N° 67 Edité par le Janvier 2015 groupe libertaire Jules. Durand : LA TUERIE e massacre qui a eu lieu ce 7 Janvier 2015 à est d’une extrême gravité. Il importe pour tous non seulement d’en déplorer les effets mais sur- Ltout d’en dénoncer les causes.

Une « crise économique » persistante depuis 1974 qui frappe la population et dont profitent les rapaces capitalistes avec la complicité d’une classe politique corrompue.

La diffusion massive d’une idéologie obscurantiste qui nie la lutte des classes et qui favorise volontaire- ment la montée de communautarismes religieux.

La tuerie à laquelle nous venons d’assister n’est qu’un des résultats dramatiques de cette situation qui a permis aux religions de redevenir un fait sociétal soit disant respectable.

Le contexte de l’attentat se situe aussi dans un sec- teur musulman qui équivaut à un Opus Dei isla- miste : Négation de la foi des croyants de la même religion qui n’acceptent pas l’interprétation imposée de la bouche de plusieurs hauts responsables et de ; Réduction de la femme à un rôle de génitrice et de l’actuel premier ministre qui déblatèrent sur les Roms servante-esclave ; Obéissance absolue aux ordres des de nationalités bulgare et roumaine, qui sont pour- autorités inquisitoriales ; Assassinat moral, lorsqu’on tant des citoyens de l’Union européenne. ne peut appliquer la mort violente. L’émancipation des exploités ne sera jamais l’œuvre Toutes les religions sont porteuses d’actes fanatiques de partis politiques ou de religions, mais au contraire et criminels, Voltaire l’écrivait déjà: « Ceux qui font celle des travailleurs eux-mêmes. Toutes les religions croire des absurdités peuvent vous faire commettre sont liberticides. Les islamo-fascistes ont éliminé des des atrocités. » caricaturistes exceptionnels sur les plans humain et libertaire, accompagnés de journalistes honnêtes Si nous sommes tous Charlie, nous ne sommes ce- mais le terrorisme le plus intolérable c’est celui qui pendant pas favorables à l’unité nationale et pour laisse mourir des enfants (des milliers tous les jours) nous l’union sacrée c’est la guerre ! dans l’indifférence, les jérémiades éphémères. Ce sont le terrorisme capitaliste et le terrorisme religieux L’attentat sert les partis politiques français pour lan- (y compris le marxisme-léninisme). C’est le chômage cer une campagne de prétendue union nationale de masse, les accidents du travail au quotidien, la pour défendre la société de , alors que c’est misère et les catastrophes écologiques… exactement ce genre de société qui génère d’en haut une xénophobie latente. Une xénophobie officialisée Groupe syndicaliste libertaire Le Havre

Page1 « Ils pourront couper toutes les fleurs mais ils n’empêcheront pas la venue du printemps… » e suis choqué par l’attaque de la rédaction de trait et le cerne témoignent encore des pulsions, des Charlie hebdo ce mercredi 7 janvier. J’ai versé émotions et des intentions de son auteur. Dans les une petite larme en apprenant que en était moments de (longue) dictature, des dessinateurs, June des victimes. des photographes des cinéastes et des manipulateurs d’images ont su faire passer au- delà ou en deçà du Même si je n’étais plus qu’un lecteur occasionnel discours, un double sens qui défiait dans leur créa- de l’hebdo, lui en préférant d’autres, plus satiriques tion la censure. et plus militants (disons depuis la direction de P. Val), je me rends compte que je suis attaché à ce Effet d’identification ? Je ne peux m’empêcher de qu’a représenté la lecture de Charlie dans mon ado- penser qu’en tirant et en tuant douze membres de lescence et ma jeunesse militante. Je reste attaché la rédaction de Charlie, c’est une génération qu’on à leur humour « bête et méchant » et très souvent cherche à abattre c’est une culture libertaire qu’on pertinent. Les terroristes dans leur lâcheté n’ont, en veut faire taire… dépit de leur bêtise crasse, pas agressé au hasard : en s’attaquant en plein comité de rédaction, aux Nous devons réagir, continuer à nous indigner des satiristes, aux dessinateurs de presse et aux journa- fanatismes de tout bord, à dénoncer la haine et les listes de l’hebdo, ils se sont attaqués non seulement forces de domination et à refuser la soumission à à la liberté d’expression mais également à la liberté quelque ordre que ce soit. C’est à leur exemple, sur d’opinion. Leur fatal et sectaire fanatisme a cherché la voie de l’obstination et du rire émancipateur, que à détruire un rare exemple de presse économique- nous devons rendre hommage à Cabu, , l’oncle ment libre (l’absence de pub a fragilisé les comptes Bernard, Elsa Cayat, Moustapha Ourrad, Philippe de l’hebdo ces dernières années) et politiquement Honoré, , Wolinski, Michel Renaud, fonda- indépendante. Leur attentat souligne de façon dra- teur du festival Rendez-vous du carnet de Voyage et matique et paradoxale le caractère héroïque de aux cinq autres victimes, dont les policiers Franck l’humour de Charlie. Comme beaucoup, je ne me- Brinsolaro, Ahmed Merabet et l’agent d’entretien surais pas leur courage à s’attaquer régulièrement à Frédéric Boisseau. la connerie et aux religions. Il n’y a pas non plus de hasard à ce que les sectaires aient cherché à détruire « …Nos compagnons d’infortune ont planté des ce que le conformisme du marché de l’édition peine graines, faisons en sorte qu’elles fleurissent au prin- à banaliser : le dessin ! Il y a en effet quelque chose temps prochain ». (d’après l’épitaphe gravée sur la d’irrémédiablement singulier et de subjectif dans le tombe de Malik Oussekine). dessin d’expression et de presse. En dépit des clichés et des conventions du genre, quelque chose dans le Éric Z (Questions de classes)

