence dans des milliers de com- L’ONEC va partir en croisade avril 1999, quelques jours avant de de l’oubli, dit l’actuel patron de dance en prison. Arrêté le 30 juin récuse la version officielle et induit munes et d’entreprises publiques… contre le Front islamique du salut quitter le pouvoir, Liamine Zeroual l’ONEC. Il y a bien des associations 1991 avec Benhadj, Abassi Madani l’idée du complot ourdi par le pou- Dotée du statut d’organisation (FIS) puis contre les groupes terro- fait adopter une loi taillée sur me- qui cultivent le souvenir d’Hiroshima. accuse le régime algérien de « sabor- voir militaire pour discréditer les isla- non gouvernementale, « l’ONEC ristes. Elle le fait les armes à la main. sure pour les enfants de chouhada Pourquoi pas celui du 1er Novem- der toute entreprise d’édification de mistes. Comme cela se faisait aussi n’est pas financée par l’Etat mais, Ses membres forment les premiers (et les anciens combattants). Elle bre ? » l’Etat algérien tel que stipulé dans l’ap- pendant la guerre d’Algérie… pour l’essentiel, par les cotisations de Groupes de légitime défense (GLD) leur garantit « une priorité dans la pel du 1er Novembre 1954 ». Contacté ses membres, même si elle est placée nés dans les villes et les campagnes formation, l’emploi et la promotion », Jean-Pierre Tuquoi par Le Monde au Qatar, où il est exilé T. H. XX/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE HÉRITIERS ALGÉRIENS Les « moudjahidates » sortent lentement de l’oubli la guerre est affaire d’hommes... EN algérie, ils l’ont fait savoir et sentir aux militantes dès l’indépendance. les femmes ont été exclues de l’histoire officielle. aujourd’hui, sociologues et romanciers commencent à évoquer ce que fut leur réalité

OURIA H. avait 16 ans ciel. La place des femmes dans la sonnel. Il a fallu attendre la fin des imposent ce choix à leur père, interdisant tout regard individuel structure collective à avoir apporté quand les soldats français guerre d’Algérie, les discrimina- années 1980 pour que les choses c’était, pour l’époque, une petite ou critique. L’émergence d’un fort un soutien public à Mme Ighilariz H l’ont violée devant les gens tions et les supplices qu’elles ont commencent à changer », explique révolution », souligne la psychana- mouvement féministe, soutenu après la sortie de son livre, Algérien- de son village. C’était en 1959, subis, mais aussi le rôle actif qu’el- Malika El Korso, chargée de confé- lyste Alice Cherki. « Elles étaient par une partie des moudjahidates, ne (Fayard-Calmann-Lévy, 2001). dans la région de Jijel. « Les soldats les y ont joué, comme maquisar- rences à l’Institut d’histoire de Bou- des femmes de leur temps : elles ne puis, paradoxalement, la médiatisa- La question du viol, difficile à avaient trouvé des armes, près de des, agents de liaison (chargées de zaréah, chercheur au Centre natio- se projetaient pas dans un destin tion des atrocités commises, aborder quand elle met en cause chez elle, dans une cache. Comme transporter du courrier, des médi- nal d’études et de recherches sur le politique personnel, elles pensaient durant les années 1990, à l’encon- des étrangers, en l’occurrence des Houria était l’aînée des enfants, ils caments ou des armes), offrant mouvement national. Elle avait qu’à l’indépendance les “frères” tre des femmes ont contribué au soldats français, l’est plus encore ont décidé de la punir », raconte hébergement, soins, nourriture, organisé à l’université d’Oran, en s’occuperaient de tout – y compris réveil des mémoires. quand il s’agit de compatriotes. Le Khadidja Belgendour, ancienne vêtements parfois, aux « frères » juin 1988, l’une des premières de leurs droits », ajoute Caroline Le viol, sujet tabou entre tous, seul à l’avoir fait est un romancier maquisarde. Brisée, l’adolescente de l’Armée de libération nationale tables rondes sur ces questions, en Brac de la Perrière, membre du col- apparaît dans les discours publics. algérien, Azzedine Bounemeur, ne sortira plus jamais du cercle de (ALN), mais aussi comme poseu- présence de moudjahidates. A l’été 2000, Louisette Ighilariz, ancien maquisard. Dans son der- la tragédie : « Le village l’a rejetée, ses de bombes, cette place reste Ignorées, marginalisées, ren- ancienne « moudjahida », révèle nier roman, La Pacification (L’Har- ses parents l’ont reniée et elle a dû encore, cinquante ans après le voyées « aux fourneaux » dès les Renvoyées avoir subi, en 1957, la torture du mattan, 1999), il raconte l’histoire s’enfuir. C’est comme ça que je l’ai 1er novembre 1954, largement lendemains de l’indépendance, les viol (lire page VIII). Un an plus d’une jeune militante, partie au rencontrée : quand elle est arrivée méconnue ou occultée. combattantes algériennes n’ont, il « aux fourneaux » tard, en 2001, une journée de maquis et violée par l’un de ses au maquis, après je ne sais combien Le seul ouvrage de référence à est vrai, pas été très nombreuses à débats sur les violences contre les camarades de combat. Le livre de jours et de nuits d’errance, nous ce jour – Les Femmes algériennes participer à la guerre, du moins si dès les lendemains femmes est organisé à Alger par d’Azzedine Bounemeur n’a jamais l’avons prise en charge », explique dans la guerre, de Djamila Amrane l’on s’en tient aux chiffres du minis- l’Institut national de santé publi- été diffusé en Algérie. l’ancienne « moudjahida » de la (Plon, préface de Pierre Vidal- tère des moudjahidins – cités par de l’indépendance. que, avec la participation non Bien d’autres questions mérite- Wilaya II. Dans son malheur, la jeu- Naquet) – a été édité en 1991. Djamila Amrane : sur quelque seulement d’associations de fem- raient d’être étudiées. Quel a été le ne villageoise a eu, si l’on peut Quant au premier documentaire 336 748 militants recensés en 1974, mes, mais aussi de représentants poids de l’islam (et de la coutume) dire, de la chance : après l’indépen- donnant la parole à des moudjahi- on ne trouve que 10 949 femmes, lectif -égalité et auteur de de la justice, de la police et du dans les relations hommes-fem- dance, Khadidja Belgendour ne l’a dates, Barberousse, mes sœurs, « soit 3,10 % du total ». Ce pourcen- Derrière les héros, une étude sur les corps médical. mes, durant la guerre de libéra- pas laissée tomber, bataillant pour d’Hassan Bouabdellah, il fut diffu- tage, dont sont exclues un très « employées de maison en service Mais ces premiers pas sont timi- tion ? Quel rôle ont joué les Algé- la faire suivre médicalement à sé à la télévision d’Etat algérienne grand nombre de militantes, tou- chez les Européens à Alger durant la des. « Au lendemain des révélations riennes de la fédération de Fran- Alger, lui trouver un travail et un le 1er novembre 1985. « Pendant tes n’ayant pas eu l’audace ou les guerre d’Algérie (1954-1962) » de Louisette, on a cru qu’il y aurait ce ? Quelles étaient les sensibilités logement – une chambre de bon- des décennies, le discours officiel a moyens de se faire enregistrer com- (L’Harmattan, 1987). un déclic, que les langues allaient se politiques dominantes parmi les ne, où elle habite encore. voulu qu’on raconte l’histoire algé- me telles, n’est pourtant pas négli- Jusqu’en 1989, année de l’ouver- délier. Mais rien. Silence total. Il y a militantes du FLN ? Autant de L’histoire de Houria H., petite rienne sans citer aucun nom – sauf geable, compte tenu de ce qu’était ture démocratique – vite réfrénée, eu des comptes rendus sympathi- chantiers sur lesquels la recherche main anonyme de la révolution celui des condamnées à mort ou des l’Algérie des années 1950. montée de l’islamisme et guerre ques dans la presse et puis la porte algérienne a commencé, discrète- algérienne, victime de la soldates- martyres “officielles”, comme Hassi- « Que des femmes, souvent adoles- civile obligent –, langue de bois et s’est refermée », explique Dalila ment, à se pencher. que coloniale, n’est pourtant men- ba Ben Bouali – et, surtout, sans centes, s’engagent, militent ou déci- autocensure ont prévalu, sacrali- Djerbal, sociologue et membre du tionnée dans aucun registre offi- jamais livrer aucun témoignage per- dent de partir au maquis, qu’elles sant la lutte d’indépendance et réseau féministe Wassila, seule Catherine Simon Baya El-Kahla, peau noire, blouse blanche, bilan mitigé elle aimait le cha cha et le mambo. infirmière au maquis, elle a connu la prison, la torture. et une indépendance douloureuse

BOUFARIK proches, dont je savais qu’ils étaient ne français « m’a violée dans un com- de notre envoyé spécial morts au combat ou au maquis. » Sa missariat d’Alger. “Tu es noire, qu’as- Toumia Laribi, une des premières sœur, Mama, précise : « Pour se tu à voir avec l’Algérie ?”, me disait-il infirmières à rejoindre les maquis remettre aussi des traumatismes. » pour m’humilier, entre deux séances du FLN en 1956, devait avoir suffi- a Toumia Car, de cette guerre, Baya a tout de torture. » Sans oublier « la violen- samment de caractère pour y sur- Laribi, connu : la prison, la torture, le viol. ce sadique des goumiers, plus cruels monter sa double singularité : être dite Baya En juillet 1962, à 26 ans, elle est que les troufions français ». femme, et être noire. Dès son arri- El-Kahla, marquée. L’Algérie, chantre du tiers- A ce discours, Baya El-Kahla en vée, à 19 ans, dans le djebel de Pales- « Baya la mondisme et du panafricanisme, ajoute un autre, moins commun : tro, « les frères », comme elle dit tou- Noire », déroule le tapis rouge à Myriam « Les maquis avaient perdu la guerre. jours, lui donnent son nom de guer- ici écolière, Makéba, reçoit les Black Panthers Nous ne pouvions rien contre la puis- re : Baya El-Kahla, « Baya la Noi- en 1950-51, américains. Elle aurait pu faire d’elle sance militaire de la France. L’indé- re ». « Je n’ai jamais eu de complexe au collège une icône vivante des décolonisa- pendance est une victoire politique. » vis-à-vis de la couleur de ma peau », Gambetta Ce n’est pas la version officielle. Le dit-elle. Encore aujourd’hui, à Bou- d’Alger. jour de l’indépendance ? « Pour farik, à 35 kilomètres au sud d’Al- Seule Noire, « Je ne regrette moi, c’était un jour de profonde ger, où elle vit, Toumia n’est connue elle en a déjà mélancolie. La joie a été gâchée par que sous son pseudonyme. l’habitude. rien, mais c’était la perte des amis. Ceux morts au Quand la jeune « moudjahida » Elle figure maquis, ceux qui ont quitté l’Algé- fait son apparition au maquis, les au deuxième horrible, il faut rie… » Elle cite les noms des voisins « frères du Front » sont troublés. rang, français, maltais, juifs et espagnols, D’abord Baya est une très jolie deuxième tourner la page » partis « du jour au lendemain ». Sur- Noire venue d’Alger la Blanche. à partir de tout, insiste-t-elle, la famille Blange- C’est aussi une fille de famille relati- la gauche. nois. « Ces voisins français savaient vement aisée, installée dans une tions africaines et de la révolution que j’étais une activiste. Jamais ils ne coquette maison du quartier Fontai- algérienne. Mais Baya n’est pas du m’ont dénoncée. Au contraire, grâce ne-Fraîche, majoritairement euro- genre à se formater au discours sans à eux mon père, arrêté par ma faute, péen, de la capitale. Une citadine tous les villageois qui le désirent, tous fuir clandestinement l’Algérie, elle le mambo avec Jésus. Je passais pour nuances des nouveaux chefs d’Al- a échappé aux représailles. » qui n’a jamais connu la misère des ont pris peur. » Son chef, le comman- n’a eu aucun mal à passer en France une Antillaise, lui pour un Français. ger. La guerre ? « Je ne regrette rien, Depuis cet été 1962, plus de nou- montagnes ; une lettrée, qui plus dant Ali Khodja, lui aurait rétorqué avec de faux papiers la faisant pas- Personne, dans les boîtes de nuit pari- mais c’était horrible, et il faut tourner velles de ces anciens voisins. Pas est, formée au métier d’infirmière en riant : « Espèce de Noire, tu leur ser pour sénégalaise. Le FLN la siennes, ne pouvait se douter de qui la page », martèle-t-elle. Elle se ran- plus de Magali Lopez, « ma meilleu- par les Sœurs de la Croix-Rouge. as foutu la frousse ; ils sont persuadés cache. Elle rencontre, enfin, quel- nous étions. » ge, devient sage-femme. re amie d’enfance. Je pensais naïve- Dans « les maquis de misère », qu’un contingent de soldats sénéga- qu’un d’aussi « différent » qu’elle. Baya El-Kahla rentre à l’indépen- Tourner la page, « sans oublier » ment qu’à l’indépendance les mé- Baya El-Kahla intrigue les combat- lais est arrivé... » « Mon contact était un jeune Kabyle dance. Les rues algéroises sont en que la France, pays des droits de chants allaient partir et que les autres tants et effraie les paysans : « La pre- Arrêtée, renvoyée à Alger, violée barbu aux cheveux longs et blonds, un liesse, mais la jeune héroïne préfère l’homme, pouvait envoyer « des allaient rester avec nous pour mière fois que je me suis présentée puis relâchée, son éclatante beauté étudiant que ses copains appelaient rester chez elle, volets clos : « Pour escadrons de la mort liquider des acti- construire l’Algérie », regrette-t-elle. dans un village en tant que nouvelle lui a plutôt facilité sa vie de « moud- Jésus, se souvient-elle. J’adorais aller éviter de mentir aux voisins qui me vistes du FLN blessés ». Sans oublier maquisarde qui soigne les blessés et jahida » recherchée. Quand il a fallu danser la biguine, le cha-cha-cha ou demandaient des nouvelles de leurs ce « salaud de Graziani ». Le capitai- Tewfik Hakem

