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Bulletin Du Centre De Recherche Français À Jérusalem, 16 | 2005 [Online], Online Since 10 September 2008, Connection on 20 March 2020

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Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem

16 | 2005 Varia

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/bcrfj/29 ISSN: 2075-5287

Publisher Centre de recherche français à Jérusalem

Printed version Date of publication: 30 November 2005

Electronic reference Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 16 | 2005 [Online], Online since 10 September 2008, connection on 20 March 2020. URL : http://journals.openedition.org/bcrfj/29

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© Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem 1

TABLE OF CONTENTS

Éditorial Pierre de Miroschedji

La vie du CRFJ

Activités de l’année 2005

Articles

Les habitats au Bronze Ancien au Levant sud Deborah Sebag

Les pinqassim de Carpentras au regard du Saint-Siège I. Le Séfer ha-yahas (1736-1769) d’Élie Crémieux Simone Mrejen-O’Hana

Une grammaire de l’hébreu moderne Quelques remarques préliminaires Sophie Kessler-Mesguich

La Eldridge Street Un lieu de mémoire juif aux États-Unis Galith Touati

Positions divergentes des prélats catholiques sur le baptême des enfants Finaly (1945-1953) Catherine Poujol

Le nouveau musée de Yad Vashem et la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme Régis Schlagdenhauffen-Maika

Les diasporas : retour sur un concept Lisa Anteby-Yemini and William Berthomière

Éléments de réflexion sur le rapport des Bédouines du Néguev au politique Entre marginalisation politique et mobilisation sociale Élisabeth Marteu

La judiciarisation du politique en Israël La promotion des revendications collectives arabes dans l’arène judiciaire Hélène Sallon

Le Mafdal Les mutations politiques et idéologiques du mouvement sioniste religieux David Khalfa

Jérusalem en 2020 sous l’œil des urbanistes Irène Salenson

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English Translations

The Early Bronze Age Dwellings in the Southern Levant Deborah Sebag

The Eldridge Street Synagogue, a Site of American Jewish Memory Galith Touati

The New Holocaust History Museum of Yad Vashem and the Commemoration of Homosexuals as Victims of Nazism Régis Schlagdenhauffen-Maika

Diaspora: A Look Back on a Concept Lisa Anteby-Yemini and William Berthomière

Some Reflections on How Bedouin Women of the Negev Relate to Politics Between Political Marginalization and Social Mobilization Élisabeth Marteu

The Judicialization of Politics in Promoting Arab Collective Claims in the Judicial Arena Hélène Sallon

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Éditorial

Pierre de Miroschedji

1 L’éditorial du n° 15 annonçait une série de changements profonds dans l’organisation et le mode de fonctionnement du Centre de recherche français de Jérusalem, et dans la présentation et le contenu du Bulletin du CRFJ. Ces changements se sont depuis lors concrétisés.

2 D’abord en ce qui concerne le projet scientifique du CRFJ. Élaboré au cours du premier semestre de 2005, il a été approuvé par le Conseil scientifique du Centre le 29 juin 2005. Il comprend trois axes majeurs, qui correspondent grosso modo à ceux qui existaient antérieurement, mais ceux-ci ont été modifiés dans leur intitulé et redéfinis dans leur contenu. Ces trois axes sont : Archéologies et sciences de l’antiquité ; Les traditions : histoire, religion, savoirs ; Israël et l’espace israélo-palestinien contemporains. Chacun de ces axes comprend plusieurs thèmes qui se déclinent eux-mêmes en un ou plusieurs programmes de recherche. Ces programmes sont tous animés par un tandem de chercheurs français et israéliens dont la collaboration matérialise à la fois la coopération scientifique entre les deux pays et les partenariats mis en place entre leurs institutions scientifiques. Au total, près de 200 chercheurs français et israéliens sont mobilisés par ces programmes. 3 La mise en œuvre de ce nouveau projet scientifique est assurée par l’équipe permanente du CRFJ, par des chercheurs associés français et israéliens et par des boursiers doctorants. La nomination de chercheurs affectés (chercheurs du CNRS ou enseignants-chercheurs en délégation) est toujours attendue et devrait intervenir prochainement. Un nombre croissant de chercheurs associés effectuent désormais au Centre des missions de durées variables. Quant aux doctorants boursiers, ils sont une demi-douzaine, certains pour une année ou deux. 4 La mise en place de ce projet scientifique s’est accompagnée de nouvelles activités. On en trouvera ci-après la liste : le CRFJ a organisé ou a participé en tant que partenaire à quatre colloques ou ateliers internationaux en 2005 ; dix rencontres scientifiques sont prévues en 2006. Il s’ajoute des séminaires propres du CRFJ (mensuels en 2005, bimensuels à partir de 2006), des séminaires de recherche qui rassemblent plus d’une vingtaine de participants ainsi que des conférences mensuelles qui drainent chacune un public nombreux. Parallèlement, plusieurs ouvrages sont en préparation éditoriale

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dans les collections du CRFJ, « Hommes et Sociétés » et « Mélanges », publiées l’une et l’autre par CNRS Éditions, tandis qu’une nouvelle collection sera consacrée à la publication des travaux relevant des sciences de l’antiquité. 5 Les autres changements concernent le Bulletin. Ils revêtent trois aspects. En premier lieu, sa présentation : avec ce numéro 16, le Bulletin est désormais mis en ligne grâce à l’aide du Centre d’édition numérique du CNRS. Techniquement complexe, cette transformation a été longuement préparée, et c’est pourquoi le présent numéro paraît avec un retard de plusieurs mois. Le numéro précédent, 15, est accessible en ligne depuis février 2006 ; les numéros antérieurs le seront progressivement, à partir du numéro 1, en sorte que l’ensemble des articles parus depuis 1998 pourront être consultés facilement. Ce changement traduit la volonté de donner au Bulletin une plus grande visibilité et d’ouvrir au plus grand nombre. 6 En second lieu, le Bulletin sera désormais annuel. Ce rythme de parution correspond mieux à celui des activités du Centre, en particulier celui des rencontres scientifiques. 7 Enfin, le contenu du Bulletin est changé. On y trouvera toujours, bien sûr, les articles rédigés par les chercheurs affectés et associés du Centre, par les boursiers et par les chercheurs accueillis dans le cadre des aides dites « mois-chercheurs » ; mais on y trouvera aussi une rubrique sur la « Vie du Centre de recherche français de Jérusalem », qui permettra de faire état des événements nouveaux qui concernent la vie du Centre et de présenter rapidement l’ensemble de ses activités – colloques et ateliers, séminaires, conférences – pour l’année écoulée et un calendrier de l’année à venir.

Jérusalem, le 1er janvier 2006.

AUTEUR

PIERRE DE MIROSCHEDJI Directeur du Centre de recherche français de Jérusalem

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La vie du CRFJ

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Activités de l’année 2005

I. Rencontres scientifiquesApproches interdisciplinaires à l’étude des cultures et des religions L’atelier « Approches interdisciplinaires à l’étude des cultures et des religions », organisé, les 20 et 21 mars 2005, par le Centre de recherche français de Jérusalem conjointement avec l’EHESS et l’Université hébraïque de Jérusalem, s’est proposé de développer la mise en place de collaborations bilatérales entre les chercheurs de l’EHESS et ceux de l’Université hébraïque de Jérusalem. Les exposés des chercheurs français, dont on trouve ci-dessous la liste, étaient discutés par leurs homologues israéliens : • Jean-Loup Amselle, Le renversement du monde ou les enjeux d’une déconstruction de l’Occident ; répondant : Steve Kaplan. • Vincent Fourniaux, La russification parmi d’autres facteurs globaux : l’héritage national dans les pays de l’Asie centrale ; répondant : Michal Biran. • Jean-Pierre Albert, Le virtuose religieux ; répondant : Guy Stroumsa • Michaël Werner, Philologie, culture littéraire et sciences sociales. Des philologues allemands et judéo-allemands en au XIXe siècle face à l’empire du « goût » ; répondant : Christoph Schmidt. • Jean Dhombres, Science, religion et politique. Nouveaux développements quant à l’histoire de la recherche et la notion de modernité ; répondant : Yemima Ben-Menahem. • Florence Heymann, présentation de l’intervention de Danielle Hervieu-Léger (absente), La figure du converti comme une figure de la modernité religieuse ; et réponse. L’histoire et la philosophie des sciences françaises à la lumière de l’œuvre d’Émile Meyerson (1859-1933) En 2002, s’est tenue la réunion constitutive de l’équipe de recherche internationale qui s’attache à rendre justice à l’œuvre de l’épistémologue Émile Meyerson, injustement disparu de l’enseignement de la philosophie en France. Trois ans après, le Centre de recherche français a organisé les 6 et 7 juin, conjointement avec l’Université hébraïque de Jérusalem et l’université de Paris I, un colloque international « L’histoire et la philosophie des sciences françaises à la lumière de l’œuvre d’Émile Meyerson (1859-1933) ». Venus de France et d’Israël, les intervenants ont étudié la place d’Émile Meyerson dans l’épistémologie française et sa réception dans le monde, essentiellement dans le cercle de Vienne et aux États-Unis.

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À l’occasion de cette rencontre ont été définies les modalités de publication de la correspondance et des manuscrits inédits de cette grande figure de l’histoire et de la philosophie des sciences, dont toutes les archives sont déposées aux Archives sionistes centrales à Jérusalem. Programme du colloque 6 juin 2005, Université hébraïque de Jérusalem, Institut Rothberg • Meyerson dans son contexte historique Claude Imbert (École normale supérieure) : Épistémologie et philosophie dans les années 30 : Hésitations et promesses Simone Schliachter (Archives sionistes centrales) : Émile Meyerson aux Archives sionistes centrales Eva Telkes-Klein (Centre de recherche français de Jérusalem) : Le premier cercle • Science et histoire des sciences Anastasios Brenner (Université Paul Valéry, Montpellier) : Meyerson and the Conventionalist Movement Bernadette Bensaude-Vincent (Université Paris X-Nanterre) : The Importance of Chemistry in Meyerson’s Philosophy Sophie Roux (Université de Grenoble) : Les principes de la mécanique et le mécanisme selon Meyerson 7 juin 2005, Centre de recherche français de Jérusalem • De l’histoire à la philosophie des sciences Christian Bonnet (Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, Institut d’Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques) : Le Cercle de Vienne et Meyerson Yemima Ben Menahem (Université hébraïque de Jérusalem) : Meyerson : Reality and Epistemology Catherine Supé-Hirsch : Meyerson et la troisième voie de l’épistémologie Sandra Laugier (Université Amiens) : Science et ontologie : l’héritage de Meyerson dans l’épistémologie américaine contemporaine • La philosophie de Meyerson Frédéric Fruteau de Laclos (Université Paris I-Panthéon-Sorbonne) : Is Meyerson’s Philosophy of the Intellect a Psychology ? Elhanan Yakira (Université hébraïque de Jérusalem) : Meyerson and the Question of Intensionality Frédéric Worms (École normale supérieure, Université de Lille) : Mind and Reality Between Meyerson and Bergson : at the Center of the 1900 Moment of Philosophy Géodynamique des migrations en Israël : vers une redéfinition des contours de la société israélienne Un atelier de recherche a réuni, les 24 et 25 novembre 2005, au Centre de recherche français de Jérusalem, une quinzaine de chercheurs français et israéliens, qui étudient les nouvelles dynamiques migratoires d’Israël : ces dernières années, le pays s’inscrit de plus en plus fortement dans le système migratoire de travailleurs étrangers et de demandeurs d’asile. Cet atelier, organisé par William Berthomière (CR CNRS, UMR 6588, chercheur associé au CRFJ), visait à mettre en place une collaboration entre les

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spécialistes des évolutions démographiques et sociales dans l’espace israélo- palestinien. Programme de l’atelier Mercredi 23 novembre 2005 Opening of the Seminar - Introduction by Claude Klein (Hebrew University of ) • New Demographic and Migratory Dynamics in the Israeli Society Sergio Della Pergola (Hebrew University of Jerusalem), Israel Demography : The Global and the World Jewish Context Cedric Parizot (IREMAM, Aix-en-Provence), Going to the Wall : The limits of Israeli control over Palestinians mobility between the Negev and the Sari Hanafi (Shaml, Ramallah), Palestinian refugees and State formation. Toward a model of extra-territorial Nation State in Palestinian Territories and Israel Lecture of Nathalie Zadje (CRFJ, Jérusalem), Ethnopsychiatry as a clinical and democratic approach for immigrants in Israel Lisa Anteby-Yemini and William Berthomière, Presentation of the New Migration Research Programme of the CRFJ and exchanges about future collaboration Jeudi 24 novembre 2005 • The ‘closest Other’ William Berthomière (Migrinter, Poitiers), A Geography of the Soviet in Israel as a Mirror of a Divided Society ? Lisa Anteby-Yemini (Idemec, Aix-en-Provence), Contribution on Ethiopian Jews Uzi Rebhun (Hebrew University of Jerusalem), The Israeli • Some new alterities Adriana Kemp (TAU, ), Contribution on Foreign Workers Karen Akoka (Migrinter, Poitiers), Israeli UNHCR Refugees Ben Herzog (Yale University), Soldiers, Refugees, Citizens – Absorbing the South Lebanon Army into Israel • Conclusion Gabi Sheffer (Hebrew University of Jerusalem), The Jewish People and Israel as a Transstate Entity Oren Yiftachel (Ben Gurion University), Jewish Ethnocracy in Israel/Palestine : the Making of Stratified Citizenship Alain Dieckhoff (CERI-Sc. Po, Paris), Citizenship and Ethnicity in a Globalized Israeli Society Environmental Change, Human Activity and Faunal Biodiversity in the Mediterranean Habitat — Linking the Past to the Future Le Centre de recherche français de Jérusalem s’est associé à l’hommage rendu par l’Université hébraïque de Jérusalem à la grande figure du paléozoologue Eytan Tchernov, récemment disparu. Cet hommage s’est traduit par deux journées d’études (17-18 novembre 2005) II. Séminaires Les séminaires de recherche du Centre de recherche français de Jérusalem. Ces séminaires, mensuels, sont destinés à la présentation des travaux de tous des chercheurs du Centre, en particulier des boursiers. Les intervenants sont confrontés au

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questionnement de chercheurs confirmés, éventuellement d’autres disciplines, ce qui permet de préciser la problématique. 15 avril 2005 : Deborah Sebag, L‘architecture et les modes de construction au Levant sud, au Bronze ancien. 6 mai 2005 : Fanny Bocquentin, La néolithisation au Proche-Orient : un point de vue anthropologique. 20 mai 2005 : Hélène Sallon, La judiciarisation du politique en Israël. 10 juin 2005 : Irène Salenson, Les enjeux du Schéma directeur de Jérusalem, horizon 2020. 16 septembre 2005 : Régis Schlagdenhauffen, La mémoire inscrite dans la pierre : les monuments commémoratifs des victimes des nazis à Berlin 28 octobre 2005 : Deborah Sebag, Excavations of a tomb in the gardens of the Eleona’s basilicin Jerusalem 11 novembre 2005 : Valentine Roux, Evolutionary trajectories of the wheel fashioning technique in the Southern Levant 25 novembre 2005 : Élisabeth Marteu, Les associations de femmes arabes en Israël : entre lutte féminine et lutte nationale 16 décembre 2005 : Hélène Sallon, La judiciarisation du politique en Israël III. Conférences Le Centre de recherche français de Jérusalem a inauguré un cycle de conférence mensuel, qui s’est tenu le premier mardi de chaque mois à compter du mois de janvier. Ces conférences, en français, s’adressent à un public éclairé élargi ; les exposés traitent des principaux aspects des recherches en cours. 11 janvier : Pierre de Miroschedji, Naissance des villes, émergence de l’État au Levant méridional. 1er février : Florence Heymann, Un Juif pour l’islam : hybride ou transfuge ? 1er mars : Éva Telkes-Klein, Émile Meyerson dans le monde. 5 avril : Catherine Weil-Rochant, Tel-Aviv 1908-1948 : mythes et constructions. 3 mai : Élisabeth Marteu, La politisation des femmes bédouines du Néguev. 14 juin : Irène Salenson, Construction et urbanisme alternatif à Jérusalem-est. 26 octobre : Nathalie Zajde (MC Université de Paris-VIII-Saint-Denis, chercheur associé au CRFJ), Guérir de la Shoah ? Psychothérapie des survivants de la Shoah et de leurs descendants. 2 novembre : Katell Berthelot (CR CNRS, CPAF-MMSH, chercheur associé au CRFJ), Éthique humaniste et judaïsme dans l’Antiquité. 14 décembre : Françoise Ouzan (MC Université de Reims, chercheur associé au CRFJ), L’impact du procès Eichmann sur la mémoire de la Shoah aux États-Unis et en Israël. IV. FouillesAin Mallaha Une campagne de fouille s’est tenue en juillet-août 2005 sur le site de Ain Mallaha (Eynan) sous la direction de F. R. Valla (CNRS) et H. Khalaily (Office des Antiquités d’Israël) avec le soutien du CRFJ. Il s’agissait de la dernière campagne d’une série commencée en 1996 sur ce site exceptionnel où l’on peut étudier, avec les Natoufiens, le processus de sédentarisation au Levant-sud et le mode de vie des premiers chasseurs- cueilleurs sédentaires entre 11 000 et 10 000 av. J.-C. Il y a environ 12 500 ans, le mode de vie des chasseurs-cueilleurs natoufiens accuse une tendance à la sédentarité qui apparaît comme un premier pas dans ce qu’on appelle le

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« Processus de Néolithisation ». C’est pourquoi les Natoufiens suscitent l’intérêt depuis plus de 80 ans. Mallaha (Eynan) est le meilleur site de cette période actuellement connu. Deux campagnes de fouilles y ont été menées en juillet-août 2004 et juillet-août 2005. Ces campagnes sont les dernières d’une série entreprise en 1996. Elles visaient à achever l’étude de plusieurs structures et sépultures dans le Natoufien ancien et dans le Natoufien final. L’étude des sépultures a révélé des différences selon les périodes. Au Natoufien ancien, présence d’un enduit calcité sur la paroi et de parures de coquille et d’os ; au Natoufien final, la seule sépulture fouillée contenait les restes d’au moins 7 individus. La découverte la plus intéressante est celle d’une installation où intervient un grand mortier. Cette installation comprend un « bassin » creusé, ovale, en partie bordé de blocs de calcaire. À une extrémité, la bordure inclut un mortier en basalte enterré jusqu’à la lèvre et incliné vers l’extérieur, où il ouvre sur une seconde cuvette, tapissée de dalles de calcaire. Des dallettes de basalte (mais ni pilon ni molette), une cuillère et une gouge en os sont associées à cet ensemble qui pose le problème de la fonction des mortiers et, par ricochet, de l’utilisation des nourritures végétales au Natoufien final. Parallèlement, les recherches se sont poursuivies au laboratoire. On avait déjà pu montrer que les habitations répondaient à un code de construction retrouvé au Natoufien ancien et au Natoufien récent. Il semble aujourd’hui que ce code s’intègre dans un schème plus vaste qui commande aussi l’orientation des sépultures. Un système symbolique se dessinerait donc par lequel la vie humaine serait ancrée dans l’espace. Au terme de 9 campagnes de fouille à Mallaha une occupation attribuable à un Kébarien ancien a été mise en évidence. L’objectif premier consiste à rendre compte dans un quatrième rapport des acquis des trois dernières campagnes. Ce rapport devrait être prêt en 2007. Les résultats les plus évidents auront alors été mis à la disposition de la communauté scientifique. La poursuite des recherches devrait aboutir vers 2010 à la publication de volumes d’analyses et de synthèses plus approfondies. Tel Yarmouth Une campagne d’étude du mobilier archéologique de Tel Yarmouth s’est déroulée en août-septembre 2005 sous la direction de P. de Miroschedji assisté d’une équipe franco- israélienne de 7 personnes. Les travaux visaient à la préparation de la publication finale de ce site majeur du Proche-Orient levantin au IIIe millénaire avant notre ère. Ils ont consisté en l’établissement de plans d’architecture et en restauration, dessins et photographies de poteries et d’objets provenant du Palais B (Bronze ancien III) et des habitations domestiques du chantier Ja. Activités à venir : calendrier 2006 Le retard pris dans la publication de ce numéro explique que nous faisons état des activités qui ont eu lieu au premier semestre 2006 I. Rencontres scientifiquesCentenaire d’Emmanuel Levinas Le Centre de recherche français de Jérusalem s’est associé au colloque international qui s’est tenu les 16-20 janvier 2006 à l’Université hébraïque de Jérusalem, sous la responsabilité scientifique de J. Hansel, M.-A. Lescourret.

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Le philosophe français Emmanuel Levinas, reconnu comme l’un des penseurs majeurs du XXe siècle, a défendu une vision de l’éthique – c’est-à-dire essentiellement la responsabilité de l’autre – comme « première philosophie ». Son travail a eu un impact dans divers domaines, tels que la phénoménologie, l’existentialisme, la théorie politique, la critique littéraire et l’herméneutique. Son œuvre suscite un intérêt croissant ces dernières décennies. En Israël, depuis peu, ses idées éveillent l’attention, grâce à la traduction de plusieurs de ses ouvrages. À l’occasion du centenaire de sa naissance, l’Université hébraïque de Jérusalem a organisé, conjointement avec le Centre de recherche français de Jérusalem et l’Université Marc Bloch de Strasbourg, un colloque international « A Century with Emmanuel Levinas : Resonances of a Philosophy » pour étudier particulièrement ses écrits philosophiques et ses écrits juifs. Le judaïsme en Arabie à l’aube de l’islam Les 5-7 février 2006 a eu lieu le colloque international du CRFJ en coopération avec l’Université hébraïque de Jérusalem, l’Institut Ben-Zvi et le CNRS, organisé par Christian Robin, coordinateur scientifique (DR CNRS, Membre de l’Institut) et al. Depuis une trentaine d’années, la connaissance de l’Arabie antique a progressé de manière spectaculaire. Consécutifs à l’ouverture de ce pays dans les années 1970, ces progrès sont dus aux prospections et aux fouilles archéologiques qui mettent au jour une quantité énorme de matériaux nouveaux, notamment épigraphiques. Ils sont dus également à l’intérêt croissant que les pays de la Péninsule accordent à leur passé. Les avancées les plus notables concernent la chronologie (avec des dates relativement précises à partir du Ie s. è. chr.), la connaissance des langues anciennes, la céramique, l’architecture ou les techniques d’irrigation. Elles sont évidemment facilitées par les grands progrès de la géographie, grâce aux photographies satellitaires et à la publication de cartes de détail. Il en résulte un renouveau de l’intérêt pour l’Arabie antique. Il se traduit par l’édition de documents connus de longue date, mais négligés, comme les papyri égyptiens datant des décennies qui suivent la conquête islamique ou les versions secondaires de textes hagiographiques. Grâce à ces avancées, il commence à être possible d’écrire une histoire de l’Arabie préislamique et de l’articuler avec l’histoire du Proche-Orient et de la Méditerranée orientale. La position dominante du judaïsme dans le royaume de Himyar (Yémen) est désormais prouvée par des documents qui se comptent par dizaines. L’un, daté d’avril 470, dont l’auteur est un aristocrate himyarite, est particulièrement intéressant : ce personnage se réclame non plus de sa tribu d’origine, mais de « la tribu d’Israël ». C’est probablement l’indice d’une réforme politique et sociale tendant à substituer aux anciennes tribus une communauté unique, comme le fera plus tard Muhammad à Médine. Deux données nouvelles, de grande portée, sont donc à prendre en compte : ce sont d’une part la puissance du royaume de Himyar (dont les souverains jouissent d’une véritable autorité et qui domine, pendant deux siècles, la moitié de la péninsule Arabique, y compris, selon toute vraisemblance, La Mecque et Médine) et d’autre part la position dominante du judaïsme dans ce royaume. Elles éclairent d’un jour très

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nouveau la naissance de l’islam et redonnent des couleurs à la thèse de Charles Torrey, relative à une « fondation juive de l’islam ». Le colloque s’est attaché à faire un bilan des connaissances sur cette période cruciale, avec deux objectifs principaux : • Montrer que l’islam est l’héritier d’une longue histoire arabique, qui explique assez bien ses caractères les plus anciens. • Mieux cerner les interrogations qui doivent guider les recherches à venir. Son originalité était de réunir des spécialistes de diverses disciplines (archéologie, philologie, histoire, histoire des religions), qui n’ont pas l’habitude de communiquer : ceux de la période préislamique et ceux des débuts de l’islam. Les participants viennent principalement d’Israël et de France, même si quelques spécialistes d’autres pays ont été sollicités. Dimanche 5 février 2006 Matin - Accueil, par Pierre de Miroschedji (directeur du CRFJ). - Introduction, par Christian Robin (CNRS, Paris IV et Collège de France, UMR 7119). - Ronny Reich (Université de Haïfa) : La nécropole de Beth Shéarîm (Galilée). - Yosef Tobi (Université de Haïfa) : Le mikrâb de Hasî (inscription Mafray-Hasî 1). - Maria Gorea (MdC d’hébreu, Paris VIII) : Les mishmarôt de l’inscription de Bayt Hâdir réexaminées. Après-midi - Shaul Shaked (Université hébraïque) : L’inscription de ‘En Avdat, un bilan. - Zeev Rubin (Université de Tel-Aviv) : Azqir et Tubba. - Iwona Gajda (CNRS, Paris IV et Collège de France, UMR 7119) : Himyar et l’Arabie déserte. - Paul Yule (Université d’Heidelberg) : Les fouilles de Zafâr, capitale de Himyar. Lundi 6 février 2006 Matin - Mission allemande de Taymâ’ (Deutsches archäologisches Institut, Berlin) : L’oasis de Taymâ’ (nord du Hijâz) pendant l’Antiquité tardive et au début de l’islam. - Guy Stroumsa (Université hébraïque) : Juifs et chrétiens au VIIe s. - Françoise Briquel-Chatonnet (CNRS, Paris IV et Collège de France, UMR 7119) : Chrétiens d’Arabie : les sources syriaques. Après-midi - Michaël Lecker (Université hébraïque) : The treasury of the Jews of Medina. - G. R. Hawting (School of Oriental and African Studies, Londres) : The concept of prophethood in the Qur’ân and its possible sources. - Ella Landau-Tasseron, (Université hébraïque) : Les tribus de l’Arabie déserte et le judaïsme. - Claude Gilliot (Université de Provence) : Zayd b. Thâbit. Mardi 7 février Matin et début d’après-midi - Visite du Caveau des Himyarites dans la nécropole de Beth Shéarim (Galilée). Fin d’après-midi - José Costa (MdC d’hébreu, Paris III) : L’Arabie dans le . - Conclusions.

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La notion de commandement divin dans le judaïsme et en islam 27-28 mars : Table ronde « La notion de commandement divin dans le judaïsme et en islam », organisé par Katell Berthelot (CR CNRS, MMSH Aix-en-Provence, et chercheuse associée au CRFJ), Sarah Stroumsa (PU et Vice-recteur UHJ). Fruit d’une collaboration entre le CRFJ, le Centre Paul-Albert Février, l’Institut de recherche et d’étude des mondes arabes et musulmans (deux laboratoires intégrés à la MMSH à Aix-en-Provence) et l’Université hébraïque de Jérusalem, cet atelier s’inscrit dans un programme qui vise à analyser la représentation de la Loi dans le judaïsme et l’islam, deux religions qui ont en commun d’être des « légalismes », sans la connotation négative ordinairement attachée à ce terme. Ce programme prévoit la constitution d’un groupe de travail mixte, impliquant des spécialistes du judaïsme et de l’islam issus de traditions académiques différentes (françaises et israéliennes) et de champs disciplinaires complémentaires (histoire, théologie, droit et philosophie). Le groupe ainsi constitué se propose de travailler pendant trois ans (2006-2008) comme un séminaire biannuel, se réunissant en alternance à Jérusalem (printemps) et à Aix-en-Provence (automne), à chaque fois pour deux journées consécutives. Les communications seront finalement rassemblées dans un volume collectif. La première rencontre a eu lieu au CRFJ les 27 et 28 mars 2006, avec la participation de trois chercheurs français, d’une douzaine de professeurs de l’Université hébraïque, et d’une douzaine d’auditeurs comprenant des doctorants et des collègues issus d’autres universités (Université de Tel-Aviv, l’Université McGill au Canada). La rencontre a permis d’entendre six exposés, portant tant sur l’islam que sur le judaïsme, dans l’Antiquité, au Moyen-Âge ou à l’époque moderne, qui ont donné lieu à d’intenses discussions. Programme Monday 27 March Opening of the workshop, presentation of the participants and of their research field Eric Chaumont (CNRS), General Introduction Katell Berthelot (CNRS), The Notion of Divine Commandment in the Works of Philo of Alexandria Tuesday, 28 March Gideon Libson (Hebrew University), The Notion of Divine Commandment in and Islam : A Comparative Perspective Yohanan Friedman (Hebrew University), Shahada : The Muslim Declaration of Faith Nadjet Zouggar, (Toulouse University), The Notion of Divine Commandment in Ibn Taymiyya’s action theory Sarah Stroumsa (Hebrew University), God’s Rule, Earthly Polity Edouard Robberechts (University of Aix-Marseille III), Commandment, decrees and laws in the Star of Redemption of Franz Rosenzweig Afternoon ; General discussion and conclusion of the workshop Actualité et enjeux des mobilisations sociales et politiques dans l’espace israélo- palestinien 24-25 avril : la Première Rencontre doctorale du Centre de recherche français de Jérusalem s’est tenue les 24 et 25 avril 2006. Organisée par Elisabeth Marteu, boursière au laboratoire en 2005, cette rencontre a réuni vingt doctorants (dont 7 français, 12

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israéliens et 2 palestiniens) qui ont présenté leurs recherches sur les organisations pacifistes, le mouvement des colons israéliens, les organisations communautaires, la professionnalisation des modes d’action des ONG ou encore les relations entre « société civile » et autorités étatiques. Cette manifestation, première du genre au CRFJ, sera suivie de rencontres doctorales annuelles réunissant les boursiers doctorants du centre et des doctorants appartenant à des universités israéliennes et palestiniennes. Ces Rencontres poursuivront un double objectif : • permettre d’évaluer les recherches menées actuellement par des doctorants français, israéliens et palestiniens sur un même thème ; • réunir de jeunes chercheurs des trois communautés scientifiques pour leur permettre d’initier entre eux des projets coopératifs. Elles seront entièrement organisées par les boursiers doctorants du CRFJ, qui définiront chaque année un thème de recherche interdisciplinaire différent et solliciteront des communications auprès de leurs homologues israéliens et palestiniens. Le thème retenu cette année était : « Actualité et enjeux des mobilisations sociales et politiques dans l’espace israélo-palestinien ». Il concerne la problématique des mouvements sociaux et de la construction des causes dans l’espace israélo-palestinien. Les sociétés israélienne et palestinienne connaissent aujourd’hui un phénomène majeur et non exceptionnel de développement d’une société civile qui se présente à la fois comme une alternative aux carences ou discriminations des politiques étatiques et comme une arène diverse et variée de prise de parole. L’objectif est d’analyser la nature et les enjeux des différentes structures de mobilisation collective en interrogeant le processus même de construction des identités et des causes. Dès le début du XXe siècle, les populations juives et palestiniennes se sont constituées en organisations, comités et autres mouvements sociaux et politiques. Néanmoins, les structures et les objectifs ont aujourd’hui changé sous l’effet concomitant des mouvements de populations, des transitions politiques nationales et régionales et de l’ouverture sur la scène internationale. Au côté des répertoires d’action traditionnellement mobilisés par les partis politiques et les mouvements de résistance, des registres d’action parfois plus négociés et consensuels se sont développés en partie dans le champ associatif. L’émergence de ces groupes d’intérêts soulève aussi la question plus large de la nature et de l’avenir des fondements du consensus national. Que ces organisations se distancient, contestent ou contournent l’État, elles ont une influence sur la redéfinition du dialogue gouvernés/gouvernants, qui plus est pour certains groupes ou certaines communautés contestant les fondements politiques, si ce n’est la légitimité, du pouvoir décisionnel en place. L’action collective se fonde sur différents types de solidarités, d’ancrages sociaux et territoriaux, comme elle mobilise des répertoires d’action variés dépendants tout autant de stratégies internes que des opportunités politiques à saisir. En ce sens, les Rencontres doctorales du Centre de recherche français de Jérusalem s’interrogeront moins sur la formation des identités que sur les raisons et les mécanismes de leur conversion en mobilisation collective. Linguistique des langues juives 2-3 juillet : Atelier « Linguistique des langues juives », organisé par Frank Alvarez- Pereyre (CNRS, chercheur associé au CRFJ), avec la participation de Moshe Bar Asher (Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, Président de l’Académie de la langue

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hébraïque), Ofra Tiroch-Beker (Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem), Michaël Rizik (Académie de la langue hébraïque), Ora Schwarzwald (Professeur à l’Université Bar Ilan), David Bunis (Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem), Joseph Chétrit, (Professeur à l’Université de Haïfa), Marie-Christine Bornes-Varol (Professeur à l’INALCO), Georges Drettas (Chargé de recherche au CNRS), Simone Mrejen-O’Hana (HRD). Chaque intervenant présente en une vingtaine de minutes les travaux qu’il a menés ces dernières années dans le domaine de la linguistique des langues juives, avant que l’ensemble des participants ne procède à un tour d’horizon qui aboutira à l’établissement d’un programme de travail pour les années à venir. Techniques and People : Anthropological Perspectives on Technology in the Archaeology of the Protohistoric and Early Historic Periods in the Southern Levant 16-18 novembre : Atelier « Techniques and People : Anthropological Perspectives on Technology in the Archaeology of the Protohistoric and Early Historic Periods in the Southern Levant » Dans le prolongement des contacts établis lors de son précédent séjour (« mois- chercheur »), Valentine Roux (Directrice de recherche au CNRS, UMR7055, MAE, Université Paris X et chercheuse associée au CRFJ) organise avec Steve Rosen ( Prof. Université Ben Gourion du Néguev) un atelier qui se tiendra au Centre de recherche français de Jérusalem du 16 au 18 novembre 2006 avec la participation d’une quinzaine d’intervenants. Cette réunion s’attachera à poser les bases d’une étude des trajectoires évolutives des techniques en relation avec les structures socio-économiques et le changement culturel durant la préhistoire récente et les époques historiques anciennes. II. Séminaires du CRFJ Les séminaires de recherche du CRFJ ont lieu une fois par mois. Les chercheurs de l’unité, les chercheurs associés et les boursiers y exposent le sujet de leur étude. On trouvera ci-dessous le titre des séminaires du premier semestre 2006 27 janvier : Yona Zianga (doctorant à Université Marc Bloch) : Les Lemba, peuple juif : discours sur les origines ? 24 février : Bernadette Bensaude-Vincent (professeur, Université Paris X-Nanterre) : Chimique ou naturel ? 24 mars : Karine Lamarche (doctorante, boursière du CRFJ) : Les dynamiques identitaires chez les militants israéliens opposés à l’occupation. 28 avril : Ilaria Simonetti (doctorante, mois-chercheur du CRFJ) : Les mouvements de femmes en Israël 19 mai : François Valla (directeur de recherches au CNRS) : Mallaha et la sédentarité. III. Conférences du premier semestre 2006 4 janvier : Florence Heymann (ingénieur de recherche CRFJ-CNRS), Czernowitz comme paradigme des identités juives de la Mitteleuropa. 15 février : Mireille Hadas-Lebel (professeur à l’Université de Paris IV) : Y a-t-il un messianisme juif avant le Ier siècle de notre ère ? 1er mars : Bernadette Bensaude-Vincent (professeur, Université Paris X-Nanterre) : Les nanotechnologies vont-elles reconfigurer les rapports entre science et grand public ? 21 mars : Michaël Jasmin (chercheur associé) : La route de l’encens. 15 mai : Tilla Rudel : Walter Benjamin, l’ange assassiné.

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7 juin : David Khalfa (boursier doctorant du CRFJ) : Le plan de désengagement unilatéral : l’échec historique du mouvement des colons. IV. Fouilles La Mission archéologique de Tel Yarmouth (Israël) organise pendant l’été de 2006 sa seizième campagne de fouilles sous les auspices du Centre de recherche français de Jérusalem et de l’Institut d’archéologie de l’Université hébraïque de Jérusalem. Les travaux auront lieu du 17 juillet au 11 août avec la participation de volontaires venus de France et d’autres pays européens. Tel Yarmouth est situé à 30 kilomètres au sud-ouest de Jérusalem, au pied des monts de Judée. Composé d’une acropole et d’une ville basse de près de 16 hectares, le site a été fondé vers la fin du IVe millénaire et occupé jusqu’à l’époque byzantine. C’est l’une des plus anciennes et des plus importantes villes fortifiées de Palestine au Bronze ancien (IIIe millénaire), contemporaine des tous débuts de l’urbanisation dans cette région du Proche-Orient. En 2006, deux grands chantiers seront en activité dans la ville basse avec pour objectif d’achever le dégagement d’un vaste complexe palatial de la fin du Bronze ancien III (vers 2500-2400 av. J.-C.), et de poursuivre la fouille d’un quartier d’habitations voisin et d’une porte monumentale de la ville.

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Articles

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Les habitats au Bronze Ancien au Levant sud

Deborah Sebag

1 La maison est une base stratégique pour l’étude d’une civilisation donnée. En étudiant les habitats, il est possible de retrouver des indications sur le mode de vie de ses occupants, leur organisation sociale, leurs conceptions du monde, leurs besoins, leurs ressources, leurs coutumes mais aussi sur les techniques disponibles1.

2 Dans cette étude, nous proposons une présentation chronologique des différents types d’habitations que l’on peut trouver tout au long du Bronze Ancien, au Levant sud. 3 C’est au Bronze ancien (3100-2000 avant notre ère), que se déroule la première urbanisation du Levant sud. C’est la première urbanisation de la région, et une des premières au monde. Le phénomène d’urbanisation a démarré en Mésopotamie, au milieu du IXe millénaire. La ville est le symbole du développement d’une nouvelle civilisation ; on assiste à la mise en place d’un nouveau système d’existence, basé sur la dynamique entre une ville et les villages dépendants : entre la périphérie et le centre. L’étude du Bronze ancien permet d’observer des changements dans l’organisation sociale, avec notamment l’émergence d’une élite. Cependant, l’urbanisation ne fut pas une révolution, mais un processus lent, graduel, qui s’est enclenché dès le Chalcolithique, au début du IXe millénaire, et qui s’est accéléré vers 3000, au passage du Bronze ancien I au Bronze ancien II. 4 Les causes de cette transformation progressive sont multiples. Elles sont d’ordre économique : développement d’un mode de vie d’agriculteur sédentaire, et culturel : développement des relations avec les pays du Croissant Fertile et l’Égypte. 5 Le Levant sud se divise en trois zones climatiques : la zone méditerranéenne, la zone semi-aride et la zone aride. La limite entre ces zones est marquée par l’isohyète des 250 mm de précipitations annuelles et ses fluctuations. En effet, la zone de climat méditerranéen se situe au-dessus de cet isohyète et la zone aride se situe en dessous de cet isohyète. Mais celui-ci connaît des fluctuations annuelles qui créent une zone de climat variable, c’est la zone de climat semi-aride (fig. 1).

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6 Le Bronze ancien se divise en quatre périodes : le Bronze ancien I (3500-3100 avant notre ère), le Bronze ancien II (3100-2700 avant notre ère), le Bronze ancien III (2700-2300 avant notre ère) et le Bronze ancien IV (2300-2000 avant notre ère). 7 Malgré le grand nombre d’habitats retrouvés et leur grande variété, on peut identifier des types de maisons caractéristiques du Bronze ancien. Si ces types présentent des similitudes, elles sont plutôt à mettre sur le compte des conditions climatiques, du niveau d’urbanisation du site et des contraintes socioculturelles ou ethniques que sur le compte d’une autorité centrale de planification. En effet, les différences de qualité de construction indiquent que les maisons devaient être réalisées par des particuliers, sans doute par le futur propriétaire et sa famille2. Dans certains cas, la qualité de la construction laisse à penser qu’elle a pu être réalisé par un constructeur « professionnel ». L’existence de tels professionnels n’est pas improbable à une époque aussi ancienne car la construction d’enceintes ou de palais implique déjà leur existence. 8 Cette présentation n’inclut pas le plan absidal3, même s’il est très souvent mentionné dans la littérature archéologique du Bronze ancien. En effet, de très nombreuses maisons ont été décrites comme étant absidales, or il s’avère après un examen approfondi des plans, que ces habitats sont plutôt curvilignes, barlongs ou rectilignes4. En fait, une seule maison semble mériter le qualificatif d’absidal : la maison niveau IV de Megiddo. Or un seul exemple de plan ne suffit pas à caractériser une tradition architecturale.

Fig. 1 – Carte des sites étudiés

9 De même est exclu de cette étude le plan de forme circulaire comme on peut le trouver à Beth Shean ou à Jéricho car son identification en tant qu’habitat semble douteuse. Certains pensent que ces structures ont plutôt servi au stockage.

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10 Enfin, les habitats sous des huttes sont également ignorés, car il ne reste que des trous de poteaux difficilement analysables et interprétables. C’est le cas à Tel Ira où l’on trouve de nombreux tessons contemporains sur un sol vierge5 ou à Beth Shean où il reste des traces d’excavations à l’emplacement supposé des huttes6. I. Le Bronze ancien I 11 Le Bronze ancien I est caractérisé par des sociétés villageoises qui partagent une grande majorité de traits culturels et matériels. Les sites sont, à de rares exceptions, des villages non fortifiés ou des hameaux. 12 Le Bronze ancien I est caractérisé à la fois par des éléments de continuité avec la période précédente et des éléments nouveaux. 13 Le fait que la culture du Bronze ancien I reste avant tout de nature villageoise et marquée par un fort régionalisme culturel sont des éléments importants de continuité avec les périodes précédentes. Ainsi, à cette époque, les sites sont des villages non fortifiés avec une faible densité d’occupation. On observe aussi la continuité de certains types architecturaux : les maisons fosses, les habitats troglodytes et les maisons à plan barlong avec une grande cour. 14 D’autre part, le Bronze ancien I apporte des éléments novateurs et notamment une nouvelle carte du peuplement. En effet, durant le Chalcolithique les zones habitées se situaient plutôt en zone semi-désertique et désertique. La plupart de ces sites sont abandonnés au début du Bronze ancien I et de nouveaux sites apparaissent en zone méditerranéenne. Ce phénomène s’accompagne d’un mouvement de sédentarisation accrue des populations. C’est une évolution qui tend à une organisation plus compacte des habitats7. 15 Au début du Bronze ancien I, l’habitat s’adapte à une nouvelle donne économique. Ces transformations ont débuté dès le début du IXe millénaire et se sont accélérées lors de la transition entre le Chalcolithique et le Bronze ancien I. La culture et l’échange de productions méditerranéennes sont les moteurs économiques les plus importants du Bronze ancien. La direction de cette industrie était un des axes centraux qui a permis l’émergence d’une élite dirigeant la vie économique et socio-politique de la société cananéenne au Bronze ancien I et II8. 16 Parmi les types architecturaux en continuité avec les époques précédentes, il y a les habitats troglodytes et les maisons fosses. 17 Les habitats troglodytes n’ont pas de plan type. Ils réutilisent les données naturelles de la grotte. Dans certains cas, les parois naturelles sont creusées pour agrandir l’espace (Lachish) ou arasées afin de paraître plus plates. 18 Les troglodytes ne sont pas situés dans des zones géographiques spécifiques. Leur présence dépend entièrement de la topographie du site. On peut en trouver en zone méditerranéenne comme à Gezer ou à Lachish et en zone semi-désertique comme à Arad. 19 L’utilisation de grottes naturelles, bien que marginale comparée aux autres types d’habitations, coexiste avec les établissements ruraux ou urbains à toutes les époques d’occupation de la Palestine9. Les habitations troglodytes ont souvent été réemployées en tant que sépultures comme celles de Lachish au Bronze moyen. 20 Les maisons fosses se trouvent dans des excavations assez profondes creusées par l’homme. Ce sont des constructions de plan circulaire ou ovale, elles mesurent de 2 à

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4 m de diamètre. Elles sont enterrées en moyenne de 0,50 m à 3,50 m. Les sols de la maison sont enduits. La superstructure devait être en torchis ou en briques comme à Tel Halif10, elle a pu aussi être en tissu. 21 On rencontre les maisons fosses dans tous les types de zones géographiques, tant en zone méditerranéenne comme à Beth Yerah11 ou Tel Halif 12, qu’en zone semi- désertique. À Tel Halif, on trouve une concentration de plusieurs maisons fosses formant un hameau d’habitations. La maison fosse est très ancienne, l’origine remonte à la période Kébarienne (17000-10500 avant notre ère) et Natoufienne (10500-8800 avant notre ère). Ce n’est pas une forme d’architecture régressive, mais un mode d’habitat économique. En effet, il est plus facile d’excaver que de construire. C’est un habitat moins coûteux en énergie et en matières premières surtout dans des régions où les ressources en bois font défaut. Malgré sa faible diffusion, ce type d’architecture se pérennise jusqu’à l’époque byzantine et même jusqu’à la période contemporaine13. 22 Dans les villages, on trouve généralement une maison de plan barlong. Ben-Tor14 a défini quelques caractéristiques essentielles de ces maisons : une pièce principale barlongue, d’une taille moyenne de 2,75 à 5 m de large et de 5,50 à 10 m de long, souvent associée à des pièces subsidiaires ; des bancs le long des murs (0,30 à 0,40 m de largeur) ; un sol enterré avec deux ou trois marches d’accès ; une dalle servant de base de poteau ; une entrée située sur l’un des longs côtés (0,60 à 0,70 m de large) et un enclos entourant les différentes unités du plan. À l’intérieur de certaines maisons, on trouve des plates-formes, des silos, des fosses et des foyers. Cet ensemble est toujours associé à une cour. On peut noter l’absence de fenêtres, l’air et la lumière devaient provenir uniquement de la porte d’entrée. Les matériaux utilisés sont toujours d’origine locale. L’espace intérieur de la maison est souvent divisé à l’aide de murs de refend. 23 Le plan barlong a aussi été identifié sur d’autres sites comme En Shadud (fig. 2) et Tel Dalit, mais il semblerait qu’il n’y ait pas la même association d’une pièce barlongue et d’une cour. 24 Ce type de plan qui associe une pièce à vivre barlongue à une grande cour est directement héritier de la maison de pasteur du Chalcolithique (niveau VI, de Tel Teo). Ces habitations sont associées à un mode de vie basé en grande partie sur l’élevage.

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Fig. 2 – En Shahud, chantier A (d’après Braun, 1985, fig. 5)

Fig. 3 – Qiriat Ata, chantier A (d’après Golani, 2003, plan 2.1, p. 12)

25 Pour Ben-Tor15, il existe un parallèle évident entre ce plan utilisé à des fins domestiques et le plan utilisé pour la réalisation de sanctuaires comme les temples jumeaux, strate XIX, et les sanctuaires, strates XV et XVI, de Megiddo16, le temple de la strate VIII de Jéricho, le sanctuaire du Bronze ancienII d’Arad et le temple du Bronze ancien II de

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l’Acropole d’Ai ; mais aussi de tombes collectives comme à Bab-edh-Dhra au Bronze ancien II et III. Ainsi, l’étendue de l’utilisation de ce plan à l’architecture religieuse et funéraire tendrait à prouver son origine indigène. 26 Dans les villages du Bronze ancien, comme à En Shadud, Tel Teo, Yiftahel, Tel Kabri, Mezer, Palmahim Quarry et Qiryat Ata, les habitations sont éparpillées sans organisation. Il semble que chaque famille nucléaire dirige sa propre maisonnée. Les infrastructures du village indiquent deux niveaux d’organisation sociale : la communauté et la famille nucléaire. 27 Au Bronze Ancien I, on trouve aussi une architecture très particulière dite curviligne. Elle est, par définition, constituée de murs courbes, ainsi un bâtiment rectiligne avec quelques angles arrondis ne peut pas être qualifié de curviligne. 28 On retrouve ce type d’architecture dans une vaste région qui comprend le nord d’Israël, une partie de la Jordanie et du littoral libanais. Le site de Byblos (Liban) marque la limite nord de l’extension de cette architecture. Au sud, on trouve des maisons curvilignes jusqu’à Modiin, près de Jérusalem, la limite est est marquée par le site de Jebel Mutawwaq (Jordanie). 29 À Mezer, Palmahim Quarry, ou Yiftahel, le niveau daté du Bronze ancien I et contenant des habitats curvilignes suit directement un niveau Chalcolithique contenant des habitats rectilignes. À Kabri, Mezer et Qiryat Ata (fig. 3), les niveaux curvilignes du Bronze ancien I sont directement suivis de niveaux rectilignes, datés de la fin du Bronze ancien I ou du début du Bronze ancien II. 30 Les maisons font de 6 à 16 m de long et de 5 à 8 m de large. Les murs ont des fondations en pierre et une superstructure en briques. Dans de nombreuses maisons, l’espace est divisé par des petits murs de refend curvilignes. Ils divisent l’espace en trois avec un espace central et deux petits espaces dans les absides. Le sol est en terre battue. À Yiftahel, Qiryat Ata, Tel Teo, Mezer et Kabri les deux absides étaient pavées de petites pierres plates. À Palmahim Quarry, le sol de l’espace central est pavé et à Jebel Mutawwaq, il est entièrement en terre battue. À Jebel Mutawwaq et dans le chantier A de Qiryat Ata, on trouve les seules bases de piliers en pierre, disposées le long de l’axe longitudinal. Les piliers devaient être en bois et soutenaient une couverture légère. Ainsi, Braun17, le fouilleur de Yiftahel et de Palmahim Quarry, suppose que les piliers, dans les autres sites, ont pu être en terre et n’ont laissé alors aucune trace archéologique. Cependant, comme la travée de ces maisons est étroite, le toit a pu s’appuyer sur le sommet des murs de refend curvilignes, comme le proposent les fouilleurs de Sidon-Dakerman (Liban) (fig. 4)18. 31 D’une façon générale, à l’intérieur de ces habitats, peu d’installations ont été mises au jour. Elles sont souvent concentrées dans la zone des absides pavées. Les habitats peuvent aussi être associés à des installations externes comme des petites structures circulaires (Mezer, Yiftahel, Palmahim Quarry). Seules quelques maisons sont associées à une cour.

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Fig. 4 – Village de maisons curvilignes à Sidon-Dakerman (d’après Herzog, 1997, fig. 3.2)

32 La durée d’occupation des maisons a sans doute été assez brève, car on observe plusieurs phases de constructions superposées sur une période chronologique assez courte. 33 Les habitats sont organisés en villages contenant quelques dizaines de maisons sauf à Jebel Mutawwaq qui contient 250 maisons entourées par un mur de clôture. Même si Jebel Mutawwaq présente de nombreuses similitudes avec les sites palestiniens, il présente aussi d’importantes différences architecturales. Ce site se rapproche plus de ce que l’on trouve à Sidon-Dakerman19, à Byblos20 ou à Chraya dans la région du Léja, au sud de Damas21. 34 La question de l’origine du plan curviligne reste ouverte. Les modèles les plus anciens ont été retrouvés à Byblos, au début de l’Enéolithique récent (Ve millénaire avant notre ère) mais aussi à Sidon-Dakerman, au Chalcolithique. La filiation est directe avec des villages comme Yiftahel. Le modèle aurait essaimé au Bronze ancien I en Transjordanie et dans le Nord de la Palestine. Dans tous les cas, l’apparition de ce modèle architectural s’insère dans la séquence culturelle du Bronze ancien I qui voit une augmentation du nombre des sites. C’est un phénomène difficilement quantifiable qui semble être le résultat de la sédentarisation de populations qui pratiquaient, jusqu’alors, le nomadisme. 35 L’architecture curviligne est fréquemment associée à la céramique de type Esdrelon. Ils sont les reflets d’une nouvelle culture matérielle et donc de l’arrivée d’une nouvelle population dans le Nord de la Palestine, au début du Bronze ancien I. En effet, le choix de construire des maisons curvilignes est entièrement culturel. En effet, ce type de plan n’existait pas aux périodes précédentes et l’on ne le retrouvera pas aux périodes suivantes ; de plus, bâtir des murs curvilignes avec des briques rectangulaires relève d’un véritable enjeu technique. 36 D’autre part, les ethnoarchéologues font remarquer que « l’introduction de nouveaux types architecturaux sur un site, ne doit pas nécessairement s’expliquer par des changements brutaux de civilisation, dus à des conflits. Elle peut être le fruit d’influences plus subtiles, telle que l’adoption de « modes » qui traduisent bien la valeur culturelle que l’on peut attribuer aux phénomènes architecturaux »22. 37 Les sites d’En Besor et de Tell es-Sakan sont des cas particuliers en raison du matériel archéologique mis au jour et des techniques de construction employées. En effet, les murs n’ont pas d’assises de fondation, ils sont posés directement dans une tranchée de

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fondation très peu profonde. Cette technique provient de la région du Delta du Nil. Les murs sont faits entièrement en briques crues posées en assises alternées en carreaux et boutisses. Ces dimensions des briques sont très particulières, à Tell es-Sakan elles font 0,12 x 0,24 m correspondant à la coudée royale égyptienne ; à ‘En Besor les briques font 0,08 x 0,12 m. 38 Les bâtiments sont le reflet de relations particulières à un moment donné et durant une brève période entre les civilisations cananéenne et égyptienne. La présence de ces bâtiments est une des étapes de cette relation qui a commencé dès le Chalcolithique récent ou époque de Naqada I en Égypte. Les relations se sont intensifiées au début du Bronze ancien I – époque de la Dynastie « 0 » – et elles ont abouti durant la deuxième moitié du Bronze ancien I à la création de comptoirs typiquement égyptiens à Tell es- Sakan ou ‘En Besor. Ces sites sont des gîtes d’étapes ou des places fortes – Sakan est fortifié –abritant des fonctionnaires égyptiens et des entrepôts commerciaux. Ils disparaissent à la fin du Bronze ancien I. Cependant, les contacts persistent entre l’Égypte et la Palestine, mais ils changent de nature et se font directement entre les premières dynasties égyptiennes et les nouvelles cités-États cananéennes. 39 La culture matérielle de ces sites est de tradition égyptienne importée ou réalisée sur place. On retrouve ces objets dans des sites cananéens en relation, plus ou moins directe, avec les établissements égyptiens comme Tel Erani. 40 La présence de ces établissements répond aux besoins d’une politique liée à l’émergence progressive en Égypte d’un pouvoir centralisé avec des besoins croissants en matières premières et en produits exotiques23, la Palestine étant un producteur de ces produits. 41 D’autre part, ces sites n’apparaissent pas brusquement, il y a des précédents au sud de la plaine côtière vers le milieu du IVe siècle à l’époque de la civilisation de Basse-Égypte dite « de Maadi »24. 42 Comme nous l’avons vu, même si le Bronze ancien I se situe dans la continuité du Chalcolithique récent, il marque un tournant dans la tradition architecturale cananéenne. En effet, des plans persistent comme le plan rectiligne ou barlong mais en s’adaptant à des sites à densité plus forte. D’autres traditions architecturales apparaissent comme l’architecture curviligne et celle d’origine égyptienne, elles sont le reflet ponctuel des relations et des échanges qui se développent à cette période entre la Palestine et ses proches voisins. II. Le Bronze ancien II-III 43 Le Bronze ancien II-III est caractérisé par le développement du phénomène d’urbanisation, même si il n’est pas uniforme à travers tout le pays. Certaines villes sont déjà urbanisées à la fin du Bronze ancien I alors que d’autres n’atteignent leur stade urbain qu’au Bronze ancien II ou III25. 44 Au Bronze ancien II, les hommes continuent à se sédentariser et l’on assiste à une concentration de la population dans un nombre restreint de sites qui se fortifient. La fortification des sites (Ai, Jéricho, Tell el-Farah, Tel Yarmouth) est le reflet d’une nouvelle forme d’organisation sociale : la cité-État. Cette époque voit le développement de l’économie méditerranéenne. 45 L’urbanisation ne se fait pas sans conséquences sur les habitats. En effet, l’architecture rectiligne est parfaitement adaptée à un tissu urbain qui se densifie. Son plan est

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modulable selon l’espace disponible et l’on peut l’agrandir facilement selon les besoins de la famille. 46 D’un point de vue architectural, la plus grande transformation du Bronze ancien II est la construction de remparts autour des sites. Cela crée des espaces clairement limités. La fortification est le symbole de l’existence d’une classe dirigeante pouvant rassembler les énergies collectives. Les effets s’en ressentent au niveau de l’économie, car le contrôle de l’entrée des portes entraîne la centralisation des activités socio- économiques à l’intérieur du site26. Dans certains cas, on observe la construction de remparts avant l’établissement de quartiers d’habitations et dans d’autres cas, on observe la destruction de maisons en vue de la construction des remparts. Dans tous les cas, la fortification prend la préséance sur les habitations qui seront construites ou reconstruites en fonction de la ligne du rempart27. On peut l’observer à Tel Dalit, Tell el- Farah et à Ai où les habitats suivent le tracé des fortifications (fig. 5). À Tel Yarmouth, le quartier domestique G est rasé pour laisser la place au palais B (Bronze ancien III). Le quartier est ensuite reconstruit le long des limites du palais et une petite rue les sépare (fig. 6). 47 Dans les villes, il y a à la fois des habitats monocellulaires et pluricellulaires. Les habitats monocellulaires sont des pièces rectangulaires de 5 à 6 m de long sur 3 à 4 m de large qui ouvrent sur une rue ou sur une cour commune28. L’absence de communication entre des pièces accolées peut être un indice de la présence de deux unités domestiques distinctes, mais souvent il est difficile d’isoler un ensemble domestique du reste de l’îlot. C’est le cas à Tel Yarmouth, où l’imbrication architecturale suggère que l’îlot était habité par un même groupement familial ou par un même lignage (fig. 6). Dans certains cas, comme à Numeira au Bronze ancien III, la densité urbaine est si importante que les habitats monocellulaires ne possèdent même plus de cour (fig. 6). Ils ont pu alors utiliser la rue comme une extension de l’habitat. On aboutit à des situations d’agglutination des habitats, qui traduisent un haut niveau d’intégration sociale, plus important que dans un village29. 48 À l’intérieur de ces îlots d’habitations, les maisons sont le plus couramment de plan rectiligne. Cependant, il arrive que les habitats soient déformés par la pression urbaine. On trouve des habitats de forme triangulaire ou carrée. D’une façon générale, les habitats sont si groupés qu’il devient difficile d’isoler des unités distinctes et de différencier les pièces couvertes et les cours (fig. 5). L’habitat le plus courant en milieu urbain est composé d’une pièce et d’une cour avec, dans certains cas, une pièce subsidiaire plus modeste, servant au stockage30. Si le tissu urbain est trop dense, il arrive qu’il n’y ait pas de cour. Les activités qui s’y déroulaient peuvent alors se déplacer dans une ruelle adjacente ou peut-être sur le toit. 49 On trouve des habitations à plan pluricellulaire tout au long du Bronze ancien à la fois dans les sites villageois comme à Beth Shean, Mezer et En Besor et dans les sites fortifiés comme Tell el-Farah, Ai et Tel Erani. Le nombre de pièces va de deux à cinq, la moyenne se situe autour de trois pièces. Le fait que l’espace intérieur de la maison soit subdivisé indique une spécialisation de l’espace domestique. 50 On peut aussi penser que certaines de ces très grandes maisons ont pu être habitées par des familles élargies ou par une élite. Pour le moment, les principaux indices de l’existence d’une élite sont apportés par les habitats de grandes dimensions. On trouve ces maisons dites « patriciennes » sur des sites fortifiés comme à Tel Yarmouth (le « Bâtiment Blanc »), à Tel Nagila, à Ai, à Tel Erani (la maison 232) ou à Tell el-Farah

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(fig. 7) (la « Maison des Jarres »). L’appellation « maison patricienne » est due non seulement à leurs dimensions mais aussi au soin particulier apporté à leur construction. Le cas extrême de ces maisons patriciennes est atteint avec la construction de palais comme Tel Yarmouth ou Ai. Cependant, ce ne sont plus des habitats mais surtout des instruments de contrôle politique et économique. Ils prouvent l’existence des premières monarchies locales en Canaan. 51 Alors que certains sites importants ont déjà disparu à la fin du Bronze ancien II, d’autres n’atteignent leur apogée qu’au Bronze ancien III31. Ainsi, Tell es-Sakan est réoccupé par des populations cananéennes et il est à nouveau fortifié. Numeira est aussi fortifié au Bronze ancien III, comme Tel Halif.

Fig. 5 – Tell el-Farah, niveau 3, plan des habitations (d’après Vaux, 1961, pl. XXXIV)

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Fig. 6 – Quartiers d’habitations du Bronze ancien III. a. Numeira (d’après Coogan, 1984, fig. 1) b. Tel Yarmouth, chantier G (d’après Miroschedji, 1992, fig. 1).

52 Cependant, on note une continuité entre le Bronze ancien II et III. La première révolution urbaine a joué un rôle dans l’évolution des habitats. Pour la première fois, les hommes doivent s’accommoder d’un espace clos. Les maisons se regroupent et s’organisent en îlots entourés de ruelles. L’habitat se retrouve alors réduit à sa plus simple expression : une pièce à tout faire et une cour. 53 Dans le sud de la Palestine, on trouve d’autres modes de vie, plus centrés sur l’élevage et impliquant d’autres types d’architectures, notamment à Arad et dans le Sinaï. 54 Après sa fouille, le site d’Arad a été réétudié par des chercheurs32. Ils ont voulu discuter l’interprétation de Ruth Amiran, qui faisait de la « maison d’Arad » un modèle absolu avec pour caractéristiques principales sa forme barlongue, son entrée située au milieu d’un long côté et son sol enterré33. 55 En réalité, il semblerait qu’il faille déplacer la question, car le problème ne se situe pas au niveau du bâtiment barlong mais plutôt au niveau de l’unité domestique entière. En effet, c’est une erreur de considérer l’habitat typique d’Arad comme une maison constituée d’un seul bâtiment. Il semblerait au contraire, d’après les études de Marfoe, que l’habitat d’Arad soit par essence composé de plusieurs unités regroupées autour d’une cour, et que le bâtiment barlong n’est qu’une partie d’un tout. 56 Si on fait un rapprochement avec l’ethnoarchéologie des populations d’anciens nomades en voie de sédentarisation, on peut observer de nombreux points communs dans l’architecture des maisons. En effet, lors de la seconde étape de sédentarisation, on commence à assister à une spécialisation de l’espace domestique. Chaque bâtiment « tend à n’abriter qu’une seule fonction (vie, stockage, abri des animaux…) »34. D’une

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façon générale, tous les plans sont constitués d’un assemblage de pièces regroupées autour d’une cour, avec parfois un enclos (fig. 8). 57 D’autre part, la ville du niveau III donne l’impression d’être un village entouré d’une enceinte. De la même façon, le plan du niveau II, qui est l’apogée du développement urbain d’Arad, ne semble pas être occupé de façon très dense (fig. 9). 58 Ainsi, après l’étude de ses habitats et de son urbanisme, Arad semble être un cas unique de village occupé par des populations récemment sédentarisées, mais déjà urbanisées, étant donné que le site est fortifié. C’est une ville hybride mi-camp nomade en dur, mi- ville. 59 Dans les zones désertiques, on trouve un type de plan dit « en grappe ». Il est formé d’un ensemble de petites pièces de formes variées. On retrouve ce type d’architecture dans de petits établissements situés exclusivement dans le Sinaï et le Néguev et datés du Bronze ancien II (fig. 10). Ce type de plan se divise en deux types : le premier type est constitué d’une vaste cour entourée de nombreuses petites pièces et le second est constitué essentiellement d’un enclos. 60 On retrouve les sites du premier type à Ain el-Qudeirat, Feiran 1, Nabi Salah, Ramat Matred et Sheikh Muhsein. Ces sites se trouvent près des sources d’eau, et des routes qui suivent les principaux wadis. Ils sont composés d’unités domestiques disposées autour d’une cour, qui forment un campement de forme plus ou moins circulaire (fig. 11). 61 Ces unités domestiques sont constituées de six à neuf pièces d’habitation et de dix à quatorze pièces subsidiaires, disposées autour d’une cour qui sert aussi d’enclos pour les animaux (chèvres, moutons). 62 Les pièces d’habitation sont de formes ovale, rectangulaire ou trapézoïdale. Leur entrée fait de 0,55 à 0,60 m de large, elle est flanquée de deux monolithes conservés sur 0,75 à 2,20 m de hauteur et possède un seuil en pierre. Le sol se situe de 0,20 à 0,60 m en contrebas par rapport à la cour, et une à six marches conduisent à l’intérieur. Il y a des bancs en pierre le long des murs comme dans l’unité A de Nabi Salah. On trouve aussi fréquemment des coffres servant au stockage des denrées dans les coins, comme à Sheikh Muhsen. On trouve très souvent au centre de la pièce une dalle de pierre servant de base de pilier ou un pilier entièrement en pierre, retrouvé écroulé. 63 Les pièces subsidiaires diffèrent des pièces d’habitation par leur taille, leur forme, les techniques de construction employées et leurs dimensions (1,50 à 10 m2). Ces pièces sont de forme circulaire, elles sont pavées de dalles, certaines sont subdivisées par des pierres posées de chant. Le sol se situe au même niveau que celui de la cour. On n’y trouve ni bases de colonne, ni bancs35. Ces pièces subsidiaires servaient d’ateliers ou de zones de stockage. Ainsi, à Feiran 1, les fouilleurs pensent que la pièce 8 a pu servir d’atelier à cause de la présence d’un creuset contenant des restes de cuivre oxydé. 64 Cet ensemble de pièces s’organise autour d’une cour qui fait en moyenne de 12 x 15 m, certaines font jusqu’à 20 m de long, voire plus, comme à Sheikh Muhsen. 65 Ces sites devaient être des campements, occupés de façon saisonnière par des pasteurs nomades pratiquant l’élevage mais aussi les échanges, car on y a retrouvé du cuivre, de la nacre, et des coquillages de la mer Rouge. Ces sites devaient être habités par des familles étendues36.

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Fig. 7 – Maisons pluricellulaires de Tell el-Farah (d’après Boon Grunwald, 1976)

Fig. 8 – Tel Arad, chantier M, niveau III, carrés AN/AO 35/36, grande maison : 153,8 m2 (d’après Amiran, 1996, pl. 96)

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Fig. 9 – Tel Arad, Chantier M, habitations barlongues imbriquées (d’après Amiran, 1996, pl. 96)

66 Pour Beit-Arieh, principal fouilleur de ce type de sites, ils s’inscrivent dans la culture d’Arad37 et cananéenne. On le voit tout d’abord par des similitudes architecturales (sol enterré, bancs le long des murs, marches, bases de piliers en pierre) et au matériel retrouvé sur ces sites, qui est typiquement de culture cananéenne. Ceci a été confirmé par des études pétrographiques de céramiques, 67 de même nature, venant à la fois d’Arad et du Sinaï. Dans les deux cas, elles révèlent la présence d’argile granitique du Sinaï. Dans tous les cas on trouve très peu (moins de 0,05 %) de céramique d’origine égyptienne datant de la Ire dynastie. Tout cela prouve l’existence d’une même tradition culturelle originaire du sud de la Palestine. 68 On trouve les unités à enclos à Gebel Gunna, et dans les environs d’Ain Kid. De nombreux autres petits sites abritant ce type d’architecture ont été repérés par des prospections, tout le long de la côte Est de la péninsule du Sinaï et à l’ouest autour de l’oasis de Feiran38.

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Fig. 10 – Carte du Sinaï

69 Beit-Arieh divise ces sites en deux catégories : une première est composée d’un enclos rond rattaché à une ou deux pièces rondes ou rectangulaires, comme le site 1332 (Ain Kid). La deuxième catégorie est constituée d’un enclos rond à l’intérieur duquel se trouvent des petits compartiments (de 1 à 1,5 m de diamètre). Dans certains cas, une pièce supplémentaire est reliée à cet enclos. 70 En moyenne, les enclos mesurent de 35 à 129 m2, et ils sont de forme plus ou moins rectangulaire, comme dans les sites 1332 et 1333 d’Ain Kid, ovale, comme à Gunna 25 ou ronde, comme sur le site 1345 d’Ain Kid. Le plus souvent le sol est recouvert de matière organique, sans doute du fumier. Les murs sont conservés sur une ou deux assises, les fondations sont peu profondes, elles sont en pierre. Les superstructures ont pu être en peaux. D’une façon générale, les constructions ont été réalisées avec peu de soin.

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Fig. 11 – L’unité de Nabi Salah (d’après Beit-Arieh, 2003)

71 À Gebel Gunna, on trouve des installations dans les pièces : banc, silo, bassin en pierre. À l’inverse, dans les autres sites prospectés par Beit-Arieh, les fouilleurs n’ont pas trouvé d’aménagements internes39. Dans les deux cas, il n’y a ni colonnes, ni seuil flanqué de monolithes, ni base de pilier en pierre, ni bancs le long des murs. 72 L’architecture et la pauvreté du matériel retrouvé font penser que les sites ont été habités par des populations différentes de celles qui habitaient dans les autres sites du Sinaï. Ils ont été occupés par des populations locales et semi-nomades, d’où la présence centrale de l’enclos où devait être plantée la tente. Cependant, la présence de quelques tessons d’origine cananéenne prouve que les deux populations pratiquaient des échanges. 73 Ainsi, on a vu qu’il y avait deux types majeurs d’établissements à plan en grappe. Tous deux sont datés exclusivement du Bronze ancien II et se situent dans des zones de climat désertique. Le premier type d’établissement est occupé par des populations d’origine cananéenne, directement en liaison avec Arad et le second type d’établissement est occupé par des populations indigènes. 74 Dans les deux cas, on trouve des caractéristiques typiques du mode de vie et de subsistance semi-nomade : une localisation près des oasis ; une répartition très aérée des structures d’habitat ; la présence d’une vaste cour pour le troupeau, où était plantée la tente ; une construction de qualité médiocre, car l’établissement n’était occupé que de façon très brève. Conclusion 75 Si l’on observe les transformations subies par les plans qui ont traversé le Bronze ancien, on remarque que le développement général va dans le sens d’une meilleure adaptation du plan à environnement. 76 D’une part, même si la construction des habitats n’était pas soumise aux même contraintes que la construction des temples ou des palais, elle devait néanmoins se conformer à des idées préconçues. Elle devait avoir une forme culturelle acceptable. Si la forme architecturale était nouvelle, elle devait contenir certains éléments

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culturellement requis comme une zone de stockage ou une cour. D’autre part, sur un site occupé pendant une longue durée, les plans devaient intégrer les pièces préexistantes et les fragments antérieurs d’architecture. De même, sur les sites urbanisés, le plan devait être le résultat d’une occupation de l’espace la plus efficace possible. 77 Si on se base sur la courbe théorique de l’urbanisation en Palestine proposée par Miroschedji40, on peut attribuer un type d’habitat à chaque phase : sédentarisation, village, urbanisation (fig. 12).

Fig. 12 – Courbe théorique de l’urbanisation de la Palestine (d’après Miroschedji, 1989, fig. 1)

78 Lors de la sédentarisation, on assiste à la création de nouveaux établissements, l’occupation du territoire est lâche. Les unités d’habitation sont constituées d’un ensemble de pièces regroupées autour d’une cour. La maison a tendance à être barlongue rappelant la forme de la tente bédouine. L’habitat porte les traces des activités agricoles et pastorales pratiquées par ses occupants. 79 Le stade villageois est une phase de consolidation et d’expansion du peuplement. Les habitats ont tendance à se regrouper, la pratique de l’agriculture tend à se développer, l’architecture rectiligne reste la règle même si on peut observer des variantes locales. 80 Au stade urbain, les habitats ont une superficie réduite. Ils restent rectilignes, mais subissent la pression du tissu urbain qui s’accroît avec le temps. 81 Ce modèle s’adapte au Bronze ancien, mais il peut s’adapter aussi à la deuxième phase urbaine au début du Bronze moyen (2000-1600 avant notre ère). 82 Ainsi, nous avons pu voir les trois variables majeures qui influencent les habitats et leurs formes. La variable la plus influente est de nature économique, car le mode de subsistance guide la composition d’un habitat. Le facteur urbain ne s’applique que dans le cas des sites fortifiés du Bronze ancien II et III et le facteur culturel reste assez anecdotique à cette époque. 83 Les données architecturales nous ont donc permis de saisir les interactions et l’importance relative du milieu naturel, du mode de vie, du niveau de développement technologique et de la tradition socioculturelle dans la formation, l’évolution et la stabilisation des types d’habitations41. 84 Enfin, la plus importante des variables reste le choix personnel. En effet, l’avis du futur propriétaire n’est pas à négliger, c’est lui qui devait élaborer le plan de sa future maison. D’ailleurs, T. Canaan note dans ses observations ethnographiques de la Palestine que pour la construction de toutes les maisons, jusqu’au début du XXe siècle, les villageois ne faisaient appel à des architectes qu’exceptionnellement, par exemple pour construire une grande maison. L’architecte était alors un maçon simplement plus

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expérimenté. En général, de simples maçons faisaient le plan et construisaient la maison. Ils étaient aidés et supervisés par le futur propriétaire de la maison42.

NOTES

1. A. Rapoport, Pour une anthropologie de la maison, Collection Aspects de l’Urbanisme, Bordas, 1972, pp. 4-6. 2. A. Ben-Tor, « Early Bronze Age Dwellings and Installations » in A. Kempinski, R. Reich (eds) The Architecture of Ancient Israel from the Prehistoric to the Persian periods. Jerusalem : I.E.S., 1992, p. 60. 3. Le terme d’absidal recouvre un type très particulier d’architecture, il s’agit d’un plan avec une extrémité en forme de demi-cercle ou d’abside et l’autre extrémité de forme rectiligne ou rectangulaire. 4. E. Braun, « The Problem of the « Apsidal » House : New Aspects of Early Bronze I Domestic Architecture in Israel, Jordan, and Lebanon ». Palestine Exploration Quarterly 121, 1989, pp.1-43. 5. I. Beit-Arieh, « Sinai, southern Sinai in the Early Bronze age » in Stern, E. (ed.) The New Encyclopedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem, The Israel Exploration Society, volume 4, 1993, pp. 1397-1399 ; I. Beit-Arieh, « Excavations at Ramat Matred : an Early Bronze II site in the Neguev Highlands ». Tel Aviv 26, 1999, pp. 76-91. 6. B. Maisler, M. Stekelis, M. Avi, « The Excavations at Beth Yerah (Kirbet el-Kerak) 1944-1946 ». Israel Exploration Journal 2, 1952, pp. 165-175. 7. E. Braun, Cultural Diversity and Change in the Early Bronze I of Israel and Jordan, towards an Uunderstanding of the Chronological Progression and Patterns of Regionalism in Early Bronze I Society, Dissertation presented to the Senate of Tel Aviv University. (non publié), 1996, p. 31. 8. A. H. Joffe, Settlement and Society in the Early Bronze Age I and II, Southern Levant : Complementarity and Contradiction in a Small-Scale Complex Society, Sheffield Academic Press, Monographs in Mediterranean Archaeology 4, Sheffield, 1993, p. 82. 9. A. Ben-Tor, op. cit., p. 66. 10. J. D. Seger, « Investigations at Tell Halif, Israel 1976-1980 » Bulletin of American School of Oriental Research 252, 1983, pp. 1-23. 11. R. Hestrin, « Beth Yerah » in Stern, E. (ed.) The New Encyclopaedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem : IES, volume 1, 1993, pp. 255-259. 12. J. D. Seger, 1983, op. cit. pp. 20-23. 13. J. Perrot, « Structures d’habitat, mode de vie et environnement des villages souterrains de pasteurs de Beershéva dans le sud d’Israël, au 4e millénaire avant l’ère chrétienne ». Paléorient 10, 1984, pp. 75-92. 14. A. Ben-Tor, op. cit. p. 64. 15. Ibid. 16. Y. Aharoni, « Megiddo » in E. Stern, (ed.) The New Encyclopaedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem : IES, volume 3, 1993, pp. 1002-1024 ; G. Loud, Megiddo II seasons of 1935-39, (=OIP 62), Chicago, 1948.

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17. E. Braun, « Yiftahel : salvage and rescue excavation at a Prehistoric village in Lower Galilee », Israel Antiquities Reports n°2, 1997, p. 24. 18. R. Saidah, « Fouilles de Sidon-Dakerman : l’agglomération Chalcolithique ». Berytus 27, 1979, pp. 29-55. fig. 9, 10. 19. A. Ben-Tor, op. cit. pp. 61-62. 20. R. Saidah, op. cit. p. 32. 21. C. Nicolle, « Projet d’atlas archéologique des sites préclassiques de Syrie du Sud, la campagne de Chraya 2002 » Orient-Express 4, 2002, pp. 99-100. 22. O. Aurenche (éd.), Nomades et sédentaires perspectives ethnoarchéologiques, ERC, « Mémoire » n°40, 1984, Paris, p. 15. 23. P. de Miroschedji, « Les premières cités-états cananéennes » Dossiers d’archéologie 203, 1995, pp. 81-100. 24. Ibid. 25. Z. Herzog, Archaeology of the City, Urban Planning in Ancient Israel and Its Social Implications, Tel Aviv University, Institute of Archaeology, Monograph Series N° 13. Tel Aviv, 1997, pp. 42-43. 26. A. H. Joffe, op. cit. pp. 68-71. 27. Ibid. 28. R. de Vaux, « Les fouilles de Tell el-Far’ah » Revue Biblique 68, 1961, pp. 576-592. 29. A. H. Joffe, 1993, op. cit. p. 68. 30. P. de Miroschedji, Contribution à l’étude de l’urbanisation en Palestine à l’âge du Bronze Ancien, thèse de doctorat, Paris I (Panthéon-Sorbonne), Paris, 1976 (non publié), pp. 90-91. 31. Z. Herzog, op. cit. pp. 77-78. 32. L. Marfoe, « Review ». Journal of Near Eastern Society 39, 1980, pp. 315-322 ; Z. Herzog, op. cit. pp. 42-62. 33. A. H. Joffe, op. cit. p. 71. 34. O. Aurenche, P. Desfarges, « Travaux d’ethnoarchéologie en Syrie et en Jordanie, rapports préliminaires ». Syria 60, 1983, pp. 147-185. 35. I. Beit-Arieh, « Buildings and Settlement Patterns at Early Bronze Age II sites in Southern Israel and Southern Sinai » in A. Kempinski, R. Reich, (eds.). The Architecture of Ancient Israel from the Prehistoric to the Persian periods. Jérusalem, IES, 1992, p. 81. 36. I. Beit-Arieh, « A Pattern of settlement in the Southern Sinai and southern Canaan in the Third Millenium B.C. ». Bulletin of American School of Oriental Research 243, 1981, pp. 31-55. 37. I. Beit-Arieh, « Central-Southern Sinai in the Early Bronze Age II and its relationship with Palestine ». Levant 15, 1983, pp. 39-48. 38. I. Beit-Arieh, « Two Cultures in the Southern Sinai in the Third Millenium B.C. ». Bulletin of American School of Oriental Research 263, 1986, pp. 27-54, fig. 1. 39. Ibid. 40. P. de Miroschedji, « Le processus d’urbanisation en Palestine au Bronze ancien : Chronologie et rythmes » in Miroschedji (éd.) L’urbanisation de la Palestine à l’âge du Bronze ancien, Bilan et perspectives des recherches actuelles. Actes du colloque d’Emmaüs (20-24 octobre 1986), 1989, Part i. BAR International, Série 527 (i), Oxford. Fig. 1, p. 73. 41. J. Perrot, op. cit. p. 75. 42. T. Canaan, « The Palestinian Arab House ; its Architecture and Folklore ». Journal of the Palestine Oriental Society 13, 1933, pp. 1-83.

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AUTEUR

DEBORAH SEBAG Rattachée à l’UMR 7041, ArScAn, Deborah Sebag prépare un doctorat à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne : « L’architecture et les modes de construction au Levant sud pendant le Bronze ancien ». Elle bénéficie actuellement d’une bourse de l’Académie des inscriptions et belles-lettres à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem. [email protected]

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Les pinqassim de Carpentras au regard du Saint-Siège I. Le Séfer ha-yahas (1736-1769) d’Élie Crémieux

Simone Mrejen-O’Hana

I. Contexte historique 1 Ancêtres et modèles de nos modernes registres d’état civil, les pinqassim ou registres communautaires hébraïques sont des documents rares et inédits dont on ne trouve pas trace avant le XVIIIe siècle. En effet l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539 signée par François Ier stipule bien l’obligation de tenir des registres de baptêmes mais, comme celles qui suivirent en 1579, 1667 et 1736, elles ne concernent pas les juifs. Ceux du Comtat Venaissin et d’Avignon1, jouissant de la protection du Pape ont quant à eux tenu des registres de circoncision et des rôles de décès conformément à une ordonnance du vicaire et official d’Avignon du 6 novembre 1620 : les actes rédigés en hébreu étaient semblerait-il assez mal tenus et ne s’appliquaient qu’aux mâles2. De toute façon, nous n’en avons pas trouvé trace.

2 Il est vraisemblable cependant que chaque mohel [péritomiste] 3 consignait dans son carnet personnel les actes pratiqués ; ainsi en atteste le rabbin scribe Élie Crémieux dans sa réponse à une demande de date exacte de naissance (celle du regretté Aron de Monteux, qui serait né entre 1670 et 1680) : « vû qu’on ne tenoit point pour lors de registre public, et que chaque particulier nottoit les circonsis qu’il faisoit dans un caÿer qu’il gardoit4 ». C’est ce qu’il ressort également du manuscrit que nous présentons le Séfer-ha-yahas [le livre de la généalogie] (cf. infra), lorsque, notant les circoncisions d’étrangers de passage dont il lui arrive d’ignorer les patronymes, Élie Crémieux renvoie au pinqas tenu par le péritomiste citant entre autres les carnets d’Élie d’Alpuget5, de Jassuda Crémieux6 ou encore de celui de Samuel Lyon 7. Si ceux-là demeurent encore introuvables, nous en avons par ailleurs trouvé deux autres : celui du rabbin Jacob Ispir de Prague dit Ashkénazi et celui du rabbin David de Meyrargues8, tous deux concernent le XVIIIe siècle.

3 Toujours est-il que lorsque le nouvel évêque Malachie d’Inguimbert (1683-1757) réclama aux dirigeants de la communauté juive de Carpentras de lui présenter les

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registres, aucun d’entre eux ne put satisfaire à sa demande9. C’est ainsi qu’il en ordonna la tenue tel qu’il est relaté dans ce qui est aujourd’hui la page de garde du pinqas (cf. infra). 4 Bien qu’ouverts sur les injonctions du Saint-Siège, ces pinqassim ne tombent pas pour autant sous la censure inquisitoriale, ce qui sera le cas pour ceux qui suivront : les registres bilingues de Carpentras10. En effet, en vertu des prescriptions de la Suprême congrégation du Saint-Office formulées par Son Éminence Monseigneur le Cardinal Corsini, il fut ordonné en 1763 que dans chacune des quatre carrières du Comtat Venaissin et d’Avignon soit tenu un livre ou registre des naissances et circoncisions, des mariages et des morts des juifs et juives, par le rabbin des hommes11. Des registres tenus jusqu’en 1792, date de la loi sécularisant dans la nouvelle République l’enregistrement de ce qui devient l’état civil12. Précisons que la teneur du registre bilingue n’est plus la même. Elle donne l’impression d’une extirpation volontaire de toute connotation religieuse. Par exemple, l’eulogie comportant le tétragramme ne figure plus en marge de chaque feuillet, ou encore, la platitude des formules employées dans les actes. Comparativement, nos pinqassim abondent de renseignements divers et multiples de grand intérêt : outre l’identité des membres de la communauté, ils livrent la mémoire, la conscience et le vécu de l’histoire de celle-ci avec sentiments et ressentiments à travers un prisme direct, et ce durant 33 ans. Plus d’un demi-siècle (56 ans) si on leur adjoint les registres bilingues. Et si on les confronte par ailleurs aux nombreuses listes nominatives13 et archives notariées du début du XVIIIe siècle et celles postérieures aux registres bilingues, nous obtenons là bien plus d’un siècle d’observation d’une des plus anciennes communautés juives méridionales à une phase importante de son existence. Des sources rares et éparses 5 Lorsqu’ils existent, ces manuscrits hébraïques sont difficilement repérables. Ainsi en est-il de ceux de Carpentras qui se trouvaient avant la Seconde Guerre mondiale aux Archives départementales du Vaucluse et qui furent depuis curieusement disloqués et disséminés entre The Central Archives for the History of the Jewish People (CAHJP) à Jérusalem et The Institute for Jewish Research14 (YIVO) à New York. Un cas non isolé qui illustre le sort réservé aux archives juives françaises.

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Le Séfer ha-yahas d’Élie Crémieux (Carpentras, 1736-1769),

CAHJP, F CAR 794a (f° 2r° - Index 1741-1744) © Cliché Simone Mrejen-O’Hana.

