REVU DES REVUES caces des éducateurs. Les nursery rendu supportable par le fait que férent des choix qu'une mère effec- rhymes, emblématiques plus tard Sendak dépeint des enfants qui ré- tuerait spontanément dans un de la culture enfantine, ont des ori- agissent et se battent au lieu de contexte normal. Si les enfants gines mal connues, mais les person- subir. On continue à espérer la tra- n'ont pas appris à h're plus rapide- nages qu'elles mettent en scène duction de ce livre important. ment que d'autres, c'est peut-être (vieilles dames, aristocrates...) et que les textes scolaires leur ont leur caractère salace progressive- Le même numéro de Signal propose semblé fades à côté de ceux qu'on ment atténué démontrent qu'elles enfin deux points de vue autour leur lisait à la maison : Les Chro- sont issues d'un fonds de culture d'un thème très nouveau : l'expé- niques de Narnia ou Le Vent dans populaire adulte. Au XVIIe siècle rience originale qu'ont vécue cer- les saules, par exemple. Le travail a apparaît dans la littérature puritaine tains enfants de chercheurs en pris fin quand Rebecca a eu 18 ans une nouvelle tendance, qui prend en servant d'objet d'étude à leurs et Ralph 15, aboutissant à la rédac- compte le destinataire, soit par parents qui analysaient quotidien- tion d'une thèse qui manifeste l'ac- l'humour, soit par la tendresse, nement leur rapport à la lecture ! complissement de cette peu dont le texte fondateur est A Token Anna Cargo est la fille maintenant commune éducation. for children, being an exact adulte de Maureen et Hugh Cargo, account of the conversion, holy les auteurs de Prélude to Uteracy : and exemplary lives, and joyful a preschool child's encounter with deaths, of several young children, pictures and story, paru en 1983. de James Janeway, en 1672. Son Loin d'avoir le sentiment d'avoir REVUES influence sur les auteurs à venir été exploitée, elle pense que sa DE LANGUE sera immense, en Angleterre et en condition de cobaye a eu un effet Amérique, jusqu'à la période victo- bénéfique : plus que d'autres ALLEMANDE enfants, elle a eu le sentiment d'être par Claudio Guérin écoutée et prise au sérieux par ses parents, et elle est devenue une lec- We are ail in the dumps with Jack Portraits and Guy de , conti- trice convaincue, même si le décor- nue à faire couler l'encre des cri- ticage scolaire des textes lui déplaît. Lisbeth Zwerger, illustratrice bien tiques. Dans Signal, n°75, sep- Le gros inconvénient qu'elle a eu à connue en France, est la lauréate tembre 1994, Jane Doonan en subir est l'écoute humiliante de du prix Andersen 1994. Elle est à donne une analyse approfondie, l'énorme quantité de bandes ma- l'honneur dans deux revues : Ju- complémentaire des approches déjà gnétiques enregistrées au fil des gendLiteratur 4/94 et Jugendbuch- évoquées dans ces colonnes. La des- années. Tout ce qu'elle a dit peut magazin 4/94. Née à Vienne en cription minutieuse du livre, et la être retenu contre elle ! Virginia 1954, étudiante à l'Académie des comparaison avec des albums plus Lowe, qui a observé ses propres arts appliqués, elle débute sa carrière anciens, alimente ses hypothèses : enfants pour une recherche du en illustrant un conte d'E.T.A. la mise en scène « opératique » du même type, décrit l'expérience vue Hoffmann « Das fremde Kind ». livre, rapportée à l'intérêt de du point de vue parental. Elle Elle a publié plus de 20 titres, les Sendak pour le théâtre et la analyse l'influence sur le comporte- contes populaires et récits tradi- musique, l'irruption du social dans ment de ses enfants de la prise de tionnels étant ses domaines de pré- une œuvre jusque là plutôt marquée notes pendant qu'on leur lisait des dilection. Elle a illustré aussi bien par l'imaginaire et la psychanalyse, livres (ils ont échappé au magnéto- Hoffmann (Casse-noisette), Hans la réinterprétation de la symbolique phone) : après avoir longtemps cru Christian Andersen (Le Rossignol), iconographique chrétienne. Cepen- qu'elle rédigeait une critique du , (Un dant, observe Jane Doonan, la mul- livre, ils ont pris progressivement Chant de Noël), Edith Nesbit, tiplicité des références n'empêche conscience que c'étaient leurs réac- Grimm... Un ouvrage écrit par pas une appréhension directe du tions qu'elle consignait par écrit. Le S. Koppe et publié chez Neuge- sens profond du livre par les choix des livres lus a été largement bauer en 1993 lui est consacré : The enfants, et son côté terrible est hé à la recherche, ce qui le rend dif- Art of Lisbeth Zwerger.

