Édito Banana Republic
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
SUPPLÉMENT MENSUEL JEUDI 5 MAI 2016 NUMÉRO 119 - IXe année I Paraît le premier jeudi de chaque mois, sauf exception III. Nancy Huston : mélomane en littérature VI. Les relations de voisinage Syrie/Liban I V. Darwich : Un homme. Ni plus ni moins. VII. Olivier Adam, étranger au monde V. Guitton : Un Orient mal connu et mal aimé VIII. Patti Smith, clocharde céleste et fan de café Édito Banana republic e plaindre (nak) est devenu notre sport national. Car rien ne va plus dans ce pays : nos Slarrons sont en foire et les scandales se multiplient : ordures, alimenta- tion, blé, électricité, réseaux Inter- net, FSI, prostitution, drogue… au milieu de l’indifférence de nos ins- © Julien Hassan Chehouri, courtesy Ashkal Alwan © Julien Hassan Chehouri, courtesy Ashkal Alwan titutions, inféodées à nos dirigeants. ous n’avons pas « Comment parler du roman syrien tan- est plus optimiste. Selon cet écrivain et La découverte de ces scandales n’est imaginé (…) quel Organisé par l’Association libanaise des arts dis que les cadavres sont là, étalés de- romancier d’origine irakienne, la lit- pas fortuite : quand les brigands ne genre de difficul- plastiques Ashkal Alwan, ce premier colloque vant mes yeux ? » s’est demandée Maha térature arabe est de plus en plus tra- s’entendent plus sur le partage du tés nous allions Hassan, romancière syrienne résidant duite en Europe : on est passé de quatre butin, le gangster floué se plaît à rencontrer en es- du genre a réuni, malgré les difficultés, en France. Hassan considère que les livres traduits par année en Angleterre dénoncer ses complices ! En 1904, sayant de réunir des écrivains arabes à catastrophes ayant déferlé sur son pays dans les années 1970, à une quarantaine dans son recueil de nouvelles Cab- «NBeyrouth. » C’est par ces paroles plu- un grand nombre d'écrivains arabes et de ont généré une nouvelle étape dans l’his- actuellement. bages and Kings, l’écrivain américain tôt sombres que Christine Tohmé a traducteurs. Si l'écriture est devenue plus libre, toire du roman syrien. Peu après 2011, O. Henry a parlé pour la première ouvert le « Colloque autour du roman ce dernier est entré dans une période La traductrice italienne Elisabetta fois de « banana republic » pour décrire arabe » organisé par l’Association liba- la censure continue à faire des victimes. État d’expérimentation où les récits, acco- Bertoli partage le même optimisme : un régime politique fortement cor- naise des arts plastiques Ashkal Alwan. lés à l’actualité qu’ils tentent de chro- malgré le nombre assez réduit d'ou- rompu. Qu’on le veuille ou non, le Fondatrice et directrice de cette asso- des lieux... niquer, s’occupent presque exclusive- vrages arabes traduits chaque année en régime libanais est devenu une répu- ciation, Tohmé a ajouté sur le même ment de destins collectifs. Selon Hassan, Italie, l’accumulation a joué son rôle et blique bananière ou, plus exacte- ton quelque peu désabusé : « Des obs- il résulte parfois de cette nouvelle ten- le lecteur italien dispose actuellement ment, un « machin (dans le sens que tacles insoupçonnés s’accumulaient dance des romans écrits avec hâte, à la d’une riche bibliothèque de littérature De Gaulle donnait à ce mot en par- jour après jour, nous dévoilant, dans construction quelque peu fragile, et qui arabe contemporaine. lant de l’ONU) bananier », puisque la le détail, le piètre état de notre monde ont surtout une fonction de documenter « République » libanaise est désor- arabe actuel. » Beaucoup d’écrivains se la réalité. Le roman a-t-il encore des mais à l’article de la mort, privée de sont trouvés dans l’impossibilité de par- Autour tabous à briser ? président, de gouvernement digne de ticiper à ce colloque, a-t-elle expliqué : Les ateliers d’écriture ce nom et de parlement actif. Quel le Yéménite qui ne pouvait quitter sa Dans son intervention, le romancier et horizon espérer dans ces condi- ville assiégée ; le Koweïtien dont les au- Que peuvent apporter les ateliers universitaire tunisien Chucri Mabkhout tions ? Le sursaut populaire est im- torités de son pays lui ont recommandé d’écriture aux écrivains débutants ou affirme que la question de la censure, probable en raison de l’allégeance de au dernier instant de ne pas s’aventu- même à ceux qui ont déjà été publiés ? voire celle de l’autocensure, se pose nos concitoyens aux partis au pou- rer au Liban pour des raisons sécuri- L’intervention de Najwa Barakat s’est souvent à l’écrivain durant son travail. voir ; nos politiciens sont des « culs taires ; l’Égyptien emprisonné à cause de du focalisée autour cette question, et sa ré- L’auteur de L’Italien (Booker arabe en béton » inamovibles qui, même en