Actes des congrès de la Société française Shakespeare

22 | 2005 Shakespeare et l’Europe de la Renaissance Actes du Congrès de la Société Française Shakespeare 2004

Yves Peyré and Pierre Kapitaniak (dir.)

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/shakespeare/33 DOI: 10.4000/shakespeare.33 ISSN: 2271-6424

Publisher Société Française Shakespeare

Printed version Date of publication: 1 November 2005 ISBN: 2-9521475-1-5

Electronic reference Yves Peyré and Pierre Kapitaniak (dir.), Actes des congrès de la Société française Shakespeare, 22 | 2005, « Shakespeare et l’Europe de la Renaissance » [Online], Online since 30 November 2006, connection on 25 May 2020. URL : http://journals.openedition.org/shakespeare/33 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ shakespeare.33

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TABLE OF CONTENTS

Avant-propos Pierre Kapitaniak

Le masque dans les comédies de Richard Brome, un divertissement sous influence continentale ? Claire Bardelmann

Stereotypical National Characterizations in the Europe of Shakespeare’s Day Pauline Blanc

« Petruchio, I shall be your ben venuto » : Shakespeare, Jonson et la langue italienne Christophe Camard

Shakespeare et le De Pictura de Leon Battista Alberti Jean-François Chappuit

« The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d and loos’d »: Figures de l’espace dans Troilus and Cressida Muriel Cunin

Between Topographical Fact and Cliché: and in Shakespeare and other English Renaissance Writing Manfred Draudt

Plotting and Edification in Shakespeare and Wotton Roy Eriksen

La Pucelle sur la scène littéraire et politique : le trajet Pont-à-Mousson – Londres Richard Hillman

Shakespeare et la géographie imaginaire de l’Europe François Laroque

Corporeal Ecology and European Otherness on the Shakespearean Stage Leanore Lieblein

Shakespeare’s Possible Use of Polydore Vergil’s Anglica Historia in Henry VIII Roberta Mullini

Shakespeare et la gravure morale de l’Europe du Nord Josée Nuyts-Giornal

Samuel Daniel et le paradoxe de la frontière : « Thames doth out goe / Declined Tybur » Christine Sukic

“Horror… is the sinews of the fable”: Giraldi Cinthio’s works and Elizabethan tragedy Mariangela Tempera

Giordano Bruno et Shakespeare : la poétique d’une écriture dans l’Europe de la Renaissance Gisèle Venet

To great St Jaques bound: All’s Well That Ends Well in Shakespeare’s Europe Richard Wilson

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Avant-propos

Pierre Kapitaniak

1 En ces temps où une nouvelle Europe se constitue, le concept même de « civilisation européenne » devient problématique, car il est facile d’y voir une construction a posteriori qui pose une unité culturelle des pays d’Europe, développée à l’aide d’icônes nationales comme Érasme ou Shakespeare, dont on fait des représentants d’une « culture européenne » homogène, élitiste et ethnocentrique.

2 Dès le début du second millénaire, l’Europe occidentale prend conscience de sa singularité, tout d’abord en opposition à l’Asie et à l’Afrique. Au fil des croisades, son identité se forge dans l’adversité, en prenant appui sur la foi chrétienne. De l’effervescence humaniste du Quattrocento aux changements politiques, économiques et religieux tout au long du XVIe siècle, cet Occident chrétien subit de profondes transformations, qui affectent la perception de son identité. La découverte du Nouveau Monde et l’exploitation des richesses qu’il recèle sonnent le glas d’une économie qui, encore féodale au XVe siècle, est désormais régie par une tendance inflationniste et voit émerger une nouvelle classe de riches marchands. Les foyers de Réforme religieuse allumés par Luther à Wittenberg, par Zwingli à Zurich et par Calvin à Genève, entraînent une riposte catholique concrétisée tout d’abord par la création de la compagnie de Jésus, puis par les décisions du Concile de Trente, et plongent l’Europe dans une longue période de guerres de religion. Ces déchirements internes ne doivent pas faire oublier la menace ottomane qui se fait de plus en plus présente et pressante. Ainsi, les profonds bouleversements qu’apporte le XVIe siècle esquissent un mouvement de sécularisation qui fait glisser l’unité identitaire des nations occidentales de « chrétienté » vers « Europe », glissement que John Hale rapproche notamment de la présence turque en Europe1. Cette nouvelle réalité se perçoit ainsi au tournant du siècle dans l’apparition aux côtés du substantif « Europe », de l’adjectif « européen », et ce n’est sans doute pas une coïncidence si son premier emploi attesté en langue anglaise revient à Richard Knolles à propos de « Europian Tartars2 ».

3 Étudier les rapports entre Shakespeare et l’Europe de son temps soulève d’emblée la question de la place de l’Angleterre au sein de cet espace européen, tant du point de vue géographique que politique ou encore religieux. Son insularité en fait tout d’abord une région en périphérie et, depuis la perte de Calais, en retrait des conflits sur le sol

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européen. Du point de vue anglais, il y a également une distance vis-à-vis du Continent, et ce dernier suscite autant la curiosité que la méfiance. Cette « exception » anglaise apparaît clairement sous la plume de Sir John Smythe lorsque celui-ci oppose la paix qui règne en Angleterre (« Nation of a singular gift of God ») aux guerres qui font rage outre-mer : they had and haue continual practise and exercise, by reason that they are in the continent, where euerie kingdome and state doth ioyne one to another without anie partition of sea, and therefore driuen to keepe continuall garrisons and exercises of warre3…

4 Cette différence géographique et politique se retrouve également dans la particularité de sa Réforme qui, après les années mouvementées entre la mort d’Henri VIII et les premières années du règne d’Élisabeth, adopte une position modérée, résistant aux pressions catholiques et puritaines.

5 L’isolement insulaire de l’Angleterre n’empêche pas la circulation des biens, des hommes et des idées. Comme ailleurs, même si cela se fait parfois avec un certain retard, on y accueille, assimile et transforme tant les avancées scientifiques que les idéaux de la Renaissance italienne dans les domaines d’architecture, de peinture, de poésie ou de musique. On y accueille aussi des hommes de sciences et de lettres pour qui Londres et Oxford deviennent des centres culturels incontournables, mais aussi parfois des lieux de refuge. On y traduit à profusion et tous domaines confondus, même si en matière de théologie la préférence est donnée aux œuvres protestantes, en raison d’une censure exercée par l’État.

6 À l’instar de celle de ses contemporains, l’œuvre de Shakespeare, qui ne puise pas uniquement dans la culture britannique, mais s’inscrit bien plus largement dans un contexte européen, reflète cette circulation foisonnante de textes et d’idées. Les communications réunies dans ce volume en explorent les différentes facettes. L’une des manifestations les plus visibles de ces échanges est la représentation des autres pays européens dans des pièces dont l’action se déroule en Espagne, en Italie, en Autriche ou en France, et les stéréotypes nationaux qui s’y attachent. D’autres articles jaugent les œuvres de Shakespeare à l’aune des mouvements d’idées politiques et religieux et des courants artistiques, qu’ils soient architecturaux, philosophiques, poétiques ou musicaux. Parfois ces enquêtes mettent à jour l’assimilation et la transformation par Shakespeare d’œuvres précises et identifiables, permettant ainsi de retracer dans le détail le cheminement de tel ou tel texte ou illustration.

NOTES

1. John Hale, La civilisation de l’Europe à la Renaissance, Paris, Perrin, 2003, p. 7. 2. The generall historie of the Turkes from the first beginning of that nation to the rising of the Othoman familie, Londres, Adam [?], 1603, STC 15051. 3. Certaine discourses, Londres, Richard Johnes, 1590, f° 27 r°-v°.

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Le masque dans les comédies de Richard Brome, un divertissement sous influence continentale ?

Claire Bardelmann

1 Je m’intéresse aujourd’hui aux rapports entre masque et théâtre à l’époque caroléenne sous un angle particulier, celui de l’influence qu’a pu exercer le ballet de cour français de la même période à travers l’exemple d’un dramaturge, Richard Brome.

2 Cette étude part d’un constat : dans le théâtre caroléen se trouve beaucoup de musique, surtout dans les comédies de Richard Brome et de James Shirley. Les masques ou éléments de masques y occupent une place particulièrement importante. Parallèlement, le masque de cour lui-même subit des modifications en profondeur sous l’influence musicale étrangère, c’est-à-dire très prioritairement française.

3 On peut donc se demander en quoi le masque caroléen reflète cette influence française – en l’occurrence, celle du ballet de cour – et si le théâtre s’en faisait l’écho, non seulement à travers des allusions aux pratiques musicales de l’époque, mais aussi dans les éléments de masque que l’on peut trouver à la scène, surtout chez Richard Brome, dont le théâtre est particulièrement imprégné de musique. En effet, cette densité musicale, ainsi que la présence de masques dans certaines pièces, suggèrent une hybridation des formes qui reflète aussi les genres à la mode, et donc, potentiellement, les nouvelles orientations du masque de cour. Les dramaturges ont-ils répercuté ces changements structurels dans les masques insérés au théâtre, et comment l’influence française influe-t-elle sur la dynamique des genres ?

4 Mon but est donc d’étudier les changements structurels du masque caroléen et de voir s’ils se retrouvent au théâtre, et dans quelle mesure ils influent sur la structure dramatique. Je commencerai donc par établir l’influence du ballet de cour sur le masque anglais sous Charles Ier. Puis, j’essaierai de déterminer la place de cette influence dans l’interaction du masque de cour et du théâtre, principalement à travers deux comédies de Richard Brome (The English Moor et The Antipodes).

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Ballet de cour et masque

5 L’influence française sur le masque caroléen est liée à la forte présence musicale française sous Charles Ier. En fait, cette place remonte au début du XVIIe siècle. Ainsi, le maître à danser du prince Henri était-il français (Nicolas Villiard). Jacques Cordier, surnommé « Bochan », violoniste et maître à danser, était membre de la maison du prince Henri en 1608, et recevait deux fois le salaire des violonistes du Roi (les vingt- quatre violons du Roi, d’inspiration française, étaient appelés « les disciples de Bochan »), eut le même statut privilégié dans les premières années du règne de Charles Ier. La reine Henriette-Marie avait aussi ses musiciens français, comme Nicolas Picard, membre de la musique du Roi pendant toute la durée du règne.

6 Sous l’influence de la Reine, ces musiciens apportent à l’Angleterre une expérience de première main du ballet de cour français. Henriette-Marie elle-même avait participé à des ballets de cour avant de partir pour l’Angleterre (en 1623, elle dansait dans Les Fêtes de Junon ; en 1621, elle représentait Aurore dans le Grand Ballet de la Reyne représentant le Soleil. À la Cour, les maîtres à danser français contribuent à l’organisation des masques – Bochan, par exemple, mit la main aux danses de deux masques, Love Freed et The Lord’s Masque.

7 Ce rôle des maîtres à danser dans l’importation du ballet de cour apparaît clairement dans une comédie de William Cavendish, The Variety (représentée au théâtre des Blackfriars, ce qui la date d’avant 1642). La comédie se moque des modes françaises en général et des maîtres à danser en particulier, à travers le personnage de Galliard, un maître à danser qui participe à l’élaboration d’un masque. La conception du masque selon Galliard fait l’objet d’une vive critique ; à travers ce personnage, le dramaturge déplore l’absence d’intérêt du texte, le caractère décousu de l’intrigue, l’accent mis sur le caractère spectaculaire du divertissement au détriment du reste : GALLIARD. Aw, de write ? dat is noting alamode, your speesh two, tre, yard long, pfaw ? give a me de quick a spirit, de fancie, de brave scene, de varietie of de Antimasque, de nimble a foot, no matter de sense, begar it vole be de brave ting1.

8 Cette description d’un bon masque selon Galliard est très française – « the brave scene » et « the varietie of the Antimasque » étant des références précises et directes aux modifications subies par le masque sous l’influence du ballet de cour français.

9 La critique formulée par Cavendish renvoie à en effet un constat : le masque anglais, sous Charles Ier, importe un modèle déjà décadent en France, celui du ballet à entrées. Le ballet à entrées est un type de ballet différent de ceux qui le précèdent (ballet comique, ballet mélodramatique), car il ne présente pas d’unité dramatique. À l’origine, le ballet de cour (introduit en France à la fin du XVIe siècle), traduit un désir de retrouver la formule du drame antique, avec une union harmonieuse de la poésie, de la musique et de la danse. Quel que soit le sujet, le ballet de cour a une trame dramatique suivie, une unité empruntée au drame ; la musique et la danse participent à l’action. Cette ambition disparaît précisément avec le ballet à entrées, vers 1620.

10 Le plan du ballet à entrées inspiré du ballet mascarade est très simple : un récit initial, suivi d’un nombre variable d’entrées dansées mais sans chant (des pantomimes, les personnages s’expriment par gestes plus que par chants), puis d’un chœur qui annonce en chantant la venue des danseurs du grand ballet, la danse finale et la seule à laquelle participent les nobles de la Cour.

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11 Le Ballet des mariages sans degoust et sans cocuage (1638) offre un exemple de ce type de ballet. Le récit chanté par Hymen est suivi de cinq entrées puis du grand ballet sous la forme d’une « Bouffonnerie dansée en salade », selon le plan suivant : Récit chanté par Hymen Première entrée dansée par le Goust Seconde entrée dansée par la saucisse et la moutarde Troisiesme entrée dansée par l’orange et la perdrix Quatriesme entrée dansée par le jambon et la bouteille Cinquiesme entrée dansée par la poire et le fromage Grande bouffonnerie dansée en salade2.

12 Dans ce type de ballet, les personnages entrent arbitrairement les uns après les autres ; l’énumération des scènes suffit à exposer le sujet du spectacle, sans recours au texte. Les entrées ont toujours un caractère expressif, mais descriptif ; elles forment la comédie muette du ballet de cour. Comme l’exprime l’abbé De Pure, « les gestes et les mouvements signifient ce qu’on pourroit exprimer par des paroles3 ».

13 Le ballet à entrées, qui sacrifie ainsi l’intrigue au spectaculaire, constitue une période de régression dans le développement du ballet de cour. Or, c’est précisément la forme qui influence le masque caroléen.

14 L’influence du ballet de cour sur le masque anglais est principalement structurelle. Elle concerne surtout le changement de statut de l’antimasque jonsonien, sous l’influence des entrées à la française (la « varietie of Antimasque » à laquelle fait allusion le maître à danser Galliard) ; et l’importance croissante du spectaculaire au détriment de l’intérêt dramatique. Dans ses grandes lignes, l’évolution de masque suit donc celle du ballet de cour, dont elle importe le modèle.

15 La structure du masque est d’abord modifiée par le changement de fonction de l’antimasque. À l’origine, la fonction de l’antimasque (introduit en 1611 dans Oberon de Ben Jonson) est de divertir mais aussi d’introduire un contraste avec la trame sérieuse du masque. Elle précède la principale danse des « masquers », la « masquing dance » présentée par le roi et ses seigneurs, ou par la reine et ses dames ; par contraste, elle en rehausse la noblesse. Sous Charles Ier, l’antimasque perd cette fonction dramatique voulue par Ben Jonson. Le nombre des antimasques augmente et cette partie du divertissement gagne simultanément en volume à l’intérieur du masque. En outre, les différents tableaux de l’antimasque ne sont plus reliés entre eux ni à la trame principale, ce qui en amoindrit l’intérêt dramatique au profit du spectacle visuel.

16 En fait, l’antimasque devient peu à peu une succession d’entrées à la française : de longues séries de danses (ou de pantomimes, car il ne s’agit pas de danses de cour) non séparées par des chansons ou des récits.

17 C’est à partir des années 1630 que cette influence se fait sentir le plus vivement. À partir de Chloridia (1631) de Ben Jonson et Inigo Jones, l’antimasque devient intégralement dansé. Les désastres causés par Cupidon dans ce masque sont illustrés par une série de danses ininterrompue, numérotées de 1 à 8 et introduites par un récit déclamé et une danse d’un postillon nain ; ce morceau est appelé « the first entry of the antimasque », et les entrées suivantes « second Entry », etc. C’est aussi la première utilisation du terme « entry » appliqué à l’antimasque, pour décrire des épisodes pratiquement identiques aux entrées du ballet de cour français : les personnages entrent, dansent, s’en vont. Le lien entre les danses est lâche, et l’élément de pantomime est important, comme en témoigne la description de la troisième entrée :

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3 Entry The Queenes Dwarfe, richly apparel’d, as a prince of hell, attended by six infernall Spirits. He first danceth alone, and then the Spirits : all expressing their joy, for Cupids comming along them4.

18 Par la suite, cette utilisation des entrées pour structurer l’antimasque devient habituelle, et même, à partir de 1630, indispensable, comme l’indique un dialogue de The Triumph of Peace (1634) : FANCY. How many antimasques have they ? of what nature ? For these are fancies that take most ; your dull And phlegmatic inventions are exploded. Give me a nimble antimasque5.

19 De fait, suit une série d’antimasques où l’on retrouve des pantomimes à la française, et même des acrobaties dans la même veine : antimasque de Fancy, Novelty et Admiration, « the dance expressing the natures of the presenters6 ». Puis des entrées se succèdent, dont le thème est simplement d’illustrer toutes les formes que peut prendre la fantaisie de l’imagination, ce qui est prétexte à moult changements de décor. Les personnages, dans leur dialogue, ne font que commenter le changement de tableaux. Interviennent ainsi un second antimasque composé de différents personnages qui fréquentent une taverne (mère maquerelle, serviteurs, gentilhomme, mendiants) ; puis, une série d’entrées, même si elles ne portent pas ce nom : un paysan, un érudit, un médecin ; puis, nouveau changement de décor et entrées d’oiseaux : hibou, corneille, faucon, pie, geai, puis des personnages divers : voleurs et marchands ; chasseurs, nymphes et satyres.

20 Cette adoption progressive, mais massive, des entrées à la française a un lien direct avec un autre changement structurel du masque caroléen, à savoir la montée en puissance de l’aspect visuel et le déclin de l’intérêt dramatique.

21 Il existe très certainement un lien entre l’accent mis en France sur la splendeur visuelle du masque et la fascination pour les arts visuels sous Charles Ier. Inigo Jones (connu pour son association avec Ben Jonson, et qui conçut aussi les décors de nombreux masques caroléens) était très intéressé par les divertissements de cour étrangers et notamment français, et par l’architecture française (il remodela une partie de Somerset House pour la reine, en collaboration avec des architectes français). On connaît aussi sa rivalité et son désaccord avec Ben Jonson. Jonson voulait conserver au masque son contenu littéraire, Inigo Jones ne voulait rien qui interfère avec la splendeur de la mise en scène, à laquelle il voulait donner la première place, et Jonson dut s’effacer à partir de 1631, au profit de librettistes… francophiles, qui avaient davantage la faveur de la reine, comme Aurelian Townshend, Thomas Carew (l’auteur de Coelum Britannicum), mais aussi Shirley et Davenant7. Le coût des masques reflète l’accent mis sur le spectaculaire : le plus onéreux de tous les masques caroléens, à savoir The Triumph of Peace de Shirley, avec musique de William Lawes et Simon Ives, coûta plus de 21 000 livres, (l’équivalent de plus d’un million d’euros). Cette splendeur est d’ailleurs soulignée à la fin du livret : And thus concluded this Masque, which was, for the variety of the shows, and richness of the habits, the most magnificent that hath been brought to court in our time8.

22 L’accent mis par Inigo Jones sur une mise en scène spectaculaire suit très exactement l’évolution du ballet de cour en France, et elle va bien de pair avec l’adoption des entrées à la française, sans véritable fil directeur mais qui permettait un grand

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déploiement de costumes, décors, etc. Cette tendance culmine avec Salmacida Spolia, dernier des masques caroléens (1640), et où l’on ne trouve pas moins de vingt entrées. On y voit que les entrées sont aussi prétexte à déployer une dimension visuelle spectaculaire, ce que le livret indique clairement : 2. Entry Four old men richly attired, the shapes proper to the persons […] 3. Entry Three young soldiers in several fashioned habits, but costly […] 14. Entry An amorous courtier, richly apparelled9.

23 De plus, les décors spectaculaires se succèdent dans ce masque : scène de tempête avec sphère qui s’enflamme pour révéler une Furie, décor champêtre avec descente d’un char argenté portant la Concorde, puis, après les antimasques (entrées), décor de montagnes inaccessibles et, à la fin, descente d’un nuage multicolore portant la Reine et ses suivantes, vêtues de costumes magnifiques : in Amazonian habits of carnation, embroidered with silver, wilth plumed helms, baudrickes with antique swords hanging by their sides, all as rich as might be, but the strangeness of the habits was most admired10.

24 Tous ces changements indiquent une profonde métamorphose du masque sous l’influence française. L’insistance sur le caractère spectaculaire du masque au détriment du contenu littéraire et de la trame dramatique, la généralisation des entrées dans l’antimasque, marquent une érosion profonde de l’idéal jonsonien, notamment de son ambition littéraire : comme en France, et sous l’influence du ballet à entrées, le divertissement spectaculaire l’emporte sur l’idéal humaniste de l’œuvre unissant poésie, musique et danse.

Masque et influence française dans le théâtre caroléen

25 Si le théâtre reflète les influences françaises, quel peut être le mode d’insertion dans un cadre dramatique d’un masque devenu sans aucun intérêt dramatique ? La question se pose d’autant plus que masque et théâtre suivent des évolutions parallèles, avec une tendance croissante au spectaculaire. Ainsi, Shirley, le librettiste, transpose-t-il à la scène (dans Changes) le problème qui se pose au même moment au masque – l’évolution vers davantage de spectaculaire, et moins d’intérêt dramatique. Il est également intéressant de constater que, pour Shirley, le masque peut être l’instrument de cette évolution. En effet, dans la comédie Changes, lors de la préparation d’un masque, le commanditaire se plaint de ce qu’une comédie ne peut plus se passer de divertissements dansés, et même que « your dance is the best language of some Comedies », ce qui n’est pas seulement une critique du mauvais théâtre, mais indique aussi que l’abus de danses est une cause de médiocrité dramatique. Caperwit marque bien l’évolution avec la pratique plus ancienne – élisabéthaine – de proposer une danse à la fin de la pièce, « a jig », pour le seul plaisir du spectateur et sans lien avec la pièce : DANCER. A Maske will be delightful to the Ladies. CAPERWIT. Oh Sir, what Playes are taking without these Pretty devices ? Many Gentlemen

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Are not, as in the dayes of understanding, Now satisfied without a Jigge, which since They cannot, with their honor, call for, after The play, they looke to be serv’d up ith’middle : Your dance is the best language of some Comedies11.

26 Le nombre de masques (ou éléments de masque) introduits dans les comédies de Brome et de Shirley justifie à première vue les craintes de Caperwit. Richard Brome et James Shirley utilisent à la fois de nombreux éléments du masque, voire des masques présentés comme complets – bien qu’ils ne correspondent pas, en fait, à la structure du masque tel qu’il se représentait à la Cour12. Il est vrai que de tels épisodes existent déjà à l’époque élisabéthaine et jacobéenne (pour mémoire, le masque de Cérès dans The Tempest, ou le masque à l’acte V de Cynthia’s Pleasures de Ben Jonson, masque d’Orphée dans The Mad Lover de Beaumont et Fletcher), mais pas avec cette fréquence, ni – sauf rares exceptions comme le masque d’Orphée dans The Mad Lover – avec un tel développement. À l’opposé, chez Richard Brome, l’insertion d’un masque ou d’éléments de masque est la norme : dans The Antipodes (masque de la Discorde) ; dans The English Moor (masque des Cornes) ; dans The Northern Lass ; chez Shirley, on trouve des masques dans The Cardinal et Changes, pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus intéressants.

27 L’importance et la fréquence de ces masques indique bien que l’esprit de promotion du spectaculaire à l’œuvre dans le masque sous l’influence française imprègne aussi le théâtre, et que le masque en est un agent essentiel. Ne pouvant faire ici l’analyse de toutes les comédies précédemment citées, j’ai choisi deux comédies de Brome, The English Moor et The Antipodes, représentatives de cette tendance.

28 Le masque des Cornes de The English Moore (I.iii) est clairement sous influence française, car il utilise un antimasque à entrées. Ce masque a pour sujet les mariages mal assortis, et commence par un discours de Mercure sur les dangers des mariages sans amour. Ce développement est illustré par une série d’entrées grotesques, « a drove of horn- beasts » comme le fait remarquer un personnage (I.iii.157) : Enter the Masquers. A Lawyer with stagges hornes followed by a Courtier. A Countrey Chuffe with Rammes hornes, and a Souldier. An Usurer with Goates Hornes, and a Scholler. A spruce Citizen with Oxe hornes, and a Butcher13.

29 Ces entrées sont simplement commentées, de façon souvent redondante, comme dans The Triumph of Peace : ici par Mercure, dont le commentaire redouble l’avertissement aux mauvais maris : The first’s a Lawyer, that by strife prevaild To wed a wife, that was by Love intaild To a Courtier ; who had the happe, Soon after, to adorne him with that Cappe. The next a Countrey Cormorant, whose great wealth, By a bad Fathers will, obtaind, by stealth, A valiant Souldiers Mistress14.

30 Le masque reflète donc l’influence du ballet de cour, au sein du théâtre. Mais avec une différence essentielle : ce masque à entrées est étroitement lié à l’intrigue. Ici, c’est un avertissement donné par les galants de la ville au vieil usurier Quicksands, qui doit épouser la jeune Millicent, laquelle y est forcée par son oncle. De plus, le masque s’intègre à la structure musicale de la pièce, car il sera complété par un second divertissement dansé à la scène iii de l’acte IV, qui n’est en fait qu’un stratagème pour

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duper Quicksands. Cette danse a elle aussi un caractère spectaculaire marqué : elle met en scène une danse de six Maures, en fait des personnages déguisés dont une actrice grimée en Maure. Cette danse est suivie de la pantomime grotesque d’un des personnages. Mais ce divertissement spectaculaire a aussi une fonction dramatique, puisque la danse n’est est en fait qu’une forme chorégraphiée de l’intrigue, tout comme le masque n’est autre qu’une intégration dramatique du principe des entrées.

31 Ce même principe est à l’œuvre dans The Antipodes, avec un degré supplémentaire d’intégration du masque à la structure dramatique. La comédie ne présente pas de masque à entrées comme tel, mais elle se sert du principe des entrées dérivé du masque comme principe structurel, cette fonction étant confirmée par le masque de l’acte V.

32 Dans The Antipodes, toute l’intrigue vise à guérir la folie d’un jeune homme, Peregrine. À cette fin, on va faire croire à Peregrine qu’il est transporté dans le monde parallèle mais inversé des Antipodes, un monde renversé qui est le reflet de sa propre folie. La présentation du monde renversé se fait à travers une série de personnages qui occupe la majeure partie de l’acte III et de l’acte IV. Chaque saynète montre les réflexions de Peregrine aux personnages qui défilent devant ses yeux. Toute cette partie tient à mes yeux de la pièce dans la pièce et du masque, car ce défilé de personnages, introduits par la musique des hautbois, semble venir tout droit des entrées à la française, par le traitement comme par le thème. Après un prologue, chacune de ces « entrées » est introduite et commentée par un personnage, exactement comme l’allégorie de la Fantaisie introduit les entrées de l’antimasque dans The Triumph of Peace (1634). De plus, le thème du monde renversé, de même que celui de la métamorphose, sont récurrents dans le ballet de cour15 : III.ii : Enter Lawyer and Poet III.iii : Enter a spruce young Captain III.iv : Enter Buff Woman III.v : Enter a Beggar and a Gallant III.viii : Enter Gentleman and Officer III.ix : Enter Citizen and Officer IV.ii : Enter a young Gentleman, and an old Servingman IV.iii : Enter Constable ad Watch IV.v : Enter Women and Man-scold IV.vi : Enter a Courtier (counting his money, and a second Courtier at a distance) IV.viii : Enter Carman and Waterman

33 Comme dans les entrées, la succession des personnages dans de courtes scènes (III.ii à III.vi, puis III.viii, III.ix…), illustre de façon assez lâche le thème du monde renversé. Elle rejoint aussi la pratique des entrées en ce que ce défilé délimite de fait au sein de la pièce un espace où le spectaculaire et le didactique – montrer à Peregrine, à travers la folie des hommes, sa propre folie) l’emportent sur la progression dramatique.

34 Ce long épisode n’en est pas moins lié par la thématique de la pièce au masque qui célèbre le retour de Peregrine à la raison (IV.xi, V.xi, V.xii). Y apparaissent la Discorde, la Jalousie, la Mélancolie. Après l’air d’introduction de la Discorde (« Song in Untunable Notes », V.xi) a lieu une danse des allégories de la Discorde. L’Harmonie s’avance ensuite, suivie de Mercure, Bacchus, Apollon, et chasse la Discorde et ses acolytes. La danse du groupe de la Discorde met en valeur l’entrée ordonnée du groupe de l’harmonie, contraste qui est renforcé par l’air de l’Harmonie, qui répond de façon symétrique à celui de la Discorde.

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35 Ce masque est ainsi plus proche du modèle jonsonien que des derniers masques caroléens, notamment par l’introduction de l’antimasque de la Discorde, qui met en valeur par contraste le retour de l’Harmonie. Le masque résume tout le mouvement de la pièce, y compris les scènes à entrées successives des actes III et IV. Si donc imprégnation il y a de la comédie par les structures du masque – en deux endroits au moins – et si cette présence du masque obéit à un souci de théâtralisation accrue, de grand spectacle, elle ne se fait pas au détriment de l’intérêt dramatique, sinon de façon passagère – il faut bien constater le passage d’une logique dramatique à une logique du spectacle, sans progression de l’intrigue, lors des entrées des actes III et IV. The Antipodes présente un recours important au masque et à ses structures, mais qui reste soumis à une logique dramatique, si importante que soit la participation de la musique à la comédie16. L’emprunt du masque devient ainsi un procédé dramatique à part entière, et même son côté spectaculaire contribue à souligner la progression de l’intrigue : les entrées des Antipodes mènent à la guérison du jeune Peregrine dans le cadre de l’intrigue de la pièce.

36 Dans The Antipodes comme dans The English Moor, l’utilisation même du principe des entrées opère donc dans un esprit très différent de celui de masques comme The Triumph of Peace ou de Salmacida Spolia. Le cadre dramatique réclame une cohérence entre le masque et l’intrigue principale.

37 L’influence du ballet de cour français modifie profondément le masque caroléen, et cette influence se retrouve dans le théâtre de Brome. Cette influence y est présente, mais gommée : car la décadence du masque jonsonien sous l’effet de l’influence française s’articule mal avec les besoins de la scène. L’insertion de masques témoigne d’une importance accrue du spectaculaire dans ces œuvres, ce qui est aussi un trait important de l’évolution sous influence du masque ; mais l’influence du ballet de cour (les entrées) provoque une dilution de l’intérêt et de l’unité dramatiques qui n’est pas compatible avec le développement cohérent de l’intrigue au théâtre. Ce peut être une des raisons pour lesquelles les masques de Brome semblent plutôt revenir au principe jonsonien d’une unité dramatique qui lie texte et musique.

38 L’utilisation du divertissement de cour dans ce théâtre ne permet pas de conclure à une quelconque décadence, au contraire de celle qui annonce le profond remaniement du masque à la Restauration. Au contraire, l’intégration du masque à la dynamique de l’intrigue mène à une intégration de l’élément musical à la structure dramatique au théâtre, alors qu’il n’est pas préservé dans le masque. Ainsi s’opère une hybridation bien plus réussie des genres17.

39 Du spectaculaire à la spéculation sur l’hybridation générique, l’utilisation du masque dans le théâtre de Brome approfondit un rapprochement entre musique et théâtre qui se poursuivra sous la Restauration. Sous influence française, sous influence mutuelle, masque et théâtre ne font peut-être encore sous Charles Ier que l’ébauche d’un genre nouveau : mais en tout cas « l’ébauche d’un grand spectacle18 ».

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NOTES

1. W. Cavendish, The Variety (1649), II.ii.44-47. 2. Dans P. Lacroix (éd.), Ballets et mascarades de cour de Henri III à Louis XIV, Genève, Slatkine Reprints, 1968, vol. 5. 3. De Pure, Idée des spectacles anciens et nouveaux, cité dans H. Prunières, Le Ballet de cour en France avant Benserade et Lully, Plan-de-la-Tour, Éditions d’Aujourd’hui, 1983, p. 168. 4. Dans D. Linley, Court Masques : Jacobean and Caroline entertainments 1605-1640, Oxford, O.U.P., 1995, p. 234. 5. J. Shirley, The Triumph of Peace, in English Masques, Londres, Blackie and Sons, p. 211. 6. Ibid., p. 219. 7. Voir O. Gombosi, « Some musical aspects of the English Court Masque », Journal of the American Musicological Society, vol. I, n° 3, 1948, p. 8-11. 8. English Masques, p. 227. 9. Ibid., p. 237. 10. Ibid., p. 241. 11. J. Shirley, Changes, IV.391-399. 12. Voir l’introduction de M. Lefkowitz, in Trois masques à la cour de Charles I, Paris, Éditions du CNRS, 1976. 13. R. Brome, The English Moor, I.iii.152-156. 14. Ibid., I.iii.160-166. 15. Ainsi dans le Ballet du Monde Renversé (1630) où l’on voit « une femme qui bat son mary », « un aveugle conduisant un clairvoyant ». Voir P. Lacroix, op. cit., vol. 6. 16. Pour une analyse complète de la pièce, il faudrait ajouter tous les épisodes musicaux tels que sonneries et chansons, qui contribuent à musicaliser l’ensemble de façon homogène et à renforcer le sentiment d’un divertissement hybride. 17. Certaines pièces sont en bonne partie chantées tant la proportion d’épisodes musicaux est élevée : ainsi dans 2 St Patrick in Ireland, de Shirley, où le personnage du Barde ne s’exprime pratiquement qu’en chansons. 18. H. Prunières, op. cit. p. 247. Il existe une continuité de l’influence française ainsi que du théâtre caroléen sur le théâtre musical de la Restauration : voir M. Lefkowitz, « Shadwell and Locke’s Psyche : the French Connection », Proceedings of the Royal Music Association, vol. LVI (1979-1980), p. 42-55.

RÉSUMÉS

Sous l’influence du ballet de cour français, le masque caroléen subit de profondes transformations, qui montrent l’érosion de l’idéal jonsonien, supplanté par la recherche du spectaculaire. L’antimasque tel qu’il avait été introduit par Jonson est dépouillé de sa fonction dramatique, tandis que sont massivement introduites les très descriptives entrées à la française. La métamorphose du masque de cour caroléen se reflète dans le théâtre contemporain. Changes, de James Shirley, critique sévèrement le masque nouvelle mode, tandis que The English Moor,

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comédie de Richard Brome, utilise des entrées à la française. Dans The Antipodes, la structure du masque imprègne celle de la pièce. Cependant, et en dépit des modifications apportées par l’influence française, les œuvres de Richard Brome utilisent les éléments du masque à des fins dramatiques, fidèles en cela au principe jonsonien d’union de la musique et du théâtre. Le jeu des influences annonce ainsi les nouvelles formes dramatico-musicales qui se développent à la Restauration.

Under the influence of the French “ballet de cour”, the Carolean masque undergoes deep structural transformations showing a shift from the Jonsonian concern for dramatic interest to an increasing emphasis on the visual and spectacular dimension of the masque. The Jonsonian antimasque tends to lose its dramatic function, and descriptive “entrées à la française” become the rule. The metamorphosis of the Carolean courtly masque is reflected in contemporary drama, as some plays by James Shirley and Richard Brome show. In Shirley’s Changes, the new features of the masque come under sharp criticism, while Brome’s comedy The English Moore uses entries after the French manner. In The Antipodes, the structure of the masque permeates the dramatic pattern of the play. However, in Richard Brome’s drama, the use of masque elements retains the Jonsonian principle of union between music and drama, thus announcing the rise of hybrid dramatic forms after the Restoration.

AUTEUR

CLAIRE BARDELMANN Auteur d’une thèse de doctorat sur la musique dans le théâtre élisabéthain. Elle a publié plusieurs articles sur la fonction symbolique et dramatique de la musique dans le théâtre de la Renaissance anglaise. Elle est maître de conférences à l’université de Metz.

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Stereotypical National Characterizations in the Europe of Shakespeare’s Day

Pauline Blanc

1 Any discussion concerning the Europe of Shakespeare’s day begs the question as to what Europe represented to Renaissance man. As the historian John Hale reminds us,1 scholars had known throughout the Middle Ages that they lived in a continent called by classical geographers “Europe” to distinguish it from Africa and Asia, the other land masses partly known to them, but the majority of people who lived in Europe were illiterate and had never heard of the word. Any knowledge of a world beyond their national borders derived from stories of martyrs, missionaries, crusaders or preachers. The clergy taught them that they were Christians, forming part of a continent, which had been chosen by divine providence to harbour the true faith: Christendom.

2 The notion of Christendom was secularised to that of Europe, a word which was colloquially vague, even if it became part of common linguistic usage in the second half of the fifteenth century. Europe adopted Ovid’s story of the abduction of Europa by Jove as its founding myth but, whether Christianised or demythologised, there is no hint that Europeans thought of themselves as owing anything material to this “Europa.” Even the great cartographer Abraham Ortelius wondered why the continent should be called Europe. He seems to have forgotten Herodotus’s interpretation of the myth: for the latter, Europe was Greece and all other lands were peopled with barbarians. In the sixteenth century a slightly different world view came into being: Europe was personified as a “dirigiste”2 figure conveying the idea of political and commercial superiority over the godless or the erroneous believers who peopled the other known continents (Asia, Africa and America).

3 Through increased travel and reading, people of one country came to learn more about those of other countries within the cartographic frame of this superior-minded continent. Information may open minds, but it will also feed prejudices and we find superimposed on the objective map of Europe a subjective map of stereotyped national characters in the writings of well-educated men, either intended as parodies or as

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serious observations. This paper seeks to explore some of the origins and reasons of certain stereotyped attributions that can be found in the works of Shakespeare and his contemporaries.

4 An Elizabethan audience in 1596 would have been familiar with the playful, xenophobic stereotyping that Portia indulges in when discussing her suitors. The Neapolitan prince loves horses too much; the County Palatine, being of the Calvinist branch of Protestantism, is “full of unmannerly sadness” (I.ii.49);3 God made Monsieur le Bon, so, in spite of his effeminate ways, it is implied, he may “pass for a man” (I.ii.53); the English Falconbridge “hath neither , French nor Italian” (I.ii.66-67) but has evidently travelled abroad and adopted continental fashions and manners to such a reprehensible extent that he has become the target of much ridicule and scorn from his fellow countrymen. The young German suitor is predictably reified as “a sponge” (I.ii. 95) for Rhenish wine, and the Scottish lord, whose abortive negotiations with Catholic France come under fire, is quickly dismissed as an unsuitable candidate for the lady’s hand. Portia’s allusions to the Prince of Morocco are tainted with the usual racial prejudice associated with blackness, that Renaissance emblem of barbaric alterity, that demonised other in its paradigmatic form, a black face — “the complexion of a devil” (I.i.124). The next-to-last of the suitors, the haughty Spanish Prince of Arragon, is dubbed a “deliberate fool” (II.ix.80) after the lesson in humility he is given through the dramatist’s device of the caskets.

5 Portia’s glib generalizations are dashed off in an automatic manner, reminding the spectator/reader of the etymological origin of the stereotype: a component of typography which could be easily reproduced. Like clichés, symbols, and slogans, stereotypes are easily assimilated and repeated. Portia’s xenophobic name-calling forms part of the collective imagination and, providing dramatic economy, enables Shakespeare to concentrate on three of the suitors, to contrast and compare the essential human values underlying the appearances of the pretenders to the hand of the lady of Belmont. The yardstick with which they are measured is given by Nerissa who praises Bassanio for being “a scholar and a soldier” (I.ii.109), that is to say a Venetian endowed with the two graces considered complementary in the Renaissance courtier. William Thomas’s History of (1549) provides the gloss to Nerissa’s allusion in its approval of the Italian students who “studie more for knowledge and pleasure, than for curiositee or luker,” and who are said to be “the greatest doers of tilting and feats of arms.”4

6 All the stereotypes that Portia articulates can be found in contemporary travelogues. Those which concern the intrinsic character of various nationalities circulated widely in early modern England and on the continent. They share common features in that they present both subjective understanding and misunderstanding of the culture observed. Travelogues being texts that are constructed after the events described have taken place, they evaluate experiences in terms of the writer’s identity and familiar contexts. Furthermore, writings and opinions of other travellers are often included instead of first-hand observation. Accuracy is therefore limited and the travelogues reveal much about the cultural assumptions of the writers themselves. Portia’s stereotypes consist in re-presentations of the nationalities re-viewed in Shakespeare’s re-working of the news and stories related by travellers.

7 Strikingly, authors from different countries often hold the same opinions about the national characteristics under consideration. The Italian writer Giovanni Botero, the

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English Fynes Moryson, and Shakespeare all report a tendency to drunkenness among Germans. In George Sandy’s A Relation of a Journey (1615) we find allusions to the Neapolitan gentry whom he says “delight much in great horses, where upon they prance continually throughout the streets” (4.257).5 In Botero’s Relations of the Most Famous Kingdoms (1608) we read that “the Spanish nation by nature is proud, yet base, and such as careth not though they be hated, so they may be feared.”6 In An Itinerary (1617), Fynes Moryson describes Frederick IV, Palatine and Elector, brought up in the Calvinist religion, as leading a very frugal life. In addition, Moryson refers to the uncouthness and drunkenness of the Germans and compares the Italians to the Turks in the following manner: For fleshly lusts, the very Turks (whose carnal religion alloweth them) are not so much transported therewith, as the Italians are (in their restraint of civil laws and the dreadful law of God). A man of these Northerly parts can hardly believe without the testimony of his own eyes and ears, how chastity is laughed at among them…7

8 He goes on to say that Italian men prefer not to get married in order to be at liberty to enjoy the favours of the renowned Italian courtesans. The married women and virgins, he claims, are locked up at home and wear veils when they go out. Since they have no conversation with men, he maintains, they will not miss the slightest opportunity to make cuckolds of their husbands, “though it be with the meanest servant.”8 Here we find an echo of Portia’s explanation for the Neapolitan’s horse mania: “my lady his mother played false with a smith” (I.ii.42-3). The Neapolitan’s portrait is smeared mainly because of over-indulgence in one skill or pleasure, considered as a deviation from the Renaissance civilised norm, which implied achievement of a Golden Mean through the avoidance of extremes and the practice of temperance.

9 It is interesting to compare the way in which the English were stereotyped by their continental neighbours. Italians and Germans alike accused them of being great lovers of themselves, and of having an antipathy to foreigners. During his stay in England between 1583 and 1585, the philosopher Giordano Bruno complained of being jostled and insulted. In 1586, George Pettie, a translator of Italian texts, lay the blame for such insults to the English on the influences which caused a change of behaviour in the English traveller when abroad. “England,” he claimed, “is the civilest country in the worlde; and if it be thought to be otherwise by strangers, the disorders of those traveylers abrode are the chiefe cause of it.”9

10 Although I realise an examination of the nature of the Jewish and Christian stereotypes in The Merchant of would not be amiss, the space allotted here disallows a fuller account, therefore I will limit my investigation to the Italian and Spanish stereotypes.

11 Up to the 1570s, the Italian peninsula was seen by natives and visitors alike mainly through the differing features of the independent states that comprised it. From the 1570s onward, generalized characterizations of Italians became common. When “ the Great” and “Naples the Noble” were under Spanish control and “Genoa the Proud” and “Florence the Fair” were tied to Spanish political aims, the peninsula was seen to be more homogenous. Only Venice remained separate, retaining her independence from Spanish power and resisting full commitment to the tight papal control of Catholic belief and organization that characterized the mid-sixteenth century Counter- Reformation. Italy became for outsiders politically and religiously one, the incorporated ally of Spain — in other words, England’s, France’s and the Netherlands’ chief enemy.10 This new status provided material for traditional insult.

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12 Although Italy had been the instigator of revived interest in classical antiquity, by the end of the sixteenth century Italomania was turning into Italophobia.11 The success of Italian manners had had a boomerang effect: hostility and mistrust of Italian cultural imperialism came to the fore in England and France, and elsewhere in Europe, and feelings of cultural inferiority are to be detected in the stereotypes and caricatures centring on the Italians and the Italianised.

13 In 1600, an English translator of Livy, Philemon Holland, warned his readers that they should not visit the Italy described by the Roman author “so farre degenerate are the inhabitants now from the auncient people, so devoute, so virtuous and uncorrupt in old time.” Here, as John Hale12 points out, he is echoing the opinion expressed thirty years earlier by Roger Ascham in The Scholemaster, and the famous warning he gave that an Italianate Englishman is a devil made flesh. This phrase was also common in where the Italianate German was “demonised” in the same terms.

14 There was a tendency to compare the Italians to the decadent Greeks, and rivalry between the men of letters of Europe gave rise to an anti-Italian tone in many literary works of the Northern countries.13 Erasmus claimed that Latin literature was being supplanted by that of the Northern countries and in England the Italian theatre was criticised, even though sixteenth and seventeenth century English playwrights ransacked the Italian literature for materials. In his dedication to his own play Promos and Cassandra (1578), George Whetstone refers to the Italian player as being “so lascivious in his comedies that honest hearers are greeved at his actions”.14 Thomas Nashe writes in Pierce Penniless His Supplication to the Devil: “Our players are not as the players beyond sea — a sort of squirting bawdy comedies that have whores and common courtesans to play women’s parts, and forbear no immodest speech or unchaste action that may procure laughter.”15

15 There is no hint of the pot calling the kettle black here, no qualms about the somewhat problematic and eccentric use of transvestite boys on the English stage. Only the viciousness of the foreign stage is called into question, and English Renaissance culture shows no morbid fear of homoeroticism, but instead a more accurate fear of losing control of their women’s chastity through their acting on the public stage. The prohibited aspects of homosocial behaviour are seen to be deflected onto women and onto Italians, and foreigners in general. Stereotyping represents a way for individuals of one group to assign to an Other a model of behaviour that they consider different from their own in order to guarantee and ensure allegiance to their own society. Elizabethan theatre, as Stephen Orgel has pointed out, is very much dependent on otherness: “Comedies are Italian, French or provincial, tragedies Spanish or Scandinavian or ancient: pastorals programmatically take place Somewhere Else.”16 Displacement achieves a distancing effect which makes the plays more acceptable to the censor.

16 In The Place of the Stage: Licence, Play and Power in Renaissance England, Steve Mullaney quotes a certain Thomas Platter who wrote, after visiting London and its theatres in 1599, that he noticed the English passed their time “learning from plays what is happening in other lands; indeed men and women visit such places without scruple since the English do not travel much, but prefer to learn of strange things and take their pleasures at home.”17 The foreign settings and displacement of eccentricity were not intended merely to satisfy curiosity. On occasion, the continent was staged in order to be held up as a mirror to English audiences. Thomas Lodge’s and Robert Greene’s

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Ninevah-based A Looking Glasse for London and England of 1594 has an explicit mirror function. The image of continental alterity is re-defined by the dramatists as English identity on this analogical stage of the late morality tradition. Several exempla are performed, followed by moralizing prophet- and angel-characters who point out the self-reflexive nature of the stereotypical scenes in which adultery, poisoning, usury, treachery, the breaking of filial bonds are displayed in foreign lands and courts and then related to life in the London of the day. The prophet-figure Jonas steps forward at the close of the play to make the displacement principle, that works throughout the play, even clearer to the audience: O London , maiden of the mistress-isle, Wrapt in the folds and swathing-clouds of shame, In thee more sins than Nineveh contains! Contempt of God, despite of reverend age, Neglect of law, desire to wrong the poor, Corruption, whoredom, drunkenness, and pride, Swoln are thy brows with impudence and shame, O proud adulterous glory of the west! Thy neighbours burn, yet dost them fear no fire; (l. 2508-2516)18

17 The results of the research of Bruno Bettelheim19 may be helpful in explaining the reasons for the great number of anti-Spanish caricatures that are to be found in the literature of the period in question. According to Bettelheim, stereotyping can be seen as a rationalisation of aggression and as a process whereby aggressiveness may be discharged through the act of stereotyping which consequently reveals the nature of the anxiety underlying the resulting stereotype. Spain’s conquests in Italy, its links through Charles V and the German Netherlands Hapsburg Empire, and the lead it took in representing the aggressive edge of revived, militant Catholicism provided Spain with an increased antagonistic presence in the mental constructs of Europeans, constructs which often took the form of anti-Spanish caricatures. The conquest of the Moorish kingdom of Granada in the late fifteenth century and the forcible conversion to Christianity of the Moriscos who chose to stay, the expulsion of nearly all Jews from the whole of Spain strengthened the native cult of racial purity,20 resulting in the consolidation outside Spain of what was seen as a chief indicator of the Spanish character, pride.

18 Furthermore, because the Germans were particularly insulted by Charles V’s use of Spanish troops against the Protestant cities and princes of the Schmalkaldic League in 1547, around a basic charge of cruelty clustered accusations of sexual licence and attempts to pervert the native honesty and decency of the German people. The fact that the Spanish forces systematically ransacked the cities and scorched the earth of the rebellious provinces of the Netherlands, along with reports about Spain’s treatment of prisoners in the Inquisitorial jails all helped spread belief in the instinctive cruelty of the Spanish character. In England, diatribes against the Spanish Inquisition, such as the Acts and Monuments (1570) of John Foxe, a Protestant activist, all intensified the anxiety caused by questions raised concerning freedom of religious belief, or conscience, and Catholic persecution of Protestants. Furthermore, the Spanish claim to the English throne, through Philip II, the former brother-in-law of Elizabeth who had served as co- regent of England with his wife Mary from 1553-58, fuelled hostility. Elizabeth had refused Philip’s offer of marriage after Mary’s death, and for the remainder of their respective reigns the rulers engaged in overt or covert battle over national, international and religious issues. The Pope had excommunicated Elizabeth in 1570 and

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posed a political threat to her reign by releasing her Catholic subjects from allegiance to her. Religious differences posed a political threat at home and abroad; English policy attempted to distinguish between Catholics who remained faithful to their queen, in spite of the Pope’s excommunication of her, and those Roman Catholics who sought to foment treason against England by joining with her enemies.

19 In The Merchant of Venice, onomastics contributes to the shorthand of stereotyping the Spanish, the Prince of Arragon’s name being conveniently close to the adjective “arrogant.” The reason he gives for not choosing the gold casket is that he wishes not to be ranked amongst “the barbarous multitudes” (II.ix.33). He opens the silver one instead, after a lengthy speech on “honour” — which could have come straight out of a Spanish “honour play” of the kind that Lope de Vega was writing at the time — and expects to be rewarded for his self-attributed merits. The mirror held up to him is the “portrait of a blinking idiot” (II.ix.54), the deserts of a “deliberate fool” (II.ix.80) who places too high a value on his own deserving, as Portia points out. In Shakespeare’s portrait of an ethnocentric stereotype we find an echo of the words of Claude Lévi- Strauss: “Le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.”21 A tamed Arragon leaves the stage, containing his anger, like a dog with its tail between its hind legs.

20 Onomastics is again the shorthand used by Shakespeare to shape audience reception in Love’s Labour’s Lost. If the play were written in the aftermath of the great defeat of the Spanish fleet in 1588, a Spaniard would provide a natural comic butt for the play, and his name, Don Adriano de Armado, is a none too subtle recall of the defeated Armada. Armado pictures himself as a warlike hero unmanned for love and orders Moth to give him examples of great men in love, implicitly comparing himself to the Hercules, Solomans and Samsons of the venerable past, and simultaneously exaggerating his own caricature. Armado is of course a character derived from the Commedia dell’Arte of the popular Italian stage. This character, a development from the Miles Gloriosus of Plautine comedy, had already been transformed in Italian comedy into a Spanish soldier of fortune, a familiar figure in Italy when much of it was garrisoned by Spanish armies. In Love’s Labour’s Lost, the Spaniard is the comic butt in what might be called a “charivari” that is designed to make an exhibition of the culprit who has violated the social norms and generated a good deal of anxiety in the process. Here the Spanish threat is temporarily removed in cathartic outbursts of laughter.

21 After Henry IV of France signed a peace treaty with Spain in May 1599, thereby isolating Protestant England to a certain extent, a series of plays appeared on the English stage transmitting and encouraging a “hysterical hatred of foreigners and stay-at-home politicians as in post-Armada jingoistic drama.”22 Although Archbishop Whitgift found it necessary to prohibit satirical plays in which state affairs were broached in only thinly disguised mythological analogies, Spain and her political manoeuvring, whether real or imaginary, her expansionist policy, her role in championing the Counter- Reformation continued to furnish the theatres with materials capable of satisfying a public who required what David Bevington calls “an inflexible set of attitudes including hostility to Spain and the Catholic Church.”23 This hostility grew as the negotiations for a Spanish marriage for Charles, the son of James I, brought the Spanish threat once again to the fore in England and initiated the destabilisation of the Stuart monarchy.

22 Thomas Middleton’s A Game at Chess, which was put on at the open-air Globe in August 1624, played for a record run of nine days to packed houses before it was suppressed at the king’s order. Unique in its boldness, the play appealed to an audience of mixed

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social status. Referred to in contemporary records as “our famous play of Gondomar,” its main box-office attraction was the caricature of the widely hated Spanish ambassador, a smooth, witty dissembler, popularly believed to have the ageing King James I under his thumb. The duplicity of the Spanish is greatly highlighted in the denouement with the disclosure of the foul play of the Spanish players whose real purpose was not to conclude a marriage agreement but to convert a heretical Protestant king and conquer his realm. Middleton’s play, which abounds in routine anti-Spanish stereotypes, offers a highly mediated record of the period’s perceptions of the Spanish. Such artistic perceptions of threats to a culture’s frontiers reflect the deeply felt need for powerful, national self-assertion which is both inspired and necessitated by a foreign threat.

23 The playwrights and travelogues of Shakespeare’s day played a role similar to that of the modern journalist. Members of an Elizabethan audience heard, like Ben Jonson’s Justice Overdo “with other men’s ears” and saw “with other men’s eyes” (Bartholomew Fair, II.i.27-28),24 and many of them, like Jonson’s Princess Pecunia were willing to pay for news of “Any, any kind / So be it news, the newest that thou hast” (The Staple of News, III.ii.17-18).25 As theatres and newsbooks became profitable business, stereotyping was deliberately tailored to suit the tastes and prejudices of contemporary audiences and readers. Consequently, box-office considerations consciously and unconsciously helped form something like a secular public opinion and from the 1580s onwards the commercial theatres, along with the pulpits of popular preachers and the cheap printing presses, became the equivalent to our mass media, produced under a general censorship which was almost exclusively political and religious. Simple-minded stereotypes developed into an awareness of the common good of the public weal, an approximation of the notion of nation.

24 Stereotypes may be attributed the same role as Marc Breitenberg (pace Freud) attributes to the notion of anxiety: “anxiety protects its subject as if it were a kind of psychic armour intended to safeguard the vulnerable ego within.”26 In the case of the stereotype, it is a psychic armour that distorts the truth, creating thereby a threat to authentic communication between individuals. Stereotyping, whether on the stage or through the developing newsbook trade, may be seen as a prelude to the tabloid newspapers which today still represent a threat to genuine, civilised communication between differing cultures, between a superior “us” and that Other, “them.”

NOTES

1. For the basic historical background to this study of stereotypes I am indebted to John Hale’s knowledgeable account of Europe from the fall of Constantinople to the start of the Thirty Years War: John Hale, The Civilization of Europe in the Renaissance (London: Fontana Press, 1993). I am equally indebted to Peter Burke’s portrait of the Renaissance which I have only been able to consult in translation: Peter Burke, La Renaissance européenne, trans. Paul Chemla (Paris: Éditions du Seuil, 2000).

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2. J. Hale, op. cit., 12. 3. All quotations from The Merchant of Venice are from the Arden edition, ed. John Russell Brown (London: Methuen, 1964). 4. John Russell Brown, op. cit., 20, n. 109. 5. Quoted in William Shakespeare: The Merchant of Venice: Texts and Contexts, ed. M. Lindsay Kaplan (Boston: Bedford/St. Martin’s, 2002), 129. 6. Ibid., 129. 7. Ibid., 167. 8. Ibid., 168. 9. See J. Hale, op. cit., 63. 10. Ibid., 61-62. 11. See P. Burke, op. cit., 207-210. 12. J. Hale, op. cit., 60. 13. See P. Burke, op. cit., 115-123. 14. George Whetstone, Promos and Cassandra, “Dedication to William Fleetewoode” (1578) in Norbert Platz, English Dramatic Theories, vol. 1. From Elyot to the Age of Dryden, 1531-1668 (Tübingen: Max Niemeyer Velag, 1973), 17. 15. Thomas Nashe, Pierce Penniless his Supplication to the Devil, in Thomas Nashe, vol. 1, ed. Stanley Wells (London: Edward Arnold, 1964), 66. 16. Stephen Orgel, Impersonations: the Performance of Gender in Shakespeare’s England (Cambridge: C.U.P., 1996), 12. 17. Steve Mullaney, The Place of the Stage: Licence, Play and Power in Renaissance England (Chicago: University of Chicago Press, 1988), 75. 18. Robert Greene and Thomas Lodge, A Looking Glasse for England, in Chief Pre- Shakespearian Drama, ed. Joseph Quincey Adams (Cambridge: Riverside, 1924), 146-147. 19. B. Bettelheim and M. Janowitz, Social Change and Prejudice, Including Dynamics of Prejudice (New York: Free Press of Glencoe, 1964). 20. J. Hale, op. cit., 64, 475-478. 21. Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire, coll. Folio/Essais (Paris: Denoël, 1987), 22. 22. David Bevington, Tudor Drama and Politics (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1968), 290. 23. Ibid., 288. 24. Ben Jonson, Bartholomew Fair in Three Comedies, ed. Michael Jamieson (Harmondsworth: Penguin Books, 1981), 325-459. 25. Ben Jonson, The Staple of News, ed. Anthony Parr, The Revels Plays (Manchester: Manchester University Press, 1999). 26. Mark Breitenberg, Anxious Masculinity in Early Modern England (Cambridge: Cambridge University Press, 1996), 6.

RÉSUMÉS

La teneur de l’article va consister à explorer les origines de certains attributs stéréotypés que Shakespeare et ses contemporains prêtaient à leurs voisins européens. La liste de ses prétendants

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que Portia passe en revue dans The Merchant of Venice (1596) est prise comme point de départ pour ensuite orienter notre exploitation vers une étude plus spécifique de l’Italien et de l’Espagnol. À une époque où les habitants d’un pays apprenaient à connaître ceux des autres pays à travers les voyages et la lecture, il semblerait que l’information alimentait plus les préjugés qu’elle n’ouvrait les esprits.

This paper seeks to explore some of the origins and reasons for certain stereotyped attributions that Shakespeare and his contemporaries lent their European neighbours. Taking as a starting- point the list that Portia runs off in her discussion of her suitors in The Merchant of Venice (1596), the focus is gradually narrowed down to stereotypes of the Italians and of the Spanish in an age when increased travel and reading seems to have fed prejudices rather than to have opened minds.

AUTEUR

PAULINE BLANC Pauline BLANC (BA (Hons.) French, agrégée de l’Université, docteur ès lettres) est actuellement maître de conférences à l’Université Lyon 3. Elle a soutenu une thèse sur « La vision tragi-comique de William Shakespeare et ses précédents dans le théâtre tudor » en mars 2000 sous la direction du professeur Francis Guinle. Elle a rédigé des articles sur Shakespeare et sur le théâtre pré-shakespearien et prépare une publication pour les Presses Universitaires de Lyon qui s’intitule : Du « théâtre du Vice » à Shakespeare : l’évolution du genre tragicomique sur la scène tudor.

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« Petruchio, I shall be your ben venuto » : Shakespeare, Jonson et la langue italienne Shakespeare, Jonson and the Italian language

Christophe Camard

1 Dans un de ses dialogues bilingues des First Fruites – ouvrage publié en 1578 – John Florio invente une conversation entre deux personnages italiens en visite à Londres et pour qui le choc culturel s’avère fort déroutant. En effet, lorsque son interlocuteur lui demande envers qui les Anglais sont les plus mal élevés, l’autre personnage répond : Toward Strangers : and few of these English men delight to have their chyldren learne divers languages, whiche thing displeaseth me. When I arrived first in London, I could not speake English, and I met above five hundred persons, afore I could find one, that could tell me in Italian, or French, where the Post dwelt1.

2 Les personnages italiens de ce long dialogue bilingue évoluent dans un pays qui leur semble étrange, barbare, fermé à toute influence étrangère et surtout à toute langue étrangère, alors que, comme le dit un des personnages, l’Anglais est « a language that wyl do you good in England, but passe Dover, it is woorth nothing2 ».

3 Dans ses Second Fruites publiés treize ans plus tard – en 1591 – John Florio nous dépeint une atmosphère très différente. Ses personnages semblent en effet évoluer dans un pays beaucoup plus ouvert aux influences étrangères, dont les habitants souhaitent apprendre les principales langues européennes. Comme le montre très bien Frances Yates dans son ouvrage sur la vie de Florio, nombreux sont d’ailleurs ceux qui enseignent ces langues à Londres, qui rédigent des ouvrages sur le modèle des Fruites de Florio ou qui travaillent à la rédaction de dictionnaires. Si en l’espace de quelques années, l’attitude des Anglais a changé, c’est parce que, nous dit Frances Yates, l’Angleterre a été gagnée par l’esprit d’ouverture qui caractérise la Renaissance3.

4 Or, c’est au cours de ces années 1590 que l’Italie fait son apparition comme lieu scénique dans le théâtre anglais. Mais bien souvent les dramaturges tels que Shakespeare et plus tard Ben Jonson ne se contentent pas d’utiliser l’Italie comme un

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simple lieu mentionné au début de la pièce et qui n’aurait aucun rapport avec le pays réel. Nombreux sont en effet les éléments de couleur locale qui visent à ancrer l’action dans un pays différent, exotique, pays que l’immense majorité du public ne connaît bien sûr pas. Pour faire exister sur la scène ce pays, pour bien insister sur son caractère exotique, le dramaturge ne peut pas vraiment s’appuyer sur les décors qui sont presque inexistants (décors qui de toute façon n’apporteraient rien s’ils existaient, puisque le spectateur n’a sans doute aucune idée de ce à quoi ressemble l’Italie). Il va alors s’appuyer sur un autre type de décor que j’appellerai décor auditif, c’est-à-dire fondé sur les mots italiens qui parsèment les pièces de Shakespeare qui ont l’Italie pour cadre et Volpone de Ben Jonson. En cela, le théâtre de ces deux dramaturges témoigne du nouvel engouement pour les langues étrangères et les pays étrangers et l’accompagne, sans doute en répondant à une certaine demande du public, mais aussi en la provoquant. On peut alors se demander comment ce décor auditif se met en place, sur quel type de mots il porte, mais surtout quelles sont les sources qu’utilisent Shakespeare et Ben Jonson, dont la connaissance de l’italien n’est pas forcément avérée. On a toujours supposé que Florio (ses First et Second Fruites, son dictionnaire A World of Words dont la première version est publiée en 1598) était l’unique source où l’on allait puiser les mots italiens dont on avait besoin. Or, ce dernier n’est peut-être pas la seule source, même si son influence demeure primordiale. Si le lien entre Florio et Ben Jonson est à peu près avéré (le British Museum possède en effet une copie de Volpone dédicacée à Florio), on a beaucoup glosé sur l’éventuel lien entre Florio et Shakespeare. En effet si l’on sait que les deux personnages ont dû se croiser et se connaître à certaines époques de leur existence (autour de Southampton notamment), il n’existe malheureusement aucune preuve directe, aucune lettre de l’un ou de l’autre, aucune dédicace prouvant qu’ils se connaissaient personnellement. De plus, certaines différences fondamentales apparaissent à l’étude des textes des pièces entre Shakespeare et Ben Jonson. Chez Jonson, il s’agit beaucoup plus de reprendre directement des mots lus ou appris ailleurs et parfois de les accumuler de façon pédante, comme pour s’en moquer, comme dans la scène ii de l’acte II de Volpone, où Volpone se fait passer pour un « mountebank ». Chez Shakespeare, la langue italienne fait l’objet d’une utilisation pour ainsi dire plus subtile et aussi plus rare. Certes, certains mots ou citations sont souvent repris tels quels, mais la plupart du temps l’auteur y ajoute sa touche personnelle, utilise ces mots étrangers afin de créer des jeux de mots porteurs de sens, si bien que Shakespeare dépasse le simple effet de couleur locale et cherche aussi à enrichir la langue anglaise afin de démultiplier les significations des mots de façon presque anamorphotique.

5 Le premier élément du décor auditif façonné dans les pièces italiennes de Shakespeare et dans Volpone, ce sont bien sûr les noms de personnages. Ce sont tous ces noms italiens qui font entrer le spectateur dans un univers étranger et exotique. Chacun des deux dramaturges use abondamment de ce procédé qui est le plus simple mais qui peut aussi donner lieu à de multiples études et interprétations. Les noms des personnages sont en effet sources de jeux de mots nombreux ; ils sont souvent réinventés, refabriqués.

6 Si l’on regarde bien la longue liste des personnages italiens de Shakespeare, on s’aperçoit très vite que les noms italiens authentiques et véritables sont souvent ceux des personnages secondaires (par exemple Leonardo, Stephano ou Lorenzo dans The Merchant of Venice ; Lodovico, Gratiano ou Emilia dans Othello ; Lucetta et Antonio dans The Two Gentlemen of Verona), ce qui renforce l’idée d’un décor auditif ou onomastique

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autour des personnages principaux. La plupart de ces noms italiens ne sont pas présents dans les textes sources, soit parce que les personnages sont inventés, soit parce qu’ils correspondent à des personnages qui n’ont pas de nom dans la source. Il est bien difficile de savoir quelle est la source de ces prénoms, puisque ni le dictionnaire de Florio ni ses Fruites ne contiennent de prénoms. On peut cependant remarquer que jamais Shakespeare n’utilise les prénoms italiens les plus courants et qui sont ceux des apôtres : Giovanni, Pietro, Paolo, Luca. Ces noms de personnages secondaires sont la plupart du temps des noms authentiques qui n’ont pas de sens particulier ou dont le sens est sans rapport avec l’action ou la fonction du personnage.

7 En revanche, pour les personnages de premier plan, Shakespeare et Ben Jonson utilisent souvent les ressources de la langue italienne afin de donner un sens précis au nom du personnage. C’est là un procédé évident dans Volpone où chaque personnage a un nom italien lié à sa personnalité. Ainsi le nom de Volpone signifie littéralement « gros renard ». Florio nous donne dans son dictionnaire une deuxième définition qui correspond à un sens figuré : « Also an old crafty, subtle sneaking companion », définition qui correspond tout à fait au personnage. On peut faire la même analyse avec Voltore l’avocat : « a ravenous bird called a vultur », Corvino, le petit corbeau, Corbaccio, le sale corbeau (Florio nous dit : « a filthy great raven ») ou Mosca, la Mouche. Ce qui est intéressant ici, c’est que Florio ne se contente pas de transposer des noms d’animaux ou d’oiseaux de proie, il utilise une des règles particulières de la grammaire italienne, celle des suffixes augmentatifs, diminutifs ou dépréciatifs comme « -one », « -ino » ou « -accio ». Cette règle est mentionnée sans être vraiment expliquée dans les First Fruites de Florio : il évoque la possibilité d’utiliser des « diminishers » et des « augmentours ». Les explications sont beaucoup plus détaillées dans une annexe de l’édition de 1611 de son dictionnaire. Mais cette règle est également expliquée en détails dans la grammaire de John Sanford4 publiée en 1605, autre source possible pour Ben Jonson. Shakespeare, lui, use très peu de ce procédé, sauf dans le cas de Lucetta déjà mentionné et celui de Petruchio (littéralement : « le joli ou gentil petit Pierre ») dans The Taming of the Shrew. Toutefois, ces deux prénoms existent plus ou moins en tant que tels et Shakespeare n’avait peut-être pas conscience de la présence de ces suffixes. On trouve cependant de très nombreux jeux sur le sens italien des noms. On peut évoquer entre autres le nom de Gobbo qui signifie « le bossu » (« hunch or croope- backt » nous dit Florio), ce qui n’est pas sans rappeler la silhouette du Polichinelle de la Commedia dell’Arte ou la statue de « Gobbo di Rialto » érigée au XVIe siècle par Pietro da Salò sur laquelle les Vénitiens avaient l’habitude d’accrocher des petits billets dans lesquels ils ridiculisaient le clergé ou les Patriciens. On peut également citer Mercatio qui renvoie à la fonction de marchand dans The Two Gentlemen of Verona (il est même qualifié de « rich Mercatio5 »), ou bien Salerio dans The Merchant of Venice, qui indique aussi la fonction de marchand du personnage avec le jeu sur « salaire » ou bien sur le « salarius » latin qui signifiait « marchand de poisson ». Quant à Cambio dans The Taming of the Shrew, qui signifie « changement », c’est naturellement le nom que prend Lucentio lorsqu’il se déguise en professeur de latin. Certains ont une consonance italienne mais sont apparemment totalement inventés : c’est le cas d’Othello. En effet, le personnage n’a pas de nom dans la nouvelle de Cinzio : Othello n’est qu’un « Capitaine Maure ». Le nom d’Othello qui a une forte consonance italienne, malgré son origine étrangère, avec notamment ses deux « l » a donné lieu à de très nombreuses études contradictoires : certains veulent y voir une allusion à une origine ottomane par exemple. Toutefois, il est plus intéressant de se pencher sur une éventuelle origine

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italienne du nom. On trouve en vénitien le terme « osella », nom de la médaille que remettait chaque année le Doge aux Vénitiens les plus valeureux, ce qui correspond tout à fait à l’image du personnage au début de la pièce. Cependant, ce terme n’est pas présent chez Florio. Il y a une autre explication possible, et que je trouve très séduisante, c’est celle du lien entre le nom de « Maure », nom qui lui est donné dans la source, et celui de la grande famille vénitienne Moro – même mot en italien – qui a donné à Venise un Doge et de nombreux généraux dont un qui a précisément servi à Chypre en 1508. Le blason de cette famille contenait des mûres, ce qui rappelle les fraises brodées sur le mouchoir d’Othello et qui ne sont pas mentionnées chez Cinzio. Dans son livre A Dictionary of the Characters and proper Names in the works of Shakespeare6, Frances Griffin Stokes affirme avoir trouvé le nom complet et plus ancien de cette famille qui serait « Otelli del Moro ». Cela semble être l’explication la plus plausible, même s’il est bien difficile de savoir comment Shakespeare a pu avoir accès à cette information. On remarquera enfin que tous ces noms de personnages sont des prénoms et que les noms de famille n’apparaissent pratiquement jamais, sauf celui des Montagues et des Capulets (Montecchi et Capelletti en Italien, noms qui apparaissent déjà chez Dante et que Brooke avait traduits ou adaptés avant Shakespeare), ou encore le nom de la famille Minola dans The Taming of the Shrew. Ce dernier nom n’apparaît dans aucune source. C’est un nom typiquement italien, plutôt d’origine lombarde, encore très présent aujourd’hui. On trouve également le nom de la famille des Bentivolii, famille de Lucentio : ce n’est pas un nom pisan mais plutôt un nom originaire d’Emilie-Romagne, puisque les Bentivogli étaient effectivement une puissante famille bolonaise aux XVe et XVIe siècles. Les noms de famille comme Bentivolii ou Minola produisent un effet de couleur locale très fort.

8 L’usage de la langue italienne ne se limite pas aux noms de personnages. Si c’était le cas, l’exotisme du décor auditif semblerait bien artificiel et limité. Les mots italiens sont aussi souvent utilisés dans les conversations entre les personnages. Ce sont ces mots-là qui apportent sans doute la touche italienne la plus marquée, puisqu’ils font des personnages des étrangers aux yeux du public : certains mots de leur langue sont différents, leurs fonctions sont différentes, les titres qu’on leur attribue sont différents ou bien encore les moyens de transport ou lieux qu’ils fréquentent ont des noms aux consonances étrangères. Il semble évident que Shakespeare et Ben Jonson ont dû faire dans ce domaine des recherches plus ou moins poussées, dans le but d’apporter cette touche d’étrangeté et d’exotisme linguistiques. Ainsi, par le biais de quelques mots, c’est tout un monde politique, publique, de relations entre les personnages qui apparaît comme étranger.

9 Parmi ces mots italiens, les plus nombreux sont sans doute ceux qui correspondent à des fonctions politiques et publiques ou bien à des organes politiques ou judiciaires, notamment à Venise. Ben Jonson les utilise abondamment dans Volpone : on trouve des termes comme le « Scrutineo » (sorte de tribunal vénitien) ou bien le « Lazaretto » (hôpital où l’on mettait en quarantaine les malades de la peste), ainsi que des expressions politiques comme « ragion del Stato » (avec une faute sur l’article qui aurait dû être « dello ») D’autres organes politiques sont en revanche traduits : ainsi l’on trouve « the Senate », « the Great Council », « the Forty », « the Ten », termes précis qui renvoient à des organes politiques vénitiens réels. On ne trouve pas la même précision chez Shakespeare puisque seul le terme « senator » apparaît dans Othello et que d’autres termes tels que « consuls » ou « Signiory » ne correspondent pas à la réalité vénitienne. Si la plupart de ces termes sont traduits, c’est parce que la source

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utilisée n’est pas Florio – la plupart de ces termes ne sont ni dans son dictionnaire ni dans ses Fruites – mais plutôt des ouvrages traduits en anglais qui en donnent uniquement la traduction. Ainsi, la source principale est le livre de Lewkenor, The Commonwealth and Government of Venice publié en 1599. Mais ce livre n’est qu’une traduction du De magistratibus et Repubblica Venetorum de Contarini, ouvrage écrit en latin et publié en 1540. Contarini est mentionné dans Volpone, à la scène i de l’acte IV, lorsque Sir Politic dit « I had read my Contarene », comme si son livre était la Bible de tout voyageur se rendant à Venise. Si les termes d’ordre politique ne sont présents que dans les pièces qui ont Venise pour cadre, c’est en grande partie parce que nombreux étaient les ouvrages du même type qui décrivaient le régime politique vénitien, régime qui fascinait toute une partie de l’Europe. En ce qui concerne les fonctions elles-mêmes, on en trouve très peu chez Shakespeare en dehors des termes « Senator » dans Othello ou encore « special officers of the night » qui correspond aux « offizieri di notte », sorte de police nocturne à Venise. En revanche, Ben Jonson fait un effort particulier en la matière, puisqu’il accumule des termes tels que « avocatori », « notario », « commandatore » ou encore « saffi » (sortes d’huissiers) : tous ces termes sont dans le dictionnaire de Florio et le fait de ne pas les traduire renforce l’effet de couleur locale.

10 Chez Ben Jonson, la recherche de couleur locale est, semble-t-il, bien plus poussée que chez Shakespeare en ce qui concerne les noms de lieux. On trouve les principaux noms de lieux vénitiens tels que « St Mark » à quatre reprises, « the Rialto », « the Grand Canal », « the Arsenale ». Là encore, Jonson utilise plutôt les versions traduites, sans doute parce que ce sont des mots qu’il a souvent vus dans des ouvrages anglais ou traduits en anglais et non chez Florio qui mentionne seulement le Rialto dans son dictionnaire. C’est ce même Rialto qui, dans The Merchant of Venice de Shakespeare, est vu comme le centre de l’espace vénitien où se retrouvent les marchands, ce qui justifie la question récurrente de Shylock : « what news on the Rialto ? » Le centre névralgique de la Venise de Jonson semble plutôt être la Place St-Marc dont le nom revient très souvent, ainsi que le terme « piazza ». Ce terme très difficile à traduire en anglais (Florio lui-même ne trouve pas une très bonne définition avec « any market-place, a chiefe street or broad way in any cittie or town ») est un élément de couleur locale et d’exotisme très fort. Si la Venise de The Merchant of Venice est une Venise de l’argent, des marchands, des échanges et donc du Rialto, celle de Ben Jonson est plutôt une Venise de la « Piazza », c’est-à-dire celle de tous les citoyens, y compris les escrocs et les charlatans. Il est un nom de lieu intéressant, encore à Venise mais cette fois dans Othello, et qui a donné lieu à de nombreuses interrogations, c’est le fameux « Sagittary ». Beaucoup ont voulu voir dans ce nom celui d’une taverne. Or, si c’est le cas, il s’agit d’un nom inventé car aucune taverne n’a jamais porté ce nom à Venise. Wilson Knight a émis une autre hypothèse : le nom « Sagittary » pourrait renvoyer à l’Arsenal, résidence d’Othello qui est général, puisque l’entrée de l’Arsenal était surplombée d’une statue d’archer. Pourtant, jamais le nom de « Sagittaire » n’a été utilisé pour désigner l’Arsenal. Pour ma part, je préfère une autre explication. Le Sagittaire serait plutôt la rue qui s’appelle « Frezzarìa ». C’est une petite rue qui existe encore aujourd’hui. Le terme « frezza » signifie « flèche » : la « frezzarìa » était une rue où l’on trouvait des fabricants d’armes, et notamment de flèches. Il semble curieux, au premier abord, que Shakespeare ait souhaité transformer le nom de « frezzarìa » en « Sagittary ». Mais cette transposition s’explique grâce au livre d’Antonio Sabellico, De Situ Orbis, publié en 1560, ouvrage écrit en latin et qui décrit la ville de Venise, ses rues, ses places et ses palais. Or, dans ce livre qui a dû circuler en Angleterre, la « frezzarìa »

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s’appelle « vicus sagittarius ». N’ayant pas le nom italien à sa disposition, Shakespeare a tout simplement anglicisé le nom latin. On peut également s’arrêter un instant sur les noms de moyens de transport qui, là encore, ne sont présents que lorsqu’il s’agit de Venise chez Shakespeare. En effet, comme chez Ben Jonson, on trouve le terme « gondola » dans The Merchant of Venice et « gondolier » dans Othello. On trouve ce terme chez Florio mais aussi dans tous les livres qui portent sur Venise. En revanche, il y a deux autres termes plus intéressants à étudier : « argosy » et « traject » dans The Merchant of Venice. « Argosy » qui apparaît auparavant chez Marlowe, est la version anglaise de l’italien « ragusea », nom qui désigne les navires marchands vénitiens et qui renvoie à la ville de Ragusa, actuelle Dubrovnik, comptoir vénitien où l’on fabriquait ces navires. L’anglais « argosy » a été formé à partir de l’autre nom de Ragusa : Aragusa ou Arragossa. Le terme « traject » ou « tranect », quant à lui, pose problème. Il apparaît dans la bouche de Portia à la scène iv de l’acte III : « Bring them (I pray thee) with imagin’d speed / Unto the traject, to the common ferry / Which trades to Venice ». Certains, comme Mario Praz7, ont voulu y voir une version anglaise de l’italien « traghetto ». Le problème, c’est que « traject » ne peut pas ici être le « traghetto » ici car le « traghetto » n’est qu’une simple gondole ou barque qui permet de traverser un canal dans Venise. Ce n’est en aucun cas le « common ferry » qui permet de se rendre à Venise depuis la terre ferme. Ce navire-là, beaucoup plus gros qu’un « traghetto », s’appelait le « burchio ». On peut bien sûr supposer qu’il s’agit là d’une erreur de Shakespeare car il ne savait pas exactement ce qu’était le « traghetto », même si Florio en donne une définition assez précise. Pourtant, si l’on analyse bien le vers, la présence du « to » au milieu de la phrase indique que « traject » et « common ferry » ne sont pas une seule et même chose : le « traject » est plutôt une étape avant d’atteindre « le common ferry ». Or, cette étape ne peut qu’être, à mon sens, un embarcadère ou bien encore le mécanisme appelé « carro » par lequel des chevaux soulevaient les navires afin de les faire passer de la Brenta à la lagune de Venise. Si l’on retient cette interprétation, « traject » n’est pas un mot italien mais plutôt le mot anglais que Shakespeare a choisi pour désigner ce mécanisme dont il ignorait le nom.

11 Comme on vient de le voir, c’est donc tout un univers de mots qui renvoient à des fonctions, à des lieux ou à des moyens de transport que Ben Jonson et Shakespeare créent, à chaque fois qu’ils le peuvent. Mais l’un et l’autre, de façons différentes, vont plus loin en tentant de faire entrer la langue italienne dans le langage ordinaire de leurs personnages, si bien que ce n’est pas seulement le cadre public mais aussi les personnages eux-mêmes qui sont des étrangers aux yeux du public.

