Supplément mensuel

Jeudi 5 mai 2016

Numéro 119 - IXe année I Paraît le premier jeudi de chaque mois, sauf exception III. Nancy Huston : mélomane en littérature VI. Les relations de voisinage Syrie/Liban I V. Darwich : Un homme. Ni plus ni moins. VII. Olivier Adam, étranger au monde V. Guitton : Un Orient mal connu et mal aimé VIII. Patti Smith, clocharde céleste et fan de café

Édito Banana republic

e plaindre (nak) est devenu notre sport national. Car rien ne va plus dans ce pays : nos larronsS sont en foire et les scandales se multiplient : ordures, alimenta- tion, blé, électricité, réseaux Inter- net, FSI, prostitution, drogue… au milieu de l’indifférence de nos ins- © Julien Hassan Chehouri, courtesy Ashkal Alwan © Julien Hassan Chehouri, courtesy Ashkal Alwan titutions, inféodées à nos dirigeants. ous n’avons pas « Comment parler du roman syrien tan- est plus optimiste. Selon cet écrivain et La découverte de ces scandales n’est imaginé (…) quel Organisé par l’Association libanaise des arts dis que les cadavres sont là, étalés de- romancier d’origine irakienne, la lit- pas fortuite : quand les brigands ne genre de difficul- plastiques Ashkal Alwan, ce premier colloque vant mes yeux ? » s’est demandée Maha térature arabe est de plus en plus tra- s’entendent plus sur le partage du tés nous allions Hassan, romancière syrienne résidant duite en Europe : on est passé de quatre butin, le gangster floué se plaît à rencontrer en es- du genre a réuni, malgré les difficultés, en France. Hassan considère que les livres traduits par année en Angleterre dénoncer ses complices ! En 1904, sayant de réunir des écrivains arabes à catastrophes ayant déferlé sur son pays dans les années 1970, à une quarantaine dans son recueil de nouvelles Cab- «NBeyrouth. » C’est par ces paroles plu- un grand nombre d'écrivains arabes et de ont généré une nouvelle étape dans l’his- actuellement. bages and Kings, l’écrivain américain tôt sombres que Christine Tohmé a traducteurs. Si l'écriture est devenue plus libre, toire du roman syrien. Peu après 2011, O. Henry a parlé pour la première ouvert le « Colloque autour du roman ce dernier est entré dans une période La traductrice italienne Elisabetta fois de « banana republic » pour décrire arabe » organisé par l’Association liba- la censure continue à faire des victimes. État d’expérimentation où les récits, acco- Bertoli partage le même optimisme : un régime politique fortement cor- naise des arts plastiques Ashkal Alwan. lés à l’actualité qu’ils tentent de chro- malgré le nombre assez réduit d'ou- rompu. Qu’on le veuille ou non, le Fondatrice et directrice de cette asso- des lieux... niquer, s’occupent presque exclusive- vrages arabes traduits chaque année en régime libanais est devenu une répu- ciation, Tohmé a ajouté sur le même ment de destins collectifs. Selon Hassan, Italie, l’accumulation a joué son rôle et blique bananière ou, plus exacte- ton quelque peu désabusé : « Des obs- il résulte parfois de cette nouvelle ten- le lecteur italien dispose actuellement ment, un « machin (dans le sens que tacles insoupçonnés s’accumulaient dance des romans écrits avec hâte, à la d’une riche bibliothèque de littérature De Gaulle donnait à ce mot en par- jour après jour, nous dévoilant, dans construction quelque peu fragile, et qui arabe contemporaine. lant de l’ONU) bananier », puisque la le détail, le piètre état de notre monde ont surtout une fonction de documenter « République » libanaise est désor- arabe actuel. » Beaucoup d’écrivains se la réalité. Le roman a-t-il encore des mais à l’article de la mort, privée de sont trouvés dans l’impossibilité de par- Autour tabous à briser ? président, de gouvernement digne de ticiper à ce colloque, a-t-elle expliqué : Les ateliers d’écriture ce nom et de parlement actif. Quel le Yéménite qui ne pouvait quitter sa Dans son intervention, le romancier et horizon espérer dans ces condi- ville assiégée ; le Koweïtien dont les au- Que peuvent apporter les ateliers universitaire tunisien Chucri Mabkhout tions ? Le sursaut populaire est im- torités de son pays lui ont recommandé d’écriture aux écrivains débutants ou affirme que la question de la censure, probable en raison de l’allégeance de au dernier instant de ne pas s’aventu- même à ceux qui ont déjà été publiés ? voire celle de l’autocensure, se pose nos concitoyens aux partis au pou- rer au Liban pour des raisons sécuri- L’intervention de Najwa Barakat s’est souvent à l’écrivain durant son travail. voir ; nos politiciens sont des « culs taires ; l’Égyptien emprisonné à cause de du focalisée autour cette question, et sa ré- L’auteur de L’Italien (Booker arabe en béton » inamovibles qui, même en son roman ; la Palestinienne interdite ponse donne une vision catastrophique 2015) explique que le romancier, en cas de décès, seront remplacés par d’entrée en territoire libanais ; enfin, la de l’état de la littérature arabe contem- abordant durant la rédaction des ses madame, le fiston ou le gendre ; nos Syrienne obligée de demeurer dans sa poraine. Barakat, qui dirige depuis sept œuvres des sujets tels que la sexualité électeurs, atteints d’AER (Alzhei- terre d’exil jusqu’à l’obtention de son ans l’atelier « Comment écrire un ro- et le corps, ne peut pas complètement mer électoral récurrent), recon- permis de résidence. man », affirme qu’une très grande partie s’abstraire de la réception éventuelle de duisent les mêmes députés oisifs des romans actuellement publiés dans ces thématiques par les lecteurs. Même roman le monde arabe, y compris ceux qui ob- s’il essaie de la négliger, cette préoccupa- et ratés, quand ceux-ci ne se recon- Le roman comme genre duisent pas eux-mêmes ! Le Hezbol- tiennent des prix littéraires, souffrent tion finit par s’imposer à lui. lah, pour sa part, persévère dans son littéraire dominant de défauts majeurs, que ce soit dans Étatcide – projet dénoncé par le gé- Malgré de telles entraves, le colloque leur construction ou architecture glo- Quant au romancier égyptien Mahmoud néral Aoun lui-même au lendemain qui s’est tenu à Beyrouth du 29 avril bale, dans leur style souvent pesant, ou el-Wardani, il a catégoriquement décla- du 8 mars 2005 : « Le cherche au 2 mai a réussi à regrouper une tren- dans leur recours à un sentimentalisme ré que le roman arabe n’a plus aucun à remettre en cause la notion même de l’État taine de participants, parmi lesquels des arabe excessif. Selon Barakat, la source de ces tabou à briser : « Le roman a mainte- et cela est inacceptable… Nous n’avons pas grands noms du roman arabe et liba- détrônée – au moins quantitative- civile libanaise a joué un rôle primor- fléaux est une conception de l’écriture nant d’autres missions : il s’est déjà libé- besoin d’une force de sécurité paramilitaire nais. À l’origine de cette entreprise, il ment –, pourrait-on dire. Quelles se- dial dans l’apparition d’une nouvelle excessivement centrée sur la notion de ré (…) et la question des tabous ne se ou d’une armée parallèle. » (L’Orient-Le y aurait une constatation factuelle, un raient les causes, probablement nom- génération de romanciers dans notre l’inspiration, qui exclut tout travail « ar- pose