juriste et féministe, wassila tamzali vit entre alger et paris. critique du pouvoir, elle analyse la grande difficulté de ses compatriotes à accepter « l’héritage de l’autre en eux ». l’autre, c’est le colonialiste qui a, aussi, apporté les lumières « L’enjeu est de sortir de la libération pour accéder à la liberté »

Vous aviez 21 ans à famille, symbole du « capitalisme internatio- La seconde poche, c’est ce que le colonialis- part de l’autre en soi. Kateb Yacine disait : luer le statut de la femme dans le sens des reli- l’indépendance de l’Al- nal ». L’ennemi n’est plus le colonialiste, me apporte, à son corps défendant, par l’éco- « La langue française est mon butin de guer- gieux, jusqu’à son adoption en 1984. Pendant gérie. Vous êtes mais le capitaliste intérieur. Je me retrouve le : l’idée de progrès, d’émancipation. Une re. » Dans la guerre d’Algérie, l’Occident a vingt ans, les femmes algériennes ont été aujourd’hui très criti- stigmatisée. Là s’ouvre la première faille. partie des élites indépendantistes algérien- été délégitimé en tant que civilisation par ses manipulées. La loi s’était rangée sous la ban- que sur nombre de ses Vous dites : « C’est aussi la France qui nes récupèrent du colonialisme français les exactions. Mais la « libération » va jeter le nière de l’islam, et le discours des mosquées évolutions. L’avez-vous nous a fait progressistes. » Qu’entendez- Lumières : liberté, égalité, fraternité. Elles ont bébé avec l’eau du bain. Or le bébé, c’était devenu agressivement féminicide. Durant les été immédiatement ? vous par là ? été rejointes par une partie des élites françai- nous, les femmes, et aussi les intellectuels. manifestations de 1988-1989, les jeunes filles Au contraire : je suis Les Français ont été les maîtres de la valise ses, qui ont été vers l’anticolonialisme. Ce Vous êtes aussi une militante féministe. scandaient « Laissez-nous vivre ». Ensuite est longtemps restée insérée dans la grande à deux poches. La question du legs de l’hérita- sont les introductions de Sartre aux livres Le féminisme vous a permis de passer de venue une guerre entre un pouvoir islamisé nébuleuse de la « révolution algérienne », ge colonial est très difficile pour nous, parce d’Albert Memmi et de Frantz Fanon qui nous la libération à la liberté ? contrôlant l’armée et l’économie et des isla- des « années de fraternité » du « socialisme qu’il est double. Une poche est douloureuse, ont aidés à penser individuellement. J’ai, dès le départ, défendu les droits des mistes que ce pouvoir avait laissés maîtres de spécifique » algérien. Presque tout le monde sanglante. Nous avons été colonisés en pro- Pourquoi reconnaître ce double hérita- femmes, mais je me suis d’abord inscrite l’opinion. Le problème de l’Algérie, comme l’a été. Ferhat Abbas et Aït Ahmed, quand ils fondeur, dépersonnalisés, déculturés. Il y a ge est-il si difficile ? dans l’Algérie révolutionnaire. Or, on a tous des autres pays musulmans, au-delà des cliva- entrent en opposition, ne rompent pas avec eu une destruction physique de l’identité, Parce qu’il est très dur de reconnaître en été tétanisés par le martyrologe, lorsque le ges politiques, est celui du « parti de la mas- le régime : ils se présentent comme « plus basée sur une approche raciale. On oublie en soi l’héritage de l’autre, lorsque cet autre a mort saisit le vif. Ma génération a considéré culinité », qui domine tout. On retrouve dans légitimes » que ceux qui sont au pouvoir. En France que la loi de l’indigénat fut la premiè- été si destructeur. Notre pensée est bridée que le féminisme était une idée « gauchiste » la lutte des femmes en Algérie non pas une 1962, j’adhère au FFS d’Aït Ahmed parce re loi moderne d’apartheid. Tout un appareil par le passé de destruction. Il nous empêche – donc occidentale. L’Union des femmes algé- trace, ni une influence du colonialisme, mais qu’il est le seul à avoir prononcé à l’Assem- scientifique avait formalisé le racisme colo- de penser en liberté. Le grand enjeu actuel de riennes était une courroie de transmission du une confluence avec les idées d’émancipa- blée un discours sur le respect des droits de nial. Par exemple, les règlements militaires l’Algérie est de sortir du carcan de la libéra- pouvoir. Elle pensait surtout à ne pas remet- tion que la présence française a apportées. l’homme. Je viens d’une grande famille pro- stipulaient qu’un conscrit algérien a besoin tion, pour accéder à la liberté. La libération tre en cause les « grands frères » et prônait priétaire terrienne, qui faisait partie d’une éli- d’un cubage d’air inférieur à un Européen. induit l’affirmation de sa différence vis-à-vis l’amélioration de la situation des femmes par Propos recueillis par Sylvain Cypel te occidentalisée, opposée au nationalisme C’était écrit : l’indigène avait besoin de moins de l’autre, avec la haine qui l’accompagne. petits pas. Nous avions deux âmes : l’une du populiste islamique de Messali Hadj, même d’oxygène pour respirer. Les chambrées de Elle entretient l’esprit tribal, communautaire. côté des femmes, l’autre au service d’un pou- si mon père avait été membre du PPA. Une Nord-Africains pouvaient être donc plus Fanon disait : « Dans le regard de l’autre, on voir qui promouvait progressivement l’islam. WASSILA TAMZALI, née à Bejaïa (Bougie), famille qui a compté de très nombreux res- nombreuses que celles des Français. La pre- est un. » Dans la libération, l’individu s’inscrit Juriste, je suis entrée à la direction de la légis- avocate, a été longtemps haut fonctionnaire ponsables dans la résistance. Le 10 mai 1964, mière poche du colonialisme, c’est ça : « L’in- obligatoirement dans un tout collectif uni- lation du ministère de la justice, où se concoc- internationale à l'Unesco, chargée des Ben Bella s’en prend nominalement à ma digène n’est pas un homme comme nous. » que. La liberté, elle, permet de reconnaître la taient les projets de loi, en 1966. J’ai vu évo- questions des femmes dans le tiers-monde. LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XXI ALGÉRIE LIEUX Ici, il n’y a toujours rien d’autre à faire que travailler lieu mythique, les gisements de hassi messaoud ont fait le bonheur des sociétés françaises, avant d’être nationalisés en 1971. hyperprotégés, ils ont fonctionné normalement durant toute la guerre récente entre le pouvoir et les islamistes