12 Le signe le plus évident de la présence de l’italien dans le discours des personnages, ce sont bien sûr les interjections de toutes sortes. Elles ont l’avantage de souligner le caractère naturel de l’italien et en même temps de ne pas empêcher la compréhension du discours pour le public. Assez présentes chez Shakespeare, elles sont pratiquement absentes de Volpone, si l’on fait l’exception de la principale d’entre elles, à savoir le terme « Signor », présent également dans toutes les pièces de Shakespeare. Curieusement, il n’apparaît qu’une fois dans The Two Gentlemen of Verona, alors qu’on trouve à plusieurs reprises le terme « Don » (dans « Don Alphonso » ou « Don Antonio ») qui n’est pas utilisé en Italie pour des laïques mais plutôt en Espagne où il sert à désigner des personnes nobles. C’est plus tard, avec la domination espagnole, qu’il apparaîtra, essentiellement en Italie méridionale. Ainsi, sa présence dans Much Ado About Nothing est parfaitement justifiée. Au premier acte de The Taming of the Shrew, on trouve l’interjection « Basta » dont la source est sans doute Florio puisqu’on le trouve

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dans ses Fruites ainsi que dans son dictionnaire. On peut également citer le « ay me » prononcé par Romeo puis par Juliette dans Romeo and Juliet, très certainement issu du « aimè » que l’on trouve souvent dans la poésie italienne, notamment chez Pétrarque, et qui signifie « hélas » Enfin, je citerai un dernier exemple intéressant, c’est celui de l’interjection « via » que Florio traduit au chapitre 5 de ses Second Fruites par « goe to » On trouve le terme tel quel dans la bouche de Falstaff dans The Merry Wives of Windsor : « go to, via ! » (II.ii.145). Mais il n’est jamais présent tel quel dans les pièces dont le cadre est italien. Pourtant, on trouve « fia » dans The Merchant of Venice, sorte de terme hybride (formé à partir du « via » italien et du « fie » anglais) prononcé par Gobbo qui est lui-même un bouffon hybride, puisqu’il est à la fois « Gobbo » et « Launcelot ». À ces interjections, il faut ajouter les nombreux termes d’escrime italiens qui sont présents à chacun des combats dans Romeo and Juliet et qui ont très certainement une valeur ironique. Ces expressions telles que « punto riverso » (en réalité l’expression juste est « punta riversa »), « alla stoccata », « passado » (terme d’origine espagnole) ou encore « hay » (de l’italien « hai » dans « hai il colpo ») sont prononcées par Mercutio pour ridiculiser la façon dont se bat Tybalt, lui qui est « a very good blade » et qui, comme les maîtres d’escrime italiens installés à Londres, considère le duel comme un art et non comme une activité violente. La source de ces termes d’escrime n’est pas Florio mais plutôt Vincenzo Saviolo, maître d’escrime italien installé à Londres et qui a publié un manuel en 1595 intitulé Practice. Ce Saviolo était au centre d’une controverse et Shakespeare semble être de ceux qui se moquent de lui puisqu’il l’identifie au personnage de Tybalt. Florio lui-même, ami et défenseur de Saviolo, le mentionne dans ses Second Fruites sous l’appellation « Master VS » et le décrit comme « that Italian that lookes like Mars himself8 ». Il est alors présenté comme un être raffiné venu apprendre l’art du duel à des Anglais qui se battent comme des Barbares. On peut considérer que ces termes d’escrime italiens ont une double fonction : tout d’abord ils servent à ridiculiser Saviolo et ses élèves (sans doute un bon acteur doit-il les prononcer de façon exagérément raffinée), mais aussi, par le biais de l’escrime et de son vocabulaire, ils ont un effet de couleur locale très fort. Il semble en effet qu’une partie du public associe l’Italie à l’escrime et à l’art du combat, pour s’en moquer ou pour l’admirer.

13 Enfin, il faut s’intéresser de plus près au premier acte de The Taming of the Shrew. En effet, c’est là, très certainement, que Shakespeare réussit le mieux à produire cet effet de couleur locale grâce aux phrases italiennes entières qui s’y trouvent. C’est le seul exemple de cette méthode dans toute son œuvre si l’on fait exception du proverbe sur Venise prononcé par Holofernes dans Love’s Labour’s Lost. On y trouve ces phrases notamment : « Mi perdonato » (I.i.25), « Con tutto il cuore ben trovato » (I.ii.24), « Alla nostra casa ben venuto, molto honorato signor mio Petrucio » et encore « Petruchio, I shall be your ben venuto » (I.ii.280). Toutes les éditions de la pièce précisent en note que ces phrases proviennent des Fruites de Florio, mais je nuancerais un peu cette affirmation. Il est vrai que les Second Fruites sont la source utilisée. Pourtant, si on lit en détail les Second Fruites, on s’aperçoit qu’aucune de ces phrases n’est recopiée à l’identique. Toutes sont en réalité réécrites, refabriquées par Shakespeare à partir de morceaux de phrases existants. En effet, on trouve chez Florio des fragments tels que « siate il molto ben trovato », « honorato sarò io » ou encore « con tutto il cuore ». Il semble donc qu’après la lecture ou l’étude des Second Fruites, Shakespeare ait voulu en quelque sorte écrire son propre italien en compilant des expressions qui chez Florio n’apparaissent pas ensemble. Cela tend à prouver que Shakespeare a quelque peu étudié l’italien dans les Fruites, en tout cas suffisamment pour être capable de faire cette compilation et

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d’aboutir à des phrases où sont accumulées différentes formules de politesse. On constate cependant une erreur sur « mi perdonato », expression qui n’est pas italienne et qui aurait dû être, comme chez Florio, « perdonate mi ». Ben Jonson n’utilise quant à lui jamais cette technique qui consiste à insérer des phrases italiennes entières dans le texte. Il préfère insérer de simples mots qui proviennent sans doute tous du dictionnaire de Florio et aboutir ainsi à une sorte de langue hybride dans certaines scènes. Le meilleur exemple est la scène ii de l’acte II où Volpone, déguisé en « mountebank », devient tellement italien qu’il prononce des phrases bilingues telles que : « I was condemned a sforzato to the galleys » ou « I cannot endure to see the rabble of these ground ciarlatani ». La création d’une langue hybride, chez les deux dramaturges, témoigne de cet engouement nouveau pour les langues étrangères dont Florio est lui-même le symbole.

14 Cette langue parfois hybride nous montre à quel point les deux dramaturges tentent de faire en sorte que les deux langues soient imbriquées. Au-delà des mots italiens souvent présents dans le texte, on peut donc aussi s’interroger sur l’influence sous-jacente de l’italien sur le texte anglais. En effet, il me semble intéressant d’étudier les éventuels jeux de mots qui sont suggérés par l’italien, surtout chez Shakespeare. Je reprendrai tout d’abord les exemples donnés précédemment : le « aimè » de la poésie italienne qui devient en anglais « ay me » ou bien le terme d’escrime « hai » qui devient « hay ». Ces exemples là sont assez nombreux mais il ne s’agit que d’une modification orthographique et sonore d’un mot. Plus intéressants sont les exemples qui donnent lieu à des doubles sens ou à des sens multiples. C’est le cas du mot « fig » que Iago emploie dans un de ses monologues lorsqu’il dit « Virtue ? A fig ! ’tis in ourselves that we are thus, or thus » (I.iii.320). Or, cet usage du terme « fig » est directement issu de l’italien. Mais il peut avoir plusieurs sens : soit il s’agit de la traduction du terme « fico » qui renvoie au fruit et qui est utilisé au sens figuré pour désigner une chose sans valeur, sans intérêt ou sans crédibilité, soit il s’agit de « fica », juron italien qui s’accompagne généralement d’un geste qui consiste à mettre le pouce entre l’index et le majeur et à tendre le bras. Il s’agit là d’un geste obscène que l’on fait pour montrer son mépris. C’est un geste très courant en Italie à l’époque qui est même évoqué chez Dante où un damné de l’Enfer se permet de le faire en direction de Dieu : « le voleur / Leva les deux mains en faisant la figue : / Dieu, cria-t-il, tiens, c’est pour toi » (chant XXV)9. Ce sens du mot « fica » est donné chez Florio. Sa définition est la suivante : « a flurt with ones fingers given or shewen in disgrace ». On peut très bien imaginer Iago faisant ce geste en direction du public ou de Roderigo. De la même façon, on peut s’interroger sur le terme « cats » qui, dans Romeo and Juliet, est associé à Tybalt qui est « prince of cats ». N’y a-t-il pas un rapprochement à faire avec l’italien « cazzo » présent dans le dictionnaire de Florio ? Il s’agirait bien sûr d’une injure de la part de Mercutio et elle serait dans la continuité des nombreux jeux de mots grivois qui parsèment la première scène de la pièce.

15 Pour terminer et toujours pour insister sur cette idée selon laquelle l’italien peut influencer la langue anglaise, je souhaiterais brièvement revenir sur les Fruites de Florio eux-mêmes. En effet, le texte des Fruites a, semble-t-il, beaucoup influencé les deux dramaturges qui se sont aussi intéressés à la partie anglaise du texte. En effet, plus que de simples manuels de langue étrangère, les Fruites sont une œuvre littéraire à part entière où l’on trouve de très nombreux proverbes d’origine anglaise ou italienne, ainsi que des situations dramatiques – car il s’agit avant tout de dialogues – fort

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intéressantes. On peut à ce titre citer le célèbre proverbe sur Venise que reprend Holofernes (« Venetia, Venetia, Chi non ti vede, non ti pretia ») : il est directement puisé chez Florio, ce qui pousse certains commentateurs à dire que Holofernes serait une caricature de Florio. Mais on peut également citer la phrase « fruitful Lombardy, / The pleasant garden of great Italy » au début de The Taming of the Shrew, phrase qui est une reprise de celle de Florio au chapitre 19 des First Fruites : « Lombardie is the garden of the world ». Des passages entiers sont, à mon avis, également inspirés de Florio, comme le passage dans Othello où Iago critique les femmes : … you are pictures out of doors, Bells in your parlours, wild-cats in your kitchens, Saints in your injuries, devils being offended Players in your housewifery, and housewives in… Your beds… (II.1.109-112)

16 Ce passage fait écho à la description des femmes que nous livre un des personnages de Florio au dialogue 12 des Second Fruites : « Women are in churches, Saints : abroad, Angels : at home devills : at windowes Syrens : at doores, pyes : and in gardens, Goates. » Ben Jonson est lui aussi à l’évidence inspiré par Florio lorsqu’il écrit les dialogues entre Sir Politic et Peregrine, deux voyageurs anglais qui se rencontrent à Venise et évoquent ce pays étranger qu’ils découvrent. La scène i de l’acte IV, où Sir Politic explique les manières des Italiens à Peregrine, arrivé plus récemment, est en quelque sorte un renversement de la situation mise en scène dans les Fruites de Florio. L’ironie repose ici sur le fait que, tout comme les Italiens étonnés et critiques à l’égard de la barbarie des Anglais chez Florio, nos deux Anglais sont également critiques et renversent chacun des arguments de Florio. Par exemple, la citation que j’ai donnée en introduction a son pendant dans cette scène avec : « Well, if I could but find one man… one man / To mine own heart, whom I durst trust… » À la remarque de Florio sur l’incapacité des Anglais à parler les langues étrangères, Jonson répond ironiquement que les Italiens sont incapables d’être dignes de confiance. On remarquera d’ailleurs que Florio et ses livres sont sans doute mentionnés de manière allusive dans l’un de ces dialogues avec cette phrase de Peregrine : « that vulgar grammar / Which he that cried Italian to me taught me » (II.i.113-114).

17 Pour conclure, je reviendrai sur les différences qu’il y a entre Shakespeare et Ben Jonson dans leur usage de la langue italienne. Dans Volpone, il me semble que l’usage qui en est fait reste très artificiel sans doute parce que les mots italiens, au-delà de la recherche de « couleur locale », ont une fonction comique. En effet, à travers ces mots, ce sont d’autres auteurs tels que Florio, Contarini ou encore Coryat (dont s’inspire la scène du « mountebank ») qui sont mis en scène et ridiculisés. Il me semble que le désir de couleur locale italienne n’est pas ici primordial : il s’agit plutôt de mettre en scène une Italie livresque et de tenter de la démythifier par le ridicule. Chez Shakespeare, l’approche semble tout à fait différente. Les mots italiens font apparemment l’objet de moins de recherches et d’études en amont. Leur présence est également beaucoup moins systématique que dans Volpone. Toutefois, il y a un effet de couleur locale réel, quoique très variable selon les pièces, effet de couleur locale qui s’appuie essentiellement sur les mots. Mais, tout comme avec les textes sources qu’il utilise comme base, mais qu’ensuite il modifie ou dépasse, il me semble que la langue italienne est pour lui une source de création, d’invention. En cela il est à l’opposé de Ben Jonson pour qui l’italien est plus un point d’arrivée qu’un point de départ.

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NOTES

1. John Florio, First Fruites, Londres, Thomas Dawson, 1578, Dialogue 27, p. 51. 2. Ibid., Dialogue 27, p. 50. 3. Frances Yates, The Life of an Italian in Shakespeare’s England, Cambridge, Cambridge University Press, 1934. 4. John Sanford, A Grammer or Inroduction to the Italian Tongue, Oxford, 1605, chap. « Of Derivatives », p. 14. 5. « JULIA. What think’st thou of the rich Mercatio ? » (I.ii.12). 6. Francis Griffin Stokes, A Dictionary of the Characters and proper Names in the works of Shakespeare, Londres, Harrap, 1924. 7. Mario Praz, Shakespeare e l’Italia, Florence, Le Monnier, 1963, p. 22. 8. Dialogue 7, p. 117. 9. Dante Alighieri, l’Enfer, trad. Jacqueline Risset, coll. GF, Paris, Flammarion, 1997.

RÉSUMÉS

Le but de cette communication est de s’intéresser à la présence de la langue italienne dans les pièces italiennes de Shakespeare et dans Volpone de Ben Jonson. Nous verrons ainsi que si la langue italienne est très présente dans les pièces de ces deux dramaturges grâce à des emprunts de mots et d’expressions dans les ouvrages de John Florio (First Fruites, Second Fruites, A World of Words), cette présence ne se limite pas à cela. La langue italienne est également très présente dans l’onomastique, dans les titres correspondant à des fonctions, dans les interjections ou encore dans les noms de lieux. Il s’agit donc de tout un univers de mots qui permet au dramaturge de recréer sur scène une Italie lointaine et en partie imaginaire que le public ne connaît pas. Il faudra s’interroger sur les buts recherchés par les deux dramaturges : l’objectif est-il seulement de faire « couleur locale » et de répondre à un besoin d’exotisme ? Après avoir évoqué les mots italiens eux-mêmes, il conviendra de s’interroger sur l’influence de la langue italienne sur la langue anglaise elle-même. En effet, celle-ci semble parfois s’infiltrer à l’intérieur de la langue anglaise par le biais de jeux de mots, d’expressions, de métaphores et d’interjections nouvelles. On s’interrogera alors sur le but recherché qui ne peut seulement être de faire « couleur locale ».

The purpose of this paper is to study the presence of the Italian language in Shakespeare’s Italian plays and Ben Jonson’s Volpone. Thus, we shall see that, even if many words and expressions were borrowed from Florio’s books (First Fruites, Second Fruites, A World of Words) by both playwrights, the presence of the Italian language is not limited to those examples. The Italian language is also very much present in the names of the characters, in the titles corresponding to particular functions, in the interjections or the names of the places. With this new “world of words,” the playwright recreates on the stage a remote and partly imaginary country, unknown to the public. We shall have to ask ourselves if the aim of the playwrights was only to achieve some kind of local colour and to satisfy a need for exoticism. After studying the Italian words present in the plays, we shall try to study the influence of the Italian language on the English language itself.

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Indeed, the Italian language sometimes seems to infiltrate into the English language through puns, expressions, metaphors and new interjections. We shall then try to ask ourselves if, in such cases, the aim of the playwrights is only to create an effect of local colour.

AUTEUR

CHRISTOPHE CAMARD Ancien élève de l’ENS Ulm-Sèvres, agrégé d’Anglais, est actuellement allocataire Moniteur Normalien à l’Université François Rabelais et prépare une thèse sur « L’Italie et ses représentations de l’Antiquité à la Renaissance chez Shakespeare et Ben Jonson », sous la direction de Richard Hillman et François Laroque.

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Shakespeare et le De Pictura de Leon Battista Alberti Shakespeare and Leon Battista Alberti’s theory on linear perspective

Jean-François Chappuit

1 Par la maîtrise de la perspective, les artistes de la Renaissance créaient l’apparence de la réalité. Quel statut accordaient-ils à cette mimèsis ? N’était-elle qu’une illusion, voire une tromperie, ou bien avait-elle une réalité objective ? En était-il de même pour la poésie puisque, selon Horace, « ut pictura, poèsis » (Ars poetica, v. 361) ? La critique moderne, et notamment Roland Barthes, nie toute réalité à la mimèsis et lui substitue la structure du langage. Cependant, la perspective ne forme-t-elle pas en elle-même une structure de laquelle la représentation tirerait son statut de réalité ?

2 L’analogie entre peinture et poésie est encore courante à l’époque élisabéthaine. Elle se trouve incluse dans la définition que Sir Philip Sidney donne dans son Apology for Poetry (1595) : « Poesy therefore is an art of imitation, for so Aristotle termeth it in his word mimesis that is to say, a representing, counterfeiting, or figuring forth – to speak metaphorically, a speaking picture – with this end, to teach and delight1 ». J’utiliserai le De Pictura (1435) en référence à cette tradition, non pour prouver une quelconque nouvelle influence sur Shakespeare mais pour aborder son théâtre par le biais de la théorie exposée par Alberti2. Ce dernier fit autorité pendant toute la Renaissance. Shakespeare a-t-il réutilisé à son profit les dogmes de l’art pictural de son époque, et avec les mêmes conséquences quant à la mimèsis3 ? Cependant, avant d’examiner cette question j’apporterai quelques précisions sur l’analogie entre peinture et poésie.

3 Selon Plutarque, dans De Gloriam Atheniensium, Simonide de Céos, poète lyrique grec né au VIe siècle avant Jésus-Christ, évoqua le premier cette analogie : Or Simonide appelle la peinture une poésie muette et la poésie, une peinture parlante. De fait, les actions que les peintres représentent dans leur accomplissement sont racontées et décrites dans leur achèvement par les ouvrages littéraires. Si traitant les mêmes thèmes, les uns utilisent des couleurs et des figures, les autres des mots et des locutions, s’ils diffèrent par le matériau et les procédés de leur imitation, le but reste le même dans les deux cas, et le meilleur

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historien est celui qui traite son récit comme une peinture en mettant en scène des événements pathétiques et des personnages4.

4 Donc, si peintre et poète diffèrent quant aux méthodes de mise en œuvre de la mimèsis, ils partagent le même objectif en ce qui concerne le récit, la diégèsis. C’est donc sur ce dernier concept que Plutarque justifie l’analogie.

5 Dans The Curious Perspective, Ernest Gilman revient sur la validité de cette comparaison entre deux activités artistiques dont les moyens d’expression sont si différents5. Au XVIIIe siècle, poursuit-il, Lessing, dans son Laocoon, ou Des frontières de la peinture et de la poésie (1766), assigne deux champs distincts aux deux activités artistiques, le temps pour la poésie ; l’espace pour l’art visuel. Pourtant, Lessing ne rejette pas entièrement les propos de Simonide, mais les juge vagues6. Il en attribue l’origine au sensualisme : « Le premier qui compara peinture et poésie fut un homme d’une grande finesse de goût qui sentait que ces deux arts produisaient en lui les mêmes effets.7 »

6 C’est dans le même esprit que, pour Ernest Gilman, l’analogie entre peinture et poésie se justifie en terme d’expérience. Cette dernière se compose de deux phases, la perception et l’appréhension. Ce point de vue s’inscrit dans le cadre général de la critique structuraliste. L’œuvre d’art n’est que mimèsis ; le sens revient à la diégèsis et il est l’affaire de l’observateur. La perspective linéaire est ce qui permet cette expérience. En elle-même, elle représentait à l’époque une façon beaucoup plus dynamique d’appréhender le monde qu’au cours des siècles passés. Ainsi, Ernest Gilman attire-t-il l’attention sur les nombreuses avancées tant pratiques que conceptuelles qui furent réalisées grâce à la maîtrise de la perspective.

7 Chez Shakespeare, il relève plusieurs références à l’art pictural et à la perspective. Il cite la description du tableau de la chute de Troie dans The Rape of Lucrece, (v. 1366-1463) et les propos d’Enobarbus pour décrire l’arrivée de Cléopâtre sur le fleuve Cydnus (II.2.194-221). J’ajouterai la référence implicite à Nicholas Hilliard par le biais des portraits que la reine Gertrude et Hamlet portent autour du cou : « Look here upon this picture, and on this / The counterfeit presentment of two brothers » (III.iv. 52-53 ). Le mot « presentment » renvoie à la fonction que la Renaissance attribuait à l’art pictural, c’est-à-dire rendre présent ce qui est absent. D’autre part, Hilliard publia son Art of Limning vers 1600. Ernest Gilman indique aussi que différents objets amusants furent inventés par les peintres. Un de ceux-ci consistait en une surface plane plissée avec, sur chaque coté du pli, la partie d’une représentation différente de façon à voir une image complète en regardant la plissure soit d’un coté soit de l’autre. Selon Ernest Gilman Shakespeare avait ce type d’objet en tête lorsque Cléopâtre s’écrie : « Though he be painted one way like a Gorgon, / The other way’s a Mars » (II.v.116-118). Gilman mentionne aussi Twelfth Night, lorsque Orsino voit Viola et Sébastien côte à côte : « One face, one voice, one habit, and two persons, / A natural perspective, that is and is not » (V.i.200-201).

8 Cependant, son argumentation à propos de la façon dont Shakespeare utilise le concept de perspective repose principalement sur deux textes. Le premier est tiré du sonnet n° 24 : Mine eye hath played the painter and hath stelled, Thy beauty’s form in table of my heart, My body is the frame wherein ’tis held, And perspective it is best painter’s art.

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9 Sans prétendre trouver une quelconque influence, il me semble néanmoins digne d’intérêt de relever que, dans ce sonnet, le mot « table » évoque l’« intersecteur » ou « voile » dont Alberti se sert pour tracer le contour de ce qu’il peint : Il est ainsi fait : c’est un voile de fils très fins, tissé lâche, teint d’une couleur quelconque, divisé au moyen de fils plus épais en autant de bandes de carrés qu’on voudra et tendu sur un cadre. Je le place entre le corps à représenter et l’œil, de façon que la pyramide visuelle pénètre à travers les jours du voile. (II, 31, p. 147)

10 Quant au cadre, « frame » dans le sonnet, il remplit la même fonction que ce que Alberti appelle la fenêtre c’est-à-dire le quadrilatère à partir duquel les lignes de fuite sont déterminées : Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère de la grandeur que je veux, fait d’angles droits, et qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire, et là je détermine la taille que je veux donner aux hommes dans ma peinture. (I, 19, p. 115)

11 Enfin, le verbe « to stell », « délinéer », indique exactement ce que l’« intersecteur » permet de faire.

12 Le second texte important est le passage où, dans Richard II, Bushy console la reine : Each substance of a grief hath twenty shadows Which show like grief itself but is not so. For sorrow’s eye, glazèd with blinding tears, F0 Divides one thing entire to many objects BE Like perspectives, which, rightly gazed upon, Show nothing but confusion ; eyed awry, Distinguish form. So your sweet majesty, Looking awry upon your lord’s departure, Find shapes of grief more than himself to wail, Which, looked on as it is, is naught but shadows Of what it is not. Then, thrice-gracious Queen, More than your lord’s departure weep not : more is not seen, Or if it be, ’tis with false sorrow’s eye, Which for things true weeps things imaginary. (II.ii.14-27)

13 L’argument principal de Gilman s’appuie sur les vers 18 à 20 de ce passage. Il suggère que Shakespeare demande au spectateur de regarder la pièce « de biais » (« awry ») pour en comprendre le véritable sens. Il reprend le vers du sonnet 24 : « And perspective it is best painter’s art » pour l’appliquer à l’art dramatique et en conclure : Perspective is best dramatist’s art as well : the analogy points to Shakespeare’s fundamental concern, beneath whatever emblems and other visual motifs he may call to our intention, with the complex activity of witnessing a play, Shakespeare’s viewer is typically asked to see not just the drama, but « through » the dramatist to his « skill » – to the technical bones and sinews of play-wrighting that both support the dramatic illusion and reveal the fragility of its surface8.

14 C’est l’objet même de cette perspective dramatique que je voudrais réexaminer. A-t-elle pour objectif, comme le dit Gilman, d’inviter le spectateur à regarder de biais « awry » pour voir juste « a-right », c’est-à-dire percer au jour l’illusion théâtrale ? Ou bien, fait- elle partie de l’œuvre même, comme la perspective dans un tableau est constitutive de ce tableau, pour entraîner le spectateur dans l’expérience même de la perspective et de tout ce qu’elle implique symboliquement ? Je tenterai de répondre à cette question à l’aide des éléments constitutifs de l’art pictural selon Alberti.

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15 L’originalité du De Pictura repose sur une approche scientifique, et notamment mathématique, du traitement de l’espace. L’objectif de l’art pictural, chez Alberti, est l’expression de la vérité issue de la Nature, elle-même source de toute connaissance. Alberti s’appuie également sur la théorie de la perception visuelle héritée de l’optique d’Euclide et le concept qu’il appelle l’historia. J’examinerai en premier lieu la relation entre la Nature et la représentation.

Nature et représentation

16 Dès le début de son traité, Alberti expose son programme de façon scalaire, sur trois niveaux. Le premier plan est celui des mathématiques : « afin que notre exposé soit plus clair, nous emprunterons tout d’abord aux mathématiciens les éléments qui nous semblent concerner notre sujet » (I, 1, p. 73). À la Renaissance, les mathématiques sont considérées comme la seule science capable d’émettre des certitudes. Les autres sciences ne découvrent que ce qui est probable. Le deuxième niveau est celui de la Nature : « nous traiterons de la peinture en partant des principes mêmes de la nature » (I, 1, p. 73). Cette dernière est la source de toute connaissance. Alberti insiste sur ce point en de nombreux endroits de son traité. Le peintre apprend tout de la Nature. La raison en est simple ; la Nature est elle-même artiste : « Il est d’ailleurs manifeste que la nature même prend plaisir à peindre » (II, 23, p. 143). Le troisième plan est celui de l’art du peintre : « en tout cet exposé je ne parle pas de ces choses en mathématicien mais bien en peintre ». La structure de cette introduction est celle des dialogues de Platon dans lesquels, de degré en degré, on en arrive à ce qui est le plus essentiel ; dans le De Pictura, c’est le peintre. En inversant l’ordre utilisé par Alberti, nous aboutissons à la proposition suivante : la peinture représente la Nature de façon mathématique, c’est-à- dire certaine. L’introduction de ce traité est un défi lancé à Platon.

17 En effet, dans La République, le peintre est l’imitateur d’un produit éloigné de trois degrés du réel (X, ii, 599a) tandis que l’Être Suprême est le créateur de ce qui est « essentiel », en l’occurrence, du « lit essentiel ». La façon dont Alberti introduit son sujet représente une inversion de ce schéma. Les mathématiques sont un instrument abstrait, la Nature un matériau et sur le tableau s’exprime ce qui est « essentiel », c’est- à-dire de l’ordre des « Idées ». Il ne s’agit pas d’une opposition à Platon, mais d’une appropriation du platonisme dans une perspective chrétienne. L’artiste est lui-même démiurge parce qu’il a été créé à l’image de Dieu (Genèse, 1, 26). L’homme est d’essence divine par son intelligence. Chez Alberti, le peintre est le créateur de membres et de corps pour finalement aboutir à l’historia qui est « le dernier degré d’achèvement de l’œuvre » (II, 35, p. 159). À une échelle plus modeste, le peintre est comme Dieu, le créateur de mondes. Une conception similaire se trouve au siècle suivant, chez Sir Philip Sidney dans son Apology for Poetry. Sidney s’appuie d’abord sur l’étymologie du mot « poète » : « It cometh of this word poiein, which is “to make” : wherein I know not whether by luck or wisdom, we Englishmen have met with the Greeks in calling him “a maker” » (p. 84). Le poète est véritablement l’image de Dieu, Son double ; c’est la raison pour laquelle il domine toutes les autres sciences. Plus loin dans l’Apology, Sidney reprend ce concept pour faire le parallèle entre « the Maker » et « the maker » : Neither let it be deemed too saucy a comparison to balance the highest point of man’s wit with the efficacy of nature ; but rather give right honour to the heavenly Maker of that maker, who having made man to His own likeness, set him beyond

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and over all the works of that second nature : which in nothing he showeth so much as in Poetry, when with the force of a divine breath he bringeth forth far surpassing her doings, with no small argument to the incredulous of that first accursed fall of Adam : since our erected wit maketh know what perfection is, and yet our infected will keepeth us from reaching unto it. (Apology, p. 85)

18 L’expression « our infected will » renvoie aux passions humaines. Sidney évoque ici ce que dit saint Paul dans l’Épître aux Romains : « Car je sais qu’en moi – je veux dire dans ma chair – le bien n’habite pas ; vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir, puisque le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais » (7, 18-19). Le poète exprime la conscience morale de l’humanité ; il ravive tout ce que l’homme a perdu depuis la Chute. Mais il n’y a pas d’opposition entre Nature et art ; au contraire, l’art est l’accomplissement de ce qui est en puissance dans la Nature, son raffinement. Sidney souligne cet aspect de l’art de façon très explicite : « Nature never set forth the earth in so rich a tapestry as divers poets have done […] Her world is brazen, the poets deliver a golden » (p. 85). Cette vue sur l’art se trouve déjà chez Alberti. L’observation exacte de la Nature est la première étape sur le chemin qui conduit à l’accomplissement de l’œuvre : « Aussi est-ce la grâce et la beauté que l’on doit d’abord rechercher dans cette composition des surfaces. Et quelle que soit la façon dont nous y parvenons, je ne vois pas de chemin plus sûr que d’observer la nature même et de regarder longtemps et avec soin comment la nature, en artiste admirable, a composé les surfaces et les membres les plus beaux. Il faut donc s’attacher à l’imiter en cela avec tout le soin et la réflexion possibles… » (II, 35, p. 159). L’art représente un point de départ vers la Vérité.

19 Enfin, l’usage qu’Alberti fait du miroir révèle une nouvelle fois de quelle façon il renverse l’enseignement de Platon. Dans la République, le miroir est un objet de mensonge grâce auquel celui qui le tient prétend être l’égal du Tout Puissant (X, i, 596c- e). Chez Alberti, le miroir met en évidence ce qui est faux ; en d’autres termes il est un moyen d’accès vers la Vérité : « le miroir sera un très bon juge. […] toute erreur du peintre est accusée dans le miroir. Ce qui est emprunté à la nature doit donc être corrigé par le jugement du miroir » (II, 46, p. 195). Ces lignes nous renvoient au célèbre passage où Hamlet conseille aux acteurs « to hold as ’twere the mirror up to nature ». Cette fonction est celle de l’art dramatique dans son ensemble et cela, précise Hamlet, depuis les origines : « For anything so o’erdone is from the purpose of playing, whose end, both at the first and now, was and is to hold as ’twere the mirror up to nature » (Hamlet, III.ii.16-36). L’ensemble constitue un abrégé d’art poétique. Le premier précepte concerne l’instrument même de l’art, l’intelligence : « let your own discretion be your tutor ». Cette injonction fait écho aux propos de Sidney pour qui les véritables poètes « have no law but wit » (Apology, p. 86). Deuxième point, la nature doit être copiée avec exactitude. Cet aspect rejoint ce que dit Alberti dans son traité et ce qui est généralement accepté à la Renaissance. Troisièmement, Shakespeare, comme Alberti, fait du miroir un vecteur de vérité et utilise la notion d’« empreinte » pour décrire la représentation : « to show […] the very age and body of the time his form and pressure ». Ainsi, entre le monde et sa représentation il existe un lien organique sur lequel nous reviendrons. L’imitation exacte de la nature ne constitue pas une simple répétition mais un dépassement et cela sur le plan de l’intelligence. C’est le dernier point mentionné par Hamlet : l’objet de l’art dramatique est l’imitation de l’humanité, c’est-à-dire d’une réalité qui dépasse l’individu et que ce dernier ne peut comprendre que par son intelligence, « his wit » pour Sidney.

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20 Cependant, il semble entendu que l’art, quel qu’il soit, repose sur la perception oculaire car le poète ou le peintre crée une vision nouvelle. L’œil est donc l’organe privilégié de tout art. Dans la réflexion d’Alberti, le rapport au monde et à l’œuvre s’appuie sur la théorie du fonctionnement de l’œil héritée de l’Optique d’Euclide.

Représentation et perception

21 Le rôle attribué à l’œil est important parce qu’il détermine le rapport qui existe entre le sujet et l’œuvre et, par extension, entre le sujet et le monde. À la Renaissance, il est admis que la perception visuelle est constituée de rayons. Alberti fait sienne cette théorie : « les surfaces sont mesurées par certains rayons, véritables ministres de la vue, qu’ils [les philosophes] appellent rayons visuels parce que c’est par eux que les simulacres des choses s’impriment dans la vue » (I, 5, p. 81). Ces rayons sont doués de force physique qui les fait s’attacher à tout ce qu’ils touchent. Le second aspect de cette théorie concerne l’endroit où se concentrent les rayons visuels. Deux opinions s’opposent et que Alberti mentionne clairement. Selon la première, les rayons se rejoignent sur la surface de l’œil qui, ainsi, joue le rôle de miroir. Il y aurait, alors, un face-à-face entre l’œil et ce qu’il voit ou entre le sujet et le monde. Cette théorie du « miroitement » de l’œil est suggérée dans les propos que Bushy adresse à la reine dans Richard II. Cependant, chacun sait que le raisonnement de Bushy est fallacieux. Dans la deuxième théorie, les rayons visuels se concentrent en un point à l’intérieur de l’œil. C’est celle qu’Alberti adopte (I, 5, p. 83). La différence est importante car, dans ce cas, la perception est une appropriation ou, pour reprendre un concept emprunté à Nicolas de Cues, un enveloppement. L’opinion d’Alberti était, en fait, déjà manifeste avec la notion d’impression qui se trouve dans le texte cité plus haut (I, 5, p. 81). Les rayons visuels impriment au fond de l’œil, comme dans de la cire, les contours autour desquels ils se sont attachés. Le rapport ainsi suggéré est un rapport d’union organique. Cette façon de comprendre la perception visuelle correspond au besoin de dépassement des oppositions scolastiques qui nourrissait le mouvement intellectuel de la Renaissance.

22 Les deux théories évoquées ci-dessus sont exploitées par Shakespeare. Celle de l’œil comme miroir, nous l’avons vu, est suggérée dans les paroles adressées à la reine par Bushy. Je n’y reviendrai pas. Un autre exemple se trouve dans la scène entre Brutus et Cassius dans Julius Caesar : CASSIUS. Tell me, good Brutus, can you see your face ? BRUTUS. No, Cassius, for the eye sees not itself But by reflection, by some other things. CASSIUS. ’Tis just ; And it is very much lamented, Brutus, That you have no such mirrors as will turn Your hidden worthiness into your eye, That you might see your shadow. (I.ii.53-60)

23 L’offre de Cassius représente une image de repli de la vision sur elle-même et donc d’enfermement et d’aveuglement. Elle correspond à la logique scolastique qui oppose des contraires pour mieux les comprendre. La réponse de Brutus va dans le même sens et indique de quelle façon le personnage s’engage dans l’erreur. En effet, la phrase « for the eye sees not itself » rappelle le problème de la connaissance de soi débattu par Plotin dans le traité n° 49 : « Est-ce que ce qui se pense soi-même doit être différencié pour que, contemplant par un de ses éléments les autres, on puisse en ce sens affirmer

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de lui qu’il se pense lui-même, parce que ce qui est absolument simple ne peut se tourner vers soi-même et vers la saisie de soi ? »9 Plotin répond que la connaissance de soi se fait par l’intellection et que, comme la lumière est lumière d’elle-même, l’intellection est intellection d’elle-même. De même, l’œil est ce qu’il voit et, inversement, ce qui est vu constitue l’œil. Shakespeare suggère cela par les propos de Brutus qui, en définitive, voit tout ce qu’il y à voir : Into what danger would you lead me, Cassius, That you would have me seek into myself For that which is not in me ? (I.ii.65-67)

24 Cependant, la seconde théorie est aussi présente dans cet échange par le biais de la préposition « into » (55). La perception pénètre l’œil et se fait en lui. Cet aspect est repris plus bas dans la même scène lorsque Brutus dit à Cassius : « Set honour in one eye and death i’th’other, / And I will look on both indifferently » (I.ii.88-89). Il faut comprendre qu’il s’agit des yeux de Brutus et non de Cassius: « Placez l’honneur dans un de mes yeux et la mort dans l’autre ». L’œil n’est pas extérieur à la Nature comme le miroir l’est implicitement dans le célèbre passage de la République de Platon (X, i).

25 Cette théorie de la perception visuelle a pour conséquence d’attribuer à toute représentation un statut de réalité objective qui est différent de la réalité physique mais qui en partage certains éléments et notamment celui de l’« impression ». Dans Hamlet, la passivité du roi et de toute la cour devant le mime doit se comprendre en relation avec les conseils d’Hamlet aux acteurs. La pièce représentée doit être la forme et la marque du siècle. Il faut alors compléter l’argumentation : ainsi elle marque à son tour celui qui la regarde par l’« impression » visuelle. Le mime n’est pas ce miroir dont parle Hamlet (III.ii.22-24). Il n’« impressionne » ni le roi ni la cour ; en revanche, la pièce, miroir du crime perpétré, y parvient. Chez Sidney nous avons vu que le poète est créateur sur le modèle du Grand Créateur. Ainsi, ce que produit le poète est réel, d’une part en raison de l’origine de sa création, c’est-à-dire l’« Idée » ; d’autre part en raison des conséquences pratiques de l’œuvre, à savoir son enseignement : Neither let this be jestingly conceived, because the work of the one be essential, the other in imitation or fiction ; for any understanding knoweth the skill of the artificer standeth in that Idea or fore-conceit of the work, and not in the work itself. And that the poet hath that Idea is manifest, by delivering them forth in such excellency as he hath imagined them. Which delivering forth also is not wholly imaginative, as we are wont to say by them that build castle in the air; but so far substantially it worketh, not only to make a Cyrus, which had been but a particular excellency as Nature might have done, but to bestow upon the world to make many Cyruses, if they will learn aright why and how that maker made him. (Apology, p. 85)

26 En d’autres termes, Sidney fonde la réalité objective de l’œuvre d’art sur l’existence de Dieu. L’œuvre est objectivement réelle parce qu’elle est vecteur de connaissance et, par ce moyen, la voie d’accès à la jouissance de l’essence divine perdue lors de la Chute (Apology, p. 88). Ainsi, toutes les sciences sont-elles subalternes (« serving sciences »), parce qu’elles n’ont que leur propre sujet comme intérêt, alors que la poésie vise la science des sciences, ce que Sidney nomme architectonike. Cette dernière se trouve en l’homme lui-même, ce qui fait de lui le principe même de l’architecture universelle : « the mistress knowledge by the Greeks called architectonike, which stands (as I think) in the knowledge of man’s self, in the ethic and politic consideration, with the end of well- doing and not of well-knowing only » (Apology, p. 88). De tout cela se dégage la notion selon laquelle les différents plans de réalité, pour les appeler ainsi, ne s’opposent pas

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mais sont liés par des correspondances et des similarités, des « sympathies » qui permettent la circularité de l’un à l’autre. Cela correspond exactement à ce que permet la symétrie. En bref, l’art est l’expression de la structure universelle créée par Dieu, le Grand architecte. D’une structure à l’autre le rapport est symétrique ; nous verrons comment plus bas. Ainsi, après avoir comparé le philosophe et le poète, Sidney conclut : for whatever the philosopher saith should be done, he [the poet] giveth a perfect picture of it in some one by whom he presupposeth it was done, so as he coupleth the general notion with the particular example. A perfect picture I say, for he yieldeth to the powers of the mind an image of that whereof the philosopher bestoweth but a wordish description, which doth neither strike, pierce, nor possess the sight of the soul so much as that other doth. (Apology, p. 90)

27 Relevons la correspondance entre poésie et art pictural. La poésie ou l’art se voit par la vue de l’âme ; ce qui correspond à la visio intellectualis, la nouvelle perspective intellectuelle dont Nicolas de Cues est l’initiateur.

28 Architecte, Alberti n’emploie pourtant pas le mot architectonike dans le De Pictura ; mais le mot historia fait implicitement référence à cette notion parce qu’il désigne, je le crois, un réseau de perceptions.

Perception et historia

29 L’historia est ce qui se voit par la « fenêtre », c’est-à-dire le cadre à partir duquel partent les lignes de la perspective (I, 19). Au livre II, Alberti indique de quelle façon l’historia « constitue le dernier degré d’achèvement de l’œuvre du peintre » (II, 35, p. 159). En note, Jean-Louis Scheffer précise qu’il s’agit d’un des concepts majeurs du De Pictura : Ni le terme d’histoire, ni celui d’anecdote ou de sujet ne convient tout à fait. L’ historia est l’objet même de la peinture qui résulte d’une invention (le sujet, qui peut faire l’objet d’une narration ou d’une description) et d’une composition achevée (agencement des formes, des parties, des corps). On ne peut cependant exclure cette acception simple : le programme « réaliste » d’Alberti exige que la peinture montre et raconte. Dans sa définition la plus formelle, l’historia est un agencement de parties (de corps, de personnages, de choses) doté de sens.

30 Relevons les derniers mots : un agencement de parties doté de sens. Il faut faire crédit à Alberti de ne pas s’être enfermé dans la seule perspective du point de fuite. L’historia fait référence à un réseau de rapports entre différents personnages représentés. Ce réseau exprime ce que Aristote dénomme muthos. Si, grâce au point de fuite, l’espace est organisé autour des personnages, ces derniers n’en représentent pas moins chacun un point de vue. L’intérêt du tableau réside dans la combinaison qui résulte de tous ces points de vue. L’organisation de l’espace représente l’univers clos qui est encore accepté à l’époque d’Alberti ; mais au sein de cet univers les « perspectives » sont multiples et complexes. À mon sens, le même principe organisationnel joue dans les pièces de Shakespeare. Dans Hamlet, la référence à un univers clos, limité par « la sphère des fixes », intervient au début et à la fin de la pièce avec la référence au bruit des canons qui part de la Terre pour rebondir au Ciel et redescendre sur Terre. Dans ce cadre, différents personnages représentent chacun une perspective.

31 Alberti fait aussi de l’homme sont sujet principal parce que la figure humaine lui sert de mesure : « La comparaison se fait donc d’abord avec des choses très connues. Et comme l’homme est pour l’homme la plus connue de toutes les choses, peut-être Protagoras, lorsqu’il disait que l’homme est la mesure et la règle de toute choses, entendait-il que

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l’on pouvait précisément connaître les accidents de toutes les choses en les comparant à l’homme » (I, 18, p. 113). La référence à Protagoras représente un point de vue relativiste. Quelle est la source du bien fondé des valeurs ; un point de vue humain ou divin ? Shakespeare exploite ce thème en maints endroits et notamment dans Hamlet : This most excellent canopy the air, look you, this brave o’erhanging, this majestical roof fretted with golden fire – why, it appears no other thing to me than a foul and pestilent congregation of vapours. What a piece of work is man ! How noble in reason, how infinite in faculty, in form and moving how express and admirable, in action how like an angel, in apprehension how like a god – the beauty of the world, the paragon of animals ! And yet to me what is this quintessence of dust ? (II.ii. 277-281)

32 Que ce soit sur le ciel ou sur l’homme, Hamlet exprime deux points de vue contradictoires. Ainsi, dans le même personnage coexistent différentes perspectives : le personnage lui-même représente une historia.

33 Shakespeare emploie le mot history dans cette acception dans Twelfth Night lorsque Orsino s’enquiert de la sœur de Viola déguisée en Césario : « And what’s her history ? » (II.v.106). Dans sa Concordance, Marvin Spevack relève vingt-deux occurrences du mot history dont la plupart ont le sens relevé chez Alberti et notamment dans ces vers prononcés par Warwick à l’intention d’Henri IV dans 2 Henry IV : There is a history in all men’s lives Figuring the nature of the times deceas’d. (III.i.80-81)

34 Ici, Warwick fait bien référence à un agencement de faits à partir duquel, il le dit quelques vers plus bas, Richard II a pu deviner ou lire, avec justesse, la rébellion à venir de Northumberland contre Henri IV : « And by the necessary form of this / King Richard might create a perfect guess » (87-88). Ces vers prennent un sens plus marqué si l’on retient l’acception mathématique des mots « figuring » (81) et « form » (87).

35 Le mot history désigne aussi un ensemble d’éléments dont il faut déchiffrer le sens dans le sonnet n° 93 : « In many’s looks, the false heart’s history/ Is writ in moods and frowns and wrinkles strange. »

36 Cependant, Shakespeare emploie aussi story dans le sens de history tel que je l’ai défini plus haut. C’est le cas dans Hamlet : « And in this harsh world draw thy breath in pain / To tell my story » (V.ii.281-283). Quel que soit le terme employé, il s’agit de muthos, un récit qui exprime ce que l’homme ne peut comprendre. Ce paradoxe se résout par l’ architectonike de la perception.

37 À la suite d’Euclide la vision, pour Alberti, est constituée de rayons. L’ensemble forme une pyramide visuelle dont le sommet, nous l’avons vu, pénètre jusqu’au fond de l’œil. Il y a un rayon central qui va directement de l’œil au point de fuite et des rayons extérieurs, ceux qui délimitent la pyramide. Ces derniers enveloppent tout ce qu’ils touchent comme des dents dans une bouche : « De plus, les rayons extérieurs embrassant tout le contour de la surface à la manière d’une rangée de dents l’enferment tout entière comme dans une bouche » (I, 7, p. 87). L’œil s’approprie ce qu’il voit. Ces rayons extérieurs entourent le cadre, la « fenêtre » par laquelle l’historia est vue. Ils constituent donc une première pyramide qui va de l’œil au cadre et dont l’aire de ce dernier représente la base. Les lignes de fuite tracées à partir du cadre forment à leur tour une autre pyramide, mais inversée par rapport à la première. Ces deux pyramides sont dans un rapport symétrique, plus précisément de symétrie orthogonale. D’autre part, le point de fuite constitue en lui-même le point de référence

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d’une symétrie centrale si l’on imagine que les lignes de fuite continuent au-delà. De cette façon, l’espace organisé par les lignes de fuite est reproduit en opposition « circulaire », c’est-à-dire que ce qui se trouve à droite dans la composition se retrouve à gauche ; et ce qui est en haut, en bas.

38 Cependant, le mot symétrie est à l’origine un terme d’architecture. Les acceptions mathématiques que je viens d’utiliser représentent une spécialisation du mot. Elles ne deviennent courantes qu’au XVIIIe siècle. Néanmoins, symétrie vient du grec summetria « juste mesure, proportions, symétrie », lui-même dérivé de summetros « de même mesure », « qui a de l’analogie avec ». En raison de cette étymologie et de l’intérêt pour l’architectonikè, je soutiendrai que les deux types de symétrie décrites plus haut étaient à l’œuvre dans les champs littéraires et conceptuels bien avant toute application mathématique. Par exemple, le rapport du macrocosme au microcosme représente une symétrie centrale dont la Nature est le centre ; si le macrocosme est Dieu, « sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part10 ». Les mathématiciens définissent la symétrie comme un mouvement circulaire. Ce dernier caractérise le rapport du macrocosme au microcosme et inversement. D’autre part, le concept de symétrie était important dans la rhétorique de Quintilien (v. 30-100), ainsi que chez Cicéron. Dans son introduction au De Pictura, Sylvie Deswarte-Rosa souligne le rôle du De Institutione oratoria dans la composition du traité. Alberti était aussi architecte. Nous lui devons de nombreuses façades dont celle de l’église Santa Maria Novella à Florence. Dans son De Re Aedificatoria, Alberti voit dans le principe de symétrie la loi la plus parfaite de la Nature. Dans la traduction anglaise, la seule que nous avons pu consulter, les traducteurs ont conservé le latin concinnitas, mot de rhétorique qui signifie « symétrie, arrangement symétrique des mots » : That is why when the mind is reached by way of sight or sound, or any other means, concinnitas is instantly recognized. It is our nature to desire the best, and to cling to it with pleasure. Neither in the whole body nor in its parts does concinnitas flourish as much as it does in Nature herself; thus I might call it the spouse of the soul and of reason. It has a vast range in which to exercise itself and bloom – it runs through man’s entire life and government, it moulds the whole of Nature. Everything that Nature produces is regulated by the law of concinnitas, and her chief concern is that whatever she produces should be absolutely perfect. Without concinnitas this could hardly be achieved, for the critical sympathy of the parts would be lost. […] Beauty is a form of sympathy and consonance of the parts within a body, according to definite number, outline, and position, as dictated by concinnitas, the absolute and fundamental rule in Nature11.

39 Dans le théâtre de Shakespeare, les exemples de symétrie se trouvent sur différents plans. Sur celui des énoncés, « fair is foul and foul is fair » dans la première scène de Macbeth représente exactement une symétrie centrale : le premier mot, « fair » se retrouve à la fin de la deuxième phrase ; le sens de la première phrase est inversé dans la seconde. L’ensemble forme aussi un palindrome et renforce ainsi la notion de circularité caractéristique de la symétrie. Cet énoncé suggère l’absence d’ancrage stable, de point de vue déterminé pour fixer le sens des valeurs humaines. Au cours de l’été 1583, Giordano Bruno avait donné à Oxford une série de conférences sur les théories de Copernic. Shakespeare avait alors dix-neuf ans. Bruno défendait la thèse copernicienne à l’exception de la sphère des fixes conservée par Copernic. Bruno soutenait que l’espace est illimité ; ce qui pose le problème de la localisation du point de référence. Ce dernier n’est plus fixe, mais relatif.

40 La stichomythie représente aussi une figure de symétrie :

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GERTRUDE. Hamlet, thou hast thy father much offended. HAMLET. Mother, you have my father much offended. (Hamlet, III.iv.9-10)

41 Dans le vers prononcé par la reine, le « thou » évoque le rapprochement d’elle à Hamlet, tandis que le « thy » de « thy father », son éloignement par rapport au roi décédé. Dans l’énoncé d’Hamlet, le jeu des pronoms a la fonction inverse. Dans l’organisation de l’intrigue, avec les répétitions de scènes ou l’exploitation de personnages en miroir, la notion de symétrie décrit de façon plus parlante la stratégie exploitée par Shakespeare. D’autre part, il faudrait examiner de façon plus précise que je ne peux le faire ici, de quelle façon le concept de symétrie est aussi à l’œuvre dans la structure générale des pièces. Ces dernières commencent toujours de façon lapidaire ; puis l’action s’élargit. Hamlet en donne un bel exemple avec le « Who’s there ? » (I.i.1) de Barnardo qui est la sentinelle de relève et non celle qui est en faction. L’intrigue se complique ensuite jusqu’à la scène centrale de la pièce dans la pièce à l’acte III. Dans cette première partie, la sphère publique domine. Métaphoriquement, cette première partie correspond à la pyramide visuelle qui va de l’intérieur de l’œil à la « fenêtre ». Dans la seconde partie, l’action se restreint à quelques personnages et au destin singulier d’Hamlet. Cette deuxième partie, je la fais correspondre à la pyramide formée par les lignes de fuite tracées à partir de la « fenêtre ». Nous avons bien ainsi la représentation d’un destin individuel dans un cadre général. De cette façon, Shakespeare réalise ce qui fonde la supériorité du poète sur le philosophe, aux yeux de Sidney, parce qu’il « coupleth the general notion with the particular example. A perfect picture I say, for he yieldeth to the powers of the mind an image of that whereof the philosopher bestoweth but a wordish description, which doth neither strike, pierce, nor possess the sight of the soul so much as that other doth » (Apology, p. 90). Enfin, l’annonce de la répétition de l’histoire qui vient d’être jouée évoque la symétrie centrale dont j’ai parlé plus haut, l’existence d’un espace au-delà du point de fuite. Elle est fréquente. Dans Othello, le dernier vers l’évoque (V.ii.350-351). Dans Hamlet, elle est faite par Horatio (V.ii.315-316). Cette symétrie permet la circularité entre le temps de l’action représentée, et celui de la représentation. L’évocation d’une redite annonce que ce qui vient d’être représenté se passera de nouveau. C’est suggérer à la fois la proximité et l’éloignement. Passé et présent ne cessent de communiquer.

Conclusion

42 Dans les Ambassadeurs (1533) de Hans Holbein le Jeune, lorsque les ambassadeurs sont visibles, le crâne ne l’est pas mais, lorsque l’angle visuel permet de le voir, il devient impossible de distinguer les deux hommes. La scène est située dans Westminster Abbey comme l’atteste le dallage. Les deux personnages sont dans un rapport de symétrie axiale par leur position et aussi par leurs fonctions. Jean de Dinteville appartient au monde séculier, son ami, Georges de Sèlve, au monde ecclésiastique. Leur représentation et celle du crâne sont dans un rapport de symétrie centrale. Un troisième élément, caché, se tient derrière l’épaisse tenture. Puisque nous sommes à Westminster Abbey, c’est la divinité, toujours présente, centre et circonférence. Ainsi, chaque « perspective » exclut l’autre, mais un élément reste toujours présent, englobant, c’est la présence de Dieu. Shakespeare multiplie aussi les perspectives et chacune d’entre elles exclut les autres parce que perception, composition et historia forment, comme sur la toile du peintre, un ensemble inséparable.

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43 Montaigne nous offre un autre exemple d’application de la perspective et de la symétrie dans l’essai « De l’amitié » (I, xxviii), publié en 1580 pour la première fois : Considérant la conduite de la besongne d’un peintre que j’ay, il m’a pris envie de l’ensuivre. Il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élabouré de toute sa suffisance ; et, le vuide tout autour, il le remplit de crotesques, qui sont peintures fantasques, n’ayant grace qu’en la variété et estrangeté. Que sont-ce icy aussi, à la vérité, que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n’ayants ordre, suite ny proportion que fortuité ? Desinit in piscem mulier formosa superne. [C’est le corps d’une belle femme, que finit une queue de poisson, Horace, Art poétique, 4.] Je vay bien jusques à ce second point avec mon peintre, mais je demeure court en l’autre et meilleure partie : car ma suffisance ne va pas si avant que d’oser entreprendre un tableau riche, poly et formé selon l’art. Je me suis avisé d’en emprunter un d’Estienne de la Boitie, qui honorera tout le reste de cette besongne12.

44 À cette époque, parler de tableau sur un mur c’est immanquablement faire référence à la perspective. Alberti, dans son traité, désigne le mur comme support naturel pour un tableau (II, 31, p. 149). Deuxièmement, lorsqu’il mentionne le milieu du mur, Montaigne renvoie le lecteur à la notion de circularité et à celle de point de fuite. La notion de circularité est renforcée avec l’indication des grotesques qui encerclent l’œuvre centrale. Elle se retrouve en d’autres endroits de l’essai et notamment en son centre avec la célèbre formule « Par ce que c’estoit luy ; par ce que c’estoit moy13. » En complément de la notion de circularité, image de complétude et du tout, nous retrouvons aussi la figure de la symétrie. Cette dernière est introduite avec la citation d’Horace. Le corps d’une belle femme que finit une queue de poisson bafoue la symétrie naturelle de la figure humaine. C’est de symétrie dont il s’agit dans le rapport entre les grotesques de Montaigne et le tableau poli selon l’art de la Boétie. Le lecteur est entraîné, pour ainsi dire, dans une réalité qui se trouve au-delà du support matériel de l’œuvre, au-delà des propos, par ailleurs classiques, de Montaigne sur l’amitié.

45 Donc, par la perspective, notamment celle du dallage qui est la figure fondamentale chez Alberti pour établir une perspective correcte, par la pyramide visuelle et ses rayons, par la symétrie des espaces et des figures, l’œuvre est conçue en continuité avec le monde objectif et non détaché de lui. Il n’y a pas le monde réel et celui de l’illusion, le monde rationnel et celui de l’irrationnel ; il n’y a qu’un seul monde parce que « All the world is a stage », parce que l’art est l’empreinte du monde. Dans A Midsummer Night’s Dream, Oberon a aimé Hippolyta et la reine des fées fut autrefois amoureuse de Thésée. Si Puck demande à se faire pardonner c’est parce que la pièce montre que le monde passionnel et naturel est plus réel que le monde rationnel représenté par Thésée. La raison humaine est la véritable représentation de l’illusion comique comme de nombreux Humanistes ne cessent de le souligner à l’époque. Aujourd’hui, nous voyons encore que ce qui est appelé « réalité » est toujours plus incroyable que ce qui est appelé « fiction ».

46 Ainsi, la fonction qu’Ernest Gilman attribue à la perspective dans le théâtre shakespearien, à savoir qu’elle suggère au spectateur de regarder de « biais » (« awry ») pour voir « juste » (« a-right »), me semble insuffisante. En effet, implicitement, Gilman place le spectateur à l’« extérieur » de la pièce. De cette façon, il introduit une opposition entre « réalité » et « fiction » qui ne correspond pas à l’esprit du théâtre shakespearien où tout, au contraire, est mouvement, non seulement sur la scène mais aussi de cette dernière aux spectateurs. Comme dans la théorie albertienne,

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l’objectif du théâtre est de placer le spectateur au cœur de l’historia où chaque point de vue révèle une représentation et, par cela même, exclut l’autre, comme dans la toile d’Holbein. Par la multiplicité même des points de vue, c’est la notion d’infinité que Shakespeare suggère. L’intérêt de son théâtre, alors, n’est pas tant de le considérer comme « fiction », c’est-à-dire autonome par rapport à notre monde moderne mais l’empreinte du monde objectif, quelle qu’en soit l’époque.

47 En revanche, je vois dans la notion d’expérience, utilisée par Ernest Gilman, la clef du rapport entre le monde et sa représentation. Dans l’un comme dans l’autre il y a une architectonike, c’est-à-dire une structure, un sens, même si ce dernier reste flou dans l’appréhension. Ces deux structures sont liées par une correspondance symétrique. C’est de l’architectonike, dont la perspective est un élément fondamental, que l’œuvre d’art tire son statut de réalité. Cette dernière est supérieure à la réalité objective parce qu’elle est l’expression de l’Idée, d’un statut d’existence dont chacun ressent l’absence. Mieux structurée que la réalité quotidienne, l’œuvre d’art sollicite l’intelligence, la visio intellectualis, cette vue de l’esprit (« the mind’s eye ») qui abolit les contraires constitutifs de ce monde. Donc, en dernier ressort, la réalité objective de la mimèsis se fonde sur la conscience morale. Shakespeare ne cesse de la questionner. C’est ce qui fait de son théâtre une expérience toujours vraie.

NOTES

1. Sir Philip Sidney, An Apology for Poetry, éd. Geoffrey Shepherd, 3e éd. Augmentée, éd. R. W. Maslen, Manchester, Manchester University Press, 2002, p. 86. Toutes les citations renverront à cette édition. 2. Leon Battista Alberti, De la Peinture (De Pictura, 1435), trad. Jean Louis Schefer, intro. Sylvie Deswarte-Rosa, Paris, Macula, Dédale, 1992. Toutes les références au De Pictura renverront à cette édition. 3. Ce thème fit l’objet de deux colloques , l’un en 1982, l’autre en 1983. Voir Marie-Thérèse Jones- Davies (dir.), Vérité et Illusion dans le théâtre au temps de la Renaissance, Paris, Touzot, 1983. 4. Plutarque, De Gloria Atheniensium, 3, 346 f, éd. J.-C. Thiolier, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 1985, p. 40-41. 5. Ernest B. Gilman, The Curious Perspective: literary and pictorial wit in the seventeenth century, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1978, p. 3. Gilman cite la traduction de Sir Thomas Hoby : « Painting is dumme Poesie, and Poesie a speaking picture ». Sir Thomas Hoby traduisit en anglais le Livre du Courtisan de Castiglione, en 1561. 6. Gotthold Ephraïm Lessing, Laocoon, ou Des frontières de la peinture et de la poésie, trad. Courtin (1866) revue et corrigée, avant propos de Hubert Damisch, « Savoir sur l’Art », Paris, Hermann, 1990, p. 42. 7. Ibid., p. 41. 8. Gilman, op. cit., p. 89. 9. Plotin, Traité 49, V, 3, éd. et trad. Bertrand Ham, Paris, Éditions Du Cerf, 2000, p. 47.

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10. Deuxième définition de Dieu dans le Livre des vingt-quatre philosophes, ouvrage hermétique composé au Moyen Âge. Le Livre des Vingt-quatre philosophes, trad. et éd. Françoise Hudry, postface de Marc Richier, Grenoble, Jérôme Million, 1989, p. 95. 11. Leon Battista Alberti, On the Art of Building in Ten Books, (De Re Aedificatoria), IX, 5, trad. Joseph Rykwert et al., Cambridge (Mass.), The M.I.T. Press, 2e éd., 1989, p. 302-303. 12. Montaigne, Les Essais, éd. Pierre Villey, coll. Quadrige, Paris, PUF, 1988, Liv. I, p. 183. 13. Ibid., p. 188.

RÉSUMÉS

La Renaissance se distingue à la fois par la redécouverte des textes de l’Antiquité et par un nouvel intérêt pour la représentation de l’espace en trois dimensions. Les voûtes, les dômes et les murs des bâtiments construits à l’époque sont souvent couverts de représentations artistiques qui permettent à l’œil, pour ainsi dire, de voir au-delà du support naturel. En Angleterre, après un timide début, les nouvelles théories gagnèrent en influence vers la fin du XVIe siècle. Or, les poètes ont toujours été comparés à des peintres. Cette comparaison se trouve déjà dans La Poétique d’Aristote (Chap. 25) et au chapitre 4 il affirme que l’homme a une tendance naturelle à représenter le monde qu’il habite et qu’il y trouve du plaisir. La transformation soudaine de l’art dramatique entre Everyman et le théâtre Elisabéthain serait-elle due au nouvel intérêt pour la perspective linéaire issue de la Renaissance en Europe ? Je me propose d’explorer les liens possibles entre le De Pictura (1435) d’Alberti et la production dramatique de Shakespeare.

Along with the rediscovery of texts from Classical Antiquity, the Renaissance in Europe witnessed a new interest in three-dimensional space in artistic representation. Many of the vaults, domes and walls of the buildings built during that period were covered with paintings that, so to speak, gave the beholder the possibility to see beyond them. In England, after a slow start, the new artistic theories became increasingly important in the late 16th century. Now, poets have always been compared to painters. Aristotle already uses this simile in Poetics (chap. 25.) and in chapter 4 he asserts that man is naturally inclined at representing the world around him and that he finds pleasure in it. Could Renaissance interest in linear perspective explain the sudden change, in England, between Everyman and Elizabethan drama ? In this paper I shall explore the possible links between Alberti’s De Pictura (1435) and Shakespeare’s plays.

AUTEUR

JEAN-FRANÇOIS CHAPPUIT Jean-François CHAPPUIT : B.A. (Honours) et P.G.C.E. ; Agrégation, thèse : Cruauté et Amitié d’après Montaigne et Shakespeare. Renaissance d’une théologie laïque sous la direction de Richard Marienstras, soutenue en 1999. Maître de conférences à l’Université de Versailles Saint- Quentin-en-Yvelines. Un article sur l’amitié chez Montaigne pour Shakespeare, la Renaissance et l’amitié, R. Marienstras et D. Goy-Blanquet, Presses de l’Université de Picardie. Rédacteur pour What’s What, G. Hocmard et alii, Ellipses, 2003.

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« The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d and loos’d1 »: Figures de l’espace dans Troilus and Cressida Figures of space in Troilus and Cressida

Muriel Cunin

1 Troilus and Cressida est fréquemment décrite comme une pièce hybride caractérisée par un « enchâssement du vieux dans le neuf2 ». Son rapport aux grands questionnements de l’époque a souvent été souligné, qu’il s’agisse des questionnements scientifiques sur l’organisation du cosmos ou des questionnements artistiques liés au développement du maniérisme. Or, tous ces éléments procèdent d’un vocabulaire mis en place dans l’Italie de la Renaissance, qui définit des paradigmes que l’on reproduit ou dont on s’écarte. Troilus and Cressida est une pièce de l’écart par rapport aux mots-clefs du Quattrocento et à la rationalisation de l’espace qu’ils impliquent, tant d’un point de vue scientifique que pictural. En effet, dans cette pièce où tout n’est que dissolution, le nouvel espace ne parvient pas à se mettre en place alors que l’ordre ancien est déjà détruit : « L’ordre ancien est effacé, le nouveau n’apparaît pas encore. Désagrégées par la tempête, les choses ne sont plus rien que matière en suspension, sans figure ni identité3. »

***

2 Le mot « espace » désigne à la fois l’espace cosmique et l’espace pictural, les deux étant liés par les profondes modifications qu’ils subissent au cours des XVe et XVIe siècles. La tendance est à la géométrisation et à la rationalisation grâce au développement d’un système de proportions et de commensurabilité reposant entièrement sur des relations mathématiques. Le lien entre espace cosmique et espace pictural est d’autant plus étroit que la Renaissance est pleine d’hommes « universels » comme Leon Battista Alberti, parfait humaniste, « géomètre, arithméticien, astrologue, musicien et le plus extraordinaire spécialiste de la perspective depuis des siècles4 », mais aussi linguiste et moraliste, architecte et archéologue, théoricien de la peinture et de la sculpture. Non

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seulement il joue un rôle déterminant dans la théorie architecturale et artistique de la Renaissance, mais sa pensée révèle aussi les relations qui unissent les arts et « les préoccupations scientifiques, métaphysiques et religieuses de l’époque5 », traduisant une nouvelle vision du monde et de l’homme où les notions de mesure, d’harmonie et de proportion concernent aussi bien les sciences que les arts et les valeurs éthiques6. Si cette vision générale prévaut dans l’Italie de la Renaissance, elle prend des formes plus problématiques dans l’Angleterre de Shakespeare.

3 L’histoire de l’évolution de l’astronomie à la Renaissance est bien connue7. On sait comment le système de Ptolémée est progressivement remis en cause par une série de spéculations et de découvertes scientifiques qui, de Copernic à Galilée et Kepler, affranchissent peu à peu la cosmologie de la physique aristotélicienne. De manière générale, on assiste au passage d’un monde parfaitement architecturé, hétérogène et hiérarchisé, à un monde toujours architecturé mais de manière homogène et rationnelle, et dont toute métaphysique est progressivement exclue. Le système de Ptolémée ne connaît que les lieux, un lieu (topos) étant, dans la physique aristotélicienne, un monde clos et clairement délimité, situé dans le Tout, lui-même fini et limité8. La notion d’espace est donc totalement étrangère à la physique antique9. La conscience de l’espace (euclidien) n’apparaît qu’avec Alberti, et se développe avec Copernic puis Galilée. Copernic ayant remarqué des irrégularités dans la trajectoire des planètes, censées décrire autour de la Terre des cercles parfaits, fonde son explication sur une révolution de la Terre et des autres planètes autour du soleil. Le système qu’il propose repose entièrement sur l’idée de proportion : Ainsi, en supposant les mouvements que j’attribue à la terre […], je découvris finalement […] que si les mouvements des autres planètes étaient ajoutés à la rotation de la terre et calculés comme pour la révolution de cette planète, non seulement les phénomènes des autres suivraient de cela, mais aussi qu’il liait ensemble à la fois l’ordre et la grandeur de toutes les planètes et les sphères et le ciel lui-même, si bien qu’aucune chose ne pouvait aucunement être modifiée sans confusion parmi les autres parties et dans tout l’univers10.

4 En représentant l’orbite de la terre autour du soleil comme le module11 de l’orbite des autres planètes et en donnant à voir un espace proportionné, l’astronomie copernicienne ne fait que reprendre les principes artistiques de la Renaissance12. Cela n’a rien de surprenant quand on sait que c’est en utilisant les instruments de la topographie et de la cartographie qu’Alberti établit les règles de la représentation en peinture. Il se sert en effet de la Géographie de Ptolémée, dont les cartes montrent la disposition des points d’un territoire au moyen de projections proportionnelles : Ptolémée voulait représenter « la position de chaque lieu ; et par l’exactitude des détails, la contenance des régions entre elles et par rapport à toute la terre habitée13 ». Il souligne d’ailleurs que l’idée de proportionnalité peut s’appliquer aussi bien à la peinture qu’à la géographie : Comme dans une peinture entière, nous devons commencer par placer les grands traits, puis les traits détaillés que peuvent exiger portraits et tableaux, en conservant leurs proportions afin que leur mesure exacte […] apparaisse quand on les examine14.

5 Cet idéal de cartographe, Alberti l’introduit non seulement dans ses traités de peinture et d’architecture (le plan à l’échelle de Ptolémée est l’ancêtre du dallage en échiquier de la costruzione legittima), mais aussi dans ses plans et vues de ville, par exemple dans son Descriptio urbis Romæ (vers 1450). Jusqu’à la redécouverte de la Géographie de Ptolémée

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au XVe siècle, la cartographie offre, en effet, un agrégat de lieux hétérogènes et non une représentation unifiée de l’espace : certaines régions sont grossies, les lieux ne sont pas reliés entre eux, de même que dans les plans et vues de villes c’est l’apparence des édifices qui est rendue, et non leurs relations spatiales. Avec la redécouverte de la perspective et de son corollaire, la proportionnalité, la peinture, l’architecture, la cosmologie et la cartographie évoluent de manière spectaculaire. Et si, au XVIe siècle, les ouvrages de Ptolémée sont remplacés par ceux de Mercator, c’est bien Ptolémée qui, le premier, a donné une définition précieuse de la position, écho de ce que la rhétorique nous a appris au sujet de la dispositio : la position des édifices d’une ville est, selon lui « leur situation relative les uns par rapport aux autres, leur situation par rapport au tout15 ». De manière générale, la Renaissance marque donc une évolution vers un espace proportionnel, ainsi qu’un passage « du monde clos à l’univers infini ». Ce que propose la perspective tient à la fois des deux phénomènes : d’une part, elle permet de tendre vers une représentation picturale du concept d’infini ; d’autre part elle incarne aussi une limite, un cadre imposé par l’idée de la peinture comme fenêtre ouverte. L’homme de la Renaissance n’est pas encore jeté dans un espace infini et totalement vide. Paradoxalement, destruction du cosmos et géométrisation de l’espace sont donc liés. Paradoxalement encore, Copernic rejette le système de Ptolémée tout en utilisant, comme Alberti, les techniques mathématiques élaborées par l’astronome. Copernic ne croit pas à la notion d’infini16, mais l’univers qu’il présente est si grand qu’il n’est pas mesurable, ce qui suffit à provoquer de vives réactions, souvent teintées de désarroi17. Bien que l’essentiel de l’œuvre de Shakespeare soit, d’un point de vue strictement chronologique, légèrement antérieur aux grandes découvertes de Galilée et Kepler, il n’en est pas moins sensible à l’atmosphère d’ébullition scientifique, de discussions et de querelles de savants (et de métaphysiciens) qui agitait alors l’Europe. Ce sont ces doutes et cette « crise de la conscience européenne18 » que reflète Troilus and Cressida.

6 Aux questionnements sur l’espace cosmique répond une recherche sur l’espace pictural que les théoriciens de la Renaissance italienne tentent également de rationaliser et de géométriser. Le premier à donner une assise véritablement scientifique à l’art du peintre est Alberti qui, dans son De pictura (1435), construit un espace pictural aussi architecturé que le sera celui du De re ædificatoria (1452). On y retrouve la même volonté de transformer un art « mécanique » en art libéral, grâce à la géométrie. Tout le livre I du De pictura porte sur la perspectiva naturalis, c’est-à-dire l’optique, dont la perspectiva artificialis n’est qu’une reconstruction mathématique, qu’Alberti applique à la peinture (livre II)19. Déjà, il développe l’idée que la Beauté est un concept mathématique, la concinnitas20, idéal d’harmonie absolue, de symétrie et de régularité reposant sur un système de proportions objectif et mesurable. L’espace ainsi unifié acquiert une rigueur structurale parfaite. Alberti divise la peinture en trois grands principes (livre II), dont les deux premiers sont la circonscription et la composition : Tout d’abord, quand nous apercevons quelque chose, nous voyons que ce quelque chose occupe une certaine place. Aussi, vraiment, le peintre circonscrit-il l’espace de cette place, et le fait de tracer les contours s’exprime-t-il par le mot de circonscription. En considérant comment les diverses superficies du corps examiné se relient entre elles, l’homme d’art dessine ses conjonctions à leur place propre et nomme cela avec justesse la composition21.

7 La composition est un écho évident de la compositio rhétorique 22 et de la compositio architecturale dont parle Vitruve23. En architecture, elle comprend les lois de l’harmonie musicale et le jeu des moyennes (mediocritas) prônées par Aristote dans

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l’Éthique à Nicomaque, où la moyenne a un sens purement éthique et représente le juste milieu entre l’excès et la déficience24. Éthique et esthétique sont donc liées. Par ailleurs, le travail de composition peut être facilité par l’utilisation d’un voile intersecteur qui permet, d’un point de vue pratique, de cadrer et de quadriller le sujet : les contours ne doivent pas être incertains, tout est affaire de calculs, de mesure et de proportions25. D’un point de vue théorique, cette image du cadre-quadrillage montre qu’Alberti considère la peinture comme une fenêtre ouverte par laquelle on regarderait l’historia (le sujet) : « Mon premier acte, quand je veux peindre une superficie, est de tracer un rectangle, de la grandeur qui me convient, en guise de fenêtre ouverte par où je puisse voir le sujet26 ». En effet, la peinture est pour lui une intersection de la pyramide visuelle27 et doit donc être précisément cadrée. Entre l’œil du spectateur, la peinture et la superficie perçue, tout est donc affaire de proportions. D’où l’importance de la place où se trouve le spectateur : s’il se déplace, ce qu’il regarde change d’aspect. S’inspirant de la réalisation pratique de Brunelleschi28, Alberti se livre à une véritable construction de l’espace, qui reste en fait un lieu circonscrit s’ouvrant sur l’infini, certes, mais un infini calculé et mathématisé par l’homme et à partir de l’homme, mesure de toute chose29. Après avoir expliqué comment placer ce qu’il appelle « le point de centre30 », il décrit sa technique de composition en échiquier : le dallage tracé sur la toile représente « l’espace visuel lui-même, dans sa fuite vers l’horizon31 ». Les personnages et les décors que le peintre y place sont à l’échelle et tout est proportionné. Toute composition repose donc sur cette construction perspective appelée par la suite « construction légitime32 » et qui apparaît ainsi comme une forme de disegno, terme par lequel Alberti désignera, dans le De re ædificatoria, le projet préalable à l’exécution, entièrement conçu dans l’esprit de l’architecte33.

8 Par ailleurs, la perspective est aussi une construction intellectuelle supposant à la fois une prise de distance, une nouvelle objectivité face au monde, et « un élargissement de la sphère du Moi34 ». Elle reflète une nouvelle conception du monde. Elle est un facteur d’ordre, car tout ce qui se trouve au-delà du cadre qu’elle délimite appartient à l’univers de la disproportion. En outre, elle ne reproduit pas tant la réalité objective de l’expérience visuelle physiologique qu’elle ne répond à nos attentes intellectuelles en montrant à l’homme le monde tel qu’il souhaite le voir35. Cette tension, réactivée par le caractère contraignant du système perspectif (qui oblige le spectateur à se tenir parfaitement immobile, en un point de vue unique, et à regarder avec un seul œil) fait que, peu à peu, la confiance de la Renaissance paraît s’ébranler et faire place à une relation plus complexe entre sujet et objet. C’est le moment où la perspective glisse vers l’anamorphose (caractérisée par un décentrement du point de vue), grâce à laquelle elle rejoint par des voies détournées l’esthétique du grotesque. L’Angleterre élisabéthaine, quant à elle, demeure longtemps méfiante vis-à-vis de cette technique, que l’on considère comme fausse car elle revient, comme le remarque Panofsky, à « faire hardiment abstraction de la réalité », la réalité n’étant rien d’autre que « l’impression visuelle subjective36 ». Nicholas Hilliard ne dit pas autre chose dans The Arte of Limning (écrit vers 1600): « perspective, to define it briefly, is an art taken from, or, by the efect or Judgment of the eye, for a man to express anything in shortned lines, and shadowes, to deseave both the understanding and the eye37 ». Les ouvrages sur la perspective circulent dans l’Angleterre de Shakespeare mais ne correspondent guère à la sensibilité de l’époque. C’est un monde de la mouvance et de l’instable, qui se reflète littéralement dans les goûts architecturaux :

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In English art it is the fractured glass, the window set into facets like gemstones […] which more correctly describes the Elizabethan relationship between artistic image and physical reality. In country houses glaziers set the glass in diamond patterns to relieve the stress on the leads so that the weight of the glass would not distort the glass and weaken the window. It was a practical solution with extraordinary visual results. From the exterior the angles of the window appear like diagonal stripes that reflect light and shadow. These large expanses of glass […] shimmer and dissolve the solid substance of the architecture with the changing light. […] From the interior […] the view is transformed through the small diamonds of glass […]. The image is fractured and multiplied, there is not one view of the landscape but multiple, separate images38.

9 Cette dissolution des formes, cet éclatement de la vision sont à l’œuvre dans Troilus and Cressida, qui remet en question les constructions intellectuelles humanistes, qu’il s’agisse de l’espace cosmique, pictural ou humain (qu’il soit corporel ou moral). Shakespeare n’y montre pas un monde idéal comme celui que construit Alberti, mais une réalité froide, cruelle et morbide d’où tout idéal est définitivement banni.

***

10 L’hymne d’Ulysse à l’harmonie du monde (I.iii.75-134), qui fait grand usage de termes tels que « place », « proportion » et « order », est un adieu à l’harmonie qui se défait. Cependant, le personnage d’Ulysse ne pouvant être pris plus au sérieux que les autres39, l’hymne apparaît d’autant plus fragile, l’idéalisme est doublement bafoué. Ce n’est pas seulement de dissolution cosmique qu’il est question, mais aussi de dissolution politique et morale. Le glissement qui s’opère dans Troilus and Cressida ressemble à celui que décrit Georges Poulet lorsqu’il évoque la métamorphose de la sphère parfaite de la Renaissance en une sphère éphémère40. Les « fausses perfections de la bulle41 » s’apparentent parfaitement à l’hymne d’Ulysse, qui ne décrit pas tant ce qui est que ce qui devrait être. Loin de cet idéal, les images de liquéfaction et de dissolution, ainsi que les exemples de sphères dévoyées abondent dans la pièce, depuis les imprécations initiales d’Ulysse (I.iii.110-113) jusqu’au désespoir final de Troïlus : « The bonds of heaven are slipp’d, dissolv’d, and loos’d » (V.ii.155). La sphère parfaite et immuable est totalement pervertie : d’elle, il ne reste plus que la fragilité d’une larme (I.i.9) ou la déviance des nœuds qui abîment l’arbre (I.iii.7-8). Cressida, la perle (I.i.100) se révèle bien irrégulière ; les yeux, dévorés par la maladie, sortent de leurs orbites (V.x.49) et le monde entier, vu par Thersite, n’est plus, à son image (V.i.5), qu’un énorme furoncle (II.i.2-3). Ce dévoiement des sphères est un défi à toute forme d’idéalisme. Le système de Ptolémée comme celui de Copernic sont des constructions idéales, de même que la perspective centrale d’Alberti. Mais aucun disegno, quel qu’il soit, ne résiste à l’épreuve de la réalité dans cette pièce de l’échec, de la frustration et de l’inaction. Or, pour Alberti, le disegno n’a de valeur que s’il débouche sur une réalisation concrète (déjà, Vitruve insistait sur l’idée que la ratiocinatio doit mener à la fabrica42). Dans Troilus and Cressida, la ratiocination étouffe toute tentative d’action. Tous les projets échouent, et si le dess(e)in est parfois beau, l’exécution est toujours catastrophique. Jusqu’aux scènes de bataille finales, il ne se passe quasiment rien, si ce n’est dans l’esprit des protagonistes (I.iii.3-5). Il n’est question que de la frustration du désir et du disegno, si bien que la métaphore d’Agamemnon pour décrire l’action des Grecs semble à elle seule résumer l’esthétique de toute la pièce :

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[…] Checks and disasters Grow in the veins of actions highest rear’d, As knots, by the conflux of meeting sap, Infects the sound pine and diverts his grain Tortive and errant from his course of growth. (I.iii.5-9)

11 La fameuse scène du conseil des Grecs (I.iii), dans laquelle Ulysse déplore l’insubordination d’Achille, peut, à cet égard, faire office de modèle pour l’ensemble de la pièce. On ne cesse d’y souligner l’infériorité de l’exécution par rapport au disegno (13-17). Ulysse, quant à lui, insiste beaucoup sur l’importance de la réflexion préalable, et reproche à Achille et Patrocle de n’être que de vulgaires exécutants43 qui négligent la part de l’esprit dans l’art de la guerre (197-210). Aussi cet archétype de la ruse et de l’esprit imagine-t-il un plan destiné à remettre Achille sur le droit chemin : « I have a young conception in my brain : / Be you my time to bring it to some shape » (307-309). Mais, là encore, le résultat s’avèrera décevant (Ajax, l’instrument du plan, devenant un nouvel Achille). Pendant toute la scène, Ulysse tente vainement de planifier l’action, amenant Nestor à donner une autre définition du disegno (337-340). Ce qui vaut pour l’intrigue guerrière vaut également pour l’intrigue amoureuse, et les projets de Troïlus avec sa bien-aimée sont désespérément limités par une réalité étriquée : « this is the monstruosity in love, lady – that the will is infinite and the execution confined ; that the desire is boundless, and the act a slave to limit » (III.ii.77-80). Aucune construction n’est possible, qu’elle soit politique ou amoureuse, et les images de destruction alternent avec les images de frustration. Aussi la ville de Troie apparaît-elle doublement symbolique (« In Troy there lies the scene », annonce d’emblée le prologue, I.i.1). Elle est à la fois le symbole de l’inaction politique et celui de la frustration amoureuse, comme le montrent les premières paroles de Troïlus : « Why should I war without the walls of troy, / That find such cruel battle here within ? » (I.i.2-3) ; en concentrant ses propos sur le topos de la femme comme ville à assaillir, Troïlus néglige la notion d’édification morale associée par les Humanistes à l’image de la Cité. Le titre latin du traité d’Alberti, De re ædificatoria suffit à montrer que son propos va plus loin que celui de Vitruve, De architectura44. Chez Alberti, l’architecture se situe dans l’espace plus vaste de la ville qui est, pour les Humanistes, l’espace de l’édification, c’est-à-dire de l’Histoire. Dans son essai sur le traité d’Alberti, Giulio Carlo Argan donne à cette nécessité de passer du disegno à l’action une valeur non seulement esthétique mais aussi politique : Il n’y a plus continuité mais distinction et corrélation de deux niveaux : celui de l’idéation ou de la théorie et celui de la pratique. Entre ces deux moments il y a le même rapport qui dans l’action « historique » passe entre la décision et l’action45.