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IBBY 94

UB est maintenant semestriel. Le n°2 de 1994 publie l'intervention d' lors du congrès de l'IBBY qui s'est tenu à Séville en octobre 1994. Ce congrès avait pour thème « Les livres pour enfants, un espace de liberté » et Ana Maria Machado s'est exprimée sur l'idéolo- gie dans les livres pour enfants. En se référant à Albert Camus, Sartre et Malraux, elle explique en quoi l'idéo- logie ne fait pas partie intégrante de l'acte de création, même si elle est présente, souvent inconsciemment. Elle propose ensuite des attitudes qui peuvent pallier cet état de fait : lecture critique avec l'aide de parents et d'éducateurs/médiateurs, choix de livres de qualité et proposi- tions de lecture diversifiées... (voir aussi n°161 de La Revue des Livres 111. L. Zwerger, in : Jugendlitteratur, 4/94 pour enfants).

Tove Jansson a eu 80 ans le 6 août traduit en français et publié par Gal- Prix du livre de jeunesse alle- 1994. Son anniversaire a été fêté à limard dans la collection Page mand 1994 Tampere où se trouve le Centre du blanche (Jugendliteratur 4/94). livre pour enfants suédois. A cette JuLit consacre son n°4 au prix 1994 occasion a été organisé un sympo- Le cadeau d'anniversaire de Willi du livre de jeunesse en Allemagne. sium international qui rassemblait Fahrmann à ses lecteurs à l'occasion Elle propose le texte des différentes des professionnels du monde entier. de ses 65 ans est un important interventions faites à l'occasion de la IJB 2/94 lui consacre un article. recueil de textes, contes, histoires... remise des prix à Leipzig. Ce prix est qui nous permet de mieux le décerné chaque année depuis 1956. L'auteur suédois Peter Pohl, né en connaître. Son premier livre est Frappé par la violence qui règne 1940 en Allemagne, s'est enfui avec paru en 1956 et depuis, une soixan- partout dans le monde, le jury sa mère en Suède après la mort de taine d'autres l'ont rejoint, couron- composé de treize personnes a décidé nombreux membres de sa famille nés par de nombreux prix. Son cette année de mettre le prix sous le pendant la guerre. Après quelques premier titre traduit en français en signe de la lutte contre la violence. années d'orphelinat, il est adopté, 1974, N'oublie pas, Christina Quatre livres ont été primés : passe son baccalauréat et devient en- (Christina, vergiss nicht) a reçu le Mâcher, de l'Anglais David Hughes seignant à Stockholm. L'ensemble de « Grand prix des treize ». D'autres (éditeur Alibaba) pour le livre son œuvre, très inspirée et impré- titres existent en français : Le Petit d'images, Kannst du pfeifen, gnée de ses expériences personnelles, gardien du zoo, Casterman, Croque- Johanna, des Suédois Ulf Stark et peut captiver les adolescents et a été livres, 1987, Quand le vent se lève, Anna Hoglund (Carlsen éditeur) plusieurs fois primée en Suède et Duculot, 1975, Sur les chemins de pour la fiction pour enfants, Sofas dans d'autres pays. Son premier Compostelle, Casterman, 1990. Welt, du Norvégien Jostein Gaarder livre, Jan, mon ami vient d'être (jugendbuchinagazin 4/94) (Hauser éditeur) pour la fiction de

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jeunesse et Anne Frank, des Hollan- ficile de beaucoup d'auteurs, nou- aux traductions en allemand : Les dais Rund van der Roi et Rian Ve- velles orientations, image de l'Alle- Pigeons, de N. Rrun-Cosme (Milan, rhoeren avec une traduction de magne et des Allemands dans cette 1989), Mes sept papas, de Pija Lin- Myriam Pressler (co-édition Fonda- littérature, nouvelles voies ouvertes denbaum (Casterman, 1991), La tion Anne Frank à Amsterdam et à la création... Marâtre, de Norman Leach (Kaléi- Friedrich Oetinger éditeur) pour le doscope, 1992), Papa ours fait la documentaire. Le prix spécial du A partir d'une vingtaine d'albums