HASSI-MESSAOUD nialisme français », pendant la champ découvert, mais c’était – de te époque qui court jusqu’à la natio- effets immédiatement, mais un peu Le trésor est bien protégé. Person- de notre envoyé spécial « guerre de libération », pour « sépa- loin – le plus gros. nalisation de 1971 subsistent des plus tard, le 1er mai. Ce jour-là, tous ne ne peut débarquer à l’aéroport (le C’est une stèle banale que flanque rer le Sahara algérien et l’Algérie ». Il Pur hasard, les deux compagnies témoignages. Le puits MD1, le pre- les Français de la CFP-A ont quitté deuxième du pays par le trafic) s’il un trépan de forage. Gravées dans le fut aussi question de la « bataille du qui ont « inventé » Hassi-Mes- mier foré à Hassi-Messaoud, après les lieux. « Ils avaient reçu de leur n’est muni d’un laissez-passer. Et, marbre, quelques lignes en arabe pétrole » remportée sur la France. saoud, comme disent les pétroliers, un demi-siècle de bons et loyaux direction l’ordre d’évacuer. Ils étaient comme naguère, l’armée veille sur rappellent qu’ici, à près de 900 kilo- Invité à Hassi-Messaoud au même se partagaient à égalité le gisement. services, continue à cracher ses aussi surpris que nous. Certains pleu- les installations, protégées par une mètres au sud de la capitale, le titre qu’une soixantaine de diploma- Le nord est exploité à partir de 1961 8 mètres cubes/heure d’un brut si raient », raconte Larbi Sakhri, alors triple enceinte d’acier et de béton 18 juin 1971, au milieu de ces bara- tes étrangers venus d’Alger, l’ambas- par la CFP-A et le sud par la léger que l’on pourrait presque l’utili- jeune opérateur de puits. La raison bourrée d’électronique. Quant aux quements rustiques où logent des sadeur de France, M. Basdevant, ne S.N.Repal. ser tel quel dans un moteur. Restent de cet exode soudain ? L’échec des firmes étrangères qui travaillent pétroliers, le « président du conseil souffla mot. Les deux firmes ont des cultures négociations sur l’indemnisation des avec la Sonatrach, elles ont été auto- de la révolution », Houari Boumediè- La nationalisation – « un coup de opposées et elles s’ignorent superbe- intérêts français en Algérie. « On risées à avoir des vigiles armés à l’in- ne, inaugurait la « base du 24 février force », titrait Combat ; une « métho- ment. L’une loge son personnel à « La production était une vingtaine de techniciens, térieur de leurs bases. 1971 » – jusqu’alors baptisée Mai- de de force », selon – avait Maison-Verte, l’autre à Maison- dont douze Français. Du jour au len- Dans ce bastion de l’« Algérie uti- son-Verte. pris de court Paris, surpris l’opinion Blanche. Elles utilisent des techni- n’a jamais été demain, il a fallu tout prendre en le » où l’on mélange l’anglais et le L’événement peut paraître publique française et assommé les ques de forage incompatibles entre main. Mais on était motivés et fiers. français, les islamistes ne sont pas mineur. Il était alors hautement sym- compagnies pétrolières. Brutale, elle elles. Et chacune a construit son ter- interrompue. Nos responsables nous encou- en odeur de sainteté. « Du temps du bolique, car il renvoyait à une déci- ne pouvait être vécue que comme rain d’aviation – mais les pistes sont rageaient : “La presse internationale FIS [Front islamique du salut], il y a sion spectaculaire prise quatre mois une spoliation. Car, comme l’écrivait parallèles. « Résultat, quand il y avait Le seul parti admis a les yeux braqués sur vous”, eu quelques arrêts de travail, mais iso- auparavant : la nationalisation des Le Monde le lendemain, « la décou- un vent de sable, les deux étaient fer- disaient-ils. » lés. Les meneurs ont été licenciés. La sociétés pétrolières françaises. Deux verte et l’exploitation des hydrocarbu- més », se souvient André Salaber, à Hassi-Messaoud, En fin de compte, non sans production n’a jamais été interrom- surtout étaient touchées : Elf-Erap, res du Sahara ont été sans aucun dou- un ingénieur de Schlumberger qui, à accrocs, la relève a été assurée. Plus pue. Le seul parti admis à Hassi-Mes- qui, par le biais de filiales locales, te l’aventure technique, industrielle, et l’époque, travaillait pour les deux c’est le parti d’un millier de puits supplémentai- saoud, c’est le parti de la Sonatrach », extrayait près de 40 % du pétrole simplement humaine, la plus spectacu- sœurs ennemies. Extrait d’une cin- res ont été forés à ce jour. Certains martèle le directeur technique, algérien, et la Compagnie française laire menée par la France après la der- quantaine de puits, le brut est ache- de la Sonatrach » donnent du pétrole. D’autres ser- Kacem Khatara, syndiqué à l’UGTA, des pétroles (CFP, l’ancêtre de nière guerre. Cette entreprise (…) a miné par camions-citernes à Tog- vent à l’injection d’eau ou de gaz le syndicat unique, comme la quasi-  ,   Total), qui en produisait environ le permis notamment la constitution du gourt, 160 kilomètres plus au nord, dans le sous-sol pour « pousser » le totalité des salariés de la Sonatrach. quart, via la CFP-A. Le solde était groupe pétrolier à capitaux publics Elf- puis vers le port de Skidda par che- brut vers la surface. Des complexes La Sonatrach est un parti qui entre les mains de la Sonatrach, la Erap, qui est l’une des toutes premiè- min de fer. En 1964, un premier pipe- aussi des dizaines de baraquements industriels ont surgi au milieu du choie ses adhérents. Salaires plus éle- compagnie nationale. res sociétés françaises ». line transsaharien sera posé. austères où logent désormais des sable, que la Sonatrach exploite sans vés qu’au nord, couverture médicale A Hassi-Messaoud, le cœur de l’Al- Hassi-Messaoud symbolisait cette La guerre d’Algérie ne s’est pas salariés de la Sonatrach. Et, pour les aide étrangère. Des centaines de kilo- gratuite, logement garanti, congés à gérie pétrolière, la visite du prési- aventure tricolore dans le Sahara. Le fait sentir au Sahara. Les troupes de plus anciens de la compagnie algé- mètres de canalisations courent par- rallonge… Mieux vaut être salarié de dent Boumediène fut l’occasion de gisement avait été découvert en la légion étrangère campent non rienne, le souvenir d’une vie d’aven- mi les dunes. la Sonatrach que fonctionnaire com- festivités variées : méchoui géant, 1956 – l’année où les chefs de la résis- loin du gisement, dont les têtes de turiers, où l’on travaillait dur en Après un net fléchissement à la fin munal. La contrepartie, c’est de pièce de théâtre… – et de quelques tance algérienne tenaient clandesti- puits sont parfois protégées par un échange d’un bon salaire. des années 1980, faute d’investisse- devoir vivre dans une ville artificiel- phrases bien senties du chef de nement, en Kabylie, leur premier blindage. Avec le personnel algérien, A Hassi-Messaoud-Nord, la natio- ments, la production de Hassi- le, poussée trop vite. Malgré ses quel- l’Etat contre les tentatives du « colo- congrès. Ce n’était pas le premier pas davantage de problème. De cet- nalisation n’a pas fait sentir ses Messaoud s’est redressée. Elle avoisi- que 50 000 habitants, Hassi-Mes- nne actuellement 400 000 barils/jour saoud est une agglomération sans (bls/j) et devrait doubler d’ici une grâce, où l’on s’ennuie ferme. Elle a dizaine d’années, moyennant de des cybercafés mais pas de cinéma, LES RESSOURCES ÉNERGÉTIQUES DE L'ALGÉRIE ET LEURS VOIES DE SORTIE La production de pétrole lourds investissements. La taille du des cités ouvrières, mais aucun espa- Bejaïa Skikda e ALGER en barils jour gisement le justifie. A lui seul, Hassi- ce vert. Il n’y a rien à faire d’autre é n Annaba (1 baril/jour = 50 tonnes par an) Messaoud représente 60 % des réser- que travailler. Même les serpents a Arzew r r ves pétrolières prouvées du pays. qui fourmillaient dans la région ont t e e d i T op M é ur 2 000 1 857 « En 2060, on produira encore du quitté Hassi-Messaoud. e r M Oran 'E s l er pétrole », assure le directeur de la Constantine V production, Lakhdar Bechina. J.-P. T. Fès 1 500 Oujda Ver 1 230 s l'Europe 1 000 1 040 20 % de l’approvisionnement européen en gaz Laghouat La Skhirra TUNISIE Gabès 835 C’est en 1954, l’année même où commença l’insurrection algérienne, Touggourt 500 qu’une société française découvrait les premiers indices d’hydrocarbures en MAROC Hassi R'Mel A K Algérie. Il s’agissait d’un gisement de gaz naturel, à Berga, dans le sud du Hassi H 330 Sahara, mais difficile à exploiter en raison des distances.

P Messaoud F

I Ghardaïa 0 Deux années plus tard, les pétroliers français, dans des conditions maté- ,

h R c rielles épouvantables pour l’époque, décelaient les premiers gisements a H B/B K -B 1962 1970 1980 1990 00 03 r t

a exploitables de grandes dimensions : le gaz d’Hassi-R’Mel, au sud du Mzab, n Ouargla Source : IFP o

S et le pétrole d’Hassi-Messaoud, dans le centre, deux noms qui allaient deve- , El Borma ) e

i G T

r nir familiers à l’opinion publique française. é El Goléa g l H G/ Un demi-siècle plus tard, l’Algérie fait figure de pays pétrolier promet- A ( E A s

e La production de gaz teur. Les réserves prouvées sont évaluées à 11 milliards de barils mais les n i LIBYE

m R réserves récupérables pourraient être multipliées par quatre, de l’avis des

s en millions de tonnes d'équivalent

e Timimoun N

d experts.

t en construction pétrole e Adrar Depuis une dizaine d’années, l’Algérie s’est lancée dans une politique e i g r (en projet) In Amenas d’ouverture – contrôlée – qui commence à porter des fruits. La production e 80 74,5 n

é Raffinerie

' A

l de pétrole brut, d’une qualité excellente, devrait passer de 1,2 million de

e In Salah à l'arrêt d T  T 70 barils/jour à 1,5 million en 2005 et à 2 millions à la fin de la décennie. Pour la

e (en construction) Z depuis 1986 r S è A t H seule année de 2004, huit découvertes de pétrole ont été faites dont trois

s 60 i A E n i R 50,5 avec le concours de compagnies étrangères, désormais courtisées. L’essen- M

: A 50

s E A L tiel de la production est exporté en Europe (Italie, Allemagne, France). e c r 40 Grâce à Hassi-R’Mel, l’Algérie est un pays gazier plutôt que pétrolier. C’est u Reggane o 32,1 S vrai par le montant des réserves qui l’ont hissée parmi les dix premiers pays 30 au monde. Et par ses exportations, qui se font par gazoduc ou par bateaux P Exploitation Oléoducs en construction 20 spécialisés. L’Algérie fournit ainsi le cinquième du gaz consommé en Europe. Gisements Raffineries Terminaux 10 4,3 Conséquence de la montée régulière des exportations d’hydrocarbures et de la hausse des cours internationaux, l’Algérie engrange des dollars 0 G Exploitation Gazoducs en construction comme jamais : 24 milliards de dollars de recettes pétrolières et gazières en 71 1973 1983 1993 03 2003 ; sans doute 30 milliards en 2004. Gisements Centres de liquéfaction J.-P. T. 100 km Source : IFP A la Casbah et à Bab El-Oued, la mue et l’amnésie ces quartiers d’Alger sont entrés dans l’histoire. désormais, « la saleté y est proprotionnelle à la méconnaissance des lieux »

ALGER soupire le vieil artiste, qui évoque, de boxe. La guerre est encore loin. djahid qui nous emmène, à travers Casbah, une cité en reste », article Aujourd’hui, les Européens de Bab de notre envoyée spéciale l’œil aigu, ses amis disparus – les « La Casbah, avant novembre 1954, le dédale des ruelles, jusqu’à la rue d’une minutie terrible publié dans El-Oued se comptent sur les doigts L’un habite la haute Casbah, dans peintres Mohamed Temmam et c’était vivant, cosmopolite. Il y avait des Abderames, où furent tués, le l’ouvrage collectif La Ville dans tous de la main. Mme X (elle veut garder une maison à étages finissant en ter- Abderrahmane Sahouli, ou le des cafés, des bains maures, des arti- 8 octobre 1957, Hassiba Ben Bouali ses états (Casbah éditions, 1998). l’anonymat), une Française de rasse. Il n’en sort pas beaucoup. fameux poète Himoud Brahimi, sur- sans du tissu, des épiciers, des bijou- et Ali la Pointe (de son vrai nom, « La saleté des rues, ajoute-t-il, est 80 ans, femme de ménage à la L’autre ne quitte guère son apparte- nommé Momo de la Casbah. Murs tiers… Les gens étaient mélangés. Il y Omar Ali), ainsi que deux jeunes de proportionnelle à la méconnaissance retraite, passe encore parfois ment de la rue Bouzrina, ex-rue de effondrés, maisons croulantes, avait beaucoup de juifs. Des Arabes la Casbah, Mahmoud Ben Hamedi du lieu, dont l’histoire ne se transmet devant les trois horloges, cœur de la Lyre. Moustapha Ben Debbagh, cafés et boutiques évanouis : de la juifs – des gens très bien, insiste-t-il. et Yacef Omar, dit « petit Omar », plus. » Tout aussi féroce, son confrè- l’ancien quartier pied-noir. « Ces 98 ans, et Mohamed Abdelhaoui, Casbah lumière chantée par ce der- En plus des Algériens, il y avait des âgé de 12 ans. L’endroit est sale, gar- re Rachid Sidi-Boumedine, qui tra- horloges, c’est notre musée », rit- 78 ans, sont de vieux enfants de la nier (Joëlle Losfeld, 1993, présenta- Espagnols, des Italiens… » dé par un fonctionnaire en civil, en vailla, dès 1971, au premier plan de elle bravement. Casbah, où ils sont nés et ont vieilli tion de Marie-Odile Delacour et L’appartement qu’occupe la tee-shirt crasseux, dont l’haleine sauvegarde de la Casbah, fustige A la librairie Chihab, située à sans jamais se rencontrer. L’un en Jean-René Huleu), il ne reste que famille Abdelhaoui était d’ailleurs empeste la bière. Quelques phrases l’« effacement des mémoires » et la deux pas de l’ancien cinéma Mari- haut, l’autre en bas. des miettes. celui d’un juif algérien, un certain elliptiques, gravées sur une plaque « folklorisation des cultures » à l’œu- gnan, on ne trouve aucun livre qui Le premier, artiste peintre réputé Alim Aboukaïa. « Lui et les siens ont de marbre, évoquent, en arabe, l’ex- vre depuis des décennies, signe du dise le passé du quartier. Sur l’ex- pour ses tableaux miniaturistes, se «     » pris la fuite, en 1962 », indique-t-il plosion meurtrière qui a causé la « mépris » persistant à l’encontre avenue de la Bouzaréa (rebaptisée rappelle le temps où la vieille Cas- C’est rue du Sphinx, aujourd’hui en passant. La faute à l’OAS ? Pas mort des quatre « nobles martyrs ». des quartiers populaires. Colonel-Lotfi), il n’y a que la Gran- bah, bijou hérité de l’époque otto- envahie par les monceaux d’ordu- seulement. Devenu un militant actif D’autres hauts lieux de la lutte de Brasserie, autrefois tenue par mane, était encore si propre res, qu’est né Mohamed Abdel- du FLN, Mohamed Abdelhaoui, anticoloniale, comme cette cave,      un Espagnol, qui soit intacte : salle « qu’on pouvait, sans crainte de se haoui, petit-fils de montagnards arrêté en janvier 1957 par les sol- qui fut l’un des premiers refuges du Plus radicale qu’à la Casbah, la à manger années 1940 et paella cha- salir, faire sa prière dans la rue ». Il kabyles. Lui, ce qu’il se rappelle, dats français, garde dans sa poche FLN et où survint, en 1955, le pre- mue du quartier de Bab El-Oued a que semaine. L’actuel patron est parle avec nostalgie des « vrais cita- c’est le tournage de Pépé le Moko et la photo de son frère Omar, « mort mier accrochage entre un « fidaï » quelque chose d’hallucinant : ici, un Algérien de Biskra, marié à une dins » d’autrefois. Et avec dépit des la silhouette de Jean Gabin – « un au maquis en 1959 ». Derrière, il est [volontaire pour mourir] et des poli- l’amnésie est totale. Vidé, en Bretonne. Un peu plus loin, l’an- « blédards » [venus du « bled », de malabar aux cheveux blancs » – en juste noté : « Pour que vive l’Algérie ciers français à l’intérieur de la Cas- juin 1962, de sa population pied- cien café-restaurant Au roi du bar- la campagne] arrivés à Alger au len- train de dévaler les venelles du quar- libre et musulmane ». Quarante- bah, sont carrément gommés du noir et juive, l’ancien faubourg de bouche (couscous juif algérois, par- demain de l’indépendance et à qui tier. Plus tard, à la fin des années cinq ans plus tard, ce vœu s’est paysage. « Aucun signe permanent l’époque coloniale a été aussitôt fumé avec une plante appelée bar- nombre de propriétaires ont loué 1940, le jeune Abdelhaoui rencon- (presque) réalisé. « Maintenant, de reconnaissance ni aucune mani- rempli par une nouvelle vague bouche) a eu moins de chance : il leurs maisons. « Chaque locataire tre Ali la Pointe, l’un des futurs remarque le vieil homme, tous les festation ponctuelle n’évoquent [leur] d’occupants, surgis souvent des est devenu un fast-food-pizzeria... faisant venir une ou deux familles « martyrs » de la bataille d’Alger, lieux de culte sont des mosquées. » souvenir », constate le sociologue et bidonvilles ou des campagnes avec lui, c’était la ruine assurée ! » au Croissant Club algérois, un club C’est l’un des fils de l’ancien mou- urbaniste Djaffar Lesbet, dans « La miséreuses de l’Algérois. Catherine Simon XXII/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE HÉRITIERS FRANÇAIS La « nostalgérie » pied-noir n’est pas ce que l’on croit jamais il n’y a eu autant de « pèlerinages » de rapatriés vers le lieu qui les a vus naître. certains n’ont pas attendu quarante ans pour y retourner. témoignages de jeunes débarqués à marseille en 1962, et d’autres, tels guy bedos, arrivés en france auparavant