12 Mais comment réaliser quoi que ce soit quand l’homme, mesure de toute chose, n’est que démesure ? Car la dissolution a également un sens moral très fort dans la pièce, affirmé dès le départ par le discours d’Ulysse : parce que les règles les plus élémentaires ont été négligées (« the specialty of rule hath been neglected », I.iii.78), l’harmonie du monde est en danger (« ’tis like a chime a-mending, with terms unsquared », 159). L’image utilisée ici est à la fois musicale et architecturale, puisque « to square » signifie « to make timber square in cross-section, i.e. to adjust, to harmonize 46 ». Or, c’est le même terme qu’emploie Troïlus lorsqu’il découvre la trahison de Cressida et refuse « to square the general sex / By Cressid’s rule » (V.ii.131-132) : le double sens de « rule » est évident, ce mot désignant à la fois la règle en tant que principe de conduite et en tant qu’instrument de mesure (« carpenter’s square47 »). Toute tentative de construction est

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ainsi tournée en dérision alors que la moyenne aristotélicienne, pourtant évoquée à plusieurs reprises (II.ii.167 ; 171-172 ; I.iii.116-117), n’est jamais respectée. À l’instar d’Agamemnon, tous ceux sur qui l’on essaie de construire quelque chose s’avèrent être des bases si peu solides que la hiérarchie finit par ressembler à un escalier qui s’écroule (I.iii.129-131). La seule exception est Troïlus, du moins pour un temps (IV.v.108-109), mais il s’effondre à son tour parce que celle sur qui il avait littéralement bâti tous ses espoirs (« Build there, carpenter, the air is sweet », III.ii.50) n’est pas stable (V.iii. 114-115). La jeune fille comparait pourtant son amour, dont il ne reste que des ruines (V.ii.161), à un bâtiment indestructible (IV.ii.104-108). Tandis que la relation des deux jeunes gens s’effondre comme un château de cartes, Troie, au contraire, semble refuser de tomber : la destruction de la cité, sa solidité apparente, sont une véritable obsession dans le camp des Grecs. Achille est successivement comparé à un engin destructeur, une machine de guerre capable d’abattre les murailles de Troie (II.iii.136-137) et, à cause de sa soudaine inaction, à un bélier se retournant contre lui-même et son propre camp (175-177)48. C’est également ce que fait Cressida, après avoir longuement protesté de sa volonté de préserver sa vertu en reprenant le topos de la femme-ville (I.ii.268-269). Alors que tout s’écroule, Troie reste obstinément debout, non parce qu’elle est solide, mais parce que ses assaillants sont faibles, et la phrase « yet Troy walls stand » (I.iii.12) devient une sorte de leitmotiv (I.iii.75 ; I.iii.135-136 ), tandis que nombre d’images (II.iii. 8-10 ; IV.v.210-211) annoncent néanmoins la chute finale de la cité, après la mort d’Hector (V.viii.11-12). La grande erreur des Troyens est peut-être de ne pas croire au rôle du temps, qui joue en faveur des Grecs, contrairement à ce que pense Hector, qui ne voit en lui qu’un agent passif (IV.v.224-225). Cressida était persuadée, elle aussi, que le temps n’entamerait pas son amour. Ainsi se développe une relation perverse au temps, à l’Histoire et à la ville qui, derrière ses murailles, ne renferme que le vide. On est loin de la cité idéale dont rêvait Alberti : Alberti dit que tous les arts convergent et que leur fin commune est […] la vie qui se déroule dans une cité bien ordonnée. Ce qu’Alberti veut définir et expliquer dans le De re ædificatoria, c’est la forme de l’espace urbain par rapport à la forme de l’espace naturel. Est urbain l’espace où vit une société organisée, où les techniques du travail humain s’élèvent à la dignité de science, où se prennent des décisions politiques et s’organisent des actions destinées à produire des effets lointains et durables : en un mot, l’espace de la ville est l’espace de l’Histoire49.

13 Si Troie, comme l’historia d’Alberti, est circonscrite par un cadre (ses murs), elle n’en est pas moins une perversion totale de l’idéal albertien. Tout d’abord parce que l’ historia de Troilus and Cressida est dérisoire : les héros et leurs grands idéaux sont totalement démystifiés50 (Shakespeare se moquerait-il du culte que les Humanistes vouent à l’Antiquité ?) et la caricature n’épargne personne. L’historia se résume à peu de choses (« all the argument is a whore and a cuckold », II.iii.74-75) et n’a plus rien d’héroïque (Prologue, 7-10). La deuxième source de perversion de l’idéal albertien est l’éclatement et le décentrement de la perspective, que François Laroque a analysé suffisamment en détail dans un article entièrement consacré à ce sujet51 pour que nous passions rapidement sur ce point. Le monde de Troilus and Cressida, totalement miné par le doute, est un monde où rien n’est sûr, ni stable, ni fixe. La mise en perspective se traduit par une série d’emboîtements et de jeux de miroirs mais est remise en cause par une fascination pour le vide, l’indéfini, l’informe et le grotesque. La perspective est multiple non seulement parce que Shakespeare multiplie les points de vue, mais aussi parce que l’observateur ne reste pas immobile et qu’il a des problèmes

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d’accommodation52. Si les personnages décident de prendre du recul en montant au sommet d’une tour, ils ne voient pas la même chose (I.ii). Cet éclatement de la perspective se double tout naturellement d’une interrogation sur le théâtre, dont Shakespeare présente ici une image dégradée, souvent caractérisée par un jeu de déformations grotesques : c’est le terme « pageant » (I.iii.151) qu’utilise Ulysse lorsqu’il imite Patrocle singeant Nestor et Agamemnon, et adopte par là même, sous prétexte de la condamner, l’attitude irrévérencieuse de ceux qu’il prétend fustiger. Aux antipodes de la « civic pageantry », le théâtre devient facteur de désordre et d’incivilité, jeu de miroirs déformants renvoyant à ceux qui s’y reflètent une image distordue et grimaçante qui rappelle les contorsions des grotesques (« o’er-wrested seeming », I.iii. 157). Un peu plus loin, Troïlus affirme naïvement à Cressida « in all Cupid’s pageant there is presented no monster » (III.ii.72-73), avant de se contredire (79-80). C’est ensuite « the pageant of Ajax » (III.iii.271), présenté par Thersite et Patrocle d’après le disegno d’Achille (272-278). Auparavant, le spectateur a assisté au défilé des hommes d’Agamemnon devant la tente d’Achille (III.iii), annonçant le « ballet » de Cressida devant les Grecs (IV.v). Enfin, Troïlus est témoin, en compagnie d’Ulysse, de la trahison de Cressida, l’ensemble de la scène étant observé et commenté par Thersite. Troïlus se trouve dans la position du spectateur face à un trompe-l’œil, puisque ce qu’il voit lui apparaît simultanément comme une illusion prétendant imiter la réalité, et une réalité se reconnaissant comme illusion (V.ii.140-145). Le monde entier n’est plus, pour lui, qu’une immense contradiction (« the spacious breadth of this division », 149) et une contraction anamorphotique où tout concourt à souligner la division de son propre esprit ; paradoxes extrêmes, ellipses, solécismes (136-159), autant de figures du désordre qui pourraient illustrer ces lignes de Ben Jonson : « neither can his mind be thought in tune, whose wordes do jarre ; nor his reason in frame, whose sentence is preposterous53 ». Or, ce langage « décadré » n’est pas l’apanage de Troïlus, mais c’est à l’échelle de toute la pièce que l’on retrouve des dissonances calculées dues à une syntaxe tortueuse ou à des sonorités discordantes (Prologue, 20 ; IV.v.141), à un excès de mots et de néologismes54, et au grand nombre de termes formés à partir d’un préfixe négatif qui crée ainsi la division au sein du mot lui-même55. Démultipliant les perspectives, juxtaposant les points de vue, Shakespeare fait de sa pièce une sorte d’architecture prismatique, aux antipodes de la firmitas classique. Mais il maîtrise parfaitement sa construction, qui s’inscrit dans la lignée de la perspective multiple chère aux rhétoriciens élisabéthains56. Ainsi Richard Rainolde a-t-il composé un modèle de discours sur la question « la Guerre de Troie a-t-elle eu lieu ? », et montré qu’en changeant simplement le cadre référentiel, on peut totalement transformer la teneur d’un argument57. Shakespeare semble adopter la technique de Rainolde et répondre par là à la définition de la logique donnée par Thomas Wilson : « an arte to reason probably, on bothe partes, of all matters that bee put furth, so farre as the nature of everythyng can beare58 ». Enfin, la troisième forme de perversion de l’idéal albertien est liée au cadre, élément nécessaire pour circonscrire l’historia. En ce sens, il est lié à la notion de « compass » (compas et limite) qui, comme « square » et « rule », recouvre les deux sens de la notion de « mesure » : pour les hommes de la Renaissance, la mesure mathématique est la garantie de la mesure morale59. On retrouve la même image dans Troilus and Cressida lorsque Pandare décrit, comme un tableau, Hélène à sa fenêtre, « into the compassed window » (I.ii.112), dans ce qui ressemble à une illustration fidèle de l’idée d’Alberti. Création et cadre semblent donc liés, mais dans Troilus and Cressida, les relations du cadre à l’historia qu’il est censé circonscrire sont complexes. Troïlus,

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par exemple, conçoit mal l’existence en dehors de la ville où réside sa bien-aimée (I.i. 2-3), mais se contredit un peu plus tard en réclamant la guerre qui lui permettrait de plonger dans l’infini, à l’instar de son père, loin des contraintes d’un cadre étroit (II.ii. 28-32). Ulysse reprend la même image, mais en lui donnant un sens positif, lorsqu’il mentionne la nécessité d’un cadre qui servirait, comme en perspective, à limiter l’infini ; mais là encore, il évoque ce qui devrait être et son ironie vis-à-vis d’Ajax est grande et prend presque valeur d’antiphrase lorsqu’il s’adresse à lui en ces termes : I will not praise thy wisdom Which like a bourn, a pale, a shore, confines Thy spacious and dilated parts. (II.iii.248-250)

14 Tantôt l’infini est considéré comme un idéal que le cadre, étroit et mesquin, réprimerait ; tantôt, au contraire, comme un espace vide et angoissant dans lequel on ne peut que se perdre parce qu’il n’est pas cadré. L’image d’Hélène est au cœur de cette ambivalence car, censée incarner l’infini, elle ne représente en fait que le vide. Lorsque Pandare évoque le tableau apparemment albertien que forme la jeune femme à sa fenêtre (I.ii.111-112), c’est une fenêtre qui ne s’ouvre pas vers l’infini idéal mais sur le vide car le tableau est ridicule (113-169). L’apparition d’Hélène au centre de la pièce (III.i) nous donne à voir, en lieu et place de la belle historia que l’on attend, le vide le plus décevant60. Troïlus, quant à lui, commence par imaginer l’espace vide qui s’étend entre le palais de Priam et Troie (où réside Cressida) comme une étendue floue, mouvante, liquide (I.i.101-102). C’est ce vide qu’il rejoint finalement, déçu par Cressida, alors que, littéralement incapable de se « contenir » (« contain yourself », V.ii.179), il voit son être se répandre dans un espace incertain (« you flow to great distraction », 41), à l’image du cadre du cosmos qui, tout entier, se dissout (155). Georges Poulet a décrit « la mode du cercle érotique, cosmique et théologique » qui traverse toute la Renaissance61 ; tous ces cercles se dissolvent dans la pièce : l’espace se délite, les dieux sont triviaux ou grotesques62, et le sexe de la femme n’est que l’« imposture » vide évoquée par John Donne dans Love’s Alchemy. Au centre du tableau comme au centre de la cité de Troie, il n’y a que vide et pourriture. Les cadres deviennent mous, l’espace se fait liquéfaction et dissolution, à l’image de cette somptueuse armure qui ne renferme que la putréfaction (V.viii.1).

15 Ces images de dissolution procèdent en fait du corps humain : la dissolution politique et morale est avant tout symbolisée par les images de dissolution corporelle, à l’opposé du cadre, de la mesure et de la proportion. Dans son traité De la statue (1436), Alberti explique que les deux règles fondamentales du sculpteur cherchant à reproduire les attitudes du corps humain sont « la mesure et la délimitation des limites63 ». Les contours incertains sont, nous l’avons dit, un obstacle à toute composition de type albertien. Si la perspective centrale est impossible dans Troilus and Cressida, n’est-ce pas parce que le corps humain y est impossible à mesurer et à délimiter ? Les limites du corps sont aussi floues que celles du cosmos, le corps est vide ou grotesque, la perspective centrale laisse place à l’anamorphose64. Le grotesque et l’anamorphose sont deux manières de mettre en perspective la perspective centrale et, par là même, de créer un rapport différent à l’espace. Celui de Troilus and Cressida semble véritablement envahi par les marges. Pandare et Thersite, toujours en marge de l’action, font signe au spectateur (lecteur) à qui ils présentent un point de vue oblique et décalé qui reprend le principe du décentrement anamorphotique. Le grotesque, figure de la liminalité, sert fréquemment de cadre à l’espace illusionniste, mais déborde souvent comme il déborde

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des marges des manuscrits enluminés. En architecture, il est présent dans tous les espaces de transition : frises, chapiteaux, autour des portes, des fenêtres, des cheminées, dans les rinceaux et sur l’écran des grands halls élisabéthains, lieux de passage par excellence. En ce sens, Thersite et Pandare jouent donc tous deux le rôle traditionnellement dévolu au grotesque : ils servent à la fois de transition et de mise en perspective. On retrouve chez eux les autres caractéristiques bien connues du grotesque : l’insistance quasi obsessionnelle sur « le bas matériel et corporel65 », la nature protéiforme d’un corps malléable marqué par la division et la liquéfaction, en un mot, le refus des cadres contraignants et de la circonscription. Pandare est aussi bien un présentateur qu’un entremetteur : c’est lui qui introduit les guerriers tour à tour (I.ii) ; c’est lui, surtout, qui sert de transition entre Troïlus et Cressida (« gone between and between », I.i.71-72). Il est véritablement la créature des portes et des lieux de passage, celui qui introduit les deux jeunes gens dans une chambre et les pousse ouvertement à consommer leur amour (III.ii.206-208). Son rôle de gardien des portes apparaît clairement dans la scène où Énée vient chercher Cressida pour qu’on l’emmène chez les Grecs : il veille sur les lieux de passage, y compris sexuels, si bien que toute allusion à une porte prend un double sens évident (IV.ii.2-3 ; 19). Ce rôle, il le revendique lui-même à la fin de la pièce, lorsqu’il invoque ses « brethren and sisters of the hold-door trade » (V.x.52)66. Thersite appartient à un genre différent : les images qu’il emploie sont bien celles de la tradition grotesque (corps, animaux, sexe…), mais elles témoignent également d’une fascination morbide et perverse pour la maladie, la pourriture et la dégénérescence du corps. Le grotesque malsain qu’il incarne se rapproche de celui d’un Wendel Dietterlin. Remplissant parfaitement son office de présentateur, il est aussi celui qui met le plus les choses en perspective : il a sa propre interprétation du rôle qu’Hector et Ulysse font jouer à Achille et Ajax (II.i.106-109) ; il commente, non sans un certain voyeurisme, la scène de trahison de Cressida (V.ii) et la bataille finale entre Ménélas et Paris, loin du lyrisme d’Homère (V.vii.9). C’est également lui qui, en une image conjuguant subversion de la statue albertienne et déformation anamorphotique, décrit Ménélas – qu’il compare indirectement à Jupiter – comme « the primitive statue and oblique memorial of cuckolds » (V.i.53-54). Par ailleurs, il invoque fréquemment le grand trait de l’esthétique du grotesque qu’est la linea serpentinata, clairement mentionnée à travers la description du caducée de Mercure (II.iii.12-13)67 ; elle caractérise d’ailleurs la forme de la pièce tout entière, comme le soulignent Cassandre (« distraction, frenzy and amazement / Like witless antics one another meet », V.iii.85-86)68 et Troïlus ( V.iii.110). Son corps, enfin, n’est qu’une sphère dégénérée, idée résumée par l’expression « crusty botch of nature » (V.i. 5), écho à l’échelle du microcosme, de la dégénérescence du macrocosme. Néanmoins, quelque important que puisse être le rôle de commentateur de Thersite et Pandare, il est impossible d’adopter leur point de vue plutôt qu’un autre. Le passage d’un point de vue à un autre est incessant, le regard et l’esprit ne peuvent se poser nulle part. Au bout du compte, c’est bien dans un espace vide à peine délimité par des cadres incertains que nous précipitent les multiples perspectives de la pièce. L’éclatement de la perspective signe le refus de l’illusion théâtrale, comme si Shakespeare se moquait des efforts d’Inigo Jones pour construire de parfaits décors de théâtre en perspective : ce qui demeure, au bout du compte, n’est qu’une version dégradée de la peinture, un vulgaire bout de tissu (V.x.46), que regardent des yeux à moitié mangés par la maladie vénérienne (49), et sur lequel Pandare barbouille une histoire répugnante où la chair

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est non seulement triste, mais suante et malade, et prête à répandre ses maladies sur le monde (47-57).

NOTES

1. V.ii.155. Édition utilisée : éd. Kenneth Palmer, coll. The Arden Shakespeare, Londres & New York, Routledge, 1990 (1re éd. 1982). Pour les références à d’autres pièces, éd. Stanley Wells & Gary Taylor, The Complete Works (The Oxford Shakespeare, compact edition), Oxford, Clarendon Press, 1988. 2. Raymond Gardette, « Images d’espace dans Troïlus et Cressida », in Shakespeare. Troilus and Cressida, Actes du colloque des 9-10 novembre 1990, Lyon, CERAN, 1991, p. 56. 3. Michel Jeanneret, Perpetuum mobile : métamorphoses des corps et des œuvres de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, 1997, p. 76. 4. Joan Kelly Gadol, Leon Battista Alberti, homme universel des débuts de la Renaissance, trad. Jean- Pierre Ricard, Paris, Éditions de La Passion, 1995 (1re éd. 1969), p. 13. 5. Ibid., p. 24. 6. Ibid., p. 26-27. 7. Voir, par exemple, le grand classique d’Alexandre Koyré, Du monde clos à l’univers infini, trad. Raissa Tarr, Paris, Gallimard, 1973 (1re éd. 1957) ; Margaret Llasera, Représentations scientifiques et images poétiques en Angleterre au XVIIe siècle. À la recherche de l’invisible, Paris, CNRS Éditions et Fontenay / Saint-Cloud, ENS Éditions, 1999. 8. Voir Margaret Jones-Davies, « ’The world is but a word’ – ‘spéculations spatiales’ dans l’œuvre de Shakespeare », in J. P. Naugrette éd., Cartes et strates, Tropismes, n° 7, Paris (Université de Paris X-Nanterre), 1995, p. 7-27 ; Anne Cauquelin, Essai de philosophie urbaine, Paris, PUF, 1982. 9. Même la chôra platonicienne, qui semblerait s’en approcher, demeure « une simple condition vide, et comme un cadre sans bords, un demi-être » tant qu’elle n’est pas « précisée par un corps concret », Anne Cauquelin, op. cit., p. 84. Platon la définit en effet comme un réceptacle, comme une virtualité difficile à saisir, Timée, éd. Émile Chambry, Paris, Garnier-Flammarion, 1969, 51c-52c, p. 430. 10. Épître dédicatoire au Pape Paul III, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 148. 11. L’harmonie naît de la recherche d’une unité organique (module) obtenue par la commensurabilité des différentes parties de l’édifice entre elles et avec le tout, c’est-à-dire par des rapports de proportions. Voir Vitruve, Les Dix livres d’architecture (De architectura), trad. C. Perrault (1684), Liège, Pierre Mardaga, s.d., I, 2. 12. Voir Alastair Fowler, Time’s Purpled Masquers. Stars and the Afterlife in Renaissance English Literature, Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 33-58. 13. Ptolémée, Géographie, cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 74. 14. Ibid. 15. Cité par J. K. Gadol, op. cit., p. 157. En Angleterre, voir l’évolution vers plus de précision scientifique de l’atlas de Christopher Saxton (1579) au Speculum Britanniæ de John Norden (1593) et surtout au Theatre of the Empire of Great Britain de John Speed (1611). R. V. Tooley, Maps and Map- Makers, New York, Bonanza Books, 1970 (1re éd. 1949).

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16. Le premier à proclamer vraiment l’infinité de l’espace est Giordano Bruno (De l’infinito universo e mondi, 1584), mais il a peu d’influence sur ses contemporains. Voir A. Koyré, op. cit., p. 66-78. 17. Par exemple le poème de John Donne, Anatomy of the World (1611), cité par A. Koyré, op. cit., p. 47-48. 18. Ibid., p. 9. 19. Nous employons ces termes par commodité mais Alberti lui-même n’utilise pas le mot « perspective » : le premier à en user dans un sens moderne est Piero della Francesca, dans son De prospectiva pingendi (1482). 20. Le terme vient de Cicéron. Voir L’Orateur, XLIX, 165-L, 167. 21. De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, Paris, A. Lévy, 1868, p. 138. Le troisième principe est la réception des lumières. 22. Cicéron, L’Orateur, XLIV, 149-XLV, 155. 23. De architectura, III, 1. 24. Trad. J. Tricot, Paris, J. Vrin, 1994 (1re éd. 1990), II, 5. 25. De la peinture, op. cit., p. 140-141. 26. Ibid., p. 124. 27. Ibid., p. 117. 28. Ses deux célèbres panneaux ont malheureusement disparu, mais nous sont connus grâce à la « Vie de Brunelleschi » de Vasari et à son biographe, Antonio de Tuccio Manetti, qui en donne une description détaillée. 29. « L’homme est au monde ce que l’homme connaît le mieux. C’est pourquoi, sans doute, Protagoras a dit qu’il était le modèle et la mesure de tout. […] Cela nous enseigne que, quelque sorte de corps que nous venions à peindre, ils nous sembleront grands ou petits, selon la mesure des hommes que nous y aurons placés », De la peinture…, op. cit., p. 123. 30. Ibid., p. 125. 31. Philippe Hamou, La Vision perspective (1435-1740). L’Art et la science du regard, de la Renaissance à l’âge classique, Paris, Payot, 1995, p. 70. 32. Pour une explication détaillée de la construction albertienne, voir Rudolf Wittkower, « Brunelleschi et la proportion dans la perspective », in Giulio Carlo Argan & Rudolf Wittkower, Perspective et histoire au Quattrocento, trad. Jean-Jacques Le Quilleuc, Marc Perelman et Fra Marcello, Paris, Éditions de la Passion, 1990, p. 53-77, et J. K. Gadol, op. cit. 33. De re ædificatoria, I, 1. 34. Erwin Panofsky, La Perspective comme forme symbolique, trad. sous la direction de Guy Ballangé, Paris, Éditions de Minuit, 1975 (1re éd. 1927), p. 160-161. Panofsky semble ici se faire l’écho de la théorie de Jacob Burckhardt sur le développement de la notion d’individualité à la Renaissance, La Civilisation de la Renaissance en Italie, trad. H. Schmitt (revu et corrigé par R. Klein), Paris, Le club du meilleur livre, 1958 (1re éd. 1860). 35. Ernest B. Gilman, The Curious Perspective. Literary and Pictorial Wit in the Seventeenth Century, New Haven & Londres, Yale University Press, 1978 ; Hubert Damisch, L’origine de la perspective, Paris, Flammarion, 1993 (1re éd. 1987). 36. Op. cit, p. 42. 37. Cité par Christy Anderson, « The Secrets of Vision in Renaissance England », in Lyle Massey (éd.), The Treatise on Perspective : Published and Unpublished, New Haven & Londres, Yale University Press, 2003, p. 325. 38. C. Anderson, op. cit., p. 329. 39. Voir François Laroque, « Perspective in Troilus and Cressida », in John M. Mucciolo éd. (avec Steven J. Doloff & Edward A. Rauchut), Shakespeare’s Universe : Renaissance Ideas and Conventions, Aldershot, Scolar Press, 1996, p. 230. 40. Les Métamorphoses du cercle, Paris, Flammarion, 1979 (1re éd. 1961).

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41. Ibid., p. 79. 42. De architectura, I, 1. Chez Alberti, voir par exemple la transition entre le livre I et le livre II du De pictura : « il nous reste maintenant, pour que nous formions un peintre, à rechercher comment il rendra avec la main ce que son esprit aura conçu », op. cit., p. 130. 43. Plus loin, Thersite présente clairement Ulysse et Nestor comme les architectes de la guerre, les maîtres du disegno dont Ajax et Achille ne sont que les instruments (II.i.106-109). 44. Voir Françoise Choay, La Règle et le modèle. Sur la théorie de l’architecture et de l’urbanisme, Paris, Éditions du Seuil, 1980. 45. « Le traité De re ædificatoria (de Leon Battista Alberti) », in G. C. Argan & R. Wittkower, op. cit., p. 83. 46. Troilus and Cressida, coll. The Arden Shakespeare, op. cit., p. 134. 47. Ibid., p. 276. 48. L’édition Arden cite ce passage des Proverbes, XXV.29 : « he that hath no rule over his own spirit is like a city that is broken down, and without walls », p. 178. 49. G. C. Argan, « Le traité De re ædificatoria… », op. cit., p. 88. 50. Voir F. Laroque, op cit. 51. Ibid. 52. Ibid., p. 234. 53. Timber or Discoveries, in Works, éd. C.H. Herford & P. Simpson, Oxford, Clarendon Press, 1925-52 (11 vol.), vol. 8, p. 628. C’est moi qui souligne. 54. Voir T. McAlindon, « Language, Style, and Meaning », in Priscilla Martin (éd.), Troilus and Cressida. A Casebook, Londres & Basingstoke, Macmillan Press, 1976, p. 191-218. 55. Pour une analyse sytématique de tous ces cas de figures, voir Jane Adamson, Troilus and Cressida, Brighton, The Harvester Press, 1987. 56. « The juxtapositions work not to cancel one thing with another but to make us question everything, see it from several angles at once », Jane Adamson, op. cit., p. 43. 57. A booke called the foundacion of rhetorike, Londres, 1563, (STC 20604), f° 25 et suiv. Voir à ce sujet Marion Trousdale, Shakespeare and the Rhetoricians, Chapel Hill, N.C. & Londres, Scolar press, 1982, p. 4-7. 58. The Rule of Reason, Londres, 1552, cité par M. Trousdale, in Shakespeare and the Rhetoricians, op. cit., p. 38. 59. Voir par exemple le dialogue suivant dans 1 Henry IV : FALSTAFF. […] Now I live out of all order, out of all compass. RUSSELL. Why, you are so fat, Sir John, that you must needs be out of all compass, out of all reasonable compass, Sir John. (III.iii.18-22) 60. Voir F. Laroque, op. cit., p. 235. 61. Op. cit., p. 62. 62. Voir F. Laroque, op. cit., p. 228. 63. De la statue, in De la statue et de la peinture, trad. Claudius Popelin, op. cit., p. 75. 64. L’usage que fait Shakespeare du mot « perspective » est, à cet égard, très révélateur : il correspond à l’évolution du terme, qui, du sens qu’on lui donne habituellement en peinture, en est venu à désigner l’anamorphose (Oxford English Dictionary, « Perspective », 4b). Les exemples sont bien connus (Richard II, II.ii.16-20 ; Twelfth Night, V.i.213-214 ; All’s Well That Ends Well, V.iii. 46-53). Dans Much Ado About Nothing, c’est bien d’une référence paradoxale à la costruzione legittima qu’il s’agit quand Margaret parle de « illegitimate construction » (III.iv.45). La moquerie est peut-être une manière indirecte de remettre en doute cette construction idéale. 65. Mikhail Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen-Âge et sous la Renaissance, trad. Andrée Robel, Paris, Gallimard, 1970 (1re éd. 1965), chap. vi. 66. Dans certaines éditions, ce passage est cité en appendice.

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67. John Shearman évoque le Mercure de Giovanni Bologna (vers 1576) pour illustrer la ligne serpentine. Mannerism, Harmondsworth, Penguin, 1990 (1re éd. 1967), p. 89. 68. C’est moi qui souligne. On retrouve l’image du labyrinthe dans la bouche de Thersite, justement : « How now, Thersites ? What, lost in the labyrinth of thy fury ? », II.iii.1-2.

RÉSUMÉS

Dans Troilus and Cressida, l’idéal humaniste du disegno est constamment mis à mal par des personnages incapables de mener à bien les projets qu’ils ont échafaudés. Exacerbé par le conflit qui sous-tend la pièce, cet échec du disegno entraîne la remise en cause des principes de l’harmonie, de la règle et de la mesure traditionnellement associés au système de Ptolémée. Shakespeare se livre à un incessant questionnement des idéaux humanistes en créant un espace qui semble toujours se dérober, au gré d’une perspective multiple, éclatée et décentrée, à l’opposé de la costruzione legittima d’Alberti

In Troilus and Cressida, the humanist concept of disegno is constantly imperiled by characters who all fail to carry out their plans. With the underlying conflict the failure of any form of disegno is even more conspicuous and leads to a questioning of the fundamental principles of harmony, degree and measure on which the Ptolemaic system is based. The ever elusive space system of the play and the multiple, decentred, fragmented perspectives challenge the humanist ideals and Alberti’s costruzione legittima.

AUTEUR

MURIEL CUNIN Muriel CUNIN, ancienne élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay-Saint Cloud, agrégée d’anglais, est maître de conférences à l’université de Limoges. Elle a consacré sa thèse (soutenue en 2000) à « L’architecture dans le théâtre de Shakespeare ». Elle a publié plusieurs articles sur Shakespeare ainsi que sur l’architecture de la Renaissance, par exemple : « ‘Pillars of the State’ : architecture et royauté dans le théâtre de Shakespeare » in Figures de la royauté en Angleterre de Shakespeare à la Glorieuse Révolution (1999) ; « ‘Reliques of that barbarous age’ : nouveauté et architecture à l’époque élisabéthaine » in Esthétiques de la nouveauté à la Renaissance (2001) ; « ‘And the wide arch / Of the ranged empire fall’ : La dissolution des formes architecturales dans Antony and Cleopatra », XVII-XVIII, n° 53, 2001 ; « The Architect and the Stage Director : Plotting in Shakespeare » in Form and the Arts : Theatre, Music and Design (2002) ; « ‘Such seething brains, / Such shaping fantasies’ : Imagination et conception dans A Midsummer Night’s Dream » in Lectures d’une oeuvre. ‘A Midsummer Night’s Dream’ (2002). Plusieurs autres publications sont en cours.

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Between Topographical Fact and Cliché: Vienna and Austria in Shakespeare and other English Renaissance Writing

Manfred Draudt

1 The identity of Austria in Shakespeare’s day poses complex problems. On the one hand, Austria was regarded as part of Germany, i.e. as part of the German-speaking countries in central Europe, and the fact that the Habsburg monarch in Vienna for many centuries1 was identical with the Holy Roman Emperor contributed to blurring the distinction between Austria and Germany; on the other hand, Austria was seen throughout as a separate political entity, distinguished from its neighbouring countries: Bavaria, Saxony and Brandenburg/Prussia. All the Elizabethan topographies which appeared when Shakespeare was writing his plays reflected the view that Austria is merely one German-speaking country among many. In A Discourse… of all those Cities wherein do Flourish at this Day Privileged Universities, Samuel Lewkenor discusses Vienna under the heading “The Universities of Germanie,”2 and Abraham Ortelius, who in His Epitome of the Theatre of the World3 mentions Austria among the “countries” of Germany such as “Prussia, […] Bauaria, [… and] Switzserlande”4 even devotes a separate chapter to it: AVSTRIA […] is the furthest part of Germanye towards the East […] the Lords whereof for the space of two hundred years have continually been Emperors of the Roman empire, which continuance in election makes it seem as though the Germayne Empire were a hereditary right belonging to their house.5

2 In a similar manner Robert Stafforde in A Geographical and Anthological Description of all the Empires and Kingdoms, both of Continent and Islands in this Terrestrial Globe describes Austria as “the seventh” province of Germany, “the metropolitan of which is that famous Vienna, seated upon the river Danubius, esteemed to be one of the fairest cities in Germanie.”6

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3 Shakespeare, however, differentiated sharply between Austria and Germany. Like most Elizabethans, he connected the Germans with the Danes and the Dutch, to whose notorious reputation as heavy drinkers Portia, for example, alludes: “Very vilely [I like the young German, the Duke of Saxony’s nephew] in the morning when he is sober, and most vilely in the afternoon when he is drunk” (I.ii.72-73).7 The image of Germany in Shakespeare’s plays is not flattering; yet his notion of the Habsburg monarchy is even more profoundly negative. Typical of the Elizabethan attitude towards the Catholic arch-enemy Austria is Gervase Markham’s Newe Metamorphosis from c 1600: […] th’ Austrian greatnes […] should quake and Spaine & […] and if it may but to my prayer succeede Rome by’t shall die, & Austria sore shall bleede8

4 The same sentiment can be found three decades later in William Sampson’s play The Vow-Breaker: We feare noe Spanish force, nor French-mens braves. Let Austria bragge; and Rome, and Italy Send out their poison’d Darts. (V.iii.75)

5 These popular works – just like Shakespeare – do not identify Austria with Germany but rather connect it with Catholic France and Italy. Though not a pronounced anti- Catholic, Shakespeare always associated both Vienna and Austria with treachery, vice and immorality, as Hamlet, Measure for Measure and King John show.

6 In Hamlet, Vienna is the setting of the “The Murder of Gonzago.” The prince explains the “argument” of the play-within-the-play: “This play is the image of a murder done in Vienna – Gonzago is the Duke’s name, his wife Baptista” (III.ii.217-18); and then he specifies: “A poisons him i’th’ garden for’s estate. […] The story is extant, and writ in choice Italian. You shall see anon how the murderer gets the love of Gonzago’s wife” (239-42).9 Shakespeare used an actual historical event as his model. In 1538 the Duke of Urbino, Francesco Maria I della Rovere, was poisoned by means of a lotion poured into his ears by his barber-surgeon at the instigation of Luigi Gonzaga, a kinsman of the Duchess.10 Gonzago is transformed by Shakespeare into the victim, but his first name, Luigi, reappears in the murderer’s name, Lucianus. Retaining the names and background, Shakespeare moved the scene of the murder from Urbino to Vienna, which apparently did not strike him as inconsistent with the Italian setting. “Vienna”, in fact, first appears in the “good” Quarto of 1604/511 and has the ring of authenticity about it, because Q2 goes back to Shakespeare’s own manuscript. It is also noteworthy that the printing of Q2 coincided with the completion of Measure for Measure, where Vienna is central.

7 Both in “The Murder of Gonzago” and in Measure for Measure the Viennese setting is inconsistent with the Italian local colour and names.12 In Measure for Measure all the main characters, except for Isabella, have distinctly Italian names: Vincentio, Angelo, Claudio and Juliet(ta), Lucio, and the nun Francisca. Her order, St. Clare (I.iv.5), founded at Assisi, further contributes to the Italianate ambience, as do two allusions to Rome.13 What “The Murder of Gonzago” has in common with Measure for Measure is the predominance of vice and sexual corruption, and I suspect that this is why in both cases Shakespeare deviated from his sources and chose Vienna as the setting.

8 Shakespeare’s immediate source, Whetstone’s Promos and Cassandra, transfers the scene from Cinthio’s Innsbruck under Habsburg rule14 to a city called “Iulio” 15 that is

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associated with Matthias Corvinus, who conquered Vienna in 1485.16 Shakespeare, however, transformed Whetstone’s (Hungarian) King Corvinus into the Italianate Duke Vincentio, who is at odds with the King of Hungary,17 and he deliberately changed the location to Vienna, firmly establishing the new setting by nine specific allusions. Most of the references are made in the low-life scenes, so that Vienna becomes synonymous with prostitution and vice, as is suggested by the disguised Duke: […] here in Vienna, […] I have seen corruption boil and bubble Till it o’errun the stew… (V.i.311-17)18

9 Elizabethan accounts, however, give a totally different picture of the city. In A Discourse… of all those Cities wherein do Flourish at this Day Privileged Universities (1600) Samuel Lewkenor writes that Vienna is the most renowned metropolis and residence of the Archdukes of Austria, situate upon the shore of Danubius, a city for continuance most ancient, for wealth most opulent, and for strength most invincible, the only bulwark of the Christians against their perpetual, immane [i.e. cruel], and barbarous enemy, the Turk. (F2v)

10 Not caring about historical and geographical correctness, Shakespeare employed Vienna as a thinly disguised allegory of London. This is borne out by the telling character names, Froth, Abhorson and Elbow (an authentic English constable), as well as by the allegorical type-names of Mistress Overdone’s customers (“young Master Rash; […] Master Caper”, etc.).19 Furthermore, Pompey’s report that “All houses in the suburbs of Vienna must be plucked down” (I.ii.78) relates to an order of the Privy Council (issued in 1596) to “suppress all kinds of disorderly houses, including brothels, in the suburbs of London.”20

11 In King John, it is not the location that is significant but a character,21 the Duke of Austria, who plays a prominent part in the first scenes of Acts II and III. In Shakespeare’s play, the Duke of Austria is the self-styled protector of Prince Arthur and his widowed mother Constance, as well as a strong ally of the King of France, who recalls the “brave Austria[’s]” feud with Richard Lionheart and their common crusade.22 In this Third Crusade of 1189-92 the English King Richard, Philip II of France and the Austrian Duke Leopold V all participated. A chronicle reports that Leopold deserted his ally during the siege of Akkon, because Richard had insulted him and disgraced the Austrian flag by throwing it from a tower into the mud23. On his return journey, Richard was apprehended by Leopold near Vienna and taken into custody in Dürnstein. With the enormous ransom he received for King Richard (allegedly £1000), Leopold was able to fortify several Austrian cities, including Vienna. Both the Austrian Duke and his English adversary died in accidents: Leopold fell from a horse in 1194, and Richard was fatally wounded five years later in France when hit by a stray arrow during the siege of the castle of the Vicomte de Limoges. Yet each of the rulers soon became a figure of myth: Leopold’s bloody tunic, which allegedly stayed white below his belt, became the legendary origin of the Austrian flag; and King Richard was reported to have killed a hungry lion in his prison cell by thrusting his hand down its throat and tearing out its heart, which explains his sobriquet Cœur-de-lion.

12 Anthony Munday’s The Downfall of Robert Earl of Huntingdon (1598) incongruously combines many historically correct details with the myth of King Richard and the cliché of the Duke of Austria’s cowardice. The Earl of Leicester accurately recalls the humiliation of Austria during the siege of Akkon:

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[…] thus did Richard take The coward Austria’s colours in his hand, And thus he cast them under Acon walls, And thus he trod them underneath his feet. (IV.i; p. 175, in Hazlitt).

13 Also, the ransom is an issue in the dispute between Leicester and the treacherous self- styled king John: the loyal Leicester reminds John that Richard “three times sent before / To have his ransom brought to Austria” (171), which John meanly denies: Methinks, if Richard won those victories, The wealthy kingdoms he hath conquered May, better than poor England, pay his ransom. […] We wish King Richard well, but can send no relief. (173)

14 Unexpectedly, however, Richard is reported to have returned (like a deus ex machina) and said to intend to deliver the ransom himself, like a debt of honour: LEICESTER. Richmond! […] […] welcome, dear friend! Where is my sovereign Richard? Thou and he Were both in Austria. Richmond, comfort me, And tell me where he is, and how he fares. O, for his ransom, many thousand cares Have me afflicted. RICHMOND. Leicester, he is come to London, And will himself to faithless Austria, Like a true king, his promis’d ransom bear. (176-77)

15 Nevertheless, most space is given to Richmond’s report of King Richard’s legendary feats, which are set off by Austria’s cowardice. Richard’s bravery is underscored by the absurd claim that he killed the son of the Austrian duke (whose name is correctly given as Leopold): I saw King Richard with his fist Strike dead the son of Austrian Leopold, And then I saw him, by the duke’s command, Compass’d and taken by a troop of men, Who led King Richard to a lion’s den. Opening the door, and in a paved court, The cowards left King Richard weaponless: Anon comes forth the fire-eyed dreadful beast, And with a heart-amazing voice he roar’d, Opening (like hell) his iron-toothed jaws, And stretching out his fierce death-threatening paws. […] I stood by treacherous Austria all the while, Who in a gallery with iron grates Stay’d to behold King Richard made a prey. […] he [Austria] shook – so help me God, he shook - With very terror at the lion’s look. [Leicester exclaims: “Ah, coward!”] Richard about his right hand wound a scarf […] And thrust that arm down the devouring throat Of the fierce lion, and withdrawing it, Drew out the strong heart of the monstrous beast, And left the senseless body on the ground. (178-9)

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16 How Richard went free and why he should return to this pusillanimous duke to pay his ransom is left unexplained.

17 In the sequel, The Death of Robert Earl of Huntingdon (1598), written in collaboration with Henry Chettle, Austria features again in the allegorical dumb-show of Act I, Scene iii, even if history is turned upside down here.24

18 In contrast to Munday’s The Downfall of Robert Earl of Huntingdon, Shakespeare in King John totally ignored basic historical facts, which he could easily have derived from sources well known to him such as John Foxe’s Actes and Monuments of Martyrs.25 His only concern was with the Cœur-de-lion of legend,26 and for that purpose he twisted the historical material, as he did with “The Murder of Gonzago”. The Duke of Austria, who actually died before King Richard, is not only blamed for Richard’s death but also accused of having stolen his trophy, the lion’s skin. Like the author of The Troublesome Raigne, Shakespeare conflates England’s arch-enemies, Austria and France, incongruously combining the Duke of Austria with the Viscount of Limoges, who, according to Holinshed, was killed by “Philip, bastard sonne to king Richard […] in revenge of his fathers death” (Bullough iv, 28).

19 The (Catholic) Duke of Austria is stamped by Shakespeare as an enemy of England not only by his alliance with France but also by his support of Cardinal Pandulph, the Machiavellian legate from the Pope. Approving of the peace settlement between France and England, the Duke of Austria breaks the word he gave to Constance and Arthur and is therefore reviled as a turncoat: O Limoges, O Austria[…] […] Thou slave, thou wretch, thou coward! Thou little valiant, great in villainy; Thou ever strong upon the stronger side… (III.i.40-43)

20 His cowardice provokes Falconbridge to bait him with mockery,27 and his death in battle is as ignominious as it is deserved. The stage-direction reads: “Enter [the] BASTARD, with [the Duke of] Austria’s head” (III.ii.0) – possibly even carrying his lion’s skin as a trophy.

21 Although the Duke of Austria is the antithesis to the spirit of England as represented by Cœur-de-lion, Shakespeare gives him a speech in which he foreshadows John of Gaunt’s glorification of England in Richard II.28 That Shakespeare occasionally could present Austria in a positive light is borne out in a detail from the second scene of All’s Well That Ends Well. There the King of France, just as in King John, is swayed by his Austrian friend and ally: [FRENCH] KING. […] we here receive it A certainty vouched from our cousin Austria, With caution that the Florentine will move us For speedy aid – wherein our dearest friend Prejudicates the business, and would seem To have us make denial. FIRST LORD DUMAINE. His [Austria’s] love and wisdom, Approved so to your majesty may plead For amplest credence… (I.ii.4-11; my italics)

22 This passage that Shakespeare added to his source again illustrates his largely ahistorical, associative method of working: “Shakespeare is remembering [King] John, where Austria is the ally of the King of France.”29

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23 Primarily relying on popular legend and clichés,30 Shakespeare connects Austria solely with France (in King John and All’s Well that Ends Well) and Vienna exclusively with Italy (in Measure for Measure and Hamlet). Thus he not only shows his ignorance of the actual geographical position of the country and its capital, but also fails to establish any connection between Austria and Vienna, and in fact seems to have associated the city with Venice because of the similarity in sound (a slip still commonly met in England)31 – even though the topographies of the time, such as that of Ortelius, provided reliable information: the metropolitan of all the country [Austria] is Vienna, situated on the Danubie, the which what for the nature of th’inhabitants, […] the stately and sumptuous building, and for the residence of the Archdukes, it may be esteemed one of the best cities of Germanye, for besides all this she is strongly seated and much famoused by the resistance she shewed unto the Turks in the year of our Lord 1526 [actually 1529] when Soliman, the Turkish Emperor, in his own person came thither with an innumerable army, since which time they have still fortified the same. It hath in it many fair churches, whereof the chief is S[t]. Stephens, of exceeding beauty, having a steeple of 480 feet high. (“Austria,” 52 , C3v)

24 George Abbot, in A Brief Description of the Whole World32 (1600), similarly calls “Vienna that noble city, […] the principal bulwark of all Christendom against the Turk, from whence Soliman was repelled,” and he also mentions that Cœur-de-lion “in his return from the Holy Land was taken prisoner by the Archduke of Austria and so put to a grievous ransom” (B3r). Such descriptions, but particularly Ortelius’s work, may well have served as sources of information for Ben Jonson, who refers in Every Man in His Humour to the relief of Vienna from the Turkish siege. Disguised as a disabled veteran of the wars, Brainworm claims to have served for 14 years under “the best commanders in Christendom”: “I was twice shot at the taking of Aleppo, once at the relief of Vienna” (II.ii.63, Folio).

25 The same artistic liberty – that is carelessness – regarding historical facts and chronology that we met in Shakespeare we also find in Christopher Marlowe’s Tamburlaine, Part II. In the opening scene located on the banks of the Danube (the frequent mentions of which seem to prepare us for the later references to Vienna),33 Orcanes, King of [A]Natolia, promises that “Christians shall have peace”34 and negotiates a truce with his former enemy Sigismond, King of Hungary, in order to join forces against their common enemy Tamburlaine. He starts the negotiations by threatening Sigismond, who “with … [his peers has just] crossed Danubius’ stream” (79): […] Forgett’st thou I am he That with the cannon shook Vienna walls […] Forgett’st thou […] That thou thyself, then County Palatine, The king of Boheme, and the Austric duke Sent heralds out, which basely on their knees In all your names desired a truce of me? (I.i.86-97)

26 Because oaths to infidels are not binding, Sigismond and his associates, the Lords of Buda and Bohemia, break their pledge and attack Orcanes, though in the end Sigismond is defeated and killed.35

27 While Marlowe, in contrast to Shakespeare, links Vienna and Austria, he, too, conflates, or rather confuses, various historical figures and periods. Sigismond appears to be

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based on three different historical personalities: 1) the young “County Palatine” (i.e. Pfalzgraf) Philipp, one of the defenders of Vienna in the Turkish siege of 1529; 2) the Hungarian King Vladislav III, who was killed by Sultan Amurath II in the battle of Varna in 1444 (the circumstances of Sigismond’s death in the play resembling the events that led up to the battle of Varna);36 3) the historical Sigismund, who was crowned as King of Hungary in 1387 and buried as Holy Roman Emperor. As is reported in Knolles’s Generall Historie of the Turckes (and also in earlier sources), King Sigismund, like Marlowe’s character, crossed the Danube with his troops and re-conquered the fortress Vidina on the Danube but was defeated by Bajazeth in the battle of Nikopoli (1396).37 The conflation of different historical figures and the liberties taken with chronology resemble Shakespeare’s method in King John; and Marlowe’s apparent confusion of Vidina and Vienna recalls Shakespeare’s likely association of Vienna and Venice.

28 Occasional references to Austria occur in several plays of the period, which I can mention only briefly. In Samuel Rowley’s When You See Me, You Know Me, or the Famous Chronicle History of King Henry VIII (1605), Austria is one of the many titles of the Emperor Charles V, who makes his appearance towards the end of the play (Scene xv, l. 2863ff). First Edward, the Prince of Wales, welcomes him as “great Charles the Austrian” (2892) before Henry VIII formally hails him as Great Charles, the first Emperour of Almayne, King of the Romans, Semper Augustus, warlike king of Spaine and Cicily, both Naples, Navar and Arragon, king of Creete and great Ierusalem, Arch-duke of Austria, Duke of Millaine, Brabant, Burgundy, Tyrrell and Flanders (K4r, l. 2936-40)

29 and awards him the Order of The Garter: And with our George and coller of estate, Present him with the order of the Garter: Great Maximilian his progenitour, Vpon his breast did wear the English Crosse, […] And Charles with knighthood shall be honoured. (2833-39)

30 The Emperor’s personal meeting with the English King triggers the downfall of the ambitious and scheming Cardinal Wolsey, with which the play ends. His presumption and duplicity become apparent when Henry discovers that his intended message to the Emperor has been deliberately misrepresented by Wolsey, whose ultimate expulsion is therefore commented on by Charles V: I feare king Henry, and my royall Vnckle, The Cardinall will curse my progresse hether. (Lr, l.3015-16)

31 In John Webster’s The Devil’s Law-Case (1623) the illegitimate but officially acknowledged son of Charles V is considered as an eligible young man for an illustrious marriage: […] I heare her brother Is marying the Infant shee goes with, Fore it be borne, as if it be a Daughter, To the Duke of Nephew… (IV.ii.18-21)

32 Despite the Elizabethans’ fear that Don John might have become ruler of Britain if the Spanish Armada had been successful, he is also referred to as the classic example of a brilliant bastard son: […] if you be a Bastard, Such a man being your father, I dare vouch you A Gentleman; […]

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When doe wee name Don John of Austria, The Emperours sonne, but with reverence? And I have knowne in divers Families, The Bastards the greater spirits… (IV.ii.344-51)

33 His fame clearly rested on his naval victory over the Turks in the battle of Lepanto, a turning point in the fight against Ottoman expansion, which was celebrated in Christian Europe and is mentioned immediately after the passage quoted.38 In Much Ado About Nothing Shakespeare might have had this historical figure in mind when calling the bastard, for whom Bandello provides neither a model nor a name, Don John.39

34 The notoriously thick under-lip of the Habsburgs40 is mentioned a number of times, for example in Jonson’s The Alchemist. In Act IV, Scene i, Doll Common, who is introduced to the credulous and lascivious Sir Epicure Mammon, immediately offers him her lip.41 So when Mammon tries to flatter her, he comes back to her lip: There is a strange nobility i’your eye, This lip, that chin! Methinks you do resemble One o’ the Austriac princes. (54-56)42

35 And a little later Mammon speaks of Subtle, the alchemist and Doll’s companion, as […] A man, the Emp’ror Has courted, above Kelly: sent his medals, And chains, t’invite him. (89-91)

36 Jonson, who had read widely on alchemists, also proves his knowledge of the Habsburgs. Edward Kell[e]y, born as Talbot, was invited by Emperor Rudolph II to come to Prague and to bring the philosopher’s stone, but when he failed to produce gold, the chains he had been promised as rewards turned into the iron chains of a prison.43

37 Austria as a dramatic character also features in two other plays of the period. In Chapman’s The Conspiracy and Tragedy of Charles Duke of Byron (1608) Albert, Archduke of Austria and ruler of the Spanish Netherlands, appears towards the end of Act I, Scene ii (from line 165 onwards). The son of Emperor Maximilian II and son-in-law of Philip II of Spain, he lived from 1559 to 1621. He is an entirely nondescript character in Chapman, speaking a total of 21 lines, but his court at Brussels is the location of Byron’s embassy, the signing of the Treaty of Vervins. At Albert’s court Byron is not only “wooed and worshipped” (II.i.9) but also meets the treacherous exile d’Aumale.

38 In Henry Chettle’s The Tragedy of Hoffman44 Austria is much more prominent: the play contains no fewer than 25 references. Lucibelle, the daughter of the (unnamed) Duke of Austria, is on stage in seven of the play’s twelve scenes, and her father appears in two.45 Even if most of the characters’ names appear to be fictitious, the play does reflect the geographical situation of Germany. (The Dukes of) Saxony, Prussia and Luningberg (i.e. Lüneburg) play important roles, and the mention of Pomer[n], Danzig, Lubecke, Wittenberg and Heidelberg further adds to the local colour; Austria is correctly conceived of as a distant country by the Duke of Saxony, who confers “with Princely Ferdinand [the Duke of Prussia] / About an embassie to Austria” (1504). Both the Duke of Austria and his daughter become victims of the devilish plots of the avenger, Clois Hoffman, who slanders the innocent Lucibelle (after the manner of Don John in Much Ado About Nothing) and thus contrives her (seeming) death together with that of her betrothed, young Saxony. At first enraged by the elopement of the couple, the Duke of Austria is eventually reconciled with old Saxony (II.ii), though his anger flares up again upon hearing that Saxony’s second son, who was set on by Hoffman, has killed the

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couple. Attacking old Saxony, the Duke of Austria is ultimately slain in the scuffle by Hoffman (in the way Roderigo is murdered by Iago).

39 Finally, I want to consider the travel reports; of these only Fynes Moryson’s An Itinerary deserves closer attention.46 Originally written in Latin and published in four volumes in 1617, it describes journeys undertaken between 1591 and 1597. Moryson provides a fascinating mixture of factual information in the manner of the topographies (even a genealogy of the Habsburgs; see iv, 243-65) and extensive comments on social life and national character,47 which combine perceptive observations with traditional clichés. (The same practice can be found in the generally trustworthy topographies, which occasionally propagate popular preconceptions. Commenting on the Danube and the other major rivers of Austria, Ortelius claims that they yield “great store of fish, whereof there is one sort, which are as big as a little cottage, and therefore they also in their language call them Hausen”).48

40 A Fellow of Peterhouse, Cambridge, Moryson “obtained license” (i, xii) from his College to travel with the purpose of surveying the different countries of Europe. “From my tender youth”, he maintains, “I had a great desire to see foreign countries” (i, xii).49 Yet unlike his contemporaries, he did not aim at Italian universities only but took a great interest in Germany and also took the trouble to learn German (see i, vii-viii). He toured extensively through Europe, visiting Germany, the Low Countries, Switzerland, Denmark, , and Italy, and making longer stays at Wittenberg, Prague, Heidelberg, Leyden, Padua, Venice and Constantinople. He travelled through Austria twice, going to Vienna in September 1593 and to Innsbruck in early 1596.50 I shall focus on “his descriptions of […] social life [, which] are much more valuable than his discourses of countries where he merely passed through as an intelligent tourist and note-taker.”51 Because Austria and Vienna lay off the beaten track, the Itinerary contains few direct references to Austrian people and their customs. Only the Emperor and his court at Prague receive more attention. Moryson is astonished by “the great gravity the Germans use in very small matters” and repeatedly comments on the fact that “in conference at […] meetings they use long orations […] with much tediousness.” 52 He also expresses his surprise at the fondness of titles, a habit characteristic of Austria to this day: They give one another not only high titles among mean persons, but many of them, as it were by dozens or wholesale, so as the preface of titles is longer than the name of the bragging soldier in Plautus. (iv, 324-25)

41 Since Moryson regards people as a product of the influence of climate and environment, some of his descriptions reflect his preconceptions: Both men and women in Styria and Carinthia upon the have many of them great wens in their throats, bigger than their cheeks, either by drinking water running through minerals, or snow falling into the waters… (iv, 297)

42 Statistically goitre is not more frequent in these provinces than in other parts of Austria, but Moryson is repeating a cliché drawn from one of the earliest descriptions of Styria by Johannes Boemus (1520), which claims that the people there are disfigured by massive swellings of their necks.53

43 What he writes about the universities, by contrast, shows Moryson’s shrewd insight into features which still characterize the Austrian (and German) university system: The students of Germany have little learning from private reading, but take the most part thereof upon trust (or hearsay) from the lectures of these grave

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professors who dictate their lectures […] which they write out word by word (iv, 308)

44 He also comments on another typically Austrian attitude: The gentlemen of Germany study the Civil Law, richly rewarded among them, and some become doctors thereof, but they despise all other degrees, and esteem a Master of Art no better than a pedant. This myself found in Austria, when speaking with a gentleman, and upon his wonder that I spake the Latin tongue readily, telling him I was a Master of Arts, I perceived that after he esteemed me no better than a schoolmaster (iv,310).

45 In Austria, a degree in law still is more useful than any other, and though recently Master’s degrees have gained in weight, socially as well as academically their prestige is still much inferior to that of a doctorate.

46 A pervasive leitmotif in Moryson’s description of the Germans reflects a common prejudice in Elizabethan and Jacobean authors, in Shakespeare’s works as well as in Thomas Nashe’s Unfortunate Traveller: “All the Germans have one natural vice of drunkenness in such excess… as it stains all their natural virtues.”54 He also notes their lack of a sophisticated sense of humour55 as well as their low level of drama and acting, so that they admire even second-rate English players. In the following extract Moryson comments astutely on a performance he witnessed of Robert Brown’s splinter company, which gave plays by Marlowe and Gammer Gurton’s Needle at the Frankfurt autumn fair in 1592:56 Germany hath some few wandering comedians, more deserving pity than praise, for the serious parts are dully penned, and worse acted, and the mirth they make is ridiculous and nothing less than witty (as I formerly have shewed). So as I remember that when some of our cast despised stage players came out of England into Germany and played at Franckford at the time of the mart, having neither a complete number of actors, nor any good apparel, nor any ornament of the stage, yet the Germans, not understanding a word they said, both men and women, flocked wonderfully to see their gesture and action, rather than hear them (iv, 304).

47 The German drama of the time was crude, and so were the performers, who were untrained craftsmen or schoolboys, which explains the German craze for professional English actors, particularly clowns.

48 In his description of Vienna, Moryson gets a basic detail wrong: “the river Danow runneth… from the east to the west” (i, 140). Nevertheless, he reveals his perceptiveness again when pointing out a bad habit, with which visitors to modern Austria are still confronted, the attendants’ request for high tips, which are almost compulsory. Although Moryson associates this with the Germans in general, I would call it a typically Austrian vice: They have another custom, which being frequent, is no little charge to the passengers, namely gifts which they call ‘drinckgelt’, that is drinking money (as if money were for no use but drinking). And these being at first free gifts are now challenged of right. The servants in inns, though they do a passenger no service, […] and though they give him foul sheets in his bed, yet they will challenge of him this drinking money as their due. Yea, if he go away and forget to give it, they will follow him to exact it, as if he had forgotten to pay for his diet.57

49 Although by no means very prominent in English minds, Austria and Vienna were perceived in a complex and contradictory way in this period. The far-off country was associated with Catholicism and many popular prejudices and clichés, particularly in the works of Shakespeare, even though reliable, if basic, geographical, historical and

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political facts were available from numerous topographies. Whereas dramatists like Shakespeare and Marlowe were careless about these sources of information, Jonson, Chapman and Webster and even minor authors like Munday and Chettle showed some sense of geography and history. Moryson’s travel report combines the contradictory tendencies: it mixes popular stereotypes and clichés with a wide range of reliable information, yet also proves strikingly perceptive in many details of “national character,” which still seem to be valid to this day.

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NOTES

1. From 1438 until 1806; there was only a brief interruption between 1740 and 1745. 2. The full title of this work which was published in London in 1600 is A Discourse, not altogether Unprofitable nor Unpleasant for such as are Desirous to Know the Situation and Customs of Foreign Cities without Travelling to See them; Containing a Discourse of all those Cities wherein do Flourish at this Day Privileged Universities. Lewkenor was a senior member of the University of Cambridge. 3. London, 1603. A translation of his Theatrum Orbis Terrarum of 1570, published at Amsterdam, which Marlowe employed for his Tamburlaine. See the Introduction to Jump’s edition, xiv. 4. “Under the name of Germanye are to be understood all the countries which use the Dutch tongue, which reacheth […] from th’Alpes until the Ocean […] it contains first Flaunders, Brabant, Hollande […], also Danemarke, Pomerlande…” 5. “renewed and augmented by M. Coignet” (32, 52, C3v [STC 18856]). With the exception of proper names, spelling and punctuation have been modernized in all quotations from topographies. Like Ortelius, George Abbot observes in A Brief Description of the Whole World (London, 1600): “the election [of the German Emperor] is tied within one hundred years unto the house of Austria” and: “That corner of Germanie which lieth nearest to Hungarie is called Austria, which is an archdukedom; fro[m] which house are come many of the princes of Germany” (“De Germania” and “De Hungaria, & Austria”, B3r [STC 25]). 6. London, 1607 (11, C2r [STC 23135]). 7. Unless specified otherwise, references to Shakespeare are to the Norton edition. 8. BL, Add. MSS 14824-14826, vol. 2, pt. 1, 255-56. 9. His source, Belleforest, does not contain a play scene, but Thomas Kyd’s The Spanish Tragedy – and possibly the Ur-Hamlet too – could have furnished Shakespeare with the idea of a play-within-the-play.

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10. See Bullough, vol. 7, 28-31, and Jenkins, Introduction, 101-102. 11. In Q1, the “bad” Quarto of 1603, the murder is located in “guyana,” and the duke’s name is “Albertus”. 12. In a forthcoming article Gary Taylor suggests “Ferrara” for “Vienna” because the two names have the same number of syllables. His argument is not convincing, because he fails to take into account “The Murder of Gonzago”. 13. There Vincentio has allegedly gone (III.i.338); also Brother Lodowick (the disguised Duke) claims that he has “late come from the See/ In special business from his Holiness” (III.i.445-6). 14. In Hecatommithi the counterpart to Shakespeare’s Duke Vincentio is the just, “most worthy” and “holy”’ Emperor “Massimiano” or “Maximian the Great” – the Holy Roman Emperor Maximilian I (1493-1519) – and Angelo’s counterpart, “Juriste,” is made governor of “Inspruchi” (see Lever’s Arden edition, Appendix i, 155ff, and his Introduction, xxxviii-xl). For a detailed discussion of the sources of Measure for Measure see Bullough, vol. 7. 15. “Iulio” may well be identical with Vienna. According to Lewkenor, the city “was called of Ptolomey […] Iuliobona” (F2v), and a French dictionary printed in 1670 also identifies Juliobona with “Wien, Italis Viena, urbs Pannoniae superioris” (Sjögren 27). 16. “In the Cyttie of Iulio (sometimes under the domination of Coruinus Kinge of Hungarie, and Bohemia)” in “Argument,” quoted in Lever, Appendix i, 166. Born in 1443, Corvinus attacked Austria a number of times, installed a governor in Vienna, and died there in 1490. 17. At the beginning of Act I, Scene ii, Lucio reports: “If the Duke [i.e. Vincentio], with the other dukes come not to composition with the King of Hungary, why then, all the dukes fall upon the King”, to which the First Gentleman replies: “Heaven grant us its peace, but not the King of Hungary’s!”. 18. Compare also Pompey’s retort to Escalus: “Does your worship mean to geld and spay all the youth of the city? […] If you head and hang all that offend that way but for ten year together, you’ll be glad to give out a commission for more heads. If this law hold in Vienna ten year, I’ll rent the fairest house in it after threepence a bay” (II.i. 205-16). 19. See Lever’s Arden edition, note on IV.iii.1-20. The list continues: “Master Threepile the mercer, […] young Dizzy, and young Master Deepvow, and Master Copperspur, and Master Starve-lackey, […] young Drop-hair […] lusty Pudding, and Master Forthright the tilter, and brave Master Shoe-tie the great traveller, and wild Half-can […]” (IV.iii. 4-15). 20. See the Introduction to Bawcutt’s New Oxford edition, 2-3. Compare also a proclamation by King James of 1603 which mentions the pulling down of houses in slum areas. The rigorous law that Angelo enforces against Claudio appears to refer to Puritan extremists and writers like Philip Stubbes and Thomas Lupton, who in the 1580s demanded strict measures, including the death penalty, against fornication, adultery and prostitution (see also Lever, Introduction, xlv-xlvi). 21. [1601] Compare Bullough 11: “Shakespeare makes more of Austria in […] II.1 so as to make his downfall later more complete”. 22. Richard that robbed the lion of his heart And fought the holy wars in Palestine, By this brave duke [of Austria] came early to his grave… (II.i.3-5). 23. Probably because of a dispute over the expected booty.

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24. “[…] king [John] sits sleeping, his sword by his side. Enter Austria, before whom cometh Ambition, and bringing him before the chair, King John in sleep maketh signs to avoid, and holdeth his own crown fast with both hands.” Friar Tuck comments: Ambition, that hath ever waited on King John, Now brings him Austria, easy to be ta’en, Being wholly tam’d by Richard’s warlike hand, And bids him add that dukedom to his crown: But he puts by Ambition, and contemns All other kingdoms but the English crown, Which he holds fast, as if he would not loose (p. 252, in Hazlitt). 25. “The said Limpoldus Duke of Austrich fell in displeasure with the bishop of Rome, and died excommunicate the next yeere after, Anno 1196.” Leopold was excommunicated for delivering Richard to Emperor Henry VI. 26. Falconbridge, Richard’s bastard son, alludes to it when justifying his mother’s “sin”: Needs must you lay your heart at his dispose, […] Against whose fury and unmatchèd force The aweless lion could not wage the fight, Nor keep his princely heart from Richard’s hand. He that perforce robs lions of their hearts May easily win a woman’s. (I.i.263-69) 27. [I] will play the devil, sir, with you, And a may catch your hide and you alone. You are the hare of whom the proverb goes, Whose valour plucks dead lions by the beard. I’ll smoke your skin-coat an I catch you right… (II.i.135-40). 28. II.i.40-63. Compare Austria’s opening speech: […] that pale, that white-faced shore, Whose foot spurns back the ocean’s roaring tides And coops from other lands her islanders, […] that England, hedged in with the main, That water-wallèd bulwark, still secure And confident from foreign purposes… (II.i.23-28). 29. H. F. Brooks quoted in Hunter’s Arden edition, note on I.ii.7. 30. “[His] was a mind fully stored with the current lore,” and “Current clichés could have supplied Shakespeare and his contemporaries with notions about other foreigners” (John L. Lievsay 233 and 238). 31. For Shakespeare’s image of Vienna and Austria see Draudt (1993). 32. Full title: […] Wherein are Particularly Described all the Monarchies, Empires and Kingdoms of the Same: with their Several Titles and Situations thereunto adjoining. 33. “[…] on Danubius’ banks / Our warlike host in complete armour rest” (1.1.6). “Danubius” is mentioned again in l. 33, 37 and 79. 34. He specifies: “Slavonians, Almains, rutters, Muffs, and Danes,” i.e. Croatians, Germans, cavalry, Swiss, and Danes (58). 35. Justly punished by God “for […his] accurst and hateful perjury” (II.iii.3), as he confesses.

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36. See Fuller’s edition, Notes on Dramatis Personae, 227-228. He also points out that “the connection between Sigismund and Vladislaus was probably suggested to Marlowe by Foxe’s Acts and Monuments” (228). 37. See Friedrich Wild, “Das Bild Wiens in der englischen Literatur bis zur Cromwellzeit” in Hietsch, i, 53-67, 60-62. 38. “Very well, seventie one: the Battell of Lepanto was fought in a most remarkeable time” (356-7). It was indeed fought in 1571. 39. In Bandello, Piero of Argon has defeated King Carlo II of Naples (see Introduction to Zitner’s Oxford edition, 7). Bullough maintains: “Perhaps the success of Shylock made Shakespeare add chiaroscuro to his comedy. So he invented Don John, ‘bastard brother to Don Pedro’, ‘a plain-dealing villain’ and a Malcontent of a kind just emerging in satire and the theatre” (ii, 72). 40. It was derived from Cymburgis of Masovia, the second wife of Ernestus of Iron (Ernst der Eiserne), who died in 1435. In his Anatomy of Melancholy (1621) Burton uses it as an example of hereditary transmission. 41. “Sir, I were uncivil / If I would suffer [… you to kiss my vesture]; my lip to you , sir” (34-35). References are to Mares’s edition. 42. The housekeeper Face’s aside deflates this absurd flattery: “Very like, / Her father was an Irish costermonger” (56-57). 43. He died in 1595 after an attempt to escape. Originally Kelly had been the medium of the magician Doctor John Dee, and the two are regarded by some critics as the models for Face and Subtle (see the notes in Mares´s edition and particularly the Notes as well as Appendix II in Kernan’s Yale edition, 221, 243-44). 44. Henslowe recorded for this play a part payment to Henry Chettle in 1602, though the quarto was not printed before 1631. Its date is therefore doubtful, as is its authorship. It has also been ascribed to Munday. 45. Although no direct source has been identified for it, the beheading of “Hans Hofeman” at Danzig in 1580 must have been a source of inspiration (see the Introduction to Wilson´s reprint, v). In the play Hans Hoffman is the name of the father who is revenged by his son. 46. Thomas Coryate in Coryate’s Crudities (1611), 2 vols, comments only briefly on Austria’s salt mines: “Elizabeth who was the daughter of Meinhard Earl of and Garicia, and Duke of Carinthia, a woman much famoused amongst the historians for finding out the mines of salt in the towne of Halles near Gemunden in the higher Austria” (ii, 144). William Lithgow in The Rare Adventures and Paineful Peregrinations (1632) shows his disillusionment about Vienna: I traced the fertile soils of […] Carneola, and Styria even to Vienna: all which were subject to the Emperor, save a part of Carneola that groans under the Turk. Being arrived at Vienne, I found the town and the flying fame of it far different, either for greatness, strength, or wealth: for the town rising upon a moderate height circular is but of small compass without, not passing two English miles. The suburbs round about being twice as great as the town; and the strength of it is no way comparable to a hundred cities that I have seen, neither is it for wealth so much to be admired, being depraved of seas, shipping, and navigation, having only the needful prosperity of dry land towns (L4v) For later reports, particularly those written in the second half of the seventeenth century, see Erwin Stürzl, “Das Österreichbild in den englischen Reisebeschreibungen des 17. Jahrhunderts” in Hietsch, i, 68-90.

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47. In individual chapters of book iv: “Nature and Manners,” “Bodies and Wits,” “Arts and Sciences,” “Universities,” “Language,” “The Ceremonies,” “Funerals,” “Customs,” and “Pastimes and Exercises.” 48. (C3v, 51). Hausen or Beluga can be 9 metres in length and 1500 kilograms in weight, but are neither as big as a house nor typical of rivers. They live in the Black Sea and only go up river estuaries to spawn. 49. In his essay “Of Travel” (1625) Francis Bacon maintains: “Travel, in the younger sort , is a part of education; in the elder, a part of experience” (vi, 417). 50. See i, iv-vi and xii. 51. I, Introduction, vii. He discusses Vienna and his journey through Styria and Carinthia in i, 140-45, and Innsbruck in i, 441-2. He describes Austria in the context of the “geography of Germany” in iv, 6, and “the Burgundian and Austrian league” in iv, 392-4. 52. Moryson criticizes long and boring speeches on various occasions (see iv, 298, 331, 343). This habit is related to the pomp and gravity that Moryson also finds typical of the Germans (see 299, 313, 324-5), as well as to their “desire of vainglory” or fame: “So as German authors [… are far from receiving money for their books but] pay a crown for the printing of each leaf, keeping the books to themselves, which they commonly give freely to friends and strangers, as it were hiring them to vouchsafe the reading thereof” (305). 53. Johannes Boemus (1520). See Stanzel 36. 54. IV, 290; see also 291-95, 297, 298, 304, 311, 314, 316, 322, 324, 326, 331-2, 340-42, 344, 348, 351, 353. Moryson relates drunkenness to their proverbial dullness, their lack of native wit. The picture Moryson gives of the Germans’ rudeness, particularly their crude amusements and language, again shows his prejudice: “The German language is not fit for courtship, but in very love more fit rudely to command than sweetly to persuade, it being an imperious, short and rude kind of speech, and such as would make our children afraid to hear it” (iv, 322). 55. See iv, 298: “their actions of mirth are only amusing after their rude manner […] If they have fools to make them merry, they wring laughter from others by absurdity of action, as falling and breaking their shins, and by telling written tales, not by sharpness of any witty talk. Indeed they know not what a pleasant jest is, but will interpret literally after the plain words such speeches as by strangers are spoken with savoury and witty conceit, if they were taken in the sense they mean them.” 56. English players toured, or rather invaded, Germany between 1585 and 1618, the outbreak of the Thirty Years’ War, appearing in numerous cities and towns. Among the many English comedians there were three later colleagues of Shakespeare in the Lord Chamberlain’s Men: Thomas Pope and George Bryan, later at first with the Lord Strange’s Men, performing at Dresden in 1587; and Will Kempe, the famous clown, visited Germany in 1601 (apparently Münster after Cologne, Redberg [Rothenburg] and Steinfurt). Companies of English actors, in fact, became familiar figures at the Frankfurt spring and autumn fairs (see Chambers ii, 273-75, and 326). 57. “Like is the practice of artisans in shops. […] the prentices must have this drinking money, and will refuse it with scorn and reproaches, if it be not as much as they expect. […] The very coachmen, who carry themselves very rudely to all passengers, […] yet at the end of the journey, besides payment, will extort large drinking money, as due to them, not of courtesy but of right. Trumpeters and musicians […] put a trencher about the table to receive this drinking money” (iv, 345-46; see also 290, 300, 341, 350).

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RÉSUMÉS

Topographie et stéréotypes : Vienne et l’Autriche chez Shakespeare et les auteurs de la Renaissance anglaise Alors que les topographes rapprochaient Vienne et l’Autriche de l’Allemagne, Shakespeare fit une différence précise entre les deux pays. Sa Vienne, où se déroule Measure for Measure, mais aussi le « Meutre de Gonzago » dans Hamlet, est distinctement italienne, tandis que le duc d’Autriche – un opportuniste fanfaron dans King John et le cousin du roi de France dans All’s Well That Ends Well – est clairement associé à la France. Sa vision profondement négative de l’Autriche catholique est partagée par Markham dans « Metamorphosis » et par Sampson dans The Vow-Breaker. Comme Marlowe dans la seconde partie de Tamburlaine, Shakespeare fait peu cas des données géographiques et historiques fournies par les topographes comme Ortelius, Lewkenor, Stafforde et Abbot. En revanche, Jonson dans Every Man in His Humour et The Alchemist, Webster dans The Devil’s Law-Case et même des auteurs mineurs comme Munday dans les pièces sur Huntingdon et Chettle dans The Tragedy of Hoffman, font preuve d’une certaine connaissance de l’histoire et de la géographie. Le récit de voyage de Moryson, An Itinerary, réunit ces tendances contradictoires, en mélangeant les stéréotypes et clichés populaires avec des données fiables ; toutefois il révèle de nombreux traits de « caractère national » qui semblent toujours d’acutalité aujourd’hui.

Whereas English topographers related Vienna and Austria with Germany, Shakespeare sharply differentiated between the two countries. His Vienna, the location not only of Measure for Measure but also of “The Murder of Gonzago” in Hamlet, is distinctly Italian, whereas the Duke of Austria – a bragging opportunist in King John and the cousin of the French King in All’s Well That Ends Well – is consistently associated with France. His profoundly negative notion of Catholic Austria is shared by Markham’s “Metamorphosis” and Sampson’s The Vow-Breaker. Like Marlowe in the second part of Tamburlaine, Shakespeare was careless about the (largely reliable) geographical and historical facts provided by topographers such as Ortelius, Lewkenor, Stafforde and Abbot. By contrast, Jonson in Every Man in His Humour and The Alchemist, Webster in The Devil’s Law-Case and even minor authors like Munday in his Huntingdon plays and Chettle in The Tragedy of Hoffman, where Austria features prominently, showed some sense of geography and history. Moryson’s travel-report An Itinerary combines the contradictory tendencies, mixing popular stereotypes and clichés with a lot of reliable information; yet it also proves perceptive in many details of “national character,” which still appear to be valid to this very day.

AUTEUR

MANFRED DRAUDT Manfred DRAUDT has retired in 2003 from his post as Professor of English Language and Literature at Vienna University. He has published widely on Shakespeare, Renaissance drama, textual matters and metadramatic aspects in leading Shakespearean and bibliographical journals such as Shakespeare Survey, Shakespeare Quarterly, Shakespeare Studies, Shakespeare Jahrbuch, Cahiers Élisabéthains, The Library and Notes and Queries. Setting aside comparative studies and essays on twentieth- century drama, his work also focuses on nineteenth-century burlesques of Shakespeare, one of which he has edited (Charles Mathews, Othello the Moor of Fleet Street). Recently he has also concerned himself with theatre history (“Shakespeare’s Histories at the Vienna Burgtheater Since the Second World War”, forthcoming in

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Shakespeare’s History Plays, ed. Ton Hoenslaars, 2004) and has contributed to the forthcoming Oxford Dictionary of National Biography (OUP, 2004).

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Plotting and Edification in Shakespeare and Wotton

Roy Eriksen

1 To what extent was Shakespeare influenced by Italian aesthetic theory and practice? I will here briefly consider this tall question with reference to The Elements of Architecture (1624) of Henry Wotton (1568–1639),1 a rare survey of Late Renaissance architecture and art, and to the dramatist treatment of plotting and ornament in 2 Henry IV and Coriolanus. When turning in his treatise to Alberti’s De re aedificatoria (1452) and to the poetics of Sir Philip Sidney, a lodestar during Wotton’s formative years in Oxford and London, that Wotton – I would argue – remains loyal to an Elizabethan aesthetic inspired by Early Renaissance ideals of utilitas and edification.

2 Elizabethan poetics stresses the crucial role of design (lineamenta) and plotting to a useful end. Thus John Shute, Richard Wills, John Dee, George Gascoigne, George Puttenham, and Sir Philip Sidney emphasise the importance of using a mental model (Idea) and the architectonics of poetry, and Shakespeare similarly voices the same ideas and practices them in his plotting of speeches, poems, and whole plays, though with an awareness of recent developments in poetics and style. Although few today would reject that he was influenced by Italian aesthetic theory and practice, problems arise, however, when establishing with certainty what he had read and actually did use in his own art. His capacity to see new possibilities in and transform the works of others was formidable and its fruits substantial. On other occasions I proposed some solutions to the first question,2 arguing that Shakespeare inventively used the poetry of Petrarch, Tasso, and Bruno in his poetry and drama. But the problems of his relationship to his Italian predecessors and contemporaries also concern both general aesthetic principles as well as the nuts and bolts of composition and style. Why do for instance so many English writers use architectural imagery when describing and writing poetry, and, conversely, why do English writers on architecture discuss architecture as texts? Shakespeare is one example of the first category, Wotton is an example of the second. As regards aesthetic theory the question is more difficult because Shakespeare left us no poetic treatise, I therefore wish to limit myself to examine his use of terminology as

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an induction to his practice, approaching the problem in relation to The Elements of Architecture.