Page2 L’arme pacifique du savoir est enrayée omme vous, j’ai été effon- de dimanche appelée par le gou- appartenance religieuse, et ce de drée quand j’ai appris l’at- vernement, qui s’est permis de manière excluante. Des étudiants tentat à Charlie Hebdo et spolier l’appel des associations. La pensaient que Dieudonné les re- Cles meurtres. J’étais au lycée où je présence à cette marche de chefs présentait. Durant l’affaire Merah, suis enseignante ; quelqu’un en a d’États qui font fi de la liberté d’ex- certains disaient comprendre,car parlé. J’ai entendu l’information pression m’apparaît comme une «quand même, les juifs,ils ont sans la prendre en compte. Sans injure envers les morts, une dupe- l’argent, c’est eux qui décident». doute, une forme de déni qui m’a rie et une manipulation de plus. «Ils soutiennent les massacres de permis de donner mes cours dans Ils doivent peut-être rire jaune Palestiniens.» la journée, comme si rien ne s’était ces caricaturistes, face à « l’élan passé. patriotique », eux qui ont été si Alors que je leur disais que tous peu soutenus lors des diverses at- les juifs ne sont pas riches, qu’ils Durant la pause, les élèves ont taques contre leur journal. N’est- ne sont pas tous des décideurs, évoqué un attentat dans un jour- il pas contradictoire d’affirmer donnant pour exemple les cités nal. Après les cours, j’ai consulté que les conflits du Moyen-Orient de Sarcelles, le silence s’instaurait mes mails sur mon téléphone ; ne doivent pas être importés en dans la classe. Puis un étudiant alors, j’ai ressenti l’effroi, la peine, France et cautionner la présence lançait : «Oui,mais il y a un lobby la colère. J’ai rejoint la rassemble- de Netanyahou, Premier ministre juif, y a qu’à voir avec la Palestine. ment sur la place de la République d’Israël, à la synagogue des Vic- ». Difficile de contre-argumen- : besoin de ne pas être seule, de toires ? ter quand les gouvernements, de partager la peine mais aussi la droite comme de gauche, flirtent colère, même avec des inconnus ; Après l’attentat à Charlie Hebdo, avec le CRIF, sorte de porte-pa- bref, être en communion. il y a eu la prise d’otages dans le role, en France, des gouverne- magasin HyperCacher, porte de ments israéliens. Autre vecteur Charlie Hebdo et ses journalistes, Vincennes, et un nouveau mas- d’antisémitisme, le sentiment caricaturistes, m’ont accompa- sacre. Tuer des juifs, sous prétexte d’injustice face à l’importance de gnée, m’ont fait rire. Parfois, J’esti- d’endosser la cause palestinienne, la mise en avant de l’holocauste, mais que telle ou telle caricature alors même qu’ainsi on la dessert ressentie comme exagérée, com- n’était pas opportune dans le en incitant au départ vers Israël, parée à la manière dont l’esclavage contexte du moment, mais je ne signifie, bien évidemment, une est évoqué, ou le colonialisme. peux concevoir une autocensure. haine profonde de l’autre, un Ils sont, toutefois, réceptifs au antisémitisme virulent. Une telle fait que les descendants ont aussi Bien sûr, il y a un choc émotion- identification à une cause nous leur part de responsabilité dans nel, conséquence de la perte bru- laisse perplexe, nous interroge. le manque de diffusion de la mé- tale de ces êtres et de l’horreur Pourquoi donc tous ces jeunes, moire historique. du massacre. Je suis en deuil et qui veulent défendre les Palesti- comme en sidération, ce qui peut niens, ne cherchent-ils pas à se Aucun doute que ce sentiment paraître paradoxal, ne connais- rendre en Palestine pour parti- d’injustice est exacerbé, voire, sant pas ces humains et n’ayant ciper à la défense de la terre, aux même, s’explique, en partie, parce pas été sur les lieux de l’attentat. récoltes ou à d’autres actions aux que nombre de ces étudiants côtés de ceux dont ils disent em- viennent des cités et se vivent Beaucoup de personnes res- brasser la cause ? comme discriminés, habitant sentent des émotions similaires, dans des quartiers de relégation. Il car, d’une certaine façon, ces hu- Longtemps responsable de for- est nécessaire de reconnaître que mains faisaient partie de leur vie mation auprès de futurs travail- c’est une réalité, mais qu’ils ont le et parce que l’attentat a eu un effet leurs sociaux, j’ai constaté avec choix de se situer comme victime traumatique. inquiétude, au cours des années, ou relever le défi en se formant, en Sans doute, cela explique-t-il, en que de futurs travailleurs sociaux s’instruisant, en forçant les portes. partie, la participation de com- mettaient de plus en plus en avant pagnons anarchistes à la marche leurs origines culturelles, leur Suite Page 4