ONGTEMPS on ne les a pas que je leur emmènerais ma coup, je n’ai pas pleuré. J’ai pris ça voyages et ce réalisateur, devenu d’une enfance triste, au milieu d’une d’un mois, elle a beaucoup parlé, entendus : rétifs aux démonstra- maman. » Il appelle ses deux très bien. » producteur de cinéma, a filmé ces famille déchirée, qui détestait autant écouté, et a pu comprendre son his- L tions nostalgiques, à ce qu’ils enfants, 32 et 28 ans, leur lance : Mais Jean-Jacques a un secret. Le retrouvailles. Il est « retourné » plu- les Arabes que les Juifs et qui, « sen- toire : « Je savais qu’il y avait eu des appellent parfois « le folklore cous- « Tout va bien. » En quelques secon- jour du départ, en juin 1962, le volu- sieurs fois, jusqu’à la fin des années tant le vent », avait quitté le pays attentats meurtriers du FLN à Oran, le cous merguez », ces pieds-noirs se des, il est redevenu « très serein ». me de bagages est tellement compté 1980, où lui et ses équipes ont senti dans les années 1950. Bedos achève 5 juillet 1962, alors que nous sommes réfugiaient dans le silence. Le retour Ce voyage qui lui a fait découvrir que sa mère le force à choisir entre « le vent tourner, avec la montée inté- de rédiger des Mémoires d’outre- partis le 8, dans un arrachement terri- sur les lieux de la première enfance, qu’il avait deux pays lui a aussi per- son jeu de boules et sa petite diligen- griste ». Vingt-huit ans après un mère. Il y raconte son Algérie où, ble. Mes interlocuteurs me confir- d’autant plus violent qu’il est tardif, mis de renouer le fil de la généalo- ce. Il prend les boules mais va secrè- départ qu’il n’a « absolument pas enlevé à la partie de la famille qu’il maient ces épisodes sanglants : tout se les libère du deuil caché, rouvre la gie, depuis l’arrière grand-père, pau- tement « enterrer la diligence sous un compris », Paul conservait « des ima- aimait et respecte encore, il a tout mettait en place. » Elle y gagnait aus- blessure. Et autorise l’apaisement. vre pêcheur napolitain débarquant arbre ». En 2001, il découvre que l’ar- ges très précises des rues, de la place, appris d’une « Finouche », institutri- si une vision débarrassée des Pierre-Henri Pappalardo, 56 ans, sur une plage d’Algérie, fondant bre a été coupé, remplacé par des de la topographie ». Pourtant il ce mariée à un républicain espagnol, mythes de l’Algérie d’antan : « Les est un industriel en semi-retraite. avec son clan le petit port de pêche parpaings et de la tôle, fixés sur du n’était pas « en pèlerinage » : « ce dont il ne connaît rien d’autre que ce pieds-noirs sont gonflés de dire que L’élégance discrète, il a toujours Nemours, avant que ses successeurs n’est pas mon truc… » Bien accueilli, nom : « Elle m’a appris à lire, écrire, tout le monde vivait en harmonie. Je répondu qu’il était « de Marseille » ne créent la plus grosse industrie de « avec ce sentiment très ambigu, celui mais surtout aussi les droits de l’hom- me souviens que, dès le lycée, il n’y quand on lui demandait d’où il était. salaison du Maghreb. Après ce voya- d’être le colon qui revient, mais aussi me. » Il y dit aussi que, désormais, sa avait plus une fille arabe avec nous. » Il a travaillé dur dans cette ville qui ge, Pierre-Henri Pappalardo a créé Le retour libère celui qui a été vaincu, le tout dans une « vision autrefois compacte des pieds- Cela aussi lui était confirmé. S’ils l’avait mal accueilli quand il y a la Fondation France-Maghreb, qui extrême complicité », il n’a jamais noirs est devenue plus nuancée : tous l’ont rendu compréhensible, les débarqué, en 1962, à 14 ans. En finance la réhabilitation de huit du deuil caché, éprouvé le besoin d’aller revoir sa n’étaient pas des colons, loin de là. » mots n’ont pas empêché le choc : mars 2003, pourtant… « Chirac fait cimetières chrétiens et juifs d’Algé- maison ou le quartier juif de l’enfan- Marité Nadal, elle, ne dit pas si « L’atelier de mon père était intact, il un discours intelligent. » Il s’inquié- rie – dont Saint-Eugène. rouvre la blessure, ce. Pourtant, il n’a jamais renié ses facilement qu’elle est pied-noir. Née aurait pu continuer son boulot. Mais tait de l’entretien des cimetières Jean-Jacques Jordi, lui, n’a jamais origines : quand on lui demandait d’un ébéniste catalan, elle n’a pas devant l’appartement, je pleurais telle- européens d’Algérie. Et en novem- oublié qu’il était pied-noir : il a été et autorise s’il était arabe – son nom pourrait attendu longtemps pour revenir à ment que je n’ai même pas tapé à la bre 2003, le président de la région, un pionnier de leur histoire. De sa l’être – il a toujours répondu : Oran, où elle a vécu jusqu’à 16 ans. porte. » Michel Vauzelle, « reprenant la balle thèse sur les Espagnols d’Algérie l’apaisement « Non, pied-noir. » Dès 1970, huit ans après l’arrivée Elle s’étonne que les pieds-noirs au bond, organise un voyage en Algé- – dont il descend – au récit de leur C’est à cette période, en 1984, que dans une métropole dont elle ne de son âge aient tellement attendu rie sur ce thème ». arrivée à Marseille, le responsable Guy Bedos « a fait le voyage initiati- connaissait rien, elle y allait avec son pour revenir sur leurs pas. « Ils M. Pappalardo, comme s’il atten- du futur Mémorial de la France ciment : « Cela m’a fait beaucoup de que » sur les traces de son enfance compagnon antillais. Convertie à la voient l’Algérie comme l’Atlantide, le dait l’occasion, s’y joint. Un jour, il d’outre-mer n’a eu de cesse de se peine. Si elle avait servi de jouet à un algérienne, escorté d’une équipe de gauche par Mai 68, alors qu’elle continent disparu. Moi j’ai su très vite s’échappe du groupe « pour me rap- pencher sur ce passé. « Assuré du enfant, j’aurais été ravi, la vie conti- télévision. « Je flottais dans les décors avait – « comme tout le monde » – qu’elle existait après 1962… et qu’elle procher de mon cimetière », là où côté historique », il ne s’est décidé nuait. Mais cette disparition… » dont j’avais rêvé la nuit, j’étais entré penché vers l’Algérie française, elle a existe encore. » reposent les siens. Le voilà, troublé qu’en décembre 2001 à revoir Fort- L’historien se tait et revient à Mar- dans mes rêves. » Le comédien ten- connu une Algérie effervescente et mais encore solide, descendant l’al- de-l’Eau, où sa famille vivait des mai- seille, calme. Au lendemain du tait aussi d’exorciser les fantômes militante. Durant ce premier séjour Michel Samson lée centrale du cimetière Saint-Eugè- gres revenus du papa coiffeur. « Sen- retour, il se réveille dos bloqué, énor- ne d’Alger. Il retrouve la tombe fami- sation curieuse, les murs sont là, décré- me bouton de fièvre sur la lèvre. liale après « quarante-deux ans pits, les trottoirs éventrés, mais les bou- Consulté, le médecin lui conseille d’abandon ». Il est « suffoqué, boule- tiques et leurs fonctions sont les seulement de « raconter ». Il racon- versé », submergé de larmes, de dou- mêmes. » Il retrouve le salon de coif- te donc l’histoire à ses filles et fond leur, d’il ne sait quoi encore. « Aux fure et sa maison, occupée par un dans un torrent de larmes irrépressi- miens qui reposent là, j’ai fait la pro- homme de son âge qui s’y est instal- ble. « C’était ressorti comme ça, brus- a A la veille messe que je ne les laisserais plus et lé trois ans après son exode : « Sur le quement. Maintenant, je suis apaisé. de l’indé- Je suis un enfant d’Algérie, pas un pendance, Algérien. Je sais que là-bas c’est chez les pieds-noirs André Akoun, juif, Algérien... et rapatrié eux, je suis content qu’on me souhaite quittent la bienvenue. Mais bienvenue chez le pays Né dans une famille juive oranaise, André Akoun, communiste et athée, s’est bat- eux, pas chez moi. » Ces deux quin- – ici à Alger – tu aux côtés du FLN pour la libération de son pays. Il revient en Algérie deux ans quagénaires auront attendu presque emmenant ce après l’indépendance, en 1964. Ce sont ses impressions qu’il raconte, cinquante quarante ans pour « retourner ». qui tient dans ans plus tard, dans Né à Oran (Bouchène, 2004), un court récit désenchanté et sou- Mais le flux croissant de retours simi- quelques vent plein d’humour écrit à la troisième personne, qui aurait pu s’appeler, comme laires, en ce début de siècle, ferait valises et il le dit, « Requiem pour un impossible retour au pays natal ». L’Algérie, écrit-il, a presque oublier qu’il y déjà eu des abandonnant « pris l’initiative du divorce en se proclamant musulmane », l’obligeant, de ce fait, périodes où nombre de pieds-noirs leur passé « à accepter une citoyenneté de second rang ou à s’exclure ». André Akoun, à contre- sont revenus sur leurs pas. derrière eux. cœur, a choisi la seconde solution. « L’Algérie indépendante qu’avaient défendue sa Paul Saadoun, né en 1949 à raison politique, sa conscience morale et tout un engagement qu’il ne regrette pas, Constantine d’un père commis de était là, sous ses yeux ; et il sentait que ce n’était pas son Algérie, que celle-ci n’exis- préfecture, se souvient bien des tait que dans des souvenirs ambigus, ceux de son enfance, de son adolescence. années 1980, où il a recommencé à  (…) Cette Algérie n’était ni morte ni vivante, juste aveugle d’un imaginaire. » fréquenter l’Algérie. La municipalité de Gaston Defferre organisait des  © Ces « Français » qui ont choisi de devenir Algériens christiAne chaulet-achour, Marie-france grangaud et son époux jean-paul sont quelques-uns de ces rares pieds-noirs qui ont opté pour rester vivre dans l’algérie indépendante, en 1962. ils y résident toujours, « algériens pas comme les autres »…