3 Wotton’s sophisticated understanding of Anglo-Italian relations was perhaps unsurpassed in his day.3 Still, it is not what Wotton learnt about and criticized in Italian culture while being ambassador to Venice that interests me, but the aesthetic “mental set” he brought with him to Italy. In his critique Wotton remains loyal to Elizabethan ideals and his detailed discussions provide an insight into humanist poetics and language policy during the final decades of Elizabeth’s reign. Born in 1568, Wotton was the approximate contemporary of Shakespeare and Marlowe. He studied at Oxford where he befriended John Donne. He was a poet in his own right and in 1586 wrote a no longer extant tragedy, Tancredo, based on Tasso’s Gerusalemme liberata, showing his interest in drama. From 1588 onwards he spent his time between travels in Europe and brief stays at home, becoming secretary of political affairs to Essex in 1596. In 1601 he gained the confidence of James VI and in 1604 he was appointed Ambassador to Venice, an office he held for many years. He finally returned to England in 1624 and shortly thereafter was appointed Provost of Eton.4

4 Although Shakespeare did not have the educational background of Wotton or the brilliant and reckless Marlowe, he was greatly influenced in his early plays by Marlowe’s topomorphical speech design, which critics have tended to overlook in their focus on the “mighty line.”5 Despite the variety of genres, themes, styles, and characters in Shakespeare’s work we would be hard put to term him a subversive writer, although we know how far he went in pro-Catholic manoeuvring in All’s Well That Ends Well and in a poem like “The Phoenix and the Turtle.”6 Even in its Marlovian beginnings his work in the theatre possesses great legitimising power in an inclusiveness that was consonant with the formation of English nationhood,7 being characterized by increasing naturalness and realism. In contrast, Marlowe’s self- conscious style produced speeches, which in their playful and provocative aesthetic often challenged the immediate aims of edification, which should be explained as a result of his patrons being close to the Elizabethan power elite.8 The persuasive force of Marlowe’s characters could be said to illustrate that dissociation of the surface from the core that is typical of Mannerism and its imposing stress on surface movement and frontality. Despite the differences, though, both authors exemplify how Elizabethan poetics stresses the crucial role of design (lineamenta) and plotting, creating an architectonics of poetry in their plotting of speeches, poems, and whole plays. It suffices to recall the structure of Marlowe’s Doctor Faustus and Hero and Leander, and Shakespeare’s 2 and 3 Henry VI, A Midsummer’s Night’s Dream, and Coriolanus – being examples of what Mark Rose termed Shakespearean Design (1972).9

5 It is indeed remarkable that Elizabethan poets and theorists should have paid far more attention to Italian rhetorically-based architectural theory, than writers on architecture. Thus Lord Bardolph’s masterfully patterned and allegorical speech in 2 Henry IV (I.iii.35-62) contains a concentration of architectural terms that is unrivalled in any Elizabethan treatise.10 Notice the concentration on terms relating to the building of a house: “plot of situation,” “figure of the house,” “erection,” “survey,” “model,” “offices,” and “foundation” in the following extract: When we mean to build, We first survey the plot, then draw the model, And when we see the figure of the house, Then must we rate the cost of the erection,

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Which if we find outweighs ability, What do we then, but draw anew the model In fewer offices, or at last desist To build at all? Much more, in this great work (Which is almost to pluck a kingdom down And set another up) should we survey The plot of situation and the model, Consent upon a sure foundation, Question surveyors, know our own estate, How able such a work to undergo, To weigh against his opposite; or else We fortify in paper and in figures… (42–57)

6 The terms are part of an embedded structure of resumed words, which is clearly mannerist in the articulated architecture of its repetitions in a way which corresponds to Vasari’s ideal of “ordine con più ornamento.”11 Moreover, the speech is adorned by “mixt allegoria”12 in which the rebels plan to depose the King is aligned with a building process and the dangers of war itself to the vicissitudes of the seasons.13

7 To find a reasoned English presentation of a general theory of architectural design we have to wait until Wotton’s Elements of Architecture, which appeared shortly after he had seen the building that afforded the first major example, in England, of an Italian Renaissance architectural style on a large scale: Inigo Jones’s Palladian Banqueting House from 1622. There were earlier examples of Renaissance styles present in Tudor and Early Stuart England, as Maurice Howard, Paula Henderson,14 and Nigel Llewellyn have pointed out, but the Banqueting House was “undoubtedly the most important, and the most extensive, single building project undertaken by the early Stuarts.”15 Jones’s architectural language of form must have constituted a shockingly physical manifestation of foreignness in a milieu of familiar native forms, although the facade was appropriately toned down compared to its grander interior.16 Its impact has been compared to that later made by the Crystal Palace. Wotton captures this moment in the history of style, relating developments of contemporary Italian style to the Elizabethan mental set of his formative years. His treatise is the second work to respond to Jones’s innovative edifice, the first being Timber: or; Discoveries (1623) by Ben Jonson, whose intimate knowledge of architectural principles has been discussed by A. W. Johnson.17 There are, he argues, obvious similarities between the treatises of Jonson and Wotton, both being “equally concerned that aesthetics should have an ethical base.”18

8 Indeed, Wotton’s terminology shows the humanist formation of his thinking. Like Leon Battista Alberti who in the De re aedificatoria, De pictura and the moral dialogues stressed the necessity to strive for utility, Wotton, too, worked to reform man. Sidney, Puttenham and Daniel’s poetics and rhetoric drew substantially on the same ideas of utility and profit as had been developed in Italy during the fifteenth century.19 Therefore the use of discursive strategies to gain preferment and personal and moral profit was an important element in Elizabethan education. It was firmly believed that it was possible to transfer successful “grammars of action” from one field of intellectual and social activity to another and it was believed too that such “replotting” would lead to higher degrees of utility. In this discursive field, rhetoric and its application in classical literature and contemporary poetry were seen as instruments for economic and ethical change.20

9 The status of Jones’s Banqueting House is ambiguous in this context, as it is both foreign import and a native product, and we note that Wotton and Jonson never

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mention the building;21 a telling silence, indeed. The Banqueting House gave to architecture a foreign face that was more than the English horizon of expectation could easily accept. Like Sidney and Gascoigne before him, Wotton thought that the “fore- conceit” or the idea was the most important initial phase in any architectural work.22 As a good teacher, Wotton wrote his book so as to enable his readers to judge for themselves what constitutes good and ethically sound architecture: And true it is indeed that the Marble Monuments & Memories of well deseruing Men, wherewith the very high wayes were strewed on each side was not a bare and transitory entertainement of the Eye, or onely a gentle deception of Time, to the Trauailer: But had also a secret and strong Influence, euen into the aduancement of the Monarchie, by continuall representation of vertuous examples; so as in that point ART became a piece of State. (106-107)

10 Art is a nation-building activity, but did Jones’s building lead to “the aduancement of the Monarchie?” In accordance with the rhetorical and social function of architecture, Wotton as a matter of course analyses the art as a kind of rhetorical or discursive practice. Just as rhetoric is directed towards delivery, so does architecture aim at function: In Architecture as in all other operatiue arts, the end must direct the Operation. The end is to build well. Well building hath three Conditions: Commoditie, Firmeness, and Delight.

11 The terse style no doubt reflects a conscious choice, and we recognize the close resemblance to the first sentence of Petrus Ramus in The Logicke: “The end of logic is to reason well” as it reads in the English translation. Like Alberti, Wotton desires to surpass Vitruvius, criticizing his obscure style and many barbarisms. The implication is that Wotton’s translatio is the superior one.23

12 Wotton is considerably more systematic than his English predecessors in his treatment of the architecture and he knowingly distances himself from the style and methods of Italian prose writers. A particular target is the influential figure of Vasari: There were two ways to be deliuered; the one Historical, by description of the principall works, performed already by Giorgio Vasari in the liues of Architects: The other Logicall, by casting the rules and cautions of this Art into some comportable Methode: not onely as the shortest and most Elementall; but indeed as the soundest.

13 Yet, Wotton does not rely on the study of texts only, but is remarkable for combining attention to theoretical treatises with a study of actual buildings. In arguing the dependence of architectural theory on logic and its freedom from stylistic excesses, Wotton aligns himself with a tradition in Elizabethan poetics that depends directly on Alberti’s theories of architecture.24 In The Elements, this dependence is seen in the Albertian division of the work into two main parts: five books consider opus and four books ornamentum and pulchritudo.25 He also alludes to Sidney’s Apology; thus the famous phrase that “the skill of each artificer standeth in Idea or fore-conceit of the work,”26 finds an echo in Wotton’s phrase “a neat and full expression of the first Idea or Designement… doe more belong to the Artificer…” (118).27 Then, too, he offers a compliment to “our euer memorable Sir Philip Sidney, (whose Wit was in truth the very rule of Congruity)” (120), presumably as an attempt to align himself with the esteemed representative of a powerful group at Court.

14 In view of these declarations, it comes as no surprise that Wotton should have chosen to shape his own work in accordance with High Renaissance compositional ideals. For his division of the treatise into two parts not only echoes the example set by Alberti,

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but its opening and concluding topoi have been distributed in conformity with the ideal of concinnitas that Wotton finds meet in all art and architecture. Thus he rounds off his treatise in the same way that he began and according to the rule stated by Ben Jonson: “Our composition must be more accurate in the beginning and the end than in the midst…”28 His compositional technique is in perfect agreement with the aesthetic ideal based on the classical period. Unlike Donne, he may not have read the world allegorically as “the whole house and frame of nature,”29 but he, too, organises his text so that it becomes a highly framed cosmos.30

15 We trace Wotton’s desire to design his text most clearly in his use of balanced inversions, as when he proposes his method of architectural criticism. We recall that he tells the critic to “runne backewardes,” through the elements of architectural composition: from the Ornaments (which first allure the Eye) to the more essentiall Members, till at last hee be able to forme his Conclusion, that the Worke is Commodious, Firme, and Delightfull, which (as I said in the beginning) are the three capitall Conditions required in good Buildings…” (116)

16 By thus arguing that “the Methode of censuring is contrary to the Methode of composing” (116), Wotton manages to displays his wit by giving to his theory the inner design of a macro-chiasmus.

17 By rejecting the allegorical method and by relying on a structural proportioning of his work in keeping with its inherent natural order of topics, Wotton alludes to the structural principles of an Albertian or a Palladian building. Alberti may reveal a stronger inclination to treat textual patterning allegorically, just as we find a greater dependence on verbal ornament in Vasari, but the differences between Alberti, Vasari and Wotton in this respect are differences of degree rather than of essence. Today we know that the use of proportioning and abstract designs in poetry and prose alike appears to have been a practice embraced equally by Antiquity and the Renaissance.

18 The chief focus of attention is the disputed theory of ornament. Wotton himself favours moderation to the exclusion of an adorned style.31 Like a true classicist he praises order and utility, and issues warnings against experiment and excess. When he exemplifies what he considers to be good architecture, he mentions neither Palladio nor Jones, but turns to one of Palladio’s sources of inspiration: The Benedictine abbey of Santa Giustina (1521-1560) by Giorgio de Valle built in accordance with the new humanist principles introduced by Brunelleschi, Alberti, and Bramante.32 It is a building lacking “garnishment” but which can excite the viewer by its right proportions. The use of words like “sound”, “good” and “ordinary” underlines the author’s decided preference for uniformity as opposed to variation and multiplicity – stylistic features typical of Mannerism and Baroque, “Uniformitie” is a principle that Wotton values highly because so closely connected with “Utilitie” and an economical use of resources. The strong emphasis on utility makes him reject even the most valued geometrical forms of the High Renaissance, the circle and the sphere.

19 A will to moderation and likewise a will to achieve a rational compromise between beauty and utility runs through all of Wotton’s deliberations. Thus he turns himself into a spokesman for the pragmatic aestheticism summarised in the Italian phrase una Fabrica ben raccolta (“a well-assembled work”), where utility and “apt Coherence” coexist. Ornament should belong to the work as part of its nature and as an extension of its structure and character.33

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20 Towards the end of his treatise Wotton outlines the basis for an architectural criticism, as promised in the Preface. He strives for accountability, wanting the readers to be able by themselves to verify the soundness of his knowledge and method in practical criticism. He therefore presents a method by means of which one may assess finsihed buidings, or “some methodicall direction how to censure Fabriques alreadie raised.”

21 His approach in reality is consistently a rhetorical one, since architecture is treated as a composed text subjected to analysis and commentary being “an extemporall habite” (115) shared with the orator. The analytical tools of rhetoric and logic point the way to architectural criticism in the modern sense of the word.

22 “For this Allegoricall review may be driuen as farre as any Wit will, that is at leasure” (117), and leisure, we know, is not always profitable. Behind the reference to a wit involved in far-reaching allegorical pursuits, we detect Ascham’s distinction between quick wits and grave wits. Wotton is not carried away by fancy and poetic licence, but belongs to the “grave” wits who work in a logically composed vernacular and to the benefit of his country. In this manner, Wotton signals that he is more “profitable” than Vasari and that his style possesses greater clarity than Vitruvius, and in his critique of contemporary aesthetic practice in Italy relies on critical concepts drawn from the rhetorical treatises of Antiquity and the 15th- and 16th century. In keeping with his view as a humanist educator and a nation-builder, he “edifies” with ideas and words, and in so doing provided examples of what he took to be prodigal or profitable building. In this respect, his work is a “time capsule” embodying the Elizabethan project that had shaped his mental set and as such it both marks the passing of the Elizabethan moment and serves as a key to Late Elizabethan aesthetics.

23 How, then, does Shakespeare’s rhetoric relate to the ideals described by Wotton? In principle, the dramatist uses “garnishment” more sparingly and has fewer holistically patterned speeches, than e.g. does Marlowe,34 adjusting speech structure to character and function. In 1 Henry IV, characters who are in a position of power utter themselves in speeches framed according to the formula of judiciously placed ornaments in a lineamentum (or design). Consider for instance when Hotspur is objecting to the King’s accusation against Mortimer in Act I. Hotspur is here speaking from a position of strength and in passionate defence of his friend’s reputation. Hence his speech is of the kind that we recognize in Tamburlaine, that is, full of “persuasions more pathetical.” The 20-line speech (I.iv.92-111) has been given a strongly marked frame, consisting of the repeated words (Revolted Mortimer and Mortimer… slandered with revolt). The balanced pattern of the main body of the speech is strengthened by the use of embedded rhyme- words (wounds – bank vs. bank – wounds) around the central description of equal battle: “Three times they breathed, and three times did they drink / Upon agreement of swift Severn’s flood” (101-102). Thus Shakespeare gives a architectural design by repeated words to the account of a situation involving two noble and equal combattants, who in the end make a truce. In the same play, however, the allegorical rhetoric of Glendower is mocked and deprived of its structural underpinnings when the romantic and playful warrior Hotspur, taunts him. In fact, the debate between Hotspur and Glendower in Act III, scene ii could be said to illustrate rhetoric’s relation to reality. As the play progresses towards the catastrophe and the defeat of the rebels, the verbally framed speeches are almost exclusively reserved for Hal, the builder of the new nation, and of course, King Henry. We note, moreover, that the play does not merely move away from allegory, which is the mode characteristic of Lord Bardolph and Glendower, there is

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also a notable paucity of extra-syntactic global patterning in the language of Hotspur and Glendower. This is especially true in the second half of the play, when it is clear that they are facing defeat. The absence of strong “architectural” support for their hyperbolic rhetoric, thus suggests that Shakespeare pays close attention to the function of his characters’ language both in relation to their ethos and place within the plot mechanics. There is in other words no connection between outward and inward in their speeches, their ability to perform does not match their high-blown words.

24 In Coriolanus,35 the speeches that reveal inner design and power are distributed according to a similar formula. Examples of this pairing of power and speech design are legion in Shakespeare’s play. If we briefly survey the speech patterns of the five main characters with a view to their altering positions within the power-play, Coriolanus, Volumnia, Menenius, Cominius, and Aufidius, we note interesting patterns. Menenius who has an important role in the two first acts, particularly (I.i and II.ii) starts out with a number of patterned speeches in his successful persuasion of the unruly Plebeians, In the final act, however, his persuasive force has dwindled and so has the patterning of his language. His is stuck in old-fashioned allegory and proverbs, belonging rhetorically to the tribe of Friar Laurence in Romeo and Juliet.

25 Among the other Romans, Cominius is an ineffectual speaker and unimpressive; Shakespeare attributes to him only two patterned speeches, whereas Aufidius, the main rival in the battlefield, is given six such speeches, the three most elaborate ones occurring when he plots against Coriolanus in Act IV. The Plebeians, Coriolanus’s main enemies in Rome, share seven patterned speeches, comprising only 42 lines, compared to the protagonist’s 13. Somewhat surprisingly he has relatively few extended speeches that reveal complexity of composition. Only his speeches at II.iii.117-136, IV.v.69-105, and V.iii.8-37 possess marked extra-syntactic patterns. The final, elaborate speeches in the play (V.iii.94-124 and V.iii.131-182) are given to Volumnia whose maternal authority sends Coriolanus to his death when she succeeds in persuading him from attacking Rome. The few examples of speeches adduced here would seem to suggest a totally eclectic approach to speech structure, but if we consider the statistics, the picture emerges of a dramatist that makes highly personal and equilibrated stylistic choices.36

26 In both 2 Henry IV and Coriolanus, then, it is the rhetoric of Realpolitik and logic that conquers, not the unrealistic and ineffectual language of dreamers and pedants. Without pressing my point too far, Shakespeare’s practice in these tragedies testifies to his adherence to an aesthetic that favours unity of purpose and action, as well as speech without unnecessary “garnishment.” Ornaments are to be placed “upon a sure foundation.” Regardless of his mastery of architectural terminology, Lord Bardolph – for lack of a just cause – presents a wishful allegory that fails in edification, “using the names of men instead of men” and leaving the rebellion as “waste for churlish winter’s tyranny” (I.iii.62). Implicitly, Lord Bardolph’s eleborate speech37 is a masterpiece of irony: he cannot use the Bible to justify treason.

27 In his outspoken critique of Italian practice and implicit censure of Inigo Jones, Wotton shows his loyalty to the poetics of the England that he left for Italy.38 Familiarity with architectural terminology and its underlying aesthetics of Humanist origin was characteristic of the leading poets and theorists of his formative years and remained a conservative Elizabethan stance against the excesses of new-fangled Continental styles. The Elements of Architecture holds in nuce the central concepts of this aesthetics, giving a reasoned summary of the kind of poetics we find in Shakespeare’s plays. Shakespeare

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was, indeed, influenced by Italian aesthetics, but to a lesser extent by that of his Italian contemporaries than by that of the previous generations of Italian poets and thinkers.

NOTES

1. Henry Wotton, The Elements of Architecture, ed. Fredrick Hard (University Park, Penn.: Penn State Press, 1968). Hard gives a well-informed account of Wotton’s life and career in the Introduction, 2. Most recently in “Shakespeare and the Art of Plotting,” in The Building in the text. Alberti to Shakespeare and Milton (University Park, Penn.: Penn State Press, 2001). 3. The Elements of Architecture, Introduction, xvii. 4. Christopher Hollis, Eton. A History (London: Hollis and Carter, 1960). Wotton’s biography is found on p. 77–89. 5. “Ars Combinatoria: Marlowe’s Humanist Poetics,” in Richard Marienstrass (ed.), Shakespeare. Variations sur la lettre, le mètre et la mesure (Paris: Société Shakespeare Francais, 1996), 111-126 and The Forme of Faustus Fortunes (Oslo and Atlantic Highlands, Conn.: Solum and Humanities, 1987). 6. See Richard Wilson’s article in this volume and my “‘Un Certo Amoroso Martire’: Shakespeare’s ‘The Phoenix and the Turtle’ and Giordano Bruno’s De gli eroici furori (1585)”, Spenser Studies II (1980), 193-215. 7. Richard Helgerson, Forms of Nationhood: The Elizabethan Writing of England (Chicago: University of Chicago Press, 1992). 8. “Ars Combinatoria: Marlowe’s Humanist Poetics,” 120: “his goal is not to fortify the mind, to secure spiritual tranquillity, nor gather knowledge for the greater good of the body politic.” 9. Mark Rose, Shakespearean Design (Cambridge, Mass.; Harvard University Press, 1972). 10. See my analysis in “The Lineament of Influence: Alberti and the Elizabethans,” in Gunnar Sorelius et al., Cultural Exchange Between European Nations During the Renaissance (Uppsala: Almquist & Wicksell, 1996) and The Building in the text (2001). 11. For a close analysis of the symmetrical structure of the speech and its biblical source, see The Building in the text, 1-9. 12. George Puttenham, The Arte of English Poesie (1589), eds. G. Walker and A.Wilcock (Camridge: Cambridge University Press, 1936), 191-193. 13. “Yes, if this present quality of war -… Lives so in hope, as in an early spring We see th’ appearing buds; which to prove fruit Hope gives not so much warrant as despair That frosts will bite them.” (37; 39–42) Accordingly, Lord Bardolph uses the expressions “to pluck a kingdom down” (49) and “churlish winter’s tyranny” (62) which are in line with the seasonal imagery. 14. Maurice Howard, “Classicism and Civic Architecture,” 29-50; Paula Henderson, “The Loggia in Tudor and Early Stuart England: The Adaption and Function of Classical Form,” 109-146; and Nigel Llewellyn, “‘Pliny is a weyghtye witnesse’: The Classical Reference in Post-Reformation Funeral Monuments,” 147-162, in Lucy Ghent (ed.), Albion’s Classicism: The Visual Arts in Britain, 1550-1660 (New Haven and London: Yale University Press, 1996).

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15. Per Palme, Triumph of Peace. A Study of the Whitehall Banqueting House (Uppsala: Almquist & Wicksell, 1956), 3. 16. At one point in his treatise Wotton comes close to mentioning Jones’s new edifice; this is when he discusses the use of decorative painting: “Lastly, that there bee as properly bestowed for their quality, as fitly for their grace: that is, chearefull Paintings in Feasting and Banquetting Roomes; Grauer Stories in Galleries, Land schips, and Boscage, and such wilde workes in open Tarraces…” (99-100). See also the discussion of inward and outward in relation to Jones by Elisabeth Jordan, “Inigo Jones: The Architecture of Poetry,” Renaissance Quarterly (1991), 280-319. 17. A. W. Johnson, Ben Jonson: Poetry and Architecture (Oxford: Clarendon, 1994). 18. Ibid., 18. 19. S. K. Heninger, Jr., Spenser and Sidney: The Poet as Maker (University Park, London: Pennsylvania State University Press, 1989). 20. Lorna Hutson, Thomas Nashe in Context (Oxford: Oxford University Press, 1989), 38-54. 21. Inigo Jones was highly conscious of his choices and in The Roman Sketchbook he chastises architects like Michelagnolo for paying undue attention to ornaments on the facades of buildings. As for Jonson’s silence it is easy to understand his resentment when we recall that he in actual fact had advocated the similar ideas already in 1604. Per Palme observes that “[t]he Vitruvian principle of organic wholeness [was] first publicly applied to a work of architecture,” when Ben Jonson in 1604 described Stephen Harrison’s triumphal arch at Fenchurch Street; “Ut Architectura Poesis,” in Nils Gösta Sandblad (ed.), Idea and Form (Stockholm: Almquist & Wicksell, 1959), 104. 22. Cf. Sir Philip Sidney, An Apology for Poetry, ed. Geoffrey Shepherd, (1965; reprint Manchester: Manchester University Press, 1973), 64-66, and George Gascoigne, “Certaine notes concerning the making of verse in English,” ed. Gregory Smith, Elizabethan Critical Essays, 2 vols. (Oxford: Oxford University Press, 1904), 1: 46-57 (§ 6: 49). His argument concerning “the Platforme of Inuention” echoes Vitruvius, De Architettura, VI.v.472. 23. This is apparent when Wotton criticises the “six Considerations” by which to judge a building as proposed by Vitruvius in Book II of the De architectura – Ordinatio, Dispositio, Eurythmia, Symmetria, Decor, and Distribution – “Whereof (in my conceit) wee may spare him the first two; for as farre as I can perceiue, either by his Interpreters, or by his own Text (which in that very place, where perchance he should be clearest, is of all other the Clowdiest) hee meaneth nothing by Ordination, but a well setling of the Modell or Scale of the whole Worke” (118). 24. On the relation of Alberti to the Elizabethans, see Roy Eriksen, “The Lineaments of Influence: Alberti and the Elizabethans,” in Gunnar Sorelius and Michael Srigley (eds.), Cultural Exchange Between European Nations During the Renaissance (Uppsala: University of Uppsala Press, 1994), and above, p. 118. 25. John Onians explains that this was «a choice which of course had vast importance in conditioning “the future history of architecture and architectural theory.” See his “Alberti and Filarete,” Journal of the Courtauld and Warburg Institute, XXXIV (1971), 97-114. 26. An Apology for Poetry, 101. 27. A comparable phrase is found earlier in The Elements, as well, where the role of the architect is described: “whose glory doth more consist, in the Designement and Idea of the whole Worke…” (12). 28. Timber, or Discoveries, 43. 29. The Sermons of John Donne, ed. Evelyn M. Simpson and George R. Potter, (Berkeley: University of California Press, 1956), 8: 220. 30. See The Building in the text, “Carmen Pulcherrimum: Latin Paraclausithyra and the Period as an Aesthetic Ideal,” 25-47; 156-160. 31. The sober prose style of Wotton is not the only expression of this attitude: another good example is the poem “Character of a Happy Life” (1614), written in imitation of Horace.

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32. He describes it “In truth a sound piece of good Art, where the Materials being but ordinary stone, without any garnishment of sculpture doe yet ravishe the Beholder, (and hee knowes not how) by inner design – a secret Harmony in the Proportions.” (Elements, 12); Deborah Howard, The Architectural History of Venice (New York: Holmes and Meier, 1981), 165-66. 33. Wotton elevates the Italian formula for how a work ought to be executed to a criterion employed to assess it: he renders the phrase: con diligenza, con studio, con amore freely and in accordance with his utilitarian preferences as “with ordinary diligence, with learned diligence, and with loving diligence.” Provided these qualities be present, the work is by necessity “well designed” (78). 34. Of course, the dominance of the Marlovian hero in his plays gives most of the patterned speeches e.g. to Tamburlaine, Faustus, etc. 35. See The Tragedy of Coriolanus, ed. Reuben Brower (New York: Signet Classic, 1966). 36. The basis of this stylometric analysis was published in The Forme of Faustus Fortunes (1987), 207-26. The present figures are cited from “Rhetorical Shaping of Segments in Coriolanus,” unpublished ms. 1989; 2004, 10 p. 37. The speech elaborates on Luke XIV, 20-30 (in the Vulgate), which displays a dense texture of parallelisms – “ne posteaquam posuerit fundamentum et non potuerit perficere” and “quia hic homo coepit aedificare et non potuit consumare” – devices which are common in New Testament proverbial wisdom. 38. Wotton returned from the Continent to England in 1594 and entered the Middle Temple in 1595, thus keeping in touch with the London scene and developments in taste back home during frequent visits until 1604.

RÉSUMÉS

Un examen approfondi de la construction rhétorique des tirades dans 2 Henry IV et Coriolanus révèle que Shakespeare façonnait ses tirades, et en particulier celles des protagonistes, en accord avec une rhétorique qui les renforce à l’aide de répétitions verbales judicieusement placées. Ce faisant, sa pratique coïncide avec les idéaux humanistes de composition et avec la rhétorique figurative que Marlowe utilise dans ses pièces. Ce genre de disposition est un trait typique de la pratique de composition élisabéthaine. The Elements of Architecture (1624) de Henry Wotton apparaît aujourd’hui comme une attaque d’arrière-garde de l’esthétique italienne du XVIe et du début du XVIIe siècle, lorsque Wotton était ambassadeur de Jacques Ier à Venise, ainsi qu’une défense des idéaux de sa jeunesse. Plutôt que de rentrer à Londres avec un ouvrage faisant l’éloge de la nouveauté des formes artistiques italiennes, il critique du point de vue moral le goût baroque naissant et privilégie les formes artistiques fonctionnelles et civiques du XVe siècle. La forme adaptée au contenu et à la fonction est l’idéal d’un art qui se fonde sur le dessein intérieur plutôt que sur l’ornement excessif. Ce sont aussi les idéaux de la poétique élisabéthaine partagés par Wills et Sidney. L’œuvre de Wotton est à bien des égards archaïque, mais comme les tirades dans Coriolanus elle préserve une esthétique élisabéthaine qui suggère comment Shakespeare fut inspiré par la première Renaissance italienne, tout en gardant à l’esprit les récents apports poétiques et stylistiques, comme on peut le voir dans 2 Henry IV.

A close study of the rhetorical shaping of speeches in 2 Henry IV and Coriolanus, reveals that Shakespeare shaped his speeches, particularly those of the main characters in accordance with a

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rhetoric that emphasises them by a judicious placing of verbal repetitions. In so doing his practice coincides with Humanist ideals of composition and with Marlowe’s use of figurative rhetoric in his plays. This type of plotting is a prominent feature of Elizabethan compositional practice. Henry Wotton’s The Elements of Architecture (1624) today appears as a rearguard attack on the aesthetics of 16th and early 17th–century Italy, when he had been James I’s Ambassador to Venice, and an intended defence of the ideals of his youth. Rather than returning to London with a work praising the maraviglia and novelty of Italian art forms, he criticises the incipient Baroque taste on moral grounds and favours the utilitarian and civic art forms of the 15th Century. Form suited to content and function is the ideal of an art that relies on inner design rather than excessive ornament. These are also the ideals of Elizabethan poetics between Wills and Sidney. Wotton’s work is in many ways a time capsule, but like the plotted speeches in Coriolanus, it preserves an Elizabethan aesthetic that suggests how Shakespeare was inspired by Early Renaissance Italian aesthetic ideals, although with an awareness of recent developments in poetics and style, as is seen in 2 Henry IV.

AUTEUR

ROY ERIKSEN Professor of English Renaissance Literature and Culture, Adger University College, Norway. He has held positions in the Universities of Oslo, Bergen, the Istituto di Norvegia in Roma (1997-2000), and been attached to Magdalene College, Cambridge (1982-83), Harvard University, Firenze (1990-91, 1994), and École des Hautes Études, Paris (2001). He publishes in English and Italian Renaissance Literary Studies, including architectural history and theory (1400-1700). He has published The Forme of Faustus Fortunes (Humanities, 1987), The Building on the Text (Penn, 2001), and edited Contexts of Pre-Novel Narrative (Mouton/De Gruyter, 1994) and Form and the Arts (Rome: Kappa, 2003). Recent articles treat Webster, Browning, Shakespeare, Michelangelo, and Vasari. He currently works on Roman Quattrocento Urbanism and organizes a programme on Early Modern Urban Culture.

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La Pucelle sur la scène littéraire et politique : le trajet Pont-à-Mousson – Londres

Richard Hillman

1 A la différence de certains collègues dramaturges, dont les plus illustres sont Marlowe (The Massacre at Paris) et Chapman (The Conspiracy and Tragedy of Charles Duke of Biron), Shakespeare n’a jamais basé une pièce de théâtre sur l’actualité européenne, si ce n’est, de façon très indirecte, Love’s Labour’s Lost. Ceci est d’autant plus frappant qu’une si large proportion de son œuvre concerne la politique sous plusieurs formes et surtout sous celle de l’histoire. Évidemment, il favorisait des modalités de signification plus ambiguës, plus libres et finalement plus provocatrices. Et il pouvait compter sur un public notamment alerte aux relations et ressemblances entre passé et présent, ici et ailleurs, même entre ici et nulle part, comme dans The Faerie Queene, selon un mode de penser capable de lire, à travers la typologie médiévale, une analyse scientifique à la Machiavel.

2 Pour activer cette dynamique essentiellement intertextuelle, il suffisait de troubler la structure quasi-grammaticale par laquelle une pièce soi-disant historique se constituait comme intègre, suffisante en soi pour contenir les significations qu’elle déclenchait. À l’époque, c’était la méthode la plus fréquente de mettre la fiction en rapport avec la réalité, comme en témoignent une pléthore de textes. Aussi l’histoire lointaine rejoint les années 1580 de façon retentissante lorsque, dans The Troublesome Raigne of King John (publié en 1591), la seule invasion de l’Angleterre par les Français depuis la conquête normande s’associe à une conjuration traîtresse qui se nomme « A holy knot of catholique consent », ou encore « this holy League », et se trouve secondée par un moine régicide assuré que son fait soit « meritorious1 ». Il en est de même dans Edward III, où l’auteur, que ce soit Shakespeare ou non, s’écarte brusquement de la chronique de Froissart pour introduire un certain « Duke of Lorraine », personnage sans original historique, comme l’ambassadeur de la France qui provoque et défie les Anglais à entreprendre la Guerre de cent ans dans la première scène, puis, dans la deuxième, incite le monarque écossais contre eux2.

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3 Mes exemples ne sont pas innocents, bien entendu (si tant est qu’il puisse y en avoir). Ils indiquent mon intérêt général pour le théâtre anglais comme lieu où se jouaient des enjeux politiques à la fois historiques et actuels vis-à-vis de la France. Plus particulièrement, ils signalent l’orientation de la présente communication vers une ambassadrice lorraine plus connue qui a bel et bien défié les Anglais pour changer le cours de la Guerre de cent ans et qui, pour un public contemporain, n’était pas sans rapport avec la Sainte Ligue et même, comme j’espère le montrer, avec les troubles en Écosse par lesquels les Anglais étaient de nouveau tracassés.

4 Je ne répéterai pas ici ce que j’ai dit ailleurs sur le fonctionnement du personnage de « Joan de Pucelle » dans la première partie de Henry VI, pièce dont je persiste, comme Heminge et Condell, à considérer Shakespeare comme étant l’auteur, même s’il a révisé l’œuvre d’autrui3. Je rappelle seulement que j’ai proposé une lecture de Joan comme incarnant déjà un mythe nationaliste français puissant, d’où le résultat paradoxal que les efforts des Anglais de la pièce pour la dénoncer et l’anéantir comme sorcière et femme transgressive ont pour effet ironique de ratifier son mystère, de la faire revivre au niveau imaginaire à travers l’histoire subséquente, et finalement de ratifier sa malédiction sur une Angleterre défaite en France et déchirée chez elle4. Au sens large, c’est une véritable mise en scène de ce qui se passe dans le texte auquel Shakespeare a puisé ce matériel. La deuxième édition des chroniques de Holinshed (1587) gonfle la rhétorique méprisante assenée à la Pucelle dans la première, tout en rajoutant, à partir de plusieurs sources françaises citées, des détails témoignant de la croissance de son mythe : en fin de compte, insérer entre parenthèses, « as their bookes make hir », n’efface pas sa désignation rapportée comme « [a] person […] raised vp by power divine5 ». On a beau livrer bataille sur le champ discursif : « But what puritie or regard of deuotion or conscience is in these writers trow yée, who make no consideration of hir heinous enormities, or else any difference betwéene one stirred vp by mercie diuine, or naturall loue, and a damnable sorcerer suborned by satan6 ? » L’histoire, elle, semble murmurer par la suite le dernier mot sur Jeanne prononcé par les Grandes croniques de Bretaigne, l’une des sources citées chez Holinshed, mais non guère ces paroles-ci : « Onques puis les Anglois ne prospererent en France7 ».

5 Mais si, chez Holinshed, l’histoire parle, pour sa part la Pucelle n’y dit aucun mot. C’est loin d’être le cas chez Shakespeare, où sa sorcellerie unit son habilité militaire avec une éloquence capable de toucher les cœurs des hommes pour y produire ou de la foi et de l’amour – témoin Burgundy, « Either she hath bewitch’d me with her words, / Or nature makes me suddenly relent » (III.iii.58-59) – ou de la peur, comme le montre York : « Fell banning hag, enchantress, hold thy tongue » (V.iii.42). On pourrait dire que bien parler va de soi pour un personnage dramatique. C’est peut-être donc normal que cette qualité soit également mise en valeur, et d’une manière sans précédent dans les sources connues, par la seule pièce de théâtre, proprement dite, consacrée à Jeanne d’Arc avant celle de Shakespeare. (Par les termes de cette définition j’exclus sciemment Le mystère du siège d’Orléans, spectacle communal du XVe siècle, dont il ne reste qu’un manuscrit unique.) Il s’agit de L’histoire tragique de la Pucelle de Dom-Rémy, composée par le jésuite Fronton Du Duc à l’université de Pont-à-Mousson au printemps 1580. Tout le long de cette tragédie, c’est bien sûr le pouvoir de Dieu qui inspire l’éloquence de l’héroïne, de sorte qu’au lieu d’une malédiction finale (« Then lead me hence ; with whom I leave my curse… » [1 Henry VI, V.iv.86]), nous trouvons son image-miroir, une bénédiction prophétique, qui revient pour autant à la même chose :

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Ah ! ne me pleurez point, mes amis, disait-elle, Mais plutôt louez Dieu d’une bonne nouvelle Que vous donne ma mort car avant que les cieux Aient fait au soleil son cercle spatieux Recommencer sept fois de la française terre Vous verrez déchassé le peuple d’Angleterre. Lors vous verrez vos chefs du dur joug allégés Que leur grave injustice a si longtemps chargés. (v. 2289-96)8

6 S’il n’y a pas d’Anglais pour dire, « hold thy tongue », cependant leur bourreau « Lui a d’un fer tordu bridé toute la bouche » (v. 2314) afin de la faire taire. Cette bouche s’est avérée aussi dangereuse que son bras, pour en juger par l’accusation lancée à son procès : « Car elle a endormi de ruse si gentille / Des princes les esprits que croire leur faisait / Etre la voix de Dieu tout ce qu’elle disait » (v. 1949-51).

7 Il s’agit surtout du Dauphin, qu’elle devait d’entrée de jeu persuader de sa mission divine. Tous les récits sont d’accord sur ce fait. Mais il n’y a que deux textes de l’époque qui représentent la rencontre à Chinon sous forme de dialogue, et en l’occurrence les passages sont similaires. Voici l’échange dans 1 Henry VI : Ask me what question thou canst possible, And I will answer unpremeditated ; My courage but try by combat, if thou dar’st, And thou shalt find that I exceed my sex. […] CHARLES. Thou hast astonish’d me with thy high terms. (I.ii.87-93)

8 Or, chez Fronton Du Duc, comme dans bien des récits, la preuve de la source divine des connaissances de la Pucelle est sa révélation de la prière secrète du Dauphin, sur laquelle il s’exclame, Maintenant je connais D’où la sagesse vient, dont tu nous étonnais, Pour surpasser ton sexe : il serait impossible Qu’elle cogneu cecy… (v. 526-29)

9 « Tu nous étonnais » / « Thou hast astonish’d me » ; « surpasser ton sexe » / « exceed my sex » ; « impossible » / « possible » : et ces correspondances sur quelques vers dans un dialogue entre les mêmes personnages dans des scènes correspondantes. Je laisse à des mathématiciens plus habiles que moi le calcul des probabilités, mais quitte à découvrir quelque source commune inconnue – car je crois avoir exclu tous les récits disponibles, dont aucun d’ailleurs ne prétend rapporter les mots du Dauphin – la conclusion me semble incontournable que l’auteur de la deuxième scène de 1 Henry VI connaissait la pièce antérieure9. Du moins, dorénavant, c’est à mon avis le contraire qui serait à prouver.

10 En fait, ce constat ne change pas grand-chose quant à ma propre lecture de chacune de ces pièces à la lumière de l’autre, ou par rapport à la rencontre imaginaire des dramaturges élisabéthains avec l’actualité française, voire européenne. Par le biais de l’intertextualité, j’ai déjà consacré pas mal de pages à de telles questions10, sur la prémisse que la pièce de Fronton Du Duc, commandée par le duc Charles III de Lorraine au jeune professeur de rhétorique, promouvait les intérêts de cette maison, en représentant la rédemption de la France par les armes d’un sauveur lorrain envoyé par Dieu. L’image d’une France souffrante, à cause de ses propres péchés, sous le joug des Anglais, brutaux corrupteurs de la justice et de la religion, n’était pas étrangère du tout à la propagande de croisade, de conquête par et pour la foi, par laquelle la maison de

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Lorraine comptait avancer ses ambitions politiques aux dépens du monarque actuel, Henri III11. Il me semblait donc hautement significatif que la pièce dut être jouée au mois de mai 1580 devant ce dernier, supposé en route pour les eaux à Plombières, et que, cette visite ayant été annulée, officiellement pour cause de peste, le duc Charles poursuivit néanmoins ce projet, de sorte que la représentation eut lieu le 7 septembre devant un public comprenant « des princes de Lorraine les plus distingués et plusieurs généraux français12 ».

11 Aussi, par la voie intertextuelle, La Pucelle peut lancer sa symbolique dans un espace discursif partagé par l’actualité française et, comme je l’ai indiqué, par le théâtre anglais des années 1590, très concerné par la menace sur le protestantisme et la paix représentée par la Ligue et ses alliés espagnols. Néanmoins, passer au concret, pour ainsi dire, c’est rappeler la distance géographique et culturelle considérable entre Londres et Pont-à-Mousson, ville à laquelle je n’ai pas encore trouvé une seule référence dans des documents anglais de l’époque. Admettre donc carrément qu’un dramaturge anglais a connu la pièce lorraine, éditée seulement en 1581 et dont seulement deux exemplaires existent toujours, impose l’obligation de diminuer quelque peu cette distance, même au risque de recourir à la conjecture. C’est à cet exercice que je consacrerai le reste de cet article.

12 En pliant, pour ainsi dire, la carte en deux, commençons en territoire, sinon neutre, du moins contesté : le royaume d’Écosse. Si Edward III invente un duc de Lorraine qui provoque le roi écossais contre les Anglais au XIVe siècle, c’est un reflet d’événements beaucoup plus récents. À partir de 1579, Henri, duc de Guise, s’impliqua dans une série de complots, avec l’appui de plus en plus important de Philippe II d’Espagne, visant l’invasion de l’Angleterre, ainsi que de l’Écosse, la libération de la reine écossaise, prisonnière en Angleterre (dont l’oncle était le grand cardinal Charles de Lorraine), et la restauration de la religion catholique dans les deux pays. Ces événements ont été bien étudiés par les historiens, surtout dans la mesure où ils débouchèrent finalement sur la conjuration connue sous le nom de Throckmorton en 1583. Toutefois, on a eu tendance à sous-estimer, dans ce contexte, les ambitions plus hautes de la maison de Lorraine sur le plan domestique, ou plus précisément français, puisque la Lorraine ne faisait pas partie du royaume de France avant le XVIIIe siècle. En effet, le duc Charles III, qui parlait aux Espagnols en 1582 de se mettre en tête d’une expédition en Écosse, avec Guise ou son frère Mayenne13, avait lui-même des aspirations royales, du moins pour son fils Henri, petit-fils bien aimé de Catherine de Médicis14. La rébellion des Guise contre Henri III ne s’est déclarée qu’en 1584, après le traité de Joinville, mais elle était en préparation depuis 1579, sinon plus tôt, ce qui met sérieusement en question, comme nous allons le voir, cette histoire généralement acceptée d’une visite royale à Pont-à-Mousson.

13 Il faut comprendre dans quelle mesure les projets des Guise en Écosse dépendaient du jeune roi Jacques, qui n’avait que quatorze ans en 1580, et qu’on essayait d’influencer par tous les moyens possibles, en contrariant l’influence des protestants et des Anglais. On a bien saisi l’importance des missionnaires jésuites à l’époque, dont les activités autant politiques que religieuses suscitaient le vif intérêt des services d’espionnage anglais, sous la direction de Francis Walsingham, et provoquaient des contre-mesures d’une sévérité croissante. Or un rôle central dans cette affaire d’Écosse a été joué par le jésuite éminent Edmund Hay, lui-même écossais, qui avait déjà entrepris des ambassades importantes auprès de la reine Marie en 1562 et 1567. En 1582, au moment

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de mettre sur pied le dernier plan des Guise, c’est lui qui apporta à Jacques une proposition majeure de leur part, comme Walsingham le savait bien par ses agents15. Une note en français, datée du mois de mai, rapporte le désir de Jacques d’aller en France, son intention de se marier avec la princesse Christine de Lorraine, fille du duc Charles, de restaurer la religion catholique en Écosse, et ainsi de suite – toutes informations, naturellement, que Jacques s’empressa de démentir16.

14 Malheureusement pour les Guise, leur succès à ce moment dépendait beaucoup d’un intermédiaire influent qui leur servait d’agent dès son arrivée en Écosse en 1579, le premier mignon du roi Jacques, le Français Esmé Stuart, seigneur d’Aubigny, créé duc de Lennox. Son rôle est confirmé par un rapport rendu à l’ambassade espagnole à Paris, puis à Philippe II, par des jésuites revenant d’Écosse (l’Anglais Holt et l’Écossais Creighton) en mai 158217. D’Aubigny devait se retirer en France hâtivement après le coup de la faction pro-anglaise, qui a kidnappé le monarque en août 1582. Mais une année après, Jacques était de nouveau libre et vraisemblablement ouvert aux arguments des Guise ; il semblait même sur le point de céder en 1584. La mission de Hay prit fin seulement en 1585, lorsque tout espoir fut perdu : au mois de mars, Jacques avait renoncé formellement à toute idée d’une « Association » avec sa mère pour régner en Écosse, alors que le parti favorisant les Anglais eut le dessus de façon définitive quelques mois plus tard18.

15 La promotion en Écosse de la cause catholique, et plus particulièrement lorraine, par Edmund Hay est susceptible de nous intéresser parce que le poste précédent du jésuite était le rectorat de l’Université de Pont-à-Mousson, poste qu’il tenait depuis la fondation de cette institution en 1574 jusqu’en 1581. C’était donc directement sous ses auspices que Fronton Du Duc a composé et monté La Pucelle, ainsi que sa seule autre œuvre dramatique connue (mais perdue), une tragédie de Julien l’Apostat en 1579 ou 1580 – encore un thème applicable, et certainement appliqué ailleurs, à la propagande politico-religieuse. En partant pour l’Écosse, Hay mit-il un exemplaire ou deux de La Pucelle, nouvellement imprimée, dans ses bagages ?

16 De toute façon, la carrière de ce personnage nous indique pourquoi le gouvernement anglais se serait intéressé à cette curieuse institution qu’était l’université lorraine. Hay en fut nommé recteur par les deux fondateurs, le cardinal Charles de Lorraine, et le duc Charles III lui-même, qui dès le début envisageaient pour l’institution un rôle activiste et orienté surtout vers l’Écosse. La reine Marie Stuart favorisa ce projet plus ou moins ouvertement dès 1581, quand elle y établit, en association avec le Pape, un séminaire particulier pour Écossais et Irlandais, dont le but était de « reconquérir l’Écosse à la foi catholique19 ». Voici les racines de l’université d’après son historien, l’Abbé Eugène Martin : La reine d’Écosse, en effet, inquiète des progrès de la réforme dans ses États et dans toute l’Angleterre, avait songé à créer sur le continent plusieurs séminaires où des apôtres et des missionnaires indigènes se prépareraient à lutter plus tard contre l’hérésie, dans leur propre pays. Or, l’Université mussipontaine avait été créée par son oncle, dans ce but spécial : elle comptait parmi ses professeurs des Écossais et des Irlandais, les PP Hay, Gordon, Oswald, Guillaume Barclay. […] ; elle semblait donc, malgré son éloignement, désignée à l’attention de la nièce des Guise ; aussi Pont-à-Mousson fut-il pour quelques années, avec Douai et Reims, le lieu de refuge des îles Britanniques. Cet établissement eut tant de succès que les prêtres séculiers qui dirigeaient le séminaire anglais de Reims, envoyèrent un grand nombre de leurs sujets y perfectionner leurs études de belles-lettres et de théologie20.

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17 Si on prend « théologie » au sens large, La Pucelle semblerait l’exercice idéal pour contribuer à un tel perfectionnement. Et étant donné le nombre d’Écossais et d’Anglais inscrits à Pont-à-Mousson21, si Fronton Du Duc cherchait des accents authentiques pour jouer les méchants, il disposait de pas mal d’acteurs convenables. (Quant à Jeanne même, on ne peut s’empêcher de se demander si ce rôle n’était pas attribué au fils du duc Charles, qui avait presque le même âge que l’héroïne, dix-sept ans, lorsqu’elle quitta la Lorraine pour sauver la France.)

18 Il serait surprenant si Walsingham n’avait pas ses agents à Pont-à-Mousson, comme il en avait à Reims, dont l’université était encore une fondation du cardinal de Lorraine (aussi archevêque de Reims), et où le collège anglais autrefois à Douai a été transféré en 1578 sous les auspices du duc de Guise, gouverneur de Champagne. De toute évidence, les services secrets anglais étaient parfaitement au courant des événements politiques qui se passaient à côté à Nancy. Même en 1579, Poulet, l’agent de Walsingham, a rapporté depuis Paris l’histoire racontée par un Écossais d’un projet d’invasion afin de libérer Marie Stuart. L’homme précisait « that his instructions directed him to the Ambassador of Scotland, whome he found gone to the baths in Lorraine, and to the Duke of Guise22 ».

19 Au Carnaval, du 11 au 18 février 1580, dans une atmosphère de grande pompe et festivité, le duc Charles III tint ce que les historiens appellent la première assemblée de Nancy23. Notamment présent, avec grand train, était le duc Jean-Casimir de Bavière, figure d’une grande importance stratégique dont la reine Élisabeth venait de commander une armée mercenaire contre les Espagnols aux Pays-Bas24. Ses forces comportaient les reîtres qui avaient aidé François d’Anjou et les Huguenots dans la guerre civile récente. Le roi Henri avait accepté d’en payer la facture, mais il ne l’avait pas encore fait ; le duc avait l’air impatient. Présent aussi était le chancelier de François d’Anjou, alors en négociations à la fois pour la main de la reine anglaise et pour la souveraineté des Pays-Bas25. Il y avait aussi quelques nobles protestants rebelles contre Henri, qui avaient fuit la Normandie et s’étaient réfugiés en Lorraine, ainsi que le duc de Mayenne (qui représentait Guise) et plusieurs militaires notables. Apparemment, on se mit d’accord sur un plan pour s’emparer de la ville de Strasbourg, puis entreprendre des actions jointes complexes et ambitieuses afin de déposer le roi et d’installer la Maison de Lorraine sur le trône de France. Les détails restent forcément flous, mais Jean-Marie Constant peut conclure au moins « qu’une action de grande envergure se préparait qui visait Élisabeth, les Pays-Bas et Henri III26 ». C’est essentiellement le programme de la Ligue « officielle » quatre ans après, sauf qu’à ce moment, l’aide des protestants était toujours la bienvenue, du moins à court terme.

20 Sur ces affaires les Anglais avait des renseignements presque instantanés, à en juger par les deux dépêches existantes. La première, originaire de Strasbourg et datée du 16 février, avertit William Cecil, Lord Burghley, de la menace posée par la concertation de Jean-Casimir avec le duc de Mayenne à Nancy. Puis, le 23 févier une lettre de Paris informa les secrétaires à Londres non seulement que fêter Carnaval servait de prétexte pour faire de la politique, mais que « Casimir was moved by the Dukes of Lorraine and « Demayne » to associate himself with the House of Guise, and to take the protection of the estates of France and by force to cause some reformation27 ». Plusieurs « gentlemen of Normandy » sont nommés comme participants. Au printemps, d’autres détails se firent connaître « by letters from those parts », tandis que le 3 avril Walsingham fut informé, encore depuis Paris, que le duc de Mayenne avait « declared to Casimir in his

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brother the Duke of Guise’s name that France was so ill-governed that unless some remedy was found in time it might run to ruin28 » ; si Casimir prêtait son appui, Guise promettrait de laisser les Huguenots en paix.

21 Les fêtes organisées par le duc Charles autour du Carnaval comprenaient-elles une pièce de théâtre, comme pourrait laisser sous-entendre son penchant connu ? Si oui, elle aurait bien pu être Julien l’Apostat, sorte de répétition pour l’événement principal que devrait être la représentation devant le visiteur royal, en route vers ces fameux bains de Lorraine, d’une croisade lorraine à la rescousse de la France. À quelle réception le roi aurait-il pu s’attendre ? Louis Davillé, se basant sur des lettres de Catherine de Médicis, évoque toute une région, y compris la Champagne, également dominée par les Guise, dans un état d’agitation, traversée de peurs de révolte de la part des protestants, ainsi que des catholiques, et surtout craintive de leur action jointe contre la monarchie29. La turbulence se fait sentir dans plusieurs documents écrits sur place, qui font référence constamment aux tensions religieuses et aux déprédations causées par des hommes armés30. Une lettre révélatrice a été gribouillée en hâte par le duc de Guise à Joachim de Dinteville, depuis peu nommé lieutenant-gouverneur pour la Champagne. Datée du 27 avril 1580 – donc presque immédiatement avant la visite royale annoncée – cette dépêche confirme que la peste qui attendait Henri n’avait pas grand-chose à voir avec des microbes : Monsieur de Dinteville, je vous renvoie ce porteur, aiant le Roy retardé son voyage pour les remuemens qui sont survenuy, et sommes icy le bec dans l’eau entre paix et guerre. L’on estime que, dans trois jours, l’on y verra cler. Je ne fauldray vous en mander ce qui en sera. Cependant, tenez toujours noz villes adverties plus que jamais31.

22 Se sentant avec raison coincé entre son maître royal et le pair presque tout-puissant, Dinteville aurait-il vraiment cru en l’expression des meilleurs sentiments de son correspondant : « Votre entièrement meilleur amy à jamais. Henry de Lorraine » ? Mais étant donné la situation politique, est-ce raisonnable de supposer que le roi, qui après tout n’était pas sot, entreprendrait une telle excursion pour sa santé ? Tout historien semble avoir accepté la version officielle de la visite proposée et de son annulation, mais les Anglais, eux, n’étaient pas dupes, à en juger par une dépêche de Paris à Londres du 8 avril : Since the Queen Mother’s departure – who set out on the 6th inst. towards her son at Angiers – the King has bestirred himself in seeking to appease the troubles that were arising in his realm. He entertains the « opinion » of his journey towards the « Baynes of Plumiers » [Plombières] in Loraine, seeming to await the return of his physician, Dr Miron. The other day Colonel « Chamberg32 » was despatched by him to Germany under colour of visiting the frontiers, there, and a place fit for the king’s lodging ; but in fact rather to understand Casimir’s dealing with certain Norman gentlemen who are there33.

23 Voilà, en somme, deux routes qui, bien que passant respectivement par l’Écosse et par Paris, diminuent la distance imaginaire entre Pont-à-Mousson et Londres. Pour ce qui est de Shakespeare personnellement, on est, comme d’habitude, dans le flou. On pourrait au moins évoquer, emboîtant le pas à Charles Nicholl sur la piste de Marlowe34, le chevauchement remarquable dans les années 1580 et 1590 entre la communauté littéraire londonienne et le demi-monde complexe et indistinct d’espions, contre- espions et leurs connaissances, dont les activités portaient surtout sur les Récusants. On pourrait y rajouter le fait connu que l’ambassadeur anglais à Paris était chargé de fournir à Walsingham les copies de textes susceptibles de nuire aux intérêts

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nationaux35. Toutefois, je cède à la tentation de replier la carte, mais de l’autre côté cette fois, pour rapprocher Édimbourg de Londres, et peut-être même de Stratford- upon-Avon.

24 Le Calendar of State Papers, Scottish Series, contient une plainte, datée du mois d’avril 1583 – donc juste au moment où la lutte en Écosse entre protestants et catholiques était la plus intense, avec le jeune roi au milieu – comme quoi un certain Vautrollier, « a Frenchman », se heurte à un harcèlement dans ses efforts pour établir une imprimerie en Écosse, malgré la détention d’un permis36. Il s’agit bien évidemment de Thomas Vautrollier, l’imprimeur huguenot bien connu, basé à Londres, qui était notamment actif dans l’édition d’ouvrages liés à la France, y compris des textes d’orientation hautement politique, tels que la traduction par Arthur Golding de la Vita hagiographique de l’amiral Coligny37. Les grandes lignes de ses activités écossaises sont connues : il avait été encouragé à s’y établir en tant que « stranger banished for religion » qui offrait « to imploy his labour […] for the weill of the country », et il y aurait passé deux séjours de deux ans chacun (1580-1582 et 1584-1586), en faisant bonne affaire et en vendant des livres au roi38. Or il est possible, avec une certaine confiance, de lire entre ces lignes, étant donné la turbulence politico-religieuse en Écosse à l’époque et le fait qu’en 1584, c’était à l’imprimerie londonienne de Vautrollier que Burghley confia les versions en français et en latin de son traité anonyme justifiant l’exécution du jésuite Edmund Campion39. En toute probabilité, l’entreprise écossaise fut commanditée par le gouvernement anglais, avec la complicité de leurs alliés sur le terrain, pour fournir de la propagande contre celle importée de France, surtout par les jésuites. Le harcèlement que Vautrollier était censé avoir subi en 1583 dut le forcer à quitter temporairement le pays.

25 Les années d’activité de Vautrollier en Écosse ont laissé relativement peu de traces identifiables, ce qui, avec les quelques produits documentés, conforte l’hypothèse d’un engagement dans la propagande éphémère40. Ne sont documentées qu’une poignée d’ouvrages d’orientation moralisatrice et religieuse, ardemment protestants, ainsi que les deux premières traductions anglaises du poète, diplomate et guerrier huguenot, Guillaume de Salluste, seigneur Du Bartas. Le fait qu’une de ces traductions était du roi Jacques lui-même semble signaler un effort d’encourager le roi dans cette sympathie particulière avec le poète qui aboutit à la visite écossaise de ce dernier en 1587, visite qui visait probablement une fin politique distincte41.

26 Cependant c’est l’autre traduction qui s’avère plus intrigante. Il s’agit de La Judit, exaltation du personnage biblique parue premièrement en 1574, et traduite en 1584 par Thomas Hudson, musicien du ménage royal. Dans son Épître dédicatoire, Hudson présente son travail non seulement comme une commande royale de composer sur « an agreable Subiect to your highness », mais même comme une sorte de collaboration avec le roi, qui l’aida avec les révisions et la correction42. La matière liminaire unit les compliments habituels au monarque (visant surtout son goût littéraire) à un discours résolument protestant, et le traducteur interpole des vers impliquant le roi Jacques dans le but sacré visé par le poème, … since in vulgar verse I prease to sing This godly Poœme to a Christian King, To him who God in goodnesse hath erect For princely Piller, to his owne elect : For lawfull Lord, to raigne with trueth and right… (sig. B r°)

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27 Dans ce contexte, on peut considérer que le but du poème bartésien était loin d’être purement spirituel.

28 En effet, La Judit occupait une place très particulière dans la propagande huguenote, dans la mesure où le poème donnait voix à la lecture providentielle de l’assassinat en 1563 de François, duc de Guise, père du duc actuel43. Il venait d’être réédité (en 1582 et 1583) avec des commentaires calvinistes tranchants de Simon Goulart, ce qui accrut son prestige et sa force comme document protestant militant. François, duc de Guise, fut abattu pendant son siège d’Orléans, ville alors tenue par les protestants, par un gentilhomme français terre-à-terre (et, d’après les Guise et autres, incité par Coligny), mais on représentait sa mort comme la délivrance miraculeuse du peuple élu de Dieu. L’image de Guise est assimilée à celle d’Holoferne, tyran blasphématoire à la tête d’une armée étrangère (avec allusion aux forces espagnoles et allemandes qui appuyaient les catholiques). Comme l’acte héroïque d’une faible femme, infusée de force divine, avait permis de lever le siège de Béthulie, l’exécution de Guise sauvait Orléans.

29 Mais il y avait eu, bien sûr, un siège d’Orléans précédent, et d’après la pensée typologique de l’époque, mettre les deux sièges en parallèle, ou plutôt en contraste, était de rigueur : en 1576, les conseillers municipaux d’une Orléans résolument retournée au catholicisme (avec le renfort de Catherine de Médicis, qui avait doté d’un morceau de la vraie croix la cathédrale saccagée par les protestants) ont commandé la publication d’une histoire du siège de 1429 mettant Jeanne notamment en valeur44. Ce document, L’Histoire et discours au vray du siège qui fut mis devant la vile d’Orléans par les Anglais, prouve de façon décisive que l’association de Jeanne avec le siège était un enjeu autant pour les protestants que pour les catholiques. La preuve se trouve dans l’épître liminaire de l’éditeur juré d’Orléans, Saturny Hottot, ainsi que dans l’« Aduertissement av lectevr » annexé au récit. La lettre présente le volume comme une sorte de seconde réhabilitation de Jeanne, dont le miracle démontre que les Français sont « vn peuple aussi bien aymé de Dieu que furent iadis les Israëlites » ; le but est de « faire reuiure la gloire de celle, les monuments de laquelle vous avez remis sus en vostre cité, abbatus par l’insolence des guerres ciuiles45 ». La polémique partisane et les détails des dégâts faits par les protestants sont encore plus évidents dans l’« Aduertissement » annexe, qui concerne la procession annuelle en honneur de Jeanne, maintenant rétablie avec une deuxième délivrance de la ville comprise dans les remerciements offerts à Dieu. C’était le culte de Jeanne, semble-t-il, qui a provoqué les protestants à outrager « les cueurs des naturels François » pendant nos premiers troubles, lors-que quelques soldats insolens & insensez se ruerent de rage sur la statuë honorable de ceste chasté [sic] Amazone, Ieanne la Pucelle, qu’ils abbatirent de dessus son pilier esleué sur Loyre à Orleans, & la briserent furieusement. (sig. N ii v°)

30 Dans ce contexte bien chargé, la Judit de Du Bartas revient à une virtuelle anti-Jeanne. Rajoutons à cela le fait que Du Bartas modela sa Judith sur encore une autre Jeanne – l’héroïne protestante Jeanne d’Albret, reine de Navarre46 – et nous voyons jusqu’à quel point le poème s’inscrit sous le signe de l’iconoclasme.

31 L’association de Jeanne d’Arc à Judith a été instaurée assez tôt47 et diffusée largement dès au moins 1580, avec la première édition du Recueil des rois de France de Jean Du Tillet, ouvrage auquel l’idée est attribué, avec mépris (« this tale of Tillets »), dans la seconde édition des Chronicles de Holinshed48. Mais la pièce de Fronton Du Duc insiste sur cette association de manière récurrente49, et à la lumière intertextuelle du poème

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de Du Bartas (qui vient d’être réédité en 1579), ce lien revêt un caractère agressif, sinon défensif, dans l’éloge dramatique de la Maison de Lorraine. Si La Pucelle faisait partie de la campagne de propagande en Écosse, visant surtout le jeune roi, l’édition / traduction du poème bartésien aurait servi de contre-coup assez précis. Et si Vautrollier était revenu d’un séjour en Écosse avec quelques échantillons de la production des adversaires dans ses bagages… ?

32 Il est possible aussi que Vautrollier ait été accompagné de temps à autres de son apprenti. Or les shakespeariens savent bien que le seul apprenti de Vautrollier était Richard Field, une connaissance de Shakespeare, probablement un ami personnel, depuis leur enfance passée ensemble à Stratford-upon-Avon50. Field deviendra l’éditeur de Vénus et Adonis en 1593 et du Viol de Lucrèce en 1594 ; Shakespeare semble lui rendre un hommage affectueux dans Cymbeline (1609-10), lorsqu’Imogen s’invente un maître nommé « Richard du Champ » (IV.ii.377)51. La forme française du nom est hautement appropriée, car lorsque Field a repris l’imprimerie à la mort de Vautrollier en 1588, en devenant aussi le mari de la veuve Jacqueline, comme le voulait la coutume, il a maintenu dans une mesure considérable l’orientation linguistique et politique de la maison.

33 Jean-Marie et Angela Maguin nous ont rendu service, entre autres, en attirant l’attention sur Field comme l’éditeur de quelques ouvrages importants comme textes- source de Shakespeare. Il me paraît pertinent de rappeler que Field était aussi profondément impliqué, comme l’ont démontré Denis B. Woodfield et Lisa Ferraro Parmelee, dans la production de propagande contre la Ligue, y compris des documents faussés, en association avec John Wolfe52. Les premiers produits de Field pour son propre compte (ou plus précisément dits imprimés par « J. Vautrollier for Richard Field ») comprenaient encore de la propagande du service secret : les versions anglaise et française (la dernière étant probablement antérieure), chacune dans des éditions multiples, de la lettre supposée écrite a Barnardino de Mendoza par le jésuite Richard Leigh exécuté, mais en réalité contrefaite par Burghley lui-même. C’était un coup brillant – dit Read Conyers, « Of all Burghley’s contributions to the literature of propaganda, this letter to Mendoza was the best thing he ever did53 » – et une opération menée à grande échelle, bien coordonnée (c’était encore John Wolfe qui était chargé de la version italienne, aux ordres de Walsingham54). Apparemment, Field a bien fait son apprentissage dans tous les sens55.

34 Certes, on peut facilement imaginer des pistes moins exotiques par lesquelles Shakespeare, ou un collègue, aurait pu arriver à une connaissance de La Pucelle du jésuite lorrain. Mais on peut également maintenir que de tels exercices d’imagination, plus colorés, ont leur propre valeur, à condition que les pistes restent bien praticables. Cette valeur consisterait, non pas à établir des faits, mais plutôt à évoquer des contextes de significations cernant le manque de faits. Lorsqu’il s’agit des significations politiques, religieuses et littéraires, toutes étroitement imbriquées, qui circulaient à travers l’Europe de l’époque, parfois avec l’effet de redéfinir ses frontières, se donner de temps à temps à de tels jeux d’esprit ne revient pas à jouer aux cartes.

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NOTES

1. The Troublesome Raigne of King John, éd. Geoffrey Bullough, Narrative and Dramatic Sources of Shakespeare, vol. 4, Londres, Routledge, New York, Columbia University Press, 1962, v. 545, 562, 925. Voir ma discussion dans Shakespeare, Marlowe and the Politics of France, Houndmills, Basingstoke, Hampshire, Palgrave, 2002, p. 58-63. 2. Voir mon Shakespeare, Marlowe and the Politics of France, p. 8-9. 3. Le dernier assaut d’une longue série à l’idée de Shakespeare comme étant le seul auteur de 1 Henry VI à été donné par Gary Taylor, « Shakespeare and Others : The Authorship of Henry the Sixth, Part One », Medieval and Renaissance Drama in England, t. 7, 1995, p. 145-205. Pour un survol utile de cette question, qui d’ailleurs ne sera jamais résolue, voir la note sur le texte dans The Riverside Shakespeare, éd. G. Blakemore Evans, J. J. M. Tobin et al., 2e éd., Boston, Houghton Mifflin, 1997, p. 664 ; ce volume me sert d’édition de référence pour les œuvres de Shakespeare dans le présent article. 4. Voir Shakespeare, Marlowe and the Politics of France, p. 130-52 et passim. 5. Holinshed Raphael, William Harrison, et al., Holinshed’s Chronicles of England, Scotland, and Ireland, éd. Henry Ellis et al., 6 vol., 1806-1807, rééd. New York, AMS, 1965, vol. 3, p. 163. 6. Holinshed et al., op. cit., vol. 3, p. 172. 7. Alain Bouchart, Grandes croniques de Bretaigne, éd. Bernard Guenée et al., coll. Sources d’Histoire Médiévale Publiées par l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes, Paris, Centre National de la Recherche Scientifique, 1986, vol. 2, p. 309. 8. Je cite Fronton Du Duc, L’histoire tragique de la Pucelle de Dom-Rémy, éd. Marc André Prévost, coll. Théâtre français de la Renaissance, 2e série, La tragédie à l’époque d’Henri III, vol. 2, Florence, Leo S. Olschki, Paris, Presses Universitaires de France, 2000. 9. La seule autre ressemblance spécifique qui me semble mériter d’être citée comme preuve supplémentaire est entre les expressions de la détermination des Anglais au siège d’Orléans comme exprimée par Talbot chez Fronton Du Duc et le Dauphin chez Shakespeare : Car c’est tout résolu que tout cet exercite Demeurera plustost que de ce siège il quitte Le fruit presque cueilli. (V. 1024-26) Of old I know them ; rather with their teeth The walls they’ll tear down than forsake the siege. (1 Henry VI, I.ii.39-40) À noter ici que je donne le vers 1025 de La Pucelle d’après l’édition originale de Nancy, Veuve J. Sanson, 1581 ; celle de Prévost adopte l’émendation poétique de l’éditeur du XIXe siècle, Durand de Lançon : « Mourera cent fois plustost que ce siège il quitte ». 10. Dans Shakespeare, Marlowe and the Politics of France. 11. Voir René Taveneaux, « L’Esprit de croisade en Lorraine aux XVIe et XVIIe siècles », L’Europe, l’Alsace et la France, problèmes intérieurs et réactions internationales à l’époque moderne : Études réunies en l’honneur du Doyen Georges Livet pour son 70e anniversaire, Colmar, Les Éditions d’Alsace, 1986, p. 256-63. 12. « […] illustrissimi Lotharingiae principes cum proceribus et Gallicis praefectoribus non paucis » (le P. Abram, cité par Alain Cullières, « Jean Barnet, éditeur de l’Histoire de la Pucelle de Dom-Remy », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 55, 1993, p. 46-47).

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13. Calendar of State Papers, Researches in Foreign Archives – Spain : Letters and State Papers relating to English Affairs, Preserved Principally in the Archives of Simancas – Elizabeth I, 1558-1603, éd. Martin A. S. Hume, 4 vol., vol. 3 – 1580-1586, 1896, rééd. Nendeln, Lichtenstein, Kraus Reprints, 1971, n° 301, 13 décembre 1582, p. 423. 14. Voir Louis Davillé, Les prétentions de Charles III duc de Lorraine à la couronne de France, Paris, Félix Alcan, 1908. 15. Voir Conyers Read, Mr. Secretary Walsingham and the Policy of Queen Elizabeth, 3 vol., Oxford, Clarendon Press, 1925, vol. 2, p. 177, 246, 374-86. Les jésuites anglais Watts et Holt partirent en Écosse à la fin de 1581, les Écossais Hay et Creighton au printemps 1582, d’après Conyers Read, Lord Burghley and Queen Elizabeth, New York, Alfred A. Knopf, 1960, p. 280-81. 16. Voir Calendar of the State Papers relating to Scotland Preserved in the State Paper Department of Her Majesty’s Public Record Office, vol. 1, The Scottish Series, of the Reigns of Henry VIII, Edward VI, Mary, Elizabeth – 1509-1598, éd. Markham John Thorpe, Londres, Longman, Brown, Green, Longmans, and Roberts, 1858, vol. 30, n° 2* (9 mai 1582), p. 423, and n° 14 (30 juillet 1582). Plus généralement, les dépêches des années 1582-1584 évoquent vivement la situation politique mouvementée autour du roi écossais et la lourde implication d’acteurs français. 17. Calendar of State Papers – Spain, vol. 3 – 1580-1586, n° 266 (18 mai 1582), p. 371 ; voir aussi Read, Lord Burghley, p. 232, et Wallace MacCaffrey, Elizabeth I, Londres, Arnold, 1993, p. 207, 435. 18. Sur ces événéments en Écosse, voir MacCaffrey, op. cit., p. 341, 435, et Antonia Fraser, Mary, Queen of Scots, Frogmore, St. Albans, Herts., Panther, 1970, p. 540-45. 19. Pierre Lallemand, « Les Fondations monastiques à Pont-à-Mousson au temps de la Réforme catholique », L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps : Actes du colloque organisé par l’Institut de Recherche Régionale en Sciences Sociales, Humaines et Économique de l’Université de Nancy II (Nancy 16-19 octobre 1972), Nancy, Université de Nancy II, 1974, p. 137 ; voir aussi Eugène Martin, L’Université à Pont-à-Mousson (1572-1768), Paris et Nancy, Berger-Levrault, 1891, p. 45. Le séminaire écossais à Pont-à-Mousson diminua en importance après la mort du Pape Grégoire III (1585) et de Marie Stuart (1587) ; l’an 1591 vit son transfert à Douai (Lallemand, op. cit., p. 138). 20. Martin, op. cit., p. 45. Bien que Michel Pernot (« Le Cardinal de Lorraine et la fondation de l’université de Pont-à-Mousson », L’Université de Pont-à-Mousson et les problèmes de son temps, p. 52, n. 1) ne croie pas que l’orientation écossaise et politique de l’institution ait figuré dans le concept original du cardinal de Lorraine, il fait remarquer que ce dernier impliquait des Écossais dans le projet dès le début, même en dehors de Hay, et qu’une telle orientation se mit en place par la suite. Il est clair, d’après l’étude de Pernot, que le cardinal exerça toute son influence considérable pour faire réaliser le projet rapidement. D’ailleurs, les intentions politiques de son neveu Henri, duc de Guise, qui promouvait l’établissement d’une autre institution jésuite sur la frontière entre la Picardie et la Normandie en 1579 sont explicites : Guise précise l’avantage du passage en Angleterre en douze heures ou moins (voir Marc Venard, « Y a-t-il une « stratégie scolaire » des jésuites en France au XVIe siècle ? », L’Université de Pont-à- Mousson et les problèmes de Son Temps, p. 81). 21. D’après Martin (op. cit., p. 81), en 1581 et les trois années suivantes, il y avait environ trente Écossais, le même nombre d’Anglais et d’Allemands, et six ou sept Irlandais.

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22. Calendar of State Papers, Foreign Series, of the Reign of Elizabeth, Preserved in the Public Record Office, éd. Arthur John Butler, Londres, H.M.S.O., 1903, 1578-1579, n° 686, p. 517. L’ambassadeur de Marie Stuart en France était un ecclésiastique catholique, James Beaton, archevêque de Glasgow. 23. Voir la discussion détaillée de Davillé, op. cit., p. 24-32, ainsi que Histoire et dictionnaire des Guerres de Religion, éd. Arlette Jouanna, Jacqueline Boucher, et al., Paris, Robert Laffont, 1998, p. 310. 24. MacCaffrey, op. cit. p. 193-94. 25. Cette dernière négociation ayant porté fruit, le contrat fut signé au mois de septembre 1580. 26. Jean-Marie Constant, Les Guise, Paris, Hachette, 1984, p. 200. 27. Calendar of State Papers, 1579-1580, n° 178. Un an plus tard, les Anglais furent inquiets au sujet d’une autre assemblée à Nancy ; voir Calendar of State Papers (janvier 1581-avril 1582), n° 16 (13 janvier 1581), p. 19, et n° 62 (20 février 1581), p. 68. 28. Calendar of State Papers, 1579-1580, n° 247. 29. Voir Davillé, op. cit., p. 24-25. 30. Voir Georges Hérelle (éd.), La Réforme et la Ligue en Champagne, documents, 2 vol., Paris, Champion, 1887-1892. 31. Cité dans Hérelle, op. cit., vol. 2, p. 102-3. 32. C’est-à-dire, Gaspard de Schomberg, comte de Nanteuil. 33. Calendar of State Papers (1579-1580), n° 252, p. 217. 34. Dans The Reckoning : The Murder of Christopher Marlowe, Londres, Jonathan Cape, 1992. 35. Voir Lisa Ferraro Parmelee, Good Newes from Fraunce : French Anti-League Propaganda in Late Elizabethan England, Rochester, NY, University of Rochester Press, 1996, p. 38. 36. Calendar of State Papers relating to Scotland, vol. 1 (1509-1598), vol. 31 (1583), n° 93 (9 avril). 37. The lyfe of the most godly, valeant and noble capteine and maintener of the trew Christian religion in Fraunce, Iasper Colignie Shatilion, sometyme greate admirall of Fraunce, trad. Arthur Golding, London, Thomas Vautrollier, 1576 ; STC 22248. Cet ouvrage très influent est attribué à Jean de Serres, à Jean Hotman ou encore à François Hotman. L’attribution à ce dernier est maintenue de façon convaincante par l'éditeur scientifique dans François Hotman, La vie de Messire Gaspar de Colligny Admiral de France (c. 1577), éd. Émile- V. Telle, 1643, rééd. en fac-similé, Genève, Droz, 1987, p. 99-100. 38. A. E. M. Kirwood, « Richard Field, Printer, 1589-1624 », The Library, t. 12, n° 1, 1931, p. 3-4. 39. The Execution of Justice in England, not for Religion but for Treason, Londres, C. Barker, 1583 ; STC 4902. Les traductions en français et en latin sont, respectivement, STC 4906 et 4904. Cette campagne de publication était très efficace, incluant, toujours en 1583, des traductions en néerlandais (publiée à Middelburg) et en italien, cette dernière attribuée à G[iovanni] Wolfio, i.e., John Wolfe, autre éditeur londonien actif dans la cause huguenote et plus largement protestante ; voir Denis B. Woodfield, Surreptitious Printing in England, 1550-1650, New York, Bibliographical Society of America, 1973, p. 24-33, en particulier p. 25, ainsi que mon livre Shakespeare, Marlowe and the Politics of France, passim). Sur les contextes politiques de cet ouvrage, voir Read, Lord Burghley, p. 244-55. 40. Il est tentant, vu la date, la langue et l’orientation politique, d’attribuer à Vautrollier un pamphlet de 1582 : Remonstrance faicte au Roy d’Escosse par Messieurs de son Conseil privé conjoinctz avec la Noblesse d’iceluy pays, sur les practiques d’Aubigny, au moys d’Octobre. Traduict d’Escossois en François. Le catalogue de la British Library propose Paris

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comme son lieu de publication (toutefois avec un point d’interrogation), et l’ouvrage ne figure pas comme produit britannique dans le Short Title Catalogue. Par contre, le catalogue de la Bibliothèque Nationale de France n’offre pas de conjecture en ce qui concerne le lieu, alors que les circonstances confortent l’hypothèse d’une origine écossaise. Une analyse bibliographique matérielle pourrait être utile. 41. La traduction était de l’Uranie, ou Muse celeste, dans The essayes of a prentise, in the diuine art of poesie, Édimbourg, T. Vautrollier, 1584, STC 14373, avec une seconde édition l’année suivante (STC 14374). Du Bartas se rendit en Écosse entre mai et septembre 1587 ; vraisemblablement il fut chargé par Henri de Navarre de promouvoir un mariage entre sa sœur Catherine et le roi Jacques ; le poète passa par l’Angleterre, où il participa peut-être à des discussions préalables. Voir Harry Ashton, Du Bartas en Angleterre, 1908, rééd. Genève, Slatkine, 1969, p. 18-30 ; Urban Tigner Holmes, Jr., Guillaume De Salluste Sieur Du Bartas : A Biographical and Critical Study, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1935, p. 21-22 ; et James Dauphiné, « Le ‘chevalier’ Du Bartas : lettre inédite de Jacques VI d’Écosse », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, t. 59, n° 1, 1997, p. 63-66. 42. Guillaume de Salluste, seigneur Du Bartas, The historie of Iudith in forme of a poeme. Penned in French, by the noble poet, G. Salust. Lord of Bartas, trad. Thomas Hudson, Edinburgh, Thomas Vautrollier, 1584, STC 21671, sig. Aiii r°-v°. Il y a une ambiguïté intrigante quant au public visé par ce volume : d’une part, non seulement celui-ci est dédié au roi Jacques, mais il revendique une intimité et une sympathie intellectuelles avec lui ; d’autre part, il contient des notes explicatives destinées à un lectorat peu érudit (donc glosant des personnages tels que « Abraham », « Agamemnon » ou encore « Mars »). On a l’impression d’une tentative de promouvoir une solidarité spécifiquement protestante entre le roi et ses sujets. 43. Sur le symbolisme politique du poème, voir Guillaume de Salluste, sieur Du Bartas, La Judit, éd. André Baïche, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Toulouse, sér. A, t. 2, Toulouse, Association des Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Toulouse, 1971, p. xxi-cixc. 44. Françoise Michaud-Fréjaville, « Personne, Personnage : Jeanne d’Arc en France au XVIIe siècle », Jeanne d’Arc en garde à vue, éd. Dominique Goy-Blanquet, Bruxelles, Le Cri, 1999, p. 61 et n. 30. 45. Léon Tripault, L’histoire et discours au vray du siège qui fut mis devant la ville d’Orléans par les Anglois… plus un echo contenant les signularitez de ladicte ville, par M. Léon Tripault, Paris, Saturny Hottot, 1576, sig. aii v°. 46. Baïche, op. cit., p. xxi-xxxv. 47. Voir Jan Joseph Soons, Jeanne d’Arc au théâtre. Étude sur la plus ancienne tragédie, suivie d’une liste chronologique des œuvres dramatiques dont Jeanne d’Arc a fourni le sujet en France de 1890 à 1926, Purmerend, J. Muusses, 1929, p. 87. 48. Holinshed, op. cit., vol. 3, p. 172, dont la première mention de Jeanne, avec plusieurs sources françaises citées dans la marge, y compris Du Tillet, incorpore des détails correspondant au Recueil, 2 vol., Paris, A. Perier, 1607, vol. 1, p. 233. 49. Fronton Du Duc, op. cit., v. 712-13, 1598-1601, 2390, 2393-98. 50. Voir Jean-Marie Maguin et Angela Maguin, William Shakespeare, Paris, Fayard, 1996, p. 306-7. 51. Field s’est doté du nom de Ricardo del Campo pour certains imprimés faussés d’expression espagnole (voir Woodfield, op. cit., p. 41). 52. Parmelee, op. cit., p. 34-35 ; Woodfield, op. cit., p. 24-45. Wolfe, un associé de Gabriel Harvey pendant un moment, était aussi notoire, du mois tôt dans sa carrière, pour ses

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pratiques commerciales douteuses. Sur ces questions, see Harry R. Hoppe, « John Wolfe, Printer and Publisher, 1579-1601 », The Library, 4e sér., t. 14, 1933, p. 241-88, et Clifford Chalmers Huffman, Elizabethan Impressions : John Wolfe and His Press, New York, AMS, 1988. 53. Read, Lord Burghley, p. 433. Read explique cette campagne de propragande de façon détaillée (p. 431-33 et 580, n. 91). Voir aussi Woodfield, op. cit., p. 27-28. Les références du STC sont les suivantes : 15412-15414.6. 54. Kirwood, op. cit., p. 8. 55. Kirwood (op. cit., p. 8) admet qu’il y a peut-être « some signifiance » du fait que Vautrollier est impliqué dans le coup antérieur de Burghley contre les jésuites, Field dans celui plus tardif, mais il ne développe pas cet aperçu. Voir, par contre, Woodfield, op. cit., p. 35. Field semble avoir maintenu un certain lien avec l’imprimerie quasi-officielle écossaise : encore un volume de traductions de Du Bartas par le roi Jacques, publiée à Édimbourg par l’imprimeur royal R. Waldegrave en 1591, avait été inscrit au nom de Field sur le Stationers’ Register en 1589. Et il reste un fait curieux que pour A Midsummer Night’s Dream Shakespeare se serait servi d’une autre publication de Waldegrave aussitôt après sa parution en 1594, à savoir le récit du baptême du Prince Henry d’Écosse : A trve reportarie of the most trivmphant, and royal accomplishment of the Baptisme of the most Excellent, right High, and mightie Prince, Frederik Henry, By the grace of God, Prince of Scotland. Solemnized the 30. day of August. 1594, [Édimbourg], R. Waldegrave [« Printer to the K. Majestie »], 1594 ; STC 11214.6. Voir William Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream, éd. Peter Holland, coll. Oxford World’s Classics, Oxford, Oxford University Press, 1994, n. à I.i.67-68, et Richard Hillman, « Prince Henry’s Godfather and the Succession », The Struggle for the Succession in Late Elizabethan England : Politics, Polemics and Cultural Representations, éd. Jean-Christophe Mayer, préface de Jenny Wormald, coll. « Astraea », n° 11, Montpellier, Université Paul-Valéry, 2004, p. 317-30.

