Revue Musicale 1908
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Saison 2014 | 2015 Uthal Etienne-Nicolas Méhul (1806) Opéra en un acte sur un livret de Jacques Bins de Saint-Victor créé le 17 mai 1806 à l’Opéra Comique de Paris Opéra en version de concert Versailles, Opéra Royal Samedi 30 mai 2015, 20h Revue musicale 1908 Plus de cent ans après la création d’Uthal, la Revue musicale fait paraître la première édition du piano-chant de l’œuvre en supplément à son numéro de mai 1908. Le tout est précédé d’un article musicologique. Réalisé par Etienne Jardin, Palazzetto Bru Zane La Revue Musicale (huitième année) l’Opéra. Non que ses œuvres fussent surtout du genre léger alors à la mode. Au contraire, plusieurs de ces pièces, encore N° 9 - 1er Mai 1908 - pages 295 à 300 que jouées à l’Opéra-Comique, sont, en vérité, Phrosine et Mélidore par exemple, d’assez noirs mélodrames. D’autres, telle Stratonice, ne diffèrent du grand opéra que par l’intercalation de quelques scènes parlées. L’ « Uthal » de Méhul (1806) Quoi qu’il en soit, Méhul, tout-puissant à l’Opéra-Comique, n’était point le maître à l’Opéra, d’où l’antipathie qu’il nourris- Uthal, opéra ossianique ! un pareil titre aujourd’hui ne dirait plus grand’chose s’il n’excitait point, tout simple- sait contre Lesueur devait encore contribuer à le faire écarter. Donc, pour ces raisons, Uthal devait voir le jour à l’Opéra-Co- ment, de faciles railleries. Car ils sont oubliés prodigieusement, ces poèmes du fabuleux Ossian, pseudo-barde mique, où le compositeur venait de donner presque coup sur coup plusieurs pièces d’un genre tout différent : l’Irato, Une calédonien du III ou IVème siècle à qui le trop ingénieux Macpherson s’était appliqué, prétendait-il, à servir de Folie, les Aveugles de Tolède. truchement. En réalité, Macpherson, homme habile et peu scrupuleux, semble bien avoir créé de toutes pièces ce mystérieux personnage, ses œuvres du moins, telles qu’il les traduisit, censément, du gaélique. Aux yeux Cet opéra ossianique en un acte, dont Saint-Victor, le père du critique romantique, lui avait fourni le livret, y fut représenté de la critique moderne, et ce depuis pas mal de temps, les poèmes de l’Homère calédonien ne paraissent que le samedi 17 mai 1806. Mlles Scio, Solié, Gavaudan, y tenaient les principaux rôles. des amplifications d’une assez vaine rhétorique où le prétendu traducteur a mélangé, entremêlé, combiné un certain nombre de vieux chants légendaires et populaires d’Ecosse avec des imitations peu dissimulées des plus Encore qu’écrit dans la langue emphatique, boursouflée et trop souvent impropre de l’école classique impériale, ce drame, en classiques auteurs. sa brièveté, n’est pas sans mérite. Il offre du moins des situations fortes et pathétiques, avec des scènes assez propres à per- mettre un large développement musical. Au surplus, l’auteur n’avait emprunté à Ossian que le décor et la couleur générale. Il n’eut, certes, qu’à se louer du résultat de sa supercherie. Geoffroy, le critique des Débats, homme docte, prétend, non sans quelque vraisemblance, que l’anecdote est tirée de Plu- La popularité d’Ossian fut soudaine, foudroyante, universelle. Peu après leur apparition en Angleterre, les livres tarque (Vie d’Agis et de Cléoméne). Ce serait, sous d’autres cieux, l’aventure tragique du roi de Sparte Léonidas, détrôné par de Macpherson étaient traduits dans toutes les langues ; Ossian, célébré partout. Ce nouveau rival du chantre son gendre, Cléombrote. Mais venons au détail. de l’Iliade se voyait commenté par les plus doctes critiques, admiré par les artistes et les poètes que charmaient, non sans quelque raison, un sentiment de la nature assez vif, une mélancolie que l’abus n’avait pas encore ren- « Tout l’intérêt du poème, déclare le Journal de Paris qui en loue l’art et la conduite, roule sur là perplexité où se trouve une due fastidieuse et un pittoresque de couleur nouvelle bien fait pour plaire à des esprits dont l’idéal gréco-romain femme sensible, la belle Malvina, dont le père et l’époux sont armés l’un contre l’autre. » classique commençait à se faner un peu. Uthal, en effet, a détrôné traîtreusement son beau-père Larmor. Chassé du palais de ses pères, le vieux roi erre dans les forêts En Allemagne, en France, le succès, en dépit de quelques protestations, fut colossal. C’est Ossian dont Werther, brumeuses, tandis qu’un barde fidèle, Ullin, est parti, sur un frêle esquif, solliciter pour lui les secours du roi Fingal. avant son suicide, veut lire quelques pages. Et le général Bonaparte, aux débuts triomphants de sa carrière, em- porte en campagne les œuvres du vieux barde, comme Alexandre, son héros, les poèmes d’Homère. Cependant Malvina, touchée de la