6 Suivons l’itinéraire étonnant de ces manuscrits. C’est dans le cadre de mes recherches entreprises pour la rédaction de mon doctorat15 que le professeur Gérard Nahon, directeur de thèse, alors directeur de l’équipe de recherche de la Nouvelle Gallia Judaïca (NGJ) me signala l’existence d’un manuscrit hébraïque se trouvant aux CAHJP16. Jusque- là ce manuscrit semblait peu connu si ce n’est du professeur Simon Schwarzfuchs qui s’y réfère très brièvement dans un de ses articles sans en donner de référence hormis qu’ils sont conservés aux CAHJP17. La NGJ commanda à mon attention le microfilm à partir duquel je fis des tirages18. Tandis que je complétais la banque de données informatisée que j’avais créée à partir de différentes sources (registres bilingues, listes nominatives et diverses archives), je m’aperçus qu’il manquait ici et là des feuillets, voire des portions. Je poursuivais mes recherches quand Abraham Malthête, ayant appris que je travaillais sur les manuscrits hébraïques de Carpentras, m’avisa qu’il disposait d’une copie d’un registre hébraïque de cette communauté que le cercle de Généalogie juive (GENAMI) lui avait remis, lui assurant qu’il provenait des CAHJP. Au vu des documents, je compris qu’il s’agissait là de la partie manquante à mon manuscrit. Seule faille, elle ne pouvait provenir des CAHJP puisque j’y ai longuement compulsé et inventorié les archives des communautés que j’étudie, mais du YIVO conformément aux travaux en que Zosa Szajkowski alias Szajko Frydman19 avait entrepris dans le cadre restreint de cet institut et à la description qu’avait faite Samuel Kerner dans un de ses articles sans qu’il en donne la référence exacte20. Je contactais le YIVO pour en savoir davantage, mais je n’obtins à mon grand regret aucune réponse. Je me consacrais alors pleinement à l’étude de l’hébreu des juifs du Pape et à l’édition critique de manuscrits hébraïques de Carpentras, des travaux menés en partie dans le cadre de trois missions de recherche dans le Centre de recherche des langues juives de

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l’Université hébraïque de Jérusalem dirigé par le professeur Moshé Bar Asher21. La saisie de l’édition entreprise à partir des tirages du microfilm du Séfer ha-yahas étant bien avancée, il me paraissait indispensable de corroborer ma version avec celle du manuscrit pour vérifier, voire combler certaines parties illisibles ou manquantes. Le Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ) m’offrait une belle opportunité d’entreprendre cette tâche22 et je me rendis donc aux CAHJP à Jérusalem. La directrice des archives, Hadassah Assouline, fut visiblement agacée du fait de la manipulation du manuscrit23, pensant que l’utilisation du microfilm devrait suffire. Je lui montrais l’état des copies en ma possession, certains contours de pages faisaient défaut. Elle chercha le microfilm dont une copie fut adressée à la NGJ mais ne le trouva point. Elle vint le lendemain m’assurant l’avoir trouvé, nous le visionnons ensemble : il s’agissait de celui du manuscrit du YIVO référencé quant à lui HM 106 ! Quoiqu’il en soit, l’essentiel est d’avoir finalement restitué à ces manuscrits hébraïques de Carpentras leur charpente initiale, du moins de ce qui nous est parvenu. Car il faut ajouter que les feuillets du Séfer ha-yahas du YIVO se trouvaient pêle mêle avec ceux du Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa (Osée 2 : 17, La vallée d’Akhor : Porte de l’espérance), un autre pinqas relatant les heurs et malheurs de la communauté que tint également Élie Crémieux et dont il fait largement allusion dans le Séfer ha-yahas (à titre d’exemple : Yivo 58v°, acte 699 ; f° 81r°, acte n° 1030). Ce livre porte également la signature en hébreu de Z. Szajkowski (p. A).

7 Une question récurrente demeure néanmoins : comment expliquer le parcours rocambolesque de ces manuscrits français ? Une interrogation qui a taraudé Hugues- Jean de Dianoux qui consacra une partie de ses travaux à ces communautés juives. J’avais certes eu vent d’échos qu’il m’était difficile d’accréditer, faute de preuves. Mais voilà que me trouvant à la Bibliothèque de l’Alliance Israélite universelle, la lecture d’un article de Zosa Szajkowski (1911-1978) allait confirmer les dires. Voici les propos que ce jeune homme de 29 ans relate lors d’une conférence de presse à New York en 1940 : In the tragic days of 1940, on the eve of the German occupation, the writer was able, by a peculiar combination of circumstances, to salvage much of this material and to bring it for safe keeping to this country, where is has been deposited in the Yiddish Scientific Institute in New York.24 8 Et dont voici la version française : Durant les jours tragiques de 1940, à la veille de l’occupation allemande, une combinaison de circonstances particulières a fait que l’auteur était en mesure de récupérer un grand nombre de matériel, de le transporter afin de le mettre en sécurité dans ce pays et de le déposer à l’Institut Scientifique Yiddish (YIVO) à New York. 9 Visiblement, il ne mit point en application ses idéaux puisqu’en 1958 il vendit aux CAHJP une partie des documents censée demeurer au YIVO. Témoin de cette passation, son patronyme est calligraphié en caractères hébraïques sur le premier folio du manuscrit de Jérusalem (cf. supra le cliché en haut à droite). Mais rien ne nous dit pourquoi celle-ci ne fut que fragmentaire, si ce n’est qu’il n’ait craint de déprécier la valeur marchande du manuscrit car le reste des documents du YIVO est très détérioré comparativement aux documents de Jérusalem.

10 Ceci dit, il nous faut ajouter que depuis leur entrée aux CAHJP, ces manuscrits étaient perçus comme étant un seul recueil et furent classés sous une seule cote F CAR 794 alors qu’ils constituent deux registres de formats distincts. Depuis juillet 2004 le Séfer ha- yahas [le livre de la généalogie] et le Hazkarat ha-nefashot25 [le livre de la

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commémoration des âmes] sont respectivement référencés F CAR 794a et FCAR 794b26. Présentons ici le premier d’entre eux : II. Le Séfer ha-yahas – le pinqas de Jérusalem et de New YorkDescription du manuscrit 11 D’un format de 27 x 18 cm, sans couverture, ce manuscrit est constitué de plusieurs petits cahiers cousus main dont certaines pages sont aujourd’hui volantes. Le manuscrit dans son intégralité comprend 11 folios déposés au YIVO à New York27 et 85 aux ACHJP à Jérusalem plus un folio manquant. N’étant pas paginé, nous avons numéroté les pages et reconstitué le manuscrit constituant au total 97 folios tel qu’il apparaît ci-dessous28 :

12 Le papier a jauni. Il est piqué ou tacheté d’auréoles à certains endroits et l’on entrevoit parfois l’écriture en transparence. D’autres parties, notamment les bordures et les coins sont arrondis et partiellement détériorés. Comme je l’ai déjà précisé, celles du YIVO sont très endommagées. 13 S’agissant d’un document officiel, la disposition du texte est en pleine page et ne comporte pas de marge29. Les actes y sont généralement précédés d’un tiret à droite marquant la séparation ente eux. 14 Le pinqas est entièrement rédigé en hébreu rabbinique, émaillé de quelques fragments araméens et agrémenté de nombreuses réminiscences scripturaires. On y dénote l’interférence du milieu ambiant comme en attestent les gloses et les vocables en français et en provençal transcrits ou translittérés en caractères hébraïques30 dont certains sont dotés d’une vocalisation inhabituelle. Cet effort de transcription de la prononciation réussit cependant à révéler certains aspects de l’idiome judéo provençal31. Finalement, on trouve des phrases en français32. Toujours est-il que ces quelques remarques ne concernent pas la qualité d’ensemble des documents, précieux justement par la subtilité de la langue, qui nous apparaît d’autant plus riche que nous sommes conscients de la répression de la vie intellectuelle et culturelle juive à l’époque. 15 L’écriture manuscrite tient quant à elle de la cursive séfarade, dite . Elle comporte -Be-’ezrat Ha הב "י: plusieurs abréviations telle l’eulogie comportant le tétragramme Shem Yitbarakh [avec l’aide de Dieu, béni soit-Il], inscrite en en-tête de chaque feuillet, lequel comporte également l’année hébraïque insérée entre Séfer et ha-yahas. 16 Le pinqas se présente sous forme de journal ou de chronique qui enregistre essentiellement les mariages, naissances et circoncisions des juifs de la carrière de Carpentras, intercalant divers textes dont par exemple des anecdotes relatives à la vie communautaire et religieuse telles entre autres, les élections annuelles des dirigeants, les passages des émissaires de Terre sainte, les attestations de perte de virginité ou encore des invocations à l’occasion du nouvel an hébraïque.

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17 Étudions plus précisément le manuscrit en suivant la chronologie des deux parties afin de constituer son corpus initial que l’on présente ici sous forme de tableau synoptique selon le calendrier grégorien en lui attribuant une foliotation (cf. infra tableau n° 2). Le pinqas du YIVO de New York 18 Le premier folio sur les onze de ce livre dans ce manuscrit est en fait le premier folio du Séfer ha-yahas dans son ensemble. Il est très détérioré, ce qui rend quelques passages illisibles. Néanmoins nous entrapercevons en guise d’introduction33 : sur les rives de l’Ouvèze, capitale du , l’heure est à la bénédiction à partir de ce jour du mois de tishri. Aussi, avec joie, vous vous mettrez en marche, reconduits par un cortège pacifique ; devant nous montagnes et collines éclateront en cris d’allégresse, et tous les arbres des champs battront des mains (Isaïe 55 : 12). L’Eternel dans sa miséricorde exaucera les Écritures : Veuille l’Éternel, Dieu de vos pères, vous rendre mille fois plus nombreux encore et vous bénir comme il vous l’a promis ! (Deutéronome 1 : 11). 19 S’en suit en « avant propos » une rétrospective qui relate la naissance du fils de David de Digne le 3 ’ellul 5497 (15 septembre 1736) dont la circoncision tomba le jour de Kippur. Il s’agit pour lui d’un événement nouveau, auquel il n’a jamais été confronté ; il ne lui a pas non plus trouvé d’antécédent, même dans les écrits du défunt rabbin Élie d’Alpuget. Il se propose de consigner le déroulement de la circoncision selon les préceptes décrétés par les Sages de Carpentras, de rappeler le mariage de son frère Isaïe qui se déroula l’année passée et d’écrire ce qui lui semble important jusqu’à la fête de shavu‘ot [Pentecôte] 5498 (25/26 mai 1738)34.

20 Il précise ensuite les circonstances qui ont mené à la tenue de ce livre : Un jour, ils ont accusé un juif devant l’évêque Malachie Inguimbert, que son éminence soit exaltée; il a ordonné de sortir le Séfer ha-yahas et ils ne l’ont pas trouvé. Et il s’est mis en colère et a ordonné d’écrire les naissances. Les dirigeants de la communauté se sont adressés à moi et m’ont transmis ce livre. Et j’ai copié tout ce qui avait été écrit sur le premier livre mentionné ci-dessus jusqu’au vingt-six tammuz 5498 <14 juillet 1738> depuis la création du monde. 21 Ensuite, la rubrique Maftéhot ha-séfer [l’Index] (cf. infra) commence en bas du premier folio et continue au verso de celui-ci ; elle couvre les années 1736-1741 (l’année n’est pas complète).

22 Les 10 folios suivants concernent la période du 6 septembre 1751 au 27 janvier 1755. Il s’agit de feuillets disparates complémentaires au pinqas de Jérusalem. Nous y relevons 21 actes de mariages, 58 actes de naissances (dont 3 sont gémellaires), 39 actes de circoncisions et 13 actes divers, soit au total 131 actes (cf. infra : tableau n° 2). Le pinqas des CAHJP de Jérusalem 23 Il est constitué de 85 folios auxquels il faut intégrer le folio manquant, soit initialement 86 folios, représentant la partie la plus importante.

24 Les quatre premiers folios, intitulés Maftéhot ha-séfer, complètent le premier folio du manuscrit du YIVO. Ils répertorient par année les mariages, naissances et circoncisions, élections de dirigeants communautaires, intronisations aux nouvelles fonctions de membres de la communauté, bénédictions des autorités locales et autres textes divers qui concernent les années hébraïques de 5501 (1740-1741) à 5528 (1767-1768)35. Le

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verso du dernier folio ne comporte aucune écriture excepté une soustraction. Ils correspondent aux folios 2 à 5. 25 Les 81 folios qui suivent sont en fait répartis en deux blocs : le premier bloc constituant la première partie du Séfer ha-yahas comprend 42 folios (f° 6 à 48) auquel il faut adjoindre le folio manquant (f° 10) et le bloc du YIVO (f° 49-58) ; le second bloc quant à lui est constitué de 39 folios (59 à 97) bouclant le Séfer ha-yahas. 26 On comptabilise dans le pinqas de Jérusalem 188 (+1) mariages, 427 circoncisions, 460 (+1) naissances, et 73 actes divers relatifs entre autres à la vie communautaire et religieuse représentant un total de 1148 (+ 2) actes36. 27 Dans son intégralité, le Séfer ha-yahas totalise 1279 (+2) actes 37, soit en moyenne 13 articles par feuillet représentant 6 à 7 articles par page. On y dénombre 209 (+1) actes de mariages, 518 (+1) actes de naissances dont 493 déclarent la naissance de filles et les 25 restant celle de garçons mort-nés. Parmi ces naissances, des triplés et neuf naissances gémellaires qui apparaissent clairement dans le tableau synoptique : NJ. NJm. NJf. NJmf. NJfm (cf. légende infra). Une naissance y est répertoriée à deux reprises : la première étant erronée, elle apparaît ente crochet [N] et n’a pas été comptabilisée. On y répertorie 466 actes de circoncisions dont l’un concerne des jumeaux (f° 44r° acte n° 506). Enfin 86 actes traitent de divers sujets. Précisons qu’un acte peut comporter plusieurs entrées tel celui intitulé : « Tremblement de terre, mariage de Mossé38 de la Roque et naissance d’un garçon » (f° 63v° acte n° 775) ainsi qu’il apparaît en infra dans le tableau signalétique : D/M/Nm (=Divers, Mariage, Naissance d’un garçon). Celui-ci n’est comptabilisé qu’une fois sous la rubrique Divers. Toutefois, nous en avons tenu compte dans le nombre de mariages et celui de naissances. Il apparaît supra entre parenthèses. Notons également que certaines données telles celles intitulées Leydat hazan [Intronisation d’un chantre] sont soit enregistrées dans une rubrique à part, soit insérées dans d’autres actes. Il en est de même de celles concernant les élections des dirigeants communautaires qui apparaissent sous la rubrique Berurey ha-qahal 39, ils stipulent de temps à autre les bénédictions des gouvernants. Ceci signifie que les données sont bien plus importantes qu’il n’y paraît. Une présentation des actes permettra de mieux en apercevoir la teneur. III. Rédacteur et rédaction des actes 28 Intéressons-nous au préalable au scribe généalogiste, ha-kotev veha-meyahes40. Fils de Mossé Crémieux dit Caramoune (1674-1749)41 et de Ribkah Samuel (1682-1746), Élie Crémieux (1707-1773) porte le nom de son grand-père paternel qui fut un temps rabbin à Avignon42 et à qui on doit, entre autres, un commentaire de la liturgie de Rosh ha- shana [Nouvel an] en 1672-1673 43. Versé dans les textes scripturaires et dédié à sa communauté dont il fut l’un des rabbins44, il avait à charge d’enseigner aux enfants indigents et percevait en 1769 un salaire de 450 livres. Il avait aussi le devoir et le privilège de prêcher dans certaines circonstances entre autres lors des mariages (f° 6r°, acte n° 1) et des circoncisions (f° 31r°, acte n° 334). Les dirigeants communautaires lui confièrent la tenue du Séfer ha-yahas qui, selon ses dires, fut antérieure à celle du Hazkarat ha-nefashot (f° 1) lequel débute en 1738. En retour, ils lui avaient concédé le privilège d’être maftir le dernier jour de Pessah appelé « jour du Cantique des Cantiques »45 (f° 16r°, acte n° 141). Mais Élie Crémieux est par ailleurs connu pour avoir édité le Séder ha-Tamid (Avignon, 1760, 2 vol.), le rituel des prières journalières selon le rite comtadin que l’illustre écrivain et rabbin Mardochée Crémieux (Carpentras 1750- Aix 1825), fils d’Abraham lui avait confié46. Enfin, il a marqué les esprits par l’épreuve

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tragique qu’il eut à subir, celle du baptême forcé de son fils Sem élevé par l’Église pour en faire un haut dignitaire47 (cf. infra). 29 Durant plus de trois décennies de 1736/1738 à 1769, avec fidélité, minutie (et parfois quelques négligences), Élie Crémieux consigna les naissances, circoncisions, mariages comme les faits majeurs se rapportant à la vie communautaire48. Il eut à cœur de préciser systématiquement, ses liens de parenté avec les individus dont il enregistre les données. En effet, dès le 18 février 1736, le tout premier mariage noté par Élie Crémieux est celui de son frère Isaïe avec Franquette, fille de David Abram, résidant à l’Isle (cf. infra). Il ajoute : בתוכה ינא והילא ימרכ , ןתחה יחא . ינאו בתוכה ןב כ″ םינש תומלשט שדוחו דחא םויב תויהל ןיאושנל שרוד , היעשיו ןזחה רכזנה ךנחתנ וב 49 יתשרדש אוהה יתכנחתנ . ובו םויב .50 םויב תויהל ןזח ןיאושנל Et moi, le greffier, suis âgé de vingt-neuf années pleines et un mois en ce jour où j’ai prêché. Et ce jour-là, je me suis élevé au rang de prêcheur pour les mariages. Et Isaïe mentionné ci-dessus , le chantre, a été promu ce jour-ci au rang de chantre pour les mariages. 30 C’est la seule fois que le scribe note l’âge d’un individu, qui permet en l’occurrence de déduire que lui-même, le rabbin Élie Crémieux, est né vers 1707.

31 Le scribe interpelle auparavant un éventuel lecteur du pinqas, lui fournissant les explications nécessaires à la compréhension des actes: תיבב 52 הרושה 51 עד יכ םוקמלכ רשא אצמת ןיאושינ , אוה םוי רשא השע ןתחה זא אוה יבא 53 תסנכה . לכבו םוקמ רשא אצמת ויבא ויחא וא וסיג וא יאושינב םא אוה וסיג לש לעב 54 ןתחה ויחא וא ויבורק ראשוא לש ןתח . םאו אצמת הלימב זא אוה ןיאושנב אצמת שרופמ יחא הלכה היבורק ראשוא 55 תירב ראש ובורקוא . םימעפלו 58 ודחיתנש 57 הלילה אוה הנושאר 56 אצמת הזו רכזומ בטיה . יאושינבו תונמלא ןומלא םע דחי . ןכו אצמת] יכ תדילב תב " ארקיו לארשיב המש " אלב םש , אוה ןמיס התמש םדוק .60 האצי [59 המאש Sache qu’à chaque endroit où tu trouveras ‘mariages’, c’est le jour ou l’époux a fait la shura à la synagogue. Et à chaque endroit où sera noté ‘son père ou son frère’ et que cela concerne le mariage, alors il s’agira du père du marié ou de son frère ou encore d’un des proches de l’époux. S’agissant de circoncision, le nom fait référence au beau-frère du mari ou l’un de ses proches. Et parfois tu trouveras les indications correctement notées lors d’un mariage, et de façon explicite ‘frère de la mariée’ ou de ‘l’un de ses proches’. Et s’il s’agit des noces d’un veuf avec une veuve : la date [figurant sur le registre] correspond à la nuit de leur première union. Et aussi lorsque tu trouveras lors d’une naissance ‘et elle fut appelée dans Israël’ sans que le nom soit indiqué, cela signifie qu’elle est décédée avant que la mère ne sorte (f° 6r°, acte n° 0). Libellé des actes 32 Le Séfer ha-yahas fait la liste chronologique des mariages et des naissances et circoncisions. Chaque acte est précédé d’un en-tête qui spécifie sa nature : Nissu’in pour les mariages ; Mila pour les circoncisions et Leydat bat pour la naissance d’une fille. Dans ces deux cas, lorsqu’il s’agit d’un(e) aîné(e), cela est spécifié.

33 Chaque acte comporte le jour, la date et l’année hébraïque, indiqués, selon la tradition juive, depuis la création du monde. Le jour de semaine et le cas échéant le jour de fête y sont précisés, ainsi que la parasha [péricope hebdomadaire] lorsqu’il s’agit de shabbat. Jusqu’en mai 1763, les dates inscrites sur le pinqas sont exclusivement indiquées en hébreu. Dès le 17 juillet 1763, l’écrivain Élie Crémieux y ajoute celles du calendrier grégorien en caractères hébraïques, puis, à partir du 9 août 1763, en caractères latins.

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Ce changement de pratique coïncide avec le moment où l’Inquisition rendit obligatoire la tenue de registres bilingues (cf. supra). 34 Détaillons la description du contenu linguistique de ces actes. Mariages 35 Le premier mariage inscrit en hébreu sur le pinqas date du 18 février 1736 (cf. supra) : Le samedi de sainteté, péricope Teruma, six du mois de ’adar de l’an 5496 depuis la création du monde, mon frère Isaïe fils de Mossé Crémieux s’est marié en premières noces avec sa femme Franquette, fille de David Abram, résidant dans la ville de l’Isle. Isaïe, fils de mon oncle, Jassé Haïm Samuel, shoshvin 61 du fiancé. Mardochée, fils de David Abram mentionné ci-dessus, shoshvin de la fiancée, sa sœur. Le chantre, mon cousin Isaïe Vidal. Le prêcheur moi, l’écrivain Élie Crémieux, frère du fiancé. Et moi, le greffier, suis âgé de vingt-neuf années pleines et un mois en ce jour où j’ai prêché. Et ce jour-là, je me suis élevé au rang de prêcheur pour les mariages. Et Isaïe ci-dessus mentionné, le chantre, a été promu ce jour-ci au rang de chantre pour les mariages (f° 6r°, acte n° 1). 36 Le dernier date du 10 décembre 1768, samedi, néoménie du mois de tevet, 30 kislew, péricope miqes , sixième jour de Hanuka [fête dite des Lumières] de l’an 5529 depuis la création du monde, Mardochée de Monteux, fils de Jacob dit Dohabe et de Sarah de Milhaud a convolé en premières noces avec sa femme Miriam de Meyrargues, fille de Haïm dit Tayino et de Gentille de Cavaillon. Le jeune Mossé de Milhaud fils de son beau-frère Michael de Milhaud shoshvin du marié. Mardochée de Carcassonne, son beau-frère, mari de la sœur de sa femme, shoshvin de la mariée. Le chantre, Mossé de la Roque dit Gey’as. Le prêcheur Isaïe Crémieux, éminent, illustre et excellent prêcheur fils de mon maître et rabbin rabbi Israël Crémieux, prédicateur62 (f° 96v° acte n° 1271). 37 La formule hébraïque qui suit illustre les renseignements qui figurent dans les actes de mariage : יאושנמ ישילש ינש ] / ... [ ןב ... ותשא םע ... תב ... 63 םויב ... רבחתנ להואה תויהל דחא יבשותמ ,... ובורק רוחבה ... ןב ... ןיבשוש ןתחהמ . רוחבה ... ןב ,... ןיבשוש הלכהמ , ןזחהו ...ר′ ןב ... שרודהו ... ןב ...... Le… un [second/troisième] foyer fut fondé entre … fils de… avec sa femme…, fille de …, originaire de …, son cousin, le jeune homme…, fils de…, shoshvin de l’époux. Le jeune…, fils de…, shoshvin de la mariée. Et le chantre, rabbi…, fils de …. Et le prédicateur…, fils de… 38 Les pointillés indiquent les prénoms du marié, ceux de son père avec, s’il est décédé, soit noho ‘eden ou nishmato ‘eden : que son âme repose au paradis – que ,ע"נ l’abréviation nous traduisons par « fu » ou « feu », comme dans le registre bilingue – et le nom de famille. Lorsqu’il s’agit d’un remariage, le rang est spécifié : sheni [deuxième] ou shelishi [troisième] ; en général lorsqu’un veuf épouse une jeune fille, ou plus précisément une femme pour qui il s’agit d’un premier mariage, le scribe note clairement « vierge ». sa ville , ץארטניפראק Lorsque l’un des époux n’est pas originaire de Carpentras ןונגיבא , Cavaillon ןוילוואק , l’Isle הולשיל , Nice אשינ ,d’origine y est précisée : Avignon64 הוגארפ … Prague Naissances et circoncisions 39 Les actes concernant les naissances des filles sont très succincts. Ils précisent outre le jour, la date et l’année, le nom et prénom du père et celui de sa fille. Lorsque celle-ci est le premier enfant qui naît dans le couple, il est ajouté « aînée ». 40 Le premier acte de naissance enregistré remonte au 16 septembre 1736 :

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Dimanche 11 du mois de tishri de l’an 5496 depuis la création du monde, est née une fille à Jassuda, fille de David de Lattes. Elle fut appelée dans Israël Rébecca (f° 6r°, acte n° 5). 41 Le dernier date du 16 janvier 1769 : Le lundi 19 shevat 5529 depuis la création du monde, est née une fille à l’érudit Mossé de Roquemartine que lui a donnée sa femme Rébecca de Monteux. Elle fut appelée dans Israël Anna (f° 97r°, acte n° 1278). תדיל תב הרוכב ] [ ...ב תאירבל םלועה הדלונ ל תב ... ןב ] ארקיונ″ הרוכב המשע לארשיב] [ [ ... Naissance d’une fille [aînée] le… depuis la création du monde, est née une fille à… fils… [feu] [aînée] et elle fut appelée dans Israël… 42 Quant aux garçons, ce ne sont pas leurs dates de naissances qui sont indiquées mais celles de leurs circoncisions à moins que le nouveau-né ne soit décédé, l’acte est alors intitulé leydat ben [naissance d’un garçon]. Quelques actes attestent de naissances gémellaires ou multiples sous l’intitulé Leydat te’umim. Enfin, certaines circoncisions concernent des enfants issus d’autres communautés, essentiellement ashkénazes.

43 Les circoncisions sont généralement faites le huitième jour qui suit la naissance à condition que l’enfant ne présente aucune maladie et que son état de santé le permette. La circoncision donne lieu à une cérémonie à laquelle assisteront les proches venus le cas échéant des communautés avoisinantes. Les parrains et marraines du nouveau-né sont choisis dans le cercle familial. Ces précisions, en général fournies dans les actes, permettent de compléter et d’étudier les liens qui se tissent entre les familles. 44 La première circoncision date du mercredi 12 septembre 1736 : Le mercredi 7 tishri 5496 depuis la création du monde [fut] circoncis au huitième le fils de David Haïm Mossé auprès de Jassuda Crémieux, fils de feu Jacob, péritomiste. Le parrain, son gendre, le jeune Jassé de Lisbonne, fils de son beau- frère, feu Samuel de Lisbonne, mari de sa sœur. La marraine, sa fille Douce, fiancée au parrain ci-dessus nommé. Il fut appelé dans Israël Isaac-Samuel (f° 6r°, acte n° 2). 45 La dernière, du 31 décembre 1768 : Le samedi de sainteté 21 de tevet 5529 depuis la création du monde, péricope Exode, circoncis au huitième l’enfant d’Isaac de Digne que lui a donné sa femme Bengude de Lisbonne, par les mains de Jassé Vidal, médecin et péritomiste. Mardochée de Lisbonne, son beau-frère, frère de sa femme, parrain. La marraine, Nehuma, fille d’Aaron de Carcassonne, femme de David de Meyrargues65 dit יֵזֳאוֳט ] .[ Ţow’ozeyIl fut nommé dans Israël Mossé. Le chantre David de Digne. Mon cher fils Mossé , que le Seigneur le protège, a prêché (f° 97r°, acte n° 1276). רוכב הלימ ןב באמ םאמו ] [ ... ב םלועה תאירבל , לומינ ןב רוכב ומאמו ויבאמ ] הנומשל [ ... ל הנוכמ ... ןב ... לע ידי -...... תב ... ארקיו ומש לארשיב ... 66 להומ , קדנסה ... תקדנסהו Circoncision [d’un fils, aîné de son père et de sa mère]. Le… depuis la création du monde, circoncision d’un enfant âgé de huit [jours] à… surnommé… fils de… auprès de… et le parrain…, fils de …, et la marraine…, fille de…, et il fut appelé dans Israël… 46 Ces formules sophistiquées et très riches ne font cependant aucune place à des renseignements concernant la lignée maternelle. On naît le fils ou la fille d’un tel. Dans la plupart des cas, l’identité de la mère est absente, conformément à la (Les Nombres 1 : 2) : le-mishpehotam le-veyt ’avotam : « Faites le relevé de toute la communauté

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des enfants d’Israël, selon leurs familles et leurs maisons paternelles, au moyen d’un recensement nominal de tous les mâles, comptés par tête ». On notera néanmoins que vers la fin du pinqas cette tendance se modifie, le scribe commence en effet à noter l’identité de la mère. Actes relatifs à la vie communautaire et religieuse 47 Nous avons relevé de façon synoptique tous les actes figurant dans le pinqas qui ne concernent pas les naissances, circoncisions et mariages. À titre indicatif, nous recensons dans le pinqas pas moins de 83 actes relatifs à la vie communautaire et religieuse, et actes divers. Comme nous l’avons précisé, un acte peut comporter diverses autres données. Quelquefois une donnée constitue un acte à part, dans d’autres cas, le scribe l’insère dans le corps d’un autre acte. 48 Notons d’abord l’enregistrement des élections. Chaque année de 1738 à 1768, pendant les demi-fêtes de Sukot [fête des Cabanes] avait lieu le tirage au sort des administrateurs de la communauté. Donnons un exemple d’acte tiré du manuscrit de New York, l’élection de dirigeants communautaires : Le lundi 17 tishri 5513 <25 septembre 1752> depuis la création du monde, premier jour de demi-fête des Cabanes, comme à l’accoutumée, le sort a désigné les bailons du qahal – mais on a fait de nouvelles élections des bailons de la première main – que voici : Hananael Crémieux, fils de Saoul que son âme repose au paradis – première main et son assistant : Mossé de la Roque dit As, fils de feu Jacob appartenant aussi à la première main ; Isaac Lyon dit Cabri, fils de feu Abraham – deuxième main ; l’érudit mon maître et rabbin Jacob Lunel, fils du rabbi Élie que son âme repose au paradis – troisième main.67 (f° 52v°, acte n° 617). 49 À partir de cette date, deux membres seront choisis dans la première main.

50 Notons ensuite parmi les actes relatifs à la vie tant communautaire que religieuse, les catégories suivantes : • Investiture des diverses autorités religieuses, qui héritent le plus souvent de privilèges ancestraux68. Notons par exemple : l’intronisation du chantre Mossé de la Roque (f° 18r°, acte n° 164), celle du chantre Isaac de Roquemartine en 1748 (f° 39r°, acte n° 439) ou encore celle en 1756 du rabbin Isaïe Crémieux en tant que prêcheur à la place de son défunt père (f° 62v°, acte 757) ; le 3 octobre 1767, jour de Kippur, tombé cette année là le shabbat, Zeboulon Crémieux fut intronisé chantre à la place de son regretté oncle et beau-père Salomon Crémieux, (f° 93v°, acte n° 1217) ; le 30 janvier 1768, Samuel de Baze fut nommé bedeau de la synagogue à la place de son défunt père Daniel de Baze (f° 94v°, acte n° 1239a). • Réjouissances et bénédictions des autorités, dont beaucoup sont l’occasion de compositions en hébreu. Notons par exemple celles du 21 shevat 5517 (11 février 1757) pour la guérison du pape Prospero Lambertini (1675-1758) (Benoît XIV) et celles pour la guérison du roi Louis XV (f° 65r°, acte n° 793) ; la venue des autorités avignonnaises à la synagogue de Carpentras le 17 mars 1764 (f° 85r°, acte n° 1083) ; les bénédictions de Clément XIII69 le 19 octobre 1758 יֵאיֵמיְיַא ןַאיִב : f° 70r°, acte n° 858) et une prière adressée au grand roi Louis XV le Bien Aimé) יִאיִזְנֵכ יִאיִאוֳל )le 4 octobre 1768 (f° 96v°, acte n° 1265)) 1710-1774. • Les attestations concernant des fillettes dites « mukot ‘es70 » qui auraient perdu leur virginité de manière « accidentelle ». On en recense onze au total : huit dans le pinqas de Jérusalem et trois dans celui de New York (cf. f° 42v°, acte n° 485 ; f° 44v°, acte n° 518). • Les actes de halisa71. Au nombre de trois dont celle du 9 octobre 1747 qui relate qu’en présence de trois juges : les rabbins Abraham de Roquemartine, Isaïe Crémieux et l’éminent Jassuda David Crémieux, Mossé Crémieux (le père d’Élie Crémieux : rabbin-scribe) libéra sa

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belle-sœur Gentille, fille de Jacob Naquet, veuve de Malaqui Crémieux son frère (f° 37v°, acte n° 420). On trouve par ailleurs des cas de lévirat (f° 64v°, acte n° 785). • Actes relatifs à la synagogue, à son embellissement, entretien ou reconstruction72 : nous trouvons enregistrés un rapport sur la construction de la nouvelle synagogue le jeudi 16 novembre 1741 (f° 19v°, acte n° 185), et la mise en vente des places autour du le 4 février 1754 (f° 56r° acte n° 668). Mais également : Inauguration de la le 15 janvier 1750 (f° 76r°, acte n° 941) ou encore construction d’une terrasse pour la bénédiction de la lune (f° 77v°, acte n° 972) ; cette même année, Mossé de Monteux, dit Mouette, a hypothéqué la moitié de sa maison pour construire les escaliers du côté occidental de la synagogue (f° 45r°, acte n° 525) ; le pinqas de New York mentionne le 21 mars 1754 l’inauguration de la chaise du prophète Élie offerte par le frère du scribe, Isaïe Crémieux (YIVO, f° 57r°, acte n° 681). Nous trouvons aussi la donation d’un lustre de l’érudit Mossé de Roquemartine, fils de Samuel, lors du nouvel an hébraïque en 5516 – 6 septembre 1755, (f° 61r°, acte n° 737), et l’achat d’une pièce le 15 novembre 1757, laquelle fut donnée à Mossé Crémieux, fils de feu Ruben. Ceci fut consigné par Élie Crémieux pour, dit-il, « que les générations à venir se souviennent » (f° 70r°, acte n° 859). • Actes se rapportant à la vie religieuse : le 23 mai 1749, à l’initiative du rabbin Israël Crémieux, s’est répandue la coutume de se couvrir la tête avec le tallit [châle de prière] à l’heure de la prière (f° 42r°, acte n° 483). Trois jeûnes furent décrétés les 7, 10 et 14 février 1752 par le rabbin Abraham de Roquemartine suite aux perquisitions faites chez les particuliers pour leur confisquer les ouvrages susceptibles de contenir des attaques contre la religion catholique73 (YIVO, f° 50v°, acte n° 593). Trois autres jeûnes furent institués les 3, 6 et 10 janvier 1763, suite au baptême forcé de Sem, fils du rabbin-scribe Élie Crémieux, enlevé à ses parents pour servir l’Église (f° 81r°, acte n° 1030). • La venue d’émissaires de Terre sainte : entre 1739 et 1768, nous relevons onze passages d’émissaires venus des quatre communautés de Terre sainte, Hébron, Jérusalem, Tibériade et Safed. Ce sont les émissaires de Hébron qui ont été le plus en contact avec la communauté de Carpentras puisque nous relevons six séjours. Parmi eux, le célèbre Rabbin Abraham Guedalia74 (f° 12v°, acte n° 97 ; f° 13r°, acte n° 104 ; f° 14v°, acte n° 124 ; f° 34r°, acte n° 372). On notera que Abraham Ya‘ari75 n’indique pas dans son excellent ouvrage le passage de certains de nos émissaires comme le Gaon Rabbi Yom Tov Saban, une éminence de Safed qui se rendit à deux reprises à Carpentras (f° 27r°, acte n° 280 et YIVO f° 53v, acte n° 634).

51 Quant aux « actes divers » figurant dans le pinqas, nous trouvons essentiellement d’abord des faits divers d’ordre assez général, et d’autres dont la présence ne se justifie que parce qu’ils ont touché le scribe d’assez près : • Annonce du décès du rabbin Jacob de Viddish noyé le 21 janvier 1752 dans la Garonne près de Bordeaux (YIVO f° 50r°, acte n° 592). • Deux tremblements de terre dont celui du 28 août 1756 (f° 63v°, acte n° 775). • Le 4 février 1757, ’erussin76 de Joie, fille d’Élie Crémieux (f° 64v°, acte n° 792). • Le scribe nous apprend que Rabbi Abraham de Roquemartine lui ordonna de consigner le tonnerre qui eut lieu le 27 février 1759 (f° 71r°, acte n° 872). • Le 4 février 1760, Reuben Crémieux (1739-1788), fils d’Élie, fut circoncis une seconde fois à l’âge de vingt et un ans. La signature d’Élie Crémieux est apposée en bas de l’acte (f° 74r°, acte n° 912). • Rappel le 7 octobre 1763 du rapt du fils du rabbin scribe Élie Crémieux, Sem, baptisé par Haïm de Cavaillon. Il relate comment le jeudi 2 kislew 552317 novembre 1762, on vint chez lui enlever avec force son enfant des mains de sa femme Esther pour l’élever dans la chrétienté (f° 82v°, acte n° 1053)77.

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• Le 10 mars 1764, le scribe note l’expulsion des enfants de Haïm de Cavaillon (f° 85r°, acte n° 1082)78. Textes de gestion du pinqas : la « conscience » du texte 52 Tout un ensemble d’annotations, de remarques et même d’actes ont pour fonction de gérer tant la lecture que l’écriture du pinqas lui-même. Nous avons déjà souligné la propension du scribe à signaler sa présence, soit par le rappel de ses liens de parenté, le cas échéant, avec les personnes pour lesquelles il enregistre un événement, soit par son choix de faits divers à rapporter, choix qui va parfois jusqu’à ce qui est presque la notation de ses sentiments – mais le fait, s’il est intéressant parce qu’il rapproche le pinqas de ce que nous entendons par journal, est rare. Ainsi, le jeudi 2 mai 1737, il nous informe que son neveu Aharon âgé de deux ans, deux mois et douze jours, a été sevré par sa mère (f° 7v°, acte n° 27). Ailleurs, il relate les jeûnes institués pour son jeune fils Sem baptisé et élevé dans la religion chrétienne au service de l’Église (cf. supra).

53 Mais il est aussi présent lorsqu’il parle de la gestion du registre, lui donnant un tour que nous appellerions autoréférentiel. Nous avons vu que dans le tout premier folio, Élie Crémieux s’explique sur la tenue des actes (cf. supra) (f° 6r°, acte n° 0), fournissant en quelque sorte une grille de lecture du pinqas. Nous trouvons aussi des oublis rattrapés par des actes subséquents sous la signature d’Élie Crémieux (88v°, 90v°, f° 91). 54 Finalement, ce sont les signatures qui marquent clairement la responsabilité pour le registre. La recension de quelques-unes d’entre elles : David de Meyrargues, Mossé de la Roque (f° 24r°, acte n° 246) ; David de Digne et Bessallel de Milhaud (f° 19v°, acte n° 182), Israël Crémieux (YIVO, f° 54v° acte n° 646 et f° 55r°, acte n° 653), Élie Crémieux (YIVO f° 54v° acte n° 646, CAHJP f° 67v°, acte n° 832). Certains signataires sont des sommités rabbiniques ou des témoins79 qui accréditent par leur signature l’accident qui aurait occasionné la perte de virginité (mukat ‘es). Tel est le cas notamment des rabbins Israël Crémieux (f° 54v°, cf. supra) et Mossé de Roquemartine (f° 65v°, acte n° 801) – Nous ne trouvons pas, par exemple, la signature des mariés au bas de leur acte de mariage. 55 Parmi les témoins, notons ceux d’Élie Crémieux qui authentifient les actes relatifs à sa famille. Ainsi lors de son mariage célébré le 16 septembre 1741 (f° 19v°, acte n° 182) : Et, parce qu’on ne peut témoigner pour soi-même, nous, soussignés, témoignons comment au jour précité, conformément à ce qui est écrit dans le corps de ce contrat, le rabbin Élie Crémieux – généalogiste de ce lieu, a épousé en premières noces en ce jour rappelé dans l’acte, 6 tishri 5502 depuis la création, et que tout est valable et en règle et avons signé ici à Carpentras, aujourd’hui le 5 heshwan. Le jeune Bessallel de Milhaud, témoin ; le jeune David de Meyrargues, témoin ; le jeune David de Digne, témoin. 56 Ces manuscrits initialement conçus comme un listing, somme toute anodin, s’avèrent être une source directe de grande envergure, inestimable pour appréhender toute étude monographique, telle la reconstitution d’une communauté et des familles qui la composent. Le Séfer ha-yahas par la diversité, la teneur et l’importance des données qu’il contient offre les outils nécessaires à une approche pluridisciplinaire tant dans le domaine de l’historiographie que de la microhistoire. Les aspects sociodémographiques et anthropologiques ont déjà fait l’objet d’une étude dans notre thèse80. Il reste à livrer l’édition du manuscrit hébraïque accompagnée d’un apparat critique s’attachant à décrire les faits et traditions linguistiques de cette communauté qui paraîtra sous peu. Nous avons, dans le présent article, donné un bref aperçu des caractéristiques linguistiques. Ailleurs, nous en avons livré certains extraits. Nous pensons qu’il y a là et

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dans d’autres sources hébraïques un large champ linguistique doté d’enseignements qu’il convient de continuer d’explorer.

NOTES

1. Le Comtat Venaissin et Avignon furent respectivement acquis au XIIIe siècle et au XIVe siècle par le Saint-Siège. Les juifs y furent maintenus et protégés par les souverains Pontifes alors qu’ils furent expulsés du Royaume de France en 1394. Ils furent néanmoins assujettis à une législation rigoureuse comme celle qui, au XVIIe siècle, les contraignit à restreindre leur habitat aux quatre carrières (Carpentras, Cavaillon, l’Isle et Avignon), des communautés qui perdurèrent jusqu’à la fin de l’ancien Régime. Concernant l’histoire de ces communautés, voir René Moulinas, Les Juifs du Pape en France. Les communautés d’Avignon et du Comtat Venaissin aux 17e et 18e siècles, Toulouse, Privat et Paris, Les Belles Lettres, 1981. 2. C’est ce qu’il ressort des observations apportées par Jacques Levron dans son article « Les registres paroissiaux et d’état civil en France », Archivum, Revue internationale des archives 9, 1959, pp. 55-83 et plus particulièrement le chapitre X consacré aux registres israélites, pp. 77-78. Voir Archives Nationales, Guide des recherches sur l’histoire des familles, Paris, Archives Nationales, 1988, « les registres israélites », p. 34. Voir également J. de Font-Réaulx, Archives départementales de Vaucluse, Les registres antérieurs à 1792, Avignon, 1958, pp. 11-13. 3. Celui qui circoncit. 4. Bibliothèque Alliance Israélite Universelle [AIU), Collection Halphen, R 43, 117. 5. Séfer ha-yahas, f° 1r°. Le concernant, voir notre article : « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ du Comtat Venaissin et d’Avignon : lexique et grammaire », Revue des études juives (sous presse). 6. « Le 18 juillet 1758, a été circoncis un orphelin âgé de vingt-cinq jours dont la mère de passage ici atteste que son mari est décédé » Élie Crémieux écrit ensuite en hébreu « J’ignore le nom de la mère… Et moi le scribe je n’ai demandé ni sa ville, ni son nom de façon inhabituelle. Mais je savais que le péritomiste qui a pratiqué la circoncision a consigné dans son carnet formellement le nom de famille et celui de sa ville » (f° 69r°, acte n° 848). 7. Le 14 juin 1764, Élie Crémieux consigne le déroulement d’une circoncision sans préciser l’identité ni du père ni celle de l’enfant ; il y note cependant l’origine de celui- ci : d’Allemagne et renvoie pour plus d’informations au carnet d’Isaac Samuel Lyon – le péritomiste (f° 86r°, acte n° 1096). 8. Voir à leurs sujets notre publication, « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’…», (cit. supra note 5). 9. Il avait pris ses nouvelles fonctions en 1735. À quelle date exigea-t-il la tenue des registres ? La date n’est pas précisée mais ce pourrait être 1738 (cf. infra). 10. GG 47 – Archives communales de Carpentras, Bibliothèque Inguimbertine. Ces registres ont été exploités et publiés dans les Annexes de notre thèse (cit. infra note 15), vol. II, pp.1-205 ; 1- 12.

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11. Il existait aussi un « rabbin des femmes » ainsi que nous l’avons présenté lors de notre communication au Fourteenth World Congress of [en héb.] « Les noms des diverses fonctions dans la communauté juive de Carpentras : analyse linguistique et thématique ». 12. Archives communales de Carpentras déposées à la Bibliothèque municipale, Bibliothèque Inguimbertine, GG 47. Un microfilm de ce registre est conservé à la Bibliothèque de l’Unité propre de recherche du CNRS Nouvelle Gallia Judaïca (Inv. n° 63 241) ainsi qu’à Jérusalem aux CAHJP (F CAR 792). 13. À titre d’exemple, les états nominatifs et recensements des juifs de Carpentras de 1790 à 1861 comprenant entre autres ceux des CAHJP figurent dans notre thèse, vol. 2 – Annexes, pp. 1-21 (cit. infra n. 15). 14. Anciennement Yiddisher Visnshaftlekher. 15. La famille juive au 18e siècle d’après les registres ‘paroissiaux’ de Carpentras et du Comtat Venaissin : approches sociodémographiques, École Pratique des Hautes Études–Sorbonne, Section des sciences religieuses, 1998, 2 vol. Cette étude bénéficia alors du concours de la Fondation du judaïsme français et de celle du CASIP-COJASOR, qu’elles en soient remerciées. Voir notre résumé in Annuaire École Pratique des Hautes Études – Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux, t. 106, 1997-98, pp. 629-634. 16. Un grand merci à la direction des CAHJP pour nous avoir permis d’éditer les manuscrits, à son équipe, avec une attention particulière à Fabienne Sadan. Nous disons le manuscrit car il était perçu comme étant une seule compilation (cf. infra). 17. « Échos hébraïques du Comtat et de ses carrières », Armand Lunel et les Juifs du Midi. Actes du colloque international du centre régional d’histoire des mentalités, 14-16 juin 1982 (dir. Carol Iancu), Montpellier, 1986, p. 213 note 11. Il consacre moins de trois pages aux deux registres : le « Rappel du souvenir des âmes », et « Le livre de l’ascendance » qu’il fait débuter en 1738 (pp. 209-212). 18. NGJ, Inv. n° 572. 19. Entre autres : « Karpentraser pinkusim fun 18th yorhundert », New York, YIVO-Bleter 21, 1943, pp. 351-355. 20. « Les registres communautaires de Carpentras au 18e siècle », Archives Juives 3, 1982, voir particulièrement les pages 44-45. Il y désigne ce manuscrit comme étant le registre B contenant 61 pages d’un format 27,5 x 19 cm dont le « Sefer ha-yahas », le « Hazkarat ha-nefashot » et « Emeq Akor le-petah tikvah » (YIVO, à New York) qu’il décrit. Il n’en présente en fait que 54 ! Nous avons précisé que ces registres étaient de formats différents ! 21. Je lui adresse ma plus profonde reconnaissance pour m’avoir accueillie dans son équipe de recherche et avoir aiguillé mes travaux. 22. Il m’est agréable d’exprimer ma reconnaissance au CRFJ et de remercier son directeur d’alors, Dominique Bourel pour l’octroi en juillet 2004 de la bourse « mois- chercheur ». 23. Il me faut préciser que l’affaire du conservateur du fonds des manuscrits hébraïques de la BNF défrayait les chroniques. 24. AIU – Paris U357, « The Decline and fall of Provence Jewry », (Conference on Jewish Relations, New York, 1944), in Jewish Social Studies, vol. VI n° 1, 1944, p. 31. 25. Nous présenterons prochainement une étude détaillée de ce livre. 26. Cette rectification fut apportée pendant mon séjour aux CAHJP, après que j’eusse signalé à Hadassah Assouline, qu’il s’agissait là de deux registres et qu’il conviendrait de leur attribuer une cote distincte.

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27. Il convient de préciser que le microfilm du YIVO présente 23 clichés du Séfer ha- yahas. L’un d’entre eux, le f° 49v° est microfilmé à deux reprises. 28. Il est probable que le nombre de folios soit supérieur à celui-ci conformément à ce qui est stipulé dans les actes 373 (f° 34r°) et 593 (YIVO, f° 50v°) : le scribe renvoie le lecteur aux derniers folios de ce livre pour plus d’informations au sujet notamment des heurs et malheurs qu’ils endurèrent durant la construction de la synagogue et de l’incident qui fut à l’origine des trois jeûnes décrétés le 7, 10 et 25 février 1752. Le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa constituerait-il cette dernière partie du Séfer ha-yahas ? 29. Soucieux de n’y laisser aucun espace ni en fin de ligne, ni en fin de page, le scribe rature les bouts de ligne ou fins de page (folios 14r°, 49, YIVO 56 et d’autres). Il se trouve contraint parfois, faute de place, de réécrire le dernier mot de la ligne à la ligne suivante sans toujours le raturer ou d’y tracer un/des trait(s). [mission ןוֳאיִשִמ יֶמ porteur] (f° 13r° acte n° 104) ; [ma] וטרופ "ר : A titre d’exemple .30 (f° 72r°, acte n° 882). .(acte n° 863 הואֳרְיִדַאַכ,°kadyro : chaise] (f° 69v°, acte n° 853) ou (f° 70v וֳריִדַכ ] .31 32. L’annotation « bien spidé » mise à gauche d’une répétition de [circoncision 21 du mois de novembre 1764 d’après le comput] (f° 87r° acte n° 1111) ; « Les mandiss espliquée les adition die Cremieu escrivem » (f° 88v°, acte n° 1130). 33. Les ajouts sont entre chevrons (ici il s’agit de mots illisibles). Toutefois nous ne les avons pas mis dans les citations bibliques pour ne pas charger le texte. La traduction proposée est empruntée à La Bible traduite du texte original par le rabbinat français, dir. Zadoc Kahn, Paris, éditions Colbo, rééd. 1989. 34. Il semblerait qu’Élie Crémieux prit la relève d’Élie d’Alpuget (c’est à ce registre qu’il se réfère plus loin). Si tel fut le cas, pourquoi les administrateurs n’ont-ils pas présenté ce registre au nouvel évêque ? Était-il partiel comme ils le laissent sous-entendre puisqu’il ne comprenait que des circoncisions ou craignaient-ils que celui-ci y trouve des passages compromettants ? Toujours est-il que les propos d’Élie Crémieux sont quelque peu confus et imprécis quant aux dates indiquées (cf. infra). On ignore par exemple quand le nouvel évêque exigea le livre. Serait-ce en 1737 conformément à cette note du 12 avril 1768 nous informant « qu’Élie Crémieu tient le registre des décès, circoncisions et mariages depuis 1737 environ, que Jassé de Meyrargues, dit Pinton, en transmet depuis quatre ans copie en français au père inquisiteur, donnant les noms des circonciseurs en exercice ainsi que les noms de ceux qui sont décédés avec l’indication de leurs héritiers détenteur de leurs livres », AIU, fonds Halphen R43, f° 116. À moins que cela ne soit en 1738 puisque les premières élections des administrateurs remontent à cette date. 35. L’index est lacunaire : on relève quelques omissions et une partie des actes de 1768 à 1769 n’y est pas répertoriée. 36. Ces totaux intègrent les 14 actes du folio manquant : 7 circoncisions, 5 naissances et 2 actes indiquant l’élection des dirigeants communautaires et un tremblement de terre, voir infra tableau 2, f° 10 qui apparaissent en caractères gras. 37. Dans l’édition critique, le premier article qui fait office de grille de lecture (cf. infra) est numéroté 0, ce qui donne au total 1278. 38. Ainsi prononçait-on le shin ! 39. Voir l’analyse de Berurey ha-qahal dans notre publication [en hébreu] « L’hébreu à Carpentras et dans ses environs I », in Festschrift in Honor of Moshe Bar Asher, S. Fassberg & A. Maman (eds.), Jerusalem, Center for and Literatures, (sous presse).

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40. Voir l’étude proposée dans notre article [en hébr.] « L’hébreu à Carpentras et dans ses environs II », Massorot 13, Jérusalem (sous presse). 41. Les dates en italiques indiquent que nous ne possédons pas d’actes de naissance et que celles-ci sont calculées selon les données stipulées dans les actes de décès. 42. Voir J. Prener, « Contrat d’engagement du rabbin d’Avignon en 1661 », in R.E.J. 65, 1913, pp. 315-316. 43. Ce commentaire fut transcrit par David Ben Juda de Milhaud et achevé en 1744. Il constitue la première partie du manuscrit Valabrègue. Voir la présentation faite par l’Équipe de la Gallia-judaïca, « Le manuscrit Valabrègue, documents judéo-comtadins inédits du XVIIIe siècle », Archives Juives 4, 1976. 44. Bibliothèque de l’AIU, Collection Halphen, R43, f° 117r° : « Atteste je suissigné Elie Cremieu, fils a fu Mossé Crémieu, rabbin de la carrière des juifs de cette ville de Carpentras ». 45. Voir notre explication [en héb.] in « L’hébreu à Carpentras… I », (cit. supra, n. 39) 46. AIU, Fonds Halphen, R43, f° 87. 47. Nous présenterons ultérieurement et de manière plus complète la biographie du rabbin scribe. 48. Précisons qu’entre 1763 et 1769, nous disposons d’un double enregistrement : celui des pinqassim d’Élie Crémieux et celui des registres bilingues, ce qui permet de corroborer les données. il fut intronisé] signifie que ce fut la première fois qu’il exerça sa] : יתכנחתנ " " .49 fonction ; ce vocable infère qu’il y ait eu au préalable un processus éducatif (voir plus /Voir par ailleurs le paragraphe destiné aux schèmes verbaux nitpa‘‘al .( ךנחתנ " " : loin hitpa‘‘el in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’…, (cit. supra, n. 5). Un phénomène très répandu dans les écrits d’Élie Crémieux et de ses contemporains. 50. Il nous est apparu important d’y insérer quelques passages en hébreu afin d’entrevoir la teneur des actes et celle de la langue usitée. Ces derniers sont suivis de leur traduction, toutefois nous nous limiterons par la suite à leur traduction. ". ןתחה " mot raturé avant : הרוש " ".51 52. Voir l’explication suggérée in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »…, (cit. supra, n. 5). 53. S’agit-il ici d’un pluriel araméen ? À moins que l’auteur n’ait eu l’intention d’écrire ? et omis le nun final ןיאושינ .raturée " ח".54 .raturé : םא" " .55 56. Isaïe 37 : 9. Voir l’explication [en héb.] proposée in « L’hébreu à Carpentras… II », (cit supra, n. 40). au masculin) qui est le) ןושארה " " au lieu de הנושאר " " : Il s’agit là d’un calque lexical .57 produit de l’interférence des langues romanes, le français ou le provençal, « nuit » étant au féminin. Voir d’autres exemples du même genre in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… », (cit. supra, n. 5). 58. Sur l’usage du schème verbal nitpa‘‘al voir supra n. 49. .et nous avons rectifié ומאש " " Élie Crémieux a noté .59 60. Il se réfère semblerait-il au « jour des relevailles » qui clôture la période niddah [de réclusion] de la mère qui est de 80 jours lorsqu’il s’agit de la naissance d’une fille. Concernant l’expression, « jour des relevailles » voir la thèse de Hugues Jean de Dianoux de la Perrotine, Les communautés juives du Comtat Venaissin et de l’État d’Avignon d’après leurs statuts (1490-1790), Paris, École de Chartes, 1938, p. 127. Pour le reste, voir le

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résumé de nos conférences « Pratiques religieuses et rites de passage dans les familles juives françaises », Annuaire École Pratique des Hautes Études – Section des sciences religieuses. Résumé des conférences et travaux, tome 111, 2002-2003, pp. 195-200. 61. Voir à ce sujet notre article « A propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »…, (cit. supra, n. 5). 62. Mokhiah. Voir l’analyse [en héb.] de ce vocable in « L’hébreu à Carpentras… I », (cit. supra, n. 39). 63. Voir l’explication de cette expression in « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… », (cit. supra, n. 5). 64. Voir la translittération des mots étrangers en hébreu et plus précisément la translittération du toponyme Avignon in « L’hébreu à Carpentras… I » (cit. supra, n. 39). 65. Le patronyme « de Digne » est raturé. 66. Ce vocable n’est référencé dans aucun dictionnaire hébraïque. Il atteste par ailleurs de l’imprégnation des usages du monde chrétien. Voir à ce sujet « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’ »… (cit. supra, n. 5). 67. Trois représentants des membres du conseil de la communauté, un pour chaque classe sociale ou « main », un système de répartition en trois catégories suivant le niveau de fortune dont les indigents sont exclus. Ce même système existait chez les chrétiens. 68. Voir notamment le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa. On y trouve un folio (pp. 2-3) intitulé Hezqat ha-hazanim, (Possession des privilèges des chantres) qui reprend de manière plus solennelle la passation de ces privilèges. 69. Charles Rezzonico (1693-1769) fut Cardinal, Évêque de Padoue, puis Pape en 1758. 70. Voir Ketubbot 1 : 4 et Sanhedrin 3 : 5. 71. Deutéronome 25 : 5-10 et le traité Yevamot. 72. Voir le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa, p. A intitulée « Histoire de la construction de la nouvelle synagogue et sa fermeture auprès de l’évêque Malachie Inguimbert, que son éminence soit exaltée » [en héb]. 73. Ibidem, p. B. Voir Zosa Szajkowski, « Documents des quatre communautés au XVIIIe siècle », dans Yidn in Frankraikh, New York, 1942 [en yiddish]. 74. Voir Abraham Ya‘ari, Sheluhey ’Eres Israël, Toldot ha-shlihut méha-’ares la-gola. Mé- hurban bayit sheni ‘ad ha-me’a ha-‘esré, [Les émissaires de Terre sainte. Histoire des missions de Terre sainte en diaspora : du second temple au XIXe siècle], Jérusalem, Mossad Harav kook, 1940, et rééd. 2002, 2 vol. Voir également notre publication « À propos de l’hébreu des ‘quatre saintes communautés’… » (cit. supra, n. 5). 75. Voir supra, Abraham Ya‘ari, éd. 1940, p. 438. 76. Fiançailles considérées alors comme le mariage puisque le lien ne pouvait être rompu que par le guet [l’acte de divorce] ou la mort. 77. Il donne comme date le 2 kislew et le 17 novembre 1762, mais il s’agit en fait du 18 ! Voir le Séfer ‘émeq ‘akhor le-fétah tiqwa qui rend compte de cet événement, pp. 6-8. (Il s’agit d’une pagination arbitraire et tardive !). 78. Ibid. p. 9. 79. Deut. 19 : 15. La déposition de deux témoins est généralement nécessaire pour étayer la véracité d’un événement. 80. Voir supra (n. 15), celle-ci paraîtra prochainement aux éditions Slatkine dans la ‘Collection Études juives’ sous une forme remaniée. Concernant nos publications dans ce domaine voir entre autres, « Le mariage juif sous l’Ancien Régime : l’exemple de Carpentras (1763-1792) », Annales de Démographie Historique 1993, Société de Démographie

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Historique – E.H.E.S.S., Paris, pp. 161-170 ; « Pratiques et comportements religieux dans les ‘quatre saintes communautés’ d’Avignon et du comtat Venaissin au XVIIIe siècle », Archives Juives 28/2, Paris, Liana Lévi, 1995, pp. 4-19 ; « Familles juives en Europe et en Amérique du XVIIIe au XXe siècle », Entre héritage et devenir : la construction de la famille juive. Études offertes à Joseph Mélèze-Modrzejewski, dir. : Patricia Hidiroglou, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, pp. 329-371.

RÉSUMÉS

The Pinqassim of Carpentras under the Supervision of the Holy See. I. The Séfer ha-yah as (1736-1769) kept by Élie Crémieux. – This article retraces the singular route taken by two pinqassim of Carpentras, the Séfer ha-yahas [The Book of genealogy] and the Hazkarat ha-nefashot [The Memorial of the Souls], 18th century Hebrew manuscripts which serve, amongst other things as old parish registers and portions of which can be found both in The Central Archives for the History of the Jewish People (CAHJP) in Jerusalem and The YIVO Institute for Jewish Research in New York (YIVO). The article describes the context in which these registers were written, while providing information about its scribe who kept them, Élie Crémieux. It then attempts to describe the initial structure of the Séfer ha-yahas, suggesting a typology of the diverse entries that it contains. These are, for the most part, entries recording births, circumcisions and marriages of the Carpentras Jews. At regular intervals amongst these entries, one finds a record of important events, such as those linked to the synagogue and religion or to the election of administrators and the passage of emissaries through the Holy Land. These original old Hebrew texts demonstrate the persistence, liveliness and special character of the Hebrew of the period and, at the same time, serve as link between the medieval and the modern, contemporary languages. The study of these texts opens up new perspectives and tells us more about a meridional community at a key moment in its history.

AUTEUR

SIMONE MREJEN-O’HANA Linguiste et historienne, membre des équipes de recherche de la Nouvelle Gallia judaica (CNRS) et de la JE–Histoire moderne et contemporaine des juifs (EPHE), Simone Mrejen- O’Hana poursuit ses investigations pluridisciplinaires sur les juifs du Pape. Elle analyse actuellement le paysage linguistique hébraïque et ses rapports avec les langues locales (provençal, français) et prépare une édition critique et annotée des registres hébraïques de Carpentras. Simone Mrejen-O’Hana is a linguist and an historian, member of the team of the new Gallia judaica (CNRS). She studies, on a pluridisciplinary point of view, the Juifs du Pape. [email protected]

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Une grammaire de l’hébreu moderne Quelques remarques préliminaires

Sophie Kessler-Mesguich

1 Lorsque, voici bientôt trente ans, je commençai mes études d’hébreu, je constatai qu’il existait un décalage important entre les travaux décrivant l’hébreu biblique et ceux portant sur l’hébreu moderne – que ce soit en français ou en anglais, puisqu’il était impossible aux débutants que nous étions de consulter les travaux en hébreu de H. B. Rosén, parus dans les années cinquante et soixante1. Alors que, pour la langue biblique, on était en présence d’un objet d’étude bien défini et d’ouvrages classiques, à savoir les grammaires de Gesenius-Kautsch et de Joüon2, les descriptions de l’hébreu moderne étaient peu nombreuses et il n’y avait accord ni sur le nom de la langue à décrire, ni sur ce que l’on pouvait considérer comme l’hébreu standard. Ce dernier point, âprement disputé en Israël même dans les années cinquante et soixante, est à mettre en relation avec la question de la norme : le choix du purisme, fait par certains philologues tels A. Bendavid, amenait à considérer comme des fautes les faits de langue relevant d’une évolution naturelle et s’écartant de la langue des sources. L’enseignement reçu à l’Inalco, quelque excellent qu’il fût, ne s’écartait d’ailleurs pas de cette approche puriste, qui considérait la morphologie et la syntaxe des sources classiques comme la seule norme possible, y compris à l’oral3.

2 Aujourd’hui, les choses ont beaucoup évolué. Plusieurs linguistes israéliens travaillent à présent sur l’hébreu parlé, pour lequel un corpus commence à être recueilli. Cependant, en dehors des manuels scolaires destinés à l’enseignement secondaire ou supérieur, il n’existe toujours pas, remarquons-le, de grammaire de l’hébreu moderne en hébreu tenant compte de ces travaux et intégrant les traits propres à la langue parlée. Plusieurs ouvrages importants sur l’hébreu moderne sont parus en anglais, mais il n’y a pas, en français, ce que nous pourrions appeler « une grammaire de référence » 4. Cela est toujours sensible dans l’enseignement : la grammaire de Cohen et Zafrani, sur laquelle nous reviendrons plus loin, est épuisée depuis longtemps et la langue qu’elle décrit ne correspond pas à la langue actuelle – ou, plus exactement, elle ne correspond qu’à un seul de ses registres : la langue écrite soutenue, littéraire et non

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littéraire, de la fin des années cinquante. En dehors de cet ouvrage, on ne trouve pas de grammaire écrite en français et proposant aux étudiants francophones une description raisonnée et méthodique des traits phonologiques, morphosyntaxiques, sémantiques de l’hébreu standard écrit et parlé aujourd’hui en Israël. L’absence d’un tel outil de référence m’a incitée à réunir une équipe franco-israélienne autour du projet, soutenu par le CRFJ, de la rédaction d’une telle grammaire. 1. Le nom de la langue 3 Hébreu moderne, hébreu contemporain, ivrit 5, hébreu vivant, hébreu israélien… Tous les auteurs qui rédigent, en quelque langue que ce soit, une description de ce que parlent et écrivent les hébréophones, ont d’abord à choisir une appellation. Les écrivains de la fin du XIXe et du début du XXe siècle parlaient de sfat ever (« la langue d’Eber »), (lashon) ivrit (« l’hébreu »), leshonenu (« notre langue »). À la même époque, des sémitisants tels que Bergsträsser utilisaient le terme de neuhebräisch 6. H. B. Rosén, qui rédigea dès 1956 une description synchronique de l’hébreu, l’intitula Ha- ivrishelanu7, « notre hébreu » – un titre qui sonnait alors comme une déclaration de guerre contre le point de vue puriste alors dominant – et y proposa de nommer la langue en question ivrit yisreelit, l’hébreu-israélien. Il en donne la définition suivante : « par hébreu israélien, nous entendons la langue utilisée pour les besoins de l’éducation, de l’administration, du commerce, etc., dans l’État d’Israël8 ». On peut remarquer, pour l’anecdote, que c’est dans un article en français9 qu’il introduisit cette expression pour la première fois. Rosén récuse les autres appellations : « hébreu moderne » (ivrit xadasha/modernit), qui nie selon lui l’autonomie de la langue actuelle par rapport aux couches historiques qui l’ont précédée ; lashon meduberet (« langue parlée »), qui empêche de voir que les différences structurelles entre hébreu israélien et hébreu classique concernent autant l’écrit que l’oral ; ivrit yelidit (« hébreu natif »), employée par H. Blanc comme équivalent d’hébreu israélien10 ; enfin, l’expression linguistiquement neutre mais selon Rosén forcément limitée à cause de sa valeur déictique, d’« hébreu contemporain » : elle est utilisée notamment par D. Téné11. Rosén quant à lui emploiera constamment, dans ses livres et articles, le terme d’« hébreu- israélien12 ». Cependant, en feuilletant les revues de linguistique et les manuels, on s’aperçoit que l’expression la plus répandue actuellement est justement la plus neutre : ivrit bat zmanenu ou leshon yamenu – exacts équivalents d’« hébreu contemporain », avec la même valeur déictique contenue dans le pronom personnel. Ainsi, le manuel d’histoire de la langue hébraïque publié par l’Universita ha-petuxa est divisé en trois époques : classique, médiévale, moderne ; cette dernière période couvre à la fois la langue de la Haskala, la « renaissance » de l’hébreu et la description de la langue actuelle sous le titre général de ha-ivrit bat zmanenu13. En anglais, c’est « Modern Hebrew » qui semble s’être imposé14 ; en français, on notera que Cohen et Zafrani ont « hésité, et finalement renoncé15 » à utiliser l’expression de Rosén et lui ont préféré « hébreu vivant », dans la mesure où ils considèrent « hébreu israélien » comme trop exclusivement lié à la langue parlée. 4 Si l’on prend en compte, d’une part, cette histoire des différentes appellations et de leurs implications idéologiques, et d’autre part les habitudes ancrées dans l’enseignement secondaire et supérieur français, il me semble que le meilleur terme est « hébreu moderne ». En effet, l’objection de Rosén est liée à son souci d’affirmer l’autonomie de la langue actuelle. Cette autonomie n’est plus à démontrer aujourd’hui ; en revanche, des éléments lexicaux, morphologiques et même syntaxiques provenant des couches classiques (biblique, mishnique et médiévale) de la langue sont encore

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présents, y compris dans le registre oral le plus familier. Par exemple, le schème pa‘il est attesté en hébreu biblique, où il forme des noms d’action (en particulier pour des opérations agricoles) et des adjectifs à sens passif16 : qatsir (« moisson »), h asid (« pieux »). En hébreu moderne, ce schème est productif pour les adjectifs dénotant une propriété paraphrasable par une tournure passive modalisée (= « qui peut être »), équivalent des adjectifs français en -able/-ible : kavis, « lavable », axil, « comestible », ragish, « sensible », bagic « que l’on peut porter devant la cour suprême », de l’acronyme BaGaC (< Bayit Gavoa laCedek, « Cour suprême »)17. Dans ce cas, on a un double phénomène : l’influence des langues européennes (anglais, allemand, français) dans lesquelles il existe des adjectifs à valeur passive modale ; de l’autre, l’héritage de l’hébreu classique – le schème pa‘il. La langue actuelle résulte de la fusion des éléments classiques et des développements autonomes qui lui sont propres. Le titre retenu pour notre ouvrage pourrait donc être Grammaire méthodique de l’hébreu moderne. II. La question de la norme 5 Il ne faut pas perdre de vue que ces questions d’appellation ont recouvert, à un certain moment de l’histoire de la description linguistique en Israël, de vives polémiques sur le statut de l’hébreu moderne par rapport à l’histoire de la langue en général. La revue critique que fait Rosén des différentes appellations, en 197718, est encore imprégnée des échos de la querelle entre les linguistes descriptivistes et ceux qui, comme Z. Ben Hayyim, voient dans l’hébreu moderne « une langue ancienne dans une réalité nouvelle19 ». Aujourd’hui, ces querelles n’ont plus lieu d’être. Tous sont d’accord pour considérer l’hébreu moderne comme une entité linguistique autonome. La question de la norme ne se réduit plus à une confrontation entre un usage « correct » de l’hébreu à l’écrit et à l’oral, nécessairement en accord avec les normes classiques, et des « altérations » (shibushim) de cet usage. Les thèses, articles, colloques, montrent que les linguistes s’attachent aujourd’hui à la description des variétés et registres de l’hébreu contemporain : langue parlée formelle et informelle, langue littéraire soutenue, langue écrite non formelle, langue de la presse, etc 20. Par exemple, la relative asyndétique, extrêmement fréquente dans la langue journalistique21, est sentie par la plupart des locuteurs comme caractéristique d’un registre soutenu. Soit la phrase axad minahagey ha-otobus bo hitgalu likuyey btixut rabim zuman le-shiput mahir (, 18/07/05) : le relatif n’est pas exprimé. La grammaire normative critique cet usage dans lequel elle voit une influence de l’anglais, et prescrit la relative avec še- + verbe + pronom anaphorique, qui correspond à la syntaxe classique – et qui, curieusement, est aussi la plus employée à l’oral. Entre les deux, l’usage de la relative avec še- + pronom anaphorique + verbe appartient à la langue standard, tout en étant plus soutenue que la relative asyndétique. Les trois possibilités coexistent donc, et relèvent de variétés situationnelles et stylistiques différentes22 : elles devront être prises en compte dans une grammaire descriptive. De même la flexion du nom (xaverav, « ses amis ») appartient à la langue standard soutenue et à la langue littéraire ; dans la conversation familière, en revanche, on utilisera systématiquement la forme analytique (ha-xaverim shelo). Une description de l’hébreu moderne devra évidemment prendre en compte les différents registres. 6 L’histoire particulière de la langue hébraïque fait que les premiers savants qui se sont exprimés sur elle en hébreu, après sa « renaissance » comme langue parlée, se souciaient davantage de faire œuvre utile – créer des mots, prendre des décisions grammaticales – que de construire une réflexion théorique23. L’attitude de ceux que l’on nomme les pionniers de la langue est celle de militants : face à un public parfois

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réticent et à des linguistes parfois dubitatifs (L. Bloomfield, par exemple, évoque encore en 1933, des tentatives de restitution artificielle de la langue hébraïque) ils devaient prouver que l’hébreu pouvait, après seize siècles d’interruption de la parole, redevenir le véhicule d’une communication vivante dans une société moderne. De cet état d’esprit témoigne le premier sous-titre de la revue Leshonenu, fondée en 1929 « pour enrichir la langue hébraïque ». Il faut attendre le volume 20, paru en 1957, pour que la revue se définisse comme « a Journal for the Study of the and Cognate Subjects ». Même alors, comme le souligne O. Schwarzwald24, des articles apparemment « théoriques » sont en réalité soumis à des considérations pratiques et utilitaires, et la volonté des puristes d’« orienter » le développement de l’hébreu y est encore perceptible. Sans que cela soit toujours dit explicitement, la langue décrite est davantage celle des sources classiques que l’hébreu « de la rue » ; et ce n’est que vers le milieu des années soixante-dix que les articles de Leshonenu sur l’hébreu moderne prennent en compte la langue parlée contemporaine et en font un objet d’étude dégagé de toute considération normative. Parallèlement, apparaissent d’autres revues émanant des départements de linguistique de différentes universités israéliennes : citons en particulier Balshanut ivrit (Université Bar-Ilan, à partir de 1969) ou la revue de linguistique appliquée Xelkat lashon. 7 La linguistique israélienne s’est d’abord orientée vers la syntaxe, un domaine que les grammairiens traditionnels avaient peu traité (les grammaires d’Abraham Ibn Ezra et de Qimhi sont essentiellement des descriptions morphologiques) et qui se trouvait, de ce fait, à l’abri des fureurs puristes. De plus, comme le souligne O. Schwarzwald, l’influence de la grammaire générative a renforcé l’intérêt pour les questions syntaxiques. Aujourd’hui, la recherche s’est étendue à de nombreux autres domaines : la langue des enfants25, les erreurs faites par les jeunes israéliens sur les conjugaisons, etc. Cependant, la langue parlée est restée, jusque dans les années 1990, un peu en marge des descriptions. Sans doute les linguistes ont-ils eu longtemps le sentiment, en raison de l’histoire particulière de l’hébreu parlé, qu’il s’agissait d’un état de langue insuffisamment stabilisé pour que l’on puisse l’étudier avec la rigueur scientifique nécessaire ; on peut également penser que ceux qui ont eu une formation classique poussée éprouvent parfois une certaine réticence face à des usages qui s’éloignent à grande vitesse de ce qu’ont conservé les sources bibliques et mishniques. M. Z. Kaddari, qui a consacré de nombreux articles à l’état de la recherche sur l’hébreu moderne – et des articles encore plus nombreux à l’étude de phénomènes syntaxiques à travers les différentes couches historiques de la langue – se fait l’écho de ce trouble lorsqu’il écrit en 1995 : Il semblerait qu’il y ait un conflit d’intérêts à l’intérieur même du linguiste, homme de science qui est aussi un citoyen faisant partie de la société qui l’entoure. En effet, en tant que scientifique, le linguiste est tenu de considérer sa langue comme un objet à observer, et de l’aborder sine ira et studio. Le problème, c’est qu’en tant que citoyen il ne peut envisager les faits de langue avec équanimité. Le linguiste le plus objectif peut-il s’empêcher de réagir lorsqu’il entend ses dirigeants, les leaders de son pays, s’exprimer dans une langue pleine de fautes, ou lorsque les médias 26 rabâchent inlassablement la rengaine ‘pi shalosh, pi shalosh ? 8 De quoi s’agit-il ? Dans la Bible (Deut. 21, 17), apparaît l’expression pi shenayim, « deux fois plus » et le numéral est au masculin. C’est sur la base de cet usage biblique que les grammairiens prescriptivistes interdisent le féminin dans ce type d’expression. Or, les noms de nombre en hébreu biblique ont un emploi syntaxique inverse de leur aspect

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morphologique. Les noms terminés par –a (shlosha, xamisha, shisha…), s’accordent avec les substantifs masculins ; les noms non marqués (shalosh, xamesh, shesh…) s’accordent avec les féminins. Mais ce sont aussi eux qui sont employés lorsqu’ils ne sont pas suivis d’un substantif – par exemple en mathématiques ou pour donner un numéro de téléphone. Les formes non marquées ont donc tendance à être employées en toute circonstance, et on constate un net recul des formes en –a, y compris lorsque l’accord syntaxique les exigerait. Il y a là un phénomène d’analogie, gênant pour les oreilles de ceux qui sont habitués à la tournure biblique et qui considèrent comme fautif tout autre usage. III. Hébreu standard et variétés linguistiques 9 Une grammaire de référence doit tenir compte de la dimension sociale de la langue, ce qui nous amène à nous interroger sur ce qu’est l’hébreu standard aujourd’hui. Comme base de réflexion, nous citerons ce que disent du français standard les auteurs de La grammaire d’aujourd’hui27 : Le français décrit par les grammaires est la variété normalisée, dite standard, ce qui signifie qu’elle est reconnue comme « correcte », elle est enseignée à l’école, et elle est soumise au contrôle d’institutions comme l’Académie française. Si cette variété peut être dite celle de la classe dominante, son statut symbolique dépasse les limites d’une classe sociale. Outre une très vaste zone commune à tous les usages, la variété standard fonctionne comme un registre véhiculaire majoritaire, dont tous les locuteurs ont au moins la maîtrise passive, et elle s’appuie sur le sentiment partagé d’appartenance à la même communauté. Pour ce qui concerne la France, l’histoire de l’uniformisation des pratiques linguistiques en ce qu’on appelle « le français national » est liée à la constitution de l’État moderne à la fin du XVIIIe siècle. 10 Dès la fin des années cinquante, C. Rabin avait qualifié d’« hébreu moyen » (ivrit benonit) la langue écrite non littéraire : la langue des échanges épistolaires, de la presse, des écrits scientifiques, etc. ; cette langue peut aussi apparaître sous forme parlée, c’est celle des conférences, des discours, de la radio (présentation des nouvelles), du professeur dans sa classe. Au fil des années, cet hébreu moyen, « non marqué », ni formel ni informel, se confond de plus en plus avec la langue de la presse, comme le souligne R. Nir en 1984 : Malgré sa grande hétérogénéité, l’hébreu des médias est devenu le modèle, le standard de l’« hébreu moyen ». En l’absence d’un hébreu standard, qui servirait de référence pour l’usage formel quotidien, c’est l’hébreu des mass media qui joue, au moins partiellement, ce rôle28. 11 Dans l’article de 1995 dont nous avons donné les références ci-dessus à la note 26, M. Z. Kaddari fait un double constat : d’abord, il existe un hébreu standard ; ensuite, aucune description n’en a encore été donnée. Pourtant, les professeurs d’hébreu – qu’ils enseignent en Israël ou en diaspora -, les formateurs, les traducteurs auraient grand besoin d’une telle description. Est-ce pour ne pas avoir à légitimer certains faits de langue (écrite et parlée) trop éloignés de la norme classique que l’Académie n’a pas entrepris ce travail ? Kaddari considère que, parmi les nombreuses variétés d’hébreu contemporain, aucun standard ne se détache, qui correspondrait au « registre véhiculaire majoritaire » dont il était question ci-dessus. Il propose de définir un standard écrit et un standard oral, et fait remarquer que certaines tournures propres à la langue parlée et apparaissant dans les dialogues de romans (par exemple ceux de N. Shaham) ne sont certes pas présentes en hébreu biblique et mishnique, mais sont attestées dans la langue médiévale…

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12 La recherche linguistique de ces vingt dernières années en Israël a donné lieu à des études sur la langue des écrivains (prose et poésie), sur la langue « moyenne », sur l’hébreu parlé. Une grammaire descriptive de l’hébreu moderne devra s’appuyer sur ces divers travaux. Malgré l’hétérogénéité de la langue journalistique (un article de sport n’est pas écrit comme un éditorial, Haaretz n’a pas le même style que Yediot Axaronot), il semble bien que l’on puisse considérer que l’uniformisation des pratiques linguistiques en un hébreu standard se réalise précisément dans cette langue « moyenne ». En revanche, la grande variété des styles littéraires – d’Agnon à Amihai, de H. Beer à E. Keret – risque de poser problème : il faudra donc constituer un corpus d’œuvres d’où seront tirés les exemples littéraires : ainsi, l’autobiographie récemment parue d’Amos Oz offre de nombreux exemples illustrant les diverses manières d’exprimer ce qui correspond en français à l’imparfait d’habitude. 13 Concernant l’hébreu parlé, il conviendra de décrire les faits phonétiques et prosodiques tels que la disparition de syllabes et l’assimilation partielle ou totale (ma zot oméret > mastoméret) ou de faits syntaxiques tels que l’omission de la préposition dans les compléments circonstanciels de temps (shavua ha-ba au lieu de ba-shavua ha-ba) 29. Il faudra aussi prendre en compte les variations qu’entraînent à l’oral l’origine ethnique, l’âge, la pratique religieuse, l’origine géographique, etc30. Concernant l’origine ethnique, c’est dans les années soixante que H. Blanc posa pour la première fois l’existence de deux dialectes : l’hébreu « oriental », caractérisé par la différentiation du het et du xaf, du ‘ayin et du ’alef, et par l’articulation du r, et l’hébreu « ashkénazoïde » ou « général », dans lequel ces traits n’apparaissent pas. Certains mots n’ont pas le même sens pour un membre d’une communauté ultra-orthodoxe et pour un non religieux ; et l’on a pu constater des variations entre les locuteurs originaires du nord et du sud de Tel-Aviv. 14 La recherche sur les langues sémitiques s’est longtemps faite à partir de données écrites plutôt qu’orales ; l’hébreu moderne ne fait pas exception. Dans les années 1980, plusieurs voix se sont élevées pour réclamer la constitution d’un corpus oral. Comme le disent B. Hary et S. Izre’el, « A corpus is a premiminary desideratum for much larger projects that cannot otherwise be achieved, be it a grammar of modern Hebrew, a comprehensive dictionary, or any other theoretical or applied inquiry31». Cette immense entreprise (les auteurs envisagent un corpus organisé de cinq millions de mots) n’en est encore qu’à ses débuts. Il faut savoir que le développement de corpus oraux transcrits est un travail long et coûteux, qui demande une méthodologie extrêmement stricte et des outils informatiques performants. Il sera donc sans doute impossible, malheureusement, de profiter pour notre grammaire des données que recueille actuellement l’équipe de S. Izre’el : nous nous appuierons donc sur les recherches déjà publiées, en étant bien conscients qu’elles ne permettront pas de brosser un tableau complet de l’hébreu parlé. IV. La terminologie 15 Quelle que soit la métalangue utilisée (hébreu ou français), on constate dans les ouvrages récents un mélange entre des termes traditionnels remontant à l’époque médiévale (dagesh, mishkal, shem ecem, et chez Cohen et Zafrani « infinitif construit »), à côté d’innovations (icurim, « consonnes »), d’emprunts (aspekt perfektivi) et de calques (pealim nimšaxim, « verbes duratifs32 »). Le fait en lui-même n’est pas propre à la grammaire hébraïque : tous les ouvrages postérieurs à Saussure, qu’ils concernent la linguistique générale ou la description d’une langue donnée, présentent à des degrés

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divers un mélange de métalangage traditionnel et d’innovations terminologiques33, et même les grammaires scolaires n’y échappent pas. En revanche, l’histoire particulière de la langue hébraïque crée une situation inédite. En effet, les premiers grammairiens de l’hébreu décrivent une langue purement écrite et littéraire, celle de la Bible, c’est-à- dire d’un corpus clos dont la prononciation varie selon les traditions des différentes communautés. Cet état de fait rejaillit sur le corpus des exemples, tous bibliques, à la différence des grammaires arabes de la même période qui, même lorsqu’elles décrivent la langue classique, ajoutent aux citations du Coran des textes poétiques et des exemples forgés. En d’autres termes : qu’elle soit rédigée en arabe, en hébreu, en latin ou dans les langues modernes, la tradition grammaticale de l’hébreu est, du XXe au XIXe siècle, la tradition grammaticale de l’hébreu massorétique. Les grammairiens comme Saadya Gaon ou Yona ibn Janah admettent parfaitement que l’on utilise la langue de la Mishna pour apporter des éclaircissements sur telle signification ou tel trait propres à la Bible, mais il ne leur viendrait pas à l’idée d’écrire une grammaire de cette langue. Les grammairiens de l’hébreu moderne se sont donc trouvés face à une situation paradoxale : ils devaient décrire une langue en train de se constituer comme langue parlée en se servant d’un outillage élaboré pour décrire cette langue telle qu’elle apparaît dans un corpus littéraire élaboré deux à trois millénaires auparavant. 16 La difficulté de la tâche est bien décrite par D. Cohen et H. Zafrani dans la préface de leur grammaire : Le problème à résoudre était double et en partie contradictoire. Il fallait d’une part, puisque la langue à décrire a ses caractéristiques propres, ne pas se laisser enfermer dans les cadres traditionnels de la grammaire de l’hébreu ancien, empruntés en grande partie à celle de l’arabe, et qui, en tout état de cause, ne répond pas toujours aux exigences scientifiques de la linguistique moderne. Par ailleurs, il pouvait paraître inopportun, dans un ouvrage destiné à des étudiants hébraïsants, de renoncer entièrement à une terminologie consacrée par l’usage au risque de désarçonner totalement l’usager. […] Nous avons essayé […] de décrire chaque phénomène en soi et sans référence à la grammaire de la langue ancienne, mais sans rejeter éventuellement les termes ou les cadres traditionnels qui ne 34 paraissaient pas devoir fausser les faits . 17 Il existe depuis plusieurs décennies une nomenclature grammaticale officielle de l’hébreu (450 mots environ) pour l’enseignement secondaire ; mais, comme la nomenclature équivalente établie en France par le ministère de l’Éducation nationale, elle ne constitue rien d’autres qu’un métalangage commun au grand public, aux enseignants et aux chercheurs. Une description de l’hébreu en français devra trouver un équilibre entre la terminologie grammaticale traditionnelle (binyan, état construit, phrase nominale, mishpat kolel) et les concepts linguistiques qui, dans un passé récent, ont modifié la façon d’envisager et de décrire les faits de langue. Conclusion 18 Les étudiants francophones manquent d’une grammaire de référence de l’hébreu moderne, qui en décrive les principaux traits phonologiques, morphologiques, syntaxiques et sémantiques, en tenant compte des différences entre langue écrite et orale. Nous avons montré dans quelle direction nous comptons aller, en nous appuyant sur les travaux qui se multiplient dans les universités israéliennes. Malgré son histoire atypique, l’hébreu moderne est aujourd’hui une langue comme les autres. Il serait dommage de ne pas le faire savoir à nos étudiants.