RÉSUMÉS

Cet article précise l’idée de l’auteur, déjà présentée en ébauche dans Shakespeare, Marlowe and the Politics of France (2002), que la première tragédie française sur le sujet de Jeanne d’Arc, composée par le jésuite Fronton Du Duc à l’université de Pont-à-Mousson au printemps 1580, montée en septembre de cette année, a pu influer sur la représentation de « Joan de Pucelle » dans la première partie d’Henry VI. Certains parallèles (et même divergences) textuels confortent l’hypothèse d’un lien direct entre les deux pièces. Mais admettre qu’un dramaturge anglais a connu la pièce lorraine, publiée seulement en 1581 dans une édition dont seulement deux exemplaires existent toujours, impose l’obligation de se pencher sur les moyens de contact possibles. On peut au moins démontrer qu’un Anglais au courant de la politique anglaise actuelle, tel que Shakespeare ou Marlowe (ce dernier probablement mêlé personnellement dans des affaires politiques), aurait eu des raisons très particulières pour s’intéresser à Pont-à-Mousson. C’est un aperçu qui élargit notre sens de Shakespeare en particulier, et de ses anglais

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contemporains, comme « toujours déjà » impliqués dans l’Europe, à laquelle ils revenaient au niveau de l’imaginaire, tout en insistant sur leur distance, leur étrangeté, leur opposition.

La Pucelle on the Literary and Political Stage: Taking the Show on the Road from Pont-à- Mousson to London This article develops the author’s idea, previously outlined in Shakespeare, Marlowe and the Politics of France (2002), that the first French tragedy on the subject of Joan of Arc, written by the Jesuit Fronton Du Duc at Pont-à-Mousson in the spring of 1580 and staged in

September of that year, may have influenced the representation of “Joan de Pucelle” in 1 Henry VI. Certain parallels (and indeed divergences) support the theory of a direct link between the two plays. Yet to posit Shakespeare’s familiarity with the tragedy from Lorraine, published only in a single edition (1581), of which only two copies are extant, requires considering the possible routes by which it might have come to an English dramatist’s attention. It is at least possible to demonstrate that an Englishman attuned to current politics, as Shakespeare and Marlowe certainly were (the latter probably being personally involved in political affairs), would have had very particular reasons for interesting himself in Pont-à-Mousson. Such a realization broadens our sense of Shakespeare and his English contemporaries as “always already” implicated in Continental Europe, to which they continually turned imaginatively, even as they insisted on their distance, their national difference, their opposition.

AUTEUR

RICHARD HILLMAN Richard HILLMAN : professeur à l’Université François-Rabelais, Tours (Département d’anglais et CESR), Ph.D. (Toronto) en littérature anglaise de la Renaissance, autrefois professeur titulaire à l’université de Western Ontario (London, Canada). Surtout spécialiste du théâtre anglais de la Renaissance, il a publié de nombreux articles et cinq livres sur ce sujet, dont le plus récent, Shakespeare, Marlowe and the Politics of France (Palgrave, 2002), témoigne de la concentration actuelle de ses recherches sur les liens entre la France et l’Angleterre. Il a également publié des textes de Marie de Gournay (traduits en collaboration avec Colette Quesnel) et vient d'achever la traduction en anglais et l’édition de trois pièces historiques françaises du XVIe siècle, dont L’histoire tragique de la Pucelle de Dom-Rémy de Fronton Du Duc, à paraître chez Dovehouse Publications (Ottawa).

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Shakespeare et la géographie imaginaire de l’Europe Shakespeare and the imaginary geography of Renaissance Europe

François Laroque

1 Le théâtre de Shakespeare fait constamment allusion à des cartes, à la configuration du terrain, à des forêts, à des mers, à des villes comme à des campagnes, mais il faut noter qu’il n’emploie jamais le terme de géographie1. Ses pièces mettent en effet souvent en valeur le lieu de l’action, à la fois localisation réelle et configuration imaginaire (« the baseless fabric of this vision2 »), tour à tour décor ou élément de décorum. De fait, la géographie, les cartes, les lieux et le détail qui particularise sont nécessaires au théâtre pour permettre au spectateur de s’impliquer dans ce qu’il voit et de suppléer par l’imagination au vide d’une scène sans décor, ainsi que nous y invite le Prologue d’ Henry V : […] can this cockpit hold The vasty fields of France ? or may we cram Within this wooden O the very casques That did frighten the air at Agincourt ? O, pardon ! since a crooked figure may Attest in little place a million ; And let us, ciphers to this great accompt, On your imaginary forces work. Suppose within the girdle of these walls Are now confined two mighty monarchies […] Piece out our imperfections with your thoughts ; Into a thousand parts divide one man, And make imaginary puissance3…

2 À la fin d’A Midsummer Night’s Dream, la plume du poète devient un moyen de parcourir l’espace, de peupler le vide par l’invention de topoï et de contours qui donnent une identité et un visage aux espaces encore vides sur la carte : The poet’s eye, in a fine frenzy rolling, Doth glance from heaven to earth, from earth to heaven, And as imagination bodies forth

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The forms of things unknown, the poet’s pen Turns them to shapes, and gives to airy nothing A local habitation and a name4.

3 Tel un cartographe qui dessine une carte avec des plaines, des montagnes et des villes, l’œil du poète a le pouvoir de rendre visible l’invisible en le localisant de façon à l’identifier et à en dresser l’inventaire. Car, même si la géographie sert de métaphore à la création poétique qui, dans le monologue de Thésée, se combine à la gynécologie et à l’obstétrique pour suggérer l’idée qu’un nouveau monde se trouve engendré, conférant ainsi au fruit de l’imagination une forme de réalité hic et nunc, l’affirmation demeure par elle-même quelque peu générale et théorique. Le dramaturge associe naturellement ses personnages à un certain cadre spatial (la ville ou la cour) en l’opposant à un autre qu’il situe aux antipodes du premier (la forêt, la lande ou une demeure aristocratique) empilant ainsi sur la réalité de la carte ou du lieu tout un ensemble d’éléments fictifs ou imaginaires. Le lieu exact est alors laissé dans le vague, de sorte que le nom ou le toponyme prennent une valeur polysémique. Ainsi la forêt d’Arden, l’Inde, l’Illyrie, l’Égypte, Rome ou les Bermudes ont-ils pour fonction de répercuter un certain nombre d’échos poétiques et de correspondances symboliques. Tous ces signifiants complexes sont chargés d’histoire et de magie verbale. Ils deviennent des incantations douées d’un pouvoir d’évocation ou d’équivoque qui les rend quasi-insaisissables, de sorte que le sens n’est jamais fixé une fois pour toutes. Comme le dit Richard Wilson, the fact remains that so many [of these plays] contain aporia, blind spots, or liminal places which give them meaning, and retain the potential for resistant readings to the extent that, though under the very eye of power, they are never in its sight : worlds within – rather off-stage5…

4 Dans son livre sur la géographie de la Renaissance, Numa Broc déclare que la seule pièce de Shakespeare qui comporte un véritable arrière-plan géographique est The Tempest, dans la mesure où la plupart des lieux mentionnés par le dramaturge ne sont que des décors de théâtre, même si certains détails semblent indiquer qu’il connaissait les grands récits de voyage publiés par Richard Eden et Hakluyt par exemple6.

5 Il est vrai que Shakespeare s’est servi des récits d’écrivains de l’antiquité classique comme Hérodote ou Pline l’Ancien ainsi que de la tradition médiévale des îles merveilleuses et enchantées. Celle-là frappe par son désir naïf de fournir la localisation du paradis ou du royaume du Prêtre Jean, par exemple. De même, lorsque Shakespeare fait de Milan un port dans The Two Gentlemen of Verona7, ou lorsqu’il invente des déserts ou une façade maritime en Bohème dans The Winter’s Tale8, il prend lui-même rang au sein de cette tradition littéraire de la géographie imaginaire et des localisations impossibles9. Les cartes et les atlas de l’époque étaient aussi utilisés comme de merveilleux livres d’images illustrés par des Amazones ou des Blemmyes (dépeints par Othello quand il évoque « men whose heads / Do grow beneath their shoulders10 ») et les autres monstres représentés sur les enluminures.

6 Et, bien que l’essentiel de ses histoires et de ses tragédies se déroulent à l’intérieur des frontières de l’Europe (à l’exception d’Antony and Cleopatra dans les scènes qui se passent à Alexandrie), elles font aussi souvent allusion à un ailleurs exotique, à l’Inde, à l’Arabie ou à l’Afrique. L’Europe se définissait en effet alors en opposition au monde des païens et des infidèles liés à la barbarie, comme le « barbarous Scythian / Or he that makes his generation messes / To gorge his appetite11 » du roi Lear. La géographie shakespearienne semble donc créer des lieux doubles, dont une face est réelle, l’autre imaginaire : la ville de Vérone et la forêt dans The Two Gentlemen of Verona, Athènes et le

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bois des amoureux dans A Midsummer Night’s Dream, la cour et la forêt d’Arden dans As You Like It, Venise et Belmont dans The Merchant of Venice. Cette technique lui sert à jouer avec la perspective, à créer une ligne de fuite au sein du tableau qui permet au spectateur de mobiliser ce que le Chœur d’Henry V appelle « imaginary puissance12 ». La fonction de cet espace double ou dédoublé est de permettre à la topographie principale de se voir complétée ou contredite par une autre qui suggère la fuite, l’exil ou la nostalgie. Richard Wilson y voit des enclaves, ou encore des « poches de résistance », pour les dissidents et les fugitifs catholiques qui s’efforçaient alors d’échapper aux filets de la puissante police politique d’Élisabeth Ire13. Pareil mouvement est encore plus visible dans les comédies et dans la création d’un monde vert enchanté qui offre un sanctuaire aux réfugiés et qui est pour la jeunesse le lieu et l’occasion de rites de passage. On discerne également la présence de ces éléments dans les comédies dites du « monde fermé14 » comme Love’s Labour’s Lost, Much Ado about Nothing ou Twelfth Night. En dehors des Merry Wives of Windsor, pièce qui applique au monde de l’amour et de la comédie sexuelle les facéties carnavalesques auxquelles se livrait Falstaff à la taverne du « Boar’s Head » à Eastcheap dans les deux parties d’Henry IV, toutes ont un décor et un arrière-plan étranger.

7 L’imaginaire géographique devient synonyme d’évasion, de détour ou de contournement pour des personnages en quête de liberté car, pour des raisons variées, ils sont obligés de vivre dans un pays ou dans une ville qui, comme le Danemark aux yeux d’Hamlet, est devenu pour eux une prison. L’aura du voyage et des terres lointaines associe la géographie au désir, à la séduction, à la fascination exercée par les langues étrangères. Elle éveille la curiosité, suscite l’émerveillement et invite à se lancer à la conquête de l’inconnu. S’il y a dans tout cela des échos de l’antiquité et une forme de retour vers les mondes enchantés et fabuleux de la littérature médiévale, la place de la géographie dans Shakespeare, qu’elle soit réelle ou imaginaire, fait partie intégrante de ce goût de la découverte à la Renaissance, goût qui allait faire du monde entier un gigantesque cabinet de curiosités.

I. Les cartes anatomiques. La géographie et le « corps » du monde

8 Dans The Comedy of Errors, le corps féminin se trouve associé à nombre de pays étrangers et à des lieux plus ou moins exotiques dans le dialogue grivois où Antipholus et Dromio de Syracuse échangent leurs impressions à propos de Nell, la fille de cuisine : SYRACUSE DROMIO. […] she is a wondrous fat marriage. SYRACUSE ANTIPHOLUS. How dost thou mean, a fat marriage ? SYR. DRO. Marry, sir, she’s the kitchen wench, and all grease […] I warrant her rags and the tallow in them will burn a Poland winter [… ] she is spherical, like a globe ; I could find out countries in her. SYR. ANT. In what part of her body stands Ireland ? SYR. DRO. Marry, sir, in her buttocks ; I found it by the bogs. SYR. ANT. Where Scotland ? SYR. DRO. I found it by the barrenness, hard in the palm of the hand. SYR. ANT. Where France ? SYR. DRO. In her forehead […] SYR. ANT. Where England ?

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SYR. DRO. I looked for the chalky cliffs, but I could find no whiteness in them. But I guess it stood in her chin, by the salt rheum that ran between France and it. SYR. ANT. Where Spain ? SYR. DRO. Faith, I saw it not ; but I felt it hot in her breath. SYR. ANT. Where America, the Indies ? SYR. DRO. O, sir, upon her nose, all o’er embellished with rubies, carbuncles, sapphires, declining their rich aspect to the hot breath of Spain, who sent whole armadoes of carracks to be ballast at her nose. SYR. ANT. Where stood Belgia, the Netherlands ? SYR. DRO. O, sir, I did not look so low15.

9 Cette énumération comique des parties de l’anatomie féminine en liaison avec différents pays d’Europe équivaut à un contre-blason grotesque. Ces blasons géographiques, visiblement inspirés par les blasons anatomiques des sonnettistes de la Renaissance, anticipent probablement sur les fameux « country matters » d’Hamlet16. La réplique misogyne où le Prince établit une équivalence entre le sexe de la femme et le « plat pays » est en effet un peu du même ordre. Selon Michael Neill, qui parle à ce propos d’« unashamed erotic blazoning of the map of Ireland », l’association de l’Irlande avec les fesses serait une parodie de la cartographie du corps féminin17. Ces parallèles, s’appuient sur des associations humoristiques entre le nom donné à différentes parties du corps et celui de divers pays, européens ou non. La source est peut-être à chercher du côté de la Cosmographie (1588) de Sebastien Münster, ouvrage où l’Europe est représentée comme une femme solidement bâtie qui tient un globe dans la main droite et un sceptre dans la gauche, tandis que l’Afrique apparaît en haut et à gauche, l’Asie à ses pieds, et la Scandinavie à droite, à hauteur de la ceinture18.

La Reine Europe, in Sebastien Münster, Cosmographia, Bâle, 1588

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10 L’Espagne correspond à la tête et au visage, la France au haut de la poitrine, l’Allemagne aux seins tandis que la Grèce et la Tartarie sont alignés au niveau de l’emplacement des pieds sous la robe longue. Ce qui rend la description à la fois amusante et plutôt bizarre dans The Comedy of Errors, c’est que le corps de Nell est essentiellement décrit à partir d’analogies européennes alors qu’elle est censée résider à Éphèse, en Asie Mineure. Cette géographie euro-centriste fait partie de cette stratégie du double espace à laquelle recourt le dramaturge et qui combine proximité et distance, familiarité et étrangeté. Ce genre d’humour grotesque fait du corps humain une carte où le grand et le petit monde se recoupent sur de nombreux plans. C’est l’exemple le plus ancien et le plus systématique de l’utilisation de la technique de l’anamorphose spatiale où corps et paysage deviennent interchangeables. Dans A Midsummer Night’s Dream, l’image du « brow of Egypt » (V.i.11) dénote une peau noire analogue à « Ethiope » (III.ii.257) ou à « tawny Tartar » (III.ii.263), deux images auxquelles recourt Helena pour qualifier sa rivale, la brune Hermia. Dans The Merry Wives of Windsor, Falstaff fait de Mrs Page « a region in Guiana19 » tandis que les deux amies qu’il courtise deviennent respectivement ses « East and West Indies » (I.iii.68). Malgré la réputation de la Guyane en tant que « eroticized land20 », il apparaît vite que Falstaff cherche moins à satisfaire sa libido qu’à remplir sa bourse. Les deux commères sont en effet un véritable Eldorado aux yeux du chevalier démuni qui a toujours, au demeurant, vécu de la générosité des femmes. Titania, quant à elle, décrit son amie enceinte comme une confidente très proche « in the spicèd Indian air by night », la décrivant ensuite de façon imagée comme une voile gonflée par le vent coquin et un vaisseau chargé de marchandises (II.i.124-34). La géographie du pays des fées est marquée par la nostalgie de l’âge d’or autant que par un appétit mercantile où la fertilité se mesure en termes d’échange économique, rhétorique et maternel21. Le petit « changeling » est en effet le signifiant qui relie entre elles les règles commerciales, langagières et féminines. Féminité et féerie se conjuguent ici en des images denses et évocatrices, où l’imaginaire et le principe de réalité (mort de l’amie en couches) se combinent harmonieusement. Dans un contexte plus grinçant, le Malvolio amoureux, qui plaque à dessein un sourire béat sur son visage austère, verra Maria décrire sa transformation en termes de nouveauté cartographique : He does smile his face into more lines than is in the new map with the augmentation of the Indies22…

11 Cette image rappelle les changements incessants auxquels les anciennes cartes étaient alors soumises, tout en laissant deviner quelque chose du mélange de curiosité et d’anxiété que devait alors connaître une Europe confrontée aux nombreuses variations de visage des autres parties du monde connu ou supposé tel.

12 Dans ses variantes météorologiques, cette géographie européenne permet de décrire et de décliner des humeurs comme la rage, la colère ou la passion débridée. Dans The Taming of the Shrew, Katharina a la violence des « swelling Adriatic seas23 » tandis qu’Othello, après avoir juré à Iago que sa décision d’expulser de sa poitrine son amour pour Desdémone (« blow all his fond love […] to heaven », III.iii.448) est désormais irréversible, il recourt à des images empruntées à la géographie de la Turquie, et donc à un espace liminal situé à la lisière de l’Europe et de l’Asie : Never, Iago. Like to the Pontic sea Whose icy current and compulsive course Ne’er retiring ebb but keeps due on To the Propontic and the Hellespont :

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Even so my bloody thoughts with violent pace Shall ne’er look back, ne’er ebb to humble love Till that a capable and wide revenge Swallow them up… (III.iii.456-63)

13 Ce passage décrit métaphoriquement le passage de la Mer Noire dans la Mer de Marmara puis dans le détroit des Dardanelles, selon la description de Pline l’Ancien que Shakespeare avait lue dans la traduction de Philemon Holland24. Othello s’associe indirectement avec la cruauté proverbiale des Turcs, ce qu’il fera explicitement lors de son suicide lorsqu’il conte l’histoire de ce « malignant and turbanned Turk », dont il aurait tranché la gorge à Alep, en Syrie, au motif qu’il s’en était pris à un Vénitien et avait osé dire du mal de la République25. Car, en se donnant ainsi la mort, de façon à la fois mimétique et performative, c’est bien le Turc en lui qu’il entend supprimer.

14 Mais les topographies imaginaires ne vont pas toujours aussi loin car l’Angleterre est aussi décrite comme un pays idéal, presque mythique, ou encore comme un corps érotisé, sur les cartes de l’époque. Shakespeare utilise l’imaginaire géographique dans le cadre d’une dialectique du proche et du lointain, de l’exotique et du familier qui est d’autant moins connu qu’il paraît bien connu.

II. L’imagination du lieu. Les cartes et les espaces vides

15 Dans Richard II, Jean de Gand déclame avant de mourir un long poème topographique en guise de testament, lequel, par son éloge de l’Angleterre de jadis, a pour but indirect de stigmatiser l’arbitraire qui marque le règne du roi Richard : This royal throne of kings, this sceptred isle, This earth of majesty, this seat of Mars, This other Eden, demi-paradise […] This happy breed of men, this little world, This precious stone set in the silver sea, Which serves it in the office of a wall Or as a moat defensive to a house Against the envy of less happier lands, This blessed plot, this earth, this realm, this England, This nurse, this teeming womb of royal kings, Feared by their breed and famous by their birth, Renowned for their deeds as far from home, For Christian service and true chivalry, As is the sepulchre in stubborn Jewry […] England, bound in with the triumphant sea, Whose rocky shore beats back the envious siege Of wat’ry Neptune, is now bound in with shame, With inky blots and rotten parchment bonds26…

16 Ces vers patriotiques, empreints de lyrisme cartographique27, ont aussi un caractère satirique et critique. La vision syncrétique qu’ils élaborent est construite à partir d’un mélange d’éléments païens et chrétiens : Mars et Neptune cohabitent en effet avec le Jardin d’Eden et les services rendus à la chrétienté. Le texte introduit aussi un parallèle entre l’orient et l’occident en termes de gloire et de réputation martiale. À la fin du monologue, le texte vient épouser les contours géographiques du pays. L’image de la côte rocheuse de l’Angleterre enserrée à l’intérieur d’une mer triomphante fait

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progressivement place à celle des « rotten parchment bonds » qui évoquent la honte et la souillure (« inky blots »). La mer, composante spécifique du paysage anglais, évoque indirectement et comme en filigrane les brouillons de l’écriture (« foul papers »), même si, aux dires de Ben Jonson au sujet de son rival et ami Shakespeare, « he never blotted out line28 ».

17 Tout ceci mène directement au thème de la division du royaume et au mouvement de repli sur soi qui fera suite à la Guerre des Deux Roses. Dans la première partie d’Henry IV, les rebelles Mortimer, Glendower and Percy (surnommé Hotspur) se rencontrent pour se partager le pays sur la carte : GLEND. Come, here is the map, shall we divide our right According to our threefold order ta’en ? MORT. The Archdeacon hath divided it Into three limits very equally […] HOT. I do not care, I’ll give thrice so much land To any well-deserving friend : But in the way of bargain, mark ye me, I’ll cavill on the ninth part of a hair. Are the indentures drawn ? Shall we be gone29?

18 Le mot « indentures » renvoie à la fois aux méandres de la rivière Trent et au contrat de l’apprenti, ce qui fait à nouveau du lieu la métaphore du parchemin. Les toponymes se réduisent à un manuscrit qui peut être corrigé en fonction des caprices ou des exigences de tel ou tel, comme un texte de théâtre pouvait évoluer en fonction de l’apport des acteurs ou des conditions matérielles de la représentation scénique. Le paysage se trouve érotisé et figuré sous la forme d’une anatomie masculine avec les allusions à « rich bottom » et à l’idée de castration contenue dans le mot « gelding ». On se souvient au passage de l’horrible mutilation pratiquée par les femmes galloises sur les soldats anglais de Mortimer30, qui semble ainsi faire retour à l’occasion du partage sur la carte…

19 Dans King Lear, une carte est à nouveau produite sur scène pour que le roi puisse diviser son royaume entre ses trois filles, en proportion de l’amour qu’elles déclareront lui porter. En fait, il s’agit d’un véritable démembrement, d’une forme de repas cannibale où Lear comble l’appétit de ses filles par analogie avec le Scythe barbare. La géographie est ici le lieu d’une régression vers un passé archaïque, où les cartes ne sont plus que des vignettes illustrant les différents topoï du monde à l’envers. Shakespeare nous ramène ainsi périodiquement en amont vers une sorte d’horizon mythique un peu nébuleux qui sert ensuite de soubassement au thème du chaos au sein de l’histoire anglaise.

20 À la fin de la première partie d’Henry VI, Suffolk, qui a séduit Margaret en France, la présente au roi pour faire d’elle la future reine d’Angleterre. Il rêve alors à voix haute : Thus Suffolk hath prevail’d ; and thus he goes, As did the youthful Paris once to Greece ; With hope to find the like event in love, But prosper better than the Trojan did. Margaret shall now be Queen, and rule the King ; But I will rule both her, the King, and realm31.

21 Au début de la deuxième partie, il revient sur scène pour raconter au roi comment il a épousé Margaret par procuration et en ses nom et place :

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in the famous ancient city, Tours, In presence of the Kings of France and Sicil, The Dukes of Orleans, Calaber, Bretagne and Alençon, Seven earls, twelve barons, and twenty reverend bishops, I have performed my task and was espous’d… (I.i.5-9)

22 La troisième partie complète le tableau, lorsque Édouard d’York déclare à Margaret : Helen of Greece was fairer far than thou, Although thy husband may be Menelaus… (II.ii.146-47)

23 Dès lors, l’image de la ville légendaire de Troie se superpose sur celle de la cité moderne de Tours, la proximité phonétique des deux toponymes ayant sans doute conduit Shakespeare à modifier la vérité historique (le mariage avait en fait eu lieu à Nancy). Suffolk devient l’incarnation moderne de Pâris, Margaret d’Hélène et le roi Henri de Ménélas, le mari trompé. De la même façon, Alexandre Iden, le gentilhomme du Kent qui vient à bout du rebelle Jack Cade, qu’il trouve en train de rôder dans son jardin, la faim au ventre, porte un nom qui évoque le Jardin de la Genèse dans l’Ancien Testament32.

24 On trouve dans les comédies d’autres échos du même ordre. Dans The Merchant of Venice, le cri de triomphe de Gratiano, « We are the Jasons, we have won the fleece », donne à Salanio l’occasion d’un jeu de mots aussi ironique que pathétique : « I would you had won the fleece that he hath lost33 ». Ce jeu sur les mots « fleets » et « fleece » fait allusion au mythe des Argonautes et à la Toison d’Or qui, dans la pièce, correspond à la chevelure blonde de Portia, seule héritière d’une fabuleuse fortune. Si Bassanio et Gratiano ont conquis la toison d’or de Belmont, Antonio a, quant à lui, perdu ses vaisseaux en mer et semble définitivement ruiné. Il est désormais à la merci de Shylock, l’équivalent moderne et phonétique de l’antique monstre marin Scylla, comme le suggère plus loin Launcelot : Truly then I fear you are damn’d both by father and mother : thus when I shun Scylla (your father), I fall into Charybdis (your mother)34…

25 D’une certaine manière, la géographie imaginaire de la comédie fait coïncider les routes du négoce maritime avec les sites légendaires de l’Odyssée homérique.

26 Dans As You Like It, la forêt d’Arden rappelle évidemment le Jardin d’Eden : OLIVER. Where will the Old Duke live ? CHARLES. They say he is already in the Forest of Arden, and a many merry men with him ; and there they live like the old Robin Hood of England. They say many young gentlemen flock to him every day, and fleet the time carelessly as they did in the golden world35…

27 La légende médiévale de Robin Hood, qui évoque la notion de justice populaire et de liberté, est ici associée aux jeux de la « Morris dance » dans un lien qui combine l’écho biblique avec le nom de la mère du dramaturge, née Mary Arden. Ceci explique que Shakespeare ait déplacé l’action de l’est de la France (la forêt des Ardennes du roman de Thomas Lodge, Rosalynde, source principale de la pièce), pour la situer près de la ville de Warwick, au nord de Stratford, même si l’activité d’exploitation des bois n’en avait déjà pas laissé subsister grand chose du temps du dramaturge36. Pour Richard Wilson, Arden était un nom d’ores et déjà devenu synonyme de résistance pour les catholiques réfractaires : There is […] a plausible theory that the “old religious uncle” who taught “Ganymede” his oratory […] is identifiable with Shakespeare’s kinsman, Edward Arden, whose house at Park Hall in the Forest of Arden, was a secret academy

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where the disaffected ex-Sheriff of Warwickshire indoctrinated a cadre of Catholic hotheads to detest Elizabeth […] [this led] to his own execution and ruin for Mary Arden’s family […] But what is significant is how, in the fictional forest, such fanaticism is nullified […] Rosalind had begun the play by fleeing “To liberty, and not to banishment” in an Arden that Catholic critics locate – via Amiens who sings in praise of exile – in the Ardennes of the seminaries37…

28 L’existence de tels liens topographiques et onomastiques ne devrait donc rien au hasard et aurait partie liée avec l’existence d’itinéraires clandestins qui permettaient de relier les Midlands à l’Est de la France. La résistance intérieure est ainsi rattachée à un activisme catholique à l’extérieur de l’île, élément de nature historique qui donne un contenu politique à l’opposition traditionnelle et idéale entre le monde de la cour et celui de la forêt.

29 Un autre type d’opposition qui fait apparaître de nombreuses incohérences et anachronismes relevés par la critique est celle qui sépare la Sicile et la Bohème dans The Winter’s Tale. L’intervalle de seize années qui sépare le quatrième du troisième acte de la pièce correspond à l’opposition entre une Sicile hivernale et une Bohème estivale où l’on célèbre la fête de « sheep shearing » en IV.iv. L’allusion à une prétendue façade maritime en Bohème a fait couler autant d’encre que celle qui tend à faire du célèbre peintre maniériste Jules Romain un sculpteur38. En fait, le dramaturge a délibérément et systématiquement inversé les caractéristiques de deux pays emblématiques du nord et du sud ainsi que les modes dramatiques censés leur correspondre. Autolycus, quant à lui, ne fait que reprendre et répéter sur un mode parodique les événements tragiques de la première partie. Mais les contours de cette carte de l’Europe demeurent aussi flous qu’incertains…

III. « L’infinie variété » de la géographie shakespearienne

30 Dans un contexte anglais, la question de l’exil contribue naturellement à faire de la géographie et du voyage des éléments négatifs sauf s’ils sont liés au retour et à la redécouverte du pays natal. La patrie, au féminin en anglais (« motherland »), est alors un sein nourricier, un jardin clos protégé par de hauts murs. Mais, si deux des quatre grandes tragédies sont situées sur le sol des îles britanniques (l’Angleterre et l’Écosse), toutes les comédies sauf une se situent en terre étrangère, en Italie le plus souvent ainsi qu’en France, en Autriche ou dans des contrées imaginaires comme l’Illyrie ou la forêt d’Arden.

31 L’Illyrie, mentionnée dans 2 Henry VI avec l’allusion à « Bargulus, the strong Illyrian pirate » (IV.i.107) apparaît principalement dans Twelfth Night. Shakespeare a trouvé ce nom dans les Offices de Cicéron et dans les Métamorphoses d’Ovide, et il correspond semble-t-il à la côte adriatique de l’ex-Yougoslavie (l’actuelle Croatie). Selon Harry Levin: This Illyrian seaport —it could well be Dubrovnick, formerly Ragusa in its more Italian days— seems to suit these Italian visitors who came from Messaline, wherever that may have been39…

32 Mais l’Illyrie est aussi un pays imaginaire et utopique dont le nom combine l’idée d’illusion et de lyrisme, deux éléments très présents dans la pièce, notamment dans les

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interventions du duc Orsino40. Selon Roger Warren et Stanley Wells, l’Illyrie ne correspond en fait à aucun lieu localisable sur une carte : Each of these aspects of Illyria – the geographical or Mediterranean, the specifically English, the magical, and the sense of a country of the mind – can be illustrated by the prominence each has been given in notable stagings41…

33 C’est aussi l’avis de Leah Marcus : Illyria was scarcely familiar territory, more significant, perhaps, for its evocation of like-sounding exotica – Elysium, delirium – than for concrete geopolitical associations42.

34 En outre, l’espace à la fois vague et ambivalent de la pièce se répartit sur deux lieux différents, le palais d’Orsino et la demeure d’Olivia, comme il arrive souvent dans les pièces italiennes de Shakespeare. Cette géographie dédoublée se garde soigneusement de toute localisation trop précise et évite de fournir des références ou de citer les différents clichés associés à tel ou tel endroit connu à l’époque, sauf lorsqu’il s’agit pour un personnage comme Iago par exemple, de jouer sur les stéréotypes locaux. Un tel flou descriptif correspond en fait aux buts du dramaturge qui se sert du caractère peu ou mal reconnaissable du décor pour faire des allusions indirectes à l’Angleterre : Shakespeare’s city settings are vague or specific geography. The Arno in Florence or the Adige in Verona […] are never mentioned. When the Rialto in Venice or St Gregory’s Well near Milan is alluded to, it comes as a surprise […]. One might conclude that this vagueness if purposeful […]. More importantly Italy serves in part as metaphor for Shakespeare’s England43…

35 En ce qui concerne l’Italie, il y a, nous l’avons vu, de nombreuses erreurs matérielles. Selon Manfred Pfister, il ne sert à rien d’exiger une reconstruction exacte du ou des lieux car Shakespeare fabrique des lieux imaginaires à partir de toponymes connus : the Americas, bearing an Italian name, intuited by Florentine cosmographers, and first ‘discovered’ by an Italian in Spanish services, were to English adventurers and colonists not only a place of encounter with savage aborigines, but also with Mediterranean Catholicism. Prospero’s island is at one and the same time Mediterranean and Transatlantic, an island between Naples and Tripolis and one of the far Bermudas44.

36 Selon d’autres critiques, on trouverait dans l’île de The Tempest d’autres allusions possibles à l’Irlande et à la situation irlandaise.45 Située au carrefour de l’Europe et de l’Afrique, de l’Europe et de l’Amérique, cette comédie tardive constitue désormais une sorte de palimpseste géographique auquel s’intéressent les études post-coloniales46.

37 Un autre cadre mystérieux, celui de la ville de Vienne dans Measure for Measure, a été récemment remis en cause par Gary Taylor. Selon ce dernier, il s’agirait plutôt de la ville italienne de Ferrare47. De même, dans Hamlet, le meurtre de Gonzague, censé se dérouler à Vienne, s’inspire en fait d’un fait divers, le meurtre du duc d’Urbino qui eut lieu en 1538 : « the Murder of Gonzago » is based on an actual murder, that of the Duke of Urbino in 1538. Gonzago, however, was not the name of the Duke, but of his alleged murderer, Luigi Gonzaga, a kinsman of the Duke’s wife, Leonora Gonzaga48.

38 Dans cette pièce, la Pologne se trouve située de façon très excentrique, puisqu’elle s’intercale quelque part entre la Norvège et le Danemark. La géographie européenne est donc aussi confuse du nord au sud que d’est en ouest, malgré l’affirmation d’Hamlet, où il affirme qu’il n’a pas complètement « perdu le nord » : I am but mad north-northwest… (II.ii.374)

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39 Dans Othello, les personnages sont originaires de diverses régions et villes de l’Italie (Florence et Venise), tandis que le Maure vient d’origines mystérieuses : Be he a black or a north African Moor […] Othello’s otherness remains. He is more than a stranger, he comes from a mysteriously “other” world, a world that lies beyond our reach, hinted at rather than defined. Despite his identification with Venice and Christianity the Moor cannot shake off this mystery, a by-product of his dark skin and of the associations this had in European minds49.

40 C’est dans le basculement de l’acte II, qui nous fait passer de Venise à Chypre, que la pièce transforme ce qui a encore tout l’air d’une « city comedy », où le Père est dupé par sa fille qui lui impose son choix matrimonial, en une « domestic tragedy » dominée par la passion, la jalousie et la trahison : In Venice they do let God see the pranks They dare not show their husbands… (III.iii.205-6)

41 Le nom de Venise est associé à celui de Venus, d’abord du fait de la paronomase mais aussi parce que Chypre était connue comme l’île par excellence de la déesse de l’amour dont le culte était célébré dans son temple de Paphos. Lorsque la scène se déplace de Venise à Chypre, Desdémone se voit diabolisée (le démon qui figure au cœur de son nom est ainsi mis en exergue) par les insinuations de Iago. L’imaginaire géographique, si intimement associé à l’iconographie de Vénus et à la mythologie antique, se voit donc réactivé sur cette île récemment reconquise sur les Turcs (après la bataille de Lépante en 1571). Vénus était l’épouse de Vulcain, ce boiteux à la peau noircie par les travaux souterrains de la forge, et la maîtresse du dieu Mars. Leurs amours qui avaient déclenché l’ire de Vulcain et l’hilarité des dieux de l’Olympe, étaient abondamment représentés dans la peinture vénitienne de la Renaissance (chez le Titien notamment). Il semble donc que le lointain exotique situé hors des confins de l’Europe ait alors souvent revêtu une dimension érotique et fantasmatique et qu’il appartenait à une cartographie mentale située à mi-chemin du plaisir et de la terreur. Cet espace, dans Othello, est plus du côté de l’enfer que des délices50 puisque la mer Pontique et la Propontique servent à traduire le flot désormais irréversible de l’hystérie et de la fureur51.

42 Dans As You Like It, Touchstone fait allusion à l’exil du poète Ovide sur les rives de la Mer Noire52, ce qui introduit un parallèle amusant entre l’exil pastoral dans la forêt d’Arden (« goats ») et l’exil politique au pays des « Goths53 ». Façon subtile autant qu’ingénieuse de subvertir les clichés un peu mièvres de la pastorale traditionnelle.

43 Car l’exil est toujours douloureusement ressenti, comme le déclare Bolingbroke à son père Jean de Gand dans Richard II : O, who can hold a fire in his hand By thinking on the frosty Caucasus ? Or cloy the hungry edge of appetite By bare imagination of a feast ? Or wallow naked in December snow By thinking on fantastic summer’s heat ? (I.iii.294-9)

44 Le Caucase, chaîne de montagnes séparant l’Europe de l’Asie, se situe en effet aux confins du monde civilisé et représente en quelque sorte le négatif de l’Angleterre.

45 De même, dans The Winter’s Tale, les allusions à la Russie (Hermione déclare à son procès qu’elle est la fille de l’empereur de Russie54) servent à créer un climat de despotisme et

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de paranoïa analogue à celui que faisait régner Ivan le Terrible dans l’imagination des Jacobéens : The king [Leontes] inhabits a world of secrecy, suspicion, and spying that has no proper name until the playwright asks his audience to think on the emperor of Russia. The Sicilian king is trapped in a Muscovite bind, struggling to control his wife’s talk in a precarious court while attempting to be hospitable55…

46 On voit donc comment la carte de l’Europe, de Syracuse à la Russie, d’Éphèse à la forêt d’Arden, de l’Irlande à la Méditerranée, sert aussi à dessiner un paysage intérieur pour figurer une sorte de topographie des humeurs, où les idiosyncrasies locales ou nationales se trouvent subverties et rattachées à d’autres signifiants. Cette forme d’arbitraire correspond aussi à la liberté d’une écriture qui permet au dramaturge de jouer sur une palette très variée de sons et d’images, qu’il détache ou détourne de leur contexte pour les faire circuler librement à l’intérieur de ses pièces.

*

47 Ainsi, la géographie de l’Europe shakespearienne reste souvent vague et enracinée dans le monde de l’imaginaire. Les indications de lieux que le dramaturge donne dans ses pièces, les allusions aux villes, aux nations, aux traditions, aux coutumes comme aux costumes, constituent autant de trompe-l’œil qui permettent à ces lieux doubles d’échapper à toute localisation hic et nunc en faveur d’une évasion vers un ailleurs improbable. Cela relève d’un effet d’anamorphose et d’un jeu de perspectives mais annonce aussi sans doute les rapides changements de décor du masque de cour.

48 Les cartes shakespeariennes mêlent les noms réels et imaginaires tout en suggérant des itinéraires souterrains dont les traces matérielles se sont effacées et qui ne subsistent plus que dans la mémoire des hommes : the quaint mazes in the wanton green For lack of tread are indistinguishable56…

49 L’ancienne cérémonie catholique des Rogations était un moyen d’inscrire la topographie locale dans la mémoire des enfants de la paroisse. Ce qu’on appelait « beating of the bounds » consistait à battre les enfants près des bornes cadastrales afin qu’ils n’oublient jamais où elles étaient implantées57. Les cartes mentales font penser aux cartes secrètes qui retraçaient les itinéraires empruntés par les catholiques réfractaires et les Jésuites pour se rendre en Angleterre et qui devaient être mémorisées. Si, comme le pense Richard Wilson, Shakespeare était un sympathisant de la cause, on comprend qu’il ait tenu à maintenir le plus grand flou autour d’un certain nombre d’indications topographiques ou onomastiques.

50 Quoi qu’il en soit, ces palimpsestes géographiques, souvent liés à des échos, à des correspondances internes et à des jeux de mots, associaient les différentes représentations des lieux dans l’Antiquité, au Moyen Âge et à la Renaissance, au sein d’un ensemble de routes ou de chemins qui ne menaient, semble-t-il, nulle part. Mais ils sont peu nombreux, ceux qui vagabonds, chevaliers, aventuriers, rebelles ou exilés, sont effectivement guidés par des cartes. Celles-ci restent du domaine de la fantaisie. Elles nous conduisent vers de vastes territoires, des forêts mystérieuses peuplées de fées, de sorcières, d’ours affamés, de riches héritières à la toison d’or ou porteuses de mouchoirs enchantés, montre à quel point l’histoire et la fable avaient encore partie liée, l’imaginaire du lieu restant indissociable de la topographie du temps.

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NOTES

1. Selon l’O.E.D., la première utilisation du terme remonterait à 1542 (Nicholas Udall parlant de Strabon). 2. William Shakespeare, The Tempest, éd. Virginia Mason Vaughan et Alden T. Vaughan, coll. The Arden Shakespeare, Walton-On-Thames, Thomas Nelson & Sons, 1999, IV.i.151. 3. William Shakespeare, Henry V, éd. Gary Taylor, coll. The Oxford Shakespeare, Oxford, OUP, 1984, v. 11-25. 4. William Shakespeare, A Midsummer Night’s Dream, éd. Peter Holland, coll. World’s Classics, Oxford, OUP, 1995, V.i.12-17. 5. « A World Elsewhere : Shakespeare’s Sense of an Exit », Proceedings of the British Academy, 117, Londres, The British Academy, 2002, p. 173. 6. La géographie de la Renaissance, Paris, 1986, p. 225. 7. William Shakespeare, The Two Gentlemen of Verona, éd. Clifford Leech, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, 1969, I.i.71. 8. William Shakespeare, The Winter’s Tale, éd. J. H. P. Pafford, coll. The Arden Shakespeare (1963), Londres, Methuen, 1973, III.iii. 9. Stephen Orgel voit là « one of the two touchstones of theatrical perversity », car, à ses yeux, « the Bohemian sea-coast […] is not an error, but one of the elements stamping the play as a moral fab—like the title itself, it removes the action from the world of literal geographical space as it is removed from historical time ». William Shakespeare, The Winter’s Tale, coll. World’s Classics, Oxford, OUP, 1996, p. 37. 10. William Shakespeare, Othello, éd. E. A. J. Honigmann, coll. The Arden Shakespeare, Walton- On-Thames, Thomas Nelson & Sons, 1997, I.iii.145-6 11. William Shakespeare, King Lear, éd. R. A. Foakes, coll. The Arden Shakespeare, Walton-On- Thames, Thomas Nelson & Sons, 1997, I.i.115-17. 12. Op.cit., v. 25. 13. Wilson, art. cit., p. 170. 14. Voir Sherman Hawkins, « The Two Worlds of Shakespearean Comedy », Shakespeare Studies (1967), p. 63-80. 15. William Shakespeare, The Comedy of Errors, éd. R. A. Foakes, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, 1962, III.ii.90-137. 16. William Shakespeare, Hamlet, éd. Harold Jenkins, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, 1982, III.ii.115. 17. « Broken English and Broken Irish : Nation, Language, and the Optic of Power in Shakespeare’s Histories », Shakespeare Quarterly, 45 (printemps 1994), p. 23-4. 18. Voir l’illustration ci-contre. 19. William Shakespeare, The Merry Wives of Windsor, éd. Giorgio Melchiori coll. The Arden Shakespeare, Walton-On-Thames, Thomas Nelson & Sons, 2000, I.iii.66. 20. Kim Hall, Things of Darkness. Economies of Race and Gender in Early Modern England, Cornell University Press, 1995, p. 187. 21. Voir Margo Hendricks, « ‘Obscured by dreams’: Race, Empire, and Shakespeare’s A Midsummer Night’s Dream », Shakespeare Quarterly, 47 (Printemps 1996), p. 37-60 : « Like Athens, India is an actual geographic place and, like fairyland, it is still figured as a place of the imagination », p. 52. 22. William Shakespeare, Twelfth Night, éd. Roger Warren et Stanley Wells, coll. World’s Classics, Oxford, OUP, 1995, III.ii.73-4.

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23. William Shakespeare, The Taming of the Shrew, éd. Ann Thompson, coll. The New Cambridge Shakespeare, Cambridge, CUP, 1984, I.ii.71. 24. Historie of the World (1601). Voir Othello, op. cit., p. 5. 25. Op. cit., V.ii.350-54. 26. William Shakespeare, King Richard II, éd. Charles R. Forker, coll. The Arden Shakespeare, Walton-On-Thames, Thomas Nelson & Sons, 2002, II.i.40-64. 27. Neill, op. cit., p.14. 28. Discoveries (1630). 29. William Shakespeare, 1 King Henry IV, éd. A. R. Humphreys, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, (1960), 1985, III.i.66-135. 30. Op. cit., I.i.44. 31. William Shakespeare, 1 King Henry VI, éd. Andrew S.Cairncross, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, (1962), 1981, V.v.103-8. 32. William Shakespeare, 2 King Henry VI, éd. Andrew S. Cairncross, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, 1962, V.i. 33. William Shakespeare, The Merchant of Venice, éd. Jay Halio, coll. World’s Classics, Oxford, OUP, 1994, III.ii.240-1. 34. Op. cit., III.v.13-15. 35. William Shakespeare, As You Like It, éd. Agnes Latham, coll. The Arden Shakespeare, Londres, Methuen, 1975, I.i.113-19. 36. Voir Anne Barton, « Parks and Ardens » in Essays Mainly Shakespearean, Cambridge, CUP, 1994, p. 356. 37. Wilson, art. cit., p. 179. 38. Voir sur ce point Harry Levin, « Shakespeare’s Italians » in Michele Marrapodi, A. J. Hoenslaars, Marcello Cappuzzo et L. Falzon Santucci (éds.), Shakespeare’s Italy. Functions of Italian Locations in Renaissance Drama, Manchester, MUP, (1993), 1997, p. 24. Voir aussi A. P. Riemer, Antic Fables. Patterns of Evasion in Shakespeare’s Comedies, Manchester, MUP, 1980 : « The Bohemian countryside is a world of radical improbabilities », p. 85. 39. Levin, op. cit., p. 22. 40. Selon A. P. Riemer, op. cit., p. 97-8, « Illyria is preposterous – not because it cannot be found on a map or in a history-book, or because it is impossible to conceive of a society seemingly so substantial yet possessing no recognizable structure or solidity, but because the characters, their problems and their conflicts become increasingly more remote from the emotional lives and responses of ordinary mankind ». 41. Op. cit., p. 9. 42. Leah S. Marcus, Puzzling Shakespeare. Local Reading and Its Discontents, Berkeley & Los Angeles, University of California Press, 1988, p. 160, 161. 43. Murray J. Levith, Shakespeare’s Italian Settings and Plays, Londres, Macmillan, 1989, p. 11. Voir aussi A. P. Riemer, op. cit., p. 65, où le paysage des comédies shakespeariennes est analysé en termes d’« Ideal Landscapes » : « The distortions and the rearrangement of everyday reality in most of the comedies represent artistic necessity – the discovery of an ideal landscape in which playfully ambivalent concerns find a proper and comfortable environment. » 44. Op. cit., p. 301. 45. Op. cit., p. 44, 54. 46. Dympna Callaghan, « Irish Memories in The Tempest » in Shakespeare Without Women. Representing Gender and Race on the Renaissance Stage, Londres, Routledge, 2000, p. 97-138. 47. « Shakespeare’s Mediterranean Measure for Measure » in Shakespeare and the Mediterranean. The Selected Proceedings of the International Shakespeare Association. World Congress, Valencia, 2001, éd. Tom Clayton, Susan Brock, Vicente Forès, Newark, University of Delaware Press, 2004, p.250-58.

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48. Op. cit., p. 507. 49. Op. cit., p. 27. 50. Op.cit., IV.ii.65, 93-4. 51. Op.cit., III.iii.456-9. 52. Op.cit., III.iii..6. 53. Op. cit., p. 79 (note 6). 54. Op. cit., III.i.119. 55. Deryl W. Parker, « Jacobean Muscovites : Winter, Tyranny, and Knowledge in The Winter’s Tale », Shakespeare Quarterly, 46 (automne 1995), p. 335. 56. A Midsummer Night’s Dream, II.i.99-100. 57. Voir sur ce point François Laroque, Shakespeare’s Festive World. Elizabethan Seasonal Entertainment and the Professional Stage, Cambridge, CUP, (1991), 1993, p. 13. Voir aussi Richard Marienstras, « La fête des Rogations et l’importance des limites à l’époque élisabéthaine » in L’Europe de la Renaissance. Cultures et civilisations. Mélanges offerts à Marie-Thérèse Jones-Davies, Paris, Jean Touzot, 1988, p. 109-26.

RÉSUMÉS

Bien qu’il n’emploie jamais le terme de géographie (signalé dès 1542 en Angleterre), Shakespeare attache une importance particulière au cadre spatial de ses pièces où les toponymes constituent des signifiants complexes chargés d’échos poétiques et de résonances symboliques. Les lieux qu’il décrit sont souvent des lieux doubles dont une face est réelle, l’autre imaginaire. Dès lors, l’imaginaire géographique européen qui prévaut chez lui est synonyme d’évasion, de détour ou de contournement pour des personnages en quête de liberté ou d’identité. Comme dans la représentation de l’Europe en femme sur l’une des planches de la Cosmographie (Bâle, 1588) de Sébastien Münster, Shakespeare a en effet tendance à féminiser les parties de cette cartographie partiellement imaginaire. La forêt d’Arden, devenue refuge ou sanctuaire des exilés ou des réfractaires, prend ainsi des allures de sein maternel. Mais le flou cartographique prévaut néanmoins dans la plupart des pièces afin de multiplier les jeux de la polysémie. Les allusions à l’Europe constituent pour Shakespeare un palimpseste géographique et beaucoup des itinéraires qu’il suggère sont bien souvent des chemins qui ne mènent nulle part. L’imaginaire du lieu reste ainsi indissociable de la topographie du temps

Even though he never uses the word geography, whose first occurrence may be traced back to 1542 in England, Shakespeare lends particular importance to the spatial background of his plays where place names are often complex signifiers full of poetic connotations and symbolic reverberations. The countries he describes are often endowed with a double face, one real, the other imaginary. The imaginary geography of Renaissance Europe, thus becomes synonymous with escape, détour or indirection for characters in quest of liberty or identity. As in Sebastian Münster’s representation of Europe as a woman in one of the engravings of his Cosmographia (, 1588), Shakespeare also tends to feminize the parts of this partly imaginary geography. The forest of Arden for instance, which is used as a shelter or a sanctuary by exiles or dissidents, then becomes some kind of maternal green breast. But cartographic indistinction is nevertheless present in most of his plays and this seems quite deliberate in order to allow for polysemic puns. The allusions to Europe then become a geographic palimpsest, so that many of the itineraries he

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describes are often routes that lead nowhere or else to some never never land. Thus, for Shakespeare, imaginary landscapes are indissociable from a topography of time.

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Corporeal Ecology and European Otherness on the Shakespearean Stage L’Écologie corporelle et l’altérité européenne sur la scène shakespearienne

Leanore Lieblein

1 There is general agreement that the modern idea of nationhood has its roots in the early modern period. The process of emerging nationhood, particularly within the framework of the new historicist emphasis on power, is usually seen as one of differentiation. As Richard Helgerson concludes in his richly nuanced study of Forms of Nationhood, “[h]owever much [the younger generation of Elizabethans, including Shakespeare, whose writings are the focus of his study] may have resisted the centralizing forces of the monarchic state, these men helped solidify and thicken the lines that separate one nation from another.”1 Yet while the boundaries between nationals in Shakespeare’s plays are sometimes functional, they are often irrelevant. It is particularly in his representation of Europeans, in spite of the presence of stereotypical characterizations, that the otherness disappears. Can we really think of Dogberry – or, for that matter, Beatrice and Benedick – as Messinan? Could Shakespeare’s contemporaries? In this paper I am in search of a theoretical model that helps us to account not only for the impulse toward differentiation, but also for the diffuseness of difference in Shakespeare’s representation of his European others. I would like to complement the political discussion of nationhood and “the lines that separate one nation from another” with one in which the national other is another self, a self that could be both disquietingly same and disquietingly strange. I suggest that both the appeal of the other as other and the ease of its appropriation are rooted in an early modern understanding of national sameness and difference as both corporeal and ecological. I also suggest that by the mid-seventeenth century, the perception of national otherness had become anthropological rather than ecological.

2 The early modern period was one in which corporeality became an important element of what was understood as “human nature.” Rhetorical treatises explored the

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relationship between bodily postures and the passions, physiognomical treatises suggested that one could find the mind’s construction in the face, and works of moral philosophy in the period insisted that an understanding of the human subject as a moral agent required an understanding of his or her physical and animate nature. Physician philosophers in the sixteenth and seventeenth centuries also focused on the body to hypothesize national difference. Authors like Levinus Lemnius in The Touchstone of Complexions (English translation 1576) or Thomas Wright in The Passions of the Mind in General (1601, 1604) argued that an understanding of an individual’s physiology, including the humours, the passions, and the complexions, was central to an understanding of the human being’s moral nature and the possibility of a virtuous life.2 However, even as they sought to affirm the commonality of human beings, they found in their bodies the things that made them different from one another. Hence their enterprise was paradoxical: their claim for the universality of human nature made it possible to theorize the body as a site of difference between what they called “nations.” Lemnius and Wright explored an ecology of national difference. For them the human organism was a complex system, both internally coherent and in a subtle relationship with its environment. Different environments produced different national characteristics, but similar physiologies made adjustment and change possible. Their perception of national difference was both corporeal and flexible. If what made nations different were the things that kept them apart, what made them the same could obviate their differences or bring them together.

3 In this paper I suggest that Shakespeare employs the language of the physiologically and environmentally mediated body to explore the phenomenon of national otherness. The proximity of continental Europe to England made it an ideal site for an examination of the corporeality and fluidity of national difference. I use the word “nation” as it is widely used by the sixteenth- and seventeenth-century authors whose work I discuss: to denote a recognizable (because it has in the period a familiar name attached to it) collectivity that is sometimes regional, sometimes linguistic, sometimes religious, sometimes cultural, sometimes political, and always, as John Gillies suggests when he proposes what he calls a “poetic geography,” other.3

* * *

4 Comprehending the physicality of the human subject was a transnational enterprise: works were translated from Latin and European vernaculars into English and from English into other languages.4 Authors, who drew upon and acknowledged each others’ work, were simultaneously aware of themselves as part of a European community in which they participated and part of a national community they represented. Thus the English Thomas Wright in The Passions of the Mind in General draws upon The Touchstone of Complexions by the Dutch Lemnius and Examen de ingenios, the examination of mens wits by the Spaniard Juan de Huarte Navarro (English trans. 1594). However, the international project also had a national agenda since, as Wright indicates in his preface, among his reasons for writing his book was the virtuous deportment of Englishmen, with the advancement of their reputation among other nations.5

5 The perception of national difference was not just a matter of pride. It followed from the argument, elaborately developed by Wright in Book I of The Passions of the Mind, that “divers complexions are inclined to divers passions.”6 And for Wright, as for Lemnius

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earlier, complexions and passions are shared by members of national groupings but differ from group to group. Indeed, Wright regrets that lack of space prevents him from developing the subject at great length: “I might discourse over Flemings, Frenchmen, Spaniards, Italians, Polans, Germans, Scottishmen, Irishmen, Welshmen, and Englishmen, explicating their national inclinations, good or bad, but every one of these exacteth a whole Chapter, and perhaps some of them, more proud than wise, would be offended with the truth” (121-22).

6 Lemnius has no such compunctions. Though he limits himself to paragraphs or pages rather than chapters, he distinguishes in some detail between nations and individuals on the basis of their temperaments and complexions. To give just a flavour of his argument, though the compression that follows oversimplifies, those from colder northern regions, he claims, because of their “grosse bloud and thicke Spyrites,” are seen to be “bolde and full of venturous courage, rude, unmanerlye, terrible, cruell, [and] fierce.” Germans, on the other hand, because their spirits are moderately cold, are “constant, stedfast, and faythfull […] but by reason of their coldnes & fayntnes of heate […] [are] not very quick witted nor of very precise judgement.” Hollanders, who have “moyst spirites [,…] are quicke and readye conceyvers [understanders] […,] but not long retayninge the same in memorie.” They are also “oblyvious, sleepie, unapte to learne Artes and occupations, dull witted and grosse headed.” Spaniards, “[…] when their bloud is up, will rashlye and unadvisedlye attempte any thinge.” And finally, Frenchmen, because they have “thinne spirites temperatelye hoate, have sharpe and ready wittes, and prompt and flowing utteraunce.” In addition, “for devyse and invention they be very sharpe and ingenious [and] for brave settinge oute and beautifyinge of a matter, plentyfull and copious: and […] as for the explayning of their meaninges and purposes have talke and tongue at will.” They are also “lively felowes, […] dapper, nimble, lackinge no grace of pleasaunte gesture.”7

7 Wright’s forecast of objections to his own potential description of national otherness, were he to embark upon it, is perhaps a reflection of his own experience, since he himself reacts grudgingly to a negative comparison of the English to the Italians in Lemnius. According to Lemnius, Italians are “perfused wyth temperate moisture and heate” and therefore in their dealings, “watchfull, sharpe, industrious, in […] quicknes of wit, industry of nature, excellencie of learninge, notable utteraunce, and flowinge eloquence, surpassing other men.” They do not, however, relinquish a grudge and a desire for revenge. Englishmen, says Lemnius, are similar to Italians, but “being of heate more weake and lesse boylinge, […] are of stature comely and proportionable […].” They are, however, less given to the arts than the Italians and are capable of great anger (17v-18). In reply Wright writes, “I must confess that in some one or other trade the Italians surpass us, but they be such as either England regardeth not at all or prizeth not very much; but in such as our Country esteemeth we may either equal or prefer ourselves before them” (121).

8 Both Lemnius and Wright in their characterizations of national difference assert a relationship between geography, physiology and affect. As Wright writes, “the same causes [such as climate] which concur to the framing of such a constitution serve also to the stirring up of such a passion” (121). They are not, however, invoking a genetic or environmental determinism, since both insist that undesirable behaviours caused by geographical circumstances are not without remedy. Insight into their causes helps one

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understand how to change them. For Lemnius, his generalizations are not judgments but designed to produce awareness of possibilities for change and improved health: Seeing therefore, the diversitie of spirits, and the differences of wittes and maners proceedeth of the condition and nature of the Place, Ayre, Countrey and nourishmente, let every man foresee in himself, which way he may best provide for the maintenaunce of his health, and to shunne all such thinges as may in any wise harme, annoye, crushe, or empaire either his health or Spirits. (20)

9 Evidence of the ability to overcome the effects of things like “Place, Ayre, Countrey and nourishmente” is provided by the example of Prince Erik, king of Sweden, who in spite of the fact that those born near the “Pole Articke & ycie Sea […] for the most part are very huge & stronge bodyed, but for witte and learning, mere doltes & Asseheads,” was able to create a “Nacion … nowe trayned to more civill order” (16). Clearly nurture, for Lemnius, is just as important as nature.

10 This capacity for change allows members of nations not only to distinguish themselves from other nations, but also to accommodate and learn from members of other nations in a context of both intellectual and economic exchange. Nations are different, but their difference is predicated on their sameness, since though they come from or live in different places, all are subject to the “condition and nature of the Place, Ayre, Countrey and nourishmente,” from which they come. In addition, both Lemnius and Wright make it clear that the national differences they propose are generalizations. They are descriptions of group behaviours which are statistically significant because observable of large numbers of countrymen, even though at the individual level the behaviours described can in fact be changed through such things as education and diet. In other words, they are at least as significant rhetorically as they are physiologically or morally. What is important therefore is not whether the descriptions are accurate or what the distinctions tell us about the different nationalities (though it is remarkable how many of the generalizations have persisted and congealed into national stereotypes), but the belief that there are cultural differences that can be attributed to members of different nations, that these differences can under certain circumstances be obviated, and that at the heart of the difference lies corporeality. In the discussion that follows I illustrate the ecology of otherness in Shakespeare’s Henry V, which redefines the English body to incorporate its French national other. I then briefly look at The Merchant of Venice as an example of a play which refuses the ecology of otherness and represents the troubled relationship of the Venetian body to its included/excluded others.

* * *

11 A central preoccupation of Shakespeare’s Henry V is the ecology of English nationhood. At one level, following Lemnius and Wright, the English nation is a product of such things as its geography, climate, and diet: “And you, good yeomen, / Whose limbs were made in England, show us here / The mettle of your pasture,” urges King Henry before the walls of Harfleur (III.i.25-27).8 The French too acknowledge their rivals in terms of such elements, though they read the elements differently: Dieu de batailles! where have they this mettle? Is not their climate foggy, raw, and dull, On whom, as in despite, the sun looks pale, Killing their fruit with frowns?

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[…] O, for honor of our land, Let us not hang like roping icicles Upon our houses’ thatch, whiles a more frosty people Sweat drops of gallant youth in our rich fields! (III.v.15-18, 22-25)

12 And Henry himself, when he boasts to Montjoy, finds that he is altered by the fields of France: “Yet forgive me, God, / That I do brag thus! This your air of France / Hath blown that vice in me” (III.vi.150-52).

13 But just as Lemnius and Wright themselves recognized, though environmental factors such as climate or diet can influence the passions, spirit or blood, they can also create expectations that are not fulfilled. Thus the treachery of Lord Scroop, who seemed to embody the reliability of those men who are “spare in diet, / Free from gross passion, or of mirth or anger, / Constant in spirit, not swerving with the blood” (II.ii.131-33), has thrown the relationship between environment, physiology, and political morality open to question. The lesson of Lord Scrooop and the other traitors is that geography and its accompanying physiology are accidents of nationhood which are meaningless without commitment. As Lemnius and Wright argue, and as the passages from Henry V cited above illustrate, one can adapt to or overcome the contingencies of geography. It takes more than English birth to make an Englishman.

14 Thus Henry’s army consists not only of the English Gower, but also of the Welsh Fluellen, the Irish Macmorris, and the Scottish Jamy. However, their participation in the shared enterprise of England’s war on France reveals the ambiguity of nationhood. They are loyal subjects who nevertheless claim their own otherness (consider, for example, Fluellen’s pride in being Welsh), and bring with them, in the form of their names, their accents, their traditions, and their mannerisms, their association with nations which had in fact historically resisted colonization by England. The issue of nationhood is a matter of some sensitivity, neither straightforward nor uncomplicated: FLU. Captain Macmorris, I think, look you, under your correction, there is not many of your nation— MAC. Of my nation? What ish my nation? Ish a villain, and a basterd, and a knave, and a rascal. What ish my nation? Who talks of my nation? (III.ii.120-24)

15 Of course we do not know how Fluellen would have completed his sentence: “[T]here is not many of your nation—” who….what? Would it have been flattering? Disparaging? What is the relevance of Macmorris’s Irishness, assuming that is what Fluellen means by the phrase “your nation” (remember John Gillies’ reminder that the word always implies otherness), to the issue of the conduct of the war which is under discussion?

16 The heated response of Macmorris challenges the presupposition that Fluellen (or the spectator, for that matter?) knows Macmorris’s nation. Is Macmorris denying Fluellen’s implication that he is Irish and implying that he is as English as the next man? Or denying the right of anyone other than himself to decide what his nation is? And what does he mean when he says his nation “ish a villain, and a basterd, and a knave, and a rascal”? Is he, as a captain in the English army, distancing himself from the traditionally negative characterizations of the Irish by the English? Or is he, as an English captain, recognizing that the English nation is not all it’s cracked up to be?9

17 If the English nation is composed of many nations, those nations are not only territorial like the Welsh, the Scots, and the Irish. Other contemporary uses of the word nation, such as the “nation” of roarers, or the “nation” of fools, or the “nation” of people who regularly visit prisoners,10 suggest the sociological dimension of the term in the period.

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The dialogue between Fluellen and Macmorris is preceded by a demonstration of the cowardice and corruption of Nym, Bardolph, and Pistol, who might well stand for the “villain,” or “basterd,” or “knave,” or “rascal” alluded to by Macmorris, and who are also members of the English nation. The English nation is composed both of collectivities and of individuals, some of them captains and some of them cowards, some of them “of name” and some of them not “of name” as in the list of war dead (IV.viii.105), some of them indeed corrupt and some of them rich in integrity like the Boy who serves Bardolph, Nym and Pistol and sees through them and dies with other boys protecting the luggage of the camp.

18 Thus the medieval notion of the “King’s Two Bodies”11 gets redefined. The King’s “body politic” not only represents the kingdom but depends on its materialization in its population. The Prologue begins the play with a univocal definition of both England and France: “Suppose within the girdle of these walls / Are now confin’d two mighty monarchies” (PRO.19-20). And yet a monarchy is mighty only by virtue of the many bodies that compose it: “Piece out our imperfections with your thoughts; / Into a thousand parts divide one man, / And make imaginary puissance” (PRO.23-25). Similarly, the King’s “body natural” takes its significance from the fact that not only is the King a man, but that he is a man like other men: “For though I speak it to you, I think the King is but a man, as I am. The violet smells to him as it doth to me; the element shows to him as it doth to me; all his senses have but human conditions. His ceremonies laid by, in his nakedness he appears but a man” (IV.i.100-105).

19 The ecology of English nationhood in Henry V is represented as organic and corporeal. It is a product of place but also of persons, of the one but also of the many. It can in addition embrace and incorporate the other, and is subject to change. The French nation, as we have seen above, is similarly a product of its environment. However, England has conspicuously, by the admission of the French, adapted to the French milieu: Can sodden water, A drench for sur-rein’d jades, their barley-broth, Decoct their cold blood to such valiant heat? And shall our quick blood, spirited with wine, Seem frosty? (III.v.18-22)

20 Such adaptability is sexually potent: “Our madams mock at us, and plainly say / Our mettle is bred out, and they will give / Their bodies to the lust of English youth / To new-store France with bastard warriors” (III.v.28-31).

21 Thus the union of England and France at the end of the play, though the outcome of military victory and hard-headed negotiation (an earlier offer of Katherine in marriage and a dowry of “[s]ome petty and unprofitable dukedoms” had been rejected [III. CHO. 31-32]), is a physical union that will reinvigorate a feminised French body as well as a political union.12 The union of England and France has the potential to enlarge both countries: “Take her, fair son, and from her blood raise up / Issue to me, that the contending kingdoms / Of France and England, whose very shores look pale / With envy of each other’s happiness, / May cease their hatred” (V.ii.348-52).13

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22 The sense of another nation as an extension of the self depends on a willingness to see the other, though the product of a different milieu, as equally human; in other words, in the context of Wright and Lemnius, equally a product of physiology and environment. The thriving economy of Venice in The Merchant of Venice depends on just such a view of the nations who participate in its economic life. For example, to Solanio’s observation that the Duke would never permit Shylock to exact his terrible forfeit Antonio replies, The Duke cannot deny the course of law; For the commodity that strangers have With us in Venice, if it be denied, Will much impeach the justice of the state, Since that the trade and profit of the city Consisteth of all nations. (III.iv.26-31)

23 The dilemma of The Merchant of Venice lies in the ambiguous triangulated relationship between strangers (those members of “all nations” who contribute to “the trade and profit of the city”), the Venetian body politic (“the justice of the state”), and the Venetian body (Shylock’s pound of flesh). However, in the play, because he is denied corporeal sameness, Shylock is excluded from the company of nations.

24 Among the strangers in the play are Portia’s suitors, identified by Nerissa in terms of their “nation,” and described by Portia in terms of their temperaments, much in the fashion of Lemnius. These include the Neapolitan prince, the County Palentine [sic], the French lord, the young baron of England, his neighbor the Scottish lord, and the young German. What distinguishes Bassanio, mentioned as an afterthought, is the fact that he is a Venetian. That Portia excludes certain bodies from the human community, however, is evident in her comment on the Prince of Morocco: “If he have the condition of a saint, and the complexion of a devil [in other words, if he be black], I had rather he should shrive me than wive me” (I.ii.129-31). Morocco’s racial otherness, which becomes a trope of physical and national otherness, is insisted upon. He is described in the quarto and folio stage directions at the top of Act II, scene one as “a tawny Moor, all in white,” and while not a European, crystallizes the issues that will be central to the perception of Shylock’s otherness: Mislike me not for my complexion, The shadowed livery of the burnish’d sun, To whom I am a neighbor and near bred. Bring me the fairest creature northward born, Where Phoebus’ fire scarce thaws the icicles, And let us make incision for your love, To prove whose blood is reddest, his or mine. (II.i.1-7)

25 In spite of the colour of his skin, Morocco claims for himself an essential humanity that he shares with other nations. His blood is as red as that of any Venetian.

26 Shylock’s corporeal otherness precedes him into the world of the play by virtue of visual and theatrical traditions associating the representation of Jewishness with the orange wig of Judas; other features include the gabardine and head covering, and mannerisms of speech, posture, and gesture. But he too, like the Prince of Morocco, insists on his corporeal sameness: Hath not a Jew eyes? Hath not a Jew hands, organs, dimensions, senses, affections, passions; fed with the same food, hurt with the same weapons, subject to the same diseases, heal’d by the same means, warm’d and cool’d by the same winter and

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summer, as a Christian is? If you prick us, do we not bleed? If you tickle us, do we not laugh? If you poison us, do we not die?” (III.i.59-66)

27 The Venetian body is exemplified by Antonio, the merchant whose ventures represent “the trade and profit of the city.” His melancholy affect is a complexion in the sense that Lemnius uses the term in his Touchstone of Complexions, and quite different from the alternative constructions of the body offered in the opening scene by Antonio’s friends. Solanio speaks of “Some that will evermore […] laugh like parrots at a bagpiper; / And other of such vinegar aspect / That they’ll not show their teeth in way of smile …” (I.i. 52-55). But like Shylock’s later “Some men there are love not a gaping pig; / Some that are mad if they behold a cat” (IV.i.47-48) in justification of his animus against Antonio, such an account of human behaviour focuses on eccentricity rather than commonality, and on rigidity rather than flexible accommodation. Gratiano describes “a sort of men whose visages / […] do a willful stillness entertain, / With purpose to be dress’d in an opinion / Of wisdom, gravity, profound conceit …” (I.i.88-92). But like Bassanio’s thoughts on the deceptiveness of external appearances as he makes his choice of the leaden casket, such an account sees affect as pretence and deception. For himself Gratiano chooses another body: “Let me play the fool, / With mirth and laughter let old wrinkles come” (I.i.79-80). There is a difference, however, between a choice of lifestyle and the physiological consequences of “Place, Ayre, Countrey and nourishmente” that characterizes the passions and complexions discussed by Wright and Lemnius. None of these bodies are Antonio’s. He even refutes the plausible suggestion of Solanio and Solario that his sadness is an internalization of the uncertain fortunes of his spice and silk-laden argosies, or, failing that, an expression of unrequited love. Antonio’s sadness cannot be linked to his own idiosyncrasies or personal preoccupations because it represents the malaise of Venice itself. Like Venice, his trade and profit result, as we saw above, not only from Venetians but from “strangers … of all nations.” His personal identity and integrity is dependent upon the other “nations” that contribute to his professional identity.14 But he is alienated from himself because he is ill at ease with and ultimately threatened by Shylock whom he refuses to see as a member of the community of nations.

28 Shylock’s bond is an assault on the Venetian body that has “scorn’d [his] nation” (III.i. 56) and denied his humanity: “You call me misbeliever, cut-throat dog, / And spet upon my Jewish gabardine, […] You, that did void your rheum upon my beard, / And foot me as you spurn a stranger cur” (I.iii.111-12, 117-18). When flesh does not signify humanity, it becomes commodity: “A pound of man’s flesh taken from a man / Is not so estimable, profitable neither, / As flesh of muttons, beefs, or goats” (I.iii.165-67). And if flesh cannot serve to turn a profit, it can serve “to bait fish withal” (III.i.53). Shylock becomes what he has been told he is: “Thou call’dst me dog before thou hadst a cause, / But since I am a dog, beware my fangs” (III.iii.6-7).

29 Both Shylock and Antonio participate in what is called “commodity” in Venice. They are not, however, both Venetians. Shylock is, in the word used by Portia, an “alien” (IV.i.349) and, as Antonio would have it, irretrievably other: You may as well forbid the mountain pines To wag their high tops, and to make no noise When they are fretten with the gusts of heaven; You may as well do any thing most hard As seek to soften that—than which what’s harder?— His Jewish heart! (IV.i.75-80)

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30 Shylock’s difference, in Antonio’s characterization of him, is not, as Lemnius or Wright would have it, a complexion or a passion, influenced by such things as physiology, environment, religion, and tradition, whose consequences are negotiable; his difference is represented as essential and unchangeable, and by virtue of his dehumanisation, he is excluded from the community of nations.15

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31 In 1650 John Bulwer published Anthropometamorphosis, subsequently printed with the title A View of the People of the Whole World.16 It offered a survey of the world’s nations in terms of their corporeal differences. Like The Touchstone of Complexions and The Passions of the Mind in General, Anthropometamorphosis walks the fine line between assuming the sameness of the world’s peoples and observing their otherness in different local circumstances. Nevertheless, Bulwer’s work reveals a profound change that has occurred in the perception of national otherness.

32 Bulwer starts with an assertion of universal and perfect original created by God and shared by all nations, but what interests him, even more than Lemnius and Wright, are the local variations. He is enthralled by the diversity he describes. He may denounce the deformations of the body pictured in his book as transgressive in principle, but he puts them on display because these “nationall monstrosities” (275), as he calls them, are fascinating in practice (the book contains over a hundred extraordinary illustrations). Individual chapters discuss, just to cite a few, “Fashions of the Head,” “Fashions of Haire,” “Eye-lid Fashions,” “Auricular Fashions,” “Artificial Scars,” “Mouth Fashions,” “Lip-gallantry,” “Dentall Fashions,” “Humerall, or Shoulder- Affectations,” “Pap-Fashions,” and “Leg and Foot-fashions.”

33 The use of the word “fashions” is revealing. Bulwer claims to be scandalized – the word “monstrous” frequently recurs – by the invasiveness of such fashion of what he calls, after Vesalius, the “human fabric.” But although such extreme interventions as scarring, tattooing, alterations to the bone structure, even amputation, are shocking, as “fashions,” they are represented as acts of cultural choice which are attributed in every case not only to individuals but simultaneously to members of a “nation.” They are different in degree but not in kind from what, in an appendix titled “the Pedigree of the English Gallant,” are described as the “fashions” frequently attributed to gallants in Jacobean city comedy. Though intensely corporeal, they are acts of self-representation.

34 For Lemnius and Wright the otherness of nations is ecological. It is the fruit of a subtle interaction between physiology, environment, and culture, and because it is interactive, it is subject to change. For Bulwer who positions himself as an observer rather than as a philosopher, such otherness is anthropological. The corporeal differences described by Bulwer, though they come from all over the world, do not have the environmental dimension so important to Lemnius and Wright. While they presumably can be changed, Bulwer, unlike Lemnius and Wright, does not perceive such change in terms of the delicate adjustment and negotiation implicit in the model of the body’s sensitivity to its physical and cultural environment. Unlike the “nationall monstrosities” pictured by Bulwer, for whom otherness is fascinating because it is grotesque and bizarre and confirms difference, Shakespeare’s European others have the potential to be same as well as different, have the potential to change and be

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changed, and also have the potential to be denied that potential and to be excluded as well as included.

NOTES

1. Richard Helgerson, Forms of Nationhood: The Elizabethan Writing of England (Chicago: University of Chicago Press, 1992), 300. 2. William Webster Newbold (ed.), The Passions of the Mind in General by Thomas Wright: A Critical Edition (New York: Garland, 1986), 17. 3. John Gillies, Shakespeare and the Geography of Difference (Cambridge: Cambridge University Press, 1994), 6. Gillies defines “poetic geography” as “a paradigm for any geography that differentiates between ‘us’ and ‘them’.” 4. The following works by Dutch, French, and Spanish authors translated into English may be taken as examples: Lemnius, The Touchstone of Complexions, from Latin by Thomas Newton (1576); Pierre de La Primaudaye, The French Academie, from French by Thomas Bowes (1586); Juan de Huarte Havarro, Examen de ingenios, the examination of mens wits, from the Italian version of Camillo Camili by Richard Carew (1594); Pierre Charron, Of wisdome, from French by Sampson Lennard (1606?); and Nicolas Coffeteau, A table of humane passions, from French by Edmund Grimeston (1621). Cf. Newbold, op. cit., 17-23. 5. Newbold, op. cit., 27. 6. Newbold, op. cit., 121. 7. Levinus Lemnius, The Touchstone of Complexions, trans. Thomas Newton, (London, 1576), 13-20 [STC (2nd ed.) 15456]. I have reproduced the original spelling, but modernized typography. 8. All quotations from Shakespeare’s plays are from The Riverside Shakespeare, ed. G. Blakemore Evans et al. (Boston: Houghton Mifflin, 1974). 9. David Cairns and Shaun Richards, Writing Ireland: Colonialism, Nationalism and Culture (Manchester: Manchester University Press, 1988), 10, read “What ish my nation?” as “a rhetorical question to which the answer is supplied by Macmorris’s service in the English army.” For them the scene demonstrates the incorporation of barbaric and resisting others into the English nation while maintaining through language, uncouthness and rank their subordinate status. 10. For examples see Ben Jonson, Volpone in Ben Jonson: Four Comedies, ed. Helen Ostovich (London: Longman, 1997), I.ii.76, and Thomas Dekker, English Villainies Discovered by Lantern and Candlelight, in Thomas Dekker: Selected Prose Writings, ed. E. D. Pendry, Stratford-upon-Avon Library 4 (London: Edward Arnold, 1967), 268. My thanks to Pascal Clottes for the Dekker reference. 11. For an overview see Ernst H. Kantorowicz, The King’s Two Bodies: A Study in Mediaeval Poliltical Theology (1957; reprint, Princeton: Princeton University Press, 1997). 12. The French body in the form of the princess Katherine is eroticised. Her English lesson partitions Katherine’s body and makes it sexually available: Le foot et le count! O Seigneur Dieu! ils sont les mots de son mauvais, corruptible, gros, et impudique, et non pour les dames de honneur d’user. Je ne voudrais prononcer ces mots devant les seigneurs de France pour tout le monde. Foh! Le foot et le count! (III.iv.52-56) Nevertheless, she does accept to repeat all the words that signal her sexual subjection. I have omitted from the discussion Exeter’s opportunistic assertion to the French King that “law of nature and of nations” (II.iv.80) justifies Henry’s claim to the French throne, since the

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relationship between “nature” and “nations” being asserted here is far from the ecological one I have been discussing. The same is true of Hector’s use of the phrase (“these moral laws / Of nature and of nations speak aloud”) when he argues for the return of Helen because she is wife to Sparta’s king (Troilus and Cressida, II.ii.184-5). 13. History, of course, tells us, and the Chorus / Epilogue of Henry V points out, that what follows is the loss of France by England under Henry VI. 14. Antonio’s melancholy in I.i may be contrasted with Portia’s weariness which parallels it at the beginning of the following scene: “By my troth, Nerissa, my little body is a-weary of this great world” (I.ii.1-2). Portia explicitly relates her state of mind to her situation. 15. Even when Wright in Book V of The Passions of the Mind in General, which addresses “The means to move Passions,” does discuss the question of arousing passions against those who are different, he sees those differences as “natural dispositions” of the kind that he has said are subject to change (op. cit., 281). 16. John Bulwer, A View of the People of the Whole World, (London, 1654) [Wing B5470].

ABSTRACTS

The early modern period was one in which corporeality became an important element of what was understood as “human nature.” Physician philosophers like Levinus Lemnius in The Touchstone of Complexions (English translation 1576) or Thomas Wright in The Passions of the Mind in General (1601, 1604) affirmed the commonality of human beings while they theorized the body as a site of difference between “nations.” They saw the human organism as a complex ecological system, both internally coherent and in a subtle relationship with its environment. Different environments produced different national characteristics, but similar physiologies made adjustment and change possible. William Shakespeare employs the language of the physiologically and environmentally mediated body to explore the phenomenon of European sameness and difference. In this paper I focus on Henry V, which redefines the English body to incorporate its French national other, and The Merchant of Venice, which in its representation of the troubled relationship of the Venetian body to its included / excluded others, refuses the ecology of otherness.

Au début de la période moderne, la corporalité devint un élément important de ce qui était alors compris comme étant la « nature humaine ». Des médecins philosophes tels Levinus Lemnius dans The Touchstone of Complexions (traduction anglaise 1576) ou Thomas Wright dans The Passions of the Mind in General (1601, 1604) ont affirmé la nature commune des êtres humains tout en théorisant le corps comme étant un lieu de différences entre les « nations ». Ils voyaient l’organisme humain comme un système écologique complexe, à la fois intérieurement cohérent et en relation subtile avec son environnement. Différents environnements produisaient différentes caractéristiques nationales, mais des physiologies similaires rendaient possibles le changement. William Shakespeare emploie le langage du corps modulé physiologiquement et environnementalement pour explorer le phénomène du pareil et du différent européen. Dans cet article, je me penche sur Henry V, qui redéfinit le corps anglais pour y incorporer son Autre national français, ainsi que sur The Merchant of Venice qui, dans sa représentation de la relation troublée du corps vénitien à ses Autres inclus / exclus, refuse l’écologie de l’altérité.

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AUTHOR

LEANORE LIEBLEIN Leanore LIEBLEIN is in the Department of English of McGill University and a member of its Shakespeare and Performance Research Team. Her articles on various aspects of early modern and contemporary theatre have appeared in such journals as Early Theatre, Shakespeare Yearbook, Theatre Research International, and the Journal of Dramatic Theory and Criticism, as well as in numerous collections of essays, including Foreign Shakespeare, ed. Dennis Kennedy and Shakespeare and the Language of Translation, ed. Ton Hoenselaars. She has also co-translated Les Esbahis by Jacques Grévin (1561), guest edited Traversées de Shakespeare, a dossier of L’Annuaire théâtral 24, and directed medieval, Renaissance and modern plays. Her recent work has focused on Shakespeare in francophone Québec, and she is currently working on the early modern performing body and the concept of character.