même plus. » El-Wardani précise Jour du 9 mars 2005, p. 5). Onze phénomène culturel assez récent dont breuses et complexes, à l’origine de ce pays. La guerre a brisé le grand récit tisanal » sur le texte ainsi que toute ré- cependant que les sociétés arabes n’ont ans après, le constat du Général n’a la signification a besoin d’être élucidée : bouleversement ? C’est à cette question mythique, national et hégémonique re- écriture ou révision. Un atelier ne crée pas encore atteint le même degré de li- pas pris une ride. Sauf que le Géné- l’accroissement quantitatif sans précé- que le romancier irakien Ali Bader a latif au Liban, a ajouté Khoury, contri- pas un écrivain, ajoute-elle, mais aide berté, loin de là, puisque leurs institu- ral lui-même reçoit aujourd’hui à la dent de la publication des romans dans presque exclusivement consacré sa buant ainsi à l’émergence d’une mul- celui qui possède un réel talent à outre- tions pratiquent encore farouchement la figure le boomerang de son alliance le monde arabe. Il n’existe pas des sta- contribution. Selon l’auteur de Papa titude de récits fragmentés et parfois passer ses propres limites en lui permet- censure, envoyant parfois certains écri- avec ce parti qui, sauf surprise, ne tistiques sur cette question, mais on Sartre, le début des années 1990 a été contradictoires, ce dont le roman, ca- tant d’accéder à un regard critique vis-à- vains en prison, comme c’est le cas du votera jamais pour lui parce qu’il pourrait estimer, en se basant sur le une époque critique durant laquelle ractérisé par une polyphonie, a large- vis sa propre écriture. jeune romancier égyptien Ahmed Nagy, souhaite toujours, en sabotant la nombre des soumissions aux prix litté- le roman s’est progressivement mis à ment bénéficié. condamné à deux ans de prison pour présidentielle, « remettre en cause la raires, qu’entre six-cents et mille romans occuper la place de la poésie dans le L’éternelle question de la « offense à la morale publique » à cause notion même de l’État ». Fallait-il donc arabes sont publiés chaque année, tous champ culturel arabe, pour enfin deve- Le rapport du romancier aux drames de de son roman L’Usage de la vie. perdre onze ans – onze ans ! – pour pays confondus. nir le genre littéraire dominant. C’était sa propre société évoqué par Khoury, a traduction enfin se rendre à cette évidence et la période de la fin des grandes idéo- constitué le point central de la contribu- La traduction des œuvres d’un écrivain En effet, Ahmed Nagy était l’un des in- revenir à la case départ ? Dans son intervention au colloque, le logies arabes modernistes comme le tion de l’Irakien Ahmed Saadawi. Selon arabe est souvent considérée comme vités à ce colloque, mais sa sentence l’a romancier libanais Hassan Daoud a nationalisme et dont l’un des porte- l’auteur de Frankenstein à Bagdad un signe de réussite. Selon Jabbour bien évidemment empêché d’y participer. Le salut du Liban est entre les mains qualifié cette transformation de « gi- paroles était spécifiquement la poésie ; (Booker arabe 2014), un romancier Douaihy, « l’écrivain arabe est davan- Une place lui a été réservée lors du panel de ses saints. En attendant un mi- gantesque », ajoutant qu’une décen- cette dernière était en quelque sorte originaire de pays aujourd’hui dévastés tage hanté par l’obsession d’être traduit auquel il devait prendre part, et durant racle, participons allègrement aux nie plus tôt, il considérait « la paru- une incarnation du concept de la na- comme la Syrie, le Yémen ou l’Irak, est que les écrivains employant d’autres lequel d’autres participants ont procédé municipales. Admirons donc cet tion d’un nouveau roman comme une tion, explique Bader, alors que la prose souvent confronté, dans son travail, au langues. Nous nous comportons, pour- à la lecture de deux passages de son ro- arbre chétif qui cache la forêt. Ron- sorte d’événement littéraire. » Selon romanesque qui l’a remplacée a pro- problème suivant : constamment solli- suit-il, comme si l’arabe était une langue man condamné. Ce modeste hommage geons l’os que nos seigneurs ont Daoud, il était possible, dans les an- pulsé sur l’avant-scène l’individu de cité à donner ses opinions sur les événe- minoritaire. » Douaihy précise que le qui lui a été rendu est la preuve que si le daigné nous jeter. Et donnons-nous nées 1980, d’avoir un aperçu à la fois même que les groupes marginalisés de ments brûlants et tragiques, se sentant choix des œuvres à traduire par les mai- roman a dépassé beaucoup de tabous, l’illusion d’être en démocratie alors global et précis de l’ensemble de la la société. même tenu, en tant qu’intellectuel, de sons d’édition se fait fréquemment selon les sociétés arabes souffrent encore de que nous sommes en mafiature. production romanesque arabe, tan- prendre part aux débats publics, il doit des critères ayant plus de rapport avec trop d’interdits qu’elles devraient briser. dis qu’aujourd’hui, face à la proliféra- toutefois faire en sorte que son écri- le marché économique qu’avec la valeur Alexandre NAJJAR tion vertigineuse de ce secteur et l’éclo- Le miroir des sociétés ture romanesque ne se transforme pas littéraire des textes, donnant souvent la Tarek ABI SAMRA sion perpétuelle de nouvelles manières en un compte rendu presque journa- préférence à des romans allant dans le d’écrire influencées par une multitude disloquées listique ou un simple commentaire sur sens des attentes des lecteurs. C’est ainsi de courants littéraires, nul ne peut rai- Lors du colloque, Élias Khoury a for- l’actualité politique et sociale. La seule que la représentation de la femme arabe En haut à gauche : Maha Hassan, sonnablement avoir la prétention de tement contesté les propos d’Ali Bader. issue possible d’après Saadawi, c’est comme victime est une image stéréoty- Mohammad Abi Samra, Chucri définir ce qu’est actuellement le roman Khoury accepte cependant l’idée qu’il que le romancier prenne ses distances pée qui séduit beaucoup d’Occidentaux. Makhbout. arabe. y aurait une certaine relation entre la et s’éloigne, au moins temporairement, En haut à droite : Mohamad el-Shahat, Ali Bader, Élias Khouri, Élias Farkouh. Comité de rédaction : Alexandre Najjar, Charif chute des grandes idéologies et l’ac- de l’espace public, malgré le sentiment Samuel Chamoun, cofondateur de la Ci-dessous : Ahmad al-Saadawi, Hassan Majdalani, Georgia Makhlouf, Farès Sassine, Voici donc la poésie, le genre littéraire croissement de la production roma- de culpabilité qu’un tel choix pourrait revue Banipal consacrée à la traduction Daoud, Mahmoud el-Wardani, Inaam Jabbour Douaihy, Ritta Baddoura. arabe par excellence, définitivement nesque, puisqu’il affirme que la guerre occasionner. de la littérature arabe contemporaine, Kajahji.

Coordination générale : Hind Darwish Secrétaire de rédaction : Alexandre Medawar Correction : Yvonne Mourani

Contributeurs : Tarek abi Samra, Fifi Abou Dib, Gérard Béjjani, Laurent Borderie, Nada Chaoul, Ralph Doumit, Lamia El Saad, Samir Frangié, William Irigoyen, Effat Kanaan Assaly, Mazen Kerbaj, Maya Khadra, Henry Laurens, Ziad Majed, Jean- Claude Perrier, Jean-Pierre Perrin.

