RACHGOUN 2 : CADRE GEOMORPHOLOGIQUE ET LITHOSTRATIGRAPHIQUE Mourad Betrouni

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Mourad Betrouni. RACHGOUN 2 : CADRE GEOMORPHOLOGIQUE ET LITHOSTRATI- GRAPHIQUE. 2021. ￿hal-03112538￿

HAL Id: hal-03112538 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03112538 Preprint submitted on 16 Jan 2021

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Le gisement préhistorique éponyme de Rachgoun, Ce regard, d’avantage « geosystémique », est dicté étudié et publié par Camps en 1966, est situé dans par la conjonction et la coïncidence d’un certain la localité littorale de Rachgoun, dans la Wilaya de nombre de caractéristiques, que nous pouvons Ain Temouchent, en Algérie nord occidentale considérer comme spécifiques à la zone littorale de (Fig.1). Rachgoun. Il s’agira d’en expliciter les articulations et de rendre intelligible les lieux significatifs. Une démarche qui fait de l’homme préhistorique, à un premier niveau d’observation, un simple agent du réseau trophique, dans un contexte littoral. Il a utilisé et exploité, d’une manière soutenue, des ressources marines spécifiques, qui dénotent d’un besoin, d’un choix et d’une sélection, participant de l’équilibre ou du déséquilibre de la biocénose et des biotopes d’un milieu d’estuaire.Dans cette contribution, qui se situe dans le prolongement d’une précédente, intitulée « Le site préhistorique de Rachgoun : Approche paléoenvironnementale » (Betrouni, en phase de publication), nous avons Fig. 1 – Carte de localisation du site préhistorique de Rachgoun (le gisement est représenté par un triangle En blanc, lanière du plateau porté l’intérêt sur les volets géomorphologique et calcaire (L4), en vert, le coteau sur lequel est établi le gisement ; en lithostratigraphique, pour y puiser des éléments bleu clair, le tracé des oueds, en bleu foncé, le fleuve Tafna, en jaune foncé la route nationale n°22, en jaune clair, les routes secondaires. qui autorisent quelques ancrages chronostratigraphiques et paléoclimatiques Dans le contexte scientifique des années soixante, ce gisement constituait un sujet singulier dans L’absence de système de glacis et de terrasses l’étude des cultures épipaléolithiques du Maghreb. marines et/ou continentales et autres marqueurs Il fut un véritable « casse-tête », pour avoir livré visibles et l’indigence des restes archéologiques et

1 paléobiologiques, nous ont enjoints de prioriser cette démarche. Le système des grès dunaires à intercalation de limons rouges (formation qD) constitue, à cet égard, un document clé qui, par son corpus d’informations (morphologie, structure, faciès, couleur), permet d’ouvrir sur des perspectives de chronologie et donc de possibilités de corrélations et de comparaisons à des échelles requises.

(1) En 1937, G. Gobert fut le premier à avoir décrit l’escargotière comme un amoncellement de refus de cuisine, dans lequel les Photo 1 - Vue du gisement archéologique de Rachgoun, depuis, le matériaux minéraux ont été conservés après la destruction des sud-est, en allant vers l’agglomération de Rachgoun. éléments organiques. Mais le mot escargotière, apparu en 1905, est dû à Latapie, un gendarme de la commune de Tébessa, dans l’Est algérien, Le gisement de Rachgoun consistait en une qui s’est investi très tôt dans la recherche préhistorique. Il voyait dans l’association des cendres et des escargots, un lieu où l’on pratiquait « tranchée » de « 115 m » de longueur, dégagée en l’élevage des escargots, d’où « escargotière » (voir dictionnaire). C’est 1953 par des travaux de construction d’une route depuis cette image primale de l’escargotière, que le mot a pris le sens secondaire (Ibid., p. 165). Les données que l’on connait aujourd’hui. Le mot « rammadiya », de « r’mad », en arabe, (cendres), qui lui a été parfois substitué, n’y changera rien à cartographiques ainsi que les quelques informations l’idée consacrée. livrées par Camps, laissent penser qu’avant la réalisation de la route, la « tranchée » se (2) Du danois kjökken, cuisine et modding, amas de détritus, ce mot désignait un amas de débris culinaires et ménagers, formé confondait avec le rebord d’un talus naturel, qui essentiellement de coquillages et caractérisant des populations donnait sur un petit ravineau orienté S.E. - N.W. mésolithiques et néolithiques. Pour J.-G. Rozoy (1978), S.H.Andersen. (1993), I. Armit et B. Finlayson (1992) et N. Cauwe (2001), le kjökkenmodding serait un lieu où les populations rejettent En 1984, des travaux d’aménagement pour la leurs déchets, où, parfois, elles vivent et où enterrent leurs morts. réalisation d’une double voie, ont détruit tout ce qui restait du gisement éponyme, par recul de la D’un point de vue méthodologique, nous avons, « tranchée ». Il serait intéressant, aujourd’hui, de d’abord, rappelé les travaux de G. Camps, de 1966, comparer les photos des figures n°1 et 2, prises en sur le gisement éponyme de Rachgoun ainsi que le 1964 par G. camps (Ibid., p.162-163.), qui donnent contexte historique dans lequel ils ont été réalisés. une vue générale du gisement, avec des photos Nous avons, ensuite, ouvert la perspective sur les actuelles, pour apprécier le volume des terres volets géomorphologique et lithostratigraphique, enlevées et réaliser l’ampleur du dommage causé au pour une lecture et un examen intégrés du gisement archéologique. Cet exercice de gisement de Rachgoun 2, tel que nous l’avons comparaison permet, en outre, d’établir les circonscrit, dans l’histoire géographique de la Basse raccords entre le gisement éponyme et celui que vallée de la Tafna. nous avons appelé Rachgoun 2, la tranchée actuelle, qui est largement en recul par rapport au LE GISEMENT EPONYME DE talus. C’est une entaille plus ou moins courbe, de RACHGOUN 200 m de longueur, orientée S.E-N.W., parallèle au tracé de la route, dont elle détermine la Le gisement éponyme de Rachgoun est situé à 800 courbure. m de la localité balnéaire de Rachgoun, une petite agglomération, distante de 7 km de Béni Saf, chef- Le contexte de la découverte du gisement ainsi que lieu de commune (Photo 1). Sur la carte les missions d’investigation et de recherche, topographique au 1/50.000ème de l’Algérie, feuille effectuées, entre 1953 et 1966, ont été consignés n° 208 de Beni Saf, il est positionné aux par G. Camps dans un article de 20 pages (160 à coordonnées Lambert 122,000 X - 230,150. 181), appuyé de photos, de dessins et de quelques (Camps, 1966, p. 161). données statistiques, publié dans la revue Libyca de 1966, sous l’ intitulé « Le gisement de Rachgoun (Oranie) » ( Ibid., pp.160-181). Il rappellera les conditions de la découverte ou plutôt de la mise en affleurement du gisement par les travaux routiers. Il évoquera les parties prenantes et les personnes qui y ont porté attention et intérêt, tout particulièrement G. Vuillemot, alors directeur de la circonscription archéologique d’Oran, qui avait réalisé l’ampleur des dommages causés aux