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Shakespeare’s Possible Use of Polydore Vergil’s Anglica Historia in Henry VIII

L’utilisation probable de l’Anglica Historia de Polidoro Virgili dans Henry VIII de Shakespeare

Roberta Mullini

1 The sources for Shakespeare’s plays are collected in Geoffrey Bullough’s famous volumes,1 but, as far as Henry VIII is concerned, one of them – Polydore Vergil’s Anglica Historia – seems to have escaped scrutiny both by Bullough and by the editors of various modern editions of the play. Neither does Foakes (editor for the Arden series, 1964) nor Margeson (editor for the New Cambridge, 1990) point to the possible presence of borrowings from Polydore Vergil. On the contrary, Hay (translator of the Anglica Historia, and Vergil’s biographer) suggested, as long ago as 1952, that Shakespeare, since “he was faced with the problem of accounting for the divorce of Catherine of Aragon and the marriage of Anne Boleyn in such a way as to leave both Henry and Anne in as spotless a condition as possible”, found a “way out of the dilemma” in Vergil. Besides observing that “Catherine of Aragon and her noble consort are made the dupes of Wolsey’s tortuous ambition and Henry’s passion for Anne Boleyn becomes the main factor in the destruction of the overweening cardinal,” Hay adds that “In this play, therefore, […] the dramatist was to hammer into the heads of succeeding generations the main elements of Vergil’s narrative.”2

2 Book XXVII of the Historia, the one dealing with Henry VIII’s reign, was published only in the final edition of 1555,3 therefore it could not be a source for Halle (1542 and 1548), but was known to Holinshed, who often mentions it both in his text and in the marginal captions, and it was – this is what I suppose – available to Shakespeare.

3 I do not intend to question why the above-mentioned editors have overlooked Hay’s words and have not even mentioned or tried to dismiss his hypothesis, but I would like to see which aspects of Polydore Vergil’s history could have pushed Vergil’s biographer to maintain his position.

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4 Polydore Vergil, a humanist from Urbino who had already published some works in Italy, was sent to England by Pope Alexander VI as subcollector of Peter’s pence in 1502 and lived there, as a Catholic (perhaps a cool and mild one), through the whole development of English problematic history of the first half of the sixteenth century till after the accession of Mary to the throne. He was strongly biased against Cardinal Wolsey because the latter had caused his imprisonment for a few months in the Tower in 1515. Vergil’s hate of Wolsey is clearly manifest in the Anglica Historia, where the historiographer never forgets continually to highlight Wolsey’s ambition, pride, viciousness and covetousness.4 For example, Vergil clearly attributes to Wolsey the unjust condemnation of Edward of Buckingham in 1521, by describing in detail the intrigues the cardinal made use of in order to accuse someone he disliked. Vergil, on this occasion, describes Wolsey so much “ardens odio, idque saturandi humano sanguine cupidus” (665: “burning with hate and desirous of satiating it with human blood”) as to devise the whole tragic hoax against the duke of Buckingham through Charolus Cheneuettus (Charles Knyvet), a former servant of the duke’s. To show Holinshed’s indebtedness to Polydore Vergil suffice it to see that the Latin sentence just mentioned is translated almost literally by Holinshed, when he presents Wolsey as “boiling in hatred against the duke of Buckinham, & thirsting for his bloud.”5

5 It is well known that this episode of English history is dealt with in I.i, I.ii and II.i of Henry VIII, where Shakespeare follows Holinshed to the utmost and where (as elsewhere), according to Foakes, “some speeches are little more than Holinshed […] versified.”6 The dramatist’s semantic choices attributed to Buckingham at the beginning of the play when speaking of Wolsey, though, must not be overlooked: the cardinal is said to be a “holy fox / Or wolf, or both (for he is equal rav’nous / As he is subtle, and as prone to mischief / As able to perform’t)” (I.i.157-61). These words show that, even if Holinshed – once again – is the nearest source of Shakespeare for this episode, it was Vergil who not only gave Holinshed the right words to speak of the cardinal, but also offered Shakespeare a complete and continually adjourned picture, as it were, of the cardinal’s defects and vices throughout the whole Book XXVII of his Anglica Historia.

6 Another instance of derivation of the Shakespearean text from Holinshed which is relevant to the hypothesis of this paper is offered by the allusion to Dr Pace in II.ii. Shakespeare makes Cardinal Campeius comment on Dr Pace’s absence from Wolsey’s service with the following words: They will not stick to say you envied him, And fearing he would rise (he was so virtuous) Kept him a foreign man still, which so griev’d him That he ran mad and died. (II.ii.126-9)

7 The passage seems to come straight from Holinshed, who observes that the cardinal, after raising Stephen Gardiner, appointed him “in the roome of doctor Pace, the which being continually abroad in ambassages and the same oftentimes not much necessarie, by the cardinals appointment, at length he tooke such greefe therewith, that he fell out of his right wits” (907, col. 1, l. 22-7). But Holinshed’s borrowing from Vergil is total for this passage and acknowledged by the English author in the marginal gloss (here as in many other cases). Vergil describes Dr Pace’s case in this way: cuius [Gardiner’s] locum apud eum tenebat Ricardus Pacaeus, sed is legationibus frequentioribus, & iis quidem nonnunquam minus necessariis ab Volsaeo datis, ut

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diutius a latere regis abesset, oppressus, pene est exilio affectus procul a patria, ex quo tantum molestiae animo cepit, ut paulo post interdum deliraret.7

8 In itself, this does not prove any direct link between Vergil and Shakespeare, because Shakespeare might also have reproduced another passage from the Chronicles, where Holinshed first introduces the subject of the relationships between Dr Pace, Wolsey and the king. After praising Dr Pace (who is said to be “a right worthy man”, 871, col. 2, l. 76; “learned”, “indued with many excellent good gifts of nature”, 872, col. 1, l. 1-2), the historian adds that he was also highlie in the kings favour. […] But the more the prince favoured him, the more was he misliked of the cardinall […] so that he procured that this doctor Pace under color of ambassage, should be sent foorth of the realme, that his presence about the king, should not win him much authoritie and favour at the kings hands. (872, col. 1, l. 3-11)

9 Therefore, it is clear that Shakespeare first looked at his Holinshed for his own passage. Nevertheless, it might also be possible that he, without having to connect two passages that in Holinshed are 35 pages far apart, used Polydore’s shorter and more compact version, which embeds both the clue to Wolsey’s malicious acting and Dr Pace’s rising in the king’s favour.

10 In Vergil, furthermore, Wolsey’s responsibility for Dr Pace’s dismissal is quite clear, much more and especially in much harsher words than in Holinshed, due perhaps to the compression of causes and effects in a short passage. In the play, Campeius directly mentions the Cardinal’s “envy”, thus showing Shakespeare’s knowledge of Wolsey’s malicious involvement in the event. While Holinshed remains the main source for this episode in the play, it cannot be excluded that Shakespeare’s condensation derives from the Anglica Historia.

11 It is particularly for the character of Katherine, however, that Shakespeare may have looked directly at Vergil’s highly sympathetic attitude towards the queen, even if the humanist’s history is not so rich in detail as Holinshed’s Chronicles.

12 On considering Shakespeare’s main English sources, i.e. Halle and Holinshed, it is relevant to see that the playwright seems to prefer the former to the latter when dealing with Queen Catherine. In fact, in Halle’s text Shakespeare found a more tender picture of the queen than that of Holinshed, especially when Halle reports Henry’s words about her during his oration to his subjects, delivered in order to sedate rumours about the divorce spread in the community before the trial: For I assure you all, that beside her noble parentage of the whiche she is discended (as you wel know) she is a woman of moste gentlenes, of most humilitie and buxumnes, yea and of al good qualities apperteignynge to nobilitie, she is wythoute comparyson, as I this xx yeres almost have had the true experiment, so that if I were to mary agayne if the mariage myght be good I would surely chose her above al other women.8

13 When writing about the sessions of the trial held at Blackfriars in 1529, Halle again transcribes the king’s words about Catherine, which include the praise of her “womanhode, wysdom, nobilitie, and gentlenes” (fol. 182r, l. 30-1). In order to create his own Katherine, therefore, Shakespeare found help and inspiration surely more easily in Halle than in Holinshed, who, on the occasion of the trial (after Catherine’s departure from the court), relates Henry’s words in a much cooler and more detached way: For as much (quoth he) as the queene is gone, I will in hir absence declare to you all, that shee hath beene to me as true, as obedient, and as conformable a wife, as I

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would wish or desire. She hath all the vertuous qualities that ought to be in a woman of her dignitie, or in anie other of a baser estate, she is also surelie a noble woman borne, hir conditions will well declare the same. (907, col. 2, l. 34-41)

14 But if Polydore Vergil’s Anglica Historia was available to the playwright, as I suppose it was, Shakespeare may have found in it even a more favourable characterisation for the queen. In Vergil’s treatment of these years of Henry VIII’s reign, though, not many details are recorded, but some are relevant just for what they say about Catherine. In his revengeful attack against Wolsey, Vergil attributes to the cardinal the rising of Henry’s doubts about the legitimacy of his marriage, explaining everything out of Wolsey’s variance with the queen. At the same time he depicts Catherine as a gentle lady, ready to amend his enemy’s defects and evil behaviour with mild words: Porro ei in mentem venit mutare dominam, & unam alteram quaerere, quam aequé vita ut moribus sibi similem esse volebat: quanquam Catherina regina hominem non offendebat, non laedebat, sed eius tantum malos oderat mores, quos ut continentia emendaret, identidem benigne monebat.9

15 He also shows a Wolsey well aware of Henry’s interest in Anne Boleyn, and therefore afraid that his previous plans to marry his king to the princess of France might miscarry (“Volsaeus homo sagax animadvertit Henricum adiicere oculum cuidam puellae nomine Anne filiae Thomae Bulleyne vicecomitis Rochefordiae, quae reginae inserviebat: tum ille permagna sollecitudine affectus est, ut qui prospiceret futurum, uti eam rex in matrimonium duceret, si divortium fieret”).10 If the embedded negative meaning of “sollecitudo” is not well grasped, though, the last clause in the passage might also be interpreted as a purpose one, thus affecting the understanding of Wolsey’s attitude. According to this interpretation, then, the clause might mean that Wolsey took great care “in order that the king married her [Anne]…” In this case, Wolsey himself would appear guilty of directing the king’s attention towards Anne Boleyn as a possible wife. It is a wrong interpretation of the Latin text and in contradiction with what Vergil writes some pages before,11 certainly, but Shakespeare’s “small Latin” is well known. Did Shakespeare have this latter interpretation in mind when he wrote Wolsey’s words to the king in I.iv.101-2, that is when the cardinal ushers Henry and the lady dancing with him (Anne) into a more private room where “There’s fresher air”, thus ambiguously acting as pander? It is known that Anne Boleyn was not present at that entertainment at Wolsey’s palace to which Holinshed refers (921-2): why, then, did Shakespeare telescope the events (the disguising and Anne dancing with the king), locating them well before any hint in the play to Henry’s conscientious troubles? Is Shakespeare perhaps saying – obliquely12 – that Henry VIII fell in love with Anne Boleyn first, and that only because of that the whole business of the divorce started?13 Of course, as any conjecture about how the playwright exactly worked and how he used his sources, these hypotheses are destined to remain unanswered. But they do come to one’s mind.

16 Henry’s words during the trial as referred by Vergil – “Habeo in matrimonio Catherinam uxorem mihi charissimam, ob eius pariter animi singulares virtutes, atque generis nobilitatem”14 – seem to be poorer than Halle’s and nearer Holinshed’s. Therefore they do not help to prove Shakespeare’s indebtedness to Polydore Vergil at this point of the play, in spite of Vergil’s strong siding with the queen. Actually, the passage from Polydore Shakespeare appears to be most influenced by is the historian’s description of Catherine’s style of life after the divorce, with which he deals in IV.ii:

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Ea post divortium a viro factum, se contulit in comitatum Bedfordiensem, ad villam regiam, quam appellant Kymbalton, locum minus salubrem, ubi vera patientia mirifice armata, vitam degebat sanctam.15

17 What emerges from this passage are the attribution to Catherine of the virtue “patience” accompanied by the adjective “true”, and the use of the adverb “extraordinarily”. Besides, the verb qualifying the possession of this virtue (“armed with”) indicates that Vergil wanted to underline the queen’s attitude with a certain emphasis. Foakes, the New Arden editor, marvels at the creation of the character Patience as the queen’s maid, because, he writes, this “is wholly an invention” (134, n.) and “a notable addition to the sources” (lix). In effect, the only use of the word as related to Catherine near her death appears in Polydore Vergil, a source unmentioned either by Bullough or by Foakes. Apart from relating the Spanish ambassador’s visit to her during her last week of life and the content of her letter to the king, Holinshed does not say anything about how Catherine lived after the divorce. Halle, in his turn, with very few words informs his readers that “on the viii. day of January folowing [he has just talked of a procession held in London, in November 1535, for the recovering of the king of France] dyed the princes dowager at Kymbalton and was buried at Peterborough” (fol. 227r, lines 3-5).

18 It is certainly true that the word “patience” occurs many times in the play, especially referred to people fallen from their high positions. This happens to Buckingham, according to the comment of the First Gentleman in whose words the duke “show’d a most noble patience” during his trial (II.i.36). Even Wolsey, once at the bottom of his career, answers Cromwell’s invitation “Good sir, have patience” with “So I have” (III.ii. 458). As far as Catherine is concerned, Shakespeare ‘arms’ her with a character of that name: for him it must have been easy to create a character, nearly allegorical, from a noun. Patience as a quality becomes a person, and the verb “armed with” from Vergil is transformed into actions: Patience accompanies the queen to her last hour, helps her and, literally, leads her by the arm (the initial SD in IV.ii says: “Enter Katherine Dowager, sick, led between Griffith, her Gentleman Usher, and Patience, her woman”).

19 IV.ii also includes the narration of the content of a letter written by Katherine to Henry, told personally by the queen while speaking to the Spanish ambassador: KATH. [the letter] in which I have commended to his goodness The model of our chaste loves, his young daughter (The dews of heaven fall thick in blessing on her) Beseeching him to give her virtuous breeding (She is young and of a noble modest nature, I hope she will deserve well) and a little To love her for her mother’s sake, that lov’d him, Heaven knows how dearly. My next poor petition Is that his noble grace would have some pity Upon my wretched women, that so long Have follow’d both my fortunes faithfully, Of which there is not one, I dare avow (And now I should not lie) but will deserve For virtue and true beauty of the soul, For honesty and decent carriage, A right good husband (let him be a noble), And sure those men are happy that shall have ’em. The last is for my men, they are the poorest (But poverty could never draw ’em from me),

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That they may have their wages duly paid ’em, And something over to remember me by. If heaven had pleas’d to have given me longer life And able means, we had not parted thus. These are the whole contents… (IV.ii.131-54)

20 The use of reported speech, which Shakespeare transfers to his play, is already in Holinshed’s brief mention to this letter: she […] caused one of hir gentlewomen to write a letter to the king, commending to him hir daughter and his, beseeching him to stand good father unto hir: and further desired him to have some consideration of hir gentlewomen that had served hir, and to see them bestowed in marriage. Further, that it would please him to appoint that hir servants might have their due wages, and a yeeres wages besides. (939, col. 2, l. 24-30),

21 But concerning the whole content of the passage and the tone that passes between its lines, there are some details which seem to suggest that the playwright knew how Polydore Vergil had treated the subject. It is worth mentioning that Vergil, who speeds his narrative quickly to its end and condenses the events of the years 1533-37 in less than two pages (in the edition I consulted), devotes more than a half page to Catherine’s last moments. Furthermore, it is a very extraordinary fact that nearly a third of a page is occupied by the text of Catherine’s letter, thus denoting the historian’s affectionate attitude to the queen.

22 Vergil reproduces the whole text of the letter to Henry, after a short introduction: At Catherina sexto post die graviori morbo affecta, cum animo præsentiret mortem adventare, ancillam non indoctam iussit binas scribere literas eodem exemplo, unas ad regem, alteras ad Eustachium [Caputius], quas ipsa dictavit, in hæc verba: Domine mi rex marite semper charissime, salve. Iam advenit hora mortis meae, in quo temporis puncto, amor facit ut te paucis admoneam de salute animae tuae, quam debes cunctis mortalibus rebus anteponere, neglecta prae ea omnis corporis cura, propter quam & me in multas miserias, & te ipsum in solicitudines plures coniecisti: sed hoc tibi ignosco, ac Deus tibi ignoscat, tam velim, quam precibus piis oro. Quod superest, commendo tibi filiam communem nostram, in quam, quaeso, officium illud paterne totum conferas, quod ego a te alias desideravi. Praeterea precor summe, ut ancillas meas respicias, easque suo tempore bene locare nuptiis placeat, quod multum non est, cum non sint nisi tres, & dare meis ministris stipendium debitum, atque in unum etiam annum ex tua gratia, benignitate, liberalitate futurum, ne deserti vel inopes esse videantur. Postremo unum illud testor: Oculi mei te solum desiderant. Vale.16

23 The letter to Eustachius is only briefly summarised in the following two lines of the text, while direct speech is used for Catherine’s letter to Henry, which is literally quoted.

24 Nearly all of the first half of this letter is devoted to greeting the king and to reminding him of the queen’s love and of the sorrows which followed their separation (a part totally omitted by Holinshed). In Vergil’s transcription of the letter Catherine’s remembrance of her past love is reinforced by the queen’s initial vocative “My lord, king and husband always very dear to me” and, especially, by the ending words “my eyes desire you only”. This point is kept by Shakespeare, disseminated as it were in several semantic choices such as “chaste loves” (l. 132), and “beseeching him […] a little / To love her [Mary] for her mother’s sake, that lov’d him, / Heaven knows how dearly” (l. 134-8). Furthermore, the final touch where Katherine expresses her yearning for a different conclusion of events (“If heaven had pleas’d to have given me longer life /

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And able means, we had not parted thus”, l. 152-3) seems to embed the passionate closure of the letter in Vergil’s text.17

25 In the second part of the letter one can detect some further suggestions that the playwright may have considered worthwhile transferring to his play. The historical Catherine asks Henry to see to her maids’ marrying “bene”, that is according to their status, and recommends that the due wages be paid to her stewards so that they do not appear abandoned and poor (“deserti vel inopes”). Holinshed avoids these nuances completely, which, on the contrary, seem to have been picked up by Shakespeare when he makes his Katherine say first that each of her maids deserves “A right good husband (let him be a noble)”, and then that her last request concerns her men: “they are the poorest / (But poverty could never draw ’em from me)” (IV.ii.146, 148-9). The idea of the servants being poor is in Vergil and in Shakespeare, and so is the request to the king about “good” marriages for the maids. Of course the dramatist’s derivation from Polydore Vergil is artistically elaborated, but these two small details also seem to support the hypothesis that Shakespeare used the Anglica Historia directly as one of his sources, if not the primary one.

26 The English history written by a Catholic Italian humanist appears to have been read by the playwright alongside the more “orthodox” English chronicles. In a play whose first title was All is True, Shakespeare shows his relative independence from officially well- established Tudor sources in his search for “truth,” both poetical and historical. To this play, too, what Roy Rosenstein has recently written about Shakespeare’s Richard II and the playwright’s knowledge of Anglica Historia can be applied: “Shakespeare rejects the often linear and monolithic stances of the opposing camps along with any teleological determinism that almost inevitably evolves from historical hindsight.”18 Certainly for dramatic purposes, but these can hardly be separated from a view of historical facts as continually interpretable many-sided events.

27 Hay’s suggestions, then, about a possible use of Vergil’s Anglica Historia in Henry VIII seem to be verified and other Shakespearean histories (apart from Richard III, already deeply investigated with Polydore Vergil as a parallel and Richard II in Rosenstein’s fresh analysis) might undergo scrutiny in search of derivations from the Italian’s history. The long and valuable scholarly tradition concerning Shakespeare’s sources might not be affected in its well-established tenets, but this line of research might add at least a small tessera to our knowledge about the infinite variety of the dramatist’s marvellous ability in manipulating his raw material.19

BIBLIOGRAPHY

Bullough, Geoffrey, ed. Narrative and Dramatic Sources of Shakespeare. 8 vols. London: Routledge & Kegan Paul, 1957-75; vol. IV, 1962.

Halle, Edward. The Union of the Two Noble Families of Lancastre & York. London, 1550.

Hay, Denys. Polydore Vergil. Renaissance Historian and Man of Letters. Oxford: Clarendon Press, 1952.

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Holinshed, Raphel. Chronicles of England, Scotland and Ireland. London, 1587.

Maxwell, Baldwin. Studies in Beaumont, Fletcher, and Massinger. Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 1939.

Pugliatti, Paola. “Dalla cronaca al dramma storico: Henry VIII di Shakespeare.” Linguistica e letteratura XI, 1-2, 1986, 19-45.

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Rosenstein, Roy. “From Polydore’s Richard II to Shakespeare’s Richard II: Ricardi Misera Mors et Mores.” In Polidoro Virgili e la cultura umanistica europea, ed. Rolando Bacchielli, 109-42. Urbino: Accademia Raffaello, 2003.

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Vergil, Polydore, Anglicae Historiae Libri vigintiseptem. Basileae: apud Thomam Guarinum, ANNO M.D.LXX.

Vergil, Polydore. The Anglica Historia of Polydore Vergil. A.D. 1485-1537, trans. D. Hay, Camden Series. London: Royal Historical Society, 1950.

NOTES

1. Geoffrey Bullough (ed.), Narrative and Dramatic Sources of Shakespeare, 8 vols. (London: Routledge & Kegan Paul, 1957-75). The sources of Henry VIII are collected in vol. IV (1962). 2. Denys Hay, Polydor Vergil. Renaissance Historian and Man of Letters (Oxford: Clarendon Press, 1952), viii-ix. 3. The Anglica Historia was first published in Bâle in 1534, but it contained only the first 26 books. A second edition (1546) did not contain the chapter devoted to Henry VIII either. The final book seems to have been finished during the reign of Edward VI, since the last paragraph explicitly mentions the young king: “Edouardum sextum, qui nunc regnat, adolescens equidem certe natus ad imperium, ad virtutem et prudentiam, qui summa ingenij indole praeditus, mirificam cunctis populis sui expectationem facit” (691, lines 3-5; “Edward VI, who now reigns, a youth certainly born to govern, to show his virtue and discretion, who, endowned by nature with excellent wit, makes all peoples expect great things from him”). All translations from Latin are mine; for the complete translation of the last three books of Anglica Historia cf. Polydore Vergil, The Anglica Historia of Polydore Vergil. A.D. 1485-1537, trans. by Denys Hay (Camden Series, London: Royal Historical Society, 1950). I would like to thank my colleague Girolamo De Vanna for lending me his precious copy of the Anglicae Historiae Libri vigintiseptem (Basileae: apud Thomam Guarinum, ANNO M.D.LXX) and for allowing me to keep it for a long time. 4. Hay observes that Vergil’s “attitude of uncritical abuse makes suspect every passage in which Wolsey is mentioned” (op. cit., 154). In spite of this, Vergil – as will be clear later – is paraphrased or translated by Holinshed. 5. Raphael Holinshed. Chronicles of England, Scotland and Ireland (London, 1587), 862, col. 2, l. 53-4.

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6. R. A. Foakes, “Introduction”. In William Shakespeare, Henry VIII, ed. R. A. Foakes (London: Methuen, 1964), xxxvii. The attribution to either Shakespeare or Fletcher of the various parts of the play has long been debated with often diverging results: from G. Wilson Knight, for example, who saw the play as completely Shakespearean (The Crown of Life, London: Methuen, 1969 (1947), esp. 256-72), to Stanley Wells and Gary Taylor, who consider the presence of Shakespeare certain only in six scenes (cf. William Shakespeare, The Complete Works, ed. S. Wells and G. Taylor (Oxford: Oxford University Press, 1988), 1193). But cf. R. A. Foakes’s introduction to the Arden edition of the play for a discussion of the different positions up to 1964, esp. xv-xxviii (quotations from the play are drawn from this edition), and John Margeson’s more recent comments in William Shakespeare, King Henry VIII, ed. J. Margeson (Cambridge: Cambridge University Press, 1990), 4-14. For the purposes of the present paper, the problem of authorship is irrelevant, therefore the name “Shakespeare”, as referring to the author of Henry VIII, is used without any hint at defining a specific attribution of the lines quoted. 7. 687, l. 23-7: “Richard Pace had his [Gardiner’s] position near him [the king], but he – oppressed by the too frequent and sometimes truly unnecessary embassies on which he was sent by Wolsey in order to keep him long far from the king – much suffered because of the exile from his country, which he bore so badly in his soul that a short time afterwards he went mad.” 8. Edward Halle. The Union of the Two Noble Families of Lancastre & York (London, 1550), fol. 180 v, l. 10-13. 9. 685, l. 9-13: “Later he thought to change his queen and to look for another whom he wanted to be similar to himself both in life and mores: although Queen Catherine did not offend or wronged the man, but she only hated his bad habits much and always admonished him benevolently to amend them with continence.” 10. 688, l. 17-21: “Wolsey, that sly man, perceived that Henry addressed his eyes to a certain girl named Anne, the daughter of the Viscount of Rochford Thomas Buleyn, who was one of the queen’s maids: then he was taken by very great concern, like a man able to foresee the future, that the king might marry her, in case of divorce.” 11. Suggesting Francis’s sister as a suitable wife for Henry, Wolsey describes her in these words (686, l. 8-10): “Est […] mulier praeter caeteras digna tuo matrimonio, soror Francisci regis Gallorum vidua, quae uxor fuit ducis Alansonij, aetate & virtute quamflorentissima” [“There is a lady worthy of becoming your wife more than all others; she is the sister of Francis king of France, an extremely noble and deserving young widow, who was the duke of Alançon’s wife.” 12. In a play which has been considered highly apologetic, these hints would be a further proof of Shakespeare’s ambivalent treatment of English history (especially if one considers that the subtitle of the play is All is True), here represented in its many-faceted reality and from different points of view. Cf. Paola Pugliatti, Shakespeare the Historian (Basingstoke: Macmillan, 1996) for a thorough discussion of Shakespeare’s practice and of his often “polyphonic” results in dealing with historical sources. 13. Pugliatti, in an article written before her volume on Shakespeare’s histories, suggested that "In the play Katherine undergoes an indirect course change: the slightly varied sequence of events which shows the king’s falling in love with Ann Boleyn previous to the divorce acts, besides acquitting Wolsey, makes the queen a victim of the king’s whims, rather than of any serious moral or political scruples of his.” (“Dalla cronaca al dramma storico: Henry VIII di Shakespeare.” Linguistica e letteratura, XI, 1-2, 1986, 19-45, 40; my translation). My suggestion is, however, that Shakespeare, on the contrary, insinuates the cardinal’s guilt. 14. 686, l. 8-10: “In marriage I have my wife Catherine, very dear to me because of both the extraordinary virtues of her soul, and the nobility of her family.” 15. 690, l. 6-9; my italics: “After the divorce caused by her husband, she went to the village of Bedford, to a royal mansion called Kymbalton, a less healthy place, where she led a saint life, extraordinarily armed with true patience.”

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16. 690, l. 17-29; my italics: “But Catherine, on the sixth day after [Eustachius Caputius’s visit], affected by her illness even more severely, when she felt death approaching, ordered one of her maids who was not illiterate to write two letters, one to the king, and the other to Eustachius, which she dictated herself using these words: My lord, king and husband always very dear to me, greetings. Now the hour of my death has arrived, and at this point of time love makes me remind you briefly of the safety of your soul, which you must consider before all other mortal affairs, after abandoning all preoccupations for your body because of which you threw me into a lot of misery and yourself into much anxiety. But I pardon you all this, and I would so much like God to pardon you, that I invoke him with pious prayers. For the rest, I entrust to you our mutual daughter, on whom I beseech you to bestow all the paternal care that I once I asked of you. Besides, I highly pray you that you take care of my maids and, in due time, you see to them being properly married; this is not much, since they are but three. And I also beseech you to give my servants their wages, and also for the year to come, out of your grace, benignity and liberality, in order for them not to appear abandoned and poor. Finally, I merely declare this: My eyes long for you only. Vale.” 17. “Her [Katherine’s] reception of the Emperor’s ambassador Caputius, her petitions and the simplicity of her last words keep close to the sources, but are raised to tragic dignity”, writes Bullough (op. cit., vol. IV, 447), but the only source mentioned in this case is Holinshed. 18. Roy Rosenstein, “From Polydore’s Richard II to Shakespeare’s Richard II: Ricardi Misera Mors et Mores”, in Polidoro Virgili e la cultura umanistica europea, ed. Rolando Bacchielli (Urbino: Accademia Raffaello, 2003), 109-42, 114. 19. The use of sources has been considered as a proof of authorship especially by Baldwin Maxwell (Studies in Beaumont, Fletcher, and Massinger. Chapel Hill: The University of North Carolina Press, 1939), who maintains that “a comparison of Henry VIII with its sources argues strongly against Fletcher’s participation” (58). The subtle elaboration of passages from Vergil’s Anglica Historia might be a further proof of Shakespeare’s authorship for the scenes dealt with in the present article.

ABSTRACTS

The sources for Shakespeare’s plays are collected in Geoffrey Bullough’s famous volumes, but, as far as Henry VIII is concerned, one of them – Polydore Vergil’s Anglica Historia – seems to have escaped scrutiny both by Bullough and by the editors of various modern editions of the play. On the contrary, Hay (translator of the Anglica Historia, 1950, and Vergil’s biographer) suggested, as long ago as 1952, that Shakespeare very probably read Vergil’s history when working at his last chronicle play. Following this hypothesis, the paper examines some points in the dramatic text where Vergil’s influence may be caught, either mediated through Holished’s history or derived from a direct reading of the Italian’s work. The sequence where this seems to happen in a fairly consistent way is IV.ii, when Queen Katherine appears on stage for the last time. Here the comparison between Vergil’s text and Shakespeare’s play seems to shed light towards the identification of the origin of certain details in the play which have so far gone unnoticed or underestimated.

Il est notoire que les sources des drames shakespeariens sont recueillies dans les volumes très célèbres – et à juste titre – édités par Geoffrey Bullough. Cependant – du moins en ce qui

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concerne Henry VIII – l’une d’entre elles a, semble-t-il, échappé à Bullough, tout comme aux éditeurs des éditions modernes de la pièce : il s’agit de l’Anglica Historia, par l’écrivain Urbinate Polidoro Virgili. Ce n’est tout de même pas un hasard si Denis Hay (biographe de Virgili, qui traduisit également, en 1950, l’Anglica Historia) signalait, dès 1952, qu’il est fort probable que Shakespeare ait puisé de nombreux éléments dans l’histoire de Virgili, à côté des matériaux que lui ont fournis les chroniques de Hall et de Holinshed, pour la rédaction de cette tragédie historique. À partir de cette hypothèse, l’article analyse certains passages dans lesquels on peut percevoir l’influence de Polidoro Virgili – que ce soit à travers la médiation de l’ouvrage de Holinshed ou par la connaissance directe de l’Urbinate de la part du dramaturge. La séquence dramatique où ceci est le plus évident est la IV.ii, au moment de la dernière apparition sur la scène de la reine Katherine. C’est dans ce cas que la confrontation directe entre des passages de Virgili et le drame de Shakespeare fait ressortir l’origine de certains détails textuels qui, jusqu’à présent, n’ont pas été pris en compte par la critique.

AUTHOR

ROBERTA MULLINI Professor of English Literature and of History of English Theatre at the University of Urbino (Italy), has published widely on late medieval and Renaissance English drama and theatre. She is also interested in theoretical issues connected with theatrical reception. She has written volumes on the poetry of the First World War (1977), on Shakespeare’s fools (1983 and 1997), on the material culture of the theatre (1992 and 2003), on early modern plays (1992), on John Heywood (1997), on David Lodge’s novels (2001). In 1995 she was “professeur invitée” at the Université François Rabelais in Tours. At present she is studying the possible influences of the relationships between the court of the Duke of Montefeltro (Urbino) and the court of Henry VIII on John Heywood’s plays.

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Shakespeare et la gravure morale de l’Europe du Nord

Josée Nuyts-Giornal

1 A la Renaissance, l’humanisme des pays de l’Europe du Nord avait donné naissance à des images que l’on retrouve en Angleterre dans le théâtre et les arts visuels. L’étude des liens entre l’humanisme, le théâtre et la littérature du XVIe siècle a donné lieu à de nombreuses publications récentes qui jettent un éclairage nouveau sur ces questions1. La gravure néerlandaise, véritable lexique des schémas majeurs de la pensée humaniste est, en effet, d’un secours précieux dans la mesure où elle est à même de révéler les faces inattendues de certaines tournures verbales courantes à l’époque. Le rôle de vecteur et de réceptacle de la pensée humaniste au sens large qu’occupe l’estampe néerlandaise est conforme au modèle de Fernand Braudel adopté par Peter Burke à propos d’aires d’influence et d’homogénéité culturelle2. L’univers pictural de Bruegel l’Ancien, de Cornélis Anthonisz, de Maarten van Heemskerck, et de David Vinckboons, parmi bien d’autres, porte en effet la marque du discours humaniste ambiant sur l’art visuel et les réjouissances populaires.

2 Au siècle dernier, l’interdépendance entre les moyens de communication verbaux et visuels au début de l’époque moderne fut l’objet d’un nombre important d’études. Dans le prolongement de l’œuvre d’Erwin Panofsky, Quentin Skinner part d’un cycle de fresques d’Ambrogio Lorenzetti afin de saisir les « idées en contexte » dans son essai d’histoire de la philosophie politique. L’essai présenta une double rupture méthodologique. Tout d’abord, il remit en cause la pré-éminence du texte dans l’histoire des idées, puis l’auteur y inversa la lecture traditionnelle de l’iconographie politique. En effet, ici, l’image conduit aux textes, car elle semble parfois mieux à même de rendre compte d’une tradition philosophique ou idéologique où se mêlèrent des apports théoriques en apparence dissemblables et disparates, en partie occultés aujourd’hui3. L’artiste apparaît ainsi en philosophe de son temps. Aussi, dans leur étude du texte shakespearien, Roland Mushat Frye, Rosemary Wright et John H. Astington ont-ils eu recours à certaines estampes choisies4. Alastair Fowler, dans un ouvrage plus récent, s’appuie sur l’art visuel afin de redéfinir les conventions d’un réalisme narratif propre à la Renaissance. Notre étude5, évoquant la gravure septentrionale en tant que

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phénomène, puis éclairant quelques thèmes majeurs, se situe dans cette lignée tout en renvoyant à ma thèse de doctorat sur la gravure néerlandaise et le drame élisabéthain, intitulée « Le miroir de la folie ».

3 L’extraordinaire engouement du XVIe siècle pour les estampes flamandes et néerlandaises, que relève par Anthony Wells-Cole dans son ouvrage, Art and Decoration in Elizabethan and Jacobean England, pourrait s’expliquer par le ton moralisateur caractéristique de la gravure de genre nordique : it may be that the moralizing overtones of many of them struck a sympathetic cord in English society. For after the abolition of the confessional at the Reformation, there was what has been described as a widespread conviction that the unaided protestant conscience was an inadequate sanction for morality6.

4 L’intensité morale des textes de John Skelton et de Sir Thomas Wyatt avait déjà été rapprochée de l’influence flamande par David Evett. George Kernodle, quant à lui, mentionne également une tendance moralisatrice similaire qui sévissait des deux côtés de la Manche.

5 Les références récurrentes à l’art pictural chez Shakespeare et ses contemporains témoignent de l'étendue de cette imagerie morale ainsi que de sa nature conventionnelle7, particulièrement bien exprimées dans les passages suivants : Who fears a sentence or an old man’s saw Shall by a painted cloth be kept in awe. The Rape of Lucrece, v. 244-245

ORLANDO. I answer you right painted cloth from whence you have studied your questions. As You Like It, III.i.268

6 L’étude de l’art pictural nordique semble dès lors particulièrement fondée dans l’analyse littéraire et vice-versa. Beaucoup d’articles et ouvrages concernent la tradition des emblèmes. Cependant les images morales auxquelles font référence Shakespeare ou John Donne semblent appartenir à un corpus moins tangible : tableaux, estampes sur feuille volante, tissus peints ou séries de « brave pictures8 », ornant l’intérieur des maisons comme dans certains tableaux de genre. Les images reproduites par Anthony Wells-Cole pourraient, en partie, constituer un tel corpus. Dans Cheap Print and Popular Piety, 1550-1640, Tessa Watt tente d’imaginer une taverne métaphorique selon les théories mnémotechniques décrites par Francis Yates9. L’auteur admet cependant aussitôt que la dominante pieuse du modèle obtenu est sans doute exagérée. Car n’y figurent plus les images moins respectables et, de ce fait, moins respectées, qui n’ont donc pas survécu aux aléas du temps. Le témoignage de l’historien d’art Ger Luijten va également dans ce sens, à l’aide de l’exemple révélateur de l’inventaire d’un chargement de gravures en partance vers un comptoir hollandais en 1600. Aux côtés d’une majorité de scènes profanes, estampes de Jaques de Gheyn et un fils prodigue de Karel van Mander, on trouve en effet « a remarkable number of fools, drunkards and peasants, together with women depicted in an unflattering light10 ». S’agit-il ici des « drolleries » que Falstaff apprécie sur un mur de taverne, terme également employé pour désigner les estampes satiriques de Bruegel l’ancien ? Dans Satyre IIII, John Donne semble effectivement faire référence à ce type d’images caractéristiques de l’estampe de genre des pays du Nord : To teach by painting drunkards, doth not last Now Aretine’s pictures have made few chaste ;

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No more can Princes courts, though there be few, Better pictures of vice teach me virtue11.

7 Dans Summer’s Last Will and Testament, Thomas Nashe fait également une allusion ironique à ce type de contre-exemple ou negative self-definition : Drunkennesse of his good behaviour Hath testimonial from where he was borne : That pleasant worke de arte bibendi, A drunken Dutchman spued out a few years since… (1404-07)12

8 De la même manière, la récurrence de certains thèmes et motifs propres à l’art pictural dans le texte shakespearien permet de faire entrevoir une morale par le biais de perspectives parfois obliques.

9 Même si une certaine réticence subsiste du fait de l’excès des commentaires sur le détail symbolique, critiques et historiens d’art concèdent aujourd’hui que la gravure et la peinture de genre, objet de lassitude chez Donne, contiennent des admonitions morales. Le concept du miroir de la folie auquel se réfère le poète est essentiel dans l’art graphique du nord à partir du XVe siècle, et offre de nombreux points de convergence avec le théâtre séculier de la même époque. La tradition iconographique médiévale était en partie issue des illustrations des dix commandements. Ces images fondées sur la négation, « tu ne tueras point, tu ne convoiteras point », représentaient les ignominies à éviter, tout en suscitant par là même un goût certain pour des scènes de transgression et d’excès. Ainsi, si les représentations du fils prodigue montraient tout d’abord les différents épisodes de la fable avec une attention égale, au XVIe siècle, les scènes de taverne présentant le protagoniste en compagnie d’êtres dissolus prirent progressivement le pas sur les scènes de punition et de repentance, et cela dans l’art pictural comme sur la scène théâtrale. À partir de 1530, la vie dissolue du Prodigue était établie comme un sujet indépendant, l’image de repentance, parfois reléguée à l’arrière-plan, restant cependant sous-entendue13. À la même époque, le motif iconographique des compagnies joyeuses ou « merry companies », sans lien direct avec la parabole biblique, voit le jour. Le Banquet nocturne d’après Joos van Winghe, rappelant les paroles de John Donne dans Satyre IIII en est un exemple (ill. I).

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I Banquet Nocturne avec masquarade, 1588, Johannes Sadeler d’après Joos van Winghe (Rijksprentenkabinet, Cabinet d’estampes, Amsterdam).

10 Ces images satiriques de la folie humaine se trouvent dans la lignée des pécheurs joyeux, sur une barque ou sur une meule de foin dépeints par Jérôme Bosch. Ces images allégoriques sont fondées sur un écart ironique entre l’image et sa lecture. Par cette double perspective inhérente à ces représentations singulières, l’image de la folie se condamne elle-même, l’expiation dans l’autre monde étant inévitable. Le jugement moral est parfois figuré par un bouffon, observateur et commentateur goguenard de la scène représentée, comme dans le Fils Prodigue d’après Karel van Mander (ill. II).

II Le Fils prodigue avec bouffon, 1596, Karel van Mander (Rijksprentenkabinet, Cabinet d’estampes, Amsterdam).

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11 D’une manière ironique, les apartés du bouffon rappellent le beschouwer ou spreker habillant de son commentaire les scènes allégoriques des processions de rue. Des exemples de ce phénomène de lecture de l’image de la folie sont récurrents chez Shakespeare. Ainsi, dans All’s Well That Ends Well, Bertram s’exclame, confronté au comportement affligeant de l’impénitent Parolles : « I know his brains are forfeit to the next tile that falls » (IV.iii.177)14. Ce passage est par ailleurs situé par le dramaturge dans un contexte d’estampe de genre par son intitulé : « dialogue between the Fool and the Soldier » (IV.iii.101). Falstaff, stéréotype du vieux et sot pécheur également présent dans l’estampe de genre, est condamné de façon similaire dans l’épilogue de 2 Henry IV : « Where, for anything I know, Falstaff shall die of a sweat, unless already a be killed with your hard opinions. »

12 Au XVIe siècle un certain conservatisme règne dans la représentation iconographique des motifs et concepts moraux. La réimpression de planches d’artistes du XVe et XVIe siècles jusqu’au XVIIe siècle a indéniablement contribué à cet effet, mais il y avait également une importante continuité thématique. Le propos moral exprimé dans des séries de gravures telle que Sinful Mankind before and After the Flood, de Jan Sadeler I d’après Dirk Barendsz, semble faire écho aux commentaires de certains protagonistes shakespeariens, comme les craintes exprimées par le roi Henri IV à propos du comportement à venir de son fils : « commit the oldest sins the newest kind of ways ? » (IV.iv.125-28)15. Le topos du miroir de la folie avec ses ramifications thématiques, comme les gravures de proverbes de Bruegel l’Ancien, appelé aussi monde à l’envers, participe de ce que Paul Zumthor appelle « une emblématique sociale16 ». Discours éthique fondé sur le lieu commun, la sagesse proverbiale et le folklore populaire s’y mêlent aux exempla moraux classiques un peu à la manière des marginalia dans les livres d’emblèmes.

13 Dans sa traduction de l’ouvrage de Sebastian Brant, The Shyp of Folys of the World (1509), Alexander Barclay expose l’idée commune de miroir moral « for man to behold his life and misgoverned manners », dont les réminiscences subsistent dans la présentation du personnage Shakespearien d’Antony : « The triple pillar of the world transformed into a strumpet’s fool. Behold and see » (I.i.12). The Anatomy of Melancholy est fondée sur le même principe ayant envahi le discours humaniste septentrional à la Renaissance. En effet, Robert Burton invite le lecteur à se reconnaître dans le portrait d’un aliéné17. Cependant, lorsque John Milton loua Edmund Spenser pour la valeur didactique de sa poésie visuelle, surpassant l’enseignement de Jean Duns Scot ou de Thomas d’Aquin, en ayant peint les dangers de la luxure dans les jardins d’Acrasia pour que Guyon « might see and know, and yet abstain18 », l’argument avait déjà été subverti. Ainsi, dans A Trick to Catch the Old One, Thomas Middleton adapta l’idée afin qu’elle convienne à la Courtisane : « She that knows sin knows best how to hate sin. » Les scènes de taverne dans les deux parties d’Henry IV devraient sans doute être lues sous l’angle d’une éducation humaniste du Prince19, bien que quelques libertés semblent avoir été prises avec le concept de départ. Le dramaturge paraît faire écho à la polémique contemporaine concernant le théâtre et les arts visuels, qui portait sur la qualité édifiante des images d’excès ou, au contraire, la nature contagieuse de leur vivacité.

14 Les voies de la sagesse, tracées par les humanistes du Nord, semblent tout d’abord emprunter le chemin médiéval vers la rédemption. Mais l’équation traditionnelle entre péché et folie se trouva singulièrement amplifiée20. La fascination exercée par l’idée de

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la folie dans les cercles d’Érasme et de Thomas More donna lieu à une dialectique complexe, proche de celle des mock encomia exemplifiée par L’Éloge de la folie. Ce discours est fondé sur une vision ironique de l’humanité au cœur duquel se trouva la maxime de Sénèque, « When I wish to see a fool, I reflect upon myself, and there I have him », illustrée par Hans Holbein, dans la marge de l’Éloge, et citée par Robert Burton21. Le thème, constitutif d’une grande partie des gravures morales du Nord, se retrouve dans les comédies et tragédies de Shakespeare. Sans relâche, les protagonistes shakespeariens se voient confrontés à cette vérité première qu’est leur folie et celle de tous les hommes d’une manière ironique ou tragique. Dans Love’s Labour’s Lost, le dramaturge reprend l’image drolatique assez courante dans les arts visuels, présentant plusieurs fous narquois dévisageant le spectateur, obligé à se reconnaître comme étant le fou manquant dans le tableau. « That you three fools lack’d me fool to make up the mess » (IV.iii.202)22. Le tempérament mélancolique mais facétieux de la Renaissance du Nord semble avoir uni l’adage de Socrate sur la nécessaire connaissance de soi, jusque- là correctement interprétée comme ayant trait aux capacités personnelles et position, et la maxime de Sénèque23. Dès lors, la seule connaissance significative accessible à l’homme est : « Know thyself to be a fool24 », ellipse pénétrante mais tragique dont le texte dramatique porte la trace. Elle constitue la plaisanterie dont Jaques est le dupe dans As You Like It, invitant à l’épreuve à laquelle sera soumis Hamlet, puis elle paraît au travers de la lamentation finale de Macbeth.

15 L’antagonisme habituel entre vices et vertus, représenté dans les psychomachia de Prudence se trouva supplanté par la moriomachie, sujet récurrent dans l’art graphique. Ainsi, la Stultorum chorea de Frans Hogenberg, ou la Fête des fous d’après Bruegel l’Ancien. L’estampe attribuée à Bruegel montre une multitude de fous se moquant les uns des autres et rappelle la devise des sociétés de fous ou fraternités de la barque bleue du continent de la fin du XVe siècle : Stultorum numerus est infinitus. Ce thème visuel est repris jusqu’au XVIIe siècle, ainsi dans la gravure de Hendrick Hondius datant de 1642 (ill. III).

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III Trois bouffons, Hendrick Hondius d’après Bruegel l’Ancien (Musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam).

16 En Angleterre, Cock Lorrel’s Bote, XX Orders of Fooles (1569-70), puis A New Ballad against Unthrifts, semblent fondés sur le même motif. All Fools (1599) de George Chapman est composé sur un ton satirique similaire, et propose une galerie de fous que le public est convié à rejoindre à la fin, à la manière des estampes facétieuses mentionnées. Évocatrice des satiristes classiques25, fréquemment invoqués afin de justifier ces portraits discourtois, la satire humaniste dessine les incartades de l’homme dans le dessein de tester la conscience morale, ou à défaut l’esprit / wit du public. À cet égard, le genre honorait Horace et la vertu réconciliée avec le plaisir, commenté de façon exhaustive à la Renaissance. Dans Theatre and Humanism, Kent Cartwright cite un critique contemporain proclamant, à l’instar d’Érasme, que les spectateurs ne devraient pas oublier leur jugement éthique lorsqu’ils se rendent au théâtre26. Le public élisabéthain était censé reconnaître les allusions et références aux motifs et concepts moraux communs à l’art pictural et à la littérature afin de deviner la perspective morale correcte. Ce principe humaniste semble clairement démontré dans le prologue à Summer’s Last Will and Testament : « Moralizers, you that wrest a never-meant meaning out of everything, applying all things to present time, keep your attention for the common stage, for here are no quips in characters for you to read27. » La pièce de Thomas Nashe, fondée sur le lieu commun moral, fournit un inventaire ironique mais utile des motifs les plus récurrents, même si cela est tout naturellement nié par le bouffon.

17 De façon similaire, le texte de Shakespeare fait de multiples références à l’imagerie morale. Cependant, à travers ses emprunts burlesques ou subvertis, le dramaturge se moque parfois de leur nature conventionnelle et éclaire la limite de leurs réponses édifiantes. Afin de saisir ces états d’âme, souvent fondés sur l’écart par rapport à l’attendu, une connaissance des motifs initiaux semble requise. L’art de la perception

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demandée est proche du discernement contextuel nécessaire à la lecture de certains tableaux de genre néerlandais, conçus comme un puzzle moral dont la nature évasive continue à défier les historiens d’art de notre époque. Un résumé succinct de quelques motifs moraux ayant cours et leur utilisation par le dramaturge peut donner une idée des parallèles éclairants entre concepts visuels et le texte dramatique.

18 Le motif populaire du bouffon dans l’art graphique et dans la littérature, tel le bouffon observateur dans le Fils Prodigue de Karel Van Mander (ill. II) ou dans le dessin d’Holbein, a déjà été relevé brièvement. Beaucoup de bouffons shakespeariens reflètent les traits de leurs doubles graphiques28. Le bouffon en tant que commentateur ou persona satirique a été étudié de façon étendue sous l’angle des traités humanistes. Cet argument majeur chez Shakespeare lié à celui de la moriomachie ou « great stage of fools » avait un corollaire pictural important également présent dans les écrits du dramaturge, la folie de la vertu. En effet, les aléas de certains des héros mais surtout des héroïnes shakespeariennes reflètent les représentations picturales de la folie de la vertu. Les considérations graphiques peu flatteuses de Dame Monde se trouvaient contrebalancées par les images des vertus guères appréciées dans son royaume29. Ainsi, Cordelia « redeems human nature from the general curse » (King Lear, IV.v.201). Le motif iconographique des vertus malmenées ou en exil était commun au XVIe siècle30. Conséquence tragique des aspects immoraux du monde à l’envers, le concept était appliqué à un nombre considérable de vertus depuis les temps classiques31. La négligence ou le mépris des vertus et le péril auquel, par conséquent, elles sont soumises est un topos shakespearien important. Le bouffon du roi Lear utilise l’image de la Vérité malmenée (I.iv.109). Dans Pericles, le dramaturge semble se moquer de la propension contemporaine pour l’aphorisme moral ou « pretty moral ». Le quiproquo crée entre Périclès et les pêcheurs à propos d’une autre vertu, l’Honnêteté, dont, dans ce bas monde, on préfère ne laisser le soin à personne, repose sur une certaine familiarité avec la sagesse proverbiale et picturale du moment32. Dans ses pièces, Shakespeare décrit certains de ses protagonistes comme étant trop nobles pour ce monde. Ces « moral » ou « poor fools », comme dans King Lear, persistent à vouloir écouter leur conscience envers et contre le courant des valeurs mondaines. Aussi, sans toujours épouser exactement les contours d’une vertu personnifiée, leur situation proverbialement délicate est systématiquement évoquée33. Celle-ci fait parfois partie de l’intrigue choisie. En effet, dans Othello, Iago se sert de la bonté de Desdémone afin d’obtenir la perte du général. « So will I turn her virtue into pitch, And out of her own goodness make the net that shall enmesh them all » (II.iii.351). Le lieu commun moral est cité de façon exhaustive dans Macbeth. Ainsi, Lady Macduff est amenée à tirer la conclusion suivante : LADY MACD. I remember now. I am in this earthly world, where to do harm is often laudable, to do good sometime accounted dangerous folly. (IV.ii.74)

19 La leçon de morale à l’intention de son fils, traitant des menteurs et de gens honnêtes précédant cette réplique, avait reçu comme réponse une variante sinistre du Stultorum numerus est infinitas. En effet, le garçon fait remarquer que par rapport aux gens honnêtes les menteurs sont largement en surnombre.

20 Comme la devinette du Bouffon dans King Lear l’indique, le concept de la folie de la vertu divise l’humanité entre les deux figures emblématiques que sont le knave et le

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fool. Une gravure d’après Bruegel l’Ancien, le Misanthrope (ill. VI), faisant partie d’une série de proverbes en tondo, propose une lecture similaire.

VI Le misanthrope, proverbe en tondo, d’après Bruegel l’Ancien (Rijksprentenkabinet, Cabinet d’estampes, Amsterdam).

21 Une figure solitaire portant un long manteau tourne le dos au monde tandis qu’une figure courbée dans le globe terrestre lui vole sa bourse. Le personnage courbé était déjà représenté dans Les Proverbes ou le Monde à l’envers (1559), illustrant l’idée qu’il faut savoir se courber afin de traverser le monde où la droiture n’est pas de mise. Écho du « praise in the art of stouping » dans Summer’s Last Will and Testament, l’image illustre également les observations ironiques de la part de Shakespeare tel que « false hearts should never have sound legs or supple knees34 » dénonçant le comportement fourbe des flatteurs. La silhouette mélancolique dans la gravure est en deuil de voir le monde qui en tant de fraudes abonde. Geffrey Whitney emploie une image similaire dans A Choice of Emblems (1586). Un promeneur solitaire tourne le dos au monde accompagné du texte suivant : « Adue deceiptful worlde, thy pleasures I detest ». La droiture dans l’art graphique figurait un comportement vertueux et honnête, attitude que le Bouffon conseille aux Knaves d’éviter, seuls les fous encombrés d’une conscience morale ne peuvent s’empêcher d’être vertueux35. Comme Bruegel l’Ancien, Shakespeare semble suggérer que ceux souhaitant être vertueux ne pouvaient ignorer un Monde fallacieux. Ainsi, « virtue itself of vice must pardon beg » (Hamlet, III.iv.153).

22 Érasme paracheva son Éloge de la folie avec la folie de la foi selon saint Paul. Les représentations des vertus exilées ou malmenées rappellent les Ecce Homo de Jérôme Bosch, où le Christ est montré cerné par la multitude sardonique. Le paradoxe chrétien oppose valeurs mondaines et essence divine. La pompe et les apparences du monde temporel se révélaient n’être rien du point de vue sub specie aeternitatis. Mais cette position privilégiée accordée aux spectateurs des Corpus Christi Plays semble perdre

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progressivement de son évidence morale artificielle. L’ambiguïté et l’équivoque facétieuse du discours et de l’imagerie humaniste36 traduisent le doute et l’incertitude d’un XVIe siècle en proie aux bouleversements religieux. Dans une série d’estampes, Maarten van Heemskerck dépeint le monde comme un cheval sans bride désarçonnant la Justice, puis entraînant dans sa perte l’Amour et la Sagesse coiffés d’un bonnet d’âne, qui tentent de le retenir37. L’estampe Elck ou Chacun/Everyman (1561), d’après Bruegel l’Ancien (ill. VII), montre l’aveuglante obsession matérialiste de l’homme comme étant la principale raison de la course folle du Monde38.

VII Elck ou Chascun, H. Cock d’après Bruegel l’Ancien (Musée Boijmans van Beuningen, Rotterdam).

23 Ce que recherche fébrilement Chacun encombré de ballots parmi des tas de marchandises, c’est le privatum commodum. Les lunettes et la lanterne que porte Chacun dénotent sa folie. Shakespeare emploie le même propos dans King John, lorsque Philip the Bastard donne une description très précise de « commodity – the bias of a mad world » (II.i.562-599), même si le protagoniste reconnaît de façon ironique que son indignation moraliste provient du fait qu’il n’a pas sa part des richesses.

24 Un thème pictural et littéraire lié à la précédente se retrouve à maintes reprises chez le dramaturge. Il s’agit du cycle des vicissitudes humaines. Maarten van Heemskerck a illustré le concept dans une série de gravures somptueuses (ill. IV)39.

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IV De la richesse naît l’orgueil dans la série Le Cycle des agissements humains, d’après Maarten van Heemskerck (Rijksprentenkabinet, Cabinet d’estampes, Amsterdam).

25 Ses dessins étaient destinés à servir de modèle pour une procession organisée par la chambre des rhétoriciens d’Anvers en 1561. La série propose une somme complexe des agissements humains traversant sept phases différentes. De la Prospérité procède l’Orgueil, de l’Orgueil procède l’Envie, de L’Envie procède la Guerre, de la Guerre procède la Pauvreté, de la Pauvreté procède l’Humilité, de l’Humilité procède la Paix et de la Paix procède la Prospérité. Les personnifications sont dépeintes presque littéralement comme engendrant leurs successeurs. Également appelé le Cycle de la Guerre et de la Paix, la série de Heemskerck illustre l’image exprimée dans Timon of Athens : « Make war breed peace, make peace stint war » (V.iv.80). La première gravure d’une série sur le thème d’après Jacques de Gheyn, dévoile la relation que le concept entretient avec le motif traditionnel de la roue de la Fortune (ill. V).

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V Omnium rerum vicissitudo est, 1597, Zacharias Dolendo d’après Jacques de Geyhn (Cabinet d’estampes de l’Université de Leiden).

26 Cornélis Anthonisz illustra le propos dans une suite de douze personnifications, appelé The Misuse of Prosperity. Argument fort apprécié, Hans Holbein l’adapta dans deux tableaux allégoriques, Le Triomphe de la Pauvreté et Le Triomphe de la Prospérité, destinées au Merchants Hall à Londres, desquels subsistent un dessin et quelques copies. À travers le vœu pieu des marchands, exprimant le désir de retenir la Prospérité en équilibre, apparaît la dénégation ironique de l’artiste.

27 Il semblerait que les gravures détaillées consacrées au thème permettent de mieux appréhender ses récurrences dans le texte dramatique, que les traités et textes connus sur le sujet40. Ainsi, Shakespeare donne une caricature indubitable du concept dans Coriolanus. La Paix y est décrite comme une léthargie engendrant rimailleurs, enfants bâtards et cocus. Ce qui constitue un résumé ironique mais à peu près exact des dessins de Maarten van Heemskerk. Le passage se parachève sur un épitomé du thème, « The wars for my money » (IV.v.218). Une description plus orthodoxe est proposée dans Pericles, concluant avec l’admonition de ne pas abuser de « plenty’s cup » (II.iv.21-55). Mais le concept figuré par les estampes permet également d’éclairer certains passages ambigus comme « Welcome to the sour cup of prosperity. / Affliction may one day smile again, / till then sit thee down sorrow » (Love’s Labours Lost, I .i.287) ou plus simplement les « fat ribs of peace » (King John, III.iii.8). Des allusions isolées au motif connu sont récurrentes41. Dans Hamlet « in the fatness of these pursy times » (III.iv.152) et son écho plus loin « This is the imposthume of much wealth and peace », concourent à instaurer l’impression de décrépitude morale environnante habitant le protagoniste. Shakespeare pousse jusqu’à l’exacerbation la pensée et les conventions morales humanistes dans son portrait du Prince mélancolique. La plupart des textes shakespeariens portent la trace d’une vision du monde empreinte de scepticisme

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humaniste, monde à l’envers présent dans la gravure morale, exposant ses côtés tantôt burlesques tantôt tragiques. Cependant, malgré la myriade de miroirs lui renvoyant sa folie et sa fragilité, la question renaissante de la responsabilité de l’homme reste posée. Images et thèmes mentionnés jusqu’ici aideront à aborder cette pièce sous l’angle de la gravure morale.

28 Dans l’imagerie humaniste, le bouffon est sage car il confesse sa propre folie. Le fait d’être « deprived of ordinary sense and reason », comme le poète dans la satire Mother Hubbards Tale, lui donne la licence de pointer et réprimander la folie cachée chez d’autres. Dans l’estampe de Hondius d’après Bruegel l’Ancien (ill. III), deux bouffons s’amusent tandis qu’un troisième se tient prêt à utiliser une poignée de cravaches, illustrant l’idée que la folie se châtie elle-même. David Vinckboons dessina un autre bouffon cruel frappant les spectateurs d’une scène de théâtre avec une marotte ou vessie dans un tableau de kermesse, rappelant littéralement Shakespeare dans As You Like It : He that a fool doth very wisely hit Doth very foolishly, although he smart, Seem aught but senseless of the bob. If not, The wise man’s folly is anatomiz’d (II.vii.50-6)

29 Hamlet utilise ce propos particulier afin de justifier la pièce dans la pièce, The Mousetrap, aux yeux de Claudius42. Cependant, si le miroir de la folie tend initialement vers une réforme sociale, le lieu commun de la folie universelle mène in fine vers une dislocation de tout savoir humain, le discours satirique humaniste y compris43. En effet, la satire morale contient une faille conséquente, la vision humaine inepte de celui qui la pratique44. Dans l’art pictural comme dans l’art littéraire, des troubles de la vision, scornful ou warped perspective, squint-eyed soul liée aux valeurs mondaines étaient habituellement invoqués afin d’expliquer les conclusions moralement erronées des protagonistes45. De là, les lunettes de Chacun dans l’estampe attribuée à Bruegel (ill. VII). Ce dernier a su répondre de façon ingénieuse à la question profondément aliénante sur la faillibilité de la perception humaine. Dans un petit tableau à l’arrière-plan de Elck, l’artiste a dessiné un bouffon, nommé Niemat, Nemo, ou Nobody se contemplant dans un miroir portant l’inscription : « Nobody knows himself. » Aucun homme n’est conscient de ses imperfections face à la perfection de Dieu. Le miroir reflète l’idée mystique du rien, l’essence divine dont tout homme est dépositaire selon la foi chrétienne46.

30 Ainsi, Hamlet est destiné à devenir son propre traître, en écho au « merely our own traitors » dans All’s Well That Ends Well, même si le dramaturge semble de prime abord attribuer le rôle d’observateur humaniste privilégié à son protagoniste. En effet, le héros humaniste est conscient de sa propre faillibilité, prêt à se reconnaître dans une femme peu courageuse en proie au doute, conscient d’un monde fait d’apparences fallacieuses. En tous les cas, Hamlet semble bien s’attribuer ce rôle en endossant l’habit du fou. Le Prince mélancolique va prétendre être tendre (« kind ») tout en étant cruel, confrontant ses victimes à leur folie pour qu’elles puissent s’amender à la manière des bouffons cruels de l’art pictural. Mais Hamlet oublie que la folie que vient dénoncer le fou est d’abord la sienne. Ainsi, Hamlet sera le meurtrier d’un père et sacrifiera « the fair forehead of an innocent love and sets a blister there », l’amour entre lui et Ophélie, traitant la vertu d’hypocrite (III.iv.41-44). Le méprisant « thou wretched, rash intruding fool » à l’adresse de Polonius poignardé peut légitimement lui être retourné. Hamlet partage certains de ses traits avec Jaques dans As You Like It. Car, malgré sa réticence affichée, il estime être né pour mettre les choses à l’endroit. « Oh cursed spite / That

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ever I was born to set it right ! », ce qui semble bien la première indication sérieuse de sa folie. Par la suite, le Prince est prisonnier de sa perception subjective des choses, incapable de faire la différence entre un pécheur pénitent et son oncle déjà condamné, puis entre sa mère et la vertueuse Ophélie. Hamlet, au premier abord lucide, est entraîné malgré lui dans les excès de sa disposition mélancolique. Celle-ci finit par l’aveugler, alors, tel Bertram, le prince souffre d’une « scornful perspective ». Ainsi, Bruegel dépeint la figure solitaire du Misanthrope portant son regard sur ce bas monde et ne daignant pas lever les yeux vers le ciel (ill. VI). De manière similaire, Hamlet ignore la vertu et l’essence divine dont chaque homme est dépositaire tout comme la Providence. Dans la pièce de Shakespeare, les conceptions éthiques erronées d’Hamlet précipitent la tragédie.

31 L’évolution morale du protagoniste semble ensuite indiquée par l’image de son retour « dénudé » sur les rivages de Danemark. En effet, la lettre d’Hamlet est lue par Claudius « You shall know I am set naked unto your kingdom », après quoi le Roi répète le terme naked suivi de près d’un « can you devise me ? ». Une allusion probable au nuditas temporalis, dénué de toute possession et attachement temporel, figuré par Nobody, condition qui mène vers la vérité, souvent représentée nue. Le thème figure également dans une série d’estampes appelée L’échelle de Jacob d’après Maarten van Heemskerck. Un homme nu conscient de ses errements se contemple dans un miroir, une poignée de verges à la main. Ainsi, Hamlet a abandonné l’habit du fou. Dès lors, la signification première de la scène du cimetière ne semble pas tant l’idée commune du memento mori, ou quintessence of dust, symbolisé par le jeune homme avec le crâne, mais l’allusion à la moriomachie. Aussi, il est cocasse qu’Hamlet ne reconnaisse pas le crâne de Yorick. N’importe quel crâne, y compris celui d’un grand homme (Alexandre, Jules César) peut donc être le crâne d’un bouffon. Dans une réplique facétieuse, le clown avait déjà conclu que la folie d’Hamlet ne se verrait pas en Angleterre car les hommes y sont aussi fous que lui (V.i.151). Lorsque Hamlet faisait semblant d’être fou, il souffrait déjà de la folie de tous les hommes, mais préférait l’ignorer47. Désormais, « to know a man well were to know himself », mais il y a une providence particulière même dans la chute d’un moineau48. Shakespeare semble démontrer la conscience de la folie comme un des chemins possibles vers la rédemption. Après ce portrait moral d’un prince mélancolique, le dramaturge dépeint un misanthrope, un vieillard sénile, suivi des portraits d’un tyran sanguinaire puis d’un libertin avec sa concubine afin de convaincre de cette condition commune. Cependant, dans les pièces ultérieures, le désarroi aigu d’Hamlet semble faire place à plus de compassion, et, dans l’épilogue de The Tempest, l’auteur invite chacun à faire de même : As you from crimes would pardoned be, Let your indulgence set me free. (Épilogue, 19-20)

32 Dans le domaine de l’art pictural comme dans celui de l’art dramatique, le discours moral se trouve travesti par le plaisir du regard et par le goût pour les sous-entendus malicieux ou tragiques. La multiplicité des détails souvent déroutants continue cependant à conférer une heureuse confusion qui se prolonge dans les jeux dramatiques par de multiples diffractions du sens, raillant par avance toute tentative d’explication systématique et épousant par là même la figure polyédrique de la vérité tant recherchée.

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NOTES

1. Kent Cartwright, Theatre and Humanism, English Drama in the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1999 ; Robert Bennet, Romance and Reformation, The Erasmian Spirit of Shakespeare’s Measure for Measure, Newark / Londres, University of Delaware Press, Associated University Presses, 2000. 2. Peter Burke, Antwerp, A Metropolis in Comparative Perspective, Anvers, Martial & Snoeck, 1993. 3. Quentin Skinner, L’artiste en philosophe politique, Ambrogio Lorenzetti et le Bon Gouvernement, trad. Rosine Christin, Paris, Raisons d’Agir, Cours et Travaux, 2003, p. 11, 1re éd. Ambrogio Lorenzetti : The Artist as a Political Philosopher, New York, Barnes and Noble, 1986. 4. Roland Mushat Frye, « Ladies, Gentlemen, and Skulls : Hamlet and the Iconographic Traditions », Shakespeare Quarterly, vol. 30, n°1, hiver 1979, p. 15-28 ; Rosemary Wright, « Prospero’s Lime Tree and the Pursuit of Vanitas », Shakespeare Survey, 37, 1984 ; John H. Astington, « Three Shakespearean Prints », Shakespeare Quarterly, vol. 47, n°2, été 1996, p. 178-189. 5. Elle n’aborde pas la recherche d’images sources telle qu’elle a été entreprise par Anthony Wells-Cole, entre autres, et telle qu’elle a été relevée par Tessa Watt à propos des estampes sources d’inspiration pour le « painted cloth », un autre sujet passionnant. 6. Anthony Wells-Cole, Art and Decoration in Elizabethan and Jacobean England, New Haven, Yale University Press, 1998, p. 300. 7. « A thousand moral paintings I can show » (Timon of Athens, I.i.91). 8. Ben Jonson, Bartholomew Fair, (III.v), Complete Plays, Londres, Everyman’s Library, 1969. 9. Tessa Watt, Cheap Print and Popular Piety, 1550-1640, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 332. Francis A. Yates, L’art de la mémoire, 1er éd. 1966, trad. Daniel Arasse, Paris, Gallimard, 1975. 10. Dawn of the Golden Age, Northern Netherlandish Art, 1580-1620, Catalogue Rijksmuseum Amsterdam, Waanders, Zwolle, 1994, p. 183. 11. John Donne, Satyre IIII, 69-72, The Works of John Donne, coll. The Wordsworth Poetry Library, Londres, Wordsworth Editions, 1994. 12. The Works of Thomas Nashe, éd. Ronald B. McKerrow, vol. III, Oxford, Basil Blackwell, 1966. Référence possible à l’ouvrage Drunkardes mentionné dans English Woodcuts 1480-1535, Oxford, Edward Hodnett, 1973, p. 65-66. Le livre hollandais fut traduit en anglais en 1523, et comportait 17 gravures sur bois illustrant des scènes de l’Ancien Testament afin d’illustrer une morale de tempérance. 13. Dans A Mad World, My Masters, Thomas Middleton semble donner un commentaire burlesque sur cette tendance : « The curtains were wrought in Venice with the story of the Prodigal child in silk and gold ; only the swine were left out for spoiling the curtains » (III.ii.5-8). 14. Dans A Choice of Emblems (1586) de Geffrey Whitney, le comportement dissolu d’une jeune femme jouant aux dés, est puni de façon similaire : « But loe a tyle upon her head did fall » (A Choice of Emblemes, Aldershot, Scolar Press, 1989, intr. John Manning).

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15. « PRINCE HALL. I am now of all humours that have showed themselves humours since the old days of goodman Adam to the pupil-age of this present twelve o’clock at midnight » (II.iv.94-6) in The Oxford Shakespeare, The Complete Works, éd. Stanley Wells, Gary Taylor, Oxford, Clarendon Press, 1994. 16. Paul Zumthor, Le Masque et la Lumière, Paris, Seuil, 1978, p. 153. 17. Robert Burton, « Argument of the Frontispice », The Anatomy of Melancholy, 1e éd. 1621, Londres, Holbrook Jackson, 1977. 18. John Milton, Aeropagitica, 100-107, in Selected Shorter Poems and Prose, Londres, Routledge, 1988, (1e éd. 1644). 19. Josée Nuyts-Giornal, « Henri V ou l’entre-deux songes, portrait d’un prince humaniste », Théâtres du Monde, n° 12, Avignon, Université d’Avignon, 2002, p. 65-84. 20. La conception médiévale du Mal se mue en la conception humaniste de la déraison de l’homme, dont le libre arbitre n’est pas exclu. Ainsi le concept rentre dans le domaine de la connaissance et devient le postulat à partir duquel l’homme va penser sa vérité. Voir Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972, p. 24-25 ; Jean-Claude Margolin, Érasme, Œuvres choisies, Paris, Laffont, 1992, p. cxvii ; Shakespeare, Comment le Mal vient aux Hommes, Actes du Congrès 1997, éd. Patricia Dorval, dir. Jean-Marie Maguin, Paris, Société Française Shakespeare, 1997. 21. Robert Burton, « Democritus to the Reader », The Anatomy of Melancholy, Londres, Holbrook Jackson, 1977, p. 77. 22. Cf. aussi Twelfth Night, (II.iii.10-16). 23. Ainsi, Robert Ascham relève « That wise proverbe of Apollo, Knowe Thyselve : that is to saye learne to knowe, what thou arte able fitte and apt unto, and follow that » (Toxophilus, 1545, p. 155). Voir Morris Palmer Tilley, A Dictionary of Proverbs in England in the 16th and 17th centuries, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1966. 24. « The wise man knows himself to be a fool » (As You Like It, V.i.30). Dans Coriolanus, le dramaturge décrit la figure de façon détaillée. En effet, Menenius souhaite que les magistrats romains se soumettent à un exercice poussé d’introspection : « O that you could turn your eyes to the napes of your necks, and make but an interior survey of your good selves ! Oh that you could ! then you should discover a brace of unmeriting F0 F0 proud, violent, testy magistrates-alias fools— 5B …5D You know neither me, yourselves or anything » (II.i.36-75). 25. Théophraste, Caractères ou Juvénal. 26. Kent Cartwright, op. cit., p. 195. 27. Thomas Nashe, Prologue, Summer’s Last Will and Testament, in The Works of Thomas Nashe, vol. 3, éd. Ronald B. Mckerrow, Oxford, Basil Blackwell, 1966. 28. Josée Nuyts-Giornal, « Le Miroir de la folie, La gravure néerlandaise et le drame élisabéthain », Thèse de doctorat de l’Université Paul Valéry-Montpellier III, 1998, chap. III. 29. Voir par exemple Danse autour du Monde de Pieter Balten, rappelant Stultorum Chorea de Frans Hogenberg, proche des représentations de danseurs de morisque ; ou Dame Monde de Crispijn de Passe, 1599. 30. Op.cit. n° 28, p. 239-242. 31. Dans Concord, Peace and Love, une gravure sur bois de Cornélis Anthonisz, la Concorde est représentée à l’écart d’une ville en ruine. L’Amour et la Paix s’enquièrent après son malaise. Les inscriptions expliquent que ni le clergé ni la société ne se préoccupent d’elle. Dans une autre image, l’artiste montre la Vérité, une serrure sur la bouche, menacée par un soldat et mal défendue par la Peur. Cf. Christine Megan-

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Armstrong, « Virtues in Exile », The Moralizing Prints of Cornélis Anthonisz, New Jersey, Princeton University Press, 1990. Ainsi dans Summer’s Last Will and Testament de Thomas Nashe : « Oh where dwells faith or truth ! » (500) ou dans Old Fortunatus de Thomas F0 F0 Dekker, où la vertu se lamente : « I am banished from the earth. 5B …5D Virtue is exiled from every city / Virtue is a fool, Vise only is wise » (I.III). Chez Shakespeare, le protagoniste principal de Coriolanus désire être oublié comme ces vertus (II.iii.55). 32. Pericles, II.i.53. Cf. op. Cit. n° 28, p. 289-293. 33. Orlando dans As You Like It ; Antonio dans The Merchant of Venice ; Albany, Kent, Cordelia dans King Lear ; Desdemona dans Othello ; Hamlet, Brutus, Hector. Dans King Lear, Edmund reprend, de façon hypocrite, le lieu commun à son compte : « that I must repent to be just » (III.v.12). 34. Voir Timon of Athens, Troilus and Cressida. 35. Cependant dans Everyman Out of His Humour de Ben Jonson, la droiture excessive du cynique est ridiculisée comme étant une attitude hypocrite. 36. Josée Nuyts-Giornal, « Savoir moral et littérature dramatique », Théâtres du Monde, n° 11, Avignon, Université d’Avignon, 2001, p. 27-39. 37. Ilja M. Veldman, De Wereld Tussen Goed en Kwaad, Late prenten van Coornhert, La Haye, SDU, 1990, p. 58-62. Il est vrai que la Justice s’y prend mal, car elle était assise à l’envers sur sa monture, puis ne tenait ni mors ni rêne, mais ses peines semblent vains de toute manière car dans la série appelée Le monde ne se laisse brider, 1e éd. 1550, le Monde est décrit comme sot. Thomas Dekker illustre le thème de la folie de la vertu dans Old Fortunatus. Dans cette pièce, la vertu et ses acolytes entrent en scène coiffés d’un bonnet d’âne. 38. Dans L’Éloge de la Folie, Érasme désigne Plutus comme le père de la folie mondaine dirigeant affaires publiques et privées. Op. cit., n° 20. 39. The Triumph of the World, la première gravure de la série The Cycle of the Vicissitudes of Human Affairs (1564), de Cornélis Cort d’après Maarten van Heemskerck, a été citée par Anthony Wells-Cole comme source pour une cheminée sculptée à Chipchase Castle, Northumberland, vers 1630. Op. cit., n° 6, p. 192-193. 40. Op. cit., n° 28, p. 257-285 et 354-368. 41. Références dans Pericles, les deux parties d’Henry IV, Troilus and Cressida, King John, Richard III, parmi d’autres. 42. « HAMLET. The play is the thing / Wherein I’ll catch the conscience of the King » (II.ii. 607). 43. Elle débouche sur l’interrogation pascalienne, également posée en termes de perspective : « Et, il n’y a qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu, les autres sont trop près, trop loin ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture. Mais dans la vérité et la morale qui l’assignera ? » Blaise Pascal, Pensées, éd. Michel Le Guern, coll. Folio Classique, Paris, Gallimard, 1977, p. 71. 44. Satire IIII de John Donne constitue en partie une interrogation de l’assise morale de celui qui comme le bouffon attitré « spits on he cares not although his face be as ill as theirs which in old hangings whip Christ » (220-30). Cette question morale semble également au cœur des certains autoportraits dubitatifs, tel que la scène de Crucifixion par Rembrandt où l’artiste s’est peint sous les traits d’un des hommes érigeant la croix. 45. All’s Well That Ends Well, « scornful perspective ». Thomas Dekker emploie les termes « squint eyed age » ou « squint eyed soul ». Ainsi, John Donne, Sermons, « to look after God and Mamon is a squint eye. » Rappelant l’anamorphose dans les Ambassadeurs

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d’Holbein, des lunettes figurent cette vision uniquement temporelle erronée dans la gravure morale. 46. Josée Nuyts-Giornal, « King Lear’s Reflection in the Mirror of Nobody : An Iconographical Question », Cahiers Élisabéthains, n° 54, octobre 1998, p. 55-73. 47. À partir de cette scène, Hamlet se montre plus honnête envers lui-même tout comme envers son amour pour Ophélie, en acceptant son identité partagée avec le reste de l’humanité. Cette perspective plus large, dont le protagoniste est dès lors capable, par opposition en quelque sorte à l’idée du Danemark comme une prison, proche de la vision sub-specie aeternitatis, est indiquée par l’allusion aux étoiles devenues les « wonder-wounded hearers » de son histoire. 48. « There is a special providence in the fall of a sparrow. » Le scepticisme humaniste tel celui exprimé par Montaigne semble trouver son écho dans le proverbial : « Who knows himself despises, the self despiser god advises. » Cf. Tilley, op. cit.

RÉSUMÉS

À la Renaissance, l’humanisme nordique se trouvait au cœur d’une imagerie collective importante employée par le théâtre et l’art visuel. La gravure néerlandaise, véritable lexique des schémas majeurs de la pensée humaniste, semble à même de révéler les faces inattendues de certaines tournures verbales courantes à l’époque. L’univers pictural de Pieter Bruegel l’ancien, Cornélis Anthonisz, Maarten van Heemskerck, et David Vinckboons, parmi d’autres, porte la trace de ses relations avec le discours humaniste sur l’art visuel et les réjouissances populaires. La préférence prodigieuse pour les estampes flamandes et néerlandaises au XVIe siècle, observée par Anthony Wells-Cole dans Art and Decoration in Elizabethan and Jacobean England pourrait s’expliquer par le ton moralisateur caractéristique de la gravure de genre nordique. Les références récurrentes à l’art pictural chez Shakespeare et ses contemporains témoignent de l’étendue de cette imagerie typique. Aussi, l’analyse de certains thèmes et motifs propres à l’art pictural dans le texte shakespearien permettra d’entrevoir la morale à travers des perspectives parfois obliques.

Shakespeare, Early Modern Moral Topoi, and Dutch Prints Lately a renewed interest in Northern Humanism with its particularities and its relation to sixteenth-century literature and theatre has been the subject of some interesting studies. Yet it appears that Dutch moral engraving, a virtual lexicon of some major humanist thought schemes, still has some intriguing patterns to disclose. The position of Dutch prints as a vector and recipient of Northern Humanism at large can be seen as consonant with the model of Fernand Braudel adapted by Peter Burke to explain areas of cultural influence and homogeneity. The pictorial worlds of Pieter Bruegel, Cornélis Anthonisz, Maarten van Heemskerck, Hendrick Goltzius, David Vinckboons among others bear witness to their links with humanist discourse concerning visual art, theatre and popular amusement. When taking a closer look at particular visual themes and motifs it happens that prints help to decipher some of the playwright’s verbal imagery. Ambiguous passages in several of Shakespeare’s plays and in those of his fellow playwrights appear to be allusions to thematic issues also dealt with in moral engraving. This paper will give a succinct outline of Dutch

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engraving as a moral phenomenon before giving a short analysis of some major motifs partly based on my previous research on the relation between moral prints and Elizabethan drama.

AUTEUR

JOSÉE NUYTS-GIORNAL Josée NUYTS-GIORNAL est traductrice établie à Avignon. En 1998 elle a soutenu une thèse sur « Le miroir de la folie. La gravure néerlandaise et le drame élisabéthain » à l’Université Paul Valéry – Montpellier III. Depuis elle a publié plusieurs articles sur le théâtre élisabéthain, l’humanisme nordique et la gravure morale dans des revues comme les Cahiers élisabéthains ou Théâtres du Monde.