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NOTES

1. C’est en 1977 que parut la première grammaire décrivant en anglais l’hébreu contemporain comme une entité linguistique autonome : H. B. Rosén, Contemporary Hebrew, The Hague, Mouton, 1977. 2. Gesenius’ Hebrew Grammar, ed. by E. Kautzsch, rev. by A. Cowley, Oxford, Clarendon Press, 1980 (15e éd.) ; P. Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1923. Cette grammaire a été révisée et traduite en anglais par T. Muraoka : A Grammar of Biblical Hebrew, Rome, Pontificio Istituto Biblico, 1993. 3. En participant, en juillet 1998, à un atelier d’été de l’Université hébraïque de Jérusalem consacré à la question de la norme, j’ai constaté que le problème se posait dans tous les pays où l’hébreu était enseigné comme langue seconde… y compris en Israël. 4. La grammaire récemment publiée par M. P. Feldhendler, Grammaire pratique de l’hébreu israélien, Paris, Ellipses, 2003, se présente avant tout comme un ouvrage didactique et sa rédaction sans doute trop rapide a laissé passer de nombreuses erreurs. 5. Pour des raisons techniques, les mots bibliques ne sont pas translittérés selon le système habituel. Cependant, lorsque nous faisons référence à des termes bibliques, nous utilisons une translittération complète des consonnes et des voyelles. 6. Cependant, chez certains hébraïsants et sémitisants de cette époque, neuhebräisch ne recouvre que l’hébreu post-biblique ; cf. par ex. Joüon, qui dans sa grammaire biblique désigne les usages mishniques par le terme de « néo-hébreu ». 7. H. B. Rosén, Ha-ivrit shelanu, Tel-Aviv, Am oved, 1956. 8. Ibid., p. 107. 9. H. B. Rosén, « Remarques descriptives sur le parler hébreu-israélien moderne », Comptesrendus du G.L.E.C.S. 6 (1952), pp. 4-7. Le tiret entre les deux mots (en français) est voulu par Rosén. 10. H. Blanc, « Qeta shel dibur ivri yisreeli », Leshonenu 21 (1957), pp. 33-39. 11. On remarquera que, si David Téné a choisi cette expression comme titre général de sa description (« L’hébreu contemporain », in A. Martinet (dir.) Le langage, Encyclopédie de la Pléiade, Gallimard, 1968, p. 975-1002), il emploie tout au long de l’article l’expression « hébreu israélien »… 12. C. Rabin critique cet emploi en soulignant que l’hébreu écrit est également employé en diaspora. 13. O. (Rodrigue) Schwarzwald, History of the Hebrew Language: the Modern Division, Units 9-10: Contemporary Hebrew, Tel Aviv, the Open University of Israel, 2003, p. 15 (en hébreu). 14. Cf. L. Glinert, The Grammar of Modern Hebrew, Cambridge University Press, 1989 ; E. A. Coffin, S. Bolozky, A Reference Grammar of Modern Hebrew, Cambridge University Press, 2005. 15. D. Cohen, H. Zafrani, Grammaire de l’hébreu vivant, Paris, PUF, 1968, p. V. 16. P. Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique, ouvr. cit. ci-dessus n. 2, § 88 E b. 17. Cf. M. Bar-Asher, « Modern Hebrew and its classical background », in S. Izre’el (ed.), Speaking Hebrew, Studies in the Spoken Language and in Linguistic Variation in Israel, Te‘uda XVIII, Tel-Aviv University, pp. 203-215 (en hébreu). 18. Contemporary Hebrew, ouvr. cit. ci-dessus n. 1, pp. 15-24.

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19. Z. Ben-Hayyim, « Lashon atika bi-mciut xadasha », Be-milxamtah shel lashon (The Struggle for a Language), Jerusalem, The Academy of the Hebrew Language, 1992, pp. 36-85 ; et voir la critique consacrée à cet article (publié pour la première fois en 1953) par H. Blanc, « Ota ha-gveret », Leshon bney adam, Jerusalem, Mossad Bialik, 1989, pp. 63-70. 20. Cf. M. Z. Kaddari, « Mavo le-te’ur macav ha-mexkar ba-ivrit ha-yisreelit », Iyunim bilshon yamenu (Studies in Contemporary Hebrew), Jerusalem, The Academy of the Hebrew Language, 2004, pp. 265-273. 21. Cf. Y. Shlesinger, Journalistic Hebrew, Beer Sheva, Ben Gurion University of the Negev Press, 2000, p. 115. 22. O. (Rodrigue) Schwarzwald, Contemporary Hebrew, ouvr. cit. ci-dessus n. 13, pp. 16-17. 23. Cf. Y. Klauzner, Sfat Ever – safa xaya, Cracovie 1903. 24. O. (Rodrigue) Schwarzwald, « The study of Modern Hebrew in various linguistic schools », Mexkarim ba-lashon (Language Studies) 7 (1995), pp. 145-161 (en hébreu). 25. Cf. par exemple R. Henkin, « Children with a prolific past: peculiar uses of past- tenses forms in children’s speech », Leshonenu 55 (1991), pp. 333-362 (en hébreu). 26. M. Z. Kaddari, « Ha-ivrit bat-yamenu bi-svax ha-tiqniyut », Mexqarim ba-lashon (= Language Studies) 7 (1995), pp. 135-144. Le texte cité se trouve p. 137. 27. M. Arrivé, F. Gadet, M. Galmiche, La grammaire d’aujourd’hui, Paris, Flammarion, 1986, p. 629. 28. R. Nir, Lashon, medium u-meser : iyunim ba-signon u-va-retorika shel ha-tikshoret ha- hamonit be-yisrael, Jérusalem, Pozner, 1984, p. 8 (cité dans Y. Shlesinger, Journalistic Hebrew, Beer Sheva, Ben Gurion University of the Negev Press, 2000, p. 5). 29. Ces deux exemples sont empruntés à l’article (en hébreu) d’O. (Rodrigue) Schwarzwald, « Language varieties in Contemporary Hebrew », in S. Izre’el (ed.), Speaking Hebrew, Studies in the Spoken Language and in Linguistic Variation in Israel, Te‘uda XVIII, Tel-Aviv University, p. 158. 30. Ibid. 31. On peut consulter l’article programme exposant les méthodes de compilation du corpus sur le site www.tau.ac.il/humanities/semitic/cosih.html. 32. Ces deux derniers exemples sont tirés de Y. Blau, Torat ha-hege ve-ha-curot, Hoca’at ha-kibuc ha-me’uxad, 1972. 33. Voir à ce sujet B. Colombat et M. Savelli (éd.), Métalangage et terminologie linguistique, Paris-Louvain, Peeters, 2001. 34. Cf. supra, note 15.

RÉSUMÉS

An Modern Hebrew Grammar: some Preliminary Remarks. – Twenty eight years ago, when I began to study Hebrew, the French students had at their disposal several grammars describing the language of the Bible, but there was no reference grammar for modern (or, according to Rosén’s appellation, Israeli) Hebrew. The linguists –H. B. Rosén, H. Blanc– who described in the fifties and

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sixties the characteristics of modern Hebrew were strongly criticized by purists, who wanted to keep the development of the new language inside the norms of classical language. Nowadays, spoken Hebrew is thoroughly studied by linguists, but there is still no modern Hebrew grammar in Hebrew – neither in French. The aim of this paper is to present our « Grammaire de l’hébreu moderne » project, which is supported by the CRFJ, and to discuss preliminary subjects such as the name of the described language – modern, contemporary, Israeli; the norms to be described; standard Hebrew and linguistic varieties; terminology.

AUTEUR

SOPHIE KESSLER-MESGUICH Sophie Kessler-Mesguich est professeur de linguistique hébraïque (Université Paris-III), chargée de conférences (hébreu mishnique) à l’École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques et membre de l’UMR 7597 « Histoire des théories linguistiques ». Elle est responsable du projet « grammaire » au CRFJ. Sophie Kessler-Mesguich is a professor in Hebraic linguistics (Université Paris 3), lecturer for Mischnic Hebrew at the École pratique des hautes études, and a member of the team « Histoire des théories linguistiques » at the CNRS. She is in charge for the « grammar » project at the CRFJ. [email protected]

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La Eldridge Street Synagogue Un lieu de mémoire juif aux États-Unis*

Galith Touati

1 Située au numéro 12 de la rue Eldridge, dans l’actuel quartier asiatique du bas à New York, la Eldridge Street Synagogue trône, silencieuse, au milieu du brouhaha de la ville chinoise et des voitures qui s’engouffrent, à deux pas, sur le pont de Brooklyn. Insolite, ce vaste bâtiment l’est pour plusieurs raisons. Sa façade de style mauresque domine les bâtisses environnantes. Elle surprend par sa majesté autant que par sa présence dans un quartier où les traces de l’immigration juive se réduisent comme peau de chagrin. Elle s’impose comme une discrète rémanence d’un passé malmené par l’urgence de l’installation des communautés successives qui s’agglutinent dans ce quartier depuis un siècle. Juives et italiennes naguère, chinoises et hispano- américaines aujourd’hui. Le promeneur que ses pas conduisent jusqu’à la Eldridge Street peut découvrir la synagogue et, depuis la fin des années 1980, la visiter. Ce lieu de prière, qui ne compte pas plus d’une trentaine de membres lors des offices religieux, est néanmoins devenu un objet de curiosité et une étape dans les guides touristiques qui recommandent une visite du New York historique.

2 Le bâtiment principal, trop grand pour une communauté de moins en moins nombreuse, a cessé de servir pour la célébration des offices depuis les années 1950. Ceux-ci se déroulent désormais dans le Beth , la salle d’études située dans le sous-sol, beaucoup plus petite. Les quelques fidèles de la communauté assurent cependant que tous les offices du Shabbat ont été célébrés à la Eldridge Street depuis sa création. En tant que synagogue, la Eldridge Street n’a pas conservé la fréquentation des premières années, mais, en tant que symbole, elle attire chaque année plus de 20 000 visiteurs désireux de marcher sur les traces des immigrants juifs. 3 Le guide qui vous accompagne vous racontera sans doute l’histoire de la construction de ce bâtiment et celle de son abandon, justifiant l’état de délabrement dans lequel il se trouvait, il y a encore quelques années. Les circonstances de sa redécouverte par un historien d’art en 1975 font déjà partie de la légende de la Eldridge Street Synagogue. Gerard Wolfe avait en effet forcé la porte du bâtiment avec un pied-de-biche et découvert un vaste espace. Les livres de prières abandonnés sur les bancs depuis des décennies y cohabitaient avec les pigeons dans une atmosphère humide qui avait

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entraîné la dégradation des peintures murales, dont plusieurs représentaient un paysage de Jérusalem. C’est à Gerard Wolfe que l’on doit les premières initiatives, qui ont permis le sauvetage de la synagogue. Wolfe a fondé l’Association des amis de la Eldridge Street avec l’objectif de réaliser les premiers travaux, grâce à une collecte de fonds d’urgence, afin de permettre la réouverture du site et son classement en tant que monument historique, le 11 décembre 19791. Depuis 1996, la Eldridge Street fait en outre partie des National Landmarks. 4 Le Eldridge Street Project, l’association à but non lucratif fondée en 19822, qui a succédé à l’Association des amis met aujourd’hui tout en œuvre pour trouver l’argent nécessaire à l’achèvement de la restauration et pour faire connaître cette synagogue. Son ambition est d’en faire un lieu où s’incarne la mémoire de l’immigration juive. « Le Eldridge Street Project a pour vocation de restaurer la synagogue d’Eldridge Street, classée monument historique, afin qu’elle devienne un lieu d’héritage culturel pour le siècle prochain. Les programmes d’information, les visites guidées ainsi que les expositions organisées au sein même de l’édifice perpétuent la mémoire de la vie des immigrants Juifs du Lower East Side3. » 5 Depuis sa réhabilitation, la Eldridge Street Synagogue est donc investie d’une nouvelle fonction. Elle n’est plus uniquement un lieu de prière. Des activités pédagogiques, des visites guidées, des conférences et des expositions y sont organisées, allant du cours de cuisine juive aux conférences d’éminents professeurs d’université4. Les administrateurs du Eldridge Street Project s’efforcent de faire connaître, aux adultes comme aux enfants, l’histoire de la synagogue, restituée dans le contexte de celle du Lower East Side, en rappelant l’histoire des juifs aux États-Unis au XXe siècle. Ainsi, après des décennies de silence, la synagogue retrouve d’une façon séculière sa fonction initiale, celle d’un lieu d’échanges et de débats. Fonction originelle en effet, car étymologiquement, le mot hébreu désignant la synagogue (Beth ) signifie la maison où l’on se rassemble. En effet, la communauté religieuse juive se conçoit comme un groupe de personnes (un minimum de dix hommes), réunies pour prier. La notion de lieu apparaît alors comme secondaire par rapport à celle du nombre. Ainsi, la synagogue est-elle le lieu où l’on se réunit, pour prier mais aussi pour étudier et commenter les textes bibliques.

6 La Eldridge Street Synagogue, dont le nom officiel est Kahal Adath Jeshurun with Anshe Lubz, est la première synagogue construite dans le Lower East Side par des juifs orthodoxes ashkénazes, originaires d’Europe de l’Est. Bâtie entre 1886 et 1887, inaugurée le 16 septembre 1887, elle incarne l’expansion du Lower East Side de New York dans les dernières décennies du XXe siècle. Sa façade, en briques et terre cuite, présente des éléments de types mauresques, gothiques et romans, caractéristiques de ses architectes, les frères Herter, qui édifièrent d’autres immeubles (tenements) dans le Lower East Side. 7 La congrégation Khal Adath Jeshurun (La communauté du peuple d’Israël), est le résultat de l’alliance de deux communautés ashkénazes : Beth Hamedrash (La maison de l’étude) et Holche Josher Wizaner (Ceux qui marchent dans la vertu) 5. Fondée en 1852, Beth Hamedrash est rapidement devenue la plus importante communauté juive d’influence orthodoxe en Amérique. Son union avec Holche Josher Wizaner pour fonder Khal Adath Jeshurun a abouti à la création d’une congrégation orthodoxe plus puissante encore. 8 Autour de 1900, la Eldridge Street était l’une des les plus fréquentées du Lower East Side. Plus d’un millier de personnes assistait aux offices.

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« Les jours de fêtes, la police montée devait maintenir le calme dans les rues. Vers 1920, les membres de la communauté se dispersent vers les Uptowns ou autres faubourgs de la ville, tandis que les nouvelles lois sur l’immigration limitent les arrivées dans le Lower East Side. Vers 1940, la synagogue ouvre uniquement pour 6 les jours de fêtes ou des événements spéciaux ». 9 Si la Eldridge Street Synagogue demeure et se revendique comme le plus ancien lieu de culte des juifs d’Europe de l’Est, c’est qu’en réalité, il est le plus ancien édifice bâti pour remplir, dès son origine, la fonction de synagogue. D’autres synagogues du Lower East Side, plus anciennes, se sont établies dans des édifices déjà existants et ayant eu préalablement une autre vocation : une maison, une église. Citons, à titre d’exemple, la congrégation Ahawath Chesed, fondée en 1846 : elle acquit, en 1855, une maison sur Columbia Street qu’elle convertit en synagogue. En 1872, la congrégation déménageait de nouveau sur Lexington Avenue et la 55e rue7.

10 La plus ancienne congrégation orthodoxe et russe des États-Unis, la congrégation Beth Hamedrash Hagodol, fut quant à elle fondée en 1852 et son premier bâtiment était situé sur Allen Street. La synagogue actuelle de cette communauté est située au n° 60 de Norfolk Street. C’était jadis une église méthodiste qui a été achetée et transformée en 1885. 11 La prétention à incarner le plus ancien ne signifie donc pas nécessairement que l’on a été le premier, mais que l’édifice désigné comme tel est occupé de manière ininterrompue sur une plus longue période. En cela, la Eldridge Street Synagogue est la plus ancienne. On se demande même si cela explique qu’on la désigne par le nom de la rue où elle est située, et non par celui de sa communauté. 12 Sans compter que le qualificatif de « plus ancienne », employé ici, est valable parmi la communauté des immigrants originaires d’Europe de l’Est et de Russie. Car, n’oublions pas que des juifs allemands, précédés par des séfarades, ont immigré aux États-Unis bien avant ceux d’Europe de l’Est. La congrégation séfarade Shearith Israël fut, d’ailleurs, la seule d’Amérique du Nord entre 1654 et 1820 et l’emplacement de sa première synagogue n’a pu être localisé à New York. Dans les années 1840, les immigrants juifs d’origine allemande fondèrent, quant à eux, le temple Emmanu-El, sur Grand et Clinton Street. La synagogue de cette communauté est aujourd’hui située à l’angle de la 5e avenue et de la 65e rue. Il est intéressant de constater que la communauté des juifs pratiquants à New York se conçoit encore dans certains cas dans la lignée des Landsmanschaften du XIXe et du XXe siècle, c’est-à-dire des communautés constituées en fonction du pays d’origine de l’immigrant (parfois même de la bourgade). L’attachement se définirait-il encore plus par l’appartenance géographique, que par la position doctrinale de la communauté au sein de laquelle on prie ? Reconnaissons cependant que souvent les traditions sont fonction de l’origine. À la deuxième ou troisième génération, les choix doctrinaux se font sur la base d’autres critères où l’origine (séfarade, ashkénaze…) est moins déterminante. 13 Cette revendication d’antériorité est souvent perceptible parmi les communautés immigrantes, chacune entrevoyant son intégration comme beaucoup plus avancée que celle de ses coreligionnaires plus fraîchement débarqués. Les immigrants précédemment arrivés composent alors l’aristocratie juive, intégrée économiquement à la société d’accueil et ayant épousé les valeurs, la langue et le mode de vie des Américains. Chaque vague d’immigration entraîne la redéfinition de la communauté juive dans son ensemble, car la communauté est une entité mouvante, évoluant au gré

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des apports successifs. Ceci est vrai dans toutes les populations immigrantes, de toutes les religions, et de toutes les origines. 14 Quelle est donc la signification de l’engouement mémoriel en faveur des lieux de mémoire juive aux États-Unis ? De quoi cherche-t-on à se souvenir en s’efforçant de conserver les témoins de la présence juive au début du XXe siècle ? Ces lieux constituent un échantillon du New York aux XIXe et XXe siècles, auquel beaucoup d’images de la ville sont associées. Ils incarnent l’une des strates successives qui ont composé le paysage urbain. 15 Comme nous l’ont enseigné Pierre Nora et ses Lieux de mémoire, le souci de conservation surgit en corrélation avec la peur de la disparition. La menace de l’effacement engendre, spontanément, un effort de préservation ou un travail de reconstruction. Malgré le caractère assez lacunaire de la documentation, nous savons que, contrairement à d’autres synagogues de New York, la Eldridge Street doit vraisemblablement sa survie à la fidélité de sa communauté, qui ne l’a pas vendue et ne lui a donc pas permis d’avoir une autre activité que celle qui lui était dévolue à son origine. La permanence de la Eldridge Street Synagogue est exemplaire, quand on sait que le souci de préservation des lieux significatifs de la culture new yorkaise est relativement récent et la création de la Landmarks Preservation Commission ne date que de 1965. 16 À New York, la densité urbaine et la hauteur des gratte-ciel convainquent facilement qu’un lieu, subsistant au milieu d’une telle bataille pour la conquête de l’espace, a nécessairement une utilité. Les lieux de la mémoire juive s’imposent au détour des rues : ainsi de la Eldridge Street Synagogue, ainsi des trois minuscules cimetières hispano- portugais de la congrégation séfarade Shearith Israël, dont le plus ancien, situé à Chatam Square, date de la fin du XVIIe siècle. Ils demeurent à l’état de mémorial et témoignent qu’une vie juive (et a fortiori une mort) s’est déroulée dans le Lower East Side. Ils rappellent la présence, dans l’histoire du quartier, d’une communauté dont ils sont l’une des dernières traces. Ces lieux de mémoire incarnent parfaitement le moment d’un « basculement dans l’histoire » au sens où ils permettent de réaliser, sans rupture radicale, la transition entre l’histoire vécue de la première génération pour qui ils représentaient des lieux de prière et de recueillement, et l’histoire racontée des petits- enfants et de leurs successeurs, pour qui ils ne sont plus que des occasions de remémoration, voire de commémoration. 17 Ces lieux doivent leur conservation au fait que la parcelle de terrain sur laquelle ils ont été édifiés a toujours connu le même propriétaire : de ce fait, ils n’ont pas été l’objet d’une bataille de mémoires entre différentes communautés. Evoquer ces questions d’antériorité et de querelles de mémoires, écrire cela à Jérusalem en avril 2004, grâce à l’accueil du CRFJ, n’est peut être pas un hasard.

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NOTES

*. Merci au CRFJ, qui, en m’attribuant un « mois-chercheur », en avril 2004, m’a permis d’approfondir une réflexion sur la mémoire de l’immigration juive aux États-Unis, déjà engagée dans le cadre d’une thèse (Travail de mémoire : New York et l’immigration juive, soutenue sous la direction de Jochen Hoock, le 15 juin 2002, à l’université Paris 7- Denis Diderot). Ces recherches complémentaires ont notamment conduit à la découverte de plusieurs documents, en particulier le règlement interne de la Eldridge Street Synagogue, publié en 1912 et dont la Bibliothèque nationale d’Israël possède un exemplaire. 1. Rapport de Susan Upton Lawrence, Landmarks Preservation Commission, 8 juillet 1990. 2. Certaines sources indiquent 1989, mais 1982 semble la date la plus probable de la création du Eldridge Street Project, puisqu’un article, paru dans News Day en février 1986, en fait déjà mention. 3. Document en français du Eldridge Street Project, distribué aux visiteurs en 1999. 4. Le 5 novembre 1992 eut lieu la première rencontre-débat le thème sur « Les noirs, les juifs et les villes » (Blacks, Jews and Cities) dont les intervenants étaient le sociologue Hillel Levine, professeur à l’université de Boston, et Cornel West, professeur de religion et directeur des études afro-américaines à l’université de Princeton. D’après un article intitulé « Hillel Levine and Cornel West to speak at Eldridge Street », Eldridge Street Project News, number V, Fall 1992, p. 1. 5. Rapport de Susan Upton Lawrence, Landmarks Preservation Commission, 8 juillet 1990. 6. D’après un document en français distribué à la Eldridge Street Synagogue, en 1999. 7. Source : article du East Side News, vendredi 6 juin 1958, « Lower East Side Churches and Synagogues » par George Freedman.

AUTEUR

GALITH TOUATI Docteur en histoire de l’Université Paris 7-Denis Diderot, Galith Touati a soutenu sa thèse intitulée « Travail de mémoire : New York et l’immigration juive », en juin 2002. Âgée de 33 ans, elle est actuellement responsable de la communication de l’association Yad Layed France (outils pédagogiques pour enseigner l’histoire de la Shoah en milieu scolaire). [email protected]

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Positions divergentes des prélats catholiques sur le baptême des enfants Finaly (1945-1953)

Catherine Poujol

1 En février 1953, éclate en France une énorme campagne de presse autour de l’enlèvement de deux enfants juifs convertis au christianisme. Certains membres de l’Église catholique sont impliqués directement dans cet acte délictueux, comme des supérieures de Notre-Dame de Sion et une dizaine de prêtres basques. Mon enquête1 m’a permis de dévoiler le rôle plus occulte du cardinal Pierre Gerlier à Lyon et de montrer que nombre de prélats français furent concernés. L’affaire traînant en longueur, Pie XII fut, lui aussi, conduit à prendre position, comme Mgr Roncalli (futur Jean XXIII), alors nonce à Paris, et Mgr Montini (futur Paul VI), substitut à la Secrétairerie d’État2, donc le second personnage du Vatican. Suivre le déroulement de ce procès à scandale va nous permettre d’éclairer les positions de chacun et de démontrer que, décidément non, l’Église catholique ne parle pas d’une seule voix, comme on le croit trop souvent. L’enlèvement du 4 février 1953 est l’aboutissement d’une longue bataille judiciaire qui doit être rappelée car, conduite par une grande procédurière, Antoinette Brun, elle va conduire la hiérarchie catholique dans un guêpier dont elle mettra des mois à sortir. I- Les faits, les datesNégociations et procédure judiciaire (1939-1952)1939-1948 2 En 1939, le docteur Fritz Finaly (1906-1944), chef de clinique à Vienne (Autriche), s’est réfugié, avec son épouse Anni (1915-1944), à La Tronche près de Grenoble. Là naissent deux garçons : Robert (Ruben) le 14 avril 1941, et Gérald (Guédalya) le 3 juillet 1942. Ils sont circoncis, détail important qui permettra à la famille d’affirmer, sans équivoque, la volonté des parents de les élever dans le judaïsme. Le 7 juin 1941, le père fait une déclaration de nationalité française pour Robert. Gérald est donc autrichien. Le 14 février 1944, les deux époux Finaly sont arrêtés par la Gestapo et déportés, le 7 mars, de Drancy vers Auschwitz avec le convoi n° 69. Ils ne reviendront pas. Ils ont eu le temps de cacher leurs enfants chez une voisine qui les confie aux religieuses de Notre-

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Dame de Sion, à Grenoble. Le couvent de Lyon est alors dirigé par Mère Antonine, supérieure musclée, qui cache des membres de l’Armée juive, fabrique des faux papiers et appartient elle-même à l’Amitié chrétienne dirigée par le père Pierre Chaillet. Elle héberge souvent une grande résistante, Germaine Ribière. Nous allons retrouver ces trois personnages en 1953, tous membres du même réseau de résistance, et utilisés par le cardinal Gerlier : Mère Antonine pour cacher les enfants Finaly et Chaillet et Ribière pour les chercher… 3 Les religieuses confient les deux enfants à la crèche municipale de Grenoble dont la directrice est Antoinette Brun (1894-1988). Celle-ci, qui a déjà recueilli d’autres enfants, juifs ou non, accepte, fin février 1944, de les cacher. À peine un an plus tard, le 9 février 1945, la sœur du Dr Finaly, Mme Margarete Fischl écrit au maire de La Tronche qui l’informe de la déportation de son frère et de sa femme et lui indique comment retrouver ses neveux. Ayant obtenu le 15 mai 1945 un permis d’immigration pour les deux enfants vers la Nouvelle-Zélande où elle s’est installée, elle se rapproche de Mlle Brun pour lui dire sa reconnaissance et son désir de récupérer ses neveux. Celle-ci répond en novembre qu’elle pense que ce retour est prématuré mais assure : « Vos neveux sont juifs, c’est-à-dire qu’ils sont restés dans leur religion ». Détail important car l’affaire Finaly est regardée a posteriori comme le procès emblématique du refus par l’Église de rendre les enfants juifs cachés et baptisés pour les sauver, or, les deux protagonistes n’ont jamais été dans ce cas. Mlle Brun ne les fera baptiser que le 28 mars 1948, par l’abbé Pichat, en l’église de Vif (Isère). 4 Pourquoi ? Pour échapper aux pressions de la famille. Au lendemain de la lettre de Mme Fischl, le 12 novembre 1945, Mlle Brun s’est fait nommer tutrice provisoire par un conseil de famille composé par ses soins (n° 1), dont tous les membres sont juifs et amis des parents Finaly de leur vivant, mais aucun n’appartient à la famille, laquelle n’est même pas informée. Pendant trois ans donc, Mme Fischl tente de récupérer ses neveux en s’adressant même au ministre des Affaires étrangères qui, soutenant sa démarche, se tourne le 16 mars et le 9 août 1946 vers le ministre des Anciens combattants et des Victimes de la guerre. Elle supplie le maire de La Tronche et la Croix-Rouge qui fait un rapport favorable à la famille le 5 octobre 1946. Elle écrit à l’évêque d’Auckland qui transmet à l’archevêque de Westminster, lequel s’adresse à Mgr Alexandre Caillot, évêque de Grenoble. Le 25 juillet 1948, Mgr Caillot répond à l’évêque d’Auckland qu’il a eu un « long entretien avec Mlle Brun […] qui s’est terminé par une opposition très nette de sa part à la demande de la tante des enfants ». Il ne parle cependant pas du baptême qui a eu lieu trois mois plus tôt. Le 27 septembre, Madame Rosner, sœur de Mme Fischl, demande depuis Israël à Moïse Keller, entrepreneur ami résidant à Grenoble, de bien vouloir être son mandataire. Celui-ci se met en rapport directement avec Mlle Brun qui refuse de rendre les enfants et déclare : « Je les ai fait baptiser catholiques, si ce renseignement peut vous être agréable ». 1949 5 Il n’y a plus d’autre recours que la voie juridique. Le 7 janvier 1949, Moïse Keller, accompagné de l’avocat de la famille, maître Maurice Garçon, dépose une plainte auprès du procureur de la République de Grenoble qui ordonne une enquête. Le 24 janvier, Antoinette Brun constitue un autre conseil de famille (n° 2) au prétexte que certains membres du conseil n° 1 avaient quitté Grenoble. Il est composé cette fois uniquement de catholiques. Ce conseil mandate Mlle Brun aux fins de demander la nationalité française pour Gérald. Elle ne fera jamais la démarche. Le 15 février, le

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procureur de la République convoque Moïse Keller pour lui signifier que le conseil de famille est seul habilité à prendre des décisions en matière de tutelle d’enfants. Le 28 juillet 1949, sur plainte de Keller qui prouve qu’aucun ami des parents Finaly ne figure plus au conseil de famille n° 2, le juge de paix du canton Sud constitue officiellement un troisième conseil (n° 3). Ce dernier décide de remettre les enfants dans un délai d’un mois à Madame Rosner ou à son mandataire. Mlle Brun refuse d’obtempérer et, le 9 août, attaque en nullité la décision du conseil de famille n° 3 pour vice de forme. Le 28 août, Moïse Keller se présente chez Mlle Brun, accompagné d’un huissier, pour se faire remettre les enfants. Refus catégorique de Mlle Brun. 1950-1951 6 Le 7 juin, le tribunal civil de Grenoble constate le décès des époux Finaly à la date du 7 mars 1944 : ce détail, toujours passé inaperçu, est le nœud de l’affaire du point de vue juridique. Les enfants ne sont plus des enfants de déportés sous tutelle provisoire dépendant de l’ordonnance du 20 avril 1945, mais des orphelins dépendant du droit civil. La Cour de cassation statuera sur cette situation. Suivent deux ans de procédure où les tribunaux statuent de façon contradictoire, soit en faveur de la famille, soit de la nourrice. 1952 : Non-présentation des enfants 7 Le 31 mai, séance du tribunal civil de Grenoble à huis clos pour une audition des deux enfants qui déclarent vouloir rester avec « maman Brun » tout en affirmant qu’ils la voient deux ou trois fois par an. Le même mois, Mère Antonine, alors supérieure de Sion à Grenoble, indique à Mlle Brun une colonie de vacances pour les deux enfants en Alsace. L’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 11 juin oblige enfin Mlle Brun à rendre les enfants à la famille. Le 15 juillet, elle se pourvoit en cassation, mais l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble est exécutoire. N’en tenant aucun compte, elle fait disparaître les deux garçons. Le même jour, Moïse Keller se présente à la crèche municipale pour récupérer les enfants, en vain. Le 18 juillet, la famille porte plainte et, le 16 septembre, Mlle Brun est traduite devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour « non- présentation d’enfant » (et non pour « enlèvement de mineur »). Elle ressort libre. 8 Après un séjour aux Ancelles de Notre-Dame de Sion à Paris, Mère Antonine fait entrer, fin septembre, les deux garçons comme pensionnaires au collège Notre-Dame de la Viste à Marseille sous les noms de Louis et Marc Quadri. Le 18 novembre, Mlle Brun comparaît devant le tribunal correctionnel de Grenoble. Le 28 novembre, la cour décide que le délit de non-présentation d’enfants ne peut être retenu : il n’y a point de délit, conclut le tribunal, aucune décision judiciaire n’a jamais confié « la garde » des enfants à Madame Rosner. Mlle Brun est relaxée. Le parquet interjette appel sur le champ et la famille, partie civile, s’associe à cet appel. La cour fixe son audience au 8 janvier 1953. Alexis Danan de Franc-Tireur alerte le premier le grand public avec une série d’articles parue entre les 19 et 29 novembre 1952. L’opinion juive, en particulier, est visée directement par Wladimir Rabinovitch alias Rabi, juge de paix à Briançon et éditorialiste réputé de l’entre-deux-guerres. Il entame une campagne vigoureuse par le biais d’un article paru dans le journal du Fonds national juif, La Terre retrouvée, le 15 décembre. L’affaire publique (1953)29 janvier-3 février 9 Le 8 janvier, audience devant la chambre des appels correctionnels de la cour de Grenoble avec une grande plaidoirie de Me Maurice Garçon, qui sera reproduite en plaquette. Le Consistoire central demande alors aux grands rabbins de France par

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intérim, Henri Schilli et Jacob Kaplan, de suivre la question de très près. Le 29 janvier, la cour d’appel invite le procureur à demander le renvoi d’Antoinette Brun devant la cour d’assises. L’arrestation immédiate de Mlle Brun est ordonnée. Écrouée à la prison de Grenoble, elle en sortira le 12 mars. 10 Suite à des photographies des deux enfants parues dans la presse, Mère Antonine craint qu’ils ne soient reconnus dans le collège marseillais, aussi décide-t-elle de les confier du 19 au 29 janvier à l’abbé Mollard, curé de la paroisse de Saint-Michel Archange à Marseille. Le 30, elle les faire conduire à Bayonne par sa sœur Denise Bleuze née Jannot. Ils sont inscrits sous le faux nom d’Olivier et Robert Martella au collège Saint-Louis de Gonzague où enseigne l’abbé Barthélémy Setoain (ou Setoan), frère d’un professeur de Notre-Dame de Sion à Grenoble. Les enfants sont reconnus par le directeur du collège, l’abbé Silhouette, qui prévient le parquet de Bayonne, lequel alerte celui de Grenoble. Le 1er février. Moïse Keller est averti. En attendant son arrivée, le procureur Laffond les laisse à la garde du directeur du collège. Le 2 février, Mère Antonine arrive à Biarritz, elle informe de l’affaire l’évêque de Bayonne, Mgr Léon-Albert Terrier. Elle a une brève entrevue à Notre-Dame de Sion avec l’abbé Setoain et repart le soir même pour Paris. Le 3 février, on apprend que les enfants ont disparu. Le rapt des enfants (4 février-3 mars) 11 Si l’enlèvement des enfants est donc effectif depuis le 18 juillet 1952, la France tout entière ne découvre l’Affaire Finaly que le 4 février 1953 avec une photographie qui fait scandale puisqu’elle montre l’arrestation de Mère Antonine. Une campagne de presse s’enclenche aussitôt pour ou contre le rôle de la religieuse qui garde obstinément le silence. On soupçonne cependant un passage des enfants vers l’Espagne. La police enquête et arrête en février et mars 1953 une dizaine de religieux qui ont organisé une véritable chaîne d’évasion vers le pays basque espagnol. 12 Le rapt prend alors une réelle dimension publique et religieuse. Les grands rabbins s’adressent au ministre de l’Intérieur. Le 5 février, Jacob Kaplan rend visite à Mgr Thouvet, secrétaire particulier de l’archevêque de Paris. Il craint de devoir entrer en conflit avec l’Église si les enfants ne sont pas rendus et le regrette. Dans la nuit du 10 au 11 février, l’agence France-Presse diffuse un appel de Mgr Caillot, l’évêque de Grenoble, en accord avec le cardinal Gerlier. Il demande « formellement » à « toute personne ou groupement religieux ou laïque qui connaîtrait le lieu de séjour des enfants Finaly ou serait susceptible de donner un renseignement à ce sujet de se faire connaître soit à l’autorité judiciaire, soit de tout autre façon ». Maître David Lambert adresse alors un communiqué à l’AFP, le 12 février, pour une mise au point au nom de la famille. Les grands rabbins ont fait de même la veille, tant la presse nationale a pris parti pour Mlle Brun. 13 Le 18 février, André Weil, membre du Consistoire central et trésorier du Comité des oeuvres sociales de la Résistance (COSOR), organisme dirigé par le père Chaillet, informe Kaplan que ce dernier désire le rencontrer. Au nom du cardinal Gerlier, le religieux lyonnais, résistant et ami du rabbin, cherche à parvenir à un accord sur ces bases : restitution des enfants par l’Église et retrait des plaintes de la famille contre les religieux auteurs du rapt. Kaplan discute avec les comités Finaly et le Consistoire central ; tout en craignant l’opposition de sa base, il accepte, tandis que le cardinal Gerlier dit consulter sa hiérarchie. 14 Le 19 février, arrestation des deux passeurs basques à Bayonne : François Etchecaharetta, commerçant radio-électricien, et Joseph Susperreguy. Ils ont dénoncé

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l’abbé Laxague, professeur au grand séminaire de Bayonne. Le 21, arrestation de ce dernier, de l’abbé Ibarbaru, curé de Biriatou, de l’abbé Dominique Irigoin, vicaire à Saint-Jean de Luz, de l’abbé Jean Aritzia, aumônier de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et de Jean Falgade, administrateur de société. Ils restent dix jours en prison, puis sont mis en liberté provisoire, sauf l’abbé Laxague qui reste enfermé jusqu’au 15 mars. Seul possesseur d’une voiture, avec Falgade, la police sait qu’il a assuré le transport des enfants de Bayonne à Guétary. 15 Le 3 mars : inculpation de Mère Marie-Dominique, supérieure de Notre-Dame de Sion à Marseille, du chanoine Augustin Lemoine, supérieur du collège du Sacré-Cœur à Marseille, d’Isaure Luzet, pharmacienne à Grenoble et de Georges Le Moine, supérieur du collège Notre-Dame de la Viste à Marseille. L’accord du 6 mars 16 Depuis début février, à la demande du cardinal Gerlier, le père Chaillet négocie. Le 6 mars, ce dernier pour l’Église et Madame Rosner pour la famille Finaly signent un compromis en six points, censé rester secret car, s’engageant à rendre les enfants, l’Église craignait des difficultés du côté des religieux espagnols. La famille patientera quatre mois. Le cardinal Gerlier envoie alors Germaine Ribière, en Espagne, le 24. Au moment de Pessah (la Pâque juive), le grand rabbinat de France demande symboliquement de réserver à la table familiale, comme dans les repas communautaires, deux places non occupées à l’intention des enfants Finaly. 17 Le retour des enfants se fait attendre. Les rumeurs courent : le 17 avril, L’Aurore annonce qu’ils ont été enlevés par des « groupements fanatiques » israéliens, puis que les deux garçons sont héritiers d’une fortune de 13 milliards de francs… Le Monde, le 15 mai, s’inquiète de l’état de santé d’un des enfants et Combat, le 21, écrit qu’il est mort et enterré. Germaine Ribière qui fait des voyages incessants, entre Madrid, Saint- Sébastien, Lyon et Paris, certifie qu’il n’en est rien au grand rabbin Kaplan et au père Chaillet. 18 Le 23 avril, la chambre criminelle de la cour de cassation renvoie Mlle Brun devant la chambre correctionnelle de la cour de Riom pour être jugée du chef d’enlèvement de mineurs sans fraude ni violence. La hiérarchie de l’Église catholique s’adresse fin mai directement au rabbin Kaplan pour l’informer des difficultés rencontrées et lui demande de prendre encore patience, mais l’opinion juive le pousse à agir rapidement. Dénonciation de l’accord du 6 mars 19 Le 5 juin, Kaplan convoque la presse et dénonce l’accord conclu le 6 mars entre l’Église et la famille : les hauts dignitaires ecclésiastiques n’ont jamais condamné officiellement le baptême des enfants et la plupart des théologiens catholiques soutiennent dans la presse, et sans jamais être blâmés, la légitimité canonique de ce qui est considéré par les juifs comme « un enlèvement rituel ». Il craint le zèle de prêtres fanatiques sur la santé psychique des deux garçons, s’élève contre les lenteurs de l’enquête judiciaire et contre l’indulgence administrative. Il s’étonne de l’immunité particulière accordée par la République à des prêtres et des religieuses qui savent, il en est certain, où se trouvent les enfants. Kaplan affirme enfin que le cas Finaly n’est pas unique en Europe et exige que ce baptême, offense à la mémoire des martyrs du judaïsme, soit annulé par une restitution pure et simple. 20 Le cardinal Gerlier assure aussitôt, toujours par voie de presse, de la bonne foi des négociateurs catholiques, mais l’Église affirme aussi, pour la première fois, qu’elle veut rendre les enfants : les prélats français, toujours par la voix de Gerlier, expliquent qu’ils

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n’acceptent plus la doctrine selon laquelle des enfants juifs baptisés à l’insu de leurs parents ne peuvent être rendus à leur famille (raison invoquée depuis de l’affaire Mortara3). Le 17 juin 1953, les prêtres basques Ariztia et Laxague, auteurs du rapt côté français, déclarent au journal Côte basque-Soir qu’ils demandent que les enfants soient rendus par leurs coreligionnaires qui les détiennent dans la région de Saint-Sébastien. 21 Germaine Ribière tente une dernière négociation, aidée par le père Inda, abbé de l’abbaye Notre-Dame de Belloc. Elle écrit alors dans ses carnets : « Les abbés basques français ont prévenu l’évêque de Saint-Sébastien que les enfants étaient au monastère de Lazcano, en pays basque espagnol et celui-ci a prévenu le Gouverneur de la province, qui a prévenu le ministre des Affaires étrangères, qui a prévenu Franco. Ce dernier décréta que les enfants ne devaient pas être rendus ». Elle rend compte de l’hostilité montrée par le corps diplomatique espagnol à partir de ce diktat. 22 Le 23 juin, la chambre civile de la cour de cassation rejette le pourvoi engagé par Mlle Brun et confirme l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble du 11 juin 1952, donc la nomination de Mme Rosner comme tutrice définitive. Le 26 juin 1953, les deux frères passent la frontière espagnole avec Germaine Ribière et arrivent dans la soirée du 27 à Saint-Léonard (Oise) dans la propriété d’André Weil. 23 Le 13 juillet, cinq prêtres basques sont arrêtés après interrogatoire des enfants. Ils sont remis en liberté le 16 juillet. Le 18 juillet, Mme Rosner retire toutes ses plaintes. L’affaire judiciaire est close : il n’y aura, selon l’accord du 6 mars, aucune poursuite contre les auteurs du rapt immédiatement relâchés. Le 25 juillet, Robert et Gérald s’envolent avec leur tante pour Israël. Épilogue 24 Le 7 juin 1955, non-lieu général dans l’affaire Finaly. Voilà, en quelques pages, ce que sait la presse qui en informe l’opinion publique française. Je ne peux ici rapporter l’énorme scandale que provoqua l’arrestation de tous ces religieux et comment la France se coupa en deux, pour ou contre les droits de la nourrice et ceux de la famille, antisionistes contre sionistes, anticléricaux contre cléricaux, tenants du respect du droit républicain contre le droit canon. Nous ne répondrons qu’à quelques questions : Où étaient réellement cachés les deux enfants Finaly ? Par qui ? Pourquoi ? Mon enquête commence ici, grâce aux papiers personnels de Monseigneur Gerlier, du grand rabbin Kaplan et de Germaine Ribière, comme aux confessions de Mère Antonine et aux fonds d’archives du Quai d’Orsay enfin accessibles depuis 2003, cinquante ans après l’affaire. Je ne dévoilerai donc, dans le présent article, que mes découvertes concernant la hiérarchie catholique, les motivations de ses membres importants et leurs conflits internes. II. Difficile récupération des enfants juifs convertis au catholicisme avant l’affaire Finaly 25 Les tentatives des familles et des associations juives pour retrouver les enfants sauvés par l’Église catholique durant la Seconde Guerre mondiale furent précoces4. Il semble que, durant les années 1944 et 1945, les restitutions se soient déroulées sans trop de problème. Puis on note un raidissement en 1946, certaines « difficultés » sont mises en avant, certains cas semblent particulièrement ardus, il s’agit, en général, de la restitution d’enfants juifs baptisés. Une lettre, adressée au grand rabbin Kaplan par le père Braun, ancien aumônier général adjoint des camps d’internement français et des Groupement des travailleurs étrangers (GTE), depuis Toulouse, le 30 août 1946, montre que le cardinal Gerlier est déjà concerné par une affaire compliquée dont il suit le

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déroulement directement. L’intermédiaire parle de compromis : « J’ai vu le cardinal Gerlier, il y a une dizaine de jours. Nous avons beaucoup parlé (…), il est très désireux de voir résolue la difficulté. Il a déjà agi et demandé de la documentation. » Puis en bas de page : « J’oubliais de vous dire que le cardinal, qui se rappelle fort bien de vos visites, veut trouver le plus tôt possible la solution la meilleure5. » Les deux hommes s’étaient côtoyés et appréciés pendant l’Occupation, lorsque le prélat avait couvert de son autorité des organisations catholiques, comme justement l’Amitié chrétienne.

26 La « difficulté » du moment semble, soit être déjà la restitution des deux petits Finaly – car le grand rabbin a classé cette lettre dans le dossier les concernant –, soit le refus du père Théomir Devaux, supérieur de Notre-Dame de Sion, de rendre des enfants placés par ses soins chez des nourrices. Ce grand sauveteur, qui a caché plus de 400 enfants, n’est pas aussi dénué de prosélytisme que certains historiens le croient6. Le dépouillement d’archives nouvelles, déposées par Germaine Ribière, m’a permis de consulter le dossier personnel du père concernant 95 enfants cachés par ses soins. Si le baptême n’est pas systématique, loin de là, et si on prend soin de demander l’accord des familles juives, les rapports des nourrices envoyés directement au religieux montrent bien que la conversion est recherchée : elles donnent régulièrement des informations sur l’évolution des enfants encore placés chez elles après-guerre (de 1945 à 1947) et sur leur acceptation progressive du sacrement7. Mes recherches m’ont permis d’établir qu’il faut attendre 1953, donc le scandale public du procès Finaly, pour voir résolue la dite « difficulté ». Le 20 mars, on signale au Consistoire que des enfants juifs convertis au catholicisme ont enfin été rendus et placés à l’École d’Orsay8. Il s’agit de trente enfants réclamés depuis 1946. Revenons sur ce cas qui nous permettra de préciser les positions de l’Église catholique dans l’immédiat après-guerre. 27 Le Consistoire central s’est inquiété de l’attitude du supérieur de Notre-Dame de Sion au point d’écrire au Nonce apostolique à Paris, Mgr Roncalli, le 19 juillet 1946, en citant nommément le père Devaux. La lettre est signée par le président Léon Meiss et le grand rabbin de France, Isaïe Schwartz. Il est rappelé que le grand rabbin Herzog de Palestine a, au cours d’une audience, remercié les prêtres et tous les catholiques qui n’ont pas hésité à sauver des vies juives mais, il a aussi exprimé : « son douloureux étonnement provoqué par le fait que, deux ans bientôt après la Libération de la France, des enfants israélites sont encore dans des institutions religieuses non juives qui se refusent à les rendre aux œuvres juives9 ». Et d’ajouter : « Nous venons d’apprendre par une lettre envoyée par le Révérend père Devaux à la Commission de reconstruction culturelle juive en Europe, à New York, que le service des enfants de Notre-Dame de Sion a encore sous sa garde trente enfants israélites. » Les dirigeants du Consistoire demandent l’intervention directe du nonce et leur placement aux soins du Conseil supérieur de l’enfance juive qui les élèvera dans « la foi de leurs pères ». Ils ne seront rendus qu’en mars 1953. Quel événement a pu gripper les rouages à ce point-là ? La note de la nonciature de Paris du 23 octobre 1946 28 À la suite de la visite du grand rabbin et de son entrevue avec Pie XII, ce cas n’étant pas unique et les procès en Europe se multipliant10, le Vatican fut amené à prendre une décision qu’il fit connaître, en France pour le moins, à l’ensemble des évêques et des cardinaux, via la nonciature à Paris. Cette note du 23 octobre 1946 11 fut communiquée au cardinal Gerlier le 30 avril 1947. Elle précise : « Au sujet des enfants juifs, qui pendant l’occupation allemande ont été confiés aux institutions et aux familles catholiques et qui sont réclamés par des institutions juives pour leur être remis, la Sainte Congrégation du Saint Office a donné une

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décision que l’on peut résumer ainsi : 1/ Éviter autant que possible, de répondre par écrit aux autorités juives, mais le faire oralement. 2/ Toutes les fois qu’il sera nécessaire de répondre, il faudra dire que l’Église doit faire ses investigations pour étudier chaque cas en particulier. 3/ Les enfants qui ont été baptisés ne pourraient être confiés aux institutions qui ne seraient pas à même d’assurer leur éducation chrétienne. 4/ Pour les enfants qui n’ont plus leurs parents, étant donné que l’Église s’est chargée d’eux, il ne convient pas qu’ils soient abandonnés par l’Église ou confiés à des personnes qui n’auraient aucun droit sur eux, au moins jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de disposer d’eux-mêmes. Ceci évidemment, pour les enfants qui n’auraient pas été baptisés. 5/ Si les enfants ont été confiés par les parents, et si les parents les réclament maintenant, pourvu que les enfants n’aient pas reçu le baptême, ils pourront être rendus. 12 Il est à noter que cette décision de la Sainte Congrégation du Saint Office a été 13 approuvée par le Saint Père . » 29 Les directives de cette note confidentielle, transmise par la nonciature de Paris au cardinal Gerlier, ont certainement été appliquées par les évêques jusqu’à l’affaire Finaly. Mais, à cette occasion, soit sept ans plus tard, le cas est si particulier que le cardinal Gerlier14 consulte directement Pie XII, le 8 janvier 1953, un mois avant l’enlèvement. Revenons sur le déroulement des faits pour écouter Mère Antonine. III. Le rôle occulte du cardinal Gerlier 30 Selon son propre témoignage15, après avoir aidé Mlle Brun à placer les deux frères Finaly dans une colonie de vacances en Alsace, été 1952, Mère Antonine demande une audience au prélat en septembre. Le cardinal se dit stupéfait : « C’est une nouvelle affaire Dreyfus que vous m’apportez-là ! » Il l’envoie aussitôt consulter son avocat, maître Gounot. La réponse des deux hommes est unanime et conforme aux directives de la nonciature : « Ces enfants sont baptisés, il faut faire l’impossible pour qu’ils soient élevés dans la foi chrétienne. » Mère Antonine affirme qu’elle ignorait que l’arrêt de la cour d’appel est exécutoire et que le pourvoi en cassation n’est pas suspensif. Elle accuse directement le cardinal, pourtant juriste de formation, et son homme de loi de l’avoir tu. La machine est donc enclenchée sur décision du seul Gerlier qui aurait pu à cet instant tout arrêter. Mère Antonine fait conduire les deux garçons à Marseille, début octobre, au collège de Notre-Dame de la Viste16. Le 30 janvier, elle revoit Gerlier qui la confirme dans sa mission. Elle fait alors transférer les enfants au lycée Saint- Louis de Gonzague à Bayonne. Or, à cette date, le cardinal a consulté Pie XII, lequel n’a pas opposé un refus catégorique à la restitution à la famille. Écoutons ce récit retrouvé dans les archives de Mgr Gerlier. Pie XII consulté le 8 janvier 1953 31 Lors d’un voyage ad limina, le prélat s’est entretenu du cas Finaly avec le pape, comme nous l’apprend le compte rendu d’audience17 : « Le cardinal informe le pape de cette affaire douloureuse et montre la nécessité d’avoir le plus tôt possible des consignes précises. Au cas où le tribunal décide de rendre les deux enfants à leur famille, devra-t- on se conformer à cette décision ou bien maintenir les enfants cachés malgré le danger d’une campagne de presse internationale contre l’Église ? Le pape répond que l’on n’aurait pas dû baptiser ainsi les enfants, c’est contre les prescriptions du Code18. Il répond aussi que la crainte d’une campagne violente contre l’Église n’est pas une raison suffisante pour manquer aux exigences du devoir chrétien ; cependant, il peut se faire

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que dans le cas présent, l’affaire se présente d’une façon spéciale qui permettrait une autre attitude. Il demande qu’on lui remette une note sur cette affaire qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses ». 32 Mgr Gerlier s’exécute aussitôt et la lui fait parvenir, le 14 du même mois19. Il rappelle que « deux petits enfants juifs ont été imprudemment baptisés par une chrétienne très dévouée à laquelle on les avait confiés », suit l’exposé des faits et de la procédure, puis le prélat fait le tour de l’opinion publique française en ces termes : « La gravité du problème résulte notamment du fait qu’une agitation profonde de l’opinion publique est créée et augmente sans cesse dans cette affaire. La presse israélite, la presse anti- chrétienne, beaucoup d’organes de la grande presse neutre se sont emparés de la question. Les communistes de Grenoble interviennent aussi. Il est à prévoir qu’une campagne mondiale sera organisée autour de cette affaire et que l’Église sera douloureusement attaquée à cette occasion. Les arguments invoqués en faveur de la restitution des enfants à ce qui reste de leur famille et à la communauté israélite seront même capables d’impressionner beaucoup de chrétiens ». Il faut que le pape décide de la conduite à tenir et il demande une réponse nette : « Dans ces conditions doit-on conseiller de refuser, quoi qu’il advienne, de rendre les enfants qui appartiennent à l’Église par leur baptême et dont la foi ne pourrait guère résister, selon toute vraisemblance, à l’influence du milieu israélite, s’ils y restent ? Où peut-on, au contraire, en sécurité de conscience, considérer que la gravité du scandale créé par la campagne de presse qui commence et deviendra internationale, en s’appuyant sur des raisons humaines qui impressionneront certainement l’opinion publique, constitue un motif suffisant pour tolérer, sous la pression d’une décision de justice définitive et pour éviter un plus grand mal, la restitution des enfants à leur famille naturelle ? Après avoir fait, évidemment, tout ce qui sera possible devant les tribunaux pour obtenir que la gardienne actuelle des enfants soit déclarée en droit de les conserver… ce n’est malheureusement pas l’hypothèse la plus probable. L’affaire est extrêmement urgente ! » La lettre du Saint-Office du 23 janvier 1953 33 Cette campagne de presse et d’opinion inquiète Gerlier mais pas assez cependant pour le rendre prudent. Lorsqu’il reçoit le 23 janvier20 une réponse sans ambiguïté du Saint- Office, il va se plier strictement à ces directives. Après « un examen attentif et très réfléchi (sur) les circonstances de ce problème si délicat », la Congrégation confirme la validité de ce baptême en s’appuyant sur trois points : 1/ De droit divin, ces enfants ont pu choisir et ont choisi la religion qui assure le salut de leur âme. 2/ Le droit canonique reconnaît aux enfants qui ont atteint l’âge de raison le droit de décider de leur avenir religieux. 3/ L’Église a le devoir imprescriptible de défendre le libre choix de ces enfants qui, par le baptême, lui appartiennent. 34 Liberté de choix religieux réaffirmée mais seulement à « l’âge de raison » et liberté immédiatement contrebalancée par la revendication de la propriété de l’âme des deux enfants devenus chrétiens par le baptême. Ces deux points du dogme posés, le cardinal Pizzardo, qui signe la lettre, se fait plus concret. Il faut faire durer au maximum la procédure judiciaire, si Mlle Brun perd en appel, il faudra aller jusqu’à la cour de cassation et dans ce cas le Saint-Office demande des renseignements : citoyenneté des enfants ? Certificat d’adoption par la personne qui les a fait baptiser ? Sentences des tribunaux. La seconde mention laisse supposer que Rome n’est pas au clair sur la simple

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tutelle provisoire que détient alors Mlle Brun et croit à une adoption en bonne et due forme.

35 Au cas où le procès serait perdu en cassation, le Saint-Office envisage le pire : « Enfin, dans la douloureuse hypothèse où la sentence définitive fût contraire à celle de la première instance, il conviendrait de conseiller à cette dame de résister dans toute la mesure du possible à l’ordre de livrer les enfants, en adoptant "per modum facti" tous les moyens qui peuvent retarder l’exécution d’une sentence qui viole les droits exposés ci-dessus, cette résistance ne devra pas cependant être poussée au point de causer de graves dommages, soit à la personne, soit à la Sainte Église. » 36 Pizzardo demande pour finir à être tenu au courant de l’affaire du point de vue juridique et de l’évolution de l’opinion publique. Germaine Ribière, dans ses souvenirs, commente d’une phrase laconique : « Le cardinal et mère Antonine à laquelle il a donné connaissance de la lettre, s’en tiennent aux directives reçue21. » C’est tout et l’enchaînement des faits parle de lui-même.

37 Cette lettre écrite le 23 janvier est arrivée sur le bureau de Gerlier quelques jours avant la sentence de la cour d’appel de Grenoble du 29. Ce jour-là, Mlle Brun est aussitôt incarcérée et renvoyée devant la cour d’assises. Le lendemain, Mère Antonine demande ce qu’elle doit faire des enfants. Balayés les doutes, les atermoiements, les consultations, Gerlier se met aux ordres du Saint-Office et les exécute. Il faut donc les cacher et prolonger la procédure jusqu’à l’arrêt de la cour de cassation. On comprend que, à Bayonne, l’évêque, Mgr Terrier et le chanoine Narbaïtz ne sont au courant de rien lorsque, le 1er février, logiquement, ils avertissent le parquet que les enfants sont retrouvés au collège Saint-Louis de Gonzague. Mère Antonine, sur ordre de Gerlier, rencontre l’évêque de Bayonne et son vicaire général, le 2 février. Moïse Keller se rend sur place pour récupérer les enfants le 3. Ils ont disparu et Mgr Terrier joue le stupéfait. En quarante-huit heures, il a fallu retourner l’évêque de Bayonne et son collaborateur prêts à respecter la loi républicaine. Mère Antonine a donc certainement donné un ordre direct du cardinal Gerlier qui a été exécuté sur l’heure. 38 Arrêtons-nous au jour de l’enlèvement accompli sur la décision du seul cardinal Gerlier pour remonter sur cette période de consultations. Logiquement, l’évêque directement concerné était Mgr Caillot à Grenoble. La thèse la plus courante est qu’il était trop âgé pour s’occuper de l’affaire. Or Caillot était d’un avis contraire à Gerlier et il a été délibérément écarté. IV. La sage opinion de Mgr Caillot 39 Alexandre Caillot, né en 1861, est effectivement âgé de 92 ans lorsque éclate l’affaire Finaly22. L’âge n’explique pas tout23. Nous savons qu’en juillet 1948, il est le premier à être mis au courant du « cas » Finaly par l’évêque d’Auckland24. Celui-ci a pris pour intermédiaire Mgr Griffin, archevêque de Westminster à Londres qui a directement écrit à Mgr Caillot. Ce dernier répond, le 25 du même mois, qu’il a eu un long entretien avec Mlle Brun qui « s’est terminé par une opposition très nette de sa part à la demande de la tante de ces enfants ». Il en donne les raisons : 1/ Les enfants sont français et pupilles de la nation ; 2/ Mlle Brun est dans l’attente d’une décision de tutelle définitive ; 3/ Les parents n’ont jamais laissé de « dernières volontés » ; 4/ « Quant aux arguments d’ordre religieux, ils ne sauraient être pris en considération. Les parents étaient israélites, mais ce n’était pas une raison pour que les enfants le deviennent. La religion n’est pas comme la nationalité, elle est librement consentie et quand les enfants seront en âge de raisonner, c’est eux seuls qui choisiront25. » Le baptême des

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deux garçons, datant du mois de mars 1948, n’est pas révélé, mais on imagine l’amertume des tantes des enfants devant cette fin de non-recevoir. 40 Quatre ans passent. Vers la fin du mois de décembre 1952, le rabbin Kahan de Grenoble lui rend visite pour lui faire part de l’émotion que l’affaire a soulevée au sein de la communauté juive. L’évêque affirme, sans frémir, qu’il ne savait rien jusqu’à l’article de Rabi dans La Terre retrouvée et qu’il ignore tout du baptême26. Le 27 janvier, Kaplan écrit à son collègue Kahan pour se faire préciser la disposition d’esprit de Caillot et la nature des démarches entreprises auprès du clergé27. Kahan crayonne au revers de cette lettre : « L’évêque est favorable à la restitution des enfants aux parents. Il demande qu’on respecte la religion (catholique !) des enfants » et encore « l’évêque a dit qu’il allait convoquer l’avocat de Mlle Brun et lui faire comprendre qu’elle doit rendre les enfants ». 41 Il n’y a pas eu collusion entre Gerlier et Caillot, comme le croit Moïse Keller dans son livre de souvenir ; le fait que l’évêché de Grenoble dépende de celui de Lyon n’est pas une raison suffisante28. La preuve en est que Mgr Caillot consulte de son côté des professeurs du séminaire de Grenoble sur la conduite à tenir. La note29, remise le 18 janvier 1953, envisage le cas d’un point de vue canonique et juridique. Le droit canon (canon 750) ne connaît que le cas extrême d’enfants en danger de mort (§ 1) ou hors péril de mort (§ 2) mais n’a aucune disposition spéciale en matière de tutelle civile, il est donc nécessaire de recourir au droit civil. Soit Mlle Brun jouissait « d’une tutelle légale, parfaite et définitive, celle-là même qui est reconnue par le droit canonique » elle jouissait alors des droits des parents et pouvait faire baptiser les enfants ; soit elle n’avait qu’une tutelle provisoire (soins temporaires à des enfants confiés légalement) et elle n’avait aucun droit à faire baptiser les enfants. […] Or, la tutelle provisoire ne peut être assimilée à celle prévue par le droit canon (750 § 2). 42 En conclusion : « Mlle Brun ne peut faire valoir aucun droit personnel à assurer l’éducation religieuse des enfants » et « les décisions du civil ont valeur en conscience. Mlle Brun ainsi que l’autorité religieuse ont le devoir prudentiel grave de s’y conformer ». Les théologiens emploient alors cette formule alambiquée qui plaira beaucoup à Gerlier et que l’on retrouve dans sa correspondance : « Le baptême des enfants Finaly est sacramentellement valide et gravement illicite » et ils ajoutent ce conseil : « Monseigneur devrait en toute sécurité faire connaître ce devoir à Mlle Brun et lui montrer le préjudice qu’elle pourrait porter à l’Église. » Ultime avertissement des professeurs du grand séminaire : « Il pourrait devenir éventuellement nécessaire de "désolidariser" l’Église catholique de l’attitude de Mlle Brun et d’éclairer la conscience troublée des fidèles. » 43 Convaincu, Mgr Caillot communique, entre le 19 et le 23 janvier, cette note au cardinal Gerlier et lui conseille de rendre les enfants. Avant même la réception de la lettre du Saint-Office, Gerlier avait pris sa décision, car Caillot, le 23 janvier, se dit « humilié » d’être tenu en dehors de l’affaire et il s’en plaint : « Les gens d’ici, mal intentionnés, des laïcs m’interrogent et s’étonnent de mes réponses évasives30. » Le lendemain, le cardinal répond, sirupeux, qu’il n’a pris la place de Caillot que parce qu’il croyait que c’était son désir et qu’en fonction de « l’aspect juridique de l’affaire » en tant qu’ancien avocat, il se sentait « naturellement désigné ». Il affirme qu’il a profité de son séjour à Rome pour exposer les faits et que sa position personnelle est approuvée par le Vatican. Si Caillot veut d’autres renseignements, qu’il lui envoie un émissaire, car il n’a pas le temps de se rendre à Grenoble. Mgr Caillot est mis à l’écart délibérément par

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Mgr Gerlier. Si bien que, lorsque Mgr Caillot lancera son appel aux ravisseurs par l’intermédiaire de l’AFP, dans la nuit du 10 au 11 février, officiellement « en accord avec le cardinal Gerlier », il le fera en fait de sa propre initiative, comme en témoigne Isaure Luzet, la pharmacienne de La Tronche. 44 Amie du Dr Fritz Finaly pendant l’Occupation, résistante, elle est aussi proche de mère Antonine. À ce titre, au lendemain de l’incarcération de cette dernière, scandalisée de la voir en prison, elle tente une médiation. Elle est reçue par le procureur de Grenoble qu’elle connaît personnellement. Il lui explique que la détention de Mère Antonine « se passe mal31 » et que ce scandale est préjudiciable pour la réputation de l’ordre de Notre-Dame de Sion tout entier. Il pense que le cardinal devrait agir, « lancer un appel par exemple ». Le 8 février, elle se rend à Lyon. Écoutons-la : « Nous sommes arrivés fort tard à l’évêché. Tout le monde était couché et je crois que c’est le cardinal lui- même qui est venu nous ouvrir puisqu’il nous attendait. Il s’est assis dans un canapé et a écouté mon récit. À la fin, il a conclu qu’il ne pouvait rien faire pour nous, il n’avait pas de compétence pour lancer un tel appel, puisque cela ne se passait pas sur son territoire, mais que, si l’évêque de Grenoble acceptait, il était tout à fait d’accord et ne voyait pas d’objection. Nous sommes repartis aussitôt pour Grenoble. Je me suis rendue au palais de justice et le procureur m’a dit d’aller voir Mgr Caillot directement et de le mettre au courant de toutes les démarches entreprises. » Plus lucide que ne le croyait certains, Mgr Caillot lance seul et aussitôt son appel. Rabi en est tout à fait conscient, lorsqu’il écrit en avril 1953 : « Que représente l’Église catholique en France ? Ce sont les hauts dignitaires, les évêques, les archevêques, les cardinaux. Tous se sont tus. À l’exception d’un seul, un vieillard de 92 ans, qui a repris sur lui la charge de l’honneur de l’Église tout entière, Mgr Caillot, évêque de Grenoble32. » V. Gestion de l’affaire par le cardinal Gerlier 45 Gerlier gère donc maintenant seul l’affaire. Un problème de frontières se pose alors au propre et au figuré. Jusqu’où faut-il aller avant de rendre les enfants ? Jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation, mais que veut dire le Saint Office, lorsqu’il écrit que « la résistance ne devra pas causer de graves dommages à la personne de Mlle Brun et à la Sainte Église » ? On peut en déduire que l’incarcération n’est pas pour lui une limite, puisque le cardinal laissera enfermer la tutrice, les religieuses et les prêtres coauteurs du rapt entre le 19 février et le 3 mars. Enfin, où cacher les enfants ? De l’autre côté de la frontière basque, à l’abri de la police française, introuvables pour les « sionistes », car il est convaincu que, aussitôt retrouvés, ils s’envoleraient vers Israël. A partir de l’enlèvement, Mlle Brun ne joue plus aucun rôle. Gerlier assume seul un rôle de premier plan, même si pour la presse et l’opinion publique c’est « l’Église catholique » tout entière qui se retrouve en position d’accusée, face à ce qu’on nomme la « Synagogue ». Terme flou et pratique, lorsqu’on ne sait pas où se situent les vraies responsabilités… 46 Germaine Ribière se souvient du dilemme du prélat : « Au plus profond de sa conscience, le cardinal Gerlier pensait que les enfants étant baptisés, l’Église devait les garder. La lettre du Saint-Office l’avait conforté dans sa façon de voir. Il avait aussi demandé consultation à trois jésuites : les pères Lucien-Brun, Mogenet et Pautrel ; leur pensée était en accord avec la sienne. Le père Chaillet auquel il avait demandé de l’aide, pensait, lui, que les enfants devaient être rendus à leur famille et que cela était un devoir de justice […]. Par ailleurs, le père Chaillet attira fortement l’attention du cardinal sur les dernières lignes de la lettre du Saint-Office33 » et donc sur les limites de la « résistance ». Or il était évident que la non-remise des enfants à leur famille

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causerait un grave dommage aux relations entre l’Église et les juifs ». Et d’ajouter : « Pour le cardinal, le débat de conscience fut long et pénible, c’est ce débat qui explique la lenteur qu’il mit à répondre à l’envoi qui lui avait été fait du texte de l’accord du 6 mars (…). » Il y a d’autres raisons, voyons lesquelles. Vers l’accord du 6 mars 47 Le 5 février au matin, en accord avec le grand rabbin Schilli, Jacob Kaplan se rend à l’archevêché de Paris. Il apprend de la bouche même de Mgr Thouvet, son secrétaire particulier, que l’archevêque de Paris, le cardinal Feltin, a pris l’affaire en main directement. Celui-ci aurait déjà pris contact avec les évêques de Bayonne et de Grenoble, puis téléphoné à Mère Marie-Félix qui rencontrera le grand rabbin dès le lendemain. À la même heure, l’avocat de la famille, Me Maurice Garçon, est reçu par le Garde des Sceaux et, sur intervention du président Vincent Auriol, par le nonce auquel il demande de désavouer Mlle Brun et l’institution de Notre-Dame de Sion. Selon Le Soir, le cardinal Roncalli se serait engagé à « provoquer auprès des évêques intéressés une enquête immédiate ». Mgr Feltin écrit dans la même journée à Gerlier, en lui signalant la visite de l’avocat et se déclare « très ennuyé34 », même « le gouvernement est alerté ». Il dit avoir effectivement écrit à Mgr Caillot et Terrier afin de « voir la meilleure manière de faire cesser cet incident ». Puis il s’étend sur le problème des prêtres-ouvriers à Lyon, montrant par le ton de la lettre qu’il n’est pas au courant de l’action personnelle de Gerlier. Le cardinal a, quant à lui, consulté un autre de ses avocats. Me Henri Andriot lui adresse aussitôt une note35 : il faut négocier avec la famille qui devra garantir l’entière liberté religieuse des enfants, quelle que soit l’issue de la procédure civile. Le retour devra s’effectuer en dehors de toute publicité. 48 Le cardinal tente effectivement une première négociation le 8 février. Moïse Keller le rapporte dans son livre de souvenirs36. Un notable grenoblois, M. G., propose que les enfants soient rendus, non à la famille, mais à une personne qui en aurait la garde jusqu’à la décision de la cour de cassation. Ils pourraient recevoir les visites de leur tante et de Mlle Brun, un enseignement juif leur serait donné. Si ces conditions étaient acceptées et si la famille prenait l’engagement d’abandonner les poursuites contre tous les co-inculpés, Mgr Gerlier ferait le nécessaire pour retrouver les disparus. Moïse Keller transmet aussitôt la proposition au garde des Sceaux, Martinaud-Déplat, qui l’approuve. 49 Pour oser ce type de négociation, il faut que le cardinal soit en accord avec Mgr Roncalli et Feltin à Paris. Pour réaliser ce projet, il a sorti de sa manche un émissaire secret chargé de convaincre le nonce de lui laisser les mains libres. Gerlier, outre le père Chaillet qui lui sert de contact avec le monde juif, a, en effet, choisi un négociateur qui n’apparaît que très peu dans la presse, Mgr Jean Maury, président national des Œuvres pontificales missionnaires. C’est son confident, son homme de confiance depuis toujours. L’ayant toujours sous la main, le cardinal l’enverra partout en missions secrètes. Inconnu du monde juif et du grand public, ce dernier rédige très régulièrement des comptes-rendus d’audiences ou de voyages fort éclairants. Délégué par Gerlier à la nonciature, il entre en scène, le 11 février, pour donner un aperçu de sa conversation avec Mgr Testa, secrétaire particulier de Roncalli depuis Istanbul, qui lui a paru « très informé par la partie adverse37 ». Le chef de l’État lui aurait téléphoné par « sympathie », tant il estime l’Église mal engagée dans cette affaire et Mgr Maury de préciser : « Mon interlocuteur ignorait la position de son Eminence, à laquelle il a paru se rallier, sensible surtout à l’avis du Saint Office ». Donc, comme Mgr Terrier à

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Bayonne, la nonciature à Paris se plie à ce que tous considèrent comme un ordre, la lettre du 23 janvier émanant de Rome. En fonction de cette position attentiste, Mgr Testa s’interroge sur l’opportunité de l’appel de Mgr Caillot le 10 février, mais il constate que cela semble bon « vis-à-vis de l’opinion qui l’a du reste très bien saisi ». 50 Ayant engagé la négociation, approuvé par Paris et Rome, Gerlier reçoit, le 11 février, directement à l’archevêché, l’avocat des Rosner, Me Ferrere. Le cardinal dicte une note après l’entretien : La famille « violemment sioniste » propose de déplacer les enfants au collège français de Jérusalem jusqu’à la fin de leurs études. Puis il ajoute, comme un pense-bête, « le père Léon, franciscain de Toulouse, pourrait contacter un adjoint au maire d’Hendaye, en rapport avec les milieux espagnols touchant directement Franco38 ». À cette date, les enfants sont à Bayonne, cachés par l’abbé Laxague, professeur au grand séminaire, et l’abbé Pagola, curé de la paroisse Marrac. Ils ne passeront en Espagne que dans la nuit du 12 au 13 février. Cette note porte donc la première mention concernant le général Franco, or elle est de la main de Gerlier, ce qui confirme qu’il pense à placer les enfants sous la protection de ce chef d’État, via l’Église de son pays. Dans ce cas, cela signifierait qu’il est l’initiateur de ce passage de frontière vers Franco et non vers les prêtres basques. Ces derniers, qui n’auraient été à l’origine que des passeurs, auraient-ils retenu les deux frères contre le désir de tous, du cardinal comme de Franco, principal destinataire ? Mon enquête a vérifié cette hypothèse. 51 L’affaire est donc menée par Gerlier sur deux niveaux, rapt et négociation conjointement. Côté enfants, il faut les cacher le plus sûrement possible jusqu’à la sentence de la cour de cassation, sur instruction du Saint-Office et avec l’accord de la nonciature et des évêques concernés ; côté juif, il faut calmer les esprits et jouer la recherche de solution, d’où le choix du père Chaillet, apprécié de ce milieu dont il a toute la confiance. Le cardinal demande donc au jésuite de « trouver un israélite qui proposerait de recevoir les enfants dans une maison du COSOR. Si cette demande émane de personnalités israélites, elle a peut-être quelques chances de succès39 » Le père Chaillet s’exécute. Le choix est évident, André Weil, membre du Consistoire central et trésorier général du COSOR, est un vieux compagnon de route dans la Résistance. Deuxième lettre du Saint-Office du 27 février 1953 52 Une fois la négociation lancée vers la famille et le rabbin Kaplan, via le père Chaillet et André Weil, il faut s’assurer du placement des enfants en Espagne. De la même plume, imperturbable, Gerlier écrit, le 12 février, à son homologue, le cardinal Pla y Deniel, archevêque de Tolède, pour lui demander de l’aide. Il lui expose les faits, cache consciencieusement le baptême de 1948 en affirmant que les deux frères ont été baptisés à un an et demi et trois ans et dit s’inquiéter des répercussions internationales. Pour le convaincre, il recopie une partie de la lettre du Saint-Office, expliquant qu’il agit « après en avoir parlé au Saint-Père lui-même et sur son désir40 ». La tactique marche à chaque coup. Peu importe l’opinion personnelle du prélat, Gerlier sait le placer aussitôt sous ses ordres, à l’exception notable de Mgr Caillot. 53 Le cardinal abuse tout le monde avec brio, ainsi reçoit-il l’expression de la reconnaissance du Consistoire israélite de Lyon pour son action pendant la guerre avec le père Chaillet et l’assurance de sa confiance pour les négociations actuelles41. Gerlier remercie. De son côté, Mgr Villot, président de la Conférence des cardinaux et des archevêques (ACA), s’inquiète des visites à répétitions de Mère Marie-Felix42. La supérieure générale de Sion ne comprend pas l’attitude de Mgr Terrier, à Bayonne, elle

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s’étonne qu’il ne se montre pas plus catégorique, puisque concerné au premier plan, or il ne fait aucun appel, aucune recherche… Mgr Maury a manifestement informé Mgr Villot des dispositions prises par Gerlier, ce dernier dit ajourner, mais jusqu’à quand ? 54 Le 17 février, l’appel de Mgr Caillot est diffusé en Espagne, l’Alliance envoie un télégramme à Pie XII et Kaplan boit un café à l’Hôtel de Ville de Paris avec le cardinal Feltin qui n’argumente pas sur le baptême des enfants, mais sur leur affection pour Mlle Brun43. Le 18, André Weil demande au grand rabbin de recevoir le père Chaillet, car les négociations directes avec la famille et Moïse Keller piétinent à Grenoble44. Gerlier, lui, étudie la presse, lit Congar dans Témoignage Chrétien et s’assure de la faveur du Figaro, en faisant intervenir Mgr Villot qui le rassure : « le directeur a promis de s’assurer par lui-même des textes qui seraient publiés45 ». Le 19, les deux passeurs basques sont arrêtés à Bayonne, le 21, Gerlier reçoit l’émissaire de Mgr Terrier, Roger Etchégaray, alors jeune secrétaire de l’évêque. On s’accorde pour attendre sans bouger « l’aboutissement favorable des tractations du père Chaillet46 ». Mais Moïse Keller joue les trouble-fête et le cardinal envoie son propre avocat rencontrer Me Garçon. Le 26 février, un accord semble presque prêt, Mme Rosner et Keller retrouvent Kaplan et André Weil dans le cabinet de Me Garçon. Me Henri Andriot et le père Chaillet représentent le cardinal Gerlier. Le texte ne sera signé que le 6 mars. Pourquoi ? 55 Le 3 mars voit l’inculpation de Mère Marie-Dominique, du chanoine Augustin Le Moine, d’Isaure Luzet et de Georges Lemoine. Gerlier ne bouge pas, ne signe toujours pas l’accord ; qu’attend-il pour le faire ? L’acceptation totale de la nonciature. Mgr Testa, parle au nom du nonce et du Saint-Office et c’est lui qui prend la plume, le 27 février, pour poser trois ultimes conditions : « Au sujet du cas Finaly, la Nonciature a été instamment priée de communiquer à Votre Éminence Révérendissime les normes suivantes de la Sainte Congrégation du Saint Office47. 1/ Dans l’état actuel des choses, il semble opportun de chercher un compromis sur les bases suivantes. 2/ Le retour en France des enfants en acceptant de les placer dans un établissement d’éducation neutre, de telle sorte que la pratique de la religion catholique de la part des enfants ne soit pas empêchée et que les précautions soient prises, pour qu’ils ne soient pas poussés à devenir israélites. 3/ La garantie que Mlle Brun, la supérieure de Notre-Dame de Sion et autres inculpés soient libérés sans conséquences pénales. Entre temps, la Supérieure générale de Sion pourra rendre public que la Supérieure de Grenoble a agi de sa propre initiative, ceci afin de dégager la Sainte Congrégation de toute responsabilité. En effet, il est bon que le Saint Office n’apparaisse pas48. » 56 Gerlier doit s’assurer de ces ultimes conditions. Il reçoit des pressions des avocats de la famille49, de René Cassin qui l’interpelle directement, en tant que « compagnon de la Résistance50 », il tente encore quelques aménagements comme d’introduire des formules alambiquées telle que : « Dès que les enfants reviendront, tout ce qui a été dit ou publié, dans l’émotion d’événements douloureux, sera oublié et fera place à une profonde reconnaissance envers les autorités de l’Église ». Kaplan refuse tout net. L’accord final se bornera à stipuler que « l’émotion d’événements douloureux sera oubliée ». Les termes de l’accord du 6 mars montrent bien que les parties tablent sur une restitution immédiate des deux garçons. Le père Chaillet les accepte, à la condition expresse toutefois que les plaintes contre les religieux soient retirées. Kaplan s’en porte garant pour la famille dès que les enfants seront rendus. Gerlier signe, convaincu que

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l’affaire est finie et que les enfants vont rentrer en France. En fait, elle commence vraiment, car les enfants ont, cette fois, bel et bien disparu !

57 La partie la plus rocambolesque de l’affaire commence, mais mon enquête doit être résumée en quelques lignes dans le cadre de cet article. Gerlier voulait donc placer les deux garçons en Espagne sous la protection de Franco. Il s’est assuré de la collaboration de la hiérarchie catholique de la péninsule, via le primat de Tolède, son interlocuteur direct, mais les enfants sont enlevés par des prêtres basques français qui refusent de les remettre à l’évêque de Saint-Sébatien, acquis du régime franquiste, et les confient aux bénédictins de Lazcano, en pays basque espagnol, comme eux, fervents séparatistes. Par ailleurs, l’accord secret du 6 mars n’est pas pour autant du goût du Saint-Office, qui a tardé à l’entériner, et c’est la Secrétairerie d’État qui prend brusquement la négociation en main à travers un télégramme de Mgr Montini du 22 mars. Germaine Ribière part aussitôt à Madrid, le 24, et échoue dans toutes ses démarches. Mgr Maury lui succède, début mai, croyant à bon droit que le nonce apostolique sait où se trouvent les deux frères et que l’évêque de Saint-Sébastien rechigne à les rendre. Mgr Gerlier obtient un ordre direct de Montini, le 5 mai, destiné à la nonciature de Madrid. Le Vatican ne veut pas que l’affaire remonte officiellement jusqu’à Rome car il ne tient pas à se prononcer sur la validité du baptême d’un point de vue dogmatique. Mgr Maury s’assure de la neutralité des autorités civiles françaises et espagnoles qui s’engagent à passer outre les commissions rogatoires et à laisser sortir les deux frères d’Espagne, compromis diplomatique qui permet l’arrêt des poursuites judiciaires, ce à quoi l’Église tient plus que tout. Le 7 mai, la hiérarchie catholique espagnole fait savoir, à la surprise générale, qu’elle n’a jamais caché les enfants et qu’ils sont les otages de séparatistes basques. 58 Germaine Ribière entre, fin mai, en contact avec la résistance basque. Il semble que le gouvernement espagnol n’ait jamais su où se trouvaient exactement les deux frères mais il l’a fait croire à son homologue français, pour tenter un échange : les petits Finaly contre l’extradition de républicains basques en exil, ce à quoi, Georges Bidault, alors ministre des Affaires étrangères, s’est toujours refusé. Seule une lettre du président du gouvernement basque en exil, José Antonio Aguirre, obtenue le 7 juin par le père Chaillet et la menace directe du Vatican, transmise par Mgr Gerlier le 11 juin, sur le clergé basque espagnol et français, conditionneront le retour des Finaly. 59 Prise au piège par la nourrice qui ajoute avec ce baptême une énième argutie juridique, l’Église catholique a tenté de se tirer de ce mauvais pas avec maladresse. Le cardinal Gerlier s’est laissé entraîner jusqu’à organiser un enlèvement dans lequel il a impliqué plusieurs prélats français et de nombreux religieux. Devant ce baptême trop tardif (mars 1948), qui ne sauve personne, Pie XII lui-même ne s’est pas réclamé du dogme, mais il n’a pas voulu se prononcer sur la validité d’un tel sacrement. Souvent, devant un cas épineux, la hiérarchie nationale gère le problème et le Vatican entérine. Dans cet exemple précis, le cardinal Gerlier et les membres du Saint-Office se sont montrés plus intransigeants que le Pontife qui s’est vu obligé de demander à son second, Mgr Montini, de dénouer l’intrigue. L’enlèvement par le cardinal Gerlier n’avait, jusqu’à ce jour, jamais été soupçonné et Mgr Caillot, pétainiste convaincu, n’avait jamais été vu comme un esprit ouvert… Ainsi, en situation, la hiérarchie catholique s’est montrée divisée sur un sujet douloureux, le baptême des enfants juifs sauvés. Il reste à souligner que le dogme, fixé sous Benoît XV, est resté inchangé, mais qui songerait à l’appliquer dans l’Église post-conciliaire d’aujourd’hui ?