E-mail : [email protected]

Supplément publié en partenariat avec la librairie Antoine. www.lorientlitteraire.com

© Julien Hassan Chehouri, courtesy Ashkal Alwan II Au fil des jours L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Le point de vue de Jean-Pierre Perrin L'image du mois Agenda Bassam Khabieh Les rencontres de la Maison Briseurs d'empires récompensé du Prix des écrivains Les troisièmes rencontres ’est passionnant frontière afghane, et même Tout semble calme dans littéraires organisées par la Maison d’écrire un livre le passage de Mohammed cette salle d'opération. internationale des écrivains à Beyrouth sur la conquête Merah, venu s’entraîner C'est pourtant l'image la auront lieu les 20 et 21 mai 2016, Cpar Alexandre le Grand de avant de revenir en France moins brutale du reportage au Musée Sursock, sous le titre : ce qui s’appellera l’Afgha- tuer des enfants juifs. Est- « Field Hospital » « Conflits, migrations, identités. Les nistan. Cela permet d’être ce un hasard, une facétie (Hôpital de campagne à écrivains face au chaos du monde. » à ses côtés quand il guer- tragique de l’Histoire, Damas) de Bassam Khabieh. Elles seront accompagnées de roie sur les rives de l’Oxus, une victoire de l’Ange des Ce photojournaliste rencontres-dialogues entre écrivains et quand il épouse Roxane ténèbres sur l’Ange de Lu- international pour , urbanistes autour des villes arabes, les « la resplendissante », quand il mière de Zoroastre, le re- vient de recevoir le Prix 18 mai et 1er juin, et d'une rencontre à lit Hérodote sous sa tente, tour d’un passé refoulé qui Robert Capa Gold Medal à l'Institut français le 24 mai. e quand il poursuit le sa- © Jean-Marc Gourdon veut prendre sa revanche ? la 77 édition des Overseas trape rebelle Bessus avec la Press Club Awards, qui même détermination que « Les Ce sont les hordes mon- récompense le travail des Jean Genet celle que George W. Bush goles qui ont anéanti correspondants à l’étranger en marche et Obama montreront avec Mongols Bactres. Plus tard, elles à travers le monde. Son vers le Sud Ben Laden. Et de revisiter iront détruire Bagdad et reportage illustre les Le MUCEM avec lui les batailles qu’il cassèrent Alep. Elles font d’ailleurs obstacles et dangers extrêmes à Marseille menait en première ligne, penser aux légions de la que doivent surmonter les présente une les montagnes de l’Indu des villes mort de l’État islamique. journalistes en Syrie à l’heure exposition Kush qui manquèrent en- Bien sûr, les jihadistes ne actuelle. consacrée à gloutir son armée, les villes qui ne se sont pas des envahisseurs Toutes les images sur http:// Jean Genet qu’il a fondées, Hérat, étrangers. Mais il y a des www.opcofamerica.org/ jusqu’au © Bassam Khabieh / Reuter Kandahar, Kaboul et aussi sont ja- concordances troublantes 18 juillet. Bactres, l’actuelle Balkh, mais re- dans leur goût commun Trois œuvres © Brassai 1948 la fabuleuse capitale de ce pour la cruauté et les en scandent le parcours, qui royaume gréco-indien qui levées, massacres. Les Mongols Actu BD correspondent chacune à un durera sept générations. venaient devant la citadelle Un nouveau XIII L’Homme qui tua Thérésa, Gandhi, Martin Luther King moment de la vie de Genet et à un brisèrent d’Alep chaque matin égor- L'Héritage de Jason Mac Lane est le Lucky Luke et Nelson Mandela, l’éditeur « 21 g » territoire méditerranéen : Le Journal À Balkh, il fit bâtir une ger une centaine d’otages titre du vingt-quatrième tome de la L’album inédit présente, dans un bel album signé du voleur, composé au gré de ses acropole, une agora, un des civi- pour obliger les assiégés fameuse série XIII, à paraître en juin L'Homme qui Simon et Brascaglia, la vie de ce grand errances à travers l’Espagne ; Les théâtre, des bains, des à se rendre. Les jihadistes chez Dargaud. Il s'agit là du cinquième tua Lucky Luke, sportif : on y découvre son enfance, Paravents, qui raconte une Algérie temples au point que la lisations font à peu près la même album avec le scénariste Yves Sente et dessiné par Matthieu sa fulgurante ascension, ses buts occupée par l’armée française ; Le vieille cité devint la rivale entières. » chose. le dessinateur Youri Jigounov. Bonhomme (Le mémorables, son engagement auprès Captif amoureux, qui aborde la de Babylone ou Ninive et, Marquis d'Anaon, des défavorisés, ainsi que sa vie privée. tragédie palestinienne. Une riche bien plus tard, les conquérants arabes Les Mongols cassèrent des villes qui Le Voyage Une biographie passionnante ! programmation est associée à l’appelèrent Oum al-Balad, « la mère ne se sont jamais relevées, brisèrent des Tu n'as rien à d'Esteban, Texas Cowboy...), vient l’événement, dont une rencontre de toutes les villes ». C’est de là qu’il par- civilisations entières. Même s’il a essuyé craindre de moi de de paraître chez Lucky Comics. entre Albert Dichy, commissaire de tit pour conquérir les Indes et livrer quelques revers, l’État islamique, lui, Joann Sfar L’auteur-illustrateur y réinterprète Albert Cohen l’exposition et directeur littéraire de bataille au célèbre roi Pôros et ses 200 a commencé la dislocation du Moyen- Avec Tu n'as rien narrativement et graphiquement le en BD l’IMEC, et Leïla Shahid, suivie d’une éléphants. Avant Alexandre, Balkh avait Orient. Il n’est pas impensable qu’il à craindre de moi, fameux personnage et y rend un bel Un garçon de dix lecture de Quatre heures à Chatila ; déjà un passé sans pareil. Le mytholo- réussisse. Personne ne s’en inquiète Joann Sfar, qui avait hommage à Morris. Le prochain ans est frappé un dialogue entre Emmanuelle gique roi Kâous y fut exilé après avoir vraiment en France où intellectuels et connu un franc album des aventures de Lucky Luke de plein fouet Lambert et Dominique Eddé pour construit une tour d’une hauteur démo- créateurs préfèrent se faire la guerre sur succès avec Le Chat sortira fin 2016 avec Jul au scénario et par une insulte évoquer l’œuvre de l’écrivain et un niaque pour combattre Dieu. Ici vécut l'investissement de certaines grandes du rabbin, célèbre Achdé au dessin. violemment concert de clôture en collaboration et mourut Zoroastre, fondateur d’une marques dans la mode islamique. Pierre la création artistique à travers une antisémite. avec le Centre du Patrimoine religion qui incarna la pensée de l’ancien Bergé, co-fondateur de la marque Yves histoire d'amour passionnée entre un Luz signe chez musical libanais, qui est parrainé par Iran avant qu’elle ne soit métamor- Saint-Laurent, a sonné la charge en leur artiste-peintre et son modèle, qu'il Le Roi Pelé Futuropolis l’IMEC. Deux publications ont vu phosée par le contact avec les Grecs. lançant : « Un voile, c'est une prison. » surnomme… « Mireilledarc ». Un récit À l’heure où l’Euro se déroule en une adaptation le jour à cette occasion : Jean Genet, Plus tard, au début du XIIIe siècle, la