2 ossements humains, aux industries préhistoriques Le sujet « H4 » est un « cranium à peu près complet et aux structures d’occupations humaines par les d’un sujet inhumé à la base du gisement, dont l’examen, travaux de la route. confié à Marie Claude Chamla, donna un type anthropologique Protoméditerranéen ; le reste des Dans son rapport sur l’état du gisement, autres sujets présentait des caractères du type accompagné du matériel recueilli, qu’il transmit au Mechta el-Arbi parfois même très prononcés Professeur L. Balout, directeur du Musée du Bardo (Camps, 1966, p. 175). Une cohabitation d’Alger, il est question d’un «kjoekkenmodding » «paradoxale» de « deux humanités distinctes». Un riche en ossements humains et coquilles de véritable « casse-tête » pour les préhistoriens des mollusques marins et quelques rares outils. années soixante, rompus à l’équation : Homme de Vuillemot avait recueilli des fragments crâniens, Mechta = Iberomaurusien et Protoméditerranéen quelques outils et des échantillons de mollusques = Capsien. marins (Ibid., p. 161 ). Comment expliquer cette « anomalie » ? Camps En mars 1954, une année après la découverte, c’est réaffirmera l’attribution du gisement à Camps lui-même, accompagné de sa femme, l’Iberomaurusien. Appuyé par les examens Henriette- Camps-Fabrer, qui se déplacèrent sur les anthropologiques de M.C. Chamla, il concluait lieux pour estimer l’importance du gisement. Ils y que les hommes de Rachgoun, appartenaient à un récoltèrent, dans les déblais, de nombreux groupe Ibéromaurusien dont le type de Mechta- ossements humains dont certains en très bon état Afalou constitue l’élément fondamental. Quant au de conservation. Ils remarquèrent, également, sujet H4, il reconnaissait son caractère d’autres ossements humains en place, le long de la Protoméditerranéen, en considérant, toutefois, tranchée ouverte. « Nous avons pu alors recueillir dans que sa présence était exceptionnelle, pouvant les déblais de la route, en contrebas du gisement, des indiquer qu’il est « le témoin des relations entretenues ossements humains nombreux, certains encore en assez bon avec ces populations différentes. Il concluait, enfin, en état, et surtout reconnaître la présence d’autres ossements déclarant que les hommes Ibéromaurusien de bien visibles sur la coupe » (Ibid., p.161) Rachgoun « se sont établis sur les sables d’anciennes dunes, à faible distance du rivage qu’ils parcouraient Entre 1954 et 1962, en pleine guerre d’Algérie, quotidiennement en quête de mollusques et autres fruits de l’effort de recherche sera pratiquement interrompu. mer » et qu’ils « retrouvaient là un site qu’affectionnaient Ce n’est qu’à partir de 1964, deux années après les hommes de leur race : ils s’y établirent pour un très long l’indépendance de l’Algérie, que la recherche temps. Ils y enterrèrent leurs morts…» (Ibid., 1966, p. préhistorique se redéploie à nouveau au 181). C.R.A.P.E., cette fois-ci, sous la direction de G. Camps. Le gisement de Rachgoun revient, alors, La cohabitation des deux types anthropologiques et au-devant de la scène scientifique et c’est Camps leur association à quelques autres indices d’ordre lui-même qui se déplace de nouveau à Rachgoun, culturel (outillage lamellaire, pratique de l’avulsion une première fois, en janvier 1964 en compagnie de des incisives supérieures, utilisation de l’ocre dans M. Richaud (Camps, 1964) puis, une deuxième fois, des rites d’inhumation) (Ibid., 1966.), avait en janvier 1966 avec R. Gougeinheim, pour fortement orienté le sens des investigations, pour revisiter le gisement. La même année, d’autres parvenir à la solution « iberomaurusienne », qui chercheurs, missionnaires du C.R.A.P.E, visiteront rassurait plus qu’elle ne démontrait. le gisement de Rachgoun, M. et A. Gast, Cl. Maître et L. Ramendo. Il faut signaler également, qu’en Côté anthropologique, il serait utile de rappeler le 1963, M. Couvert, du C.R.A.P.E., avait découvert point de vue de M.C. Chamla, sur le sujet H4, une boite crânienne qu’il remit à G. Camps (Ibid., p. qu’elle avait bien étudié : « En résumé, la femme de 161). Rachgoun était un sujet de stature élevée, mésocéphale, de type méditerranéen assez fin. L’ensemble des caractères En 1954, lors de son premier déplacement sur les qu’elle présente, l’éloigne très nettement de la morphologie lieux, Camps n’avait aucune hésitation à attribuer très particulière des hommes de Mechta et d’Afalou ce gisement à l’Iberomaurusien, de par sa position caractérisée notamment par une extrême robustesse et une littorale, son contexte lithique et anthropologique. dysharmonie crâno-faciale frappante. Cette première Ce n’est qu’une dizaine d’années plus tard, en 1964, description, apparemment bien tranchée, fut suite à la découverte d’un squelette féminin type quelque peu nuancée un peu plus loin, dans une Protoméditerranéen (H4), dans les niveaux forme d’hésitation à peine suggérée : « Toutefois, il profonds du gisement, que la question de n’est pas sans intérêt de souligner que l’on relève quelques l’appartenance culturelle allait être reposée. caractéristiques communes aux deux types, en particulier :

3 une capacité crânienne très élevée, un indice céphalique kjokkenmodding/escargotière, dont les mésocéphale, un orthognathisme facial, une région constituants semblent agencés en dehors de toute symphysienne haute à menton bien accusé, une dentition règle particulière. En 1955, L. Balout, à propos des caractérisée par l’avulsion des deux incisives médianes rammadyas capsiennes, avouait que «… la supérieures » (Ibid., 1966, p.186). Des nuances qui, rammadya n’est pais faite de couches régulièrement sous un regard plus détaché, paraissent, superposées, mais de tas de déchets emboités au hasard, les aujourd’hui, essentielles voire même uns sur les autres, remaniés tout au long de l’occupation fondamentales. humaine, tassées, étalées, creusées, pour y ensevelir les morts » et que « « … sans doute fouille-t-on les ramaddyat Côté archéologique, il y a lieu de retenir que le en stratigraphie artificielle, par décapage de 10 cm en 10 cm corpus du matériel récolté, entre 1954 et 1965, ou de 20 en 20 cm ». (pp 27-28). provenait de ramassages effectués dans les déblais et de récoltes réalisées à l’affleurement, c'est-à-dire Une quarantaine d’années plus tard, en 1997, c’est en coupe et non à la surface de la « couche Camps lui-même qui confesse que : « Les sites n’étant archéologique » (Ibid.,1966). Le contexte, assez examinés que par le biais de tranchées ». En 2015, une contraignant de la collecte dans les déblais et du déclaration, fort instructive, est émise par Ginette prélèvement sur tranchée, imposait, de lui-même, Aumassip, dans un point de vue sur une fouille l’usage d’une terminologie stratigraphique qui, récente du Capsien d’Hergla, en Tunisie : inévitablement, ne pouvait couvrir la dimension C’est « une fouille en coordonnées –une première pour une spatiale (horizontalité et continuité des niveaux escargotière- ». Il est regrettable que Camps n’ait pas sédimentaires et archéologiques), entrainant une produit une coupe ou un plan de situation du confusion dans la lecture des données et leur gisement, pour une plus grande lisibilité et une traduction en documents mesurables (présence, mise en cohérence des observations. Il s’est limité absence, multiplication). à quelques clichés photographiques, alors que sa description textuelle des agencements Camps avait utilisé le terme « gisement », tantôt pour sédimentaires et archéologiques est d’une clarté et caractériser l’affleurement archéologique dans son d’une pertinence remarquables. ensemble, « Le gisement de Rachgoun occupe le versant ouest d’un très large coteau » (Ibid., 1966. p.162), tantôt Nous avons, en effet, retrouvé toutes les « unités pour désigner l’accumulation coquillière, « Le stratigraphiques » qu’il avait relevées, la « terre gisement de Rachgoun présente toutes les caractéristiques beige », notre formation (A), la « croute pédologique plus d’un kjokkenmodding, voire d’une escargotière dont les ou moins continue », notre croûte (Cr), la « couche/dépôt éléments constitutifs d’origine animale seraient des tests de archéologique », notre formation (K), les « couches mollusques marins et fort peu d’hélix et autres escargots sableuses rouge-orangé du sous-sol » notre couche (R3). terrestres »( Ibid., 1966, p.165). Il reprend ce terme, Seule la couche (G3), une formation gréseuse plus loin (en page 167) pour préciser qu’il « est dunaire, sous la couche (R3), n’a pas été observée entièrement recouvert par une couche de terre beige…». En par l’auteur, il l’avait probablement confondue. réalité la « couche beige » fait partie du gisement, elle ne le recouvre pas.. Elle surmonte la « couche Ce foisonnement terminologique, qui devait archéologique », parfois même par l’intermédiaire garantir la clarté de l’observation et de l’analyse, n’a d’une « croûte zonaire ». Il utilisera une seule fois pu servir le sujet, par déficit de cohérence dans la l’expression « couche archéologique », signifiant qu’elle hiérarchie des échelles spatio-temporelles. Nous « n’est …pas un simple amas de coquilles » [et que] « des pouvons comprendre la difficulté d’accès à un pierres de foyers sont très nombreux alors que les sables et les système dont les constituants semblent agencés cendres sont en proportion variable à la fois dans l’épaisseur « en dehors de toute règle particulière », dans une du gisement et suivant les endroits, le long de la coupe » configuration géométrique qui associe un dispositif (Ibid., 1966, p.165). L’expression «dépôt archéologique» à stratification classique et un agencement a été également utilisée. « Le passage insensible des désordonné, mais cela n’autorisait pas l’usage des couches sableuses rouge-orangé du sous-sol à la terre beige du mêmes outils qui, depuis plus d’un siècle, ont sommet, aux extrémités du gisement, contraste avec la gouverné l’étude des escargotières. A Rachgoun, en constitution d’une véritable croute pédologique plus ou moins plus du contexte kjokkenmodding, nous sommes continue, dans la partie supérieure du dépôt archéologique » dans une géodynamique littorale, qui a (Ibid., 1966, p.165). nécessairement déteint, directement ou indirectement, sur la conformation du gisement de Nous comprenons la difficulté de lecture et de Rachgoun, en lui imprimant ses caractéristiques représentation stratigraphique de systèmes propres. archéologiques du type