ALGER, ses « curieux tournants ». C’est à cau- mence ses études de médecine, en sont les scouts protestants et le foot. Les parents de Marie-France et de avec l’Algérie réelle… », explique de notre envoyée spéciale se de son grand-père paternel, un 1956, les attentats se multiplient. « On a vécu la guerre et ses violences, Jean-Paul n’éprouvent pas, loin de Jean-Paul Grangaud, dont l’équipe a Au commencement était le nom. gendarme « arrivé en Algérie au Issu, comme Marie-France, d’une sans mettre de mots dessus, précise là, le même enthousiasme. « Pour développé, au milieu des années Ou plutôt le prénom. Le sien n’est moment de la conquête » et à qui l’ad- famille protestante très croyante, son épouse. C’est par des “petites cho- mon père, c’était simple : il ne s’imagi- 1970, dans la banlieue d’Alger, un pas particulièrement léger à porter. ministration française avait offert l’étudiant est « tout retourné » à la ses”, des actes discrets, que nos nait pas pouvoir vivre dans une Algé- système intégré de santé de proximi- Une Algérienne qui s’appelle Marie- « en guise de solde finale » un bout vue d’un gamin, blessé par la « bom- parents disaient leur refus du mépris rie qui ne serait pas française », expli- té. « On n’est pas resté en Algérie France ? Elle en rit parfois. « On m’a de terre dans la région de Relizane, be du Milk Bar », mais il le sera tout des Algériens, de la torture, et leur sou- que Marie-France. « D’un autre côté, pour jouer les bons samaritains, souli- demandé si je ne voulais pas changer. que Marie-France Grangaud a passé autant, un soir de garde, quand il ci des démunis. » il était plutôt content qu’on reste : ça gne Marie-France, mais parce qu’on Mais ce prénom, mes parents l’ont sa petite enfance à la campagne. devra soigner deux petits bergers de 1962, synonyme, pour la quasi maintenait des liens. » Question de s’y sent bien et que c’est là qu’on est le choisi, pourquoi devrais-je l’effacer ? « On était dans une ferme isolée. Pas Tiaret, touchés, eux aussi, par des totalité des pieds-noirs, de tragédie génération ? Jean-Paul Grangaud a mieux pour vivre. » Certes, ils recon- s’exclame-t-elle, le regard clair et cal- d’eau, pas d’électricité. Le courrier éclats de bombe. « Avec les infirmiè- et d’exode, sonne au contraire pour eu l’intuition, dès novembre 1954, naissent avoir ici un statut singulier. me. Chacun s’inscrit dans sa propre arrivait à cheval. » res algériennes, on évitait de parler eux comme une libération. « C’est que « l’indépendance de l’Algérie « On est des citoyens marginaux, histoire, avec le pire et le meilleur. Dans cette Algérie coloniale des des choses qui fâchent », dit-il simple- seulement à ce moment-là qu’on a était la pente naturelle ». Mais, avance Marie-France. Non, pas mar- C’est ça, l’identité. » L’assimile-t-on à années 1940, « colons » et « indigè- ment. découvert l’Algérie et les Algériens. J’ai contrairement à son père, il n’a ginaux, se reprend-elle aussitôt, on une pied-noir ? Elle sourit. « Après nes » ne faisaient que se côtoyer. A la maison aussi. « La politique trouvé ça extraordinaire, ahurissant « jamais pensé que ça pouvait être n’est pas en rupture. Disons qu’on tout, pourquoi pas ? Cela veut dire « Les Algériens ? » Marie-France était une chose dont toute ma famille qu’on ait pu vivre à côté et l’igno- contradictoire avec l’idée que l’Algé- est… des Algériens pas comme tout le qu’il y a une suite, une filiation. Il faut hésite : « ils étaient loin. » Plus tard, avait une sainte horreur », préci- rer ! », se souvient Marie-France, rie était [son] pays » et qu’il « le reste- monde. » La preuve : leurs cinq assumer son passé, même colonial. » à Alger, elle aura ce même senti- se-t-il dans Grangaud, d’Alger à âgée alors de 19 ans. « Pour moi, rait ». Cinquante ans plus tard, le enfants se prénomment Isabelle, De toute façon, personne, à Alger, ment d’étrangeté. « On vivait dans El-Djazaïr, livre d’entretiens avec 1962, ça a été la délivrance ! », confir- couple Grangaud ne regrette rien. Pierre-Yves, Malik, Naïma et Selim... ne l’appelle ainsi. ce que Pierre Claverie [évêque Abderrahmane Djelfaoui (Casbah me, de son côté, Christiane Chaulet- « On n’a jamais fantasmé sur une Quand ils parlent de Marie-Fran- d’Oran, tué dans un attentat le éd. 2000). Son militantisme à lui, ce Achour. Algérie idéale, on a toujours travaillé Catherine Simon ce et de son époux Jean-Paul, leurs 1er août 1996] appelait la “bulle colo- amis algériens disent simplement niale”. Pour nous, les Algériens repré- « les Grangaud ». Une espèce à sentaient un monde ailleurs », remar- part. Comme ils disent « les Chau- que Jean-Paul Grangaud. Un mémorial pour « Nous les Africains qui revenons de loin »... let », « les Martinez » ou « les Brac de la Périère ». Une espèce en voie    «  » MARSEILLE péens présents là-bas étaient des petits paysans ou le selon des principes affirmés de séparation entre d’extinction : les Européens d’Algé- « Moi aussi, j’ai vécu dans cette de notre correspondant régional des coiffeurs. Ou encore qu’ils n’étaient pas seule- mémoire et histoire : les expositions permanentes rie (d’origine française surtout, espa- “bulle” – mais elle était percée de par- Le Mémorial national de la France d’outre-mer ment des Français d’ancienne extraction, mais aus- seront d’historiens, les expositions temporaires gnole parfois), restés dans leur pays tout ! », réplique Christiane Chaulet- (MOM) devrait ouvrir ses 3 500 mètres carrés d’ex- si de pauvres Minorquins, Maltais ou Italiens pous- pourront faire appel aux riches fonds associatifs. natal après l’indépendance, malgré Achour, installée en France depuis positions permanente et temporaire au début de sés par la misère. Sans oublier les juifs, installés Autre précaution qui a permis que le mémorial les vents contraires et la récente janvier 1994, qui se rappelle, amère, 2007, à Marseille. Ce sera, selon l’historien Jean-Jac- depuis des siècles, qui parlaient l’arabe et n’étaient ne soit pas paralysé par la dureté des débats politi- montée de l’islamisme, ne sont plus comment sa famille, de par ses posi- ques Jordi, qui en dirige la mission de préfigura- devenus français qu’en 1871. ques : l’élargissement du champ géographique et qu’une poignée, et leurs enfants, tions politiques, était devenue la tion, « la première fois qu’un pays osera regarder sa Plus prosaïquement, il a aussi fallu que l’installa- temporel. Si l’Algérie occupe une place forte dans dans la majorité des cas, n’ont pas cible des tenants de l’Algérie françai- colonisation et sa décolonisation en face ». Pour arri- tion du mémorial, réclamé depuis des décennies l’affaire et si nombre d’expositions temporaires y fait souche en Algérie. se. « A la maison, on a essuyé trois ver à ce moment où « sans diaboliser, ni glorifier, on par les associations pieds-noirs, se fasse hors d’el- seront consacrées, ce mémorial sera celui de la pré- Certains sont les descendants de plasticages. C’est un miracle que arrive à parler scientifiquement de cette présence les : elles sont quatre cents, et rarement soucieuses sence française dans le monde entier, et – ce qui ne notables « libéraux », comme feu l’appartement n’ait pas sauté », note française outre-mer », puisque telle est l’ambition d’objectivité historique. Le maire de Marseille, fut pas le plus facile à faire admettre – jusqu’à Jacques Chevallier (lire page III), mai- cette universitaire, âgée à l’époque de ce mémorial dont on parle depuis au moins quand il a remis l’idée en route en 2000, a compris aujourd’hui. On y parlera donc des comptoirs fran- re d’Alger dans les années 1950, qui d’une dizaine d’années. 1983, il aura fallu attendre longtemps, et manœu- que seul un comité scientifique dominé par des his- çais de l’Inde et de l’Afrique occidentale française, fut accusé par les ultras de l’Algérie A l’école, ses condisciples s’amu- vrer pas mal. toriens pourrait en tracer le contenu. Un comité de on y évoquera aussi la Réunion et la Guyane française d’« accointances » avec le saient à lui glisser des bouts de pâte Attendre d’abord que les historiens abordent ces pilotage sur lequel il a gardé la haute main, en contemporaines. Sur la base de faits incontestable- FLN. D’autres, issus de familles de à modeler, le mot « plastic » écrit questions hors des a priori partisans qui, long- accord avec l’Etat, qui mettra 5 millions d’ sur ment établis, mais avec un souci constant de chrétiens de gauche, ont fait, très dessus, « pour bien [lui] faire sentir temps, ont largement pollué les débats. Commen- les 11,4 que coûtera sa construction, a alors été recherche de consensus. Pour, selon l’expression tôt, le choix du combat anticolonial, que, chez les Chaulet, on était des cer à comprendre et à établir, par exemple, que chargé de le mettre en forme. de Jean-Jacques Jordi, qu’« enfin l’histoire serve à ralliant le camp des « fellaghas ». A “traîtres”, des amis des Arabes, et l’histoire de la colonisation algérienne ne pouvait Le comité a rendu son rapport en septem- apaiser les passions ». chaque famille son histoire et, selon qu’il fallait faire attention ». s’écrire en noir et blanc, colonisateurs d’un côté, bre 2002 et le travail pratique – architecture et l’expression de Jean-Paul Grangaud, Quand Jean-Paul Grangaud com- exploités de l’autre, mais que nombre des Euro- muséographie – a pu se mettre en place. Il se dérou- M. S. LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004/XXIII ALGÉRIE HÉRITIERS FRANÇAIS La rancœur et les espoirs des harkis de Mas-Thibert c’est dans cette commune arlésienne que s’est installé, en 1962, le clan du bachaga boualem, figure historique des harkis. les tensions perdurent entre les « provençaux de souche » et les petits-enfants des soldats algériens de la république