très ancré dans l’actualité, où se mêlent France, il serait bon de (re)découvrir poignante de Ô vous, frères humains, l’échappée belle (Mucem/Gallimard) ville vit naître le grand poète mystique À propos de prison, Bactres vit aussi religion, beauté et amitié. Publié aux en BD le parcours exceptionnel le récit autobiographique d'Albert sous la direction d’E. Lambert, et Rûmi, alias Maulana, qui bouleversa le naître la poète Rabia Balkhi, première éditions Rue de Sèvres, l’album est en d’Edson Arantes do Nascimento, alias Cohen paru en 1972, véritable Jean Genet, un écrivain sous haute soufisme. poète en langue persane de l’époque is- librairie depuis le 20 avril. Pelé, le « roi du football ». Après Mère plaidoyer contre le racisme. surveillance (Hors-série, Le Monde), lamique. Déjà, vers l’an mille, elle cher- sous la direction d’A. Dichy. Mais aujourd’hui le cœur se serre en chait à être libre, à vivre avec qui elle découvrant ce qu’est devenue la cité voulait. Amoureuse de l’intendant turc gréco-achéménide, où pèlerins et mar- du royaume, elle lui écrivait les vers les Bande dessinée Marché du Livre à Byblos chands se croisaient dans le capharnaüm plus ardents. Mais découverte par son Le prochain Marché du Livre, c'est des bazars, où les cultures et les reli- frère, elle fut emmurée vivante dans une le 28 et 29 mai de 10h à 21h au gions s’épiaient, débattaient ensemble, oubliette. Ayant réussi à se taillader les Le festin des sens Centre culturel municipal de Byblos s’empruntaient rites et coutumes. On veines, l’amante adressa à son frère son LES RÊVERIES D'UN GOURMET SOLITAIRE de (Clac). Organisé par BookYard, cet ne la reconnaît plus dans cette bour- ultime poème, calligraphié sur la mu- Masayuki Kusumi et Jirô Taniguchi, Casterman, 2016, événement de plus en plus populaire gade moribonde, sale, suintant l’ennui, raille avec son propre sang : 144 p. offre des espaces pour la vente, évincée du monde, rincée par les vents Puisse Dieu te rendre à ton tour l'achat et l'échange de livres anciens de sable avec, à l’affût derrière les tron- Amoureux d’un cœur de pierre comme le tien. et usagés. Des activités et des ateliers çons avachis d’antiques remparts, les Puisses-tu te tordre dans la solitude l y a plusieurs portes d’entrée à sont aussi offerts aux enfants et aux charognards noirs du désastre, croassant Et savoir ce que j’ai souffert. l’œuvre de Jiro Taniguchi. C’est adultes. Contact : 70-986242 et sur de haine et d’ignorance, les talibans et, pourtant lorsqu’il s’installa dans Facebook. demain peut-être, l’État islamique. Aujourd’hui, on emmure plus les femmes leI milieu des années 90 dans un re- libres mais, de la Libye au Pakistan, on gistre intimiste qu’il éveilla l’intérêt des L’opulente Bactres devenue la sinistre continue à les battre et à les lapider. À éditeurs et du lectorat francophone. Balkh est l’endroit idéal pour méditer Balkh, les corolles d’un flamboyant s’in- Adieu à... sur la chute des empires et la fragilité clinent et leurs notes rouges bénissent L’Homme qui marche, cette flânerie Marcel des civilisations. Ou sur ce grand mys- et effleurent délicatement, comme le presque muette sur les pas d’un pro- Dubé tère qui fait que le territoire où s’étendit feraient les plumes de l’ange de Lumière meneur, puis Quartier lointain, ce récit les plats raffinés bien autant que les de ce qui fait l’essence de la bande des- Écrivain l’extraordinaire civilisation née de la ren- de Zoroastre, le sanctuaire de la prin- poignant d’un homme retrouvant son coupe-faim élémentaires (qui restent sinée. Car lorsqu’on se passe comme et figure contre féconde entre la Grèce et l’Orient cesse. Puissent les légions de l’ordre enfance tout en gardant sa conscience des curiosités pour le lecteur non-japo- lui d’un surplus d’expression dans cha- de proue coïncide précisément avec celui du jiha- noir islamiste ne jamais la détruire. d’adulte, introduisirent pour de bon nais), et qu’il n’hésite pas, sacrilège, à cune des images, lorsqu’on ne compte de la D.R. disme contemporain, qui vit la création Taniguchi dans le paysage de la bande accompagner d’un coca lorsque l’envie que sur l’enchainement des cases, leur dramaturgie québécoise, Marcel d’Al-Qaëda, la montée en puissance de Dernier ouvrage : LA MORT EST MA SER- dessinée contemporaine. lui prend. Ces contradictions, douce- rythme et le déroulé du récit pour trans- Dubé est mort à Montréal à l’âge de Ben Laden, la rencontre des idéologues VANTE. LETTRE À UN AMI ASSASSINÉ, Fayard, ment disséminées au fil des petits ré- mettre l’émotion, n’est-on pas au cœur 86 ans. On lui doit de nombreuses islamistes dans les camps de long de la 2003 C’est à l’occasion de la relance, sous cits, se révèlent être une ode à la liberté de ce qui fait un art séquentiel ? Un pièces de théâtre, comme Zone une nouvelle maquette, de la collection et au plaisir de l’instant. art où c’est justement le lien entre les (1953), Un Simple soldat (1957) et « Écritures » des éditions Casterman images qui fait sens. Au retour des oies blanches (1966), que Les Rêveries du gourmet solitaire, Étrange paradoxe que ce gourmet qui des recueils de poésie et des romans. scénarisés par Masayuki Kusumi pa- a besoin d’être seul pour apprécier sans On ne lit pas Taniguchi comme on lit Actualité raissent aujourd’hui. Second recueil contraintes ses repas et qui est pour- un autre auteur. Ses albums ont une Le Prix « Booker arabe », pour son roman des pérégrinations culinaires du per- tant le vecteur, choisi par les auteurs, capacité à se fondre dans le quotidien. Martin Gray Michel Destins : Concerto de l’holocauste sonnage Gorô Inokashira, l’album est pour partager leurs découvertes avec le On égrène les chapitres le long de la Écrivain Zaccour et de la nakba. L’attribution l’occasion de redécouvrir l’art mesuré plus grand nombre. Gorô a pour cela journée. On lit un chapitre le matin. franco- à Amal de la récompense, dotée d’une de la retenue de Taniguchi. la solitude bavarde. Mais s’il n’hésite Un autre le soir. Ou lorsqu’on arrive américain Makarem somme de 50 000 dollars, a été pas à utiliser des superlatifs, son en- un quart d’heure tôt à un rendez- d'origine juive Le prix Michel annoncée à Abou Dhabi qui a Chaque chapitre raconte un repas. thousiasme est avant tout intérieur : vous. On aimerait avoir un chapitre de polonaise, Zaccour, du parrainé l’événement, soutenu par Chaque fois une ville et un restau- jamais un geste de trop. Il faut s’armer Taniguchi sous la main pour les mo- Martin Gray nom du grand la Fondation du prestigieux prix rant que le gourmet découvre au coin de patience avant de voir, une rare fois, ments libres inattendus. Cela peut de- (pseudonyme journaliste et Booker à Londres. d’une rue. Ce qui caractérise le gour- son visage se transformer par le plaisir venir un rituel addictif tant il se