Automne / Autumn 2020

Rébellion contre l’extinction / Poésie online Paolo Cirio Rebellion Against Extinction Vincent Pécoil Sara Sadik

02 Revue d’art contemporain gratuite / 02 Free Contemporary Art Review ERICKA GISÈLEFREUND BECKMAN JIM DINE GHÉRASIM LUCA TAKIS PHILIPPE HIQUILY PHILIPPE JEAN TINGUELY 09.10.20 ROLAND TOPOR JOSEPHCORNELL

RUDOLF SCHLICHTER RUDOLF HANS BELLMER RAYMOND HAINS DUFRÊNE FRANÇOIS GEORGE GROSZ IRÈNE LAGUT ALBERTO MARTINI 07.02.21 YOKO ONO ISABELLE WALDBERG FERRER ESTHER

PIERRE KLOSSOWSKI PETER SAUL PICABIA FRANCIS CAMILLA ADAMI

ANDRÉ BRETON FILLIOU ROBERT BRAUNER

VICTOR HUGO CARRINGTON LEONORA PAULÉLUARD

SCOTTIE WILSON SCOTTIE BALTHUS VICTOR VICTOR TRISTAN TZARA MAX ERNST DULARY

ALLAN KAPROW MICHAUX JACQUES VILLEGLÉJACQUES ARNAUD LABELLE-ROJOUX HENRI SCHIRMAN NUSCH ÉLUARD KASUO SHIRAGA KASUO CAROLEE SCHNEEMANN CAROLEE DANIELLE DANIELLE STÉPHANE PENCRÉAC’H STÉPHANE DANIEL POMMEREULLE DANIEL EUGÈNE DESLAW EUGÈNE VALENTINE HUGO ALEXANDRE BAUDET- ALEXANDRE CARMEN CALVO CARMEN EDUARDO PAOLOZZI EDUARDO ROBERT BREER ALAIN FLEISCHER ALAIN SHINKICHI TAJIRI UGO MULAS CAMILLE BRYEN MARCEL DUCHAMP THÉOPHILE STEINLEIN BEN ERRÓ JOHANNHEINRICHFÜSSLI RAOUL HAUSMANN RAOUL TOYEN TETSUMI KUDO TETSUMI MARYAN JOE JONES JACQUES VACHÉ PIERRE MOLINIER PIERRE

ANTONINGIORNO JOHN ARTAUD SERGE PEY SERGE

AUGUSTIN LESAGEAUGUSTIN KADER ATTIA RENÉ CLAIR

ANTONIO SAURA PARDO FRÉDÉRIC GUSTAVKLIMT ROBERT DESNOS ROBERT MAN RAY

ŠEK KUPKA

JEAN-JACQUES LEBEL QUENEAU RAYMOND FRANTI GRETA TZARA KNUTSON

CHARLES ALBERT GUELDRY ALBERT CHARLES DENISE AUBERTIN

17 JUIL . – GUILLAUME APOLLINAIRE FONDS 18 OCT. 2020 LAMBA JACQUELINE DE DOTATION

JEAN-JACQUES LEBEL Conception graphique : Nicolas Hubert / Amélina Bouchez

Ericka Beckman, Reach Capacity, 2020 © the artist WWW.MUSEEDARTSDENANTES.FR #ARCHIPEL Des choses vraies qui font semblant

Centre Wallonie-Bruxelles , Exposition 15 oct.—13 déc. 2020, Vernissage le 15 oct. 18 h 30— , 2017, coll. de la Province de Hainaut

Moore Oklahoma 2013 BONVICINI, BONVICINI, MONICA © d’être des faux-semblants

Commissariat de Michel François Carlotta Bailly-Borg, Sarah Caillard, Douglas Eynon, Gaillard ACQUISITIONS & Claude, Selçuk Mutlu, Ria Pacquée, Olivier Stévenart, LA COLÈRE RÉCENTES Charlotte vander Borght, Loïc Vanderstichelen EXPOSITION DE LUDD 19.09.2020 > 03.01.2021 Production du CWB / Paris avec la complicité de la Cité internationale des arts cwb.fr (Paris) et le soutien de la COCOF (Bruxelles) MUSÉE DE LA PROVINCE DE HAINAUT BD SOLVAY, 22 B-6000 CHARLEROI www.bps22.be Province de HAINAUT Musée national Pablo Picasso, La Guerre et la Paix, Vallauris 11 juillet Mon heure préférée 2 novembre 2020 est une heure de la nuit : Al Fahmah Mounira Al Solh , parasol brodé et et brodé , parasol Mina El Shourouk ila Al Fahmah – Lackadaisical sunset to sunset to sunset – Lackadaisical ila Al Fahmah Mina El Shourouk Mounira Al Solh, Mounira 2020. / Hambourg), Gallery (Beyrouth de la Sfeir-Semler et de l’artiste Courtesy 2019. haut-parleur, : Montasser Drissi graphique Conception musee-picasso-vallauris.fr HENRI CUECO LA MAISON CUECO, DESSINS CHOISIS EXPOSITION 19 SEPT › 15 NOV 2020 CHAPELLE DU GENÊTEIL Rue du Général Lemonnier exposition du 10.10.2020 au 3.01.2021 53200 Château-Gontier sur Mayenne T. 02 43 07 88 96 www.le-carre.org chroniques de l'invisible

ignasi aballí ismaïl bahri eva barto edith dekyndt lois weinberger Commissaire : Guillaume Désanges

le grand cafe centre d'art contemporain d'interet national, saint-nazaire

Place des Quatre z’Horloges grandcafe-saintnazaire.fr entree libre HenriAutoportrait« Cueco, aux girollesAcrylique - 2002 », Collection - cm 65 × 92 particulière toile, sur Adagp,© Paris, 2020 Le labeur

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Galerie ouverte du lundi au samedi Irina Botea et Jon Dean, Tanja Boukal, de 14:00 à 18:30 et sur rdv. Entrée libre. Igor Grubic, Zhanna Kadyrova

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K48 A_P ZERO 2 210*297.indd 1 22/07/2020 18:46 LA VIE DES TABLES Exposition collective 20.09. — 13.12.2020

Avec les œuvres de : Corentin Canesson Kiösk Jorge Satorre Boris Achour Ali Cherri Kapwani Kiwanga Shimabuku Pierre Ardouvin Gaëlle Choisne Jonathan Loppin Noé Soulier Ethan Assouline Delphine Coindet Liz Magor Thomas Teurlai Marcos Ávila Forero Mathis Collins Paul Maheke Sarah Tritz Nour Awada Morgan Courtois Charlote Moth Francisco Tropa Eva Barto Koenraad Dedobbeleer Gyan Panchal Victor Yudaev BENOÎT Eric Baudart Mimosa Echard Estefanía Peñafiel Loaiza Raphaël Zarka Katinka Bock Aurélien Froment Nelson Pernisco Roxane Borujerdi Dominique Ghesquière Jean-Charles de Quillacq En partenariat avec Simon Boudvin Louise Hervé & Clovis Maillet Hugues Reip le Festival d’Automne à Paris. MAIRE Anne Bourse Sheila Hicks Soraya Rhofir Flora Bouteille Ana Jota La Ribot Tiphaine Calmetes Véronique Joumard Bojan Šarčević

PROGRAMMATION 2021

Kapwani Kiwanga Janvier — Mars Simon Boudvin Avril — Juin Derek Jarman Septembre — Décembre

CENTRE D’ART CONTEMPORAIN D’IVRY — LE CRÉDAC CENTRE D’ART CONTEMPORAIN D’INTÉRÊT NATIONAL Membre des réseaux TRAM La Manufacture des Œillets 1, place Pierre Gosnat et d.c.a, le Crédac reçoit le soutien de la Ville d’Ivry-sur-Seine, du Ministère de la Culture — 94200 Ivry-sur-Seine France www.credac.fr Direction Régionale des Afaires Culturelles d’Île-de-France, du Conseil départemental du Val-de-Marne et du Conseil Régional d’Île-de-France. Entrée libre

10 OCT. 13 DÉC. 2020 , 2020 (DÉTAIL) 2020 , PEINTURE DE NUAGES DE PEINTURE VISUEL : BENOÎT MAIRE, BENOÎT : VISUEL 13Sommaire

Interview Reviews

Andrej Škufca Vincent Pécoil MGLC, Ljubljana 76-77 par / by Elena Cardin Essai / Essay Manifesta 13 Marseille 26-37 78-81 Rébellion contre Louise Sartor Consortium Museum, Dijon l’extinction / 82 Hadjithomas & Joreige Rebellion Against Frac Corse, Corte 83 Extinction Le Voyage à Nantes HAB galerie et Musée d’arts de Nantes par / by Adrian Lahoud 84-85 Paolo Cirio Io Burgard Centre d’art Les Capucins, Embrun par / by Aude Launay 14-23 86 Persona Everyware 40-50 Le Lait, Albi 87 Gontierama 2020 Poésie online Château-Gontier 88 par / by Anysia Troin-Guis 54-62 Sara Sadik par / by Anysia Troin-Guis 66-73

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Automne / Autumn 2020

En couverture / Cover Directeur de la publication / Rédacteurs / Contributors Publicité / Advertising Éditeur / Publisher Sara Sadik, Allo le bled, 2019. Publishing Director Elena Cardin, Patrice Joly, Patrice Joly Association Zoo galerie Performance 10’, production Rédacteur-en-chef / Adrian Lahoud, [email protected] 10 rue Bonne Louise Triangle France – Astérides Editor-in-Chief Benoît Lamy de la Chapelle, 44 000 Nantes (F) à l’occasion du festival / Patrice Joly Aude Launay, Vanessa Morisset, Graphisme / Graphic Design [email protected] on the occasion of Do Disturb Anysia Troin-Guis. Aurore Chassé Palais de Tokyo, Paris. Avec le soutien Photo : Ayka Lux Traduction / Translation Impression / Printing de la Ville de Nantes Aude Launay, Simon Pleasance Ziur Navarra, Espagne Textes inédits et archives sur www.zerodeux.fr Unpublished texts and archives www.zerodeux.fr/en 14Essai Adrian Lahoud 15Essai Adrian Lahoud

Rébellion contre l’extinction — par Adrian Lahoud

Le texte qui suit est la transcription d’une conférence L’affaire Mabo contre Queensland a été réglée donnée le 31 janvier 2020 au Verbier Art Summit 2020 le 3 juin 1992 par la Cour Suprême d’Australie aussi publiée dans Resource Hungry: Our Cultured reconnaissant, pour la toute première fois, Landscape and its Ecological Impact par Koenig Books des droits fonciers autochtones. Cette décision Londres. Le Verbier Art Summit est une plateforme a souvent été décrite comme historique mais artistique à but non lucratif qui génère de nouvelles elle n’est somme toute que l’admission sous forme idées et favorise le changement social par l’art. juridique de ce qui, pour tout le monde, était déjà un fait incontestable : que l’Australie était habitée Je vais évoquer ici ma récente collaboration avec avant sa colonisation et que, par conséquent, la Triennale d’architecture de Sharjah dont l’édition ces habitants ont des droits sur ses terres. inaugurale est sur le point de se terminer. Il s’agit de On attribue souvent à Mabo, du nom la première plateforme internationale de réflexion du militant des droits fonciers, Eddie Mabo, sur l’architecture à se pencher sur l’architecture le renversement de la terra nullius, une expression Toutes les images sont issus de la conférence d’Adrian Lahoud du Sud global, et, en tant que commissaire de latine et un concept juridique que l’on traduit lors du Verbier Art Summit, cette édition, j’ai proposé pour thème les droits par « territoire sans maître ». L’on nous enseignait, le 31 janvier 2020. des générations futures. J’ai choisi ce thème afin à nous Australiens, que ce concept constituait de mettre en avant l’intergénérationnalité des luttes un prétexte juridique à la colonisation britannique d’y attraper les poissons et de les manger. On étendue de brousse en serait une tesselle, puis pour la justice environnementale et spatiale dans du continent australien, mais ce que l’on nous découvre encore des milliers d’exemples de ce type juste à côté de celle-ci, mais très clairement définie les pays du Sud, ce qui impliquait notamment enseignait était faux. de structures en Australie. De fait, une révolution comme différente, se trouverait une plaine herbeuse. une sorte de décolonisation de ce que nous Le principe de terra nullius commence est en cours dans le pays en ce qui concerne notre Les indigènes australiens allumaient entendons de prime abord par architecture. à encadrer le récit de l’installation des blancs compréhension de notre propre continent, et c’est continuellement de tout petits feux dans le paysage. Il est important de dire que le Sud global n’est en Australie une centaine d’années après l’arrivée en partie grâce à des livres incroyables comme En fait, le paysage australien a évolué par le feu pas une région. C’est un archipel, un archipel qui de la « première flotte » ; ainsi, ce que Mabo renverse The Biggest Estate on Earth de Bill Gammage (2017) pendant des dizaines de milliers d’années. Lorsque a survécu aux empires, au colonialisme, à l’extraction alors n’est pas seulement une fiction morale et Dark Emu de Bruce Pascoe (2007). la végétation se renouvelait après le brûlage, capitaliste. Chaque île de cet archipel incarne et juridique, mais une fiction historique. Suivant la manière dont on m’a enseigné les kangourous, les wallabys et autres marsupiaux une lutte pour maintenir d’autres façons d’être Le continent n’a pas été colonisé, il a été conquis, l’histoire de l’art au lycée, en Australie, la commençaient à se déplacer dans le paysage. dans le monde, une rébellion contre l’extinction et les conquérants le savaient. compréhension classique de la peinture de paysage Les indigènes australiens se cachaient alors dans dont on pourrait dire qu’elle dure depuis des siècles. Comme tant de mensonges qui persistent australienne est la suivante : les peintres européens la brousse et chassaient les marsupiaux au fur autour notre histoire, la terra nullius est une feuille sont arrivés avec la « première flotte » et, parce et à mesure de leurs déplacements. Ce qu’ils faisaient, La Triennale d’architecture de Sharjah rassemble de vigne très ancienne prise, avec le temps, pour une que leur regard s’est construit dans le contexte c’était coordonner la migration des marsupiaux des œuvres d’architectes, d’artistes, de militants, vérité historique. L’un des mensonges les plus européen, ils ne peuvent voir le paysage australien par le design du paysage, par le brûlage stratégique de chorégraphes, d’anthropologues, de scientifiques pernicieux est que les Australiens indigènes tel qu’il est. Ils le peignent comme s’il s’agissait de ces parcelles de la mosaïque qui couvrait et de performeurs pour tenter de raconter l’histoire vivotaient. Selon cette image de la société indigène, d’un jardin européen. Mais, dans les années mille le continent australien. C’était déjà extraordinaire, de ces luttes. Chaque projet explore une relation précoloniale, la vie n’était guère plus qu’une lutte neuf cent cinquante-soixante, il y aurait eu une mais il y a encore plus incroyable. Dans chacun unique entre générations, soulevant des questions acharnée et sans fin pour satisfaire des besoins révolution dans la peinture de paysage australienne, des groupes linguistiques que j’ai rencontrés, sur la crise climatique et sur le rôle de l’architecture primordiaux avec de très, très maigres moyens. les peintres apprenant enfin à regarder le paysage un des membres de la communauté se voit attribuer dans notre rapport à l’environnement. Et c’est un mensonge d’autant plus pernicieux australien avec des yeux australiens. En un sens, un totem. Le totem peut être un animal ou une L’un des projets les plus emblématiques que c’est une chose d’admettre la conquête, ils ont décolonisé leur perspective. plante, et la personne qui en hérite est responsable de cette édition est une peinture de huit mètres sur mais c’en est une autre d’admettre que les conquis Bill Gammage a fait quelque chose de l’écosystème entier dont cette plante dix produite par quarante artistes issus de quatre sont vos égaux. Les Australiens précoloniaux ne d’incroyablement intéressant : il a passé quinze ans ou cet animal dépend pour sa survie. C’est sa communautés indigènes et qui a passé près vivotaient pas, et le temps qu’ils consacraient à leurs à écrire son livre à partir de ces peintures, visitant responsabilité, sa responsabilité et son obligation de vingt-trois ans dans une caisse dans la réserve cérémonies religieuses en est une preuve évidente. les sites où elles ont été réalisées et comparant légales, de veiller sur lui, quoi qu’il arrive. Cela de la Mangkaja Arts Resource Agency à Fitzroy chaque fois la peinture au paysage. Il a aussi lu des signifie que si une personne dont le totem Crossing, une petite ville d’Australie-Occidentale. Les pièges à poissons de Brewarrina — un ensemble journaux intimes de colons pour savoir ce qu’ils est un émeu ou un kangourou rencontre une autre À l’origine de cette peinture, on trouve une histoire extrêmement complexe de barrages et de disaient sur le paysage, ce qui lui permet d’affirmer communauté, elle sera présentée au membre assez étonnante. Pour la raconter, nous devons déversoirs — étaient le fruit d’une véritable que si le continent australien a été peint par les de cette communauté qui est également responsable nous tourner vers un autre type d’île, non pas conception, un réel projet d’ingénierie, un projet peintres européens comme s’il s’agissait d’un de cet animal. Ainsi, bien que de groupes une île dans un archipel mais une île-continent architectural. Que faisaient ces barrages ? domaine, d’un jardin, c’est parce qu’il en était ainsi. linguistiques différents, les indigènes australiens avec sa propre histoire coloniale de peuplement Ils retenaient les poissons dans des bassins fermés liaient de manière transversale la gestion écologique et un récit non encore formulé aussi vaste afin que les indigènes australiens n’aient jamais Qu’est-ce que cela signifie ? La thèse du livre est que de la terre à travers tout le continent. Gammage que sa masse continentale. faim. Ils leur suffisait de descendre dans le bassin, le continent australien est une mosaïque. Une petite affirme que la seule manière de comprendre 16Essai Adrian Lahoud 17Essai Adrian Lahoud

le continent australien avant la colonisation En 1993, suite à l’arrêt Mabo, fut établi le Native avec le public et le système juridique australien communautés. Lorsque leurs membres s’y tiennent est de le considérer comme un seul domaine. Title Tribunal. Vous le savez sans doute, afin de reconquérir leur terre, ce qui fait que debout, ils disent qu’ils se tiennent sur leur pays. en Australie, l’État est la seule source de droit. ce projet est totalement contemporain, ce n’est pas Elle est une manière d’exprimer la loi. Elle exprime Le continent a donc été designé, mais de quel genre Ce droit, en matière de propriété, consiste en des une peinture traditionnelle. Ils ont ensuite pris une aussi la manière dont le « droit de raconter de design s’agissait-il ? C’était un design que déclarations publiques et vérifiables telles que autre décision incroyable : ils ont décidé que, malgré des histoires » peut être différent pour les membres les colons blancs ne pouvaient pas reconnaître des cartes, des levés, des titres et des actes. leurs différences linguistiques et culturelles, d’une même communauté. Elle est un lieu de lorsqu’ils sont arrivés. Les écosystèmes du Mais il existe un autre ordre juridique en Australie ils peindraient des trous d’eau. Ils les appellent cérémonies de purification, d’entretien, d’éveil. continent ont été modifiés, ses rivières contrôlées, dans lequel l’État n’est pas la seule source de droit, des « jilas » parce que c’est l’eau qui a rendu toutes Elle est l’incarnation de la parentèle et la maison ses champs cultivés, ses mouvements, ses cycles même si cet ordre juridique transmet sa loi leurs histoires égales — il est évident que l’eau est des ancêtres. Tout cela est dans la peinture. et ses rythmes manipulés et exploités en une oralement. Il n’est pas écrit ; il n’a pas édité de cartes, une chose incroyablement précieuse dans le désert. C’est aussi un tapis. On peut marcher et danser chorégraphie totale s’étendant sur des milliers de levés, de titres de propriété ; il valorise le secret dessus. Même les chiens peuvent marcher dessus. d’années. Que pensez-vous de ça comme image et l’initiation plutôt que les déclarations publiques. Le 9 mai 1997, après quatre années de réunions, Il y a une histoire formidable au sujet du directeur de l’Australie ? Un grand projet de design Avec la loi sur les titres autochtones1, un groupe de plus de quarante hommes et femmes d’une institution très connue d’Australie qui vient intergénérationnel à l’échelle de tout un continent. deux ordres juridiques, moraux et écologiques aborigènes des communautés de Walmajarri, voir le tableau, devient furieux quand il voit Malgré les preuves, comme je le disais, radicalement différents sont entrés en contact. Wangkatjungka, Mangala et Juwaliny se réunissent des aborigènes marcher dessus et s’exclame : les Australiens blancs ne purent le reconnaître. Leur rencontre soulève des questions difficiles à l’avant-poste de Pirnini qui se trouve à environ « Vous devez décider de ce qu’elle est ! » Ce qui est Ils ne le peuvent toujours pas, mais c’est en train sur le passé, le présent et l’avenir des relations six heures de route au sud de Fitzroy Crossing, si beau, c’est justement qu’ils n’ont pas à décider de changer. Un jour, cela deviendra aussi un fait entre les Australiens noirs et blancs. dans le Grand Désert de Sable. La session plénière de ce qu’elle est. En fait, c’est indécidable. incontestable. du National Native Title Tribunal était prévue C’est un objet unique à plusieurs niveaux comme Voyons comment fonctionne la revendication d’un une dizaine de jours plus tard. je n’en ai jamais rencontré d’autre dans ma vie et que Prenons un récent travail de recherche sur titre autochtone. En 1993, un groupe de communautés Le jour suivant, le 10 mai, Jimmy Pike, les non-indigènes n’appréhenderont jamais qu’aux la véracité des témoignages oraux en Australie. du Grand Désert de Sable s’est réuni à Lampu Well, l’un des artistes, prend un pinceau et fait la première limites de sa signification. Des chercheurs ont mené une expérience dans à l’extrémité nord de la Canning Stock Route. marque, traçant une ligne de la Canning Stock le cadre de laquelle ils ont interrogé vingt-trois Le président du Conseil foncier de l’époque a expliqué Route. C’est la première ligne tracée sur la toile La peinture terminée, les artistes insistèrent communautés aborigènes différentes de la côte qu’en vertu de la loi sur les titres fonciers autochtones, de huit mètres sur dix, et ce d’un bout à l’autre de la pour que l’audience ait lieu sur la zone même. Dans australienne, en leur demandant si leur tradition les demandeurs devaient prouver trois choses : toile. Ses collègues artistes « trouvent » leur région, une sorte de moment Fitzcarraldoesque à la Werner orale comportait des histoires évoquant le niveau leur culture et leur droit ; s’assoient et commencent à peindre. Herzog, le système juridique australien lève le camp de la mer, des histoires sur là où était situé le littoral. d’où ils venaient et qui ils étaient ; et Il aura fallu dix jours aux quarante artistes pour se rendre dans le désert, au loin, et entendre Et ils ont constaté que vingt-et-une des vingt-trois où ils ont marché sur la terre. réunis à Pirnini pour peindre la preuve d’un régime Kogolo contre le gouvernement de l’État d’Australie communautés interrogées ont corroboré avec foncier intergénérationnel pour l’Australian Native occidentale. précision la position exacte du littoral. Au cours des quatre années suivantes, des membres Title Tribunal. La peinture est intitulée Ngurrara II. Alors qu’ils sont appelés à témoigner, Cela pourrait sembler sans grand intérêt, de ces communautés, en collaboration avec Le mot « ngurrara » exprime le sentiment d’être chez les différents artistes se dirigent vers la partie si ce n’était que les niveaux de la mer décrits sont des anthropologues et le directeur de l’Agence soi. Ngurrara Canvas II est évidemment tellement qui représente leur région. Ils s’y tiennent debout et, ceux d’il y a entre 7 000 et 18 000 ans. Il s’agit d’une des ressources artistiques de Mangkaja, sont plus qu’une simple peinture : c’est une intervention parlant soit en anglais soit dans l’une des quatre histoire empiriquement vérifiable transmise sur retournés sur place pour tenter de définir la zone stratégique dans une revendication de droits langues indigènes, ils racontent l’histoire de leur vie. trois à sept cents générations ! Pensez au type de revendication des titres autochtones. fonciers qui adopte et adapte les lois et les histoires Ils racontent qui ils sont, comment ils se sont de structure sociale que requiert une transmission La zone qu’ils cherchaient à « reconquérir » traditionnelles du « pays » pour produire des effets déplacés à travers le pays. Ils expriment leur culture, de récits aussi précise sur une aussi longue période. avait une surface de 83 886 kilomètres carrés, juridiques et politiques par des moyens esthétiques. leur droit, leur origine. On est avant l’invention de l’écriture, avant soit environ deux fois la taille des Pays-Bas. Tout cela la rend parfaitement unique dans l’invention du langage. Malgré le temps qui s’est Mais au cours de ce processus, la question restait la tradition déjà très riche de la peinture indigène. L’un des membres du tribunal déclare (dans les D’une part, c’est une véritable carte, témoignages) qu’il s’agit de « la preuve la plus écoulé, malgré toutes les tentatives de faire taire les de savoir comment établir, devant un tribunal 2 Kirsten Anker, Declaration messages qu’ils véhiculent, malgré tout ce qui s’est australien, leur culture, leur droit, leur origine et leur of Interdependence: car on peut dire qu’elle indique des choses, et c’est éloquente et la plus accablante qui ait été présentée A Legal Pluralist Approach d’ailleurs ainsi qu’elle a été utilisée. En un sens très passé sur cette île-continent depuis 1788, ces signaux identité. En d’autres termes, qu’est-ce qui, aux yeux to Indigenous People (2014), devant un système juridique australien ». sont toujours là, et nous pouvons les distinguer si du système juridique australien, pouvait constituer Routledge 2017. littéral et même matériel, elle est le pays de ces Le verdict a été rendu dix ans plus tard, nous sommes prêts à les écouter. Si nous ne sommes une preuve du fait que leurs droits fonciers en 2007. Ont-ils eu gain de cause ? Bien sûr. pas prêts à écouter, voilà ce qui se passe [démarrant remontent à des dizaines de milliers d’années ? Au cours de son jugement, le juge Gilmour une vidéo de récents feux de brousse]. Ils ont alors pris la décision la plus surprenante a déclaré : « Puis-je dire qu’en rendant ces qui soit : ils ont décidé de réaliser une peinture ordonnances, cette Cour ne vous donne pas un titre En ce moment a lieu un débat très politisé qui prouverait leur revendication de titre. Ce fut autochtone ? La Cour détermine que le titre en Australie, dans lequel une seule des parties dit la première et, jusqu’à présent, la seule fois dans autochtone existe déjà. Qu’il détermine que c’est que nous devons apprendre des systèmes indigènes l’histoire australienne qu’une peinture était inscrite votre terre. Qu’il est basé sur vos lois et coutumes de gestion des terres. La gestion indigène comme preuve d’un titre foncier autochtone. traditionnelles et qu’il l’a toujours été. Cette des terres n’est pas séparée de l’environnement, législation dit à tous les Australiens que c’est votre et l’environnement australien a évolué autour du feu. Les artistes ont dû décider du type d’histoires terre et que cela a toujours été votre terre. » Et nous Le feu est un élément naturel de l’environnement à partager entre eux, car les différentes devrions ajouter que ce sera toujours leur terre, australien et, curieusement, le premier ministre communautés ont chacune leurs propres histoires une zone de plus de 80 000 kilomètres carrés rendue du gouvernement conservateur actuellement en et, en des circonstances normales, elles sont à ses propriétaires coutumiers au moyen d’une place, qui a-t-il choisi d’attaquer ? Il a choisi d’attaquer légalement tenues de ne pas partager ces histoires peinture de huit mètres sur dix, ce n’est pas si mal... 1 Le Native Title Act 1993 est une les auteurs des deux livres dont je viens de parler. avec d’autres. Ils ont également dû décider de ce loi adoptée par le Parlement australien dont l’objectif est de Cela montre à quel point ces idées sont dangereuses. qu’ils allaient partager avec le système juridique Pour ma part, j’ai découvert l’existence de cette « fournir un système national Imaginez, le premier ministre attaquant australien parce qu’ils éprouvaient évidemment une peinture dans un ouvrage de 2014 intitulé pour la reconnaissance et la protection des titres fonciers un universitaire qui écrit un livre sur la gestion grande méfiance envers ce dernier. Ils ont décidé Déclaration d’interdépendance : une approche autochtones et pour leur juridique pluraliste des populations autochtones2 coexistence avec le système des terres ? Il suffit de regarder le mont Kosciuszko d’enfreindre leurs propres lois et de partager national de gestion des terres ». après les incendies, c’est une vision d’apocalypse. ces histoires entre eux, mais de les partager aussi écrit par l’anthropologue Kirsten Anker et j’ai pensé : 18Essai Adrian Lahoud 19Essay Adrian Lahoud