Page3 uoiqu’il en soit, destinés t-elle pas d’une confusion entre disent. Ils se le représentent à tra- à devenir éducateurs spé- éducation et enseignement ? vers leur séjour en vacances. cialisés, leurs positions Qsont bien inquiétantes. D’une ma- Comment s’exprimer, comment C’est dans ce contexte que les nière ou d’une autre, ils vont les penser quand on n’a pas les mots élèves réagissent aux tueries à véhiculer, les transmettre. ? Ces adolescents ne sont pas « Charlie Hebdo et dans le magasin outillés » pour prendre de la dis- casher. Or, nous savons que ceux qui par- tance. Le savoir est une arme pour tagent ces idées sont susceptibles se défendre, pour réfléchir avant Les enseignants sont incités à de s’embrigader dans une organi- d’agir ; ils sont démunis. Ils en ont professer la laïcité, à rappeler « les sation djihadiste ou passer à l’acte conscience, mais leur crainte de valeurs de la République ». seuls. Personne ne se préoccupe, l’échec est aussi un frein aux ap- dans les centres de formation, prentissages. Ils sont, par consé- Or, s’il est utile de rappeler le de ce profil d’étudiant : l’essentiel quent, particulièrement sensibles contexte français, il faut prendre est «de faire le plein», remplir les au discours sur les boucs émis- en compte que les leçons de mo- classes. D’ailleurs, le sujet est ta- saires juifs, cause de tous leurs rale sont, en général, rejetées par bou. maux. les adolescents. Je pense donc qu’il est préférable de faire appel à leur Actuellement enseignante auprès Comment ne pas faire le lien intelligence (manquer de vocabu- d’élèves en bac professionnel, dans entre les émeutes de 2005, expres- laire ne facilite pas la réflexion, une filière sociale, je retrouve sion d’une rage contre la société, mais ne la rend pas impossible). cette même problématique avec le système, qui éclate en violence des jeunes en grandes difficultés tous azimuts, et les sentiments de La difficulté est de les amener à sociales et scolaires, ne maîtrisant haine, s’expliquant par un ressenti s’interroger, à semer le doute dans pas la langue – bien que nés ici –, justifié de domination et d’exclu- leurs opinions afin qu’ils puissent, manquant d’un large vocabulaire sion qui ne trouve pas de support peu à peu, élaborer une pensée. de base. Comment se fait-il que idéologique pour se projeter dans des élèves arrivent en lycée avec une autre société ? Pas d’idéolo- Mais les enseignants, habitués à de telles lacunes ? gie, cela signifie aussi pas d’espé- transmettre des savoirs, pour la rance. plupart, n’engagent pas à la ré- Et que dire du manque élémen- flexion, au questionnement. Ils ne taire, pour certains, d’un simple Pour restaurer leur image, ces sont pas formés à cela, à l’excep- savoir être ? jeunes font souvent preuve de tion des professeurs de philoso- chauvinisme ; Ils revendiquent, phie, de sociologie. Demander, voire exiger des pro- avec virulence et véhémence, l’ori- fesseurs de combler toutes ces gine de leurs parents. Beaucoup Bien sûr, certains, grâce à leur lacunes, alors que ces élèves ont refusent de se définir comme conception du métier et à des dis- entre 16 et 19 ans, c’est leur assi- Français, bien qu’en ayant la na- positions personnelles, favorisent gner une mission quasi impos- tionalité ; ils survalorisent le pays des démarches réflexives. Ils sont sible à réaliser. Tant d’enseignants de leurs aînés, toujours meilleur peu nombreux. se sentent déjà bien impuissants. que les autres. Ils n’en connaissent En outre, cette mission ne relève- que ce que les plus anciens leur en Suite Page 5