nounou, de Debi Gliori (Albin jury a été décerné à Myriam Pressler parus de 92 à 94, Annemarie Michel jeunesse, 1994), IVisse o la pour l'ensemble de son œuvre d'au- Klinger-Schorr analyse la représen- plage, d'Olof Landstrôm (L'Ecole teur et de traductrice rassemblant tation de la famille. On peut y voir des Loisirs, 1993), Petit plus de cent titres. des représentations familiales de Rémi deviendra grand, de Un certain nombre de livres de ces plus en plus en accord avec les Hermann Moers (Nord-Sud, 1991), auteurs primés existent en français : transformations de la société. Un Lulu et les bébés volants, de Posy Les Casse-pieds et les fêlés, Flamma- père et une mère divorcés qui refont Simmonds (Hatier, 1988), Zoo, rion-Père Castor, Castor poche leur vie chacun de leur côté, un père d' (Kaléidoscope, (1994) et Une Copine pour Papa qui décide de vivre avec un ami... 1992). d'Ulf Stark, Pocket, Kid pocket Les activités de la vie quotidienne (1994), Anne Frank, une vie, de sont aussi représentées avec un père JugendLiteratur 4/94 soulève le pro- Rian Verhoeven chez Casterman qui donne le bain de bébé ou qui blème de l'illustration des contes. (1992), Tu portes des lunettes chez repasse du linge, une mère qui Faut-il illustrer les contes ? L'illus- Hachette, Difficile à dire, à L'École bricole le nez dans le moteur... Il tration n'empêche-t-elle pas le des Loisirs, de Myriam Pressler. Le semble que la production pour la lecteur de se créer sa propre vision Monde de Sophie, de J. Gaarder jeunesse commence à prendre en du conte, ses propres représenta- vient d'être publié au Seuil et a fait compte les évolutions des modes de tions ? Bettina Wegenast se souvient l'objet d'un intéressant article dans vie (JugendLiteratur 4/94). des contes qui l'ont marquée, des la rubrique « Les livres » de Libé- Quelques livres de son corpus d'ana- images qu'elle garde en mémoire et ration, 2 mars 1995. lyse existent en français avec pour comment l'illustration l'a parfois certains des traductions antérieures poussée à avoir plus de sympathie ou d'indulgence vis-à-vis de tel héros. Articles thématiques Elle analyse quelques contes illustrés Beitrage Jugendliteratur und par Monika Laimgruber, Christo- Medien 5/94 fait le point sur la si- pher Coady, Paula Schmidt, P.J. tuation de la b'ttérature de jeunesse Lynch, Lisbeth Zwerger et Carme contemporaine en Europe de l'Est : Sole Vendrell. Russie, Lettonie, Hongrie, Pologne, République tchèque, Slovaquie... Michael Sahr dans Jugendbuchma- Les différents articles sont écrits par gazin 4/94 s'intéresse au Joueur de des auteurs, des traducteurs, des flûte de Hamelin. Il présente les dif- professeurs d'université, des rédac- férentes versions du conte, les diffé- teurs de revues et des éditeurs de rentes illustrations et adaptations ci- Moscou, Riga, Warschau, Buda- nématographiques ainsi que des pest. En rappelant les changements politiques et économiques survenus primaire autour de cette légende. ces dernières années, ce numéro permet de découvrir des situations Les tout-petits en bibliothèque est le souvent peu connues des profession- thème de Mehr mit Medien machen nels de l'Europe de l'Ouest : thèmes n°2 publié par le Deutsches Bibbo- et genres traités, rôle de la censure, tes Pigeons, theksinstitut de Berlin. A la suite fin des éditeurs d'état, situation dif- ill. Y. Nascimbene, Milan d'un voyage d'étude en France en