dégage de homme d’État, met Gorô est son penchant pour les de ce qu’il mange. de la lecture un état d’esprit aux anti- Mieczysław D.R. a été décerné plaisirs les plus contradictoires : il podes de nos journées pressées. Un état Grajewski) est mort le 25 avril cette année D.R. Amin Maalouf apprécie la surprise autant que d’être L’apparente neutralité du dessin de d’esprit sans urgence, où l’on attend la 2016. Il est surtout connu pour à Amal Makarem pour son livre et Élias Khoury conforté dans ses habitudes, il aime sa Taniguchi, son art bien dosé de la rete- surprise sans impatience, tout en sa- son témoignage Au nom de tous Paradis infernal paru aux éditions à l’honneur bulle solitaire autant que de se laisser nue, en plus d’être propices pour le lec- chant qu’elle viendra. les miens (1971), rédigé avec Max L’Orient des livres. La lauréate Deux écrivains tenter par les plats servis à des clients teur à un état d’esprit de contemplation, Gallo, dans lequel il raconte le drame recevra son prix lors d’une cérémonie libanais ont quelques tables plus loin, il aime sont également une belle démonstration Ralph DOUMIT d'avoir perdu à deux reprises toute organisée le 20 juin à 18h à la Villa été récemment sa famille, d'abord dans les camps Audi. récompensés : d'extermination nazis, puis dans Amin Maalouf, Meilleures ventes du mois à la Librairie Antoine l'incendie de sa maison en France. qui a été nommé Le Booker personnalité Auteur Titre Éditions arabe à Rabai culturelle de l’année © Claude Truong-Ngoc 1 Amin Maalouf UN FAUTEUIL SUR LA SEINE Grasset al-Madhoun par le Cheikh 2 David Foenkinos LE MYSTÈRE HENRI PICK Gallimard Francophonie Le romancier Zayed Book Award 3 Guillaume Musso LA FILLE DE BROOKLYN XO La culture arabe à Genève Rabai al- et Élias Khoury, qui Le Pavillon des cultures arabes au Gilbert Sinoué INCHALLAH (TOME 3) : LES CINQ QUARTIERS DE LA LUNE Flammarion Madhoun a reçu le Mahmoud 4 30e Salon du livre de Genève qui s’est est devenu Darwish Award 5 Marc Lévy L’HORIZON À L’ENVERS Robert Laffont tenu du 27 avril au 1er mai a accueilli le premier for Creativity 2016 6 Alain Deneault LA MÉDIOCRATIE Lux cette année de nombreux écrivains Palestinien d’un montant de 7 Charif Majdalani VILLA DES FEMMES Seuil francophones comme Boualem Sansal, à remporter 25 000 dollars 8 Dima Droubi LA SULTANE DU CAIRE Zellige éditions Vénus Khoury-Ghata, Fawzia Zouari, le Prix qu’il a offert à Abdellatif Laabi, Hédi Kaddour, 9 C. André, A. Jollien, M. Ricard TROIS AMIS EN QUÊTE DE SAGESSE L’Iconoclaste international D.R. l’université de Yasmina Khadra, Élias Sanbar, de fiction arabe, surnommé le Birzeit. 10 Josselin Monclar PARADIS PERDU L’Éditeur Gilbert Sinoué et Robert Solé. D.R. L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Entretien III Nancy Huston : mélomane en littérature ctualité chargée pour une affirmation qui dépasse le cadre être dans l’indirection. Mais aussi à la faute de la femme ! En effet, depuis la grande romancière de la simple évidence. laisser de la place au silence, à ména- la nuit des temps les hommes ont vu Nancy Huston, qui ger des trous, à ne pas tout dire, pour dans les femmes des « tentatrices », des vient de publier Le Je n’ai pas de théorie là-dessus, je ne que le lecteur ait lui aussi un rôle actif. « salopes », etc. C’est très important de Club des miracles rela- me suis pas plongée dans la psycholo- comprendre cela. La femme tentatrice, tifs, son seizième roman, et un recueil, gie transgénérationelle. Comme tout le Dans Infrarouge, votre héroïne est c’est un fantasme, un scénario. Et les CarnetsA de l’incarnation, mélange de monde, je connais de nombreux récits une photographe qui photographie les femmes peuvent choisir ou pas de se textes littéraires, sociologiques ou plus qui portent sur le poids des secrets fa- hommes, ses amants en particulier. Ce mettre à cette place-là. personnels, dont des récits de voyage, miliaux qui se transmettent de généra- faisant, vous mettez en place une in- écrits entre 2002 et 2015, alors que tion en génération. Mais j’ai sans doute version du schéma habituel puisque ce Parlons à présent de votre dernier paraît également en poche sa très belle écrit cela en réaction à une tendance sont toujours les femmes qui sont sous roman, Le Club des miracles relatifs. autobiographie romanesque Bad girl, très présente en France qui insiste sur le regard des hommes. En 2014, vous avez écrit une tribune qui a pour sous-titre Classes de litté- le rôle central de l’individu, avec l’idée dans Le Monde où vous affirmiez que rature, et qui permet en effet de revisi- qu’on se crée soi-même. Sartre a joué Oui, dans l’histoire de l’humanité, ce « le Dieu pétrole dévore le Canada » et ter son itinéraire personnel et littéraire un grand rôle dans l’importance accor- sont toujours les hommes qui regardent c’est cela votre sujet. avec un regard tout à la fois distancié dée à cette théorie de l’individu comme les femmes, j’en suis convaincue à et chargé d’émotions. Ces ouvrages, pure volonté, comme pure décision. 100% ; ils sont programmés pour, c’est Le Canada jouit d’une réputation in- comme l’ensemble de son œuvre – une Adhérer à cette idée est sans doute plus dans leur disque dur génétique. À l’ins- justifiée de gentillesse et d’éthique. œuvre maintes fois facile pour des gens tar des animaux, les En réalité, c’est à bien récompensée, faut-il qui n’ont pas d’en- hommes regardent des égards un pays le rappeler ‒ sont pu- « La traduction fants. Mais je pense les femmes pour « La femme très dur et domina- bliés par Actes Sud. que c’est une illusion évaluer leur fécon- teur. Les compagnies est l’une des dangereuse, voire dité : leur jeunesse, tentatrice, minières canadiennes Le Club des miracles un mensonge. Nos la qualité de leur dévastent le tiers- relatifs raconte une formes de gênes racontent des peau, leurs formes, c’est un monde, Madagascar, histoire tout à la fois histoires politiques, leur hanches en par- par exemple, où j’ai terrifiante et magni- révision de économiques, reli- ticulier qui leur per- fantasme, un pu constater les dégâts fique, et se présente gieuses, des histoires mettront de porter scénario. Et de mes propres yeux. comme une sorte mes textes d’émigration, etc. un bébé… C’est en Le Canada est l’un des de face à face entre que j’utilise Cela ne veut pas dire écrivant Infrarouge les femmes pires pollueurs de la deux formes de qu’on est condamné que j’ai mesuré tout planète, et sous la gou- monstruosité, celle systéma- à répéter les choses cela. C’est d’ailleurs peuvent vernance ultra-conser- d’un homme étrange et je déteste le fait un livre qui a été vatrice et capitaliste de et criminel et celle de tiquement. » qu’en France, on est extrêmement diffi- choisir Stephen Harper il s’est la machine de pou- souvent sommé de cile à écrire, presque abstenu de signer le voir