MAS-THIBERT lem, figure historique de l’armée du village. Lui sait combien de har- (Bouches-du-Rhône), française et ancien vice-président kis, fils et petits-fils de harkis vivent de notre correspondant régional de l’Assemblée nationale, qui a ici : « 183 familles, soit pas loin de Proche du Rhône, le hameau de trouvé refuge à Mas-Thibert en mille personnes. » Il n’est jamais fati- Mas-Thibert est posé dans la Crau 1962. Grâce à lui, autour de lui, gué de décrire les douleurs et bles- humide, à dix-sept kilomètres d’Ar- 25 000 soldats algériens de l’armée sures de ce qu’il appelle « ma com- les… dont il fait partie. Jean-Marie française et leurs familles ont tran- munauté », et a, lui aussi, des histoi- Egidio, petit homme sec, y occupe sité par un camp qui faisait face au res de plaque aux monuments aux la fonction d’adjoint spécial auprès Mas Fondu, qu’il avait investi en morts à raconter. Celle apposée sur du maire PCF d’Arles, Hervé Schia- famille, enfants nombreux, filleuls la face sud du monument de la rue vetti. Il annonce 2 300 habitants à et protégés inclus. Une partie du des Palmiers, qui dit que « la Répu- Mas-Thibert, dont 1 180 électeurs blique française témoigne sa recon- inscrits. Et s’il sait qu’il y a naissance envers les rapatriés, 3 000 taureaux sur les 17 000 hecta- « S’il y a encore anciens membres des formations sup- res de terres agricoles qui consti- plétives et assimilés ou victimes de la tuent son terroir, il rechigne à une école, un captivité en Algérie, pour les sacrifi- compter combien, parmi ses man- ces qu’ils ont consentis », n’a été dants, sont des harkis, et combien bureau de poste, posée qu’en… septembre 2003. sont les autres. « Quarante ans après », soupi- Car ce descendant de rapatriés c’est quand même re-t-il. Quant à celle, plus ancienne, espagnols, en bon républicain, qui rend hommage au Bachaga, à n’aime pas relever les origines des grâce à nous » l’entrée du cimetière, elle a été citoyens. Et, en homme de gauche, payée par son association, l’Arapa il dit préférer les gens qui parlent (Association des rapatriés et du avec lui d’idées plutôt que de servi- clan Boualem a fait souche ici, vivo- pays d’Arles), qui, après les cérémo- ces. Mais, en bon élu, il rappelle tant dans le même camp de transit nies officielles, s’y rend pour un  que le village a eu un jeune natif du Mazet durant des décennies. A hommage privé, Marseillaise et tué à la guerre d’Algérie, Alain Gui- la mort du fils Ali, les vieux du villa- C’est nous les Africains chantés à tue- gue, dont le nom figure sur le ge sont venus en délégation au tête dans le mistral.  © monument aux morts. Et il le dit Mas de Beauregard, où Lahcene Ces histoires de plaque et de franchement : « Beaucoup de gens élève des pur-sang arabes, et lui mémoire disent combien est gran- a Ces anciens combattants algériens de l’armée française ont soif de reconnaissance, et demandent un travail et sont fatigués qu’on ne reconnaisse le ont demandé de prendre la succes- de la soif de reconnaissance officiel- un toit pour leurs enfants et leurs petits-enfants. village qu’à travers les harkis. » sion. le de ces anciens combattants. Lah- Lahcene Boualem, justement, est « Il était impossible de refuser », cene et ses amis énumèrent leurs enfant de harki, et pas n’importe dit ce grand baraqué qui passe cha- innombrables revendications maté- de masse des jeunes ou pour que peu nombreuses : « Avec des gens taines associations ont fait des lequel : il est fils du Bachaga Boua- que matin dans le quartier arabe rielles, pour répondre au chômage les plus anciens puissent transmet- pas très stables, c’est difficile »… erreurs, en annonçant des perma- tre un toit à leurs enfants. Mais ils Bien sur, les enfants de harkis nences spéciales pour les enfants de semblent plus touchés encore par conçoivent que leur arrivée massi- harkis chômeurs. Cela a créé des les humiliations symboliques que ve, en 1962, dans « ce petit village divisions dans le village. » Ce bat- Le destin des « supplétifs » : l’ombre dans laquelle on les a par- endormi » ait provoqué un choc tant, qui travaille au cabinet du pré- qués leur inflige encore. Le prénom culturel. Bien sur, ils sont gênés sident socialiste de la région, d’une jeune nièce Boualem étant par les « bêtises » de quelques-uns Michel Vauzelle, en tire une conclu- mal orthographiée sur son acte de de leurs cadets désœuvrés. Mais sion optimiste : il est persuadé que un témoignage déchirant naissance, l’administration françai- ils ajoutent que, « s’il y a encore le village peut se réunifier, « et se exige, pour une nouvelle carte une école, un bureau de poste, c’est même devenir un modèle », pour Dans « Moze », Zahia Rahmani évoque le suicide de son père, d’identité, qu’elle demande au quand même grâce à nous. Quant peu que les élus sachent proposer consulat d’Algérie une attestation. au centre social, il a été payé un projet commun à tous. Il a notable sous la colonisation et harki resté vivre en algérie Vexation intolérable pour ceux que essentiellement avec l’argent des convaincu de nombreux harkis, l’Algérie insulte encore. Emmenant rapatriés ». qui penchent plutôt à droite. ONGTEMPS, Zahia Rahmani a le cessez-le feu, parqués dans des sade de France, puis à Marseille. le visiteur au cimetière, l’intarissa- Momo – Mohamed Rafaï –, né Aux régionales de 2004, à Mas- entendu son père hurler la nuit. camps militaires, isolés et mainte- Astreint à solliciter le statut de réfu- ble Mohamed Bellebou montre les au et arrivé ici à Thibert, le socialiste Michel Vauzel- L Et puis un jour, Moze s’est tu. nus dans un rapport de totale sujé- gié dans le pays dont il a la nationali- pauvres tombes recouvertes de ter- un an, ne nie pas les tensions, dis- le a très largement distancé ici Définitivement. tion à une administration spécifique té – la France –, il sera amené à éta- re et de galets d’enfants morts en crètes ou visibles, qui travaillent le Renaud Muselier (UMP), qui avait Au matin du 11 novembre 1991, il – terrible exemple de « communau- ler ses états de service « contre ses bas âge à l’arrivée en France, qui hameau. Le 15 octobre, encore, pourtant entamé sa campagne par a enfilé son manteau, salué le monu- tarisme » d’Etat –, est aujourd’hui frères » pour obtenir le droit à la sur- exigent un entretien plus digne que quelques jeunes dits de troisième une réunion publique dans ce ter- ment aux morts, puis il a filé vers un sorti de l’ombre, l’histoire de ceux vie dans l’Hexagone. ce que les familles peuvent donner. génération, déçus d’une journée roir qu’il voyait conquis. Mais le étang où il a pénétré tout habillé. qui n’ont pas pu ou pas voulu fuir et Cette existence, témoigne sa fille, « C’est bien de faire entretenir les d’action sans lendemain visible et président sortant du conseil régio- Suicide par noyade d’un homme ont été livrés aux représailles du fut un enfer pour son entourage, cimetières en Algérie, mais on pour- excités par quelques bières, ont nal avait pris le fameux Momo sur que son itinéraire pendant la guerre FLN, elle, reste à écrire du côté mais aussi pour lui-même. Surtout rait bien nous aider pour ces envahi la mairie annexe et dégradé sa liste, alors que Muselier n’a pas d’Algérie avait depuis longtemps algérien. lorsque « l’Algérie lui revenait » et 118 tombes mal entretenues »…. la salle des fêtes, qu’ils ont occupée tenu sa promesse publique d’y faire muré dans la honte et condamné à que le monde où il vivait lui sem- Quant aux rapports avec les habi- toute la nuit. La mairie a porté figurer un descendant de harki. la mort sociale. «    » blait soudain étranger. Sa mort phy- tants plus anciens du hameau, ils plainte. Mais ce militant de gauche Avec des gens si attentifs aux sym- Déchirant, poétique, terriblement Or Moze était l’un de ceux-là. sique a entraîné sa fille « dans une restent douloureux. Selon ces mili- ajoute qu’il suffit de pas grand-cho- boles politiques, cela n’a pas fait un éclairant sur la douleur de la condi- Notable musulman sous la colonisa- chute vertigineuse ». Zahia Rahmani tants, leurs enfants ne sont pas se pour que le village trouve la paix pli : beaucoup ont changé de camp, tion de harki, « qui assigne ici et inter- tion, élu local, il s’est retrouvé « sala- venge son père avec des mots qui admis dans les activités de l’associa- et s’imagine « un avenir commun ». marquant ainsi que, au-delà de dit l’ailleurs », et sur le mal-être de rié civil » de l’armée française, avec cognent. Et disent, dans un torrent tion Entre Crau et Rose (nom du La preuve ? « Il n’y a jamais eu, leurs interminables querelles, ils leurs enfants, le bouleversant livre le grade de sergent. En 1962, il a refu- de douleur poétique, le poids d’une Rhône en provençal), qui se consa- ici, de meurtre ou de ratonnades. pouvaient agir comme un lobby de Zahia Rahmani est aussi un sé de quitter son pays. Arrêté, il a honte dont la France n’a pas fini cre « au maintien des traditions pro- Juste des tensions nées de peurs réci- politique efficace. témoignage sur l’un des derniers été interné, comme tant d’autres, d’avoir honte. vençales et du pays d’Arles ». Claude proques. Quand on était petits, on Car, si le maire adjoint dit ne pas tabous de l’histoire de ces soldats dans différents camps, pendant cinq Reboul, qui l’a longtemps présidée, jouait tous ensemble. Ce n’est que connaître le nombre des électeurs abandonnés par la France en 1962, années. Son évasion, à la faveur Philippe Bernard proteste : « Au contraire, il y a des depuis une dizaine d’années que cer- harkis, eux savent combien ils après l’avoir servie. d’une permission obtenue pour voir jeunes filles d’origine maghrébine » tains Mas-Thibertains ont voulu reve- pèsent dans le village. Si le drame des supplétifs algé- sa fille qu’il ne connaissait pas, e Zahia Rahmani : Moze, 192 p., 16 ¤, dans ses rangs, assure-t-il. Il nir à leurs traditions. Sous le gouver- riens « rapatriés » en France après conduira toute la famille à l’ambas- Sabine Wespieser éditeur, 2003. convient finalement qu’elles sont nement Balladur [1993-1995], cer- Michel Samson

L’intérêt pour la guerre d’algérie et sa mémoire marquent en france l’extrême droite et la gauche radicale. Le PS et les héritiers du général de gaulle, eux, semblent surtout soucieux d’oublier. Les explications de l’historien benjamin stora Socialistes et gaullistes, « un passé qui pèse encore »

A l’exception nota- nationalisme républicain. C’est ce passé-là faire le deuil du socialisme national, de sa dat de l’extrême droite, Jean-Louis Tixier- la guerre d’Algérie. Jusqu’à ce jour, les gaul- ble de l’extrême droite qui pèse encore jusqu’à aujourd’hui. conduite pendant la guerre, de la question, Vignancour. Mais une autre partie a voté listes subissent la pression d’une droite et de la gauche radica- La politique conduite alors par le aussi, de la démocratie et du pluralisme, pour Mitterrand par réflexe antigaulliste. nationaliste qui ne lui pardonne pas l’aban- le, la classe politique socialiste Guy Mollet et auparavant par mis à mal en Algérie. Cela fait beaucoup. Quinze ans plus tard, lors de la présidentiel- don de l’Algérie française, dont le Front française a largement François Mitterrand, classé à gauche, ne La poussée de l’extrême droite, avec le le de 1981, le Recours, principale organisa- national représente une expression. D’où occulté la mémoire de pousse-t-elle pas aussi à cette « gêne » rappel de ses positions durant le conflit tion de rapatriés, alors puissante, a appelé leur volonté, eux aussi, de ne pas revendi- la guerre d’Algérie, socialiste ? algérien, en particulier son rôle dans à voter pour François Mitterrand. quer franchement ce passé. qui semble peu la pré- On ne peut pas comprendre la politique l’OAS, n’aurait-elle pas permis au PS de De leur côté, les gaullistes ne sem- occuper ; le Parti socialiste tout particu- de Guy Mollet si l’on oublie les origines reconstruire un discours ? blent ni vouloir ni peut-être pouvoir Propos recueillis par Rémi Barroux lièrement. Quelle en est la raison ? que j’évoque précédemment. Mais cette Il y a une captation par l’extrême droite revendiquer l’héritage gaullien sur cette Le PS est l’héritier de la SFIO, qui a long- orientation de la SFIO s’explique aussi par de l’histoire de l’Algérie française. Celle-ci question. Ils ne font pas de De Gaulle un temps porté à bout de bras la notion de la clientèle politique et sociale qui était la va la simplifier à outrance, en dénaturant « héros » de la paix en Algérie. Quelles mission civilisatrice de la France dans les sienne à l’époque. Il y avait, d’une part, le l’approche républicaine et en lui apportant en sont les raisons ? colonies, avec la vision d’une émancipa- monde enseignant, les « hussards noirs » un aspect racial. D’une certaine manière, Il y en a deux. La première, c’est que tion des peuples par le savoir, l’instruction. de la République, et, d’autre part, l’aristo- c’est grâce à la guerre d’Algérie que le PS l’unité issue de la Résistance a volé en Siège social : 21 bis, rue Claude-Bernard 75242 PARIS CEDEX 05 C’était le parti qui avait le plus pensé les cratie ouvrière, ceux qu’on appelait en se débarrasse de sa conception jacobine et éclats sur la question algérienne. Des gaul- Tél. : 01-42-17-20-00 idéaux de 1789 et en avait conçu une forme Algérie les « petits Blancs », présents dans nationaliste de la République. Après, il listes de la première heure, comme Jac- Télécopieur : 01-42-17-21-21 de nationalisme universaliste. C’est aussi le l’administration française. Quand Guy Mol- s’est trouvé en position de grand désarroi ques Soustelle ou Georges Bidault, ont Télex : 206 806 F mouvement politique français le plus jaco- let est violemment conspué, le 6 février idéologique. De plus, les socialistes rejoint les rangs des partisans de l’Algérie bin, le plus centralisateur et le plus républi- 1956 à Alger, lors de ce qu’on a appelé la n’avaient pas été capables d’imposer française contre de Gaulle. La droite politi- Edité par la Société Éditrice cain. Dès lors, ce n’est pas un hasard si ce « journée des tomates », c’est sa clientèle d’autres interlocuteurs que le FLN, alors que gaulliste s’est fracturée profondément du Monde, président du directoire, sont les républicains de gauche qui ont politique qui se trouve face à lui. Le gouver- qu’ils auraient bien voulu que d’autres sur l’« autodétermination » algérienne. directeur de la publication : poussé le plus l’idée coloniale, avec Jules nement socialiste français va abandonner mouvements, comme le MNA, participent La seconde est que le général de Gaulle Jean-Marie Colombani Ferry notamment. Cette réalité a été en par- sa politique de négociation avec le FLN, aux négociations. Le fait que le PS entre en s’est heurté profondément à une partie tie bousculée avec la révolution russe et alors qu’il avait été élu en décembre 1955 crise sur sa conception d’un nationalisme importante de l’armée pour imposer, à par- La reproduction de tout article est interdite sans d’autres apports. Mais le communisme sur le mot d’ordre de la paix en Algérie. universaliste va expliquer la montée en tir de septembre 1959, sa solution du pro- l’accord de l’administration. Commission paritaire o français a lui aussi, en partie, emprunté au La nécessité d’occulter ce passé puissance, dans les années 1960, d’un cou- blème algérien. Cette déchirure a été pro- des journaux et publications n 57 437. conduirait le PS actuel à l’effacement de rant comme le Ceres, porteur de ce républi- fonde et a débouché sur la tentative de ISSN : 0395-2037 la mémoire ? canisme national et social. putsch d’avril 1961. A la différence de Pré-presse Le Monde BENJAMIN STORA, historien, enseigne à En effet, cette histoire a été effacée par Le PS a-t-il, depuis, rattrapé son l’après-Vichy, les gaullistes ne sont pas par- Impression Le Monde l’Inalco. Ses derniers ouvrages sont La guerre le PS. La conception SFIO s’est heurtée au « retard » ? venus à fabriquer du consensus national 12, rue M.-Gunsbourg d’Algérie, la fin de l’Amnésie (Robert Laffont, nationalisme algérien. Celui-ci a sapé l’uni- A l’élection présidentielle, en 1965, la autour de la décolonisation. La droite, éga- 94852 Ivry Cedex Printed in France 2004) et Algérie 1954 (L’Aube Le Monde). versalisme des socialistes. Il a fallu au PS majorité des rapatriés vote pour le candi- lement très jacobine, est sortie affaiblie de XXIV/LE MONDE/JEUDI 28 OCTOBRE 2004 ALGÉRIE livres Albert Camus - Jean Sénac, de l’admiration à la rupture le prix nobel et le poète étaient fils d’algérie. leur correspondance (1947-1958), partiellement inédite, est aujourd’hui publiée