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Samuel Daniel et le paradoxe de la frontière : « Thames doth out goe / Declined Tybur »

Christine Sukic

1 Samuel Daniel semble partager avec les autres membres du cercle de la Comtesse de Pembroke la contradiction d’être à la fois entièrement tourné vers la littérature de l’Europe de son époque, en particulier d’Italie et de France, et de s’inscrire en même temps dans un autre parcours, constructif celui-là, qui vise à une « défense et illustration » de la langue anglaise et de sa littérature. Cette défense, en particulier pour Daniel, prend bien souvent la forme d’une contre-attaque, comme si la France, mais surtout l’Italie, voulaient imposer leur domination sur ce que Daniel appelle, dans son épître dédicatoire à la Comtesse de Pembroke pour Cleopatra, ses « Northern tunes1 ». L’Europe, pour Samuel Daniel, pose donc la question de l’identité nationale, qui se forge dans un combat incessant où, comme dans la citation, extraite de cette même préface, que j’ai placée en exergue de cet article, la Tamise devra surpasser le Tibre déclinant.

2 On le sait, Daniel est à la fois poète et historien, puisqu’il a publié, outre des pièces de théâtre et des recueils poétiques, une histoire de l’Angleterre, The Collection of the Historie of England2. Mais il me semble que pour lui, il n’y a pas de séparation générique entre l’écriture poétique et l’écriture historique, d’autant plus que son poème narratif, The civile warres betweene the howses of Lancaster and Yorke3, est, en quelque sorte, une Histoire en vers. Écrire l’Histoire de son propre pays, c’est lui constituer une identité nationale, en imitation d’autres identités nationales européennes, de la même manière qu’écrire des vers, c’est écrire une poésie nationale, qui aura autant de valeur que les poésies nationales d’autres pays européens. Dans les deux cas, il s’agira de venir alimenter la Tamise et de surpasser le débit du Tibre. Dans les deux cas, il s’agira aussi de créer un lieu, à la fois lieu de la nation et locus poétique.

3 Tout d’abord, je rappellerai brièvement ici les liens qui unissent Daniel à la littérature de l’Europe de la Renaissance, et que l’on peut faire remonter à son amitié avec John Florio, alors qu’ils se trouvaient tous deux à Oxford dans les années 1580. La première

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publication de Daniel est une traduction en italien, celle du livre d’emblèmes de Paolo Giovio, publiée à Londres en 1585 sous le titre suivant : The Worthy Tract of Paulus Iovius4. On sait aussi que la poésie de Daniel est fortement inspirée des sonnets français et italiens et que son théâtre pastoral emprunte beaucoup à Guarini et au Tasse, mais en ceci, on ne peut pas dire qu’il fasse preuve d’une grande originalité par rapport à ses contemporains anglais. En revanche, un court aperçu des préfaces qu’il a écrites pour ses amis écrivains montre son intérêt pour la traduction et pour les ouvrages d’apprentissage des langues européennes. En effet, sur les huit poèmes dédicatoires qu’il a écrits, cinq précèdent des traductions de l’italien ou du français5, un accompagne le manuel d’apprentissage du français de Pierre Erondelle, The French Garden6, et un autre le dictionnaire anglo-italien de Florio, Queen Anna’s New World of Words7.

4 Chacun de ces poèmes8 est l’occasion pour Daniel de faire l’éloge de l’auteur traduit, ou de montrer l’importance de l’apprentissage du français ou de l’italien. L’œuvre de Du Bartas, traduite par Josuah Sylvester est un trésor inestimable (« th’immortall store / Of others sacred lines »). Dans le poème qui précède la première édition des Essais traduits par Florio, Montaigne se voit accorder le titre de Prince : « Prince Montaigne (if he be not more) ». Guarini, lui, est, plus simplement « deare esteemed Guarini », dans le poème qui accompagne la traduction du Pastor fido.

5 Les liens de Daniel avec la littérature européenne sont réaffirmés par l’auteur lui- même, en particulier lorsque, dans l’épître dédicatoire à Robert Carr qui accompagne The Collection of the Historie of England, dans l’édition de 1618, il montre comment l’idée d’écrire son Histoire de l’Angleterre lui est venue notamment pendant son séjour à l’étranger : I alledge, that having spent much time of my best understanding, in this part of humane Learning, Historie, both in forraine countries where especially I tooke those notions, as made most for the conduct of businesse in this kind, and also at home, where it hath bene in my fortune (besides conference with men of good experience) to have seene many of the best discourses, negotiations, instructions and relations of the generall affaires of the World: I resolved to make triall of my forces in the contexture of our owne Historie9.

6 De même, dans son adresse au lecteur, il n’hésite pas à citer ses sources, qui sont bien souvent françaises, et dont il tient à souligner l’importance, parce qu’elles sont porteuses d’une autre perspective: « For forraine businesses (especially with France, where we had most to doe) I have for Authors, Paulus Aemilius, Haillan, Tillet, and others, without whom we cannot truly understand our owne Affayres10 ». L’Histoire de l’Angleterre commence donc, pour Daniel, par une « délocalisation ».

7 Néanmoins, autant il me semble indispensable de montrer, dans cette introduction, ce qui unit Daniel à l’Europe de la Renaissance, et en particulier à sa littérature, autant je pense que ce type de travail pourrait être effectué pour nombre des contemporains de Daniel. Ce qui me paraît plus intéressant, c’est que ce poète adopte bien souvent une rhétorique défensive par rapport à la littérature européenne, comme si cette influence indispensable constituait aussi un danger pour la défense de la littérature anglaise. Daniel a donc une relation ambiguë à l’Europe — une Europe qui se réduit à la France et à l’Italie — qui est pour lui à la fois une source poétique indispensable, mais aussi une rivale.

8 Malgré toutes les influences reçues, l’Angleterre, dans l’imaginaire du poète, demeure une île, c’est-à-dire une terre isolée du reste de l’Europe. C’est cette caractéristique qui, pour Daniel, semble être la plus importante. Ainsi, dans son Panegyrike Congratulatorie,

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poème qu’il adresse, en 1603, à Jacques Ier lors de son accession, Daniel montre comment la Grande-Bretagne — et non plus seulement l’Angleterre — est désormais, grâce au monarque, une île à part entière : … O thou mighty State, Now thou art all Great-Britaine and no more, No Scot, no English now, nor no debate; No borders but the Ocean and the shore: No wall of Adrian serves to separate Our mutuall love11…

9 Évidemment, ce poème est surtout une occasion pour Daniel de s’attirer les bonnes grâces du roi, mais ce motif de l’insularité se retrouve dans toute son œuvre, antérieure ou ultérieure. Il y a donc chez ce poète un désir d’ouverture, dans les deux sens, c’est-à- dire un désir de recevoir, et de donner, mais cela implique la nécessité d’une définition géographique du lieu d’où il parle, et donc des limites de ce lieu. On trouve ainsi dans la poésie de Daniel de nombreuses références au lieu qu’est l’Angleterre, ou la Grande- Bretagne, qu’il s’efforce de définir comme un locus poétique, et non pas comme un simple lieu géographique.

10 Déjà, dans Delia, recueil de sonnets publié pour la première fois en 1592, le lieu même où vit Delia devient source de substance poétique. Évidemment, Daniel tente de créer un locus poétique comme Pétrarque l’avait fait pour les lieux visités par Laure. De la même manière qu’il compare Delia à Laure, et son amour pour elle à celui que Pétrarque portait à sa bien-aimée, Daniel mythifie l’Angleterre, et en particulier le sud- ouest de l’Angleterre, où vit Delia. Thou canst not dye whilst any zeale abounde, In feeling harts, that can conceive these lines: Though thou a Laura hast no Petrarch founde In base attire, yet cleerely Beautie shines. And I, though borne in a colder clime, Doe feele mine inward heate as great, I knowe it: He never had more faith, although more rime, I love as well, though he could better shew it. But I may ad one feather to thy fame, To helpe her flight throughout the fairest Ile: And if my penne could more enlarge thy name, Then shouldst thou live in an immortall stile. But though that Laura better limned bee, Suffice, thou shalt be lov’d as well as shee12.

11 On le voit, Daniel se situe dans l’opposition au sud : il ne manque pas une occasion de rappeler que l’Angleterre est un État septentrional, mais que cela ne l’empêche pas de posséder la chaleur et la brillance d’un locus poétique, puisque telle doit être la nature de ce lieu dans ce genre qu’est le sonnet. Il emploie d’ailleurs cette même image dans le Panegyrike congratulatorie, en louant les qualités de son nouveau roi, qui fera briller « this empire of the North », État septentrional certes, mais où l’astre est tout de même source de chaleur.

12 On observe donc, dans ce recueil, Delia, une ouverture à la poésie européenne, puisque Daniel y revendique la référence à Pétrarque. Il s’inspire aussi de poètes français mais en cela, je le répète, il ne fait pas preuve d’une grande originalité. En revanche, ce qui me semble plus intéressant, c’est que cette ouverture se double d’une fermeture des

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frontières, et que le caractère insulaire et septentrional du lieu poétique y est loué, comme dans cet autre sonnet : Drawne with th’attractive vertue of her eyes, My toucht hart turnes it to that happie cost: My ioyfull North, where all my fortune lyes, The levell of my hopes desired most. There where my Delia fayrer then the sunne, Deckt with her youth whereon the world smyleth: Ioyes in that honour which her beautie wonne, Th’eternall volume which her fame compyleth. Florish faire Albion, glory of the North, Neptunes darling helde betweene his armes: Devided from the world as better worth, Kept for himselfe, defended from all harmes. Still let disarmed peace decke her and thee; And Muse-foe Mars, abroade farre fostred bee13.

13 L’Angleterre a donc aussi sa Laura. Le soleil n’y brille pas autant que du côté d’Avignon, mais c’est parce que l’île est séparée du monde que la substance poétique y est si riche. L’insularité est donc une nécessité du lieu, du locus, car elle affirme cette séparation du reste du monde. L’isolement au milieu des mers donne au lieu de la poésie un statut particulier, le protégeant et le singularisant. C’est d’ailleurs là un des paradoxes de ces sonnets de Daniel, à la fois italiens et insulaires.

14 On aurait d’ailleurs pu croire que Daniel, dans son entreprise de mythification du lieu, en profitât, dans son Histoire de l’Angleterre, pour donner à son pays des origines fictionnelles, ce que d’autres historiens n’ont pas hésité à faire. Il rejette au contraire le célèbre mythe utilisé par Geoffrey de Monmouth qui fait remonter la généalogie des rois d’Angleterre à Brutus, et préfère plaider l’incertitude quant à l’origine de son pays : How the beginnings of all people and States were as uncertaine, as the heads of great Rivers […]. Considering, how commonly they rise from the springs of poverty, pyracie, robbery and violence, howsoever fabulous Writers (to glorifie their nations) strive to abuse the credulity of after ages with heroycall, or miraculous beginnings […] So that with what credit, the accompt of above a thousand yeares from Brute to Cassevellaunus (in a line of absolute Kings) can be cleared, I doe not see; and therefore will leave it on the booke to such as will bee creditors, according to the substance of their understanding14.

15 En revanche, de la même manière qu’il tente, dans Delia, de redonner à l’Angleterre un statut de lieu poétique, il s’efforce de re-mythifier le Moyen Âge anglais. Ainsi, comme les autres pays européens, l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles ne surgit pas d’une obscurité médiévale, mais d’une incontestable richesse culturelle. C’est d’ailleurs bien ce que défendaient les poètes qui entouraient la Comtesse de Pembroke qui, tout en puisant allègrement aux sources italiennes et françaises, comme Abraham Fraunce, s’efforçaient aussi de re-créer un Moyen Âge anglais mythique. D’où l’utilisation d’un vocabulaire ou de formes archaïques, ou tout du moins d’un archaïsme de fiction, d’un pseudo-archaïsme, préféré au vocabulaire ou aux formes latins.

16 L’importance de la Comtesse de Pembroke dans la carrière de Samuel Daniel participe aussi de cette mythification du lieu. Comme l’Italie ou la France ont leurs lieux — fleuves ou rivières, villes ou villages mythiques — ainsi l’Angleterre a Wilton House, lieu par excellence de la création poétique. Ainsi, dans la préface à Cleopatra, cette fois dans l’édition de 1611, Daniel évoque ce lieu qui inspire la poésie :

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… those notions which at first in me The, then dilicious Wilton did impresse That arbor of the Muses grac’d by thee And which did likewise grace thy worthinesse15.

17 De même, dans l’épître dédicatoire qu’il adresse au Comte de Pembroke pour A Defence of Ryme (1603), Daniel évoque aussi Wilton, véritable école de poésie: « Hauing beene first incourag’d or fram’d thereunto by your most Worthy and Honourable Mother, receiuing the first notion for the fomall ordering of those compositions at Wilton, which I must euer acknowledge to haue beene my best School16 ».

18 Mais Wilton, ce n’est pas seulement la propriété des Pembroke, et le lieu n’évoque pas uniquement pour Daniel son attachement à la Comtesse. Wilton est aussi un lieu poétique anglais par excellence parce que Sidney y a séjourné de nombreuses fois. Or Sidney, à l’époque où écrit Daniel, est la figure par excellence du poète national, prétexte à nostalgie puisque déjà disparu, mais poète national tout de même. Dans l’épître dédicatoire à la Comtesse de Pembroke pour l’édition de 1599 de Cleopatra17, Daniel associe Sidney à Spencer pour démontrer la valeur de la poésie anglaise, valeur qu’il démontre par l’égalité avec la poésie italienne, en usant une nouvelle fois du mode comparatif : « Whereby great Sidney and our Spencer might, / With those Po-singers being equalled ». Si bien que l’on pourrait dire que les références à Wilton, pour Daniel, ne sont pas uniquement poétiques mais aussi politiques. De la même manière, les échanges poétiques avec les nations européennes seront perçues en termes politiques.

19 La poésie, pour Daniel, est un geste politique mais aussi une geste. Dans la même épître dédicatoire (Cleopatra, 1599), le poète décrit la résistance à l’ennemi, non pas barbarie, mais barbarisme, comme un combat épique, mené d’abord par Sidney : Now when so many pens (like Speares) are charg’d, To chase away this tyrant of the North: Grosse Barbarism, whose powre grown far inlarg’d, Was lately by thy valiant brothers worth First found, encountred, and provoked forth: Whose onset made the rest audacious, Whereby they likewise have so well discharg’d Upon that hideous beast incroching thus.

And now must I with that pooere strength I have, Resist so foule a foe in what I may: And arme against oblivion and the grave, That else in darknesse carries all away, And makes of all our honours but a pray. So that if by my pen procure I shall But to defend me, and my name to save, Then though I die, I cannot yet die all18.

20 La poésie est donc un combat à mener avec sa plume, devenue arme de guerre. Daniel reprendra maintes fois cette métaphore, notamment dans les préfaces qu’il écrit pour les traductions que j’ai citées plus haut. Ainsi, la traduction de la Sepmaine de Du Bartas par Josuah Sylvester (1605) est un trésor de guerre pris à la France par un acte de chevalerie : Thus to adventure forth, and re-convay The best of treasures, from a forraine Coast, And take that wealth wherin they gloried most, And make it Ours by such a gallant pray,

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And that without in-justice; doth bewray The glory of the Worke, that we may boast Much to have wonne, and others nothing lost By taking such a famous prize away.

21 Daniel utilise également souvent la métaphore de l’étranger à qui, par la traduction, l’on accorde la citoyenneté du pays. Montaigne, par l’intermédiaire de Florio, sera « as free, as if borne here ». De la même manière, grâce à William Jones, Giovanni Battista Nenna devient sujet anglais: « Here dost thou bring (my friend) a stranger borne / To be indenized with us, and made our owne. » Quant à l’importation de mots étrangers dans la langue anglaise, pour laquelle Daniel emploie encore la même métaphore de la citoyenneté, cette fois du langage, elle ne doit se faire que par acte de parlement, comme il le montre dans le paragraphe qui conclut A Defence of Ryme : … we alwayes bewray our selves to be both unkinde, and unnaturall to our owne native language, in disguising or forging strange or unusuall wordes, as if it were to make our verse seeme an other kind of speach out of the course of our usuall practise, displacing our wordes, or investing new, onely upon a singularitie: when our owne accustomed phrase, set in the due place, would expresse us more familiarly and to better delight, than all this idle affectation of antiquitie, or noveltie can ever doe. And I can not but wonder at the strange presumption of some men that dare so audaciously adventure to introduce any whatsoever forraine wordes, be they never so strange; and of themselves as it were, without a Parliament, without any consent, or allowance, establish them as Free-denizens in our language. But this is but a Character of that perpetuall revolution that never remaine the same, and we must heerein be content to submit our selves to the law of time, which in few yeeres wil make al that, for which we now contend, Nothing19.

22 Il y a donc identité entre résistance politique à l’intrus, et expression poétique de la langue anglaise. On voit tout de même, dans les derniers mots de l’ouvrage, que Daniel a une grande conscience de l’aspect changeant et instable de la langue et de la poésie nationales — il a aussi une conscience aiguë de l’instabilité en général dans son œuvre historique, d’ailleurs. Il possède aussi une certaine distance par rapport au langage métaphorique qu’il emploie.

23 Cette définition de la poésie comme geste politique dans l’œuvre de Daniel permet de mieux comprendre d’autres aspects de son œuvre ou de sa personnalité, notamment son attachement au Comte d’Essex, héros national, ou plutôt figure rêvée d’un héros national qui aurait une dimension mythique et pourrait ainsi permettre à l’Angleterre de se mesurer aux autres nations. De la même manière, Daniel, comme d’autres écrivains essexiens, reporte son attachement pour le Comte, après la mort de celui-ci, sur le Prince Henry, porteur de nouveaux espoirs pour le royaume. Comme d’autres Essexiens, Daniel adopte aussi, après 1603, une veine nostalgique qui lui fait prononcer l’éloge de la reine Élisabeth, figure monarchique qui s’inscrit dans une Europe guerrière, une Europe des conflits, garantissant non seulement l’unité politique du pays, mais aussi son unité poétique. Pourtant, dans son Panegyrike congratulatorie, Daniel faisait l’éloge du nouveau prince, ne se référant à Élisabeth que de manière furtive, sans même la nommer (« And give us leave if we / Rejoyce and mourne, that cannot without wrong / So soone forget her we enjoy’d so long »). Malgré cette affirmation — passage obligé du genre, mais dont le développement, compte tenu des circonstances, aurait été malvenu — Daniel va surtout mettre l’accent sur l’unité nouvellement trouvée du royaume, tout en rappelant l’autre unité déjà effectuée par les ancêtres, celle des York et des Lancastre, ce qui lui permet au passage de signaler l’existence de son poème The

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Civil Wars. L’unité interne prévient le conflit interne, mais pas nécessairement celui qui peut surgir à l’extérieur des limites de l’île : Time altred hath the forme, the meanes, and brought The State to that proportion’d evennesse, As ’tis not like againe ’twill ever come (Being us’d abroad) to draw the sword at home.

24 L’image de la proportion du royaume est d’ailleurs utilisée aussi dans A Defence of Ryme, texte que Daniel avait également dédié à Jacques Ier, et dans lequel il fait aussi l’éloge de « the wonderfull Architecture of this state of England ». Deux ans plus tard, avec Philotas (1605), pièce dont on sait qu’elle valut à Daniel d’être convoqué devant le Privy Council, car elle constituait un hommage posthume à peine voilé du comte d’Essex, Daniel s’adresse au Prince Henry et fait le constat de la fin de l’âge d’or de la poésie, celle de la période élisabéthaine : And know, sweet Prince, when you shall come to know, That tis not in the pow’r of Kings to raise A spirit for Verse that is not borne thereto, Nor are they borne in every Princes dayes: For late Eliza’s raigne gave birth to more Then all the Kings of England did before. And it may be, the Genius of that time Would leave to her the glory in that kind, And that the utmost powers of English Rime Should be within her peacefull raigne confin’d: For since that time, our Songs could never thrive, But laine as if forlorne; though in the prime Of this new raising season, we did strive To bring the best we could unto the time20.

25 Il est évident que Daniel fait ici le reproche à Jacques Ier de ne pas être capable de donner à son royaume une identité poétique comme avait pu le faire Élisabeth, même s’il affirme qu’il n’est pas dans le pouvoir des princes de le faire. Le reproche se fait à mots couverts. Six ans plus tard, dans l’épître à la Comtesse de Pembroke pour Cleopatra (1611), Daniel récidive puisque, après s’être de nouveau référé à Sidney, il parle de la gloire de la poésie anglaise, encore une fois au passé : That influence had Elizaes blessed peace Peculiar to her glory as it spread That sacred flame of many, and th’increase Did grace the season, and her honored And if the same come now extinguished By the distemprature of time, and cease Suffice we were not yet behind the rest, But had our part of glory with the best.

26 On voit également que Daniel se situe toujours dans la comparaison avec les autres nations. Si l’Angleterre a eu son heure de gloire poétique, cela signifie en premier lieu que sa poésie avait autant de valeur que celle des autres pays d’Europe.

27 La relation avec l’Europe de la Renaissance, pour Daniel, s’inscrit donc, comme pour beaucoup d’autres écrivains de son temps, tout d’abord dans un geste d’ouverture, et dans un mouvement de réception des poètes et de leurs œuvres. Il y a, on l’a vu également, un désir de fermeture afin d’éviter l’invasion de ce qu’il nomme, dans le Panegyrike congratulatorie, « these forren sinnes we entertaine », expression que l’on doit comprendre également dans sa dimension politico-religieuse. Mais je pense que

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Daniel est aussi extrêmement ambigu dans sa relation à l’altérité européenne. Même si la fermeture permet d’enrayer l’invasion et la contamination, le poète se rend compte aussi que l’ouverture peut être nécessaire pour que l’Angleterre, comme il le dit, puisse aussi donner autant qu’elle a reçu. C’est cela qui lui donnerait son statut de nation poétique à part entière. C’est ainsi, que, dans le poème dédicatoire à la Comtesse de Pembroke pour Cleopatra (dans l’édition de 1611, mais on retrouve la même idée dans les éditions précédentes), il en appelle à une ouverture des confins de l’île, afin que la Tamise puisse enfin montrer que son débit surpasse celui du Tibre et même qu’elle arrive jusqu’au Tibre : O that the Ocean did not bound our stile Within these strict and narrow limits, so, But that the musique of our well tund Ile Might hence be heard to Mintium arme & Po, That they might know how far Thames doth out goe Declined Tybur, and might not contemne Our Northern tunes, but now another while Receiue from vs more then we had from them Or why may not some after comming hand Vnlock these limits, open our our confines, And breake a sunder this imprisoning band T’inlarge our spirits, and let out our designes Planting our roses on the Apinines, And to Iberus, Loyre and Arue to teach That we part glory with their, and our land Being match forworth, comes not behind in speech Let them produce the best of all they may Since Rome left bearing, who bare more the men And we shall paralell them euery way In all the glorious actions of the men. Our Phoebus is the same that theirs hath beene, How euer ignorance, phantesticke growne Rates them aboue the valew that they pay, And likes strange notes, and disesteemes our owne They cannot shew a Sidney, let they shew All their choice peeces, and bring all in one And altogether shall not make that shew Of wonder and delight, as he hath done.

28 À la fin de la citation, on remarque encore des vers qui se rapportent à Sidney, et qui veulent démontrer la supériorité de celui-ci sur ses contemporains européens. Il est donc évident que la relation de Daniel à l’Europe de son temps se fonde en premier lieu sur la conscience, et même le désir, de l’insularité et de l’isolement, ce qui peut paraître paradoxal pour cet auteur tant féru de culture humaniste. La relation à l’Europe se situe donc dans une définition paradoxale des frontières, à la fois fermées, de fait, par des mers qui protègent, mais qui clôturent aussi, et ouvertes, afin que, idéalement, s’établissent des allers-retours, des passages du continent vers l’île, et de l’île vers le continent. La frontière est la condition même du passage : sans frontières en Europe, le passage n’existe pas. Daniel, par cette définition paradoxale, est assez emblématique de la littérature d’un pays qui se nourrit de tout ce qui se publie et s’accomplit dans l’Europe de son temps, mais dont les représentants prennent également conscience qu’ils sont en train de constituer une œuvre nationale. En même temps, et cela est particulièrement évident dans cette dernière citation, Daniel sait bien que le paradoxe de la frontière tient aussi dans le fait que son ouverture ne se fait que dans un sens. À

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l’époque donc où il écrit ces vers, la Tamise peine à arriver jusqu’au Tibre, déclinant ou non.

NOTES

1. « To the most noble Lady, the Lady Mary Countesse of Pembrooke », in Certaine Small Workes heretofore divulged by Samuel Daniel one of the Groomes of the Queenes Majesties privie Chamber & new againe by him corrected and augmented, Printed by I. L. for Simon Waterson, Londres, 1607, consulté dans la base de données de Literature Online (LION). 2. The Collection of the historie of England. By S. D., Printed by Nicholas Okes, dwelling in Foster-lane for the author, Londres, 1618. 3. La première édition date de 1595 et ne contient que les quatre premiers livres. L’édition complète paraît en 1609. 4. The Worthy tract of Paulus Iouis, contayning a Discourse of rare inuentions, both Militarie and Amorous called Imprese. Whereunto is added a Preface contayning the Arte of composing them, with many other notable devises, Printed for Simon Waterson, Londres, 1585. 5. Ces traductions sont les suivantes : la traduction anonyme du Pastor fido de Guarini, Il Pastor Fido : or the faithfull Shepheard. Translated out of Italian into English, For S. Waterson, Londres, 1602 ; la traduction de la Sepmaine de Du Bartas par Josuah Sylvester, Bartas his Devine Weekes and Workes translated… by I. Sylvester, H. Lownes, Londres, 1605 ; la traduction de Nennio de Giovanni Battista Nenna par William Jones, Nennio, Or a treatise of Nobility : Wherein is discoursed what true Nobilitie is, with such qualities as are required in a perfect Gentleman, Printed by P. S. for L. Linley and J. Flasket, Londres, 1595 ; et deux éditions de la traduction des Essais de Montaigne par John Florio, celle de 1603, The Essayes, or Morall, Politike and Millitarie Discourses of Lo : Michaell de Montaigne…, Printed at London by Val. Sims for Edward Blount dwelling in Paules churchyard, et celle de 1613 : The Essays, M. Bradwood for E. Blount and W. Barret, Londres. 6. The French Garden : for English Ladyes and Gentlewomen to walke in. Or, A Sommer dayes labour. Being an instruction for the attayning vnto the knowledge of the French tongue, For Edward White, Londres, 1605. 7. Queen Anna’s new World of Words ; or, Dictionarie of the Italian and English tongues, collected and newly much augmented by J. F. … Whereunto are added certaine necessarie rules and short observations for the Italian tongue, M. Bradwood, For E. Blount and W. Barret, Londres, 1611. 8. Les textes de ces ouvrages ont tous été consultés sur la base de données LION. 9. « Epistle-Dedicatory », The Collection of the History of England. 1612-1618, in The Complete Works in Verse and Prose of Samuel Daniel, éd. Alexander B. Grosart, 5 vol., New York, Russell & Russell, 1963 [1885], vol. 4, p. 75. 10. « Certaines advertisements to the reader », ibid., p. 82. 11. A panegyrike congratulatorie deliuered to the Kings most excellent Maiestie at Burleigh Harrington in Rutlandshire. By Samuel Daniel. Also certaine epistles, with a defence of ryme heretofore written, and now published by the author, Imprinted [by R. Read] for Edward Blount, Londres, 1603. Consulté sur la base de données LION. 12. Sonnet 35 dans l’édition de Sprague, Poems and A Defence of Ryme, éd. Arthur Colby Sprague, Chicago, Londres, The University of Chicago Press, 1965, p. 28. 13. Sonnet 44, ibid., p. 32.

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14. The Complete Works in Verse and Prose of Samuel Daniel, op. cit., vol. 4, p. 86-88. 15. Cleopatra, in Certaine Small Workes Heretofore Divulged by Samuel Daniell… and now againe by him corrected and augmented, Printed by I. L. for Simon Waterson, Londres, 1611. Consulté sur la base de données LION. 16. Poems and A Defence of Ryme, op. cit., p. 129. 17. The Tragedie of Cleopatra in The poeticall essayes of Sam. Danyel, Printed by P. Short for S. Waterson, Londres, 1599, consulté en fac-similé sur le site du Schoenberg Center for Electronic Text and Image, University of Pennsylvania (http://dewey.library.upenn.edu /sceti). 18. Ibid. 19. Poems and A Defence of Ryme, op. cit., p. 158. 20. The Tragedy of Philotas (1605), in The Whole Works of Samuel Daniel Esquire in Poetrie, Printed by Nicholas Okes, for Simon Waterson, Londres, 1623. Consulté sur la base de données LION.

RÉSUMÉS

L’œuvre de Samuel Daniel, depuis sa traduction des devises de Paolo Giovio en 1585, jusqu’à sa pastorale dramatique Hymens Triumph en 1615, est entièrement tournée vers la littérature européenne de son temps, notamment italienne et française. Pourtant, sa poésie, son théâtre et son œuvre historique constituent une affirmation incessante de son désir de voir naître un véritable idiome poétique national, même s’il s’est nourri de littératures étrangères. Il accomplit ce projet de « défense et illustration » de la langue et de la littérature anglaises par la création d’un locus poétique, qui se superpose au lieu géographique qu’est l’Angleterre, et par son œuvre d’historien, l’écriture historique se confondant avec l’écriture poétique.

Christine Sukic est maître de conférences en littérature anglaise des XVIe et XVIIe siècles à l’Université de Bourgogne (Dijon). Elle a dirigé deux recueils d’articles sur Antony and Cleopatra et A Midsummer Night’s Dream (éditions du Temps) et va publier un ouvrage sur les tragédies de George Chapman (éditions Peter Lang). Elle a traduit Bussy d’Amboise de George Chapman (à paraître dans un volume Théâtre Élisabéthain, éditions Gallimard, collection de la Pléiade) et prépare une traduction et édition critique de The Revenge of Bussy d’Amboise de George Chapman. Elle travaille notamment sur la traduction aux XVIe et XVIIe siècles chez Daniel et Chapman et sur les notions d’imitation, de naturalisation et d’emprunt. Samuel Daniel is well-known as an imitator of Italian and French poetry. He translated Italian works and borrowed from the pastorals of Tasso and Guarini as well as from the French sonneteers of the sixteenth century. And yet, his main concern seems to have been the creation of a national poetical idiom, that would allow England to gain its literary independence from its European neighbours. In his poetry, Daniel constantly reaffirmed the national status of the English language and literature and aimed at creating a poetical locus. This was confirmed by his work as historian of his own country, in both prose and verse.

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“Horror… is the sinews of the fable”: Giraldi Cinthio’s works and Elizabethan tragedy Les œuvres de Giraldi Cinthio et la tragédie élisabéthaine

Mariangela Tempera

1 With a few notable exceptions, the dreary panorama of Italian 16th century tragedy is littered with plays that are not readable, let alone stageable. Comedy really fared a lot better than tragedy in the insouciant atmosphere of the pre-Counter-reformation days. As is often the case, the amount of critical thought focusing on the genre was in inverse proportion to the amount of quality playwriting. The fact that the same people were usually engaged in both activities (theorizing about how plays should be written and writing them) did not help. The rediscovery of Aristotle’s Poetics, a need to offer adequate exegeses of its most obscure passages, a yearning to return to the classics, unencumbered by bothersome reality and contemporary themes, a growing familiarity with the works of Seneca – all this contributed to shifting the interest of many Italian scholars from comedy to tragedy. One of these was Giovan Battista Giraldi Cinthio.1 He was very learned, capable of formulating a drama theory well ahead of his time and putting it to the test on a live audience.

2 Among Shakespeareans, his greatest claim to fame is that two of his novelle provided sources for Othello and Measure for Measure, but he was also exceptional for writing “tragedie a lieto fine” which predate Guarini’s tragicomedy. He contributed to the debate on the exegesis of Aristotle’s writings, most importantly with his Discorso intorno al comporre delle comedie e delle tragedie (Discourse on the Composition of Tragedies and Comedies),2 published in 1554. When discussing tragedy, he draws most of his examples from one of his own plays, Orbecche (1541), which is worth pausing over because it was such a startling departure from the theatrical practice of his day.

3 At a time when plays were seldom reprinted and rarely staged more than once, if at all, Orbecche went through at least ten editions and was repeatedly performed in and outside Ferrara (even as far away as Paris, where it was seen by the King). It was

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violently attacked by Italian scholars and passionately defended by its author, in a verse address “To the Reader” appended to the printed edition of the play. To do so in the cultural climate of the 1540s, Giraldi had to walk an intellectual tightrope. While constantly referring to Aristotle, he was forced to proclaim the superiority of Seneca over the Greek tragedians. After all, he needed Seneca’s authority to justify the morbid tones of the Messenger’s speech, the scattered body parts, the white-heat anger that allows a daughter to hack her father to death without losing audience sympathy. One of his most ingenious manipulations of Aristotle is his translation of “fòbos”. Not fear or terror, but almost always horror. And the Chair of Rhetoric at the University of Ferrara knew his Greek. He mistranslated through necessity: the Senecan horrors his predecessors (e.g. Trissino and Rucellai ) had slipped into their tragedies to give a slight frisson to their readers were now offered to the morbid curiosity of a live audience as the climatic moments of the play. As Daniel Javitch has convincingly argued, the Discorso “recommends all the non-Aristotelian and comedic features of Giraldi’s own tragic composition. […] By providing a set of thematic and formal norms apparently derived from Aristotle’s theory and from Seneca’s tragedies but actually a codification of his own procedures, Giraldi manages to place his modern practice in a ‘canonical’ tradition.”3

4 Both Orbecche and Giraldi’s theoretical writings were widely read in Europe (Sidney, for one, was certainly familiar with his theories on romance). What is particularly interesting for Shakespeareans is the way his works and those of his fellow Italian playwrights contributed to creating the cultural climate that facilitated the development of English tragedy. After all, as Gordon Braden reminds us, “Much of what we call Renaissance Senecanism is really Italian Senecanism: Titus Andronicus is more like a play of Giraldi’s or Dolce’s than a play of Seneca.”4 In transferring some elements of Seneca’s drama onto the Italian stage, Giraldi came up with solutions that would later be embraced by the Elizabethans. For all his learned commentary on Aristotle, the thought comes to mind that had he been born across the Channel, he would have enthusiastically embraced the English disregard of Continental rules. As for his scale of priorities between page and stage, one needs only refer to his 1543 epistle. He is indeed quite accommodating in view of future performances. The king’s counsellor’s speeches are deemed too long? By all means, cut them. The author will not complain. Purists insist that the tragedy should be performed without intermezzi? Let’s try it. The audience does not appreciate the change and wants pomp and entertainment back? I told you so! Back to the original format! It is the kind of pragmatism that would have been quite at home on the South Bank. A comparison of key moments in Orbecche with similar scenes from Elizabethan plays will highlight similarities in the treatment of their common Senecan source which are unexpected in an Italian academic writing in the 1540s. I will not, however, make any claims for direct influence, because they would be unsubstantiated. Unlike his follower Ludovico Dolce, Giraldi did not leave any identifiable trail through Elizabethan play texts.

5 The plot of Orbecche5 is taken from one of Giraldi’s novelle. The play owes as much to Seneca’s Thyestes as to Boccaccio’s Tancredi and Ghismonda story, and is shot through with references to Machiavelli’s writing. It was first performed in Giraldi’s house in the presence of the Duke and several courtiers. With the exception of the Messenger, the actors were gentlemen of the Este entourage. Such a complete homogeneity between actors, playwright and audience is not usually conducive to great theatrical evenings.

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And yet, according to the author, admittedly a biased source, emotions ran very high, with tears and fainting fits among spectators.

6 The prologue represents a fascinating example of how to engage the audience in the play. First of all, the speaker nails the spectators to their seats by exhorting them to leave, lest they should be overly distressed by the terrible events they are about to witness. Then, he acknowledges that they come from the real world of Ferrara. He could hardly do otherwise, given the presence of the Duke and the need to pay homage to his city and rule. By frequently repeating “here”, he also draws discrete attention to the palazzo of the Giraldi family, whose proud owner also just happens to be both the playwright and host. At this point, he calls on the spectators both to become conscious of the magic of theatre and yield to it. A few lines of verse serve to whisk them from their familiar surroundings into the exotic world inhabited by the characters of the play. The motion is so fast that they may believe they have hardly moved, and yet Giraldi can assure them that they are not far from their destination. To an audience well accustomed to public recitations of Ariosto’s cantos, this suspension of disbelief would have been no harder than for the Londoners of Shakespeare’s Henry V.

7 The first scene is devoted to an apparition of Nemesis who summons the Furies to help her destroy Sulmone and Orbecche. They arrive in full mythological gear, complete with flaming torches, perhaps from under the stage. It is, as Marzia Pieri notes, a ballet number typical of the intermezzi, which becomes so popular that it will be repeatedly imitated on the Italian stage.6 A full description can be found in accounts of later plays. The ballet is quite similar to the dumb show in Act IV of Norton and Sackville’s Gorboduc, which introduces “three furies … clad in black garments sprinkled with blood and flames, their bodies girt with snakes, their heads spread with serpents instead of hair, the one bearing in her hand a snake, the other a whip, and the third a burning firebrand…”7

8 In Giraldi’s tragedy, Nemesis is followed by the shadow of Selina, who informs us that she has come to witness the ruin of her husband King Sulmone, and their daughter Orbecche, who as a child unwittingly told her father about Selina’s affair with her son. The king murdered the guilty couple. From Selina we learn that Orbecche has secretly married Oronte, and has had two children by him. Outraged by her behaviour, her father will kill Oronte and the children, only to be in turn killed by his daughter, who will then commit suicide. Selina’s speech leaves us in no doubts about future events, and thus we are free to concentrate on how things happen.

9 Audience response is Giraldi’s northern star. And the only experience of audience response an Italian dramatist could have had in his time came from seeing comedies being performed. The structure (prologue, act division) abandons the classic tragedy format to follow the Terentian tradition. Having a woman in love as title character of the tragedy also flouts orthodoxy and helps establish continuity with the world of comedy. From the world of Ariosto’s plays come the servants. Like any wronged father of comedy, Sulmone finds out about his daughter’s betrayal from a “Giglietta cameriera”. The maid who betrays her mistress’s secret lives in half a verse of the King’s tale and then is heard of no more, and with her there goes any chance of livening up the tragic stage with unguarded comments from downstairs. The King’s accomplices, Tamule and Alloche, again names that evoke the world of comedy, are the predecessors of the countless amoral assassins who help their masters along the road to hell on the English stage. A playwright as interested in verisimilitude as Giraldi

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should not have allowed them to speak in the same register as the king, but such a departure from the conventions of written tragedies would have been unthinkable, and besides, registers have never mixed easily in Italian.

10 Barring the redoubtable Giglietta and the revenge-crazed Selina, women fare better in Orbecche than in most contemporary works. Giraldi does not believe in portraying tragic heroines as incapable of lofty thoughts. In his opinion, it is yet another principle that commentators wrongly attribute to Aristotle. In the presence of the formidable ladies of the Este court, he would indeed have been very unwise to follow it. Thus, Orbecche, her nurse, and the Chorus of Persian women are on a par with Oronte and Malecche (the learned adviser) when it comes to transforming their distress into sententiae. This does not make for livelier dialogues, but it does make the female parts as demanding as the male.

11 But Orbecche’s claim to international fame is mainly due to the author’s handling of Senecan horror. Despite his reverence for Aristotle, it is quite clear to readers of both the play and the theoretical writings that Giraldi was more interested in the effect the horrific elements had on the spectators watching the play than on any lasting influence of the theatrical experience on their lives. Modelling his Messenger’s tale on Thyestes was quite advantageous for Giraldi. First of all, he could count on audience recognition. Familiar with declamations of Seneca’s tragedies, the courtiers and academics that crowded Giraldi’s house knew what to expect as soon as the Messenger started bewailing his own unfortunate fate. Many among them would also have recognised Sebastiano da Montefalco, the star actor who had arrived in Ferrara just to deliver this bravura piece. Having no doubts as to what the Messenger was about to say, they could concentrate on how he said it. Secondly, the classical precedent provided Giraldi with a superb blueprint for the organization and phrasing of this all-important scene, which would otherwise have tested his talent for writing verse beyond its limit.

12 Unlike Seneca’s, this Messenger is there to act and not recite his monologue. Giraldi tentatively included into the speech the kind of implicit stage directions that Shakespeare would use so effectively fifty years later. The Messenger is in tears, he is pale and sad, his tale is told in a trembling voice, etc. In the theatre of the mind, the spectators can visualise every detail of the acts of brutal violence that have just taken place. With the freedom offered by the narrative, Giraldi creates a lively dialogue between Sulmone and his victim. Having chopped off Oronte’s hands, Sulmone “prese in man le mani, / Le porse a Oronte, lui dicendo: Questo / E’ lo scettro che t’offro.” [took the hands in hand, offered them to Oronte and said ‘This is the sceptre that I promised you.’ (393)]. He then turns the proud hero into a quivering supplicant by bringing in the two sons who are destined to die before him. The tyrant’s sarcasm and the victim’s pleading for his children’s lives are all the more effective for being interspersed with detailed descriptions of limb chopping and blood flowing. Oronte’s head and hands and his children corpses, with the knives still stuck into them (bad mistake!) are then tastefully arranged on silver platters as presents for Orbecche. Little by little, what could never be portrayed on the Italian stage becomes very real. At the end of the tale, spellbound by Montefalco’s voice, the spectators’ response goes beyond horror to reach maraviglia, wonder. “Messer Giulio, I still have in my eyes the wonder I saw in the gentlefolks who watched him and listened to him as he portrayed the messenger in my Orbecche. I feel as if the earth is still trembling under my feet, as I thought I felt it tremble at the time, when his portrayal of that messenger inspired such

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horror in everyone that because of the horror and the pity provoked in the souls of the spectators all remained as if stunned.” (Discorso, 220). And the effect is the result of both watching the actor’s body on stage and listening to his voice, i.e. a truly theatrical experience, something that no act of reading the same scene aloud alone back home can possibly duplicate.

13 Giraldi trusts his classical model completely. His messenger takes no part in the action. He bears witness and posits himself in a sort of no man’s land between the stage and the world the characters inhabit when they leave it. In his exchanges with the Chorus he reiterates that more is to come, that the women of Susa, and the spectators, should brace themselves for horrors that are worse than death. He brings no proof that his story is true, but familiarity with the conventions of classical tragedy ensures that the audience will trust his tale completely. Paradoxically, a greater involvement of the messenger into the action does not necessarily enhance his ability to scare the spectators with a woeful tale. In The Tragedie of Tancred and Gismund (1591-92), the role of the Senecan messenger is fulfilled by Renugio, a captain in Tancred’s guard whom we have seen escorting characters around the court in previous scenes. He informs the Chorus that he should have taken part in Guiszard’s assassination, but took pity on the Count and merely watched on as the servants strangled him. Having devoted some thirty lines to his own actions and words, he then proceeds with a tale which is modelled on Thyestes as closely as Giraldi’s and, again, culminates not with the death of the victim but with the ripping out of his heart, an outrage “that hath the tyrant king / Withouten ruth commaunded vs to doe, / Onely to please his wrathfull heart withal.”8 Like the hands in Giraldi’s tragedy, here too, the body part that is going to play a role in the rest of the play resurfaces in several contexts in the language of the messenger. But words are not deemed sufficient. The messenger enters carrying a bloody cup, and the Chorus focuses the spectators’ attention on it by specifically requesting to know its contents. Instead of answering, Ranugio launches into his tale. But the spectators know, and their attention is hopelessly divided between the words of the messenger and the prop. It is one case when engaging both the ear and the eye is less effective than engaging only the ear. When Ranugio shows the content of the cup, the Chorus is horrified, but the spectators have simply been in the know too long.

14 The shocking novelty of Orbecche on the Italian stage is kept for Act V. Unlike Seneca, Giraldi does not let the action culminate in the messenger’s tale. If the spectators have listened carefully, they know that there is a lot more to come in the way of cruel, unnatural acts. What they are not prepared for is the level of realism Giraldi is going to introduce. The author distances himself from his totally uncanonical handling of the discovery scene by letting Sulmone take over its staging. When Alloche brings him the black-veiled silver platters, Sulmone’s main concern is with displaying them to the best advantage. Why? Because the audience must have as good a view of them as Orbecche. With the help of his accomplice, turned into a willing stage-hand, the props are moved around: AL. Ove volete ch’io mi ponga i piati? Qui forse? SUL. No, ponli un po’ più discosti Da questo palco. AL. Qui? SUL. Sì: ma con ch’occhio Pensi tu che vedrà la figlia questo Dono che far le voglio?

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[AL. Where do you want me to place the platters? Here, perhaps? SUL. No, put them further away from this platform. AL. Here? SUL. Yes. But how do you think my daughter will look at my present? (410)]

15 And Alloche confirms the King’s hope that the sight will be worse than a dagger through the heart for Orbecche. Sulmone’s concern for his daughter’s reaction echoes the author’s for the audience’s. It is a situation that frequently recurs in horror movies: we know something the protagonist is unaware of. We know what’s behind the closed door or inside the gift-wrapped parcel. When the unwitting hero or, more frequently, heroine opens it we are ready to close our eyes (or keep them wide open, depending on our tastes) and Giraldi exploits such suspense to the full. Talmuche returns from Orbecche’s chamber announcing her arrival. The King stages the next scene: “SUL. Or ritiriansi un po’ tutti da canto, / Ch’al suo primo apparir qui non ne scorga.” [SUL. Let’s move aside, so that she won’t see us as she enters. (410)].9 With the departure of the King and of his accomplices, the stage remains empty except for the ominous props. How long? Probably for as long as Orbecche and the Nurse, who are due to occupy it next, feel the tension held. When they come in, they keep to a different area of stage and go through some 230 lines of foreboding and sententiae. And they never so much as acknowledge the platters.

16 Then Sulmone enters and orders everybody away because he wants to talk to his daughter. He taunts her with hopes of forgiveness and then: “SUL. Or leva quel zendado et ivi sotto / Vedrai la mia allegrezza e ’l tuo contento.” [SUL. Now remove that veil, and under it you’ll find my joy, your content. (417)]. She hesitates, and then complies. Sulmone watches her, but Giraldi watches the audience. Gasps, sobs and tears galore. One spectator faints, another is overcome by emotion. In recording the episode for posterity in his Discorso, Giraldi furnishes further details. The first casualty of the platters was Giulio Ponzoni’s fiancée. He was the addressee of the Discorso and the interpreter of Oronte. She responded, says Giraldi, “as if she had seen [him] dead.” (198). Given the national reputation of Ferrarese artisans for producing superb theatrical props, the lady may be excused on biographical grounds. But, he adds triumphantly, the other casualty was a young foreign gentleman, M.H., distressed by the situation and by the ability of Orbecche’s interpreter to perform despair. We should not hold Giraldi’s self-congratulatory prose against him. After all, four hundred years later the Royal Shakespeare Company would promote Olivier’s Titus Andronicus pretty much in the same vein (how many spectators fainted, how many threw up in the aisles, etc.). Giraldi’s recollections of the most exciting evening of his life are carefully coated in Aristotelian terms, but his heart is clearly elsewhere. He is interested in the here and now of theatrical performance. Although he is careful to constantly couple it with “compassion”, one look at his distraught audience tells him that “horror […] is the sinews of the fable.” (Discorso, 212). Forget catharsis, he wants to scare his audience on the spot.

17 Why do the sophisticated Ferrarese courtiers find a few stage props so frightening? It is not as if they had never seen dismembered bodies on stage before. After all, the lives of the saints offered an unrivalled collection of horrors, which the Sacre Rappresentazioni vividly dramatized. But the torn-off limbs of the saints, their mangled internal organs, their eyes, hands, heads offered on platters in countless images have already undergone a metamorphosis into something rich and strange by the time they are exhibited in front of devout spectators. They are the stuff relics are made on. Because

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of their de-sacralisation, of their reduction to mere body parts, Oronte’s remains become an object of horror. As Corinne Lucas notes: Pour imposer le mal dans toute sa matérialité brutale, pour qu’il suscite des sensations fortes, il faut qu’il y ait altération du corps de la victime, que celle-ci soit défigurée, amputée, que le sang gicle, etc. Bref, Giraldi considère, à juste titre, que le spectacle du mal n’est pas la mort mais l’horreur.10

18 And fainting is an appropriate response when face to face with horror.

19 If Oronte’s remains are a suitable vehicle for horror, the corpses of the children should trigger compassion. The punishment meted out on their father is not, after all, so cruel and unusual by Renaissance standards. And yet, at the climax of the play, they are practically ignored, their bodies reduced to mere sheathes for the all-important knives. Still stuck in their bodies, repeatedly referred to in the dialogue, they become the focus of the spectators’ attention while shocked Orbecche, rants at her father. For him the tragedy is over. She can now make peace with him and remarry with his approval. She does not agree. He invites her back into the palace and sets off. She replies: “ORB. … guari / Non andrà, traditor, che la vendetta / Farò io stessa de l’avuta ingiuria, / Se non mi vengon men questi coltelli.” [ORB. Traitor, it will not be long before I have my own vendetta for the outrage I suffered – if these knives do not fail me. (420-21)]. And she does the deed. Where are they at this point? According to Mary Morrison, “The first blow of the dagger is probably delivered in the portico.”11 The rest of the action undoubtedly takes place just beyond the open portals of the palace. From the portal an attendant gives us a running commentary, validated and made more dramatic by Sulmone’s cries for help.

20 Once the deed is done, Orbecche comes down stage carrying her father’s head, his hands and a knife (presumably on another platter). Like a crazed Salomé, she now cradles her husband’s head, and talks to it, bewailing its inability to reply. Shakespeare will go one up on this shocking scene in 2 Henry VI (1592). After Suffolk’s execution at the hands of the pirates, we are told that his body will be sent back to the king, a piece of information that does not quite prepare us for the stage direction that precedes the next court scene: Enter the King [reading] a supplication, and the Queen with Suffolk’s head, the Duke of Buckingham, and the Lord Say [with others]12. While the King and his courtiers get on with the affairs of state, Margaret cradles the gruesome remains of her lover, plans her revenge, and finally cries out: “Here may his head lie on my throbbing breast: / But where’s the body that I should embrace?” (IV.iv.5-6). Even more poignantly, Orbecche misses her husband’s voice more than his body.

21 She shows Oronte her father’s head and hands to get approval for her act of perfect retribution. Requested to frighten and move to tears his audience while juggling two sets of heads and hands, Flaminio, the gentleman who so convincingly played the role of the heroine, would have fully sympathized with the boy actor who had to follow Titus Andronicus’ weirdest command: “Come, brother, take a head, / And in this hand the other will I bear. / And, Lavinia, thou shalt be employed: / Bear thou my hand, sweet wench, between thy teeth”13. The Elizabethans knew that laughter needs not undermine tragedy, but not the Italians. No acknowledgement of the grotesque aspects of the tableau could possibly be allowed to enter the language of the character, and through it the mind of the audience. Orbecche completes her lamentations over her husband and her children. The Chorus rushes forth because she looks suicidal. Before they can reach her, she stabs herself in full view of the audience. No equivocation, this

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time. No starting of a violent action on the threshold of the palace then decorously completing it indoors. Another flaunting of the rules? Yes and no, replies Giraldi to his critics with his usual cleverness. Aristotle is not really categorical on this point; only a small number of classical tragedies have survived, so we cannot know for sure what the Greeks did; Plutarch approves of death on stage provided it is tastefully and convincingly portrayed and his authority should carry a lot of weight. Once again, for Giraldi, the bottom line is stagecraft. Portraying death on stage is difficult, he implies: you need good playwrights and good actors. If you haven’t got them, forget it. To make disregard for this particular rule worthwhile, you have to succeed so completely, that “although the deaths are pretended, they appear real, and those who do not know how to achieve this, should not blame those who do know.” (Discorso, 187). Quite clearly, he places himself among those who do know. And his first audience’s response to his heroine’s death would appear to prove him right.

22 Giraldi’s Orbecche is not a forgotten masterpiece. The characters show little or no development over the five acts. They are trapped in their roles (the cruel father, the wise statesman, the oppressed daughter, the loyal nurse, etc.). The dialogue is often wooden, encumbered by far too many philosophical digressions. The rhythm of the verse is monotonous, at times excruciatingly so. It would be very difficult to isolate a single, memorable line. And yet, the play is well worth rediscovering, especially in combination with the author’s theoretical writings. Under the orthodox surface, the Ferrarese scholar had planted the seeds of a revolutionary, stage oriented approach to the writing of modern tragedies. As early as 1541, he had seen the futility of strict, unthinking adherence to the rules supposedly laid down by Aristotle. He had seen the necessity of winning over the audience by capturing its interest and catering to its tastes. In Italy, the seeds did not take, and Giraldi’s innovative tragedy did not steer playwrighting in a new direction. However, Orbecche and the theoretical debate that it had triggered in Italy contributed to shaping continental playwrighting in the second half of the 16th century. The process of cross-fertilization between the works of the European dramatists (who are almost completely forgotten) and those of their dazzling Elizabethan counterparts (who still attract vast audiences) is well worth further study. Within this framework, Giraldi certainly deserves more attention than he has commanded until now.

NOTES

1. Giraldi was born in 1504 in Ferrara, an aristocrat from an influential local family. With typical Renaissance versatility, he practised medicine, held the Chair of Rhetoric at the University, as well as the high-powered position of secretary to Duke Hercules II. This at a time when the Este court was dominated by the intriguing presence of the Duchess, Renée de Valois, whose protestant entourage was to cause such severe friction between the Duke and the Pope. After his patron’s death, Giraldi left Ferrara for the University of Mondovì. There, he published a collection of novelle, the Hecatommithi (1565), which was translated into French by Gabriel Chappuis in 1583-84. Giraldi died in Ferrara in 1573. For his life and times, see Louis Berté de

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Besaucèle, J.-B. Giraldi (Geneva: Slatkine Reprints, 1969 [1920]) and P. R. Horne, The Tragedies of Giambattista Cinthio Giraldi (Oxford: Oxford UP, 1962). 2. G. B. Giraldi Cinzio, Scritti critici. Ed. Camillo Guerrieri Crocetti (Milan: Marzorati, 1972), 171-224. All translations from this edition are mine. 3. Daniel Javitch, “Self-Justifying Norms in the Genre Theories of Italian Renaissance Poets,” Philological Quarterly 67 (1988), 203. 4. Gordon Braden, Renaissance Tragedy and the Senecan Tradition: Anger’s Privilege (New Haven: Yale UP, 1985), 118. 5. G. B. Giraldi Cinzio, “Orbecche” in Teatro del Cinquecento, ed. Renzo Cremante (Milan-Bari: Riccardo Ricciardi Editore, 1988), vol. 1, 287-448. All quotations are from this edition. 6. Marzia Pieri, “Mettere in scena la tragedia. Le prove del Giraldi.” Schifanoia 12 (1991), 136. 7. Thomas Norton and Thomas Sackville, “Gorboduc” in Minor Elizabethan Tragedies, ed. T. W. Craik (London: J.M. Dent, 1974), 34. 8. The Tragedie of Tancred and Gismund, ed. W. W. Greg, The Malone Society Reprints. (Oxford: OUP, 1914), l. 1533-35. 9. For the staging of this scene, see Nicola Savarese, “Per un’analisi scenica dell’Orbecche di Giambattista Giraldi Cinthio.” Biblioteca teatrale 2 (1971), 152. 10. Corinne Lucas, De l’ horreur au “lieto fine” (Rome: Bonacci, 1984), 90. 11. Mary Morrison, The Tragedies of G. B.Giraldi Cinthio (Lewston: Edwin Mellen Press, 1997), 71. 12. William Shakespeare, The Second Part of King Henry VI, ed. Michael Hattaway. (Cambridge: Cambridge UP, 1993), IV.iv.0sd. 13. William Shakespeare, Titus Andronicus, ed. Jonathan Bate, coll. The Arden Shakespeare (London: Routledge, 1995), III.i.280-83.

ABSTRACTS

The paper examines the theoretical writings of G. B. Giraldi Cinthio and his most famous play, Orbecche (1541) in the light of Italian Senecanism. Cinthio’s account of the first performance of his tragedy shows that he was aware of the necessity of winning over the audience by catering to its tastes. He also saw the futility of strict, unthinking adherence to the rules supposedly laid down by Aristotle. The paper argues that his stage-oriented approach to theatrical writing and his exploration of the dramatic function of horror show that he has more in common with the Elizabethans than with his countrymen. A comparison of key moments in Orbecche with scenes from Elizabethan plays (The Tragedie of Tancred and Gismund, Gorboduc, 2 Henry VI, Titus Andronicus) highlights similarities in the treatment of their common Senecan sources which are unexpected in 1540s Italy. Orbecche and the theoretical debate that it triggered in Italy contributed to shaping continental playwrighting in the second half of the 16th century. The process of cross- fertilization between the works of European dramatists and those of their Elizabethan counterparts is well worth further study. Within this framework, Giraldi certainly deserves more attention than he has commanded until now.

Cette communication examine les écrits théoriques de G. B. Giraldi Cinthio et sa pièce la plus célèbre, Orbecche (1541), à la lumière du « sénéquisme » italien. Le récit que Cinthio fait de la première représentation de sa tragédie montre qu’il était conscient de la nécessité de séduire le public en satisfaisant ses goûts. Il voyait également la futilité d’un respect strict et irréfléchi aux

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règles fixées par Aristote. L’article soutient que l’intérêt de Cinthio pour la scène dans son écriture dramatique et son exploration de la fonction dramatique de l’horreur montrent qu’il a plus en commun avec les Élisabéthains qu’avec ses compatriotes. Une comparaison entre les moments clefs dans Orbecche et les scènes des pièces élisabéthaines (The Tragedie of Tancred and Gismund, Gorboduc, 2 Henry VI, Titus Andronicus) fait ressortir des similitudes dans le traitement de leurs sources sénéquiennes communes qui sont inattendues dans l’Italie des années 1540. Orbecche et le débat théorique que la pièce suscita en Italie contribuèrent à façonner l’écriture dramatique de la seconde moitié du XVIe siècle. Le processus d’influence croisée entre les œuvres des dramaturges européens et de celles de leurs homologues élisabéthains appelle d’autres études. Dans ce cadre, Giraldi mérite certainement plus d’attention qu’il n’en reçut jusqu’ici.

AUTHOR

MARIANGELA TEMPERA Mariangela Tempera (Ph.D. Comparative Literature, Indiana University) is Professor of English Literature at the University of Ferrara. She is director of the Ferrara “Shakespeare Centre”. She is editor of the series “Shakespeare dal testo alla scena” and co-editor of the series “The Renaissance Revisited”. She has published widely on Renaissance drama and Shakespeare performance, Shakespeare in popular culture. Her full-length studies include: The Lancashire Witches: lo stereotipo della strega fra scrittura giuridica e scrittura letteraria (1981) and Feasting with Centaurs: Titus Andronicus from stage to text (1999).

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Giordano Bruno et Shakespeare : la poétique d’une écriture dans l’Europe de la Renaissance

Gisèle Venet

1 Hilary Gatti intitule « Théâtre de la conscience1 » une étude qu’elle sous-titre « Giordano Bruno et Hamlet ». Dès l’introduction, elle souligne les tensions croissantes que fait naître à l’aube du XVIIe siècle « l’antinomie toujours plus dramatique entre principe d’autorité et liberté ». Après bien d’autres, elle rapproche deux événements sans rapports mais dans lesquels elle voit une « coïncidence suggestive » et un point de rupture : la même année, en 1600, la tragédie Hamlet, qu’elle considère comme prophétique de conflits d’autorité à venir, est créée à Londres, au théâtre du Globe, avec, en Hamlet, le plus « philosophe2 » des personnages shakespeariens ; tandis qu’à Rome, sur le Campo dei Fiori, le philosophe de toutes les contestations, Giordano Bruno, meurt en défiant toute forme d’autorité sur le bûcher de l’Inquisition.

2 Hilary Gatti écarte les spéculations qui n’ont pas manqué d’être faites autour d’une possible rencontre entre Shakespeare et Bruno à Londres, où le philosophe passa deux années entre 1583 et 1585, reçu par Sidney et Fulke Greville − spéculations alimentées par le fait que Bruno a publié, en italien il est vrai, la quasi-totalité de ses œuvres3 les plus contestataires à Londres, en réponse aux théologiens d’Oxford, tenants d’un monde clos et immuable selon l’autorité intangible d’Aristote4, qui avaient refusé de l’entendre, lors de sa venue à l’université en 15845. La réévaluation des véritables apports de Bruno à la réflexion scientifique et à la libération de la pensée, paradoxalement freinée par les travaux de sa thuriféraire, Frances Yates, trop axés sur le pseudo « hermétisme » de Bruno, pourrait faire remonter des informations sur les échos de sa présence à Londres et de ses dialogues dans les écrits contemporains6 après le long enfouissement que provoqua une censure redoutable qui ne se limita pas à la condamnation de ses juges, à Rome, en février 1600. L’importance − et le danger − de ses positions, l’originalité et la nouveauté de sa démarche, ne peuvent pas ne pas avoir dépassé le cercle des libres penseurs initiés, ne fût-ce qu’à l’état de rumeurs. Ainsi rend-il, dans le Banquet des Cendres, un vibrant hommage à Copernic, « son frère

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germain7 », en profitant pour faire voler en éclat les sphères concentriques du cosmos ptoléméen, exultant devant la nouvelle liberté ainsi conquise : « Nous voilà libérés des huit mobiles et moteurs imaginaires, comme du neuvième et du dixième qui entravaient notre raison. Nous le savons : il n’y a qu’un ciel, une immense région éthérée où les magnifiques foyers lumineux conservent les distances qui les séparent au profit de la vie perpétuelle et de sa répartition8 ». Dans ce même Banquet, l’insolence et la satire, à la manière d’un Érasme ou d’un Rabelais, ou plus tard d’un Galilée dans son dialogue L’Essayeur9, sont mises au service d’une science nécessairement iconoclaste puisque la pensée scientifique se condensait encore dans une « imago mundi10 ». Bruno, non content d’être ouvertement anti-aristotélicien, veut aussi nous affranchir de l’image platonicienne d’enfermement qu’est la caverne11 : « le Nolain12 a libéré l’esprit humain et la connaissance qui, recluse dans l’étroit cachot de l’air turbulent, ne pouvait contempler qu’à grand-peine, comme par de petits interstices, les étoiles dans l’immensité ; empêchée par ses ailes coupées de voler dans les nuages pour en déchirer le voile, elle ne pouvait observer ce qui se passait vraiment là-haut, ni se libérer des chimères de ces imposteurs aux multiples visages13 ». Il vitupère au passage tous les grands prêtres du savoir pour avoir écarté la raison naturelle : ils ont « éteint cette lumière qui donnait à l’esprit de nos aïeux son caractère divin et héroïque, épaississant le ténébreux obscurantisme des sophistes et des ânes bâtés14 ». Les nouvelles intuitions de Bruno, dans le Banquet des Cendres, se fondaient sur un principe de relativité générale qui ne pouvait qu’impliquer l’absence de centre et de limite15, et donc ouvrait sur la nouvelle représentation − irreprésentable − d’un univers infini et d’une pluralité des mondes, véritable théologie du multiple16, mais aussi théologie de l’infini, de « l’infinie puissance divine en acte17 », dont il développe les analyses, la même année, dans L’infini, l’univers et les mondes, et qu’Alexandre Koyré décrivait comme « une intuition géniale, mais scientifiquement prématurée18 ».

3 Hilary Gatti dresse l’inventaire des rapprochements19 souvent suggérés entre le texte d’ Hamlet et la pensée de Bruno, des années 1860 à nos jours. Ainsi de la célèbre adresse d’Hamlet à un Horatio fraîchement arrivé de Wittenberg − « There are more things in heaven and earth, Horatio, / Than are dreamt of in your philosophy20 » − qui a pu apparaître comme l’écho d’un discours tenu par Bruno aux professeurs de cette même université, le mot « philosophie » étant alors chargé de signifier les savoirs acquis, encore dominés par Aristote, et la pensée de Bruno d’élargir la quête à la dimension de ce « nouveau ciel » et cette « nouvelle terre » dont Shakespeare ferait mention en ce sens dans Antony and Cleopatra ; le Polonius rigide et pédant de Shakespeare a été assimilé à Polinnio, le tout aussi pédant aristotélicien d’un dialogue de Bruno, Cause, principe et unité21 ; un échange de réparties, impliquant un autre pédant, dans la comédie satirique de Bruno, Le Chandelier, aurait pu inspirer la célèbre réplique d’Hamlet − « Words, words, words » − au même Polonius22…

4 De même, on s’est plu à souligner qu’à l’université de Wittenberg, on avait débattu de la cosmologie de Copernic et de sa terre décentrée, débat encore ouvert lorsque Bruno y séjourna lui-même, soutenant déjà la thèse d’une absence radicale de centre dans un univers infini. Les antécédents des Rosencrantz et Guildenstern de Shakespeare − de réels étudiants danois23 inscrits à cette même université, où résida aussi un autre danois, Tycho Brahé − ont paru ajouter de la crédibilité au réseau d’allusions possibles à la cosmologie de Bruno dans Hamlet. Marlowe fait lui aussi référence à cette

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université, mais dans le contexte à la fois sulfureux et ambigu d’une mise en cause de toute science, dans le Doctor Faustus24.

5 On peut associer plus étroitement encore Hamlet à un passage de Bruno décrivant l’intellect humain : « fini en soi, il est infini en son objet25 ». Le prince, qui vient de comparer le Danemark à une prison, fait cette confidence aux deux amis dont les noms rappellent les étudiants de Wittenberg : « O God, I could be bounded in a nutshell and count myself a king of infinite space26 ». Les « mauvais rêves » qu’Hamlet évoque dans ce contexte de relativité radicale s’associent à la perception d’un obscurcissement du monde qui, selon Timothy Bright, affecte les mélancoliques27. Mais le sens pourrait aussi bien être emblématique d’une anxiété collective qui voit la sécurité d’un monde clos, d’un cosmos incorruptible, tel qu’on avait pu l’élaborer à partir d’Aristote, laisser place à la perception d’un chaos aux formes insaisissables, en phase de désagrégation : « this goodly frame, the earth, seems to me a sterile promontory. This most excellent canopy the air, look you, this brave o’erhanging firmament, this majestical roof fretted with golden fire, why, it appeareth nothing to me but a foul and pestilent congregation of vapours ». La vision anti-humaniste28 s’exacerbe de la négation de toute éminence de l’homme dans la hiérarchie des créatures : « What piece of work is a man ! How noble in reason, how infinite in faculties, in form and moving how express and admirable, in action how like an angel, in apprehension how like a god: the beauty of the world, the paragon of animals! And yet to me what is this quintessence of dust?29 ». Une référence analogique vient à l’esprit dans le contexte de ces rapprochements entre littérature et histoire des mentalités : des peintres contemporains ont aimé figurer en trompe-l’œil dans la courbe d’une coupole Renaissance les lézardes qui se forment au plus haut d’une voûte parfaite et amorcent son écroulement30. Le sens premier en est, bien évidemment, une prédication sur la vanité de ce monde périssable, même si le contexte est celui de la mythologie antique, à la manière des Métamorphoses d’Ovide qui inscrivent dans la sensibilité occidentale une ontologie de la mutation et de l’instabilité dont les baroques, tous inspirés d’Ovide, se saisiront à leur tour, mais qui vient buter, au livre XV, sur le pessimisme de la « vicissitude » et sur l’imminence d’un désastre31. À nouveau, au nombre de ses significations multiples, la figuration pourrait être emblématique du plus gigantesque des cataclysmes redoutés, celui qui menace la voûte du monde clos, lézardée par une théorisation naissante, née de la perception d’un monde en éternelle métamorphose, celle de l’univers infini32.

6 Ces quelques traces de parentés possibles suggérées entre Hamlet et Giordano Bruno pourraient, à elles seules, justifier les réflexions actuelles sur les grands courants de créativité qui, au XVIe siècle et au XVIIe, pouvaient rapprocher des auteurs dont on sait qu’ils ne se sont jamais rencontrés, probablement pas davantage lus, mais qui tous portent la marque d’une « manière » de penser et de créer qu’on pourrait presque qualifier de collective, dans une Europe encore resserrée autour de ses modèles culturels, hérités de la Renaissance humaniste, fût-ce pour les contester. Didier Souiller propose de « ne considérer les littératures des différents pays [de l’Europe baroque] que comme un seul texte, donné à lire à l’historien des mentalités ou à l’historien des idées soucieux de dégager la représentation du monde commune aux esprits de cette période33 ». De fait, la volonté de revendiquer un idiome poétique national dans chaque nation d’Europe, où fleurissent des « défenses et illustrations34 » en toutes langues, ne réussit pas à masquer les parentés d’écriture d’un imaginaire qui a tout en commun. Signe de leur vitalité même, l’art de la « copia » pourrait en être le plus haut commun

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dénominateur, de Rabelais à Cervantès, d’Érasme à Shakespeare35, de Montaigne à Philip Sidney, en passant par John Davies lui-même à l’occasion, prouvant leur attention extrême aux effets de langue et aux effets de style, quitte à la tourner en dérision pour mieux la mettre en évidence et dénoncer au passage la cuistrerie qui se prend pour savante. Dans le « proprologue » au Chandelier, son unique comédie, charge burlesque contre les Prologues de théâtre36, Bruno pourfend ceux qui « se vouent mutuellement à l’immortalité, comme bienfaiteurs des siècles futurs ». Il fait un faux éloge désopilant de la culture humaniste, commune à toute l’Europe polyglotte, et la sienne au premier chef : « Comme c’est beau (on dirait des perles sur fond d’or), des mots latins dans de l’italien, ou des mots grecs dans du latin ! Comme c’est beau, de ne pas écrire une page où n’apparaisse, à tout le moins, une petite tournure étrangère, un petit bout de vers, un trait d’esprit venu d’ailleurs ! ». Charge contre tous les Holopherne assez nombreux pour parasiter toutes les langues nationales, il ironise : « Sûr que ces gens-là me réchauffent le cœur lorsqu’ils sortent avec à-propos, en douceur ou à toute force, oralement ou par écrit, un petit vers d’Homère ou d’Hésiode, un lambeau de leur Plato grec ou de leur Demosthenes ». Le moment est venu de dénoncer cela même qu’ils pratiquent tous, dans l’idiome imagé que le nationalisme français qualifierait de… rabelaisien : « La preuve est faite qu’eux seuls ont reçu l’intelligence : Saturne la leur a pissée sur la tête, et les neufs compagnes de Pallas leur ont vidé, entre pie-mère et dure-mère, une corne d’abondance verbale ». En maniériste37 qui connaît d’autant mieux ses classiques qu’il passe son temps à en subvertir l’esprit sous couvert d’en garder la lettre, il peut porter la botte finale à cette autre pratique qui les fédère tous, susceptible de dégager les élites de cette culture classique dominante, la leur à tous, formés dans les collèges jésuites comme dans les « académies » qui fleurissent aux quatre coins de l’Europe, la didactique : « Vous allez voir un pédagogue synonymique, épithétique, appositif et suppositif : un appariteur de Minerve, un cadi de Pallas, un trompette de Mercure, un patriarche des Muses, un prince héréditaire du royaume apollinien (j’ai failli dire : « poupoulinien »)38 » ! Les reprises en mains idéologiques, au XVIIe siècle, commenceront dans tous les pays d’Europe par une épuration de la langue, preuve s’il en fallait que les choix stylistiques d’une génération ne sont jamais neutres, et que sans doute cette exubérante corne d’abondance des mots manifestait le besoin de libérer la langue et les esprits des carcans d’une culture devenue officielle. Non seulement les auteurs du temps ont pu servir de passeurs dans la transmission d’une nouvelle Épistémè, d’une nouvelle représentation du monde en train de naître39, comme on vient de le voir avec les quelques références à Hamlet, mais Bruno semble même nous inviter, sur le mode ironique qui est le sien, à oublier les hiérarchies des œuvres officielles pour accorder une attention particulière à ce qui pourrait n’apparaître que comme détail sans pertinence : « On trouve dans de misérables broutilles le germe de grandes et excellentes réalisations ; il est courant que des sornettes et des folies suscitent des jugements, des pensées et des inventions de haut niveau40 ».

7 Tout autant qu’un miroir de représentations collectives, ne faudrait-il pas dès lors considérer ces littératures dans leur textualité même, les aborder effectivement comme « un seul texte », d’un seul tenant, dont la « texture » − structure et choix des mots − plus encore que les « idées » ou les représentations qu’elle véhicule, matérialiserait des significations, détiendrait les clés d’une interprétation, aurait valeur heuristique ? Autrement dit, peut-on aborder ces écritures maniéristes et baroques communes à toute une « génération » au sens large41, en relever les étroites parentés de style, non

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pour y chercher la formule déjà-là de nouvelles représentations mais pour y détecter l’outillage privilégié d’une recherche de sens encore informulés et à la limite du formulable ? Montaigne nous y invite : « Je propose des fantaisies informes et irresolues, comme font ceux qui publient des questions doubteuses, à debattre aux escoles : non pour establir la vérité, mais pour la chercher42. » Et Bruno, à la même date, propose une esthétique en attente de formalisation, une praxis en charge de formuler une théorie encore à venir : « considérez tout cela comme un discours provisoire, même venant de ceux qui peuvent le dire de leur autorité, comme un problème que l’on pose, une mise à l’épreuve, une mise en scène de choses qui attendent d’être examinées, discutées et comparées, lorsque la musique s’entendra, lorsque le portrait se peindra, que la toile se tissera, que le toit s’élèvera…43 ». L’un et l’autre, chacun dans leur langue mais avec une unanimité de référence qui ne paraîtra extraordinaire que si l’on oublie leur culture commune et leur appartenance à une même génération, décrivent leurs écritures respectives comme analogiques de la peinture des « grotesques44 » et de l’absence de « perspective » − au double sens de perspective picturale et de recul − qu’elles impliquent. Montaigne illustre ainsi ce qu’il entend par ces « fantaisies informes et irresolues » qu’il propose : « Considerant la conduite de la besongne d’un peintre que j’ay, il m’a pris envie de l’ensuivre. Il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau élabouré de toute sa suffisance ; et le vuide tout au tour, il le remplit de crotesques, qui sont peintures fantasques, n’ayant grâce qu’en la variété et estrangeté. Que sont-ce icy aussi [ses essais], à la vérité, que crotesques et corps monstrueux, n’ayant ordre, suite ny proportion que fortuite ?45 ». On retrouve cette absence de « proportion » et cette conscience d’une écriture du fragmentaire dans la dédicace du Banquet des Cendres à Sidney : « Un peintre procède exactement de même, en ne se contentant pas de donner les grandes lignes du sujet ; pour remplir son tableau, il peint aussi des pierres, des montagnes, des arbres […] ; çà et là un oiseau, un porc, un cerf, un âne, un cheval ; il se borne à montrer la tête de l’un, la corne d’un autre, l’arrière-train d’un troisième, faisant voir les oreilles de celui-ci alors qu’il décrit entièrement celui-là46 ». Et d’ajouter, comme pour s’excuser de ces « crotesques et corps monstrueux » : « Si les couleurs du portrait [son dialogue] ne vous semblent pas correspondre à celles du modèle vivant, si les traits vous paraissent inadéquats, sachez que ce défaut vient de l’impossibilité où se trouvait le peintre d’examiner son œuvre, de prendre le recul et la distance que prennent d’ordinaire les maîtres de l’art […]. Prenez donc ce portrait tel qu’il est, avec ses deux, ses cent, ses mille détails et tout ce qu’il comporte47. »

8 Au cours de la phase de crise des représentations, crise de « l’épistémè » sans doute la plus importante qu’ait connu l’Europe, et qui s’exprime avec les premières intuitions du décentrement de la terre par Copernic, vers 1513-151448, la déhiscence des modèles imaginaires atteint toutes les formes de représentations esthétiques. Ainsi du plus évident, puisqu’il touche au regard, à l’objectivité du sens de la vue, cette « perspective » dont Montaigne et Bruno cherchent justement à faire l’économie : modélisation mathématique49 de la perception de l’œil dans un espace tridimensionnel, elle pose les lois d’une représentation bidimensionnelle de cet espace dans la peinture50 qui crée une illusion de perception « naturaliste » malgré l’artificialité des moyens mis en œuvre. Mais à peine cette perspective formulée, une autre modélisation mathématique contrevient aussitôt au confort ainsi instauré par la transcription mimétique exacte de l’espace. L’anamorphose51, tributaire des mêmes lois de l’optique, introduit dans la perception, par le même jeu mathématique des projections, une

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déformation qui va jusqu’à provoquer la méconnaissance de l’objet, la déroute du regard. Brisant avec la sécurité d’une coïncidence de points de vue entre l’œil et le tableau, l’anamorphose oblige le spectateur à se mouvoir, à intégrer le mouvement dans la perception de l’objet pictural immuable52, ou encore, « perspective dépravée » comme la nomment ses théoriciens contemporains53, à user de l’artifice supplémentaire d’un jeu de miroir pour restaurer une perception intelligible, quand cet effet de miroir n’introduit pas des déformations supplémentaires, qu’il soit convexe, concave, ou lui- même déformé dans sa surface54. Paradoxe sur le paradoxe, on trouvera même des anamorphoses sans artifice : Shakespeare, le plus ironique usager de cette poétique des illusions d’optique, contrevenant à son tour aux trop complexes jeux dont abuse sa génération, crée un « effet de miroir » à partir d’un « effet de nature » qui ne doit rien à un « effet de réel » et tout à l’artifice − le déguisement d’une fille en garçon. Dans Twelfth Night, jouée en 1600, la perplexité amoureuse, créée par d’abusives ressemblances entre une sœur et son frère, ne se résout que par une image de perplexité, un effet d’anamorphose naturelle lorsque les jumeaux Viola et Sebastian sont enfin ensemble sur la scène, à l’acte V : One face, one voice, one habit, and two persons, A natural perspective, that is and is not. (V.i.205-206)

9 Pour Bruno, c’est aussi grâce à un effet de réel impliquant l’artifice, en utilisant la notion d’horizon apparent ou « horizon artificiel », point de convergence des lignes de fuite dans la géométrie perspective, qu’il peut prendre en défaut cette géométrie même et démontrer la relativité de toute perception selon la position de l’observateur − il reprend l’exemple classique de la chute d’un corps sur un bateau qui avance55 − et l’interférence du mouvement avec toute trajectoire, celle-ci ne pouvant dès lors jamais être une droite sinon en apparence. Cette mise en cause des sens dans leur rapport à la perception lui permet d’affirmer que « aucun sens ne perçoit l’infini56 » mais que paradoxalement l’infini y gagne une réalité indéniable : « aucun de nos sens ne nie l’infini, car on ne saurait nier l’infini du seul fait qu’il n’est pas compris par nos sens » ; et de conclure à une paradoxale phénoménologie où les sens sont chargés de confirmer des phénomènes qui échappent à la perception : « à y regarder de plus près, nos sens posent l’univers comme infini57 ». Dès lors, plus de « royaume exigu », plus de « pauvreté imaginaire58 », plus de « limites de la concavité sidérale59 », mais une poétique du mouvement infini, que Bruno ne peut plus exposer dans le langage ordinaire, quand bien même ce serait par « l’ampleur et l’abondance d’une prose imposante et vigoureuse » qu’il dit toujours préférable au « style maigrelet, délicat, étriqué, laconique et concis de l’épigramme60 ». Façon pour lui de tenir à distance « les docteurs en grammaire61 », les doctes d’Oxford qui l’avaient si mal accueilli, il lui faut écrire cette « phénoménologie » dans la seule forme qui rende compte de la complexité paradoxale du monde, la forme du sonnet maniériste, sonnet de la métamorphose où les antonymes y sont principes multiples du mouvement, non pour diviser en antithèses, mais pour ramener à l’unité paradoxale du même, cette unité dût-elle se donner à son tour sous la forme instable du mouvement : Rien ne repose, mais tout tourne et tournoie Où dans le ciel et sous le ciel on voit. Toute chose se meut, ou en haut, ou en bas, Bien qu’elle soit longue ou brève, Ou pesante, ou légère ; Et peut-être tout va du même pas Et vers le même point.

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Car toute chose se meut jusqu’à l’un : Tant la vague sur l’eau tournoie, Que la même partie Tantôt retombe, tantôt remonte, Et le même tohu-bohu Donne au tout Tous les mouvements possibles62.

10 Malgré la proximité des emprunts, faits aux mêmes sources, tout autre est la cosmologie d’un poète comme John Davies, ancien étudiant d’Oxford et sans doute lui- même hostile aux thèses de Bruno, se conformant en tout cas fidèlement aux modes d’idéation et aux seuls savoirs théologiques admis dans les cercles universitaires63. Dans son poème Orchestra, il fait entendre les harmonies cosmiques et le chant des sphères, musique que Shakespeare à son tour à la fois évoque et rend inaudible sous le ciel étoilé, à l’acte V de The Merchant of Venice, lorsque Lorenzo explique à Jessica l’incommensurable distance entre amour humain et amour divin64. Davies introduit bien une poétique du mouvement par la danse, mais, en calviniste qu’il est, c’est pour mieux la rejeter comme une tentation dangereuse, par la voix de la très chaste reine Pénélope. S’il a recours à l’image du miroir, « a crystall mirror », présenté dans le poème à cette même reine, c’est non pas pour créer quelque anamorphose déformante, mais pour en faire l’image exaltée du « Cymbalum Mundi », le miroir orphique platonicien grâce auquel Pénélope peut saisir dans l’instant immobile toute l’histoire éternisée à venir. Mais, pour l’idéologue Davies, l’instant d’élévation épiphanique qui transcende tout mouvement et restaure l’unité de la perception et du temps devra servir la cause nationale : le miroir reflète un univers parfait, l’île coextensive du miroir, l’Angleterre. Cette île bienheureuse venue des mythes d’Hésiode, « This precious stone set in a silver sea65 », Shakespeare la célèbre aussi dans Richard II, mais assombrie par la tragédie qui menace le royaume : l’anamorphose, faussement consolante, naît alors d’un chagrin, « blinding tears66 », et le miroir ne reflète qu’une vanité, « a brittle glory67 », l’identité éphémère d’un roi. Dans le poème de Davies, au contraire, s’il y a anamorphose, ce ne peut être que du parfait au parfait : la reine Pénélope s’y perçoit en anamorphose d’apothéose, reflétée en modèle identique et transmué à la fois, en reine Elizabeth, en même temps que sa cour accède à l’éternel présent du mythe de l’âge d’or : « Our English court’s divine image, / As it should be in this our golden age ».