qui se dresse face à lui et qui va choisir entre volonté et déterminisme. violent ; il m’arrivait ou pas de protocole de Kyoto. Un le broyer. Le roman se déroule dans un On est évidemment un mélange impré- de vomir en relisant se mettre nombre important de lieu imaginaire, un non-lieu pourrait- visible et inextricable entre les deux et certains passages. Et compagnies off-shore y on dire, où règne le non-droit et dans c’est cela qui est intéressant, et c’est j’avais peu de mo- à cette sont domiciliées et on y lequel il faut voir la métaphore d’un cela qui rend le roman possible. Si on dèles à ma disposi- trouve des zones quasi- certain Canada, à des années lumière était entièrement libre, on n’écrirait tion, à part la pho- place-là. » ment de non-droit. Ce de l’image gentille et particulièrement que du nouveau roman et on mour- tographe américaine que raconte mon roman civilisée que l’on en a habituellement. rait d’ennui. Et si on était entièrement Diane Arbus, dont j’ai lu la biogra- est terrifiant, mais à peine fictif. On y retrouve des personnages singu- déterminé, on ne raconterait que des phie et à propos de laquelle j’ai acquis liers et attachants comme Huston sait contes et des fables mais il n’y aurait la conviction qu’elle avait été victime C’est en effet un roman terrifiant, très si bien les camper, mais on est parfois pas de place pour le roman. d’abus sexuels dans son enfance. C’est noir, sans doute le plus noir de vos surpris par la noirceur inhabituelle de vraiment très inhabituel chez une romans. l’univers qui s’y déploie. Nous avons Il y a entre vous et Beckett une femme, ce regard « objectif » sur les donc rencontré l’écrivaine à la fois grande proximité. Comme lui, vous hommes. On peut d’ailleurs citer à ce À 62 ans, je me sens plus forte et pour évoquer ce roman captivant et avez abandonné votre langue ma- propos le livre de l’auteur américain joyeuse que jamais. Combien de temps dérangeant et pour parcourir avec elle ternelle, l’avez traitée comme une Ta-Nehisi Coates Une Colère noire, cela va-t-il durer, je ne sais pas. Et cela certains des temps forts de son univers langue morte, n’y revenant que de qui mène une réflexion analogue sur peut paraître paradoxal, d’être joyeuse littéraire. nombreuses années plus tard essen- D.R. le corps des Africains-Américains, sur et d’écrire un livre aussi désespéré. tiellement dans l’écrit. Pour Beckett, vis-à-vis de l’autre qu’ils auraient pu l’éditeur, je le traduis et cela éclaire le la violence exercée sur leur corps parce Sans doute mon bonheur me donne- Dans Bad girl, vous donnez à votre écrivez-vous, « la bio n’est rien, seule devenir. J’ai d’ailleurs écrit un hom- texte autrement et m’amène à y intro- qu’il est « noir », et sur la peur dans t-il des forces. Alors, oui, je suis très double romanesque l’étrange prénom compte la graphie ». mage bilingue à Beckett, Limbes/ duire des changements. La traduction laquelle ils vivent en permanence en pessimiste sur l’avenir de l’humanité. de Dorrit. C’est aussi le titre d’un ro- Limbo qui commence par un dialogue est l’une des formes de révision de mes raison de cela. Dans mon essai Reflets Je mets en scène un personnage mons- man de Dickens. Est-ce cela qui a jus- Oui, dans Nord perdu, j’ai réfléchi à entre deux instances du moi, l’une qui textes que j’utilise systématiquement. dans un œil d’homme, je reviens sur le trueux, qui commet des crimes mais tifié votre choix ? mon rapport aux langues, et je suis ar- est dans un élan d’écriture, l’autre qui dédoublement qui se produit chez les qui n’en reste pas moins attachant ; rivée à penser qu’ayant été abandonnée dit non, qui casse cet élan, qui dit que Vous évoquez le rôle de la traduction, filles lorsqu’elles intériorisent le regard mais plus monstrueuse encore est cette Non, et ce roman est en effet la seule par ma mère, j’ai à mon tour abandon- c’est nul ; la première voix essaie de mais le rapport à la musique est éga- des garçons sur leur corps, ce regard machine du pouvoir qui se dresse face occurrence que j’ai trouvée de ce pré- né ma langue maternelle pour adop- capter une belle image, colorée, lumi- lement fondamental dans votre vie qui les évalue. C’est un phénomène à lui et qui le broie. Et pourtant la vie nom. Il est vrai que c’est un prénom ter le français. Comme Beckett donc, neuse, et l’autre impose le noir. C’est d’écrivain. Vous vivez la littérature en très moderne que celui de cette coquet- est pleine d’espoirs et il y a des miracles bizarre – comme l’est le prénom du je ne serai finalement ni d’ici ni de là- très beckettien comme texte. mélomane et le piano est pour vous terie devenue névrotique, addictive, relatifs partout et à tout moment. Ne personnage principal du Club des mi- bas, mais d’un entre-deux, c’est-à-dire « classe de littérature » écrivez-vous. qui commence par le maquillage et se serait-ce que, là, tout de suite, le mi- racles relatifs : Varian. Mais j’aime sa de nulle part, assignée aux limbes à À propos de votre livre Cantique des poursuit par la chirurgie esthétique. Il racle d’être ensemble, vous et moi, à sonorité de tôle froissée, la façon dont perpétuité. Et je me sentirai coupable, plaines, vous racontez que vous l’avez Oui, le piano m’a permis d’expri- y a tant de manières de profiter de la parler de choses si importantes. ce prénom commence dans la douceur j’aurai l’impression d’avoir commis un écrit en anglais, mais qu’ayant essuyé mer des émotions très fortes quand je fragilité, de la vulnérabilité des filles et se referme sur un son dur. Une fois le meurtre, et ma victime, c’est la femme un refus de la part des éditeurs, vous n’avais aucun autre exutoire, d’expri- à l’égard du regard que posent les Propos recueillis par livre paru, j’ai découvert que la Dorrit que j’aurais dû devenir. C’est comme l’avez traduit en français et ce faisant, mer donc mes propres émotions à tra- hommes sur elles pour évaluer leur Georgia MAKHLOUF de Dickens était orpheline. Peut-être le si en affirmant que j’étais une intel- vous l’avez transformé et amélioré. vers celles des autres. Avec la musique, beauté. Et ce besoin des hommes de savais-je de façon inconsciente. Mais lectuelle française, élève de Roland une structure, une forme est donnée au regarder les femmes est lui aussi ma- quoi qu’il en soit, dès qu’on s’empare Barthes, je mentais, j’assassinais l’autre Oui, c’est exact, et depuis, je pratique chaos. Et c’est cela pour moi le roman. nipulé et transformé en addiction par LE CLUB DES MIRACLES RELATIFS de Nancy d’un nom, on en fait autre chose, on en Nancy Huston, celle qui était destinée systématiquement la double écriture. C’est la possibilité de parler de mon l’industrie pornographique. Étant don- Huston, Actes Sud, 2016, 300 p. joue, on lui donne des sens nouveaux. à devenir une brillante universitaire et J’ai écrit deux