`` Pour Introduire La Problématique Du Genre En Chanson ''
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“ Pour introduire la problématique du genre en chanson ” Stéphane Chaudier To cite this version: Stéphane Chaudier. “ Pour introduire la problématique du genre en chanson ”. Stéphane Chaudier (dir.). Chabadabada : des hommes et des femmes dans la chanson française contemporaine, PUP, p. 7-121, 2018, coll. ”Chants Sons”. hal-02013355 HAL Id: hal-02013355 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02013355 Submitted on 10 Feb 2019 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Stéphane Chaudier Publication : « Pour introduire la problématique du genre en chanson », Chabadabada : des hommes et des femmes dans la chanson française. Représentations et enjeux, Aix-Marseille, Presses de Provence, collection « Chants Sons », 2018, p. 7-121. Auteur : Stéphane Chaudier, professeur, université de Lille, laboratoire ALITHILA, EA 1061 Mots-clés : chanson française, homme, femme, genres, sexes, sexualités (homosexualité, hétérosexualité), couple, amour Résumé : Être homme ou femme. Voilà qui revêt pour beaucoup un caractère d’évidence ininterrogée… mais cette évidence n’est pas toujours partagée, tant s’en faut. On pourrait dire de l’identité sexuelle ce qu’Augustin disait du temps : toutes et tous, nous avons une expérience quotidienne, familière, qu’elle soit douloureuse ou euphorique, de la différence des sexes ; mais dès qu’on nous demande de dire en quoi elle consiste, quels sens et quelles fonctions nous lui donnons, l’embarras commence. Le genre recouvre l’ensemble des désignations et des usages sociaux d’un corps sexué. À l’expérience de désajustement, de « trouble », entre corps, identité de genre, rôles de genre et orientation sexuelle, la chanson apporte plus d’un témoignage saisissant ; mais elle fait aussi entendre les joies d’une identité de genre heureuse (sans être pourtant forcément hétéronormative) et d’une orientation sexuelle assumée (homo- ou hétérosexuelle). Elle constate et interroge les difficultés, les crises, les pièges ou les apories des relations que chacun-e entretient avec son corps, son genre, sa sexualité, ses relations amoureuses. Après le processus fulgurant mais encore inabouti de l’émancipation des femmes dans la France du second vingtième siècle, après les droits récemment accordés aux personnes homosexuelles, comment la chanson contemporaine représente-t-elle l’homme et la femme, au sein de la société, de la famille, du couple ? Notre travail vise à montrer que la chanson, quand elle n’est pas caricaturalement commerciale, aborde de manière sensible et polyphonique ces questions complexes, en les situant à hauteur d’homme ou de femme, sans surplomb théorique ou intellectualiste. C’est pourquoi les chansons, avec leur étonnante variété, font entendre les discours à la fois idéologiques et poétiques qu’une société est capable d’entendre à un moment donné de son histoire. Si la chanson contemporaine et son analyse littéraire ne peuvent certainement pas être enrôlés de manière univoque sous la bannière de l’émancipation politique, ce n’est pas une raison pour rejeter avec mépris les ressources qu’un art « populittéraire » comme la chanson peut apporter à celles et ceux qui défendent l’égalité entre les sexes et les sexualités. Chabadabada : des hommes et des femmes dans la chanson française contemporaine : représentations et enjeux Le vendredi 20 mars 2015 s’est tenue à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne une journée d’étude intitulée : « La chanson française à l’épreuve des sexes et des genres : marquages stylistiques d’un enjeu sociétal. » L’ouvrage qu’on va lire est en grande partie issu des travaux de cette journée. Pourtant, le titre que nous avons retenu s’est considérablement transformé. Commençons par le changement le plus simple : le mot chabadabada manifeste notre volonté de rendre hommage à la culture populaire, puisque cette succession nullement énigmatique de syllabes est, comme chacun sait, issue de la chanson Un homme et une femme tirée du film du même nom, de Claude Lelouch1. D’un titre à l’autre, le mot enjeu subsiste ; mais le mot représentations a évincé le couple complémentaire sexes / genres ; les mots femmes et hommes, qui permettent de dire en termes immédiatement accessibles ce dont il s’agit, ont 1 Pierre Barouh, Nicole Croisille, Un homme et une femme, texte de Pierre Barouh et musique de Francis Lai, 1966. fait leur réapparition2. Voilà qui exige quelques lignes d’explication : tel sera l’objet du premier point de cette introduction, qui a pour titre : « Comment rendre compte des relations entre hommes et des femmes ? À la recherche d’un discours cohérent ». Le second point sera quant à lui consacré à l’élaboration d’une typologie des chansons, en se fondant