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S’agissant de l’examen typologique des industries marées pour ramasser des coquillages, de la boue et récoltées, entre 1954 et 1965 – qui souffrent d’un du sable. L’idée arrêtée, chez l’auteur, était que ces support stratigraphique - ce sont les conclusions populations – non acquises aux innovations auxquelles est parvenu l’auteur qui retiennent néolithiques - étaient inféodées à des ressources davantage l’attention. Tout en reconnaissant maritimes, disponibles dans les limites de l’estran : l’insuffisance des outils recueillis, pour établir une l’espace littoral compris entre la haute et la marée statistique », Camps considérait, cependant, que basse, qui correspond, en gros, à la hauteur des « La présence de lamelles à bord abattu suffit à situer cette jambes d’un homme debout. N’ayant pas des industrie dans l’Epipaléolithique ou le Néolithique » et aptitudes pour pécher le poisson, ces populations que « de ces deux possibilités, nous devons exclure la n’auraient eu accès qu’aux mollusques qui vivaient seconde car aucun élément, dans l’outillage ne présente le dans l’estran: les moules, les patelles, quelques moindre caractère néolithique, même la petite pointe (Fig.12, gastéropodes prédateurs, les balanes… Camps avait n°10) ne saurait être confondue avec ne pointe de flèche, les tenu à souligner qu’en dehors de ces retouches envahissantes, le polissage, les rectangles sont mollusques « Aucun reste de poisson n’a été recueilli, inconnus, de même que la céramique. Aucun reste d’animal tandis que des spicules d’oursin ne font pas défaut ». (Ibid., domestique n’a été trouvé ». Il concluait enfin, que « Le 1966, p.165). Gisement de Rachgoun semble donc prénéolithique » et qu’ « il n’est pas aventureux de préciser même qu’il présente, Sur ce chapitre précis, nous saisissons bien le dans son industrie, les caractères habituels de passage forcé que Camps a voulu réaliser, depuis le l’Iberomaurusien » (Camp, 1966, p. 174). paradigme de l’escargotière vers celui du kjokkenmodding, sachant bien que l’idée des Des conclusions qui ressortent d’une approche « strand-lopers » participe d’une historicité typologique classique, mettant en équation un gros mésolithique européenne qui met en vis-à-vis le outillage sur roche grenue ( 4 molettes, 3 rabots « génie créateur » des derniers chasseurs nucléiformes, 4 galets aménagés, 1 meule débitée, 14 gros paléolithiques et les « misérables » mésolithiques nucleus, 135 éclats non retouchés, 16 éclats à retouches (Dechelle, 1908, Capitan, 1931, Pequart, 1937, continues, 5 denticulés, 5 encoches, 1 racloir double, 1 Clark, 1955, Childe, 1963), Evans, 1969). Une grattoir) et un petit outillage, essentiellement, histoire qui ne concernait pas un Maghreb vivant microlithique sur silex et autres roches siliceuses (2 d’autres moments épipaléolithiques. grattoirs, 2 lamelles aigues à bord abattu rectiligne, 2 lamelles à bord abattu courbe, 3 lamelles à bord abattu ESSAI DE COMPARAISON : « LE courbe et base tronquée, 1 lamelle obtuse, 1 lamelle à tête NEOLITHIQUES » DES ANDALOUSES arquée, 1 perçoir sur lamelle à bord abattu, 1 petite lame à bord abattu partiel, un petit éclat à bord abattu partiel, 11 Nous avons considéré utile de rappeler des travaux, pièces à coches et denticulés, 1 pointe, 16 lamelles et éclats à en relation avec notre sujet, réalisés par ces retouches continus, 34 nucleus, 100 éclats et lamelles non quelques chercheurs des années trente, qui ont jeté retouchés) ( Ibid., pp.170-174). les premiers jalons d’une préhistoire régionale oranaise, à un moment où la science préhistorique Pour montrer ou plutôt démontrer le caractère n’avait pas encore établi définitivement ses cadrans «frustre » de l’Iberomaurusien de Rachgoun et théoriques et méthodologiques. Trois d’entre eux l’exclure de tout processus d’innovation, s’y distinguent, pour avoir marqué de leur annonciateur du néolithique, Camps avait usé empreinte la préhistoire oranaise, visiblement d’une approche méthodologique par élimination et « mineure » au regard d’un intérêt accordé aux détermination négative : « pas de retouches seules réalisations algéroises et constantinoises. envahissantes dans l’industrie lithique », « pas de Nous voulons parler, ici, de Pallary, de Doumergue trace de polissage », « pas de trace de microlithes et de Vuillemot qui, dès leur première approche du géométriques (rectangles) », « pas de trace de terrain, armés surtout de bon sens, avaient posé la céramique », « pas de trace de parure », « pas de problématique de la navigation et des relations signe de domestication », « pas de restes de entre les deux rives africaine et européenne, dans poissons suggérant la pratique de la pèche ». cette extrémité occidentale de la mer Méditerranée : la « mer d’Alboran », territoire maritime mettant en Pour conforter cette approche, qui exclut toute vis-à-vis, la côte espagnole au Nord, l’Algérie et le attache avec une influence néolithique, Camps va Maroc au Sud et le détroit de à l’Ouest. user de la métaphore des « coureurs de grèves ou de rivages», présentant ces populations littorales, sous C’est autour des grandes îles du littoral de Béni Saf la caricature des « strand-lopers » (Ibid., 1966, p.181), (Ile plane, Archipel des Habibas et Rachgoun) tels ces oiseaux (bécasseaux) qui suivent la ligne des auxquelles il faut ajouter les îles de Zaffarines (trois