« Il n’y a aucune chance que cette histoire soit vraie ! qui s’en échappent, c’est le jila, le trou d’eau. Comment aurais-je pu ne jamais en entendre Le jila a presque la même taille dans la peinture parler ? » que dans la zone réelle de 83 886 kilomètres carrés, Il s’avère qu’en fait personne ou presque n’a mais le petit jila est considéré comme si précieux, entendu parler de cette peinture. Nous travaillions et la relation à l’eau qu’il exemplifie est si sacrée, Rebellion Against Extinction sur le projet depuis des mois, mais depuis Londres, que c’est ainsi que ces artistes lisent du point de vue de l’Institute of Contemporary Arts. l’environnement. Ce qui est absolument — J’ai été ravi quand, après des mois de discussion, extraordinaire à mes yeux, c’est que l’échelle by Adrian Lahoud l’ICA a accepté de me rencontrer. du jila dans la peinture n’a rien à voir avec sa dimension dans la vie réelle parce qu’en fait, En avril 2019, je me suis rendu en Australie elles sont proportionnelles. Plus que cela, les lignes occidentale pour rencontrer les artistes survivants blanches représentent les chemins que les gens et les descendants désignés des artistes décédés. empruntent, au travers d’un vaste désert de sel, En fait, il n’y a que six artistes sur les quarante pour arriver au jila. Les chemins eux-mêmes This talk was first given on 31 January 2020 during described as a landmark decision but it merely du groupe initial qui soient encore en vie. (vous devrez imaginer une surface blanche the 2020 Verbier Art Summit and was first published admits in legal form, what, to everyone, was already Au centre éducatif Karrayili de Fitzroy Crossing, complètement plane) ont une profondeur in Resource Hungry: Our Cultured Landscape an undisputable fact: that Australia was inhabited je leur ai expliqué mes ambitions pour la Triennale de quelques millimètres. Ils sont presque invisibles, and its Ecological Impact by Koenig Books London. before it was colonised and that, therefore, de Sharjah, et j’ai écouté leurs ambitions pour ce ne sont que de très légères dépressions. The Verbier Art Summit is a non-profit art platform these inhabitants have claim to the land. la peinture. Chaque communauté suit ce chemin parce generating new ideas and driving social change Mabo, named after the land-rights Terry Murray était le plus jeune de qu’elle sait que c’est le chemin qu’ont emprunté through art. campaigner, Eddie Mabo, is often credited ces peintres. Il a ouvert la séance par une minute ses ancêtres pour se rendre au jila. for overturning terra nullius, which is a Latin phrase, de silence pour toutes celles et ceux qui étaient Ce qui est vraiment beau ici, c’est qu’il est I’m going to talk about my recent work with a legal concept, that translates as ‘nobody’s land’. décédés, pour toutes les générations précédentes rendu avec une sorte de clarté d’un site qui est the Sharjah Architecture Triennial, which will close Most of us Australians were taught that it formed qui avaient fait partie de la peinture mais si sacré qu’il forme le centre de tout un système very soon. It is the first major international platform a legal pretext for British settlement of the ne pouvaient être là. Dès le départ, l’idée des droits conceptuel, juridique, religieux et rituel dans on architecture to look at the architecture of the Australian continent, but we were all taught wrong. intergénérationnels n’aurait pu être exprimée l’un des environnements les plus chauds et les plus Global South, and, as curator of the first edition, Terra nullius begins to frame the account of avec plus de force. secs de la planète, et ce depuis des dizaines I proposed the theme Rights of Future Generations. white settlement in Australia about a hundred years de milliers d’années. I chose this in order to foreground the after the arrival of the first fleet, so what Mabo Comme vous l’avez peut-être remarqué, la peinture Quel signal cela nous transmet-il aujourd’hui ? intergenerational relationship in terms of struggles overturns then is not only a moral fiction and a legal s’appelle Ngurrara II, car les artistes en ont réalisé Ces humbles faits nous orientent vers quelque chose for environmental and spatial justice in the Global fiction, but a historical one. The continent was not deux. De leur propre aveu, ils ont un peu raté qui me semble fondamental. Dans cette peinture, South, and part of doing that meant a kind settled; it was conquered—and the conquerors knew it. Ngurrara I, mais comme il s’agissait de la première ce que nous voyons n’est pas seulement un archipel of decolonisation of what we mean by architecture édition, elle a été néanmoins acquise par la National de jilas mais la matérialisation d’un mode in the first place. Like so many of the lies that linger around our Gallery of Australia. Ainsi, Ngurrara II est l’une d’existence alternatif ; un ensemble alternatif It is important to say that the Global South history, terra nullius is a fig leaf cast back in time, des seules œuvres collectives à rester propriété de compréhensions, de perceptions, de sentiments is not a region. It’s an archipelago, an archipelago eventually taken for a historical truth. One of the collective en Australie. Le rêve de ses auteurs entre les gens, et entre ces gens et leur pays. that has survived empires, colonialism, capitalist most pernicious lies is that indigenous Australians est de l’exposer sur le site où elle a été peinte, La Triennale d’architecture de Sharjah extraction. Each island in that archipelago embodies lived in a state of subsistence. According to this dans une partie reculée du désert australien, a réuni différents sites de lutte sociale pour tenter a struggle to sustain alternative ways of being image of pre-colonial, indigenous society, life was et d’essayer de développer une économie d’expliquer combien ces modes d’existence in the world, a rebellion against extinction that little more than a harsh, unending struggle to satisfy autour d’elle, ce qui est le projet sur lequel nous alternatifs sont précieux, en particulier dans we could say has been going on for centuries. primordial needs with very, very meagre commençons tout juste à travailler. la manière dont ils incarnent différentes manières opportunities. And it’s a more pernicious lie because d’être dans le monde, hors des modes de relation The Sharjah Architecture Triennial gathers works it is one thing to admit to conquering, but it’s Quant à mon ambition — exposer cette toile xénophobes, extractifs et capitalistes qui dominent by architects, artists, activists, choreographers, another thing to admit that the conquered are your à Sharjah — je n’ai pas eu besoin de leur expliquer actuellement le monde, qui nous mènent anthropologists, scientists, and performers to try equals. Pre-colonial Australians did not live in a mon projet. Ils l’ont compris d’emblée. La seule à l’épuisement et, bientôt, à l’extinction. to tell the stories of these struggles. Each project state of subsistence, and the ample time they question qu’ils m’ont posée était : « Est-ce que les La lutte du peuple Ngurrara est l’une explores a unique relationship between generations, allocated to their religious ceremonies is a ready gens qui ont réalisé les autres œuvres de l’exposition des innombrables luttes qui se déroulent dans le Sud raising questions about the climate crisis and proof of this. se soucient eux aussi de leur pays ? » J’ai pu répondre global. Nous vivons dans un crépuscule entre architecture’s broader environmental role. positivement et la toile est arrivée à la Triennale deux mondes. La planète sur laquelle nous pensons One of the most emblematic projects in the The Brewarrina fish traps—an extremely complex et a été installée dans l’un des espaces de la Sharjah vivre n’existe plus. L’augmentation de la Triennial is an eight by ten metre painting produced set of weirs and dams—were indeed, a design Art Foundation. Au troisième jour du programme température mondiale rendra bientôt le centre by forty artists in four indigenous communities. project, an engineering project, an architectural d’ouverture, il y a eu une cérémonie d’éveil pendant de l’Australie impropre à la vie humaine. Bientôt, The painting has lived in a large box in the project. What does the dam do? It collects fish laquelle, de façon tout à fait spontanée, a été répété une deuxième série de processus irréversibles storeroom of the Mangkaja Arts Resource Agency in an enclosed pool so that indigenous Australians ce qui s’était passé lors de l’audience, sauf que, amènera les indigènes australiens à quitter in Fitzroy Crossing for almost twenty-three years. were never hungry. They could just go into the pool, cette fois, c’était, en un sens, chargé d’émotion, leur pays — peut-être pour toujours. How the painting came into existence is a rather pick up the fish, and eat them. We’re discovering parce que ce n’étaient pas les artistes eux-mêmes astonishing story. In order to tell it, we have to turn thousands of examples of these kinds of structures qui partageaient cela, c’étaient les fils et les filles Aujourd’hui, tous les murs du monde, to another kind of island, not one in an archipelago, in Australia. In fact, there is a revolution taking place des artistes qui marchaient vers les régions que tous les centres de détention de réfugiés, but rather a continent with its own settler colonial in Australia in terms of the way that we understand leurs parents avaient peintes et nous expliquaient toutes les installations de traitement, toutes history and an untold narrative which is as vast our own continent—and part of that is the work ce que chaque partie de la peinture signifiait les exterminations et décimations des cultures as its landmass. of incredible books like The Biggest Estate on Earth pour elles et pour eux. indigènes, tous les Trump, tous les Bolsonaro, by Bill Gammage (2017) and Dark Emu by Bruce tous les Morrison, ne peuvent empêcher The legal case of Mabo versus Queensland was Pascoe (2007). J’aimerais conclure en évoquant un tout petit aspect le Nord de faire l’expérience de ce que signifie settled on 3 June 1992 in Australia and, for the very As I learned art history in Australia in high de la peinture : ce cercle bleu avec les lignes blanches l’extinction d’un monde. first time, it recognised native title. It’s often been school, the classic understanding of Australian 20Essay Adrian Lahoud 21Essay Adrian Lahoud

Australians would continually set very, very small that: that’s an empirically verifiable story, claim. The claim area that they would eventually fires to the landscape. Actually, the Australian transmitted across three hundred to seven hundred seek to ‘win back’ was 83,886 square kilometres, landscape evolves in relationship to fire over tens generations. Think about the kind of social which is about twice the size of the Netherlands. of thousands of years. As the new grasses came structure it requires to accurately transmit stories But during this process, the question remained over through after the burn-off, kangaroos, wallabies that far in time. It’s before the invention of writing; how to establish, in front of an Australian legal and other marsupials would start to move through before the invention of language. Despite the time tribunal, their culture, their law, where they came the landscape. Indigenous Australians would hide that’s passed, despite every attempt to silence from, and who they were. In other words, what, in the bush, and they would hunt the marsupials the messages that they carry, despite everything in the eyes of the Australian legal system, would as they moved. What they were doing was that’s happened on that island continent since 1788, constitute proof of the fact that they have had land coordinating the migration of marsupials through those signals are still with us, and they can be made tenure going back tens of thousands of years? the design of the landscape, through the strategic out if we’re prepared to listen. If we’re not prepared Then they made the most startling decision: burning-off of these patches in this mosaic to listen, then this is the consequence [showing they decided to make a painting to prove their title that covered the entire Australian continent. video of recent bush fires]. claim. It would be the first and, so far, the only time That’s already extraordinary. But there’s another in Australian history, that a painting would be dimension to the story which is even more Right now, in Australia, there is a very politicised entered as evidence of native title. incredible. In each one of the language groups argument taking place where only one side is saying that I met, one of the members of the community we have to learn from indigenous land management The artists had to decide what kinds of stories would be allocated a totem. The totem might be systems. Indigenous land management is not to share with each other, because the different an animal, or it might be a plant. That person was separate from the environment, and the Australian communities each have their own stories, responsible for the entire ecosystem that that plant environment has evolved around fire. Fire is and—under normal circumstances, they’re legally or that animal depended on for their survival. a natural part of the Australian environment, and, obliged to not share those stories with other people. It was their responsibility—their legal responsibility interestingly, the prime minister of the conservative They also had to decide what to share with the and obligation, to look after it, no matter what. government that we have at the moment—who did Australian legal system because, of course, there’s What that meant was, if someone whose totem was he choose to attack? He chose to attack the authors huge amounts of distrust. an emu, or a kangaroo, went from one community of those two books that I just discussed. That shows They decided to break their own laws, to another community, they would be introduced how dangerous those ideas are. Imagine, the prime and to share the stories with each other, and to share to the person in that community who was also minister attacking a scholar writing a book about them with the Australian public and the Australian responsible for looking after that animal. land management? Just look at Mount Kosciuszko legal system in order to win their land back, So, although they had different language groups, after the fires, it’s a complete apocalypse. which makes this project—the painting they there was a transversal line that allowed them eventually make—completely contemporary, it’s not to connect ecological management of the land In 1993, in the aftermath of the Mabo decision, a traditional painting. Then they made another across the entire continent. Gammage’s claim is that the Native Title Tribunal was established really incredible decision: they decided that, despite All images are from Adrian the only way to understand the Australian continent in Australia. As you will all know, in Australia their linguistic differences and their cultural Lahoud’s lecture at the Verbier prior to settlement, is as a single estate. the state is the sole source of law. That law, when it differences, they would paint waterholes. It’s Art Summit on January 31, 2020. comes to property, consists of public, verifiable something they call ‘jila’ because it was water that So, the continent was designed—but what kind statements such as maps, surveys, titles, and deeds. made all of their stories commensurate. Obviously, of a design was it? It was a design that we couldn’t But there is another legal order in Australia in which water is an incredibly valuable thing in the desert. recognise when white settlers arrived. Its ecologies the state is not the only source of law—however were modified, its rivers were controlled, its fields that legal order transmits its law orally. It’s not On 9 May 1997, after four years of meetings, landscape painting is this: European painters were cultivated, its movements and cycles and written; it doesn’t have maps; it doesn’t have a group of more than forty Aboriginal men and arrived with the First Fleet and, because their eyes rhythms were manipulated and harnessed in surveys; it doesn’t have title deeds; it values secrecy women from the Walmajarri, Wangkatjungka, are developed in the European context, they can’t a grand choreography spanning thousands of years. and initiation rather than public statements. Mangala and Juwaliny communities get together see the Australian landscape as it is. They paint it How’s that for an image of Australia? A vast With the Native Title Act1, two radically at the Pirnini outstation, which is about a six-hour as if it’s a European garden. Then we were taught intergenerational design project at the scale different legal, moral, and ecological orders came drive south of Fitzroy Crossing in the Great Sandy of a revolution in Australian landscape painting in of an entire continent. into contact. Their encounter raises difficult Desert. The plenary session with the National the nineteenfifties and sixties, as painters finally Despite the evidence, as I said, white questions about the past, present, and future of Native Title Tribunal was just about ten days away. learn to see the Australian landscape with Australian Australians couldn’t recognise it. They still relationships between black and white Australians. The following day, on 10 May, Jimmy Pike, eyes. In a sense they decolonised their perspective. can’t—but it’s changing. Eventually, though, one of the artists, takes a brush and makes the first Bill Gammage does something incredibly it too will become an indisputable fact. So, let’s explore how it works to make a native title mark, drawing a line of the Canning Stock Route. interesting. He spent fifteen years writing his book, claim. In 1993, a group of communities from That’s the first line made on the eight by ten metre by taking these paintings, standing on the site where Let’s take a recent piece of research on the veracity the Great Sandy Desert met at Lampu Well, which is canvas—from one end of the canvas to the other. they were painted, and comparing the painting of oral testimony in Australia. Researchers on the northern end of the Canning Stock Route. His fellow artists ‘find’ their country; they sit down; to the landscape. He read a series of settler diaries conducted an experiment where they interviewed The Land Council chairman at the time explained and they begin painting. to learn what the diarists said about the landscape, twenty-three different Aboriginal communities that, under the Native Title Act, the claimants and he makes the claim that the reason the Australian around the coast of Australia, asking them whether would have to prove three things: After ten days of painting, the forty artists continent was painted by European painters as they had stories about the historical sea level that had gathered in Pirnini to paint proof if it was an estate—a garden—was because it was. within their oral tradition—stories about where Their culture and their law; of intergenerational land tenure for the Australian the shoreline used to be. And they found that Where they came from and who they were; and Native Title Tribunal, finished their work. So, what does that mean? The thesis in the book twenty-one out of the twenty-three communities 1 The Native Title Act 1993 Where they walked on the land. The painting is called Ngurrara II. ‘Ngurrara’ means is a law passed by the is that the entire Australian continent is made up they interviewed, accurately corroborated the exact Australian Parliament, the the feeling you have when you’re at home. Ngurrara of a series of mosaics. One of the mosaics is this position of the shoreline. purpose of which is “to provide Over the next four years, community members, Canvas II is so much more than a painting. a national system for the small growth of bush, and then alongside that Now, that might seem unremarkable, except recognition and protection working with anthropologists and the manager It’s a strategic intervention in a land-rights claim; mosaic, is a patch of open grass, with a very clear that the sea levels that were being described, were of native title and for its of the Mangkaja Arts Resource Agency, returned to one that adopts, and adapts, traditional laws co-existence with the national definition between one and the other. Indigenous between 7,000 and 18,000 years old. Think about land management system.” the country to try defining the area of the native title and stories about ‘country’ to produce legal 22Essay Adrian Lahoud 23Essay Adrian Lahoud

and political effects by using aesthetic means. Pluralist Approach to Indigenous People2 (2014) kilometre area, but the tiny little jila is being of feelings between people, and between those That makes it completely singular in an already rich by an anthropologist called Kirsten Anker understood as so precious, and the relationship people and their country. tradition of indigenous painting. and I thought, “There’s no way this story can be true! to water that comes along with that is so sacred, The Sharjah Architecture Triennial brought On one hand, it’s a map in a cartographic sense How come I’ve never heard of it?” Of course, it turns that this is how they read the environment. What is together various sites of social struggle to try because it can be said to point to things, and indeed, out that nobody, or very few people, have heard absolutely extraordinary to my mind is that the scale to explain how precious these alternative modes that’s also how they use it. In a very literal and of the existence of this painting. We’d been working of the jila in the painting has got nothing to do with of existence are—especially the way that they material sense, it is their country. When they stand on the project for months—but from London, from its dimension in real life because, in fact, they’re embody different ways of being in the world, outside on it, they say that they’re standing on country. the perspective of the Institute of Contemporary commensurate. More than that, the white lines of the xenophobic, extractive, capitalist modes It’s how the law is expressed. It also talks about the Arts (the ICA). I was thrilled when, after months represent the pathways that people take, entering of relationship that currently dominate the world, way ‘rights to tell stories’ are differentiated amongst of discussion, the ICA agreed to meet with me. a vast salt pan from every single direction, to come that lead us to exhaustion, and soon to extinction. different members of the community. It’s a site to the jila. The paths themselves (you’ll have to The struggle of the Ngurrara people is one for ceremonies of cleaning, of maintaining, In April 2019, I travelled to Western Australia imagine a completely flat white surface) are a couple of countless struggles that occur across the Global of awakening. It’s the embodiment of kin and the to meet the surviving artists and nominated of millimetres deep. They’re almost invisible—just South. We are living in the twilight between home of ancestors—those things are in the painting descendants of the deceased artists. In fact, there’s very slight depressions. Each community follows worlds. The planet that we think we’re living on, for them. It’s a carpet. You can stand on it, only six surviving artists out of the original group of that path because they know that was the path no longer exists. and you can dance on it. They let their dogs walk forty. At the Karrayili Education Centre in Fitzroy their ancestors walked on to get to the jila. Global temperature rises will soon make on it. There’s a terrific story of the head of a very Crossing, I came to explain my ambitions for the What’s really beautiful here, is that it is the centre of Australia unviable for human life. well-known institution in Australia coming to see Sharjah Architecture Triennial, and to hear from rendered with a kind of clarity of a site that Soon, a second set of irreversible processes the painting and being absolutely furious when them their ambitions for the canvas. is so sacred that it forms the focus of an entire will lead indigenous Australians to leave their he sees them walking on it. He says, “You have Terry Murray was the youngest of the painters conceptual, legal, religious, and ritual system in one country—maybe for ever. to decide what it is!” What’s so beautiful is that on the canvas. He opened up the session with a of the hottest and driest environments on the planet, they don’t have to decide what it is. In fact, minute’s silence for all the people that had deceased, and it has done so for tens of thousands of years. Today, all of the walls in the world, all the refugee it’s undecidable. It’s a unique multi-level object, for all the previous generations who’d been part What signal does that transmit to us today? detention centres, all of the processing facilities, the likes of which I’ve never come across in my life, of the canvas, but who could not be there. From the These small facts point us towards something which all of the exterminations and decimations and that non-indigenous people will only very start, the whole idea of intergenerational rights I think is very fundamental. In this painting, what of indigenous cultures, all of the Trumps, all of the ever apprehend at the very edges of its meaning. could not have been expressed more powerfully. we find is not just an archipelago of jilas, but the Bolsonaros, all of the Morrisons, cannot insulate As you may have noticed, the painting is called materialisation of an alternative mode of existence; the Global North from experiencing what it means With the painting completed, the artists insist that Ngurrara II, as the artists made a second painting. an alternative set of understandings, of perceptions, to extinguish a world. the hearing takes place on land. In a kind of Werner They kind of mucked up Ngurrara I—by their own Herzog, Fitzcarraldo-esque moment, the Australian admission, they just didn’t get it right, but because legal system decamps to a remote site in the it’s a first edition, it gets acquired by the National Australian desert to hear Kogolo versus the State Gallery of Australia. So, the really important Government of Western Australia. painting, Ngurrara II, is one of the only collective As they’re called to testify, the various artists works to remain in community ownership walk over to the part of the painting that represents in Australia. Their dream is to exhibit the canvas their country. They stand on it and speaking either on the site where it was painted, in a remote part in English or in one of the four indigenous languages, of the Australian desert, and to try and develop they tell the story of their life. They tell the story an economy around it, which is the project we’re just of who they were, of how they moved through about to start working on. the country. They expressed their culture, their law, where they came from. And as to my ambition—to bring this painting to Sharjah, I didn’t need to explain the project to them. One of the tribunal members says (in the evidence) They just got it. The only question they asked me that it was “the most eloquent and overwhelming was “Do the people who made the other works in the piece of evidence that had been presented before exhibition care about their country?” I could answer an Australian legal system”. positively and the canvas arrived at the Sharjah The verdict took place ten years later, in 2007. Architecture Triennial and was installed in one Were they successful? Of course they were. of the Sharjah Art Foundation spaces. During In the course of delivering his judgement, the opening programme, on the third day, there Justice Gilmour said, “Can I say that in making was an awakening ceremony, when completely these orders this Court does not give you native spontaneously, it was repeated what had taken title? Rather the Court determines that native title place during the hearing, except, this time, it was already exists. It determines that this is your land. in a sense very emotionally charged because That it is based upon your traditional laws and it wasn’t the artists themselves sharing this. It was customs and it has always been. The law says to all the artists’ sons, or the artists’ daughters, walking the people in Australia that this is your land and over to the spot on the country that parents that it has always been your land.” And we should had painted and explaining to us what each part add that it will always be their land into the future, of the painting meant to them. an area of more than 80,000 square kilometres returned to its traditional owners using an eight I’d like to conclude by just talking about one very by ten metre painting, that’s not bad… small aspect of the painting: that blue circle with 2 Kirsten Anker, Declaration of Interdependence: the white lines extending out from it, is the jila, A Legal Pluralist Approach I actually first learned about the painting in a legal the waterhole. The jila has almost the same size to Indigenous People (2014), Routledge 2017. text Declaration of Interdependence: A Legal in the painting as it has in the actual 83,886 square CAC Brétigny Club Colombophile du Cœur 19.09—05.12.20

Au Théâtre Brétigny Éric Giraudet de Boudemange Le «C.C.C. (Club Colombophile avec les habitant·e·s de Cœur du Cœur)» s’inscrit dans d’Essonne Agglomération le cadre du Contrat Local d’Éducation Artistique qu’a engagé Cœur d’Essonne Agglomération avec la DRAC Île-de-France et l’Académie de Versailles, en partenariat avec le Département de l’Essonne. MAI-THU

PERRET LES ÉTANGS EXPOSITION DU 17 OCTOBRE AU 19 DÉCEMBRE 2020 WWW.LEPORTIQUE.ORG

U+0043-008 Le Sport C olombophile s.n. Le Sport Colombophile, №3, p.1 CLettre maj. latine C Titrage Impression noire, 3 × 2,8 cm 1936 26Interview Vincent Pécoil 27Interview Vincent Pécoil

Vincent Pécoil — en entretien avec Elena Cardin

Depuis quelques années, la peinture est revenue Les seuls critères valables, je trouve, ce sont les au centre de l’attention de critiques, curateurs contraintes — autrement dit ce que permet le budget et conservateurs de musées comme en témoigne transport et production, et les choix pratiques la récente profusion d’expositions institutionnelles qui en découlent, comme le fait de chercher dans qui sonnent comme des manifestes : The Forever certaines collections publiques. La disponibilité des Now: Contemporary Painting in an Atemporal World, pièces est une autre contrainte importante, bien sûr. au MoMA (2014-2015), Painting 2.0: Expression Si on commence à se donner d’autres critères, in the Information Age au Museum Brandhorst ça s’apparente à du profilage. Je ne suis pas et au mumok (2016), ou Radical Figures. Painting in physionomiste, ni policier, donc j’évite de choisir the New Millennium à la Whitechapel Gallery (2020), les artistes au faciès (autrement dit en fonction pour n’en citer que quelques unes. La réflexion de leur âge, de leur nationalité, et ainsi de suite). critique et les différentes expositions des dernières Je n’avais pas d’autres critères que d’essayer années semblent traversées par la même de montrer des choses intéressantes. Les œuvres interrogation : comment la peinture arrive-t-elle génèrent leurs propres critères d’intérêt, ça ne doit à vivre et à trouver sa place dans une culture pas être des principes qui leur sont extérieurs, dominée par la prolifération d’images numériques ? à mon sens. Ensuite, la liste des artistes reflète Les évidentes raisons économiques et les avantages naturellement une histoire personnelle ; j’ai déjà pratiques en matière de production et de transport eu l’occasion de travailler avec beaucoup d’entre ne semblent pas épuiser complètement la question. eux ou elles. Dans l’ère post-médium, l’existence de la peinture apparaît inextricablement liée à sa capacité Il me semble qu’on peut néanmoins parler d’adaptation à notre environnement numérique. d’un autre critère orientant vos choix curatoriaux : Au Frac Nouvelle-Aquitaine, l’exposition Milléniales. comme le suggère le titre, Milléniales, toutes Peintures 2000-2020, organisée par le critique les œuvres sélectionnées ont été réalisées d’art et commissaire Vincent Pécoil, se penche après l’an 2000. Est-ce que cette date, bien que sur la question avec un ensemble d’œuvres produites symbolique, constitue pour vous un tournant dans depuis le passage à l’an 2000 par des artistes l’histoire de la peinture ? Autrement dit, depuis de toutes générations et nationalités confondues. le passage au vingt-et-unième siècle, peut-on distinguer des nouvelles spécifcités propres au Pouvez-vous nous dire comment est né le projet médium et à la manière de produire des artistes ? Milléniales. Peintures 2000-2020 que La peinture est une activité ruminante, elle revient vous proposez au Frac Nouvelle-Aquitaine ? sans cesse sur son histoire, ses figures, ses sujets... L’invitation est venue de Claire Jacquet, Ce ressassement n’a pas cessé avec le siècle directrice du FRAC, qui m’a proposé d’organiser nouveau. Il a même été conforté par ce passage une exposition de peintures. Initialement, son idée au XXIe siècle, dans la mesure où il correspond était de présenter une sélection de tableaux à la fin de l’idée d’un art tourné vers le futur, servant des collections des FRAC de Nouvelle-Aquitaine ou même fondant la révolution industrielle ; (FRAC Nouvelle-Aquitaine, FRAC Limousin, cette idée était déjà sérieusement affaiblie depuis FAC Poitou-Charentes) et du FNAC ; cet éventail des décennies mais « l’an 2000 » restait néanmoins de choix s’est un peu élargi au fil des discussions une sorte de mirage scientiste qui s’est évanoui et au cours de la construction de l’exposition aussitôt qu’on est parvenu à ce jalon symbolique. — avec désormais également des pièces empruntées Le fait nouveau, c’est que la peinture reflète et se à différents musées et à quelques galeries et artistes. confronte à un bouleversement anthropologique Ensuite, j’ai appliqué un filtre pour resserrer le choix majeur, qui est l’avènement des technologies sur les deux dernières décennies, avec cette idée numériques qui ont complètement redéfini de présenter quelque chose qui soit représentatif notre environnement. Pendant tout le XXe siècle, de la peinture récente, même si il n’est pas question la peinture a intégré, parfois littéralement, avec d’être exhaustif. le collage par exemple, les évolutions techniques de son temps, notamment celles liées à son grand Comment avez-vous opéré la sélection « Autre », la photographie. Aujourd’hui, elle intègre Blair Thurman, Ribbons & Bows, 2019. Acrylique sur toile sur bois / acrylic on canvas on wood, 239 × 140 × 7 cm. des artistes ? Quels critères vous ont guidé ? la nouvelle condition numérique dans ses sujets Courtesy Blair Thurman. Photo : DR 28Interview Vincent Pécoil 29Interview Vincent Pécoil

Francis Baudevin, Dafon, 2002. Nicolas H. Muller, Picabia sans Aura, 2016. FNAC 03-260, Centre national des arts plastiques, Dépôt au Musée de l’Abbaye Sainte-Croix, Les Sables d’Olonnes depuis / since 2014. Huile sur carton / oil on cardboard, 106 × 76 cm chaque / each, collection Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA. © Francis Baudevin / Cnap. Photo courtesy galerie Art : Concept © Nicolas H. Muller. Photo : J.–C. Garcia

mais aussi ses modes de production, avec des supports inattendus, etc. Mais toutes ces œuvres Cela dit, il me semble que la thèse de Graw, une course à la production, en cherchant à fabriquer tableaux qui sont souvent esquissés par ordinateur, se comprennent pleinement par rapport au médium qui est très intéressante, a aussi une faiblesse : des trucs toujours plus gros et plus chers. ou réalisés avec des techniques de PAO. peinture, autrement dit relativement à ses formats, tout ce qu’elle dit de la peinture, comme quelque Cette tendance existe toujours, bien sûr, mais à son histoire, ou aux genres picturaux traditionnels. chose qui est expérimenté avant tout comme la je me demande si le fait de recourir à quelque chose La tendance de la peinture à englober Seriez-vous donc d’accord avec la thèse formulée présence d’un sujet, quelque chose de « hautement d’accessible, en matière de production, n’est pas des pratiques expressément non picturales par la critique d’art Isabelle Graw dans son livre personnalisé », peut se dire tout aussi bien de la une des raisons qui explique le succès de la peinture (comme la photographie, les technologies The Love of Painting (2018, Sternberg Press), sculpture, par exemple. Je ne crois pas qu’il y ait du côté des artistes. Faire de la peinture, numériques ou encore l’art conceptuel et la selon laquelle la peinture occupe une place un privilège de la peinture de ce côté-là, et tenir, ça ne nécessite pas forcément un atelier immense, performance dans les années 1960) met à mal l’idée exceptionnelle dans cette ère post-médium ? comme elle le fait, les sculptures peintes de Rachel il n’y a pas besoin de faire appel à des sous-traitants, moderniste d’une prétendue pureté et spécifcité Graw y affrme que, ces dernières années, Harrison comme une preuve que la peinture les problèmes de stockage ne sont pas du médium. En 2016, l’exposition Painting 2.0: la peinture a non seulement fait l’objet d’un intérêt est devenue le cadre de référence pour les autres insurmontables... On parle toujours de la dimension Expression in the Information Age présentée grandissant comme le démontre le nombre pratiques artistiques me semble un peu tiré par les spéculative, mercantile, du médium pour expliquer au Museum Brandhorst à Munich et au mumok d’expositions et de catalogues qui lui ont été cheveux. Les sculptures polychromes ne sont pas son succès. Mais il ne faut pas négliger cet aspect à Vienne avait mis l’accent sur le caractère poreux dédiés, mais qu’elle devient de plus en plus une nouveauté, et ça me semble bizarre de qualifier tout simplement pratique. et impur de la peinture à l’ère de l’information un médium de référence pour tous les autres. les siennes de « painterly ». Je partage les prémisses et des technologies numériques. Milléniales Que pensez-vous de cette hypothèse ? de ses réflexions, à savoir que nous sommes entrés Le parcours de l’exposition apparaît à première vue semble traversée par des questionnements Une des idées d’Isabelle Graw à laquelle dans une ère « post-médium » (l’expression assez déroutant : on y retrouve des regroupements similaires puisqu’on y retrouve des œuvres qui j’ai peut-être inconsciemment réagi en intitulant est de Rosalind Krauss, à l’origine). Mais je pense thématiques très classiques comme « natures débordent manifestement du cadre traditionnel de l’exposition Milléniales..., c’est celle qu’elle qu’envisager la peinture comme le médium mortes », « portrait » ou « histoire », là où on ne s’y la peinture. Quel est votre point de vue à cet égard ? développe dans ce livre mais aussi dans des essais de référence pour les autres est en contradiction attendrait pas. On a l’impression que vous utilisez Je pense en effet que cette idée d’une « pureté » précédents, à savoir l’idée selon laquelle le succès avec cette proposition initiale. ces vieilles catégories avec une certaine ironie... du médium peinture est difficilement tenable. de la peinture est lié au fait qu’elle serait, Enfin, je ne sais pas si on peut mesurer l’intérêt Comment est née l’idée de ce parcours ? Et c’est le cas depuis longtemps, ça n’est pas nouveau. plus manifestement que d’autre formes d’art, porté à la peinture, mais c’est vrai que le discrédit C’est vrai que j’ai choisi d’utiliser ces catégories Dans l’exposition à Bordeaux, un certain nombre chargée de la personnalité de ses auteurs, idéologique dans lequel elle était tenue s’estompe un peu par jeu, mais je ne dirais pas avec ironie. de pièces ne sont pas des peintures stricto sensu au point de considérer les tableaux comme petit à petit. Et je crois qu’on peut l’expliquer Les genres picturaux sont des catégories désuètes — certaines sont des impressions jet d’encre, des « quasi-sujets ». C’est quelque chose avec en partie comme un retour de balancier par rapport dont le rejet est lié à celui de l’Académisme mais d’autres des sérigraphies, certaines encore quoi j’ai joué dans l’exposition, en envisageant à la période précédente, où les institutions, aussi à l’invention de l’abstraction — et donc au rejet incorporent des objets, ou sont réalisées sur des les peintures comme des sortes de personnages. les galeries et les artistes se sont lancés dans du sujet en peinture. Mais pour autant, ces genres 30Interview Vincent Pécoil 31Interview Vincent Pécoil