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NOTES

1. Catherine Poujol, Les Enfants cachés. L’affaire Finaly (1945-1953), Paris, Berg international, 2006. 2. Le 22 août 1944, le cardinal Maglione, secrétaire d’État, meurt. Pour le reste de son pontificat, le pape Pie XII sera à lui-même son propre secrétaire d’État, assisté jusqu’en 1953 de deux substituts, Mgr Tardini et Mgr Montini. 3. En 1850, dans les États pontificaux, un enfant juif malade, Edgar Mortara, avait été baptisé par une servante. L’Église s’empara de lui et le fit disparaître. Un énorme scandale éclata – à l’origine de la création de l’Alliance israélite universelle – sans que soit infléchie pour autant la décision de l’Église catholique qui ne le rendit pas à sa famille et en fit un prêtre. Voir Kertzer David, Pie IX et l’enfant juif. L’enlèvement d’Edgardo Mortara, Paris, Perrin, 2001. 4. Voir Kathy Hazan, Les Orphelins de la Shoah Les maisons de l’espoir (1944-1960), Paris, Les Belles Lettres, 2000 et Annette Wievorka, Déportation et génocide, Plon, 1992 et en poche Hachette/pluriel, pp. 329-390. 5. Centre de documentation juive contemporaine (désormais CDJC), Fonds Jacob Kaplan, affaire Finaly (désormais KA-FI), boite 1, du père R. Braun à J. Kaplan, 30 août 1946. 6. En particulier Madeleine Comte, Sauvetages et baptêmes. Les religieuses de Notre- Dame de Sion face à la persécution des Juifs en France (1940-1944), Paris, L’Harmattan, 2001. 7. CDJC, microfilm Ribière/Sion/Enfants cachés. Sans cote. 8. Archives du Consistoire central, CC-AA 42, PV du 16 et 20 mars 1953. Fondée et dirigée par les Éclaireurs israélites de France, l’École d’Orsay forme après guerre les futurs cadres du judaïsme français. 9. CDJC, fonds Kaplan, boite 53, du Consistoire central au Nonce apostolique, 19 juillet 1946, cette pièce est reproduite en annexe II de Jacob Kaplan, L’Affaire Finaly, Paris, Cerf, 1993. 10. On se reportera à mon ouvrage Les Enfants cachés. L’affaire Finaly, op. cit., chapitre I : « D’autres affaires Finaly », qui répertorie des cas douloureux de restitution d’enfants juifs à leur famille allant jusqu’au procès, au Pays-Bas, en Belgique et en France. 11. Nonciature apostolique de France, n° 4516, « note sur les enfants juifs confiés à des organismes catholiques au moment de la persécution ». Cette pièce, que je ne possède que sous forme de photocopie et dont je n’ai pu vérifier l’origine, a été publiée, sans mon autorisation, le 28 décembre 2004 dans le Corriere dela Serra. Elle a provoqué un scandale médiatique. Puisqu’elle est maintenant connue, je la cite car je la considère comme essentielle pour comprendre les décisions de Mgr Gerlier. 12. Congrégation romaine établie par le pape Paul III en 1542 pour diriger l’Inquisition et juger souverainement des affaires d’hérésie, elle sera remplacée, lors du Concile Vatican II par la Congrégation pour la doctrine de la foi. 13. Souligné par l’auteur. 14. Il m’est impossible dans le cadre de cet article de donner des éléments biographiques pour chaque prélat. Dans le cas de Pierre Gerlier (1880-1965) et sur son attitude sous Vichy, voir l’intervention de Bernard Comte « Les théologiens lyonnais et

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la persécution contre les Juifs », table ronde du 20 janvier 1993, Les Cahiers de l’institut catholique de Lyon, n° 25, pp. 7-25. 15. Rome, Archives de Notre Dame de Sion (désormais NDS-Rome), témoignage de Mère Antonine, 1978. 16. NDS-Rome, Maison d’arrêt de Grenoble, PV de la seconde comparution de Mère Antonine, le 27 février 1953. 17. Archives diocésaines de Lyon (ADL désormais), fonds Gerlier, 11/II/3, « Relations avec Rome. Voyages ad limina », sous cote « Cardinal Gerlier à Rome en janvier 1953 », p. 2. Je remercie l’archiviste M. Henri Hours qui a trouvé cette pièce très importante. 18. Souligné par l’auteur. 19. ADL, fonds Gerlier, affaire Finaly, 212, 11, II, sous cote « correspondance et notes. Épiscopat, avocats, démarches et accords », pièce 4 : « Note demandée par sa Sainteté au cardinal archevêque de Lyon », double, sans date, non signé. La date du 14 janvier est donnée dans la lettre du cardinal Pizzardo du 23 janvier 2005. 20. CDJC, fonds Ribière, lettre de C. Pizzardo au cardinal Gerlier, 23 janvier 1953. Cette pièce a été publiée pour la première fois par Germaine Ribière dans son livre de souvenir, Ce que j’ai vécu, CDJC, 1998, p. 13. 21. Germaine Ribière, ibid. p. 14. 22. Voir l’article de Jean Godel, « Mgr Caillot, évêque de Grenoble (1917-1957) et le régime de Vichy (1940-1944) », Églises et chrétiens dans la Seconde Guerre mondiale. La région Rhône-Alpes, actes du colloque de Grenoble, 1976, publiés sous la direction de Xavier de Montclos, Lyon, PUL, 1982, pp. 78-1 à 78-4. 23. C’est la thèse d’André Weil, « l’Affaire Finaly », Rencontre, 1978, n° 56, p. 138. 24. Moïse Keller, L’Affaire Finaly telle que je l’ai vécue, Fischbacher, 1960, photocopies de la correspondance, pp. 158-165. 25. Archives de Yad Vashem, Jérusalem, papiers Keller, P11/1, de Mgr Caillot à Mgr Griffin, 21 juillet 1948. 26. Archives privées Rabi, journal de l’affaire, attestation dans le même sens de Joseph Maschino, aumônier de Notre-Dame de Sion à Grenoble, le 3 octobre 1976. 27. CDJC, KAP-FI-1, correspondance, de Kaplan à Kahan, 27 janvier 1953. 28. Moïse Keller, op. cit., p. 165. 29. CDJC, Fonds Ribière, "Réflexions théologiques et canoniques sur le cas de Mlle Brun rédigées par un groupe de professeurs du grand séminaire à la demande de son excellence Mgr Caillot", 18 janvier 1953. 30. ADL, 212-11-II, de Mgr Caillot à Mgr Gerlier, 23 janvier 1953 et réponse du 24 janvier 1953. 31. CDJC, fond Ribière, témoignage de Mlle Luzet, 12 mai 1977. 32. Rabi, L’Affaire Finaly, des faits, des textes, des dates, Marseille, Centre intellectuel pour le rayonnement de la pensée et de la culture juive, 1953, 77 pages, p. 44. 33. Germaine Ribière, op. cit, p .15. 34. ADL, 212-11-II, du cardinal Maurice Feltin au cardinal Gerlier, 5 février 1953. 35. ADL, 212-11-II, de Henri Andriot au cardinal Gerlier, 6 février 1953. 36. Moïse Keller, op. cit., p. 293. 37. ADL, 212-11-II, de Mgr Jean Maury au cardinal Gerlier, 11 février 1953. 38. ADL, 212-11-II, note du 11 février 1953. 39. ADL, 212-11-II, du cardinal Gerlier au père Chaillet, 11 février 1953. 40. ADL, 212-11-II, du cardinal Gerlier au cardinal Pla y Deniel, 12 février 1953. 41. ADL, 212-11-II, de Marcel Lévy au cardinal Gerlier, 16 février 1953.

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42. ADL, 212-11-II, de Mgr Villot au cardinal Gerlier, 18 février 1953. 43. Nouvelles Juives Mondiales (NJM), 17 février 1953. 44. Journal des Communautés, 10 juillet 1953, n° 81, p. 12. 45. ADL, 212-11-II, de Mgr Villot au cardinal Gerlier, 20 février 1953. 46. ADL, 212-11-II, du cardinal Gerlier à Mgr Villot, 22 février 1953. 47. En général, dans la correspondance « Saint Office » est écrit sans trait d’union, j’ai conservé cette graphie si c’est le cas. 48. ADL, 212-11-II, de la nonciature de Paris au cardinal Gerlier, 27 février 1953, n° 17006, « confidentielle » signée G. Testa. 49. ADL, 212-11-II, de David Lambert au cardinal Gerlier, 4 mars 1953. 50. ADL, 212-11-II, de René Cassin au cardinal Gerlier, 4 mars 1953.

RÉSUMÉS

Catholic Prelates’s Differing Positions on the Finaly Children’s Baptism (1945-1953). – The affair of the Finaly children is the most famous example of the problems encountered by a number of Jewish families in getting back their children who had been hidden by Christians during World War II. The legal proceedings brought by the family, who settled in Israel after the war, against the nanny who had saved and converted Robert and Gérald Finaly, were an exception because in 1953 they went all the way to the French Supreme Court. An enormous press campaign erupted when the two children were kidnapped in February 1953 by members of the clergy who refused to hand them over, on the grounds that they had been baptized as Catholics. The investigation undertaken in 2003 –50 years after the “Finaly Affair”– came up with unexpected revelations about the key role played by Cardinal Gerlier in this abduction. The article examines the positions of Pius XII, the Holy Office and many members of the French episcopate over the validity of this belated baptism.

AUTEUR

CATHERINE POUJOL Docteur en histoire, Catherine Poujol est spécialiste des relations judéo-chrétiennes aux XIXe et XXe siècles et de la mission catholique auprès des juifs. Elle a publié Aimé Pallière, un chrétien dans le judaïsme et Les enfants cachés l’affaire Finaly, 1945-1953, dont elle prépare une adaptation pour la télévision. [email protected]

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Le nouveau musée de Yad Vashem et la commémoration des victimes homosexuelles du nazisme*

Régis Schlagdenhauffen-Maika

1 Le 15 mars 2005, quelques semaines après les célébrations du soixantième anniversaire de la libération d’Auschwitz, a été inauguré le nouveau musée de l’histoire de l’Holocauste de Yad Vashem. « Yad Vashem est le mémorial du peuple juif en souvenir des six millions de Juifs assassinés et il est le symbole de la confrontation continue à la rupture engendrée par l’Holocauste1 ». Le musée suscite, selon une « perspective juive », l’empathie avec les martyrs et l’identification avec les héros. Grâce à l’usage des nouvelles technologies, il a en charge d’ancrer la mémoire de l’Holocauste dans le XXIe siècle.

2 Or, muséaliser l’Holocauste oblige à choisir une sémiotique narrative qui gomme nécessairement les contradictions inhérentes à l’interprétation de tout événement historique. Aussi, au sein du musée, en quoi une appréhension « juive » de l’Holocauste peut-elle être confortée par le recours à d’autres groupes de victimes du nazisme ? Afin de répondre à cette question, la première partie de cet article sera consacrée à une description de la nouvelle exposition. Puis, une fois la structure méta- narrative du musée mise en exergue, la convocation de la mémoire des autres groupes de victimes pourra être problématisée. Enfin, la dialectique de la commémoration mise en scène à Yad Vashem sera analysée à la lumière d’un groupe représentatif des « autres victimes » : les homosexuels. En dernier lieu, la controverse de 1994, qui opposa « Juifs-laïcs » et « Juifs-religieux » – à la veille de la conceptualisation du nouveau musée – permettra de saisir les limites d’une interprétation religieuse de l’Holocauste. 3 Depuis sa création, en vertu de la loi du 19 août 1953 sur la Shoah et la Gevourah, la loi sur la Shoah et l’héroïsme, Yad Vashem est une institution nationale laïque unique par la diversité des missions qui lui sont conférées. Celle bien sûr de commémorer les six millions de Juifs exterminés par les nazis, la destruction des juiveries d’Europe, les Justes parmi les nations, mais encore d’honorer les combattants et les résistants juifs.

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En outre, Yad Vashem est aussi une institution pédagogique dont l’International School for Holocaust Studies, l’International Institute for Holocaust Research, la bibliothèque et le musée de l’histoire de l’Holocauste en forment les éléments principaux. Ce dernier notamment est le lieu le plus visité de Yad Vashem, il témoigne du façonnage du passé en fonction des besoins et des visions du présent. L’édification de cet ensemble, écrivit Shenabi, était un préalable indispensable à l’instauration d’une vie « normale » en Israël. « Il nous faut intégrer le souvenir de la plus grande catastrophe du siècle au projet sioniste », affirma-t-il2. 4 Dès 1958, une première exposition fut « improvisée ». Le musée historique proprement dit ouvrit en 1973. L’exposition, tout comme le musée, répondaient à un double impératif : d’une part, le public voulait « comprendre » et mieux connaître le processus de la destruction des Juifs d’Europe, d’autre part, le tout jeune État d’Israël voulait légitimer son statut d’héritier des six millions de victimes, le musée apparaissant ainsi comme un mass-medium idéal. 5 En 1978, l’exposition fut agrandie, et inclut dans sa narration la destinée des survivants après la catastrophe. Cependant, cette exposition mettait surtout en avant la perspective des coupables mais non celle des victimes. Tom Segev décrit l’ancienne exposition en ces termes : « les salles du musée ne sont pas très grandes, les murs sont crasseux et les objets exposés – des photographies surtout – sont vieux. […] Les notices explicatives sont longues, didactiques […]. Aucune explication n’est donnée, comme si cela était inutile et qu’il s’agissait d’un phénomène naturel3 ». 6 En 1994, dans le cadre du plan « Yad Vashem 20014 », il fut décidé de repenser l’exposition car « la situation étant désormais différente, les gens sont conscients de la signification de l’Holocauste. Le but n’est plus l’identification avec les Partisans, mais l’empathie avec les victimes5 ». Aussi, David Silberklang qui a participé à la réalisation du nouveau musée résume la philosophie adoptée par Yad Vashem : « les nouvelles technologies nous permettent de dire la même chose mais autrement, de sorte que les gens comprennent mieux et différemment. Pour ces raisons, il nous était nécessaire de repenser l’exposition, aussi bien conceptuellement, historiquement que technologiquement parlant 6. » 7 Selon Anne Grynberg, les musées de la Shoah ou de l’Holocauste « véhiculent donc un message diversifié, parfois même éclaté selon les endroits, en fonction de l’image que tel ou tel pays a de lui-même et veut présenter à l’extérieur7 », car « le musée est à même de jouer un rôle fédérateur d’un groupe – national, « ethnique », religieux8 ». Ils parfont les mémoriaux qui, « silencieux, muets – n’ont pas a priori de vocation didactique, ne visent pas directement à l’acquisition de connaissances, mais veulent plutôt susciter l’empathie, l’émotion, par une évocation qui appartient au domaine du symbolique. [En outre,] quand il s’agit d’un projet national, il y a la volonté d’adresser à l’ensemble de la société un message soigneusement préparé et souvent extrêmement normatif9 ». 8 Or, par l’intermédiaire d’influences exogènes qui en réactualisent le sens, ledit message évolue.

9 Pour exemple, suite, entre autres, à la mobilisation des Tsiganes et des homosexuels pour la reconnaissance de leur « martyre », l’Holocauste, qui fut d’abord défini comme le génocide des Juifs d’Europe, a connu une évolution du point de vue de son acception. Désormais l’usage veut que d’autres groupes de victimes y soient intégrés, à la suite des

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Juifs. La définition que nous en donne l’Holocaust Encyclopedia est : « The of European Jews and others by the Nazis during World War II. » C’est par le biais du terme très vague « d’autres » qu’aussi bien les Tsiganes, les témoins de Jéhovah, les homosexuels, les communistes ou encore les handicapés peuvent être « englobés » dans le martyrologue des victimes de l’Holocauste. 10 Aussi, Yad Vashem, dans son titre institutionnel, se présente comme L’institution commémorative des martyrs10 et des héros de l’Holocauste ( Martyrs’ and Heroes’ Remembrance Authority). Partant, quelle place le nouveau musée offre-t-il à ceux que l’on nomme « les autres victimes » de l’Holocauste ? I. Le nouveau musée de l’histoire de l’Holocauste 11 Le nouveau musée, conceptualisé par l’architecte israélien Moshe Safdie, érigé à quelques encablures de l’ancien, désormais détruit, est une construction en béton longue de 180 mètres qui offre une surface d’exposition de 4 200 m2. Il a la forme d’un prisme triangulaire et tranche le flanc d’Har HaZikaron, la montagne du souvenir, de part en part. Avant d’entrer à proprement parler dans le musée, il faut d’abord traverser une longue rampe en bois. Elle marque la descente dans l’univers des héros et martyrs de l’Holocauste. Une fois l’immense hall traversé, une clef interprétative est d’ores et déjà donnée : des profondeurs de la terre, là où se cachaient les combattants du ghetto de Varsovie, mais là encore où se trouvent les cendres des millions de victimes, nous allons vers la Lumière, une baie vitrée qui s’ouvre sur une terrasse avec vue panoramique sur les verdoyantes collines de Judée. 12 La tranche supérieure du prisme, une étroite vitre, laisse pénétrer la lumière. Elle sert de guide et matérialise « l’axe de la mémoire » qui mène du temps « avant » au temps « après », c’est-à-dire la création de l’État d’Israël. 13 C’est dans le hall d’entrée, lieu sombre et imposant, que l’installation audiovisuelle de Michal Rovner atteste d’un monde qui n’est plus. Le film en noir et blanc met en scène la diaspora juive d’Europe qui danse sur un air de klezmer. Aussi sommes-nous immédiatement confrontés aux nouvelles technologies mobilisées par les concepteurs de l’exposition : mobiliser la technologie pour que le visiteur « vive les événements » et transmettre le témoignage des survivants après leur disparition. 14 Nos pas sont ensuite guidés vers le « premier fossé ». Si d’apparence, le musée semble linéaire, il est en fait composé de huit salles, distribuées de part et d’autre de l’axe de la mémoire, qui mène de la Catastrophe à la Rédemption. Chacune d’elle participe à la compréhension de la Catastrophe, tout en mettant en exergue la vigueur de la résistance. 15 Le premier fossé est jonché de livres, ceux des auteurs dont les nazis voulaient purifier le pays dans le cadre de l’action « wider den undeutschen Geist ». Grâce à des téléviseurs, on y voit l’autodafé du 10 mai 1933, comme si on y était. Les installations sonores y contribuent largement : en plus de la violence des images, les chants des Burschenschaften et les discours nazis nous permettent de vivre l’autodafé. 16 Puis, ne pouvant traverser le fossé, nous sommes dirigés dans la première salle : tout comme dans d’autres musées du judaïsme ou de la Shoah, un film qui dure moins de dix minutes retrace l’histoire de l’antijudaïsme et de l’antisémitisme jusqu’au nazisme. C’est ici que les « autres groupes de victimes » sont présentés, afin d’illustrer la politique raciste et raciale nazie d’exclusion et de purification du IIIe Reich.

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17 Dans le cadre de la stratégie visant à l’identification avec les martyrs et héros, nous quittons le « monde de la rue », un couloir rempli de panneaux antisémites, et trouvons refuge dans l’appartement d’une famille de . À la fin de la salle, une photo de jeunes pionniers sionistes avec en arrière-plan une banderole : « Erez Israel braucht uns, wir brauchen Erez Israel » (Eretz Israël a besoin de nous, nous avons besoin d’Eretz Israël). Dans ce monde hostile aux Juifs, des biographies individuelles illustrent l’une ou l’autre solution : émigrer et vivre ou rester et mourir. 18 La deuxième salle est consacrée à la Pologne, pays dans lequel se trouvait le plus grand nombre de Juifs avant la Shoah. Dans la troisième salle, est présentée, la destinée des Juifs d’Europe sous la « botte nazie », pays par pays. Grâce aux installations audiovisuelles, un survivant de chaque pays témoigne. L’objectif est de montrer, en fonction des contextes nationaux, les expériences vécues de façon didactique et succincte afin d’aller à l’essentiel. Dans le cas de la France par exemple, cinq temps scandent la narration : la « Révolution nationale » versus l’occupation, l’aryanisation des biens juifs, l’arrestation des Juifs, la France des camps, la déportation à l’Est. Puis, un grand panneau intègre l’Afrique du Nord à la narration. Par ce biais, les Juifs d’Afrique du Nord sont eux aussi associés à la Shoah, celle-ci perdant par conséquent sa définition de « génocide des Juifs d’Europe ». 19 Soudain, nous nous retrouvons dans le ghetto de Varsovie. Une rue pavée est reconstituée, avec au milieu les rails du tramway. Les portes des maisons du ghetto sont ouvertes, dans chacune d’elle, une vidéo se focalise sur un moment particulier de la vie du ghetto, la famine, le petit Schmuggler, ou encore la constitution par Immanuel Ringelblum de l’Oneg Shabbat. 20 La quatrième salle est plus spécifiquement consacrée aux Einsatzgruppen. Nous y suivons le groupe C, connu pour le massacre de Babi-Yar la nuit du 29 au 30 septembre 1941. 21 En entrant dans la cinquième salle, un écran géant, nous conduit, en train, à l’Est, vers les camps d’extermination. Sur le mur d’en face, la révolte du ghetto de Varsovie. Mordechaï Anielewicz, commandant de l’Organisation juive de combat, incarne à la fois la figure du héros et du martyr. La deuxième partie de la salle est plus spécifiquement consacrée à Auschwitz. Les wagons, les barbelés, une photo géante des fours crématoires, des boîtes usagées de Zyklon B et un monceau de chaussures font que nous avons l’impression de nous retrouver à l’intérieur du camp. Au bout de la salle, une réplique du modèle de Mieczyslaw Stobierski – dont l’original se trouve au musée d’Auschwitz – illustre le processus d’extermination, de la rampe de sélection au four crématoire. 22 Dans la sixième salle est posée la question « pourquoi Auschwitz ne fut pas bombardé ? » Il y est également souligné la passivité des autres nations face à l’extermination des Juifs. Puis nous nous retrouvons dans une forêt, métaphore de celles dans lesquelles les Partisans juifs résistèrent. Il est écrit que « les combattants Juifs avaient le désir de laisser une trace de leur combat héroïque au monde entier ». C’est dans cette salle que sont présentées les organisations juives de résistance : le Mouvement de la jeunesse sioniste, l’Armée juive, les organisations clandestines ou encore l’OSE (Organisation de secours aux enfants). Dans cette guerre contre les nazis, l’opération de sauvetage des Juifs du Danemark et la non-déportation des Juifs de Bulgarie permettent de « pointer un doigt accusateur11 » sur tous ceux qui, à

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l’exception des Justes parmi les Nations, par leur passivité, se sont rendus complices du génocide. 23 À l’entrée de la septième salle, intitulée « Les derniers Juifs », hommage est rendu aux combattants juifs qui servirent dans les armées : 50 000 en Grande-Bretagne, 500 000 en URSS et 550 000 aux États-Unis. 24 Face à ces héros, la vie quotidienne des internés des camps – ceux qui réchappèrent à la « sélection » – est présentée de façon concise. Un texte rappelle qu’à côté des Juifs, les Tsiganes connurent aussi la déportation. Il est souligné que « les nomades furent traités comme les Juifs alors que les sédentaires ne furent pas persécutés » ; toutefois « plus de 25 000 périrent à Auschwitz ». L’ambiance du camp est « recréée » : une baraque, des lits, les tenues des Häftlinge, un wagon destiné à transporter les blocs de pierre tirés par les déportés et la photographie d’une carrière y participent. Après la dernière partie consacrée aux marches de la mort et à la libération des camps, un étroit couloir nous mène vers la huitième salle. Celle-ci est dédicacée aux survivants, ils sont certes « libérés, mais non libres ». Des objets des camps de Personnes déplacées y sont exposés. À côté de la photographie de l’Exodus, il est écrit que les D. P. « réclamaient le droit d’immigrer librement vers Israël ». 25 Les procès de Nuremberg en 1945, où vingt-quatre responsables politiques, militaires et économiques Allemands sont mis en accusation devant un tribunal international, annoncent la clôture de la narration : les coupables sont condamnés. L’exposition s’achève par le retour en Eretz Yisrael et le procès Eichmann : leçon de l’Holocauste et catharsis nationale. C’est à ce moment que la Lumière réapparaît. 26 Tout au long du parcours, héros et martyrs sont unis, contribuant à donner sens à la narration. Le chemin qui mène de la Catastrophe à la rédemption est le fil conducteur de l’exposition. Cette synthèse qu’incarne le « héros-martyr » est présente dès les origines de Yad Vashem – et se retrouve dans le titre institutionnel du lieu : L’institution commémorative des martyrs et des héros de l’Holocauste. Tom Segev, dans sa description relève la définition donnée alors à Yad Vashem du martyr. Il est souligné que « la mort des Juifs n’avait pas été vaine ; ils étaient morts en martyrs. Un martyr, dit le panneau, n’est pas seulement celui qui préfère renoncer à la vie plutôt qu’à sa croyance, mais aussi celui qui, dit Maïmonide, est assassiné parce qu’il est juif. […] Un martyr accepte de mourir et de souffrir pour une cause noble quelle qu’elle soit. […] Être juif, différent des autres et souffrir des générations durant pour avoir le droit d’être différent, constitue une cause noble12 ». 27 Léon Poliakov, dans le chapitre intitulé la « naissance d’une mentalité juive » de son ouvrage Histoire de l’antisémitisme, s’interroge sur l’origine de ce culte. Il remarque qu’au Moyen Âge déjà, on avait recours à l’Akeda pour donner du sens aux massacres et persécutions constantes. « Chaque nouvelle victime de la fureur chrétienne est un combattant tombé pour sacrifier le Nom ; on lui décerne souvent le titre de Kadosh […]. Dès lors, le martyre devient institution13 ». De surcroît, « chaque victime juive est considérée comme un combattant tombé au champ d’honneur […]. L’Akeda, le culte des martyrs, est entretenu de toutes les manières14 ». Yad Vashem, en entretenant ce culte, reste ainsi fidèle à la « perspective juive » mise en avant. Dès lors, les membres des « autres groupes de victimes » sont-ils aussi morts en martyrs ? II. La commémoration des « autres victimes du nazisme » à Yad Vashem 28 Dès le début de l’exposition, dans la première salle, juste après le « fossé » qui représente l’autodafé du 10 mai 1933, un panneau indique que « le régime nazi ne s’est

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pas uniquement attaqué aux Juifs, mais aussi à d’autres groupes : d’une part les opposants politiques ; d’autre part tous ceux qui furent exclus de la communauté nationale : les témoins de Jéhovah, les homosexuels, les Tsiganes et les handicapés, parce que considérés comme « une menace envers la pureté de la race ». 29 En exploitant le concept de Lebensunwertes Leben (vie sans valeur), les nazis ont élaboré le programme T4 ; il avait pour but l’élimination systématique des enfants, adultes et personnes âgées, mentalement déficients, atteints de maladies incurables ou malformés. 30 L’« euthanasie » des handicapés est illustrée par une série de photographies du centre Hadamar situé près de Coblence. Celle d’une enfant handicapée mentale, peu avant son assassinat ; celle d’une salle de douches transformée en chambre à gaz permettent de saisir que le programme T4 fut le prélude à l’extermination de masse. Aussi, deux affiches du film de propagande en faveur de l’« euthanasie » : Leben ohne Hoffnung (Vivre sans espoir) illustrent les mécanismes de légitimation par le politique d’une telle mesure institutionnelle. 31 La persécution des homosexuels est représentée par une photographie de l’Eldorado placardé d’affiches de propagande et de croix gammées. Ce dancing situé à Schöneberg, connu dans toute l’Europe comme un haut lieu de la scène homosexuelle, aussi bien masculine que féminine, fut effectivement l’un des premiers lieux de sociabilité homosexuelle fermés par les nazis en 1933. 32 Une série de clichés met en avant les différentes facettes de la destinée des Tsiganes sous le IIIe Reich. En premier lieu, une photographie d’avant le Porrajmos15, une famille de Tsiganes vêtus de guenilles, posant devant une roulotte, est censée nous permettre de nous faire une idée de leur « apparence ». D’autres clichés attestent de leur déportation et de leur internement en camp ainsi que de la stérilisation forcée et des expériences médicales dont ils furent victimes. 33 En suite de quoi, les Tsiganes sont mentionnés à plusieurs reprises au cours de l’exposition. Dans la sixième salle, celle qui présente les camps d’extermination, il est indiqué qu’environ « 150 000 Tsiganes furent exterminés, dont 25 000 à Auschwitz ». Les indications qui les concernent restent ambiguës, elles laissent sous-entendre que le génocide ne s’applique pas « réellement » aux Tsiganes car, « les nomades furent traités comme les Juifs, mais les sédentaires comme les Aryens ». Cette assertion laisse sous- entendre que seulement une partie d’entre eux fut victime du nazisme. 34 David Silberklang, qui a contribué à la réalisation de la nouvelle exposition, confirme cette interprétation de la réalité. « Les Tsiganes ne sont pas des victimes de l’Holocauste, mais servent, au sein de l’exposition, à illustrer le système nazi. » L’extermination des Tsiganes relève alors quasi d’un fait général, une des multiples choses qu’ont pu banalement commettre les nazis. Cette idée est d’autant plus claire lorsqu’il précise que « les nazis voulurent détruire le monde juif et non le monde tsigane ». C’est pourquoi « on ne peut comparer l’extermination des Tsiganes et des Juifs, la manière de les exterminer ne fut pas uniforme. Lorsqu’ils trouvaient des Tsiganes, ils les tuaient certes, mais ce n’est pas pareil16… » 35 La photographie d’une famille tsigane qui pose devant une roulotte illustre bien la question : quelle mémoire de pierre ou de papier pouvait-on détruire chez ce groupe doté d’une culture orale, qui ne laisse guère de trace et dont les membres ne possèdent rien hormis leurs effets personnels ? Cette réalité tsigane est bien résumée par Rajko Djuric, dans la préface de son étude sur le Porrajmos : « depuis des siècles les Tsiganes

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parcourent le monde, suivent un chemin dont nul ne sait au juste où il mène et de quoi il sera fait. Sur leur chemin, ils ne laissent derrière eux aucune trace17 ». 36 Dans la septième salle, consacrée à l’univers concentrationnaire et aux marches de la mort, deux « détails » valent la peine d’être soulignés. 37 En premier lieu, une lithographie réalisée en 1945 par l’Allemand Richard Grune est présentée, aux côtés de celles de David Olère et Henri Pieck : Flagellations et travaux forcés. Grune fut condamné par les nazis en vertu du § 175 et déporté à Sachsenhausen puis Flossenbürg. Une note précise qu’il fut « déporté pour homosexualité ». 38 En second lieu, un imposant mur de photographies présente une « collection » de 24 clichés de déportés. Intrigué par certains matricules de déportés, j’ai demandé des renseignements complémentaires aux responsables de l’exposition. En réponse, il me fut précisé que sept Polonais, deux Tsiganes et un témoin de Jéhovah18 participent de cette composition. Cependant, aucune mention n’est faite de ce « détail ». Toutefois, les handicapés, témoins de Jéhovah ou Polonais, bénéficient-ils du « privilège » de la représentation, contrairement aux homosexuels. 39 Certes, aussi bien la lithographie de Richard Grune que la mention faite au début de l’exposition ne permettent pas d’affirmer que les homosexuels sont absents de la muséographie. Leur persécution est évoquée lorsqu’il s’agit de mettre en perspective la mise au pas de l’Allemagne, dont l’autodafé du 10 mai 1933 fut une des premières manifestations. En revanche, l’événement qui eut lieu quatre jours plus tôt, dont l’autodafé fut la suite logique, est passé sous silence. Le 6 mai, l’Institut für Sexualwissenchaften, fondé par Magnus Hirschfeld, fut saccagé. Lors de l’autodafé, les ouvrages de la bibliothèque de l’Institut ainsi que le buste d’Hirschfeld furent livrés aux flammes. C’est sans doute parce que Magnus Hirschfeld était homosexuel que Yad Vashem l’oblitère, contrairement à l’USHMM de Washington ou au Jüdisches Museum de Berlin19. 40 Dans le cadre du programme Yad Vashem 2001, certaines voix avaient fait part de leur souhait de voir représentée, dans le nouveau musée, la persécution des homosexuels sous le IIIe Reich. La façon qu’a adoptée Yad Vashem reste néanmoins particulièrement elliptique. La fermeture de l’Eldorado, célèbre dancing berlinois (imaginé comme un « lieu de perdition »), semble être une meilleure illustration de la stigmatisation des homosexuels. 41 En outre, sachant que Yad Vashem est « le mémorial du peuple juif en souvenir de l’Holocauste », nous pouvons nous poser la question suivante : y a-t-il eu des Juifs homosexuels victimes de la Shoah – puisqu’ils n’apparaissent à aucun moment dans l’exposition ? 42 Le cas de Léopold Mayer, que décrit Saül Friedländer dans son ouvrage L’Allemagne nazie et les Juifs, nous oblige à reconnaître qu’il y eut au moins un Juif homosexuel victime du nazisme. Obermayer, homosexuel et Juif pratiquant de citoyenneté helvétique, fut arrêté le 29 octobre 1934. Interné à Dachau en 1935, il décéda au camp de Mauthausen le 22 février 194320. 43 Ce n’est que récemment, notamment suite au témoignage de Gad Beck, que quelques contributions ont été publiées au sujet des victimes homosexuelles juives du nazisme. Dans son autobiographie, publiée en 1995, Gad Beck évoque son parcours de Juif homosexuel sous le IIIe Reich. Né en 1923 à Berlin, il rejoint en 1941 le groupe clandestin Chug Chaluzi. Jusqu’à la fin de la guerre, il est membre de la Résistance juive à

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Berlin. Au lendemain de la capitulation de l’Allemagne nazie, il travaille avec David Ben Gourion dans les camps de D. P’s et prépare les rescapés à l’alyah, entreprise qu’il réalise lui-même en 1947. En 1974, après une étape à Vienne, il se réinstalle avec son ami à Berlin et prend en charge la jüdische Volkshochschule21. 44 Andreas Sternweiler, dans une étude de cas publiée en 2000 sur les homosexuels juifs à Sachsenhausen22, nous offre quelques éléments de réponse sur ce sujet. Dans la première partie de son article, l’historien met en lumière le destin, à chaque fois semblable, de ces Juifs arrêtés en vertu du § 17523. Hans Meyersohn – un des cas qu’il décrit en détail – est coupable en tant que Juif d’avoir eu des relations sexuelles avec des hommes aryens24. Il est doublement condamné, à la fois pour homosexualité et pour opprobre raciale contre le peuple allemand. À partir de 1935, dans le cadre des lois nazies sur la protection de la pureté de la race – dites lois de Nuremberg –, les rapports sexuels entre Aryens et Juifs avaient été rendus pénalement condamnables. Le jugement du 3 février 1937 le stipule, le « caractère » juif d’Hans Meyersohn constituait un facteur aggravant en plus de sa condamnation en vertu du § 175. Hans Meyersohn fut condamné à l’internement à Sachsenhausen où il décéda peu de temps après. 45 Suite à une étude minutieuse des registres du camp, Sternweiler met ainsi en lumière l’existence d’internés enregistrés en tant que « Jude 175 » ou « 175 J ». À la différence des autres Juifs, ceux-ci n’étaient pas envoyés dans les baraquements réservés aux Juifs mais dans ceux qui étaient réservés aux homosexuels25. Ainsi, les Juifs homosexuels, étaient-ils, du moins à Sachsenhausen, avant tout perçus en tant qu’homosexuels, partageant le destin des autres Triangles roses. 46 Les nazis avaient pris en compte cette éventualité dans leur classification. On la retrouve aussi dans les tableaux nazis de catégorisation des internés – elle se traduit par la superposition d’un triangle rose et d’un triangle jaune. Le témoignage d’Heinz Heger reste l’un des rares connus à ce sujet. Dans ses mémoires, il relate le cas d’un interné qui « en plus d’être homosexuel était Juif. Sous le triangle rose, il en portait un jaune, de sorte qu’assemblés, les deux triangles formaient une étoile de David26. » 47 L’étude d’Andreas Sternweiler, malgré son caractère parcellaire, permet de répondre affirmativement à la question posée précédemment à savoir que des hommes juifs- homosexuels ont été déportés, internés et exterminés en tant que tels par les nazis. 48 Aussi, l’interdit visant à ne pas représenter la destinée singulière des Juifs homosexuels victimes de la Shoah a, en partie, pour origine la controverse de 1994. III. La controverse de 1994 49 En 1994, Keshet Ga’avah, le Congrès juif mondial LGBT27 organisa à Tel-Aviv sa conférence annuelle. À cette occasion, le lundi 29 mai, l’association LGBT israélienne Agudah – qui coordonnait la conférence – organisa un service commémoratif à l’Ohel Yizkor, « le tabernacle du Souvenir28 » de Yad Vashem. La tenue du service fut autorisée par Yad Vashem et 150 membres de Keshet Ga’avah y participèrent. En pleine cérémonie, des extrémistes religieux proches du Kach29, prévenus de la tenue de l’office, improvisèrent une manifestation. Le calme ne fut retrouvé que grâce à l’intervention des forces de l’ordre. 50 Suite à l’événement, une émission spéciale eut lieu à la télévision30. Keshet Ga’avah justifia la tenue de cet office : la récitation du kaddish en souvenir des homosexuels juifs assassinés par les nazis. Lors du débat, Avner Shalev qui représentait Yad Vashem argua que le service avait été illégal étant donné que l’Agudah n’avait pas précisé son

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statut d’association LGBT. Aussi, un survivant affirma que les nazis étaient des homosexuels et que par conséquent commémorer les victimes juives homosexuelles revenait à honorer les nazis. 51 Aussi, le 1er juin, le scandale fait la une des journaux. Le Jerusalem Post relate, dans un article non signé, l’événement31. « Yad Vashem, tout en reconnaissant que la tente du souvenir est un espace ouvert à quiconque souhaite y célébrer un office, condamne officiellement, pour avoir disgracié le site du fait des troubles causés, aussi bien les organisateurs de l’office que les manifestants ». 52 À la suite de quoi, Shaul Yahalom, député à la Knesset et président du Mafdal (parti national religieux) demande la démission du président du Comité international de Yad Vashem . Il s’appuie sur l’argument des religieux : la Halachah32 ne cautionne pas les relations homosexuelles.

53 Yosef Burg précise, quant à lui, que la cérémonie en souvenir des victimes homosexuelles du nazisme était à ses yeux « une provocation délibérée » de la part des gays. En outre, il prend la défense de l’institution et soutient que « même si Yad Vashem n’avait pas autorisé la cérémonie, les gays auraient fait appel près la Cour suprême qui aurait de toute façon fait autoriser la cérémonie33 ». À sa suite, Shevach Weiss, député travailliste à la Knesset et membre du Comité directeur de Yad Vashem argumente lui aussi en faveur de l’institution. Mais le rescapé de la Shoah condamne les manifestants car, selon lui, « la reconnaissance du droit à la différence est un droit suprême », c’est pourquoi « les survivants de la Shoah devraient être sensibles à la souffrance des homosexuels qui furent les premiers cobayes des nazis ». 54 Yad Vashem, en insistant sur la sacralité du lieu dans son communiqué, donne force à la condamnation exprimée par les « religieux ». L’argument halachique qu’ils emploient condamne les relations homosexuelles, par extension l’homosexualité et, au final, la tenue même de l’office : l’office est à considérer comme halachiquement illégal. Cet argument « sacré » prend appui sur la sémiologie religieuse qui est à l’origine de Yad Vashem (aussi bien le terme d’Ohel Yizkor que Yad Vashem, voire encore l’expression de « Juste parmi les Nations », sont tous issus de la Bible). Yosef Burg donne, certes, son avis personnel sur la question lorsqu’il considère que cette cérémonie fut une provocation ; toutefois, au vu de sa position, il n’est pas en mesure d’accuser l’institution qu’il représente et se décharge de toute responsabilité lorsqu’il rappelle qu’en vertu du droit israélien la cérémonie ne pouvait être interdite. Shevach Weiss recourt lui aussi au droit civil, mais contrecarre les opposants à l’office qui, à l’inverse de Keshet Ga’avah, ont tenu une manifestation illégale à Yad Vashem. De plus, il use de sa parole « quasi-sacrée » de survivant de la Shoah pour souligner que la stigmatisation dont furent victimes les homosexuels (« ils furent les premiers cobayes des nazis ») fut une des premières manifestations du régime national socialiste avant même le judéocide et que par conséquent ils sont liés. 55 Aussi, l’argument (infondé) qui avait été mis en avant par Avner Shalev lors du débat télévisé, à savoir l’illégalité de la commémoration, n’est plus usité. Au final, deux membres de Yad Vashem parviennent à deux conclusions antithétiques. Yosef Burg, pour ne pas froisser les religieux ni « perdre la face », considère que cette cérémonie était une provocation ; à l’inverse, Shevach Weiss considère que c’est la manifestation improvisée par les religieux qui fut une provocation.

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56 Ainsi, dans son communiqué officiel, Yad Vashem, tout en omettant de rappeler que les homosexuels furent effectivement des victimes du nazisme, refuse de prendre parti, et laisse deux membres de son directoire prendre la parole en leur nom propre. L’institution est prise en étau entre son statut d’institution quasi religieuse, dotée d’une aura sacrée, et le caractère laïc du lieu (la Tente du souvenir est l’endroit où sont reçus les chefs d’États en visite officielle). En effet, Yad Vashem se trouve confronté face à la dialectique contradictoire intrinsèque, à son double statut : à la fois institution commémorative civile laïque instituée par la loi israélienne et lieu de recueillement du martyre juif doté d’une synagogue. Par conséquent, la seule solution afin de rester extérieur au débat, était de condamner les deux parties, stratégie qui permettait de transformer l’« incident » en une dispute classique opposant laïcs et religieux. 57 Le vendredi 3 juin, à la fin du premier cahier du journal, la journaliste Alison Kaplan Sommer, publie un article sur l’Agudah, l’association qui organisa l’office commémoratif. Dans le deuxième cahier, partisans et opposants exposent leurs positions respectives sur l’événement. 58 Dans son papier, « Des jeunes gays rompent les chaînes de l’isolement34 », Alison Kaplan Sommer interpelle les lecteurs et lectrices face à la solitude des jeunes gays confrontés à leur « différence » et insiste sur le rôle que jouent les groupes de parole de l’Agudah : ils aident ces jeunes à « s’assumer ». Dans un second temps, elle coupe court à l’argument halachique avancé par les religieux qui trouve sa source dans le Lévitique : « un acte sexuel avec pénétration entre deux hommes est une abomination » (Lv 18 :22 et Lv 20 :13). Elle adopte une approche compréhensive et réfute l’argument des religieux semblable à celui dont usèrent les nazis pour justifier leur politique. Puis, elle s’appuie sur le témoignage d’une mère qui coordonne un de ces groupes de parole. Celle-ci reconnaît, qu’« après la consternation que cette nouvelle produisit, elle a aujourd’hui honte d’avoir eu honte ». Alison Kaplan Sommer conclue que « le scandale, suite à la commémoration, illustre l’hostilité à laquelle font encore face les gays et lesbiennes » en Israël. 59 Dans le second cahier, sont confrontées les positions du rabbin Macy Gordon et de la députée Yael Dayan. Dans son article « Des Juifs gays qui sont fiers du péché », le rabbin Macy Gordon expose sa position sur la question35. Il lance un appel aux trois monothéismes puis, en appelle à l’État : le ministère du Tourisme a reconnu que le mois de juin est le « mois de la Gay Pride ». Or, l’État n’est pas autorisé à légitimer un style de vie « prohibé » et « proscrit ». 60 Il rappelle que les nazis persécutèrent certes les Tsiganes, les homosexuels et les communistes, mais que l’extermination des Juifs reste un génocide sans précédent historique. Les Tsiganes demeurant ensuite hors de son propos, car non Juifs, il s’interroge sur le cas des communistes. « Beaucoup d’entre eux étaient certainement juifs ; mais, dès lors qu’ils étaient communistes, ils avaient forcément renié leur religion : ils étaient donc une menace pour le judaïsme. » Pour preuve « ils avaient fait emprisonner d’autres Juifs » 36. Étrangement, il s’en remet à l’argument du complot bolchevique mais sans le prédicat juif. De plus, l’argument de l’abandon de la religion lui permet d’effectuer, sans même argumenter son propos, le parallèle entre communistes et homosexuels : les premiers tout comme les seconds avaient mérité leur sort, vu qu’« ils étaient une menace pour l’avenir du judaïsme et ses valeurs ». Ils ne sont donc pas des « victimes ». 61 Ensuite, il fait lui aussi usage du seul argument qui lui permet de condamner la commémoration : « l’homosexualité est un comportement interdit par la , donc un péché ». Pour conclure, il exhorte l’État d’Israël à respecter les lois juives, « seule cette voie

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permettra de libérer Israël du péril », c’est pourquoi, dans la mesure où Israël est un État juif, l’État doit donc condamner les homosexuels. 62 Dans son article « Était-il correct que les nazis tuent les homosexuels, mais criminel de tuer les Juifs37 ? », Yael Dayan, députée travailliste, affirme que c’est le « droit suprême à la différence qui a été maladroitement condamné par les manifestants ». 63 Selon elle, « tous ceux qui ne condamnent pas ceux qui ont tenté d’étouffer les gays à Yad Vashem nourrissent les monstres qui rôdent autour de nous38 ». Aussi, met-elle nommément en cause des personnalités ayant pris part au débat et qui se sont distinguées pour leur homophobie : Yosef Burg de Yad Vashem, ainsi que les députés de la Knesset, Dov Shilansky, Esther Salmovitz, Yosef Azran et Ovadia Eli – tous situés à droite de l’échiquier politique. 64 À l’inverse de Macy Gordon, Yael Dayan considère que « les homosexuels et lesbiennes ont été persécutés par les nazis car, tout comme les déviants et les handicapés mentaux, ils profanaient la pureté de la race ». Pareillement, « d’autres “exceptions”, principalement les Juifs, mais aussi les Tsiganes, les communistes, et les Polonais » furent condamnées par les nazis. Partant, elle affirme que « l’assaut lancé contre les Juifs-homosexuels “déviants”, par ceux-là mêmes qui sanctifient les “déviants” est monstrueux et effrayant, en plus d’être ironiquement ridicule ». Aussi, pose-t-elle la question suivante : « les nazis étaient-ils en droit de tuer les homosexuels, alors que tuer les Juifs était criminel39 ? » 65 De cette manière, elle met en avant la contradiction du discours des manifestants : peut-on légitimer l’assassinat des homosexuels mais condamner celui des Juifs ? 66 Yael Dayan fait ensuite référence au triangle rose porté par les déportés homosexuels et établit un parallèle avec l’étoile jaune. Dans sa conclusion, elle place les deux stigmates au même niveau et affirme que « tous ceux et toutes celles qui croient en une société plus humaine, qui acceptent la différence et soutiennent le droit des minorités devraient être fiers d’arborer un triangle rose à côté de l’étoile jaune et l’emblème blanc et bleu d’Israël ». 67 Dans cette controverse, les protagonistes s’appuient sur deux rhétoriques antagonistes quant au sens et à la signification de la commémoration. Les religieux, qui ne cautionnent pas la tenue de l’office, recourent à un argument halachique : « la loi est la loi. » Selon eux, toute entrave à la loi doit être condamnée, car elle est source de « péril ». L’argument du « péril », brandi par certains juifs orthodoxes, possède les mêmes ressorts que celui selon lequel « la Shoah [fut] l’effet du courroux divin provoqué par les manquements à l’Alliance40 ». Cependant, seul l’acte homosexuel est condamné dans la Torah. Par conséquent, le désir homosexuel échappe quant à lui à toute condamnation. L’argument des Juifs orthodoxes implique donc l’éventuelle validité de la prémisse suivante, à savoir que sur la base de la condamnation de l’acte, on puisse condamner des personnes (dont on ne sait si elles ont commis ledit acte). Seulement par ce biais, ils peuvent, au final, excommunier les Juifs homosexuels de la commémoration et du « droit au souvenir ». Comment valider cette prémisse ? 68 Au contraire, pour les partisans de la commémoration, l’inclusion des victimes homosexuelles dans le « droit au souvenir » est pleinement justifiée. Ils insistent d’une part sur l’affirmation du droit à la différence, qu’illustrait notamment, avant la Shoah, le judaïsme dans une Europe majoritairement chrétienne. Shevach Weiss et Yael Dayan combattent l’opinion des « religieux » selon laquelle il est à la fois possible de condamner l’assassinat des Juifs par les nazis tout en admettant celui des homosexuels.

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Ce raisonnement reviendrait à admettre que le nazisme aurait aussi eu ses « bons côtés ». Partant, cela reviendrait à relativiser la Shoah. Conclusion 69 La nouvelle exposition offre la parole aux victimes qui, par le biais d’installations audiovisuelles, témoignent. À côté des déposants, elle présente les persécutions qu’ont subies les « autres groupes de victimes » du nazisme. Aussi bien les handicapés, les communistes, les Témoins de Jéhovah ou les Tsiganes bénéficient-ils du « privilège » de l’iconographie de leur martyre. Seules les victimes homosexuelles restent sans visage. À l’exemple des Tsiganes, les autres victimes, comme les objets mis en scène, sont inclus pour autant qu’ils participent à la narration menant de la Catastrophe à la rédemption. Yad Vashem est une institution respectée et respectable et la marge de manœuvre est réduite quant à la représentation de la persécution des homosexuels, étant donné le précédent de 1994. En effet, le statut ambigu de Yad Vashem, tout comme celui de la Shoah – considérée par certains comme une « religion civile »41 – exclut les homosexuels du « droit au souvenir ». Bien qu’il s’agisse d’un lieu laïc, le poids de l’opinion religieuse explique ce phénomène. 70 Du début à la fin de l’exposition, les « autres victimes » apparaissent sous diverses modalités. La mise en avant de leur « altérité » n’est soulignée que du moment où les caractéristiques du groupe en question permettent d’asseoir la structure narrative en vigueur à Yad Vashem. Dans les autres cas, leur « identité » n’est pas précisée. La représentation des Tsiganes est, quant à elle, ambiguë. Lorsqu’ils sont convoqués, ils le sont toujours suivant une irénique hiérarchisation des victimes. D’une part, ils sont utilisés pour mettre en avant la complexité du système nazi, d’autre part ils permettent de souligner que, contrairement aux Juifs, ils n’ont pas résisté ; leur « passivité » permet de les exclure du modèle dialogique martyr-héros. Plus généralement, les « autres victimes » sont présentées au début de l’exposition, dans la partie visant à expliciter la construction du système de stigmatisation-exclusion qui a conduit à l’extermination des handicapés puis des Juifs. C’est à cet endroit que la persécution des homosexuels est mentionnée, mais jamais les victimes de celle-ci. Aussi, la difficulté de mettre des visages sur les victimes homosexuelles trouve-t-elle en partie son origine dans la controverse de 1994. 71 Souvenons-nous de l’origine du nom Yad Vashem (en français « un monument et un nom »). L’expression est issue de la troisième partie du Livre d’Isaïe intitulée « Promesse aux étrangers » (56:5) : « Je leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles. » L’inscription dans la pierre des martyrs qui n’ont pas de descendance en mesure de réciter le kaddish – c’est-à-dire le « monument et le nom » – se substitue à l’oubli des victimes réduites en cendres. Cependant, dans le texte, à qui ces promesses sont-elles faites ? 72 Elles s’adressent à tous ceux qui pourraient se sentir exclus : « Que le fils de l’étranger, qui s’est attaché à Dieu ne dise pas “Sûrement que Dieu va m’exclure de son peuple.” Que l’eunuque ne dise pas : “Voici que je suis un arbre sec.” Car ainsi parle Dieu aux eunuques qui observent mes sabbats et choisissent de faire ce qui m’est agréable, fermement attachés à mon alliance : Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom meilleurs que des fils et des filles ; je leur donnerai un nom éternel qui jamais ne sera effacé » (Is 56:3-5). 73 L’eunuque est-il strictement celui qui a subi la castration ? Ou peut-on considérer qu’« il y a en effet, des eunuques qui sont nés ainsi au sein de leur mère, il y a des eunuques qui le sont

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devenus par l’action des hommes et il y a des eunuques qui se sont eux-mêmes rendus comme tels » (Mt 19:12) ? La « Promesse aux étrangers », ne s’adresse-t-elle pas aussi aux homosexuels ?

NOTES

*. Le présent article n’aurait pu être écrit sans l’obtention d’une « bourse mois- chercheur » accordée par le Centre de recherche français de Jérusalem. Les entretiens réalisés à Yad Vashem ainsi que la description de l’exposition permanente du musée de l’Holocauste sur lesquels je m’appuie ont été effectués en septembre 2005. 1. www.yadvashem.org 2. Tom Segev, Le Septième Million, Paris, Liana Levi, 1993, p. 498. 3. Tom Segev, op. cit., p. 491. 4. Cf : Yad Vashem Magazine, 21, 2001, p. 4. 5. Yitzhak Mais : Cf. Matthias Hass, Gestaltetes Gedenken, Francfort, Campus, 2002, p. 124. 6. « Another reason is that any museum exhibition has a certain limited lifetime before you need to rethink it. […] new technologies allow us to say the same in different ways that people can understand better or differently. For that reason we needed to rethink the exhibition both historically and conceptually and also technologically. » in : Matthias Hass, op. cit., p. 135. 7. Anne Grynberg, « Du mémorial au musée, comment tenter de représenter la Shoah ? » , Les cahiers de la Shoah, 7, 2003, p. 145. 8. Anne Grynberg, art. cit., p. 146. 9. Anne Grynberg, art. cit., pp. 112-113, 115. 10. D’après le Trésor de la Langue Française, un martyr est en premier lieu une personne à qui on a infligé des supplices et/ou la mort parce qu’elle a refusé d’abjurer sa foi (du grec « témoin »), d’où étymologiquement : « témoin de Dieu, martyr ». 11. Sarah Gensburger le souligne, Mordechaï Shenhabi, qui est « l’artisan » de Yad Vashem, souhaite que « l’attitude de ces Gentils par essence minoritaires accentue la culpabilité de la collectivité à laquelle ils appartiennent ». In : Sarah Gensburger, « La création du titre de Juste parmi les Nations : 1953-1963 », Bulletin du CRFJ, 15, 2004, p. 16. 12. Tom Segev, op. cit., p. 492. 13. Léon Poliakov, Histoire de l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 275. 14. Ibid., p. 325 15. Porrajmos signifie le génocide des Tsiganes sous le IIIe Reich. « Le Porrajmos n’est pas la première, mais la seconde tentative de destruction des Tsiganes en tant que peuple, après l’ordre d’extermination donné sous Charles VI en 1721. » Ian Hancock, « Actualité du Porrajmos », in : Philippe Mesnard, Consciences de la Shoah, Paris, Kimé, 2000, p. 225. 16. David Silberklang est rédacteur en chef de la revue Yad Vashem Studies. « We included other victims of the Nazis, not as part of the Holocaust but as part of the Nazi system and the things they did, just as we included the things the Nazis did in general. The focus is not only what they did to the Jews but the general discussion about Nazi ideology. […] They wanted to destroy the Jewish world, not the Gypsy one. […] It’s clear that they were persecuted and in some

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places there was no distinction at all, but there was not a uniform policy like for the Jews. They killed the Gypsies when they found them, but it is not the same. » Entretien réalisé à Yad Vashem le 08.09.2005. 17. Cf. : Rajko Djuric, Ohne Heim–Ohne Grab. Die Geschichte der Roma und Sinti, Berlin, Aufbau-Verlag, 1996. 18. Respectivement, l’interné matricule ‘JBV 190392’ est un « triangle violet », c’est-à- dire un témoin de Jéhovah déporté à Auschwitz ; le matricule ‘BV 4071’, Sando Franz, Tsigane déporté à Sachsenhausen ; le matricule ‘Z 63598’ une jeune femme tsigane, déportée à Auschwitz. 19. Magnus Hirschfeld fut, en 1897, le cofondateur du Comité scientifique humanitaire (WhK) – première organisation homosexuelle au monde. 20. Saül Friedländer, Nazi and the Jews, New York, Harper Perennial, 1998, pp. 113-115, 202-207. 21. Cf. : Gad Beck, An Underground Life : Memoirs of a Gay in Nazi Berlin, Madison, Wisconsin University Press, 1999 et Beck Gad, Und Gad Ging zu David : Die Erinnerungen des Gad Beck, Berlin, dtv, 1997. 22. Andreas Sternweiler, « Er hatte doppelt so schwer zu leiden… », in : Joachim Müller et Andreas Sternweiler, Homosexuelle Männer im KZ-Sachsenhausen, Berlin, Verlag Rosa Winkel, 2000. 23. C’est dans la treizième section de la seconde partie du code pénal allemand, relative aux délits et crimes sexuels, que se trouvait le § 175 (définitivement abrogé en 1994). Le § 175 condamnait pénalement toute relation sexuelle, ou tout acte luxurieux, entre deux personnes de sexe masculin. En outre, dans sa version de 1935, le § 175a condamnait tout homme ayant commis ou ayant l’intention de commettre un acte luxurieux avec un autre homme à une peine de 3 mois à 10 ans d’emprisonnement ou de bagne. 24. « Strafschärfend fiel ins Gewicht, dass Meyersohn als Jude mit einem Arier widernatürliche Unzucht begangen und damit das rassische Empfinden des deutschen Volkes auf das gröblichste verletzt hat. » Cf. : Sternweiler, op. cit., p. 172. 25. Sternweiler, p. 176. 26. « Einer meiner Mithäftlinge […] war zudem noch Jude. Unter dem Rosa Winkel trug er noch den gelben, und zwar so, dass beide Winkel einen Davidstern bildeten ». In : Sternweiler, p. 176; cf. Heinz HEGER, Die Männer mit dem rosa Winkel, Hamburg, Merlin, 1979. 27. LGBT : acronyme de Lesbien, Gay, Bi-, Trans-. 28. Ohel Yizkor, la tente ou le tabernacle du Souvenir : « Dans cette salle se tiennent les cérémonies officielles, sont les visites des chefs d’États étrangers, comme auprès de la tombe du soldat inconnu dans d’autres pays. […] Le mot tabernacle est emprunté à la structure construite par Moïse dans le désert pour abriter l’Arche d’Alliance […] Mais le tabernacle du Souvenir n’est pas une synagogue et les hommes n’y sont pas séparés des femmes. », in : Tom Segev, 1993, p. 494. 29. Le Kach est un groupe nationaliste radical fondé au début des années 1980. Il milite pour la restauration de l’État biblique d’Israël. En mars 1994, il est déclaré mouvement terroriste par le gouvernement israélien. Depuis, le Kach est un mouvement illégal et interdit. 30. Je m’appuie sur les propos d’Amit Kama, membre de l’Agudah, témoin des faits. Entretien réalisé le 11.09.2005 à Tel-Aviv. 31. « Yad Vashem slams both gays, protestor over memorial fracas », Jerusalem Post, p. 3, 01.06.1994.

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32. La Halachah est le droit religieux juif. 33. « Defending Yad Vashem decision to allow the service, he was quoted as saying that the gays would have petitioned the High Court and been permitted to hold the service even if authorities had tried to stop them. » 34. Alison Kaplan Sommer, « Young gays break chains of isolation », et « Full Month of Gay Pride », Jerusalem Post, B4, 03.06.1994. 35. Macy Gordon, « Gay’ Jews who are proud of sin », Jerusalem Post, A5, 03.06.1994. 36. Dans le texte : « Among those communists were Jews who had earlier betrayed and imprisoned fellow-Jews, […] these people were a threat to the future of Judaism and its values no less than the homosexuals. » 37. Yael Dayan, « Where the Nazis right to kill the homosexuals, but criminal to kill Jews? », Jerusalem Post, A5, 03.06.1994. 38. « Anyone who didn’t condemn those who tried to stifle the gays at Yad Vashem is feeding the monster that lurks among us ». 39. « Where the Nazis right to kill the homosexuals, but criminal to kill Jews? » 40. Cf. Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des victimes, Paris, La Découverte/Poche, 2002, p. 139. 41. Cf par ex. Georges Bensoussan, « Histoire, mémoire et commémoration. Vers une religion civile », Le Débat, n° 82, nov.-déc. 1994.

AUTEUR

RÉGIS SCHLAGDENHAUFFEN-MAIKA Régis Schlagdenhauffen est doctorant en sociologie au Centre Marc-Bloch de Berlin. Son sujet de thèse : La commémoration dans la pierre des groupes de victimes du nazisme (Juifs, Tsiganes et homosexuels) : vecteur d’actualisation des identités collectives. Il est notamment l’auteur de La Bibliothèque Vide et le Mémorial de l’Holocauste de Berlin : lieux de mémoire pour construire l’Histoire, Paris, L’Harmattan « Allemagne d’hier et d’aujourd’hui », 2005, 176 p. [email protected]

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Les diasporas : retour sur un concept*

Lisa Anteby-Yemini et William Berthomière

1 Il est des mots qui sont utilisés à tort et à travers. Diaspora est l’un de ces mots. Surchargé de sens aussi bien que vidé de son sens, on parle aujourd’hui de « diasporas culturelles » (Cohen), de « diasporas de la peur » (Appadurai), de diasporas « virtuelles », etc. L’ouvrage Les Diasporas : 2000 ans d’histoire poursuit donc le but d’exercer la critique sur le concept de diaspora en explorant les multiples facettes qu’il offre à la recherche, comme le souligne cette brève approche épistémologique.

2 Le terme de diaspora plonge ses racines dans la langue grecque et repose sur la transcription du mot hébreu, galout. Construit sur le verbe speiro (semer) et le préfixe dia (au-delà) du grec ancien, le terme réfère aux notions de migration et de colonisation. En hébreu, « initialement, le terme hébreu fait référence à l’implantation de populations juives en dehors de la Palestine après l’exil babylonien et a acquis progressivement un sens plus large en décrivant des populations installées en dehors de leurs terres ancestrales » (Shuval, 2003). 3 Dans les sciences sociales, l’usage du terme de diaspora est récent. Avant les années 1980, seules quelques mentions du terme sont repérables. Selon Judith Shuval (2003), cette absence du terme provient du fait « qu’avant les années soixante, les groupes immigrés devaient perdre leur identité ethnique et s’assimiler aux normes locales. Les groupes qui ne semblaient pas adopter ce modèle se voyaient refuser le droit d’entrée comme les Chinois au Canada, les "non-Whites" en Australie ». Au cours des années soixante-dix et quatre-vingt, lorsque la théorie de l’assimilation et celles reposant sur la notion d’intégration ont montré leur faillibilité, le recours à la notion de diaspora s’est fait de plus en plus fréquent pour décrire des groupes migrants caractérisés par une identité ethnique et un sentiment communautaire fort (Bruneau, 1995 ; Shuval, 2003). La notion est cependant très rapidement remise en cause par des chercheurs comme Alain Médam (1993) ou James Clifford (1994) qui expriment leur désintérêt pour ce concept car il n’est en fait utilisé que pour décrire « des phénomènes migratoires caractérisés par la dispersion de populations originaires d’un espace national dans

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plusieurs pays récepteurs » (Dorai et al., 1998). Le désintérêt de ces auteurs a ainsi souligné en creux le souhait d’un effort de théorisation. 4 La question principale posée à la recherche académique était de comprendre en quoi la notion de diaspora revêtait une spécificité qui nécessitait son utilisation plutôt que celle d’autres concepts des sciences sociales. Pour caractériser ce temps de la recherche, le questionnement d’alors pourrait se résumer ainsi : existe-t-il un « di[a]spositif », une organisation spatiale et sociale si spécifique qu’elle caractériserait et différencierait les groupes migrants décrits sous le nom de diaspora, d’autres dispositifs migrants que la structure spatiale et sociale tend pourtant à rapprocher. I. Un besoin de théorisation 5 Le premier effort de théorisation a été réalisé, selon Gabriel Sheffer, dans l’article de J. A. Amstrong au sujet des « Mobilized and proletarian diasporas » publié dans The American Political Sciences Review en 1976 (Dorai et al., 1998). Gabriel Sheffer, lui-même, souligne, dans son livre Modern Diasporas in International Politics (édité en 1986), l’erreur qui consistait à réserver le concept de diaspora au seul groupe juif : d’une part, d’autres groupes « diasporiques » ont existé avant, comme les Nabatéens, Phéniciens ou Assyriens, d’autre part des similitudes existaient entre la diaspora juive et les groupes grecs et chinois qui apparaissent en Europe dans la deuxième moitié du siècle de XIXe siècle. Il propose trois premiers critères pour une définition : 1. le maintien et le développement d’une identité collective propre au sein du groupe « diasporisé » ; 2. l’existence d’une organisation interne distincte de celles existant dans le pays d’origine et dans le « pays d’accueil » ; 3. la présence de liens forts avec la « terre d’origine » (homeland) : contacts réels (par exemple l’existence de remises) ou symboliques comme dans le vœu répété : « L’an prochain à Jérusalem. » 6 Plus récemment, Robin Cohen (1997a) dans son ouvrage Global diasporas : an Introduction a poursuivi la critique sur le manque de théorisation manifeste dans les publications sur les diasporas. Il suggère que le « modèle archétypal juif » peut constituer le socle de la réflexion même s’il peut ne pas être obligatoirement un modèle transposable. William Safran, un des premiers auteurs à publier un article théorique dans la revue nord-américaine Diaspora, éditée par Kachig Tölölyan, suggère à son tour que le terme de diaspora pourrait être considéré comme une « désignation métaphorique » applicable à diverses populations (expatriés, réfugiés politiques…). Dans ses essais (en 1991 et 1999), Safran définit les diasporas comme des communautés de minorités expatriées : 1. qui sont dispersées depuis un centre originel vers au moins deux espaces « périphériques » ; 2. qui maintiennent une « mémoire » même mythique de la « terre d’origine » (homeland) ; 3. qui ressentent qu’elles ne sont pas – et peut-être ne peuvent pas – être totalement acceptées dans leur pays d’accueil ; 4. qui voient dans leur terre ancestrale un lieu de retour au moment opportun ; 5. qui sont engagées dans le maintien ou la restauration de la « terre d’origine » (homeland), et ; 6. pour lesquelles la conscience et la solidarité du groupe sont fortement définies par les liens continus avec la « terre d’origine » (homeland). 7 Ainsi, pendant les années quatre-vingt-dix, plusieurs typologies ont été avancées pour comprendre et décrire les diasporas. Pour Alain Medam (1993), la typologie doit

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reposer sur le degré d’homogénéité (cohesiveness) et le dynamisme de l’organisation diasporique. Dans cette perspective, Medam distingue les « diasporas cristallisées » et les « diasporas fluides ». Pour ce dernier type, il présente quelques cas de diasporas caractérisées par l’efficience de leur structuration en réseaux transnationaux (par exemple, la diaspora chinoise). Pour un autre spécialiste de cette question, Michel Bruneau (1995), la typologie doit être basée sur le type d’organisation diasporique. Trois types principaux sont alors définis autour de pôles structurants : l’entreprenariat comme avec les diasporas chinoise ou libanaise, le religieux avec les exemples juifs et grecs et le politique pour les Palestiniens et les Tibétains.

8 En mentionnant les Palestiniens et les Tibétains, les auteurs, comme Michel Bruneau ou Gabriel Sheffer, ont clairement introduit la dimension politique, qui était jusqu’alors sous valorisée dans la littérature de diaspora. Sept ans après la publication de son premier ouvrage sur le thème, Gabriel Sheffer (en 1993) propose alors d’opérer une distinction entre les diasporas : sans État, désignées sous le nom de stateless diaspora (comme les Palestiniens) et celles avec un État d’origine, définies en tant que state-based diaspora. Cette typologie a eu l’avantage de proposer une caractérisation des formes d’organisation sociale, mais aussi de considérer leur fluidité au fil de l’histoire des groupes ethniques considérés. C’est ce qui se passe dans le cas des Juifs qui ont été successivement state-based, puis stateless et depuis 1948, à nouveau state-based. Robin Cohen (1997a), en réponse à ce point de vue « territorialiste », a proposé une typologie reposant sur quelques observations empiriques avec cinq types : 1. les diasporas de victimes (ex. les populations africaine et arménienne) ; 2. les diasporas de main-d’œuvre (ex. indienne) ; 3. les diasporas impériales (ex. britannique) ; 4. les diasporas marchandes (ex. chinoise ou libanaise) ; 5. et les diasporas culturelles avec le cas caraïbéen. 9 Ce dernier type de diaspora – la diaspora culturelle –, construit sur le cas caraïbéen, a connu une très forte expansion au cours des deux dernières décennies. La productivité qu’a suscitée cette forme diasporique provient du fait que les artisans de son développement ont été – et sont encore – des intellectuels et auteurs de renom de la Caraïbe. Le « discours » de diaspora dans cette dimension culturelle puise notamment sa source dans la littérature philosophique. Il e a offert une large place à la notion d’hybridité employée par les auteurs post-modernistes pour signifier l’ouverture à une nouvelle lecture des dynamiques sociales sous l’angle du métissage et de la créolisation. Le cas de la Caraïbe française est, en cela, fort éclairant avec l’intégration de la notion de rhizome (forgée par Deleuze et Guattari, 1980) dans les travaux d’Edouard Glissant (Chivallon, 1997). Toujours dans ce champ d’analyses, un pas supplémentaire dans la réflexion a été réalisé avec le travail de James Clifford (1994) en termes de « traveling cultures » et avec la valeur ajoutée qu’a pu être le débat suscité autour de la publication de The Black Atlantic par Paul Gilroy (1993). En effet ces auteurs, ainsi que Homi Bhabha, Stuart Hall ou Arjun Appadurai, ajoutent une dimension plus métaphorique au terme de diaspora qui semble devenir synonyme pour eux des déracinements de la condition post-moderne et post-coloniale. Robin Cohen (1997a) a résumé cette période de recherche en soulignant que les « diasporas are positioned somewhere between “nations- states” and “traveling cultures” in that they involve dwelling in a nation-state in a physical sense, but traveling in an astral or spiritual sense that falls outside the nation-state’s space / time zone ».

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10 La recherche sur le thème se place donc dans un double mouvement où s’opèrent à la fois l’ouverture d’un champ culturel, qui offre de nouvelles perspectives d’investigations, et un resserrement autour de la relation au politique dans la dialectique « diaspora versus État-nation ». Dans ce double mouvement, la notion d’État-nation se résume alors, ainsi que l’a souligné Paul Gilroy (1994), comme une notion politique qui clôt la dispersion puisqu’elle sous-entend in fine, d’un côté l’assimilation, de l’autre, le retour. Plus globalement, ces efforts de conceptualisation ont permis de donner une consistance scientifique au concept de diaspora même si les difficultés rencontrées dans sa délimitation ont pu aboutir à un recouvrement des notions proposées et mobilisées pour sa définition, vraisemblablement dû à l’émergence d’un discours théorique sur la globalisation. II. L’inclusion du concept de diaspora dans les discours sur la globalisation et le transnationalisme 11 Les recherches menées au cours des années quatre-vingt-dix ont vu émerger les notions d’espace transnational, de communauté transnationale et de nation unbound dans la publication pionnière de Basch, Glick-Schiller et Szanton Blanc (1994). Par cette contribution, ces trois chercheurs ont su synthétiser la convergence d’un faisceau de problématiques où les diasporas contemporaines sont alors perçues comme des « nations sans frontières » (nations unbound) qui recomposent le rapport au territoire. Établi en rupture avec une approche « classique » où l’État-nation est défini dans les termes d’un peuple partageant une culture commune au sein d’un territoire aux limites finies (bounded territory), ce nouveau mode de penser le territoire (E. Ma Mung, 1997) et l’État-Nation définit une citoyenneté intégrant « ceux qui vivent physiquement dispersés à l’intérieur des frontières de nombreux autres États mais qui participent socialement, politiquement, culturellement et souvent économiquement à l’État-nation de leurs origines » (Basch et al., 1994). Cette avancée dans la réflexion n’a pas été sans créer une certaine confusion. Selon James Clifford (1994), cette dernière provient vraisemblablement « du désordre de termes descriptifs et interprétatifs qui se bousculent et convergent pour caractériser la zone de contacts entre nation, culture et région ».

12 Dans le groupe des « spécialistes » des diasporas, la difficulté d’entreprendre l’articulation du lexique mobilisé s’est fait ressentir notamment dans la « zone de contacts » entre diaspora et communauté transnationale. Dans les chapitres de conclusion des deux ouvrages de référence sur les diasporas publiés à la fin des années quatre-vingt-dix – Global Diasporas (Cohen, 1997) et New Diasporas (Van Hear, 1998) –, la notion de diaspora est inévitablement mêlée à celle de transnationalisme dans le contexte de la globalisation. Dans un article récent intitulé Transnationalism, Globalization and Diasporas, Paul Kennedy et Victor Roudometof (2001) ont souligné que, malgré les importantes contributions opérées sur le thème au cours de la dernière décennie, la théorisation de « l’expérience transnationale » (et de ses liens avec la globalisation) reste inachevée. Même si tous les efforts fournis jusqu’à aujourd’hui composent l’infrastructure nécessaire à l’édification théorique de ces notions, il n’en demeure pas moins quelques difficultés de conceptualisation. Les diasporas conservent en effet l’image d’une forme sociale particulière nécessitant un espace propre de théorisation et, dans le même temps, la notion est progressivement décrite comme une « particularité » inscrite dans une forme sociale mondialisée que recouvrerait la notion de communauté transnationale. Ce constat confirme le défi théorique que comporte

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toute tentative visant à différencier les diasporas des communautés transnationales. Une hypothèse pourrait être qu’il n’y a aucune réelle différence entre les deux formes sociales comme pourrait le laisser penser Kachig Tölölyan lorsqu’il souligne que « les diasporas sont les communautés modèles du moment transnational » (Shuval, 2003) ou qu’il crée, dès 1991, une revue nommée Diaspora… A journal of transnational studies. 13 Afin de clarifier ces recouvrements, un effort de définition a été fait par Nicholas Van Hear (1998) en suggérant que les diasporas se définissent sur trois critères minimaux : 1. « la dispersion de la population depuis la terre d’origine dans deux ou plusieurs territoires ; 2. la persistance de la présence à l’étranger bien que l’exil ne soit pas nécessairement permanent puisque des mouvements entre la terre d’origine et de nouveaux pays de résidence peuvent se développer ; 3. l’existence d’échanges – sociaux, économiques, politiques ou culturels – entre et parmi les populations spatialement séparées composant la diaspora ». 14 Parallèlement, il suggère que la notion de communauté transnationale est « une notion plus inclusive qui englobe les diasporas mais aussi les populations qui sont contiguës – plutôt que dispersées – et qui ne franchissent qu’une seule frontière ». Nicholas Van Hear soulève également la question qui est de savoir si « la formation de communautés transnationales et de diasporas est inévitablement concomitante de la migration ? » Plus globalement, la lecture de sa contribution est un soutien supplémentaire à l’idée que ces deux notions peuvent être considérées comme de simples descripteurs permettant l’analyse des questions d’identité et d’appartenance qui sont fortement convoquées dans ces travaux de recherche. Le récent manuel universitaire Global Sociology (2000), publié par Robin Cohen et Paul Kennedy, a confirmé ce sentiment. Dans cet ouvrage, le chapitre sur l’identité et l’appartenance comporte un sous-chapitre consacré au transnationalisme décrit à travers trois exemples : 1) la ville cosmopolite, 2) les diasporas, 3) diaspora et global business. Tout ceci contribue à éveiller l’attention des chercheurs sur le risque que comportent les inclusions multiples de la notion de diaspora (Cohen, 1997b).

15 Au final, tous ces éléments tendent à reléguer la notion de diaspora aux « migrants historiques », à conférer une valeur cardinale à la question du temps – comme Richard Marienstras (1989) et Alain Medam (1993) ont pu le proposer –, et à préférer la notion de communautés transnationales pour décrire des groupes migrants contemporains présentant une organisation multipolaire. Ce constat n’est cependant pas véritablement satisfaisant pas plus que les propositions faisant des diasporas une notion relevant « spécifiquement d’un mouvement – forcé ou volontaire – de personnes depuis un ou plusieurs États-nations et du transnationalisme, « un phénomène qui serait plus englobant, fait de forces impersonnelles, principalement la globalisation et le capitalisme global » (Braziel, 2003). Une fois encore, il convient de signaler toute la difficulté que représente le souhait de couvrir avec une seule notion une pluralité de réalités humaines où la « conscience diasporique » garde une place cardinale. Comme l’a souligné James Clifford (1997), les différentes tentatives visant à offrir des définitions sont constructives, mais elles affrontent inévitablement la difficulté qu’est l’inscription des recherches dans un « idéal-type de diaspora ». 16 Dans cette « période de confusion », trois points méthodologiques peuvent être proposés pour explorer au mieux la diversité des questionnements offerts par les diasporas. En premier lieu, il convient de rappeler qu’il est primordial de séparer ce qui relève du percept et du concept. En second lieu, et toujours pour dépasser le singulier,

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il est nécessaire d’élaborer une réelle infrastructure théorique (caractéristiques des groupes diasporiques, de leurs terres d’origine, des pays de résidence, etc. ) comme a pu le proposer Judith Shuval (2003). Et en dernier lieu, poursuivant les propositions de Nicholas Van Hear, il peut être utile, pour qui veut explorer le concept de diaspora, de s’attacher à répondre à une question : comment comprendre et caractériser le passage de groupe migrant à diaspora ? Cette perspective est d’autant plus stimulante qu’elle fait émerger des questionnements fondamentaux dans l’étude des diasporas que sont l’allégeance, l’engagement, la confiance, la solidarité ethnique ou la co-responsabilité morale (Werbner, 2005) et permet de mettre en évidence les spécificités des formes sociales observées. Afin de mettre en avant cette lecture de ce que, par métaphore, nous nommons di[a]spositif, il convient de suivre les propositions pionnières faites par Gabriel Sheffer (2003a et b) en la matière.

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NOTES

*. Ce texte est une version modifiée du texte « Di[a]spositif, décrire et comprendre les diasporas » publié dans l’ouvrage Les Diasporas : 2000 ans d’histoire édité par Lisa Anteby- Yemini, William Berthomière, Gabriel Sheffer, Rennes : PUR, 2005. Cet ouvrage a été édité avec le soutien du CRFJ en coopération avec Migrinter (CNRS-Poitiers).

AUTEURS

LISA ANTEBY-YEMINI Lisa Anteby-Yemini, anthropologue, est chargée de recherche à l’Institut d’ethnologie méditerranenne et comparative (CNRS) à Aix-en-Provence. Elle a publié en 2004 Les Juifs éthiopiens en Israël : les paradoxes du paradis (Éditions du CNRS) et a co-dirigé en 2005 Les Diasporas : 2000 ans d’histoire (Presses universitaires de Rennes). Elle mène des recherches sur les migrations juives et non juives en Israël et plus largement sur les problématiques liées a la citoyenneté, l’ethnicité, le transnationalisme et les

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phénomènes diasporiques. [email protected]

WILLIAM BERTHOMIÈRE William Berthomière est chargé de recherche au CNRS, au laboratoire Migrations internationales, territorialités, identités (Poitiers, France). Après un doctorat en géographie sociale sur les effets sur la société israélienne de la migration des Juifs soviétiques en Israël après 1989, ses activités de recherches se sont centrées sur le système migratoire israélien dans le contexte de la globalisation. Il s’attache également aux études consacrées aux diasporas ; il a coordonné avec Lisa Anteby-Yemini et Gabi Sheffer Les Diasporas : 2000 ans d’histoire, 2005. [email protected]

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Éléments de réflexion sur le rapport des Bédouines du Néguev au politique Entre marginalisation politique et mobilisation sociale

Élisabeth Marteu

1 Les quelque 130 000 Bédouins vivant actuellement dans le Néguev représentent 13 % des citoyens arabes d’Israël, qui constituent eux-mêmes 20 % de la population totale israélienne. Cette minorité, bien que de nationalité arabe1 et de confession musulmane sunnite, n’en continue pas moins de clamer sa spécificité. Si la référence à une identité palestinienne fait aujourd’hui l’unanimité chez les citoyens arabes d’Israël, les Bédouins revendiquent une histoire et une culture propres, celles des Bedu, habitants du désert (baadia), distingués et distinguables des citadins et des autres groupes de paysans de la région. Les transformations sociales et politiques qui ont affecté le Néguev depuis la fin du XIXe siècle, sous l’effet des réorganisations administratives opérées par les autorités successives, ont bouleversé l’organisation interne de la communauté bédouine. L’Empire ottoman, les autorités britanniques et enfin l’État israélien ont chacun à leur tour remodelé la société bédouine, son mode de fonctionnement tribal et par là sa gestion politique. Ces transformations sociales – que nous développerons plus loin – ont affecté par ailleurs les rapports de genre et le rapport des femmes à la politique. Puisque la politique, en tant que mode de régulation des conflits et de gestion des affaires publiques, a changé de nature, la participation et les modes d’expression des femmes ont eux aussi évolué. Il ne suffit plus de dire que les femmes bédouines sont marginalisées d’une sphère politique exclusivement dominée par les hommes, il importe à présent de s’interroger sur l’apparente pérennité d’une telle marginalisation et les formes alternatives de mobilisation sociale et politique.

2 L’organisation sociopolitique de la population bédouine du Néguev n’est pas figée et nombre d’études ont insisté sur la reconfiguration du système tribal2 et des rapports de genre3. Amorcée dès le XIXe siècle, l’évolution de la communauté bédouine a été marquée par l’arrivée de groupes paysans (fellahin), venus des régions rurales sédentarisées de Palestine qui se sont affiliés aux pasteurs bédouins en louant et en

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exploitant leurs terres. Liés par un devoir de solidarité et d’entraide mutuelle, Bédouins et paysans ont constitué ce qu’on appelait une tribu qui comprenait en outre des familles d’anciens esclaves soudanais (‘abid). La tribu était donc composée de ces trois populations qui fonctionnaient en étroite relation mais ne pratiquaient rarement, ou jamais, d’échanges matrimoniaux4. En effet, les Bédouins considérés comme nobles ne mariaient pas leurs filles aux groupes inférieurs tandis qu’à l’inverse les filles de fellahin pouvaient épouser des Bédouins. Cette logique, qui prévaut encore aujourd’hui, a pourtant connu de nombreuses exceptions et n’a cessé d’être remodelé selon les contextes spatiotemporels. Néanmoins, son évocation par les intéressés comme d’une « tradition bédouine » n’en révèle que davantage son enjeu culturel et l’importance de faire référence à une identité bédouine commune prétendument inchangée et inchangeable. 3 La tribu elle-même, en tant que référent social et politique, a subi des modifications sous l’effet de mesures administratives prises par les Ottomans, les Britanniques puis les Israéliens5. Sous l’autorité de la Sublime Porte, l’unité politique bédouine est la gabila, confédération de tribus dirigée par un petit nombre de sheikhs. En 1903, la ville de Beersheva devient un centre administratif. À cette époque, les Bédouins vivent déjà d’agro-pastoralisme. En 1906, les Turcs décident de figer les frontières de sept confédérations tribales et d’amorcer ainsi leur sédentarisation. 4 Leur territorialisation sera poursuivie par les Britanniques qui donnent davantage de sens politique à la ‘ashira – unité tribale plus restreinte. Le nombre de sheikhs est multiplié tandis que ces derniers sont chargés de collecter les impôts pour les Britanniques. Le processus d’atomisation de la structure tribale se poursuit alors que la tribu britannique devient une unité administrative. Dans les années 1930, déjà près de 90 % des Bédouins pratiquent l’agriculture, ce qui participe d’une parcellisation des terres et d’une privatisation des ressources6. Les tribus bédouines commencent alors progressivement à perdre de leur pertinence politique. 5 Le processus sera à la fois renforcé et remodelé par les Israéliens. Suite à la guerre de 1948, la plupart des Bédouins sont expulsés7. Ceux qui restent sont réunis de force dans un périmètre plus restreint au nord est de Beersheva (sayigh), zone ne représentant plus que 10 % de la surface précédemment occupée. Les Bédouins obtiennent la citoyenneté israélienne dans les années 1950 – Loi sur la citoyenneté de 1952. L’appartenance tribale est bouleversée tandis que les autorités israéliennes imposent aux Bédouins de s’enregistrer comme ressortissants de l’une des 19 tribus officiellement reconnues8. Les 19 chefs tribaux (sheikhs) sont alors choisis et appointés par Israël, parfois en dépit des logiques de pouvoir qui pouvaient prévaloir jusque-là9. Les sheikhs obtiennent alors un pouvoir considérable en devenant les intermédiaires directs entre la population et les autorités israéliennes. Les relations d’autorité sont donc contrariées et remodelées dans l’urgence. La territorialisation de même que l’organisation sociale des Bédouins est figée, tandis qu’ils sont soumis aux lois militaires jusqu’en 1966. De la même manière que sur les zones arabes de Galilée et du Triangle, les Bédouins sont placés sous l’autorité d’un gouvernement militaire qui contrôle leurs déplacements, leur expression politique et leur mode d’organisation10. 6 À la fin des années 1960, Israël va changer sa politique à l’égard des Bédouins et décider de les urbaniser en les logeant dans des villes et villages planifiés. Ces localités se construisent, le plus souvent sans consultation populaire préalable, en ayant pour objectif de rassembler les Bédouins dans des ensembles urbains et d’éviter ainsi leur

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éparpillement dans le Néguev11. Sept localités ont été créées depuis 1966, qui rassemblent aujourd’hui plus de la moitié de la population bédouine du Néguev12. L’autre moitié réside dans des villages dits non reconnus, dont les terres autrefois coutumièrement possédées par les Bédouins ont été nationalisées par l’État dans les années cinquante13. Des différences considérables se sont alors creusées entre urbains, semi-urbains et ruraux, ces derniers ne bénéficiant ni d’infrastructures ni de services publics. Dans les localités planifiées, la gestion est, quant à elle, confiée à une autorité locale appointée par le ministère de l’Intérieur. Il faudra attendre les années 1990 pour voir s’organiser les premières élections libres de conseils locaux bédouins. L’urbanisation et les changements socioéconomiques apparus dans les années 1960 font éclater les tribus israéliennes qui perdent leur pertinence politique autant que leur légitimité administrative. Aujourd’hui, la référence à l’appartenance tribale n’a pas complètement disparue, mais elle est davantage utilisée pour rappeler occasionnellement l’origine familiale et surtout territoriale d’un lignage. 7 L’organisation sociopolitique bédouine a donc connu de profonds bouleversements depuis la fin du XIXe siècle. En devenant citoyens israéliens, les Bédouins sont entrés dans une nouvelle aire de reconfiguration qui aura mené à la désintégration de leur système tribal. Pourtant, dans cette analyse, il reste bien un point qui, lui, n’a apparemment pas changé : la marginalisation des femmes du pouvoir politique et des affaires publiques. La pérennité n’est pourtant qu’apparente, car en réalité les mécanismes même de cette discrimination ont changé. En effet, puisque la société bédouine a connu des transformations sociales et politiques, alors le rapport des femmes à la sphère publique a lui aussi changé. Qu’il s’agisse de la période pré israélienne, du gouvernement militaire ou du processus d’urbanisation, les femmes ont apparemment toujours été évincées du jeu politique. Néanmoins, les mécanismes et les enjeux de cette discrimination ont, quant à eux, connu des changements successifs. I. Pouvoir et politique 8 Il convient tout d’abord de préciser la terminologie employée dans cette étude et de marquer ainsi une différence entre « pouvoir » et « politique ». S’intéresser aux modes d’expression et de mobilisation politique ne revient pas à analyser le concept de pouvoir. Sur cette question, les travaux de Lila Abu Lughod (1988, 1990) Cynthia Nelson (1973) et Gillian Lewando Hundt (1978) ont déjà longuement insisté sur les modalités du pouvoir exercé par les femmes bédouines au Proche-Orient14. Lila Abu Lughod, qui a étudié la signification sociale et politique des poèmes récités par les membres de la tribu égyptienne des Awlad ‘Ali, s’est attachée à démontrer les formes de résistance employées par les femmes contre la domination masculine. Elle parle ainsi des poèmes, parfois subversifs, mais aussi de l’attitude même des jeunes filles qui, par leurs modes vestimentaires et leur refus des mariages forcés, prouvent qu’elles peuvent exercer du pouvoir. Cynthia Nelson a, quant à elle, théorisé la place des femmes dans le mode de vie semi-nomade désertique. Elle démontre ainsi que les femmes exercent du pouvoir en maîtrisant le Harem, notamment en y critiquant librement les hommes, et en contrôlant les tractations matrimoniales. Ce sont en effet les femmes, surtout les plus vieilles, qui arrangent les unions et exercent une autorité sur leurs cadettes. Quant à Gillian Lewando Hundt, qui a étudié la position des femmes dans les villes planifiées bédouines du Néguev, elle montre comment l’urbanisation a changé les normes sociales en enfermant les femmes dans la cellule familiale, mais comment cette réclusion leur a par ailleurs permis de dominer leur espace et de s’autonomiser des hommes.