« 16 juin 1947 de l’étudiant Taleb ? Que votre gloire se à l’abandon. Pour le moment, vous La littérature reste au cœur, mais qu’en plus du grand-duc qu’il a accep- Albert Camus, n’eût servi qu’à cela, c’eût été suffisant avez à vous tenir les mains. Voila mon la guerre surgit – et donc la politique. té d’abattre, il risque de tuer deux Vous ne me connaissez pas. Je vous (…) Abderrahmane Taleb était de opinion, et vous en ferez ce que vous Lentement, douloureusement, les enfants (…). » Le terrorisme aveugle connais sans vous avoir vu. Lectures, ceux qui croyaient à cette communau- voudrez. Il y a en vous une naïveté deux hommes s’éloignent. du FLN est accepté par l’un, au nom photos, conversations m’ont permis de té. Chaque fois qu’un étudiant de cette (comme Schiller parlait de l’admira- « Le 14 novembre 1956 du droit à l’indépendance, récusé par situer l’homme par son œuvre et sa vie. densité tombe, un peu de notre espoir ble naïveté grecque) qui est irrempla- Cher Albert Camus, l’autre, au nom de la morale. Entre Je vous connais donc »… est en danger. C’est pourquoi vous, çable. Savoir garder cette eau pure (…) Aujourd’hui, à propos de la Hon- eux, la suspicion s’instille. La correspondance va durer jus- vous en particulier, vous deviez sauver dans les cuisines de la technique, c’est grie [où les chars soviétiques ont écra- « 19 décembre 1957 qu’au printemps 1958 et se clore par cet homme vertueux et nous préparer le principe de l’artiste digne de ce sé la révolte de la population], vous Quelle hâte, Sénac ! Ce beau réquisitoi- une lettre de rupture du disciple, qui ainsi des jours moins terribles, demain, nom. Mais dans l’eau pure, il n’y a que rentrez sur la place publique, tout éclai- re (…). Si vous continuez à parler a basculé dans le soutien au combat lorsqu’il faudra rendre des comptes et de faux poètes : la plupart de ceux ré de l’Exigence et de l’Honnêteté. Cer- d’amour et de fraternité, n’écrivez plus des Algériens pour leur indépendan- que les purs, les fraternels, ne pourront qu’on admire aujourd’hui. (…) tes, la Hongrie nous est proche, mais de poèmes à la gloire de la bombe qui ce et reproche au maître son refus de plus être là pour témoigner contre le A vous fidèlement » en Algérie, chaque jour, notre sang tue indistinctement (…). Ce poème, se démarquer de « la minorité euro- désespoir et l’esprit de refus. Du moins, Peu à peu, la correspondance se coule. Le sang français, le sang arabe, que j’ai encore sur le cœur, a enlevé péenne, fascinée par son propre suici- notre confiance demeure. (…) Peut- fait plus affectueuse. Camus en est qu’importe, le sang des hommes ! Tous pour moi toute valeur à vos argu- de ». Rupture amère mais empreinte être aiderons-nous à aménager cette désormais certain, il a affaire à un cela chez nous, Camus, chez nous. ments, si peu assuré que je sois de la de cordialité. Camus, déjà Prix République saint-justienne que la poète, un grand, peut-être, et leur Vous savez que chaque jour des hom- valeur des miens. Bonne chance ! Nobel, a refusé d’intervenir en France a ratée et dont je rêvais encore passion commune pour René Char mes, des femmes, des enfants – et bien Albert Camus » faveur de l’étudiant algérois Abder- il y a quelques jours avec René Char. » l’en convainc davantage. souvent innocents – sont torturés, enfer- L’aîné mourra au volant, sans rahmane Taleb. Extraits : Entre ces deux dates, ce sont 37 let- « 7 novembre 1949 més (…). Nous tenons à votre disposi- avoir vu l’issue politique de la tragé- « 29 avril 1958 tres, dont plusieurs inédites, que vien- Mon cher Sénac, tion une documentation. Contre cet die qui le minait. L’autre restera vivre Camus, nent de publier, à Paris et à Alger, (…) Ce qui est important, c’est vos poè- univers concentrationnaire, vous avez dans son pays, comme citoyen algé- N écrivain, un poète : les deux Notre frère Taleb vient d’être guilloti- EDIF et Paris-Méditerranée. En leur mes. Vous avez fait de TRES GRANDS le droit, Camus, d’élever votre voix et rien. Homosexuel, il y sera sordide- sont nés français en terre d’Al- né. (…) Ils se sont vengés sur le plus vul- cœur, une admiration partagée, une PROGRES. (…) Continuez, continuez de dresser vos barricades (…). » ment assassiné. U gérie. Le premier a nom nérable, le plus noble, le plus pur. Je franchise jamais démentie. Elles com- dans l’exigence. Refusez-vous ce qui Dès lors, le débat s’enflamme. Albert Camus (1913-1960), le second sais à quel point je dois vous irriter, mencent, évidemment, par l’écriture. est joli ou attendrissant. Vous avez du Sénac argue des Justes. Camus lui ren- Sylvain Cypel Jean Sénac (1926-1973). Ils ont donc mais quoi ! Ne me suis-je pas juré « 7 avril 1948 cœur, du reste. Il en restera toujours voie deux injustices. « Le sujet des Jus- treize ans de différence lorsque d’être avec vous d’une insupportable Mon cher Sénac, assez dans ce que vous écrivez. Mais il tes est précisément ce qui nous occupe e Albert Camus - Jean Sénac, ou le Sénac, a 21 ans, prend sa plume et franchise ? De ceux qui voudraient fai- (…) Quittez la confidence, vous y est dit aussi que vous avez un talent aujourd’hui et je pense toujours ce que fils rebelle, de Hamid Nacer-Hodja, s’adresse à celui qu’il vénère déjà re de vous le Prix Nobel de la pacifica- reviendrez quand vous serez tout à fait qui ne doit rien à personne, lumineux je pensais alors. Le héros des Justes préface de Guy Degas, éd. EDIF, Paris- comme un maître. tion, ne pouviez-vous EXIGER la grâce sûr de vos moyens. La confidence pous- et sain, avec une vraie bravoure. (…) » refuse de lancer sa bombe lorsqu’il voit Méditerranée, 188 p., 20 ¤. « A cet instant, la France fut à jamais bannie des cœurs »… Internée, torturée, esmeralda, jeune juive compagne du dramaturge kateb yacine, publie le récit de son « été en enfer », en 1957

écembre 1959 : Le Monde tégralité de cette longue et terrible jours durant, les officiers parachutis- jamais bannie des cœurs. » Esmeral- e Le FLN, documents et histoire, publie des extraits d’une lettre lettre est en librairie. Un été en enfer tes. « L. de la DST, très grand, dans les da fut la compagne du poète et dra- 1954-1962, de Mohamed Harbi et Gil- D parue, dans le supplément inclut tous les « détails » absents à deux mètres, la quarantaine, brun, les maturge algérien Kateb Yacine bert Meynier (Fayard, 898 p., 35 ¤). Témoigages et Documents de Témoi- l’époque dans Le Monde. Il s’agit prin- cheveux frisés », « le lieutenant Schm., (1932-1989), avec qui elle eut une e La bataille de France – La guerre gnage chrétien, sous le titre « Le cen- cipalement de sa première partie : remarquable de cynisme, [qui] entrete- fille. Mais cela, Le Monde, à l’époque, d’Algérie en métropole, de Linda Ami- tre de tri ». Il s’agit du récit, édifiant, les quatre jours passés par elle nait notre peur avec raffinement », ne le savait sans doute pas. ri, préface de Benjamin Stora, (éd. écrit par une femme algérienne inter- au centre de torture militaire d’autres encore, « le lieutenant Robert Laffont, 238 p., 19 ¤). née au centre de tri militaire de Ben de l’école Sarrouy. Elle, c’est Sirv. », un nommé « B. » et « le jeune S. C. e La Guerre d’Algérie (1954-1962), Aknoun en août 1957, de ce qui s’y Esmeralda, pseudonyme d’une jeu- para blond ». Elle raconte la baignoi- collectif publié par l’Université de passe. Ce document a été envoyé à ne juive algérienne, H. G., dont les re et la gégène : « Le courant s’instal- e Un été en enfer – Barbarie à la tous les savoirs (éd. Odile une vingtaine de personnalités : le frères militaient alors au PC. lait en maître dans mon corps, le brû- française, témoignage sur la générali- Jacob/L’Histoire, 160 p., 23 ¤). général de Gaulle, François Mauriac, « C’est un matin que des jeunes lant davantage. Je criai : “Arrêtez ! J’ai sation de la torture, Algérie, 1957, de e La Guerre d’Algérie 1954-1962, Jean-Paul Sartre, le philosophe chré- gens en civil m’appréhendèrent. Le soigné R. S. !” Mais ils ne s’arrêtaient H. G. Esmeralda, Exils éd., 76 p., 12 ¤. recueil d’articles du Monde sélection- tien Maurice Clavel... « A la demande 6 août j’emmenais ma fille à la garde- pas pour me punir d’avoir menti. » nés et présentés par Yves Marc de l’auteur, précise la revue, nous rie. Vers 8 heures et demie, après un Quatre jours d’« enfer », de folie Viennent également de paraître : Ajchenbaum – (Librio, 128 p., 20 ¤). avons supprimé quelques détails per- bonjour au portier de l’hôpital où je sadique et sanguinaire, de dysente- e Lettres d’Algérie. André Segura, la e J’ai été fellagha, officier français mettant de l’identifier. Son récit com- travaillais comme infirmière, je me rie, d’odeur de mort et de souffran- guerre d’un appelé 1958-1959, édi- et déserteur. Du FLN à l’OAS, de plet paraîtra en librairie dès que les cir- dirigeais vers le laboratoire. On m’in- ces infinies. L’écriture est parfois tion établie par Nathalie Jungerman Rémy Madoui (Seuil, 416 p., 22 ¤). constances le permettront. » terpella alors… » sèche, clinique, parfois douce et poé- et Jean Segura, introduction de e L’Algérie, de Georges Morin Les « circonstances » attendront La suite est le récit détaillé des hor- tique. Et ce verdict final, terrible : « A Daniel Lefeuvre (éd. Nicolas Philip- (éd. Le Cavalier bleu, idées reçues, quarante-sept ans. Aujourd’hui, l’in- reurs que lui feront subir, quatre partir de cet instant, la France fut à pe, 336 p., 21 ¤) 128 p.).