Ida Tursic & Wilfried Mille, La peinture aux radis, 2020. Huile sur panneaux de bois (murs d’atelier), cadre en chêne / oil on wooden panel, oak frame, 317 × 619 × 5 cm. Courtesy Ida Tursic & Wilfried Mille ; Galerie Max Hetzler 32Interview Vincent Pécoil 33Interview Vincent Pécoil

n’ont pas disparu, ils ont migré vers d’autres formats. à Whitechapel Gallery (2020). Selon vous, C’est une question qui m’intéresse et que la peinture où en est-on en France dans le débat sur permet d’éclairer. D’une part, la photographie l’actualité de la peinture ? L’exposition Milléniales. a pris sur elle ces fonctions de représentation Peintures 2000-2020 est-elle l’occasion — le portrait, le paysage ou les photos d’actualité pour vous de proposer une nouvelle lecture Vincent Pécoil qui sont vouées à devenir l’archive historique — du médium dans le milieu de l’art national ? mais, d’autre part, on peut relever que la nature Je l’espère… Je crois que la situation en France — morte aujourd’hui est majoritairement devenue est un peu schizophrène : pendant des années, in conversation with Elena Cardin une forme publicitaire — ce sont bien des natures la peinture a été tenue, dans le discours critique, mortes qui figurent la nourriture sur les emballages pour quelque chose de rétrograde en général, de produits industriels, ou toutes sortes d’objets mais dans le même temps tout le monde continuait sur les affiches, les pages des magazines ou des d’en montrer et de l’apprécier en particulier, journaux… En revenant sur ces genres, la peinture à travers le travail de tel ou telle artiste. Une partie For some years now, painting has once again practical choices stemming from this, like looking effectue une mise en abîme de ces nouveaux usages du problème réside dans le fait que les expositions become the focal point of attention among critics through certain public collections. The availability of des genres picturaux classiques. qui ont l›ambition de présenter un état des lieux and curators, as illustrated by the recent profusion works is another major constraint, needless to add. de la peinture sont souvent des tentatives of institutional exhibitions which sound like If we start coming up with other criteria, it becomes Au cours des dernières années, différentes un peu réacs et uniformes, qui ne montrent manifestos: The Forever Now: Contemporary rather like profiling. I’m not a physiognomist or expositions institutionnelles portant sur qu’un seul type de peinture. En gros, il faut que Painting in an Atemporal World, at the New York a cop, so I avoid choosing artists on the basis of their les évolutions de la peinture ont vu le jour ça dégouline pour être bon. Ce sont aussi MoMA (2014-2015), Painting 2.0: Expression facies (put another way, on the basis of their age à l’international : The Forever Now: Contemporary des manifestations arc-boutées sur la défense in the Information Age at the Museum Brandhorst and nationality and the like). I had no criteria other Painting in an Atemporal World au MoMA du médium, ce qui n’est pas mon propos. J’espère in Munich and at the mumok in Vienna (2016), than trying to show interesting things. Works create (2014-2015), Painting 2.0: Expression in the que la diversité des pratiques exposées à Bordeaux and Radical Figures. Painting in the New Millennium their own criteria of interest, and, in my view, Information Age que je citais précédemment, sera suffisamment intrigante pour contribuer at the Whitechapel Gallery in London (2020), those shouldn’t be criteria that are external to them. Radical Figures. Painting in the New Millennium à changer cette image. to name just a handful. Critical thinking and Then the list of artists naturally reflects a personal the various shows held over the past few years history; I’ve already had a chance to work with seem informed by the same question: how is painting a lot of them. managing to live and find its place in a culture dominated by the proliferation of digital imagery? It seems to me that we can nevertheless talk in The obvious economic reasons and the practical terms of another criterion steering your curatorial advantages in terms of production and transport choices: as the title, Milléniales, suggests, all the do not seem to totally answer the question. selected works have been produced since the year In the post-medium age, the existence of painting 2000. Does this albeit symbolic date represent, seems to be inextricably bound up with for you, a turning-point in the history of painting? its capacity to adapt to our digital environment. Otherwise put, since the advent of the 21st century, At the FRAC Nouvelle-Aquitaine, the exhibition can we make out distinctive new features in the Milléniales. Peintures 2000-2020, organized medium and in the way artists are using it? by the art critic and curator Vincent Pécoil, Painting is a ruminant activity, it is forever going focuses on the issue with a selection of works back over its history, its figures, and its subjects… produced since the year 2000 by artists This harking-back hasn’t stopped with the new of all generations and nationalities. century. It has even been bolstered by this shift into the 21st century, insofar as it tallies with the end of Can you tell us how the project Milléniales. an idea about an art looking into the future, serving Peintures 2000-2020, which you have organized or even founding the industrial revolution; this idea at the FRAC Nouvelle-Aquitaine, came into being? has already been seriously weakened for several The invitation came from Claire Jacquet, the FRAC’s decades, but “the year 2000” was nevertheless director, who suggested that I organize an exhibition still a kind of scientistic mirage that faded as soon of paintings. To start with, her idea was to present as we reached this symbolic milestone. a selection of paintings from the collections of the The new fact is that painting is reflecting Nouvelle-Aquitaine FRACs (Nouvelle-Aquitaine, and dealing with a major anthropological upheaval, Limousin and Poitou-Charentes) and the FNAC; which is the arrival of the digital technologies this array of choices became slightly broader as the that have completely redefined our environment. result of discussions, and during the exhibition’s Throughout the 20th century, painting at times construction—and now also includes pieces literally—with collage for example—incorporated borrowed from different museums, and from a few the technical developments of its day, in particular galleries and artists. I then applied a filter to scale those associated with its great “Other”, the choice down to the past two decades, with this photography. Today it is encompassing the new idea of showing something that represents recent digital condition in its subjects but also in its painting, even if it’s not a matter of being exhaustive. production methods, with pictures which are often sketched by computer, or made with How did you select the artists? What criteria computer-assisted publication [CAP] techniques. guided you? I find that the only valid criteria are constraints Painting’s tendency to encompass expressly —otherwise put, what is doable within the non-pictorial activities (like photography, digital Vincent Ganivet, Ronds de fumée, 2008. Traces de fumigène, dimensions variables / smoke grenade marks, variable dimensions, collection Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA.© Vincent Ganivet. Photo : J.–C. Garcia transportation and production budget and the technologies, and the conceptual and performance 34Interview Vincent Pécoil 35Interview Vincent Pécoil

art of the 1960s) challenges the modernist idea of growing interest, as is shown by the number of an alleged purity and specifcity of the medium. of shows and catalogues devoted to it, but that it In 2016, the exhibition Painting 2.0: Expression is increasingly becoming a medium of reference in the Information Age, held at the Museum for all the other media. What do you think Brandhorst in Munich and at the mumok in Vienna, of this hypothesis? emphasized the porous and impure character One of Isabelle Graw’s ideas which I’ve perhaps of painting in the information and digital age. unwittingly reacted to by calling the exhibition Milléniales seems permeated by similar kinds Milléniales, is the one she develops in that book of questioning because, in it, we fnd works but also in earlier essays, namely the idea whereby which clearly go beyond the traditional context the success of painting is associated with the fact of painting. What do you think about this? that, more obviously than other art forms, it is I actually think that this idea of a “purity” loaded with the personality of its authors, to the of the medium is not really tenable. And this has point where we regard pictures as “quasi-subjects”. been so for a long time, it’s nothing new. In the show This is something I’ve juggled with in the show, in Bordeaux, a certain number of pieces are not, seeing paintings as kinds of characters. strictly speaking, paintings—some are ink-jet prints, That said, it seems to me that Graw’s thesis also others silkscreen prints, and others still incorporate has a weak spot: everything she says about painting, objects or are made on unexpected surfaces, as something that is experimented with above etc. But all those works can be fully understood all like the presence of a subject, something “highly in relation to the painting medium, in other personalized”, can also be said about sculpture, words, in relation to its formats, its history, for example. I don’t think painting has any special and to traditional pictorial genres. attributes in that respect, and holding up Rachel Harrison’s painted sculptures, the way she does, So would you agree with the thesis put forward as proof that painting has become the frame by the art critic Isabelle Graw in her book of reference for other artistic praxes seems The Love of Painting (2018, Sternberg Press), a bit far-fetched. Polychromatic sculptures are not whereby painting has an exceptional place in this something new, and I find it a bit odd to describe post-medium age? In her book, Graw says that, in hers as “painterly”. I share the principles Mimosa Echard, A/B8, 2016. recent years, painting has not only been the object of her thinking, namely that we have entered Algues, lichen, kombucha, champignon phallus indusiatus, ginseng, clitoria, verveine, sarriette, millepertuis, camomille, ronces, pétales de rose, achillées, hélichryse, bruyère, coquilles d'oeufs, mouches, papillons et abeilles séchées, ginkgo, magnolia, Coca Cola light, billes de verre, emballages, faux ongles, débris de carrosserie, pilules contraceptives Leeloo Gé, pilules d'echinacea, levure de bière, compléments alimentaires Boots et Schaebens pour la peau, la fertilité, la lactation, la tranquillité, cire dépilatoire, résine epoxy / algae, lichen, kombucha, fungus phallus indusiatus, ginseng, clitoria, verbena, savory, St. John’s wort, chamomile, brambles, rose petals, yarrow, helichrysum, heather, egg shells, flies, dried butterflies and bees, ginko, magnolia, Diet Coke, glass beads, packagings, fake nails, body parts, Leeloo Gé contraceptive pills, echinacea pills, brewer's yeast, Boots and Schaebens food supplements for skin, fertility, lactation, tranquility, depilatory wax, epoxy resin, 180 × 200 × 6 cm. Courtesy Mimosa Echard, Lafayette anticipations – Fonds de dotation Famille Moulin Sadie Benning, Happenings, 2016. Wade Guyton, Untitled, 2018. Medite, aqua résine, caséine, acrylique, photographies, impression Impression jet d’encre Epson UltraChrome HDX sur lin / numérique / medite, aqua resin, casein and acrylic, photographs, Epson UltraChrome HDX inkjet print on linen. Sylvie Fanchon, Je suis désolée, 2018. digital print, 111.7 × 73.6 × 4 cm. Courtesy Wade Guyton ; galerie Chantal Crousel, Paris. Acrylique sur toile / acrylic on canvas, 1m × 1,60 m. Courtesy Sylvie Fanchon. Photo : Jonathan Martin Courtesy Air de Paris. Photo : Marc Domage Photo : DR 36Interview Vincent Pécoil 37Interview Vincent Pécoil

a “post-medium” age (we originally owe the term of representation—the portrait, the landscape, to Rosalind Krauss). But I think that to see painting and photos of topical things destined to become as the medium of reference for the other media the historical archive—but, on the other hand, contradicts that initial proposal. we can note that the still life today has mainly Lastly, I don’t know if it’s possible to measure become a form of advertising—it is after all still lifes the interest shown in painting, but it’s true that which depict food on the packaging of industrial the ideological disrepute in which it was once held products, and all sorts of objects in posters, is gradually fizzling out. And I think we can partly and in the pages of magazines and newspapers… explain this as a swing of the pendulum in relation to By reverting to these genres, painting the previous period, when institutions, galleries and is accomplishing a mise en abyme of these new artists became involved in a production race, trying uses of classical pictorial genres. to make things that were always bigger and more expensive. That trend still exists today, of course, Over the last few years, different institutional but I wonder if the fact of resorting to something exhibitions dealing with the developments accessible, in terms of production, isn’t one of the of painting have seen the light of day reasons that explains the success of painting as far at an international level: The Forever Now: as artists are concerned. Producing painting doesn’t Contemporary Painting in an Atemporal World call perforce for a huge studio, you don’t need to call at the MoMA (2014-2015), Painting 2.0: Expression on subcontractors any more, and storage problems in the Information Age, which I mentioned are not insurmountable… There is still talk of the above, Radical Figures. Painting in the New speculative, commercial dimension of the medium Millennium at the Whitechapel Gallery (2020). to explain its success. But we mustn’t overlook In your view, where do we stand, in France, this quite simply practical aspect. in the debate about the current state of painting ? Does the exhibition Milléniales. Peintures At frst glance, your exhibition route seems 2000-2020 offer you a chance to propose a new somewhat disconcerting: on it, we fnd very classical reading of the medium in the French art world? thematic groups like “still lifes”, “portraits” and I hope so… I think the situation in France is a bit “history paintings”, precisely where one would least schizophrenic: for years, in the critical discourse, expect them. One gets the impression that you are painting has been regarded as something using these old categories with a dash of irony… backward-looking in general, but at the same How did the idea behind this route come about? time everyone went on showing it and appreciating It’s true that I’ve chosen to use these categories it in particular, through the work of this or that slightly playfully, but I wouldn’t use the word artist. Part of the problem lies in the fact that irony. Pictorial genres are old-fashioned categories, exhibitions whose goal is to present an inventory of whose rejection is connected with the rejection painting are often slightly reactionary and uniform of Academicism, but also with the invention attempts, showing just a single type of painting. of abstraction—and thus with the rejection of the By and large, things have to trickle down if they’re subject in painting. But for all that, those genres going to be any good. These shows are also events have not disappeared, they have shifted towards buttressed by their defence of the medium, other formats. This is an issue that interests me which is not my intent. I hope that the diversity and which painting helps to shed light on. On the one of the activities on view in Bordeaux will be hand, photography has assumed those functions intriguing enough to help to change this image.

Eliza Douglas, Just Us, 2018. Huile sur toile / oil on canvas, 210 × 180 cm. Courtesy Air de Paris. Photo : Marc Domage 38CRAC Centre Régional d’Art Contemporain Instagram @crac_occitanie Entrée libre Occitanie / Pyrénées Méditerranée Facebook @crac.occitanie et gratuite à Sète 26 quai Aspirant Herber Ouvert tous les jours (sauf le mardi) F-34200 Sète de 12 h 30 à 19 h et le week-end de 14 h à 19 h. +33 (0)4 67 74 94 37 crac.laregion.fr [email protected] CRAC Occitanie / Pyrénées-Méditerranée

Expositions présentées du 10 octobre 2020 Mariam Abouzid Souali Mustapha Akrim Zainab Andalibe au 03 janvier Mohamed Arejdal Hicham Ayouch Hassan Bourkia Diadji Diop Simohammed Fettaka Moataz Nasr Khalil Nemmaoui Fatiha Zemmouri 2021 Exposition du 8 novembre 2020 Commissariat: Hicham Daoudi au 21 mars 2021 Exposition conçue pour la Saison Africa2020. Originellement prévue de juin à décembre 2020, la Saison Africa2020 a dû être décalée en raison de la crise sanitaire, et se tiendra désormais de décembre 2020 à juillet 2021. Sur terre et sur mer A Little Night Music avec le Codex Seraphinianus (And Reversals) Exposition personnelle Exposition personnelle de Luigi Serafni de Than Hussein Clark Musée régional d’art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée 146 avenue de la plage, Sérignan mrac.laregion.fr

Luigi Serafini, Than Hussein Clark, Planche du Codex Seraphinianus. Tragedy of the Confidantes (Seeing), 2020. Platinotype. , 2019, bois de tilleul, teinté, vernis, 150 × 110 cm Courtesy de l’artiste Courtesy de l’artiste et de la Galerie Crèvecœur 26 sept. - 31 déc. 2020 place Honoré Commeurec – 35 000 – France + 33 (0)2 23 62 25 10 – www.la-criee.org Deux critiques sur le boulevard du crime métro : République – bus : La Criée entrée libre – du mardi au vendredi 12 h - 19 h samedi, dimanche 14 h - 19 h – fermé le 25 décembre dans le cadre

image : Mathis Collins, courtesy de l’artiste et galerie Crèvecœur, Paris – photo : Aurélien Mole identité visuelle © Lieux Communs du projet

Reverse Universe de la commissaire M a r i e d e B r u g e r o l l e 40Interview Paolo Cirio 41Interview Paolo Cirio

Paolo Cirio — en conversation avec Aude Launay

Panorama 22, Le Fesnoy, Tourcoing, 15.10.2020-3.01.2021 Starts Prize 20, BOZAR, Bruxelles, 29.06-25.10.2020 Information Critique, PAN-Pallazo delle Arti Napoli, Naples, 4.07-22.08.2020 (solo)

J’ai récemment fait l’acquisition d’une de l’environnement » sans oublier Vous avez dressé la liste des pratiques œuvre d’art qui n’est autre qu’un produit de réfléchir les dimensions esthétiques les plus trompeuses des maisons de vente financier. Jusqu’ici rien qui soit de nature de son implication. Ce n’est pas aux enchères que vous avez publiée sous à troubler ce triste pléonasme, cependant, la première fois qu’il s’attèle à envisager forme d’un glossaire2 enrichi de dizaines l’inverse est aussi vrai, et même plus : une sortie de la financiarisation de l’art, d’articles de presse, et c’est précisément ce produit-financier-qui-est-aussi-une- mais c’est la première fois qu’il s’attaque ce qui continue de m’étonner à ce sujet : œuvre-d’art est en fait à la fois un produit frontalement à l’un de ses piliers ; comment se fait-il que personne n’ait financier au carré et une œuvre d’art nous en avons discuté avec lui. encore fortement pris position quant au carré. Et comme j’aime vraiment bien à cette situation ? Dans le monde de l’art, les carrés, j’ai choisi un Carl Andre. Vous présentez Art Derivatives1 comme nous connaissons tous le fonctionnement Il faut dire que le choix était vaste : plus de l’aboutissement de quatre années du marché de l’art, mais parce que 100 000 œuvres au catalogue, et à des prix de recherche, ce projet a-t-il été conçu les maisons de ventes sont le ciment défiant toute concurrence. Pour ma part, en réaction à un événement particulier ? de ce marché, personne n’ose s’attaquer je peux le dire, j’ai investi 0,2 $ (soit Non, simplement à un moment où à leurs pratiques douteuses ? Les moins que les 0,32 $ de frais de dossier je me suis senti prêt à le développer. scandales qui en découlent font à y ajouter). Mais qu’ai-je acheté en fait ? J’avais beaucoup de matière à examiner ; régulièrement la une des journaux mais Eh bien j’ai acheté un produit dérivé. trouver le bon récit, étudier le droit le monde de l’art semble vouloir y rester En clair, un produit dont la valorisation et recouper les informations, tout cela aveugle. Pensez-vous que la critique dérive de celle d’un actif que l’on décrit prend du temps. En essayant de produire devait venir de l’intérieur pour avoir comme sous-jacent. Et concrètement ? du sens à partir de tous ces éléments, une chance d’être entendue ? Un fichier numérique assorti d’un document je me suis rendu compte que les maisons Il n’y avait tout simplement pas beaucoup qui fait office de certificat d’authenticité, de vente aux enchères étaient les d’informations sur cette situation de contrat de vente et, donc, de contrat principales responsables des pratiques jusqu’alors. J’avais déjà pris conscience dérivé. Et encore plus précisément ? commerciales déloyales sur le marché de de cela au sujet de la finance offshore L’image certifiée unique d’un poème l’art. Je suivais également d’autres pistes, lorsque je faisais des recherches pour de Carl Andre extraite du catalogue des enquêtes sur certains marchands mon projet Loophole for All3. Avant la crise de ventes de Sotheby’s, partiellement d’art et sur certains artistes. financière de 2008, il n’existait quasiment recouverte de grands chiffres blancs : Lorsque j’ai commencé à étudier pas de livre, de film ni même d’organisation son prix d’adjudication d’il y a bientôt les données sur les ventes aux enchères évoquant la finance offshore, et encore deux ans, 20 000 $. J’ai donc acheté en 2016, il y avait relativement peu moins s’y attaquant, bien qu’il s’agisse à 0,00001% de la valeur de l’œuvre d’informations disponibles. Ce n’est que d’un facteur économique mondial clé originale une œuvre « dérivée » dont la plus tard, en 2019, lorsque je me suis depuis les années quatre-vingt. L’une valeur pourra être multipliée par 10 si celle aperçu que les maisons de vente publiaient des raisons à cela était que l’économie de l’œuvre originale décroît (c’est-à-dire beaucoup plus de données, que j’ai pu théorique faisait office de distraction, si elle est vendue en deça de son prix finaliser la collecte de ces données afin de la même manière que, dans le monde estimé, est achetée en interne par de les divulguer de manière significative. de l’art, les œuvres et les artistes à succès la maison de vente ou reste invendue Ce qui m’a finalement poussé distraient l’attention de la manière sur une période donnée), court-circuitant à rendre ce projet public, ça a été dont ces flux financiers impactent ainsi ironiquement la maison de vente. de remarquer que, ces dernières années, réellement la société. Les données brutes L’auteur de cette œuvre au carré, donc, le marché de l’art s’est de plus en plus liées à ces mécanismes financiers n’étaient est Paolo Cirio, habitué des pratiques concentré sur les artistes vendus aux pas non plus disponibles et, tout comme interventionnistes dans les systèmes enchères jusqu’à être de plus en plus pour la finance offshore, il a fallu plusieurs qui nous gouvernent (économiques, contrôlé par les maisons de vente, fuites de données pour obtenir une vue juridiques, technologiques, médiatiques, au point que ces dernières représentent d’ensemble de la situation et tenter politiques…) et préconiseur de ce qu’il leurs propres artistes, alors que d’y mettre fin. Aujourd’hui, on dispose nomme un « art régulateur » qui pallierait, de nombre de mes pairs et nombre enfin de beaucoup plus de données sur selon ses termes, « les conséquences de galeries ne parvenaient plus à faire les enchères, les articles de presse peuvent d’une dérégulation motivée par la finance de ventes sur le marché primaire parce être agrégés, et bon nombre de livres spéculative, le techno-libertarianisme, que les collectionneurs devenaient — la surveillance de masse, la suppression dépendants de la mainmise de ces ventes 1 https://art-derivatives.com/ 2 https://art-derivatives.com/?/l/Campaign/ Paolo Cirio, CARL ANDRE, STILLANOVNORTHPOIN (FROM STILLANOVEL MISC. ORGINALS) – L.105 at Contemporary Art Day Auction in New York on November 15 2018, 2020. des droits civils et la destruction aux enchères. 3 https://loophole4all.com/ Série Art Derivatives, fichier numérique, édition unique. Collection Aude Launay / From the Art Derivatives series, digital file, one-off edition. Collection of Aude Launay. 42Interview Paolo Cirio 43Interview Paolo Cirio

et de films traitent désormais de cette en compte et les initiatives prises jusqu’à sont directement responsables de la question. présent sont très spécifiques, comme manipulation du marché. Une autre raison fondamentale celle concernant les droits de revente aux On estime désormais que plus à ce désintérêt du monde de l’art États-Unis. De mon point de vue, il faudrait de 70 % des œuvres d’art vendues pour cette question est que les inégalités exercer plus de pression sur plusieurs aux enchères sont garanties par des tiers. économiques sont justement fronts et via plusieurs catégories d’acteurs profondément enracinées dans le monde de l’économie de l’art pour forcer une Avec Art Derivatives, vous visez donc de l’art, il n’est donc pas surprenant que véritable réglementation des ventes aux à offrir à chacun la possibilité de participer ces pratiques n’aient pas été abordées enchères. J’espère que ceux qui ont gardé au marché secondaire de l’art et de le par ses acteurs auparavant et qu’elles le silence jusqu’à présent feront preuve subvertir, pour reprendre votre terme. ne soient qu’à peine effleurées aujourd’hui. de plus de courage. En écrivant, dans le contrat de vente joint Pensez au mouvement #MeToo dans Au-delà de la recherche, aux œuvres qui composent ce projet, les arts, ou à la manière dont les femmes de l’intervention et de la campagne que « la ‘valeur accrue’ de l’œuvre aux fns et les personnes de couleur en étaient pour un changement, je vise à présenter, de ce contrat ne doit augmenter qu’aux majoritairement exclues et dont ce n’est sous des dehors créatifs, des solutions conditions énoncées dans le présent que récemment que les choses ont possibles : cette pratique s’inscrit document », vous abordez sans détour commencé à changer. Malheureusement, dans ce que j’appelle l’art régulateur4. la question de la manière dont la valeur les inégalités économiques sont encore Il est certain que la critique doit venir des œuvres d’art est établie. Quel est très peu abordées parce que les principaux de l’intérieur comme de l’extérieur. votre point de vue personnel sur cette acteurs du marché de l’art viennent Les régulateurs n’entendent les voix question ? de milieux privilégiés et que le que lorsqu’elles sont suffisamment fortes. Il est plutôt radical. En indiquant dans fonctionnement financier de la majeure le contrat de vente la manière dont partie du monde de l’art s’appuie Pour continuer sur ces pratiques la « valeur accrue » d’une œuvre peut sur les inégalités. trompeuses, vous citez les garanties augmenter au fil du temps, je limite de fait Les maisons de vente aux enchères — des accords d’achat secrets conclus, les spéculations futures, je les contrôle. sont les seuls maillons de la chaîne avant la vente aux enchères, avec des tiers De telles règles se retrouvent parfois de création de valeur sur le marché de l’art dont le nom n’est pas divulgué, afn dans les contrats de vente des galeries et à réellement donner des prix et des de « couvrir » le vendeur et d’assurer des artistes, notamment pour déterminer perspectives de revente et à offrir ainsi la vente de son lot quelle que soit l’issue quand et comment les œuvres peuvent art-derivatives.com, capture d’écran / screenshot. des chances de retour sur investissement. des enchères — comme étant « les plus être revendues, suivant les préceptes Cela représente un pouvoir et un controversées ». S’agit-il, selon vous, de Siegelaub dans The Artist’s Reserved monopole immenses sur un marché, de la plus toxique de ces pratiques ? Rights Transfer and Sale Agreement6. bien supérieurs à ceux des agences Je ne suis pas le seul à penser que Dans le contrat des Art Derivatives, de notation dans le secteur financier les garanties sont les pratiques « les plus des clauses précisent les conditions car les maisons de vente font aussi controversées5 » même si, pour certains, d’augmentation de la valeur, comme dans du commerce et peuvent ainsi manipuler ce ne sont pas les plus déloyales. Tout un contrat à terme, à la différence que, les valeurs à leur propre avantage est relatif ; le blanchiment d’argent dans ce cas, le contrat est destiné à éviter et tout simplement décider de qui fait et la collusion dans la surenchère ne sont toute spéculation future sur ces œuvres partie du marché. Ce serait surréaliste certainement pas moins controversés. hors de mon contrôle. sur n’importe quel autre marché. Personnellement, je trouve les garanties Si de telles clauses étaient intégrées Et pourtant, du fait de ce pouvoir, particulièrement discutables parce à tous les contrats de vente conclus par personne n’ose se prononcer contre elles, qu’il s’agit de secret créé directement les artistes, les galeristes et les marchands, car ce serait prendre le risque de se faire par les maisons de vente. Ce ne sont ici pas nous pourrions probablement mettre un éliminer du marché : collectionneur, les marchands qui sont à blâmer, ce sont terme à la spéculation sur les œuvres d’art vous ne pourriez pas revendre vos œuvres ; même eux qui sont désavantagés. Il s’agit notamment par revente immédiate. artiste, vous ne seriez pas évalué, et vous également de la pratique qui ressort La simple utilisation courante d’un contrat ne seriez même pas accepté en tant le plus à la finance spéculative puisqu’il — privé équitable pourrait court-circuiter souviens bien, cette société plus que les gens. Je ne voulais plus utiliser PayPal, que tel. La plupart des personnes qui sont s’agit de se couvrir sur une valeur sans 4 https://paolocirio.net/press/texts/text_regulatory-art. la nécessité d’une réglementation. Mais controversée avait bloqué votre compte mais je n’avais pas d’autre alternative. exclues de ce système sont soit résignées, même acheter ou posséder les biens réels, php malheureusement, dans le monde de l’art, lorsque, pour Loophole4All, vous aviez Mes projets ont des cibles et des 5 Voir par exemple : Tiernan Morgan et Lauren Purje, soit naïves à son sujet. et ce par le biais de contrats complexes “An Illustrated Guide to Auction House Terminology”, il est très rare de même simplement faire divulgué les coordonnées de 200 000 objectifs très spécifiques ; ils sont destinés Hyperallergic, 29 septembre 2015 ; Georgina Adam, Une dernière raison d’importance et opaques au sein de la maison de vente “How transparent is the art market?”, Financial Times, usage de contrats de quelque nature sociétés enregistrées aux îles Caïmans à un public diversifié, tout le monde peut est que ces spéculations financières qui ne devrait même pas être autorisée 28 avril 2017 ; Anna Brady, “Guarantees: the next big art que ce soit, et c’est pourquoi tant de et mis en vente des certifcats y participer, il est donc essentiel d’abaisser market scandal?”, The Art Newspaper, 12 novembre sans scrupules ont été culturellement à créer des produits financiers de ce type. 2018. transactions injustes — pour les artistes d’incorporation comportant leurs les barrières techniques, linguistiques acceptées et qu’elles ont même été En définitive, cet instrument est 6 The Artist’s Reserved Rights Transfer and Sale mais aussi pour les collectionneurs — coordonnées pour 99 centimes... et idéologiques pour qu’ils puissent Agreement, premier contrat à définir et à garantir les glamourisées. De fait, bien que le problème aussi celui qui dissimule le plus activement droits des artistes à l’occasion et après le transfert sont conclues. S’il existait un véritable Ce qui était parfaitement hilarant atteindre leurs objectifs. soit connu, il est ignoré ou bien même le prix réel des œuvres puisque la valeur et la vente de leurs œuvres, a été rédigé en 1970-71 syndicat d’artistes, sa première action puisque PayPal Europe est notoirement Beaucoup de mes projets prennent par l’avocat Robert Projansky d’après « les discussions glorifié. Il en existe bien sûr des analyses qui est publiée après la vente ne reflète pas et la correspondance approfondies » de Seth Siegelaub, serait probablement de rendre obligatoire enregistrée au Luxembourg, est une fliale pour cible les méga entreprises curateur, marchand et éditeur, « avec plus de cinq 7 économiques, sociologiques et les accords et les transactions financières cents artistes, marchands, avocats, collectionneurs, l’usage de contrats équitables comme de PayPal Pte Limited basée à Singapour technologiques que je défie avec leurs universitaires et certains artistes se sont réelles. Cela signifie que nombre conservateurs, critiques et autres personnes dans tout autre secteur. et elle-même détenue par PayPal propres outils et selon leurs propres concernées par le fonctionnement quotidien du monde également essayés à commenter certains de documents publiés ne sont absolument de l’art international ». Imprimé à l’origine sous la forme International Limited, basée à Dublin. systèmes. Ce que ces projets révèlent de ces problèmes, mais très peu de ces pas fiables, ce qui a évidemment d’une affiche à déplier et distribué gratuitement, Est-ce uniquement pour sa facilité Oui, PayPal est dégueulasse, mais en fin de compte, ce ne sont pas seulement le contrat, dont la forme s’apparentait à une œuvre initiatives tentent réellement de produire des conséquences considérables sur les d’art, comprenait notamment une disposition qui d’utilisation que vous avez choisi d’utiliser c’est pareil pour mes ordinateurs Apple, — des changements structurels. Il y a valeurs marchandes futures et prouve donnait à l’artiste le droit de percevoir 15% des bénéfices PayPal comme système de paiement mon smartphone Google et tous ces 7 Voir par exemple : Hacking Monopolism Trilogy: réalisés sur la revente de ses œuvres et un droit de véto Face to Facebook (2011), Amazon Noir (2006) et Google beaucoup de questions à prendre vraiment à quel point les maisons de vente sur l’exposition des œuvres vendues. (note de l’éditeur). pour Art Derivatives ? Parce que, si je me médias sociaux que j’utilise pour contacter Will Eat Itself (2005). 44Interview Paolo Cirio 45Interview Paolo Cirio