5 petites villes, situées 3,5 km du village marocain peu près nul et insignifiant… ». (Vuillemot, 1939, Ras el Ma et à 48 km à l’est de ), visitées par p.164). Pallary, qu’ils étayèrent leurs hypothèses sur les possibilités de navigation transméditerranéenne, Dans la station dite « Le Sevinal », l’auteur fait état partant de découvertes d’importance qui, hélas, d’« Un beau foyer, plutôt même plusieurs foyers ruinés furent, réduites à leur seule portée locale (inventaire contigus [qui] y occupent une surface de plusieurs ares…La muséal), par le fait même d’un hégémonisme faune de vertébrés, disparue, quelques coquilles : purpurea, scientifique qui avait fixé les ancrages conceptuels cerithes, trochus, etc… comme débris de cuisine… Souvenirs et chronologiques de la préhistoire maghrébine. de coquetterie, provenant d’un seul point de la station une Aujourd’hui, avec l’ouverture du nouveau chantier foule de « columbella rustica » percée, plusieurs pétoncles de Rachgoun et par ce qui le caractérise le plus, sa roulés ; plusieurs fragments de valves du même mollusque relation à la mer, nous avons considéré utile de intacts, d’autres percées pour la suspension : l’un, fort beau, revisiter ces travaux pionniers, consacrés aux sites triangulaire – sur un autre la perforation n’est littoraux établis entre l’embouchure de la Basse qu’amorcée » (Ibid., pp.164-165). Tafna, à l’Ouest et l’extrémité occidentale de la plaine des Andalouses, à l’Est Dans la station dite du « Foyer des grandes dunes », l’auteur révèle qu’ « Au flanc des grandes dunes… La plaine des Andalouses (Fig.3) présente, d’un s’accrochent plusieurs beaux foyers en place… Les coquilles point de vue de l’archeogeographie, de grandes de moules et autres mollusques marins abondent dans tous, similitudes avec les coteaux de Rachgoun, cimentées par une couche de cendres ; les dimensions et le participant d’un même récit préhistorique : une nombre des valves de patelles sont frappants dans le plus plaine basse sableuse, ouverte sur la mer, insérée élevé. Comme toujours, la croûte archéologique est mince et entre des massifs montagneux, le Murdjadjo et ses l’outillage ne correspondant pas, en nombre, au volume des prolongements en mer, le Santon et le massif de débris gastronomiques… » (Ibid., 1939, p.167). Lindlès. Sur l’étendue sableuse, qui traverse les trois communes d’Aïn-El-Turck, Bou-Sfer et El- La station dite du « Cimetière d’escargots », déjà Ançor, le long du rivage, une profusion de stations étudiée par Doumergue (1921, 1937), est davantage « néolithiques » a été signalée. Il s’agit de foyers instructive par le débat qu’elle a suscité. Ici, contigus étalés sur des sables dunaires. Outre Vuillemot, épousant le point de vue de l’intérêt archéologique, ce sont surtout les Doumergue, déclarait avec insistance « qu’il ne s’agit caractéristiques géomorphologiques des gisements pas ici de ce que l’on désigne généralement sous ce nom archéologiques, qui ont suscité notre intérêt. Nous [escargotière] ; on voit un ensemble de foyers plus ou rappelons, ici, certaines d’entre elles. moins ruinés (Doumergue en comptait une trentaine), encombrés de coquilles marines - deux seulement ont des helix - parfaitement séparés les uns des autres et peu épais. Nous sommes bien loin des amas de plusieurs mètres du département de Constantine, même pour les mieux conservés. L’agglomération parait avoir été un véritable village dont il ne semble pas possible de reconstituer la forme des habitations, si habitations il y eu » (Ibid., 1939, p.169).

Vuillemot avait observé pertinemment que « Dans chaque foyer on peut noter une prédilection pour une espèce : ici les moules, là les patelles, le pouce-pied, parfois l’Hélix ». Il suggèrera l’idée, vue « La faible épaisseur des dépôts, Fig. 2 – Distribution des gisements à kjokkenmodding entre compte tenu des pouvoirs dévorants du sol siliceux » que Rachgoun et la plaine des Andalouses. « la tribu ne séjournait pas indéfiniment au même endroit » et qu’ « On peut croire qu’elle vivait de la mer : Les Dans la station, dite « Le puits du Senôr », Vuillemot restes de poissons et de crustacés n’existent plus, mais les fit la description suivante : « Tout près de là, dans les amas coquilliers témoignent de leur intérêt pour les fruits de premières dunes, apparaissent plusieurs foyers en place mer » (Ibid., 1939, p.172-173). autour du Puits Senôr… Ils se distinguent dans le sol fauve, par la couleur noirâtre d’une croûte cineritique mince (20 Cet auteur avait particulièrement insisté sur les cm. à peine), à coquilles agglomérées de moules en très grande caractéristiques géomorphologiques des stations quantité, et d’autres mollusques ou crustacés : patelles, archéologiques des Andalouses: « croûte purpurea, trochus, helix, pouce-pied ; fragments de phalange cineritique», « coquilles agglomérées », « coquilles cimentées de gazelle…L’outillage récolté au cours de la fouille est à par une couche de cendres » « foyers encombrés de coquilles

6 marines ». Une grammaire archéo-malacologique qui « « Le passage insensible des couches sableuses rouge-orangé gouverne la lecture et l’analyse des gisements du sous-sol à la terre beige du sommet, aux extrémités du archéolgiques. Nous sommes bien ici, sur le terrain gisement, contraste avec la constitution d’une véritable croute spécifique du kjokkenmodding, qui relève d’un pédologique plus ou moins continue, dans la partie autre type de récit que celui de l’escargotière. supérieure du dépôt archéologique » (p.167). Il avait bien remarqué qu’aux deux extrémités du gisement A l’issue de toutes ces observations, Vuillemot il n’y avait plus d’objets coquilliers « dépôt avait émis une hypothèse, qui a fortement inspiré archéologique » et que l’on passait « insensiblement » des notre approche: « quant aux occupants des foyers dépôts sableux « du sous-sol » à la « terre beige du néolithiques des Andalouses, ils étaient vraisemblablement sommet », en soulignant qu’ailleurs, la « couche des marins, pécheurs, ichtyophages, à qui la chasse archéologique » est séparée de la « terre beige», par une n’apportait qu’un complément de nourritures. L’élevage et « véritable croute pédologique plus ou moins continue ». la culture, si l’on tient compte des données actuelles du climat, paraissent aléatoires dans les sables aux alentours de leurs agglomérations. Leur poterie de sédentaires et les groupements des foyers laisse penser qu’ils vivaient longtemps à demeure et en tribu et qu’ils préféraient un sol sableux pour asseoir leur cabane, leur tente ou leur gite dans les sables » (Ibid., 1939, p.17). Il est surprenant que Camps, n’ait pas fait état de ces recherches Fig. 3 - Coupe longitudinale SE-NW du gisement de Rachgoun 2 d’importance, dans ses travaux sur le gisement de Rachgoun. En regardant attentivement le comportement de la « couche archéologique », notre formation (K), par LE KJOKKENMODDING DE RACHGOUN 2 rapport aux couches sableuses et terrigènes (G3, R3 et A), nous remarquons qu’aux deux extrémités Aperçu général du gisement du gisement, les rares coquilles et débris de coquilles, associées à des éléments caillouteux, Une première mission de terrain, d’une vingtaine sont, d’abord dispersés dans les sables friables (R3) de jours (du 07 au 20 aout 2017), avait été avant de disparaître totalement. Aussi, de la très organisée dans le cadre des travaux du CNRPAH. forte concentration des coquilles, débris coquilliers Elle consistait, d’une part, à établir un plan et un et éléments caillouteux, dans la partie médiane du programme de fouille-sondage du gisement de gisement, nous passons latéralement, vers les Rachgoun 2, selon les objectifs tracés et les extrémités, à une dispersion et un étalement des caractéristiques des lieux et, d’autre part, à effectuer éléments avec disparition de la brunification qui des prospections et reconnaissances de terrain, caractérisait la formation (K). dans une perspective paléoenvironnemenale (Betrouni, Pre-print) et géoarchéologique (en Un autre élément d’importance, la « croûte cours). pédologique » de Camps, notre croûte calcaire (Cr), est intrinsèquement liée à la formation (K) ; elle ne A l’affleurement, sur les 200 m d’étendue de la participe pas à l’histoire sédimentaire des couches tranchée, la première impression qui s’y dégage est sableuses et terreuses. Elle est surmontée, partout, l’effet d’éblouissement produit par le reflet des par un horizon continu de cailloux (Ca), qui semble parties brillantes et nacrées des moules « Mytilus former un revêtement ou un manteau de provincialis ». Une brillance assez forte et dense, qui couverture, une sorte d’amoncellement plus ou s’estompe aux extrémités avant de disparaître. moins aplatie, d’origine anthropique. Cette première remarque conforte notre jugement sur la conformation longitudinale du gisement, qui Dans le sens transversal, NE-SW, la tranchée n’est se présente sous la forme d’une méga-lentille de pas découpée verticalement, elle est disposée en couleur sombre, d’aspect bioclastique, sifflet, par le fait d’une désolidarisation des kjokkenmodding (K) - se terminant en biseau sur éléments friables, qui laisse se dessiner un profil à ses deux extrémités. (Fig. 3). Ce dispositif nous alternance de niveaux tendres, concaves qui glissent rappelle quelque peu le cas du gisement vers le bas, et de bancs un peu plus indurés, Ibéromaurusien de Courbet marine, fouillé par C. formant de légères saillies. Une topographie en Brahimi (1968). fines dentelures, modelée par l’érosion différentielle, à laquelle s’ajoutent les phénomènes Nos observations rejoignent parfaitement celles, de bioturbation dus aux animaux fouisseurs et pertinentes, de Camps, qui avait écrit en 1966 : autres micro-organismes (Photo .2).