11 Davies écrit comme il pense, et comme il voit le monde, autour d’un point fixe, même lorsqu’il pratique l’introspection : « My selfe am center of my circling thought, / Only my selfe I studie, learne, and know68 ». Preuve s’il en fallait que le choix des mots est un choix sur le monde. Un même « texte », pourtant, avec ce texte de Davies, continue de s’écrire, d’un auteur à l’autre, le texte anti-humaniste qui, pour être déjà devenu « lieu commun », c’est-à-dire représentation collective, révèle malgré tout la perplexité du moi baroque devant ses propres fragilités et ses contradictions : I know my life’s a paine and but a span, I know my Sense is mockt with euery thing: And to conclude, I know myself a MAN, Which is a proud, and yet a wretched thing69. 12 L’homme superlatif − a MAN − qui se découvre au miroir de lui-même n’est donc toujours que l’homme déchu, l’homme oxymore de la piété baroque, protestante ou catholique. Montaigne, avec « L’Apologie de Raymond Sebond », lui en a fourni l’un des modèles70, hérité de saint Augustin et de la devotio moderna, lorsqu’il évoque la

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« vanité » de « cette miserable et chetive creature, qui n’est pas seulement maistresse de soy » et pourtant « se die maistresse et emperiere de l’univers71 ». Montaigne a conscience d’écrire ce « texte » collectif à partir de son moi singulier : « chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition72 ». Il y ajoute la découverte du moi empirique, « toujours en apprentissage et en epreuve73 », dans un monde, comme celui que perçoit Bruno, en perpétuel mouvement : « Toutes choses y branlent sans cesse : la terre, les rochers du Caucase, les pyramides d’Ægypte… La constance mesme n’est autre chose qu’un branle plus languissant74 » − un moi qui a délibérément choisi le mouvement75 : « je ne peints pas l’estre. Je peints le passage76 ». Ce moi empirique est loin d’être unifié, même s’il reste le « centre » d’une observation privilégiée : « Je m’estudie plus qu’autre subject. C’est ma metaphisique, c’est ma phisique77 ». En abusant des mots de Montaigne, on pourrait suggérer qu’au « texte » du « moi métaphysique », le moi du désespoir de soi devant la contradiction adamique, ontologique, partagé par tous et qui inspirera le Pascal des Pensées comme le Swift des Voyages de Gulliver et du « Yahoo », se tisse intimement l’autre « texte » qu’écrit le moi de la physiologie contradictoire, le « moi physique » de l’amant pétrarquiste. « En la clarté de mes désirs funèbres », écrit Maurice Scève pour célébrer Délie, « Celle beaulté […] embellit le Monde », celle même aussi qui « m’abysme en profonde tenebres78 » ; comme Du Bellay ressentira « une froydeur secrètement brûlante » et boira à longs traits « l’aigre-doulce poyzon79 ». Thomas Wyatt, dans ses rondeaux, ses sonnets, ses ballades, n’a pas assez d’antonymes pour déplorer la contradiction qui l’exalte et l’étreint : I find no peace and all my war is done. I fear and hope, I burn and freeze like ice, I fly above the wind, yet can I not arise…

13 Il se découvre, à trop aimer, un moi haïssable, hérité de Pétrarque avec l’emprunt d’un vers du Canzionere : « I love another and thus I hate myself80 » ; la Juliette de Shakespeare, par un même tissage poétique des hémistiches inversés en miroir, découvre l’oxymore de l’amour haïssable qui pourrait l’empêcher d’aimer : My only love sprung from my only hate, Too early seen unknown, and known too late. Prodigious birth of love it is to me That I must love a loathed enemy81.

14 Louise Labé dispose encore d’une pléthore de mots pour décrire le moi en déroute sous la contrainte d’une psychophysiologie dont la constante est l’inconstance : Je vis, je meurs : je me brule et me noye. J’ay chaut estreme en endurant froidure : La vie m’est et trop molle et trop dure. J’ai grans ennuys entremeslez de joye : Tout à un coup je ris et je larmoye, Et en plaisir maint grief tourment j’endure82…

15 Roméo, encore pétrarquiste avant de rencontrer Juliette, après l’accumulation des oxymores − « O brawling love, O loving hate, / O anything of nothing first created… 83 » −, voit le langage pléthorique dériver vers l’énigme − « Still-walking sleep, that is not what it is » − et le vers, flexible, replier les mots sur eux-mêmes, le deuxième hémistiche chargé de dédire en miroir les dires du premier : « This love feel I, that feel no love in this84 ». Mais quand les mots manquent, il faut parfois forcer la langue. Etienne Jodelle, dans ses sonnets à Diane, a épuisé la poétique des contraires dans la figure limite du malheur amoureux, lieu commun s’il en est de la poésie pétrarquiste et

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maniériste, le ciel à l’enfer conjoint : « Faire en la terre un ciel, ou un enfer tu peux85 ». Il lui faut encore transgresser la grammaire − « mon heur malheurera 86 » − par un de ces jeux linguistiques dont se servira Shakespeare pour forcer le substantif statique à se faire verbe, c’est-à-dire mouvement. Shakespeare coule même la veine pétrarquiste dans le moule d’un sonnet pour en signaler la stérilité poétique désormais, qu’il s’agisse de récuser les jeux les plus acrobatiques des maniéristes avec les figures et les formes − « Why with the time do I not glance aside / To new found methods and to compounds strange ? » − ou de revisiter une pratique déjà ancienne de la répétition − « Why write I still all one, ever the same, / And keep invention in a noted weed » −, la feinte du compliment amoureux ramenant le même au même avec l’usure des mots − « So all my best is dressing old words new, / Spending again what is already spent » −, réponse à la question initiale qui ouvrait le sonnet − « Why is my verse so barren of new pride ? » − et écho de la « vanité des vanités » sous le soleil quotidien de l’Ecclésiaste: « For as the sun is daily new and old, / So is my love still telling what is told87 ».

16 Bruno lui-même, comme beaucoup d’autres poètes maniéristes de sa génération, et s’adressant au maître de ces poétiques, « au très illustre Sir Philip Sidney », a mis à mal le pétrarquisme et la poétique des « blasons » dans un déchaînement de « fureur héroïque » et de hargne misogyne contre la femme, fausse idole dont il ne veut retenir que les minauderies et les grimaces88 ; comme Hamlet, sur le même ton iconoclaste, ne voit plus du visage si cher d’Ophélie que ses « peintures » : « God hath given you one face, and you make yourselves another. You jig and amble, and you lisp, you nickname God’s creatures, and make your wantonness your ignorance89 ». La passion que met Bruno à détruire les modèles, à instaurer d’autres principes de créativité que l’adulation stérile et l’inféodation servile, s’en prend à Pétrarque lui-même pour « s’être montré si éperdu d’amour pour une femme du Vaucluse ». Il ravale ainsi le culte de Laure à un « zèle à nourrir cette mélancolie », le reléguant au rang d’une simple explication « des affections et obstinations d’un amour vulgaire », et suggère d’en faire cas « non autrement que tant d’autres qui jadis firent l’éloge de la mouche, du cafard, de l’âne, de Silène, de Priape », et de tous les objets les plus burlesques que lui dicte la corne d’abondance des mots, dont « le four, le marteau, la famine et la peste90 ». C’est pourtant à cette tradition pétrarquiste des contradictions du désir que Bruno emprunte de quoi formuler sa version du moi : « Le Furieux ici, commence à faire montre de ses passions et à découvrir des plaies qui, par figure, sont plaies du corps, mais en substance et en essence, plaies de l’âme91 ». Ce moi psychosomatique, qui est sa « physique » et sa « métaphysique », il ne peut que l’exprimer, comme Louise Labé avant lui, par antonymes, choisissant, comme toujours lorsqu’il passe au mode poétique, la forme du sonnet, le grand genre maniériste : « mes espoirs sont de glace et de feu mes désirs : / tremblant de froid, au même instant je brûle et tremble ; / suis muet et remplis le ciel de cris ardents92 ». Il emprunte, lui aussi, comme Thomas Wyatt, le même vers de Pétrarque, dont on mesure, par la fréquence des emprunts, la portée pour l’imaginaire de soi, sur plus d’un siècle de rebondissements poétiques : « Un autre est ce que j’aime et moi-même je me hais93 ».

17 Non content, cependant, d’être poète maniériste parmi les maniéristes, Bruno pense en philosophe cette poétique de la contradiction, ce « moi poétique » commun à toute une génération d’auteurs et de poètes. Didier Souiller, posant que « la période baroque n’a pas eu de philosophie propre », suggère que « l’échec de la pensée se trouve reflétée dans la littérature, devenue témoin de ces errements et errances94 ». À lire Bruno de

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plus près, on serait plutôt tenté de penser que cette « littérature » − entendons toujours « ces littératures de différents pays saisies comme un seul texte » − grâce justement à ces « errements et errances », expression d’une liberté qui se cherche dans les libertés prises avec la rhétorique, avec les règles, avec les formes, a aidé à libérer les esprits, et par là même permis l’expression d’une philosophie de la liberté, hors de la soumission dévote aux héritages, hors des « sphères » qui l’emprisonnaient. Par le biais d’une écriture, le siècle a trouvé son philosophe. Dans son épître dédicatoire, rebaptisée « épître d’explication », dédiant L’expulsion de la bête triomphante à nouveau à Sir Philip Sidney, Bruno exulte en faisant lui-même la description de ses dialogues. Mettant la « copia » au service de la contradiction créatrice, il énumère avec jubilation une cascade d’antonymes : « c’est à vous seul que je présente ces dialogues, qui paraîtront bons ou funestes, précieux ou sans valeur, excellents ou vils, savants ou ignorants, sublimes ou humbles, fructueux ou inutiles, féconds ou stériles, sérieux ou facétieux, religieux ou profanes, comme peuvent l’être les lecteurs dans les mains desquels ils tomberont, les uns d’un tempérament, les autres d’un tempérament contraire95 ». Comme il posait un principe de relativité générale pour rendre évidente l’impossibilité pour l’univers d’être contenu dans des sphères, il pose ici une relativité générale de la réception qui, de facto, fait éclater l’idée même d’une norme du texte, pour l’auteur comme pour le lecteur, selon l’esprit de subversion de la norme qui parcourt la littérature maniériste et baroque tout entière96. Shakespeare repensera en praticien la norme, la tradition, la règle, exerçant de radicales subversions par leur simple remise en jeu esthétique au cœur de l’œuvre, critique emboîtée, chevillée au texte même, et cela, quel que soit le « genre » de départ, qu’il écrive une comédie maniériste comme A Midsummer Night’s Dream97, ou une tragédie oxymore comme Romeo and Juliet98, ou une tragédie de vengeance dont il observe toutes les règles pour mieux les transgresser avec Hamlet99. Bruno, servi par la forme du dialogue qui permet la libre circulation de la parole contradictoire, comme au théâtre, autre genre privilégié des maniéristes et des baroques, repense en philosophe relativiste la notion de règle littéraire : « Je connais en poésie des faiseurs de règles qui à grand peine nous accordent Homère, rejetant Virgile, Ovide, Martial, Hésiode, Lucrèce et bien d’autres au nombre des versificateurs, après les avoir examinés suivant les règles de la Poétique d’Aristote », ironise Cicada, dans le premier dialogue des Fureurs héroïques ; à quoi Tansillo, alias Bruno, répond : « la poésie ne naît pas des règles, […] mais les règles dérivent de la poésie », donnant la préséance à l’invention sur l’imitation, à la praxis sur la théorie, à l’empirisme sur le système. Face aux « tristes pédants de notre siècle », il affirme « qu’il existe et peut exister autant de sortes de poètes qu’il peut y avoir et qu’il y a de sortes de sentiments et d’inventions humaines100 ». Ce nouveau plaidoyer pour le pluralisme s’allie à la recherche d’une « concorde dans la discorde », comme dirait le Thésée du Songe, « par conciliation et harmonie101 » dans la contrariété, dit Bruno.

18 C’est donc bien un système philosophique pour une époque baroque que formule Bruno, ce système dût-il être un anti-système et s’apparenter à ce que Clément Rosset décrit comme la « logique du pire », qui n’exclut pas le rire, mais implique l’acceptation tragique du monde tel qu’il est sans espoir de « réparation », un monde dans lequel l’homme, après la « catastrophe » annoncée par Bruno − la fin des repères fixes et du monde clos − devra entendre les mathématiciens les plus exacts la confirmer, devra accepter de dire avec Galilée, quoi qu’il lui en coûte : e pur si muove. Rosset suggère que le plus souvent « la tâche de la philosophie est de refaire ce que la littérature a défait », faisant appel aux « logiciens de le réparation », « logiciens de l’ordre, de la sagesse, de

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la synthèse ou du progrès » ; mais que quelques philosophes, objets « d’une relégation hors du champ proprement philosophique », « apportent la peste dans le champ philosophique » : « logiciens du pire », ils s’attachent à « systématiser le tragique en œuvre dans telle ou telle littérature102 », à en confirmer les intuitions. Si le tragique tel que l’analyse Rosset ne s’apparente ni au triste, ni à la mort, mais à l’acceptation d’un constat − il cite Lucrèce, Montaigne, Pascal − il aurait pu ajouter Bruno au nombre des « logiciens du pire », comme Shakespeare, le poète de l’irréparable, en fait aussi partie103.

19 Bruno dépasse en effet la seule évocation littéraire du moi insaisissable − « plus je le cherche, plus à mes regards il se cache104 » − pour faire de la contradiction la clé d’une interprétation de ce moi dans le monde, et finalement du monde lui-même, une clé philosophique. C’est une épistémologie de l’écriture baroque qu’il nous fournit, cherchant le sens sous-jacent du choix des mots ou des figures dans la structure même du monde susceptible de les éclairer, voire de les expliquer : « toutes les choses sont faites de contraires ; et, de cette composition qui est au fond des choses, il résulte que les affections qui nous y attachent ne nous conduisent jamais à aucune délectation qui ne soit mêlée de quelque amertume105 ».

20 Ce plaisir du déplaisir106, avatar de la voluptas dolendi de Pétrarque, n’a plus à prendre l’apparence d’une psychophysiologie du désir, moins encore d’un usage littéraire répétitif des grands mythes de l’imaginaire baroque : lorsque Bruno reprend, comme tous les maniéristes, le mythe d’Actéon, c’est pour énoncer ce paradoxe apparent − « Harmonie et concorde sont absentes où est l’unité107 », plaidant la nécessaire diversité. Mais c’est avec le premier dialogue de l’Expulsion de la bête triomphante que Bruno explicite cette philosophie. Le dialogue débute in medias res par des points de suspension, façon de ne poser ni commencement ni fin à pareil échange, puisqu’on y parle de la vicissitude sans laquelle « rien n’irait, rien ne serait bon, rien ne serait délectable108 ». Sofia, figure bien nommée, y expose un principe de plaisir d’un genre nouveau, impliquant une forme paradoxale d’ascétisme et d’hédonisme conjoints, ce qui ne surprendra pas sous la plume d’un disciple d’Épicure : « Le plaisir, nous voyons que ce n’est rien d’autre qu’un certain passage, un cheminement et un mouvement ; dans la mesure où l’état de faim est pénible et désagréable, où l’état de satiété est déplaisant et pesant, ce dont nous nous réjouissons est bien le passage de l’un à l’autre109 ». Orsino, le jeune duc languissant, au premier vers de Twelfth Night, en l’état d’une faim de l’amour qui appelait la musique − « If music be the food of love, play on » − n’anticipait que trop bien l’état de satiété qui devait suivre : « Give me excess of it, that, surfeiting, / The appetite may sicken », dérouté par cette facilité avec laquelle « l’esprit d’amour », si vif qu’il soit, « en moins d’une minute », tombait dans l’abattement. Bruno, le poète philosophe, généralise par l’intermédiaire de Sofia à nouveau : « le mouvement du contraire au contraire par leurs états intermédiaires, voilà ce qui cause la satisfaction110 ». Saulino, le disciple privilégié, énonce alors clairement le principe de ce plaisir du déplaisir, héritier du « doux-amer » de la poésie pétrarquiste : « il n’y a pas de délectation qui ne soit mélangée de tristesse111 ». Non seulement il commence à entrevoir « pourquoi la concorde ne se réalise que là où il y a contrariété », mais il peut même adopter « le point de vue physique, mathématique et moral112 », c’est-à-dire pleinement philosophique. Il pourrait y ajouter le point de vue esthétique, qui dérive lui-même du point de vue moral113, et expliciter pourquoi la figure par excellence de la poétique baroque est l’oxymore et non l’antithèse. Dans cette figure paradoxale d’une équation des contraires − « Fair is foul, and foul is fair »

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− se matérialise l’impossibilité de configurer une perception, un renoncement à peindre l’être. En ce sens, l’oxymore est la négation, ou plutôt la dénégation de la métaphore, l’impossibilité d’identifier le semblable avec le semblable, le refus de tout processus analogique. Figure à deux pôles contradictoires unifiée par leur dissemblance, l’oxymore confirme cette autre intuition de Sofia : « finalement, nous voyons qu’il y a une telle familiarité entre un être et son contraire, qu’ils se conviennent mieux l’un à l’autre que le semblable au semblable114 ». L’oxymore serait alors plutôt ce qui « peint le passage » entre deux termes contradictoires, unis en ce point idéal de la « pointe » au sens de figure poétique paradoxale, point ténu de résolution du paradoxe, ou plutôt, dans les termes mêmes de Bruno, « un point où la contrariété s’abolit115 », dans une fulguration de sens conjuguant l’intellect et les sens, nous contraignant à être, pour emprunter à Montaigne, « intellectuellement sensibles, et sensiblement intellectuels116 ».

21 Bruno, par l’intermédiaire des figures de la contradiction créatrice, a pu élaborer cette philosophie dont il nous livre la clé, le seul héritage philosophique auquel il veuille que l’on s’arrête, mais qui repose aussi sur le « système » le plus instable qui soit : la « coincidentia oppositorum » énoncée par Nicolas de Cuse, « le philosophe qui s’est rendu à la raison de la coïncidence des contraires117 ». Une déclaration de Sofia fait suite, qui montre combien cette proposition est fondatrice pour toute la philosophie baroque du mouvement, celle de Montaigne dans laquelle « Le monde n’est qu’une branloire pérenne », celle de Shakespeare qui trouve son apothéose dans l’instabilité tragique de Antony and Cleopatra118, comme celle de Bruno : « le principe, le moyen et la fin, la naissance, l’accroissement et la perfection de tout ce que nous voyons viennent des contraires, par les contraires, dans les contraires, pour les contraires ». Sur l’énoncé qui se poursuit − « là où il y a contrariété, il y a action et réaction, il y a mouvement119 » − repose la dynamique de l’univers infini, la nécessité de l’infini exposée dans le Banquet de Cendres.

22 Pascal confirmera un jour prochain la philosophie du mouvement pérenne : « Notre nature est dans le mouvement ; le repos entier est la mort120 ». Il pourra affirmer, sans risquer le bûcher, que « rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis, qui l’enferment et qui le fuient121 ».

NOTES

1. Voir Hilary Gatti, Il Teatro della coszienza. Giordano Bruno e “Amleto” (Roma, Buzoni, 1998). Des références plus anciennes, qu’elle cite, témoignent de rapprochements entre les deux figures phares autour de l’année 1600, dont Robert Beyersdorff, Giordano Bruno und Shakespeare (Oldenburg, 1889), et Paolo Orano, “Amleto” e Giordano Bruno (Lanciano, 1916). 2. Voir Hilary Gatti, « Coleridge’s Reading of Giordano Bruno », Wordsworth Circle, Summer 1996. Hazlitt par ailleurs décrit en Hamlet « le prince de la spéculation philosophique » (voir Préface de Gisèle Venet à son édition bilingue, Hamlet, trad. de Jean-Michel Déprats, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », 2004, p. 15).

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3. John Florio, par ailleurs traducteur de Montaigne, cite cinq des œuvres londoniennes de Bruno dans l’édition de 1611 de son célèbre dictionnaire, A Worlde of Wordes or Dictionarie in Italian and English. Les œuvres publiées en Angleterre sont, dans l’ordre chronologique suggéré par P.-H. Michel, pour 1584 : Le Banquet des Cendres ; Cause, principe et unité ; L’infini, l’univers et les mondes ; L’Expulsion de la bête triomphante ; et en 1585, La cabale du cheval Pégase ; Les Fureurs héroïques. Le Chandelier est publié en 1582. 4. L’année suivant la venue de Bruno à Oxford, un décret du 12 mars 1585 y impose le retour exclusif à Aristote. Cf. Bertrand Levergeois, Giordano Bruno, Paris, Fayard, 1995, note 63, p. 195. 5. Bruno fait lui-même le récit satirique de cette réception dans Le banquet des Cendres, trad. Yves Hersant, Nîmes, Éditions de l’Éclat, 2002, p. 100. 6. Voir, entre autres travaux actuels, Hilary Gatti, Giordano Bruno and Renaissance Science, Ithaca, Cornell University Press, 1999, en particulier II, 5 : « Bruno and the Gilbert Circle ». 7. Ibid., p. 21. 8. Ibid., p. 26. 9. Dialogue de 1623 dont il ne reste que des fragments, in Galilée, Dialogues et lettres choisies, Giorgio di Santillana (éd.) et Paul-Henri Michel (trad.), Paris, Hermann, 1966. 10. Dans un ouvrage de grand format intitulé Imago Mundi, Francesco Bertola reproduit les principales représentations de l’univers, de Ptolémée aux bibles médiévales, en passant par Digges, Fludd, Tycho Brahe, Copernic, etc., Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1996. 11. Didier Souiller voit au contraire en Bruno un platonicien, dans son article « L’image platonicienne de la Caverne dans la littérature baroque européenne », Imaginaires du simulacre, J- J. Wunenberger, M. Milner, D. Souiller (éds.), n° 2, Dijon, 1987, p. 47. Mais Bruno peut, il est vrai, dans sa philosophie polymorphe, pratiquer aussi le platonisme comme dans Les Fureurs héroïques. 12. Nom qu’on lui donnait et qu’il se donne à lui-même, d’après son lieu de naissance, Nola, près de Naples. 13. Ibid., p. 24. 14. Ibid. 15. Ibid., p. 74. 16. Ibid., p. 110. 17. Ibid., p. 98. 18. Alexandre Koyré déplore qu’il faille attendre Descartes pour renouer avec la filiation entre infinité divine et infini du monde physique, alors que Kepler, au nom d’une vision cosmologique qui « l’enferme dans les bornes d’un monde de structure finie », « rejette l’intuition géniale mais scientifiquement prématurée, de Giordano Bruno », in Études d’histoire de la pensée scientifique, Paris, Gallimard, 1973, p. 12. 19. Gatti cite, entre autre, Benno Tschischwitz (c. 1876), p. 30. 20. Hamlet, I.v.164-165, p. 104. 21. Ibid., p. 31. 22. Le Chandelier, éd. N. Ordine, trad. Y. Hersant, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. 118-120. 23. Deux étudiants danois qui fréquentèrent cette université entre 1586 et 1595, portaient l’un le nom de Rosenkrantz et un autre de Gyldenstjerne. 24. Marlowe fait dire à Faust qu’il y a étudié trente ans (Doctor Faustus, V.ii.45-46). 25. Les Fureurs héroïques, éd. et trad. Paul-Henri Michel, Paris, Les Belles Lettres, 1984 (1e éd. 1954), p. 284. 26. II.ii.247a-249a, p. 138 (le passage, absent de l’in-quarto de 1604, n’apparaît qu’avec l’édition in-folio de 1623). 27. Traité de la mélancolie (1586), éd. et trad. E. Cuvelier, Grenoble, Jérôme Million, 1996, p. 127-128. 28. La tradition anti-humaniste donnera deux grandes « lignées » aux XVIe et au XVIIe siècles : les tenants d’une apologétique chrétienne, sur les modèles de Luther ou Calvin autant que de Pascal,

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désespérant de l’homme pour mieux le faire se tourner vers Dieu ; et les tenants de philosophies de la « Nature », panthéistes, « athées », « libertins », disciples d’Épicure, etc. Voir Henri Gouhier, L’anti-humanisme au XVIIe siècle, Paris, Vrin, 1987, chap. 1, « Autour d’une définition ». 29. II.ii.263-273, p. 142. 30. Voir Sabine Forero-Mendoza, Le Temps des ruines, Champ Vallon, 2002, en particulier l’effet d’écroulement dans la salle des Géants, Palais du Té, à Mantoue, c. 1530-1532. 31. Le livre XV des Métamorphoses décrit à la fois l’usure du monde ou cycle de la « vicissitude » et la nécessaire catastrophe d’un embrasement cyclique purificateur. 32. Dans ce contexte de réflexions sur l’infini, Hilary Gatti, dans « Minimum and Maximum, Finite and Infinite : Bruno and the Northumberland Circle » (Journal of the Warburg and Courtauld Institutes (48), 1985, p. 144-163), signale un manuscrit non publié du mathématicien Thomas Harriot, De Infinitis (référence communiquée par Christine Sukič). 33. Voir « L’image platonicienne de la Caverne dans la littérature baroque européenne », op. cit., p. 49. 34. À titre d’exemple, Du Bellay publie sa Deffence et illustration de la langue françoyse en 1549 ; vers 1564, le Tasse ébauche un Discours de l’Art poétique qui sera publié en 1587 ; vers 1579, Sidney conçoit A Defence of Poesie, qui paraît à titre posthume en 1595, tous défendant le choix de l’idiome national. 35. Voir la thèse non publiée de Laetitia Coussement-Boillot, « Copia et cornucopia: la poétique shakespearienne de l'abondance » (2000). 36. On cherche le personnage « prologue » au début du Chandelier, remplacé par ce « proprologue » en forme d’Art poétique, comme au début de Every Man out of his Humour, joué en 1598, le retard du « prologue » permet à Asper, alias Jonson lui-même, de préciser lui aussi ses vues sur l’art de la comédie, avec une faconde cornucopiesque. 37. Dans cet article, la place manque pour commenter la différence entre maniérisme et baroque mise en évidence ailleurs (voir notes 97 à 100). Pour faire court, disons que le maniérisme recouvre une phase initiale et initiatique du baroque, avant 1600, qui a plus à voir avec la manipulation des mots et des héritages, le plein baroque ensuite (Shakespeare tragique par exemple, avec Hamlet : 1600 est réellement une date clivage) étant plus autonome par rapport aux modèles poétiques et culturels, culminant au théâtre, par exemple, c. 1625, avec la tragédie de John Ford, ’Tis Pity She is a Whore (voir la Préface à mon édition Dommage que ce soit une putain, trad. Jean-Michel Déprats, Gallimard, Folio Théâtre, 1998). 38. Le Chandelier, op. cit., p. 46-48. 39. Sur l'importance de la littérature dans l'expression de la pensée de Bruno, voir Bertrand Levergeois, Giordano Bruno, Paris, Fayard, 1995, chap. VIII, « Bruno écrivain ». 40. Le Banquet des Cendres, op. cit., p. 12. 41. Didier Souiller adopte comme dates pour cette période entre 1560-1580 et 1640-1660. Il nous a toujours semblé qu’il fallait inclure les premiers poètes et peintres maniéristes, à partir de 1530. La date de la mort de Bruno, 1600, servira ici de borne aux parallélismes des références pour des raisons évidentes. 42. Essais, Liv. I, chap. lvi, « Des prières », éd. Albert Thibaudet, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1950, p. 353. 43. L’expulsion de la bête triomphante, éd. Nuccio Ordine, trad. Yves Hersant, Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 16. 44. Voir à ce sujet Philippe Morel, Les Grotesques. Les figures de l’imaginaire dans la peinture italienne à la fin de la Renaissance, Paris, Flammarion, 1997 ; ou la belle réflexion esthétique d’André Chastel, La Grattesque. Essai sur « l’ornement sans nom », Paris, Gallimard, coll. Le Promeneur, 1988. 45. Essais, I, xxviii, « De l’amitié », op. cit., p. 218. 46. Le Banquet des Cendres, op. cit., p. 7. 47. Ibid., p. 12.

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48. Le 1 er mai 1514, un professeur de l’université de Cracovie, Matthias de Miechow, déclare détenir un manuscrit anonyme décrivant le trajet de la terre autour du soleil, manuscrit depuis attribué à son compatriote polonais, Nicolas Copernic. 49. Alberti déclare « emprunter d’abord aux mathématiciens » les éléments de sa réflexion sur la peinture, encore qu’il concède : « je ne parle pas de ces choses en mathématicien mais en peintre », De Pictura (1435) éd. et trad. Jean-Louis Schefer, Paris, Macula-Dédale, 1992, p. 73. 50. L’architecte Filippo Brunelleschi est le premier à utiliser point de fuite et ligne d’horizon, en démontrant la pertinence en 1415 à propos du baptistère de Florence. 51. Voir Jurgis Baltrusaitis, Anamorphoses. Les perspectives dépravées, Paris, Flammarion, 1984, qui signale l’apparition tardive, au début du XVIIe siècle, du mot « anamorphose » mais pas de la « chose », la pratique s’appelant toujours « perspective », introduction, p. 5. 52. C’est le cas du crâne posé aux pieds des Ambassadeurs dans le célèbre tableau peint par Holbein en 1533, procédé abondamment analysé et illustré dans Baltrusaitis, op. cit., p. 91-112. Sur les jeux avec les perspectives qui contrarient la perception, chez les peintres maniéristes, voir Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 160-182 en particulier. 53. Baltrusaitis adopte l’expression comme sous-titre. 54. Un miroir souple est même fourni avec l’ouvrage de Baltrusaitis pour que le lecteur se livre au jeu de déchiffrer l’artifice par l’artifice qui restaure la perception « naturelle ». Toutes sortes de jeux existaient au XVIe siècle et au XVIIe utilisant des miroirs déformants. 55. Banquet des Cendres, op. cit., p. 68-69. Voir le commentaire de ce passage que fait Alexandre Koyré, op. cit., p. 205-206. 56. L’infini, l’univers et les mondes, éd. et trad. de Bertrand Levergeois, Berg International, 1987, p. 42. 57. Ibid., p. 42. 58. Ibid., p. 54. 59. Ibid., p. 58. 60. Banquet des Cendres, p. 19. 61. Ibid., p. 99. 62. L’infini, l’univers et les mondes, op. cit., p. 102. 63. Voir Gisèle Venet, « Nosce Teipsum de Sir John Davies : en écho à la visite en Angleterre de Giordano Bruno ? », XVII-XVIII, 58, 2004. 64. The Merchant of Venice, V.i.54-65. 65. Richard II, II.i.46, éd. bilingue, Margaret Jones-Davies, trad. Jean-Michel Déprats, Paris, Gallimard, Folio Théâtre, 1998. 66. Ibid., II.ii.16. 67. Ibid., IV.i.287. 68. Nosce Teipsum, str. 42, vers 3-4. 69. Ibid., str. 45. 70. Robert Krueger, ed. The Poems of Sir John Davies (Oxford: Clarendon Press, 1975), cite parmi les sources de Davies « L’Apologie » de Montaigne, Commentary, p. 325. 71. Essais, II, xii, op. cit., p. 495. 72. Ibid., III, ii, p. 900. 73. Ibid. 74. Ibid., p. 899. 75. Voir Jean Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1982. 76. Essais, Ibid. 77. Ibid., III, xiii, p. 1204.

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78. Sonnet VII, v. 8, Poètes du XVIe siècle, Albert-Marie Schmidt (éd.), Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1953, p. 77. Délie est publié en 1544. 79. Sonnetz de l’honneste amour, sonnet IV. 80. Complete Poems, R. A. Rebholz, Penguin Books, 1978, Sonnet XVII, p. 80 (Wyatt meurt en 1542, à 39 ans). Le même vers, dans Pétrarque, Canzoniere, 134. Bruno emprunte ce même vers, voir infra, note 79. 81. Romeo and Juliet, I.iv.248-251, Tragédies, éd. Jean-Michel Déprats, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, vol. I, p. 262. 82. Poètes du XVIe siècle, op. cit., p. 283. Composé entre 1545 et 1555. 83. Romeo and Juliet, I.i.170-171, op. cit., p. 218. 84. Ibid., vers 175-176. 85. Poètes du XVIe siècle, op. cit., Les Amours d’Estienne Jodelle, sonnet VI, p. 713. 86. Ibid., sonnet VII, p. 713. 87. Sonnet 76. 88. Les Fureurs héroïques, op. cit., p. 90-92. 89. Hamlet, III.i.143-145, op. cit., p. 174. Dans cette même édition, voir la préface p. 21-25, sur l’anti-pétrarquisme de la scène entre Hamlet et Ophélie. 90. Les Fureurs héroïques, op. cit., p. 98. 91. Ibid., p. 158. 92. Ibid. 93. Emprunt à Pétrarque, Canzoniere, 134. 94. « L’image platonicienne de la caverne… », op. cit., p. 49. 95. L’expulsion de la bête triomphante, éd. Giovanni Aquilecchia, Paris, Les Belles Lettres, 1999, p. 6. 96. Voir Gisèle Venet, « Shakespeare, maniériste et baroque ? », XVII-XVIII, 55, 2002 ; ou « L’Angleterre dans l’Europe baroque », Littératures classiques, 36, 1999. 97. Voir Gisèle Venet, « Le songe d’une nuit d’été : une esthétique maniériste », in Autour du Songe d’une nuit d’été, Claire Graffeuille-Gheeraert et Nathalie Vienne-Guérin, éds., Rennes, PUR, 2003, ou Préface, éd. bilingue, Le songe d’une nuit d’été, Paris, Gallimard, coll. Folio théâtre. 98. Voir la notice de Gisèle Venet, Roméo et Juliette, Les Tragédies, op. cit., t. I, p. 1329 et sqq. 99. Voir Introduction de Gisèle Venet aux Tragédies, op. cit., t. I, p. CLXXXI-CCVIII. 100. Les Fureurs héroïques, op. cit., p. 132, 134, 136, 138. 101. Ibid., p. 102. 102. Clément Rosset, La logique du pire, Paris, PUF, 1971, p. 13. 103. Voir Gisèle Venet, Temps et vision tragique. Shakespeare et ses contemporains, Presses de la Sorbonne nouvelle, 2002 (1e éd., 1985), Conclusion. 104. Les Fureurs héroïques, p. 158. 105. Ibid. 106. Voir Gisèle Venet, « Le plaisir du déplaisir », colloque Le Plaisir, SIRIR, éd. M.-T. Jones- Davies, à paraître. 107. Ibid., p. 224. 108. L’Expulsion de la bête triomphante, op. cit., p. 54. 109. Ibid. 110. Ibid., p. 56. 111. Ibid., p. 54. 112. Ibid., p. 56. 113. En Épicurien rigoureux, Tansilio, dans Les Fureurs héroïques, à la fois maintient cette poétique des contrastes, mais en récuse les extrêmes, d’où cette tension morale vers « un point où la contrariété s’abolit », p. 162. 114. L’Expulsion de la bête triomphante, p. 56.

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115. Les Fureurs héroïques, p. 162 (voir note 110). 116. Essais, III, xiii, op. cit., 1245-1246. 117. L’Expulsion de la bête triomphante, p. 58. 118. Voir la notice de Gisèle Venet, Tragédies, Pléiade, op. cit., vol. II, p. 1489-1490. 119. L’Expulsion de la bête triomphante, p. 58. 120. Pensées, 129 (440). 121. Ibid., 72 (347).

RÉSUMÉS

Plus que des échos éventuels de la pensée de Giordano Bruno dans les textes de Shakespeare et de ses contemporains, ce sont les parentés d’écriture entre le philosophe et tous ces praticiens de la « copia » ou du sonnet maniériste qui sont retenues ici. Tout se passe comme si les littératures d’Europe et l’écriture de Bruno ne formaient qu’un seul « texte » présentant une même « texture », obsédées qu’elles sont des mêmes figures et processus d’oxymores, d’anamorphoses et d’ironiques subversions, tandis que perdure l’omniprésente influence pétrarquiste. L’esthétique du mouvement et de la poétique des contraires qui les fédère, et dans laquelle Bruno trouve les mots et la liberté créatrice pour exprimer ses intuitions sur l’univers infini, trouve sa justification dans une épistémologie de cette écriture due à Bruno lui-même : la « coincidentia oppositorum » de Nicolas de Cuse, qu’il a faite sienne, explique la nécessaire déstructuration du monde clos en une dynamique de forces contraires qui affectent le monde et l’homme tout entier, rendant compte aussi d’un plaisir du déplaisir dans toute expérience, nécessairement rendue douce-amère par ce principe de contradiction. Bruno se révèle donc bien le philosophe baroque qui écrit comme son siècle en même temps qu’il rend raison de la poétique baroque de cette écriture : « coincidentia oppositorum » au cœur des mots révélatrice de la « coincidentia oppositorum » au cœur des choses.

Beyond the possible echoes of Giordano Bruno’s ideas hypothetically uncovered in Shakespeare’s works and in those of his European contemporaries, in this paper it seemed more striking to examine the community of style between the philosopher’s own writings and the works of his contemporaries, emblematic of an exuberance of “copia” and of a mannerist obsession with Petrarchan poetics. Taken together, the writings of these authors could appear as one single “text”, with the same “texture” woven from the same obsessive use of stylistic devices and figures such as oxymoron, or inclusions of anamorphosis, the same ironical subversions of familiar forms, and the same enduring influence of Petrarch and his poetics. The aesthetics of movement and the poetics of opposites that all these writers shared may have, in turn, favoured a creative capacity in Bruno, thus helping to give shape to his intuitions of an infinite universe. All the more so as Bruno gave an epistemological clue to this form of poetics, based on Nicolas de Cuse’s and his theory of the “coincidentia oppositorum”: according to Bruno, the dynamics of contrary forces in everything rendered the structure of a closed world altogether inappropriate, and when applied to man, turned existential instability into an inescapably sour-sweet experience, a pleasure of displeasure arising from the very principle of contradiction. Bruno appears, therefore, as a baroque philosopher writing in the same baroque style as his contemporaries, whist enabling an understanding of baroque poetics: the “coincidentia

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oppositorum” in the heart of words unveiling the “coincidentia oppositorum” in the heart of things.

AUTEUR

GISÈLE VENET Gisèle VENET a enseigné durant toute sa carrière à Paris III où elle est encore professeur émérite. Après une thèse sur Temps et vision tragique. Shakespeare et ses contemporains, récemment rééditée (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2002) qui dégageait déjà les composantes baroques de ces auteurs, elle a enseigné et dirigé des travaux sur Shakespeare et ses contemporains, publiant de nombreuses éditions critiques (Webster, aux Belles Lettres, et en collaboration étroite avec le traducteur Jean-Michel Déprats, John Ford, et surtout Shakespeare chez Gallimard, en Folio Théâtre ou dans la Bibliothèque de la Pléiade). Son séminaire de recherche Epistémè fondé en 1990 se prolonge désormais par une revue électronique avec comité de lecture, http:// www.etudes-episteme.com.

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To great St Jaques bound: All’s Well That Ends Well in Shakespeare’s Europe

Richard Wilson

1 "I am Saint Jaques’ pilgrim, thither gone”: at the turning-point of All’s Well That Ends Well (III.iv.4) the heroine, Helena “the daughter of Gerard de Narbonne” (I.i.33), writes to her mother-in-law, the Countess of Rousillon, to tell her that instead of staying in Perpignan, she is taking the pilgrim road – El Camino – across Navarre and the Pyrenees to Pamplona, and by way of Burgos and Leon, to the greatest of Europe’s Catholic shrines at Compostela. Helena’s announcement astonishes the old lady, who declares that “Had I spoken with her, / I could have well diverted her intents” (III.iv.20-1); and with good cause, since this is the only time in Shakespearean drama that a character declares an intention to go to Spain. It is true that the province of Roussillon was itself in Spanish hands when All’s Well was written around 1604, and would remain so until 1659; and that for a supposedly patriotic Englishman the dramatist had a provocative trick of setting happy endings in Habsburg territories of the Mediterranean, Belgium and the Holy Roman Empire. But in The Two Gentlemen of Verona “the Imperial’s court” (II.iii.4) is never quite connected with Spain, despite the boys joining a party “journeying to salute the Emperor” led by one Don Alfonso (I.iii.39-41); in Much Ado About Nothing Don Pedro’s army seems more at home in Sicily than Aragon; in As You Like It the exiles perhaps flee to the Warwickshire Arden rather than the Ardennes of the colleges sponsored by Philip II; in Twelfth Night Illyria floats free from the Adriatic coast coveted by the Habsburgs; in Measure for Measure Vienna is spared Hispanic fanaticism; in The Winter’s Tale Bohemia is as much a haven for refugees harried north by Inquisition politics as it was under Rudolf II; and in The Tempest Milan is restored to its rightful ruler in defiance of the fact that in reality it was also to stay Spanish for another fifty years. In The Merchant of Venice Belmont laughs at the Prince of Aragon as “a blinking idiot” (II.ix.54); while in Love’s Labour’s Lost, Navarre mocks that “refined traveller of Spain” (I.i.161) Don Armado, whose penance “enjoined him in Rome” is to wear his mistress’s dishcloth “next to his heart” (V.ii.695-8). And it seems no accident

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that the Don is so absurdly devoted to a girl called Jaquenetta. When Helena claims to have set off barefoot to do penance for her sins on a pilgrimage “To Saint Jaques le Grand” (All’s Well, III.v.31), her “zealous fervour” (III.iv.11) therefore appears to open an approach that is unique in Shakespeare, to the Spanish heartland of the Counter- Reformation: I am Saint Jaques’ pilgrim, thither gone. Ambitious love hath so in me offended That barefoot plod I the cold ground upon With sainted vow my faults to have amended. (III.iv.4-7)

2 Shakespeare’s Europe, as Walter Cohen observes, is exhaustive, since “if references to towns, regions, rivers, and products are included, one comes across Iceland, Ireland, England, Scotland, Lapland, Norway, Denmark, Holland, Belgium, Flanders, Brabant, France, Navarre, Burgundy, Brittany, Normandy… Germany, Italy, Rome, Russia, Poland, Bohemia, Austria, Hungary, Pannonia, Transylvania, Thrace, Macedonia, Illyria, Dalmatia… Greece, Sardinia, Sicily… Crete, Thasos, Lesbos, Rhodes, Cyprus, Turkey… the Canary Islands, Madeira, and Portugal”.1 And it is this very exhaustiveness that makes Spanish settings such a conspicuous absence from Shakespeare’s stage. Which is to say that the Europe Shakespeare represents is split by the same iron curtain as the fractured continent of his day. Spain is out of bounds to Shakespeare’s characters because the most important fact of Counter-Reformation Europe was the sectarian wall that cut the pilgrim ways connecting Britain to Iberia and the shrine of Saint James. For as Diarmaid MacCulloch relates in Reformation: Europe’s House Divided, until Shakespeare’s childhood it was “the pilgrimage routes which continued to unite Europe by sea and land”. Thus, in England, Bristol was a “national departure point for the Apostle’s shrine on the Spanish Atlantic coast, and pilgrims sailing from the port would be able to enjoy the devotion to Saint James maintained in the city-centre church”.2 A sea-passage from Bristol to Galicia took five days; but the fourteen-day land journey across France, under auspices of the Cluniac monks, was preferred by penitents, as Helena suggests, keen to expiate sins by undergoing a more punishing ordeal. So, for five centuries it was the multitudes on the “Great Road” of St James who fused Europe into a single narrative that “transcended while affirming local allegiances”: from Reading, where the hand of the saint brought back from Compostela by Queen Matilda was preserved; or Slovenia, where his pilgrims went tax-free; to Saragossa, where it was said the Virgin had appeared to him upon a pillar.3 Even in the sixteenth century, Fernand Braudel reminds us, the road to Spain from Paris down the Rue St-Jacques was still “the most active thoroughfare of France”. For “while trips to Jerusalem and Rome became a privilege of the wealthy, penitents continued to wend to Compostela” in such numbers that, according to John Hale in The Civilization of Europe in the Renaissance, this era marked “the high-point of cosmopolitanism” – for all but the English.4 Thus, when Helena vows to take the Road of the Stars, she is reconnecting the audience with the Europe they have repressed; like that of the palmer of John Heywood’s play The Four PP, written in the 1530s, whose itinerary of shrines he has visited presupposes, Eamon Duffy notes, “at least a nodding acquaintance” with “a veritable gazetteer of sanctity”, from Ireland to Palestine:5 On the hills of Armony, where I see Noah’s ark With holy Job, and Saint George in Southwark; At Waltham and at Walsingham, And at the good Rood of Dagenham; At Saint Cornelys; at Saint James in Gales,

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And at Saint Winifred’s Well in Wales; At Our Lady of Boston; at Saint Edmondsbury, And straight to Saint Patrick’s Purgatory. At Rydyboe and at the Blood of Hales, Where pilgrims’ pains right much avails, At Saint Davy’s and Saint Denis; At Saint Matthew and Saint Mark in Venice… To these with other many one, Devoutly have I prayed and gone, Praying to them to pray for me Unto the Blessed Trinity.6

3 “God save you, pilgrim! Whither are you bound? / To Saint Jaques le Grand” (III.v.32-4): when Helena next enters, after her “sainted vow” to walk to Spain, she is recognised as a pilgrim by the costume she wears until the final seconds of the play. As the Countess states, a happy ending now depends on the power to work miracles with the pilgrims’ prayers “heaven delights to hear / And loves to grant” (III.iv.27-8). But even Catholic critics admit this scenario of “a pilgrimage to Spain, invocation of Saint James, penitential practice of walking barefoot,” and prayers for intercession must have struck Protestants as perversely “Romish”:7 so much so the Arden editor thinks the idea Shakespeare takes it seriously is “too Popish to be probable”.8 Yet it is precisely in terms of such perversity that Helena dedicates herself when she says her love for Count Bertram is such an “idolatrous fancy” that she “must sanctify his relics”, since she is “Indian-like, / Religious in [her] error” (I.i.95, I.iii.199-200). Like the Indian boy in A Midsummer Night’s Dream ( II.i.124) or the “base Indian” of Othello ( V.ii.356), this “Moorish” figure puns, Patricia Parker explains, on Catholics as the “tribe of (Thomas) More”: the Tudor proto-martyr.9 And it suggests that, when Helena discloses how the medicine she practices as an inheritance has been “sanctified / By th’luckiest stars in heaven” (All’s Well, I.iii.231-2), the “receipt” with which she cures the King of France of a lethal fistula has, in fact, been consecrated by “the great’st grace lending grace” (II.i. 159) received in what must have been her father’s own journey to Compostela. Stellar imagery reinforces this suggestion. Thus, the play opens with the “poor physician’s daughter” (II.iii.115) wishing for the Count as “a bright particular star” (I.i.81), but counting herself among the unlucky “Whose baser stars do shut us up in wishes” (170). And when, by healing the King, she rises enough for her “star” to reject her as a wife, she says she will “With true observance seek to eke out that / Wherein toward me my homely stars have failed / To equal my great fortune” (II.v.70-2). The clown Lavatch thinks she has been born under “a blazing star”, however, and is “no puritan”, but one who wears a “surplice of humility over the black gown of a big heart” (I.iii.76-84). And it is the pilgrim garb she in fact wears which makes us believe she will be one of those who, the braggart Parolles jests, “eat, speak, and move, under the influence of the most received star” (II.i.52-3); as she smiles how he was “born under a charitable star” (I.i. 177). So, these pointers to “the most received”, “charitable”, “homely”, “base”, yet “sanctified”, “blazing” and “luckiest” stars set Helena on the path to the “bright particular star” of Santiago, within one of those tall stories of miraculous healing told by the wayfarers themselves, as the old courtier Lafeu exclaims: I have seen a medicine That’s able to breathe life into a stone, Quicken a rock, and make you dance canary With sprightly fire and motion; whose simple touch

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Is powerful to araise King Pepin, nay, To give great Charlemagne a pen in’s hand, And write to her a love-line. (II.i.70-6)

4 Shakespeare’s pun on the hand of Charle-main, the liberator of Compostela from the Moors, according to the twelfth-century Book of St. James, connects his plot to those tales of chivalry with which the clerks of Cluny paved the Pilgrim’s Way. And one cue for the play is, indeed, the yarn about Gerard of Roussillon who built the abbey of Vézelay, at the start of the Road, as penance for refusing a bride chosen by Charlemagne.10 There he enshrined relics of Mary Magdalene, who supposedly died at Marseilles: from where Helena returns as if from the dead. Other sources include a fable of a doctor’s daughter, Christine of Pisano, who cured King Charles V; and Boccaccio’s novella about Giletta, “a physician’s daughter of Narbonne,” who “healed the French king of a fistula”.11 And in the background lies the Grail story of the Fisher King, hinted in that allusion to Pepin. But where these trails converge is in posing the problem put by the heroine to the dying king: namely, the pay-off for belief in an age “When miracles have by the greatest been denied” (II.i.139). As Julia Lupton writes in her study of Renaissance hagiography, Afterlives of the Saints, in scenes like this Shakespeare highlights aspects of his Catholic sources most offensive to Protestants, for while his rivals honoured the Anglocentric geography of the Elizabethan state, “the Europe of Shakespeare – his Venice, Verona, Navarre, Paris, Florence, as well as Vienna – is still a continent of pilgrimage routes, mapped by the motifs and scenarios of the late medieval legends of the saints”.12 Thus, when Helena states that it were better “I met the ravin lion” than stay at home, “although / The air of paradise did fan the house / And angels officed all” (III.ii.116-26), the narrative expectations she prompts by her quest are those of The Golden Legend. We are led to expect impossible returns, like the miracles of Our Lady of Rocamadour, who saw to it, we are told, that when the “man tormented by a fistula in his leg was taking his bandages off the ulcers that gnawed away at his muscles, he discovered nothing but scars and to his delight found he was cured.”13 This is a drama of “exceeding posting day and night” (V.i.1), which according to the crown of thorns its heroine says she welcomes (IV.iv.32), might well end in a miracle at the shrine of the saint. Yet historians show how soon Protestant distaste for any such “religious rite smacking of magic” came to divide English attitudes to Europe: [So] it was the ‘superstitious’ character of popular devotion which most attracted the attention of English visitors to the Continent. […] In South Germany peasants flocked to get water blessed by the image of St Francis Xavier as a preservative against the plague. In Rome it was the image of the Virgin Mary which drove away the pestilence. In Venice the inhabitants turned to St Rock. So long as it was possible for a Catholic prelate, like the Bishop of Quimper in 1620, to throw an agnus dei into a dangerous fire in hope of putting it out, the Roman Church could hardly fail to retain the reputation of laying claim to special supernatural remedies for daily problems.14

5 “How should I your true love know / From another one?” sings Ophelia, and gives an answer to rebuke Hamlet, who has come not from Compostela but Luther’s Wittenberg: “By his cockle hat and staff, / And his sandal shoon” (Hamlet, IV.v.23-6). For those who did return from the “field of the star” – like the pilgrim buried in Worcester cathedral “with his staff and cockleshell by his side, his boots on his feet”; the fifteenth-century Sussex testator who left provision for five neighbours to go “to St James in Galicia”; the Suffolk parishioner who in 1501 donated to his church “scallops and other signs of St James”; or the London families of the 1560s who still “cherished shells from Santiago as

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heirlooms passed from father to son”15 – seeing was believing and the act of faith in walking to Spain was rewarded by relics carried home. Dante, who famously likened the candlelit procession on the campus stellae to the Milky Way, wrote that “none are called pilgrims save those journeying to St James”.16 So, the shells of Compostela became the best proof of the pilgrims’ faith that miracles were secured when “the saints’ aid was attained through exchange of gifts.”17 In All’s Well the “triple eye” Helena says her father gave her on his deathbed (II.i.103-5) may be just such a scallop. And back in England the contract was renewed each Feast of St James by the custom of decorating shrines with shells from Santiago which gave the date its popular name of Grotto Day. Thus, Londoners traditionally danced on this day at springs such as Camberwell or Clerkenwell and threw pennies into fountains they ornamented with shells. Folklorists have described the shell grottoes erected to collect money on July 25 by London children as late as 1900 as “the last faint memory of the great medieval pilgrimages to the shrine of St James”.18 But shells are ancient talismans against the evil eye; and the aphrodisiac connotations of the story that Saint James’s commemorate a bridegroom who rode in the sea on his horse to pull the saint’s body ashore, and returned to his bride covered in cockleshells, are perpetuated in the fertility rite of dropping coins in wishing-wells.19 Such was doubtless the symbolism when Shakespeare had a “fantastically dressed” Petruchio ride to wed Kate to a cockney rhyme: “Nay, by Saint Jamy, / I hold you a penny, / A horse and a man / Is more than one” (Shrew, III.ii.74-8). It can be no accident, therefore, that James is the male saint with most well-dedications in Britain. Nor, for a play about “holy wishes” which starts with Helena’s joke: “I wish well… That wishing well had not a body in it” (I.i.52; 166-8), can it be incidental to All’s Well that the largest number of all well-dedications is to the Yorkshire mother of Emperor Constantine, who united Britain and Rome, the first English pilgrim, Saint Helena herself.20

6 It was the London hospital devoted to the waters of the saint which gave the English court its title, when a royal palace was built over the spring, of the Court of St James, and for centuries English kings sponsored the well-cult as their own.21 Even in the 1530s Henry VIII went on pilgrimage to the well of Our Lady at Walsingham, trudging barefoot the last few miles.22 As Keith Thomas details in Religion and the Decline of Magic, after such patronage the wells that lined the pilgrim routes became covers for Catholic resistance in Reformation England since they “retained semi-magical associations, even though Protestants preferred to regard them as medicinal springs working by natural means.”23 Thus, Mary Queen of Scots turned the Derbyshire well at Buxton into a Mecca for recusants when she drank the water there nine times during her captivity; and Bath was developed in the 1590s by the clique of Catholic gentry who “met at the Bath” to plan the Gunpowder Plot.24 In fact, the Elizabethan regime only lifted a 1539 ban on drinking mineral-waters because of the exodus of dissidents to Spa in the Spanish Netherlands under pretext of taking cures. A starting-point for the Grand Tour, Spa remained “a centre of Catholic intrigue” that “the English government kept under strict surveillance” in the reign of James I, its colony of exiles quaffing Spa-water as an act of faith as much as health.25 So, given that “wells were, for the Establishment, associated with the Catholic past and now masked recusant plots,”26 it is telling that in All’s Well the heroine should equivocate about the magical or natural origin of the “something” added to the remedy she gives the King, hinting only that “Great floods have flown from simple sources” (II.i.137). The chant to which she works the miracle

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specifies, however, that “Ere twice in murk and occidental damp / Moist Hesperus hath quenched her flame… Health shall live free” (162-7), and this invocation of sunset over western waters may indicate a subterranean source for the secret ingredient in the most westerly of British springs: St Winifred’s or Holy Well in Wales. In the 1600s this Flintshire well remained the most popular devotional site in Britain, and the authorities were unable to stop “daily disorders around St. Winifred’s Well” of “the confused multitudes” going on “superstitious pilgrimage by pretending that the waters are beneficial”.27 In 1629 a spy at the scene reported that “Papists and priests assembled on St. Winifred’s Day” comprised “knights, ladies, gentlemen and gentlewomen of diverse countries to the number of 1,500”.28 And we can infer the dramatist took an interest in such pilgrimages, because among those who travelled to the shrine beside the Irish Sea and adopted Winifred as a patron saint – according to the Jesuit “Testament” he signed in 1580 – was Shakespeare’s father John.29

7 When Bertram forsakes Helena for Diana he calls her “Fontibell” (IV.ii.1): the name of the public fountain in London that featured a statue of Diana. But as G. K. Hunter asks, “Why should Bertram give his beloved the name of a fountain?”30 The answer may be that All’s Well has the programme of St James’s Day and centres on a wish. Thus, when the King and Helena enter dancing, after her “physic” cures him of the disease “the most learned doctors” supposed “labouring art [could] never ransom” (II.i.114), the wishing-game they begin does follow the scenario of a Stuart pilgrimage, where magic coexisted with tourism, and as Lafeu exalts, the confusion of “the learned and authentic Fellows” allowed the “hand of heaven” to be credited (II.iii.12-31). Sceptics such as Camden were bemused when chemistry confirmed the curative power of waters “famous in old wives’ fables”.31 But Shakespeare’s play takes place precisely in the space opened up by this embarrassment, when the Catholic Queens Anne and Henrietta Maria led the devotees of Buxton and Bath, and those “ensconcing” themselves “in seeming knowledge” learned to be “Generally thankful” for such popish practices (38). 32 So, with her pilgrim’s bottle, Helena inhabits the same world as matrons who carried around flasks of holy water, even if she disavows “water in which relics were powdered or immersed”.33 Her wish that her wishing-well “had not a body in it” seems aimed, in fact, at those Catholic zealots who dispensed water fortified with saints’ blood, and prepares for the surprise when “Doctor She” (II.i.77) does not have a wish come true. For with each of her icy suitors given a wish by “Her that so wishes” (II.iii.83), this well- wishing is meant to mix her “merit”, as Lafeu quips, with the “one grape” whose “father drank wine”: as a Catholic, presumably, before the son lapsed (95). Queen Elizabeth thought wine diluted in holy water a joke, and goaded Leicester to sip his “with as much sacred water” from Buxton “as he lusteth to drink”.34 But The Faerie Queene spelled out the Eucharistic implications by telling how the “well of life” flowed with Reformation “virtues and med’cine good”, like Bath or Spa, until the “Dragon defiled those sacred waves” with blood.35 Helena’s wish to marry Bertram, the King therefore explains, will dilute such differences, since “our bloods, / Of colour, weight, and heat, poured all together, / Would quite confound distinction” (II.iii.114-16). In Shakespeare’s Tribe Jeffrey Knapp argues the dramatist aimed himself to “unite audiences” in the ecumenical spirit with which Lavatch would like to knock together the heads of “young Chairebonne the puritan and old Poisson the papist… like any deer i’th’herd” (I.iii.45-7).36 It is possible to see in Bertram the portrait of just such a headstrong young Puritan. But when the absolutist King imposes marriage on the

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“proud, scornful boy” (II.iii.151), the “recantation” (186) is as forced as the response to any real decrees of religious toleration, like the recent Edict of Nantes: Good fortune and the favour of the King Smile upon this contract, whose ceremony Shall seem expedient on the now-born brief, And be performed tonight. The solemn feast Shall more attend upon the coming space, Expecting absent friends. As thou lov’st her Thy love’s to me religious; else, does err. (II.iii.173-9)

8 On the “not coincidental” St James’s Day 1603, King James walked from St James’s Palace for an “expedient” coronation service, with “all show and pomp omitted” due to plague. Outside the Abbey, “rain poured down on triumphal arches Londoners had begun to build” for a procession now postponed, and the king “lost no time retreating to uninfected air. That week 1,103 persons died of plague”.37 So, instead of London’s Fountain of Diana running wine, the Jacobean age was inaugurated with wells dressed in St James’s shells, which that year must have truly been intended to repel bad luck. And it was in this hiatus of “coming space”, with the “solemn feast” delayed until March 1604, “Expecting absent friends,” that editors infer the only one of Shakespeare’s comedies to open with a funeral was staged. After the funerals, the season of All’s Well was, in fact, a unique period of well-wishing in London, when the king suspended anti-Catholic fines, peace with Spain was proclaimed, and the court did wait upon absent friends, in the form of an embassy from Madrid. Recent research locates Shakespeare in the patronage-network of those crypto-Catholic English nobles who themselves received pensions from Philip III and had most to gain from the Edict of Toleration they hoped could be extracted from James (who had, after all, been baptised in Catholic rites).38 With Spanish gold behind them, nothing was therefore more apt than that the new King’s Men should stage a play set on the Jacobean Road to Spain which hangs on promises, like those of Bertram, to admit “The great prerogative and rite of love” in “due time… Whose want and whose delay is strew’d with sweets / Which they distil now in the curbed time, / To make the coming hour o’erflow with joy / And pleasure drown the brim” (II.iv.38-44). Nor should that anxiety in this comedy be aroused by the prospect of a “deadly divorce” (V.iii.312) if the shotgun marriage is prevented and the pilgrim goes her own way. Feminists notice how Helena conforms to the type of female “holy anorexic” whose “superhuman fasts and vigils” challenged patriarchy in the post-Reformation Church.39 Holy wells, like Shakespeare’s local one at Shottery which “cured women’s complaints”, were always “a women’s preserve”.40 But in All’s Well, as the Countess warns, happiness hinges on the hope that Helena “will speed her foot” back from her devotions (III.iv.37), before she really does end up as the saint she is reported to have become in Spain: Sir, his wife some two months since fled from his house. Her pretence is a pilgrimage to Saint Jaques le Grand; which holy undertaking with most austere sanctimony she accomplish’d; and there residing, the tenderness of her nature became as a prey to her grief; in fine, made a groan of her last breath, and now she sings in heaven. (IV.iii.45-51)

9 Helena’s “Life” as a saint, verified “by her own letters, making her story true even to the point of her death,” and her beatific “death itself,” which since it “could not be her office to say is come” is “faithfully confirmed by the rector,” no less, of Santiago (52-6), is a fiction that echoes the expectations of a generation of English Catholics who let their daughters disappear into the convents of Toledo and Madrid. Shakespeare’s

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daughters were both unmarried at this time, when English “Poor Clares” were also recruiting for a new convent at Saint-Omer; and Susanna would shortly be listed as a “popishly affected” recusant.41 So, in his next comedy, Measure for Measure, the writer would test the conventual vocation still more intensely, by having Isabella take her vows in Vienna among the “votarists of Saint Clare” (I.iv.5). There even Lucio pays lip- service to one “enskied and sainted” by her “renouncement” (33). In fact, no other English dramatist accords anything near the respect given by Shakespeare to those who “endure the livery of a nun / For aye to be in shady cloister mewed,” and whose “maiden pilgrimage” he has Theseus salute (Dream, I.i.70-5). In Troilus and Cressida, for instance, it is Hector’s awe at the “high strains / Of divination” in Cassandra which overrules Troilus’s contempt for a “foolish, dreaming superstitious girl” (II.ii.112, V.iii. 82). And Hamlet’s order to “Get thee to a nunnery” (Hamlet, III.i.122), is purged in Pericles by Mariana’s purification of the brothel and prayers beside the “maiden priests” of “Diana’s altar” (V.i.226, V.ii.37). This “votress” is given a curriculum vitae, indeed, to make her an exemplar of the life among those sisters in Flanders or Spain which may have tempted the Shakespeare girls, as “She sings like one immortal”, dances “goddess- like”, composes “admired” hymns, and teaches needlework so ardently “That pupils lacks she none” (V.0.3-11). So feminists who assume that Shakespeare shared Puritan disgust at the decision of those, like Olivia, who wall themselves in chantries, ignore the irony that he gives the stock Reformation critique of virginity to the rogue Parolles (I.i.116-50).42 They forget that what makes his image of monastic life so unlike that of his rivals is the “return effect” in his dramas between society and the convent, meaning that if the cloister is tested in them by the world, the world is also tested by the cloister. So, it comes as no surprise that in 1619 Pericles was catalogued as the only secular text taught at Saint-Omer; or that in the 1640s the Second Folio was on the Jesuit syllabus at Valladolid.43 The Europe of the Counter-Reformation evidently took this English dramatist seriously. And he returned the compliment, projecting the forbidden continent of seminaries and pilgrimages as a possibility in play after play, where the end always draws towards some virtual shrine, like the pilgrim’s tomb of cockleshells which Pericles imagines for Thaisa: a monument upon thy bones And aye-remaining lamps… Lying with simple shells. (Pericles, III.i.60-3)

10 In All’s Well, Helena’s death in Santiago is reported to her husband as the truth, with “the particular confirmations, point from point, to the full arming of the verity” (IV.iii. 60). The audience knows, however, that this is yet another pious tale, and that instead of plodding, as she pretends, from France to Spain, the heroine has turned up in Florence, where she changes direction again and introduces herself to the Widow as one of the “palmers” (so-called from palms they carried) coming from Jerusalem (III.v. 35). Critics have long fretted over this false-turning, starting with Dr. Johnson, who dryly remarked that the Tuscan city “was somewhat out of the road from Rousillon to Compostela”.44 Helena’s trip to Italy looks like an instance of Shakespeare’s ignorance; or of the gap between European fact and English fiction which, Manfred Pfister objects, traps criticism in “a law of diminishing returns”, whereby “the more information scholars gather” concerning Europe, “the less this knowledge yields new insights into the plays” themselves.45 Helena has, however, travelled to Florence to shadow Bertram. And her detour also fulfils her mother-in-law’s wish to have “diverted her intents”. So, it is very much to the point that in Shakespeare’s next play, Othello, the “young and

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sweating devil” Iago (III.iv.40) carries a name that associates him expressly with the road to Compostela, and the most militant face of St James, as defender of Christendom and slayer of the Moors.46 Iago has been interpreted by some as a caricature of Jesuit conspiracy; and it was indeed the cult of the warrior saint as Santiago Matamoros that fired his Basque countryman, the maimed soldier and Jesuit founder, Inigo de Loyola.47 Othello can be read as an allegory, therefore, of the incitement by Jesuits of the English “tribe of More”; and the perversion of what the Moor calls his “pilgrimage” (I.iii.152) into paranoia over a handkerchief as figuring the foolishness of the “Spanish faction” of politicised Catholics, who put their faith in the bloody relics of the saints.48 So, this tragedy confirms why the comedy could never end in Santiago. All’s Well turns away from the Pyrenees to disavow the ultramontanes. In a London that would applaud Middleton’s Hispanophobic Game at Chess, what is remarkable, however, is not that Helena shies away from Spain, but how long she keeps up her “pretence” of being one of the “enjoin’d penitents… To Great Saint Jaques bound” (III.v.93), and has those who mourn for her believe that her “incensing relics” are buried at Compostela (V.iii.25). Most startling of all is how the uncanniness of her pretended return from Spain, when she does reappear from “oblivion” at the end (24), is viewed by the King as a Jesuit plot, one of the exorcisms that made the Society of Jesus so feared: KING. Is there no exorcist Beguiles the truer office of mine eyes? Is’t real I see? HELENA No, good my lord; ’Tis but the shadow of a wife you see… (V.iii.398-301)

11 “Who cannot be crushed with a plot?” (IV.iii.301): Parolles’ response to his entrapment as a spy is a question that also casts doubt on the Jesuitical trick with which Helena corners the Count. Thus, in his essay, “King Lear and the Exorcists,” Stephen Greenblatt writes that by the time of All’s Well “Shakespeare had marked out exorcisms as frauds”, and presented such rituals as “popish impostures” which “have been emptied out”.49 Yet this is arguably to side too much with those “philosophical persons” who, in the terms of the play, “say miracles are past,” and “make modern and familiar things supernatural and causeless,” making “trifles of terrors,” when they “should submit… to an unknown fear” (II.iii.1-5). It is to overlook how Shakespeare toasts “absent friends” at this instant of rapprochement with Catholic Europe and even meets them in their faith half way. The audience knows Helena’s pilgrimage to Santiago is a traveller’s tale. And they can see that, far from dying a martyr, “she feels her young one kick” (V.iii. 299) from bedding Bertram. But the end depends on her husband believing he has killed his wife, and confessing “high-repented blames” (37). So, like the statue of Hermione by “that rare Italian master” Giulio Romano (Winter’s Tale, V.ii.87), Helena’s incense-laden tomb at Compostela is a piece of Catholic illusionism round which happiness revolves. In Henry VIII Shakespeare sets such fictions in historical context, when Catherine of Aragon dreams of “spirits of peace” who visit her from her “friends in Spain” and her father, the King of Spain, who was, we are assured, “The wisest prince that there had reigned” (II.iv.46-53, IV.ii.83). “My friends, / They that my trust must grow to, live not here,” grieves the Queen in Shakespeare’s play, “They are (as all my other comforts) far from hence / In mine own country” (III.i.87-91), but she dies in the arms of an envoy of her nephew, Charles V. Habsburg Europe, the Europe of holy wells and pilgrimage roads, remained under erasure on Shakespeare’s stage. But no English dramatist was ever so open as this one to the return of the repressed from the enemy

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side. It may not be chance, therefore, that the first recorded purchaser of the 1623 Folio was the Spanish ambassador, Count Gondomar.50 For the attitude Shakespeare gave Navarre in Love’s Labour’s Lost defines an entire dramatic practice, when the king says that the stories Don Armado tells about the martyrs of “tawny Spain” are so “enchanting” to the man himself that it does not seem to matter whether they are true or false: How you delight, my lords, I know not, I; But I protest I love to hear him lie, And I will use him for my minstrelsy. (I.i.160-74)

12 “Yes, I have gained my experience”: in As You Like It, the traveller who has brought back no more than the biscuit he says is all that is left after a voyage, is not called Jaques for nothing. As editors note, his name plays on “jakes”, the word for toilet. And the pun suggests his experience has been that of a tourist in an age when the waters of Saint Jaques have indeed been turned from holy wells to drains. With his Spaniolated melancholy, Jaques has returned from Santiago, Rosalind sighs, with only the experience to make him sad: “to have seen much and to have nothing is to have rich eyes and poor hands… and to travel for it too!” (II.vii.39, IV.i.10-26). The very name Jaques thus sums up English disenchantment with Europe when the pilgrimage network that centred on Compostela was disrupted as, in the words of the Reformers, “a forsaking of the Fountain of living waters, to go to a broken Cistern.”51 For Londoners the breach had been celebrated in 1589 when Drake landed in Spain “intent on destroying Santiago, the heart of ‘pernicious superstition’.”52 On that occasion the saint’s relics were saved from English vandals by being buried. But Shakespeare reflected such iconoclasm in showing the most famous English traveller to Compostela, John of Gaunt, as one whose idea of true chivalry is to be “feared” as far as “the sepulchre, in stubborn Jewry” (Richard II, II.i.52-5). Similarly, by setting Henry IV’s death in the “Jerusalem Chamber” of Westminster rather than the Holy Land he troped Erasmus’ joke that there was no point going abroad if you could be a pilgrim in your own living room.53 Such was the Reformation cliché attested by Raleigh, when he preferred his “Scallop shell of quiet” and “Bottle of salvation” to any European pilgrimage.54 Tudor minds had been set in this frame by the physician and ex-monk Andrew Boorde, when he reported that not only was there “not one ear or bone of St James in Compostela,” but the wells there were so polluted nine of his compatriots died after drinking from them.55 And Shakespeare may have read this “modern and familiar” satire while writing All’s Well, if Boorde’s work stood on the shelf of his fellow- graduate of Montpellier, Doctor John Hall, who settled in Stratford in 1601. Perhaps Hall was one reason why, in this comedy of medicine and magic, the heroine goes towards Huguenot Montpellier rather than Catholic Compostela, since within two years the Puritan doctor would marry the dramatist’s “popish” daughter, Susanna. Though the Gunpowder Plotters would make one last pilgrimage from Stratford to St Winifred’s Well to pray for England to be reunited with Catholic Europe, it might have seemed to the author of All’s Well That Ends Well that the well belonged to all, so this wishing-well was well-ended with his daughter’s swelling.

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NOTES

1. Walter Cohen, “The undiscovered country: Shakespeare and mercantile geography,” in Marxist Shakespeares, ed. Jean Howard and Scott Cutler Shershow (London: Routledge, 2001), 132-3. 2. Diarmaid MacCulloch, Reformation: Europe’s House Divided, 1490-1700 (London: Allen Lane, 2003), 18. 3. Eamon Duffy, The Stripping of the Altars: Traditional Religion in England, 1400-1580 (New Haven: Yale University Press, 1992), 191; Walter Starkie, The Road to Santiago: Pilgrims of St James (London: John Murray, 1957), 16, 60 & 68-9. 4. Fernand Braudel, The Mediterranean and the Mediterranean World in the Age of Philip II, trans. Siân Reynolds (2 vols., London: Collins, 1972), vol. 1, 217; Francois Lebrun, “The Two Reformations: Communal Devotion and Personal Piety,” in A History of Private Life: The Passions of the Renaissance, ed. Roger Chartier, trans. Arthur Goldhammer (Cambridge, Mass.: Harvard University Press, 1989), 89; John Hale, The Civilization of Europe in the Renaissance (London: Harper Collins, 1993), 164. 5. Duffy, op. cit. (note 3), 192 6. John Heywood, The Plays of John Heywood, ed. Richard Axton and Peter Happe (Cambridge: Cambridge University Press, 1991), 112-13. 7. David Beauregard, “‘Inspired merit’: Shakespeare’s theology of Grace in All’s Well That Ends Well,” Renascence, 51 (1999), 231. 8. William Shakespeare, All’s Well That Ends Well, ed. G. K. Hunter (London: Methuen 1959), 82. 9. Patricia Parker, “What’s in a Name and More,” Sederi XI: Revista de la Sociedad Espanola de Estudios Renascentistas Ingleses (Huelva: Universidad de Huelva, 2002), 101-449, esp. 117. 10. William Shakespeare, All’s Well That Ends Well, ed. Russell Fraser (Cambridge: Cambridge University Press, 1985), 6. 11. William Painter, The Palace of Pleasure (London: 1566), quoted ibid., 7. 12. Julia Reinhard Lupton, Afterlives of the Saints: Hagiography, Typology, and Renaissance Literature (Stanford: Stanford University Press, 1996), 112. 13. Marcus Bull (ed.), The Miracles of Our Lady of Rocamadour (Woodbridge: Boydell, 1999), 143. 14. Keith Thomas, Religion and the Decline of Magic: Studies in Popular Beliefs in Sixteenth- and Seventeenth-Century England (Harmondsworth: Penguin, 1973), 84-5. 15. Duffy, op. cit. (note 3), 167 & 193; Starkie, op. cit. (note 3), 71. 16. Dante, Vita Nuova, 40, Commentary on Sonnet XXIII, quoted ibid., 60. 17. Beauregard, op. cit. (note 7), 231. 18. Christina Hole, A Dictionary of British Folk Customs (London: Paladin, 1978), 119; and English Custom and Usage (London: Batsford, 1942), 82. 19. Horton and Marie-Hélène Davies, Holy Days and Holidays: The Medieval Pilgrimage to Compostela (Lewisburg: Bucknell University Press, 1982), 21-20. 20. James Rattue, The Living Stream: Holy Wells in Historical Context (Woodbridge: Boydell, 1995), 70-1. 21. Edwin Mullins, The Pilgrimage to Santiago (London: Secker & Warburg, 1974), 64. 22. Francis Jones, The Holy Wells of Wales (Cardiff: University of Wales Press, 1954), 58. 23. Thomas, op. cit. (note 14), 80. 24. Phyllis Hembry, The English Spa, 1560-1815: A Social History (London: Athlone Press, 1990), 22-4 & 33. 25. Ibid., 40-1. 26. Ibid., 4-5. 27. Quoted ibid., 15. 28. Jones, op. cit. (note 22), 64.

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29. Samuel Schoenbaum, William Shakespeare: A Documentary Life (Oxford: Clarendon Press, 1975), 41-6, esp. 42. 30. Shakespeare, op. cit. (note 8), 101. 31. Rattue, op. cit. (note 20), 114-15. 32. Hembry, op. cit. (note 24), 33,39-40, 45-7 & 58-61. 33. Carole Rawcliffe, “Pilgrimage and the sick in medieval East Anglia,” in Colin Morris and Peter Roberts (eds.), Pilgrimage: The English Experience from Necket to Bunyan (Cambridge: Cambridge University Press, 2002), 121, 131 & 136. 34. Quoted Reginald Lennard, Englishmen at Rest and Play: Some Phases of English Leisure, 1558-1714 (Oxford: Clarendon Press, 1931), 9. 35. Edmund Spenser, The Faerie Queene, I.xi.29-30, ed. A. C. Hamilton (London: Longman, 1977), 149. 36. Jeffrey Knapp, Shakespeare’s Tribe: Church, Nation, and Theater in Renaissance England (Chicago: Chicago University Press, 2002), 53 & 169. 37. David Cressy, Bonfires and Bells: National Memory and the Protestant Calendar in Elizabethan and Stuart England (Berkeley: University of California Press, 1989), 57; A. P. V. Akrigg, Jacobean Pageant: The Court of King James I (London: Hamish Hamilton, 1962), 29-30. 38. John Finnis and Patrick Martin, “Another Turn for the Turtle: Shakespeare’s Intercession for Love’s Martyr,” Times Literary Supplement, 18 April 2003, 12-14; Caroline Bingham, James VI of Scotland (London: Weidenfeld & Nicolson, 1979), 22. 39. See Rudolph M. Bell, Holy Anorexia (Chicago: Chicago University Press, 1985), 122 & 151-79. 40. Rattue, op. cit. (note 20), 95. 41. See May Winefride Sturman, “Gravelines and the English Poor Clares,” London Recusant, 7 (1977), 1-8. See also A. C. F. Beales, Education Under Penalty: English Catholic Education from the Reformation to the Fall of James II (London: Athlone Press, 1963), 203-4; Patricia Crawford, Women and Religion in England, 1500-1700 (London: Routledge, 1992), 85; and Marie Rowlands, “Recusant Women, 1540-1640,” in Mary Prior (ed.), Women in English Society, 1500-1800 (London: Routledge, 1985), 168-74, esp. 169. For Susanna Shakespeare’s listing as a recusant on May 5 1606, see Hugh Hanley, “Shakespeare’s Family in Stratford Records,” Times Literary Supplement, 21 May 1964, 441: the records are in the Act Books of Kent County Records Office, via the Sackville papers. 42. See, in particular, Juliet Dusinberre, Shakespeare and the Nature of Women (Basingstoke: Macmillan, 1996), 5-7 and 30-51. 43. Willem Schrickx, “Pericles in a Book-List of 1619 from the English Jesuit Mission and Some of the Play’s Special Problems,” Shakespeare Survey, 29 (Cambridge: Cambridge University Press, 1976), 21-32. 44. Quoted in William Shakespeare, op. cit. (note 10), 6. 45. Manfred Pfister, “Shakespeare and Italy, or, the law of diminishing returns,” in Michelle Marrapodi, A. J. Hoenselaars, Marcello Cappuzzo and L. Falzon Santucci (eds.), Shakespeare’s Italy: Functions of Italian Locations in Renaissance Drama (Manchester: Manchester University Press, 1997), 296. 46. See Barbara Everett, “Spanish Othello: the Making of Shakespeare’s Moor,” Shakespeare Survey, 35 (Cambridge: Cambridge University Press, 1982), 103. 47. See Robert Watson, “Othello as Protestant Propaganda,” in Claire McEachern and Debora Shuger (eds.), Religion and Culture in Renaissance England (Cambridge: Cambridge University Press, 1997), 234-57. 48. See Richard Wilson, “Dyed in Mummy: Othello and the Mulberries,” in Secret Shakespeare: Studies in theatre, religion and resistance (Manchester: Manchester University Press, 2004), 155-85. 49. Stephen Greenblatt, Shakespearean Negotiations: The Circulation of Social Energy in Renaissance England (Oxford: Clarendon Press, 1988), 114 & 119.

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50. See Gary Taylor, “Forms of Opposition: Shakespeare and Middleton,” English Literary Renaissance, 24 (1994), 315. 51. Thomas Hall, Flora Floralia; Or, the Downfall of the May Games (London: 1661), quoted op. cit. (note 13), 105-6. 52. Starkie, op. cit. (note 3), 58. 53. Erasmus, The Colloquies, trans. C. Thompson (Oxford: Oxford University Press, 1964), 312, quoted in Wes Williams, Pilgrimages and Narrative in the French Renaissance: ‘The Undiscovered Counrty’ (Oxford: Clarendon Press, 1998), 128-9. 54. Sir Walter Raleigh, “The Passionate Man’s Pilgrimage,” in The Poems of Sir Walter Raleigh, ed. Agnes Latham (London: Routledge & Kegan Paul, 1951), 49. 55. Andrew Boorde, The First Book of the Introduction of Knowledge, ed. James Hogg (Salzburg: Universitat Salzburg, 1979), 9 & 87-8.

AUTHOR

RICHARD WILSON Richard WILSON is the author of Secret Shakespeare: Studies in theatre, religion and resistance and Will Power: Essays on Shakespearean authority. His King of Shadows: Shakespeare in theory, fact and France will be published in 2005. He gave the 2001 British Academy Shakespeare Lecture on the theme of exile: “A World Elsewhere: Shakespeare’s Sense of an Exit”. He has edited collections of essays on Julius Caesar and Christopher Marlowe, and co-edited volumes on New Historicism and Renaissance Drama, Theatre and Religion and Region, Religion and Patronage. He jointly edited New Historicism and Renaissance Drama. He is currently completing The Messenger of Death: Marlowe and his Murderers.

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