les mauvaises pratiques de ces Ce qui compte vraiment pour moi, Somme toute, vous appelez entreprises, mais aussi l’absence c’est le contrat, il doit être lisible par l’être à la démocratisation du marché de l’art. de réglementation qui leur permet humain pour être juste et, si nécessaire, Cela signife-t-il que, pour vous, de faire ce qu’elles veulent et de devenir pouvoir être discuté devant un véritable le marché de l’art est la principale solution prédominantes. Ce n’est pas seulement tribunal. J’aime l’idée des contrats lorsqu’il s’agit d’injecter de l’argent Paolo Cirio une question de design et de technologie, intelligents sur une blockchain, mais je ne dans les arts ? Doit-il nécessairement les infrastructures qui permettent ça sont pense pas que ceux-ci doivent se trouver y avoir un marché de l’art ? — principalement juridiques, politiques uniquement sur une blockchain, obscurcis Il y a d’autres solutions, tout comme in conversation with Aude Launay et économiques. Les efforts déployés pour par la technologie et la complexité. Tout il y a des alternatives au capitalisme. créer et utiliser de nouvelles plateformes cela devrait également être réglementé, Dans les arts, l’argent peut être injecté Panorama 22, Le Fesnoy, Tourcoing, 15.10.2020-3.01.2021 Starts Prize 20, BOZAR, Bruxelles, 29.06-25.10.2020 pourraient aussi bien être mis en œuvre car je crois qu’autrement les blockchains par l’État, par des dons ou par le biais Information Critique, PAN-Pallazo delle Arti Napoli, pour changer ce qui permet de faire et la décentralisation ne feront d’un soutien mutuel : ce sont les moyens Naples, 4.07-22.08.2020 (solo) de ces entreprises des monopoles et des qu’aggraver la situation, y compris de subsistance que la plupart des artistes monstres. C’est également vrai dans lorsqu’elles sont utilisées pour le commerce utilisent déjà. La question est aussi I recently acquired a work of art that is of its pillars head-on; we have discussed had to come from within to have le monde de l’art, ce n’est pas la question et la certification des œuvres d’art. de savoir comment les artistes peuvent also a financial product. So far, nothing this with him. a chance to be heard? de celui qui rafle tout sur son passage Le fait de rendre partageables les obtenir un revenu digne et se développer that is likely to disturb this sad pleonasm, There simply wasn’t much information mais la question d’un régime inégalitaire œuvres en vente sur art-derivatives.com s’il y a un potentiel pour cela, ce que however, the reverse is also true, and even You present Art Derivatives1 as the about this situation. This is something qui laisse ces situations se produire. est aussi pour moi une manière de le marché pourrait favoriser s’il était more so: this financial-product-which-is- culmination of four years of research. I noticed also with offshore finance when commenter l’idée même de propriété fonctionnel. Prenons par exemple mon cas, also-a-work-of-art is in fact both a financial Was there a particular event that I was researching for my project Loophole Le système d’authentifcation et de suivi privée des œuvres d’art et de pointer le fait additionnons la quantité de travail que product squared and a work of art triggered this project? for All 3. Before the 2008 financial crisis, des futures reventes des Derivatives qu’elle les rende parfois inaccessibles je consacre à ces projets et la production squared. And since I really like squares, Not a particular event, simply a moment there wasn’t basically any book, movie, utilise des fonctions de hachage au public. Suivant mon système, les œuvres qui en résulte. Si j’avais un statut d’employé, I chose a Carl Andre. I must say that the when I felt ready. There was a lot of or organization addressing offshore cryptographique8 ; vous insistez peuvent être partagées et présentées quel serait mon salaire sur le marché choice was vast: more than 100,000 works material to sort through; finding the right finance, even if it has been a global key également sur le fait que propriété même en haute résolution, mais du travail ? Les standards de mesure in the catalog, and at unbeatable prices. narrative, legal claims, and information economic factor since the eighties. et authenticité ne se trouvent pas dans la propriété en reste privée et certifiée. devraient être fondamentaux lorsqu’il For my part, I can say that I invested all took time. Piecing everything together One reason is that everyone was les œuvres d’art numériques elles-mêmes J’avais prototypé cette idée pour mon s’agit de donner une valeur à quelque $0.2 (which is less than the $0.32 made me realize that auction houses were distracted by theoretical economics, mais dans leurs certifcats : pourquoi projet ArtCommodities.com10 en 2014, chose, tant sur un marché libre que dans administration fee to be added). the most accountable for these bad the same way that, in the art world, ne pas utiliser une blockchain et émettre pour lequel j’avais défini les Smart des systèmes socialistes. C’est tout l’objet But what did I actually buy? Well, I bought business practices. I also had other leads, everyone is distracted by artworks and des jetons non fongibles9 ? Le marché Digital Art Objects11, il y a déjà six ans ! d’Art Derivatives : en fin de compte, il s’agit a derivative. In other words, a product such as investigating some art dealers celebrity-artists, and not looking at what de l’art réglementé que vous souhaitez de la manière dont nous valorisons l’art. whose valuation derives from that of an and particular artists. those financial flows actually produces in voir advenir reposera-t-il à votre avis Les ventes des Derivatives sont — asset that is described as underlying. When I started to scrape auction society. The other information that wasn’t 8 Une fonction de hachage s’utilise notamment pour sur des blockchains ? présentées comme une collecte de fonds calculer une empreinte numérique, c’est-à-dire pour And concretely? A digital file accompanied data in 2016, there was still a lot that available before is the raw data on these C’est possible mais cela ne suffira pas. pour une campagne de régulation. assigner à des données d’entrée très diverses des by a document that serves as a certificate hadn’t been published yet. It was only later, financial mechanisms, just as in offshore chaînes de caractères de longueur fixe qui permettent Une technologie n’est qu’un nœud dans un Quelles sont les prochaines étapes ensuite d’établir des relations entre ces données of authenticity, a sales contract, and, in 2019, when I noticed that the auction finance, we needed several data leaks réseau de lois, d’économies, de politiques de ce projet ? même si elles sont de nature différente. therefore, a derivative contract. And even houses were publishing much more data, La cryptographie en fait usage dans la création in order to get a bigger picture and try et d’éthiques. Je suis en train d’établir une liste de signatures numériques et dans l’authentification more precisely? The certified unique that I could finalize the data-harvesting to put an end to the situation. Nowadays par mot de passe sans stockage de ce dernier. Pour moi, les blockchains ne sont de réglementations qui devraient, je pense, 9 Un jeton non fongible, plus communément nommé image of a poem by Carl Andre taken in order to produce more meaningful leaks. there is at last much more auction data qu’un système de distribution qui n’est être simples et efficaces pour contrer NFT pour non-fungible token, est un actif numérique from the Sotheby’s auction catalog, Ultimately, what really motivated available, news items are aggregable, unique inscrit sur une blockchain. Il peut être rattaché pas encore le plus efficace parce qu’il n’est la plupart des abus que j’ai répertoriés à un objet tangible ou numérique et en assurer, partially covered with large white figures: me in publishing this project was realizing and a good number of books and movies pas utilisé dans la vie courante et qu’il lors de mes recherches sur les maisons par exemple, la traçabilité ou l’unicité. Dans le domaine its auction price of nearly two years ago, that, in recent years, the art market on this issue are circulating. de l’art, les NFTs ont donné lieu à ce que l’on appelle présente encore quelques défauts. de vente. Je mets aussi en place un réseau les cryptocollectibles, une sorte de version sécurisée $20,000. So, for 0.00001% of the value of has increasingly concentrated on artists Another fundamental reason is that L’avenir verra peut-être son amélioration, de partisans et d’experts et je continuerai des tirages numérotés inscrits dans des contrats the original work, I bought a work ‘derived’ traded at auctions and was increasingly intelligents (plus communément nommés smart economic inequality is deep-rooted in the ou son remplacement. Les signatures à publier des informations. contracts). from it whose value may increase 10 times controlled by the auction houses to the art world, so it’s not surprising if these 10 http://artcommodities.com/ cryptographiques que j’ai appliquées Ce sont des engagements très 11 Les Smart Digital Art Objects de Cirio, basés sur if the value of the original work decreases point of seeing them creating their own practices haven’t been addressed before à ces œuvres d’art peuvent fonctionner lourds pour un artiste, d’autant que je suis la théorisation des smart contracts de Nick Szabo, (i.e. if it is sold below its estimated price, artists, while many peers and art galleries and are only being skimmed over now. travaillaient à une reconceptualisation de la valeur sur n’importe quel système de diffusion : également impliqué dans un certain de l’œuvre de l’art dans une optique démocratique is bought internally by the auction house were not able to make sales on the primary Yet, think of the #MeToo movement in the numérique ou analogique, en ligne ou nombre d’autres projets et campagnes, proche de celle de la musique et du cinéma où la or remains unsold over a given period of market any longer because collectors were arts, or think how women and people popularité crée la valeur culturelle d’une œuvre par physique. Une fois le contrat établi, elles mais j’espère qu’avec du soutien, je pourrai opposition à l’imposition oligarchique d’une valeur time), thus ironically bypassing the auction becoming dependent on the auction of color were cut out from the art world peuvent être imprimées, envoyées par accomplir quelque chose, même si ce n’est financière et culturelle à l’œuvre d’art visuel. house. The author of this ‘squared’ work is ‘gatekeepers’. and how it’s only recently that things have e-mail ou téléchargées sur une blockchain. qu’inciter les régulateurs à intervenir. (toutes les notes sont de l’auteure) Paolo Cirio, accustomed to interventionist started to change. Unfortunately, practices in the systems that govern us You have listed the most detrimental economic inequality is still barely being (economic, legal, technological, media, practices of auction houses that addressed, because major actors in the art political...) and advocate of what he calls you published as a glossary2 enriched market come from privileged “Regulatory Art”, an art that would with dozens of press articles. A few things backgrounds, and of course, most of the mitigate, in his words, “the consequences keep astonishing me about this: art world relies on inequality to fund itself. of deregulation which is driven by how come no one became really vocal The auction houses are the only speculative finance, technolibertarianism, about this situation before? We all know elements of the chain of value creation in mass surveillance, civil rights suppression about the functioning of the art market the art market that really give price points and environmental destruction” without within the art world but auction and prospective of resale, and therefore forgetting to reflect on the aesthetic houses are the cement of this market, offer chances of financial gain as dimensions of its involvement. This is not so no one dares to address their shady investment. That is a huge power and the first time that Cirio envisions an exit practices? Related scandals regularly — from the financialization of art, but this make the headlines but the art world 1 https://art-derivatives.com/ 2 https://art-derivatives.com/?/l/Campaign/ is the first time that he is tackling one is blind to them. Do you think the critique 3 https://loophole4all.com/ 46Interview Paolo Cirio 47Interview Paolo Cirio

Vue de l’exposition / View of the exhibition Information Critique, PAN-Pallazo delle Arti Napoli, Naples, 4.07-22.08.2020. Courtesy Paolo Cirio. Photo : Martina Esposito. 48Interview Paolo Cirio 49Interview Paolo Cirio

monopoly in a market, greater than and financial practice, since it’s for artists but also for collectors. If there the one of rating agencies in the financial about hedging on a value without even was a proper artists union, the first thing it industry, because auction houses can buying or owning the actual goods, would do is probably make fair contracts even trade and manipulate the values and this is done through complex and mandatory like with any other job to their own advantage and decide who opaque contracts within the auction and industry. and what should be traded. This would be house, which shouldn’t even be allowed surreal in any other market. And yet, to create financial products of this sort. Is it solely for its ease of use that you because they have such power, no one Ultimately, this instrument chose to implement PayPal as a payment dares to be vocal against them, if you do is also the one that most actively disguises system for the Derivatives? Because, so, they can cut you out, you won’t be able the actual price of artworks, since if I remember correctly, that highly to resell your art as a collector, you won’t the value that is published after the sale controversial company had blocked get a price point as an artist and you won’t does not reflect the actual financial your account when, for Loophole4All, even be accepted as such by them. arrangements and transactions. This you had leaked the contact details So, most of the people that are cut out are means that a lot of records that have been of 200 000 companies registered resigned or naive about all of this. reported are completely unreliable, in the Cayman Islands and were then Yet another important reason is that with far-reaching consequences for future selling certifcates of incorporation flled these unscrupulous financial speculations market values. This really proves how in with their details for 99 cents… have been culturally accepted and there auction houses are directly accountable Which was hilarious since PayPal Europe is even a lot of glamour around them. for market manipulation. is notoriously registered in Luxemburg As a result, even if it’s a known issue, It’s estimated that over 70% and is a subsidiary of PayPal Pte Limited, it’s ignored or even praised. For sure of the artworks sold at auction are backed a Singapore-based company itself there are some economic, sociological, by third-party guarantors. owned by PayPal International Limited, and academic analyses and some artists based in Dublin. have been trying to comment on some So, with Art Derivatives, you aim at Yeah, PayPal is disgusting, but it’s the of these issues too, but there are very offering everyone the possibility to take same thing with my Apple laptops, Google few initiatives that actually try to spark part in the secondary art market and phone, and all those social media I use structural changes. There is a lot to be to subvert it, as you say. Writing, in the to reach out to people. I didn’t want to use addressed and initiatives so far are very sales agreement attached to the artworks PayPal again but I had no other alternative. specific, like resale rights in the US. composing this project, that “ the My projects have very specific I think there should be more pressure ‘Appreciated Value’ of the Artwork targets and goals; they are meant to have from different fronts and from several for the purpose of this agreement a diverse audience, meant for everyone parties in the art industry for forcing must increase only under the terms to participate in, so lowering the technical, actual regulation of the art auctions. set forth in this Document”, you address linguistic, and ideological barriers I’m hoping that people who’ve been silent straightforwardly the question of the is essential to make a project successful so far will show more courage. ways value is established for artworks. for those aims. Beyond investigation, intervention, What is your personal take on this issue? I’ve got plenty of projects that focus and campaigning for change, I aim at It is pretty radical, by stating how the on the Internet mega tech companies7 creatively introducing possible solutions; ‘appreciated value’ of an artwork can where they are the targets and I challenge this practice falls within what I call increment over time in the sales contract, them with their own material and systems. Regulatory Art4. Surely, critique needs I basically put a limit on future What these projects ultimately reveal to come from within as well as from speculations, or actually have control is not just the companies’ bad practices the outside. Regulators hear the voices over them. Such rules are sometimes but also the lack of regulation that allows Vue de l’exposition / View of the exhibition Image Rights, when they are loud enough. common in sales contracts by galleries and them to do what they want and become NOME, Berlin, 14.09-16.11.2019. Courtesy Paolo Cirio artists, especially on establishing when the predominant platform. It’s not only And, to come back to those detrimental and how works can be resold in the future, an issue of design and technology practices, you cite third-party see the seminal “The Artist’s Reserved guarantees—secret purchase agreements Rights Transfer and Sale Agreement”6. — 4 https://paolocirio.net/press/texts/text_regulatory-art. made before the auction in order In the Art Derivatives contract, I’ve added php to ‘cover’ the seller in case the auction clauses that specify how the value can 5 See for instance: Tiernan Morgan and Lauren Purje, “An Illustrated Guide to Auction House Terminology”, isn’t successful—as the ‘most increment under particular conditions, Hyperallergic, September 29, 2015 ; Georgina Adam, “How transparent is the art market?”, Financial Times, controversial’. Is this, according to you, like a financial future contract, with the April 28, 2017 ; Anna Brady, “Guarantees: the next the most toxic of those practices? difference that in this case it is designed big art market scandal?”, The Art Newspaper, November 12, 2018. I’m not the only one who reckons they are to avoid future speculation on these works 6 The Artist’s Reserved Rights Transfer and Sale the ‘most controversial’5; even though without my control. Agreement, the first contract to define and guarantee artists’ rights on the occasion of and after the transfer for some they’re not the worst. Everything If clauses like these were integrated and sale of their work, was drafted in 1970-71 by lawyer is relative; surely money laundering in all sales contracts made by artists, Robert Projansky after curator, dealer and publisher Seth Siegelaub’s “extensive discussions and and collusion in bidding up are no less gallerists, and dealers we could probably correspondence with over 500 artists, dealers, lawyers, collectors, museum people, criticas and other controversial. I personally find third-party see an end to speculation such as ‘flipping’ concerned people involved in the day-to-day workings guarantees particularly controversial on works of art. The simple common use of the international art world.” Originally printed as a fold-out poster and distributed for free, the contract, because that’s secrecy created directly of a fair private contract could bypass the form of which made it akin to an artwork, notably by the auction houses. In this practice the need for regulation. But unfortunately, included a provision that entitled the artist to fifteen percent of any profits made on the resale of their works you can’t blame the dealers who are in the art world it’s very uncommon and a veto right over the exhibition of their sold works. instead the disadvantaged ones. Also, to even have contracts of any sort, and 7 See for instance: the Hacking Monopolism Trilogy: Face to Facebook (2011), Amazon Noir (2006) and Google it is the most strikingily speculative so that’s why we see so many unfair deals Will Eat Itself (2005). 50Interview Paolo Cirio 51

—the infrastructures that allow for that should only be on a blockchain, obfuscated the art market is the main solution are mainly legal, political, and economic. by technology and complexity. That should when it comes to injecting money The efforts made to make and use new be regulated as well, because otherwise into the arts? Should there necessarily BEAUX-ARTS platforms can instead be made to change I strongly believe that blockchain be an art market? what makes companies monopolies and and decentralization can just make There are other solutions, just as evil. This is also true in the art world, it’s the situation worse, including when there are alternatives to capitalism. not the winner winning everything, but it’s used to trade and certify artworks. In the arts, money can be injected an inequality regime making it happen. I made the artworks on by the state, donations, or mutual support. art-derivatives.com sharable also as a These are actually the ways most artists DE The authentication system for the comment on the notion of private property sustain themselves already. The question OCTOBRE Derivatives as well as the tracking of their with regard to works of art, which is also how artists can have a dignifying future resales make use of cryptographic sometimes makes them unavailable to the income and grow if there is potential, hash functions,8 and you also insist public. With my system, the works can be which is something the market could make 22. Piero Gilardi on ownership and authenticity not being shared and shown even in high resolution, happen if it was a functional one. Artiste – dialogue avec Valérie da Costa PARIS found in the digital artworks themselves but the property stays private and Look for instance at my case, tot up but in their certifcates: why not make certified. I had prototyped this idea for my the amount of labor I put into these 29. Collectif « Dust : use of blockchain technologies and issue 2014 work ArtCommodities.com,10 through projects and the resulting output. non-fungible tokens?9 Will the regulated which I defined the “Smart Digital Art If this was considered a job, what would Entrée libre 19h The Plates e art market you wish for be based Objects”11, already six years ago! be my wage in a job market? Metrics 14 rue Bonaparte, Paris 6 on blockchains, in your opinion? should be fundamental when it comes of the present » Why not, but surely that alone is not going The sales of the Derivatives are advertised to putting a value on something, in a free Dialogue à l’occasion to be the solution. A piece of technology as raising funds for a regulation market as much as in socialist systems. de l’exposition au Centre Pompidou is only a small element in a network of laws, campaign. What are the next steps This is what the Art Derivatives project economics, politics, and ethics. in this project? is all about—in the end of the day, For me, blockchains are just a I’m drawing up a list of regulations it’s about how we value art. DÉCEMBRE distribution system, which is not yet the that should be simple and effective — most efficient one, because it isn’t used to counter most of the abusive financial 8 One of the uses of a hash function is to compute a digital fingerprint, i.e. to assign fixed-length strings by everyday people and it also still practices I discovered while researching of characters to a wide variety of input data, which can then be used to establish relationships between these NOVEMBRE 03. Sammy has some faults. It may be improved on auction houses. I’m also building data, even if they are of a different nature. Cryptography or replaced. The cryptographic signatures a network of supporters and experts makes use of these functions in the creation of digital signatures and in password authentication without I applied to these artworks can work and I’ll continue to publish information Baloji storing the password. on any distribution system, whether digital concerning regulations in the art market. 9 A non-fungible token, more commonly referred to as 05. Leïla Slimani Artiste – dialogue avec NFT, is a unique digital asset registered on a blockchain. Thierry Leviez et Alain Berland or analogical, networked or physical. These are massive commitments It can be attached to a tangible or digital object Écrivaine, Prix Goncourt 2016 – Once the contract is issued, they can be for a single artist, especially as I’m also and ensure, for example, traceability or uniqueness. In the arts, NFTs have given rise to what are known dialogue avec Clara Schulmann printed or sent by email, or uploaded on involved in a number of other subjects as cryptocollectibles, a sort of secure version et Alain Berland 10. Guillaume of numbered prints encoded in smart contracts. a blockchain. and campaigns, but hopefully with support 10 http://artcommodities.com/ What really matters to me is the I can accomplish something, even small, 11 Cirio’s Smart Digital Art Objects, based on Nick Szabo’s Désanges theorization of smart contracts, worked towards 10. Catherine contract, it must be human-readable to be such as encouraging regulators to step in. a reconceptualization of the value of the work of art Critique d’art – une histoire de fair, and, if necessary, something that from a democratic perspective similar to that of music la performance en 20 minutes and cinema where popularity creates the cultural value Malabou can be discussed in a real court of law. All in all, you’re calling for of a work as opposed to the oligarchic imposition avec Frédéric Cherboeuf of financial and cultural value on the visual artwork. Philosophe – de la plasticité I like the idea of smart contracts democratization of the art market. dans les neurosciences on a blockchain but I don’t think those Does that mean that, for you, (all notes are from the editor) 15. Cédric 19. Bertrand Lavier Durand Artiste – dialogue Économiste – avec Thibaut de Ruyter sur l’économie numérique 26. Patrick Boucheron Historien – Une histoire mondiale de la France PENSER LE PRÉSENT L’intégralité de la programmation culturelle à découvrir sur : beauxartsparis.fr, à suivre sur facebook, instagram, youtube ZOO Galerie à l’atelier Alain Le Bras

SUR PIERRES BRÛLANTES

Une programmation Triangle France-Astérides, centre d’art contemporain. Dans le cadre de Manifesta 13 - Les Parallèles du Sud

ISABELLE ARTHUIS, MARC BRÉTILLOT, MARIE JOSÉ BURKI, CLAUDE CLOSKY, SHQIPE GASHI, HOPLASTUDIO, OLIVIER LEROI, NATACHA LESUEUR, CÉCILE LE TALEC, PHILIPPE MAYAUX, VALÉRIE MRÉJEN, YOKO ONO, THOMAS SCHMAHL & AZIYADÉ BAUDOUIN- TALEC, MICHAËL SNOW, PIERRICK SORIN, PATRICK TOSANI, CAMILLE TSVETOUKHINE

EXPOSITION COMMISSARIAT : AZIYADÉ BAUDOUIN-TALEC 28 AOÛT 25 OCTOBRE 2020 Friche la Belle de Mai 41 cours Jobin, 13003 Marseille Atelier Alain Le Bras 10 rue Malherbe, 44 000 Nantes OUVERTURE EXCEPTIONNELLE SAMEDI 03 OCTOBRE DE 18H À 22H Producteur Co-producteurs Partenaires éseaux Partenaires institutionnels Du mercredi au vendredi de 15h à 19h et le samedi de 14h à 19h Zoo galerie reçoit le soutien de la Ville de Nantes, de la Région des Pays de la Loire et du Conseil Général de Loire-Atlantique création graphique : Floriane Ollier : Floriane graphique création 54Essai Poésie online 55Essai Poésie online

Littératures hors du livre et poésie derrière l’écran : les dispositifs en ligne des confnés — par Anysia Troin-Guis