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compréhension. Nous les utiliseront distinctement.

Les difficultés rencontrées dans l’identification d’outils de lecture stratigraphique des formations type kjokkenmodding nous a commandé d’envisager un protocole terminologique qui mettrait en cohérence et en concordance les contenus et les échelles d’approche des entités considérées. Les termes « formation», « accumulation », « dépôt » et « remplissage » recouvriront un sens dynamique renvoyant, plus à l’agent de mise en place (marin, fluviatile, karstique, Photo 2 - Profil en sifflet du gisement (secteur de fouille) glaciaire, éolien, anthropique…); ils seront utilisés dans leur acception dynamique. Les termes Ce modelé d’érosion superficielle constitue un « couche », « strate », « horizon », « niveau », indicateur stratigraphique de premier ordre, dans ce « lentille » constitueront des unités stratigraphiques sens où il organise la succession des faciès selon qui relèvent de l’observé et du mesuré; ils seront leur comportement et leur résistance à l’érosion. employés dans leur acception classique. Les formes à concavité inclinée caractérisent la formation (K) dans ses parties non maintenues par des structures caillouteuses ou des indurations. Lorsque ces dernières s’alignent sur quelques EXAMEN GEOMORPHOLOGIQUE ET longueurs, elles forment des redents qui participent LITHOSTRATIGRAPHIQUE au maintien de la cohérence du sédiment. Les minces indurations, lorsqu’elles apparaissent en Une coupe schématique (Fig. 4), prise sur un affleurement, dessinent de petits redents assez transect qui recoupe les deux grandes unités fragiles. morpho-sédimentaires (qD et q1 4c), permet de situer la position stratigraphique du gisement de Les préalables méthodologiques Rachgoun 2. Les couches (G3) et (R3), qui terminent la formation (qD), constituent les assises Par souci d’harmonisation et de cohérence sédimentaires du kjokkenmodding (K). terminologiques, dicté par la spécificité de l’objet de recherche, un kjokkenmodding qui associe une stratigraphie de superposition classique à un agencement hétéroclite et composite, nous avons convenu, de préciser le contenu des termes et expressions employés, en situant leur place dans la hiérarchie des échelles spatiale et -temporelle requises :

Le terme « site », suivi de l’adjectif « préhistorique » est entendu ici, au sens d’un lieu Fig. 4 – Le gisement de Rachgoun dans le cadre stratigraphique de la qui a été occupé, temporairement ou en Basse Tafna permanence, par des hommes préhistoriques. Il Le grès dunaire (G3) s’étend à l’intérieur des terres renvoie, nécessairement, à des choix stratégiques jusqu’à un niveau au-delà duquel il n’apparait plus. d’implantation (proximité de points d’eau, de Il vient mourir en contrebas de la corniche calcaire ressources, de matière première, zone de refuge, (L4). Il a cette particularité de se terminer par des lieu de culte…). Le terme gisement suivi de croûtes zonaires blanchâtres (cr), qui confère au l’adjectif « archéologique » est utilisé dans une paysage une allure de glacis plus ou moins signification davantage géologique, celle de la moutonné. Les cultures céréalières évitent de concentration et de la conformation de restes et de s’établir sur ces surfaces encroutées, préférant les traces à caractère anthropique dans une dynamique parties limoneuses (R3). de fossilisation. L’échelle d’observation et d’analyse du site préhistorique n’est pas, forcément, Les croûtes zonaires (cr) semblent clôturer la celle du gisement archéologique et tout amalgame séquence sédimentaire (qD). La couche (R3), qui risque de corrompre la cohérence du processus de leur fait suite, par sa répartition très locale, son

8 caractère friable et sa couleur rouge tendant à Ce phénomène marquerait la fin d’un épisode l’orangé et au brun, semble s’inscrire dans une dunaire. autre histoire sédimentaire. Elle reprend, en son sein, des morceaux et débris de croûte zonaire, preuve de l’absence de continuité et de passage progressif entre (G3) et (R3).

Les unités lithostratigraphiques du gisement Rachgoun 2

Les coupes longitudinale (Fig.3) et transversale (Fig.5), qui couvrent la totalité des unités stratigraphiques, montrent les successions suivantes, du plus ancien au plus récent :

Photo 3 – Croûtes zonaires (cr) et (Cr) et niveau caillouteux (Ca)

L’hypothèse d’une migration synsédimentaire de carbonates de chaux, précipitant en un ciment, par lessivage des niveaux supérieurs est peu probable,