détresse de son père, s’est mise à sa recherche. Au lever du rideau, tandis que sous les arbres centenaires gronde un furieux orage, le père et la fille se sont rencontrés et, déplorant la lutte atroce qui se prépare, Les musiciens avaient, d’un peu loin, suivi l’engouement général. L’opéra de Lesueur, les Bardes, ne date que Malvina assiste au débarquement des guerriers de Fingal qui campent dans la nuit. de 1803. Mais il avait eu grand succès et lui avait valu, avec les éloges, la faveur du souverain. Il n’est guère surprenant que Méhul, rival acharné de Lesueur, ait voulu rivaliser avec lui sur ce nouveau terrain. Dans la forêt silencieuse, Uthal a suivi sa femme dont la disparition l’émeut. Il la retrouve, sans qu’elle le reconnaisse d’abord, et le prince usurpateur tombe au milieu de ses ennemis. Il est captif. Mais, par une générosité qui surprend, Larmor et ses Malgré la brillante fortune de plusieurs opéras comiques, Méhul n’avait jamais pu s’implanter solidement à partisans lui rendent la liberté pour s’en remettre au sort des armes. La bataille a lieu. Uthal, vaincu, fait prisonnier, serait www.lestalenslyriques.com www.lestalenslyriques.com banni si le dévouement de Malvina, prête à suivre dans l’exil son époux infortuné, n’inclinait à la clémence le cœur du vieux roi. Et Larmor fait grâce. Geoffroy lui-même, dans le Journal de l’Empire (les Débats), loue dans la partition des « airs d’une belle facture et des mor- ceaux d’ensemble d’un grand effet ». La musique, dit-il, porte dans l’âme une impression de tristesse. Ceci n’a plus l’air Voilà la pièce. Avec ses qualités et ses trop visibles défauts, elle conviait immédiatement le musicien à joindre à l’expression d’une louange. Mais Geoffroy, classique endurci, supportait impatiemment « la sombre emphase et la couleur mélancolique pathétique des sentiments et des passions la recherche d’un pittoresque et d’une couleur, romantiques déjà, dont l’art d’Ossian ». Il abonde en pesantes saillies sur les brouillards de son paradis, qui ne sont bons « qu’à donner des fluxions et jusque-là s’était, en somme, soucié assez peu. Cette recherche, bien que pour suivie par de tout autres moyens que ceux des cathares (sic) », comme sur les harpes d’or des bardes calédoniens « qui ne sont que cuivre ». Il voit dans la mélancolie qu’un musicien moderne emploierait, donne à la partition d’Uthal un intérêt singulier. Plus et mieux que tant d’autres du ossianique une simple maladie « des hordes septentrionales que la solitude, l’âpreté du climat et l’habitude de voir des objets même temps, Uthal est un opéra romantique. Et ceci, historiquement, doit être remarqué. affreux condamne à une continuelle tristesse. Tous les sauvages sont des animaux tristes... » Il se peut que ce caractère n’ait pas été parfaitement apprécié par le public français du temps. Ce qui est certain, c’est que Musicalement, elle compte peu, l’opinion de ce critique qui, auparavant, à propos d’une reprise de Richard Cœur de lion, ces œuvres ont exercé, en Allemagne, une influence immédiate beaucoup plus sensible que chez nous. Weber en est for- venait de déclarer que les grandes passions, les situations déchirantes, ne conviennent pas à la musique, laquelle ne peut que tement imprégné. Et il y a entre Uthal et le Freyschütz plus d’un rapport très facilement perceptible. En France, l’invasion les affaiblir. Aussi bien, son grand grief contre Uthal (et cela ne regarde pas spécialement le compositeur), c’est de le voir à rossinienne, quelques années plus tard, fit oublier les efforts de nos musiciens avant qu’ils aient pu être bien compris par l’Opéra-Comique, théâtre où, assure-t-il, il faut éviter le pathétique comme peste. Et comme cet esprit étroit était assez per- leurs contemporains. fide, il termine son compte rendu par cette insinuation :« Les auteurs ont des amis braves, zélés et nombreux, et l’ouvrage pourra se soutenir quelque temps. Bien des gens trouveront plaisant d’aller entendre la tragédie à l’Opéra-Comique. » Telle Uthal, en effet, ne fut, comme nous dirions, qu’un demi-succès, bien que la critique et l’opinion des artistes aient accueilli était la critique musicale en l’an 1806. très favorablement l’œuvre de Méhul. « Depuis longtemps, écrit le critique du Journal de Paris, les justes appréciateurs du rare talent de M. Méhul regrettaient de le voir s’exercer sur des ouvrages d’un genre qu’ils regardaient comme trop au-des- Il n’est pas, sans doute, très nécessaire de signaler aux lecteurs de la Revue musicale les plus belles pages d’une partition sous de lui. Doué d’un génie fortement dramatique, ce compositeur semble, en effet, particulièrement appelé à peindre les qu’ils connaîtront, par la publication, tout entière.