Malgré le confinement et son impact sur arrêter, ré-écouter, zoomer, scroller composent les l’organisation de différents événements gestes quotidiens du contemporain qui deviennent et le fonctionnement de diverses structures, dès lors ceux du public et réactualisent la réception de nombreuses initiatives ont eu lieu ces derniers des œuvres, l’acte de lecture et d’écoute. Si la poésie mois, faisant de la poésie et de la littérature est bien présente depuis les années 1990 sur leur épicentre. internet avec notamment le fondamental UbuWeb Alors que les musées, galeries et autres mis en place en par Kenneth Goldsmith, il s’agit centres d’art commencent peu à peu à rouvrir leurs ici d’une nécessité de maintenir une activité portes, les multiples initiatives qui ont été mises poétique durant la crise pandémique : de créer, en place pendant le confinement pour que, malgré de commenter et d’accompagner un effondrement tout, expositions, festivals et autres événements du cours habituel des choses, de nos existences annulés ou reportés maintiennent une certaine et de nos expériences. présence au-delà de la distanciation sociale, témoignent d’une volonté du monde de l’art Poésie sur les réseaux de constituer une communauté numérique plus Que cela soit dans le monde du travail ou pour interactive. De même, différents projets liés conserver des interactions sociales plus conviviales, à la poésie ont pu voir le jour et élaborer une somme les services de visioconférence ont été lourdement d’expérimentations tel un fonds d’archives en ligne sollicités et ont permis la mise en place du poétique contemporain en temps de crise. d’événements, de conférences, de lectures, de La contamination des médiums, la négation performances… La poésie Zoom a pris différentes d’une vision essentialiste reconnaissant un dualisme formes, remplaçant des moments déjà prévus ou, entre littérature et art et la porosité des disciplines au contraire, créant des formats de circonstance. conduisent à considérer la création poétique C’est le cas par exemple de la Fondation d’entreprise comme une véritable forme artistique, corollaire Ricard qui, dans le cadre de Partitions du « tournant linguistique de l’art » apparu dès (Performances), a programmé deux performances les années 1960. Texte et image, visuel et verbal sur Zoom. Imaginé par Christian Alandete, le cycle incarnent des paires essentielles aujourd’hui se conçoit comme un séminaire mixte, mêlant dans l’art contemporain, si bien que la poésie pratiques artistiques et sciences humaines, bénéficie depuis un certain temps d’une nouvelle qui vise à interroger les liens entre performance médiatisation érigeant la plasticité du mot et conférence. La première session, début mai, en une modalité incontournable du paysage actuel. était une intervention de Laëtitia Badaut Les artistes écrivent, les écrivains s’invitent Haussmann intitulée When I don’t recognize myself dans les centres d’art : les littératures hors du livre et la seconde, de Charlotte Khouri, Avec ou sans regroupent de nombreuses catégories qui France. Les deux performances ont été élaborées instaurent une véritable décatégorisation. Poésies en rapport avec la crise et avec la remise en question visuelles, poésies sonores, lectures publiques des frontières et des relations sociales générée Mirce Velarde-Liljehult, ou performances participent ainsi d’une redéfinition par le confinement et l’isolement. De même, Breaking News from the de la poésie qui ne se concentre plus sur un corpus Poésie Plateforme invite, sur une proposition Other-Side, 25 juillet 2020 / July 25th 2020. uniquement textuel. Néanmoins, lorsque celle-ci de Jérôme Mauche, Avital Ronell et le poète, Performance en direct sort du livre, c’est aussi, et souvent, pour aller essayiste et traducteur Vincent Broqua à dialoguer sur Instagram / Live Performance on Instagram, du côté de l’écran, où le numérique encourage durant une séance intitulée « Interrompre ». organisée par / organized by de multiples mutations, reconfigurant le rapport Toujours sur l’application Zoom, une initiative Kleine Humboldt Galerie dans le cadre de / as part of Kontinuum. au texte, à l’image et au son : écouter, enregistrer, au long cours a vu le jour via la Fondation Thalie : © Mirce Velarde-Liljehult 56Essai Poésie online 57Essai Poésie online

suite à l’annulation d’Équinoxe, la 9e nuit et des moments musicaux. La lecture de Sofia Ould de la poésie proposée par Barbara Polla et prévue Kaci déployait ainsi un verbe puissant sur à Bruxelles le 21 mars, les sessions Équinoxe(s) la France d’aujourd’hui, entre ses violences, ont été organisées par la Fondation pendant ses discriminations et ses positions ambiguës dix semaines, avec une programmation de Pascale vis-à-vis de son histoire coloniale. Barret. De nombreux artistes ont été invités, Sur YouTube et sur *DUUU radio, lisant, performant, réagissant à l’actualité, les Laboratoires d’Aubervilliers proposent notamment Frank Smith qui a présenté Le Film eux aussi leur événement en ligne avec notamment de l’Encore-temps, un ciné-tract vibrant et puissant, l’édition numérique de la revue vivante Mosaïque en hommage à George Floyd. des Lexiques : « bagarres » réunit ainsi une dizaine À Marseille, les mercredis de Montévidéo de participants (Cindy Bannani, Emilie Notéris ont fait place aux « Mercredi-maison » avec des live & Callisto McNulty, Les Gilets Jaunes de Pantin, Facebook auxquels ont participé, entre autres, Cyril Vettorato…) et mêle créations poétiques, Anne-James Chaton, Jean-Michel Espitallier, propositions artistiques, traductions Jérôme Game ou Christophe Fiat. Celui-ci a d’ailleurs et réflexions politiques. aussi œuvré dans une perspective collective et D’autres initiatives plus confidentielles a étendu à une série d’invités son work-in-progress ont été créées collectivement au moment même Tea Time, série de poèmes transmédiaux diffusés de l’événement. C’est le cas par exemple sur Instagram, Facebook et, depuis peu, sous forme de Pandémonium qui se détache par l’originalité de livre (Les petits matins, mars 2020). Le poète de son dispositif : le site se pense comme met chaque jour en ligne un texte où les pensées la métaphore d’une navigation virtuelle maudite d’une inconnue, à l’heure du thé, croisent celles où chacun des participants, inscrits du Master d’un écrivain : à l’occasion du World Poetry Day Lettres « écopoétique & création » de l’université le 21 mars, Christophe Fiat a donc proposé Aix-Marseille sous la responsabilité de à différents artistes, poètes et autres acteurs Jean-Christophe Cavallin, écrit « de chez soi du monde de la culture de contribuer à son chantier, le journal d’un passager confiné dans la cabine ici marqué par le premier week-end du confinement. d’un paquebot errant sur une mer sans ports ». Cette « poésie-éclair », publiée pendant 24h, À partir du 11 mai, le navire s’est lui aussi déconfiné a notamment fédéré Jil Caplan, Jennifer K Dick, en accueillant des voyageurs extérieurs, avec Jean-Michel Espitallier, Hubert Colas, Gaëlle Théval, notamment les textes de Sylvain Prudhomme, Jean-Max Colard, Philippe Azoury, Arnaud Laporte, Pierre Guéry ou Frank Smith, et a ouvert un appel Vanina Andréani ou Manuel Joseph. à textes. Le projet se poursuit d’ailleurs Toujours en ligne, l’entreprise de Nora Turato en septembre dans le cadre du Festival Extra ! frappait par son acuité et sa mise en scène au Centre Pompidou. De même, l’association Poetry du langage comme essence du collectif, au moment Archive, ciblée sur la valorisation de lectures d’un bouleversement inédit de ses habitudes. de poèmes par les poètes eux-mêmes, a lancé Initialement prévue pour occuper le mur d’entrée une invitation ouverte, proposant à qui le souhaitait Nora Turato, Museum of Contemporary Art Siegen, 2020. et l’écran de la façade extérieure du Museum für d’envoyer une vidéo de soi en train de lire ou de Photo : Philipp Ottendörfer Gegenwartskunst de Siegen, les projections performer un poème. L’initiative, qui se déroulait hebdomadaires de la poétesse se sont chargées du 10 avril au 10 septembre 2020 est disponible d’une teneur particulière étant donné le contexte. sur la chaîne YouTube Poetry Archive. À l’intensité des performances de l’artiste À l’international, les évènements se sont aussi sons et matériaux prélevés performés en live Island School of Design Department of Sculpture, se substituait un court texte affiché sur un écran aux multipliés. Pour sa 21e édition, le poesiefestival Berlin par l’artiste : il s’agissait pour elle de mettre en le RISD Museum et le RISD’s Center for Arts couleurs très pop. Entre fragments de conversation, se déroulait lui aussi sous un format numérique perspective son ressenti personnel avec l’expérience & Language, le CEL a organisé trois rendez-vous bribes de pensées et formules toutes faites, et proposait un programme très large sur les poésies collective à travers un langage sonore et corporel en ligne en mai dernier, durant lesquels une variété les citations affichées sur le MGKWall surprenaient, et performances contemporaines internationales, venant relayer et s’opposer à un flux médiatique de médiums pour performer une poésie en ligne interrogeaient et se teintaient d’ironie. Ces du 29 mai au 11 juin. Si certaines plages étaient aux limites de l’apocalyptique mais aujourd’hui a été utilisée. La performance de Pablo Helguera readymades textuels tels que I wake up and go consacrées à des conférences et lectures avec normalisé1. Le festival Gelatina organisé par la Casa consistait en une réflexion marchée autour insane, I’m discovering bodyweight, it was a great un artiste, comme les séances d’Anne Carson ou de Ecendida de Madrid proposait quant à lui pour de son quartier et liée à l’histoire de sa famille. day, I’m gonna be a whole new person when this Caroline Bergvall, le festival réunissait de nombreux sa 3e édition un format en ligne ciblé sur une L’intervention de Naama Tsabar se développait is over, étaient ainsi presque uniquement visibles, panels aux thèmes variés et actuels tels que le réflexion concernant la maladie, la souffrance, sur la notion de frontière au sens large, entre les malgré leur présence effective sur le mur de la ville rapport aux frontières, la révolution numérique le trauma et leurs enjeux sur un plan politique et pays, les politiques, les genres, les classes sociales, allemande, sur les réseaux sociaux de l’artiste et la mémoire culturelle, la diaspora noire en Europe social. Ici aussi, entretiens, lectures et performances les langues… Créé en mars 2020 en Californie, et du musée : sur Instagram ou sur Facebook, ou la pratique poétique comme forme d’activisme. réunissaient notamment Clay AD, Ca Conrad, Passing-time.org apparaît, lui, moins comme un site le projet devenait dès lors une performance Toujours en Allemagne, la galerie berlinoise Kleine JOVENDELAPERLA ou encore Eleni Ikoniadou2. d’archives que comme une performance basée se jouant des clichés que déverse le flux incessant Humboldt a, pour sa part, proposé un espace virtuel, 1 La performance a eu lieu Aux États-Unis, le centre new-yorkais sur la diffusion de créations inédites d’artistes, d’images et d’informations, en rendant vivante entre archive et lieu de création, intitulé Kontinuum. le 25 juin 2020 et est toujours The Shed a conçu une programmation poètes, curateurs ou penseurs variés, en lien avec visible sur la page Instagram une langue qui s’enlise. De multiples expositions en ligne, focus de l’artiste. passionnante : Up Close mêle ainsi DJ sets, art vidéo, la situation actuelle. Constituée d’un index bien Sur Instagram encore, le collectif Filles de sur des artistes ou performances ont été organisés 2 Le festival se déroulait performances… Le Center for Experimental rempli, la plateforme propose vidéos, performances du 13 mai au 21 juin 2020. Blédards proposait, le 26 avril dernier, le programme ces derniers mois. La création de l’artiste mexicaine L’intégralité du programme Lectures, basé lui aussi à New York et cogéré et images anonymes et qui défilent aléatoirement. « La bled en 40 haine » ciblé sur les violences Mirce Velarde-Liljehult, Breaking News from est disponible sur le site par Gordon Hall et Joseph Lubitz a, de son côté, du centre culturel. policières abordées par des artistes et des militants the Other-Side, diffusée sur Instagram, consistait 3 Les performances ont eu lieu, organisé un événement sur Zoom réunissant Revenir aux historiques par des discussions, des performances, des lectures d’ailleurs en un collage poétique sonore de différents respectivement, les 7, 12 et 19 mai 2020 et sont visibles les artistes suivants : Pablo Helguera, Naama Tsabar Phase inédite, suspension du temps, la crise sur le site du centre. et Carissa Rodriguez3. En partenariat avec le Rhode est aussi l’occasion d’un retour aux sources et une 58Essai Poésie online 59Essay Online Poetry

Literature beyond books and poetry behind screens: online arrangements for people on lockdown — by Anysia Troin-Guis

Despite the lockdown and its impact on the are the everyday gestures of the contemporary organization of various events and on the operations world, which are now becoming those of the public, of various institutions, many projects have updating the way works are received, and the acts taken place in the last few months, with poetry of reading and listening. Poetry has been very and literature as their epicentre. present since the 1990s on the Internet, with, While museums, galleries and art centres in particular, the fundamental UbuWeb set up are gradually reopening, the many different by Kenneth Goldsmith, but what is involved projects which have been introduced during here is a need to keep up a poetic activity during the lockdown—so that, in spite of everything, the pandemic crisis: to create, comment and go exhibitions, festivals and other events either hand-in-hand with a breakdown of the usual course cancelled or postponed still have a certain presence, of things, our existences, and our experiences. beyond social distancing—illustrate a desire on the part of the art world to form a more Poetry on the Networks Laura Vazquez, performance dans le cadre de Délices des listes. Listes, inventaires, énumérations, CipM, juin 2015 / performance at the CipM, june 2015. Photo : Alexandre Bozier interactive digital community. Likewise, different Whether this activity be in the world of work projects associated with poetry have seen the light or aimed at conserving more convivial social of day, and are developing a raft of experiments, interactions, the services of video conferences have invitation à (re)découvrir la poésie sous ses formes une invitation à la réflexion sous le prisme like an online archival collection of contemporary been heavily tapped, and made it possible to set up émancipées du papier, selon une perspective de la littérature, plus particulièrement sous l’une poetics in a time of crisis. events, lectures, readings, and performances… historique. Deux initiatives permettent de retracer de ses branches les plus radicales. La poésie sonore, The contamination of various media, the Zoom poetry has assumed a variety of forms, either cette histoire alternative de la littérature. en remettant en question les systèmes traditionnels denial of an essentialist vision recognizing a dualism replacing already planned forms, or, conversely, Le Centre international de poésie de Marseille de la langue et en interrogeant la conception between literature and art, and the porous nature creating formats to fit the moment. This is the case, a en effet développé un accès à ses archives sonores : du langage comme pratique sociale, apparaît of disciplines all prompt us to regard poetic creation for example, with the Ricard Foundation which, as déjà créée sur la plateforme Soundcloud avant ainsi tout à fait actuelle « à l’heure où les nouvelles as nothing less than an art form, a corollary of the part of Partitions (Performances), has programmed le mois de mars, la sonothèque a été abondamment technologies formatent le verbe, où l’oralité “linguistic turn of art” which appeared in the 1960s. two performances on Zoom. Devised by Christian alimentée pendant le confinement, si bien et la parole sont omniprésentes ». Regroupant Texts and imagery, the visual and the verbal, Alandete, the cycle is conceived as a mixed seminar, que presque mille documents sont aujourd’hui plus d’une cinquantaine de poèmes sonores produits nowadays incarnate essential pairs in contemporary combining art praxes and human sciences, aimed disponibles à l’écoute. Centre de création depuis les années 1950, l’application avait été art, with the result that for some time now poetry at questioning the links between performance and et de diffusion de la poésie contemporaine, créée l’an dernier en partenariat avec la Fondazione has been benefitting from a new mediatization, lecture. The first session, held in early May, invited le CipM organise depuis le début des années 1990 Bonotto, dans le cadre de l’exposition La Voix erecting the visual properties of words as a Laëtitia Badaut Haussmann, while the second différents événements, tels que des performances, Libérée, au Palais de Tokyo. quintessential mode in the present-day landscape. one hosted Charlotte Khouri. Both performances, des lectures publiques ainsi que des expositions, Évidemment partiel, ce tour d’horizon Artists are writing, and writers are being invited respectively titled When I don’t recognize myself des résidences ou des workshops. Si la diffusion n’en est pas moins représentatif de l’effervescence to art centres: the forms of literature beyond books and Avec ou sans France, were developed in relation de ces archives est toujours en cours, le catalogue collective qui a eu lieu ces derniers mois, encompass many categories, ushering in nothing to the crisis and the questioning of boundaries and déjà proposé est exceptionnel, croisant des malgré la prise de conscience frontale less than a decategorization. Visual poetry, social relations generated by lockdown and isolation. personnalités comme Adonis, Jean-Marie Gleize, des problématiques de notre société, exacerbées sound poetry, public readings and performances Similarly, based on a proposal by Jérôme Mauche, Jean-Christophe Bailly, Antonio Negri, Michèle par la crise du COVID-19, comme les conséquences are thus all part of a redefinition of poetry which Poésie Platforme invited Avital Ronell and the poet, Métail et de jeunes noms comme Laura Vaquez ou inégalitaires d’une mondialisation effrénée, is no longer focused on a solely textual corpus. essayist and translator Vincent Broqua to converse Cécile Mainardi. Par ailleurs, la plateforme éditoriale le changement climatique… Loin d’être terminée, Nevertheless, when poetry moves away from books, in a session titled “Interrupting” [Interrompre]. Switch (on paper) partage l’appli La Voix Libéré, cette crise se double aujourd’hui d’une mobilisation it is also, and often, in order to head towards Again using the Zoom app, a long-term Poésie sonore dans un texte écrit par les fondateurs contre le racisme d’État et les violences policières screens, where the digital technology is encouraging project has seen the light of day by way of the du site, Éric Mangion et Luc Clément, intitulé qui en découlent. Les enfants mutants du service many different changes, reconfiguring the relation -based Thalie Foundation: following « Corps contraints mais voix libérée ». Face Dial-A-Poem mis en place par John Giorno en 1968 to text, image and sound: listening, recording, the cancellation of Equinoxe, the 9th poetry night, à une actualité chaotique, cette proposition dévoile sauront-ils se saisir de ce vent de changements ? stopping, listening again, zooming and scrolling brainchild of Barbara Polla and planned to take 60Essay Online Poetry 61Essay Online Poetry

on the outer façade of the Museum für Gegenwartskunst in Siegen, the weekly screenings by the poetess were filled with a special content, given the context. The intensity of the artist’s performances was replaced by a short text displayed on a screen in very pop colours. Between bits of conversation and ready-made snippets of thoughts and slogans, the quotations displayed on the MGK wall surprised and exercised people, tinged, as they were, with irony. Those textual readymades, such as I wake up and go insane, I’m discovering bodyweight, it was a great day, I’m gonna be a whole new person when this is over were thus almost solely visible, despite their actual presence on the wall in the German city, on the artist’s and the museum’s social networks: on Instagram and on Facebook, the project thus turned into a performance playing with the clichés pouring from the ceaseless flow of images and information, bringing life to a language becoming bogged down. On Instagram again, on 26 April, the Filles de Blédards collective proposed the programme Christophe Fiat, TEA TIME Project, 2020. “Le bled en 40 haine”, targeting police violence against artists and activists, through discussions, performances, readings and musical moments. The reading given by Sofia Ould Kaci did not mince its words attacking present-day France, with place in Brussels on 21 March, the Equinoxe sessions its violence, discrimination and ambiguous stances were organized by the Foundation over a ten-week regarding its colonial history. period, with a programme conceived by On YouTube and on *DUUU radio, the Pascale Barret. Many artists were invited, reading, Laboratoires d’Aubervilliers also offered their online performing and reacting to current events, event with, in particular, the digital version in particular Frank Smith who screened Le Film of the live review Mosaïque des Lexiques: “bagarres” de l’Encore-temps, a vibrant and powerful cinematic [brawls] thus involved a dozen participants tract paying tribute to George Floyd. (Cindy Bannani, Emilie Notéris & Callisto McNulty,

In Marseille, the Montévidéo Wednesdays the Yellow Vests of Pantin, Cyril Vettorato…) Mirce Velarde-Liljehult, Breaking News from the Other-Side, 25 juillet 2020 / July 25th 2020. made way for the “house-Wednesdays” with live and mixed poetic works, artistic ideas, translations, Performance en direct sur Instagram / Live Performance on Instagram, organisée par / organized by Kleine Humboldt Galerie dans le cadre de / as part of Kontinuum. © Mirce Velarde-Liljehult Facebook performances in which, among others, and political thoughts. Anne-James Chaton, Jean-Michel Espitallier, Other more low-profile projects were Jérôme Game and Christophe Fiat took part. collectively created at the very begininng of the This latter, incidentally, also worked with an eye on crisis. This was the case, for example, with the collective, and extended to a selection of guests Pandémonium, which stood out for the originality his work-in-progress titled Tea Time, a series of its arrangement: the website is conceived like Internationally there have also been lots of of different sounds and sampled materials of transmedia poems broadcast on Instagram the metaphor of an accursed virtual surf in which events. For its 21st edition, the Berlin Poetry festival performed live by the artist: what was involved, and Facebook, and, more recently distributed in each one of the participants, enrolled in the was also held in a digital format, offering a very for her, was giving some perspective to her personal book form (published by Les petits matins in March “eco-poetics & creation” Master Letters programme broad programme of international contemporary feelings with the collective experience through a 2020). Every day the poet posted online a text at Aix-Marseille University, under the supervision poetry and performance, from 29 May to 11 June. sonic and body language conveying and contrasting in which the thoughts of an unknown woman, at tea of Jean-Christophe Cavallin, wrote “from home Certain slots were devoted to lectures and readings with a media flow on the verge of the apocalyptic, time, overlapped with those of a writer: on World the diary of a passenger on cabin lockdown in a liner with an artist, like the sessions with Anne Carson but today normalized.1 For its part, the Gelatina Poetry Day, on 21 March, Christophe Fiat thus asked wandering around a sea with no ports”. From 11 May and Caroline Bergvall, but the festival also brought festival organized by the Casa Ecendida of Madrid different artists, poets and other people involved onward, the ship also came out of lockdown together many discussion panels with varied proposed, for its 3rd festival an online format in the cultural world to contribute to his project, by welcoming on board various outside passengers, and current themes, such as the relation to borders, focusing on a line of thinking to do with illness, here marked by the first weekend of the lockdown. with, notably, the writings of Sylvain Prudhomme, the digital revolution and cultural memory, the black suffering, trauma, and their challenges on a political This “flash-poetry”, published over a 24-hour Pierre Guéry and Frank Smith, and put out a call diaspora in Europe, and poetic praxis as a form and social level. Here again, interviews, readings period, brought together, in particular, Jil Caplan, for texts. The project carried on in September, of activism. Staying in Germany, the Berlin Kleine and performances included contributions Jennifer K. Dick, Jean-Michel Espitallier, Hubert too, as part of the Festival Extra! at the Centre Humboldt gallery, for its part, proposed a virtual from Clay AD, Ca Conrad, JOVENDELAPERLA, 1 The performance took place Colas, Gaëlle Théval, Jean-Max Colard, Philippe Pompidou. Likewise, the Poetry Archive association, on 25 June 2020 and can still be space, somewhere between archive and place and Eleni Ikoniadou.2 viewed on the artist’s Azoury, Arnaud Laporte, Vanina Andréani focusing on the promotion of poetry readings Instagram page. of creation, titled Kontinuum. In the United states, The Shed centre and Manuel Joseph. by the poets themselves, launched an open 2 The festival was held from Many different online shows, focusing in New York came up with an extremely interesting 13 May to 21 June 2020. Online again, Nora Turato’s undertaking invitation, asking anyone who felt like it to send in a The entire programme on artists and performances, have been organized programme: Up Close thus mixed DJ sets, video art, was striking for its sharpness and its presentation video of themselves reading or performing a poem. is available on the cultural over the past few months. The work of the Mexican and performances… For its part, the Center centre’s website. of language as an essence of the collective, just when The event, which was held from 10 April to 10 3 The performances took place, artist Mirce Velarde-Liljehult, Breaking News for Experimental Lectures, also New York-based, a new upheaval was upsetting its habits. Initially September 2020, is available on the YouTube Poetry respectively, on 7, 12 and from the Other-Side, broadcast on Instagram, and jointly run by Gordon Hall and Joseph Lubitz, 19 May 2020, and can be viewed planned to occupy the entrance wall and the screen Archive channel. on the centre’s website. consisted, incidentally, in a poetic sonic collage organized an event on Zoom bringing together 62Essay Online Poetry

the following artists: Pablo Helguera, Naama Tsabar performances, public readings and exhibitions, and Carissa Rodriguez.3 In partnership with together with residencies and workshops. the Rhode Island School of Design Department Its archives are still very much available, of Sculpture, the RISD Museum and the RISD’s but the catalogue already proposed is outstanding, Center for Arts & Language, the CEL organized involving figures like Adonis, Jean-Marie Gleize, three online meetings last May, during which Jean-Christophe Bailly, Antonio Negri, Michèle a variety of media for performing poetry online Métail and young names such as Laura Vaquez were used. Pablo Helguera’s performance consisted and Cécile Mainardi. Furthermore, the publishing in a line of thinking developed while walking around platform Switch (on paper) shares the La Voix Libéré his neighbourhood, and associated with the history app, Sound Poetry in a text written by the site’s of his family; Naama Tsabar’s work was developed creators, Eric Mangion and Luc Clément, titled around the notion of borders, in the broad sense, “Corps contraints mais voix libérée”. In the face between countries, politics, genders, social classes, of a current chaotic situation, this proposition and languages… Created in California in 2020, reveals an invitation to reflect on things through Passing-time.org appeared less like an archival site the lens of literature, and more especially in one than as a performance based on the broadcasting of its most radical branches. By challenging the of novel works by various artists, poets, curators traditional systems of language and by questioning and thinkers, linked to the present-day conjuncture. the conception of language as a social activity, Made up of a well-garnished index, the platform sound poetry thus seems thoroughly of the moment proposes videos, performances and anonymous “at a time when the new technologies are formatting images, which file past at random. words, when oral praxis and words are ubiquitous”. Encompassing more than 50 sound poems produced Getting back to backgrounds since the 1950s, the app. was created last year in As a totally new phase, in which time is suspended, partnership with the Fondazione Bonotto, as part of GENERATOR #7 the crisis also offers an opportunity to get back the exhibition La Voix Libérée at the Palais de Tokyo. Artistes / Artists to sources, and an invitation to (re)discover poetry This obviously non-exhaustive overview Léa Bouttier, Maxence Chevreau, in its paper-free forms, based on an historical of goings-on still depicts the busy collective activity perspective. Two projects help us to retrace this which has taken place in the past few months, Charlotte Dalia, Amalia Vargas alternative history of literature. The International despite the head-on awareness of the issues facing Poetry Centre in Marseille has actually developed our society, exacerbated by the COVID-19 crisis, Commissaires d’exposition / Curators access to its sound archives: already created along with the inegalitarian consequences Caterina Avataneo, Eleni Riga on the Soundcloud platform prior to March, of galloping globalization, and climate change the sound centre was well provided for during issues… Far from being over, this crisis is today being the lockdown, with the result that almost 1,000 compounded by a mobilization against State racism documents are today available to be listened to. and the police violence resulting therefrom. Since the early 1990s, as a centre creating Will the mutant children of the Dial-a-Poem service, and disseminating contemporary poetry, the CipM set up by John Giorno in 1968, manage to take hold has been organizing a variety of events, such as of this wind of change? Initié et porté par 40mcube, en partenariat Initiated and carried out by 40mcube, in avec l’entreprise Self Signal, GENERATOR partnership with the company Self Signal, est une formation professionnelle à GENERATOR is a professional training destination de jeunes artistes plasticien·ne·s for young visual artists and a residency for et une résidence internationale de curators. commissaires d’exposition.

Avec la collaboration des centres d’art La With the collaboration of the art centres La Criée (Rennes) et Passerelle (Brest), du Criée (Rennes) and Passerelle (Brest), Frac Frac Bretagne, des Archives de la critique Bretagne, the Archives de la critique d’art d’art (Rennes), de Documents d’artistes (Rennes), Documents d’artistes Bretagne, Bretagne, d’a.c.b - art contemporain a.c.b - contemporary art in Brittany and the en Bretagne et de la revue 02. Avec le review 02. With the sponsorship of the law mécénat de la société d’avocats Avoxa. frm Avoxa. With the support of the Brittany Avec le soutien de la Région Bretagne, du Regional Council, the Ille-et-Vilaine County Département d’Ille-et-Vilaine et de l’ADAGP. Council and ADAGP. 40mcube est membre d’Arts en 40mcube is a member of Arts en résidence - Réseau national. résidence - National Network.

Plus d’informations / More information : www.40mcube.org The Dial-A-Poem Poets, Totally Corrupt, 1976. Giorno Poetry Systems records. 6465

CHRISTIAN LHOPITAL Généalogie d’événements liés à l’exposition L’œil extravagant Dérives et soubresauts Le Lait 40 ans de dessins 20-02 / 23-05-2021 10-10-2020 / 17-01-2021 Pougues-les-Eaux

2017

Jeremiah Day

« Si c’est pour les gens, 2019 ça doit être beau », dit-elle

2020 (détail), 2005.

2021 Après demain matin 2 demain matin Après 03|10|20-10|01|21

Événement :

Christian Lhopital, 28 rue Rochegude Artistique 81000 Albi Politique Relation de cause Présenté centredartlelait.com Rencontre à efet dans l’exposition Graphisme © The Shelf Company, 2020 © The Shelf Company, Graphisme

exposition 16 / 10 / 2020 ➨ 22 / 01 2021 L’objet art Carla Adra Jean-Baptiste Farcas Romaric Hardy Fabrice Michel

livres et publications de la collection du cdla ` projet : Laurent Buffet

Le Centre des livres d’artistes 87500 Saint-Yrieix-la-Perche

https://lecdla.wordpress.com 66Interview Sara Sadik 67Interview Sara Sadik

Sara Sadik — en entretien avec Anysia Troin-Guis

À l’occasion de l’ouverture de Manifesta 13 STI Arts appliqués pour être affectée dans un lycée à Marseille, nous avons rencontré Sara Sadik bordelais plutôt favorisé. Je raconte souvent qui participe au programme central, Trait d’union.s, cette histoire mais elle est assez significative et au Tiers Programme, une initiative de l’équipe de mon entrée en art : une entrée plus aléatoire Éducation et Médiation. L’artiste revient ainsi sur que par vocation jusqu’à mon admission à l’École l’année 2020, les projets qu’elle mène et la réflexion supérieure des beaux-arts de Bordeaux. Puis, qu’elle propose autour de questions relatives après cinq ans à côtoyer des personnes sans aucun à la culture des quartiers populaires, à leur rapport avec mes origines, le milieu d’où je venais représentation, à la déconstruction de leurs ou même mes références culturelles, j’ai entamé stéréotypes et à leur nécessaire reconnaissance. un véritable travail sur la question de l’identité, Traitant avec acuité des problématiques liées et notamment la mienne, qui s’est traduit sous à son milieu d’origine, Sara Sadik élabore un récit différentes formes, depuis l’autofiction, écrite alternatif et fictionnel sur les classes populaires, les et performée par mon alias Mélissa Lacoste, populations issues de la diaspora maghrébine et les jusqu’aux projets actuels plus axés sur les questions notions d’identité. Démarche absolument urgente de masculinité et d’adolescence. lorsque, du côté du gouvernement, il n’est question que d’« ensauvagement d’une partie de la société » Pouvez-vous nous présenter la création pour qualifier les dispositifs et les stratégies de lutte que vous proposez pour Manifesta 13 ? qui s’organisent chez les populations défavorisées. Carnalito full option sera projeté à partir du 11 septembre dans différents lieux bien particuliers Cette année a été évidemment marquée par la crise de la ville : des snacks et bars à chicha. C’est un film sanitaire. Quel a été son impact sur votre quotidien d’environ vingt minutes, tourné au stade Vélodrome, et votre manière de travailler ? Quelle incidence dans lequel je mets en scène un jeu qui réunit a-t-elle eu sur vos projets ? différents adolescents. Les acteurs sont des jeunes Les expositions prévues en automne sont reportées du centre éducatif fermé Les Cèdres pour lesquels au printemps, notamment un solo show au CAC j’ai dirigé un atelier hebdomadaire pendant quelques Bretigny et des expositions collectives aux Magasins mois : nous discutions de leur vie, nous lisions généraux à Pantin et à la Friche Belle de Mai des textes, regardions des vidéos, réfléchissions à Marseille ; cette dernière, En attendant Omar ensemble… Entre fiction et documentaire, l’idée Gatlato, regroupera plus d’une vingtaine d’artistes de départ est de représenter un jeu télévisé dans d’Algérie ou de sa diaspora. Il y a aussi l’ouverture lequel cinq garçons s’affrontent selon des épreuves de Manifesta 13 qui a dû être reportée : censées refléter le profil type de ce que serait ma création Carnalito full option sera visible à partir l’homme idéal : un homme beau, musclé, romantique, du 11 septembre. Le temps confiné dans mon drôle… La partie documentaire se construit appartement marseillais m’a permis de développer notamment dans les passages tournés dans un un travail davantage conceptuel pendant deux mois. confessionnal, à la manière des téléréalités, et rien Le décalage de la production de mes différents n’est scripté. Les ados parlent de leur vie, de leurs projets a été l’occasion d’améliorer certains détails sentiments, de leur vraie situation, tout en laissant et de repenser certains aspects de deux créations néanmoins un flou entre le réel et la fiction. S’agit-il qui se suivent, regroupées sous le projet en trois de l’expérience en C. E. F. ou du jeu TV ? Le doute phases de la Hlel Academy et dont ma performance plane et il était important pour moi que, malgré Sara Sadik, Carnalito Full Option, 2020. Tu deuh la miss, présentée en janvier 2020 mon film, chacun garde sa personnalité. Vidéo, 20' à Marseille dans le cadre du festival Parallèle et en partenariat avec Triangle France – Astérides, Pourquoi ce travail avec des jeunes de C. E. F ? était la première partie. Ce qui m’intéressait, c’était d’évoquer l’isolement et la solitude de ces jeunes bientôt majeurs, Pouvez-vous nous raconter votre parcours ? vivant seuls, hors de leurs repères habituels, J’ai grandi dans une cité près de Bordeaux et, dans mais à la fois en groupe. En somme, de penser la perspective d’avancées sociales, d’une évolution cette idée particulière de collectivité. Tout le projet financière, j’ai souhaité me rapprocher du centre a été conceptualisé en lien avec le C. E. F : cela fait de la ville. J’ai donc choisi un peu par hasard la filière des années que je souhaite travailler sur le monde 68Interview Sara Sadik 69Interview Sara Sadik

du corps durant le confnement. Instagram ou Snapchat apparaissent chez vous moins comme des références que comme de véritables médiums à travers lesquels se construisent vos performances et une autre mythologie du quotidien. Cette esthétique semble s’originer plutôt dans une culture de masse, dans une culture populaire que dans un art « post-internet ». Comment l’analysez-vous ? Instagram me permet de réunir une archive assez conséquente de la contemporanéité, c’est un prolongement de mon travail qui l’alimente aussi, d’une certaine manière. Je poste par exemple en story beaucoup de TikTok : tous ces réseaux sont réappropriés par les jeunes pour créer de nouvelles formes de communication et renouveler des formes de collectivité. Ces questions me passionnent et sont au centre de mes recherches : cette oscillation entre la solitude et la communauté ainsi que les processus d’adhésion collective qui se jouent dans le fait de réaliser des vidéos seul

ou à plusieurs, de se répondre par image interposée. Sara Sadik, Shour Beauty, 2019. En ce sens, je cible vraiment de plus en plus mon Vidéo, 8’50’’