Page4 e plus, dans un rapport derniers sont musulmans. inculquent leurs parents. Et bien où l’élève doit écouter et qu’adolescents en opposition avec le professeur parler, parce J’ai rappelé qu’en France nous l’autorité, ils ne sont pas prêts à Dque l’on part du postulat qu’il a sommes libres de nous expri- cette remise en cause ; d’une part, le savoir, ce dernier est rarement mer, mais que la liberté d’expres- par identification identitaire, à l‘écoute des élèves. Dans l’insti- sion a ses limites : l’incitation à d’autre part, parce qu’ils n’ac- tution éducative, donner la parole la violence, à la haine, les propos ceptent pas que nous remettions aux élèves est rare. Et ceci davan- racistes. Il est difficile d’expliquer en question ainsi leurs parents, tage dans les classes de bac pro- que rire d’une religion, ce n’est qui apparaissent comme igno- fessionnel où l’on craint les débor- pas considérer le croyant comme rants. Ainsi, à propos du «lobby dements. inférieur. juif », j’ai maintes fois entendu : «Mes parents me l’ont dit, ils Et pourtant, confrontés aux der- J’ai demandé aux élèves de réflé- savent ce qu’ils disent. » niers événements, les élèves ont chir sur la question du blasphème. besoin de parler. Ils sont touchés «Peut-on dire que quelqu’un En outre, il est bien compliqué ou ils ont, surtout, peur des amal- qui n’est pas croyant blasphème de connaître l’impact des lectures games. Ils ont aussi besoin d’être ? » «N’est-ce pas les tueurs qui sur Internet, avec une propagande éclairés. Leur donner la parole, se revendiquent de l’islam qui qui s’infiltre sur les lieux de prière, il est vrai, n’est pas aisé. J’ai fait donnent une mauvaise image de dans des centres sportifs ou des ce choix en imposant un cadre : la religion ? » « Est-ce courageux lieux d’animation. utiliser un vocabulaire adapté à de s’en prendre à des gens qui ne la classe; chacun prend la parole peuvent pas se défendre ? » « Les Tant qu’une partie de la popula- à tour de rôle ; chacun écoute ce tueurs ont-ils pensé aux consé- tion se vivra au ban de la société, que dit l’autre. Puis, quand cha- quences pour les musulmans vi- oubliée, négligée, à l’écart, sans cun s’est exprimé, chacun peut vant en France ?» perspective pour envisager l’ave- dire pourquoi il n’est pas d’accord nir, dans un contexte d’ampli- avec les propos de l’un ou l’autre. Plutôt que de leur faire part de fication de propos et d’actes ra- Le temps consacré à ces prises de mes connaissances, je les ai invi- cistes ou islamophobes, aucune parole est limité. À la fin, je réagis tés à regarder sur internet si des évolution globale ne me paraît à leur propos sans être interrom- juifs soutenaient, aidaient, défen- envisageable. Les restrictions pue. daient des Palestiniens budgétaires des associations, consécutives à la baisse des sub- Des élèves ont manifesté leur tris- Je leur ai demandé s’il était pré- ventions, vont encore aggraver la tesse des tueries, d’autres ont sur- cisé dans une religion que, parce situation. tout évoqué leur sentiment d’être que l’on est choqué, on a le droit offensés, comme musulmans, par de tuer. Après quelques secondes Et nous, anarchistes, n’avons-nous des dessins. Ils ont dénoncé le de silence, une élève a dit : «Ah pas aussi une part de responsabi- blasphème qui, selon eux, devrait bah non, Madame, en islam on ne lité ? N’avons-nous pas déserté ces être interdit : «Oui mais, quand dit pas cela. » Tous les élèves ont fameux quartiers ? même, ils ont blasphémé, alors... approuvé et sont partis sur cette », « Ils l’ont bien cherché. » « Ces réflexion. Agnès Pavlowsky dessins montrent qu’ils sont ra- cistes. » « Les dessins sont cho- Je ne sais pas si ma manière de quants. » faire aura des effets. J’essaye de Tous ont exprimé leur crainte que semer quelques graines de doute, les musulmans soient mal vus, de réflexion, de susciter quelques amalgamés aux tueurs et que cela perturbations. se retourne contre eux. La plus grande difficulté, me À propos de la tuerie dans le ma- semble-t-il, est que par nos dires, gasin cacher, certains disent que nos suggestions, la réflexion que les juifs tuent les Palestiniens, que nous tentons de provoquer, nous personne ne dit rien parce que ces allons à l’encontre de ce que leur