son roman ; la Palestinienne interdite ponse donne une vision catastrophique 2015) explique que le romancier, en cas de décès, seront remplacés par d’entrée en territoire libanais ; enfin, la de l’état de la littérature arabe contem- abordant durant la rédaction des ses madame, le fiston ou le gendre ; nos Syrienne obligée de demeurer dans sa poraine. Barakat, qui dirige depuis sept œuvres des sujets tels que la sexualité électeurs, atteints d’AER (Alzhei- terre d’exil jusqu’à l’obtention de son ans l’atelier « Comment écrire un ro- et le corps, ne peut pas complètement mer électoral récurrent), recon- permis de résidence. man », affirme qu’une très grande partie s’abstraire de la réception éventuelle de duisent les mêmes députés oisifs des romans actuellement publiés dans ces thématiques par les lecteurs. Même roman le monde arabe, y compris ceux qui ob- s’il essaie de la négliger, cette préoccupa- et ratés, quand ceux-ci ne se recon- Le roman comme genre duisent pas eux-mêmes ! Le Hezbol- tiennent des prix littéraires, souffrent tion finit par s’imposer à lui. lah, pour sa part, persévère dans son littéraire dominant de défauts majeurs, que ce soit dans Étatcide – projet dénoncé par le gé- Malgré de telles entraves, le colloque leur construction ou architecture glo- Quant au romancier égyptien Mahmoud néral Aoun lui-même au lendemain qui s’est tenu à Beyrouth du 29 avril bale, dans leur style souvent pesant, ou el-Wardani, il a catégoriquement décla- du 8 mars 2005 : « Le Hezbollah cherche au 2 mai a réussi à regrouper une tren- dans leur recours à un sentimentalisme ré que le roman arabe n’a plus aucun à remettre en cause la notion même de l’État taine de participants, parmi lesquels des arabe excessif. Selon Barakat, la source de ces tabou à briser : « Le roman a mainte- et cela est inacceptable… Nous n’avons pas grands noms du roman arabe et liba- détrônée – au moins quantitative- civile libanaise a joué un rôle primor- fléaux est une conception de l’écriture nant d’autres missions : il s’est déjà libé- besoin d’une force de sécurité paramilitaire nais. À l’origine de cette entreprise, il ment –, pourrait-on dire. Quelles se- dial dans l’apparition d’une nouvelle excessivement centrée sur la notion de ré (…) et la question des tabous ne se ou d’une armée parallèle. » (L’Orient-Le y aurait une constatation factuelle, un raient les causes, probablement nom- génération de romanciers dans notre l’inspiration, qui exclut tout travail « ar- pose même plus. » El-Wardani précise Jour du 9 mars 2005, p. 5). Onze phénomène culturel assez récent dont breuses et complexes, à l’origine de ce pays. La guerre a brisé le grand récit tisanal » sur le texte ainsi que toute ré- cependant que les sociétés arabes n’ont ans après, le constat du Général n’a la signification a besoin d’être élucidée : bouleversement ? C’est à cette question mythique, national et hégémonique re- écriture ou révision. Un atelier ne crée pas encore atteint le même degré de li- pas pris une ride. Sauf que le Géné- l’accroissement quantitatif sans précé- que le romancier irakien Ali Bader a latif au Liban, a ajouté Khoury, contri- pas un écrivain, ajoute-elle, mais aide berté, loin de là, puisque leurs institu- ral lui-même reçoit aujourd’hui à la dent de la publication des romans dans presque exclusivement consacré sa buant ainsi à l’émergence d’une mul- celui qui possède un réel talent à outre- tions pratiquent encore farouchement la figure le boomerang de son alliance le monde arabe. Il n’existe pas des sta- contribution. Selon l’auteur de Papa titude de récits fragmentés et parfois passer ses propres limites en lui permet- censure, envoyant parfois certains écri- avec ce parti qui, sauf surprise, ne tistiques sur cette question, mais on Sartre, le début des années 1990 a été contradictoires, ce dont le roman, ca- tant d’accéder à un regard critique vis-à- vains en prison, comme c’est le cas du votera jamais pour lui parce qu’il pourrait estimer, en se basant sur le une époque critique durant laquelle ractérisé par une polyphonie, a large- vis sa propre écriture. jeune romancier égyptien Ahmed Nagy, souhaite toujours, en sabotant la nombre des soumissions aux prix litté- le roman s’est progressivement mis à ment bénéficié. condamné à deux ans de prison pour présidentielle, « remettre en cause la raires, qu’entre six-cents et mille romans occuper la place de la poésie dans le L’éternelle question de la « offense à la morale publique » à cause notion même de l’État ». Fallait-il donc arabes sont publiés chaque année, tous champ culturel arabe, pour enfin deve- Le rapport du romancier aux drames de de son roman L’Usage de la vie. perdre onze ans – onze ans ! – pour pays confondus. nir le genre littéraire dominant.