Sara Sadik, Allo le bled, 2019. travail sur l’adolescence car elle articule un monde Performance 10’, production Triangle France – Astérides tellement riche, dans ses cultures, ses dispositifs, à l’occasion du festival / on the occasion of Do Disturb Palais de Tokyo, Paris. Photo : Ayka Lux ses émotions, ses sensibilités et ses vulnérabilités. sur l’autre et sur soi, pour créer une distance Je ne cherche ni à cacher la misère, ni à la Comment vous considérez-vous dans le milieu afn de révéler des motifs, des problématiques, dédramatiser mais, au contraire, à la figurer carcéral et la spécificité d’un centre pour mineurs de l’art contemporain qui semble assez éloigné des caractères et évoquer une culture d’une manière différente, par de nouveaux m’a particulièrement intéressée pour prolonger de ce qui est au centre de votre travail ? Y-a-t-il dite périphérique, voire subalterne. langages, de nouvelles images qui détonnent le travail sur l’adolescence que je mène, l’idée de contaminer, de pirater ce milieu ? Il s’agit moins d’une perspective futuriste au sens d’une certaine doxa en ce qui concerne la une recherche sur cette période particulière Ou d’aller vers une démocratisation de celui-ci, propre que d’une réflexion autour d’un futur proche. représentation des cultures de quartiers populaires. de l’enfance au seuil du monde adulte. vers un partage des pratiques et des références Déplacer les sujets qui m’animent dans d’autres Plus personnellement, les situations que j’évoque, de ce qui serait une culture savante d’un côté, temporalités, d’autres espaces, créer des mutations je les ai vécues de près ou de loin, et le recours Dans le cadre du Tiers Programme de Manifesta 13 et une culture de masse, populaire, de l’autre ? permettent une certaine liberté et évitent certains à la science-fiction et le détour par l’imagination qui se déroule au Tiers QG, vous avez aussi participé Il y a évidemment les deux : le piratage c’est que écueils. Apporter une nouvelle esthétique pour appréhender le quotidien permet une œuvre à l’Archive Invisible #4 et collaboré avec je suis là ! D’ailleurs, la dissémination dans les snacks à ces sujets permet aussi de s’éloigner du côté peut-être plus stimulante, plus excitante, du côté l’association M. A. D. E in Bassens, une organisation de Marseille pour Carnalito full option, c’est bien un misérabiliste que peut parfois avoir le documentaire. de la création comme de celui de la réception. de femmes créée dans la cité marseillaise située piratage. On déplace les lieux d’exposition attendus, dans le 14e arrondissement. Vous y effectuez on ouvre un espace plutôt clos sur lui-même vers un travail sur les archives de l’association des horizons plus populaires. Cependant, je n’ai pas qui semble s’éloigner de vos projets habituels. envie non plus que l’on interprète ma création Sara Sadik, Tu deuh la miss, 2020. Quels étaient les enjeux de cette exposition ? et ses lieux de diffusion comme une découverte Performance 30’, Festival Paralèlle, Friche Belle de Mai, Triangle – Astérides, Marseille. Le projet avec les archives de l’association M. A. D. E un peu malsaine d’une Marseille interlope, in Bassens est en effet très différent de mon travail pour aller « au zoo », pour le dire vulgairement. habituel mais l’on y retrouve l’un des axes Un des premiers endroits choisis est le Moon Roof, principaux : une réflexion sur la représentation des un restaurant chicha situé vers la Pointe Rouge, hommes et des jeunes issus des classes populaires plutôt chic : il n’est pas question de montrer la et de l’immigration. J’ai sélectionné les images misère des classes populaires d’origine maghrébine en essayant de déconstruire les différents clichés mais de montrer des espaces périphériques. autour d’eux. Pour moi, il y a urgence à opérer cette Pour ce qui est de ma place dans l’art contemporain remise en cause et en question de ces clichés car, et du piratage que je peux d’une certaine manière d’un point de vue personnel, mon père, mes oncles, incarner, l’entrée de mes travaux dans des les hommes de ma famille ont souffert d’un certain collections publiques illustre une certaine type de représentations qu’on accole aux personnes reconnaissance d’une esthétique, de références et issues des quartiers populaires et il est important de sujets liés à une culture très populaire : certaines d’en proposer d’autres formes de représentation, pièces ont été acquises par le Frac PACA, le FCAC voire de légitimation, afin d’amorcer une de Marseille, le CNAP, le Musée d’Art Moderne… reconnaissance pour ces oubliés, ces délaissés. Pouvez-vous expliquer le rapport à la Les réseaux sociaux sont très présents dans votre science-fction qui se dessine dans votre travail ? travail. Marshall McLuhan parlait des médias La possibilité de déplacement, de décalage comme d’extensions de l’humain et le smartphone et de superposition des temporalités me semble a bien été, plus que jamais, une véritable prothèse très intéressante pour construire une réfexion 70Interview Sara Sadik 71Interview Sara Sadik

Sara Sadik — In conversation with Anysia Troin-Guis

At the opening of Manifesta 13 in Marseille, Can you talk to us about your background? we met Sara Sadik who is taking part in the main I grew up on a housing estate near Bordeaux and, programme, Trait d’union.s, and in the Tiers with my eye on social advancement and having Programme, a project produced by the Education more money, I wanted to move closer to downtown and Mediation team. The artist talks about the year Bordeaux. So, a bit haphazardly, I chose an applied 2020, the projects she is involved in, and the line sciences and arts programme so that I could be of thinking she is offering, to do with issues about enrolled in a rather privileged Bordeaux high school. the culture of working-class neighbourhoods, I’ve often told this story, but it is quite significant their representation, the deconstruction of their with regard to how I got into art, which was more stereotypes, and their much-needed recognition. by chance than by calling, until I was accepted With a keen eye, Sara Sadik deals with problems by the Advanced School of Fine Arts in Bordeaux. associated with the environment where she Then, after five years spent rubbing shoulders was born, developing an alternative and fictional with people who had nothing to do with my origins, narrative about the working class, populations the environment I came from, and even my cultural coming from the North African diaspora, and references, I embarked on a real project to do Sara Sadik, Carnalito Full Option, 2020. Vidéo, 20' notions of identity. This is an extremely urgent with the issue of identity, and my own identity approach, when, from the government’s angle, in particular. That project took on different forms, all that is at issue is the “savage turn of a part ranging from auto-fiction, written and performed of society” to borrow Minister of the Interior by my alias Mélissa Lacoste, to my current projects Darmanin’s timely word for describing the systems which are focused more on issues of masculinity and strategies of struggle which are being organized and adolescence. among underprivileged groups of people. Sara Sadik, Allo le bled, 2019. Performance 10’, production Triangle France – Astérides à l’occasion du festival / on the occasion of Do Disturb Palais de Tokyo, Paris. Can you tell us something about the work Photo : Guillaume Lebrun This year has obviously been marked by the health you’re proposing for Manifesta 13? crisis. How has it impacted your day-to-day life Carnalito full option will be screened from and your way of working? What effect has it had 11 September on in different and quite distinctive on your projects? venues in the city: snack bars and hookah and The shows planned for this autumn have been shisha bars. It’s a film of about 20 minutes, shot postponed until next spring, in particular a solo in the Velodrome stadium, where I set up a game show at the CAC Bretigny, and some group shows that involves various teenagers. The actors at Les Magasins généraux in Pantin and at La Friche are young people from the Les Cèdres closed Belle de Mai in Marseille. This latter, En attendant educational centre where I ran a weekly workshop Omar Gatlato [Waiting for Omar Gatlato], will bring for some months: we talked about their lives, together more than twenty artists from Algeria we read texts, we watched videos, and we thought and its diaspora. Then there’s the opening about things together… Somewhere between fiction of Manifesta 13, that has also had to be postponed. and documentary, the original idea was to show a TV My work, Carnalito full option, will be on view from game in which five boys compete with each other 11 September onward. The time spent on lockdown in tests supposed to reflect the typical profile of in my apartment in Marseille helped me to develop what the ideal man would be: a handsome, well-built, a more conceptual work for two months. romantic, amusing guy… The documentary part The production gap in my different projects is constructed especially in the sequences filmed has given me a chance to improve certain details in a confessional, just like in TV reality shows, and re-think certain aspects of two successive for which there is no script. The teenagers talk works, presented in the three-phase project of the about their lives, their feelings, and their real Hlel Academy, the first part being my performance situation, but they nevertheless leave a blurred Tu deuh la miss, put on in January 2020 in Marseille zone between reality and fiction. Is this a closed as part of the Parallèle festival, and in partnership educational centre experience or a TV game? Doubt with Triangle France–Astérides. hovers, and it was important for me that, despite my film, everyone holds onto their own personality. 72Interview Sara Sadik 73Interview Sara Sadik

Why this work with young people from the closed The social networks are very present in your work. educational centre? Marshall McLuhan talked about the media What interested me was dealing with the isolation as extensions of the human, and the smartphone and loneliness of these young people soon to be has indeed, more than ever, been nothing less than adults, living alone, outside their usual landmarks, a prosthesis during the lockdown. Instagram and but at the same time as a group. In a nutshell, Snapchat appear in your work less as references thinking about this particular idea of collectiveness. than as actual media, through which your The whole project was conceptualized with the performances and another daily-round mythology centre: I’d been wanting to work on the prison world are constructed. This aesthetic seems to be more for years, and the specific nature of a centre for rooted in a mass culture, in a popular culture, juveniles especially interested me, to carry on the than in a “post-Internet” art. How do you see it? work on adolescence that I’m involved with, and Instagram enables me to bring together a quite my research into that particular period of childhood significant archive of contemporaneousness, it’s an on the threshold of the adult world. extension of my work, which also, in a way, feeds it. For example, I’m posting a lot of TikTok in my As part of the Manifesta 13 Tiers Programme stories: all these networks are being re-appropriated which is happening at the Tiers QG, you also by young people to create new forms of took part in the Archive Invisible #4 and worked communication and renew forms of collectiveness. with the M.A.D.E in Bassens association, a women’s These issues interest me a great deal and are organization created in the housing estate at the hub of my research: this wavering between in the 14th district of Marseille. You are working loneliness and community as well as the processes on the association’s archives, which seems of collective membership which are played out in the to be unlike your usual projects. What were fact of making videos on your own or with several the challenges of that show? other people, and responding to yourself through The project with the archives of the M.A.D.E in interposed imagery. In this sense, I really am Bassens association is indeed very unlike my usual increasingly targeting my work on adolescence, work, but in it you can find one of the main themes: because it expresses such a rich world, in its a line of thinking about the representation of men cultures, its systems, its emotions, its sensibilities and young people of working-class and immigrant and its vulnerabilities. origin. I selected the pictures by trying to deconstruct the different clichés around them. How do you regard yourself in the contemporary For me, there is an urgent need to question these art world, which seems quite removed from what clichés because, from a personal viewpoint, lies at the heart of your work? Is there the idea of my father, my uncles and the men in my family have contaminating and pirating that world? Or of going all suffered from a certain type of representation towards a democratization of it, towards a sharing Sara Sadik, Lysopaine, 2019. Sara Sadik, Lazuli, 2018. that is associated with people hailing from of the practices and references of what might be Impression jet d’encre sur papier / Inket print on paper, 150 × 100 cm. Impression jet d’encre sur papier / Inket print on paper, 150 × 100 cm. working-class neighbourhoods, and it’s important a high-brow erudite culture on the one hand, to come up with other forms of representation, and a low-brow mass, popular culture on the other? and even legitimization, so as to trigger some kind Both apply, obviously: the piracy is the fact that in snack bars in Marseille is nothing if not pirating. and oneself, to create a distance so as to reveal of recognition for these forgotten, abandoned people. I’m here! What’s more, screening Carnalito full option You shift expected exhibition venues, you open up motifs, issues, and characters, and refer a space that is rather closed in on itself, towards to a so-called peripheral, not to say subordinate more popular horizons. But nor do I want people culture. to interpret my work and the places where it’s It’s not so much a question of a futuristic disseminated as a slightly unwholesome discovery perspective, in the literal sense, as of a way of a shady Marseille, going “to the zoo”, to put it of thinking about a near future. Shifting and in vulgar words. One of the first places chosen displacing subjects, which inform me, into other is the Moon Roof, a rather posh shisha restaurant time-frames, and other spaces, and creating at the Pointe Rouge: what’s involved isn’t showing changes, all that enables me to have a certain the wretched poverty of the working classes from freedom, and sidestep certain pitfalls. Bringing North Africa, but of showing peripheral areas. a new aesthetic to these subjects also makes it As for my own place in the world of contemporary possible to get away from the miserabilist side which art and pirating, which I might in a way incarnate, the documentary can sometimes have. I’m not trying the fact that works find their way into public either to hide poverty and wretchedness, or to collections illustrates a certain acknowledgement tone down those things, but, on the contrary, of an aesthetic, of references and subjects I’m attempting to depict them differently, through connected to a very popular culture: some pieces new languages and new images which clash have been acquired by the FRAC PACA, the FCAC with a certain doxa as far as the representation in Marseille, the CNAP, the Museum of Modern Art… of working-class neighbourhood cultures are concerned. More personally, I myself have Can you explain the relation to science-fction experienced, near and far, the situations I describe, Sara Sadik, that comes through in your work? The possibility and my recourse to science-fiction and using the Tu deuh la miss, 2020. Performance 30’, of displacement, discrepancy and superposition imagination to grasp the daily round allows a work Festival Paralèlle, Friche of time-frames seems very interesting to me that is perhaps more stimulating and exciting, Belle de Mai, Triangle – Astérides, Marseille. for constructing a way of thinking about the other both where creation and reception are concerned. Marc Buchy

avoir désordre

31.10.2020 - 13.12.2020

Arny Schmit

Die hängenden Gärten

31.10.2020 - 13.12.2020

Martine Aballéa Anne-Lise Coste Raymond Hains Louise Lawler Camila Oliveira Yvan Salomone Boris Achour Hanne Darboven Helene Hellmich Lefevre Jean-Claude Fairclough Seth Siegelaub John Armleder David de Tscharner David Horvitz Micah Lexier Kristin Oppenheim Alfred Stieglitz Silvia Bächli Dector & Dupuy Pierre Huyghe Hanne Lippard Bruno Peinado Mladen Stilinović Julie Béna Claire Dehove Fabrice Hyber Peter Liversidge Emmanuel Pereire Batia Suter Irma Blank Denicolai & Provoost Ana Jotta Gilles Mahé et Benoit Platéus Eva Taulois Eva Eszter Bodnar Mirtha Dermisache Véronique Joumard Jean-Philippe Lemée Eric Poitevin Niele Toroni Carole Douillard Genêt Mayor Hanna Putz and Alighiero Boetti Valérie Jouve Sophie Thun Endre Tót Louise Bourgeois Ernest T. On Kawara Allan McCollum Penelope Umbrico Richard Fauguet Patrick Raynaud Marie Bourget Annette Kelm Annette Messager Sofi Urbani Hans-Peter Feldmann Silvana Reggiardo Sophie Calle Esther Ferrer Martin Kippenberger Aleksandra Mir Pierre-Lin Renié Corinne Vionnet Hsia-Fei Chang Antonio Gallego Karen Knorr Jonathan Monk Rafaël Rozendaal Eric Watier Claire Chevrier Dora Garcia LAb[au] Mrzyk & Moriceau Jean-Jacques Elsa Werth Claude Closky Marie-Ange Suzanne Lafont Julien Nédélec Rullier Heidi Wood Delphine Coindet Guilleminot Emmanuelle Lainé Valère Novarina Matthieu Saladin Auteurs anonymes

X, un projet d’exposition de Claude Closky avec et autour de la collection du Frac des Pays de la Loire Mercredi-Dimanche 15-19h Du 21 novembre 2020 au 04 juillet 2021, au Frac, 44470 Carquefou

Bunker palace Bunker www.fracdespaysdelaloire.com

www.centredart-dudelange.lu : réalisation Le Frac des Pays de la Loire est co-financé par l’État et la Région des Pays de la Loire, et bénéficie du soutien du Département de Loire-Atlantique.

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Il me faut l’avouer, bien que ce ne soit évidemment I must admit, although this is obviously not the frst “virtual”, for once. It almost smells through the screen, 1 Happy ending: she managed pas la première fois que je visite une exposition « à Andrej Škufca time I have visited an exhibition remotely, it is the frst so much the sinuous presence imposes itself in the to see it in person just before distance », c’est la première fois que je vais me prê- time I’m going to report on one in this situation, and, extremely whitened space, as if artifcially bright- the show was dismantled. Black Market 2 See Mark Fisher, introduction ter à l’exercice d’en rendre compte et, d’ainsi, ajou- thus, add an extra layer of mediation to its already ened—well, I mean digitally, since white paint is an to Acid Communism, in Mark ter une épaisseur supplémentaire de médiation à mediated appreciation. Ironically, it was an exhibition artifce too. The effect of a 3D space in which human Fisher, Darren Ambrose, par / by Aude Launay son appréciation. L’ironie du sort aura voulu qu’il whose subject matter and implementation were per- presence would only be tolerated, dominates. So, see- Simon Reynolds (ed.), k-punk: The Collected and Unpublished s’agisse d’une exposition dont le sujet comme la fectly suited to the situation and therefore, at a time ing some moving beings, masked and wearing over- MGLC, Ljubljana, 19.05 – 16.08.2020 Writings of Mark Fisher mise en œuvre siéent parfaitement à la situation et when the art world was clumsily taking over the dig- shoes, obviously only amplifes the feeling of peeking (2004-2016), Repeater Books, donc, alors même que le monde de l’art s’emparait ital tools as if net art had never existed, I was invited unauthorized in some secret laboratory. 2018. 3 Elizabeth Povinelli, majoritairement pour le moins maladroitement des to a humble video tour of Andrej Škufca’s solo show If the idea of an infrastructural-superstructural Geontologies: A Requiem to Late outils numériques comme si le net art n’avait jamais at the International Center of Graphic Arts (MGLC) in fusion seems to refer to Marxism on acid, it is perhaps Liberalism, Duke University existé, j’étais conviée à une visite vidéo toute simple Ljubljana. to better convey the idea, dear to Mark Fisher, of the Press, 2016, p. 167. du solo show d’Andrej Škufca à l’International Center While we were just beginning to open up perspec- plasticity of these structures.2 Confronting the immu- 4 Ian Evans, “‘Like a spiral UFO’: world’s longest animal of Graphic Arts (MGLC) de Ljubljana. tives in the thinking underlying his work (the animal- tability of capitalist realism with a spiritual plasticity discovered in Australian waters”, Tandis que l’on commençait en douceur à ouvrir ity of the machine, design as software, the sprawling probably required placing mineral oil, the mother of The Guardian, 15 avril 2020, des perspectives dans les questionnements sous- market forces trying to cover the smallest part of the all plastics, at the center of both the refection and https://www.theguardian.com/ environment/2020/apr/15/ jacents à son travail (l’animalité de la machine, le known universe...), the artist suddenly blurted out: “the the exhibition space. like-a-spiral-ufo-worlds-longest- design comme logiciel, les forces tentaculaires du sculptures are not there for humans, when humans The key to the massive expansion of capital was animal-discovered-in-australian- marché s’attachant à couvrir la moindre parcelle de interact with them, it’s a sort of second layer”. the discovery of a force of life in dead matter, or waters l’univers connu…), l’artiste lâcha brusquement : « les So, obviously, it was funny when the curator, life in the remainders of life: namely, in coal and 5 Keller Easterling, Medium Design, Strelka Press, 2018. sculptures ne sont pas là pour les humains, lorsque Àngels Miralda, elaborated on her personal expe- petroleum. Living fuel (human labor) was expo- 6 Elizabeth Povinelli, op. cit., les humains interagissent avec elles, cela créé une rience of the project, explaining that she had ulti- nentially supplemented and often replaced p. 20. sorte de strate supérieure ». mately curated the exhibition through video calls and by dead fuel (the carbon remainders of previ- Alors évidemment, ça a été drôle lorsque la cura- had not yet visited it herself.1 Then the artist added ously alive entities) even as the ethical problems trice, Àngels Miralda, a renchéri de son expérience that, of course, he too had been denied access to the of extracting life from life has been mitigated. personnelle du projet, expliquant qu’elle avait au exhibition space during the setting period which was Capitalism is an enormous smelter, shoveling into fnal curaté l’exposition par appels vidéo interposés unexpectedly interrupted by the spread of the virus its furnace the living and the dead.3 et ne l’avait elle-même pas encore visitée1. Et l’artiste that we know. Bodied like cars but at the same time evoking de rajouter que, bien sûr, lui aussi avait été interdit However, their idea to post teasers of the exhibi- what is now known as “the longest animal in the d’accès à l’espace d’exposition pendant la période de tion on YouTube was not a consequence of this mis- world”,4 Škufca’s sculptures are partially inspired montage, interrompue inopinément par l’expansion fortune, but rather the desire to expand the catalog in by the thinking of Keller Easterling, an architect du virus que l’on sait. other forms, for theory holds as important a place as who treats space as an information system5 and, Cependant, leur idée de diffuser des teasers de physicality in the work of the young Slovenian. for the frst time, their modules are presented as l’exposition sur YouTube n’était pas une conséquence A relatively simplistic reading of Black Market a single piece, linked by the smoothness of shiny de cette infortune mais bien plutôt l’envie d’étendre would no doubt see in the long, obscure tubular synthetic skin. le catalogue sous d’autres formes. Car la théorie tient forms winding their way through the exhibition space Capitalism sees all things as having the potential Vue de l’exposition Andrej Škufca, Black Market, une place aussi importante que la plastique dans MGLC, Ljubljana. Photo : Jaka Babnik. an infrastructural-superstructural fusion, so easy is the to create proft; that is, nothing is inherently inert, l’œuvre du jeune Slovène. analogy with submarine cables and pipelines that everything is vital from the point of view of capital- Une lecture relativement simpliste de Black underlie nothing less than the globalized way of life. ization [...] like the Virus that takes advantage but is Market verrait sans doute dans les longues formes But that would be to stop short at those surfaces that not ultimately wedded to the difference between tubulaires obscures serpentant dans tout l’espace one cannot help but want to touch. That’s because Life and Nonlife, Capital views all modes of existence d’exposition une fusion infrastructuro-superstructu- the sculptures are covered with all sorts of polymers as if they were vital and demands that not all modes relle tant l’analogie est aisée avec les cables sous-ma- embellished with a layer of ballistic gel, a material of existence are the same from the point of view of rins et les pipelines qui sous-tendent rien moins que designed to reproduce the characteristics of human extraction of value.6 le mode de vie mondialisé. Mais ce serait s’arrêter net fesh and used both to analyze the impact of ammu- Though the essay by critical theorist and anthro- à ces surfaces que l’on ne peut s’empêcher d’avoir nition on the body and for industrial crash tests. So pologist Elizabeth Povinelli from which these envie de toucher. C’est que les sculptures sont recou- yes, it’s gelled, it’s shiny and it’s soft. It smells strong last two quotes are taken is from 2016 and totally vertes de toutes sortes de polymères agrémentés too, it seems, and that’s what I missed the most on unrelated to Škufca’s work, I couldn’t have written d’une couche de gel balistique, cette matière vouée this visit, which could make me fancy using the word better with regards to Black Market. à reproduire les caractéristiques de la chair humaine et utilisée autant pour analyser l’impact de muni- tions sur le corps que pour des crash tests industriels. Alors oui, c’est gélifé, ça brille et c’est doux. Ça sent combustible vivant (le travail humain) a été com- fort aussi, à ce qu’il paraît, et c’est bien ce qui m’aura plété de manière exponentielle, et souvent rem- manqué le plus dans cette visite que je me ferai dès placé, par du combustible mort (les restes de lors un plaisir de qualifer de « virtuelle ». Ça senti- carbone d’entités qui avaient été vivantes), alors rait presque au travers de l’écran, tant dans l’espace même que les questions éthiques liées à l’extrac- 1 Happy end : elle est parvenue à blanchi à l’extrême, comme artifciellement éclairci tion de vie de la vie perdaient en force. Le capita- le faire juste avant le démontage. 2 Voir Mark Fisher, introduction — enfn, je veux dire, numériquement, puisque la pein- lisme est une énorme fonderie qui enfourne les to Acid Communism, dans 3 ture blanche est tout de même un artifce — la pré- vivants et les morts . Mark Fisher, Darren Ambrose, sence sinueuse s’impose. L’effet d’un espace 3D dans Carossées comme des voitures mais évoquant dans Simon Reynolds (ed.), k-punk: lequel la présence humaine ne serait que tolérée, le même temps celui que l’on nomme désormais The Collected and Unpublished 4 Writings of Mark Fisher domine. Alors, y apercevoir quelques êtres mouvants, « le plus long animal du monde », les sculptures de (2004-2016), Repeater Books, masqués et porteurs de couvre-chaussures, ne fait Škufca se réclament notamment de la pensée de 2018. évidemment qu’amplifer la sensation de jeter un œil Keller Easterling, architecte qui traite l’espace comme 3 Elizabeth Povinelli, 5 Geontologies: A Requiem non autorisé dans quelque laboratoire secret. un système d’information , leurs modules pour la pre- to Late Liberalism, Duke Si l’idée d’une fusion infrastructuro-superstruc- mière fois présentés comme d’un seul tenant, reliés University Press, 2016, p. 167. turelle semble renvoyer à un marxisme sous acide, par la suavité de la peau synthétique luisante. (trad. de l’auteure) c’est peut-être pour mieux transmettre l’idée, chère Le Capitalisme considère que toute chose a le 4 Ian Evans, « ‘Like a spiral UFO’: 2 world’s longest animal discovered à Mark Fisher, de plasticité de ces structures . Contrer potentiel de créer du proft, c’est-à-dire que rien in Australian waters », l’immuabilité du réalisme capitaliste par une plasti- n’est intrinsèquement inerte, que tout est vital The Guardian, 15 avril 2020, cité spirituelle nécessitait sans doute de placer l’huile du point de vue de la capitalisation [...] comme le https://www.theguardian.com/ environment/2020/apr/15/ minérale mère de toutes les matières plastiques au Virus qui profte de la différence entre la vie et la like-a-spiral-ufo-worlds- centre de la réfexion comme de l’espace d’exposition. non-vie mais n’est fondamentalement pas atta- longest-animal-discovered-in- La clé de l’expansion massive du capital a ché à celle-ci, le Capital considère tous les modes australian-waters été la découverte d’une force de vie dans la d’existence comme s’ils étaient vitaux et réclame 5 Keller Easterling, Medium Design, Strelka Press, 2018. matière morte, ou de la vie dans les restes de que tous les modes d’existence ne soient pas les 6 Elizabeth Povinelli, op. cit., la vie : à savoir, dans le charbon et le pétrole. Le mêmes du point de vue de l’extraction de valeur6. p. 20. Views of the exhibition Andrej Škufca, Black Market, MGLC, Ljubljana. Photo : Jaka Babnik. 7878reviews 7979reviews

1. Ken Okiishi, A Model Childhood, 2018-2020. © Ken Okiishi. Photo : Jeanchristophe lett / Manifesta

2. Archive invisible, B. Vice Sound Musical School, Tiers-QG. © VOST

3. Stine Marie Jacobsen, Group-Think, 2020. © Stine Marie Jacobsen

1. 2. 3.