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9 Toutes ces études abordent donc bien la question du « pouvoir » mais non pas celle du « politique ». Par ailleurs, le pouvoir exercé par les femmes, aussi influent soit il, reste confiné à la sphère privée et féminine. Les femmes n’ont pas, ou peu, d’influence sur les affaires publiques. Ceci valait en situation semi nomade où le shigg (espace des hommes) restait le lieu des débats et des arrangements politiques, et cela prévaut encore aujourd’hui où les partis politiques comme les instances élues sont exclusivement masculines. Effectivement, les femmes pouvaient circuler plus facilement entre les sphères et donc s’informer des questions débattues. Aujourd’hui aussi, les couples discutent de politique et des secrétaires travaillent dans les mairies. Est-ce à dire que les femmes, du fait de leur connaissance de la chose politique, exercent une forme de pouvoir politique ? Non. Que les Bédouines aient toujours été au courant de ce qu’il se tramait autour d’elle, c’est une évidence, mais il serait exagéré d’affirmer qu’elles détiennent du pouvoir politique sous le seul prétexte qu’elles détiennent les informations. Il ne suffit pas de savoir, il faut aussi agir pour exercer un pouvoir politique, quand bien même il ne serait qu’informel. Or, les femmes bédouines, même en influençant certaines questions sociales – les mariages en sont la preuve – ne sont pas autonomes dans l’exercice de cette compétence. Par ailleurs, il faut distinguer compétence et implication politique15. Concernant l’implication politique, elle est visiblement restreinte, si ce n’est inexistante. Quant à la compétence politique, il n’est pas certain que les Bédouines aient dans leur ensemble une compétence adaptée au jeu politique tel qu’il est contrôlé et codifié par les hommes aujourd’hui. 10 Par conséquent, les femmes ont peu accès à la politique publique en tant que scène de régulation des conflits et de gestion des affaires du groupe. Néanmoins, elles sont politiquement socialisées dans l’espace privé et font de la « politique privée » en agissant sur l’organisation tribale et aujourd’hui familiale. En revanche, concernant un autre aspect du concept de politique, qui correspond, quant à lui, aux modes de collectivisation d’une question sociale portée en intérêt public, la mobilisation des femmes est un phénomène plus récent. En effet, c’est grâce aux associations de femmes et notamment aux réseaux féministes nationaux et internationaux que certaines Bédouines ont donné une dimension publique à des thèmes sociaux et ont commencé à jouer le jeu de la négociation politique avec des instances nationales (Knesset) mais aussi internationales (ONU et bailleurs de fonds). Là réside la nouveauté de ces dix dernières années : l’accès des femmes bédouines à la sphère publique israélienne et transnationale en utilisant des outils politiques en dehors des sphères conventionnelles verrouillées par les groupes dominants16. II. Genre et mode de vie semi-nomade : à la recherche du politique 11 En interrogeant les Bédouines du Néguev sur la situation des femmes avant la création d’Israël en 1948, on obtient deux types de réponses : les plus vieilles décrivent la difficulté du mode de vie semi-nomade, leur participation aux tâches agropastorales, et leur éviction des questions politiques ; les plus jeunes louent l’âge d’or de la vie bédouine, les valeurs de solidarité et de complémentarité entre hommes et femmes. Deux visions donc de l’histoire et des rapports entre les sexes. 12 Les aînées n’hésitent pas à insister sur les conditions sociales et économiques particulièrement difficiles, la pâture des troupeaux de chèvres, la collecte de l’eau, la cuisine, la couture et toutes les autres tâches domestiques qui incombaient aux femmes. Elles décrivent le shigg comme une sphère publique et masculine, où les hommes recevaient leurs hôtes et discutaient des affaires du groupe. À la question de

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savoir si elles avaient une quelconque influence politique, elles répondent par la négative. D’abord parce que c’est un domaine réservé aux hommes, essentialisé comme de compétence masculine, ensuite parce qu’elles étaient peu consultées dans la prise de décision. Une pratique vient néanmoins relativiser ce tableau : les femmes proches du sheikh – filles, épouses, sœurs – étaient parfois envoyées pour enquêter, si ce n’est espionner, sur les groupes lignagers alentours et leur situation sociale. En d’autres termes, des femmes étaient chargées d’aller passer quelques jours dans une tribu étrangère pour voir s’il y avait des filles à marier et examiner la situation économique du groupe – proportion du troupeau, propriété et proximité d’un puit, etc. En effet, quand il s’agissait de passer des accords entre lignages, les échanges matrimoniaux étaient un bon moyen de sceller les solidarités et les devoirs mutuels. Ces missionnaires étaient donc une source privilégiée de renseignements qui permettaient ensuite au sheikh de décider de l’intérêt de passer ou non de telles alliances. Les Bédouines, tout du moins certaines proches du chef tribal, servaient donc d’auxiliaires politiques. Néanmoins, quand bien même elles pouvaient orienter volontairement leurs déclarations et conseiller le sheikh dans ses choix, elles ne prenaient pas les décisions. Une fois de plus, les femmes ont un rôle secondaire en arrière-plan, influent peut-être mais non moins dépendant du bon vouloir masculin. Si la vie semi-nomade était caractérisée par une polarisation entre les sexes, à la fois stricte en public et souple dans la famille restreinte, l’expression politique des femmes dans l’espace privé ne suffit pas à cacher leur silence public. 13 Pourtant les plus jeunes ne portent pas un jugement aussi sévère sur leurs aînées. Elles louent le courage des vieilles Bédouines qui vivaient dans des conditions particulièrement rudes et elles soulignent également la complémentarité entre hommes et femmes, ces dernières aidant dans les tâches physiques et travaillant comme de véritables partenaires économiques. Les trentenaires parlent aussi du dialogue qui existait entre hommes et femmes et de la consultation de ces dernières sur toute question propre à la vie du groupe. Il semble que ce soit une vision un peu romantique de la vie semi-nomade en espace désertique où hommes et femmes agiraient de pair, la fraternité et l’entraide étant les maîtres mots de la vie bédouine. En réalité, d’après les récits qui sont faits par les plus vieilles, il existait bien un dialogue entre les membres d’une même famille, mais il n’y avait pas de cogestion et de mixité politique. La période pré-israélienne reste donc caractérisée par une marginalisation politique des femmes et une distinction entre affaires privées et publiques. Ce qui aujourd’hui s’analyse en terme d’espace ou de sphère, représentait déjà à l’époque une polarisation sociale et politique entre hommes et femmes. La structure a certes changé mais la nature patriarcale de la différenciation sexuée subsiste. 14 Par ailleurs, la résolution des conflits en communauté bédouine répond à des pratiques coutumières qui impliquent une solidarité lignagère patrilinéaire. Bien évidemment, il serait bien trop essentialisant de résumer les Bédouins à leurs coutumes, ce serait nier les transformations de leurs pratiques et l’environnement socio-légal dans lequel ils vivent. Néanmoins la question des revanches de sang est caractéristique de l’éviction des femmes des codes de régulation des conflits. En effet, en cas de problème, notamment en cas de meurtre entre des ressortissants de lignages différents, le khams agit en organe politique de règlement du conflit. Le khams rassemble tous les hommes de descendance patrilinéaire réclamant un ancêtre commun sur cinq générations. Tous ces hommes doivent en principe s’entraider et porter une responsabilité collective pour les agissements de chacun. Si un membre du lignage A est tué par un membre du

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lignage B, alors le khams de ce dernier est chargé de payer la dette, haqq al daam (prix du sang) pour résoudre le conflit. Sans entrer dans les détails d’une pratique bien plus complexe qu’il n’y parait, les revanches de sang sont la preuve d’une gestion coutumière de certains conflits et d’une responsabilité exclusivement masculine17. Dans ce système, qui débouche sur le paiement de la dette, la mort ou l’exil du coupable, seuls les hommes sont compétents et légitimes pour négocier. III. Reconfiguration tribale, urbanisation et professionnalisation du politique 15 Précisons, néanmoins, que ces logiques ou ces normes bédouines ont connu de nombreux changements et qu’elles ont été transformées sous l’effet des politiques prises par les puissances qui avaient autorité sur la région. L’une des modifications contemporaines les plus brutales a certainement été provoquée par la création de l’État israélien, qui a entraîné le départ forcé de la majeure partie des Bédouins du Néguev et a transformé les modes de vie de ceux qui sont restés. Ces nouveaux citoyens israéliens ont été soumis à un gouvernement militaire qui s’exerçait sur un territoire réduit. Les modes de gestion politique ont alors été bouleversés par l’imposition de lois militaires, l’appointement de sheikhs salariés – parfois non représentatifs – et le développement d’un large système de patronage entre leaders locaux et autorités israéliennes18. Si les logiques clientélistes ne sont pas nouvelles, en revanche le patronage, tel qu’il s’est développé à cette époque, était d’un nouvel ordre. En effet, dès les années 1950, les Bédouins deviennent citoyens israéliens et votent aux élections parlementaires de 1955. De la même manière que dans le Nord, ce sont les partis sionistes, en premier lieu le Mapaï – ex-parti travailliste – qui courtisent les voix arabes, en l’occurrence ici bédouines19. Le marchandage des voix arabes se fait en échange d’intérêts matériels ou symboliques. Des listes satellites arabes affiliées au Mapaï sont spécialement créées à la veille des élections pour récolter les voix arabes en Israël. C’est ainsi que des députés arabes entrent à la Knesset, comme le Bédouin Hamed Abu Rabia élu sur une liste affiliée aux travaillistes à la fin des années 1970. 16 La fin du gouvernement militaire (1966) voit la création des localités planifiées dirigées par des conseils locaux appointés par le ministère de l’Intérieur. Le mode de gestion politique de la communauté bédouine est donc en train de changer. Les sheikhs perdent leurs prérogatives et sont remplacés par des conseils politiques et administratifs. L’organisation lignagère, déjà largement ébranlée depuis 1949, disparaît et fait place à une forme de gouvernement officiellement plus rationnel. Une scène politique conventionnelle se développe donc, même si les Bédouins sont encore limités dans leur expression et leur organisation politique. Ils votent aux élections nationales, majoritairement pour les partis sionistes et les listes satellites, mais ne votent pas encore à l’échelon local, dominé par une administration juive. Il faudra attendre 1989 à Rahat, 1993 à Tel as-Saba et 2000 dans les cinq autres localités bédouines pour assister aux premières élections locales libres. Toute cette période est ainsi marquée par la domination des groupes sionistes et les relations de patronage avec les Bédouins. Une fois de plus, les femmes ne participent pas à ces marchandages. Elles ne sont pas des leaders locaux et n’entrent donc pas dans les tractations électorales. Bien sûr, elles suivent le comportement politique de leurs époux et leur famille, mais elles n’exercent aucune influence directe. Puisque les Bédouins, eux-mêmes, sont largement dépossédés de leur pouvoir de gestion, les femmes n’en sont que davantage marginalisées. Minorité au sein d’une minorité déjà discriminée, les Bédouines se tiennent et sont tenues à distance du jeu politique. Marginalisation qui est également subie par d’autres groupes

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sociaux comme les familles d’anciens esclaves et tous les autres groupes tenus en marge des sphères de pouvoir. 17 Le changement va s’opérer dans les années 1980 avec la création de partis politiques arabes autonomes20. Jusque-là seul le Rakah (parti communiste) puis la Jabha (Front démocratique pour la paix et l’égalité21) avaient représenté les intérêts des Arabes en Israël. Bien implantés dans le Nord, ils n’avaient pourtant pas réussi à pénétrer le Néguev et à faire contrepoids aux groupes sionistes. Il faut donc attendre les années 1980 et la formation de partis politiques arabes pour voir s’autonomiser le vote bédouin et se développer la revendication d’une identité palestinienne commune. Les élections nationales, puis locales, vont ainsi gagner en importance et mobiliser davantage l’électorat bédouin. Ainsi le taux de participation bédouine aux élections de 1988 est de 61,3 % contre 50 % en 1981. Pour ces élections, le Parti démocratique arabe (PDA), fraîchement créé, remporte 43,7 % des suffrages tandis que la Jabha ne récolte que 5,8 % des voix bédouines. Aux élections de 1999, les partis arabes comprennent la Liste Arabe Unie – liste commune entre le PDA et le Mouvement islamique – le Tajammu’ – Rassemblement patriotique démocratique22 – et la Jabha. Ces trois listes remportent plus de 70 % des suffrages bédouins. 18 Depuis lors, le nouvel acteur à succès est le Mouvement islamique, qui jouit depuis les années 1980, puis surtout 1990, d’une large assise sociale et politique dans le Néguev. Même si le PDA compte un député célèbre, le Bédouin Talab as-Sana, le Mouvement islamique reste l’organisation la mieux implantée et la plus active chez les Bédouins. Chaque localité compte des membres actifs du Mouvement, apparemment plus proches de la branche modérée de Ibrahim Sarsur que de la branche radicale de Ra’ed Salah23. 19 La professionnalisation du politique en milieu bédouin a donc impliqué la création de partis politiques et de politiciens. Les jeunes cadres éduqués sont alors devenus les nouveaux spécialistes de la politique, maîtrisant les rouages du jeu électoral et des tractations clientélistes. Là encore les femmes sont exclues de cette transformation car elles ne sont pas engagées ni invitées dans les partis politiques, qu’elles n’ont pas d’intérêts à négocier et qu’elles ne manipulent pas les nouveaux outils du système politique israélien. Aucune femme bédouine n’a donc jamais été élue dans un conseil local ni à un poste de député à la Knesset24. Précisons à nouveau que d’autres groupes sociaux et économiques restent à la périphérie du jeu politique dans une société bédouine fortement hiérarchisée. 20 Les mécanismes de représentation et surtout d’expression politique se sont professionnalisés en faisant apparaître des techniciens du politique, sachant jouer de toutes les solidarités tant familiales que plus matérielles25. Les élections nationales et locales reposent donc aujourd’hui sur un réseau d’interconnaissance et d’intérêt, non plus seulement fondé sur le lignage mais agrégé à d’autres formes de clientélisme, dont les femmes n’en sont que plus marginalisées. Elles suivent le vote et l’engagement de leurs pères ou de leurs époux, mais elles ne se mobilisent pas de façon autonome. La preuve en est faite par le déroulement des élections et les techniques de fraude utilisées. Pendant les élections locales à Laqiyya en septembre 2004, nous avons observé des pratiques de fraude largement employées pour les élections, et ce dans toutes les localités bédouines26. Les hommes saisissent les cartes d’identité de certaines femmes ou achètent leur voix, puis donnent les cartes à quelques femmes de confiance chargées d’aller voter pour toutes les autres. Voici une manière de s’assurer du vote des femmes et de prévenir les risques d’expression individuelle potentiellement déviante. Comme

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se plaisent à le raconter elles-mêmes les Bédouines, les cartes peuvent s’échanger dans l’urgence pour plusieurs centaines – voire milliers – de shekels. Les femmes passent leur journée à changer de vêtement pour déjouer le contrôle de la police et jouent ainsi à ce jeu plusieurs fois par jour. Il arrive pour certaines élections nationales que des femmes soient envoyées dans d’autres localités pour voter à la place d’autres femmes. Le système est largement répandu et aujourd’hui bien rodé. La circulation des cartes se fait au sein même des bureaux de vote, à proximité des salles où se trouvent policiers et inspecteurs électoraux du ministère de l’Intérieur. Dans ce jeu, les autorités israéliennes ne sont pas dupes et savent parfaitement comment se déroulent les élections. Mais elles refusent volontairement d’intervenir pour ne pas avoir de problèmes avec la population locale. Ces fraudes sont pratiquées autant pour les élections nationales que pour les locales. Ce sont les hommes qui organisent la fraude et les femmes qui la pratiquent. Là encore, les Bédouines prouvent qu’elles participent à leur manière au jeu politique mais qu’elles restent des auxiliaires volontaires, quoique dépendantes, des hommes. 21 Les élections de Laqiyya en 2004 ont pourtant été marquées par une nouveauté : la présence d’une femme bédouine comme observatrice dans une salle de vote. Chargée de contrôler la régularité du vote, elle ne s’est pas gênée pour contester l’identité de certains votants, mêmes ressortissants de sa famille. Sa présence a été largement critiquée par certains conservateurs, mais surtout par les organisateurs des fraudes qui sont allés jusqu’à menacer son mari s’il ne faisait pas pression sur son épouse pour qu’elle se retire. Le scandale n’en a que davantage confirmé le verrouillage politique à l’encontre des femmes et le monopole que souhaitent garder certains hommes pour maîtriser le système. 22 En outre, pendant la campagne électorale, aucune femme ne participe aux réunions politiques qui sont exclusivement masculines et organisées dans des quartiers généraux placés sur les terres des chefs de liste. Les listes ne répondent pas seulement à des logiques familiales. C’est même le contraire qui a été observé aux élections de Laqiyya en 2004, où des membres d’un même lignage se sont portés candidats sur des listes concurrentes. Les dissensions occasionnées dans les familles n’en confirment pourtant pas moins l’attachement à la solidarité familiale mise à mal par d’autres types d’intérêts. Les femmes travaillent pour certaines listes en démarchant leurs voisines pour le compte d’un candidat. La campagne a donc aussi une arène féminine mais plus discrète, non professionnelle et circonscrite à l’espace privé. Il s’agit de rencontres informelles organisées par des femmes mandatées par les chefs de liste. Elles ne sont pas des militantes politiques mais des volontaires occasionnellement mobilisées et mobilisables. 23 En revanche beaucoup plus sont actives dans le réseau associatif du Mouvement islamique. C’est justement là que la frontière entre social et politique se brouille. Beaucoup de Bédouines participent aux activités du Mouvement islamique organisées pour les femmes. Il existe ainsi des responsables de sections féminines dans chaque localité bédouine. Ces femmes ne participent pas aux élections mais organisent des débats, des cours de religion dans les mosquées et la collecte de dons pour les déshérités notamment palestiniens des Territoires occupés. En effet, les femmes sont actives et mobilisées sur des questions tant culturelles, sociales que politiques. Elles ne sont pas des membres affiliés mais des soutiens et des bénévoles volontaires. Ce phénomène est plutôt récent et correspond au processus d’islamisation de la

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communauté bédouine du Néguev observé depuis la décennie 197027. Les règles religieuses musulmanes sont collectivement suivies et le Mouvement islamique s’est imposé comme un acteur social et politique incontournable. Par ailleurs, la respectabilité de ce mouvement donne à voir des pratiques intéressantes sur la légitimation de l’accès des femmes à l’espace public. Les activités sociales, culturelles et politiques du Mouvement islamique étant devenues des espaces recommandés et recommandables pour les femmes. IV. Mobilisation sociale et féministe 24 À la fin des années 1970, la société israélienne dans son ensemble est marquée par le développement d’un large champ associatif à même de représenter divers intérêts et notamment ceux des groupes ethniques et confessionnels minoritaires. Plusieurs associations arabes se sont ainsi créées et notamment dans le Néguev, comme en 1974 avec l’Association pour les droits des Bédouins. Les thèmes de mobilisation sont essentiellement tournés vers la contestation des expropriations de terres bédouines. La terre devient d’ailleurs à cette époque un enjeu majeur de lutte nationale pour les citoyens arabes. En témoigne ainsi la Journée de la Terre de septembre 1976 dont la journée de grève générale et les manifestations organisées en Galilée pour contester les expropriations de terres se sont soldées par la mort de six citoyens arabes. Tous les 30 septembre de chaque année est ainsi commémoré cet événement tragique qui donne lieu à des manifestations et des conférences sur la question de la terre. En 2005, la journée a été pour la première fois organisée dans un village non reconnu du Néguev marquant par là l’actualité sensible de cette question dans la communauté bédouine. 25 Certaines Bédouines se tiennent régulièrement auprès des hommes pour contester la politique israélienne à l’encontre des Bédouins du Néguev. En 1996, les habitants du village non reconnu d’Abdeh ont été victimes d’expropriations forcées. Un sit-in de plusieurs dizaines de jours a été organisé aux portes de la Knesset à Jérusalem. Aux côtés du député bédouin, Talab as-Sana, se trouvait une vieille femme veuve, Fadiya Abu Gardud, aujourd’hui connue dans le Néguev pour sa participation active à la contestation. Elle explique ainsi que son action était une évidence, un instinct de survie qui n’incombe pas seulement aux hommes mais aussi aux femmes, qui doivent protéger leurs terres pour le bien de leurs enfants et la préservation de leur identité28. Elle refuse donc de voir une quelconque signification politique à son investissement car la politique reste le monde des hommes, l’apanage des professionnels et non de ceux qui luttent « simplement » pour leur survie. 26 Si les grèves et les manifestations ont connu un essor considérable depuis les années 1980, en revanche il ne faudrait pas surestimer leur utilisation dans le Néguev. Les Bédouins ne se mobilisent pas massivement pour défendre leurs droits ni ceux des Palestiniens des Territoires occupés, même si ce dernier thème fait aujourd’hui l’unanimité dans la population arabe qui revendique publiquement son appartenance au peuple palestinien29. Les Bédouins insistent aussi sur ce référent identitaire, notamment les jeunes nationalistes et dans l’espace public, quand il s’agit de se distinguer de la population israélienne juive. Des manifestations ont donc été organisées contre le massacre au Liban en 1982 des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et Chatila et en soutien à la première et à la seconde Intifada. Des femmes ont participé à ces marches, ce qui confirme un phénomène récent, assez typique des jeunes bédouines éduquées qui revendiquent leur identité palestinienne et leur lutte solidaire avec les Territoires occupés. En effet, la caractéristique commune des jeunes

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universitaires – garçons et filles – est d’insister sur le référent identitaire palestinien. Ils n’oublient pas leur origine bédouine, bien au contraire, mais l’articule avec une identité plus politisée et nationale. Disons que se dire bédouin c’est rappeler son ancrage territorial et l’attachement à la terre, tandis que l’identité palestinienne a une connotation politique plus englobante, entraînant les Bédouins dans une lutte nationaliste protestataire historique de plus grande envergure. 27 Néanmoins le nombre de femmes bédouines mobilisées reste restreint et limité à certaines familles des classes privilégiées. En effet, la mobilisation féminine s’organise dans des familles éduquées et aisées, le plus souvent urbaines avec le soutien des hommes du lignage. Les associations de femmes ont ainsi été exclusivement créées dans les localités planifiées par des ressortissantes de lignages dominants. Cela vaut pour Laqiyya comme pour toutes les autres localités, les femmes viennent systématiquement de familles dominantes. Il a fallu attendre ces dernières années pour voir se développer des activités dans les villages non reconnus, très souvent menées d’ailleurs par les dirigeantes des associations des localités planifiées. Ces associations, enregistrées sous la Loi sur les Associations de 1980, sont à but non lucratif et proposent toutes sortes d’activités et de services à destination des femmes et des enfants : garderies pour enfants, cours d’hébreu et d’arabe, conférences sur des sujets divers comme la santé, l’éducation, les violences conjugales ou encore l’ouverture de comptes en banque et la gestion financière du foyer. Les deux associations dominantes du Néguev se trouvent à Laqiyya. La première, Nisa Laqiyya (les femmes de Laqiyya), produit des broderies bédouines quant à la seconde, jam’iyyat Sidreh (association Sidreh), elle fabrique et vend des tapis. L’artisanat est entièrement produit par les femmes du village, dans le but de les aider à devenir indépendantes financièrement. L’objectif de ces associations est de promouvoir le savoir-faire artisanal bédouin pour défendre un héritage culturel tout en soutenant le développement économique local. 28 Néanmoins, certaines militantes de ces associations participent à une organisation féministe appelée Ma’an (Forum) qui a été créée en 2000 à Beersheva et qui a pour but de défendre les droits des Bédouines. La visée est ici nettement engagée et féministe. L’organisation publie un journal et a participé en 2005 à la rédaction d’un rapport sur la condition des femmes palestiniennes d’Israël destiné au comité CEDAW30 des Nations unies. En effet, en parallèle du rapport officiel rédigé par les autorités israéliennes sur la condition des femmes en Israël, une organisation arabe, le Working Group on the Status of Palestinian Women in Israel, rédige depuis 2001 des contre rapports d’information. Pour la première fois cette année, les Bédouines, par l’intermédiaire de Ma’an, ont pu participer à ce rapport et donner une visibilité internationale à la place des femmes dans le Néguev. Ma’an entend par ailleurs rédiger son propre rapport indépendant sur les femmes bédouines et aborder ainsi des questions féminines le plus souvent marginalisées dans le Néguev : santé, emploi, éducation, statut personnel, polygynie et rôle politique des femmes. 29 Pour ce faire, l’association est financée par des aides extérieures, des organisations non gouvernementales étrangères et l’Union européenne. Ce recours à la scène internationale, depuis une dizaine d’années, n’est pas propre aux associations bédouines mais à toutes les organisations israéliennes comme palestiniennes. L’implication des bailleurs de fonds internationaux a connu un nouvel essor avec le succès des programmes gender and development, impulsés par les Nations unies et les multiples conférences internationales sur le développement. Ce phénomène a pourtant

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changé la configuration des associations de femmes arabes, qui se plient aux exigences des instances étrangères, en calquant leurs programmes sur les visées féministes des bailleurs de fonds. En effet, les critères de financement développés sont essentiellement inspirés des théories féministes occidentales, agrémentées des nouveaux critères économiques et politiques de « bonne gouvernance31 ». Dans cette nouvelle quête de démocratie au Proche-Orient, les femmes sont considérées comme les garantes du changement social. Elles deviennent ainsi les cibles privilégiées des financements internationaux tandis qu’elles peaufinent leurs programmes féministes largement dépolitisés. Une des conséquences de ce recours à l’international est la décontextualisation des priorités et des besoins32. En voulant changer les femmes sans changer le contexte même de leurs discriminations, ces mesures extraient toute substance politique, potentiellement nationaliste et subversive. Ceci explique pourquoi il est aujourd’hui reproché à ces associations de ne lutter qu’exclusivement pour les femmes, sans prendre en compte les besoins de la communauté dans son ensemble. L’autre reproche vise les méthodes même de négociation sociale et politique employées par ces associations qui recourent aux aides financières nationales et ont l’oreille des féministes israéliennes. En effet, à force d’insister sur les fondements patriarcaux de la société bédouine et la souffrance des femmes, certains hommes y voient une proximité dangereuse avec l’appareil étatique. C’est pourquoi des actes de sabotage et de dégradation ont pu être menés contre ces associations pour contester autant les activités et l’indépendance des femmes que leur insertion dans le jeu politique israélien. En effet, il serait réducteur de croire que les réticences des hommes à l’égard des associations de femmes ne résident qu’exclusivement dans le système patriarcal. Il existe aussi des raisons sociales et politiques, notamment de frustration, de jalousie et de méfiance pour des initiatives féminines, excluant de fait les hommes, et soutenues par les autorités israéliennes. 30 Les Bédouines ne sont donc toujours pas représentées en politique, de même qu’elles sont peu actives dans les partis. Néanmoins, une petite minorité est mobilisée dans le champ associatif qui a gagné en importance et ne se contente plus seulement d’apporter des services localisés. Il prend aujourd’hui une dimension nationale et a le soutien de l’étranger. Quant bien même ces associations n’auraient pas de visée clairement politique, elles n’en représentent pas moins une sphère d’activité pour les jeunes diplômées, de nouveaux lieux de sociabilité pour les femmes et des lieux de contestation sociale. L’arène politique dite conventionnelle n’apparaît donc pas comme une sphère d’investissement utile et respectable aux yeux des Bédouines. Opinion qui est d’ailleurs largement répandue chez les citoyens arabes d’Israël qui n’ont ni confiance ni espoir dans leurs représentants politiques. Les déçus et les marginalisés de ce système choisissent donc le plus souvent de ne pas s’engager. Les quelques Bédouines qui s’engagent dans des associations sont des jeunes éduquées et urbaines (féministes ou non), très critiques concernant le système politique dans le Néguev et qui décident donc de se mobiliser sur d’autres registres sociaux et économiques à destination des femmes, indépendamment des logiques politiques partisanes.

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NOTES

1. En plus d’une citoyenneté israélienne, Israël reconnaît principalement trois nationalités (leom) : Juive, Arabe et Druze. 2. L. Jakubowska, « Resisting Ethnicity : The Israeli State and Bedouin Identity », in C. Norstrom & J. Martin (eds), The Paths to Domination, Resistance and Terror, University of California Press, 1992. A. Meir, As Nomadism Ends, Boulder 1997. C. Parizot, Le Mois de la Bienvenue, thèse de doctorat inédite, Paris, EHESS 2001. 3. G. Lewando Hundt, Women’s Power and Settlement : the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women, MA Thesis, University of Edinburgh 1978. S. Dinero, « Female Role Change and Male response in the Post-Nomadic Urban Environment : The case of the Israeli Negev Bedouin », Journal of Comparative Family Studies, 28 (3), 1997, pp. 248-261. 4. E. Marx, The Bedouin of the Negev, Manchester University Press, 1967. Chap. 3 : Composition of a Tribe, pp. 61-80 & Chap. 5 : Marriage Patterns, pp. 101-145. 5. C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 25-58. 6. G. Falah, « The Spatial Pattern of Bedouin Sedentarization in Israel », Geojournal, 11 (4) 1985, p. 362. 7. On dénombre environ 95 500 Bédouins dans le Néguev en 1947. Ils ne sont plus que 11 000 à la fin de l’année 1948. Falah, op. cit., note 6, p. 363. 8. Sur les 19 tribus officiellement reconnues et figées administrativement par les autorités israéliennes, 11 sont originaires de régions extérieures au sayigh. 9. E. Marx, op. cit. note 4, Chap. 2 : Administrative Environment, pp. 31-58. A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 4 : Territorialization, pp. 73-105. C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 42-48 10. Jusqu’en 1966, l’ensemble de la population arabe en Israël est placé sous administration militaire. Les règles sont strictes : surveillance des modes d’organisation politique et contrôle des déplacements avec des permis de circulation pour sortir des zones militaires. Voir I. Lustick, Arabs in the Jewish State, Austin, Texas University Press, 1980. 11. A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 4 : Territorialization, pp. 73-105. 12. Tel as-Saba, Rahat, A’ra’ra, Kseife, Sgib as-Salam, Hura puis Laqiyya. 13. L’expropriation des Bédouins s’est faite sous l’effet de plusieurs lois dont la loi sur les Biens des Absents de 1950 et la loi sur l’Acquisition des Terres de 1953. 14. L. Abu Lughod, Veiled Sentiments, Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley, University of California, 1988 ; « The Romance of Resistance : Tracing Transformations of Power through Bedouin Women », American Ethnologist, vol. 17, n° 1, February 1990, pp. 41-55. C. Nelson, The Desert and the Sown. Nomads in the Greater Society, Berkeley University of California, 1973. G. Lewando Hundt, Women’s Power and Settlement : the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women, MA Thesis, University of Edinburgh, 1978. 15. S. Duchesne & F. Haegel, « La politisation des discussions au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation », Revue Française de Science Politique, vol. 54, n° 6, décembre 2004. 16. Groupes dominants de genre mais aussi ethnico-confessionnels – les citoyens juifs. Il ne s’agit ici que d’un aspect des rapports de domination qui comprennent, en outre,

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des variables générationnelles, économiques, géographiques, etc. qui prévalent aussi entre Bédouines. 17. Pour plus de détails sur ces notions, voir E. Marx, op. cit. Chap. 7 : Sections and Co- liable Groups, pp. 177-213 ; E. Marx & A. Shmueli, The Changing Bedouin, Transaction Books, 1984 ; ainsi que G. Kressel, Descent through Males. An Anthropological Investigation into Patterns Underlying Social Hierarchy, Kinship and Marriage among Former Bedouin in Ramla-Lod Area (Israel), Mediterranean Language and Culture Monograph ; Serie 8, Harrassowitz, Wiesbaden, 1992. 18. A. Meir, op. cit., note 2, Chap. 8 : The Political Dimension : The Bedouin and the State, pp. 193-220. 19. I. Lustick, op. cit., note 10, Chap. 6 : Cooptation as a Component of Control : The Capture of Arab Elite. B. Neuberger, « The Arab Minority in Israeli Politics 1948-1992 : From Marginality to Influence », Asian and African Studies n° 27, 1993, pp. 149-170 20. Création en 1984 de la Liste progressive pour la paix, issue de la coalition du Mouvement progressiste (dirigé par Mohammed Miari) et du mouvement juif Alternativa (dirigé par Uri Avneri). Peu avant les élections de 1988, création du Parti démocratique arabe dirigé par Abd el-Wahab Darawshe, ancien député travailliste. 21. La Jabha, fondée pour les élections de 1977, est issue d’une coalition de plusieurs organisations autour du noyau central formé par le parti communiste. 22. Al-Tajammu’ al-Watani al-Dimuqrati (Rassemblement patriotique démocratique) a été fondé en 1996 de la fusion du mouvement progressiste et d’une partie de l’organisation radicale Abna al-Balad. Il est aujourd’hui dirigé par son leader charismatique, Azmi Bishara. 23. Le Mouvement islamique, qui s’est scindé en deux branches en 1996, compte une aile nord dite radicale refusant de participer aux élections parlementaires et une aile sud dite modérée jouant le jeu du système politique et comptant des députés à la Knesset. 24. Depuis la création de l’État israélien, 15 citoyennes arabes ont été élues conseillères municipales et une femme, Violet Khouri a présidé un conseil local entre 1972 et 1973 à Kufr Yassif. Deux femmes arabes ont été élues députées : Husnia Jabara du parti sioniste de gauche (1999-2003) et Nadia Hilou du parti travailliste a été élue aux dernières élections de 2006. 25. C. Parizot, op. cit., note 2, Chap. 6 : Le mois de la Bienvenue : Médiations « traditionnalisées » et culture politique partisane, pp. 322-386. 26. C. Parizot, op. cit., note 2, pp. 262-268. 27. L. Jakubowska, op. cit., note 2, pp. 100-101. 28. Entretien septembre 2004. 29. Ce sujet a fait l’objet de nombreuses études portant sur la « palestinisation » voir la radicalisation des citoyens arabes d’Israël. Voir J. Landau, Arab Minority in Israel 1967-1971 : Political aspects, Oxford, Clarendon Press, 1993 ; Y. Peres, « Modernization and Nationalism in the Identity of the Israeli Arabs », Middle East Journal, vol. 24, n° 4, Autumn, 1970 ; S. Smooha, « The Arab Minority in Israel : Radicalization or politicization ? », Studies in Contemporary Jewry, vol.5, 1989 ; A. Bishara, « L’Arabe en Israël », Revue d’études palestiniennes n° 7, printemps 1996 ; E. Rekhess « Israeli Arabs and the Arabs of the West Bank and Gaza : Political Affinity and National Solidarity », Asian and African Studies, n° 27, 1989 et L. Louër, Les citoyens arabes d’Israël, Paris, Balland, 2003. 30. Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women.

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31. Il est régulièrement reproché aux textes internationaux concernant la promotion des femmes de ne pas employer une terminologie féministe, c’est-à-dire engagée et critique, mais plutôt un vocable neutre. Cette critique visant d’ailleurs directement les textes onusiens. Néanmoins, dans le cas des associations non occidentales, on ne peut nier l’influence de valeurs et de critères occidentaux sur l’égalité homme-femme. C’est en ce sens que nous parlons ici de féminisme occidental. 32. Cette analyse a également été faite sur les associations de femmes palestiniennes. Voir R. Giacaman, « International Aid, Women’s Interests, and the Depoliticization of Women », Gender and Society, working paper n° 3, Women’s Studies Program, Birzeit University, September 1995.

AUTEUR

ÉLISABETH MARTEU Elisabeth Marteu est doctorante à l’Institut d’Études Politiques de Paris et à l’université Ben Gourion du Négev. Elle a été boursière du Centre de recherche français de Jérusalem en 2004-2005. [email protected]

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La judiciarisation du politique en Israël La promotion des revendications collectives arabes dans l’arène judiciaire

Hélène Sallon

1 Parmi les débats ayant marqué la scène politique israélienne au cours de l’année 2005, figure en bonne place la controverse qui a opposé le président de la Cour suprême, Aharon Barak, à la ministre de la Justice sur la nomination de trois juges à la Cour. Cette controverse s’est cristallisée autour de la candidature de la professeure de droit, Ruth Gavison, à laquelle s’est fermement opposé Aharon Barak du fait de sa critique virulente de l’orientation politique et de l’activisme judiciaire de la Cour suprême, que beaucoup attribuent à la personnalité de Barak lui-même. Cette controverse révèle les enjeux politiques sous-jacents à la composition de la future Cour et à la politique judiciaire qu’elle poursuivra suite au départ à la retraite de son actuel président en septembre 2006.

2 La Cour suprême est en effet devenue un acteur incontournable sur la scène politique et publique israélienne, intervenant de façon plus systématique dans des domaines jadis réservés aux autres pouvoirs publics, soit pour en limiter les dérives ou pour se substituer à eux dans le règlement de questions sociales et politiques cruciales. Elle est ainsi considérée comme un acteur central de la judiciarisation de la société et du politique en Israël. Malgré de nombreuses critiques de son action, elle a acquis la réputation d’ultime défenseur de la démocratie israélienne auprès du public. Cette réputation tient pour beaucoup à son rôle actif pour garantir le respect des droits et libertés fondamentales dans les politiques publiques. Elle y a notamment été encouragée par les professionnels du droit et les acteurs de la société civile qui ont investi l’arène judiciaire pour promouvoir les intérêts sectoriels d’individus et de groupes marginalisés au sein des instances représentatives. 3 La systématisation de ces usages politiques du droit et de la justice dans la société israélienne traduit une perception accrue du droit comme ressource d’action collective et de la justice comme arène privilégiée d’expression et de participation politique. Le

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droit se trouve en effet mobilisé de façon stratégique par des acteurs sociaux et des professionnels du droit qui visent à la prise en compte de revendications politiques et sociales spécifiques dans les politiques publiques, en les soumettant à l’arbitrage judiciaire sous forme de revendications de droits. L’étude de ces pratiques dans le contexte israélien nourrit ainsi les réflexions théoriques sur l’utilisation du répertoire juridique dans le cadre de l’action collective, et plus généralement sur la place et le rôle de la justice dans le fonctionnement de sociétés démocratiques en mutation. L’activisme judiciaire au profit de la minorité arabe en Israël constitue à cet effet un terrain privilégié. De par son histoire et son statut singuliers, cette minorité émet des revendications sociales et politiques qui posent des questions de nature fondamentale à l’État, et au pouvoir judiciaire qui est souvent appelé à les arbitrer. Les revendications concernant l’allocation des ressources publiques et de la terre, auxquelles sera ici circonscrite l’analyse, sont sources de nombreux conflits entre l’État et la minorité arabe. 4 L’activisme judiciaire en faveur de la minorité arabe doit être appréhendé dans le contexte général de la judiciarisation du politique et de la société en Israël. Il relève en effet de stratégies qui ont été développées et favorisées dans le contexte israélien. Il prend une dimension politique particulière au regard de la marginalisation de la minorité arabe dans les sphères publique et politique. Il est en effet utilisé de façon privilégiée par de nombreux acteurs qui, malgré les limites inhérentes à ce répertoire d’action, espèrent influencer de façon significative la définition des politiques publiques. I. La judiciarisation du politique et de la société en Israël 5 La judiciarisation du politique et de la société en Israël dans les années quatre-vingt-dix a été concomitante au développement de mécanismes d’expansion du pouvoir judiciaire à l’égard du politique à l’échelle internationale, sur le modèle nord- américain1. Les conditions et modalités d’apparition de ce phénomène dans le contexte israélien présentent ainsi des similitudes avec celles ayant été observées dans d’autres pays. Les transformations sociopolitiques, à l’instar du changement dans l’équilibre entre les pouvoirs publics et de l’accroissement consécutif du pouvoir politique de la Cour suprême, ainsi que l’implication active des acteurs politiques, judiciaires et sociaux, ont été déterminantes dans le développement de la judiciarisation du politique et de la société en Israël. La notion de judiciarisation du politique 6 Cette notion est devenue une catégorie privilégiée pour l’analyse des mécanismes « [d’expansion de la juridiction des tribunaux ou des juges au détriment des politiciens et des agents administratifs, c’est-à-dire le transfert des pouvoirs de prise de décision du parlement, du gouvernement ou des services publics vers les tribunaux2 ». Elle repose sur une grande variété de mécanismes concourant à accroître la place de la justice dans les décisions de politique publique, à l’instar de la multiplication des recours à l’arbitrage judiciaire par les acteurs sociaux, des sollicitations croissantes dont la justice fait l’objet pour traiter de problèmes-clé de la société, et du déplacement du traitement d’affaires de l’arène politique vers l’arène judiciaire3. Elle se traduit notamment par le rôle accru du juge comme créateur de normes au détriment du pouvoir législatif4. Elle est ainsi souvent dénoncée comme une atteinte à la démocratie majoritaire ou acclamée comme le signe de l’avènement de l’État de droit.

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7 Son développement trouve à s’expliquer, selon Jacques Commaille5, dans des évolutions sociopolitiques plus générales, telles que l’influence croissante des médias et du marché ; l’avènement d’un individualisme démocratique ; la redéfinition du rôle et du statut de l’État ; la contractualisation des rapports sociaux ; la crise du politique et son incapacité à trancher des problèmes sociaux sensibles ; et l’effritement des grandes doctrines au fondement des politiques publiques. C. Neal Tate6 énumère comme conditions favorables à une judiciarisation du politique : la séparation des pouvoirs et l’indépendance du judiciaire ; une « politique des droits » entendue comme « l’acceptation du principe voulant que les individus ou les minorités ont des droits qui peuvent être mis en application contre la volonté des majorités putatives » ; l’utilisation des tribunaux par les groupes d’intérêts au nom de cette politique des droits ; l’utilisation des tribunaux par l’opposition contre les gouvernements ; des institutions majoritaires déficientes et une perception négative de leur action au sein du public ; la délégation par les institutions majoritaires des questions dont elles ne veulent pas porter le poids de la décision ; et des juges inclinés à l’activisme judiciaire de par leurs attitudes personnelles, préférences et valeurs politiques. La perte de pouvoir des instances représentatives 8 La perte de pouvoir des autorités législative et exécutive, et leur délégitimation auprès du public, est considérée comme un facteur majeur de la judiciarisation de la société et du politique en Israël. Martin Edelman7 note en effet qu’« un partisianisme rampant, des politiques arbitraires et intéressées, et pire que cela, une incapacité à gérer les problèmes cruciaux qui traversent la société israélienne ont corrodé [l’autorité du leadership élu], et finalement [son] pouvoir ». Selon Gad Barzilai8, l’équilibre traditionnel des pouvoirs en faveur d’un pouvoir législatif fort et d’un exécutif centralisé a été remis en cause par les élections législatives de 1977. Consacrant la fin du monopole politique du parti Mapai et des travaillistes, ces élections ont mis à jour la division du leadership politique, la fragmentation de la Knesset ainsi que la prise de pouvoir des petits partis politiques qui ont pu dès lors négocier leur soutien à la constitution de coalitions gouvernementales en échange de l’allocation de ressources publiques. Cette tendance s’est accentuée avec la mise en place du nouveau système électoral et de l’élection directe du Premier ministre en 1992. Ces évolutions ont offert à la Cour suprême l’opportunité d’accroître son rôle politique en se substituant aux instances représentatives dans le règlement de questions sociales et politiques majeures. 9 Le passage de « l’hégémonie des partis à l’hégémonie judiciaire9 » traduirait notamment l’américanisation de la société israélienne dès les années soixante-dix. Itzhak Galnoor10 voit dans l’importation et la transplantation artificielle d’organes institutionnels des États-Unis et d’une version américaine de la séparation des pouvoirs, consacrant le pouvoir judiciaire, une érosion dangereuse de la tradition de parlementarisme fort. Cette américanisation s’est accompagnée du développement de « l’ethos d’une société litigieuse11 » et de l’identification d’une partie croissante de la société israélienne aux valeurs libérales, laïques et démocratiques, incarnées par la Cour suprême. La contestation de ces valeurs par les petits partis politiques – notamment religieux – désormais influents sur la scène politique explique, selon Ran Hirschl12, la décision d’élites politique, judiciaire et économique s’identifiant à ces valeurs de transférer une partie de leur pouvoir de décision politique à la Cour suprême, par le vote des lois fondamentales de 1992.

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La Cour suprême13 et « la politique des droits » 10 Le vote de deux lois fondamentales en 199214, derniers « chapitres » dans l’édification progressive et inachevée d’une Constitution écrite, a donné lieu à la constitutionnalisation du système juridique israélien, qu’Aharon Barak a qualifiée de « révolution constitutionnelle15 ». Ces deux lois fondamentales sont en effet les premières à conférer un statut juridique formel à certains droits fondamentaux16 et à détenir une valeur normative supérieure à la législation ordinaire. Elles ont été amendées en 1994 pour inclure une référence aux principes reconnus par la Déclaration d’Indépendance17 et aux « valeurs d’Israël comme État juif et démocratique », plaçant ainsi la Cour dans la délicate position d’interprète de valeurs parfois considérées comme difficilement conciliables18. La supériorité constitutionnelle des lois fondamentales a été établie par voie jurisprudentielle par la Cour suprême en 199519, ouvrant ainsi la voie à un véritable contrôle de constitutionnalité des lois.

11 Bien que cette « révolution constitutionnelle » ait encouragé la Cour suprême à un plus grand activisme, elle constitue en fait une formalisation de certains droits fondamentaux et de la doctrine d’intervention judiciaire déjà établis dans la jurisprudence20. Dans le cadre de son exercice du contrôle de légalité des actes administratifs, la Cour a en effet étendu son champ de révision à tout acte administratif, et à certains actes parlementaires, au nom de la doctrine de justiciabilité des actes politiques. Le caractère démocratique de l’État a servi de justification à l’exercice d’une interprétation libérale et extensive des principes au fondement de l’action publique. Les principes contenus dans cette « théorie des droits et libertés21 » de la Cour suprême sont la liberté d’expression ; l’égalité ; le droit à la liberté et à la sécurité des individus ; la liberté de mouvement, de religion et de conscience ; la liberté de manifestation, d’association et d’assemblée ; la liberté de poursuivre sa vocation et le droit à la propriété privée. Si le développement de ce droit jurisprudentiel doit beaucoup à la personnalité et à l’activisme de juges tels que Meir Shamgar ou Aharon Barak, il est aussi largement tributaire de l’activisme des acteurs sociaux et des cause lawyers qui ont saisi l’opportunité de développer leurs activités judiciaires suite à l’extension du droit de saisine22 en 1986. Le rôle de la société civile et des cause lawyers 12 La société civile israélienne a connu un essor sans précédent dans les années quatre- vingt, avec l’apparition de nombreuses organisations non gouvernementales représentant des intérêts sectoriels variés. Certaines de ces organisations se sont spécialisées ou ont orienté une partie de leur action dans la défense des droits, à l’instar de l’Association pour les Droits Civils en Israël – ACRI. Elles ont en cela été inspirées par le mouvement des droits civils des années soixante et soixante-dix aux États-Unis, dont le succès doit beaucoup à l’utilisation de compétences, d’opportunités et d’instruments juridiques. L’importation de stratégies juridiques, éprouvées dans le contexte américain et international, a été largement soutenue par les institutions et bailleurs de fonds américains23 qui ont disséminé le modèle des droits de l’homme et l’approche libérale américaine par le biais notamment de la formation de professionnels du droit dans les universités américaines, des bourses Fullbright pour la création de cliniques d’aide juridique ou du financement orienté de projets associatifs.

13 Une nouvelle catégorie d’acteurs liée aux mouvements sociaux est ainsi apparue : les cause lawyers, des professionnels du droit mettant leurs compétences juridiques au service de la défense des droits des minorités et des groupes défavorisés. Le terme de

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cause lawyering, développé aux États-Unis par Austin Sarat et Stuart Scheingold24, est à la fois une catégorie et un outil analytique25 pour définir ces professionnels du droit et un certain type d’activités orientées vers la défense d’une cause sociale ou politique, par l’utilisation de stratégies juridiques innovantes. Depuis les années quatre-vingt, les cause lawyers israéliens ont développé, par l’intermédiaire du système judiciaire, un agenda de lois sociopolitiques inspirées des principes des droits de l’homme et de la justice sociale26. Certains cause lawyers, notamment ceux de l’ACRI et des grands cabinets, sont progressivement entrés dans ce que Patricia Woods appelle « la communauté judiciaire27 ». Cette communauté diffuse, composée d’une élite de cause lawyers, de professeurs de droit et de juges de la Cour suprême motivés par une même croyance en l’État de droit, serait un lieu de genèse de normes. Au travers des débats normatifs au sein de cette communauté, les juges de la Cour suprême signifient aux cause lawyers les arguments et cas qu’ils sont prêts à entendre. Les cause lawyers, en utilisant ces arguments, donnent à la Cour l’opportunité de traduire certaines normes en principes légaux et d’accroître ainsi son influence politique. II. L’activisme judiciaire au profit de la minorité arabe en Israël 14 La défense des intérêts de la minorité arabe israélienne sur la scène judiciaire a connu d’importants développements au cours des années quatre-vingt-dix, avec la multiplication des acteurs engagés dans cette cause et une nouvelle réceptivité de la Cour suprême. Ces acteurs ont développé des stratégies juridiques innovantes pour traduire les revendications sociales et politiques de cette minorité en revendications de droits, les fondant notamment sur le principe d’égalité développé dans la jurisprudence constitutionnelle. En dépit de nombreuses victoires gagnées par le biais de l’arène judiciaire, l’efficacité de ces pratiques pour l’amélioration significative du statut social et politique de la minorité au sein de l’État est questionnée par les acteurs eux-mêmes et par les travaux empiriques. Le libéralisme marqué de la Cour suprême et sa réticence à s’immiscer dans des questions posant des enjeux politiques majeurs à l’État sont considérés comme de sérieuses limites. La marginalisation sociale et politique de la minorité arabe en Israël 15 La population arabe d’Israël est constituée des Palestiniens restés au sein des frontières de l’État d’Israël suite à sa création le 14 mai 1948. Devenus citoyens du nouvel État, ils constituent une minorité nationale, culturelle et religieuse de plus d’un million d’habitants aujourd’hui28. Leur origine et histoire distinctes les placent hors des narratifs juif et sioniste sur lesquels s’est construit le nouvel État hébreu. Son statut de minorité nationale, et des droits afférents, n’ont pas été reconnus par le droit étatique qui a privilégié une distinction sur la base d’appartenances religieuses et nationales29 multiples. Bien que jouissant de ses pleins droits civils et politiques depuis la fin de l’administration militaire en 1966, la minorité arabe fait encore face à de sévères restrictions dans la jouissance de droits politiques et sociaux égaux, du fait notamment du statut constitutionnel d’Israël comme « État juif30 ». La minorité arabe se trouve dans une situation de marginalisation socio-économique, du fait de la confiscation de ses principales ressources, notamment foncières, durant les premières années de l’État, et de la poursuite de politiques publiques donnant la préférence aux intérêts de la population juive par les gouvernements successifs31. L’identité arabe s’est ainsi construite, selon Gad Barzilai32, dans un sentiment de privation collective face aux

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discriminations vécues ou ressenties dans l’exercice de leur liberté d’expression et de leurs droits sociaux et fonciers.

16 Cette marginalisation socio-économique s’est longtemps traduite au niveau politique par la quasi-absence d’organes représentatifs susceptibles de défendre leurs intérêts33. Les années quatre-vingt ont vu l’apparition de nouveaux partis arabes qui, répondant à la communautarisation croissante de la minorité arabe, et à sa palestinisation notamment34, ont réussi à capter une majorité du vote arabe et à disposer ainsi d’un réel pouvoir de négociation dans le jeu politique. Cette représentativité accrue ne s’est cependant pas traduite par une participation aux processus de décision politique. Leur fragmentation, leur manque de légitimité auprès du public israélien et le refus des grands partis juifs de les intégrer aux coalitions gouvernementales ont empêché les partis arabes d’imposer leurs revendications dans les politiques publiques. L’échec du leadership politique arabe, conjugué au sentiment accru de dépravation collective au sein de la minorité, a conduit à des stratégies de rupture, à l’instar des manifestations violentes d’octobre 2000, du boycott massif des élections nationales de 2001 ou du soutien croissant au Mouvement Islamique35. Il a aussi amené de nouvelles élites arabes à privilégier d’autres stratégies d’expression et de promotion de leurs revendications sociales et politiques, au sein du milieu associatif et d’organisations de défense juridique notamment. Les avocats de la cause arabe 17 La défense juridique des intérêts de la minorité arabe est demeurée relativement limitée et timide jusque dans les années quatre-vingt-dix. Les cause lawyers de l’ACRI, alors la seule organisation pouvant offrir un soutien professionnel et organisationnel pour la défense d’un large éventail de droits, ont été les premiers à systématiser ces pratiques en faveur de la minorité arabe. L’affaire Qa’adan, initiée en 1995 par l’ACRI, a ainsi été le premier grand cas judiciaire argumentant le droit à l’égalité des citoyens arabes dans l’accès aux ressources publiques. Cette association, et le programme de formation juridique du New Israel Fund initié en 198436, ont joué un grand rôle dans l’émergence d’une nouvelle génération d’avocats arabes désireux de développer une approche juridique articulant discours national et droits collectifs. Hassan Jabareen, un jeune avocat formé aux États-Unis et premier récipiendaire arabe de ce programme en 1990, a décidé de créer en 1996 Adalah – l’association pour la Défense de la Minorité Arabe en Israël, sur le modèle de l’ACRI où il exerçait. Adalah est aujourd’hui la plus grande association pour la défense des droits de la minorité arabe, avec huit avocats travaillant dans des matières aussi variées que les droits civils et politiques ; les droits des prisonniers ; le droit foncier ; les droits sociaux, économiques et culturels, comprenant les droits religieux et linguistiques ; les droits des femmes ; et les Territoires occupés. Les avocats d’Adalah ont fait de l’activisme judiciaire une stratégie de promotion des droits collectifs de la minorité arabe au niveau politique, sélectionnant et construisant leurs cas dans cette optique. Le professionnalisme des avocats et des chargés de communication a fait le succès et la réputation d’Adalah auprès de la Cour suprême et du public israélien, en dépit de la forte implication politique de ses requêtes. Adalah est cependant critiquée au sein de la communauté pour ne défendre que des cas à portée collective et pour son refus dé défendre la communauté face aux institutions communautaires arabes, notamment religieuses. 18 La réceptivité croissante de la Cour suprême aux recours présentés par Adalah a incité d’autres organisations à s’engager dans cette voie et influencé les stratégies de celles

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qui, comme l’ACRI, étaient déjà présentes dans ce domaine. L’ACRI a ainsi progressivement abandonné la perspective juive et sioniste qui orientait son approche des cas relatifs à la minorité arabe pour adopter une approche sensiblement identique à celle d’Adalah37. Elle s’est par ailleurs impliquée davantage dans cette action avec le lancement de son programme « Égalité pour les Citoyens Arabes » en 2000. La Clinique d’Aide Juridique de l’Université de Tel-Aviv, créée en 1983, s’est également engagée plus systématiquement dans la défense des droits de la minorité arabe, notamment sous la direction de Neta Ziv, ancienne avocate de l’ACRI. Au-delà de la défense des droits socio-économiques et des droits liés à la terre et au logement, la Clinique s’est singularisée par la défense de cas opposant des citoyens arabes aux institutions de leur communauté, à l’instar de la défense des droits des femmes au sein des tribunaux religieux. Ces organisations et leurs cause lawyers travaillent de façon privilégiée avec les associations de la société civile arabe dont ils relaient les revendications sociales et politiques. Cette coordination informelle constitue une garantie de la légitimité de leur action vis-à-vis de la minorité. Ce souci de légitimité incite également les organisations majoritairement juives à confier les cas relatifs à la minorité arabe à des avocats qui en sont issus. La tendance ces dernières années est allée à une concertation accrue entre ces organisations de défense juridique, qui ont commencé à travailler ensemble sur certains cas et à joindre leurs actions devant la Cour suprême. Ces échanges ont favorisé l’interaction entre tous ces acteurs et amené certains cause lawyers à évoluer d’une organisation à une autre. Quelle(s) cause(s), quel(s) droit(s) ? 19 Au cours des premières années d’activisme judiciaire en faveur de la minorité arabe, deux approches différentes orientaient les méthodes et stratégies respectives d’Adalah et de l’ACRI dans la sélection et le traitement des cas judiciaires. Ces approches se sont opposées dans l’affaire de la famille Qa’adan38 que l’ACRI a représentée après qu’elle se soit vue refuser le droit d’habiter à Qatzir, village construit par l’Agence juive sur des terres publiques, sur la base de son origine ethnique. L’ACRI a accusé l’État d’opérer une discrimination dans l’allocation des ressources publiques par l’intermédiaire d’un tiers, basant son argumentation sur le droit à l’égalité. Adalah a critiqué l’ACRI pour avoir délibérément circonscrit la requête au cas des Qa’adan et évité toute remise en cause des politiques de confiscation et de gestion des terres de l’État. Adalah rejette en effet la conception individuelle et formelle de l’égalité ici défendue par l’ACRI, pour une conception substantive prenant en compte les discriminations passées et les besoins réels de la minorité arabe39. 20 Ces besoins reposent selon elle sur l’allocation équitable de budgets de développement aux autorités et institutions locales arabes, dans lesquelles vit une majorité de la population arabe. En ce sens, elle a orienté une grande partie de son action contre les discriminations dans l’allocation des budgets gouvernementaux, dans les domaines religieux, éducatif, sanitaire ou du développement des autorités locales40. Le recours porté en 1998 par Adalah contre les « zones de priorité nationale41 », que la Cour suprême a accepté en février 2006, illustre la portée d’une telle action. Adalah a attaqué une décision gouvernementale établissant une liste de zones de priorité nationale pour l’attribution d’aides sociales et économiques, notamment éducatives, qui, établie selon des critères géographiques, exclue la majorité des villes et villages arabes en dépit de leur situation socio-économique défavorisée. Au vue du manque de fondement et de la portée discriminatoire de cette décision gouvernementale, la Cour suprême a demandé son annulation et réitéré l’obligation faîte aux autorités publiques de respecter le droit

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à l’égalité de la minorité arabe, notamment en matière d’éducation, dans la définition des politiques publiques. La stratégie promue par Adalah vise au-delà à la reconnaissance de droits collectifs et à la prise en compte du narratif arabe dans les politiques publiques. Cette stratégie a peu à peu trouvé un écho favorable auprès de la Cour suprême42, qui a notamment reconnu la spécificité culturelle de la minorité arabe, et le statut de l’arabe comme langue officielle, en obligeant l’État et les municipalités mixtes à ajouter l’arabe à leurs signalisations routières43. 21 La réceptivité croissante de la Cour suprême aux requêtes d’Adalah a incité les autres organisations de défense juridique à s’investir dans des cas identiques, développant des stratégies et argumentaires similaires. Les trois grandes organisations se sont ainsi mobilisées contre l’application de critères arbitraires et indirectement discriminatoires, à l’instar du service militaire44, dans l’allocation d’aides familiales ou d’aides préférentielles en matière d’éducation et de logement45. Dans le domaine éducatif, où les besoins de la population arabe sont criants, ces organisations tentent d’amener la Cour à reconnaître le droit à l’éducation comme un droit fondamental et à obliger l’État à prendre des mesures de discrimination positive. De nombreux recours sont portés en matière d’accès à la terre et au logement, un domaine où la confrontation entre les récits étatique et arabe est la plus forte. Dans un cas similaire à l’affaire Qa’adan, les trois organisations ont cette fois attaqué non seulement la décision gouvernementale en cause mais également les fondements même des politiques foncières de l’État, à savoir la délégation de la gestion des terres de l’État aux institutions parapubliques juives46. L’ACRI s’est distinguée dans ce domaine en présentant un recours pour qu’une représentation équitable de la population arabe soit assurée au sein de ces organismes47. Le statut des villages bédouins non reconnus par l’État en 1966, lors du vote du plan national d’occupation des sols, a suscité la mise en place par les cause lawyers de stratégies juridiques innovantes. Afin d’amener l’État à reconnaître indirectement ces villages, ils l’obligent à y développer les infrastructures publiques48, au nom du droit fondamental des habitants à vivre dignement. Les limites de l’activisme judiciaire 22 Le cas des villages bédouins non reconnus par l’État illustre bien les limites inhérentes à l’activisme judiciaire et les stratégies de contournement élaborées par les cause lawyers. En effet, bien qu’ayant démontré ces dernières années une plus grande réceptivité aux revendications de la minorité arabe, la Cour suprême se refuse encore à statuer sur des cas ayant une forte implication politique et induisant l’attribution de remèdes juridiques et matériels conséquents. La Cour rejette ainsi les recours portant une contestation de politiques générales et passées, à l’instar des politiques de planification nationale qui ont visé à regrouper la population bédouine dans des villes nouvelles en reclassant leurs propriétés terriennes comme terres agricoles inconstructibles. Cette limite a amené les cause lawyers à circonscrire leurs requêtes à des demandes spécifiques, portant sur des ressources et infrastructures publiques, difficilement rejetables par la Cour qui les considère comme des droits élémentaires que l’État doit garantir à tout citoyen. Ces demandes n’impliquent par ailleurs pas de remèdes conséquents et sont souvent réglées au terme de négociations entre l’État et les requérants. Il en est de même pour les requêtes concernant l’attribution de budgets et d’aides spécifiques gouvernementales, où la Cour demande aux requérants de limiter leurs requêtes à des demandes précises. Cela a été le cas lorsqu’Adalah a contesté la répartition des budgets du ministère des Affaires religieuses en 199849, une requête jugée trop générale par la Cour. La défense de cas de discrimination de la part de l’État

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est également rendue difficile du fait que la Cour fait porter le poids de la preuve aux requérants qui parfois n’ont pas accès aux informations nécessaires. Une autre limite importante dans la défense juridique relève du refus de la Cour suprême d’intervenir dans des conflits dans lesquels l’État invoque l’argument sécuritaire. Samera Esmeir50 explique ainsi qu’Adalah a une fois refusé de défendre des habitants arabes dont les terres devaient être expropriées par l’État afin de construire un terrain d’entraînement militaire. Conscients du faible potentiel de réussite de ce cas, les avocats d’Adalah ont conseillé aux habitants d’utiliser des moyens de protestation politique traditionnels pour défendre leurs droits. 23 Les cause lawyers sont généralement réservés sur les victoires qu’ils obtiennent devant la Cour suprême. Certains des remèdes juridiques et matériels obtenus par le biais de la Cour n’ont pas été mis en application, du fait que la Cour n’assure pas le suivi de ses décisions. Bien que victorieuse devant la Cour, la famille Qa’adan s’est ainsi vue refusée par la communauté de Qatzir, obligeant l’ACRI à présenter un nouveau recours devant la Cour suprême pour que la décision précédente soit appliquée. Il aura fallu ainsi huit ans aux Qa’adan pour voir leurs droits reconnus. La lenteur avec laquelle la Cour se prononce dans les cas concernant la minorité arabe est aussi vivement critiquée. Généralement très réservée sur ces cas à forte implication politique, la Cour s’évertue à conduire les parties à un compromis afin d’éviter de créer un précédent en statuant sur ces cas. Elle veille par ailleurs à ne pas remettre en cause fondamentalement l’action de l’État dans ses décisions et les remèdes qu’elle préconise. Elle est ainsi critiquée pour avoir adopté une rhétorique sur l’égalité sans accorder les remèdes garantissant cette égalité dans les faits51. Elle s’en est tenue à une conception formelle et individuelle de l’égalité et d’autres droits fondamentaux, une conception qui coïncide avec l’orientation libérale de sa jurisprudence qui est considérée par beaucoup de cause lawyers de la minorité arabe comme insuffisante pour défendre la minorité dans ses interactions avec l’État52. Conclusion. Sur l’activisme judiciaire et le changement politique et social 24 La question de savoir si les tribunaux peuvent provoquer des changements politiques et sociaux significatifs a donné lieu à une importante littérature au niveau international, ainsi qu’en Israël. Comme l’avait démontré Gérald Rosenberg53 dans le cadre américain, Gad Barzilai54 insiste sur les limites intrinsèques à l’activisme judiciaire pour induire un changement social et politique d’envergure : c’est une ressource coûteuse, détenue par des élites ; le langage juridique et les normes professionnelles rendent difficiles la conversion de problèmes politiques et sociaux en revendications de droits ; en cas de victoire, les autorités ne mettent pas toujours en application la décision ; et finalement, le recours à l’activisme judiciaire peut dépolitiser la cause et pousser les acteurs sociaux à renoncer à d’autres moyens d’actions plus efficaces. Les acteurs sociaux et cause lawyers défendant les intérêts de la minorité arabe sont conscients de ces limites et participent également de la réflexion académique sur ces questions55. Or, ils continuent à s’investir sans ménagement dans ces pratiques, avec la conviction que des changements significatifs émergeront des petites victoires qu’ils accumulent jour après jour. Cette conviction est corroborée par l’étude de McCann56 ayant montré que l’activisme judiciaire peut amener à des changements significatifs en contribuant à la modification des pratiques concrètes au niveau individuel et à l’établissement de normes, règles et d’agendas politiques nouveaux. L’action judiciaire, et sa médiatisation

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notamment, peut permettre une conscientisation du groupe et de la société tout entière, et devenir ainsi un élément moteur pour l’action collective.

NOTES

1. C. Neal Tate et T. Vallinder, The Global Expansion of Judicial Power : The Judicialization of Politics, New York, New York University Press, 1995. 2. T. Vallinder, « When the Courts Go Marching In », in C. Neal Tate and T. Vallinder, ibid. 3. Jacques Commaille, « La judiciarisation. Une nouvelle économie de la légalité face au social et au politique », Note de bilan d’étape du groupe « Judiciarisation de la société et du politique », CERAT, 17 février 2002. 4. Violaine Roussel, « La judiciarisation du politique : réalités et faux semblants », Mouvements, 29, septembre-octobre 2003. 5. Jacques Commaille, op. cit., n. 3. 6. C. Neal Tate, « Why the expansion of judicial power ? », in C. Neal Tate and T. Vallinder, op.cit., n° 1. 7. Martin Edelman, « Israel », in C. Neal Tate and T. Vallinder, op. cit. 8. Gad Barzilai, « Partisan leadership and electoral laws : the Israeli domain in context », Palestine, Jordan, Israel-PASSIA, première édition, décembre 1997. 9. Idem. 10. Itzhak Galnoor, « The judicialization of the public sphere in Israel », Israel Law Review, 37, été-automne 2003. 11. Menachem Mautner, « Law and Culture in Israel : The 1950s and the 1980s », in R. Harris, A. Kedar, P. Lahav, A. Likhovski (eds), The History of Law in a Multi-Cultural Society : Israel 1917-1967, Aldershot, 2002. 12. Ran Hirschl, Towards Juristocracy : The Origins and Consequences of the New Constitutionalism, Harvard University Press, Harvard, 2004. 13. Sur les fonctions et le rôle de la Cour suprême israélienne, voir Claude Klein, Le Droit israélien, PUF, coll. Que sais-je ?, 1986 et « La Cour suprême : un îlot dans la tourmente », Les Cahiers de l’Orient, 70, 2e trimestre 2003. 14. La Loi Fondamentale sur la Liberté d’Occupation Professionnelle et la Loi Fondamentale sur la Dignité Humaine et la Liberté. 15. Aharon Barak, « La révolution constitutionnelle : la protection des droits fondamentaux », Pouvoirs, 72, 1995. 16. Ces droits sont la liberté d’occupation professionnelle ; la protection de la vie, du corps et de la dignité de la personne humaine ; la protection contre l’arrestation, l’emprisonnement ou l’extradition ; la protection du domicile et le secret de la correspondance. 17. La Déclaration d’Indépendance reconnaît les principes de liberté, paix et justice ; l’égalité complète de droits sociaux et politiques à tous les citoyens, sans distinction de croyance, de race ou de sexe ; ainsi que la liberté de conscience, culte, d’éducation et de culture.

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18. Dan Avnon, « The Israeli Basic Laws (Potentially) Fatal Flaw », Israel Law Review, 32 (4), 1998. 19. United Mizrahi Bank plc. v. Migdal Cooperative Village (1995), 49 (iv) P.D. 221. 20. Aharon Barak, Judicial discretion, Yale University Press, Yale, 1989. 21. Françoise Dreyfus, « La Cour suprême : l’audace du juge », Pouvoirs, 72, 1995. 22. Dans l’arrêt Ressler v. ministre de la Défense (H.C. 910/86), la Cour a reconnu le droit à toute personne, même celle n’étant pas directement concernée par l’action gouvernementale, de saisir la Cour si cette action pose une question ayant une forte implication pour l’intérêt public. 23. Ce phénomène a été étudié dans le contexte sud-américain par Bryant Garth et Yves Dezalay, La mondialisation des guerres de palais. La restructuration du pouvoir d’État en Amérique latine, entre notables du droit et Chicago boys, Seuil, Paris, 2002. 24. Austin Sarat et Stuart Scheingold (eds.), Cause Lawyering : Political Commitments and Professional Responsabilities, New York, Oxford University Press, 1998 ; idem, Cause Lawyering and the State in a Global Era, New York, Oxford University Press, 2001. 25. Liora Israël, « La Justice comme espace politique. Trois études de cas : Israël, Inde, Argentine », Droit et Société, 55, 2004. 26. Neta Ziv, « Hanging by the Cloak – Advocates for Social Change in Israel : Between the Legal and the Political », Adalah’s newsletter, vol. 2, juin 2004. 27. Patricia Woods, « Normes juridiques et changement politique en Israël », Droit et Société, 55, 2004. 28. La minorité arabe représente ainsi 20 % de la population israélienne totale. 29. La nationalité arabe est juridiquement reconnue, mais distinguée des nationalités druze et bédouine qui caractérisent des groupes considérés par la minorité elle-même comme des membres à part entière. 30. David Kretzmer, « Les droits de l’homme en Israël », Pouvoirs, 72, 1995. 31. Gad Barzilai, « Fantaisies of Liberalism and Liberal Jurisprudence : State Law, Politics and the Israeli Arab-Palestinian Community », Israel Law Review, 34 (3), 2003. 32. Idem. 33. Laurence Louër, « Comment gérer la minorité arabe d’Israël ? Les élections de mai 1999 », Politique étrangère, 65 (2), 2000. 34. Idem. 35. Laurence Louër, « L’Intifada d’Al-Aqsa : quelle place pour les citoyens arabes de l’État juif ? », Cultures et Conflits, 41, 2001. 36. Le programme du New Israel Fund, financé par la fondation américaine Ford, comprend un an de formation juridique dans une université américaine et un an de pratique au sein d’une organisation des droits de l’homme. 37. Neta Ziv, entretien du 28 août 2005. 38. H.C. 6698/95, Qa’adan v. Administration of Israel Lands et al. 39. Pour une étude détaillée des conceptions formelles et substantives de l’égalité, voir Youssef Jabareen, Constitutional protection of minorities in comparative perspective : Palestinians in Israel and African-Americans in the United States, Thèse de doctorat, Georgetown University Law Center, 2003. 40. H.C. 240/98, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al., P.D. 52 (2) 167 ; et H.C. 1113/99, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al., P.D. 54 (2) 164 ; H.C. 6671/03, Munjid Abu Ghanem, et al. v. Ministry of Education, et al ; H.C. 786/04, Ahlam el-Sana, et al. v. Ministry of Health, et al. ; .C. 6223/01, National Committee of Arab Mayors, et al. v. Ministry of the Interior, et al.

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41. H.C. 2773/98 et H.C. 11163/03, The High Follow-Up Committee for the Arab Citizens in Israel, et al. v. the Prime Minister of Israel. 42. Neta Ziv, « Law, Constitutionnalism and Mobilizing for Social Change : the case of the Palestinians in Israel », article présenté à la conférence sur le constitutionnalisme, MADA al-Carmel, Nazareth, juin 2004. 43. H.C. 4438/97, Adalah, et al. v. The Ministry of Transportation, et al., Takdim Elyon, 1998 (1) 11 et H.C. 4112/99, Adalah, et al. v. The Municipalities of Tel Aviv-Jaffa, et al. 44. Une majorité de la population arabe n’effectue pas le service militaire qui, pour elle, n’est pas obligatoire. 45. H.C. 4822/02, The National Committee of Arab Mayors and Adalah v. Avraham Burg, et al. ; H.C. 2814/97, Follow-Up Committee on Arab Education et al. v. Minister of Education et al., P.D. 54 (3) 233 ; H.C. 9289/03, Adalah, et al. v. Israel Lands Administration, et al. 46. H.C. 9205/04, Adalah v. The Israel Lands Administration, et al. Il est à noter que 93 % des terres sont détenues par l’État. 47. The Association for Civil Rights in Israel v. Israel Land Authority (2001) 55 P.D. V 15. 48. H.C. 5221/00, Dahlala Abu Ghardud, et al. v. Ramat HaNegev Regional Council, et al. ; H.C. 7115/97, Adalah, et al. v. Ministry of Health, et al. ; H.C. 3586/01, The Regional Council for Unrecognized Villages in the Naqab, et al. v. The Minister of National Infrastructure, et al. 49. H.C. 240/98, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al., P.D. 52 (2) 167. 50. Samera Esmeir, « Resisting litigation in Umm el-Fahem », Human Rights Dialogue, 2 (2), 2000. 51. Gad Barzilai, op. cit. ; et Youssef Jabareen, op. cit. 52. Gad Barzilai, Communities and Law. Politics and Cultures of Legal Identities, University of Michigan Press, 2005. 53. Gérald Rosenberg, The Hollow Hope : Can Courts Bring About Social Change ?, University of Chicago Press, Chicago, 2001. 54. Gad Barzilai, « The Evasive Facets of Law : Litigation as Collective Action », Adalah’s Newsletter, 10, Février 2005. 55. De nombreux articles sur ce sujet ont été publiés dans le mensuel d’Adalah, Adalah’s newsletter, disponible en anglais sur www.adalah.org/eng. 56. Michael W. McCann, Rights at Work : Pay Equity Reform and the Politics of Legal Mobilization, University of Chicago Press, Chicago, 1994.

AUTEUR

HÉLÈNE SALLON Hélène Sallon est doctorante en sciences politiques (Institut des sciences sociales du politique, Institut des sciences politiques, École normale supérieure de Cachan, France) et boursière du Centre de recherche français de Jérusalem. [email protected]

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Le Mafdal Les mutations politiques et idéologiques du mouvement sioniste religieux

David Khalfa

1 Le Mafdal (acronyme hébraïque de Miflaga Datit Leumit, soit en français le Parti religieux national) est né en 1956 de la fusion historique des partis HaMizrahi et Hapoel Hamizrahi. En tant que parti sectoriel représentant les intérêts de la minorité sioniste religieuse au sein du système politique israélien, le Mafdal a activement participé à l’édification de l’État d’Israël.

2 Entre 1956 et 1977, le Mafdal a noué une « alliance historique » (Habrit Hahistorit) avec la gauche sioniste (Mapaï puis Maarakh)1 qui dominait alors tant politiquement qu’idéologiquement le système politique israélien. Le Mafdal a ainsi participé à l’ensemble des gouvernements de coalition qui se sont succédés pendant cette période de construction de l’État d’Israël, en tant que parti d’appoint pragmatique et centriste. 3 Sur le plan idéologique, le Mafdal représente une tentative originale d’intégration et de conciliation de deux systèmes de valeurs aux aspirations potentiellement contradictoires : le judaïsme orthodoxe et le sionisme en tant que nationalisme moderne d’essence laïque. 4 Cette tentative de dépassement des tensions qui opposent ces deux systèmes de valeurs s’est traduite par une volonté de rompre avec les deux orientations majoritaires qui dominaient la société juive israélienne. Le Mafdal a ainsi rejeté le quiétisme traditionnel de l’ultra-orthodoxie religieuse et sa condamnation radicale du sionisme comme œuvre impie, au profit d’une attitude activiste favorable à l’émergence d’une conscience nationale juive et à la prise en charge par les Juifs, de leur histoire et de leur destinée politique. Le Mafdal a également rejeté l’idéologie prométhéenne de la gauche sioniste socialiste qui entendait faire table rase du passé « diasporique » et favoriser l’émergence d’un nouvel « Hébreu » détaché de la tradition juive et de la Torah. 5 Pour le Mafdal, le judaïsme orthodoxe constitue le véritable substrat culturel de la renaissance nationale juive et le sionisme n’a de légitimité plénière qu’en tant qu’il s’inscrit dans le cadre de la continuité historique du peuple juif.

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6 La guerre des Six-Jours constitue un véritable tournant dans l’histoire du Mafdal et du mouvement sioniste religieux. Davantage qu’un bouleversement géopolitique, la conquête de Jérusalem-Est et de la Judée-Samarie – le cœur de l’Israël biblique – a été perçu comme un événement de portée métahistorique. C’est sur le terreau des « retrouvailles du peuple d’Israël avec la Terre d’Israël » que s’est épanoui un nationalisme religieux d’essence messianique – le néo-sionisme – voué à la conquête de l’intégralité de la Terre d’Israël (Eretz Israel Hashlema). 7 Les répercussions politiques de cet événement historique ne se firent pas attendre pour le Mafdal. Sous la pression conjointe de son aile ultra-nationaliste dénommée « la jeune garde » (Ha Tzeirim) et du Goush Emounim (Le Bloc de la foi), le Mafdal opta progressivement pour des positions annexionnistes en matière de politique étrangère. Son identité politique demeure cependant ambivalente en raison de l’existence au sein du parti, de deux tendances idéologiques antagonistes. La première entend rester fidèle à l’orthodoxie religieuse moderniste et pragmatique qui est à l’origine de la création du Mafdal. La seconde entend rompre avec cette identité historique au profit de l’adoption d’un ethno-nationalisme religieux d’essence messianique, dont l’objectif théologico- politique vise à l’instauration d’une souveraineté juive sur totalité de la Judée, de la Samarie et de la bande de Gaza (Cisjordanie/Gaza). Cette seconde composante identitaire, utopique et eschatologique, est aujourd’hui dominante. Elle repose sur une philosophie de l’histoire inspirée par le rabbin Tzvi Yehouda Kook (1891-1981), qui fait de la Terre d’Israël – en tant qu’espace national et terre de sainteté – le référent ontologique absolu de l’identité nationale de l’État d’Israël. Celui-ci incarne, dans cette vision métaphysique et messianique, l’instrument par lequel s’accomplira le projet divin de Rédemption finale du peuple juif. Il revient enfin à la minorité sioniste religieuse, véritable avant-garde du peuple théophore, de mener par son activisme missionnaire, ce processus messianique à son terme. 8 L’omniprésence de cette idéologie néo-messianique au sein des instances dirigeantes du Mafdal explique en grande partie les mutations idéologico-politiques récentes du parti sioniste religieux. Celui-ci constitue aujourd’hui l’un des principaux relais politiques du mouvement des colons au sein du système politique israélien et travaille en étroite collaboration avec son principal lobby politique : le Moezet Yesha (acronyme hébraïque de Yehuda Shomron Ve Aza, soit, en français, le Conseil des implantations juives de Judée- Samarie-Gaza). 9 La radicalisation progressive du Mafdal ne reflète cependant pas les évolutions internes du mouvement sioniste religieux dont il demeure la principale expression politique. L’image étroitement nationaliste et droitière du Mafdal cache la complexité d’un mouvement politico-religieux divisé en trois principaux courants : les faucons conservateurs et pragmatiques, les radicaux ultra-orthodoxes ultra-nationalistes et la minorité « colombe » qui revendique son appartenance au « camp de la paix ». 10 Cependant, l’enclenchement du processus de paix, puis le retrait unilatéral de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie à l’été 2005, ont plongé le Mafdal dans une crise idéologico-politique sans précédent, peu propice à la prise en compte de la diversité des courants qui traversent le mouvement sioniste religieux. 11 Sur le plan idéologique, le Mafdal a été contraint de réviser les fondements mêmes de sa doctrine. Certes, le nationalisme ombrageux et intransigeant qui a émergé au sortir de la guerre des Six-Jours demeure le motto du parti sioniste religieux. Cependant, ce messianisme résurrectionnel a largement cédé la place ces dernières années à

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l’expression d’un nationalisme d’auto-défense identitaire, replié derrière le maintien du statu quo territorial et la défense d’une identité nationale forte et rigide. 12 Sur le plan politique, le Mafdal a pour la première fois de son histoire, fait liste commune avec un parti ultra-nationaliste – le Ihoud Leoumi (« l’Union nationale ») – sous peine de disparaître de l’échiquier politique israélien. Ce faisant, le Mafdal a littéralement été satellisé par la droite sioniste religieuse radicale qui revendique son appartenance au « camp national ». Le parti sioniste religieux a ainsi sacrifié nolens volens son autonomie politique sur l’autel de l’arithmétique électorale. I. L’histoire mouvementée du Mafdal : de la naissance de l’État d’Israël au désengagement de Gaza 13 Le Mafdal a été fondé en 1956 par Yosef Burg et Haïm Moshe Shapira. Il est issu de la fusion historique des partis sionistes religieux HaMizrhahi2 et Hapoel Hamizrahi3.

14 Le Mafdal est un parti d’origine « extérieure » (par opposition aux partis d’origine électorale et parlementaire). Il est le bras politique du mouvement sioniste religieux4, seul courant orthodoxe à s’être intégré au mouvement national juif, dominé historiquement par les laïques du courant sioniste socialiste. 15 L’histoire du Mafdal illustre les métamorphoses du mouvement sioniste religieux et les tentatives – souvent infructueuses – du parti sioniste religieux pour en monopoliser l’expression politique. Ces tentatives de mise en place d’un monopole partisan s’inscrivent dans le cadre d’une compétition acharnée pour la conquête de l’électorat sioniste religieux (environ 20 % de l’électorat juif israélien), courtisé par un ensemble de petites formations politiques se situant généralement à la droite de l’échiquier politique israélien. Aux origines : le Mafdal, un parti de « défense religieuse » pragmatique et modéré 16 Bien que son programme théologico-politique se résume dès son origine par le triptyque inventé par le rabbin Meir Berlin Bar Ilan : « la Terre d’Israël pour le Peuple d’Israël selon la Torah d’Israël » (Eretz Israël, La Am Israël, Al Pi Torat Israël), la préoccupation première du parti sioniste religieux fut défensive.