BIBLIOGRAPHIE ESSENTIELLE

Des milliers d’ouvrages ont été publiés Ces trois ouvrages sont les plus Le FLN, documents et histoire 1954-1962, des Algériens et trahis par la France. sur la guerre d’Algérie. La Bibliothèque accessibles. Celui de Slama bénéficie de Mohammed Harbi et Gilbert Les Harkis, une mémoire enfouie, nationale de France ne dispose pas d’une iconographie qui restitue Meynier. Fayard, 2004, 912 p., 33,25 ¤. de Jean-Jacques Jordi et Mohand des outils nécessaires pour les recenser parfaitement l’époque. Ce livre regroupe nombre de Hamoumou. Autrement, 1999, tous. Cette liste présente les livres La Guerre d’Algérie sans mythes ni documents qui éclairent l’histoire de 138 p. 18,05 ¤. essentiels à la compréhension tabous. Les Collections de L’Histoire, l’insurrection algérienne. Certains à Comment, petit à petit, les enfants du conflit. Leur prix ou la mention mars 2002, indisp. Cet hors-série l’état brut, d’autres annotés, pas de harkis se réapproprient une histoire « indisponible » (ou « indisp. »), regroupe des articles d’historiens déjà toujours suffisamment. que leurs pères ont tue. sont ceux indiqués sur le site parus ou inédits de la revue L’Histoire. Messali Hadj 1898-1974, de Benjamin du libraire en ligne www.amazon.fr. Pédagogique et pointu. Stora. Hachette, 2004, 300 p., 7,98 ¤. L’OAS Soldats en Algérie, de Jean-Charles Cette biographie retrace le parcours OAS parle. Julliard, 1964, 354 p., indisp. L’ALGÉRIE COLONIALE Jauffret. Ed. Autrement, 2000, du fondateur du nationalisme algérien, L’auteur « anonyme » est en réalité Raoul Girardet, historien de l’armée, Histoire de l’Algérie contemporaine. 368 p., 21,80 ¤. Basé sur quatre cents de l’Etoile nord-africaine à la lutte du nationalisme et de l’idée coloniale. Tome I : La conquête et les débuts entretiens avec d’anciens du qui opposa les « messalistes » au FLN. Membre actif de l’OAS, il fit de la de la colonisation (1827-1871), contingent, cet ouvrage éclaire l’état  prison. Ce livre présente et commente de Charles-André Julien. PUF, 1964, d’esprit du million d’appelés qui LES FRANÇAIS D’ALGÉRIE les archives, notes internes et textes 634 p., indisponible. participa de mauvaise grâce au conflit.  Les Français d’Algérie, de Pierre Nora. © de propagande de l’OAS. Puisé aux Tome II : De l’insurrection de 1871 au La torture et l’armée pendant la guerre Julliard, 1961, 252 p., indisp. Fruit d’une observation sans meilleures sources pour l’époque. déclenchement de la guerre de d’Algérie, de Raphaëlle Branche. a Le jour de l’indépendance, cette jeune Algérienne laisse éclater sa joie. concession ni a-priori, ce livre analyse OAS, histoire d’une guerre libération (1954), de Charles-Robert Gallimard, 2001, 474 p., 25,35 ¤. franco-française, de Rémy Kauffer. Ageron. PUF, 1979, 644 p., 23,75 ¤. L’historien Pierre Vidal-Naquet qualifie à Munich, en 1974, ce gros livre Ces deux ouvrages sont avec finesse la psychologie des Français d’Algérie, qui « ne veulent pas Le Seuil, 2002, 454 p., 21,38 ¤. Fruits d’années de recherches, ces deux de « chef d’œuvre de précision » d’un universitaire allemand analyse complémentaires. Le premier analyse L’ouvrage le plus récent gros volumes, dus à d’éminents ce livre tiré d’une thèse universitaire la guerre comme un tournant les non-dits qui continuent être défendus par la métropole, ils veulent en être aimés ». et le plus fiable sur un équipée spécialistes, sont des classiques. qui fit événement. de l’histoire de France, sous l’angle de de prévaloir des deux côtés tandis qui n’a pas livré tous ses secrets. Les Français d’Algérie de 1830 Indispensables pour qui s’intéresse à sa politique coloniale et néo-coloniale. que le second insiste sur la spécificité Le Temps de l’OAS, d’Anne-Marie à aujourd’hui, de Jeannine l’avant-1954. LES FRANÇAIS ET L’ALGÉRIE Erudit et novateur, un peu daté. du racisme français anti-arabe, Duranton-Crabol. Ed. Complexe, Verdès-Leroux. Fayard, 2001, Histoire de l’Algérie coloniale, 1830-1954, La France en guerre d’Algérie, Chère Algérie. Comptes et mécomptes qui doit sa persistance à la colonisation 1995, 320 p., 9,41 ¤. 492 p., 23,75 ¤. de Benjamin Stora. La Découverte, sous la direction de Laurent Gervereau, de la tutelle coloniale. 1930-1962, et à la guerre d’Algérie. Une histoire précise et documentée qui L’ouvrage, basé sur des entretiens 1991, 130 p., 7,55 ¤. En peu de pages, Jean-Pierre Rioux et Benjamin Stora. de Daniel Lefeuvre. Société française insiste sur les courants idéologiques avec 170 Français d’Algérie, se veut une histoire de l’Algérie française, Edition Bibliothèque de d’histoire d’outre-mer, LES NATIONALISTES ALGÉRIENS qui traversaient l’organisation. une réhabilitation, retrace leur histoire, de la conquête à l’insurrection. documentation internationale 1997, 400 p., 24,70 ¤. Le FLN, mirage et réalité, des origines de la conquête à la tragédie finale. contemporaine, 1992, 320 p., indisp. Chiffres et dépouillement d’archives à la prise du pouvoir (1945-1962), DE GAULLE Pieds-noirs, mémoires d’exil, de Michèle Mémoires, de . LA GUERRE Cet ouvrage vaut d’abord par son à l’appui, ce livre, tiré d’une thèse de Mohammed Harbi. Baussant. Stock, 2002, 468 p., 17,10 ¤. La Guerre d’Algérie, d’Yves Courrière. exceptionnelle iconographie : affiches, universitaire, démontre à quel point Editions Jeune Afrique, 1980, Gallimard, 2000, 1 648 p., 64,60 ¤. Ethnologue et fille de pieds-noirs, Discours et messages. Avec le Rééd. Fayard, 2001. fac-similés de journaux, dessins de l’Algérie pesait sur les finances 446 p., indisp. l’auteur explore la mémoire Tome I (1954-1957), 954 p., 30,40 ¤, presse, pochettes de 45 tours. Il met en de la France. Il corrobore le diagnostic Membre de la direction de la renouveau 1958-1962 ; Discours et douloureuse d’une communauté messages. Pour l’effort 1962-1965. tome II (1957-1962), 1 210 p., 33,25 ¤. rapport les « événements » et formulé par de Gaulle en 1961 : Fédération de France du FLN, devenu qui, en quittant l’Algérie, s’aperçut que Ces deux volumes regroupent l’évolution de la société française « L’Algérie nous coûte – c’est le moins historien, Mohammed Harbi analyse Les deux ouvrages, Plon, 1970, 450 p., « son » pays n’avait jamais été le sien. ¤ la tétralogie d’un journaliste, témoin pendant les huit ans de guerre. que l’on puisse dire – plus cher qu’elle dans ce livre pionnier les ressorts 28,97 chacun. D’Elisabeth Fechner chez De Gaulle dans le texte. privilégié : Les Fils de la Toussaint La Guerre d’Algérie et les Français, sous nous rapporte. » du nationalisme algérien dont il éclaire Calmann-Lévy : Le Pays d’où je viens Sa vision autant que sa version (1968), Le Temps des léopards (1969), la direction de Jean-Pierre Rioux. Les Porteurs de valises, de Hervé les lignes de fracture et la sociologie. (1999, 166 p., 28,96 ¤) et trois ouvrages des événements. L’Heure des colonels (1970) et Les Feux Fayard, 1990, 700 p., 27,36 ¤. Hamon et Patrick Rotman. Le Seuil, Histoire intérieure du FLN 1954-1962, parus en 2002 dans la série C’était de Gaulle, d’Alain Peyrefitte. ¤ du désespoir (1971). Récit vivant et Plus de cinquante spécialistes 1981, 440 p., 8,08 . Sous-titré de Gilbert Meynier. Fayard, 2002, « Souvenirs de là-bas » : Alger et Gallimard, 2002, 1 960 p., 28,45 ¤. informé : l’histoire immédiate plus que ont collaboré à cette somme, issue La résistance française à la guerre 812 p., 30,40 ¤. l’Algérois (166 p., 23,75 ¤) ; Constantine Ce que de Gaulle disait off de l’Histoire tout court. d’un colloque de l’Institut d’histoire du d’Algérie, l’ouvrage retrace l’histoire du Historien, Gilbert Meynier a enseigné et le constantinois (144 p., 21,85 ¤) ; Oran sur l’Algérie. Eclairant. Histoire de la guerre d’Algérie, temps présent. L’ouvrage met l’accent réseau français d’aide au FLN animé trois ans dans l’Algérie indépendante. et l’Oranie (144 p., indisp.) L’Algérie De Gaulle et l’Algérie française de Bernard Droz et Evelyne Lever. sur la guerre d’Algérie envisagée par Francis Jeanson et Henri Curiel. Il a dépouillé les archives (en arabe et des Français en photos. Emouvant. 1958-1962, de Michèle Cointet. Le Seuil, 1982, 382 p., 7,96 ¤. comme une bataille d’opinion et une La Gangrène et l’oubli : la mémoire de en français) rendues publiques par le Perrin, 1995, 316 p., 20,27 ¤. Histoire de la guerre d’Algérie, étape clef des « trente glorieuses ». la guerre d’Algérie, de Benjamin Stora : service historique de l’armée de terre LES HARKIS Un exposé minutieux des pièces de Benjamin Stora. La Découverte, La guerre d’Algérie 1954-1962. La Découverte, 1991, 378 p., 11,40 ¤. et quantité d’autres documents, même Et ils sont devenus harkis, du dossier : de Gaulle a-t-il trompé 1993, 130 p., 7,55 ¤. La transition d’une France à une autre. Le Transfert d’une mémoire. s’il n’a pas eu accès aux archives de Mohand Hamoumou. Fayard, 1993, délibérément les partisans de l’Algérie La guerre d’Algérie. Histoire Le passage de la IVe à la Ve République, De l’Algérie française au racisme algériennes, sur lesquelles Alger veille 364 p., 18,81 ¤. Cet ouvrage retrace avec française ou a-t-il changé d’opinion ? d’une déchirure, d’Alain-Gérard Slama. de Hartmut Elsenhans. Publisud, 1999, anti-arabe. La Découverte, 1999, 148 p., jalousement. Son ouvrage prolonge et rigueur et pudeur la tragédie L’historienne se garde de trancher. Gallimard, 1996, 176 p., 13,06 ¤. 1 072 p., 57,54 ¤. Publié d’abord indisp. complète les travaux de Harbi. des harkis, traîtres aux yeux Bertrand Le Gendre