ici. Les couches (G3) et (R3) ne sont pas solidaires Fig. 5 - Coupe transversale N.E. – S.W. Partie médiane et leur contact est brutal. Les croûtes (cr) étaient déjà durcies lorsque la couche (R3) s’est formée. Couche (G3) - La première unité stratigraphique, L’autre hypothèse, par ascensum, en liaison avec d’origine sédimentaire, est constituée par un grès quelque niveau piézométrique d’une nappe consolidé à sables fins, de couleur jaune clair, phréatique, est également peu probable, en homométrique, sans trace de litage. Il est traversé l’absence de traces d’hydromorphie, de par une succession de croûtes calcaires zonées très nodulations, de taches rouille et d’encroutements dures, horizontales et parallèles entre elles, qui caractérisent le processus hydrogéologique de s’infléchissant par endroits. Ces croûtes sont l’imprégnation par ascensum. marquées « cr». Incontestablement dunaire, ce grès contient des tests d’hélicidés fragiles, soit entiers La couche R3 est formée de sables fins de couleur ou en débris. Il ne renferme aucun autre élément rouge orangé, tendres, friables, s’écoulant entre les hétérométrique. Par son caractère compact, il n’est doigts, lorsqu’ils ne sont pas argileux (sables pas percé de trous d’animaux fouisseurs. A arénisés), ou présentant une compacité relative, l’extrémité S.E. de la coupe longitudinale, il lorsqu’ils sont maintenus par quelques liants affleure seul avant de disparaitre sous les minces argileux. Dans ce dernier cas, ils sont dépôts d’un petit oued (aujourd’hui comblé et reconnaissables par une figure d’érosion en petites faisant office d’un sentier. Ce grès à croûtes rigoles verticales, qui rappellent les « bad-lands » et zonaires s’inscrit dans le prolongement de la par une profusion de trous de terriers de couche gréseuse (G3) constitutive de la formation différentes dimensions, qui attestent d’une intense (qD). activité de rongeurs et d’insectes (activité termitière). Les croûtes calcaires zonées (cr) – La couche (G3) est parcourue par de minces feuillets de La couche (R3), de 50 cm d’épaisseur en moyenne, croûte calcaire blanchâtre, disposés contient des tests d’hélicidés fragiles, soit entiers ou horizontalement et s’infléchissant par endroits en débris. A la base, elle repose, d’une manière pour dessiner des sinuosités. Ces caractères franche sur la couche (G3), par l’intermédiaire pourraient suggérer une origine par ruissellement d’une croûte lamellaire blanchâtre (cr). La limite en nappe, d’une d’eau chargée de bicarbonate de entre les deux couches (R3) et (K) est bien chaux, s’écoulant sur une pente douce, les feuillets tranchée sédimentologiquement, mais les éléments de croûte se durcissant par exposition à l’air libre. de la formation (K) (coquilles, débris de coquilles, cailloux …) s’enfoncent, parfois, sur plusieurs

9 centimètres dans les sables (R3), là où ils ont un cailloux, amas de cailloux généralement brulés, aspect fluidale. structures en fosses…).

La couche (R3 se situe dans le prolongement des La Croûte calcaire (Cr). C’est une mince croûte limons rouge bruns (R3) de la formation (qD). de couleur gris à blanchâtre, très dure et de Elle participe d’une nouvelle phase sableuse, structure lamellaire, de moins 5 cm d’épaisseur. correspondant, probablement à une nouvelle Elle épouse toutes les formes topographiques sous- séquence sédimentaire (Photo 5). jacentes et semble envelopper, d’une gangue, les amas coquilliers et les structures en pierre de la formation (K), participant à son scellement. Elle n’a aucune relation de continuité avec la couche (A) et semble intrinsèquement liée à la formation (K) qu’elle couronne partout (Photos 7 et 8).

Photo 5 - Niveau R3, rouge brun, très friable, au-dessus du grès (G3). Il constitue le terme de la formation qD. Il est séparé de la couche (G3) par une croûte zonaire Photos 7 ab – Croûte zonaire Cr blanchâtre (cr). Des éléments de croûte sont repris dans la couche (R3). -L’horizon caillouteux (Ca). C’est un horizon La formation coquillière (K), ou continu, constitué de cailloux et blocs sub-anguleux kjokkenmodding proprement dit, ne s’offre pas à à sub-arrondis, d’origine anthropique. Ils se ne sont la lecture stratigraphique classique des couches liés par aucune gangue. Vers l’intérieur, nous sédimentaires. Non terreuse, totalement cendreuse, superposent à la croûte (Cr) sans être solidaires. Ils pulvérulente et de couleur grisâtre, elle est remplie les retrouvons au sein même de la couche (A). de coquilles, débris de coquilles de mollusques marins (moules, patelles…) et continentaux (hélicidés), disposés en tas ou en lits horizontaux. Dans la partie médiane du gisement, là où son épaisseur peut dépasser les 2 m, cette formation constitue une véritable brèche coquillière d’aspect noirâtre, associée et des éléments caillouteux. Vers les extrémités du gisement, les épaisseurs diminuent et la structure coquillière s’estompe au profit de la phase sableuse (Photos 6).

Fig.8 – Relation stratigraphique entre la Croûte calcaire (Cr) et l’horizon caillouteux (Ca).

La Couche A. L’ultime unité stratigraphique est Photos 6 ab – Formation (K) au contact de la couche (R3) constituée par une couche terreuse, que nous avons La prédominance des coquilles de moules, de désignée par la lettre (A) majuscule, pour l’inscrire l’espèce Mytillus provincialis, donne à cette dans une signification pédo-sédimentaire, de par sa formation un éclat argenté. Cette formation est relation à la terre végétale (Fig. 10). C’est une strate traversée par des structures et des figures homogène, de 20 à 40 cm d’épaisseur, formée par significatives d’une intervention humaine (lits de un sédiment meuble de couleur brun clair [terre beige de G. Camps], sec et de texture granuleuse, à

10 matrice terreuse assez détritique et passées zonaires (cr). Cette couche, de couleur brun orangé pierriques. Les 5 cm supérieurs, d’une couleur un passe, au sommet, d’une manière très insensible, à peu plus foncée, forment litière avec un mince la formation (K), encore peu chargée d’éléments,. tapis végétal graminéen et épineux, très lâche. Cette couche succède à la formation (K) à travers - Dans la partie médiane du gisement, la formation un changement de faciès facilement observable, du (K) connait les plus grandes épaisseurs et la plus brun clair au gris (du terreux au cendreux). grande concentration de coquilles et débris de Toutefois, à hauteur du ressaut, cette couche se coquilles ainsi que des structures en cailloux et termine en coin au contact de la croûte pelliculaire blocs brulés. Elle repose, d’une manière franche, (Cr). Camps avait bien remarqué ce détail, à sur la couche (R3), qui se présente sous un faciès propos de la « croûte zonaire », en soulignant sableux, arénisé et fluidale, tendant à perdre sa « qu’elle est particulièrement bien formée dans la partie nord coloration. du gisement. Sa formation est postérieure à l’abandon et au recouvrement de l’habitat ; elle ne scelle point un niveau et - A l’extrémité N-W du gisement, seule la partie n’a d’intérêt que pédologique »l sommitale de la formation (K) affleure à même le niveau de la route, le reste n’étant plus visible. La croûte (Cr) n’apparaît plus, l’horizon caillouteux (Ca) constitue, seul, la terminaison sommitale du gisement.

Cette compartimentation morpho-sédimentaire peut se lire aisément dans le paysage (Photo 9).

Fig.10 – Contact entre la Formation (K) et la couche (A)

Il considéra que « Sa présence dans la coupe du gisement, alors qu’elle n’existe pas en deçà et au-delà, parait devoir s’expliquer par l’abondance des sels calcaires fournis par les coquilles de mollusques amenés par les hommes Photo 9 – Gradient SE-NW de la compartimentation morpho- préhistoriques ». (1966, p. 167). Cette explication sédimentaire. Le triangle blanc indique l’emplacement de la fouille. conforte l’idée, que nous partageons, sur le rapport de la croûte calcaire à la formation coquillière (K), Sur la photo 9, nous pouvons observer la surface mais est insuffisante pour situer la relation du coteau, en forme de glacis à pente légère, dynamique et stratigraphique de la croûte ‘Cr) avec dominé par un lambeau du plateau calcaire (q1 4c). la couche (A) et le temps qui s’est écoulé entre les La partie non cultivée du coteau, à herbes deux. sauvages, paraissant en vert clair sur la photo, est occupée par le grès dunaire (G3), qui s’étend De la lecture longitudinale des affleurements du jusqu’à hauteur de la corniche calcaire (L4). La gisement de Rachgoun 2, il s’y dégage un partie cultivée du coteau, en vert foncé, est caractère déterminant, celui d’une directement établie sur les sables (R3) et surtout la compartimentation morpho-sédimentaire à formation (K), qui semble constituer, à ce niveau, gradient SE-NW : un véritable réservoir de matière organique.