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1992, certains collègues allemands la rend très attractive pour les trice de près de trois cents livres, ont découvert avec intérêt le travail jeunes. L'auteur plaide pour l'utili- bien connue en France (plus de 40 mené en France depuis quelques sation pédagogique de la science- titres traduits), accorde un entretien années autour de la lecture des fiction - très répandue dans le à Montserrat Castillo. Elle revient bébés. A l'époque, une réflexion de monde anglo-saxon - soit dans l'en- sur les grandes étapes de son par- ce type était encore inexistante en seignement de la littérature soit pour cours professionnel qui commence Allemagne. Depuis, des bibliothé- analyser l'impact social des nou- aux éditions la Galera. Elle y com- caires de Gôttingen et Stuttgart se velles technologies afin d'apprécier mente sa manière de travailler sont lancés dans l'aventure et rela- le « choc du futur ». Dans le même quand elle est confrontée à un texte tent ici leurs expériences en donnant numéro une entrevue avec Laurent tout en regrettant de ne pas pouvoir des conseils très pratiques pour réa- de Brunhoff qui revient sur les toujours choisir ses textes. Au liser telle ou telle action. raisons de la réussite de Babar. Si moment de parler de ceux, auteurs, Babar fut rapidement traduit en peintres, illustrateurs, qui ont pu anglais, avec une préface de A.A. l'influencer elle cite notamment les Milne, créateur de Winnie the Pooh, noms de David McKee ou Etienne livre favori de Jean de Brunhoff, il Delessert. Pour compléter ce regard REVUES DE n'a été que tardivement traduit en sur le travail de Carme Sole Ven- LANGUE espagnol pour des raisons que mal- drell, on pourra se reporter à une heureusement l'article n'élucide pas. confrontation de son univers gra- ESPAGNOLE Autre contribution, celle de Gerardo phique avec celui d'Etienne Deles- par Jacques Vidal-Naquet Gutierrez, psychanalyste qui nous sert, dans le n°68 de CLIJ. Dans ce propose une analyse critique de l'in- numéro en grande partie consacré Réjouissons-nous tout d'abord de la terprétation du conte par Bruno au prix Andersen, Asun Balzola, reparution, après une longue inter- Bettelheim, s'attardant plus parti- autre illustratrice, ouvre son article ruption, de la revue Letra Gorda. culièrement sur son analyse de par une virulente critique des choix Une nouvelle maquette élégante et «Blanche-Neige». du jury Andersen à qui elle reproche luxueuse, jouant sur la couleur sépia de ne jamais choisir d'illustrateurs la rend tout à fait attrayante. Au Dans CLIJ, n° 64 de septembre novateurs - à l'exception de Paco- sommaire de ce n° 5, un dossier sur 1994, Carme Sole VendreU, illustra- vskâ -, pour s'attarder ensuite sur la science et les jeunes, avec des ar- ticles sur l'appréhension de l'univers au cours des siècles, un autre sur la place des femmes dans la recherche scientifique, sur la communication dans les sciences, etc. Signalons no- tamment l'article de Miquel Barcelo sur les rapports entre science et science-fiction. D attire notre atten- tion, tout d'abord, sur une fonction réflexive de la science-fiction, véri- table littérature d'idée qui, par ses spéculations générerait une réflexion sur l'organisation sociale de notre monde ainsi que sur les effets et conséquences de la science et de la technologie sur nos sociétés. D'autre part, elle serait une source d'émer- veillement inépuisable, ouverture des esprits sur un nouvel univers qui 111. Asun Balzola, in : CLIJ, n°

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l'œuvre de ces deux illustrateurs qui née de Tintin en 1965, qui fait beau- ont comme premier point commun coup pour la formation de lecteurs d'avoir été proposés pour ce prix, en catalan. Dans ce même numéro sans l'avoir. On trouve chez l'un on trouvera un portrait d'un clas- comme chez l'autre un même accord sique de l'illustration catalane, graphique entre texte et image, Josep Obiols (1894-1967). équilibre du texte, de l'illustration et des blancs du papier, une même Le n° 66 de CLIJ est entièrement préoccupation sur la question de la consacré à Charles Dickens, étu- réduction des images, un même diant son œuvre sous différentes