17 Pendant la période de construction et de consolidation du jeune État d’Israël (1947-1967), le Mafdal s’était fixé l’objectif de défendre les droits politico-religieux de la minorité sioniste religieuse et d’assurer la pérennité du caractère juif de l’État d’Israël, par la préservation du statu quo5 instauré par David Ben Gourion en 1947. 18 Cette attitude défensive n’était cependant pas animée par un désir d’isolement et d’insularité sociale. Opposé à l’attitude de la communauté ultra-orthodoxe (Edah Haredit, littéralement « Communauté des Craignants-Dieu ») dont l’idéologie anti- étatique s’est traduite par la construction d’une véritable contre-société, le sionisme religieux a valorisé la participation à la dynamique sociale mise en place par les laïcs. Bien plus, il entendait favoriser la collaboration et le rapprochement entre laïques (hilonim) et religieux (datiim), ashkénazes (ashkénazim) et sépharades (séphardim), vétérans (tzabarim) et nouveaux immigrants (olim hadashim), en tant qu’il constitue un témoignage de l’unité du peuple juif (Ahvat Israël). 19 Il s’agissait donc non seulement de défendre les intérêts sectoriels de la communauté sioniste religieuse, notamment dans les domaines de l’éducation et de la culture, mais également d’influencer les valeurs de la société israélienne et de son système politique, par une participation active au processus décisionnel.

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20 Cette attitude positive à l’égard du sionisme socialiste est à l’origine de la participation du parti sioniste religieux à l’ensemble des gouvernements de coalition qui se sont succédés entre 1949 et 1977, en tant que parti d’appoint pragmatique et centriste, transcendant le clivage gauche-droite. Elle explique également « l’alliance historique » (Habrit Hahistorit) nouée avec la gauche sioniste qui domine alors tant politiquement qu’idéologiquement, le système politique israélien. 21 Cette « alliance historique » reposait sur le principe d’une division des tâches politiques entre le parti d’appoint (le Mizrahi puis le Mafdal) et le parti dominant (le Mapaï) : neutralité bienveillante du parti sioniste religieux à l’endroit de la politique étrangère et de sécurité – « domaine réservé » du Mapaï – moyennant le respect du « statu quo » mis en place par Ben Gourion en 1947, ainsi que la préservation de l’autonomie du système éducationnel sioniste religieux. 22 Cette « alliance historique » avec la gauche travailliste a été initiée par les factions centristes majoritaires du parti, le « Bloc central » (HaGoush HaMerkazi) de Haïm Moshe Shapira, et le « Tournant » (LaMifneh) de Yosef Burg 6. Elle illustre la prédominance, au sein du parti sioniste religieux, d’un courant pragmatique et politiquement modéré, favorable au pluralisme idéologique. 23 Cette période caractérisée par le pragmatisme et la modération politique, s’étend de 1956 à1977. Le Mafdal réalise alors ses meilleurs résultats électoraux et obtient régulièrement entre 10 et 12 sièges à la Knesset. Il s’impose ainsi comme la troisième force de l’échiquier politique israélien et revendique avec succès le statut de parti sectoriel : le parti de la minorité sioniste religieuse. 24 Pendant cette période, le Mafdal a assumé une fonction tribunitienne d’intégration et d’institutionnalisation des demandes de la minorité sioniste religieuse au sein du système politique israélien. Cette position privilégiée lui a conféré un monopole partisan quasi-absolu en ce qui concerne l’offre politique sioniste religieuse. Ce monopole partisan était à la fois politique et idéologique car d’une part, aucun parti ne revendiquait durant cette période une identité politique sioniste religieuse alternative, et d’autre part, l’électorat sioniste religieux était relativement homogène et territorialement concentré, ce qui explique que la compétition pour la conquête de celui-ci était très faible voir quasi-nulle. 25 L’électorat sioniste religieux était alors marqué par une forte identification partisane, ce qui s’est traduit par une fidélité électorale peu dépendante des fluctuations de la conjoncture politique. 1967: le tournant messianique irrédentiste 26 Depuis sa fondation, le Mafdal est un parti stratarchique, c’est-à-dire un parti dominé par le factionnalisme et dans lequel chaque niveau d’organisation détient un pouvoir. 27 Le parti est constitué de sept factions. Parmi celles-ci, les factions « Bloc central » (Goush Merkazi), dirigée par Haïm Moshe Shapira, et « le Tourant » (Lamifneh), dirigée par le ministre du Travail, Yosef Burg, sont majoritaires. Les factions « le Jeune Leadership » du Rabbin Haïm Druckman et la faction éponyme « Yitzhak Rafael » sont quant à elles minoritaires, mais partagent le pouvoir avec les deux factions majoritaires. 28 En matière de politique étrangère et de sécurité, ce sont les positions « colombes » de la faction dominante, le Bloc central de Haïm Moshe Shapira, qui prédominent jusqu’en 1967.

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29 Elles sont très proches des positions défendues par l’aile gauche du parti travailliste et notamment par le ministre des Affaires étrangères , en ce qu’elles reposent sur le principe de la « terre contre la paix ». Le Bloc central favorise alors un retour aux lignes de démarcation de 1967, moyennant quelques rectifications territoriales mineures7. 30 La domination de la faction colombe « Bloc central » est contestée à l’intérieur même du parti avec l’émergence, en juillet 1967, d’une faction ultra-nationaliste : la Jeune Garde8. Dirigée par Zevulon Hammer et Yehouda Ben Meir, cette Jeune Garde entend rompre avec le pragmatisme et la neutralité bienveillante du Mafdal à l’égard des questions de politique étrangère et de sécurité. Influencée par les écrits du très charismatique rabbin Tzvi Yehuda Kook (1891-1982), la Jeune Garde entend favoriser l’adoption d’une politique étrangère annexionniste, dont le programme se résume à la revendication d’une souveraineté juive sur l’intégralité de la Terre d’Israël (Eretz Israël Hashlema) comprenant la Judée-Samarie (Cisjordanie) et la bande de Gaza. 31 Le nationalisme intégral de la Charte nationale palestinienne conjugué aux « trois non » du sommet arabe de Khartoum qui se tint entre le 29 août et le premier septembre 1967 (« pas de paix avec Israël, pas de reconnaissance d’Israël, pas de négociation avec Israël »), viendront renforcer la position de la Jeune Garde au sein du Mafdal. 32 En 1969, celle-ci s’allie à la faction Yitzhak Rafael et gagne les faveurs du ministre des Affaires religieuses Warhaftig et du ministre de l’Intérieur Shlomo Ben-Meir, tous deux membres éminents du Mafdal. Ces soutiens permettent à la Jeune Garde d’imposer une plate-forme électorale en forme de compromis politique entre le nationalisme territorial qu’elle entend promouvoir et le pragmatisme de la Vieille Garde. Cette plate- forme reconnaît «… les droits historiques d’Israël sur la Terre d’Israël… » (programme défendu par les Tzeirim) « … à l’intérieur de frontières sûres… » (allusion à la conception territoriale minimaliste de Shapira et de Burg), ainsi que la nécessité « … d’accélérer la colonisation des nouveaux territoires, en particulier dans la région de Jérusalem ». 33 Cependant, malgré ce succès, la Jeune Garde demeurait minoritaire au sein du parti et notamment au sein du comité central dominé par la Vielle Garde. Ainsi le 31 Juillet 1970, le Mafdal, sous l’impulsion de Haïm Moshe Shapira, vote avec le Maarakh 9 et les Libéraux (Haliberalim), en faveur du plan Roger B10 (la droite nationaliste représentée par le Bloc Gahal s’y opposait). Sur les douze députés du Mafdal, dix ont voté en faveur du plan Roger, deux se sont abstenus : Zevulon Hammer et Avner Shaki, tous deux appartenant à la Jeune Garde. 34 La mort, au milieu de l’année 1970, de Haïm Moshe Shapira, précipite l’effondrement de la faction colombe du Bloc central et renforce par-là même, la position ultra- nationaliste de la Jeune Garde. À partir de cette date, une lutte acharnée pour la conquête du leadership oppose la Jeune Garde à la faction le « Tournant » (Lamifneh) de Yosef Burg, faction modérée qui demeure majoritaire jusqu’en 1986, malgré son affaiblissement progressif. Le Mafdal entre alors successivement dans les gouvernements travaillistes de Golda Meir et d’, conditionnant le maintien de sa présence dans la coalition, à la tenue d’élections anticipées au cas où les Territoires viendraient à être négociés. 1977 : le renforcement du maximalisme territorial

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35 L’arrivée en 1977 de la droite nationaliste au pouvoir,(en hébreu HaMaapakh ou la révolution) met un terme à l’alliance historique que le Mafdal avait nouée avec la gauche travailliste. 36 Le Mafdal obtient 12 sièges et opère un virage à droite en s’alliant avec le Likoud11 (« union ou rassemblement ») de Menachem Begin, et ce, sous l’impulsion de la Jeune Garde alliée à la faction Yitzhak Rafael. 37 Zevulon Hammer (Jeune Garde) est alors nommé ministre de l’Éducation, de la Culture et des Sports, Yosef Burg, ministre de l’Intérieur et Aharon Abuhatsira, ministre des Affaires religieuses. 38 En matière de politique étrangère et de sécurité, si la plate-forme du Mafdal mentionne toujours la nécessité «de délimiter des frontières sûres », c’est-à-dire des frontières qui n’englobent pas les espaces densément peuplés par la population palestinienne, elle insiste cependant davantage sur les « droits historiques » et sur la nécessité de coloniser « les territoires libérés ». 39 Cette politique de compromis institutionnalisé entre factions pragmatiques et irrédentistes, prendra fin avec le lancement des pourparlers entre Israël et l’Égypte, qui culminent avec le voyage historique du raïs Anouar el-Sadate à Jérusalem en 1977. Ces pourparlers provoquent une véritable « guerre ouverte » au sein du Mafdal. Les deux principales factions du parti s’affrontent au sujet du traité de paix qui impliquait l’évacuation et le démantèlement de la totalité des colonies israéliennes qui étaient implantées dans le Sinaï, en particulier de la colonie urbaine de Yamit. La faction centriste majoritaire du parti – LaMifneh (« le Tournant ») – dirigée par Yosef Burg, est favorable à l’accord signé à Camp David. L’aile droite ultra-nationaliste représentée par la faction la Jeune Garde - qui sert alors de relais politique au mouvement des colons incarné par le groupe extra-parlementaire Goush emounim (« le Bloc de la foi »)- y est farouchement opposée. 40 L’échec des partisans du Goush emounim et de la Jeune Garde a provoqué une crise majeure dans les rangs du parti sioniste religieux, une « onde de choc » idéologico- politique d’autant plus violente que l’évacuation en 1982 des colonies du Sinaï, a été ordonnée par le gouvernement nationaliste de Menachem Begin, mise en œuvre par son ministre de la Défense, , et soutenue par la majorité des Israéliens, y compris par les électeurs religieux. 41 Dès 1981, la crise se cristallise et entraîne une double scission au sein du Mafdal : une scission idéologico-politique et une scission ethnique. 42 La scission idéologico-politique a donné naissance à deux formations ultra-nationalistes dissidentes, qui vont concurrencer le Mafdal sur sa droite et entretenir des liens étroits avec les militants du Goush emounim, brisant ainsi le lien quasi-organique que le parti sioniste religieux a toujours entretenu avec ces derniers12. Il s’agit d’une part, du parti Tehiya (« Renaissance »), créé par des dissidents du Likoud et du Mafdal opposés aux accords de Camp David, et emmené en 1981 par les ex-dirigeants du Goush emounim, le rabbin Eliezer Waldman, et Gershon Shafat. Il s’agit d’autre part, de l’éphémère Matzad (« Ralliement des sionistes religieux »), parti nationaliste religieux créé en 1984 à l’instigation du rabbin Druckman et rejoint peu après par Hanan Porat13. 43 La scission ethnique naît quant à elle du mécontentement diffus des militants et membres actifs d’origine sépharade, sous-représentés dans l’appareil du parti qui

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demeure largement dominé par une « oligarchie » d’origine ashkénaze, se livrant à une véritable « guerre des chefs » pour la conquête du leadership. 44 Cette scission ethnique met un terme à l’identité pluriethnique du Mafdal, identité qui lui permettait de recueillir les voix des sépharades sionistes religieux et plus généralement des Juifs traditionalistes (masortim). Cette scission donne naissance au parti ethnique Tami (« Mouvement traditionnel d’Israël »), créé en 1981 par Aharon Abuhatseira, ex-ministre du Mafdal. Ce parti sépharade marocain obtient trois députés en 1981 (dont deux transfuges du Mafdal). 45 Cette fracture ethnique est renforcée par la désertion d’un électorat sépharade séduit par le parti orthodoxe sépharade Shass (abréviation de l’hébreu Itakhdout Sephardim Shomreï Torah, créé en 1984 14. 46 De 1981 à 1986, le Mafdal joue le rôle de parti d’appoint, successivement dans les gouvernements Begin (1981-1983), Shamir (1983-1984) et Pérès (1984-1986). Il obtient entre cinq et six sièges, ainsi que les trois portefeuilles ministériels suivants : les Affaires Intérieures, les Affaires religieuses, l’Éducation, la Culture et les Sports. 1986 : la faction ultra-nationaliste, la Jeune Garde, prend les rênes du Mafdal 47 En 1986, la Jeune garde (« Ha Tzeirim ») prend les rênes du parti. Elle rompt définitivement avec la neutralité et le pragmatisme politique qui caractérisait jusqu’alors le Mafdal, en adoptant une plateforme électorale dont l’objectif théologico- politique proclamé est l’instauration d’une souveraineté juive sur toute la Judée, la Samarie et la bande de Gaza (Cisjordanie/Gaza). En décembre 1988, le Mafdal rejoint le gouvernement de coalition de la droite nationaliste dirigée par Yitzhak Shamir. Zevulon Hammer obtient le portefeuille ministériel des Affaires religieuses tandis qu’Aver Haï Shaki est nommé ministre sans portefeuille.

48 De 1986 à 1992, le Mafdal obtient en moyenne cinq sièges. La forte fragmentation de l’offre politique ultra-nationaliste et la compétition électorale qui en découle, contribuent à l’émiettement et à la dispersion de l’électorat sioniste religieux. Ce sont successivement les partis Tehyia, Tzomet, Morasha, Meitzad, Moledet et , qui entrent en compétition avec le Mafdal pour la conquête de cet électorat. Le Mafdal se maintient cependant dans son rôle de parti d’appoint dans les deux gouvernements Shamir (1986-1990) et obtient en moyenne deux portefeuilles ministériels, les Affaires religieuses, l’Éducation, la Culture et les Sports. 49 Durant cette période, le Mafdal perd son statut de parti sectoriel en raison de la faible correspondance entre l’offre politique du parti et les demandes diverses et contradictoires qui caractérisent son électorat. 50 L’offre électorale du parti sioniste religieux s’est quant à elle réduite comme peau de chagrin à la défense des intérêts des colons idéologiques et d’une politique étrangère annexionniste, transformant ainsi le Mafdal en « single issue party ». Cette réorientation de l’offre électorale en direction de la branche la plus dure de la minorité sioniste religieuse s’est matérialisée par les liens quasi-organiques que le parti sioniste religieux a entretenus avec le Goush emounim puis avec le Moezet Yesha, le lobby politique du mouvement des colons. 51 L’électorat sioniste religieux est, quant à lui, davantage hétérogène et territorialement dispersé. Les tentatives du Mafdal pour fidéliser cet électorat volatile se sont révélées infructueuses.

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52 D’une manière générale, la relation entre le Mafdal et son réservoir électoral privilégié est marquée par la désertion et l’incertitude. Elle reste fortement soumise au caractère instable et fluctuant de la conjoncture politique, principalement en raison de la diversification de l’offre électorale et de la multiplication de petits partis ultra- nationalistes qui chassent sur les terres de l’électorat sioniste religieux. Le processus de paix, une crise idéologico-politique majeure 53 L’arrivée en 1992 de la gauche travailliste qui avait reconnu dans sa plate-forme électorale, la nécessité de négocier un compromis territorial avec les Palestiniens, brise le statu quo diplomatique entretenu par les gouvernements d’union nationale qui s’étaient succédés entre 1984 et 1990, marqués toutefois par les propositions d’autonomie des plans Pères et Shamir. 54 Le lancement du processus d’Oslo en 1993 plonge le Mafdal dans une crise idéologico- politique structurelle et relègue le parti à la marge de l’échiquier politique israélien. Avec six sièges, le Mafdal rejoint les partis ultra-nationalistes Tzomet (« le Carrefour ») et Moledet (« la Patrie ») dans les rangs de l’opposition anti-Oslo. 55 En juin 1996, le retour de la droite au pouvoir dirigée par Benyamin Nétanyahou, redonne au Mafdal son statut de parti d’appoint. Le parti sioniste religieux obtient un certain succès électoral avec neuf sièges (240 000 voix) à la Knesset et fait son retour au gouvernement. Shaul Yaalom est alors nommé ministre des Transports, Zevulon Hammer ministre délégué auprès du cabinet du Premier ministre, ministre de l’Éducation, de la Culture et des Sports, puis ministre des Affaires religieuses (il sera remplacé dans ses deux dernières fonctions à sa mort en 1998 par Yitzhak Lévy), Yitzhak Lévy étant quant à lui nommé ministre de l’Énergie et des Infrastructures. 56 Ce succès électoral n’est qu’une embellie politique passagère. La signature, le 15 janvier 1997, du Protocole sur Hébron qui s’est accompagné deux jours plus tard, du retrait de l’armée israélienne de 80 % de la ville désormais divisée au titre des accords dits d’Oslo II, plongera le Mafdal dans une nouvelle crise politique. Zvi Hendel et Hanan Porat quittent le Mafdal et fondent le parti Emounim15 (« Les Croyants »). 57 Aux élections de mai 1999, le Mafdal n’obtient que cinq sièges. Cette élection marque le retour à la période amorcée en 1981, qui avait vu le Mafdal perdre son statut de parti sectoriel représentant les intérêts de la minorité sioniste religieuse, face à la montée en puissance des partis ultra-orthodoxes. Cette tendance va être renforcée par l’émergence du parti ultra-nationaliste Haihoud HaLeoumi16 (« l’Unité nationale ») qui conquiert une bonne partie de l’électorat sioniste religieux ultra-nationaliste. Le Mafdal intègrera cependant le gouvernement de Grande coalition formé par (74 députés sur 120). Yitzhak Lévy est nommé ministre de l’Habitat et de la Construction, Shaul Yaalom, ministre délégué auprès du cabinet du Premier ministre, tandis que Ygal Bibi obtient les Affaires religieuses. Cette présence au gouvernement sera de courte durée. Le Mafdal présente sa démission un an plus tard, manifestant ainsi son opposition aux négociations sur le statut final des Territoires entreprises par Ehud Barak à Camp David (juillet 2000) puis à Taba (21-27 janvier 2001). 58 Après la perte de sa majorité parlementaire à la Knesset, le Premier ministre travailliste Ehud Barak démissionne le 9 décembre 2000, ce qui entraîne la tenue d’élections anticipées le 6 février 2001. Celles-ci consacrent la victoire retentissante de la droite nationaliste dirigée par Ariel Sharon, avec 62,5 % des suffrages. Le Mafdal se maintient

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avec cinq sièges. Yitzak Lévy est nommé ministre sans portefeuille puis ministre du Tourisme, Effie Eitam obtient le portefeuille des Infrastructures nationales. 59 En janvier 2003, le Mafdal obtient six sièges et intègre le gouvernement Likoud dirigé par Ariel Sharon, réélu pour la seconde fois consécutive. Le Mafdal obtient deux portefeuilles ministériels. Le leader du parti Effie Eitam obtient l’Habitat et la Construction, Zevulon Orlev le Travail et les Affaires sociales, tandis qu’Yitzhak Lévy est nommé ministre intérimaire auprès du cabinet du Premier ministre. Le plan de désengagement unilatéral : scission et marginalisation du parti sioniste religieux 60 Lors de la conférence d’Herzlyia du 20 décembre 2003, le Premier ministre israélien Ariel Sharon, annonce officiellement son plan de retrait unilatéral de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie. Cette décision tonitruante plonge le Mafdal dans une nouvelle crise idéologico-politique. En juin 2004, Effie Eitam et Yitzhak Lévy décident de quitter la coalition gouvernementale après avoir soutenu une motion de défiance contre le gouvernement Sharon et ce, contre l’avis du comité central de leur propre parti. Ce vote a provoqué une scission au sein du Parti religieux national. Une guerre ouverte s’est déclarée entre le leader du parti, Effie Eitam, et la faction « pragmatique » de Zevulon Orlev.

61 Le comité central du parti (Merkaz Hamiflaga) a finalement décidé, le 14 février 2005, de destituer Effie Eitam de son fauteuil de leader du mouvement. Après leur démission, les députés Effie Eitam et Itzhak Lévy ont créé, le 23 février 2005, un nouveau groupe politique à la Knesset : le « Renouveau sioniste religieux » (Tzionit Leoumit Datit Mithadeshet). Ce petit parti a été récemment phagocyté par le bloc ultra-nationaliste Ihoud Leoumi avec lequel il a fusionné en vue des élections législatives du 28 mars 2006. Menacé de ne pas dépasser le seuil de représentation nationale, le Mafdal a, quant lui, à été contraint, pour la première fois de son histoire, de faire liste commune avec le bloc ultra-nationaliste – le Ihoud Leoumi (« l’Union Nationale »). Depuis lors, le parti sioniste religieux siège dans les bancs de l’opposition parlementaire, tirant ainsi les conclusions politiques de sa vaine tentative de faire échec au retrait unilatéral de la bande de Gaza et du nord de la Cisjordanie. II. L’identité politique du Mafdal : entre ethno-nationalisme religieux et orthodoxie moderniste Les ambivalences de la synthèse modernisme/orthodoxie religieuse 62 Le Mafdal est l’héritier politique du mouvement sioniste religieux qui émerge à la fin du XIXe siècle en Europe orientale.

63 Le sionisme religieux est un courant orthodoxe, moderniste et intégraliste. • Orthodoxe, en ce sens qu’il s’inscrit dans la continuité des contenus de la foi d’un judaïsme dominé par la tradition rabbinique et l’observance des commandements (mitzvot). Cela se traduit par une définition exclusivement religieuse de la judéité et par une perception ethno-religieuse du territoire, à la fois espace national et lieu de sainteté (Eretz Hakodesh ou Terre sainte, Eretz Avoteinou ou Terre des Patriarches). • Intégraliste, en ce sens qu’il aspire à étendre le domaine de la foi au-delà des rites et du culte, le plaçant au fondement de la vie collective juive et de l’identité nationale d’Israël. • Moderniste, en ce sens qu’il est un mouvement de rénovation religieuse aux antipodes de l’intransigeance. Il repose sur un ethos favorable à la modernité entendue dans un sens national, en tant qu’elle offre la possibilité d’actualiser les dimensions sociales, économiques

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et politiques du judaïsme, dans le cadre d’un État-nation (Medinat Israël) qui représente à ses yeux, un tournant dans l’histoire juive17.

64 Il existe une tension dialectique entre ces trois composantes fondamentales du sionisme religieux qui ont des conséquences tout à fait pratiques sur son expression politique : le Mafdal.

65 Le Mafdal a adopté une attitude conservatrice à l’égard des trois événements qui sont à l’origine de la constitution idiosyncrasique du parti : le nationalisme, la modernité et l’intégration à une société israélienne dominée par le courant laïque. 66 À l’instar des chrétiens démocrates en Europe (la Christlich Demokratische Union Deutschlands en Allemagne, le Christen Democratisch Appèl aux Pays-Bas, l’UDC en Italie, le PDC en Suisse…), le Mafdal défend une identité politique à la conjonction du « conservatisme des valeurs » et de la promotion de la religion comme élément structurant de la vie sociale. 67 À la différence des partis séculiers israéliens, le sionisme incarne, pour le Mafdal, une continuité avec la tradition juive bimillénaire et fait partie intégrante du développement historique du peuple juif. Dans cette perspective téléologique, le sionisme est assimilé à une révolution de nature conservatrice (à l’instar de la façon dont Edmund Burke ou de Tocqueville concevaient la révolution américaine) et non pas à une révolution nationale reposant sur la volonté de créer un « Homme nouveau » en le ré-enracinant sur la « Terre de ses ancêtres ». 68 Cette perception particulière du sionisme détermine le rapport que le Mafdal entretient avec la modernité. Le parti sioniste religieux (et avec lui le courant sioniste religieux qu’il incarne politiquement) se résigne au caractère jugé inéluctable de ce bouleversement historique, tout en regrettant qu’il se manifeste par les phénomènes de « désenchantement du monde » et de sécularisation des sociétés. Il insiste sur la nécessité de s’adapter à la modernité, ce qui s’est concrètement matérialisé par le fait que le Mafdal n’a pas cherché à imposer un État théocratique (Medinat Hahalakha) en Israël et qu’il revendique son appartenance à la démocratie (democratia). 69 Toutefois, cette adaptation à la modernité est pour le moins équivoque. Elle demeure enchâssée dans un ethno-nationalisme religieux omniprésent. 70 L’attitude du Mafdal, à cet égard, diverge à la fois des partis laïques qui entendent promouvoir un modèle séculier de société, et des partis ultra-orthodoxes anti- modernistes qui rejettent radicalement ce modèle. 71 Le sionisme religieux et son expression politique, le Mafdal, ont opté pour une « modernité à la carte ». Cette attitude ambivalente s’est traduite par une valorisation de la rationalité économique et scientifique, ainsi qu’une attitude relativement tolérante à l’égard des Juifs non religieux (laïques et traditionalistes). 72 En revanche, l’individualisme libéral consumériste est vivement critiqué par le Mafdal, au motif qu’il promeut des valeurs post-matérialistes a-religieuses et qu’il renforce un laïcisme militant revendiquant la séparation de la Synagogue et de l’État, revendication à laquelle il demeure opposé. Un néo-sionisme tellurique entre nationalisme et messianisme 73 Les ambivalences et les équivoques du Mafdal sur des questions aussi cruciales que l’acceptation pleine et entière du libéralisme politique nous interdisent de le classer dans la catégorie des partis conservateurs modernes.

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74 À la différence de la démocratie chrétienne italienne et allemande, le Mafdal n’a pas pleinement accepté le libéralisme politique, notamment le principe d’universalité de la loi. Il n’a pas séparé les catégories du théologique et du politique. La guerre des Six- Jours a renforcé l’approche théologico-politique du Mafdal dans un sens nettement nationaliste et messianique. Au nom d’un projet politique ancré dans l’idéologie messianique du retour à l’intégralité de la Terre d’Israël – en tant qu’espace primordial et originel –, le Mafdal prétend soumettre les lois civiles au respect de principes supérieurs et transcendants : les lois divines. 75 Le Mafdal, tout comme les partis ultra-orthodoxes (haredim) Shass et Yahadut Hatora, défend un modèle de société reposant sur un ethno-nationalisme religieux particulièrement vigoureux. Il lutte politiquement pour imposer une vision de l’identité nationale qui accorde une place de premier choix à la religiosité, en tant que référence identitaire fondatrice de la nation juive. Il entend plus précisément donner la primauté à la judéité sur « l’israélité », à l’appartenance ethnique sur la citoyenneté, au nationalisme sur le libéralisme. 76 En outre, il n’est pas parvenu à jouer le rôle historique qu’il s’auto-attribue depuis sa création en 1956 : un pont reliant, au-delà de leurs différences, laïques et religieux, ashkénazes et sépharades, faucons et colombes. Ses appels à l’unité et à la fraternité relèvent davantage de la rhétorique que de la pratique politique. Cet échec est d’ailleurs patent, le Mafdal s’étant révélé incapable d’élargir sa base électorale au-delà de la minorité sioniste religieuse (ce qui le différencie notablement de la CDU en Allemagne ou de l’UDC en Italie), dont une partie le déserte au profit de petites formations ultra-nationalistes non religieuses. 77 Cet échec s’explique par deux types de contraintes : une contrainte d’ordre idéologique et une contrainte d’ordre politique. 78 Sur le plan idéologique, l’identité du sionisme religieux qui constitue le réservoir électoral privilégié du Mafdal, n’a jamais été fixe ni monolithique. Elle s’est toujours située à l’intersection d’une variété d’affiliations, de courants idéologiques et politiques. Une identité politique écartelée 79 Dès son origine, l’identité politique du mouvement sioniste religieux est tiraillée entre deux pôles identitaires antagonistes. Le premier, l’ultra-orthodoxie anti-moderniste, rejette le sionisme, au motif que ce nationalisme séculier constitue un faux messianisme contre lequel les haredim (Juifs ultra-orthodoxes) doivent se prémunir par la construction d’une véritable contre-société . Le second, le sionisme socialiste, refuse l’observance religieuse et la tradition juive, au profit d’un projet de construction nationale prométhéen, largement dominé par la figure séculière et emblématique de « l’Homme nouveau ». 80 Face à ce double rejet (du sionisme par les uns, de la tradition juive par les autres), le sionisme religieux s’affirme comme un courant orthodoxe et moderniste, oscillant entre une variante pragmatique et conservatrice18, et une variante eschatologique19. 81 Même si cette seconde variante a pu paraître dicter l’agenda politique du Mafdal depuis 1967 et en particulier depuis 1986 avec la prise en main du parti par son aile droite ultra-nationaliste, le Mafdal demeure politiquement écartelé en raison de l’existence de trois courants sionistes religieux dont les perspectives idéologico-politiques sont

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dissemblables : l’ultra-orthodoxie ultra-nationaliste, l’orthodoxie moderniste nationaliste et l’orthodoxie moderniste « colombe ». Le courant ultra-orthodoxe ultra-nationaliste 82 Le courant ultra-orthodoxe ultra-nationaliste Hardal (acronyme hébraïque de Haredi Dati Leoumi, littéralement « craignant-Dieu » religieux nationaliste) né dans les années quatre-vingt à la faveur du rapprochement entre sionistes religieux et haredim 20 (Juifs ultra-orthodoxes), sur la base d’une survalorisation identitaire commune et d’un revivalisme religieux en quête de légitimité politique. C’est dans un contexte de développement d’un individualisme démocratique vigoureux, que se constitue un véritable front des valeurs « néo-traditionalistes21 » dont les hardalim se font les hérauts. 83 Ce courant représente un peu plus de 25 % de la population sioniste religieuse. Il est sur-représenté chez les colons religieux messianiques. 84 Il constitue une sous-culture sioniste religieuse qui s’est érigée en véritable contre- culture sous l’effet d’un double radicalisme : un radicalisme politique et un radicalisme religieux. 85 Dans le domaine religieux, ce courant s’est rapproché de l’ultra-orthodoxie haredit anti- moderniste. Il a adopté une vision moniste de la société israélienne, en vertu de laquelle tous les domaines de la vie sociale sont subordonnés à leur conformité à la Loi juive telle qu’elle est interprétée par les « Grands Sages de la Torah » ( Da’at Torah). 86 Cette attitude se traduit par un isolement social, culturel et idéologique, aboutissant à la constitution, de facto, d’une véritable contre-société, destinée à opposer un modèle combinant ultra-orthodoxie et ultra-nationalisme au modèle laïque, en tant qu’il « corrompt » par sa permissivité, « les Juifs pieux s’adonnant à l’étude de la Loi » ( ). 87 Dans le domaine politique, c’est le concept d’Eretz Israël22 (la Terre d’Israël), dans sa version étroitement territorialisée et nationaliste, qui constitue la valeur centrale et prédominante de l’architectonique hardalit. Les concepts de Torat Israël (Torah d’Israël) et de Am Israël (Peuple d’Israël) qui sont au fondement du triptyque constitutif de l’identité sioniste religieuse, lui sont hiérarchiquement subordonnés.Dans cette optique, le combat pour le maintien de l’intégralité de la Terre d’Israël (Eretz Israël incluant la Cisjordanie/Gaza) dans le giron israélien est avant tout un combat culturel qui passe par le renforcement de la pratique religieuse et le rejet sans équivoque de la modernité occidentale. Les hardalim entendent ainsi mener un véritable Kulturkampf contre les Juifs séculiers qualifiés de Juifs « helléniques 23» (yiévanim). 88 Les hardalim incarnent une force politique que ne reflète pas leur statut de courant démographiquement minoritaire au sein du mouvement sioniste religieux. La majorité des dirigeants du Moezet Yesha, le lobby politique extra-parlementaire, défendant les intérêts des colons au sein des différentes instances de décision israélienne, demeure proche de cette mouvance ultra-orthodoxe et ultra-nationaliste. 89 Le mouvement hardal est en outre porté par les deux grands chefs spirituels du mouvement sioniste religieux - les rabbins Mordechai Eliahu et Haïm Moshe Shapira – ainsi que par un grand nombre de rabbins vivant la plupart du temps dans les territoires occupés, proches des académies talmudiques Merkaz Harav et Har HaMor. Le mouvement hardal est soutenu en dernier lieu par les mouvements de jeunesse Ezra et qui en constituent l’avant-garde militante.

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90 Il faut enfin noter que le courant hardal a constitué le fer de lance de l’opposition virulente au plan Sharon, notamment à travers l’organisation de campagnes appelant à la désobéissance civile qui ont vu l’émergence des « refuznikim » de droite. Le mouvement Hardal fut également le principal pourvoyeur de jeunes activistes infiltrés dans la bande de Gaza et dans le nord de la Cisjordanie au moment du retrait israélien, afin de compliquer passablement la tâche des forces de police et de l’armée israélienne venues évacuer, au besoin par la force, les récalcitrants. Le courant orthodoxe, moderniste et nationaliste 91 Le second courant est orthodoxe, moderniste et nationaliste (courant dati leoumi ou religieux national). Il représente près de 30 % de la population sioniste religieuse. Il partage les caractéristiques du mouvement sioniste religieux tel qu’il s’est cristallisé dans la période correspondant à la construction de la nation israélienne (1948-1967) : attitudes positives à l’égard de la modernité ; ouverture sur la culture universelle, la science et la rationalité économique. Cette attitude moderniste se traduit par une réinterprétation de la tradition juive à l’aune des normes socio-culturelles du monde moderne, conduisant le courant dati leoumi à subordonner l’application de la Loi juive à sa compatibilité avec ces mêmes normes. 92 Le courant sioniste religieux orthodoxe moderniste et nationaliste est idéologiquement représenté par le mouvement Ne'emanei Torah V'Avoda de Moshe Tur-Paz et la yeshiva Har Etzion des rabbins Yoel Bin-Nun, Yuval Cherlow, David Stav et Shai Piron. 93 Ses bastions électoraux sont constitués par les kibboutzim et mochavim « religieux nationaux » (datiim leumiim) situés pour la plupart à l’intérieur de la Ligne verte. Le courant orthodoxe, moderniste et « colombe » 94 Le troisième courant est orthodoxe, moderniste et « colombe » (datiim yonim ou religieux colombes). Minoritaire au sein de la population sioniste religieuse (moins de 20 % de la population sioniste religieuse), il revendique son appartenance au « camp de la paix » israélien (Makhane Hashalom). 95 Il est regroupé autour d’éminents penseurs religieux, notamment le mouvement des kibboutzim religieux de l’idéologue Yoske Ahitouv et du rabbin Yehuda Amital, tous deux partisans du dialogue entre laïcs et religieux et pourfendeurs du « messianisme chimérique » des militants radicaux du mouvement des colons. Ce courant critique le caractère sélectif des valeurs religieuses adoptées par le camp nationaliste religieux (hardalim et datiim leumiim confondus) et entend privilégier les valeurs de paix et de sécurité sur les revendications irrédentistes et étroitement territorialistes des partisans de la Terre d’Israël intégrale (Eretz Israël Hahsléma) 96 Ce courant se reconnaît dans les mouvements politico-religieux « colombes » favorables au processus de paix, tels que le parti Meimad24, allié à la gauche travailliste, ainsi que les mouvements pacifistes extra-parlementaires tels que Netivot Shalom25 et Oz veShalom26. 97 Entre ces trois courants, il existe un groupe intermédiaire, se situant au centre du continuum idéologico-politique sioniste religieux, entre le courant ultra-orthodoxe ultra-nationaliste et le courant orthodoxe moderniste et pacifiste. Il se caractérise par l’adoption de normes sociaux-culturelles et de comportements politiques empruntant à la fois aux caractéristiques du courant hardal et aux particularités du courant orthodoxe moderniste dans ses variantes nationalistes et pacifistes.

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98 Enfin, notons qu’il existe une forte corrélation entre l’appartenance à l’un des trois courants du sionisme religieux et le comportement politique. 99 Ainsi, parmi les hardalim, 66 % votent pour le Madfal, 15 % pour les partis ultra- orthodoxes, 20 % pour des partis se situant à la droite du Mafdal, notamment pour les partis ultra-nationalistes (laïcs et religieux). 100 Par comparaison, seulement 43 % des sionistes religieux appartenant au courant sioniste religieux moderniste (nationaliste et colombe) votent pour le Mafdal, 34 % pour des partis se situant à la gauche du Mafdal (Likoud, parti travailliste-Meimad, Meretz). Émergence d’un discours d’auto-défense identitaire et relocalisation du nationalisme intégral 101 Le processus de paix tout comme le plan de séparation unilatérale, ont exercé une double influence sur l’identité politique du Mafdal. En premier lieu, le messianisme religieux, qui servait de justification transcendante au nationalisme sulfureux du Mafdal, a été littéralement mis entre parenthèses, au profit d’un nationalisme reposant sur des considérations «pragmatiques » d’ordre sécuritaire, tel qu’il est couramment exprimé dans les rangs du Likoud et des autres partis de la droite laïque ultra- nationaliste. En second lieu, le caractère offensif, ombrageux, intransigeant du nationalisme religieux défendu par le Mafdal et qui repose sur « une théologie de la conquête des territoires27 », a laissé place à un nationalisme défensif, voué à la défense d’une identité collective forte et rigide.

102 Cet ethno-nationalisme « d’auto-défense » identitaire permet au Mafdal de se distinguer politiquement des partis de la droite ultra-nationaliste laïque et religieuse, en proposant à l’électorat sioniste religieux une offre identitaire de type essentialiste et conservatrice, reposant sur l’injonction de « demeurer soi-même », c’est-à-dire de conserver les implantations de la Judée-Samarie (Cisjordanie) afin de maintenir l’identité culturelle de la nation israélienne dans l’orbite de la tradition juive. Cette relocalisation de l’irrédentisme sioniste religieux sur la Judée-Samarie en tant qu’espace résiduel, démontre ; s’il en est besoin, la persévérance du nationalisme intégral du Mafdal. III. La politique étrangère et sécuritaire du MafdalLa position officielle du Mafdal: le compromis fonctionnel comme « solution » a-territoriale au conflit israélo- palestinien 103 C’est le concept d’Eretz Israël en tant qu’horizon politique central et idéal messianique territorialisé, qui détermine la position officielle du Mafdal sur les questions de politique étrangère et de sécurité.

104 La position officielle du parti repose sur le principe de l’autonomie des personnes ou compromis fonctionnel. Elle s’oppose à la solution de « deux États pour des deux peuples vivant côte à côte », solution qui repose sur le compromis territorial. Le compromis fonctionnel proposé par le Mafdal, n’entend laisser aucune assise territoriale aux Palestiniens. Il se propose de ne leur accorder qu’une autonomie, c’est- à-dire des droits civils, administratifs, économiques «… qui leur permettent de gérer leurs affaires courantes », Israël se réservant dans ce cas de figure, la maîtrise des questions de sécurité, de diplomatie et de réserves foncières28. 105 Ce plan sioniste religieux, en plaçant le problème de la souveraineté sur ces Territoires dans un horizon temporel indéterminé, entend ainsi éviter les problèmes

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démographiques et politiques qu’entraînerait inéluctablement une annexion immédiate, tout en caressant le rêve de l’avènement d’une majorité juive en Judée- Samarie (Cisjordanie/Gaza). Un parti divisé entre une aile « pragmatique » majoritaire et une aile droite messianique radicale 106 Au-delà de cette position officielle, il existe au sein du Mafdal des sensibilités distinctes en matière de politique étrangère et de sécurité. L’application du plan de désengagement unilatéral en a été le principal révélateur. Elle a opposé les deux principales factions du Mafdal : la faction majoritaire des faucons pragmatiques, dirigée par le leader du parti Zevulon Orlev, et la faction minoritaire des faucons idéologiques, représentée par les francs-tireurs et frondeurs Yitzhak Lévy et Effie Eitam qui ont aujourd’hui rejoint le parti ultra-nationaliste Haihoud Haleoumi29.

107 Cette opposition s’est alimentée à de multiples sources : idéologiques, « charismatiques » et politiques. La faction des faucons pragmatiques 108 Sur le plan idéologique, la faction dirigée par Zevulon Orlev incarne « l’aile centriste » et « pragmatique » du Mafdal. Elle est soutenue par les députés Shaul Yaalom et Gila Finkelstein30 ainsi que par les instances du parti, en particulier par le comité central. Elle pratique la politique de compromis et subordonne les considérations idéologiques à la prise en compte des facteurs internes et externes qui pèsent sur le système politique israélien : poids de la question sécuritaire, de l’état des rapports de forces politiques, mais également poids des pressions internes et internationales qui pèsent sur la conduite diplomatico-stratégique d’Israël. 109 Cette faction entend conjuguer éthique de la responsabilité et éthique de la conviction. Bien qu’étant foncièrement nationaliste, elle est consciente du caractère irréalisable d’un Grand Israël dans ses frontières bibliques, tout autant que de la possibilité de trouver un accord avec les Palestiniens sur la base d’un plan d’autonomie qui leur interdirait toute espèce d’assise territoriale. Elle s’est opposée cependant, tout comme le fit la faction dirigée par Effie Eitam, au plan de désengagement unilatéral et demeure hostile à la création d’un État palestinien sur les territoires conquis par Israël à l’issu de la guerre des Six-Jours. 110 Toutefois et à la différence de la faction Eitam, elle fait preuve d’une certaine flexibilité idéologique. Elle se déclare prête à accepter un compromis territorial impliquant le « sacrifice » des colonies implantées dans des zones densément peuplées par les Palestiniens en Cisjordanie (Elon Moreh, Maale Ephraïm, Shilo, Psagot, Mitzpe Shalem et pour certains comme le député Shaoul Yaalom, Bet’el et Ofra). En contrepartie de ce compromis territorial limité, la faction Orlev entend favoriser l’annexion de la majorité des grandes colonies de la Cisjordanie. Il s’agit non seulement des grands blocs d’implantations qui jouxtent la Ligne verte (Goush Etzion, Givat Zeev, Maale Adoumim), mais également des colonies de la région de Judée (Hébron, Kiryat Arba) et de la Samarie (Ariel, Shaare Tikva, Elkana, Kedoumim, Karnei Shomron, Immanuel), Jérusalem devant quant, à elle, être maintenue comme capitale « éternelle et réunifiée » du peuple juif. 111 Cette faction entend aujourd’hui élargir l’offre électorale du Mafdal, en redonnant aux questions socio-économiques et socio-culturelles une place de choix dans un agenda politique jusqu’à présent dominé par la promotion de la colonisation (hitnakhalout). Il

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s’agit ce faisant, de briser l’image de « single issue party » voué à la défense exclusive des colons et de la colonisation, image dont pâtit le Mafdal auprès de l’électorat religieux pragmatique et traditionaliste. La faction des faucons idéologiques 112 La faction Eitam représente quant à elle l’aile droite idéologique et radicale du parti. Fidèle au messianisme zélateur qui a façonné l’identité politique du Mafdal ces trente dernières années, elle était politiquement très proche des petits partis de la droite ultra-nationaliste et notamment du bloc Haihoud Haleoumi qu’elle a finit par rejoindre. 113 Sur le plan idéologique, cette faction entretient des liens quasi-organiques avec le lobby des colons, le Moezet Yesha, ainsi qu’avec la mouvance ultra-orthodoxe nationaliste Hardal. 114 Pour cette faction minoritaire – privée pour l’heure de véritable leader en raison de la défection du tandem Eitam/Lévy –, les questions de sécurité, de démographie, les pressions de l’environnement interne et international, constituent des éléments secondaires et contingents, ne devant exercer qu’une très faible influence dans la détermination des choix en matière de politique étrangère et de sécurité. 115 L’usage d’une rhétorique sécuritaire ne se justifie, dans ce cas de figure, que pour des raisons de tactique politique : il s’agit de convaincre une opinion publique particulièrement sensible à cette question et, par-là même, de faire échouer toute initiative politique impliquant un retrait israélien des territoires occupés. 116 Cette faction entend préserver la pureté idéologique du mouvement des colons religieux messianiques et interprète de manière dogmatique le credo nationaliste religieux et son rêve irrédentiste de souveraineté juive épousant les frontières bibliques de l’Israël antique. 117 Enfin, notons que sur le plan personnel « charismatique », la rivalité entre Orlev et Eitam relève pour une grande part d’une lutte acharnée pour la conquête du leadership au sein du Mafdal. Orlev est un vétéran du Mafdal qui a occupé de longue date différentes positions au sein des instances du parti. Effie Eitam a été parachuté en 2002 à la tête du parti, dans l’espoir de lui donner un nouveau souffle. Le charisme de ce leader était censé accroître la visibilité politique du Mafdal et ainsi, lui permettre de reconquérir une partie de son électorat. Force est de constater que cette initiative n’a pas porté ses fruits. 118 Le Mafdal et le mouvement sioniste religieux dont il est l’expression politique traversent une crise structurelle dont le plan de désengagement unilatéral n’a été que le catalyseur. Cette crise se décline selon les trois dimensions suivantes : une crise de leadership, une crise identitaire, une crise de représentativité électorale. 119 – Une crise de leadership : Le plan de désengagement a révélé la profondeur des divisions internes et l’intensité des rivalités intestines qui agitent le parti sioniste religieux. Ce factionnalisme destructeur a entraîné le départ des deux leaders charismatiques, Effie Eitam et Yitzhak Lévy, et par-là même, une crise de leadership que le parti sioniste religieux ne semble pas être en mesure de surmonter. Cette crise aurait pu être l’occasion pour le Mafdal d’opérer un recentrage politique en direction du courant sioniste religieux mainstream. Ce tandem Eitam/Lévy incarnait en effet l’aile droite messianique et radicale du Mafdal, vouée à la défense exclusive des colons religieux (mitnahalim). L’élection de Zevulon Olrev à la tête du Mafdal semblait être le signe annonciateur d’un retour en grâce du pragmatisme et de la modération politique qui

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caractérisaient le Mafdal pendant la période de gestation de l’État d’Israël. Le nouveau leader du Mafdal s’est en effet déclaré prêt à accepter un compromis territorial limité en échange d’un accord de paix durable avec les Palestiniens. Ce recentrage politique et idéologique aurait dû permettre au parti sioniste religieux de trier le bon grain de l’orthodoxie moderniste de l’ivraie eschatologique représentée par le tandem Eitam/ Lévy. Cependant l’alliance électorale récente du Mafdal avec le parti ultra-nationaliste HaHikhoud Haleoumi (Union nationale) – l’incarnation politique du mouvement des colons – a sonné le glas de cette tentative manquée de recentrage politique. 120 – Une crise identitaire : L’opposition frontale du Mafdal au plan de désengagement d’Ariel Sharon a entraîné une crise identitaire profonde dans les rangs du parti sioniste religieux. La guerre de 1967 avait déclenché une vague d’enthousiasme au sein d’une société israélienne séduite par le néo-biblisme ambiant et l’appel du « retour » sur les lieux sacrés du judaïsme. Ce fut, pour le Mafdal, l’occasion historique de se présenter comme l’héritier politique de l’esprit pionnier qui a façonné les institutions proto- étatiques de l’État juif et de légitimer un agenda nationaliste religieux fondé sur l’idéologie messianique du Retour à la Terre d’Israël (Eretz Israel). Le succès du Mafdal s’expliquait alors principalement par le fait que le parti sioniste religieux était parvenu à décliner ses revendications politiques de façon conforme aux valeurs dominantes de la société israélienne. 121 Or, le soutien constant et régulier de l’opinion publique israélienne au plan de désengagement unilatéral, tout comme la distance idéologico-politique qui sépare le nouveau parti de gouvernement Kadima (« En Avant ») du Mafdal, mettent en lumière la dimension aporétique et le caractère anachronique du messianisme territorial défendu par le parti sioniste religieux. Avec l’application du plan de désengagement, le sionisme résurrectionnel et rédempteur du Mafdal a subi une défaite historique. 122 Le coup de force symbolique du parti sioniste religieux a résidé dans sa tentative de concilier messianisme et nationalisme. La coalescence idéologique pour le moins problématique de ces deux systèmes symboliques a secrété une philosophie de l’histoire qui attribue au sionisme une signification théologique. Cette idéologie néo- messianique, qui débouche sur la sacralisation de la Terre d’Israël (Eretz Israel), ne rencontre plus guère d’écho au sein de la société israélienne, si ce n’est dans les franges les plus radicales du mouvement sioniste religieux. 123 Certes, le concept fondateur d’Eretz Israël dispose toujours d’une forte charge affective et symbolique pour une majorité d’Israéliens. Cependant, sa traduction dans le champ d’une politique étrangère ultra-nationaliste est loin de faire l’objet d’un consensus national. De ce point de vue, le succès du plan de désengagement s’explique en grande partie par le fait qu’il repose sur un projet politique qui garantit, aux yeux des Israéliens, la sauvegarde des valeurs et des croyances collectives auxquelles ils demeurent viscéralement attachés : le maintien du caractère duel de l’identité nationale d’Israël, en tant qu’État juif et démocratique. 124 – Une crise de représentativité électorale : Les divisions et la segmentation du mouvement sioniste religieux ont été renforcées par la mise en œuvre du plan de séparation unilatérale. Plus que jamais, la relation entre le Mafdal et son électorat est marquée par l’incertitude et le risque de désertion. 125 La défense exclusive d’une interprétation rigide et dogmatique du credo ultranationaliste, conjuguée aux piètres résultats réalisés par le ministre du Travail et des Affaires sociales, Zevulon Orlev, dans le domaine socio-économique, ont sans aucun

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doute aliéné une partie de l’électorat sioniste religieux pragmatique. En s’alignant sur les positions radicales de la droite sioniste religieuse ultra-nationaliste (Haihoud Haleoumi), le Mafdal s’est éloigné du courant sioniste religieux mainstream. Bien que ce courant majoritaire du sionisme religieux se soit opposé au plan de séparation unilatérale à l’instar du courant radical Hardal, ses préoccupations ne se résument pas à la sauvegarde de la Terre d’Israël (Eretz Israel). Cette base électorale du Mafdal est également intéressée par les questions socio-culturelles et socio-économiques qui ont été marginalisées ces dernières années en raison de l’omniprésence du messianisme territorial au sein des instances dirigeantes du parti sioniste religieux. C’est la raison pour laquelle le Mafdal ne pourra surmonter la crise structurelle qu’il traverse actuellement, s’il ne parvient pas à reconquérir son statut de parti sectoriel représentant les intérêts du courant majoritaire du sionisme religieux. Le Mafdal ne sera en mesure de réaliser cet objectif, qu’au prix d’une diversification de son offre politique et d’une refondation de son identité politique afin que celle-ci soit davantage en prise avec les préoccupations « humaines, trop humaines » de la société israélienne.

NOTES

1. Mapaï et Maarakh : ex-dénominations hébraïques du parti travailliste ou Avodah. 2. Le parti HaMizrahi (Acronyme hébraïque de Merkaz Ruhani ou Centre spirituel) a été créé par le rabbin Yitzhak Yaakov Reines (1839-1915) à Vilna en mars 1902. C’est en 1904 que la naissance du HaMizrahi fut officialisée, lors du Congrès mondial qui se tint à Pressburg (Hongrie). Celui-ci définit le parti comme une «organisation de sionistes s’appuyant sur le programme de Bâle, pour assurer la survie du peuple juif dans l’observance de la Torah et des Commandements et dans le retour à la terre de nos aïeux ». En 1920, le HaMizrahi est le premier parti sioniste à disposer d’un siège en Palestine mandataire. Le HaMizrahi était un parti de notables idéologiquement proche du mouvement révisionniste de la droite laïque nationaliste. Il s’était fixé l’objectif politique de défendre les intérêts du public religieux orthodoxe, en coopérant avec le camp ultra- orthodoxe non sioniste et anti-sioniste, pour former un bloc compact de partis de défense religieuse au sein de l’échiquier politique de la communauté juive palestinienne. 3. Le Hapoael Hamizrahi (l’Ouvrier Mizrahi) est né d’une scission d’avec le HaMizrahi. Il a été créé en 1922 par les ouvriers orthodoxes anticapitalistes issus de la troisième vague d’immigration ou (1919-1923). Ceux-ci décidèrent de se doter d’une organisation politique propre, s’efforçant de concilier foi religieuse, nationalisme et lutte des classes. Cette branche ouvrière du sionisme religieux a pris en charge les préoccupations sociales du mouvement et s’est dotée de structures sociales propres : kibboutzim (Ha’Kibboutz Ha’Dati, le kibboutz religieux) et mochavim fonctionnant selon la devise « Torah VeAvoda » (Torah et Travail), mouvement de jeunesse Bné Akiva (Les fils d’Akiva) alliant observance religieuse et idéal pionnier.En 1955, les partis HaMizrahi et Hapoel Hamizrahi forment un front commun : le Hazit Hadatit Leoumit (« le Front religieux

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national ») qui obtient onze sièges. En 1956, le HaMizrahi et le Hapoel Hamizrahi forment une liste conjointe et finissent par fusionner en un nouveau parti : le Mafdal. 4. Le courant sioniste religieux émerge dans la seconde moitié du XIXe siècle, principalement en Europe orientale puis se propage en Europe occidentale sous l’influence de trois événements fondateurs : la Révolution française qui accorde l’émancipation individuelle aux Juifs ; le durcissement des persécutions antisémites qui frappent les communautés juives orientales, ainsi que l’essor du mouvement des nationalités qui secoue le joug des Empires et en particulier de l’Empire austro- hongrois. Après la Première Guerre mondiale, le mouvement sioniste religieux, incarné politiquement par le HaMizrahi, subit l’influence grandissante de la pensée du grand rabbin de Palestine, Abraham Itzhak Hacohen Kook, à l’origine d’une synthèse originale de l’orthodoxie juive et du sionisme politique. 5. L’origine de la notion de statu quo se situe dans une lettre adressée par Ben Gourion aux dirigeants du parti ultra-orthodoxe Agoudat Israël. Cette lettre, dont les principes sont toujours en vigueur en Israël aujourd’hui, proposait l’instauration d’un monopole du judaïsme orthodoxe sur toutes les questions touchant au statut personnel (mariage/ divorce), le respect des interdits alimentaires dans la sphère publique (respect de la Kashrout dans les institutions publiques) et du Shabbat comme jour chômé. En disposant de façon quasi continue du ministère des Affaires religieuses depuis 1948, le Mizrahi/Mafdal est parvenu à maintenir le statu quo. 6. Yosef Burg a occupé de nombreux portefeuilles ministériels, principalement les ministères de l’Intérieur (1974-1984) et des Affaires religieuses (1982-1986). 7. Il faut noter que, jusqu’en 1967, le parti sioniste religieux constitue une étonnante force de modération, notamment auprès des faucons du Mapaï (ex-dénomination hébraïque du parti travailliste). Au nom d’un pragmatisme qui privilégie les valeurs de paix et de sécurité sur les revendications territoriales de type irrédentiste, le parti sioniste religieux approuve le plan de partage de la Palestine en 1947 et envisage favorablement l’idée d’un contrôle international sur la ville de Jérusalem. De même, dans les semaines de tensions qui précédèrent la guerre des Six-Jours, les membres du Mafdal siégeant au gouvernement, s’efforcèrent de convaincre les autorités israéliennes que la voie diplomatique devait être préférée à une intervention militaire. 8. La Jeune Garde est nommée ainsi par opposition à la Vieille Garde représentée par les fondateurs du Mafdal, Moshe Shapira et Yosef Burg. 9. Maarakh (« Alignement » en français) était une alliance politique regroupant les partis sionistes de gauche Mapaï et Mapam. 10. Le plan Roger B, tel qu’il a été adopté par le gouvernement israélien, prévoyait un cessez-le-feu et la reprise de négociations sous les auspices de l’ONU et de la résolution 242, impliquant le retrait israélien des territoires nouvellement conquis en échange de traités de paix signés avec les pays arabes. 11. Le Likoud a été constitué en 1973 à l’initiative d’Ariel Sharon. Il est issu de la fusion du Herout (« liberté ») et du Parti libéral. Le Likoud est l’héritier du sionisme « révisionniste » de Vladimir Zeev Jabotinsky (1880-1940), qui entend « réviser » le sionisme en revenant à sa source politique telle que l’a conceptualisé Herzl, tout en réclamant la création d’un « Grand Israël » incluant le territoire de la Palestine mandataire et l’essentiel de la Transjordanie (actuelle Jordanie). Le Herout a été créé en 1948 par Menachem Begin et fut longtemps relégué hors du consensus national avant son entrée dans le gouvernement d’union nationale de Lévi Eshkol à la veille de la guerre des Six-Jours. Le Parti libéral est, quant à lui, issu de la fusion des Sionistes généraux et

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des Progressistes modérés du centre. En 1965, le Parti libéral se sépare des Progressistes et forme avec le Herout la coalition Gahal qui intégrera le Likoud en 1973. 12. En 1977, suite aux pressions exercées par son mouvement de jeunesse – le « Bnei Akiva » – le Mafdal nomme le rabbin Haim Drukman, l’un des principaux leaders du Goush emounim, en deuxième position sur la liste électorale du parti. La relation entre le Mafdal et le Goush emounim est alors quasi symbiotique. 13. Il faut toutefois noter que le Matzad fut un échec, car il finit par réintégrer le Mafdal. Il ne remporta que trois sièges en 1988 en s’alliant au parti ultra-orthodoxe Poalei Agoudat Israël, sous l’appellation Morasha (« Héritage »), sur une liste commune aux forts accents nationalistes. 14. Le parti Shass (acronyme hébraïque de Itakhdout Sephardim Shomreï Torah, soit « l’Union des gardiens sépharades de la Torah ») est né en 1984 d’une scission d’avec le parti ultra-orthodoxe ashkénaze Agoudat Israël. Parti orthodoxe sépharade, il représente les intérêts de la population sépharade et/ou traditionaliste (masoratit). Le Shass est politiquement modéré, en dépit d’un électorat nettement marqué à droite. À l’instar du Agoudat Israël, le Shass repose sur une structure charismatique. C’est un parti à deux têtes. Son chef politique est le rabbin Elie Yishaï. Cependant le Shass est également dirigé par un Conseil des Sages de la Torah, placé sous l’autorité souveraine du leader spirituel et ancien grand rabbin sépharade d’Israël, Ovadia Yossef. Celui-ci a déclaré en 1987 qu’un compromis territorial est envisageable dans la mesure où la Torah enseigne que la vie humaine est plus sacrée que le territoire (principe dit du pikouah nefesh, littéralement « danger pour la vie »). 15. Le Mafdal était opposé à l’accord pour des raisons idéologiques et historiques. Les militants de son mouvement de jeunesse – le Bnei Akiva – avaient contribué à rétablir, sous l’égide du rabbin Moshe Levinger, une présence juive dans la région d’Hébron en créant la colonie de Kyriat Arba. Pour autant, la pesanteur des réalités politiques israéliennes a contraint le parti sioniste religieux à maintenir sa présence au gouvernement en dépit de son opposition au Protocole sur Hébron. Les députés et ministres du Mafdal ont estimé qu’une démission aurait entraîné l’effondrement du parti et favorisé la mise en place d’un gouvernement d’union nationale Travaillistes- Likoud. C’est pourquoi sur les neuf élus du Mafdal, six votèrent contre l’accord d’Hébron et trois ne participèrent pas au vote permettant ainsi au Likoud, soutenu par une majorité de députés du parti travailliste, de faire voter l’accord. 16. Le Ihoud Leoumi est une fédération de partis ultra-nationalistes opposés aux accords d’Oslo et déçus par la politique jugée trop modérée de M. Nétanyahou. Dirigé par le député Beny Elon, le Ihoud Leoumi regroupe notamment la faction Tekouma (« Rétablissement » ex Emounim) issue d’une scission d’avec le Mafdal et la faction Moledet (« la Patrie ») créée par le général et ministre assassiné Rehavam Zeevi (dit Gandhi). 17. Cet éthos moderniste se caractérise sur le plan intellectuel par l’instauration d’un dialogue critique et constructif avec le mouvement des « Lumières juives », la , ainsi que par une attitude favorable à la réception de données culturelles « étrangères » au judaïsme : ouverture à la science et à la culture générale. Il a en outre conduit les sionistes religieux à interpréter la Halakha (Loi juive) dans un sens « national » moderne : service militaire féminin, équilibre entre les besoins de l’armée pour protéger l’État et le respect des convictions religieuses des soldats, droit de vote et d’éligibilité pour les femmes…

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18. Ce courant est incarné par la pensée politico-religieuse de rabbins orthodoxes et modernistes, tels que le fondateur du parti HaMizrahi – le rabbin Isaac Jacob Reines – et les rabbins Natonek, Yehuda Leib Fishman Maimon, Samuel Mohilever et Méir Bar Ilan, pour lesquels la religion constitue le levier de la restauration nationale du peuple juif sur la « Terre de ses ancêtres ». 19. Ce courant est défendu par les rabbins proto-sionistes Judah Alkalay (1798-1878) et Zvi Kalisher (1795-1874), ainsi que par le premier grand rabbin ashkénaze et philosophe de Palestine, Abraham Isaac Hacohen Kook (1865-1935). Pour ce courant, la fin de l’exil (Galout) et le retour collectif des Juifs sur la Terre d’Israël qu’incarne le sionisme, constituent les deux pré-conditions à l’accélération de l’avènement de la Rédemption (Geoula). 20. Haredim vient de Hared (adj. haredi, plur. haredim) : littéralement « Celui qui tremble », le Craignant-Dieu. Plus communément appelés en Israël les « hommes en noir » (les Shrorim). 21. Par néo-traditionalisme, il ne faut pas entendre la volonté (imaginaire) de s’inscrire dans la continuité d’un monde traditionnel à jamais disparu, mais la réponse tout à fait nouvelle et actuelle de l’orthodoxie religieuse aux défis que posent le monde moderne et ses valeurs. 22. L’expression hébraïque Eretz Israël (Terre d’Israël) apparaît pour la première fois dans la Mishna (codification de la Loi orale juive, rédigée entre 200 et 220 è. c. en Palestine par Yehuda ha-Nassi, constituant l’une des deux grandes parties du Talmud) et désigne l’ancienne Judée. Placée au centre de la pensée juive, cette expression apparaît à plusieurs reprises dans la Bible (cf. Gn 12,7, Traduction œcuménique de la Bible, Paris, Cerf, 1975), notamment dans le premier livre de Samuel (13-19). La notion de sainteté de la Terre d’Israël a été élaborée par la tradition juive, sa mystique (Kabbale) et sa liturgie (Talmud, Ket 1,6 ou Ket 110b), dont les dispositions font spécifiquement référence à cette terre « en possession perpétuelle » comme lieu privilégié d’observation des commandements divins. Il existe une imprécision générale quant à la délimitation géographique « des frontières » de la Terre d’Israël. Elle varie en effet selon l’étendue géographique des Royaumes hébreux qui se sont succédés historiquement et le corpus de textes bibliques qui s’y réfère. Il est toutefois possible d’assembler un certain nombre de zones géographiques en guise de plus petit dénominateur commun. Ainsi, Jérusalem intègre « l’espace promis » quelles que soient ses acceptions bibliques et historiques. Figurent également et sans équivoque la Judée avec pour capitale Hevron (Hébron), la Samarie avec pour capitale Sichem (Naplouse), la Galilée, le nord du Néguev (Beershéva), ainsi que la vallée du Jourdain, de Tibériade à la mer Morte (Jéricho). 23. Notons que le nationalisme des hardalim est un « nationalisme de nationalistes » selon l’expression de Jean Touchard. C’est en effet un nationalisme revendiqué et assumé par ceux des sionistes religieux qui se définissent comme tels. 24. Le parti religieux Meimad a été fondé en 1988 par le rabbin Yehuda Amital et regroupe les religieux modérés en rupture de ban avec le nationalisme radical du Mafdal. Ce parti continue, malgré son échec aux élections de 1988, à être actif au sein des mouvements pacifistes israéliens. Il a rejoint le parti travailliste sur la liste Israël Hakhat (« Israël est Un ») lors des élections à la 15e Knesset du 17 mai 1999. Il fait aujourd’hui liste commune avec le parti travailliste sous le sigle Avodah-Meimad. Le Meimad est actuellement dirigé par le rabbin , ex-ministre intérimaire de l’Éducation, de la Culture et des Sports.

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25. Le mouvement pacifiste religieux extra-parlementaire Oz veShalom (« Force et Paix »), fut créé en 1971 en tant que faction dissidente du Mafdal, pour tenter de contrecarrer l’ultra-nationalisme de la Jeune Garde et ce, en prêchant les vertus de la modération politique et en présentant un programme résolument « colombe » en matière de politique étrangère et de sécurité. Cette tentative ayant échouée, Oz veShalom a décidé de quitter le Mafdal en 1975. Son audience reste aujourd’hui minime, étant perçu par la population observante comme la branche religieuse du grand mouvement pacifiste laïque Shalom Arkhchav (« la Paix Maintenant »). 26. Le mouvement pacifiste religieux Netivot Shalom (« Sentiers de la paix »), est composé d’anciens membres du mouvement de jeunesse du Mafdal, le Bnei Akiva. Il apparaît peu après la guerre du Liban en 1982. Tout comme le mouvement Oz veShalom, Netivot Shalom entendait ramener le Mafdal vers une position plus centriste et modérée, dans le but de renouer « l’alliance historique » avec le parti travailliste. Les Netivot shalom ont fini par joindre leur force au mouvement Oz veShalom. Cf. Aronoff Myron Joel, « Israeli visions and divisions : cultural change and political conflict », New Brunswick NY, 1989 et Yehezkel Kopel in « Dialogue between Shdemot and Nekuda », Shdemot, n° 126, 1994, pp. 7-14 ou Uri Elitzur, « On the sin we did not commit », Nekuda, n° 180, 1994, p. 25 (en hébreu). 27. Frank Debié, Sylvie Fouet, La Paix en miettes. Israël et Palestine (1993-2000), p. 100. 28. La position officielle du Mafdal est quasiment identique au plan Dayan de 1973, qui défendait le principe d’un « compromis fonctionnel » c’est-à-dire d’une autonomie des personnes (civile, administrative, économique) par opposition à la souveraineté politique qu’implique un compromis territorial. Il s’agit de laisser aux Palestiniens le soin de gérer leur vie quotidienne, tout en confiant à l’armée israélienne le contrôle étroit des Territoires. Cette position a été reprise, mutatis mutandis, par Menachem Begin en 1978, qui acceptait une « autonomie des personnes » en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, tout en récusant le principe d’une souveraineté palestinienne sur les Territoires. 29. Cette partie est le fruit d’entretiens de recherche réalisés à la Knesset, notamment avec les députés Yitzhak Lévy, Nissan Slomiansky, Shaul Yaalom entre le 18 décembre 2004 et le 28 avril 2005. 30. Nissan Smoliansky occupe quant à lui une position intermédiaire. S’il s’est rangé du côté des positions défendues par la faction Orlev en matière de tactique politique, il demeure néanmoins très proche du radicalisme idéologique défendu par la faction Eitam.

AUTEUR

DAVID KHALFA David Khalfa est doctorant à Paris-I-Panthéon-Sorbonne, sous la direction de Samy Cohen (CERI). Rattaché au CRIS de Paris-I et chargé de conférences à Sciences-Po Paris, il est actuellement boursier au CRFJ où il étudie l’influence du mouvement des colons

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sur la politique étrangère d’Israël. [email protected]

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Jérusalem en 2020 sous l’œil des urbanistes

Irène Salenson

I. Un nouveau plan d’aménagement pour Jérusalem 1 En septembre 2004, la municipalité israélienne a publié un nouveau schéma directeur1 pour la ville de Jérusalem2. Il traverse en 2005 la phase d’enquête publique, avant d’être voté en conseil municipal. Ce document revêt une valeur considérable : le précédent schéma directeur approuvé et toujours en vigueur date de 1959.

2 L’élaboration d’un document d’urbanisme est soumise, à Jérusalem comme ailleurs, à une tension entre la volonté de répondre aux besoins existants et le désir d’améliorer l’avenir des habitants. Ce type de document endosse les tâches délicates de la définition de l’intérêt général et de la conception de projections démographiques, sociales et économiques fiables. De même, le Plan local d’urbanisme (PLU) actuellement présenté par la mairie de Paris, propose d’accroître le nombre de logements sociaux dans tous les arrondissements, et de créer de nouvelles zones d’activités dans l’Est de la capitale afin de ré-équilibrer les dynamiques économiques. Ces deux desseins, bien que relevant des domaines économiques et sociaux, sont marqués par une coloration idéologique, socialiste et socialiste-libérale. Il s’avère difficile de démêler en eux la part de volontarisme et la part de nécessité. De même, à Jérusalem, il existe des déterminations urbaines non politiques, mais qui illustrent une doctrine particulière, et des enjeux politiques, internes et externes, locaux et internationaux.

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Fig. 1 – Le nouveau schéma directeur pour Jérusalem

3 Il semble cependant que le nouveau schéma directeur pour Jérusalem exprime une volonté politique d’influer sur le développement dans un sens précis – consolider la souveraineté israélienne à Jérusalem – plutôt qu’une simple prise en compte des besoins existants. II. Autoritarisme ethnico-démographique ? 4 Dès l’introduction, les auteurs expliquent que la commande gouvernementale leur a assigné un objectif : mettre en œuvre des politiques urbaines qui confirment la place de Jérusalem comme capitale d’Israël et, dans cette optique, veiller au maintien d’une certaine distribution ethnique de la population : 70 % d’habitants juifs et 30 % d’habitants arabes3. Certains Palestiniens fustigent ce procédé en le qualifiant de raciste. Par ailleurs, des opposants israéliens au projet arguent que les documents d’urbanisme doivent se baser sur la croissance démographique naturelle et non fixer des limites. 5 Pourtant, l’histoire de la planification révèle que celle-ci impose souvent des programmes contraignants. Ainsi, en France, les schémas directeurs nationaux comme ceux de la région Ile-de-France depuis les années 1960 jusqu’aux années 1990 incarnaient l’intention de réduire la centralisation parisienne au profit de la province, avec des perspectives démographiques chiffrées4. Selon Pierre Merlin et Françoise Choay, l’aménagement est « un ensemble d’actions concertées visant à disposer avec ordre les habitants, les activités, les constructions, les équipements et les moyens de communication sur l’étendue du territoire5 ». Cette définition sous-tend une idée de répartition spatiale équilibrée « sur l’étendue du territoire », qui nécessite une action volontariste « disposer avec ordre ». 6 En 2000, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) tentait d’exiger que chaque projet d’ensemble résidentiel réserve 20 % des logements à l’habitat social dans les

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grandes villes françaises6. Certes, ces mesures font preuve d’un souci d’équilibre, géographique dans le premier cas, social dans le second, et elles ne s’aventurent pas dans le domaine de la distribution ethnique. Néanmoins, elles manifestent un certain autoritarisme en matière de répartition de la population. 7 Par ailleurs, la plupart des pays occidentaux établissent des restrictions à l’immigration qui portent en elles un caractère ethnique. Or, dans une certaine mesure, le gouvernement israélien considère de facto la Palestine 7 comme un État et veut éviter l’immigration de Palestiniens en provenance de Cisjordanie vers Jérusalem, qui prend des allures de ville-frontière. 8 Étonnamment, cependant, les auteurs du nouveau schéma directeur de Jérusalem contestent l’objectif tracé par l’État et en annoncent un autre, plus favorable aux habitants arabes : 60 % d’habitants juifs et 40 % d’habitants arabes en 2020. Ils affirment que les proportions envisagées par le gouvernement ne sont pas réalistes compte tenu des données de la croissance naturelle et produisent d’autres estimations démographiques8. En 1967, la distribution ethnique de la population hiérosolomitaine était de 74 % de Juifs, 26 % d’Arabes. Elle est en 2002 de 67 % de Juifs et 33 % d’Arabes9 : le poids de la population arabe a cru plus rapidement que celui de la population juive, essentiellement sous l’effet de la croissance naturelle, l’immigration arabe vers Jérusalem étant presque impossible. Les projections du schéma directeur (60 %-40 %) apparaissent plus « réalistes », plus « objectives » que la recommandation gouvernementale puisqu’elles sont basées sur les prévisions de la croissance naturelle. Pourtant, elles ne se fondent pas moins sur l’espoir d’un solde migratoire positif d’habitants juifs vers la Ville sainte, alors que ce solde est actuellement déficitaire. En d’autres termes, la croissance naturelle juive ne suffirait même pas à atteindre les 60 % en 2020. Jérusalem souffre d’un manque d’attractivité au sein de la population juive d’Israël. Les facteurs généralement évoqués par les analystes israéliens sont l’« orthodoxisation » de la société, qui fait fuir les laïcs, la situation sécuritaire10 et le manque d’emplois11. Dans les représentations collectives, les jeunes cadres dynamiques – laïcs – hiérosolomitains partent vers Tel-Aviv à la recherche d’un emploi mieux rémunéré12. La création de zones d’emplois constitue alors un enjeu primordial pour les aménageurs13. 9 Or les statistiques nous apprennent que le solde migratoire de Tel-Aviv est également négatif14, et que les émigrants hiérosolomitains se dirigent principalement vers des villes satellites (Bet Shemesh, Maale Adumim, Beitar Illit), dont certaines sont largement peuplées par des haredim15. Les deux premières villes israéliennes connaissent une dynamique de redistribution de la population vers les villes de banlieues et vers les villes moyennes, comme en France entre les recensements de 1990 et de 1999, dynamique indépendante de la situation sécuritaire et de l’« orthodoxisation ». La cause principale de ces départs est la recherche d’un logement à meilleur prix, les coûts ayant augmenté dans le cœur de l’agglomération. Ce processus est classique et s’observe dans de nombreux autres pays. De plus, on recense un grand nombre de haredim parmi les émigrants : ceux-ci disposent en moyenne de faibles revenus, et sont plus touchés que les autres catégories sociales par la hausse du coût de l’immobilier. III. Les nouveaux quartiers imaginés par le schéma directeur 10 Les prévisions démographiques du schéma directeur visent à attirer davantage de Juifs israéliens dans la Ville sainte. Cette spéculation démographique trouve une traduction

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dans les projets urbains avancés par le document. Deux types d’extension urbaine apparaissent, une extension en « tâche d’huile » sur les franges des constructions existantes16 et un remplissage des interstices vacants entre les surfaces bâties. Or ces extensions sont dotées de plus vastes superficies autour des quartiers juifs existants qu’autour des quartiers arabes. 11 De plus, trois nouveaux quartiers fleurissent dans les forêts occidentales, formant une interface avec les banlieues externes et réclamant l’agrandissement du périmètre municipal : Rekhes Lavan, Har Harett, Mitzpe Neftoah. Un autre occupe la dernière colline vierge de Jérusalem-Est, au sud-est de , qui semble être guidé par des motivations politiques – empêcher le rapprochement entre Bethléem et les quartiers arabes de Jérusalem. Dans le même dessein, la juridiction de l’implantation de Maale Adumim porte désormais jusqu’à la bordure municipale de Jérusalem, coupant le nord et le sud de la Cisjordanie. Les autorités israéliennes considèrent cette politique non comme une discrimination voulue mais comme l’expression d’une lutte commune pour l’occupation de l’espace. Les autorités palestiniennes constatent que les nouveaux quartiers juifs empêchent la continuité urbaine de la Jérusalem arabe, mais du point de vue israélien, les nouveaux quartiers palestiniens empêchent la continuité de la Jérusalem juive. Précisons que la barrière de séparation ne figure pas sur le schéma : l’administration responsable de son tracé est le ministère de la Défense et non la municipalité17. 12 La seconde illustration majeure des objectifs de répartition démographique dans le schéma directeur est la limitation horizontale et verticale du développement urbain palestinien. Tandis que les quartiers juifs bénéficient du droit de construire des bâtiments de six à huit étages en moyenne, et parfois jusqu’à 33 étages, les quartiers palestiniens sont limités à quatre étages, et six étages au nord de l’agglomération. Quant à la vieille ville, pour des raisons de protection du patrimoine et du paysage, il est pratiquement impossible d’y effectuer des ajouts, et le schéma directeur prévoit de résoudre les problèmes de logement en réduisant la densité de peuplement du quartier musulman, ce qui signifie qu’une partie des habitants sera forcée de quitter les lieux. Aucune solution de remplacement n’est proposée pour ces habitants par le schéma directeur. 13 La limitation horizontale consiste à protéger les terres agricoles et les « espaces verts » sur les marges de certains espaces bâtis afin de contenir leur croissance18. En cela, ce document d’urbanisme n’émet rien de fondamentalement novateur, ni dans un sens ni dans l’autre, car il s’inscrit dans la droite ligne des politiques menées depuis 1967, qui attribuent au secteur arabe un coefficient d’occupation des sols (COS) variant entre 25 % et 50 %, et au secteur juif un COS de 120 % à 200 % en moyenne. Cependant, M. Cohen, responsable de l’équipe des planificateurs, pense que ce plan est révolutionnaire puisqu’il augmente pour la première fois les COS dans les quartiers arabes, et désigne de nouvelles superficies résidentielles, qui sont effectivement assez larges à Bet Hanina, Shu’fat et Tsur Baher19. 14 L’influence de la majorité municipale haredit (ultra-orthodoxe) est-elle perceptible dans ce document ? Assez peu, car il a été élaboré par une agence d’architecture privée, qui a commencé ce travail de sous-traitance pour la municipalité en 2000, avant l’élection du maire actuel. De plus, les membres de cette agence sont des Israéliens laïcs, se situant plutôt à gauche sur l’échiquier politique. Toutefois, les élus haredim espèrent pouvoir tirer partie de ce plan. Lors de la réunion du conseil municipal du 16 février 2005, Y.

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Pollack, maire-adjoint et président de la commission locale de planification, a affirmé que la majorité des nouvelles zones résidentielles conçues par le schéma directeur seraient habitées par des ultra-orthodoxes. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire que cela soit notifié dans le document, la croissance démographique naturelle et la localisation des nouvelles zones suffiraient à les « orthodoxiser20 ». IV. Un schéma d’inspiration occidentale 15 Ce schéma directeur n’a pas été construit uniquement dans le but de servir la compétition démographique et spatiale israélo-palestinienne. Il adopte plusieurs lignes semblables à celles des schémas directeurs européens actuels qui sont programmées plus ou moins indépendamment de la situation politique. Nous émettons l’hypothèse que les analyses occidentales portant sur l’évolution urbaine au Proche-Orient ont tendance à se focaliser sur les politiques liées au conflit, alors que cet enjeu n’est pas primordial pour les urbanistes israéliens, qui considèrent que la gestion du conflit relève de l’autorité du ministère de la Défense et non de celle des urbanistes. Dans ce contexte, les projets sont envisagés dans le cadre d’un statu quo politique, ou présentent une flexibilité potentielle utilisable en cas de changements politiques majeurs. 16 Une des lignes inspirées par l’urbanisme occidental consiste à stimuler la revivification du centre-ville de Jérusalem-Ouest. Des tours de bureaux vont être érigées le long des rues de Jaffa et Hillel, ainsi qu’à l’« entrée de ville » occidentale21. La zone piétonne sera étendue autour des axes Ben Yehuda-Agrippas-Jaffa. Le tramway apportera une nouvelle possibilité de transport public plus efficace que les autobus, et devrait améliorer la fluidité du trafic. Deux ouvrages d’art monumentaux, conçus par des architectes de renommée internationale, agrémenteront le paysage : le musée de la Tolérance (architecte : Franck Geries) et le viaduc du tramway (architecte : Juan Calatrava). Cette politique urbaine manifeste un désir de « rattraper l’Occident » et surtout de rattraper Tel-Aviv en se modernisant. Les urbanistes veulent que Jérusalem soit inscrite dans le cercle des grandes métropoles mondiales, et qu’elle puisse ainsi concurrencer la capitale économique du pays, Tel-Aviv. 17 Un second axe prévoit une gestion équilibrée du développement urbain de banlieue. L’idée de polycentrisme est admise, à condition qu’elle ne se fasse pas au détriment du centre-ville traditionnel. Cette idée a provoqué de virulents débats, car elle implique la mise en œuvre du « projet Safdie » dans la périphérie occidentale de l’agglomération, qui prend des allures de véritable ville nouvelle, dotée de 100 000 unités de logement. Les opposants au projet affirment que celui-ci condamne le centre-ville au déclin22. Ce dilemme – renforcer l’hyper centre versus favoriser les centres satellites – a également été soulevé dans le cadre de la préparation du prochain schéma directeur d’Ile-de- France, et dans le cadre du Greater London Plan23. 18 Une troisième ligne insiste sur la sauvegarde des espaces ouverts, qui représente pour le moins un sujet à la mode dans l’urbanisme occidental, avec la montée en puissance des préoccupations environnementales. Un large éventail de degrés de protection est exposé, du parc national à la réserve naturelle, en passant par les paysages ouverts, les terrains agricoles et les zones « à valeur religieuse24 ». Des quotas de surface ouverte minimale par habitant sont établis selon les normes en vigueur dans des pays occidentaux. Une ceinture verte externe et un réseau de coulées vertes interne est esquissé, qui n’est pas sans rappeler, une fois de plus, ceux qui ont été aménagés en Ile- de-France.

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19 Un quatrième axe prône la conservation du patrimoine bâti, toujours inspiré par les pratiques occidentales en matière de sauvegarde. Les critères de sélection sont architecturaux et historiques, les urbanistes s’intéressent principalement à l’héritage sioniste laïc (Rehavia, Nahlaot), mais la politique n’est pas discriminante25 car les demeures arabes traditionnelles (Baka, Moshava Germanit) et les innombrables églises et monastères font l’objet de respectueux égards. 20 Un cinquième domaine, la politique de transports, ressemble étrangement à celles des grandes agglomérations européennes. Une rocade routière est tracée tout autour de l’agglomération, quatre lignes de tramway – aménagées sur le modèle des tramways de Strasbourg et Montpellier – sont prévues à l’horizon 202026, et des pistes cyclables apparaissent dans les quartiers centraux (il en existe déjà à Tel-Aviv). 21 Un dernier aspect rapproche ce schéma directeur de ses homologues européens, celui de la méthodologie employée. La municipalité a mis en place un processus de participation du public par l’intermédiaire des comités de quartier, démarche nouvelle pour Jérusalem27. Néanmoins, les critiques sont vives car les aspirations des habitants n’ont pas été systématiquement prises en considération28. 22 L’influence occidentale s’explique par de nombreux facteurs. Tout d’abord, la planification urbaine au sens moderne29 est apparue à Jérusalem à l’époque du Mandat britannique, et ses traces sont encore visibles aujourd’hui, tant dans le Code de l’urbanisme que dans le maintien de certains principes d’aménagement (protection du bassin visuel autour de la vieille ville, ceinture verte, zonage circulaire, façades en pierre, etc.30) Ensuite, à Jérusalem, la globalisation est en œuvre, la circulation des personnes et des idées entre Orient et Occident est très intense. Du point de vue d’un grand nombre de professionnels israéliens de l’urbain, l’architecture et l’urbanisme occidentaux incarnent la pointe du progrès. De très nombreux architectes sont formés en Europe ou aux États-Unis. L’actuel architecte en chef de la municipalité, ainsi que l’auteur du « projet Safdie », ont tous deux obtenu leur diplôme au MIT de Boston. Le lieu de leur formation n’a rien d’anecdotique car il a des répercussions sur les décisions en matière d’aménagement : l’architecte en chef prend fréquemment pour modèle de grandes villes américaines lorsqu’il expose sa vision de la future Jérusalem. À ce contingent de transnationaux s’ajoute celui des nouveaux immigrants arrivés en Israël après leurs études. Un des aménageurs les plus influents de la municipalité a importé son expérience de l’urbanisme rationnel britannique. Le directeur du département de géographie de l’Université hébraïque est l’un de ses compatriotes. Les cours de droit de l’urbanisme, ainsi que les cours de protection du patrimoine, sont assurés par des Américains ou des Britanniques d’origine31. Évidemment, certaines figures majeures parmi les enseignants d’études urbaines, qui travaillent également en tant qu’aménageurs, sont des Israéliens formés en Israël, mais leurs cours s’appuient autant, voire davantage, sur des exemples européens ou américains, que sur des exemples locaux32. En France, au contraire, les études urbaines universitaires restent largement européano-centrées. 23 En effet, une grande partie de la population israélienne est tournée vers l’Occident et souhaiterait que l’État hébreu soit intégré à la Communauté européenne. Ceci contredit le poncif du « repli communautaire » ou du particularisme dont est parfois taxée la société israélienne. On constate une forte volonté de normalisation, qui, à nouveau, ne nous intéresse pas seulement sur le plan sociologique, mais parce qu’elle est perceptible dans la fabrique urbaine. Pour de nombreux Israéliens, les enjeux capitaux

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du développement urbain de Jérusalem ne reposent pas sur l’aménagement ou le non- aménagement des quartiers arabes, mais plutôt sur l’autorisation ou l’interdiction d’ériger d’immenses tours de bureaux en centre-ville, la protection des espaces verts de récréation à l’Ouest, l’ouverture d’autoroutes, la viabilité du tramway ou la hausse du coût du logement – problématiques identiques à celle du nouveau PLU parisien. Les habitants israéliens mettent assez peu en relation la fabrique urbaine à Jérusalem et le conflit israélo-palestinien. V. Portée et valeur d’un schéma directeur à Jérusalem 24 Une différence fondamentale apparaît néanmoins entre le schéma directeur de Jérusalem et ceux des grandes métropoles occidentales : la régularité et le mode d’utilisation de cet outil d’urbanisme. Il n’y a pas eu de schéma directeur pour Jérusalem depuis 46 ans. Cette lacune a engendré une forme de sacralisation de ce type de document, puisque le précédent est resté la référence suprême depuis presque un demi-siècle. Le fait même qu’aucun autre plan n’ait été approuvé, malgré plusieurs tentatives33, prouve la valeur et la force contraignante que les élus locaux confèrent à ce document.