- A l’extrémité S-E, la couche gréseuse dunaire Les deux sentiers (1 et 2), qui délimitent le coteau (G3) affleure toute seule, sans aucune couverture dans ses parties latérales, occupent le tracé de deux de protection. Ce caractère est facilement anciens oueds aux lits tres faiblement encaissés. observable en surface. où le grès, très endurci, Ces oueds contournent le coteau sans le traverser, n’est pas concerné par l’espace labouré ; seule un ce qui exclut tout apport sédimentaire de type très mince tapis herbacé sauvage y est établi. alluvial ou colluvial.

- Vient ensuite, la couche (R3), d’abord, sous un Ainsi, si l’on ne peut exclure les éventuels apports faciès sableux légèrement argileux, reposant sur le sableux éoliens, depuis les plages toutes proches, grès dunaire (G3), par l’intermédiaire des croûtes l’essentiel de la substance sédimentaire du gisement

11 archéologique – qui est un élément constitutif du marocaine, c’est dans le sens coteau - provient d’une morphogénèse chronostratigraphique que nous le faisons, celui essentiellement pédologique et de bioturbation, qui autorise les corrélations avec les étages alpins auxquels il faut, nécessairement, ajouter les du Riss et du Würm. Les équivalences sont perturbations fréquentes et répétées des labours, davantage facilitées, en domaine littoral, où les du moins dans les parties supérieures de la couche étages et sous étages marins sont mieux (A). Ces phénomènes physiques, documentés et mis en relation avec les formations géomorphologiques et pédologiques, ne semblent continentales associées, à travers les notions de pas avoir provoqué de remaniements notables, cycle climato-sédimentaire et climato-eustatique. depuis l’enfouissement du gisement. Il reste à Les étages Sicilien et Tyrrhénien sont compris savoir si le temps de formation et d’enfouissement dans ce sens et corrélés avec leurs correspondants a été long ou rapide, pour ne pas écarter les marocains. éventuelles contaminations récentes. Les bioturbations, liées notamment, aux animaux q1 4 c et qD : Deux unités sédimentaires fouisseurs, est un chapitre d’importance, qui sera majeures évoqué plus tard, dans la thématique taphonomique. Dans la perspective chronostratigraphique, les deux grandes formations sédimentaires (q1 4 c) et ELEMENTS DE CHRONOLOGIE (qD), constituent les deux ultimes unités majeures du pléistocène supérieur. Elles sont Dans cette approche géomorphologique et séparées par une importante phase d’incision, qui litostratigraphique du gisement archéologique de détermine la géométrie de la compartimentation Rachgoun, nous avons tenté de rassembler les (étagement). Dans le jeu de la dynamique littorale quelques données qui autorisent l’accès au cadre (transgression – régression), ces deux formations chrono-stratigraphique méditerranéen (Bonifay, correspondraient aux deux cycles successifs, 1964) et à la classification marocaine (Choubert et Sicilien et Tyrrhénien et s’établiraient dans les deux al., 1956 ; Biberson, 1961, 1970,1971 ; Raynal, grandes phases continentales du Tensiftien (Riss) et 1961 ; Beaudet et al., 1967 ; Ruellan, 1971 ; du Soltanien (Würm) (Fig. 6). Mathieu, 1977,1979…), pour mieux encadrer le sujet dans ses dimensions chronologique et paléoclimatique, dans l’attente d’autres indicateurs plus mesurables. A Rachgoun et devant l’indigence des enregistrements archéologiques et paléobiologiques, il ne nous restait à interroger les enregistrements géo-pédologiques, dans leur ultime expression fini Pléistocène supérieur – Holocène (Formations qD et q1 4c).

A titre d’essai, nous avons établi quelques corrélations chrono-stratigraphiques, qui sont, bien entendu, sujet à débat et discussion. L’objectif est de situer, dans une perspective sédimentaire, la succession des unités lithostratigraphiques, en référence aux cadrages théoriques en vigueur.

Les termes et les notions que nous empruntons aux classifications en cours, sont utilisés, ici, dans un entendement strictement chronostrtaigraphique, le plus largement convenu, qui permet d’appréhender les changements climatiques, dans leur grande tendance et leur impact sur les dynamiques sédimentaires. Les approches beaucoup plus fines, qui interviennent plus directement sur les indicateurs climatiques, ne seront pas envisagées, à ce stade de nos travaux. Ainsi, lorsque nous parlerons de Tensiftien ou de Soltanien, au titre de la classification continentale

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Fig. 6 - Schéma chronostratigraphique général En 1983, dans un travail de Doctorat de 3eme cycle sur le Pléistocène supérieur du littoral ouest Parmi les indicateurs de pertinence, c’est à coup algérois (Betrouni, 1983), puis dans des sûr, la caractéristique d’alternance « limons rouges- publications ultérieures (1995, 1998, 2001), nous grès dunaires », qui retient le plus l’intérêt. Elle est avons relevé, au-dessus de la formation marine une constante sur tout le littoral maghrébin. A « néotyrrhénienne », trois couches de limons Rachgoun nous avons compté dans la formation rouges, séparées par des grès dunaires. Un (qD) trois couches de limons, successivement « dispositif quasi-systématique sur la côte algérienne. rouge foncé », « rouge clair » et « rouge brun ». Alors que les limons rouges (R1) et (R2) sont en Nous avons trouvé de très fortes analogies avec la relation d’alternance avec des grès dunaires (G1) et Tunisie et la Sardaigne. A l’issue d’un colloque de (G2) et semblent correspondre à des phases terrain en Tunisie (1979) et en Sardaigne (1980), d’interruption de l’accumulation éolienne et de une équipe de chercheurs italo-tunisiens A.Ozer, développement d’épisodes de plus grande R. Paskoff et P. Sanlaville et A. Ulzega) avait humidité, qui favorise la mobilisation des oxydes conclu ses travaux ainsi : «La dernière plage est de fer, responsables de la rubéfaction, les limons directement recouverte d’un horizon sablo-limoneux rouge brun (R3) ne sont pas associés à un épisode fortement rubéfié […] correspondant généralement non à une grès dunaire. pédogénèse in situ lais à un dépôt de sols rouges colluvionnés. Ce dépôt a commencé à se former pendant le début de la Nous avons vu que la couche (R3) reprenait des dernière pulsation positive de la mer (Chebba-Santa débris de croûte zonaire (cr) de la partie sommitale Reparata), mais il a continué à se former pendant le début du grès (G3), ce qui signifie qu’elle appartient à un de la régression qui a suivi et c’est seulement ensuite que se processus sédimentaire qui débute par une phase sont accumulées les assises dunaires qui les surmontent […] d’érosion. Il n’y a plus de dépôt dunaire, ce qui L’accumulation dunaire, poursuivent-ils « s’est plusieurs fois suppose que l’étendue du plateau continental, qui interrompue, pour des raisons probablement à la fois autorisait, jusque-là, la mobilisation des sables, climatiques et eustatiques, et de nouveaux épandages (régression) n’existe plus, par le fait d’une colluviaux se sont mis en place. On compte généralement remontée du niveau de la mer et le rapprochement trois couches rouges colluviales, la dernière étant surmontée progressif du niveau actuel de la mer. Ces d’une dune assez ancienne […] vraisemblablement d’âge caractéristiques sont associées, par ailleurs, à une würmien » (1980). Les limons rouges (R1) et (R2) de perte de la rubéfaction.et l’instauration d’un Rachgoun s’inscrivent dans cette même contexte brunifiant. historiographie sédimentaire du littoral Il reste à déterminer la place des limons rouge brun méditerranéen et participent des mêmes (R3) à la charnière du Pléistocène supérieur et de significations chronostratigraphiques. l’Holocène. Pour cela, il faudrait être plus ou Le kjokkenmodding de Rachgoun dans le moins fixé sur l’origine des couches rougeâtres contexte Holocène (R1) et (R2). Elles succèdent aux accumulations sableuses dunaires (G2) et (G3), une fois celles-ci Les seules données radiométriques dont nous consolidées et grésifiées. Correspondent-elles à des disposons de la Basse vallée de la Tafna sont celles périodes de biostasie, à altération chimique relatives aux affleurements volcaniques, avec une favorable à la mobilisation des oxydes de fer, ou date ultime de 800.000 ans BP, correspondant aux au contraire à des phases de rhexistasie, marquant dernières éruptions volcaniques (Bellon et al, un changement brutal dans la sédimentation ? 1977,1980, 1984). Une date qui nous situe, par rapport à l’étage marin sicilien et continental De ce que nous connaissons sur le littoral rissien (Tensiftien). Pour le reste, la région maghrébin milite pour cette deuxième hypothèse, constitue un nomands land au point de vue de la d’ailleurs généralement adoptée, par le fait de sa chronostratigraphie. généralisation à tout le Maghreb (R. Raynal, 1966 ; J.J. Barathon, in litteris ; D. Lubell et al, 1975 ; R. Dans notre première approche du gisement Paskoff et P. Sanlaville, 1982, M. Betrouni, 1983), y archéologique de Rachgoun, une fois établies les compris le Maroc Atlantique (G. Delibrias et al. premières stratigraphiques et mis en œuvre le 1976) et le Portugal méridional ((R. Raynal, 1979). protocole de fouille-sondage, nous avons L’épisode « limons rouges » a été placé dans échantillonné des coquilles de moules «Mytilus l’Ouljien récent du Maroc méditerranéen (J.J. galloprovincialis », à la base de la formation (K) et de Barathon, 1974) et du Maroc atlantique (A. la couche A, que nous avons soumis à des Weisrok, 1980). datations par le Carbone 14. Les datations ont été