fa- souci enfin du livre dans tout ce qui cettes avec notamment un article le compose, de la couverture à la sur les orphelins dans son œuvre, quatrième de couverture. un article sur ses illustrateurs - , Spy, John Autre regard sur l'illustration, un Leech, George Cruishank, ou plus entretien accordé par Asun Balzola, récemment Lisbeth Zwerger, ou dont on connaît quelques titres au Roberto Innocenti- sans oublier en Père Castor-Flammarion, à Mont- cette année du centenaire, un serrat Castillo. Différentes ques- article sur Dickens au cinéma, dont tions sont abordées dont notamment la forme narrative aurait, selon le recours à l'ordinateur et l'intérêt Juan Antonio Pérez Millan, grande- de celui-ci pour l'illustration de son Bartolozzi, in CLI], n°67 ment influencé les accoucheurs du dernier livre (El arbol, de mi patio, langage cinématographique que Barcelona, 1994). Elle y parle de guerre civile espagnole, le livre furent Griffith ou Eisenstein. son personnage, Munia, Nina en catalan atteint un haut niveau litté- français, qui rencontre un grand raire et artistique, mouvement bru- Dans le n° 67 de CLIJ, décembre succès... dans les écoles du Texas et talement interrompu par le régime 1994, Anabel Saiz Ripoll nous livre de la Californie. Elle aborde la de Franco. Les années 40/50 voient d'intéressantes réflexions sur Satur- question de la crise de l'album qui la disparition du public enfant qui nino Calleja (1855-1915), tout à la sévit en Espagne et se demande s'il n'a plus qu'une seule langue de fois auteur et éditeur de contes pour ne serait pas possible aux illustra- lecture, le castillan. enfants. Les contes de Calleja, petits teurs de travailler en bicolore, ou en Avec la renaissance d'un enseigne- livres bon marché et illustrés en une seule couleur, comme Font fait ment catalan, plus ou moins toléré, couleur seront très largement diffu- les Cubains ou les Polonais dans des un mouvement de renouveau se sés à travers l'Espagne et l'Amé- périodes difficiles. Elle regrette dessine dans les années 60 sous l'im- rique latine. Leurs sources sont enfin l'absence d'un statut réel de pulsion notamment des éditions La multiples, contes populaires euro- l'illustrateur en Espagne et le Galera. Période qui voit une prédo- péens et espagnols, Perrault, manque de professionnalisme des minance des contes et des albums. Grimm, pour ne citer que ces der- éditeurs et directeurs artistiques es- Coexistent, dans le même moment niers. L'auteur propose, ici, une pagnols (CLIJ n°67, décembre des collections de qualité et d'autres analyse de cinquante de ces contes, 1994). de plus large diffusion qui propo- en en faisant ressortir les éléments sent des adaptations ou des séries principaux : cadre familial, morale Dans le n° 65 de CLIJ, octobre autour de personnages traditionnels catholique, sens de l'humour, ingé- 1994, Teresa Mafia dresse un pano- comme Patufet, nom aussi d'une nuité, astuce, force et vaillance des rama de la littérature enfantine ca- revue qui joua un grand rôle de personnages. Les contes de Calleja talane des années 60, rappelant la 1907 à 1939. Des auteurs et illustra- hispanisent des sujets d'importa- spécificité de la situation catalane teurs catalans, mais aussi des tra- tion, en leur donnant une dimension par rapport au reste de l'Espagne. ductions comme celle de Babar ou réelle, plus accessible à la culture et Dans les années qui précèdent la dans le domaine de la bande dessi- aux traditions hispaniques. Des

