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SEPT 14 Mensuel

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L'insurrection de Villeurbanne (24-26 août 1944) Chacun a entendu parler de l'insurrection parisienne d'août 1944 qui préluda à la libération de la capitale. Peu de gens par contre savent qu'à la même époque exactement, du 24 au 26 août 1944, Villeurbanne, ville de la banlieue lyonnaise, se soulevait et se couvrait aussi de barricades. Cela dit, ces deux situations ne sont pas comparables, tant par leur importance que par la valeur symbolique qu'elles pouvaient avoir. Pourtant Villeurbanne fut, avec la capitale française, à une échelle certes infiniment plus petite, une des très rares villes du pays qui connut une véritable insurrection, insurrection au cours de laquelle, pendant trois jours, la population contrôla une partie de l'agglomération lyonnaise et tint tête à l'occupant allemand.

u matin du 24 août 1944, Henri À bas les Boches ! » Les combattants n'en Krischer, dit « capitaine Lamiral », croient pas leurs oreilles. Lorsque la co- Aresponsable militaire des Francs- lonne arrive à la mairie, ce sont plusieurs tireurs et partisans de la Main d'œuvre im- centaines de personnes enthousiastes qui migrée (FTP-MOI) de Lyon-ville '", doit, la suivent et cette foule va augmenter au à la tête d'environ quatre-vingts hommes fil des heures. Plusieurs bâtiments sont issus du détachement Carmagnole, mais occupés, la mairie bien sûr, mais aussi aussi des groupes de combat de l'UJRE et la poste, le central téléphonique, le com- de l'UJJ(2) récupérer des camions au ga- missariat... Des armes sont récupérées, rage de la préfecture de police situé sur le des gendarmes et des policiers sont dé- territoire de Villeurbanne. Repéré par les sarmés. Certains d'entre eux se joignent Allemands, le groupe est pris sous le feu de à ce qu'il faut bien commencer à appeler mitrailleuses. Après un premier moment des insurgés, les autres font preuve d'une de panique, les combattants se ressaisissent bienveillante passivité. et une contre-attaque est organisée par « Lamiral » part alors prendre conseil une partie d'entre eux qui parviennent à auprès du responsable dè l'interrégion repousser les soldats allemands - qui su- HI4 des FTP-MOI. Il s'agit du hungaro- restiment très certainement la force réelle roumain Georges Grùnfeld, dit « com- de leurs adversaires - tandis que le reste mandant Lefort ». Ce dernier, estimant de la troupe, à la tête de laquelle se trouve qu'il n'est plus possible de reculer et qu'un le « capitaine Lamiral », se replie en bon retrait serait ressenti par la population ordre sur le centre de Villeurbanne. comme une faiblesse, voire une trahison, Les FTP-MOI sont accueillis, acclamés décide d'installer son poste de comman- par une population qui est persuadée qu'il dement à la mairie de Villeurbanne et s'agit de partisans descendus des , constitue avec « Lamiral » une équipe de l'avant-garde des forces qui vont libérer commandement qu'ils nomment « conseil la ville. Des drapeaux tricolores appa- militaire ». raissent aux fenêtres, des slogans sont L'ordre est donné de commencer à proté- criés : « Vive le maquis ! Vive de Gaulle ! ger le centre de Villeurbanne qui constitue