13 réalisées par le laboratoire BETA Analytic Intéressants, les travaux réalisés en 2002, dans le Radiocarbon Dating, de Miami en Floride, en bassin méridional d’Alboran, par une équipe de septembre 2018. chercheurs franco-marocains, sur les sédiments d’une carotte (carotte 93TG-21), dans laquelle ils L’échantillon noté « RCHG.17.D’1.USK », ont pu déceler, par une corrélation entre les correspondant à la base de la formation « K », a été teneurs en carbone organique et en carbonates, une daté de 9490+/-30 BP. Celui noté « RAC.A), à la évolution en trois phase : l'importance des apports base de la couche A, a été daté, quant à lui de terrigènes pendant le Pléistocène supérieur, 9430 +/- 30 BP. Ces deux résultats l'augmentation de la productivité organique chronologiques, qu’il faudrait, nécessairement, pendant l'Holocène inférieur et un phénomène de consolider par d’autres données, nous placeraient continentalisation lors de l'Holocène supérieur (A. en tout début de l’Holocène (Rharbien ancien), el Hmaidi, B. el Moumni, F.Z.Hassouni, B. juste au sortir, de la crise climatique du Dryas Gensous, R. Buscail et A. Monaco, 2002).Une récent (11.000 et 10.000 B) qui, tout étude, fondée sur les variations des particulièrement en Europe, a été marquée par une caractéristiques sédimentologiques et véritable rupture d’équilibre, par le fait d’un retour micropaléontologiques et des teneurs en brutal du froid et de la sécheresse, après les courts carbonates et en carbone organique, qui confère à épisodes de réchauffement du bolling (12.600- la période de l’Holocène inferieur, cette 12.300) BP et de l’Allerod (11.700-11.200 BP). caractéristique de grande productivité organique et donc de croissance soutenue de la biomasse Aux latitudes tropicales et subtropicales et tout marine. particulièrement en Algérie, cette crise a été vécue en sens inverse. La période comprise entre 10.500 A ce sujet, il n’est pas sans intérêt de souligner et 10.000 BP a correspondu, en Algérie, à un pic de l’attention toute particulière accordée au littoral de pluviosité, comme le laisse montrer la courbe Rachgoun et à l’île de Lalla, pour lui conférer le établie par M. Couvert, en 1972, à partir de statut d’aire protégée marine. Le choix de ce site, l’analyse de charbons de bois (Fig. 7). n’est pas aléatoire, il a été arrêté suite à une Ce pic de pluviosité, à cette étape précise, n’a-t-il évaluation des potentialités et caractéristiques de la pas eu quelques incidences sur la production de la biodiversité marine, qui a montré la singularité et biomasse marine, qui pourrait expliquer de la spécificité de cette zone littorale, en matière de nouveaux choix de subsistance avec toute richesse et de diversité ecosystémiques. l’imagerie éco-culturelle qui en ressortirait : une culture de la mer. Des colonies remarquables d’invertébrés benthiques, pélagiques et terrestres, une diversité floristique (posidonies, algues vertes et brunes)et surtout une abondance en moules (Mytilus galloprovincialis), patelles (Patella gigantea), oursins (Paracentrotuslividus ; Arbaciasp), balanes (Balanussp), annélides polychètes (Stermaspissuctata ; Nephtys hombergi ; Lumbrinerislatreilli ; Lumbrinerisgracilis ; Chone filicaudata ; Chone duneri…), arthropodes crustacés (Ampeliscacorophium), crabes ; Tanaidacés, Mollusques (Tellinidés et Nuculidés) et Echidnés, auxquels il faut ajouter une vingtaine d’espèces de poissons (D. Bouras ; M. Ramdani ; V. Agdal (2013) - C’est ce stock de ressources maritimes que les hommes de Rachgoun ont sollicité avec cette prédilection pour Mytilus galloprovincialis. Une piste de recherche prometteuse, qui pourrait participer au processus de construction du cadre chronostratgraphique du kjokkenmodding de Rachgoun. Fig.7 – Les crises climatiques vers 11.000- 10.000 BP (P. Rognon, 1983, p. 153 CONCLUISION

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Les études de terrain que nous avons menées prolongements marins. Cette absence de témoins pendant l’été 2017 et les résultats qui ont été tirés, marins tyrrhéniens, est quasi- générale sur toute la jusque-là, concernant le contexte côte ouest oranaise. Une situation qui ne saurait paleoenvironnemental et les volets relever d’une simple lacune de recherche, puisque géomorphologique et lithostratigraphique, relèvent immédiatement à l’est du littoral d’Oran, les d’une approche que nous considérons préliminaire, affleurements marins tyrrhéniens vont former le d’un sujet qui souffre d’un encadrement support de la plateforme littorale, entre +30 m et le stratigraphique et chronologique, si l’on, exceptait niveau actuel de la mer. les travaux consacrés aux formations volcaniques. Dans cette contribution, nous avons approché L’individualisation de deux ensembles morpho- notre sujet sous l’angle de la géomorphologie et de sédimentaires (q1 4c et qD) et leur mise en relation la, géologie du quaternaire, pour nous offrir les avec les cadres de classifications en vigueur, est une garanties d’accès à des lectures appropriées du première ébauche d’un cadrage kjokkennmodding de Rachgoun, compte tenu de sa chronostratigraphique, qui aura besoin d’être singularité (uniquat) et de l’absence d’un dispositif complété et confronté, dans une démarche d’encadrement chronostratigraphique. pluridisciplinaire.

La localisation du site préhistorique de Rachgoun BIBLIOGRAPHIE au Rharbien ancien (première partie de l’Holocène) suggère, par ailleurs, un nouveau regard à la fois Andersen S.H., Bjornsholm. (1993) - A stratified archéologique et paléoenvironnemental, qui doit køkkenmødding on the central Limjford, susciter l’intérêt et ouvrir de nombreuses North Jutland, Journal of Danish Archaeology, 10, perspectives. p. 59-96.

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