Manifesta 13 par / by Patrice Joly Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Marseille, divers lieux / various venues Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain du Havre, 2019. du Havre, 2019. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette 13e édi- programme, initiative de médiation entre le pro- est suffsamment politique sans qu’il soit nécessaire Avec Signal, au Panorama, les deux commissaires tion de la biennale nomade nous a laissé un peu sur gramme central de la biennale et la ville de Marseille) d’affcher plus amplement cette dimension risque ici belgo-françaises Aurélie Faure et Lola Meotti réalisent notre faim… Faim de projets décoiffants, d’initiatives qui présentait, sous la forme d’un display d’archives de décevoir les uns et les autres qui ne trouveront pas une belle réfexion sur une impossible défnition de déroutantes, de grands gestes ou simplement d’une diverses, l’histoire de l’association B-Vice2 qui a brus- de quoi se sustenter dans les propositions artistiques ce qu’est un signal, ni langage ni symbole mais pure exposition proposant des problématiques formelles quement évolué un matin de 1992 lorsque l’un des et se verront opposer, pour les défenseurs d’une plus communication, rassemblant des œuvres d’artistes actuelles. membres de l’équipe fondatrice fut assassiné par les large implication de l’art dans la cité, le contre-argu- de la scène bruxelloise : paraboles désorientées de À la décharge des organisateurs, cette édition n’a colleurs d’affches du Front National. Cet épisode tra- ment de son éphémérité. Younès Baba-Ali évoquant l’errance des migrants, pas bénéfcié des meilleurs auspices : la covid 19 est gique a transformé radicalement les objectifs de cette C’est un peu comme si la biennale avait confé cabane éclatée de Claude Cattelain, vidéo hilarante passée par là compliquant sérieusement l’organisa- structure qui, jusqu’alors, se souciait avant tout de pro- le job aux autres acteurs de la ville. Proftant de l’ef- d’Anna Raimondo et flm hypnotique d’Armand tion de la biennale. Toujours est-il que de rares pro- curer du matériel d’enregistrement aux musiciens des fet Manifesta, ce sont effectivement les lieux « habi- Morin nous livrant la vision nostalgique d’un monde positions étaient prévues pour étancher une soif de quartiers nord de la ville. Coco Velten, autre adresse tuels » de Marseille qui ont assuré le spectacle. en délitement… découverte excitée par des mois de teasing inten- du Tiers Programme, présentait deux propositions, Incontestablement, c’est la Friche la Belle de Mai Hors de ces propositions plus ou moins fortement sif et de promesses de manifestations hors du com- l’une du collectif Peuple et Cultures, consistant en un qui représente le cœur innovant et percutant de la ancrées dans le vaisseau de la biennale, d’autres expo- mun. Les expositions de Nicolas Floc’h au Frac Paca récit détaillé, par les témoins mêmes, de l’effondre- scène marseillaise avec aux avant-postes l’association sitions méritaient de retenir l’attention : au Salon du et Refuge au Musée Cantini n’ouvrant qu’à la fn du ment d’une des maisons de la rue d’Aubagne, celle-là Triangle qui présentait deux expositions. Sur pierres Salon, on retrouvait un Arthur Gillet haut en couleurs mois de septembre, l’appréhension d’ensemble de même qui a suscité tant d’émoi parmi la popula- brûlantes rassemblait les travaux des résidents de et tout en textiles imprimés revisitant allègrement la biennale devenait de fait impossible, nous faisant tion marseillaise : une œuvre sonore et sans conces- la Friche dédiés au « brasier » marseillais : ici, pas de les mythes fondateurs de la Grèce antique à la lueur nous poser la question de la pertinence d’un voyage sions qui ne manque pas de pointer la responsabilité 1 PAC est le Printemps de l’Art parti pris curatorial prégnant mais une scénographie d’une lecture hétérodécentrée de ces derniers. de presse à cette époque plutôt qu’à la mi octobre. des dirigeants de la ville. Sur le toit de l’immeuble, Contemporain qui regroupe légère encadrée par les tentures / voilures d’Adrien À Atlantis, pour la dernière exposition avant fer- Seuls le Tiers QG et The Home au musée Grobet- ancienne friche industrielle désormais vouée à l’ani- une soixantaine de structures Vescovi, et des artistes confrmé·e·s comme Madison meture de l’ultime lieu en activité de la rue du de la ville et qui a été déplacé Labadié étaient livrés à nos appétits de critiques et il mation « socio-culturelle » du quartier, était projetée en raison de la covid 19 au mois Bycroft en côtoyant de plus jeunes dans un parcours Chevalier Roze, Wilfrid Almendra se livrait à une faut avouer que cette dernière en particulier était loin une vidéo de l’artiste danoise Stine Marie Jacobsen, de septembre ; les Parallèles parfaitement rythmé. Remarquables étaient l’œuvre attaque en règle des locaux, boursoufant des piliers d’être à la hauteur de nos attentes : il n’est pas sûr que Group Think, qui proposait, via une chorégraphie per- du Sud sont les manifestations de Victoire Barbot dont le mur en brique de mousse de soutènement, reconstruisant une allée dallée parallèles à la biennale qui ont été les problèmes liés à la pandémie suffsent à excuser formée par de jeunes acteurs, de répéter les gestes programmées par les structures forale rejouait subtilement le sujet de prédilection ou encore installant une cimaise en plein milieu de la pauvreté conceptuelle de l’exposition du musée de préparation à la manifestation : indispensable en en région Sud : 85 projets ont de Rodin, la Divine comédie, tout en revisitant bas et l’expo : le néo-marseillais déployait toute la gamme Grobet-Labadié. cette période de régression des libertés ! été retenus et ont reçu le soutien haut relief, entre cimaise et sculpture, de même que d’un vocabulaire sculptural qui puise indifférem- Le principe d’investir des lieux historiques de Le parti pris de Manifesta de mettre en place un de la région, dont 51 rien la vidéo de Caroline Mesquita, mixte de King Kong et ment aux jardins ouvriers, aux statues décoratives qu’à Marseille ; les ouvertures Marseille, à la fois pour faire découvrir les joyaux patri- programme de recherche en amont (six mois avant le d’ateliers d’artistes (OAA) de Frankenstein qui réactualisait la vieille ritournelle des pavillons de banlieue mais aussi, de manière moniaux de la ville et pour sortir des lieux communs début de la biennale) trouve sa place dans un disposi- organisées par le Château de de La Belle et la Bête. Mais le plus prenant était cer- plus inattendue, au plumage du paon. L’artiste a de monstration de l’art, trouve ses limites dans la tif qui privilégie un état des lieux social, urbanistique, Servières profitaient également tainement la séquence qui voyait se succéder They multiplié les pistes de lectures, mêlant adroitement de l’événement Manifesta pour noyade qu’il fait subir à des œuvres par ailleurs inté- géographique et culturel de la ville. Ce virage qui est ouvrir les portes de plus d’une are the Ink de Nicolas Daubanes prolongeant là sa la matière inerte à l’animale pour créer des hybrida- ressantes comme celles de Jana Euler ou de Ken désormais le principe directeur de la biennale avait cinquantaine d’ateliers pour réfexion sur la Résistance, le flm de la marseillaise tions fulgurantes, invitant les visiteurs, tentés de voir Okishi. La proposition de Martine Derain, activiste déjà été pris lors de la 12e édition, celle de Palerme, 180 artistes répartis dans tous Sara Sadik qui rebat les cartes et les clichés de la dans le strip-tease des vêtements en fonte jetés au de Centre Ville pour Tous, réduite à la présentation qui avait vu de nombreuses investigations similaires les quartiers de la ville. banlieue et enfn les très troublantes vidéos de Maïa sol, à dépasser la métaphore du dépouillement de 2 L’association B-Vice Sound de quelques photos réparties dans les escaliers du se mettre en place, comme celles concernant les Musical School a été fondée par Izzo-Foulquier qui affchent crûment une condition l’artiste, pour n’y voir que la pure jubilation formelle musée Grobet-Labadié et autres pièces attenantes, « problèmes » de migration, donnant lieu à des propo- Soly à la Savine (quartiers nord d’artiste et de prostituée en adressant un message d’associations inédites. Pour Yoan Sorin et Io Burgard, aurait mérité un meilleur traitement, compte tenu de sitions artistiques d’ampleur sans rogner sur les préoc- de Marseille) pour subvenir on ne peut plus direct aux violeurs et agresseurs de Paris Marseille est une fête et les deux artistes avaient au demandes croissantes l’action militante et artistique de la marseillaise. cupations politiques. Ce positionnement ne laisse pas des jeunes musiciens en matière tout crin. Pour revenir sur le parti-pris de Manifesta rendu ce nouveau slogan particulièrement effectif en La deuxième étape du programme offciel (qui, de poser des questions sur la part laissée aux gestes de matériel d’enregistrement. d’appréhender la ville d’une autre manière que par faisant de la galerie Où une agence pour des voyages il faut l’avouer, fut bien diffcile à isoler de la stra- artistiques : n’est-ce pas le rôle des organes politiques, Elle a compté parmi ses rangs celle de l’exposition « classique », il est tentant de artistiques de (grande) proximité et en impliquant les tifcation expositionnelle de cette fn d’été, entre partis, associations, ONGs, de mener ces réfexions des hip hopeurs comme considérer que ces deux artistes peuvent parfaite- commerçants du quartier invités à participer de cette Akhenaton et a largement PAC, Parallèles du Sud, OAA et autres manifesta- et ces actions ? Le vieux débat qui oppose partisans participé au développement ment représenter, sans toutefois la résumer, la condi- généreuse animation qui se termina en un inévitable tions annexes1…) était celle du Tiers QG (QG du Tiers d’une scène « politisée » à ceux qui estiment que l’art de la scène musicale marseillaise. tion féminine et banlieusarde de la cité phocéenne… karaoké… 8080reviews 8181reviews

The least we can say is that this 13th nomadic biennial for musicians in the city’s northern neighbourhoods. 1 PAC is the Printemps d’Art decision, but rather a light scenario framed by Adrien cabin, Anna Raimondo’s hilarious video, and Armand left us hungry for a little more… Hungry for exciting Coco Velten, another spot of the Tiers Programme, Contemporain/Contemporary Vescovi’s hangings/sails, and other established artists Morin’s hypnotic flm, offering us a nostalgic vision of Art Spring, which brings together projects, disconcerting ideas, grand gestures or sim- put forward two proposals, one from the Peuple et some sixty organizations like Madison Bycroft, rubbing shoulders with young a crumbling world… ply an exhibition dealing with current formal issues. Cultures collective, consisting in a detailed account, in the city, and which has been artists in a perfectly paced circuit. Outstanding were Apart from these proposals more or less frmly To be fair to the organizers, this Manifesta has not narrated by actual witnesses, of the collapse of one postponed because of Covid-19 the work by Victoire Barbot, whose foral foam brick rooted in the biennial’s main programme, other enjoyed the best of auspices: Covid-19 paid a visit, of the houses in Rue d’Aubagne, the same one that to the month of September; wall subtly replayed Rodin’s favourite subject, The shows deserved our attention: at the Salon du Salon, the Parallèles du Sud are seriously complicating the biennial’s organization. had given rise to so much commotion among the alternative events in the biennial Divine Comedy, while at the same time revisiting low we came upon a most colourful Arthur Gillet, with The fact nevertheless remains that a few proposals people of Marseille: an uncompromising sound work which have been programmed and high relief, between wall and sculpture, just like lots of printed fabrics merrily re-visiting the found- were planned to quench a thirst stirred by months which unhesitatingly pointed a fnger at the munic- by organizations in the Sud Caroline Mesquita’s video, a mixture of King Kong ing myths of ancient Greece in the light of a “hetero- region: 85 projects have of intensive teasing and promises of unusual events. ipal offcials responsible. On the roof of the building, been accepted and received and Frankenstein, which re-updated the old refrain decentric” reading of these latter. At Atlantis, for the The solo show of Nicolas Floc’h at the FRAC Paca and set on an old plot of industrial wasteland henceforth the backing of the region, of Beauty and the Beast. But the most engaging last exhibition before the closing of the last active the group show Refuge at the Musée Cantini will not earmarked for “socio-cultural” activities in the neigh- 51 of them just in Marseille; moment was undoubtedly the sequence successively venue on Rue du Chevalier Roze, Wilfrid Almendra be opening until late September, so any overall grasp bourhood, a video was screened, made by the Danish the openings of artists’ galleries involving Nicolas Daubanes’ They are the Ink, extend- indulged in a standard attack of the premises, puff- (OAA), organized by the Château of the biennial in fact became impossible, causing artist Stine Marie Jacobsen, titled Group Think, which, de Servières, also profited from ing his line of thinking about the Resistance, the ing the supporting pillars up, reconstructing a paved us to wonder about the relevance of a press trip at by way of a dance performed by young actors, pro- the Manifesta event to open flm by the Marseille-based artist Sara Sadik, which walk, or installing a picture rail slap bang in the mid- this time rather than in mid-October. Only the Tiers posed repeating the protest’s preparatory moves: so the doors of more than 50 studios reshuffes the cards and clichés about the suburbs, dle of the show: the neo-Marseille artist unfurled the for 180 artists scattered QG and The Home at the Grobet-Labadié museum vital in this period of receding freedoms! throughout all the city’s districts. and, last of all, the very disturbing videos of Maïa Izzo- whole range of a sculptural vocabulary drawing wil- were offered as tidbits for our critics’ appetites, and Manifesta’s decision to set up in advance (six 2 The B-Vice Sound Musical Foulquier, which crudely display an artist’s and pros- ly-nilly from allotments, from the decorative statues it must be admitted that this latter, in particular, was months before the biennial opened) a research pro- School association was founded titute’s condition by addressing an extremely direct outside suburban homes, but also, and more unex- far from coming up to our expectations: we cannot be gramme has its place in a system favouring a social, by Soly in the Savine (Marseille’s message to rapists and assailants of every kind. To pectedly, from a peacock’s plumage. The artist has northern neighbourhoods) sure that the problems associated with the pandemic urbanistic, geographical and cultural inventory of the to meet the growing demands come back to Manifesta’s decision to deal with the multiplied the meanings, skilfully mixing inert mat- are enough to excuse the conceptual skimpiness of city. This turning-point, which is now the guiding prin- of young musicians for recording city in a manner other than that of the “classic” exhi- ter with animal matter to create dazzling hybridiza- the show in the Grobet-Labadié museum. The princi- ciple of the biennial, had already been reached in the equipment. Among its ranks bition, it is tempting to think that these two artists tions, inviting visitors, tempted to see in the striptease th number hip-hop artists like ple of occupying historic venues in Marseille, both to 12 Manifesta, held in Palermo, which saw many sim- Akhenaton, and it has taken may perfectly represent the female and suburban cast-iron clothes tossed onto the foor, to get beyond discover the city’s patrimonial gems and to get away ilar investigations being introduced, such as those an active part in the development condition in the Phocaean city, but without reca- the metaphor of the artist’s bareness, and see in it just from the commonplaces of art displays, comes up to do with the “problems” of migration, giving rise of the Marseille music scene. pitulating it… With Signal, at the Panorama, the two the sheer formal celebration of novel associations. For against its limits in the overkill to which it has sub- to major artistic propositions, without economizing Franco-Belgian curators Aurélie Faure and Lola Meotti Yoan Sorin and Io Bugard, Paris Marseille is a move- jected albeit interesting works, such as those of Jana on political preoccupations. This stance raises ques- have come up with a beautiful thought about an able feast, and the two artists made this new slogan Euler and Ken Okishi. The proposal made by Martine tions about the place left for artistic gestures: isn’t it impossible defnition of what a signal is, neither lan- especially effective by turning the Où gallery into an Derain, an activist involved with Centre Ville pour the role of political agencies, parties, associations and guage nor symbol, but pure communication, bring- (extremely) local artistic travel agency, and by involv- Tous, reduced to the presentation of a few photos on NGOs to undertake such refection and action? The ing together works by artists in the Brussels scene: ing the neighbourhood’s shopkeepers, invited to take view here and there in the museum’s stairways and old debate that pits supportersStephan Balkenhol,of a “politicized” Relief, tête femmescene (beige) , détail, 2010. Younes Baba-Ali’s disoriented parables conjuring up part in this generous eventStephan that Balkenhol, culminated Relief, tête femme in an (beige) , détail, 2010. adjoining rooms, would have deserved a better treat- against people who reckonBois that d’abachi art peint,is political 80 × 60 ×enough, 2 cm wandering migrants, Claude Cattelain’s exploded inevitable karaoke… Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. ment, bearing in mind the militant and artistic action without it being necessaryVue tode l’exposition.display this © Le dimension Portique centre régional d’art contemporain Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain of the Marseille-based artist. more fully, here risks disappointingdu Havre, 2019. both sides who du Havre, 2019. The second stage of the offcial programme will not fnd enough to sustain themselves in the (which, it must be said, was quite diffcult to single artistic proposals and will fnd themselves opposed, out in the end-of-summer exhibition layering, includ- for the defenders of a wider involvement of art in the ing PAC, Parallèles du Sud, OAA and other related city, to the counter-argument of its ephemeral nature. events1…) involved the Tiers QG (QG du Tiers pro- It’s a bit like the biennial had given the job to other gramme, a mediation project between the biennial’s municipal fgures. Making the most of the Manifesta 4. Wilfrid Almendra, So Much central programme and the city of Marseille) which, effect, it is actually Marseille’s “usual” venues that Depends Upon a Red Wheel in the form of a display of various archives, presented have guaranteed the spectacle. It is indisputably Barrow, 2020. the history of the B-Vice2 association, which abruptly the Friche la Belle de Mai that represents the inno- Pierre de Bavière, tôle ondulée, plume de paon, cuivre, silicone, evolved one morning in 1992, when one of the mem- vative and hard-hitting heart of the Marseille scene, ciment, fonte d'aluminium, acier, bers of the founding team was murdered by National with, in the vanguard, the Triangle association which peinture, néon, granite, boite Front bill-posters. That tragic episode radically altered presented two shows. Sur pierres brûlantes brought de doliprane / Bavarian stone, the goals of that organization, which had hitherto together the works of La Friche residents devoted to corrugated iron, peacock feather, copper, silicone, cement, cast been concerned with obtaining recording equipment the Marseille “bonfre”: here, no meaningful curatorial aluminium, steel, paint, neon, granite, doliprane packaging. Atlantis, Marseille, 27.08-28.11.2020, Manifesta 13 / Les Parallèles du Sud. Photo : Aurelien Mole.

5. Maïa Izzo-Foulquier, Curriculum vitae (pute et peintre), 2017. Performance filmée / filmed performance.

6. 7.. 6. Io Burgard & Yoan Sorin, D’ici la vie ailleurs OÙ, Marseille Manifesta 13, Les Parallèles du Sud. Photo : Marc-Antoine Serra.

7. Arthur Gillet, La lessive. Je vais me faire appeler Arthur, Salon-du-Salon#25, 22.08-15.09.2020. Photo : Philippe Munda.

8. Atelier de Kevin Rouillard dans le cadre des Ouvertures d’Atelier d’Artistes / Kevin Rouillard’s studio during open studios.

9. Armand Morin, Les Oiseaux, 2019. Vidéo 10’, produite avec le soutien de la Drac Nouvelle Aquitaine et de Memento, espace d’art contemporain de Auch / produced with the support 4. 5. 8. 9. of Drac Nouvelle Aquitaine and Memento, Auch. 8282reviews 8383reviews

L’annonce de l’exposition Kiss of Life de Louise Sartor Le titre de l’exposition en dit déjà long sur un travail fut d’abord surprenante pour qui connaît l’appé- Louise Sartor qui se place résolument du côté de la littérature et de Joana Hadjithomas tence du Consortium pour une peinture de grand for- la poésie, l’adverbe fxement peut même apparaître mat, bien adaptée aux volumes de ses espaces. Au Kiss of Life comme un véritable programme pour des artistes qui & Khalil Joreige contraire, celle de Louise Sartor s’est d’emblée affr- privilégient la mémoire, le temps et la riche histoire J’ai regardé si fxement mée par son opposition aux canons traditionnelle- par Benoît Lamy de la Chapelle d’une Méditerranée qui imprègne profondément ment dévolus à ce médium : les œuvres sont petites, leurs œuvres. La directrice du Frac Corse, Anne la beauté fragiles, traitées avec une grande précision dans Consortium Museum, Dijon, 13.03 – 18.10.2020 Alessandri, souhaitait inviter le couple de Beyrouthins une veine classique. Les supports sont inhabituels, après leur avoir acheté une œuvre (En attendant les allant du carton de paquet de gâteaux à une vieille Barbares) mais aussi parce qu’il semble bien que la par Patrice Joly paire de tennis, du papier Canson déchiré à la boîte Corse et le Liban partagent, au-delà d’une histoire à œufs ou encore à une pelle à crottes de chien… Si commune — celle de la Méditerranée et de tout ce Frac Corse, Corte, 7.07 – 24.10.2020 elle prête une grande attention à l’histoire de la pein- qu’elle charrie en matière de récits, de mythes, de ture, même ante modernité, l’artiste se désintéresse voyages imaginaires et d’exploits —, une situation en de la toile tendue sur châssis dans laquelle l’amateur partie comparable qui est celle de territoires péri- est habituellement invité à s’abîmer. On peut dès phériques, plus ou moins délaissés par sa métropole lors se demander si les espaces du Consortium ne pour la Corse, plus ou moins abandonné à son sort sont pas disproportionnés, si montrer de telles pein- par ses anciens « parrains » pour le Liban. Pour les tures comme on montre de grands formats s’avère deux contrées, on imagine un même sentiment de judicieux. En pénétrant dans la salle principale, on défance envers un néo-colonialisme enfoui toujours constate d’abord qu’on ne peut distinguer aucun prêt à ressurgir, bien qu’en ce qui concerne la Corse il sujet à première vue. L’ensemble s’apparente à un soit compliqué de parler de colonialisme. Au-delà de espace où seraient mis en vente des smartphones ces rapprochements d’ordre géopolitique, il semble et des tablettes. Rappelons ici que les formats choi- exister chez les Corses comme chez les Libanais une sis par l’artiste sont effectivement proches de ceux nostalgie partagée d’un passé que l’on se plaît à ima- de nos écrans quotidiens. Aussi n’est-ce peut-être giner glorieux pour les uns, plus apaisé et harmonieux pas un hasard si la visite de l’exposition commence, pour les autres, mais aussi une nostalgie d’une com- étrangement, avec deux tablettes numériques dif- munauté culturelle idéale, rêvée plus que réelle, dont fusant un nombre incalculable de dessins digitaux… les origines se perdent dans les limbes et les remous Ceux-ci sont réalisés par l’artiste sur ce même type d’une mer traversée de part en part par d’innom- d’outil, pendant l’exposition, et mis en ligne directe- brables peuples de marins, des Grecs aux Génois, des ment de « l’atelier » à la salle d’exposition (sans l’aval Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. Normands aux Phéniciens. Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. du commissaire). Ces dessins, l’artiste les considère Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Comme l’écrit la curatrice et donc directrice des Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. comme des esquisses qui, situées au début du par- Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain lieux, l’exposition est un parcours narratif que ponc- Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain cours, évoquent leur apparition en amont dans le pro- du Havre, 2019. tuent les œuvres comme autant de pauses néces- du Havre, 2019. cessus de création. saires. L’œuvre d’Hadjithomas et Joreige est un WHERE IS MY MIND?, installation vidéo, 2020. Trois écrans HD synchronisés 200 × 1100 cm. Ce préambule interroge sur le statut de ces « pein- plaidoyer en faveur d’une réconciliation des peuples Image : Karl Bassil, Joana HadJithomas, Khalil Joreige Effets visuels : Laurent Brett (Brett & Cie). tures » digitales qui, si elles s’avèrent un peu kitsch à qui bordent cette mare nostrum, d’une libération Musique et Mixage : Olivier Goinard © Joana Hadjithomas & Khalil Joreige. première vue, deviennent très séduisantes au cours des esprits et des corps de toutes les menaces et de du visionnage. Bien que hiérarchiquement infé- toutes les lourdeurs qui pèsent sur la grande majo- famille fut aussi sommée de quitter la ville, chassée rieures aux peintures physiques, elles fnissent néan- rité des peuples Méditerranéens, ce qui fait que cette par l’armée turque. Ni l’une ni l’autre ne connaissent moins par apparaître tout aussi intéressantes, autant narration a parfois les couleurs de l’utopie. Leur tra- Izmir autrement que par sa recréation imaginaire, à dans leur traitement que dans leurs coloris. On se vail est profondément imprégné de tous les bou- base de documents d’archives, de photos, de récits demande alors si les numériques ne valent pas les Louise Sartor, Cape Cod Morning, 2019. leversements qui affectent leur pays. Comment véhiculés par les membres de leurs deux familles, matérielles… Que vaut encore la peinture réelle quand © GRAYSC extraire de ce chaos une possible beauté, la pré- une matière qui devient le fond de leur dialogue, les artistes fnissent par si bien maîtriser les outils server, la fxer, lorsque tout se dérobe sous vos pied, réfexion sur la transmission d’une mémoire et de technologiques ? lorsque la catastrophe frappe un pays déjà éprouvé destins confsqués sur fond d’évocation des boule- Quoi qu’il en soit, cette entrée en matière dénote et fatigué par l’incurie de dirigeants uniquement pré- versements qui ont ébranlé cette ancienne perle de un fort intérêt de Louise Sartor, non pas spécifque- occupés par la conservation de leurs privilèges ? La la Méditerranée. En attendant les Barbares est une ment pour les images diffusées en ligne (pour une stratégie des artistes consiste entre autres à s’extraire photo animée — technique qui consiste à flmer des artiste de sa génération, cela serait un pléonasme), du traitement habituel — mélange d’apitoiement et photos superposées pour en faire une vidéo — et l’im- mais pour la variété des formats d’accès aux images. son œil les capte avec justesse et retient ce qu’elles de spectaculaire — du malheur des autres : dans la pression qui en ressort est celle d’une ville vibrante, Elle ne se contente en effet pas seulement de tirer ses ont de plus touchant esthétiquement. Plus loin, ses vidéo Se souvenir de la lumière, il est bien évidem- respirant au rythme des changements d’heure et sujets d’images trouvées sur internet ou prises avec nus féminins sont moins portés sur le sexe que sur ment question d’un drame qui endeuille la mer, qu’il de luminosité. Là encore est convoquée, de manière son smartphone, elle en exploite également le for- un certain érotisme soft, proche de celui admis par n’est plus nécessaire de nommer et qui renvoie à plus métaphorique que brutale, l’idée d’une stratif- mat. Ainsi, chacune de ses œuvres peut se tenir dans les réseaux sociaux, permettant à l’artiste d’insister notre impuissance et indifférence d’européens nan- cation de la population beyrouthine, sédimentation la main, ses sujets sont quasiment photographiques, sur une présence poétique du corps plutôt que sur tis. Hadjithomas et Joreige ne jugent pas, ne donnent multiculturelle au fondement de son développement. sans verser dans l’hyperréalisme pour autant puisque un désir libidinal. On remarquera parmi eux celui pas dans le spectaculaire, ils se contentent d’une sub- Poésie encore que la volonté de redonner vie à cette la touche demeure légèrement naïve à la manière peint sur un morceau de polystyrène arraché dont la tile approche qui permet de transfgurer le drame. épopée libanaise de la conquête de l’espace : The d’un Maurice Utrillo. surface granuleuse donne à la peau du sujet un effet Dans les profondeurs, la couleur disparaît à mesure Golden Record est une tentative de réécrire le récit Louise Sartor ne réalise pas des peintures vaporeux surprenant. que l’intensité lumineuse diminue. Cette disparition offciel de cette conquête par les deux superpuis- d’« images » et n’aspire pas à questionner leur mode De manière générale, les sujets choisis sur- de la couleur des vêtements peut s’entendre comme sances de l’époque en rappelant le projet spatial liba- de diffusion. Elle se plaît à ré-exploiter les grands prennent par leur prosaïsme et il serait vain de le signe d’une perte d’identité : redonner de la couleur nais de s’immiscer dans la grande histoire, tentative thèmes historiquement associés à son médium (le leur chercher une correspondance symbolique. Ils à ces corps en train de sombrer en les mettant dans qui fut vite écartée par ces mêmes puissances. Enfn, paysage, la nature morte, le nu féminin, le portrait en semblent avant tout renvoyer à ce qu’ils sont : un bar la lumière d’un puissant projecteur est une manière, la dernière étape de ce parcours nous ramène vers pied…), tout en les traitant de manière irrévérencieuse PMU au bord d’une plage, une église de campagne, symbolique et poétique, de les faire revivre : certes, un des thèmes favoris des deux artistes, l’archéolo- grâce à l’utilisation de supports d’une grande préca- des peupliers et des cyprès dans le feuillage desquels redonner de la couleur aux vêtements de ceux qui gie. Pour Where is my mind (2020), Hadjithomas et rité dont la pérennité peut être mise en doute[1]. Sa on entendrait presque le bruit du vent… Ses portraits les ont portés ne permet pas de faire revivre les indi- Joreige se sont appuyés sur la riche dotation en sculp- peinture ne rend donc pas hommage à la tradition (souvent d’amis chers) demeurent de même énig- vidus mais participe d’une espèce de cérémonial où tures antiques du musée d’histoire d’Izmir, redonnant 1 Notons que si Louise Sartor mais vient la placer à sa juste position, au niveau d’une matiques, inaccessibles. Le regard se déplace alors n’encadre jamais ses œuvres, il s’agit avant tout de lutter contre l’oubli… La beauté à ces statues décapitées de nouvelles identités via le certaine intimité, d’un rapport partagé par tout un sur des surfaces sans profondeur, une peinture-plan l’exposition nous révèle que ainsi fxée participe d’un élan mémoriel sans tomber « recollement facial » permis par les manipulations chacun dans une vie faite de déplacements, de ren- dont la perspective ne saurait être d’une grande aide les collectionneurs le font dans l’exploitation morbide des sentiments. sur l’image, mais la prouesse technologique devient une fois leur acquisition faite. contres et d’expériences. Elle n’encense pas le beau pour en saisir le sens supposé. Il ne s’agit pourtant L’ensemble des œuvres La poésie semble défnitivement le seul remède aussi la source d’une interrogation plus profonde sur par le grandiose mais elle y tient malgré tout, évi- pas ici d’une faiblesse mais d’une force, celle d’une encadrées, une série de nus à la violence des déracinements et des tourbillons le risque que ces technologies contemporaines nous tant par là de sombrer dans le morbide et la dépres- manière de peindre ayant assimilé la puissance virale féminins, a été rassemblé de l’histoire. Ismyrne donne voix à la grande poé- font courir, une vidéo en forme de parabole sur la des- sion, si tentants actuellement. Ses vues urbaines, des images en ligne : une manière de peindre qui ne sur un même pan de mur afin tesse Etel Adnan dont la famille grecque dut s’exi- tinée de nos sociétés, de plus en plus dépendantes de d’atténuer l’effet perturbateur vides de présence humaine, ne représentent pas se laisserait pas dicter quel devrait être le nouveau des cadres sur la cohérence ler au Liban après la chute de l’Empire Ottoman ; sa ces grandes entreprises qui s’immiscent jusque dans des sujets d’une grande beauté en eux-mêmes mais régime des images. de l’accrochage. vie ressemble à celle de Joana Hadjithomas dont la la construction de nos identités. 84reviews 85reviews

Le Voyage à Nantes par Vanessa Morisset

Au sein du parcours estival, artistique et touristique du Voyage à Nantes, des œuvres parsemées dans l’espace public — certaines immédia- célèbre Manneken-Pis de Bruxelles) —, attirent la curiosité des passants et les sensibilisent à l’art. En y consacrant plus temps, c’est-à-dire tement accessibles et séduisantes (le Rideau cascade devant la façade du Théâtre Graslin de Stéphane Thidet), d’autres plus discrètes et en rentrant dans les lieux dédiés ou partenaires du VAN, on peut découvrir, cette année en tout cas, des artistes et des points de vue qui plus corrosives (la petite pisseuse debout en grès émaillé rose d’Elsa Sahal, placée dans la fontaine de la place Royale, pendant féminin du ouvrent des perspectives plus complexes.