versions de tous mes histoire par le moyen d’une histoire né qu’un jeune hétéro bande quand critique littéraire aux États-Unis, mais romans sauf un. La première version qui n’est pas la mienne. C’est presque il pose les yeux sur une belle jeune CARNETS DE L’INCARNATION de Nancy Huston, « Nous ne tombons pas du ciel, mais qui ne serait sans doute pas devenue est en français ou en anglais, selon la la définition de l’art littéraire, à mon femme, et que nous mettons de la Actes Sud, 2016, 312 p. poussons sur un arbre généalogique », écrivain. Je crois que souvent les exilés langue que parlent les personnages. Et sens : une démarche qui consiste à aller « volonté » partout, puisque c’est indé- écrivez-vous. Il y a là, me semble t-il, vivent cela, ce sentiment de culpabilité avant même de montrer mon texte à de biais, à procéder par métaphore, à pendant de sa volonté ça doit être par BAD GIRL de Nancy Huston, Actes Sud, 2014, 270 p. La Bibliothèque Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier e n’en puis plus. dans l’air, toutes voiles dehors, tel un front, ni celui qui capitalise les biens, « grand navire ancré dans l’humus ». mais celui qui ne dévore ni n’asservit Soleil, toi que je viens voir en Mais l’adoubement ne se réalise pleine- L’homme n’est pas son frère, Vendredi. dernier recours, rends-moi ment que par l’ignition qui l’assimile à celui qui peine à semblableJ à Vendredi. Délivre-moi de la flèche dardée du soleil et le laisse, en Alors seulement se concrétise la muta- la douleur. saint Sébastien, « l’épée trempée dans tion essentielle. Que Vendredi, que ses (la) flamme ». Robinson réussit tous la sueur de son « boucles ardentes » nous sauvent de Vendredi est mon espérance, comme il les rites d’intégration à l’harmonie cos- la « gravité », de cette mélancolie qui, est le rêve de Robinson. Tout le roman mique et reçoit l’ovation de la forêt tro- front, ni celui comme l’écrit Nietzsche, est la marque tend vers ce vœu : ressembler à l’Indien picale, il devient lui-même élémentaire. de l’Hyperboréen ! Que se fasse léger « mâtiné de nègre », « choisi au plus bas qui capitalise les tout ce qui est pesant, que l’apolli- degré de l’échelle humaine ». Le mythe Il lui reste à vaincre sa solitude. Qui nien en nous se jette à la mer et que de Crusoé, réécrit par Tournier, retrace est le gage non seulement du rescapé biens, mais celui Dionysos prenne la place du Crucifié ! l’histoire d’une métamorphose : le per- au milieu du Pacifique, mais de l’Euro- Robinson apprend enfin à aimer son sonnage de Defoe cède la place au com- péen dans l’anonymat des villes, sans qui ne dévore corps, à s’aimer lui-même, il retrouve parse, il suit un parcours initiatique à attaches, sans famille, sans solidarité. le goût du jeu, de l’acte gratuit, du rebours qui le conduit, en douze cha- « Je suis défiguré », s’affole Robinson ni n’asservit son présent perpétuel, « sans passé ni ave- pitres, vers l’innocence, « le dimanche quand, « abîmé de tristesse », il ne se frère, Vendredi. nir », du vouloir-être originel qu’in- des enfants », peut-être le bonheur. reconnaît plus dans le miroir éteint. D.R. D.R. carnent le mieux l’enfant et le sauvage Il sombre dans l’inexistence à cause niveau psychique à travers la méta- l’immédiateté intuitive avec la connais- responsable des frustrations et du ra- en Vendredi. La première condition nécessite le re- de l’absence d’autrui : « Quelqu’un, phore de l’alchimie. Elle passe par les sance rationnelle, de l’Anglais métho- cisme. Robinson se libère de son édu- tour à la nature primordiale. Robinson grands dieux, quelqu’un ! ». Être seul trois étapes du processus qui aboutit dique avec l’Araucanien prodigue et cation d’York : le « pieux, avare et Ma douleur s’efface chaque matin au se réconcilie avec les vertus secrètes équivaut à ne plus être. Il faudra la pré- au Grand Œuvre, autrement dit à la rieur. pur » qui, au nom de Dieu, doit tra- lever du soleil, au déploiement de ses des quatre éléments : d’abord l’eau sence du chien pour le ranimer, pour découverte de soi. Tout commence par vailler avec pénitence pour racheter sa rayons. Au moment de « l’acceptation d’où il émerge après le naufrage de lui rendre la plus douce de nos facul- le nigredo ou la plongée dans la mate- Hélios est désormais l’unique dieu au- chute, économiser en s’interdisant de des dons immédiats de ce jour, sans La Virginie, ensuite le sol qu’il creuse tés, le sourire. Les yeux de Tenn rap- ria prima, la dissolution dans la fange quel il aspire. Robinson change de re- consommer la première récolte, thésau- calcul, sans gratitude, sans peur ». Cela de son sexe et dans lequel il s’épanche pellent à son maître qu’il a un visage à et la souille. Puis arrive la phase de ligion : il quitte son puritanisme, son riser pour le Royaume du Ciel. Il ose a-t-il un nom, cet élan de la jeunesse avec « une immense pitié pour toutes reconquérir, une splendeur oubliée. La l’albedo ou de la nuit lactée qui purifie origine de quaker pour revenir au culte ôter son habit monacal pour se mettre taillé tout entier pour le rire, pour la choses créées ». Il embrasse le corps tel- soif de l’humain s’apaise ensuite grâce Robinson et le déleste de ses humeurs païen. Tel un ermite, voire un stylite, il à nu et, se résignant à ne plus adminis- joie ? lurique de Speranza comme on couche à Vendredi, et surtout, au log-book épaisses. Il peut maintenant atteindre s’immobilise « debout sur une colonne trer l’île, à ne plus la domestiquer selon avec une femme et sa semence donne dans lequel Robinson note comment il le rubedo ou l’œuvre au rouge, liée à de soleil » et se livre à une contempla- les principes du colonisateur, il regagne Oui, cela s’appelle la grâce. Ou le chant naissance aux mandragores. Puis, mû apprivoise son isolement en le rendant son éveil en plein soleil. Il convertit la tion mystique, à une héliophanie qui sa dimension verticale, celle de l’arbre du monde. La grâce de vivre. par la harpe éolienne, il se hisse parmi presque séduisant, héroïque. boue en un grand oiseau d’or, symbole échappe à la rigueur impitoyable des et de la transcendance. L’homme n’est les branches d’un araucaria et s’élève La transformation se fait aussi au de la conjonction des contraires, de églises, crispée dans un sérieux néfaste, pas celui qui peine à la sueur de son Gérard BEJJANI IV Poésie L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Un homme. Ni plus ni moins. Poème d’ici de Mohammad Mahmoud Darwich avoir trouvé par-delà douleur et joie, une sorte d’apaisement. En tout cas al-Abdallah écrit une nostalgie l’apaisement nécessaire pour livrer un dialogue intérieur avec son autre moi : poétique faite celui qui persistera parce qu’il sera de souvenir et lu, sa part d’ombre ou de lumière, cet autre lui-même détenant le pouvoir de d’introspection. compléter sa solitude.