25 Toutefois, cet outil, qui émet des projections pour vingt ans, fige la direction que prendra le développement. Il peut alors paraître inadapté dans un contexte politique instable, sensible et incertain. C’est pourquoi les élus hiérosolomitains ont préféré utiliser des plans d’aménagement locaux, à l’échelle de quartiers ou de sous-quartiers, qui permettent une plus grande flexibilité. La procédure de modification d’un plan local est évidemment plus aisée que la révision d’un schéma directeur. En outre, bien que le document de 1959 ait force de loi, les pratiques illégales sont très répandues. Prenons l’exemple des activités économiques : la majorité des commerces de l’avenue Derech Bethléem à l’Ouest et des ateliers de Wadi Joz à l’Est ne détiennent pas de licence, car ces deux zones sont classées « résidentielles » dans le schéma de 1959 et dans les plans de quartiers. Les principes du schéma directeur comme ceux des plans locaux sont peu respectés, tant à Jérusalem-Ouest qu’à Jérusalem-Est, et il est probable que cette tendance se poursuive après l’approbation du nouveau schéma directeur. 26 Enfin, rien ne garantit que ce schéma sera approuvé, tant sont nombreuses les demandes légales d’annulation ou de modifications qui seront déposées. 27 Il s’agit donc de ne pas surévaluer la portée de ce type de document. En effet, malgré l’importance que lui attribuent les urbanistes, il semble, à Jérusalem comme ailleurs, que la fabrique urbaine effective se plie assez peu aux normes et aux orientations qu’un schéma directeur établit. Les dynamiques urbaines procèdent de multiples facteurs économiques, démographiques et politiques, qui sont par nature fluctuants, et que les aménageurs ne peuvent maîtriser entièrement.

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NOTES

1. Un schéma directeur est un document d’urbanisme réglementaire, chargé d’élaborer les grandes lignes d’aménagement, de répartition des activités, à l’échelle d’une agglomération, avec un horizon chronologique (15 à 20 ans plus tard). 2. Municipalité de Jérusalem, Schéma directeur d’aménagement local de Jérusalem 2000, Jérusalem, Municipalité de Jérusalem, 2004. 3. Le gouvernement prend comme référence la distribution ethnique qui existait en 1967 dans les frontières municipales établies après la conquête de Jérusalem-Est par l’État hébreu. 4. Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France, Quarante ans d’aménagement en Ile-de-France, Etudes et Développement de l’IAURIF, 2001. 5. Pierre Merlin, Françoise Choay, Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, Paris, Presses Universitaires de France, 1988. 6. Cette prescription concerne les communes de plus de 3 500 habitants situées dans une agglomération de plus de 50 000 habitants. 7. C’est-à-dire, du point de vue du gouvernement israélien, la Cisjordanie et Gaza, en excluant Jérusalem-Est, qui fait partie du périmètre de la Jérusalem municipale israélienne. 8. Projections démographiques calculées par S. Della Pergola, démographe, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem. 9. 680 000 habitants au total. 10. Jérusalem est plus touchée par les attentats que les autres villes du pays : depuis la seconde Intifada (septembre 2000), 127 attentats ont eu lieu à Jérusalem, c’est-à-dire 22 % des attentats commis en Israël. 11. U. Schitrit, architecte en chef de la municipalité, lors de la conférence « Présentation du nouveau schéma directeur de Jérusalem au public », organisée par la Société des comités de quartiers de Jérusalem, Jérusalem, 9 mars 2005. 12. Les urbanistes israéliens eux-mêmes désignent comme « zone centrale » du pays l’agglomération de Tel-Aviv et ses environs, c’est-à-dire la région du Goush Dan. Cf. Avi Ben Basset, Yoram Mishar (eds), Opposition au Plan Local 37/1 (Plan Safdie), étude éconmique, présentée au Conseil national de l’aménagement et de la planification, et au Département de la planification du district de Jérusalem, le 25 juillet 2004 (non publiée). 13. Cf. Arieh Shachar « L’aménagement vers l’Ouest : levier de développement ou échec économique ? », in « Jérusalem risque-t-elle une crise économique ? », Jerusalem Institute for Israel Studies, 15 novembre 2004. Avi Ben Basset, Yoram Mishar (eds), Opposition au Plan Local 37/1 (Plan Safdie), étude éconmique, présentée au Conseil national de l’aménagement et de la planification, et au Département de la planification du district de Jérusalem, le 25 juillet 2004 (non publiée). 14. Solde migratoire en 2002 : – 6 600 personnes. La même année, le solde migratoire de Tel-Aviv était de – 1 400 personnes. Source : Statistical Yearbook of Jerusalem, Jérusalem, Jerusalem Institute for Israel Studies, 2003. 15. Haredim : Juifs ultra-orthodoxes. 16. Ramot, Pisgat Zeev, Neve Yakov, Ramat Schlomo, Kiryat Menahem, Gilo et Har Homa. 17. De plus, la production du schéma directeur a démarré avant que ne soit approuvé le projet de la barrière de séparation, et au moment de la publication du schéma, le conseil des ministres n’avait pas encore pris de décision définitive quant à son contour à Jérusalem-Est. 18. En particulier à A-Tur, Djebel Mukaber, Arab Es Sawahra, Um Tuba.

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19. M. Cohen, architecte, concepteur du schéma directeur, et U. Schitrit, architecte en chef de la municipalité, lors de la conférence « Présentation du nouveau schéma directeur de Jérusalem au public », organisée par la Société nationale des comités de quartiers, Jérusalem, 9 mars 2005. 20. Ramat Schlomo, Neve Yakov, Pisgat Zeev. Cf. Ofer Matan « Colonisation rampante », in Kol Ha Ir, 18 février 2005. L’hebdomadaire Kol Ha Ir est un hebdomadaire local qui offre un supplément consacré aux actualités de l’aménagement urbain à Jérusalem. 21. Autour de la gare centrale et du Centre des congrès Binianei HaOuma. 22. Schlomo Hasson in M. Maoz, S. Nusseibeh, Jerusalem, points of friction – and beyond, The Hague, Kluwer Law International, 2000 ; et Maya Chosen, Schlomo Hasson, Israel Kimhi (eds), Sustainable Jerusalem, Development and Conservation Issues, (en hébreu) Jerusalem Institute for Israel Studies, 2004. 23. Sources : P. Louchart, S. Beaufils, L. Tiratay, « L’extension de l’aire urbaine de Paris n’est pas synonyme d’étalement urbain », Note Rapide Bilan du SDRIF n. 31, Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France, mai 2003. L. Perrin « Le London Plan. Objectifs, contenu, processus d’élaboration », Note Rapide Territoires de l’Aménagement n. 5, Institut d’aménagement et d’urbanisme de la région Ile-de-France, janvier 2003. 24. Mont Sion et mont des Oliviers, vallées du Kidron et du Hinnom (tombeaux saints, vestiges archéologiques…). 25. Cette remarque concerne la vieille ville et ses environs, l’absence de discrimination en matière de protection du patrimoine dans les quartiers périphériques étant plus discutable. 26. Entretien avec Amnon Elian, responsable du projet du tramway au ministère des Transports, Jérusalem, 17 mars 2004. 27. On en compte 24 dans le périmètre municipal, dont cinq seulement à Jérusalem-Est. 28. Entretien avec Yaira Wiesenthal, responsable de l’aménagement urbain dans la Société des comités de quartiers de Jérusalem, Jérusalem, 6 novembre 2003. 29. Production de documents d’urbanisme opposable au tiers. 30. Cf. Gideon Biger, Planification urbaine et renforcement de la réglementation de la construction : Jérusalem sous le Mandat britannique et aujourd’hui, Jérusalem, The Jerusalem Institute for Israel Studies, 1981. Arieh Sharon, Planning Jerusalem, the Old City and its Environ, Jérusalem, Weidenfeld and Nicholson, 1973. 31. Dennis Gouldman, Mike Turner. 32. Arieh Shachar, Eran Razin. 33.En1965, en 1978, en 1997.

RÉSUMÉS

Jerusalem in 2020: A Planner’s View. – In September 2004, the municipal government of Jerusalem developed a new master plan for the city. This is of great significance since the last plan was approved back in 1959. Every planning document aims to both satisfy the residents current needs and to project those needs into the needs of the future, hoping to contribute to an improvement in living conditions. The task, always a delicate one, is essentially to define the common good, both for today and

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tomographe (see illustration, p. 212). Foreign and domestic political considerations always influence the decision-making process. In this case, the new master plan appears not to have restricted itself to meeting existing needs since it is also concerned with meeting a certain goal, one outlined in the government’s recommendations. That goal is the “consolidation of Jewish sovereignty over Jerusalem.” Planners were advised to strive for maintaining in the city the ethnic distribution that has existed since 1967: 70% Jewish inhabitants and 30% Arab. Surprisingly, the planners contested this, the plan projecting that, by 2020, the city would be 60% Jewish and 40% Arab, given natural growth. This figure would appear to be more fair than that of the government’s recommendation, but even it is not based on natural growth projections alone. For it requires that there be significant rise in Jewish immigration to the city and no Arab immigration, whereas at present there are number of Jews is declining. This call for strong Jewish immigration has had a great influence on the urban vision contained in the master plan. As regards housing, Jewish neighbourhoods are to be extended while the growth of Arab neighbourhoods is to be restricted, both vertically and horizontally. Some new neighbourhoods are also projected and they all appear to be intended for Jewish residents alone (to the West, Har Harett, Rekhes Lavan, and Mitzpe Neftoah; to the East, Har Homa D). Even if the discriminatory inequities contained in the plan have been, and continue to be, a matter of intense discussion by Israelis and Palestinians, it must be said that the new master plan contains a number of decisions that are not at all connected to the Arab-Israeli conflict. Rather, they seem to be inspired by classical Western approaches to planning. These include the Central Business District (CBD) renewal, with its new towers and tram network, the protection of open spaces or green belts, and the conservation of a number of historic buildings. Western influenced Jerusalem planning is nothing new; indeed, it can be said to have originated with the British Mandate. Current legislation is thus but a part of the British heritage. Moreover, a good number of Israeli planners were educated abroad, particularly in North America and Europe. Finally, Israeli society in general is highly western and hence tends to favour western- urban development.

AUTEUR

IRÈNE SALENSON Irène Salenson est agrégée de géographie, doctorante au laboratoire LADYSS (Laboratoire d’Etudes des dynamiques sociales et recomposition des espaces), Université de Paris-I-CNRS, UMR 7533, sous la direction de M. Pierre Merlin, Professeur émérite à l’Université de Paris-I Sorbonne. Elle est actuellement ATER en géographie- aménagement à l’Université François-Rabelais de Tours. Lauréate de la bourse Michel-Seurat du Centre national de la recherche scientifique, elle a été accueillie au Centre de recherche français de Jérusalem d’octobre 2003 à octobre 2005. Irène Salenson has an “Agregation” (Teacher degree) in Geography. She is a PhD student at the LADYSS research center (Center for Social and Spatial Dynamics Studies), Paris I University–CNRS, under the supervision of Prof. Pierre Merlin, University of Paris I Sorbonne. She is an assitant teacher in Geography and Planning at the François- Rabelais University of Tours. Michel Seurat Scholarship student, French Foreign Ministry scholarship, she has been invited by the French Research Center of Jerusalem, from October 2004 to October 2005.

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The Early Bronze Age Dwellings in the Southern Levant

Deborah Sebag

1 The house is a strategic base for the study of any given civilization. By studying the habitations, it is possible to find indications of not only the way of life of its occupants, their social organization, their world view, their needs, their resources but also of the available technologies1.

2 In this study, we will give a chronological presentation of the various types of dwellings through the Early Bronze age, in the Southern Levant. 3 It is during the Early Bronze Age (3 100-2 000 B.C.), that the first urbanization of Palestine occurs. The very first urbanization took place in Mesopotamia, in the middle of the 4th millennium B.C. The city is the symbol of the development of a new civilization, based on the dynamics between interdependent cities and villages, i.e. between one centre and its periphery. The study of the EB enable us to observe changes in the social organization, in particular the emergence of an elite. However, the urbanization was not a revolution, but it was a slow and gradual process, which started during the Chalcolithic, at the beginning of the 4th millennium B.C., and which accelerated towards 3 000 B.C., with the transition from EB I to EB II. The reasons for this progressive transformation are multiple. They are economic, with the development of a sedentary agricultural way of life, and cultural, with the development of relations between Palestine and the countries of the Fertile Crescent and Egypt.

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Fig. 1, Map of the sites.

Palestine is divided into three climatic zones: the Mediterranean zone, the semi-arid zone and the arid region. The limit between these zones is marked by the isohyet of 250 mm of annual precipitation and its fluctuations. Indeed, the Mediterranean zone climate is above this isohyet and the arid region is below this isohyet. However, there are annual fluctuations which create an unstable zone of climate; it is the semi-arid area (Fig. 1). The EB is divided into four periods: EB I (3 500-3 100 B.C.), EB II (3 100-2 700 B.C.), EB III (2 700-2 300 B.C.) and EB IV (2 300-2 000 B.C.).

4 Despite the great number of dwellings excavated and their wide variety, distinct types of EB houses can be identified. If these types present similarities, they are due to climatic conditions, to the level of urbanization of the site, and to socio-cultural or ethnic constraints and not to a central authority of planning. Indeed, the differences in quality of construction indicate that the houses were built by private individuals, undoubtedly by the future owners and their families2. In some cases, the quality of construction implies a “professional” manufacturer. The existence of such professionals is not improbable; the construction of city walls or of palaces already implies their existence. 5 I did not include in this presentation the apsidal plan3, even if it is very often mentioned in the EB archaeological literature. Indeed, many houses were described as being apsidal, but after an examination of the plans, these habitats are rather curvilinear, broadroom or rectilinear4. In fact, only one house seems to deserve the designation “apsidal”, the level IV house of Megiddo. But only one example a plan is not enough to characterize an architectural tradition. Nor did I include the circular plan as we find it at Beth Shean or Jericho, because its identification as a habitation seems doubtful; they were rather used for storage. Lastly, I did not include the hut-type dwellings, as at Tel Ira5, or in Beth Shean6, simply because there are so few remains.

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I. Early Bronze Age I 6 EB I is characterized by village cultures which share a great number of cultural and material features. The sites are unfortified villages with a low density of population. EB I is characterized at the same time by elements of continuity with the previous period and by new elements. The fact that the EB I culture is determined by a strong cultural regionalism is a significant element of continuity. We also continue to observe the continuity of some architectural types like the pit houses, the troglodytes habitats and the broad-room houses. Meanwhile, EB I brings innovative elements, especially a new pattern of settlement. Indeed, during the Chalcolithic the inhabited zones were rather in semi-desert and desert zones. The majority of those sites were abandoned at the beginning of EB I, and new sites appear in the Mediterranean zone. This event is linked to a process of increased settlement. It is a phenomenon which produces a more compact organization of the habitats7. 7 At the beginning of EB I, the houses had to adapt to new economic data. These transformations began during the 4th millennium B.C. and accelerated in the course of the transition between Chalcolithic to EB I. The culture and the exchange of Mediterranean products was one of the central axes which allowed the emergence of an elite directing the economic and socio-political EB I life8. 8 Among the architectural types in continuity with the previous times are the troglodyte and pit-houses. The troglodytes do not have a standard plan. The habitat re-uses the natural features of the cave. In some cases, the walls are dug to increase the cave size, as in Lachish, or leveled in order to appear more flat. The troglodytes are not located in specific geographical areas. Their presence depends entirely on the topography of the site. They are in the Mediterranean zone, as in Gezer or Lachish, and in the semi-desert zone as in Arad. The use of natural caves, although marginal compared with the other types of dwellings, coexists with the rural or urban sites at all the times of occupation of Palestine9. The troglodyte dwellings were often employed again as burials, e.g. in Lachish, during Middle Bronze Age. 9 The pit-houses are dug by man. They are circular or oval (diameter: 2 to 4 m). They are dug to a depth of 0,50 m to 3,50 m in the ground. The floors can be coated. The superstructure was in cob or in bricks, as in Tel Halif10. But it also could be out of fabric, forming a kind of tent superstructure. We find the pit-houses in all the geographical areas, in both the Mediterranean zone, as in Beth Yerah11 or Tel Halif, and in the semi- desert zone12. In Tel Halif, there is a concentration of several pit houses forming a hamlet. The pit-house type is very old; the origin goes back to the Kebaran (17 000-10 500 B.C.) and the Natufian periods (10 500–8 800 B.C.). It is not a regressive form of architecture, but an economic way of life. Indeed, it is easier to excavate than to build. It is less expensive in terms of energy and raw materials, especially in areas where the wood resources are missing. In spite of its weak diffusion, this type of architecture will be perpetuated until Byzantine times and even until the contemporary period13. 10 Meanwhile, in the villages, most of the houses are broad-rooms. Ben-Tor defines some essential characteristics of these houses: a main broad-room building (from 2,75 to 5 m wide and from 5,50 to 10 m long), often connected to subsidiary rooms; benches along the walls (0,30 to 0,40 m in width); a sunken floor with access via two or three steps; a stone column base; an entry located on a long side (0,60 to 0,70 m wide) and an enclosure14. Inside some houses we find also platforms, silos, pits and hearths. This unit

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was always connected to a court. We can observe the lack of windows, the air and the light came only from the entrance door. The materials used are always from local sources. The interior space of the house is often divided using cross-walls. 11 The broadroom plan was identified in En Shadud (Fig. 2) and Tel Dalit, but without the connection of a broadroom with a court. This type of plan which associates a broad living-room to a large court is a direct descendant of the Chalcolithic shepherd house (Tel Teo, level VI). These dwellings are associated with a way of life based mainly on domesticated animals.

Fig. 2, En Shadud, area A (Braun, 1985, fig. 5).

For Ben-Tor15, there is an obvious parallel between this plan and the plan used for the realization of sanctuaries like the Twin Temples (layer XIX) and the sanctuaries (layers XV and XVI) of Megiddo16; the temple of layer VIII of Jericho; the EB II Arad sanctuary; the EB II Ai temple on the Acropolis; and also the collective tombs of Bab-edh-Dhra (EB II and III). Thus, the extention of this plan to religious and funerary architecture can prove its indigenous origin.

12 In the EB villages of En Shadud, Tel Teo, Yiftahel, Tel Kabri, Mezer, Palmahim Quarry and Qiryat Ata, the dwellings are scattered without organization. The infrastructure of the village indicates two levels of social organization: the community and the nuclear family. 13 During EB I, there is also a curvilinear architecture. It is, by definition, made of curved walls. A rectilinear building with some round corners cannot be described as curvilinear. This type of architecture is present in a vast area which includes the north of Israel, part of Jordan and the Lebanese littoral. The site of Byblos marks the northern limit of this architecture, and the eastern limit is the site of Jebel Mutawwaq. In the South, we find some examples as far south as Modiin, in the vicinity of Jerusalem. In

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Mezer, Palmahim Quarry, or Yiftahel, the EB I curvilinear houses follow directly the rectlinear Chalcolithic houses. In Kabri, Mezer and Qiryat Ata (Fig. 3), the EB I curvilinear levels themselves are directly followed by rectilinear levels, from the end of EB I or the beginning of EB II.

Fig. 3, Qiryat Ata, area A (Golani, 2003, 2.1, p. 12).

14 The houses measure from 6 to 16 m long and 5 to 8 m wide. The walls have stone foundations and a brick superstructure. In many houses, space is divided by small curvilinear cross-walls. They divide the space into three, with a central space and two small spaces in the apses. The floor is beaten clay. In Yiftahel, Qiryat Ata, Tel Teo, Mezer and Kabri, the two apses were paved with small flat stones. In Palmahim Quarry the floor of the central space is paved, and in Jebel Mutawwaq the floor is entirely out of beaten clay. In Jebel Mutawwaq and in Qiryat Ata (building A), we find bases of stone pillars laid out along the longitudinal axis. The pillars must have been of wood and supported a light roof. But on all the other sites, there are no trace of such stone pillar bases. Thus, Braun, the excavator of Yiftahel and Palmahim Quarry, supposes that the pillars were of clay and completely vanished17. However, the span of these houses is narrow, and maybe there was no need of pillars, as the excavators of Sidon-Dakerman think (Fig. 4)18 .

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Fig. 4, Curvilinear houses from Sidon-Dakerman (Herzog, 1997, fig. 3.2).

Generally, inside these houses there are few installations. When present, they are often concentrated in the paved apse area. The house can also be connected to external installations like small circular structures (Mezer, Yiftahel, Palmahim Quarry). Only some houses are connected to a court.

15 The occupation of the houses was undoubtedly short, because we observe several phases of construction superimposed, one over the other, in a short chronological period. The houses are organized in villages of about ten houses, except in Jebel Mutawwaq, which contains 250 houses surrounded by a fence wall. Even if Jebel Mutawwaq presents many similarities with the Palestinian sites, it shows also significant differences because of the fence. It also resembles to Sidon-Dakerman (Liban)19, Byblos (Liban)20 or Chraya in the area of Léja, in the south of Damas 21. The question of the origin of the curvilinear plan remains unsolve. The oldest examples were found in Byblos, at the beginning of Late Enéolithique (fifth millenium B.C.) and in Sidon-Dakerman, during the Chalcolithic. It is clearly related to villages like Yiftahel. The model would have spread during EB I in Transjordan and in the North of Palestine. In any case, the arrival of this architectural model is part of the EB I cultural sequence with an increased number of sites. It is a not easily quantifiable phenomenon which seems to be the result of the settlement process of populations which formerly practised nomadism. 16 Curvilinear architecture is frequently associated with the Esdrelon type ceramics. Both are the reflection of a new material culture linked to the arrival of a new population in the north of Palestine at the beginning of EB I. Indeed, the choice to build curvilinear houses is entirely cultural, because this type of plan did not exist before and disapeared afterward. Moreover, to build curvilinear walls with rectangular bricks is a true technical challenge. In addition, the ethnoarcheologists point out that “the introduction of new architectural types on a site should not be necessarily explained by brutal changes of civilizations due to conflicts. It can be the result of more subtle influences, such as the adoption of “trends” which translate the cultural value of architectural phenomena”22. 17 'En Besor and Tell es-Sakan are special sites because of their method of construction; indeed, we notice the lack of foundations. The walls are laid directly in a small foundation trench. This technique of construction comes from the Delta of the Nile.

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The walls are made entirely out of raw bricks laid in stretchers and headers. The dimensions of the bricks are very particular: in Tell es-Sakan they are 0,12 x 0,24 m, corresponding to an Egyptian cubit; in 'En Besor the bricks are 0,08 x 0,12 m. 18 The buildings are the reflection of particular relations, at a given moment and during a short period, between the Canaanite and the Egyptian civilizations. The presence of these buildings is one of the stages of these relations which started during the Late Chalcolithic, the time of Naqada I in Egypt. The relations intensified at the beginning of EB I – Dynasty “0” – and they led during the second half of EB I to the creation of typically Egyptian settlements like Tell es-Sakan or 'En Besor. They are kinds of lodges or fortified towns – Sakan is fortified – located on a trade route. These sites disappear at the end of EB I. Meanwhile, the contacts persist between Egypt and Palestine, but they were different and conducted directly between the first Egyptian dynasties and the new Canaanite city-states. 19 The material culture of these sites reflects Egyptian tradition, either imported or produced on the spot. These objects are also found in Canaanite sites like Tel Erani. The existence of these settlements thus served a specific function related to the progressive emergence of an Egyptian centralized administration: it required raw materials and exotic products, and Palestine was a producer of those products23. Moreover, these sites do not appear abruptly; there are precedents in the south of the Coastal Plain in the middle of the 4th millennium B.C. during the civilization of Lower-Egypt called “Maadi” 24. 20 Even if EB I is located in the continuity of Late Chalcolithic, it shows a turn in the architectural tradition. Indeed, the plans stay the same but they are more suitable to more densely settled. The curvilinear and the Egyptian architectures are specific reflections of the relations and exchanges which develop at this period between Palestine and its close neighbours. II. Early Bronze Age II-III 21 EB II-III is characterized by the development of the urbanization phenomenon, even if it is not uniform through all the Southern Levant. Some sites are already urbanized at the end of EB I, whereas others reach their urban stage only with EB II or III25. 22 During EB II the population continues to settle, and there is a concentration of inhabitants in a restricted number of sites, which are fortified. The fortification of sites like Ai, Jericho, Tell el-Far'ah or Tel Yarmouth is the reflection of a new form of social organization: the city-state. It is a time of great development in the Mediterranean economy. On some sites there is a stratigraphic continuity with the previous period (Ai, Jericho), while some others are newly settled. 23 The urbanization is not without consequences for the habitats. Indeed, rectilinear architecture is perfectly adapted to an urban space which becomes denser. Its plan is flexible according to the space available, and it can easily be expanded, according to needs of the family. 24 From an architectural point of view, the greatest transformation of EB II is the construction of walls around sites. That creates clearly limited spaces. The fortification is the symbol of the existence of a ruling class which can gather collective energies. The effects are on the economic level, with the control of the products entries inside the cities. It also involves the centralization of the socio-economic activities inside the site26.

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25 In some cases we observe the construction of the fortification before the construction of blocks of dwellings, and in other cases we observe the destruction of houses for the construction of the ramparts. In all cases, the fortification takes precedence over the dwellings, which will be built or rebuilt according to the line of the rampart27. In Tel Dalit, Tell el-Farah (Fig. 5) and Ai, the houses follow the layout of the fortifications.

Fig. 5, Tell el-Farah, level 3, houses (de Vaux, 1961, pl. XXXIV).

26 In the cities, there are, at the same time, monocellular and pluricellular houses. The monocellular houses are rectangular (from 5 to 6 m length, and 3 to 4 m wide). They open onto a street or a common court28. The lack of communication between adjacent rooms can be a clue to the presence of two distinct domestic units, but often it is difficult to isolate a domestic unit in a small block. This is the case in Tel Yarmouth, where the architecture is so dense that it suggests the small block could be inhabited by the same family grouping or the same lineage (Fig. 6). In some cases, as in Numeira, in EB III, urban density is so great that the monocellular habitats do not have any more court. They use, instead for example, the street, when it is a dead-end, as an extension of the house (Fig. 6). It leads to situations of agglutination of the habitats which translate a high level of social integration, more significant than in a village29.

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Fig. 6, Houses of the Early Bronze age III. a. Numeira (Coogan, 1984, fig. 1); b. Tel Yarmouth, area G (Miroschedji, 1992, fig. 1).

Inside those small blocks of dwellings, the houses are most usually rectilinears. However, it happens that the houses are deformed by the urban pressure. We find triangular or square houses. But generally, the habitats are so grouped that it becomes difficult to differentiate the rooms and the courts (Fig. 7). The most typical house in this urban environment is composed of a room and a court, with, in some cases, a more modest subsidiary storage room30. If the urban space is too dense it happens that there is no court. The activities which took place there would then be moved into an adjacent lane (as in Numeira) or perhaps on the roof.

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Fig. 7, Pluricellular houses from Tell el-Farah (Bonn Greenwald, 1976).

27 There are pluricellular dwellings through the EB, both in the villages (as in Beth Shean, Mezer and En Besor) and in cities like Tell el-Far'ah, Ai or Tel Erani, where these habitats are integrated in a dense urban space. The number of rooms range from two to five, the average being around three rooms. The fact that the interior space of the house is subdivided indicates the beginning of domestic space specialization. 28 Some of these very large houses could have been inhabited by extended families or by elite families. For the moment, the main clue is provided by the large-sized houses. These houses are known as “patricians”; they are in fortified sites like Tel Yarmouth (the “White Building”), in Tel Nagila, Ai, Tel Erani (house 232) or in Tell el-Farah (La maison des Jarres) (Fig. 7). The name “patrician house” is due not only to their dimensions but also to the particular care taken during their construction. These houses were maybe inhabited by populations with a special social status. The extreme case of these patricians’ houses is reached with the construction of palaces, like in Tel Yarmouth, Megiddo or Ai. However, these are no longer houses but rather instruments of political and economic control. They prove the existence of the first local monarchies in Canaan. 29 Whereas some significant sites had already disappeared by the end of EB II, some do not reach their apogee until EB III31. Thus, Tell es-Sakan is re-occupied by Canaanite populations and it is fortified again. Numeira is also fortified during EB III, like Tel Halif. However, there is a great continuity between EB II and III, with the same phenomenon of fortified cities. 30 The first urban revolution played a great role in the evolution of the habitats. For the first time, people had to deal with a closed space. The habitats then would gather and be organized in small blocks, surrounded by lanes. The habitat is then reduced to its simpler expression: a living-room and a court.

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31 In the south of Palestine there were other ways of life more centred on animal husbandry and implying other types of architecture, in particular in Arad and in the Sinai. After its excavation, the site of Arad was re-studied by researchers32 who wanted to discuss the interpretations of Ruth Amiran. She thought that “house of Arad” was an absolute model33. Its main characteristics were a broad-room shape, an entry located in the middle of a long side, and a sunken floor. But the question should be re-cast, because the problem is not at the building level, but rather at the level of thewhole domestic unit. Indeed, it is an error to look at the typical house of Arad as a house with one building. On the contrary, according to the studies of Marfoe, the dwelling of Arad is essentially made up of several units gathered around a court. The broad-room building is only a part of a whole. Comparison with the ethnoarchaeology of former nomadic populations in the process of settling reveals many shared points. Indeed, at the time of the second stage of settlement process, there is a specialization of domestic space. Each building “tends to house only one function (living, storage, shelter of animals...)”34. Generally, all the plans consist of an assembly of rooms gathered around a court, sometimes with an enclosure (Fig. 8). In Arad field M, we observe the regrouping of four to five buildings around a court. In addition, the city of level III gives the impression of a village surrounded by an enclosure. In the same way, the plan of level II, which is the apogee of the urban development of Arad, does not seem to be occupied in a very dense way (Fig. 9). Thus, after study of its habitats and its town planning, Arad seems to be an isolated case of a village occupied by recently settled populations, but already urbanized, because the site is fortified. It is a hybrid city: half- camp, built in stone, half-city. 32 In the desert zones, there is the “cluster-house” type. This type of architecture is present in small sites located exclusively in the Sinai and in the Negev, dated to the EB II (Fig. 10). This type of plan is divided into two types: the first type consists of a vast court surrounded by many small parts, and the second is made up primarily of an enclosure.

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Fig. 8, Tel Arad, area M, level III, squares AN/AO 35-36, big house: 153,8 m2 (Amiran, 1996, pl. 96).

Fig. 9, Tel Arad, area M, broadroom houses (Amiran, 1996, pl. 96).

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Fig. 10, Sinai map.

The first type is located in sites in the Negev and in the entire peninsula of the Sinai, as in Ain el-Qudeirat, Feiran 1, Nabi Salah, Ramat Matred and Sheikh Muhsein. These sites are close to water sources and to the roads which follow the main wadis. They are made of domestic units arrayed around a court, which forms a more or less circular site (Fig. 11). These domestic units consist of six to nine living rooms and from ten to fourteen subsidiary rooms. The court is also used as an enclosure for animals (goats, sheep). The rooms are oval, rectangular or trapezoidal. Their entry is from 0,55 to 0,60 m wide; it is flanked by two monoliths 0,75 to 2,20 m in height and has a stone threshold. The floor is located from 0,20 to 0,60 m lower than the court, with one to six steps leading inside. There are benches along some walls, as in unit A of Nabi Salah. Some basins used for storage of the food were found in the corners, as in Sheikh Muhsen. We very often find in the centre of the room a stone slab being used as a pillar base, or a pillar made entirely out of stone is found collapsed. The subsidiary rooms differ from the living-rooms in their size, their form and their techniques of construction. These rooms are circular, paved with stone slabs, and some are subdivided by stones on the edge. The floor is at the same level as the court. There are no pillar bases and no benches35. These subsidiary rooms were used as workshops or as storage rooms. Thus, in Feiran 1 the archaeologists think that one room could have been a workshop, because a crucible containing oxidized copper remains was found inside.

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Fig. 11, Nabi Salah (Beit-Arieh, 2003).

The rooms are organized around a court which measures on average 12 x 15 m. Some measure more than 20 m long, like in Sheikh Muhsen. These sites were occupied temporarily by nomad who practiced not only pastoralism but also trades; some copper, mother-of-pearl and shell from the Red Sea were found. These sites were inhabited by extended families36.

33 For Beit-Arieh, the main excavator of this type of site, they are related to the Arad and the Canaanite culture37. First of all, there are architectural similarities (sunken floor, benches along the walls, steps, stone pillar-bases) and artefact similarities. This was confirmed by ceramic petrography studies showing ceramics of comparable nature coming at the same time from Arad and from the Sinai. In both cases, they revealed the presence of granitic Sinai clay. In all the cases, we find very little – less than 0,05 % – Egyptian ceramics (from the 1st Dynasty). It proves the existence of the same cultural tradition, indigenous to the South of Palestine. 34 The second type of sites, the units with enclosure were excavated in Gebel Gunna, in the surroundings of Ain Kid, and in many other small sites all along the East coast of the Sinai Peninsula and in the West around the oasis of Feiran38. Beit-Arieh divides these sites into two categories. The first one is made up of a round enclosure attached to one or two round or rectangular rooms, like the site 1332 (Ain Kid). The second category is made up of a round enclosure with small compartments inside (from 1 to 1,5 m in diameter). In some cases, an additional room is attached to this enclosure, like site 1345 of Ain Kid. 35 The enclosures measure from 35 to 129 m² and are more or less rectangular, as in sites 1332 and 1333 of Ain Kid; oval as in Gunna 25; or round as on site 1345 of Ain Kid. Generally, the floor is covered with organic material (manure). The walls are preserved to a height of one or two courses; the foundations are not very deep. The

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superstructures might have been of leather. The constructions were build with little care. In Gebel Gunna 25 we find some installations: bench, silo, stone basin. In the other sites excavated by Beit-Arieh we do not find domestic installations39. In both cases, there are no columns, entrance monoliths, stone pillar-bases, nor benches. The architecture and the poverty of the artifacts suggest that the sites were inhabited by populations different from those which lived in the other sites of the Sinai. They were occupied by local semi-nomadic populations, which explains the presence of the central enclosure where the tent would have been set up. However, the presence of some Canaanite shards proves that the two populations practiced trade. 36 Thus, there were two major types of “cluster-type” sites. Both are dated exclusively to EB II and are located in zones of desert climate. The first type of settlement was occupied by populations of Canaanite origin, directly in connection with Arad, and the second type of site was occupied by indigenous populations. In both cases, we find characteristics typical of the semi-nomadic way of life: location of the site close to an oasis, like in Feiran; the presence of a vast enclosure for the herd and for the tent; and a poor quality of construction. The site was occupied only in a very short time. Conclusion 37 If we observe the transformations of the various dwelling plans during the EB Age, we can notice that the general development goes in the direction of a better adaptation of the plan to its environment. On one hand, even if the construction of the habitats were not subjected to the same constraints as the construction of the temples or the palaces, they nevertheless had to conform to preconceived ideas, to have an acceptable cultural form. If the architectural form was new, it had to contain some culturally essential elements, like storage space or court. In addition, on a site occupied over a long span of time the plans had to integrate the pre-existing rooms, and on the urbanized sites the plan also had to be the result of the most efficient possible occupation of space.

Fig. 12, Theoretical graphic of the EB urbanisation (Miroschedji, 1989, fig. 1).

If we look at the theoretical sequence of urbanization in Palestine proposed by Miroschedji40 (Fig. 12), we can allot a type of habitat to each phase: settling, village, urbanization. During the settling phase, there is the creation of new sites and the occupation of the territory is loose. The housing units consist of rooms gathered around a court. The house tends to be broadroom, like the shape of a Bedouin tent. The habitat shows the traces of the agricultural and breeding activities practised by its occupants. The village stage is a phase of consolidation and expansion of the settlement. The habitats tend to cluster, the practice of agriculture tends to develop, and rectilinear architecture remains the rule, even if we can observe local variations. At the urban stage, the habitats have a reduced area. They remain rectilinear but reflect the pressure on the urban space which increases with time. This model apply to

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the EB Age, but it can undoubtedly also adapt to the second urban phase in the Middle Bronze Age (2 000- 1 600 B.C.).

38 Thus, we see three major variables which can influence the habitats and their shape. The most influential variable is economic, because the way of life guides the composition of a house. The urban factor applies in the case of the fortified sites of EB II and III. And the cultural factor remain rather anecdotal at this time. Thus, the architectural data enabled us to grasp the interactions and the relative importance of the natural environment, the way of life, the technological level of development and the socio-cultural traditions in the formation, the evolution and the stabilization of the types of dwellings41. 39 Finally, the most significant of the variables remains personal choice. Indeed, the opinion of the future owner is not to neglect, he had to made the plan of its future house. Moreover, T. Canaan notes in his ethnographic observations of Palestine that for the construction of all the houses, until the beginning of the twentieth century A.D., the villagers called upon architects only infrequently, for example to build a large house. The architect was then a mason, simply more experienced, helped and supervised by the future owner of the house42.

NOTES

1. A. Rapoport, Pour une anthropologie de la maison, Collection Aspects de l’Urbanisme, Bordas, 1972, pp. 4-6. 2. A. Ben-Tor, “Early Bronze Age Dwellings and Installations” in A. Kempinski, R. Reich (eds) The Architecture of Ancient Israel from the Prehistoric to the Persian periods. Jerusalem: I.E.S., 1992, p. 60. 3. The apsidal architecture implies a rectilinear shape with only one apse. 4. E. Braun, “The Problem of the “Apsidal” House: New Aspects of Early Bronze I Domestic Architecture in Israel, Jordan, and Lebanon”. Palestine Exploration Quarterly 121, 1989, pp. 1-43. 5. I. Beit-Arieh, “Sinai, southern Sinai in the Early Bronze age” in Stern, E. (ed.) The New Encyclopedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem, The Israel Exploration Society, volume 4, 1993, pp. 1397-1399; I. Beit-Arieh, “Excavations at Ramat Matred: an Early Bronze II site in the Neguev Highlands”. Tel Aviv 26, 1999, pp. 76-91. 6. B. Maisler, M. Stekelis, M. Avi “The Excavations at Beth Yerah (Kirbet el-Kerak) 1944-1946”. Israel Exploration Journal 2, 1952, pp. 165-175. 7. E. Braun, Cultural Diversity and Change in the Early Bronze I of Israel and Jordan, towards an Uunderstanding of the Chronological Progression and Patterns of Regionalism in Early Bronze I Society, Dissertation presented to the Senate of Tel Aviv University. (non publié), 1996, p. 31. 8. A.H. Joffe, Settlement and Society in the Early Bronze Age I and II, Southern Levant: Complementarity and Contradiction in a Small-Scale Complex Society, Sheffield Academic Press, Monographs in Mediterranean Archaeology 4, Sheffield, 1993, p. 82.

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9. A. Ben-Tor, op. cit., p. 66. 10. J.D. Seger, “Investigations at Tell Halif, Israel 1976-1980” Bulletin of American School of Oriental Research 252, 1983, pp. 1-23. 11. R. Hestrin, “Beth Yerah” in E. Stern, (ed.) The New Encyclopaedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem: IES, volume 1, 1993, pp. 255-259. 12. J.D. Seger, 1983, op. cit. pp. 20-23. 13. J. Perrot, “Structures d’habitat, mode de vie et environnement des villages souterrains de pasteurs de Beershéva dans le sud d’Israël, au 4e millénaire avant l’ère chrétienne”. Paléorient 10, 1984, pp. 75-92. 14. A. Ben-Tor, op. cit. p. 64. 15. Ibid. 16. Y. Aharoni, “Megiddo” in E. Stern, (ed.) The New Encyclopaedia of Archaeology in the Holy Land, Jerusalem: IES, volume 3, 1993, pp. 1002-1024; G. Loud, Megiddo II seasons of 1935-39, (=OIP 62), Chicago, 1948. 17. E. Braun, “Yiftahel: salvage and rescue excavation at a Prehistoric village in Lower Galilee”, Israel Antiquities Reports n°2, 1997, p. 24. 18. R. Saidah, “Fouilles de Sidon-Dakerman : l’agglomération Chalcolithique”. Berytus 27, 1979, pp. 29-55. figs. 9, 10. 19. A. Ben-Tor, op. cit. pp. 61-62. 20. R. Saidah, op. cit. p. 32. 21. C. Nicolle, “Projet d’atlas archéologique des sites préclassiques de Syrie du Sud, la campagne de Chraya 2002”. Orient-Express 4, 2002, pp. 99-100. 22. O. Aurenche (éd.), Nomades et sédentaires perspectives ethnoarchéologiques, ERC, “Mémoire” n°40, 1984, Paris, p. 15. 23. P. de Miroschedji, “Les premières cités-états cananéennes” Dossiers d’archéologie 203, 1995, pp. 81-100. 24. Ibid. 25. Z. Herzog, Archaeology of the City, Urban Planning in Ancient Israel and Its Social Implications, Tel Aviv University, Institute of Archaeology, Monograph Series N°13. Tel Aviv, 1997, pp. 42-43. 26. A.H. Joffe, op. cit. pp. 68-71. 27. Ibid. 28. R. de Vaux, “Les fouilles de Tell el-Far’ah” Revue Biblique 68, 1961, pp. 576-592. 29. A.H. Joffe, 1993, op. cit. p. 68. 30. P. de Miroschedji, Contribution à l’étude de l’urbanisation en Palestine à l’âge du Bronze Ancien, thèse de doctorat, Paris I (Panthéon-Sorbonne), Paris, 1976 (non publié), pp. 90-91. 31. Herzog, op. cit. pp. 77-78. 32. L. Marfoe, “Review” Journal of Near Eastern Society 39, 1980, pp. 315-322; Z. Herzog, op. cit. pp. 42-62. 33. A.H. Joffe, op. cit. p. 71 34. O. Aurenche, P. Desfarges, “Travaux d’ethnoarchéologie en Syrie et en Jordanie, rapports préliminaires”. Syria 60, 1983, pp. 147-185. 35. I. Beit-Arieh, “Buildings and Settlement Patterns at Early Bronze Age II sites in Southern Israel and Southern Sinai” in A. Kempinski, R. Reich, (eds.) The Architecture of Ancient Israel from the Prehistoric to the Persian periods. Jerusalem, IES, 1992, p. 81.

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36. I. Beit-Arieh, “A Pattern of settlement in the Southern Sinai and southern Canaan in the Third Millenium B.C.”. Bulletin of American School of Oriental Research 243, 1981, pp. 31-55. 37. I. Beit-Arieh, “Central-Southern Sinai in the Early Bronze Age II and its relationship with Palestine” Levant 15, 1983, pp. 39-48. 38. I. Beit-Arieh, “Two Cultures in the Southern Sinai in the Third Millenium B.C.”. Bulletin of American School of Oriental Research 263, 1986, pp. 27-54, fig. 1. 39. Ibid. 40. P. de Miroschedji, “Le processus d’urbanisation en Palestine au Bronze ancien : Chronologie et rythmes” in Miroschedji (éd.) L’urbanisation de la Palestine à l’âge du Bronze Ancien, Bilan et perspectives des recherches actuelles. Actes du colloque d’Emmaüs (20-24 octobre 1986), 1989, Part i. BAR International, Serie 527 (i), Oxford. Fig. 1, p. 73. 41. J. Perrot, op. cit. p. 75. 42. T. Canaan, “The Palestinian Arab House; its architecture and Folklore” Journal of the Palestine Oriental Society 13, 1933, pp. 1-83.

AUTHOR

DEBORAH SEBAG PhD candidate at the Paris 1 Panthéon-Sorbonne University, “Architecture and the building methods in the Southern Levant Early Bronze Age”. Grant from the Académie des Inscriptions et Belles-Lettres at the École Biblique et Archéologique Française de Jérusalem. [email protected]

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The Eldridge Street Synagogue, a Site of American Jewish Memory

Galith Touati

(Special thanks to Jonathan Matz for the translation) 1 Located at Eldridge Street 12, in Lower Manhattan, the Eldridge Street Synagogue (ESS) stands boldly amidst the brouhaha of what is today Chinatown as cars entering the Brooklyn Bridge whith by. This vast building is unique for several reasons. Its Moorish facade dominates the neighbouring tenements, and the building’s majesty is all the more powerful considering the nearly total disappearance of the quarter’s former Jewish identity. The synagogue is an imposing reminder of the past, easily forgotten in the rapid succession of immigrant communities to the neighbourhood over the past century: formerly Jewish and Italian, now primarily Chinese and Caribbean. The schul has been open to visitors since the end of the 1980’s. The congregation now counts only 30, even though the synagogue itself attracts great interest, and is frequently mentioned in tourist guides.

2 The principal sanctuary has not been used for services since the 1950’s, the congregants meeting in a chapel (classroom) below ground better suited to the small community. Loyal members of the congregation have since ensured that not once has a Shabbat not been celebrated at the schul since its founding. Though the synagogue no longer serves as large as a community as it once did, it nevertheless every year welcomes 20 000 visitors anxious to follow in the footsteps of previous generations of Jewish immigrants. 3 Visitors to the synagogue have the privilege of hearing from their guide the story of its construction and subsequent abandonment, which explains the deterioration from which it suffered until very recently. The circumstances of the synagogue’s rediscovery by an art historian named Gerard Wolfe in 1975 are now the stuff of legend. One day, on a self-guided tour of Lower East Side synagogues, Mr. Wolfe forced open the door of the Eldridge Street Synagogue, and found to his amazement prayer books lying in the pews, and pigeons flying in the humid sanctuary. The leaky roof had allowed the rain to damage the murals, including several paintings of the Holy City Jerusalem. Mr. Wolfe

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then organized the first initiatives to restore the synagogue, founding the Association of the Friends of the Eldridge Street Synagogue, which by grassroots fundraising began the initial renovations, and obtained the classification of the site as a Historical Monument by the Landmarks Preservation Commission on December 11, 1979. In 1996, it was named a National Public Landmark. 4 The Eldridge Street Project, a non-profit association which in 1982 replaced the Friends, currently works diligently to complete the restoration and publicize the synagogue. Its ambition is to render the site one of the most important symbols in the collective memory of Jewish immigration to America. Since its renovation, the ESS has had thus two functions: no longer solely a House of Worship, it also offers educational opportunities for children, guided visits, conferences and exhibitions. The offerings range from Jewish cooking classes to lectures by university professors. The Eldridge Street Project portrays the synagogue as a microcosm of the larger history of Jewish immigration to the United States. Thus, after decades of neglect, the synagogue is once again, although this time in a more secular manner, a place for the community to meet and exchange ideas. Etymologically, the Hebrew word for synagogue, Beit Knesset, means the « House of Assembly. » The religious Jewish community sees itself as a group of people assembled for prayer (a minimum of ten men). The space itself is of secondary importance to the number gathered. 5 The Eldridge Street Synagogue, whose official name is Kahal Adath Jeshurun with Anshe Lubz, was the first synagogue built in the Lower East Side by Ashkenazi Orthodox Jews from Eastern Europe. Built between 1886 and 1887, it symbolizes the expansion of the neighbourhood in the late 19th Century. Its facade in brick combines Moorish, Gothic and Roman elements, as was characteristic of its architects, Francis and Peter Herter, who built many tenement buildings in the Lower East Side. 6 The Kahal Adath Jeshurun congregation (« the Community of the People Israel ») is the result of the union of two previous Ashkenazi communities: Beth Hamedrash (« The House of Study ») and Holche Josher Wizaner (« Those Who Live in Virtue »).1 Founded in 1852, Beth Hamedrash rapidly became the largest Orthodox Jewish Community in America. By uniting with Holche Josher Wizaner, it became even more influential. At the turn of the 20th century, the ESS was one of the most frequented synagogues in the Lower East Side. More than a thousand people attended weekly Shabbat services: « On High Holidays, mounted Police officers maintained order in the surrounding streets. Around 1920, the members of the congregation began moving Uptown, while new immigration laws limited the number of new residents in the Lower East Side. In the 1940’s, the synagogue was only open for High Holidays and special occasions. » The sanctuary thus was progressively deserted until its abandonment in 1950. 7 Though the Eldridge Street Synagogue is proclaimed by its members and admirers to be the oldest house of worship for Eastern European Jews in New York, in reality it is « merely » the oldest structure in the city built specifically to serve as a synagogue. Other synagogues in the Lower East Side, were in fact established in pre-existing buildings that had previously served other purposes, such houses or even former churches. For example, the Ahawath Chesed congregation, founded in 1846, acquired in 1855 a house on Columbia Street and converted it into a synagogue. In 1872, the congregation moved once again to Lexington Avenue and 55th Street. 2 An other example: the current building of the oldest Orthodox Russian synagogue (Norfolk Street 60) was originally a Methodist church which was bought and remodeled in 1885.3

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Thus, the ESS can only be considered the oldest synagogue based on the criteria of having maintained its function as a house of worship for the longest uninterrupted period, not by the date of its construction. Could this geographic stability be the reason that the synagogue is named for the street it dominates, and not its actual community? 8 Within the specific community of Eastern European (primarily Russian) immigrants, the ESS can also be considered the « oldest » synagogue, since German Jews, preceded by Sephardic immigrants, had come to the United States well before those from the East. The Sephardic congregation Shearith Israel, indeed, was the only one present in North America between 1654 and 1820. In the 1840’s, Jewish immigrants from Germany founded Temple Emmanu-El, at Grand and Clinton Street, though it was later moved to the corner of 5th Avenue and 65th Street. 9 These competing claims of anteriority between immigrant communities are not at all uncommon, as each community wishes to perceive its own arrival as much earlier than others fresh off the boat. Older immigrants made up the Jewish aristocracy, economically integrated in American society, whose values, language and lifestyle they adopted. Each wave of immigration resulted in the redefining of the Jewish community as a whole; the community has always been an evolving entity, remolded by each new addition. 10 The preservation of the sites which make up the community’s memory is especially urgent considering that New York is the world’s largest Jewish city. These sites help paint a larger picture of New York at the beginning of the 20th century. 11 As Pierre Nora writes in Realms of Memory,4 public concern for preservation rises as the fear of sites’ vanishing becomes more acute. The threat of total disappearance spontaneously engenders preservation efforts and/or reconstruction. Despite the relative lack of documentation, we know that, unlike other synagogues in New York City, Eldridge Street probably owes it survival to the loyalty of its congregation, which never sold or left it, and never allowed it to serve any other purpose than that for which it was built. The survival of the Eldridge Street Synagogue is especially remarkable considering that the New York preservation movement is relatively recent and the Landmarks Preservation Commission was only founded in 1965. 12 New York’s urban density and skyscrapers are proof that for any site to persist amidst such a Darwinist battle for building space, it must necessarily have an important function. Sites of considerable memorial value leap out at us at every turn, without our even knowing how, but the surprise of discovering them makes one stop in his tracks and reflect. Such is the case with the Eldridge Street Synagogue, or with the three tiny Spanish-Portuguese cemeteries of the Shearit Israel Sephardic congregation, of which the oldest, located in Chatam Square, dates from the end of the 17th century. No longer used for burials, they have become monuments of a bygone era, and remind passers by that a Jewish life (and death) took place in the Lower East Side. These monuments are the embodiment of the monument of the « passage into history », in the sense that they allow us to realize, without a brutal rupture, the first generation’s transition into the past. What was for them a house of worship is now for their children and grandchildren a place of commemoration. 13 These sites owe their conservation to the fact that the property on which they are located has never changed hands, and thus never provoked battles over the past or ownership. It is perhaps more than a pure coincidence that it was in Jerusalem (thanks

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to the CRFJ) that in April 2004, I chose to study these questions of originality, anteriority and memory.

NOTES

1. From a report by Susan Upton Lawrence, Landmarks Preservation Commission, July 8th 1990. 2. « Lower East Side Churches and Synagogues » by George Freedman in East Side News, June 6th, 1958. 3. Ibid. 4. Realms of Memory. The construction of the French Past. Volume 1: conflicts and divisions. Edited by Pierre Nora and Larry D. Kritzman, Columbia University Press, New York, 1998.

AUTHOR

GALITH TOUATI Galith Touati graduated in History from the University Paris 7, with a thesis entitled « Work of Memory: New York and the Jewish immigration », in June 2002. She spend a month in Jerusalem, in April 2004, for further research, thank to the hospitality of the CRFJ and its former director Dominique Bourel. She is now in charge of the communication of an association whose goal is to encourage the teaching of the history of the Holocaust in French schools. ([email protected])

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The New Holocaust History Museum of Yad Vashem and the Commemoration of Homosexuals as Victims of Nazism1

Régis Schlagdenhauffen-Maika

1 On 15 March 2005, a few weeks after the celebrations for the sixtieth anniversary of the liberation of Auschwitz, the new museum of Holocaust history in Yad Vashem was inaugurated. « Yad Vashem is the Jewish people’s memorial to the murdered Six Million and symbolises the ongoing confrontation with the rupture engendered by the Holocaust. »2 From a « Jewish perspective » the new museum prompts empathy with the martyrs and identification with the heroes. By using new technologies it intends to secure the memory of the Holocaust for the 21st century.

2 However, a musealisation of Holocaust requires a narrative semiotics which deletes by necessity the inherent contradictions involved in the interpretation of any historical event. To what extent does the appeal to « other groups » of victims of Nazism consolidate a « Jewish perspective » of the Holocaust in the new exhibition? 3 In order to answer this question, the first part of this article will be devoted to a description of the new exhibition. Then, after having portrayed the narrative structure of the museum, the summoning of the memory of victim groups could be debated. Lastly, the dialectical nature of the commemoration will be analyzed from the point of view of one group of victims: the homosexuals. Finally, the controversy of 1994, which caused confrontation between « secular Jews » and « religious Jews », will permit us to consider the limits of a religious interpretation of the Holocaust. 4 Since its creation, by virtue of the terms laid down by the law on Shoah and heroism of 19 August 1953, Yad Vashem is a single laic national institution given the diversity of missions to which it has been devoted. These include commemorating the six million Jews assassinated by the Nazis, the destruction of the Jewries of Europe, the Righteous among the Nations, but also honouring Jews who fought and offered resistance.

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Moreover, Yad Vashem is a pedagogical institution which comprises the International School for Holocaust Studies, the International Institute for Holocaust Research, Library and the Museum for the History of the Holocaust. The latter is the most visited site in Yad Vashem, the leading component which participates in the shaping of the past according to the needs and visions of the present. According to Shenabi, the erection of this memorial was indispensable to « normal » life in Israel: « It is necessary for us to bring the memory of the greatest catastrophe of the century into the Zionist project. »3 5 In 1958, an initial exhibition had been « improvised ». The historical museum itself opened in 1973. The exhibition, just like the museum, complied with two requirements: on the one hand the public wanted to « comprehend », to better understand how the destruction of Europe’s Jews took place. On the other hand, the very young State of Israel aimed at legitimating its statute as heir of the six million victims. Thus the museum appears as an ideal mass-medium. 6 In 1978 the exhibition was enlarged to include the destiny of survivors after the catastrophe. However, the exhibition emphasised the perspective of the perpetrators but not that of the victims. Tom Segev describes the old exhibition as follows: the rooms of the museum are not very large, the walls are filthy and the exposed objects – particularly photographs – are old [... ] Explanatory leaflets are long, didactic [... ]. No explanation is given, as though it were of no use, as if this were about a natural phenomenon.4 7 In 1994, within the framework of the « Yad Vashem 2001 » plan,5 it was decided to rethink the exhibition because « the situation being from now on different, people are conscious of the significance of the Holocaust. The goal is not any more the identification with the Partisans, but the empathy with the victims ».6 Furthermore, David Silberklang, who took part in the realisation of the new museum, summarises the philosophy adopted by Yad Vashem: new technologies allow us to say the same in a different way that people can understand better or differently. For that reason we needed to rethink the exhibition both historically and conceptually – and also technologically.7 8 According to Anne Grynberg, the Shoah or Holocaust museums « convey a diversified message, sometimes even scattered depending on the place, according to the image that a particular country has of itself and wants to portray to the outside world, »8 because « the museum is capable of playing the role of federator for a group – national, « ethnical » or religious. »9 They perfect the memorials which, quiet, mute – do not have a didactic vocation a priori, do not directly aim to acquire knowledge, but want rather to elicit empathy, emotion, by an evocation stemming from the symbolic field. [Moreover,] when it is an issue of a national project, there is a will to address the whole of society with a carefully prepared – and often extremely normative – message.10 9 However, by the intermediary of exogenous influences which update the meaning given to them, the aforementioned message evolves.

10 For instance, following instances such as the mobilisation of Gypsies and homosexuals for the recognition of their « martyrdom », the Holocaust, which was initially defined as the genocide of the Jews in Europe, underwent a process of evolution from the point of view of its meaning. From now on, the term requires the integration of other groups of victims, following the Jews. The definition offered by the Holocaust Encyclopaedia is: « The genocide of European Jews and others by the Nazis during World War II ». It is by means

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of the very vague term « others » that Gypsies, Jehovah Witnesses, homosexuals, or disabled people can be « included » in the martyrology of the victims of the Holocaust. 11 Furthermore, through its institutional title Yad Vashem presents itself as « The Holocaust Martyrs’'11 and Heroes’ Remembrance Authority ». What place does the new museum offer therefore to those termed the « other victims » of the Holocaust? I. The New Holocaust History Museum 12 The new museum, designed by Israeli architect Moshe Safdie and built several meters away from the former one which has since been destroyed, is a 180-meter-long concrete construction which offers 4 200 m2 of exhibition surface. It has the form of a triangular prism and slices through Har HaZikaron, Remembrance Mountain. Visitors entering the museum have to cross a long wooden ramp that marks the descent into the universe of the heroes and martyrs of the Holocaust. After crossing the immense hall, an interpretative key is provided: from deep underground, where the fighters of the Warsaw Ghetto hid, but also there where ashes of the million victims remain, we go towards the Light: a large window which opens onto a terrace with a panoramic view of the green hills of Judea. 13 The higher section of the prism, a narrow pane, allows sunlight to penetrate the interior. It serves as a guide, materialising « the axis of memory » which leads from the time « before » to the time « after », i.e. the creation of the State of Israel. 14 Inside the dark and immense hall, the audio-visual installation by Michal Rovner tells of a world that no longer exists. The black and white video film stages the Jewish Diaspora of Europe, dancing to klezmer music. We are immediately confronted with the new technology employed by the exhibition »s creators: to pass on the testimony of the survivors when after they have died. One of the museum’s aims is to call up the technology so that the visitor « lives the events ». 15 We are then guided towards the « first ditch ». While the museum does appear to be linear, it is in fact made up of eight rooms, distributed on both sides of the « axis of remembrance », which leads from Catastrophe to Redemption. Each room plays a part in the comprehension of the Catastrophe, whilst emphasising the strength of resistance. 16 The first ditch is strewn with books by authors of whom the Nazis wanted to cleanse the country through their campaign « wider den undeutschen Geist ». Television screens show the book burning of 10 May 1933. The sound installations largely contribute to visitors reliving the event: in addition to the violence of the images themselves, the songs of Burschenschaften and the speeches of Nazis bring the event back to life. 17 The ditch cannot be crossed, visitors are directed into the first gallery. Just like in other museums for Judaism or the Shoah, a film lasting less than ten minutes recalls the history of anti-Judaism and anti-Semitism prior to the Nazi period. It is here that the « other groups of victims » are presented, in order to illustrate the racist Nazi policy of exclusion and cleansing during the Third Reich. 18 As part of a strategy geared towards identification with the martyrs and heroes, we go in off the street into a corridor lined with anti-Semitic posters and find refuge in the apartment of a family of Yekkes. At the end of the gallery hangs a photograph of young Zionist pioneers with a streamer in the background: « Erez Israel braucht uns, wir brauchen Erez Israel » (Eretz Israel needs us, we need Eretz Israel). In this world hostile to

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Jews, individual biographies illustrate the only viable solution: emigrating and surviving as opposed to staying and dying. 19 The second gallery is devoted to Poland, the country that was home to most of the Jews before the Shoah. In the third gallery, the fate of Europe’s Jews under the « Nazi boot » is presented, country by country. Through audio-visual installations a survivor of each country bears testimony. The objective is to present backgrounds according to national contexts in a didactic and brief way in order to move on to the fundamental themes. In the case of France, for example, the narration is divided into five periods: « National Revolution » versus occupation, the aryanisation of Jewish property, the arresting of the Jews, the internment camps, deportation to the East. A large panel integrates North Africa into the narration. This has the effect of associating the Jews of North Africa with the Shoah, an aspect that contradicts the definition: « the Genocide of the Jews of Europe ». 20 We then find ourselves in the Warsaw Ghetto. A paved street is reconstituted with tramlines along the middle. The doors of the houses are open, in each of them a video focuses on a particular moment of life in the Ghetto: the famine, the small Schmuggler, or the constitution by Immanuel Ringelblum of the Oneg Shabbat. The fourth gallery is more specifically devoted to the Einsatzgruppen. There we follow Group C, known for the massacre of Babi-Yar during the night of 29-30 September 1941. 21 On entering the fifth room a giant screen takes us eastwards by train, to the extermination camps. On the opposite wall, the revolt of the Warsaw Ghetto: Mordechaï Anielewicz, leader of the Jewish Fighting Organisation, simultaneously embodies the figure of the hero and martyr. The second part of the gallery is more specifically devoted to Auschwitz. The wagons, the barbed wire, a gigantic picture of the incinerators, used boxes of Zyklon B and a heap of shoes give us the feeling of being inside the camp. At the end of the gallery, a replica of the model of Mieczyslaw Stobierski – whose original is at the Auschwitz Museum – illustrates the extermination process, from the selection ramp to the crematorium. 22 In the sixth gallery the following question is asked: « Why was Auschwitz not bombarded »? Emphasis is put on the fact that other nations remained passive towards the extermination of Jews. We then find ourselves in a forest, a metaphor for those in which the Jewish partisans resisted. It is written that « the fighting Jews had the desire to leave a trace of their heroic combat in the entire world ». This gallery presents Jewish resistance organisations: the Zionist Youth Movement, the Jewish Army, clandestine organisations, etc… In this « war against the Nazis », the example of the rescue operation of the Jews of Denmark and the non-deportation of Bulgarian Jews make it possible « to point an accusing finger »12 at all those who, unlike the Righteous among the Nations, participated in the genocide by way of passivity. 23 In the seventh gallery, entitled « the last Jews », homage is given to the Jews who served in foreign armies: 50 000 in Great Britain, 500 000 in the USSR and 550 000 in the USA. The space opposite these heroes is dedicated to the everyday lives of the concentration camps’ internees who escaped « selection ». The concentration camps’ universe is presented in a concise way. A text recalls that, alongside the Jews, Gypsies were also subject to deportation. It is stressed that « the nomads were treated like the Jews whereas the sedentary were not persecuted »; however « more than 25 000 perished in Auschwitz ». The environment of the camp is « recreated »: a hut, beds, the clothing of Häftlinge, a coach intended to transport the blocks of stone drawn by the

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deportees and a photograph of a quarry add to the effect. After the last part devoted to the Death Marches and the release of the camps. A narrow corridor takes us to the eighth gallery. This one is dedicated to the survivors; they are « liberated but not free ». Artefacts of the Displaced Persons camps are displayed. Beneath the picture of the Exodus, it is written that the D.P. « claimed the right to migrate freely towards Israel ». 24 The of 1945, where twenty-four high-ranking Germans with political, military and economic backgrounds were put on trial before an international court, announce the narration’s conclusion: the culprits are condemned. The exhibition is completed by the return to Eretz Yisrael and the Eichmann lawsuit: lesson from the Holocaust and national catharsis. This is the moment when Light reappears. 25 Throughout the whole exhibition, heroes and martyrs are linked, contributing to the direction of the narration. The way leading from catastrophe to redemption is the conducting thread of the exhibition. This synthesis that embodies the « martyr-hero » has been present since the origins of Yad Vashem – and is to be found in the institutional title of the place: « The Holocaust Martyrs » and Heroes’ Remembrance Authority ». In his description Tom Segev raises the definition of the martyr given at Yad Vashem. It is stressed that the death of the Jews had not been pointless; they had died as martyrs. Martyrs are not only those who prefer to give up their lives rather than their beliefs, but also, says Maimonide, those who are assassinated because they are Jewish [... ]. A martyr agrees to die and to suffer for a noble cause whatever it be [...]. To be Jewish, to be different from the others and to suffer for generations in order to have the right to be different, constitutes a noble cause.13 26 Leon Poliakov, in the chapter entitled the « birth of a Jewish mentality » quoted from his book The History of Anti-Semitism, looks at the origin of this worship. He notices that as early as the Middle Ages the Akeda was used to give a meaning to massacres and constant persecutions. « Each new victim of the Christian fury is a fighter who fell in order to sanctify the Name; he is often awarded the title of Kadosh [... ]. Consequently, martyrdom becomes an institution. »14 In addition, « each Jewish victim is regarded as a fighter who fell on the battlefield [... ]. Akeda, the worship of martyrs, is maintained in every manner ». 15 By maintaining this worship, Yad Vashem thus remains faithful to its reclaimed « Jewish perspective ». But are the members of the « other victim groups » consequently martyrs? II. The commemoration of the « other victims » of Nazism in Yad Vashem 27 From the very start of the exhibition, in the first gallery, just after the « ditch » representing the book burning on 10 May 1933, a panel indicates that « the Nazi regime did not solely stigmatize the Jews, but also other groups: political opponents on the one hand and all those who were excluded from the national community on the other, such as Jehovah’s Witnesses, homosexuals, Gypsies and the disabled, these being considered as a threat towards the purity of the race ». 28 By exploiting the concept of Lebensunwertes Leben (worthless life), the Nazis elaborated Programme T4; it consisted of the systematic elimination of children, adults and senior citizens, the mentally defective, those suffering from incurable diseases or the malformed. The « euthanasia » of handicapped people is illustrated by a set of photographs of the Hadamar Centre near Koblenz. That of a mentally handicapped child, shortly before its assassination, presents this as a fact; that of a shower-room transformed into a gas chamber makes it possible to grasp that the T4 Programme was

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the prelude to mass extermination. Furthermore, two propaganda posters from a film in favour of « euthanasia », Leben ohne Hoffnung (Living without Hope), illustrate the mechanisms of legitimating through the policy of such an institutional measure. 29 The persecution of homosexuals is represented by a picture of Eldorado plastered with propaganda posters and swastikas. This dancing hall located in Schöneberg, famous throughout Europe as a stronghold of the homosexual scene, both for males and females, was indeed one of the first homosexual venues to be closed by the Nazis. 30 A series of pictures portrays facets of the fate of Gypsies under the Third Reich. First, a photograph of before the Porrajmos:16 a family of Gypsies dressed in rags, posing in front of a caravan, is supposed to provide us with an idea of their « appearance ». Other pictures show their deportation, their internment in the camps and even forced sterilization and medical experiments of which they were victims. 31 Moreover, the Gypsies are mentioned on several occasions during the exhibition. In the sixth gallery, which presents the death camps, it is indicated that approximately « 150 000 Gypsies were exterminated, including 25 000 in Auschwitz ». The indications relating to them remain ambiguous; they imply that the term « genocide » does not « strictly » apply to the Gypsies because, « the nomads were treated like the Jews, but the sedentary like the Aryans. » This assertion makes it possible to stress that only one part of them were victims of Nazism. 32 David Silberklang, who contributed to the realisation of the new exhibition, agrees with this interpretation of reality. For him, the Gypsies are not victims of the Holocaust, but they are « useful, » within the exhibition, to illustrate the complexity of the Nazi system. The extermination of Gypsies therefore results from a general fact, one of the many crimes the Nazis were able to commit. This idea is clearer when Silberklang specifies that the Nazis « wanted to destroy the Jewish world, not the Gypsy one […] It’s clear that they were persecuted and in some places there was no distinction at all, but there was not a uniform policy like for the Jews. They killed the Gypsies when they found them, but it is not the same… »17 33 The picture of a Gypsy family posing in front of a caravan illustrates the problem well: which paper or stone memory could have been destroyed of this group that belonged to an oral culture that leaves virtually no spoors and whose members do not have anything except their personal effects? This Gypsy reality is well summarized by Rajko Djuric in the foreword of his study on Porrajmos: « for centuries the Gypsies have traversed the world, followed paths without knowing where they would lead or what they would experience along them. As they travel through history they barely leave a single trace in their wake. »18 34 In the seventh gallery, devoted to the concentrationary universe and the Death Marches, two « details » merit particular emphasis. On the one hand, a lithography made in 1945 by the German Richard Grune is presented alongside ones made by David Olère and Henri Pieck: Forced Whipping and Labour. Grune was condemned by the Nazis under the terms of §175 and deported to Sachsenhausen and then to Flossenbürg. A note specifies that he « was deported for homosexuality. » 35 On the other hand, an imposing wall of photographs presents a « collection » of 24 deportees’ mug shots. Intrigued by the registration numbers of some deportees, I requested further information from the people in charge of the exhibition. The answer I received was that seven Poles, two Gypsies and a Jehovah’s Witness19 made up this composition. However, no mention was made of those « details » in the exhibition.

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Nevertheless, disabled people, Jehovah’s Witnesses and Poles benefit from the « privilege » of representation contrary to homosexuals. 36 The lithography of Richard Grune as well as the mention made at the beginning of the exhibition do not make it possible to affirm that homosexuals are missing in the museography. Their persecution is evoked at the point at which Germany’s Gleichschaltung is put into perspective, of which the book burning on 10 May 1933 appears to have been the first manifestation. In fact, an event which took place four days earlier, of which the book burning was a continuation, is overlooked. On 6 May, the Institut für Sexualwissenchaften founded by Magnus Hirschfeld had been ransacked. During the book burning, all books from the Institute’s library as well as the bust of Hirschfeld were thrown into the flames. It is certainly because Magnus Hirschfeld was not only a Jew but also homosexual that Yad Vashem obliterates him, contrary to the USHMM of Washington or Jüdisches Museum of Berlin.20 37 Within the framework of the programme « Yad Vashem 2001 », certain voices had expressed a wish to see represented, in the new museum, the persecution of homosexuals under the Third Reich; the path Yad Vashem adopted remains nonetheless particularly elliptic. The closing of Eldorado, a famous Berlin dance hall that some would imagine to be a « den of iniquity », would rather appear to be more of an illustration of the stigmatisation of homosexuals. Moreover, knowing that Yad Vashem is « the memorial of the Jewish people in remembrance of the Holocaust », we may formulate the following question: Were there no homosexual Jews who were victims of the Shoah, given that none of them appear in the exhibition? 38 The case of Leopold Mayer, described by Saül Friedländer in his work Nazi Germany and the Jews, compels us to recognise that there was at least one homosexual Jewish victim of Nazism. Obermayer, a homosexual and practicing Jew of Swiss citizenship, was arrested on 29 October 1934. Interned in Dachau in 1935, he died in Mauthausen on 22 February 1943.21 It is only recently, in particular following the testimony of Gad Beck, that some contributions have been published about homosexual Jewish victims of Nazism. In his autobiography, first published in 1995, Gad Beck evokes his life as a homosexual Jew under the Third Reich. Born in 1923 in Berlin, he joined the clandestine group Chug Chaluzi in 1941. Up to the end of the War he was a member of the Jewish Resistance in Berlin. Shortly after the capitulation of Nazi Germany he worked with David Ben Gurion in the D.P. camps and helped prepare survivors for their Alyah, an undertaking he accomplished himself in 1947. In 1974, after a period in Vienna, he moved back to Berlin with his partner and led the jüdische Volkshochschule.22 To this day he has remained in Berlin. 39 In a case study published in 2000 on homosexual Jews in Sachsenhausen,23 Andreas Sternweiler provides some brief replies on this subject. In the first part of his article Sternweiler clarifies the fate of those Jews who were arrested under §175.24 Hans Meyersohn is one of the cases described in detail; he was found guilty as a Jew of having had sexual intercourse with Aryan men. He was doubly condemned: for racial homosexuality and for opprobrium against the German nation. From 1935 the Nazi laws on the protection of racial purity – known as the Nuremberg laws – made sexual relations between Aryans and Jews punishable by law.25 A court decision on 3 February 1937 affirmed that the Jewish « character » of Hans Meyersohn constituted a aggravating factor in addition to his guilt under the terms of §175. Hans Meyersohn was condemned to internment at Sachsenhausen and died there shortly afterwards.

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Through meticulous study of the camp’s registers, the historian clarifies the existence of internees recorded as « Jude 175 » or « 175 J ». These were not sent to the barracks reserved for Jews but to those set aside for homosexuals.26 Thus, homosexual Jews, at least in Sachsenhausen, were first and foremost perceived as homosexual and shared the destiny of others bearing the pink triangle. The Nazis had taken this possibility into account in their classification. The modality also appears in the Nazis’ inmate- categorization tables; it results in a pink triangle being placed over a yellow one. The testimony of Heinz Heger remains one of few that are known on this subject. In his memoirs, he reports the case of an inmate who « in addition to being homosexual was Jewish. Under the pink triangle, he carried a yellow one; together the two triangles formed a star of David ».27 40 The study of Andreas Sternweiler, in spite of its compartmental character, makes it possible to answer the question previously put in the affirmative, informing us that homosexual Jewish men were deported, interned and exterminated as such by the Nazis. Moreover, the ban on representing the singular destiny of homosexual Jewish victims of the Shoah finds its origin partly in the controversy of 1994. III. The 1994 Controversy 41 In 1994 Keshet Ga’avah, the International LGBT28 Congress organised its annual conference in Tel Aviv. On this particular occasion the Israeli LGBT Agudah, which co- ordinated the conference, organised a commemorative service on Monday 29 May in Ohel Yizkor, « the Tabernacle of Remembrance »29 of Yad Vashem. The ceremony was thus authorised in the presence of 150 members of Keshet Ga’avah. During the celebration, religious extremists close to the Kach30 movement, having been informed about the commemorative service, orchestrated a spontaneous demonstration. Calm could only be restored through the intervention of the police. 42 Following the event a special programme was shown on Israeli television.31 On the programme, Keshet Ga’avah justified the celebration: the reciting of the kaddish in remembrance of Jewish homosexuals assassinated by the Nazis. During the debate Avner Shalev, who represented Yad Vashem, argued that the service was illegal because of the fact that the Agudah had not specified its association with LGBT status. In addition, a survivor affirmed that the Nazis were homosexuals and that in consequence commemorating Jewish homosexual victims amounted to honouring the Nazis. 43 On 1 June the scandal made the front pages of the newspapers. described the event in an unsigned article. Under fire for permitting a remembrance ceremony for homosexual victims of the Nazis. Yad Vashem condemned both the participants and the protesters, saying they had brought disgrace on the site.32 44 As a result of this, Shaul Yahalom, deputy of the Knesset and president of Mafdal, the religious national party, demanded the resignation of Yosef Burg, president of the International Committee of Yad Vashem. He drew on the argument used by religious groups: the Halachah33 does not condone homosexual relations.

45 Yosef Burg himself specifies that the ceremony in remembrance of homosexual victims of Nazism was in his eyes a deliberate provocation on the part of gays. Furthermore, he stands up for Yad Vashem and upholds that « even if Yad Vashem had not authorised the ceremony, the gays would have petitioned the High Court and been permitted to hold the service ». Shevach Weiss, Labour deputy in the Knesset and member of the committee of Yad Vashem himself argues in favour of the institution. The survivor of the Shoah

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condemns the demonstrators because for him « Holocaust Survivors should be sensitive to the suffering of homosexuals whom he said were among « the first guinea pigs » of the Nazis ». 46 By insisting on the sacredness of the site, Yad Vashem agrees with the condemnation expressed by the « strongly religious ». The halachic argument employed by them condemns homosexual relations, homosexuality as such and finally the very commemoration: the commemoration is to be considered as halachically illegal. This « sacred » argument leans on religious semiology which is the origin of Yad Vashem (just like the term Ohel Yizkor and Yad Vashem, even the expression of the « Righteous Among the Nations », all originating from the Bible). Yosef Burg does give his personal opinion on the question when he considers the ceremony to be a provocation; nonetheless, from his point of view he is not in a position to accuse the institution he represents and shrugs off the problem by pointing out that by virtue of Israeli law the ceremony could not be prohibited. Shevach Weiss also falls back on civil law and contradicts opponents who, contrary to Keshet Ga’avah, held an illegal demonstration in Yad Vashem. Moreover, he uses his quasi sacred standing as a survivor of the Shoah to emphazise that the stigmatisation of which homosexuals were victims (« they were the first guinea pigs of the Nazis ») was one of the first manifestations on the part of the National Socialist Regime prior to the Judeocide. 47 In addition, the (unfounded) argument put forward by Avner Shalev during a televised debate, namely the illegality of the commemoration, is no longer used. Finally, two members of Yad Vashem arrive at two antithetic conclusions. Yosef Burg, wanting neither to vex the religious nor to lose face, considers that this ceremony was a provocation; conversely, Shevach Weiss considers the demonstration improvised by the Religious to be a provocation. 48 Thus, in its official statement, Yad Vashem, while forgetting to recall that homosexuals were indeed victims of Nazism, refuses to participate and lets two members of its directory address the issue speaking in own names. The institution is caught between its statute of quasi religious institution, endowed with a kind of sacred aura and the laical character of the place (the Tent of Remembrance is the place where the Heads of States on official visits are received). Indeed, Yad Vashem is confronted with intrinsic contradictory dialectics according to its double statute: at the same time a laical civil commemorative institution established by Israeli law and a remembrance place of Jewish martyrdom equipped with a synagogue. Consequently, the only solution to avoid entering the debate was to condemn both parts, a strategy which made it possible to transform the « incident » into a traditional controversy opposing the laics and religious sides. 49 On Friday 3 June, at the end of the first section of the newspaper, the journalist Alison Kaplan Sommer, publishes an article about Agudah, the association which organized the commemorative office. In the second section of the newspaper, partisans and opponents expose their respective positions concerning the event. 50 In her paper « Young gays break chains of isolation, »34 Alison Kaplan Sommer challenges the readers regarding the solitude of the young gays confronted with their « difference. » She insists on the role played by the discussion groups of Agudah: they help these young people « to come to terms. » She then cuts short the halachic argument advanced by the religious which finds its source in Leviticus: « a sexual act with penetration between two men is an abomination » (cf. Lv 18 :22 and Lv 20 :13). She adopts a comprehensive approach and refutes the argument of the religious, an

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argument used by the Nazis to justify their policy. She goes on to illustrate her thesis with the testimony of a mother who coordinates one of these discussion groups. The mother recognises that, « after the consternation this news produced, she is today ashamed to have felt shame. » Alison Kaplan Sommer concludes that « the shouts of the demonstration who disrupted the memorial service for gay and lesbian victims of the Holocaust at Yad Vashem earlier this week […] illustrated the hostility that gays and lesbian still face » in Israel. 51 In the second section, the positions of the rabbi Macy Gordon and Knesset deputy Yael Dayan are confronted. In his paper « Gay Jews who are proud of sin, » the rabbi Macy Gordon exposes his positions on the question.35 He launches a call on the three monotheisms and then appeals to the State. « The Tourism Ministry has apparently joined in recognising June as « Gay Pride Month » accepting an attempt by homosexual groups to legitimise a lifestyle which has been proscribed in the strongest terms by Judaism, Christianity and Islam. » He recalls that « the Nazis persecuted Jews in an act of genocide unprecedented in world history. They also persecuted Gypsies, communists and homosexuals. » Since the Gypsies are excluded from the matter since they are not Jews, he wonders about the case of Communists and homosexuals: « Among those communists were Jews who had previously betrayed and imprisoned fellow Jews, […] these people were a threat to the future of Judaism and its values no less than the homosexuals. » 52 Strangely, he uses the argument of the Bolshevik plot, but without the Jewish predicate. Moreover, the argument of the abandonment of the religion enables him to set up, without arguing its matter, a parallel between communists and homosexuals: both the former and the latter had deserved their fate, considering that « they were a threat to the future of the Judaism and its values. » Thus, they are not « victims. » He then uses the only argument which enables him to condemn the commemoration: « Homosexuality is a wrong form of behaviour. It is proscribed and condemned [by] the Torah. » To conclude, he exhorts the State of Israel to respect Jewish laws, « only in this way is it possible to save Israel from danger; » insofar as Israel is a Jewish State, the State must thus condemn homosexuals. 53 In her article « Were the Nazis right to kill the homosexuals, but criminal to kill Jews? » 36 Knesset Labour Deputy Yael Dayan, affirms that it is « the right to be different and the imperative of equality » which was awkwardly condemned by the demonstrators. According to her: « Anyone who didn’t condemn those who tried to stifle the gays at Yad Vashem is feeding the monster that lurks among us. » Furthermore, she blames by name personalities having taken part in the debate and who distinguished themselves through their homophobia: Yosef Burg of Yad Vashem, as well as the deputies of the Knesset: Dov Shilansky, Esther Salmovitz, Yosef Azran and Ovadia Eli – all right wing members of the political spectrum. 54 Contrary to Macy Gordon, Yael Dayan considers that « Homosexuals and lesbians were defilers of their race, like deviants and the insane. » Also, « In their footsteps came the millions of other « exceptions » and deviants – mainly Jews. » Therefore, she affirms that « The assault on Jewish homosexual « deviants » by those who sanctify the memory of millions of other « deviants » […] – is not only ironic and ridiculous, but monstrous and frightening. » 55 She raises the following question: were the Nazis right to kill homosexuals but criminal for killing Jews? 56 In this manner she exposes the inherent contradiction of the demonstrator’s speech: can one legitimate the assassination of homosexuals but condemn that of the Jews? Yael Dayan refers then to the pink triangle carried by the homosexual deportees and

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establishes a parallel with the yellow star. In her conclusion she places the two marks on the same level and affirms that « anyone that believes in our future as an egalitarian, democratic, humane society, one which accepts those who are different and supports their rights as a minority, ought to wear a pink triangle next the yellow star and a blue-and-white emblem. » 57 In this controversy, the protagonist’s argumentation about the meaning and significance of the commemoration is based on two antagonistic rhetoric arguments. The religious, who do not guarantee for the office, resort to a halachic argument: « the law is the law. » According to them, hindering the law must be condemned, because it is the wellhead of « danger ». This argument of « danger. » held up by certain orthodox Jews, has the same origins as that according to which the « Shoah [was] the effect of the divine ire caused by the failures with the Alliance. »37 58 However, only homosexual acts are condemned in the Torah. Consequently, the homosexual desire escapes any judgment. Also, the orthodox Jews’ argument would imply the possible validity of the following premise, namely that on the basis of judgment of the act, one can condemn people (of whom it is not known whether they committed the aforementioned act). Only by this skew may they finally excommunicate homosexual Jews from commemoration and « right to remembrance. » How can this premise be validated? 59 On the other hand, for the partisans of the commemoration the inclusion of homosexual victims in the « right to remembrance » is fully justified. They insist on the assertion of their right to be « different », illustrated in particular, before the Shoah, by Judaism in a mainly Christian Europe. Shevach Weiss and Yael Dayan fight the opinion of the religious according to which it is possible to condemn the assassination of Jews by the Nazis while condoning the assassination of homosexuals. This reasoning would necessarily lead to the assumption that Nazism might have had its « good sides. » That would amount denying the uniqueness of the Shoah – i.e. relativising it. Conclusion 60 The witnesses who recount their experience by way of audio-visual installations announce the « period after », the day when there will be no survivors left who can bear witness to the Shoah. The new exhibition was itself conceived as a testimony. It portrays the persecutions suffered by « other victim groups » of Nazism. The Handicapped, Communists, Jehovah’s Witnesses or Gypsies benefit from the « privilege » of iconography of their martyrdom. Only homosexual victims remain without face. With the example of gypsies, other victims are included rather like stage props whenever they play a part in the narrative that goes from the catastrophe to redemption. Yad Vashem is a respected and respectable institution and the room for manoeuvre is reduced with regard to the representation of the persecution of homosexuals due to the events of 1994. In fact, the ambiguous statute of Yad Vashem, like the Shoah, considered by some as a « civil religion, » excludes homosexuals from the « right to remember. » Although this is a laical place, the weight of religious opinion explains this phenomenon. 61 Let us remember the origin of the name Yad Vashem (English: a memorial and a name). The expression originates from the Book of Isaiah titled « Salvation for Others » (56:5): « To them I will give within my temple to its walls a memorial and a name better than sons and daughters. » The inscription in stone of martyrs without lineage in order to recite kaddish, i.e. the « monument and the name, » are a substitute for the descendents reduced to ashes. Meanwhile, to whom are these promises made?