Page5 Je ne suis pas Charlie

Je ne doute pas qu’il Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de pleu- existe des « Charlie rer sur les cadavres de Charlie Hebdo avec un Fran- » sympathiques et çois Hollande qui vient d’annoncer que l’aéroport de plein(e)s de bonnes Notre-Dame-des-Landes sera construit, autrement intentions. Je suis dit qu’il y aura d’autres blessé(e)s graves par balles en inondé, comme tout caoutchouc, et sans doute d’autres Rémi Fraisse. le monde, de leurs courriels indignés. Je Je ne suis pas Charlie, parce que je suis viscéralement n’en suis pas. — et culturellement — hostile à toute espèce d’ « Union sacrée ». Même les plus sots des journalistes e ne suis pas Charlie, parce que je sais que l’im- du Monde ont compris qu’il s’agit bien de cela ; ils mense majorité de ces Charlie n’ont jamais été se demandent simplement combien de temps cette « ni Mohamed ni Zouad, autrement dit aucun de union » peut durer. Se « rassembler » derrière Fran- Jces centaines de jeunes assassinés dans les banlieues çois Hollande contre la « barbarie islamiste » n’est pas par « nos » policiers (de toutes confessions, les flics moins stupide que de faire l’union sacrée contre la « !) payés avec « nos » impôts. Si je recours aux outils barbarie allemande » en 1914. Quelques anarchistes du sociologue, je comprends pourquoi il est plus im- s’y sont laissés prendre à l’époque ; ça va bien comme médiatement facile pour des petits bourgeois blancs ça, on a donné ! de s’identifier avec un dessinateur connu, intellectuel et blanc, qu’avec un enfant d’immigrés ouvriers du Je ne suis pas Charlie, parce que le « rassemblement Maghreb. Comprendre n’est ni excuser ni adhérer. » est l’appellation néo-libérale de la collaboration de classes. Certain(e)s d’entre vous s’imaginent peut-être Je ne suis pas Charlie, parce que je refuse de me « qu’il n’existe plus de classes et moins encore de lutte rassembler », sur l’injonction du locataire de l’Élysée, entre elles. Si vous êtes patron ou chef de quelque avec des politicards, des flics et des militants d’ex- chose (bureau, atelier…), il est normal que vous pré- trême droite. Je ne parle pas en l’air : une connais- tendiez ça (et encore ! il y a des exceptions) ou que sance m’explique que sur son lieu de travail, ce sont vous puissiez le croire. Si vous êtes ouvrier, ouvrière, des militants cathos homophobes de la dite « Manif contraint(e) à des tâches d’exécution ou chômeur/ pour tous » qui s’impliquent dans l’organisation d’une chômeuse, je vous conseille de vous renseigner. minute de silence pour l’équipe de Charlie Hebdo. Suite Page 7

Page6 e ne suis pas Charlie, parce que si je partage la qu’un acte de guerre a été commis en plein Paris peine des proches des personnes assassinées, je contre des humoristes irrespectueux envers les reli- ne me reconnais en aucune façon dans ce qu’était gions. Jdevenu, et depuis quelques dizaines d’années, le jour- nal Charlie Hebdo. Après avoir commencé comme Je ne suis pas Charlie, parce que faute de précisions, brûlot anarchisant, ce journal s’était retourné — no- et du fait même de l’anonymisation que produit la tamment sous la direction de — contre formule « », cette formule s’entend son public des débuts. Il demeurait anticlérical. Est- nécessairement, et au-delà des positions sans doute ce que ça compte ? Oui. Est-ce que ça suffit ? Certai- différentes de tel ou telle, comme un unanimisme « nement pas. J’apprends que Houellebecq et Bernard antiterroriste ». Autrement dit : comme un plébis- Maris s’étaient pris d’une grande amitié, et que le cite de l’appareil législatif dit « antiterroriste », ins- premier a « suspendu » la promotion de son livre trument de ce que j’ai appelé terrorisation démocra- Soumission (ça ne lui coûtera rien) en hommage au tique. second. Cela prouve que même dans les pires situa- tions, il reste des occasions de rigoler. Je ne suis pas Charlie. Je suis Claude. Révolution- naire anarchiste, anticapitaliste, partisan du projet Je ne suis pas Charlie, parce que je suis un militant communiste libertaire, ennemi mortel de tous les révolutionnaire qui essaie de se tenir au courant de monothéismes — mais je sacrifie à Aphrodite ! — et la marche du monde capitaliste dans lequel il vit. de tout État. Cela suffit à faire de moi une cible pour De ce fait, je n’ignore pas que le pays dont je suis les fanatiques religieux et pour les flics (j’ai payé ressortissant est en guerre, certes sur des « théâtres pour le savoir). d’opération » lointains et changeants. De la pire manière qui soit, puisque partout dans le monde et Je suis disposé à débattre avec celles et ceux pour qui jusque dans mon quartier, des ennemis de la France la tuerie de Charlie Hebdo est une des horreurs de peuvent me considérer comme leur ennemi. Ce qui ce monde, auxquelles il est inutile d’ajouter encore est parfois exact, et parfois non. Au moins, sachant de la confusion, à forme d’émotion grégaire. que la France est en guerre, je n’éprouve pas le même étonnement que beaucoup de Charlie à apprendre Claude Guillon