d’activation automatique des pièces selon un ordre programmé regard, une introduction. Les commissaires ont choisi d’y montrer Martine Feipel et Jean Bechameil par les artistes. Évocation du rapport de l’art à la machine contem- Archipel, fonds de dotation tout simplement la récurrence du motif de la fgure humaine, par porain des automatismes surprenants de la domotique naissante Jean-Jacques Lebel le biais de tableaux de Victor Brauner, Erró ou Camilla Adami. Puis, Automatic Revolution chez Jacques Tati, de la broyeuse de chocolat de Duchamp aux pre- dans une alternance de salles thématiques et monographiques tout HAB galerie, Nantes, 8.08 – 1.11.2020 mières œuvres mécaniques de Jean Tinguely au milieu des années autour, sont présentés des moments, des étapes, des fgures mar- 1950, ces mises en mouvement nous replongent dans l’histoire de Musée d’arts de Nantes, 17.07 – 18.10.2020 quantes dans la formation puis dans la pratique de l’artiste. l’art du XXe siècle, avec néanmoins la distance de l’effet de citation, Une première salle est consacrée à dada et au surréalisme (Lebel des contraintes propres à notre époque et une ligne esthétique a fréquenté Breton), mais c’est un surréalisme bien moins ortho- décalée par rapport à celle de la modernité. doxe que celui que l’on connaît par cœur. Un portrait de Guillaume Du point de vue esthétique justement, certaines œuvres, par Apollinaire revenant blessé de la guerre, réalisé en 1916 par Irène exemple le grand bas-relief en résine et époxy intitulé Electric Lagut (dont Apollinaire avait organisé une exposition) est à la fois Ellipse (2017), rappellent l’art géométrique du groupe Abstraction- drôle et touchant, peint dans un style naïf qui n’a rien à envier à celui Création, notamment les compositions d’Auguste Herbin et, de du Douanier Rousseau ou de Foujita. On voudrait bien voir ce portrait ce fait, nous font voyager dans le temps. Mais à la différence des en couverture des éditions du poète pour remplacer la sempiternelle œuvres d’Herbin ou de Dewasne, la gamme chromatique pastel reproduction de celui peint en ombre chinoise par De Chirico. et délicate choisie par les artistes n’a plus rien à voir avec les cou- Dans les salles qui suivent, l’une d’elles est consacrée à Antonin leurs vivesStephan et tranchées Balkenhol, desRelief, peintres tête femme du(beige) siècle, détail, dernier. 2010. Quant aux Artaud quiStephan a beaucoup Balkenhol, inspiré Relief, tête Lebel femme par (beige) la, détail,multiplicité 2010. de ses acti- éléments Boismobiles d’abachi de peint, l’œuvre 80 × 60, ×deux 2 cm disques qui tournent dans un vités — écriture,Bois d’abachi dessin, peint, cinéma 80 × 60 × comme 2 cm acteur et réalisateur — et l’a Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. sens puis Vue dans de l’exposition. l’autre, en © Le modifant Portique centre subtilement régional d’art contemporain la composition, aussi convaincuVue de l’exposition. de la violence © Le Portique des centretraitements régional d’artpsychiatriques contemporain que ils arriventdu tout Havre, droit 2019. des Reliefs méta-mécaniques de Tinguely dénonceront,du Havre, entre 2019 autres,. Deleuze et Guattari que Lebel a égale- mais, à la différence de ces derniers réalisés à une époque où n’im- ment bien connus. porte quel bricoleur pouvait immédiatement faire fonctionner un Une autre salle, thématique, se focalise sur les œuvres érotiques moteur, chez Feipel et Bechameil qui opèrent à l’âge de l’électro- de la collection, avec des dessins très drôles de Picabia, des pein- nique généralisée, le travail nécessite une bonne initiation auprès tures surprenantes de Georg Grosz, le flm Meat Joy de Carolee de spécialistes. Leur usage des moteurs est par conséquent plus Schneemann, en somme des artistes que l’on n’aurait pas songé à volontariste. C’est pourquoi aussi, bien que récupérés, les moteurs exposer ensemble mais qui sont rapprochés là du fait de la vie sin- Martine Feipel & Jean Bechameil, Ballet of Destruction, HAB galerie, Nantes. qu’ils utilisent, laissés volontairement visibles à l’arrière des œuvres gulière d’un artiste voyageur, cultivé et parfaitement introduit dans Photo : Martin Argyroglo et exposés tels quels pour ce qui est des éléments du poste de Vue de l’exposition Archipel. Fonds de dotation Jean-Jacques Lebel. le milieu. Une histoire de l’art improbable mais bien réelle s’élabore contrôle, sont lisses et propres comme ceux qui se trouvent sous le © Musée d’arts de Nantes – C. Clos sous nos yeux. capot d’une voiture actuelle, bien différents des bouts de ferrailles Plus loin encore, une autre salle traite, forcément, du happening de Tinguely. Les mouvements qu’ils produisent s’accompagnent et, à travers les œuvres présentées, évoque les artistes avec qui Lebel d’ailleurs souvent de musiques créées par des designers sonores Autre regard porté sur l’art du XXe siècle, plus classique mais aussi a collaboré. S’y trouvent bien sûr une œuvre d’Allan Kaprow, une ins- qui renforcent cette impression d’un monde beaucoup plus lisse plus facilement saisissable, l’exposition du Musée d’arts de Nantes tallation composée de chemises excentriques et de lunettes de soleil que celui des années 1950. De manière signifcative, la pièce cen- rassemble une sélection d’œuvres appartenant à Jean-Jacques Lebel, qui, autrefois, ont servi à des actions (le titre étant Help Yourself, il trale de l’exposition, Contra Construction Unit (2017), à la croisée de artiste incontournable pour les liens qu’il a établis entre trois, voire est dommage de ne plus pouvoir les utiliser pour se déguiser dans Peu exposé en France du fait que ses auteurs ont surtout vadrouillé l’architecture, de la sculpture, de la peinture et du manège, parodie quatre générations de peintres, sculpteurs, performeurs, écrivains l’exposition), une autre de Filliou, un pavé de manif soigneusement en Europe du Nord, Luxembourg, Pays-Bas et Belgique, le travail avec des mouvements légers, des couleurs douces et une musique — étant lui-même tout cela à la fois puis organisateur de festivals, acti- rangé dans une petite boîte en bois (Optimist Box), et aussi quelques du couple d’artistes Martine Feipel et Jean Bechameil apparaît d’ambiance, les préceptes corbuséens (dont on connaît aujourd’hui viste en mai 68 et, faut-il le rappeler, introducteur en France de la pièces rares de Yoko Ono, par exemple une sculpture dont le titre dans l’architecture de l’ancien hangar industriel de la HAB galerie les implications politiques douteuses). La machine de Feipel et pratique du happening à peine inventée aux États-Unis. décrit l’usage : Croix (Quand le soleil frappe le miroir faites un vœu) comme un refet de notre temps (l’une des pièces, une composi- Bechameil est un rappel conscient de l’héritage qu’il nous laisse, Il est vrai, une première exposition avait eu lieu à la Maison Rouge de 1990. Formellement minimale, une croix de bois portant en son tion sonore de 2019 dans laquelle sont énoncées des données rela- adouci par quelques éléments rose pâle et bleu turquoise. en 2009, et celle du Musée de Nantes lui fait suite, avec toutefois une centre un disque en miroir est investie d’une signifcation spirituelle tives aux catastrophes écologiques, s’intitule justement Zeitgeist), Une œuvre se rattache cependant au passé avec plus de nostal- approche moins centrée sur la personnalité de l’artiste et la subjec- à activer. Enfn, après les deux salles monographiques évoquées portant un drôle de regard sur la modernité : nostalgique, critique gie que les autres. A Reworded Refrain (2017), composée de deux tivité de ses goûts que sur l’histoire de l’art que trace sa traversée plus haut et consacrées à Isabelle Waldberg et à l’inévitable Marcel ou amusé, pas désabusé, parfois affectueux. À travers le choix petites sculptures en résine beige représentant des radiocassettes du XXe siècle et dont témoignent les œuvres acquises souvent par Duchamp dont Lebel possède l’un des Porte-bouteilles d’époque, la d’œuvres exposées ici, il est question de l’héritage que l’on peut — chacune avec un élément circulaire mobile, l’un bleu, l’autre gris, échanges amicaux : une histoire vécue selon les circonstances et les fn de l’exposition est une sorte de conclusion, ou de mini-exposition recevoir aujourd’hui des slogans révolutionnaires de mai 68, des qui tourne en avant, tourne en arrière, par à-coups — nous remé- rencontres qui tantôt croise celle, offcielle, des livres, avec notam- dans l’exposition, rassemblant des artistes de différentes générations modèles d’engagement politique, des utopies artistiques, dans les more avec humour le déroulement des bandes magnétiques. Objet ment l’ami intime de la famille, Marcel Duchamp, et tantôt reste une qui travaillent avec l’écriture ou, inversement, des écrivains qui des- conditions culturelles, matérielles et économiques si différentes factice, faux vestige, à la différence des œuvres précédemment évo- histoire de l’art non écrite mais bien réelle, où fgurent des artistes sinent. Une petite peinture de Kupka accompagnée d’un commen- des années 1960 qui sont les nôtres. Cela se manifeste globalement quées, celle-ci fait moins écho à la tradition de l’abstraction géomé- femmes pour beaucoup restées dans l’ombre, l’artiste surréaliste taire, statement sur sa conception de l’art écrit de sa main en 1931, est par le principe qui régit l’exposition et rassemble les pièces en une trique qu’à un réalisme qui valorise la culture pop. Toyen, puis, plus tard, Denise A. Aubertin, Camilla Adami, Carmen l’une des merveilles de l’exposition. À peine plus loin, l’accrochage œuvre d’art totale, principe qu’on ne découvre que progressive- Et, à y bien regarder, l’exposition peut être perçue comme une Calvo… Parmi les œuvres de Jean-Jacques Lebel se trouvent en effet trace une généalogie rapprochant un dessin de Raoul Hausmann, ment, d’abord instinctivement, en percevant ça ou là le cling d’un synthèse de toutes ces tendances qui, au XXe siècle, exprimaient de nombreuses pièces d’artistEs. Et les deux commissaires de l’expo- deux petites œuvres d’Arnaud-Labelle Rojoux et une autre de John système qui s’enclenche puis, de plus en plus consciemment, les des positions politiques tranchées qu’on a bien du mal à penser sition, Cécile Bargues et Katell Jaffrès, insistent sur ce point en consa- Giorno. C’est là un bel îlot de cet archipel qui résume les person- œuvres comportant des parties mobiles ou sonores qui s’activent aussi clairement aujourd’hui. À cet égard, un ensemble de ban- crant notamment à Isabelle Waldberg une salle, lui dédiant pour une nalités que Lebel met en présence. Et on ne peut quitter les lieux à tour de rôle. Au visiteur de les repérer et de les contempler au nières en tissus colorés réalisées entre 2019 et 2020, certaines fois autant d’espace qu’à Marcel Duchamp. Une de ses sculptures, sans découvrir la dernière œuvre du parcours : l’un des volumes du bon moment, de guetter, d’observer, contribuant ainsi au carac- pour une autre exposition, d’autres pour celle-ci, reprend des slo- une construction abstraite en tiges de buis de 1943 intitulée Grande Journal impubliable, séjour au centre du soleil de Denise A. Aubertin tère ludique de la visite. Pour peu, on se croirait face aux machines gans de mai 68 qui résonnent bizarrement. Sont-ils à prendre à la Piccucule, exprime avec délicatesse un rapport direct de l’art à la de 2003, journal intime grand format confectionné à partir d’une inventées par Raymond Roussel dans Locus Solus. Puis, le prin- lettre ou comme des paroles mises à distance par l’esthétique qui nature, bien avant l’apparition de l’Arte Povera. L’exposition donne édition du quotidien Le Monde et divers collages et écritures ajou- cipe est clairement révélé par les artistes, le cœur de la machine les environne ? Qu’en est-il notamment de la phrase « Révolution je alors envie d’oublier ce qu’on a appris de l’art du XXe siècle — les tés où interfèrent des taches de café, salissures, traces de vie, comme — une table de contrôle fabriquée par eux-mêmes à partir d’élé- t’aime » qui renvoie directement au titre de l’exposition, Automatic grandes fgures, les grands mouvements1 —, pour le redécouvrir dans des tentatives de réappropriation d’événements qui nous échappent. ments électroniques récupérés — étant exposé en tant qu’œuvre Revolution ? Il semble que les artistes relient la révolution, au sens une version plus vivante. 1 Remarque proférée en connaissance de cause, puisque j’ai rédigé pendant sous le titre Programmable Logic Controller Table et accompagné politique, à une multiplicité de petites révolutions, au sens méca- Dans le patio du musée, des œuvres (et aussi des objets) sont de nombreuses années des documents pédagogiques pour un célèbre musée national de dessins et de diagrammes. L’exposition obéit ainsi à un système nique, dont, pour leur part, ils ont pris le contrôle. accrochées sur un grand échafaudage carré qui offre un premier d’art moderne. 8686reviews 8787reviews

Ce titre a priori étonnant pour une exposition d’art Dans un moment où le corps est à la fois surexposé contemporain provient d’une lecture de l’ouvrage Io Burgard dans l’espace numérique et dissimulé derrière un Persona Everyware* de Gérard Wajcman, Fenêtre1, dans lequel ce dernier Animal à fenêtre masque dans l’espace public, l’exposition Persona réféchit à la fonction de cet objet qui « jadis, via la Everyware inaugurée au centre d’art Le Lait d’Albi par Elena Cardin peinture, a dessiné les territoires du monde, méta- avant le confnement résonne étrangement avec les morphosant dans son cadre le pays en paysage. par Patrice Joly temps actuels. L’espace d’exposition s’apparente à Le Lait, Albi, 8.02 – 20.09.2020 On a cependant négligé, rappelle-t-il, que cette une galerie de portraits ou, pour mieux dire, à une fenêtre qui ouvre sur l’extérieur trace aussi la limite de Centre d’art Les Capucins, Embrun, galerie de personnes au sens étymologique du terme notre propre territoire, qu’elle dessine le cadre d’un 27.06 – 30.08.2020 latin persona faisant référence au masque porté par ‘chez soi’2. » les acteurs de théâtre. Des personnalités fctives, ano- Pour l’auteur, célèbre psychanalyste et collec- nymes, dissimulées derrière des écrans de smart- tionneur, la fenêtre est cette frontière qui, comme phone ou des masques carnavalesques peuplent celle qui sépare deux pays, nous sépare des autres les salles de l’ancien hôtel Rochegude qui accueille tout en créant un fltre entre deux territoires : celui de temporairement la programmation du centre d’art. l’intime et celui du dehors, celui du proche et celui À travers les œuvres de huit artistes, l’exposition du lointain. Bizarrement, alors qu’on était en droit de conçue par Anne-Lou Vicente, Raphaël Brunel et s’attendre à une réfexion formelle sur cette fenêtre Antoine Marchand interroge les enjeux identitaires avec une panoplie d’œuvres illustrant ou revisitant liés au développement des technologies numé- cette dernière, avec des jeux de positionnement du riques. Malgré l’hétérogénéité des approches et des regard qui vous font réféchir sur votre situation de langages visuels, les œuvres semblent toutes plus ou spectateur, ce n’est pas exactement ce qui se passe moins issues d’un même processus de création : un dans l’exposition de l’artiste parisienne. Enfn, pas geste d’appropriation. directement. Si fenêtre il y a, c’est loin d’être une À l’entrée de l’exposition, des robes de cérémonie fenêtre littérale, car la fenêtre est abordée plus méta- amérindiennes suspendues à un support en métal phoriquement, en tant que fltre de lecture des oscillent au moindre courant d’air. Les Ghost Dresses œuvres mais aussi comme une neutralisation ou une d’Ingrid Luche sont des enveloppes de tissu vides, pri- inversion de la distanciation et de la séparation que vées de leur fonction rituelle, sur lesquelles l’artiste a peut induire une « vraie » fenêtre. Telle que l’a dispo- imprimé des images glanées sur internet. On y dis- sée l’artiste dans le centre d’art, la fenêtre n’est pas tingue des photos de paysages américains emprun- tout à fait neutralisée pour autant mais, plutôt que tées à Richard Prince et des screenshots de la jeune Vue de l’exposition Persona Everyware : Anouk Kruithof, Emilie Brout & Maxime Marion, de donner à voir un extérieur, elle « ouvre » sur un inté- youtubeuse Nasim Najaf Aghdam tristement connue Ingrid Luche. Photo : Phœbé Meyer rieur. Techniquement, l’exposition ressemble à une Stephan Balkenhol, Relief, tête femme (beige), détail, 2010. pour s’être donné la mort au siège de YouTube après cascade d’arches qui redouble l’architecture du lieu Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm avoir assisté, impuissante, à la perte de ses followers. Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. — qui n’est autre qu’une ancienne église — délimitant Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain Le geste d’emprunt qui est à la base des pièces d’In- autant de « saynètes. » L’artiste a-t-elle voulu rejoindre du Havre, 2019. grid Luche est aussi à l’origine de l’intrigante série de la réfexion de Wajcman et annuler un héritage de la posters Claire’s de Kevin Desbouis. Il s’agit de por- Renaissance qui nous fait voir le monde à travers sa traits réalisés à partir de captures d’écran de vidéos mise à distance pour revenir à plus d’horizontalité du Vue de l'exposition Animal à fenêtre, Io Burgard, 2020, Production centre d'art contemporain YouTube de jeunes flles en train de se faire percer regard ? Si l’on se réfère aux motifs et aux sculptures Les Capucins, Embrun © f.deladerriere les oreilles. Le travail de retouche de l’image a trans- qui peuplent l’espace d’exposition, il est permis de formé ces jeunes flles en des présences désincarnées penser que cette scénographie est effectivement une et évanescentes, des effgies de madones survivantes tentative d’effacer cette « vieille » notion de fenêtre d’un monde sur le point de s’écrouler. correspondant à un vieil ordre du monde, pyramidal Enchâssées dans l’espace de l’ancienne biblio- et pour le moins patriarcal. Les dessins, inscriptions thèque de l’hôtel, les sculptures de Guillaume et peintures « pariétales » de l’artiste empruntent à Constantin sont, elles aussi, issues d’une opération de nombreux médiums et techniques : spray, pin- d’appropriation. L’artiste présente des impressions ceau, marqueur, plâtrage pour alourdir et rigidifer les 3D de fragments de corps féminins de statues de la toiles de jute. Sur les toiles lestées, les motifs fguratifs Renaissance qu’il réalise à partir de fchiers mis en alternent avec les aplats sprayés et les lignes claires, ligne par différents musées. En adoptant un proces- mêlant des zones très colorées à des secteurs plus sus de travail similaire, l’artiste hollandaise Anouk sobres où se détachent nettement les traits du pin- Kruithof réalise ses assemblages photographiques à ceau ou du marqueur. partir d’images empruntées au service de sécurité des Les sculptures, qui sont disposées entre les arches transports américain. Enfn, la vidéo de l’artiste portu- et ponctuent le passage, correspondent parfaitement guais Pedro Barateiro se présente, elle aussi, comme aux lignes et aux ambiances organiques que l’artiste une séquence d’images issues de la culture populaire déploie dans ses tentures. Elles sont d’une certaine accompagnée d’une réfexion poétique sur l’impact manière les prolongements en volume de l’organi- de l’infosphère et de l’environnement médiatique sur cité assumée qui imprègne les motifs. Il règne une la vie des individus. ambiance très fuide, quasi liquide dans l’exposition L’idée du masque comme déguisement qui s’ap- qui peut parfois faire penser à des œuvres surréalistes, pliquerait au visage pour en cacher les vrais traits au Tanguy des paysages désertiques par exemple. apparaît aujourd’hui obsolète. Les frontières entre Mais ici, les formes sont plus généreuses, rieuses, voire réalité et apparence deviennent de plus en plus insai- carrément sensuelles ; elles évoquent sans détours la fuidité = métamorphose… Dans ce gynécée sculptu- sissables. C’est ce qui émerge de la vidéo du duo féminité et le rapport entre féminité et fuidité — on ral, la seule présence masculine est celle qui apparaît d’artistes français Emilie Brout et Maxime Marion pense à Picasso, mais surtout à Valentine Schlegel comme un clin d’œil dans la vidéo qui vous accueille transformant leur propre histoire d’amour en un flm dont on retrouve ici le galbe des volumes. Plus que la à l’entrée de l’exposition où l’on retrouve la fgure susceptible d’être acheté sur la banque d’images fenêtre qui domine un paysage, de préférence mas- de Saint Christophe, jouée par un artiste ami, dans Shutterstock ; ou des œuvres de l’artiste grecque culin car architecturé et rigide, stabilisé, la fenêtre une revisitation loufoque et low budget de la célèbre Eleni Kamma qui, dans ses dessins et vidéos, ques- est envisagée ici comme le lieu du passage d’un état imagerie. L’historiographie chrétienne l’a immorta- tionne la position de l’étranger et de l’immigré à tra- à un autre, les sculptures qui délimitent le parcours lisé dans la posture de celui qui porte l’enfant Jésus vers une revisitation des masques grotesques issus du sont démembrées, inachevées, prêtes à se réassem- sur ses épaules, mais le saint, qui, selon le mythe, est 1 Gérard Wajcman, Fenêtre, théâtre populaire. bler avec leurs congénères. Car il semble que l’ar- représenté avec une tête de chien, retrouve à la fn Chroniques du regard « Le “monde vrai” nous l’avons aboli : quel monde et de l’intime,Verdier, 2004. tiste se soit aussi inspirée d’une autre source, celle de sa vie son apparence des débuts, en vieil homme 2 Curatrice et artiste étaient nous est resté ? Le monde des apparences peut-être ? de la métamorphose. Les sculptures en plâtre et solide sur ses pieds. Il devient ici le véritable emblème loin de se douter que cette Mais non ! Avec le monde vrai nous avons aussi aboli résine sont anthropisées, l’évocation du corps fémi- du passeur et résonne avec toutes les autres fgures lecture allait être prémonitoire le monde des apparences ! » (Friedrich Nietzsche, Le nin est sans détours, il apparaît notamment dans une dispersées dans le fot de l’exposition : membres et prendre une importance crépuscule des idoles) beaucoup plus décisive du fait sculpture fontaine qui annonce clairement la cou- orphelins, barques, fontaines, molosses de l’entrée, le de ce nouveau rapport au monde leur d’une équivalence femme = sensualité = courbe = temps d’un passage. que la covid 19 allait instituer. 88reviews www.cnap.fr Des dispositifs de Désormais le rendez-vous est fxé, tous les deux ans a lieu dans la ville de Château-Gontier une petite Gontierama 2020 biennale, ni prétentieuse ni soûlante, festive et soutien à la création intelligente (enthousiasmante sans être, bêtement, par Vanessa Morisset ludique), donc très réussie, dotée d’un nom et d’un L’actualité de l’art Des soutiens destinés logo à son image. C’est Gontierama qui, avec sa deu- Château-Gontier, 16.05 – 30.08.2020 xième édition, maintenue contrairement à d’autres manifestions dans la région, confrme son état d’es- contemporain aux artistes, aux prit et sa spécifcité. Les expositions y sont très juste- ment pensées par rapport aux lieux investis (chapelle, bibliothèque…) et les accrochages, remarquables. De 500 événements théoriciens et critiques surcroît, elle réunit des artistes de différentes géné- rations (et pas seulement les dernières révélations à par semaine dans d’art, aux restaurateurs peine sorties des écoles d’art) qui entrent en dialogue, entre elles et avec la ville. À la Chapelle du Genêteil, cette caractéristique toute la France, ainsi qu’aux structures est, en un sens, le sujet de l’exposition. Trois femmes y sont rassemblées, à l’initiative de Stéphanie Cherpin qui a convié une plus jeune artiste qu’elle, Jeanne 2.200 lieux référencés privées (galeristes, Moynot, et une artiste d’une toute autre époque, son arrière-arrière grand-mère, Marie Pincour (née en dans l’annuaire. éditeurs, producteurs 1876), peintre passionnée durant les dix dernières années de sa vie, dont l’œuvre se trouve ainsi pro- pulsée dans le contexte de l’art actuel. Émouvant et audiovisuels). délicat, ce geste opère une relecture d’une pratique qui a certainement dû être qualifée de peinture du dimanche, Marie Pincour travaillant surtout les motifs Des ressources pour foraux: sur la cimaise placée à l’entrée de la chapelle, elle se laisse découvrir comme une recherche sérielle les artistes Plus de 87.000 acharnée, à la fois sensuelle et conceptuelle. Avec ce Pascal Rivet, Fox, 2003. bel hommage, Stéphanie Cherpin attire l’attention sur Gontierama 2020, Le Carré, Scène nationale – Centre d'art contemporain d'intérêt national des questions qui parcourent Gontierama 2020 : celle du Pays de Château-Gontier.Stephan Photo Balkenhol, : Marc Domage Relief, tête femme (beige), détail, 2010. et les professionnels œuvres en ligne de la pertinence ou non de la frontière entre pratique Bois d’abachi peint, 80 × 60 × 2 cm Courtesy de l’artiste et Deweer Gallery, Otegem, Belgique. amateur et pratique professionnelle dans le domaine Vue de l’exposition. © Le Portique centre régional d’art contemporain Offres d’emplois, 105.000 œuvres de l’art, mais aussi celle de la place des femmes du Havre, 2019. artistes dont l’activité, il n’y a encore pas si longtemps, était plus considérée comme un passe-temps que appels à candidatures, du Fonds national comme une réelle démarche réféchie. Ne serait-ce que pour cette raison, l’exposition vaut le déplace- ment, c’est-à-dire avant même d’entrer à proprement aides, prix, bourses, d’art contemporain dit dans la chapelle… Car ce n’est que dans un second temps que l’on découvre, derrière la cimaise, la suite Plus loin en ville, au Musée d’art et d’histoire où, de l’exposition. Tout d’abord, une installation de dans l’édition précédente, des œuvres de Présence résidences, guides géré par le Cnap Stéphanie Cherpin réalisée avec des éléments majo- Panchounette se mêlaient avec grand bonheur aux ritairement trouvés à Château-Gontier (pare-brise de collections patrimoniales, ce sont deux artistes trop pratiques, informations susceptibles d’être voitures peints — notamment un en rose bonbon —, peu montrés qui ont été invités, Michel Gouéry et agave tronçonnée par un propriétaire qui n’en vou- Didier Trénet. Tandis que le premier y présente sculp- lait plus et à laquelle l’artiste offre une seconde vie…) tures en céramique et dessins, le second y expose professionnelles prêtées et déposées compose comme un plateau de cinéma momen- une série d’assiettes et de plateaux décorés réalisés tanément abandonné, puis, dans le fond de la cha- dans le cadre d’un 1 artistique pour un collège joli- pelle, une pièce, à la fois sculpture, peinture et vitrail ment intitulée Sous la purée le dessin. Dans la salle sur l’activité artistique. auprès d’institutions rétro-éclairé de Jeanne Moynot rappelle les œuvres des peintures historiques, on les découvre dans une niçoises de Matisse, de Chagall, que l’artiste a pu voir vitrine, avec entre autres un petit véhicule en céra- culturelles. durant son cursus à la Villa Arson, mais dans une mique de Michel Gouéry et une paire de sabots tra- structure monumentale faite de bois et de bâches ditionnel en bois ornés de la virgule Nike de François plastique qui donne aux formes et aux couleurs une Curlet, dans une atmosphère de cabinet de curiosités vigueur nouvelle. Aussi bien l’œuvre de Stéphanie où l’art et l’artisanat sont sur un pied d’égalité. Cette Cherpin que celle de Jeanne Moynot expriment une fois encore, le choix des œuvres et leur accrochage puissance et une détermination que relaient bien le sont des plus pertinents. Les œuvres contemporaines titre qu’elles ont choisi pour l’exposition : Élevée en valorisent les pièces anciennes, et réciproquement. bouclier. Par des moyens sensibles et maîtrisés, elles Plus encore, à quelques pas de là, Michel Gouéry parviennent à créer un ensemble beau, puissant et s’est aussi installé dans la crypte de l’église romane sans concession, entraînant l’arrière-arrière-grand- Saint-Jean-Baptiste pour laquelle il a tout spéciale- mère dans l’affrmation de leur art. ment créé quatre pièces en terre cuite émaillée qui Juste à côté de la chapelle, dans une salle viennent s’accrocher, tels des monstres assez gentils, gothique du Couvent des Ursulines, une œuvre de des larves affectueuses ou des chenilles dociles, aux Pascal Rivet vient renchérir à sa manière sur la pro- piliers composites de l’architecture médiévale. On blématique de la pratique amateur. Fox, un ensemble pense ainsi à tout un imaginaire de chimères, d’êtres de six sculptures en bois peint constitue une imita- hybrides, réactualisé. tion très fdèle des mobylettes de livraison Domino’s Enfn, dans la bibliothèque, ainsi qu’en ville, des Pizza, installées en rang serré, comme si elles allaient œuvres de Jacques Julien, de Lilian Bourgeat, pro- presque tomber (un effet domino, précisément). longent encore ce riche parcours, sans oublier la dis- D’apparence pop à cause des couleurs vives et du tribution par la poste, à tous les habitant·e·s alentour, logo de la marque de pizza, en réalité artisanales, à d’un catalogue de photos de Guillaume Janot prises la limite de l’obsession de l’art brut, elles peuvent à Château-Gontier lors d’une résidence. être perçues comme une métaphore de l’absurdité Toutes ces propositions témoignent d’une grande Centre national Le Centre national des arts plastiques est l’un des principaux du train de vie capitaliste (comme si le Charlot des envie de faire découvrir, en résonance avec les lieux, opérateurs du ministère de la Culture dans le domaine de l’art Temps modernes était maintenant livreur de pizza). des œuvres sensibles et pertinentes, tout simplement. des arts plastiques contemporain. design graphique : God save the screen Centre Expositions 16 oct. 2020 — 16 janv. 2021 d’art contemporain PASSERELLE CarolineBrest FR Mesquita Le festin Apostolos Georgiou Hello Dog, Hello Sir!

Je te cavernerai

Elen : Adrien Goubet

Dessin

: Atelier Lisa Sturacci Hallégouët Graphisme

41, rue Charles Berthelot 29200 Brest (France) cac-passerelle.com