La Muse Française. Edition Critique Publiée Par Jules Marsan
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«2^/ LA MUSE FRANÇAISE 1 823- 1824 Il a été tiré de cet ouvrage cinquante exemplaires sur papier Van Gelder. Tous ces exemplaires sont numérotés et parafés par le Secrétaire général de la Société. SOCIÉTÉ DES TEXTES FRANÇAIS MODERNES LA MUSE FRANÇAISE 1823-1824 EDITION CRITIQIJE PUBLIEE PAR JULES MARSAN Tome II "^ PARIS SOCIÉTÉ l NOUVELLE DE LIBRAIRIE ET D'ÉDITION (/Iwc' rue Cujas) EDOUARD CORNl' LY ET C'^ ÉDITEURS lOr, RUE DE VAUGIRABD, lOI 1909 \ i /,/ IIS7 i AVERTISSEMENT Avec ce tome II s'achève la publication de la Muse française, brusquement interrompue en juin 1824. A si- gnaler dans les six dernières livraisons : D'Alfred de Vigny : deux morceaux en vers {Fragmens d'un poème de Suzanne, — Sur la mort de lord Byron) et deux articles en prose {Œuvres posthumes du Baron de Sorsum, — Amour. A Elle). — Seul, le premier fragment du poème de Suzanne a été réimprimé par Vigny. De Victor Hugo : la Bande noire (édition originale), un article sur Eloa, étrangement transformé plus tard, et un article Sur Georges Gordon, lord Byron. D'A. Guiraud : une élégie, l'Aumône, dont V. Hugo s'est souvenu. Plusieurs morceaux intéressent l'histoire des idées et des polémiques romantiques : le manifeste d'A. Guiraud {Nos Doctrines); les articles d'A. Soumet (sur les Nou- velles Odes), de Ch. Nodier {De quelques logomachies classiques), d'E. Deschamps {La Guerre en temps de paix, première ébauche de la préface des Etudes françaises), de Saint-Valry {Esquisses morales). SEPTIEME LIVRAISON (Janvier 1824.) LA MUSE FRANÇAISE NOS DOCTRINES Rien n'est beau que le vrai : le vrai seul est aimable. Certes, nos adversaires les plus obstinés ne récuse- ront pas le classique interprète que Isl Musefrançaise choisit pour ses doctrines; nous n'avons pas oublié que ce Despréaux qu'invoquent aujourd'hui, avec si 5 peu de rancune, tant de Cotins et de Pradons, vengea le Cid, de Scudéry et des censures académiques, pro- tégea hautement Britannicus dédaigné, et devina, avant la postérité, toute la sublimité d'Athalie. Son goût pur et éprouvé, que blessait toute affectation, a 10 été souvent dénaturé depuis par ceux qui s'en pré- tendaient les légataires les plus directs; pour nous, certains comme nous le sommes, que ce régulateur suprême des Lettres françaises, qui frappait de ri- dicule les Catons galans et les Brutus dame?'ets, eût i5 condamné toutes les faussetés philosophiques du xviii« siècle, toutes les faussetés prétentieuses du nôtre, nous aimons à proclamer hautement après lui, qu'il 4 LA MUSE FRANÇAISE. n'y a de beau et bon en littérature, et surtout en poé- sie, que ce qui est vrai ; et si dans la recherche que nous 20 faisons de cette vérité âme des lettres, nous nous éga- rons quelquefois, on doit dès ce moment demeurer convaincu que c'est avec bonne foi, et par erreur, plutôt que par système, et que la faute en est peut-être à ceux qui, en la défigurant tous les jours, la rendent 25 si difficile à reconnaître. Mais il est deux sortes de vérités littéraires : l'une, absolue, qui s'applique à toutes les compositions dans lesquelles l'auteur ne figure que comme nar- rateur ou interprète, telles que l'épopée et le drame; 3o l'autre, relative, qui se fait distinguer dans les pro- ductions où l'auteur entre en scène lui-même, et nous révèle ses impressions et tous les mystères de sa propre nature. La. première se nourrit de souvenirs que féconde l'inspiration, et elle impose à tous les 35 écrivains des conditions fixes et égales. Il n'y a pas moyen en effet de peindre Achille, les Horaces et Joad, autrement que ne l'ont fait Homère, Corneille et Racine : ici, l'auteur doit nécessairement s'oublier lui-même avec tout son siècle; car il ne s'agit plus de 40 ce qui est, mais de ce qui a été. Toute la beauté du tableau est dans sa fidélité, et son mérite est entier lorsque les traits qui le composent portent un carac- tère propre, non-seulement aux temps, mais aux per- sonnes. Achille et le vieux Priam qui l'implore, Clo- 45 rinde et Tancrède qui lui donne la vie du ciel, Evandre et Latinus accueillant le malheur d'Enée, Porcie allant réclamer l'hymen du vieux Caton, Œdipe se faisant expliquer de tous côtés son inexpli- cable destin, la ferveur de Polyeucte dépassant le zèle 5o de Néarque, Néron impatient des bienfaits de sa 7^ LIVRAISON. — NOS DOCTRINES. 