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Page 2/2 le cœur de ce qui est maintenant une insur- de la Cité, place de la Bascule et cours se chiffrant en dizaines. Cette insurrec- rection. En fin d'après-midi de ce 24 août, Emile Zola. La tentative d'extension de tion, menée par des étrangers « aux noms s'élèvent donc les premières barricades, l'insurrection à d'autres quartiers de Lyon difficiles à prononcer », qui certes ne fut autour de la mairie, mais aussi du côté échoue et les différents appels à l'aide du pas victorieuse, constitue néanmoins un de la place des Maisons neuves, qui vont « conseil militaire » siégeant à la mairie des seuls sursauts que Lyon, « capitale barrer les grandes artères et bloquer les de Villeurbanne n'ayant eu aucun effet, les de la Résistance », a connu au moment carrefours importants. Dans des camions insurgés négocient leur retrait. Ces der- de sa libération. Cela explique peut-être réquisitionnés, on apporte tout ce qu'on niers, contre promesse allemande de ne que l'événement ait été si longtemps tu trouve, des vieux meubles, des matériaux pas mener de représailles à rencontre de la et ignoré. récupérés sur des chantiers. Des arbres population villeurbannaise - promesse qui CLAUDE COLLIN sont abattus, des tramways renversés et sera tenue - libèrent les rues dépavées... les Allemands qu'ils La dimension de cet article ne permet pas ont fait prisonniers de rendre compte dans le détail de ce qu'a et demandent à la été effectivement cette insurrection, mais population de dé- pendant trois jours, Villeurbanne, ainsi monter les barri- que certains quartiers du nord-est de Lyon cades. La plupart des se couvrent de barricades et échappent combattants FTP- totalement à l'occupant. Différentes tenta- MOI et ceux des tives des troupes allemandes de reprendre groupes de combat l'initiative et de regagner le contrôle de del'UJREetdel'UJJ cette partie de la ville, par laquelle passent retournent à la clan- certains axes qu'empruntent les troupes destinité sur place refluant par la vallée du Rhône, échouent. à Villeurbanne ou Il faut absolument insister sur le fait qu'à dans les quartiers ces événements participent des combat- environnants. tants issus de toutes les organisations de En fin de jour- la Résistance. Certes, ce sont les FTP-MOI née, environ deux de Carmagnole qui se trouvent à la tête de cent cinquante cette insurrection, mais ils agrègent au- combattants des A LA CASERNE DE CUSSET, AU LENDEMAIN DE LA LIBERATION, DES . tour d'eux de nombreux résistants et par- patriotiques MEMBRES DE CARMAGNOLE AUTOUR DE GEORGES GRUNFELD, ALIAS fois des groupes constitués venant d'autres de Villeurbanne COMMANDANT LEFORT. horizons auxquels s'ajoutent, comme dans - encadrées par des FTP-MOI de (1) Suite à toute une série d'arrestations et toute situation de type insurrectionnel, Carmagnole - quittent la ville dans des de « chutes », la seule organisation militaire un nombre important de volontaires de camions en direction de Pont-de-Cheruy urbaine encore présente et active à Lyon-ville» la dernière heure, sans doute sincèrement (Isère). Elles y font leur jonction avec des au lendemain du débarquement de Normandie, prêts à se battre mais ne possédant aucune maquisards venus de Savoie et commandes est celle des Francs-tireurs et partisans de formation militaire. par un Villeurbannais d "origine, Baptiste la Main d'oeuvre immigrée (FTP-MOI) qui Les effectifs des Milices patriotiques Saroglia. Ils constituent ensemble le « ba- porte le nom de Carmagnole. Elle est com- enflent démesurément. Il est question taillon Henri Barbusse » qui se retrouvera posée d'étrangers, notamment de juifs d'Eu- de deux mille hommes. Le problème est le 31 août, du côté de Pusignan (Rhône), rope centrale (Polonais, Hongrois, Roumains), d'une part de les encadrer, d'autre part face à une unité allemande de près d'un mais aussi d'Italiens, d'Espagnols, d'Alle- de les armer. Il faut savoir que le manque millier d'hommes. Les combattants tien- mands... et de quèlques Francais que le ha- d'armes pèsera d'un poids déterminant dront une journée entière avant de se replier sard des rencontres a menés là. dans ce qu'il faut bien appeler l'échec de et d'être bombardés par l'aviation alle- (2) L'Union des Juifs pour la Résistance et l'insurrection. Les armes prises dans les mande. L'accrochage aura fait, parmi les l'entraide (UJRE) et l'Union de la jeunesse commissariats, celles récupérées dans les résistants, 21 morts. juive (UJJ) sont des structures mises en place différents dépôts ne permettront d'armer par la « section juive » de la Main d'oeuvre que quèlques centaines de combattants et *** immigrée (MOI, liée au PCF), durant la période la plupart de simples revolvers. Les mi- Contrôlant une partie de l'agglomé- de l'occupation. traillettes et les fusils se comptent par di- ration lyonnaise et tenant tête à l'occu- zaines, les fusils-mitrailleurs par unités. pant, Villeurbanne a été avec , à Les insurgés ne possèdent aucun arme- une échelle certes infiniment plus petite, Claude Collin est retraité de l'enseignement ment lourd et ne disposent de munitions une des rares villes du pays ayant connu supérieur. Il est l'auteur d'un certain nombre qu'en quantité très limitée. une véritable insurrection populaire. Elle d'ouvrages sur la Résistance et notamment sur Le 26 août, les Allemands tirent au canon aura fait près de deux cents victimes dont l'insurrection de Villeurbanne : L'insurrection sur certains quartiers de Villeurbanne quarante morts parmi les insurgés et les de Villeurbanne a-t-elle eu lieu ?, Presses et provoquent de sérieux dégâts place Villeurbannais, les pertes de l'occupant universitaires de Grenoble, 1994.

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