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62 They address those who could feel excluded. Let no foreigner who has bound himself to the Lord say, « the Lord will surely exclude me from his people. » And let not any eunuch complain, « I am only a dry tree. » For this is what the Lord says: « To the eunuchs who keep my Sabbaths, who shows what pleases me and hold fast to my covenant: To them I will give within my temple to its walls a memorial and a name better than sons and daughters; I will give them an everlasting name that will not be cut off ( Is 56 : 3-5). 63 Does it have to have be the eunuch who suffered castration? Or could it be considered that « some are eunuchs because they were born that way; others were made that way by men; and others have made themselves eunuchs » ( Mt 19 : 12). Does the « Salvation for Others » not also apply to homosexuals?

NOTES

1. This article could not have been written if I had not received both the « bourse mois chercheur » fellowship of the Centre de recherche français de Jérusalem and the precious help of Kayvan Rouhani for the present English version. Interviews and also the description of the exhibition on which this article is based were carried out in September 2005. 2. http://www.yadvashem.org 3. Tom Segev, The Seventh Million: The Israelis and the Holocaust. References are always quoted from the French version: Le Septième Million, Paris, Liana Levi, 1993, p. 498. 4. Tom Segev, op. cit., p. 491. 5. Cf. Yad Vashem Magazine, 21, 2001, p. 4. 6. Yitzhak Mais. Cf. Matthias Hass, Gestaltetes Gedenken, Frankfurt, Campus, 2002, p. 124. 7. In : Matthias HASS, op.cit. p. 135. 8. Anne Grynberg, « Du mémorial au musée, comment tenter de représenter la Shoah ? » , Les cahiers de la Shoah, 7, 2003, p. 145. 9. Anne Grynberg, op.cit. p. 146. 10. Anne Grynberg, op.cit. pp. 112-113, 115. 11. According to the TLF, a martyr is one who chooses to suffer death rather than to renounce religious principles. 12. Sarah Gensburger emphasizes it: Mordechaï Shenhabi, Yad Vashem’s « master craftsman », wishes that « the attitude of those Gentiles, essentially a minority, accentuate the guiltiness of the group to which they belong » in: Sarah Gensburger, « La création du titre de Juste parmi les Nations : 1953-1963 », Bulletin du CRFJ, 15, 2004, p. 16. 13. Tom Segev, op.cit. p. 492. 14. Léon Poliakov, The History of Anti-Semitism. The references are quoted from the French original edition: Histoire de l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p. 275. 15. Ibid., p. 325. 16. Porrajmos means the Genocide of the Gypsies under the Third Reich. Cf. Ian Hancock, « Actualité du Porrajmos », in: Philippe MESNARD, Consciences de la Shoah, Paris, Kimé, 2000, p. 225.

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17. « We included other victims of the Nazis, not as part of the Holocaust but as part of the Nazi system and the things they did, just as we included the things the Nazis did in general. The focus is not only what they did to the Jews but the general discussion about Nazi ideology. » David Silberklang is the chief editor of Yad Vashem Studies. Interview realized in Yad Vashem, 08.09.2005. 18. cf : Rajko Djuric, Ohne Heim–Ohne Grab. Die Geschichte der Roma und Sinti, Berlin, Aufbau-Verlag, 1996. 19. Respectively, the inmate number « JBV 190392 » is a « purple triangle », i.e. a Jehovah Witness deported to Auschwitz; the inmate number « BV 4071, » Sando Franz, is a Gypsy man deported to Sachsenhausen; the inmate number « Z 63598 » is a young Gypsy women deported to Auschwitz. 20. In 1897, Hirschfeld was the cofounder of the Humane Scientific Committee (WhK) – the first homosexual organisation in the world. 21. Saül Friedländer, Nazi Germany and the Jews, New York, Harper Perennial, 1998, pp. 113-115, 202-207. 22. Cf. Gad Beck, An Underground Life: Memoirs of a Gay Jew in Nazi Berlin, Madison, Wisconsin University Press, 1999. 23. Andreas Sternweiler, « Er hatte doppelt so schwer zu leiden…, » in: Joachim Müller & Andreas Sternweiler, Homosexuelle Männer im KZ-Sachsenhausen, Berlin, Verlag Rosa Winkel, 2000. 24. The §175 (definitively abrogated in 1994) condemned any sexual relation, or any lustful act, between two men. Furthermore, from 1935, the §175a condemned any man who committed or had the intention of committing a lustful act with another man to a prison or labour camp term between 3 months and 10 years. 25. « Strafschärfend fiel ins Gewicht, dass Meyersohn als Jude mit einem Arier widernatürliche Unzucht begangen und damit das rassische Empfinden des deutschen Volkes auf das gröblichste verletzt hat. » Cf. Sternweiler op.cit., p. 172. 26. Sternweiler, p. 176. 27. « Einer meiner Mithäftlinge […] war zudem noch Jude. Unter dem Rosa Winkel trug er noch den gelben, und zwar so, dass beide Winkel einen Davidstern bildeten ». in: Sternweiler, p. 176; cf. Heger Heinz, Die Männer mit dem rosa Winkel [The Men With the Pink Triangle], Hamburg, Merlin, 1979. 28. LGBT: acronym of Lesbian, Gay, Bi- and Transsexual. 29. Official ceremonies take place in this room – like at the Tomb of the Unknown Soldier in other countries. 30. Kach is a radical nationalist group founded in the early 1980s. It militates for the restoration of a Biblical Israel. In March 1994 it was declared a terrorist movement by the Israeli government. 31. Interview with Amit Kama (former executive director of the Agudah) realised in Tel- Aviv, 11.09.2005. 32. « Yad Vashem slams both gays, protestor over memorial fracas », Jerusalem Post, p. 3, 01.06.1994. 33. The Jewish religious right. 34. Alison Kaplan Sommer, « Young gays break chains of isolation », and « Full Month of Gay Pride », Jerusalem Post, B4, 03.06.1994. 35. Macy Gordon, « Gay Jews who are proud of sin », Jerusalem Post, A5, 03.06.1994. 36. Yael Dayan, « Where the Nazis right to kill the homosexuals, but criminal to kill Jews? », Jerusalem Post, A5, 03.06.1994.

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37. Cf. Jean-Michel Chaumont, La Concurrence des victimes [The Competition of the Victims: Genocide, Identity, Recognition], Paris, La Découverte/Poche, 2002, p. 139.

AUTHOR

RÉGIS SCHLAGDENHAUFFEN-MAIKA Régis Schlagdenhauffen is writting a phD thesis in sociology at the Centre Marc Bloch Berlin titled: The Commemorative Monuments of the Victim Groups of Nazism (Jews, Gypsies and Homosexuals) as Factor in the Renewal of Collective Identities. He has, among other things, pubished La Bibliothèque Vide et le Mémorial de l’Holocauste de Berlin : lieux de mémoire pour construire l’Histoire, Paris, L’Harmattan « Allemagne d’hier et d’aujourd’hui » 2005, 176 p. [email protected]

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Diaspora: A Look Back on a Concept*

Lisa Anteby-Yemini and William Berthomière

1 There are some words that are used at loosing theirs meanings. Diaspora is one of these. Full or empty of meaning, we are speaking today of “Cultural Diasporas” (Cohen), of “Fear Diasporas” (Appaduraï), of “Virtual Diasporas,” etc. This introductive paper is an attempt to clarify the development of a concept since the beginning of its life inside the Social Sciences during the 70’s.

2 The term diaspora finds its roots in the Greek language and is based on a translation of the Hebrew word, Galut. Based on speiro (to sow) and the preposition dia (over), in the Ancient Greece, the word referred to migration and colonisation. In Hebrew, “the term initially referred to the setting of colonies of Jews outside Palestine after the Babylonian exile and has assumed a more general connotation of people settled away from their ancestral homelands” (Shuval, 2003). 3 In social sciences, the term diasporas is recent. Before the 80’s, there are only few quotations of this concept. It was due to the fact, as Judith Shuval (2002) underlined, that “before the 1960’s, immigrant groups were generally expected to shed their ethnic identity and assimilate to local norms. Groups that were thought unable to do this, weren’t admitted, eg. Chines to Canada, non-Whites to Australia”. 4 During the 70’s, when assimilation theory and other theories based on the same meaning of integration models demonstrated their fallibility, the notion of diaspora occurred progressively to describe migrants groups: migrants maintaining their ethnic tradition, a strong feeling of collectiveness (Bruneau, 1995; Dorai et al., 1998; Shuval, 2003). So, it is only during the 80’s that the concept of diaspora has known a period of expansion. But, quickly, some authors as such Alain Medam (1993) or James Clifford (1994) expressed their disinterest in the concept because in more and more researches the concept was quoted just for to describe phenomena characterized only by the dispersion of a population originated from one nation-state in several “host countries.” And these authors called for more theorization. 5 The key question for the Academics was to explore the notion of diaspora to find those specific elements that explained the need to refer to this notion rather than any other concepts of social sciences. To summarize this period, the question was: does there

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exist a “di[a]sposition,” such a specific spatial and social organisation that characterizes and differentiates the migrant groups, described under this denomination of diaspora, from the other social and spatial “disposition,” produced by the other migrants groups and studied before. I. A need to theorisation 6 The first theory of diaspora appeared, according to Gabriel Sheffer, with the work of Amstrong in his paper: “Mobilized and proletarian diasporas” published in the American Political Sciences Review in 1976 (Dorai et al., 1998). Gabriel Sheffer, himself, in his book “Modern Diasporas in International Politics” (published in 1986) wrote that it is a mistake to maintain the concept of diaspora only for the Jewish people because may others have existed before (such as Nabatheans, Phenicians or Assyrians). And, also, because during the second half of the XIXth Century some groups with many similarities with the Jewish diaspora appear in Europe, such as the Greek diaspora or the Chinese. In his point of view, three criteria could be proposed for a definition: 7 1. the maintenance and the development of a own collective identity in the “diasporised people;” 2. the existence of an internal organisation distinct from those existing in the country of origin or in the host country; 3. Significative contacts with the Homeland: real contacts (i.e. Travel remittances) or symbolic contacts as in the sentence: “the next year at Jerusalem” at the end of the prayer for Pessah (Easter). 8 More recently, Robin Cohen (1997a) in his book Global diasporas: an introduction continued to underline the lack of theorization in the publication about diasporas and suggest that the “Jewish archetypal” could be a base for reflection even if it couldn’t be a transposable model. William Safran, one of the first authors to be published in the review Diaspora edited by Kachig Tololyan, suggests that in his view the term diaspora could be consider as a “metaphoric designation” and could apply to various populations (expatriates, political refugees…). In his essays (1991 & 1999), Safran defines the diasporas as follows: expatriate minority communities: 9 1. that are dispersed from a original “center” to at least two “peripheral” places; 2. that maintain a “memory,” vision or myth about their original homeland; 3. that “believe they are not – and perhaps cannot be – fully accepted by their host country;” 4. that see the ancestral home as a place of eventual return when the time is right; 5. that are committed to the maintenance or restoration of this homeland, and; 6. of which the group’s consciousness and solidarity are “importantly defined” by this continuing relationships with the homeland. 10 So, during the 90’s, many typologies were proposed to understand and to describe the diasporas. For example, Alain Medam (1993) proposed a typology based on the degree of cohesiveness and the dynamism of the diasporic organization. In this perspective, Medam differentiates “crystallised diasporas” and “fluid diasporas.” In the former type, he presents some dynamic diasporas characterised by the efficiency of their transnational networks; as, for example, the Chinese diaspora. For another specialist of this question, Michel Bruneau (1995), the typology must be based on the diasporic organisation. He defined three major types of diasporas:

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11 1. the entrepreuneurial diasporas (ie. Chinese or Libanese); 2. the religious diasporas (ie. Jews or Greeks); 3. and the politic diasporas (ie. Palestinians, Tibetans). 12 By mentioning Palestinians and Tibetans, authors as Gabriel Sheffer have introduced clearly the political dimension which was underrepresented in the diaspora literature. Seven years after the publication of his book, Gabriel Sheffer (1993) proposed to operate a distinction between diasporas: those without State of origin, called stateless diasporas (ex. Palestinians) and those with a State of origin, defined as state-based diaspora. This typology allows the description of the fluidity of the forms of organization in ethnic groups along their history: as for the Jews who were state-based, stateless and, since1948, state-based. Robin Cohen (1997a), in “response” at this territorial point of view proposed a typology set up on some empirical observations with five types: 13 1. Labour diasporas (i.e. Indians); 2. Imperial diasporas (i.e. British); 3. The trade diasporas (i.e. Chinese, Lebanese); 4. And the Cultural diasporas; with the Caribbean case. 14 This last type of diaspora – the cultural diaspora – with the Caribbean case became one of the most stimulating and productive type. It comes from the fact that most of the actors of this group, most of the leaders were (and still tend to be) intellectuals, writers, very active in the public sphere. The diaspora discourse, in its cultural dimension, offered a large place to the notion of hybridity, used by post-modernist authors to denote the evolution of new social dynamics as mixed cultures. The French Caribbean is a good example of the emergence of the question of hybridity (Chivallon, 1997). Books written by Edouard Glissant present clear reference to rhizome identity (concept developed by Gilles Deleuze, notably in his book Mille plateaux co-edited with Felix Guattari, 1980). In this field, conceptual researches are developed also with reference to “travelling cultures” theorised by James Clifford (1994) and found a substantial added value in the debate about the Black diaspora and in the work of Paul Gilroy. Cohen (1997a) summarised this current by quoting that in this perspective: “diasporas are positioned somewhere between “nations-states” and “travelling cultures” in that they involve dwelling in a nation-state in a physical sense, but travelling in an astral or spiritual sense that falls outside the nation-state’s space/time zone.” 15 So, on one hand, we face with this kind of intellectual position a very different space of thoughts in comparison with the problematic described previously. The nation-state, as Paul Gilroy (1994) described, is the institutional means to terminate diaspora dispersal: on one side, through the assimilation and, on the other side, through return. On the other hand, we are also at a converging point because all these researches lead to the same questions about the connection between nation-states and diasporas. 16 Globally, all this activity and effort of conceptualisation were productive even if the outcome suggest that nothing was clearly delimited and that one of the characteristics of the concept of diaspora is a strong propensity to overlap the proposed and mobilised notions: perhaps due to the development of the theoretical discourse on globalisation. II. Merging the concept of diaspora in the globalisation and transnationalism discourses

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17 The research carried out during the 90’s, viewed the emergence of the notions of transnational space, transnational communities, nations unbound notably with the work produced by Basch, Glick-Schiller and Szanton Blanc (1994). These three authors summarized the convergence of all these problematics when they quoted that the contemporary diasporas are “nation unbound” who “reinscribe” space in a new way. They maintain that in contrast with the past when nation-states were defined in terms of a people sharing a common culture within a bounded territory. This new conception of nation-states includes as citizens “those who live physically dispersed within the boundaries of many others states but who remain socially, politically, culturally and often economically part of the nation-state of their ancestors” (see Basch et al., 1994). At this stage of analyse, the risk of confusion becomes more and more present. It is probably due to the fact, as underlined by James Clifford (1994) that, “an unruly crowd of descriptive/interpretative terms now jostle and converse in an effort to characterise the contact zones of nations, cultures and regions.” 18 In the group of diaspora “specialists,” the difficulty of managing all these terms is confirmed. In the concluding chapter of two reference books on diasporas -the book of Robin Cohen (1997a), Global Diasporas: An introduction, or in the Nicholas Van Hear book (1998) – New diasporas –, both are devoted to diasporas in the age of globalization and transnationalism. In a recent paper about “Transnationalism, Globalization and Diaspora,” Paul Kennedy and Victor Roudometof (2001) confessed that despite the important contributions of the last ten years, the theorisation of the transnational experience (and its ties to globalisation) remains incomplete. Even if all these elements constitute a strong basis for work, there remain some difficulties of conceptualisation because the diasporas keep an image of a particular social form needing a proper space of theorisation and, in the same time, progressively, the notion became just a particularity of the worldwide social form described under the denomination, transnational communities. This statement confirms the difficulty of differentiating diaspora and transnational communities. One hypothesis should be that, in fact, there are no differences between the realities covered by the two concepts? And, in fact, this statement was clearly expressed by Kachig Tololyan mentioning that “Diasporas are the exemplary communities of the transnational moment” (Shuval, 2003) and deciding, in 1991, to name his review Diaspora… A Journal of Transnational Studies. 19 More recently, to clarify this question, some elements were provided by Nicholas van Hear (1998) when he suggests defining diasporas on three minimal criteria: 20 1. the presence abroad is enduring, although exile is not necessarily permanent but may include movement between Homeland and new host countries; 2. the persistence of the presence abroad although the exile is not necessarily permanent since movements between the land of origin and new home countries can develop; 3. there is some kind of exchange –social, economical, political or cultural- between or among the spatially separated populations comprising the diaspora.” 21 And Nicholas van Hear suggests that for the transnational community definition that this “is a more inclusive notion, which embraces diasporas, but also populations that are contiguous rather than scattered and may straddle just one border”. But, after this proposition, Van Hear raises up, perhaps the most important question, “is the formation of transnational communities and diaspora now inevitable concomitant of migration?” And, finally, this proposal underlines the idea that the two terms are tools

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permitting the analyse of the questions of identity and belonging that are hardly interrogated. The recent book – Global sociology – by Robin Cohen and Paul Kenendy (2000) confirmed this sentiment. In their book, they have presented a chapter on identity and belonging in which one sub-chapter is devoted to transnationalism described via three examples: The cosmopolitan city, diasporas, diasporas and a global business. All this contributes to underline that the researchers have to pay attention to these multiple inclusions of the notion of diaspora. These elements add to confusion but ask questions on the permanence of the term of diaspora in the “age of globalisation” seems validate (Cohen, 1997b) and on the capacity of the new forms of migration to evolve “automatically” in a space transcending the national frontiers. 22 In terms of analyse, all these factors contribute to relegate the notion of diaspora to “historical migrants” and to privilege the question of time as Marientras (1989) and Medam (1993) proposed and to prefer the term of transnational communities to the newest migrant groups, presenting a multipolarised organisation. Nevertheless, this statement is an unsatisfactory answer as is, also weak, the idea that diaspora “refers specifically to the movement -forced or voluntary- of people from one or more nation- states to another” and that transnationalism “speaks to larger, more impersonal forces – specifically those of globalization and global capitalism” (Braziel, 2003). Once again, this ineffectiveness seems due to the fact that it is simply impossible to cover by one notion, with a large part of affect, a plurality of human reality. As James Clifford (1997) underlined, the different attempts to list some working definitions are productive but present some difficulties to fit with an “ideal type” of diaspora. In fact, a large part of the problem is also due to the production of various analyses from very different scientific positions: some researchers can put the label “diaspora” to a group of people by referring to their history (exile, existence of a collective trauma) or by considering the religion and a memory of the homeland, some others can make this choice in regards of the density of the social relationships in a dispersed group. Globally, various elements who are presenting a real efficiency but also some important obstacles for comparison. Some researchers are dealing with the identity question and some others are speaking from a structural point of view. The Turkish migrants are a good example of this confusion. Many researchers refer to a diasporic structure but hesitate to speak of them as a Turkish diaspora. In this “time of confusion,” two methodological points of conclusion could be proposed to explore the variety of the social and spatial di[a]spositions of these migrant groups. First, all the researches on diasporas should be based on a strong theoretical infrastructure (characteristics of diaspora group, of homeland, of host) as proposed by Judith Shuval (2003). Secondly, following the Van Hear proposal, it could be useful for those who want to explore the notion of diaspora to pay attention to one question: how can we explain and characterize the passage from migrants to diaspora? This prospect is all the more stimulating as it makes emerge fundamental questions in the field of the diasporas studies which are the allegiance, engagement, trust, ethnic solidarity or the moral co-responsibility (as developed by P. Werbner in the Diaspora volume) and makes it possible to highlight specificities of the social forms observed. For that, I will suggest to refer to the recent work of Gabriel Sheffer (2003) who dealt with this question.

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BIBLIOGRAPHY

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NOTES

*. This paper is a short version of the introduction of the book edited by Lisa Anteby, William Berthomière and Gabriel Sheffer, 2000 ans de diasporas, Rennes : Presses Universitaires de Rennes, 2005, 497 p. This book was edited with the support of the CRFJ in cooperation with Migrinter (CNRS-Poitiers).

AUTHORS

LISA ANTEBY-YEMINI Lisa Anteby-Yemini, anthropologist, is Senior Researcher at the Institute of Mediterranean and Comparative Ethnology (CNRS) in Aix-en-Provence. She published Les Juifs ethiopiens en Israel : les paradoxes du paradis (Editions du CNRS, 2004) and co- edited Diasporas: 2000 years of history (2005). Her research activity is devoted to Jewish and non-Jewish migrations in Israel. [email protected]

WILLIAM BERTHOMIÈRE William Berthomière is Senior Researcher at the CNRS, Unit International Migrations: Spaces & Societies (Poitiers, France). After a Ph.D in Social Geography about the effects of the Soviet Jewish Migration to Israel after 1989 on the Israeli society, his research activity is devoted to the Israeli migration system in the context of globalisation. He is also active on the field of Diaspora studies. [email protected]

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Some Reflections on How Bedouin Women of the Negev Relate to Politics Between Political Marginalization and Social Mobilization

Élisabeth Marteu

This version has been mainly translated into Englis by Marion & John Krivine. 1 The approximately 130,000 Bedouin currently living in the Negev represent 13 % of the Arab citizens of Israel who in turn constitute 20 % of the total Israeli population. This minority, albeit Sunni Muslim of Arab nationality,1 consistently proclaims its uniqueness. Even as Israeli Arab citizens unanimously identify themselves as Palestinian, the Bedouin refer to their own history and culture that of the Bedu, inhabitants of the desert (Baadia), distinct from and different to both city-dwellers and other peasant groups in the region. Social and political changes that have transformed the Negev since the end of the 19th Century, wrought by the administrative reorganization of successive authorities, undid the internal organization of the Bedouin community. The Ottoman Empire, the British Mandate and then the State of Israel have each, in their turn, reshaped Bedouin society, its tribal modus operandi and therefore its political management. This social transformation that we will develop further also affected the gender relationship and the position of women in relation to politics. Since politics, as a method of conflict resolution and as a means of administering public business, has changed its nature, the participation of women and their modes of expression have also evolved. It is not enough to note that Bedouin women are marginalized in a political sphere dominated exclusively by men. It is now important to examine the apparent immutability of such a marginalization, and alternative forms of social and political mobilization.

2 The socio-political organization of the Bedouin population of the Negev is not static, and a number of studies assert that there has been a reconfiguration of the tribal system2 and of the relationship between genders3. Since the 19th century the evolution of the Bedouin community has been marked by the arrival of peasant groups (fellahin)

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coming from sedentary rural areas of Palestine who affiliated themselves to Bedouin goatherds and farmers by renting and working their land. Linked by mutual obligations of solidarity and assistance, Bedouin and peasants constituted what was called a tribe, which also included families of ancient Sudanese slaves ('abid). The tribe was therefore composed of these three populations which functioned in a closed relationship but almost never, or rarely, had matrimonial exchanges4. In fact, Bedouin were considered nobles and while they would never marry their daughters to inferior groups, the daughters of fellahin could marry Bedouin. This logic, which still stands today, has nonetheless known a good number of exceptions, and is subject to constant modification as the space/time context requires. Nevertheless it is evoked by the Bedouin themselves as a “Bedouin tradition” which indicates the cultural stake and the importance they attach to a collective Bedouin identity that has purportedly never changed and will never change. 3 The tribe itself as a social and political reference has known modifications under the effect of administrative measures taken by the Ottomans, the British and then the Israelis.5 Under the authority of the Sublime Porte, the Bedouin political unit was the Gabila, a confederation of tribes led by a small number of Sheikhs. In 1903, the town of Beer Sheva became an administrative center, and in 1906, at a time when Bedouin lived by agro-pastoralism the Turks decided to draw the borders of seven tribal confederations and thus set in motion a process of sedentarization. 4 The process of territorialization was extended under the British who placed more political weight on the 'ashira – a smaller tribal unit. The number of Sheikhs was multiplied and they were placed in charge of tax collection for the British. The atomization of the tribal structure continued further when the British-made tribal unit became the standard administrative unit. By the 1930's almost 90 % of Bedouin were practicing agriculture, which contributed to the parcelization of the land and the privatization of resources.6 And so the Bedouin tribes, by degrees, began to lose their political relevance. 5 The process was at once reinforced and reshaped by the Israelis. Following the 1948 war, most of the Bedouin were expelled,7 and those who remained were concentrated into a more compact perimeter north east of Beer Sheva (sayigh), a zone that represented only 10 % of the area they was previously occupied. The Bedouin were granted Israeli citizenship during the 1950's – the Law of Citizenship (1952) – and the very notion of belonging to a tribe was assailed when the Israeli authorities demanded that each Bedouin register with one of 19 officially recognized tribes.8 19 tribal chiefs (Sheikhs) were then chosen and appointed by Israel, sometimes despite the logic of power which had prevailed up until that point.9 The Sheikhs now acquired considerable power, becoming the intermediary between the population and the Israeli authorities; authority relationships were overturned and recreated in haste. While the territorialization as well as the social organization of the Bedouin froze, they were subjected to martial law which lasted until 1966. As in the Arab zone of the Galilee and in the Triangle, the Bedouin were placed under the authority of a military government that controlled their movements, their political expression and the way they organized. 10 6 At the end of the 1960's, Israel altered its political stance vis a vis the Bedouin and decided to urbanize them by locating them in planned cities and villages. In most cases these settlements were built without prior consultation with the people involved, their

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objective being to gather the Bedouin into urban concentrations in order to prevent them spreading out in the Negev.11 Beginning in 1966, seven settlements were created, that contain today more than half the population of the Bedouin in the Negev12. The other half live in the so-called non-recognized villages on lands which had traditionally been theirs and which the State had nationalized in the 1950's.13 A considerable differential opened up between the urban, semi-urban and rural, this last enjoying the benefit neither of infrastructure nor services. The administration of the planned settlements was entrusted to a local authority appointed by the Ministry of Interior. It would not be until the 1990's that the organization of the first free elections for Bedouin local councils would take place. The urbanization and the socio-economic changes that appeared in the 1960's had caused the Israeli-made tribes to disintegrate; they lost all political relevance as well as their administrative legitimacy. Today, reference to belonging to a tribe has not completely disappeared, but it is used occasionally more to recall the familial and territorial origin of a lineage. 7 The Bedouin socio-political organization has therefore known deep upheavals since the end of the 19th C. By becoming Israeli citizens, Bedouin entered a new era of reconfiguration which led to the disintegration of their tribal system. However in this study there is one point which does not seem to have changed: the marginalization of women in political power and public affairs. But the immutability is only apparent, because in reality the mechanisms of discrimination have changed. While Bedouin society has undergone social and political transformation, the relationship of women to the political sphere has also changed. Whether we are discussing the pre-Israeli era, the military government or the urbanization process, although it would appear that women have been completely excluded from the political game, in fact the mechanisms of discrimination themselves, and the stake, have undergone successive changes. I. Power and Politics 8 In the first place we need to be precise about the terminology used in this study and to distinguish between “power” and “politics.” The study of political modes of expression and mobilization is one thing, the analysis of power is quite another. In this regard, Lila Abu Lughod (1988, 1990) Cynthia Nelson (1973) and Gillian Lewando Hundt (1978) have stressed the modality of the power exercised by Bedouin women in the Middle East.14 Lila Abu Lughod who studied the social and political significance of poems recited by the members of the Egyptian tribe Awlad 'Ali tried to demonstrate the forms of resistance used by women to masculine domination. She discusses poems – sometimes subversive – and the attitude of young girls who, by the way they dress and by their refusal to submit to forced weddings, demonstrate that they hold power of a kind. Cynthia Nelson has a theory concerning the place of women in the semi-nomadic way of life of the desert. She demonstrates that women exercise power by controlling the Harem, particularly in freely criticizing men and by being in charge of matrimonial bargaining. It is the women, mainly the oldest, who arrange the unions and exercise power over their juniors. Gillian Lewando Hundt has studied the position of women in planned Bedouin townships in the Negev. She shows how the urbanization has changed social norms by enclosing women in the family cell, but at the same time how this seclusion has allowed them to dominate their space and has given them a kind of autonomy from men. 9 Each of these studies thus addresses the question of “power” but not that of “politics.” This power that women exercise, however influential, is confined to the feminine and

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private space. Women have little or no influence on public affairs. This was true in the semi-nomadic setting where the shigg (space for men) was still the place for debates and political arrangements, and this is still true today where the political parties as well as elected bodies are exclusively masculine. Then it was easier for women to circulate and move between spheres, thereby informing themselves about the issues of the day. Today a couple still discusses politics and there are secretaries working in the town halls. Does this mean that women, because of their knowledge of political matters, exercise a form of political power? No. It is quite evident that Bedouin women have always been aware of what goes on around them, but to claim that they hold political power solely because they hold information, would be a gross overstatement. In order to exercise political power, even at an informal level, it is not sufficient just to be in the know, you must also be in a position to act. Even when Bedouin women exert influence in the social sphere – weddings are an example – they are not autonomous in the exercise of this expertise. Again, one has to differentiate between political expertise and political involvement,15 the latter being demonstrably circumscribed if not non- existent. Furthermore, it is not at all certain that the political expertise Bedouin women have could be adapted to the existing political game, given the extent to which it is codified and controlled by men today. 10 Although women have little access to public politics as it relates to conflict resolution and the administration of the affairs of the group, they are politically socialized in the private space and conduct “private politics” by acting within the tribal organization and today the familial organization. On the other hand, concerning another aspect of politics which corresponds to the collectivization of a social question carried into the public arena, here the mobilization of women is a more recent phenomenon. Women's associations, notably national and international feminist networks have allowed certain Bedouin women to endow social themes with a public dimension, and enabled them to start to play the game of the political negotiation, not only with national bodies (the Knesset) but also international ones (UN and donors). This is where the novelty of this last ten years resides: the access of Bedouin women to the Israeli and transnational public arena, employing political tools outside the conventional arena which is locked down by the dominant groups.16 II. Gender and Semi-Nomadic Way of Life: In Search of Politics 11 When asking Bedouin women of the Negev about the situation of women before the creation of Israel in 1948, one obtains two types of answer: the old-timers describe the difficulty of the semi-nomadic way of life, their participation in agro-pastoral tasks, and their exclusion from political matters; the youngsters praise the golden age of Bedouin life, the value of solidarity and complementarity as between men and women. Two visions of history and the relationship between sexes. The old-timers readily stress the harsh economic and social conditions, herding, farming, collecting water from wells, cooking, sewing, and all the other domestic tasks with which women were encumbered. They describe the shigg as a public and masculine sphere where men received their guests and discussed group business. When asked if they thought they had any political influence, the answer is no. First of all because it was an exclusively male domain, primarily a masculine skill so much so that they were hardly consulted in the decision-making process. Nevertheless there is one practice that mitigates this picture: the women close to the Sheikh – daughters, spouses, sisters – were sometimes sent out to inquire, if not to spy, on local lineage groups and their social situation. In other words, women were charged to go and spend a few days in a tribe to see if there

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were girls suitable for marriage and to examine the economic situation of the group – size of the herd, ownership, proximity to well etc. In fact when it came to forging a bond between lineages, the matrimonial exchanges were a good way to seal alliances and mutual obligations. These delegations were therefore privileged sources of information which then enabled the sheikh to decide whether a certain alliance served his interests. Bedouin women, at least those of them close to the tribal chief, were then used as political auxiliaries, and although they could willfully orientate their declarations and advise the sheikh in his choices, they still did not take the decisions. Once again women had a secondary, background role, influential maybe, however dependant on masculine goodwill. If semi-nomadic life was characterized by a polarization between the sexes, at once strict in public but pliant within the immediate family, the political expression of women in the private space does not compensate for their silence in public. 12 However the youngsters do not judge their elders with the same severity. They praise the courage of the old Bedouin women who lived in particularly harsh conditions and they also underline the complementarity between men and women since women were helping in physical tasks and working like real economic partners. Women in their thirties also talk about the dialogue that existed between men and women and about the fact that women were consulted about each question related to the life of the group. It seems to be a slightly romantic vision of the semi-nomadic life in desert regions; men and women acting together, as if fraternity and mutual help define Bedouin life in its entirety. In reality, according to the stories told by the old-timers, it is true that there was a dialogue between members of the same family, but it was not a partnership and there was no political sharing. The pre-Israeli era is therefore still characterized in terms of a political marginalization of women and a distinction between private and public affairs. What today can be analyzed in terms of space or sphere already represented at that time a social and political polarization between men and women. Indeed the structure has changed but the patriarchal nature of the gender differentiation remains. 13 Furthermore conflict resolution in Bedouin communities follows customary practices which involve patrilineal lineage solidarity. Obviously it would be too simplistic to characterize Bedouin by their customs. This would mean denying the transformation in their practices and the socio-legal environment in which they live. Nevertheless the question of blood revenge is a good example of the exclusion of women from the codes of conflict resolution. In fact, in case of conflict, notably in case of murder between individuals from different lineages, the khams acts as a political organ of conflict resolution. The khams gathers all the men of patrilineal descent who claim a common ancestor within five generations. All these men must in principle help one another and bare a collective responsibility for the actions of each one of them. If a member of lineage A is killed by a member of lineage B, then the khams of lineage B is responsible for paying the debt, haqq al daam (price of blood) in order to resolve the conflict. Without entering into the details of a practice that is a lot more complex than it seems, blood revenges are proof of traditional management of some conflicts and an exclusively masculine responsibility17. In this system which results in the payment of the debt, the death or the exile of the guilty party, men alone are competent and empowered to negotiate. III. Tribal Reconfiguration, Urbanization and Professionalization of Politics

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14 Let us state clearly that these logics or Bedouin norms have undergone many changes and their transformation has been under the effects of policies imposed by those who exercised authority in the region. One of the most brutal of the contemporary modifications, certainly a product of the creation of the State of Israel, was the forced departure of the major part of the Negev Bedouin and the transformation of the way of life of those who remained. These new Israeli citizens were subjected to Military Government within a much reduced territory. Modes of political administration were swept away by the imposition of martial law, the appointment of salaried Sheikhs – not always representative – and the development of a broad system of patronage between local leaders and the Israeli authorities.18 If the clientelist logic is not new, then patronage such as the one that developed at that time was of a new order. In fact, since the 1950's, Bedouin became Israeli citizens and they voted in the parliamentary elections of 1955. In the same manner as in the North, Zionist parties, primarily Mapai – ex-Labor party – courted the Arab vote, in this case Bedouin vote.19 Bargaining for the Arab vote was done in exchange of material and symbolic gain. The Arab satellite lists affiliated to Mapai were specially created on the eve of the election in order to win the Israeli Arab vote. It was in this manner that Arab MPs, such as the Bedouin Hamed Abu Rabia, entered the Knesset, elected on a list affiliated to Labor at the end of the 1970's. 15 The end of the Military Government (1966) saw the creation of planned settlements headed by local councils appointed by the Ministry of Interior. The mode of political administration of the Bedouin community underwent change; the Sheikhs lost their prerogatives and were replaced by administrative and political councils. Organization by lineage, largely undermined since 1949, disappeared and gave way to a form of government officially more rational. A conventional political scene therefore evolved even though Bedouin were still limited in what they could say and how they could organize politically. They voted in national elections mainly for Zionist parties and the satellite lists, but they still did not have the vote at the local level which was dominated by a Jewish administration. It would not be until 1989 in Rahat, 1993 in Tel as-Saba and 2000 in the five other Bedouin settlements that they could hold their first free local elections. This whole period was characterized by the domination of Zionist groups and patronage relationships among Bedouin, and again women take no part in these activities. They were not local leaders and therefore they did not participate in the electoral deal-making. Of course they went along with the political views of their husbands and family but they had no direct influence. The fact that Bedouin themselves were largely denied any say in their own administrative affairs served to marginalize women still further. A minority within an already discriminated against minority, Bedouin women kept their distance and were kept distant from the political game. Marginalization which is also experienced by other social groups like ancient slaves’ families and other groups marginalized from power sphere. 16 The change took place in the 1980's with the creation of autonomous Arab political parties.20 Up till then, only the Rakah communist party, then the Jabha (Democratic Front for Peace and Equality)21 had represented the Arabs' interests in Israel. Well established in the North, they had not succeeded in penetrating the Negev and to be a counterweight to Zionist groups. It was not until the formation of Arab political parties in the 1980's that the Bedouin vote became autonomous and they started to claim a collective Palestinian identity. National elections and then local elections gained in importance and further mobilized the Bedouin electorate. Thus Bedouin participation

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in the elections of 1988 was 61.3 % compared to 50 % in 1981. At these elections the Arab Democratic Party (ADP), that had just been created, gained 43.7 % of the suffrage, while the Jabha only received 5.8 % of the Bedouin vote. At the elections of 1999, the Arab parties were made up of the – a of the ADP and the Islamic movement – the Tajammu' – National Democratic Assembly22 – and the Jabha. These three lists gained more than 70 % of the Bedouin vote. 17 Since then, the new successful actor has been the Islamist movement which has enjoyed since the 1980's, but mainly in the 1990's, a large social and political base in the Negev. While the ADP has a famous MK, the Bedouin Talab as-Sana, the Islamic movement is still the most active and the best established organization among the Bedouin. Each settlement has active members of the movement that seem to be closer to the moderate branch of Ibrahim Sarsur than to the radical branch of Ra'ed Salah.23 18 The professionalization of politics in the Bedouin milieu implied the creation of political parties and politicians. A young educated cadre became the new specialists in politics, mastering the wheels of the electoral game and of the clientelist horse- trading. Once again women were excluded from this transformation because they were neither involved nor invited to participate in the political parties, they do not have interests to negotiate and they are not familiar with the new tools of the Israeli political system. A Bedouin woman has never been elected to a local council or as an MK.24 It is important to specify that many other social and economic groups remain at the periphery of the political game in a Bedouin society who has a strong internal hierarchy. 19 The mechanisms of representation and mainly of political expression have professionalized themselves, throwing up political technicians who know how to play all the solidarities, no matter if they are familial or more materialistic.25 Today local and national elections are built on a network of personal connections and interests that is not only founded on lineage, but is integrated into other forms of clientelism from which women are even more marginalized. They go along with the choices of their father or their husband but they do not mobilize themselves autonomously. The proof can be found in the way the elections are run, and in the fraudulent practices used. During the local elections in Laqiyya in September 2004, we observed a fraud which was repeated in all the Bedouin settlements.26 Men took the ID cards of certain women, or bought their vote, then gave the cards to a trusted woman in charge of voting for all the others. This was a way of ensuring the vote of women and to prevent the risk of potentially deviant individual expression. As they liked to tell it themselves, the cards could be exchanged in an emergency for several hundred, sometimes thousands of shekels. Women spent their day changing their cloths to deceive the police at the polls and they played this game several times during the day. It also happened for certain national elections, women were sent to other settlements in order to vote instead of local women. The system was widespread and well-polished. The circulation of the cards was done inside the voting office next to the rooms where the police officers and the electoral inspectors of the Ministry of Interior stood. In this game the Israeli authorities were not duped, they knew exactly how the election was being run. But they consciously refused to intervene in order to avoid friction with the local population. This fraud was practiced as much at national as local elections. The men were organizing the fraud and the women are executing it; but once again Bedouin

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women proved that while they participate in their way in the political game they remain voluntary auxiliaries still dependant on men. 20 The elections in Laqiyya in 2004, however, were marked by a novelty: the presence of a Bedouin woman as an observer at the polling station. In charge of preventing irregularities in the voting, she was not afraid to challenge the identity of some of the voters, even individuals from her family. Her presence was widely criticized by some conservatives but mainly by the organizers of the fraud who went as far as threatening her husband if he did not get her to withdraw. This scandal offers further confirmation of the political lock-out of women and the monopoly that some men would like to keep in order to master the system. 21 Furthermore, during the electoral campaign no women participated in political meetings which were exclusively masculine, and organized in headquarters placed on the land of the head of the list. The lists did not follow the logic of the familial entirely. If anything, the opposite was observed in the elections in Laqiyya in 2004 where members of the same lineage were candidates for opposing parties. But, the occasional conflicts within the family confirmed the attachment to familial solidarity that was being undermined by other types of interests. Women worked for certain lists by approaching their female neighbors on behalf of a candidate. In this way, the campaign also has a feminine arena, but more discrete, non-professional and circumscribed within the private space. It was a matter of informal meetings organized by women, mandated by the heads of the list. They were not political militants but they were volunteers who were occasionally mobilized and were always on hand. 22 On the other hand a lot more women are active in the network of associations of the Islamic movement, and it is here that the border between social and political becomes unclear. Many Bedouin women participate in the activities of the Islamic movement organized for women. In each Bedouin settlement there are those responsible for feminine sections. These women do not participate in the elections but they organize debates, religious classes in mosques and the collection of donations for the poor notably Palestinians of the Occupied Territories. In fact women are active and mobilized as much on cultural questions as on social and political. They are not affiliated members, but supporters and volunteers. This phenomenon is quite recent and corresponds to the process of Islamization of the Bedouin community of the Negev observed since the 1970's.27 Muslim religious rules are collectively followed and the Islamic movement has imposed itself as an indispensable political and social actor. Furthermore this highly respectable movement shows interesting practices concerning the legitimization of access of women into the public space. Social, cultural and political activities of the Islamic movement have become spaces that are respectable and appropriate for women. IV. Social and Feminist Mobilization 23 At the end of the 1970's, Israeli society as a whole witnessed the development of a large number of associations, able to represent various interests and notably those of minority ethnic and religious groups. Several Arab associations were thus created in the Negev, such as the Association for Bedouin Rights in 1974. The themes of the mobilization are mainly protests against the expropriation of Bedouin land, which has become the highest stake in the national struggle of Arab citizens. Land Day in September 1976 which started with a one-day general strike in the Galilee to protest expropriation of land is a good example. It ended up with the death of six Arab citizens.

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Now, each year on September 30 this tragic event is commemorated, accompanied by demonstrations and conferences on the land question. In 2005, for the first time, this day was organized in a non-recognized village of the Negev showing how topical and sensitive this matter is in the Bedouin community. 24 Some Bedouin women regularly stand shoulder to shoulder with men to protest Israeli policy towards the Bedouin of the Negev. In 1996 the inhabitants of the non-recognized village of Abdeh were victims of forced expropriations. A sit-in of several tens of days was organized at the door of the Knesset in Jerusalem. Fadiya Abu Gardud, an old widow was standing next to the Bedouin MK Talab as-Sana. Today she is known throughout the Negev for her active participation in this protest. She explains that her action was self-evident, a survival instinct to which men are not subject alone, but also women who must protect their land for the good of their children and for the preservation of their identity.28 She therefore refuses to see any political significance in her initiative because politics remains a male world, the prerogative of professionals and not for those who 'simply' struggle for their survival. 25 While strikes and demonstrations have been much on the rise in the 1980's, their use has been less prevalent in the Negev. Bedouin do not mobilize themselves massively in order to defend their rights or those of the Palestinians of the Occupied Territories; notwithstanding the fact that this theme is unanimously supported today in an Arab population which publicly claims that it is a part of the Palestinian people.29 Bedouin also insist on the reference to identity, notably among young nationalists, and in the public sphere where there is a call to be distinguished from the Jewish Israeli population. Demonstrations were therefore organized against the massacre in Lebanon in 1982 in the Palestinian refugee camps of Sabra and Chatilla or in support of the first and the second Intifada. Some women have participated in these demonstrations, which confirms a recent phenomenon fairly typical of educated young Bedouin women who claim their Palestinian identity and their solidarity with the struggle in the Occupied Territories. The fact that Bedouin university students, male and female, insist that their identity is Palestinian does not mean that they have forgotten their Bedouin origin, on the contrary, but they articulate it with an identity more politicized and national. Calling yourself a Bedouin is about remembering your territorial anchorage and your attachment to the land, whereas calling yourself a Palestinian has a more encompassing political connotation which leads the Bedouin into an historic, nationalist and far-reaching protest. 26 Still, the number of Bedouin women mobilized is still very small and limited to certain families of privileged class. In fact the feminine mobilization occurs in educated and rich families, mostly urban and with the support of the men of the lineage. Women's associations have therefore been exclusively created in the planned settlements by women coming out of dominant lineages. This is true of Laqiyya as well as for all the other towns, systematically these women come from dominant families. One had to wait until recent years in order to see the development of activities in the non- recognized villages. But most of the time they are led by the leaders of the associations of the planned settlements. These associations, registered under the Law of Associations (1980), are non-profit and offer all kinds of activities and services angled towards women and children: Day care centers, Hebrew and Arabic lessons, lectures on various subjects such as health, education, domestic violence or the opening of bank accounts and financial management of the household. The two main associations of the

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Negev can be found in Laqiyya. The first one “Nisa Laqiyya” (Women of Laqiyya) produces Bedouin embroideries, and the second one, “Jam'iyyat Sidreh” (Sidreh Association), manufactures and sells carpets. The craftwork is entirely done by women of the village; the goal is to help them to become financially independent. The objective of these NGOs is to promote Bedouin craftwork in order to defend a cultural heritage and to support local economic development. 27 Nevertheless some militants of these associations participate in a feminist organization called Ma'an (Forum) which was created in 2000 in Beer Sheva and whose goal is to defend the rights of Bedouin women. The outlook is one of intense engagement and feminism. The organization produces a newspaper and participated in 2005 in the writing of a report on the condition of Palestinian women in Israel intended for the UN CEDAW committee.30 Parallel with the official report written by the Israeli authorities on the condition of women in Israel, an Arab organization, the Working Group on the Status of Palestinian Women in Israel has been producing counter-reports since 2001. For the first time this year some Bedouin women with the help of Ma'an have been able to participate in this report and to give international visibility to the place of women in the Negev. Furthermore Ma'an also expects to write its own independent report on Bedouin women and to address the feminine questions that are most often marginalized in the Negev: health, employment, education, personal status, polygyny and the political role of women. 28 To accomplish this, the association is financed with external help from the EU and other overseas NGOs. Recourse to the international scene for the last ten years is not only a feature of Bedouin associations but of all organizations both Israeli and Palestinian. The involvement of international donors has seen a new rise with the success of programs of “Gender and Development,” set in motion by the UN and numerous international conferences on development. This phenomenon has in fact changed the configuration of the associations of Arab women which seek to comply with the requirements of their foreign donors; to conform to their feminist aims. In fact the financing criteria developed are essentially inspired by western feminist theories, augmented by new economic and political criteria of “good governance.”31 In the new quest for democracy in the Middle East, women are considered to be the guarantors of social change. The associations, once they have polished up their feminist and largely depoliticized agendas, they then become a prime target for international financing. One of the consequences of the recourse to the international is the decontextualization of the priorities and the needs32. In trying to change the women without changing the context of their discriminations these measures extract all trace of potentially nationalist and subversive politics. This explains why the associations are often reproached for the fact that they struggle for women without taking account of the needs of the community as a whole. Another reproach targets the social and political negotiations employed by these associations. Some Bedouin men see the recourse by these associations to national financial support places them in dangerous proximity to the state apparatus. Equally suspect, they see the influence of Israeli feminists in the emphasis the associations place on the patriarchal foundation of Bedouin society and the suffering of women. This is why some acts of sabotage and degradation have been carried out against these associations in protest against both the activities, the independence of women and their insertion into the Israeli political game. In fact, it would be a simplification to think that the reticence of men towards the associations of women can only be found in the patriarchal system. There also

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exists some political and social reasons notably of frustration, jealousy and mistrust for feminine initiatives that de facto exclude men and are supported by Israeli authorities. 29 Therefore, not only are Bedouin women not always represented in politics they are also practically inactive in the parties. Nevertheless few of them are mobilized in the field of associations which have gained in importance and which no longer content themselves with offering local services. Today they also take on a national dimension and have international support. Even if these associations have no clear political aim, nevertheless they represent new places for women to work, to socialize and participate in social protest. The conventional political arena does not seem to Bedouin women to be a useful and respectable sphere of involvement. Opinion which is now shared by lots of Arab citizens who do not trust neither have hope in their political representatives. People disappointed and marginalized by the system refuse largely to be involved. Bedouin women mobilized in civil organizations are young, educated and urban (feminist or not), very critics of the political system in the Negev and who decide to be involved in other social and economic fields, in aid of women, independently of political partisan logics.

NOTES

1. On top of Israeli citizenship, Israel recognizes three 'nationalities' (leom): Jewish, Arab and Druze. 2. L. Jakubowska, “Resisting Ethnicity: The Israeli State and Bedouin Identity”, in C. Norstrom & J. Martin (eds), The Paths to Domination, Resistance and Terror, University of California Press, 1992. A. Meir, As Nomadism Ends, Boulder, 1997. C. Parizot, Le Mois de la Bienvenue, unpublished PhD thesis, Paris, EHESS 2001. 3. G. Lewando Hundt, Women's Power and Settlement: the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women. M.A Thesis, University of Edinburgh, 1978. S. Dinero, “Female Role Change and Male response in the Post-Nomadic Urban Environment: the case of the Israeli Negev Bedouin”, Journal of Comparative Family Studies, 28 (3), 1997, pp. 248-261. 4. E. Marx, The Bedouin of the Negev, Manchester University Press, 1967. Chap. 3: Composition of a Tribe, pp. 61-80 & Chap. 5: Marriage Patterns, pp. 101-145. 5. C. Parizot, op.cit., note 2, pp. 25-58. 6. G. Falah, “The Spacial Pattern of Bedouin Sedentarization in Israel”, Geojournal, 11 (4) 1985, p. 362. 7. There were about 95,500 Bedouin in the Negev in 1947. Only 11,000 were left by the end of the year 1948. Falah, op.cit., note 6, p. 363. 8. Among the 19 officially recognized tribes that had been fixed by the Israeli authorities, 11 came originally from areas that were outside the sayigh. 9. E. Marx, ibid, note 2, Chap. 2: Administrative Environment, pp. 31-58. A. Meir, op.cit., note 2, Chap. 4: Territorialization, pp. 73-105. C. Parizot, op.cit., note 2, pp. 42-48. 10. Up to 1966, the Arab population of Israel as a whole was placed under military administration. The rules were strict: surveillance of the modes of political

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organization and control of movements with traffic permits necessary in order to get out of military zones. See I. Lustick, Arabs in the Jewish State, Austin, Texas University Press, 1980. 11. A. Meir, op.cit., note 2, Chap. 4: Territorialization, pp. 73-105. 12. Tel as-Saba, Rahat, A'ra'ra, Kseife, Sgib as-Salam, Hura then Laqiyya. 13. The expropriation of the Bedouin was done under the effect of several laws, including the Absentee Property Law – 1950 and the Land Acquisition Law – 1953. 14. L. Abu Lughod, Veiled Sentiments, Honor and Poetry in a Bedouin Society, Berkeley, University of California, 1988; “The Romance of Resistance: Tracing Transformations of Power through Bedouin Women,” American Ethnologist, vol. 17, # 1, February 1990, pp. 41-55. C. Nelson, The Desert and the Sown. Nomads in the Greater Society, Berkeley University of California, 1973. G. Lewando Hundt, Women's Power of Settlement: the Effect of Settlement on the Position of Negev Bedouin Women, M.A. Thesis, University of Edinburgh, 1978. 15. S. Duchesne & F. Haegel, “La politisation des discussions au croisement des logiques de spécialisation et de conflictualisation”, Revue française de science politique, vol. 54, # 6, December 2004. 16. Gender dominant groups, but also ethnic or confessional dominant groups — the Jewish citizens. We are only talking here of one aspect of the relationship of domination. One should not forget the variables of generation, economics, geography, etc., which also prevail among Bedouin women. 17. For more details about these notions, see E. Marx, op.cit., note 4, Chap. 7: Sections and Co-liable Groups, pp. 177-213; E. Marx & A. Shmueli, The Changing Bedouin, Transaction Books, 1984; as well as G. Kressel, Descent through Males. An Anthropological Investigation into Patterns Underlying Social Hierarchy, kinship and Marriage among Former Bedouin in Ramla-Lod Area (Israel), Mediterranean Language and Culture Monograph Serie 8, Harrassowitz, Wiesbaden, 1992. 18. A. Meir, op.cit., note 2, Chap. 8: The Political Dimension: The Bedouin and the State, pp. 193-220. 19. I. Lustick, op.cit., note 10, Chap. 6: Cooptation as a Component of Control: The Capture of Arab Elite. Benyamin Neuberger, “The Arab Minority in Israeli Politics 1948-1992: From Marginality to Influence”, Asian and African Studies, # 27, 1993, pp. 149-170. 20. Creation in 1984 of the Democratic Front for Peace and Equality, that came out of the coalition of the Progressive Movement (led by Mohammed Miari) and the Jewish movement Alternativa (led by Uri Avneri). Just before the 1988 elections, creation of the Arab Democratic Party, led by Abd el-Wahab Darawshe, ex Labor Deputy. 21. The Jabha, founded for the 1977 elections, came out of a coalition of several groups, around the central cell formed by the communist party. 22. Al-Tajammu' al-Watani al-Dimuqrati (National Democratic Assembly) founded in 1996 from the fusion of the Progressive Movement and part of the radical organization Abna al-Balad. It is today led by its charismatic leader, Azmi Bishara. 23. In fact the Islamic movement which split into two branches in 1996 has a radical northern wing that refuses to participate in parliamentary elections, and a moderate southern wing which plays the game of the political system and has MKs in the Knesset. 24. Since the creation of the Israeli State, 15 women Arab citizens have been elected as city counselor and one woman, Violet Khouri, was head of Kufr Yassif local council between 1972 and 1973. Two Arab women, have been elected deputies: Husnia Jabara

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from the left Zionist party Meretz (1999-2003) and Nadia Hilou from the Labor Party elected during the last 2006 elections. 25. C. Parizot, op.cit., note 2, Chap. 6: Le Mois de la Bienvenue : Médiations “traditionnalisées” et culture politique partisane, pp. 322-386. 26. C. Parizot, op.cit., note 2, pp. 262-268. 27. L. Jakubowska, op.cit., note 10, pp. 100-101. 28. Interview, September 2004. 29. This subject has been examined in numerous studies dealing with “Palestinization,” or even the radicalization of Arab citizens of Israel. See J. Landau, Arab Minority in Israel 1967-1971: Political Aspects, Oxford, Clarendon Press, 1993; Y. Peres, “Modernization and Nationalism in the Identity of the Israeli Arabs,” Middle East Journal, vol. 24, # 4, Autumn 1970; S. Smooha, “The Arab Minority in Israel: Radicalization or Politicization?,” Studies in Contemporary Jewry, vol. 5, 1989; A. Bishara, “L'Arabe en Israël,” Revue d'études palestiniennes, # 7, Spring 1996; E. Rekhess “Israeli Arabs and the Arabs of the West Bank and Gaza: Political Affinity and National Solidarity,” Asian and African Studies, # 27, 1989 and L. Louër, Les Citoyens arabes d'Israël, Paris, Balland, 2003. 30. Convention on the Elimination of all Forms of Discrimination Against Women. 31. On a regular basis, international texts relating to the promotion of women are reproached for not using feminist terminology. Meaning they are engaged and critical but are using a neutral vocabulary. This criticism actually aims directly at the texts from the UN. Nevertheless, in the case of associations that are not occidental, one can not deny the influence of western values and criteria about equality between men and women. It is in this sense that we are talking here of western feminism. 32. The same analysis has been used on Palestinian women's associations. See R. Giacaman, “International Aid, Women's Interests and the Depoliticization of Women”, Gender and Society, working paper # 3, Women's Studies Program, Birzeit University, September 1995.

AUTHOR

ÉLISABETH MARTEU Elisabeth Marteu is a PhD candidate at the Institute of Political Studies, Paris and at the Ben Gourion University of the Negev. She has received a rant from the French Research Center of Jerusalem. [email protected]

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The Judicialization of Politics in Israel Promoting Arab Collective Claims in the Judicial Arena

Hélène Sallon

1 One of the central debates on the Israeli political scene in 2005 was the public controversy between the President of the Supreme Court, Aharon Barak, and the Minister of Justice, Tzipi Livni, on the nomination of three new justices to the Supreme Court. This controversy focused on Law professor Ruth Gavison, whose nomination Barak opposed because of her vehement criticism of the political orientation and judicial activism of the Supreme Court, which many observers attribute to Barak himself. The extent of this controversy indicated the political significance of the composition of the Supreme Court and political importance of the direction of its judicial policy after the retirement of its present President in September 2005.

2 The Supreme Court has become a central actor on the Israeli political and public scene. It is considered pivotal actor in the judicialization of Israeli politics and society and has, despite numerous criticisms, gained a public reputation as ultimate defender of the country’s democracy. It systematically involves itself in areas that were traditional domains of other public authorities, and has thus restrained or substituted their influence on crucial social and political issues. Its reputation as last defense of democracy reposes on its active role in the enforcement of the respect for fundamental rights and freedoms in public policies. It has been encouraged in this by law professionals and civil society actors, who entered the judicial arena to promote sectarian interests of individuals and marginalized groups. 3 The systematization of the political use of Law and Justice is indicative of an increased perception of Law as a means for collective action and of Justice as a privileged arena for political expression and participation. The law is strategically mobilized by social actors and law professionals to force the acknowledgement of specific social and political claims in public policies. The study of these practices in the Israeli context contributes to the theory on the use of legal means in collective action, and more generally, on the role of Justice in democratic societies that are undergoing profound societal changes. The judicial activism by Israel’s Arab minority is in this context a

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particularly privileged fieldwork. With its singular history and status, the minority demands social and political rights that relate to fundamental questions of State, and requests that the judicial power arbitrate between the minority and the State. This analysis will focus on claims arising from the allocation of public resources such as land, which constitutes a large part of legal challenges. 4 The judicial activism by the Arab minority reflects strategies that were developed in and should therefore be understood in the wider context of the judicialization of Israeli politics and society and its particular political meaning with regard to the marginalization of the Arab minority in the public and political spheres. Despite the inherent limitations to the strategy of such judicial activism, it is used by numerous actors who aim to significantly influence public policy. I. The Judicialization of Politics and Society in Israel 5 The judicialization of Israeli politics and society in the nineties was concomitant with the expansion of judicial power based on the North American model onto the international level.1 The conditions and modalities of the entry of this form of judicial power into the Israeli context display similarities with those observed in other countries. Socio-political transformations, such as the shift in the balance of powers and the consequent increase in the political power of the Supreme Court, as well as the active involvement of political, judicial and social actors, were determinant factors in the judicialization of Israeli politics and society. Judicialization of politics 6 The concept of the judicialization of politics has become an influential instrument in the analysis of the mechanisms behind the “expansion of the province of the courts or the judges at the expense of the politicians and/or the administrators, that is, the transfer of decision-making rights from the legislature, the cabinet, or the civil service to the courts.”2 This expansion relies on the increase in the number of these mechanisms which result in a larger influence of Justice on public policies. One such example is the increase in the number of recourses to judicial arbitration, increasing numbers of appeals made to the courts on social key-issues, and the shifting of political affairs’ settlement from the political to the judicial arena.3 Among other, this phenomenon has resulted in a greater role for judges in norm-setting, to the detriment of the legislative power.4 As such, it is frequently denounced as a blow to majority democracy or praised as the expression of the rule of law. 7 According to Jacques Commaille,5 the explanation for this development can be found in the following socio-political evolutions: the increasing influence of the media and the market, in the advent of democratic individualism, in the shifting role of the State, in the contractualization of social relationships, in the crisis of politics and politics’ inability to find solutions to sensitive social issues, and in the end of great ideologies. Neal Tate6 identifies the conditions that encourage the expansion of judicial power as the separation of powers, the “politics of rights” – understood as “an acceptance of the principle that individuals or minorities have rights that can be enforced against the will of putative majorities” –, the use of legal courts by special interest groups and the opposition, ineffective majority institutions and negative perceptions of policy-making institutions, refusal by majority institutions to deal with particular issues, and judges with the appropriate personal attitudes and policy preferences or values. Loss of Power of Majority Institutions

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8 The loss of power of the legislative and executive authorities and their delegitimization in the eyes of the public, are considered to be central factors in the judicialization of Israeli society and politics. Martin Edelman7 explains that “rampant partisanship, arbitrary and self-interested policies, and, worst of all, an inability to deal with crucial problems besetting Israeli society, corroded that authority and, ultimately, the power of the elected leadership”. According to Gad Barzilai,8 the traditional balance of powers between a strong legislative power and a centralized executive was first weakened by the legislative elections of 1977. Marking on one hand the end of the political monopoly by the Mapai party and Laborites, these elections highlighted the division in political leadership in the Knesset and on the other hand, the beginning of the growth of the influence of small political parties that, due to the fragmented nature of coalition politics in Israel, could negotiate their support against funding for their particular constituents. This trend intensified after 1992 with the introduction of a new electoral system with direct election for Prime Minister. These changes offered the Supreme Court the opportunity to increase its political role by stepping into the void left by representative institutions in the settlement of main social and political questions. 9 The transition from “party hegemony to the judicial hegemony”9 paralleled the americanization of Israeli society during the seventies. In the opinion of Itzhak Galnoor10 the artificial introduction of American institutional organs and of its interpretation of balance of power, which favors the power of the judiciary, signified a dangerous erosion of the Israeli tradition of strong parliamentarianism. This americanization was accompanied by the development of “the ethos of a litigious society”11 and by the identification of a growing section of Israeli society with democratic, secular and liberal values, values which the Supreme Court represents. According to Ran Hirschl,12 the threat to these values posed by the increasing influence of small political parties, in particular religious ones, led to the introduction of the Basic Laws of 1992. The political, economic and judicial elites that identified themselves with these values had effectively transferred part of their decision-making power and the defense of these values to the Supreme Court. The Supreme Court13 and “the Politics of Rights” 10 The introduction of two Basic Laws in 1992,14 last “chapters” in Israel’s progressive and uncompleted written constitution, led to the constitutionalization of the Israeli legal system, introducing a « constitutional revolution » according to Aharon Barak.15 They were the first to define the formal legal status of several fundamental rights16 and to hold a normative value superior to ordinary laws. They were amended in 1994 to include a reference to the principles contained in Israel’s Declaration of Independence17 and to “the values of Israel as a Jewish and democratic state” which placed the Supreme Court in front of values often deemed irreconcilable.18 The Supreme Court asserted the constitutional nature of the Basic Laws in a landmark case in 1995,19 thus opening all existing laws to judicial review in the light of their constitutionality with regard to the fundamental rights contained in the Basic Laws.

11 Although this “constitutional revolution” encouraged the Supreme Court’s activism, it was, in fact, only the formalization of fundamental rights and of the doctrine of judicial intervention that had already been established through jurisprudence.20 In the framework of its judicial review of administrative acts, the Court extended the scope of review to all statutory provisions, and even to some legislative acts, in the name of the doctrine of justiciability of political acts. The democratic character of the state served

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as justification for the liberal and extensive interpretation of the principles which orientate public action. The legal principles contained in the Supreme Court’s “ theory of rights and freedoms”21 are the freedom of expression and of equality, the right to individual freedom and security, the freedom of movement, religion and conscience, the right to strike, association and gathering, the right to follow one’s vocation and the right to private property. If the development of this jurisprudential law greatly relies on the personality and activism of judges like Meir Shamgar or Aharon Barak, it is also dependent on the activism of social actors and cause lawyers that took the opportunity to develop and extend their judicial activities following the implementation of public standing22 in 1986. Civil society and cause lawyers 12 Israeli civil society saw unprecedented growth in the eighties, with the appearance of many non-governmental organizations representing different sectarian interests. Some of these organizations specialized in or oriented a part of their action to the defense of legal rights. such as the Association for Civil Rights in Israel, ACRI. They were inspired by the US civil rights movement of the sixties and seventies, whose success to a great extent relied on the use of legal skills, opportunities and tools. The introduction of legal strategies proven in the American and international context to Israel was supported by American institutions and foundations.23 These encouraged the use of the American human rights model and the liberal approach abroad through, for instance, awarding stipends to foreign law professionals at American universities, Fullbright scholarships for the creation of legal aid clinics and directed funding of NGO projects. 13 A new category of actors linked to the social movements appeared: cause lawyers who applied their legal skills to the defense of the rights of minorities and disempowered groups. The term “cause lawyering,” defined by Austin Sarat and Stuart Scheingold,24 is both an analytical category and a definition25 used to describe law professionals, innovating legal strategies and activities that are oriented towards the defense of a social or political cause. Since the eighties, Israeli cause lawyers developed an agenda of socio-political laws grounded on the principles of human rights and social justice.26 Some cause lawyers, especially those of ACRI or those of big law firms, progressively entered what Patricia Woods calls “the judicial community.”27 This diffuse and elite community of cause lawyers, law professors and justices of the Supreme Court is motivated by the belief in the rule of law and can be considered as a space that defines new norms. Through the normative debates within this community, justices of the Supreme Court indicate to cause lawyers the arguments and judicial cases that they are amenable to receive. By using this knowledge, cause lawyers enable the Court to translate some of these norms into legal principles, thus increasing the Court’s political influence. II. Judicial Activism for the Arab Minority in Israel 14 The legal defense for Israel’s Arab minority knew important developments during the nineties. The number of actors multiplied and the Supreme Court became more receptive to their claims. New innovative legal strategies were developed to translate the minority’s social and political claims into legal rights’ claims, while at the same time grounding them notably on the principle of equality developed in constitutional jurisprudence. Despite numerous legal victories, it is debated by the actors involved and within the empirical research community, to what degree these victories have resulted in a improving the political and social status of the minority. The pronounced

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liberalism of the Supreme Court and its hesitation to statute on issues that constitute major political challenges to the state are considered serious limitations to this process.

The social and political marginalization of the Arab minority in Israel 15 The members of the Arab community in Israel are descendants of Palestinians who remained inside the borders of the newly created State of Israel on May 14, 1948. Citizens of Israel, this national, cultural and religious minority counts more than one million today.28 Their origin and history position them outside Jewish and Zionist meta- narratives on which the new state was built. State law, which gave preference to distinctions between different religious and national belongings, has not granted the Arab population the status of a minority, and consequently does not recognize rights attached to that status.29 Although members of the minority have had full civil and political rights since the end of the military administration in 1966, the minority is faced with severe social and political discrimination. This is in part due to the constitutional status of Israel as a “Jewish State.”30 Moreover, the confiscation in the first years of the State of its main resources, in particular that of land, and public policies which give preference to the interests of the Jewish majority31 contributed to the social and economic marginalization of the Arab minority. Their identity was constructed, noted Gad Barzilai32, on a feeling of collective deprivation, of a lack of freedom of expression and of discrimination in policies related to social rights and land. 16 For a long time, this socio-economic marginalization was translated on the political level by a quasi absence of representative institutions capable of representing and defending the interests of the Arab minority.33 Increased communalization and palestinization34 during the eighties however, was reflected by the creation of several Arab political parties. These parties succeeded in attracting a majority of the Arab vote, which translated into genuine negotiating power in the political game. However, internal fragmentation, lack of legitimacy in the eyes of the Israeli public and the refusal by the main Jewish political parties to integrate the Arab parties into governmental coalitions prevented these of increasing their influence on public policy- making. Failure by the Arab political leadership combined with a acuter feeling of collective deprivation, resulted in several developments that weakened these strategies: The violent demonstrations in October 2000, the massive boycott of the 2001 national elections and the growing support for the Islamic Movement.35 It also pushed the new Arab elite into seeking alternative strategies of expression and promotion of their social and political claims, in the associative movement and in organizations of legal defense. Lawyers of the Arab cause 17 Until the nineties, the legal defense of the Arab minority interests remained relatively limited. Cause lawyers at ACRI, which was then the only organization providing professional and organizational support to the defense of a wide range of civil rights, were the first to invest in the Arab minority. The Qa’adan affair, initiated in 1995 by ACRI, was the first landmark judicial case addressing the right to equality of the Arab citizens in the access to public resources. ACRI and the Program for Legal Education of the New Israel Fund, NIF, born in 1984,36 were essential in the emergence of a new generation of Arab lawyers who developed a legal approach to articulating national discourse and collective rights. Hassan Jabareen, who was educated in the United States

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and was the first Arab recipient of the NIF program in 1990, created Adalah, The Association for the Defense of the Arab Minority in Israel, in 1996 on the model of ACRI where he had previously worked. Adalah is now the biggest association for the defense of the rights of the Arab minority, with eight lawyers working on prisoners’ rights, land rights, social, economic and cultural rights, including religious and language rights, women rights, and rights in the Occupied Territories. The lawyers at Adalah formed a strategy from their judicial activism for the promotion of collective rights of the Arab minority on the political level. In spite of the strong political implication of its petitions, the professionalism of its lawyers and its public relations’ employees resulted in Adalah’s success and reputation before the Supreme Court and the Israeli public eye. Adalah is however criticized within the community for defending only cases that pursue a collective interest and for its refusal to defend individuals against Arab communal institutions, in particular against religious institutions. 18 The growing receptivity of the Supreme Court to Adalah’s petitions encouraged the entry of other organizations to this field and influenced the strategies of those that, like ACRI, were already working in it. ACRI progressively renounced the Jewish and Zionist perspective that characterized its initial approach to cases related to the Arab minority and adopted an approach close to Adalah’s.37 It also got involved further with the launching of its program “Equality for Arab Citizens” in 2000. The Legal Aid Clinic of Tel-Aviv University, created in 1983, also got involved more systematically in the defense of the rights of the Arab minority, notably under the direction of Neta Ziv, a former ACRI lawyer. Beyond the defense of socio-economic and housing rights, the Clinic distinguished itself through the defense of Arab citizens against their community-based institutions, such as the defense of women rights against religious courts. These organizations and their cause lawyers work closely with the associations of Arab civil society whose social and political claims they relay. This informal coordination constitutes a guarantee for the legitimacy of their actions in the eyes of the minority. The concern for legitimacy moreover encourages predominantly Jewish organizations to entrust Arab lawyers with cases related to the minority. The trend in the last few years is towards greater cooperation between these organizations and they have begun to work together on several petitions to the Supreme Court and in judicial actions. These exchanges also resulted in some cause lawyers to move from an organization to another. Which cause(s), which right(s)? 19 During the initial years of judicial activism in defense of the Arab minority, two approaches characterized the methods and strategies used by Adalah and ACRI in the selection and building of judicial cases. These approaches were opposed in the Qa’adan family case.38 The Qa’adan family was legally represented by ACRI. The family had been denied the right to live in Qatzir, a village built by the Jewish Agency on public land, on the basis of their ethnic origin. ACRI attacked the State for discriminating in the allocation of public resources through a third party, founding its argument on the Right to Equality. Adalah criticized ACRI for having deliberately limited the petition to the Qa’adans’ case and having therefore avoided the greater issue of state policies on land confiscation and management. Adalah objects to the individual and formal interpretation of the right to equality defended by ACRI in this case, and favors a substantive interpretation that takes into account past discriminations and genuine needs of the Arab minority.39 Answering these needs requires, according to Adalah, an equal allocation of development budgets to the Arab local authorities and institutions,

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in which a majority of the Arab population live. As such, Adalah oriented part of its action against discriminations in the allocation of governmental budgets, in the areas of religion, education, health or local authorities’ development.40 The petition brought by Adalah in 1998 against the National Priority Areas41 is indicative of this strategy. Adalah attacked a governmental decision granting substantial social and economic benefits, notably in the field of education, to residential communities categorized as National Priority Areas, from which the majority of the Arab towns and villages were excluded in spite of their severe socio-economic conditions. The Supreme Court accepted in February 2006 the argument according to which the decision lacks proper grounding and is discriminatory in its effect, thus asking the government to cancel it. The Court reasserted the obligation made to the State to ensure equality for Arab citizens in the allocation of public resources. Adalah’s strategy has further aimed for the recognition of Arab collective rights and of Arab narrative in public policies. This strategy gradually found an echo in the Supreme Court,42 which notably acknowledged the cultural specificity of the Arab minority and the official status of the Arabic language by calling on the state and on mixed-cities to add Arabic to public road signs. 43

20 The growing receptivity of the Supreme Court to Adalah’s petitions encouraged other legal aid organizations to present similar cases, developing similar strategies and arguments. For instance, in the rally against the use of indirect discrimination through selection criteria, such as the requirement for completed military service,44 in the allocation of financial aids to families and for education and housing the three organizations collaborated45. Due to the Arab population’s acute need for improvement in education, these organizations attempt to encourage the Supreme Court to recognize the right to education as a basic right and to instruct the state to implement affirmative action. With regard to access to land and housing, in which the divergence between the Arab and state narratives is greatest, many petitions have been presented. In a case similar to the Qa’adan affair, the three organizations challenged not only the particular governmental decision but also attacked a foundation stone of the state’s land policies, which is the delegation of the management of state lands46 to Jewish para- public institutions.47 ACRI distinguished itself in this field by introducing a petition for fair representation of the Arab population in these institutions.48 The status of Bedouin villages that have remained unrecognized by the state since 1966, the time of the National Master Plan, gave rise to innovative legal strategies developed by cause lawyers. In order to force the State to recognize these villages, they obligate it to develop public infrastructures49 there in the name of the basic right of their inhabitants to live in a dignified way. The limitations to judicial activism 21 The example of unrecognized Bedouin villages illustrates the limitations of judicial activism and the strategies of skirting elaborated by cause lawyers. Indeed, in spite of its greater receptivity to the claims by the Arab minority in the last few years, the Supreme Court still refuses to rule on cases that would have significant political implications and open itself up to requests for important legal and material remedies. Furthermore, the Court rejects all petitions that contest past and general policies. One such example is the national planning policy that aims to gather the Bedouin population into townships by re-classifying the lands where they live as agricultural lands that cannot be developed. Cause lawyers have therefore aimed to circumvent these limitations by limiting their petitions to specific demands, such as requesting the

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allocation of public resources and infrastructures that are considered by the Court as part of the basic rights that the state must guarantee to every citizen. These requests however do not request radical remedies to the wider problem and are often solved through out-of-court settlements between the State and the petitioners. This is also the case for petitions related to the allocation of governmental budgets and specific aids, to which the Court has asked the petitioners to limit their requests to precise budget lines. When Adalah contested the repartition of the Ministry of Religious Affairs’ budgets in 1998,50 its petition was deemed too general by the Court. Attacking discriminatory actions by the state is also made difficult due to the fact that the burden of proof lies with the petitioners who can seldom gain access to the necessary information. Another important limit to legal defense is the constant refusal by the Supreme Court to intervene in conflicts in which the State invokes national security. Samera Esmeir51 explains that Adalah once refused to represent Arab inhabitants of Umm el-Fahm whose lands were to be expropriated by the state in order to build a field for military training. Aware of the low potential of victory of this case in the judicial arena, Adalah advised the inhabitants to use other means of political protest. 22 Cause lawyers are generally pessimistic on the effectiveness of the victories they have obtained before the Supreme Court. Some of the legal and material remedies granted by the Court are not enforced, due in part to the absence of appropriate mechanisms to ensure the implementation of the Court’s decisions. Despite their victory before the Court, the Qa’adans were systematically denied the right to live in Qatzir so that ACRI had to present a new petition before the Supreme Court in order to implement its first decision. Eight years passed before the Qa’adans had their rights enforced. Feet- dragging by the Supreme Court in cases related to the Arab minority has been thoroughly criticized. Generally cautious on these cases with strong political dimension, the Court does its utmost to bring the parties to a compromise so as to avoid a decision that could act as precedent. The Court also takes care not to fundamentally question the state. It is criticized for having developed an extensive rhetoric on equality without having granted the remedies that could guarantee the enforcement of equality.52 The Court remains in a formal and individual interpretation of equality and of other basic rights, a conception that fits the liberal orientation of its jurisprudence that many cause lawyers of the Arab minority consider to be inadequate to defend the minority in its interactions with the state.53 Conclusion. On Judicial Activism and Social Change 23 The question whether courts can bring about social and political change has resulted in a large body of literature internationally as well as in Israel. The limitations of judicial activism in instigating deeper social and political changes have been noted by Gerald Rosenberg54 in the US and further developed by Gad Barzilai 55 in the Israeli context. Social activism, they hold, is a costly method of socio-political struggle. It relies on an elite and utilizes legalistic language and professional norms which make it difficult to translate some social and political problems into litigation. Moreover, in case of victory, the means of enforcement of rulings against the State authorities is weak, and finally, the use of litigation can lead to the de-politization of social movements, as its actors renounce to other means of action. Several social actors and cause lawyers who represent the interests of the Arab minority engage in academic research on these issues and are aware of these limitations. However, they are convinced that their small victories, accumulated over time, will result in significant changes and they will therefore continue to put a lot of effort in these practices. This conviction is

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corroborated by the study of McCann56 which showed that judicial activism can lead to significant changes by forcing changes in individual practices and in political norms, rules and agendas. Judicial action, and notably its media coverage, can bring about awareness among the targeted group and the society as a whole, and as such become a boosting factor for collective action.

NOTES

1. C. Neal Tate & T. Vallinder, The Global Expansion of Judicial Power: The Judicialization of Politics, New York, New York University Press, 1995. 2. T. Vallinder “When the Courts Go Marching In” in C. Neal Tate and T. Vallinder, op. cit. 3. Jacques Commaille, “La judiciarisation. Une nouvelle économie de la légalité face au social et au politique”, work paper, CERAT, February 2002 (French). 4. Violaine Roussel, “La judiciarisation du politique : réalités et faux semblants”, Mouvements, 29, september-october 2003 (French). 5. Jacques Commaille, op. cit. 6. C. Neal Tate, “Why the expansion of judicial power?,” in C. Neal Tate and T. Vallinder, op.cit. 7. Martin Edelman, “Israel”, in C. Neal Tate and T. Vallinder, op.cit. 8. Gad Barzilai, “Partisan leadership and electoral laws: the Israeli domain in context,” Palestine, Jordan, Israel-PASSIA, first edition, December 1997. 9. Ibid. 10. Itzhak Galnoor, “The judicialization of the public sphere in Israel,” Israel Law Review, 37, Summer-Fall 2003. 11. Menachem Mautner, “Law and Culture in Israel: The 1950s and the 1980s,” in R. Harris, A. Kedar, P. Lahav, A. Likhovski (eds), The History of Law in a Multi-Cultural Society: Israel 1917-1967, Aldershot, 2002. 12. Ran Hirschl, “Towards Juristocracy: The Origins and Consequences of the New Constitutionalism,” Harvard University Press, Harvard, 2004. 13. On the functions and the role of the Israeli Supreme Court, see Claude Klein, “Le Droit israélien”, PUF, collection Que sais-je ?, 1986 and “La Cour Suprême : un îlot dans la tourmente”, Les Cahiers de l’Orient, 70, 2ème trimestre 2003 (French). 14. The Basic Law on Freedom of Occupation and the Basic Law on Human Dignity and Freedom. 15. Aharon Barak, “La révolution constitutionnelle : la protection des droits fondamentaux”, Pouvoirs, 72, 1995 (French). 16. These fundamental rights encompass the freedom of occupation; protection of the life, body and dignity of human being; protection from arrest, detention or extradition; protection of the residence and of the secret of correspondence. 17. The Declaration of Independence entrenches the principles of freedom, peace and justice; a complete equality in social and political rights to all citizens, without

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distinction based on belief, race or gender; as well as freedom of belief, religion, education and culture. 18. Dan Avnon, “The Israeli Basic Laws (Potentially) Fatal Flaw,” Israel Law Review, 32 (4), 1998. 19. United Mizrahi Bank v. Migdal Cooperative Village (1995), 49 (iv) P.D. 221. 20. Aharon Barak, Judicial discretion, Yale University Press, Yale, 1989. 21. Françoise Dreyfus, “La Cour Suprême : l’audace du juge”, Pouvoirs, 72, 1995 (French). 22. In Ressler v. Defense Minister (H.C. 910/86), the Court acknowledged the right to any person, even if not personally affected by the government action, to attack that action in court if the action raises an important question of wide public implications. 23. This phenomenon has been studied in the South-American context by Yves Dezalay and Bryant G. Garth, The Internationalization of Palace Wars: Lawyers, Economists, and the Contest to Transform Latin American States, University of Chicago Press, Chicago, 2002. 24. Austin Sarat et Stuart Scheingold (eds.), Cause Lawyering: Political Commitments and Professional Responsabilities, New York, Oxford University Press, 1998; idem, Cause Lawyering and the State in a Global Era, New York, Oxford University Press, 2001. 25. Liora Israël, “La Justice comme espace politique. Trois études de cas : Israël, Inde, Argentine”, Droit et Société, 55, 2004 (French). 26. Neta Ziv, “Hanging by the Cloak – Advocates for Social Change in Israel: Between the Legal and the Political,” Adalah’s newsletter, 2, June 2004. 27. Patricia Woods, “Normes juridiques et changement politique en Israël”, Droit et Société, 55, 2004 (French). 28. The Arab minority constitutes as such 20% of the whole Israeli population. 29. The Arab nationality is legally recognized, but distinguished from the Druze and Bedouin nationalities that characterize groups considered as integrant parts of the minority. 30. David Kretzmer, “Les droits de l’homme en Israël”, Pouvoirs, 72, 1995 (French). 31. Gad Barzilai, “Fantaisies of Liberalism and Liberal Jurisprudence: State Law, Politics and the Israeli Arab-Palestinian Community,” Israel Law Review, 34 (3), 2003. 32. Idem. 33. Laurence Louër, “Comment gérer la minorité arabe d’Israël ? Les élections de mai 1999”, Politique étrangère, 65 (2), 2000 (French). 34. Ibid. 35. Laurence Louër, “L’Intifada d’Al-Aqsa : quelle place pour les citoyens arabes de l’État juif ?”, Cultures et Conflits, 41, 2001 (French). 36. The New Israel Fund Program, funded by the Ford Foundation, combines one year of legal education in an American university and one year of practice within a human rights organization. 37. Neta Ziv, interview, August 28 2005. 38. H.C. 6698/95, Qa’adan v. Administration of Israel Lands et al. 39. For a detailed analysis of the formal and substantive conceptions of equality, see Youssef Jabareen, Constitutional protection of minorities in comparative perspective: Palestinians in Israel and African-Americans in the United States, Ph-D thesis, Georgetown University Law Center, 2003. 40. H.C. 240/98, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al. , P.D. 52 (2) 167 ; and H.C. 1113/99, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al., P.D. 54 (2) 164 ; H.C. 6671/03, Munjid Abu Ghanem, et al. v. Ministry of Education, et. Al ; H.C. 786/04, Ahlam

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el-Sana, et al. v. Ministry of Health, et al.; C. 6223/01, National Committee of Arab Mayors, et al. v. Ministry of the Interior, et al. 41. H.C. 2773/98 and H.C. 11163/03, The High Follow-Up Committee for the Arab Citizens of Israel, et al. v. The Prime Ministre of Israel. 42. Neta Ziv, “Law, Constitutionnalism and Mobilizing for Social Change: the case of the Palestinians in Israel,” paper introduced to the Conference on Constitutionalism, MADA al-Carmel, Nazareth, June 2004. 43. H.C. 4438/97, Adalah, et al. v. The Ministry of Transportation, et al., Takdim Elyon, 1998 (1) 11 et H.C. 4112/99, Adalah, et al. v. The Municipalities of Tel Aviv-Jaffa, et al. 44. A majority of the Arab population does not participate in the military, since conscription is not compulsory for her. 45. H.C. 4822/02, The National Committee of Arab Mayors and Adalah v. Avraham Burg, et al.; H.C. 2814/97, Follow-Up Committee on Arab Education et al. v. Minister of Education et al., P.D. 54 (3) 233 ; H.C. 9289/03, Adalah, et al. v. Israel Lands Administration, et al. 46. 93 % of the Israeli lands are State land. 47. H.C. 9205/04, Adalah v. The Israel Lands Administration, et al. 48. The Association for Civil Rights in Israel v. Israel Land Authority (2001) 55 P.D. V 15. 49. H.C. 5221/00, Dahlala Abu Ghardud, et al. v. Ramat HaNegev Regional Council, et al.; H.C. 7115/97, Adalah, et al. v. Ministry of Health, et al.; H.C. 3586/01, The Regional Council for Unrecognized Villages in the Naqab, et al. v. The Minister of National Infrastructure, et al. 50. H.C. 240/98, Adalah, et al. v. Minister of Religious Affairs, et al. , P.D. 52 (2) 167. 51. Samera Esmeir, “Resisting litigation in Umm el-Fahem”, Human Rights Dialogue, 2 (2), 2000. 52. Gad Barzilai, op. cit.; and Youssef Jabareen, op. cit. 53. Gad Barzilai, Communities and Law. Politics and Cultures of Legal Identities, University of Michigan Press, 2005. 54. Gerald Rosenberg, The Hollow Hope: Can Courts Bring About Social Change?, University of Chicago Press, Chicago, 2001. 55. Gad Barzilai, “The Evasive Facets of Law: Litigation as Collective Action,” Adalah’s Newsletter, 10, February 2005. 56. Michael W. McCann, Rights at Work: Pay Equity Reform and the Politics of Legal Mobilization, University of Chicago Press, Chicago, 1994.

AUTHOR

HÉLÈNE SALLON Hélène Sallon is a PhD Candidate in Political Science (Institut des sciences sociales du politique, ISP, École Normale Supérieure de Cachan, France) and scholarship’s recipient of the French Center of Research in Jerusalem – CRFJ. [email protected]

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