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Jiménez : « n'y touche plus, car ainsi est la rosé ». Ecriture et lecture sont intimement liées : « si le meilleur lecteur est celui qui sait le mieux écrire son propre livre au travers du processus de lecture, il ne faut pas nier que le meilleur auteur est celui qm saura lire les livres po- tentiels de tous les lecteurs et leur offrira le plus de possibilités de se reconnaître dans son œuvre ». Plus loin, Ana Maria Machado souligne la nature double de toute production culturelle, a fortiori dans le cas du livre pour enfants, comprise à la fois comme lecture et comme écriture. Elle regrette qu'au Brésil, tout en ayant le souci d'augmenter le nombre de lecteurs et de livres pour la jeunesse, on en vienne à perdre de vue le qualitatif et affirme que les in- dividus ont le droit de lire des œuvres qui leur permettent d'établir un dialogue entre leurs expériences et le monde des mots. C'est en quelque sorte un message aux auteurs qu'elle adresse, leur rappe- lant leurs responsabilités, écono- Oliver Twist, ill. J.M. Ponce, in CLU, n°66 mique, écologique et vitale à l'heure d'écrire un livre. Pour conclure contes qui auront joué un rôle-clef nombreuses contributions revien- cette conférence, prononcée au col- dans la littérature de jeunesse espa- nent sur l'action de l'IBBY à loque international sur la littérature gnole. travers le monde. de jeunesse de Caracas, Ana Maria Machado rappelle que le livre est un instrument de multiplication et de L'ensemble des revues de langue es- En Amérique latine pagnole rendent hommage à Carmen diffusion de la parole et que pour Bravo Villasante, spécialiste de litté- Dans les revues latino-américaines que cette parole soit libératrice rature enfantine reconnue dans le ce sont plusieurs sources de ré- -comme le souhaite l'éducateur Paulo monde entier, disparue en juin flexion sur le thème de la lecture qui Freire-, elle doit être en même temps dernier. Luisa Mora Vilarejo trace nous sont proposées : un instrument de lecture de l'autre, son portrait dans Educacion y Bi- Dans Hojas de lectura, n° 31, dé- du monde, un outil pour construire blioteca, n°49, septembre 1994 et cembre 1994, Ana Maria Machado, une vie meilleure et heureuse. nous propose une rapide bibliogra- écrivain latino-américain, compare Autre conférence publiée dans ce phie tandis que Alacena, n° 20, le processus créatif aux mouvements même numéro, celle de Graciela Automne 1994, entièrement consa- des vagues sur la plage de Rio de Montes, romancière et essayiste ar- cré à l'IBBY publie quelques souve- Janeiro, chacune différente, flux et gentine, intitulée « Lecture ouverte, nirs sur l'organisation du Congrès reflux de moments faciles et diffi- lecture close : autour de la circula- de Madrid qu'elle avait assurée en ciles, longue lutte avant de pouvoir tion sociale des livres et des textes ». 1964. Dans ce même numéro de dire comme le poète Juan Ramon Une conférence pour dénoncer une

88 / LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS REVUE DES REVUES société où la lecture est marquée par Carmen Diana Dearden au dernier des auteurs occidentaux. La déré- l'exclusion et la fermeture, même si congrès de l'IBBY à Séville sur l'in- glementation étant la règle du pour se donner bonne conscience on terculturalisme dans la littérature de moment, l'édition n'y échappe pas, organise nombre de manifestations jeunesse (voir le compte rendu de ce d'autant qu'elle peut être source de sur le sujet. Exclusion des analpha- congrès dans le n° 161 de La Revue profits vite réalisés, notamment par bètes mais aussi des alphabétisés qui des livres pour enfants). Une confé- les éditions pirates, bêtes noires des ne sont pas en situation favorable rence personnelle et vivante qui auteurs. pour la lecture, sans heu approprié, s'achève par un appel à former des Des éditeurs mènent cependant des ni loisirs suffisants, ni médiation lecteurs multiculturels plutôt que projets et trois d'entre eux, aux pertinente. Se référant à Pierre des livres multiculturels. On retrou- profils très différents, ont fait Bourdieu, elle entend par fermeture vera Carmen