5 mère et de sa propre vertu, le chevalier de Syracuse rentrant inconnu et proscrit dans sa patrie qu'il aime et qu'il a sauvée, sont peints avec des couleurs qui leur appartiennent entièrement, et qu'on ne pourrait 55 employer à d'autres personnages, sans les rendre mé- connaissables. Mais les amours de Henri IV et de Gabrielle, mais les déclarations gracieuses d'Hippo- lyte, les politesses réciproques de Cléopâtre et de César, les galanteries des fils de Brutus, la double 6o intrigue des enfans d'Agamemnon dans Electre, ne portent aucune date ni aucune physionomie; et l'on pourrait, sans qu'il y parût, faire pour tous ces per- sonnages, comme Métastase qui, dans son Caton d'Utique, change en je ne sais plus quel nom mo- 65 derne, le grand nom de Cornélie, pour la commodité du musicien. Et si nous descendons des grands maîtres que nous venons de citer, à ces écrivains médiocres qui ne font que des faux pas sur les traces le plus largement 70 marquées, nous trouverons un déplorable système, au lieu de la rare exception que nous avons signalée. Aussi les étrangers sont-ils assez fondés en repro- chant à notre littérature de manquer le plus souvent de vérité. Ce n'est pas que ce reproche, tout juste 75 qu'il est, ne soit en quelque sorte excusable; et sans rechercher ici tout ce que nous pourrions alléguer en faveur de nos écrivains, nous ferons remarquer seu- lement que le présent compte double en France, et que la société y exerce un empire absolu sur tous les 80 esprits : or, la société est sans cesse occupée de ses intérêts du moment, et c'est dans le cercle de ces in- térêts seulement qu'elle veut être agitée; le moment, parmi nous, doit avoir sa place partout; il n'est point 6 LA MUSE FRANÇAISE. de vieille date dont il ne s'accommode, et il domine 85 bientôt dans toutes les choses où on le laisse pénétrer. Il faut une grande force d'âme pour se résoudre à attendre des suffrages, quand il y en a là de tout prêts qui vous attendent; aussi est-ce à ceux-là qu'on s'adresse le plus souvent, et c'est ainsi que s'ex- 90 pliquent les condescendances galantes du grand Corneille et les condescendances philosophiques de Voltaire. Ce n'est pas eux qu'il faut en accuser; mais la société d'alors, qui ne distribuait ses admirations qu'au prix de tels sacrifices. 95 Cependant sous le rapport de cette vérité absolue, si nécessaire surtout dans les grandes compositions historiques, la littérature française peut lutter avec avantage avec les littératures étrangères; elle l'em- porte même sur elles dans tous les sujets antiques; 100 mais elle est forcée de reconnaître que les autres sont plus fidèles dans la peinture qu'elles ont faite des sujets pris au moyen âge. Ainsi, Shakespeare, qui est toujours Anglais, quoi qu'on en dise, même dans Coriolan, trace avec une vérité remarquable les por- io5 traits de Richard, de Macbeth, de Hamlet, et de tous les personnages enfin qu'il a pu saisir autour de lui, et dans une histoire et des mœurs presque contempo- raines. Les littératures étrangères nous ont aussi devancés iio dans toutes ces compositions où se fait remarquer cette vérité j^elative que j'ai définie plus haut, et qui n'a été connue que fort tard en France. Les produc- tions de ce genre sont toutes d'inspiration , et les choses acquises y ont peu de place. Quelques cha- ii5 pitres des Confessions de saint Augustin, des frag- mens de saint François de Sales, et de quelques 7^ LIVRAISON. — NOS DOCTRINES. 7 mystiques, ont été, à diverses époques, des révéla- tions de cette littérature moderne qui se développe avec éclat depuis quelque temps, mais dont le bon 120 goût condamne avec juste raison les écarts. Avant Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre, je ne sais aucun écrivain français qui soit entré avec nous en confidence d'ami. Depuis, les ouvrages de ce genre ont obtenu un succès qui a été le plus souvent 125 justifié par le grand talent de leurs auteurs; et le charme qu'on trouve à leur lecture, tient peut-être à cette vérité relative qui leur imprime un caractère d'originalité et de nouveauté. En efifet Childe Harold et René n'ont aucun trait de ressemblance; la même i3o variété de tons existe entre le livre des Passions et les Etudes de la Nature. Mais ici se présente une ré- flexion naturelle que je crois bien juste : c'est que ces ouvrages, tout admirables qu'ils sont, doivent être laissés à part, comme portant une physionomie qui i35 leur est propre, et ne peuvent servir de modèle à au- cune imitation. On n'est vrai, dans ce genre, que d'après soi-même; si on n'est soi, on n'est plus rien que fausseté et affectation ; et de là tant de révélations ridicules et trompeuses d'une nature qu'on s'est faite 140 d'après celle d'autrui, et qui ne porte l'empreinte d'aucun type.