Charlie-Hebdo: Salmann Rushdie

« Cette ideé que les caricaturistes ou écrivains dans le monde musulman en faveur des droits de qui critiquent l’Islam sont fauteurs de troubles, l’homme… s’en prennent aux faibles que sont les musulmans, propagent la haine, et que quelque part ils sont res- Le problème, c’est l’arrivée des « oui…mais », ces ponsables de ce qui leur arrive est une idée savam- commentateurs et journalistes occidentaux qui ment orchestrée par les milliardaires saoudiens disent « oui… mais… ». pour redéfinir l’Islam dans un sens répressif. « Oui, il faut défendre la liberté d’expression, MAIS Des milliards et des milliards sont dépensés par il ne faut pas insulter les musulmans » les autorités Saoudiennes, Quatari, Pakistanaises, Iraniennes, pour créer un monde clos, totalitaire, « Oui c’est un droit, MAIS critiquer l’Islam est trop où les droits de l’homme sont un accident de l’his- facile ». toire. Beaucoup d’argent… pour créer un monde réactionnaire de 1,5 milliard de musulmans. Ces journalistes jouent merveilleusement leur rôle dans un jeu qui les dépasse, celui de contrôler le La bonne nouvelle, c’est que, pour la première monde musulman dans son ensemble et de l’enfer- fois, ça a raté… la victimisation constante de mer dans une idéologie fabriquée pour protéger l’Islam pour mieux oppresser les non-croyants a les élites et permettre aux ambitieux d’utiliser la raté… parce que les musulmans français ont défilé religion pour contrôler les hommes et les femmes » massivement pour soutenir Charlie Hebdo. C’est unique et c’est un point de renversement inespéré Salman Rushdie sur HBO, chaîne américaine

Page7 Des gouttes de bonheur Serge Utgé-Royo n juif et deux chrétiens habitent dans ma Et plane aussi sur eux une ombre de géants rue ; Qu’ils saluent chaque jour avec un grand respect. Ils passent chaque jour sur le trottoir d’en Quels sont les dieux absents de la jeune Asiatique Uface. Qui promène son frère sur un vélo d’enfant ?… Ils se parlent parfois, et moi je les salue ; Et Marie la Française, cette amie romantique, Comme de bons voisins, nous partageons l’espace… Que dit-elle à Bouddha, tout bas, en se cachant ?… Ils ont des dieux intimes qui bornent leurs chemins, Vivez, frères humains, comme vous le pouvez ; Des sortes de héros sévères et distants ; Chacun fait comme il sait, de l’hiver au printemps. Ce ne sont pas les mêmes, et c’est chacun le sien Cachez vos désespoirs sous des rites sacrés Qui tourne dans le ciel, avec des éclairs blancs. Si vous tremblez d’effroi en songeant au néant… Moi, je salue la vie comme un cadeau du temps. Mais, je vous le demande, laissez ma liberté La Terre est un miracle dans la nuit de la peur. Danser comme un oiseau chaque jour qui va naître. Je guette les sourires de tous les continents Ne priez pas pour moi, j’ai besoin d’amitié… Et je remplis mes yeux de gouttes de bonheur… Je vous aime sans dieu et vous souhaite sans maître. Dans la rue de la Lune vivent des musulmans ; Je te salue, la vie, comme un cadeau du temps… Ce sont des gens discrets qui gardent leurs secrets ; Charlie-Hebdo et Macron ref, le spectacle de clowns tristes m’écoeure. temps, on ne règlera pas le problème qui fait que Si les journaux voulaient rendre hommage nombre de désespérés trouvent une voie dans le à Charlie-Hebdo, ils republieraient tous les pire des boulots : mercenaires pour fous très riches. Bdessins qui ont amené des tarés à les assassiner. des ayatollahs, des poutiniens, des barbouzards Pendant ce temps, Macron dit que les jeunes fran- françafricains, des escadrons de la mort, etc … Ca çais rêvent d’être milliardaires et que c’est normal. paye. et avec ça, ils pourront au mieux draguer, Mais que leur offre t-il ce loup de la finance, aux s’offrir une bouffe, et surtout se la péter. Le jour où jeunes : le chômage. et qui offre l’occasion de se on n’offrira un horizon à tous, 90% de la violence faire du flouze (via les mafias occidentales pétro- mondiale disparaîtra. Par contre, les fascistes ne lifères), de l’aventure et de l’adrénaline (en jouant sont pas des loups entre eux : les fous d’allah ne avec des armes comme dans des vidéos) et du sexe frappent pas le FN, islamophobe à mort, mais bien (en violant les femmes des ennemis) : Al qaida -ou Charlie hebdo, car ces débiles ont besoin du FN autres mouvances islamistes- . finalement, Al qaida pour exister, et réciproquement ! est le meilleur moyen pour qu’un jeune puisse tou- Charb, Honoré, Tignous et Wolinski doivent avoir cher le rêve de Macron ! les boules ! On en fera un film hollywoodien, et pendant ce