Diana Dearden, élue l'objet d'interviews en 1994 : les une organisation de la circulation de présidente de l'IBBY, dans un entre- éditions d'état Malych (Gamin) la lecture à l'intérieur d'un champ, tien qu'elle accorde à la revue espa- existant depuis la période sovié- marqué par l'homogénéité et l'isole- gnole Educacion y Biblioteca, n° 53, tique, les éditions Sabachnikov ment, rigoureusement contrôlé par janvier 1995 où elle développe sa (1991), renouant avec une entre- les règles de la consommation. Elle conception du livre et de la lecture. prise familiale du début du siècle, s'attarde sur l'école, se réjouissant les éditions Rosmen (1992), davan- d'une part de l'entrée de la littéra- Signalons enfin, un numéro spécial tage de type self-made-man, gérées ture enfantine dans ce milieu et s'in- de Parapara (n°19-20, janvier-dé- par un ingénieur reconverti. Le di- quiétant d'autre part des dangers de cembre 1993) consacré à la place du recteur artistique de Malych déplore la scolarisation de la lecture. La livre dans la classe, proposant no- la baisse quantitative et qualitative lecture à l'école a ses moments, ses tamment le compte rendu d'expé- de la production actuelle ; le public lieux et ses médiateurs spécifiques riences menées au Brésil ou au Vene- n'achète plus en librairie car il qui encadrent tout mouvement. zuela (plan national pour la lecture). trouve des livres à chaque pas dans Dans le champ de la littérature de la rue édités par des « entreprises- jeunesse, on trouverait le même type dilettantes ». Le problème majeur de problèmes, avec des collections pour cet éditeur est de garder ses ciblées au milb'mètre près, homogé- propres illustrateurs et d'attirer de néisation matérielle et culturelle du REVUES nouveaux talents dans un contexte livre. Une réaction à ce phénomène DE LANGUE devenu très matérialiste ; de grands devra - nous dit-on - s'articuler illustrateurs et peintres avaient en autour de trois axes : la multiplica- RUSSE effet fait partie de cette maison tion des occasions de lecture, la re- par Odile Belkeddar depuis les années 20 et 30 et instau- définition d'un répertoire laissant ré une tradition de qualité élevée une place à l'hétérogène et la forma- La revue Detskaia Literatura (Lit- dans des styles très variés ; la diffi- tion de médiateurs appropriés. Elle térature enfantine) a sorti en 1994 culté étant pour les nouvelles géné- plaide pour des bibliothèques des numéros presque systématique- rations de se faire une place face à - comme l'Argentine en a connu ment couplés et si les articles sont des noms comme Traougot, Tokma- pendant les années 3040 - au réper- toujours aussi denses et souvent po- tov, Tchijikov, Monine, Mitourich toire élargi et varié, tant dans les lémiques, cela reflète des difficultés etc. Seuls ceux qui apportent sujets abordés que dans les niveaux de gestion dues à l'inflation mais quelque chose de vraiment nouveau de lecture. Il faut former des média- sans doute également de structure. ont une chance, tels : Azemcha, teurs, qui sachent relever les défis de Les pages consacrées à la décou- Bordioug, Trepenok et plus récem- l'hétérogénéité afin d'aider à la for- verte de textes en lecture suivie oc- ment N. Sinieva, D. Troubine, à mation de lecteurs autonomes. cupent par ailleurs un volume im- qui furent d'abord confiés de petits portant dans cette revue qui joue travaux puisque le directeur de Malych estime que c'est toujours un La Caceta del fondu de cultura également un rôle d'éditeur : de risque de lancer un nouvel illustra- econoinica, n° 288, décembre 1994, Troyat à L'Herbe bleue, le public teur et que l'époque n'y est pas reprend le texte de l'intervention de russe n'en finit pas de découvrir