sur l’examen des contenus représentés, sur la manière dont les chansons mettent en scène les hommes et les femmes et leurs relations. Pour ce faire, deux approches étaient possibles : soit on étudiait ce que les mots de la chanson veulent dire, soit on analysait la façon dont le chanteur ou la chanteuse se projettent dans l’espace public, qu’il soit scénique ou médiatique. Il s’avère que la première voie, c’est-à-dire l’expression, verbale, poétique, est, pour notre sujet, infiniment plus riche que la seconde. C’est pourquoi elle a été privilégiée. Disons-le donc tout de suite, et cela de manière apéritive : ce qui nous a frappé dans l’étude des textes chansonniers concernant la question des hommes et des femmes, c’est l’extrême variété et l’extrême complexité des représentations, si bien que l’expression stéréotypes de genre ne saurait convenir pour décrire les richesses de notre corpus. Comment présenter de manière organisée ce faisceau de représentations ? Notre désir de cohérence rencontre-t-il la réalité du corpus ? Nous pensons que oui ; mais les lecteurs et les lectrices3 en seront juges. Être homme ou femme. Voilà qui revêt pour beaucoup un caractère d’évidence ininterrogée… mais cette évidence n’est pas toujours partagée, tant s’en faut. Le grand intérêt heuristique du malaise psychologique et social à l’égard de ces catégories un peu hâtivement considérées comme universelles est de susciter un étonnement ou une perplexité, sans doute universels, qui, sitôt qu’on s’autorise à les prendre au sérieux, conduisent à enchaîner les questions problématiques. On pourrait dire de l’identité sexuelle ce qu’Augustin disait du temps4 : toutes et tous, nous avons une expérience quotidienne, familière, qu’elle soit douloureuse ou euphorique, de la différence des sexes ; mais dès qu’on nous demande de dire en quoi elle consiste, quels sens nous lui donnons, quels usages nous en faisons, l’embarras commence. La grammaire sociale nous a certes appris l’existence de deux sexes ; pour chacun des deux sexes, elle tente de fixer une syntaxe comportementale qu’il revient ensuite à chacun et chacune de mettre à l’épreuve des interactions concrètes : nous ne cessons plus alors de découvrir ce qui se fait ou ne se fait pas, ce qui nous convient ou ne nous convient pas, ce qui plaît ou déplaît à nos partenaires. Cet apprentissage peut être vécu comme une source de traumatismes ou d’enrichissements. C’est cette diversité expérientielle que traduit la chanson. De manière très empirique, elle remet peu en cause la différence des sexes5 ; mais elle s’interroge continûment sur la façon dont les sujets humains la vivent. Elle prend acte du fait que nous savons presque toujours distinguer très immédiatement un homme d’une femme ; mais reconnaître la différence des sexes, la goûter ou s’en agacer, n’est pas la comprendre. Si nous savons le plus souvent que nous sommes homme ou femme (expérience plus courante que celle qui consiste à ne se sentir ni homme ni femme ou bien à s’éprouver et homme et femme), nous sommes bien embarrassé-es pour décrire ce que sont ou pour définir ce que devraient être 2 Nous aurions certes pu recourir à des adjectifs substantivés : le masculin et le féminin. Parce qu’il ne s’emploie qu’au singulier, ce tour élégant a une connotation plus savante : il offre au lecteur la promesse (ou peut-être le leurre) d’appréhender une notion, un concept et donc une essence qui subsume la diversité des phénomènes, des situations. Cet effort d’abstraction répugne à la chanson, qui prétend toujours se tenir au plus près du vécu. 3 Nous avons disposé dans nos phrases les deux formes linguistiques, féminines et masculines, que revêt le substantif. Désormais, par souci de simplicité, nous nous conformons à l’usage qui emploie la forme de masculin pour désigner les deux sexes ; mais aucune personne sensée ne peut déduire de cette pure convention le droit de nier la légitimité des femmes de participer à la vie intellectuelle. 4 Augustin, Confessions, livre XI, chapitre 14, et le fameux Quid est enim tempus ? 5 Elle joue même à reproduire les stéréotypes les plus éculés même s'il s'agit alors de les mettre à distance comme dans l'incontournable succès de Stromae, Tous les mêmes (album Racine carrée, 2013), qui produit dans son titre même le discours rageur et caricatural des femmes réduisant les hommes à une formule lapidaire qui les englobe collectivement. les relations entre les sexes6. Le couple conceptuel différence / égalité, qui semble résumer la question de l’identité, est en réalité d’une extraordinaire complexité : la différence relève de l’empirie, du donné biologique et social ; l’égalité est quant à elle une valeur, un idéal qui ne cesse de bousculer celles et ceux qui veulent s’y référer comme à un repère structurant de la vie individuelle et collective.