Page8 Hommage à Cabu

abu, dessinateur de bande dessinée et cari- Cabu a aussi travaillé épisodiquement pour de nom- caturiste français est né en 1938 et meurt, breux magazines et journaux français. lâchement assassiné ainsi qu’une dizaine Cabu était antimilitariste et ne manquait jamais de Cd’autres personnes, ce mercredi 7 janvier 2015, dans se moquer des militaires en les caricaturant, en leur les bureaux de Charlie-Hebdo. faisant des gueules pas possibles. Dans le cadre des Il fait des études artistiques à Paris (École Estienne) Forces libres de la Paix, du temps de Maurice Lai- et publie ses premières illustrations en 1954 dans sant et de Jean-Pierre Jacquinot, Cabu nous avait l’Union de Reims, quotidien régional. offert l’illustration d’une belle affiche « Tout pour Après son service militaire en Algérie, en 1960, « ma gueule », cette dernière nous ayant occasionné il dessine toujours dans différents journaux, dont quelques soucis avec l’armée et la justice… l’Enragé, publication éphémère ne publiant que des A toi, Cabu, que nous considérions comme un des caricatures. Il entre ensuite à Hara-Kiri, créé par Ca- nôtres, nous t’adressons un dernier hommage ainsi vanna et Bernier (le ), où il trouve qu’à tes proches. une ambiance qui correspond à ses idées et d’autres Les fascistes qui ont frappé aujourd’hui viennent de dessinateurs de talent : Gébé, Fred, Wolinski, Rei- faire un cadeau magnifique à Marine Le Pen tout ser... ». Il collabore aussi au magazine Pilote à partir comme l’inénarrable Houellebecq pour son livre de 1962. C’est là qu’il crée son personnage fétiche Le « Soumission ». Mais toi Cabu, tu étais un insou- Grand Duduche, lycéen lymphatique et maladroit mis, un drôle plein d’humour et qui savait croquer inspiré par ses souvenirs d’étudiant au lycée Pierre la connerie. C’est l’humour que les fascistes ne sup- Bayen de Châlons, et celle du « Beauf ». Il collabore portent pas. à Hara-Kiri hebdo, puis après l’interdiction de celui- Quand des énergumènes s’en prennent à la liberté de ci en 1970, à Charlie Hebdo à raison de deux pages penser, d’écrire, de chanter, de dessiner, de peindre, par semaine. d’écouter de la musique, de discuter…cela flaire bon la dictature. Il rencontre un grand succès après 1968 et publie Pour nous autres, militants libertaires : pas question de nombreux albums. Il oriente alors son art vers de se taire. Nous ne tomberons cependant pas dans la caricature politique en dessinant pour le nouveau le piège de l’islamophobie. Le combat contre les isla- Charlie Hebdo à partir de 1992, et pour Le Canard mo-fascistes à Kobanê ou en France sera constant et enchaîné. intransigeant.

Page9 Charlie-Hebdo: Merci Bernard

e que la guerre d’Algérie, les massacres de ce qui prime c’est justement l’humain qu’on avait Charonne, plein d’autres massacres, toutes presque tous oublié et qu’on avait peu manifesté les atteintes aux droits de l’homme, toutes chaque fois que nous aurions dû le manifester Cles indignités, toutes les injustices, toutes les salope- ries, tous les pauvres, tous les sdf, tous les roms… Liberté ? Il y a bien longtemps que je ne l’avais pas n’avaient jamais pu provoquer, ils l’ont fait ! entendu crié sauf pour empêcher la liberté des autres. Tous ne le crient pas, mais tous l’entendent. Des millions de personnes dans les rues ! Dans les neurones, quelque part même bien cachés, Bien sûr, il y a les récupérateurs (tous ceux qui de- les Charlies se seront logés. Des libertaires ! Ce sont puis des lustres ont contribué à tous les assassinats des libertaires qui auront été pleurés, ce sont des li- et qui s’affichent), bertaires qui auront été regrettés, c’est à cause de l’éli- mination de libertaires que presque tout un peuple Bien sûr il y a les détourneurs, les profiteurs (qu’un se sera levé (presque !). Ce sont des libertaires qui, sang impur abreuve nos sillons !) une ou deux journées, auront fait ressentir enfin la fraternité à ceux qui ne font que la proclamer. bien sûr il y a des pensées probablement très contra- dictoires dans celles et ceux qui ont manifesté, l’émo- Demain matin, il n’y aura pas de miracle. Mais dans tion certainement réelle n’a pas forcément les mêmes les têtes, des millions de personnes ne pourront sources, renier qu’à un moment au moins, elles ont été des humains aux côtés d’autres humains pour défendre Mais on s’en fout ! l’humain.