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propice. Malyeh s'efforce aussi de collections anciennes telles que Concours russe de Fart du livre. Le développer la notion de collection « Pays, époques, peuples », « Chefs directeur a 32 ans et après avoir fa- pour s'adapter au marché, la collec- d'œuvre de la littérature mondiale », briqué des machines-outils il s'est tion étant cependant à ses yeux un se situant comme un petit éditeur tourné vers l'édition enfantine, ne risque de nivellement qualitatif et dont l'image de qualité et d'origina- trouvant rien d'autre qui lui plaise d'enfermement pour l'illustrateur : lité lui convient. Pour lui, le livre vraiment. Il dit avoir été marqué la « Bibliothèque du grand frère », n'est pas uniquement un texte mais dans son enfance par une institutrice « De deux à cinq et plus » ont adopté « la manifestation matérielle d'une qui organisait des matinées litté- des petits formats et proposent no- culture ». Certains de ses titres ont raires, des concours de poésie ainsi tamment des vers. Une autre collec- déjà été primés : comme Pierre 1er : que par un environnement familial tion a pour projet l'histoire de l'ar- légendes, contes, anecdotes. Il de livres d'art puis par sa rencontre, gent, des armes, des voitures etc. A prépare une collection pour les 3-5 décisive, avec un graphiste de sa gé- noter que le directeur artistique de ans intitulée « Encyclopédie pour les nération, ce qui lui a permis de pré- Malyeh était en poste depuis dix ans enfants » sur laquelle travaillent lon- ciser son projet, qui est de ne pas comme illustrateur avant de devenir guement des illustrateurs car l'image simplement « distraire les enfants, sera aussi explicite que le texte sinon mais d'amuser en émerveillant » les responsable depuis a peine un an. plus. Le premier titre Les Quatre 5-6 ans. Il est fier des Uvres de G. Les éditions Sabachnikov ont, elles, saisons est confié à A. Trochkovyi. Ostier au tirage de plus de 400 000 été créées récemment, célébrant à Parallèlement il reprend des contes exemplaires ; il prépare une encyclo- leur façon le centenaire de leur pre- classiques auxpels il offre de nou- pédie pour les tout-petits sur la mière fondation par la famille d'édi- velles images tels ceux de Pouchkine notion de « royaume » : celui des teurs des Sabachnikov après une in- ou de Erchov (Le Petit cheval bossu) humains, des animaux, des papil- terruption depuis 1934. Leur jeune illustrés par 0. Monine. lons, etc. pour que les enfants directeur, journaliste de formation, « éprouvent un sentiment divin pense que l'on revient à un type er devant les merveilles de la création ». d'édition émanant d'individualités Nées le 1 avril 1992, les éditions Ces livres reprendront d'anciennes plus que de collectifs « permettant Rosmen ont déjà sorti plus de douze lithographies et d'anciens textes de se réaliser dans son travail ». Son titres remarqués dont deux on été pour revenir à une véritable langue objectif est d'abord de rééditer des également primés au 33ème de vulgarisation scientifique car, dit-il, « nos livres documentaires semblent souvent écrits par un même et ennuyeux rédacteur » ; une édition en plusieurs volumes consa- crée aux grandes batailles de tous les temps et de tous les peuples sera destinée aux garçons ; les enfants doivent à ses yeux avoir des livres bien faits. Les éditions Rosmen pré- voient même l'éventualité de ne pas faire de profit avec Les Trois mous- quetaires, prochainement publié, plutôt que de céder à la tentation mercantile. Preuve en est leur « credo » déclarant refuser de « pirater » les auteurs. Pourquoi s'appeler Rosmen, mélange d'an- glais et de russe ? Leur logo repré- sente un chapeau melon dans un Contes de Pouchkine, ill. Bilibine, éd. I.P. but « d'impertinence ». En attendant de nouveaux illustrateurs aux éditions Sabaehnikov

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