Parce que le simple fait de s’afficher avec »Je suis Merci Charlie ! Charlie » aux côtés d’autres « Je suis Charlie », c’est vouloir se reconnaître comme un humain, recon- Vous devez bien vous marrer, c’est votre meilleur naître que les Charlies étaient des humains, que coup ! (Bernard Collot)

Le Mecreant - Georges Brassens

Est-il en notre temps rien de plus odieux Quelque sainte chanson dont vous avez l’secret « De plus désespérant, que de n’pas croire en Dieu ? Grattant avec ferveur les cordes sous mes doigts J’voudrais avoir la foi, la foi d’mon charbonnier J’entonnai «le Gorille» avec «Putain de toi» Qui est heureux comme un pape et con comme un Criant à l’imposteur, au traître, au papelard panier Ell’s veul’nt me fair’ subir le supplic’ d’Abélard Mon voisin du dessus, un certain Blais’ Pascal Je vais grossir les rangs des muets du sérail M’a gentiment donné ce conseil amical Les bell’s ne viendront plus se pendre à mon poitrail « Mettez-vous à genoux, priez et implorez Grâce à ma voix coupée j’aurai la plac’ de choix Faites semblant de croire, et bientôt vous croirez « Au milieu des petits chanteurs à la croix d’bois J’me mis à débiter, les rotules à terr’ Attirée par le bruit, un’ dam’ de Charité Tous les Ave Maria, tous les Pater Noster Leur dit : « Que faites-vous ? Malheureus’s arrêtez Dans les rues, les cafés, les trains, les autobus Y a tant d’homm’s aujourd’hui qui ont un penchant Tous les de profundis, tous les morpionibus pervers Sur ces entrefait’s-là, trouvant dans les orties A prendre obstinément Cupidon à l’envers Un’ soutane à ma taill’, je m’en suis travesti Tant d’hommes dépourvus de leurs virils appâts Et, tonsuré de frais, ma guitare à la main A ceux qu’en ont encor’ ne les enlevons pas « Vers la foi salvatric’ je me mis en chemin Ces arguments massue firent un’ grosse impression J’tombai sur un boisseau d’punais’s de sacristie On me laissa partir avec des ovations Me prenant pour un autre, en choeur, elles m’ont dit Mais, su’l’chemin du ciel, je n’ferai plus un pas « Mon pèr’, chantez-nous donc quelque refrain sacré La foi viendra d’ell’-même ou ell’ ne viendra pas

Page10 Pour la flamme que tu allumes Les deux couleurs de ton pays Au creux d’un lit pauvre ou rupin Le rouge pour naître à Barcelone Pour le plaisir qui s’y consume Le noir pour mourir à Paris Dans la toile ou dans le satin Pour les enfants que tu ranimes Thank you Satan Au fond des dortoirs chérubins Pour leurs pétales anonymes Pour la sépulture anonyme Comme la rose du matin Que tu fis à Monsieur Mozart Sans croix ni rien sauf pour la frime Thank you Satan Un chien, croque-mort du hasard Pour les poètes que tu glisses Pour le voleur que tu recouvres Au chevet des adolescents De ton chandail tendre et rouquin Quand poussent dans l’ombre complice Pour les portes que tu lui ouvres Des fleurs du mal de dix-sept ans Sur la tanière des rupins Pour le condamné que tu veilles Thank you Satan A l’Abbaye du monte en l’air Pour le rhum que tu lui conseilles Pour le péché que tu fais naître Et le mégot que tu lui sers Au sein des plus raides vertus Et pour l’ennui qui va paraître Thank you Satan Au coin des lits où tu n’es plus Pour les ballots que tu fais paître Pour les étoiles que tu sèmes Dans le pré comme des moutons Dans le remords des assassins Pour ton honneur à ne paraître Et pour ce coeur qui bat quand même Jamais à la télévision Dans la poitrine des putains Pour les idées que tu maquilles Thank you Satan Dans la tête des citoyens Pour la prise de la Bastille Pour tout cela et plus encore Même si ça ne sert à rien Pour la solitude des rois Le rire des têtes de morts Thank you Satan Le moyen de tourner la loi Et qu’on ne me fasse point taire Pour le prêtre qui s’exaspère Et que je chante pour ton bien A retrouver le doux agneau Dans ce monde où les muselières Pour le pinard élémentaire Ne sont plus faites pour les chiens... Qu’il prend pour du Château Margaux Pour l’anarchiste à qui tu donnes Thank you Satan !

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