Lorsque le temps de « La prison est densité. Quiconque y l’ultime bilan sonne, a passé une nuit se sera exercé à un semblant de chant. (…) Et toi si tu ils sont trois à attendre chantes, ce n’est pas pour partager la nuit avec quiconque ou mesurer la qu’arrive l’absence : cadence d’un temps sans cadence ni l’homme, le poète, borne, mais parce que ta cellule t’in- cite aux doux échanges avec le de- et l’amoureuse de hors, cette part manquante à ta pleine toujours nommée solitude. » « Aussi as-tu, dans la foule, la nostal- imagination. gie de toi-même, d’une solitude pour D.R. écrire. » é à Khyam (Sud Liban) en 1946, auteur depuis 1979 PRÉSENTE ABSENCE de Mahmoud Darwich, traduit C’est vers la complétude, parfois celle de nombreux recueils, de de l’arabe (Palestine) par Farouk Mardam-Bey et Élias de la rencontre, plutôt celle de la soli- Npoèmes en arabe classique et parlé, de Sanbar, Actes Sud, 2016, 160 p. tude, que tend Darwich tout au long nouvelles, Mohammad al-Abdallah, des poèmes. Il désire que l’absence récemment disparu, a su dans le tra- D.R. qu’il porte, la négation qui le divise, gique d’un vécu frénétique, avoir une résente absence est t’éloignas alors, déconcer- anges peuvent-ils attraper se manifestent à lui pleinement. Ou familiarité ludique avec les mots et l’avant-dernier livre té par le fil rompu entre le « Tu t’éloignas alors, décon- une rhinite ?/ Et toi, tu es toi qu’il parvienne à poser véritablement les images les plus dénués. « S’il était, paru du vivant de réel et l’imaginaire, entre et moins que toi./ (…) Et tu les yeux sur le manque. Il use surtout d’entre nous, le plus sincère dans sa Mahmoud Darwich en une guerre racontée et une certé par le fil rompu entre es, à la fois, toi et pas toi./ de sincérité, mais aussi de littérature, témérité, c’est parce qu’il était le plus 2006. Dix ans après, guerre vécue. » Divisé en un dedans qui sort de psychologie, de diplomatie, de phi- téméraire dans sa sincérité », écrit Actes-Sud/Sindbad édite sa traduc- le réel et l’imaginaire, entre et un dehors qui entre. Tu losophie pour revenir sur les terres du Jawdat Fakhreddine en poète et ami. tionP inédite en français. Elle est signée Est-ce l’amplitude de l’ami- une guerre racontée et une es libre de t’isoler avec une passé. Depuis l’enfance, l’aventure, Farouk Mardam-Bey et Élias Sanbar. tié triangulée entre ici et franche liberté… libre d’as- l’amour, les compagnons d’idées et De son dernier livre Actes d’écriture Mahmoud Darwich avait exprimé là-bas qui a permis de tra- guerre vécue. » seoir l’imagination sur tes d’armes, l’exil, les non-retours, l’écri- (A‘mâl al-kitaba) (Nadi likoul el- le souhait de voir ces textes traduits duire la poésie de Darwich genoux. » ture en permanence, jusqu’aux temps nas, 2016), nous traduisons ces deux par ses deux amis. Présente absence avec une sobre simplicité qui sied à la Le lecteur y retrouve le ton propre à récents de la dernière maturité. Le re- poèmes chantés par Oumaima al- réalise ce vœu et permet aux éditions teneur du recueil et à son rang sym- Darwich, à la fois intime et imperti- Présente absence est une halte durant gard qu’il pose sur lui-même semble Khalil et mis en musique le premier Actes Sud de boucler tout en grâce et bolique de dernier du cycle ? Une sim- nent, et sa poétique nimbée d’univer- laquelle culpabilité, nostalgie, honte, détaché, quelquefois résigné. Mais par Hani Siblini, le second par Paul en intériorité un cycle de parutions plicité qui libère le rayonnement du sel mordue soudain d’ironie. désir, vanité et humilité se rencontrent bienveillant. Peut-être est-ce la force Salem. de l’ensemble de l’œuvre poétique style inégalable de Darwich malgré les et s’évanouissent dans un même élan. de l’amitié et de l’amour qu’il a pu du grand poète comprise entre 1995 filtres de la traduction. Ce rayonne- « Et toi, tu es toi et plus que toi./ Cet ouvrage porte la complexité, les partager, la résonance singulière qui a et 2008, outre deux anthologies ras- ment est tel que le lecteur a l’impres- Habité, tel un immeuble, avec ceux contradictions, les regrets, les failles, lié sa voix à la voix de la Palestine, la Cette tête semblant des morceaux entre 1977 et sion d’être familier des textes, de les qui montent les escaliers et ceux qui les rêves et la sagesse de toute une vie. douceur qui dure depuis la petite en- 1992. connaitre un peu alors même qu’ils lui les descendent vers la rue. Habité d’us- Il n’a pourtant rien de grandiloquent fance, et fondamentalement la gloire Cette tête me tuera certaine- sont, pour la plupart, nouveaux et au- tensiles de cuisine, de lessiveuses, de ou d’excessif. Rien en lui qui pèse ou du poète qu’il est, qui le soutiennent « Les lettres sont devant toi, arrache- réolés du goût unique de la prose-poé- disputes entre époux quant à la meil- qui déborde. Juste un écoulement per- le long de ce recueil et lui permettent ment les à leur neutralité et joues-en comme sie darwichienne. Teintée de la médi- leure façon d’éplucher les pommes de sistant, parfois plus intense ou plus d’écrire – et d’aimer – ce qu’il est : un Elle ne cesse de penser un conquérant dans le délire de l’uni- tation de l’esprit et des sens, épique, terre, de frire le poisson. Une légère ténu selon les pages. Conquérant, homme. Ni plus ni moins. Des milliers de fois je lui ai vers. (…) Ainsi t’habita la fascina- politique, amoureuse ; particulière car douleur à l’estomac à laquelle suc- vaincu et survivant, à la fois Troyen, expliqué l'absurdité de le faire tion de la cadence et du conte. Tu d’un lyrisme jamais jamais suranné. cède une douleur métaphysique : les Peau-rouge et Grec, Darwich semble Ritta BADDOURA Je lui ai montré les raisons du désespoir Et elle ne cesse de penser Romans Je lui dis : convenons Dans le « Novecento » Nous penserons jusqu'à épui- Tout finit par s’oublier ser toute pensée ! Elle dort à contre-cœur. LA ROUTE ÉTROITE VERS LE NORD LOINTAIN de moyen-oriental Richard Flanagan, traduit de l’anglais par France Camus- LE FOSSOYEUR LIBERTIN de femmes au regard hu- Mais de bon matin elle se lève Pichon, Actes Sud, 2016, 432 p. Rafic Boustany, Dar an-Nahar, mide, vêtues à la mode Allume sa cigarette, verse 2015, 357 p. des années vingt, ai- avant moi son café grette comprise, et de es esclaves nus s’acti- jeunes hommes frin- Puis répète récits d'hier et vaient comme des ca- afic Boustani est gants, cheveux gomi- pensées d'hier fards. » Dans la cha- docteur en géo- nés et chaussures bico- Je la lave alors qu'elle pense leur étouffante d’une graphie, spécia- lores. Imaginez leurs Je la peigne alors qu'elle pense jungle«L tropicale, ils s’exténuent sous listeR des pays arabes. Il amours, leurs petites et les pluies torrentielles de la mousson, livre avec Le Fossoyeur grandes histoires, leurs Je l'envoie chez le coiffeur et fantômes squelettiques dont certains libertin un roman atta- coutumes et leur vie elle pense ne pèsent pas plus de quarante kilos, chant qui emporte le dans ces paysages que Mais quand je veux penser à leur chair putride mangée par les poux lecteur dans le Moyen- vous avez du mal à re- et les ulcères. Battus, torturés et affa- Image tirée du film Le Pont de la rivière Kwai de David Lean, 1957 Orient post-ottoman, à connaître, un Beyrouth un problème qui me harcèle més, souffrant du choléra, de la mala- gestes et de sa démarche, il s’agit ; mais à peine se rap- la croisée de l’histoire, bucolique, des ver- Ou à une chose qui me touche ria, du béribéri et de la dysenterie qui de tout ce qui fait d’elle Le temps pelle-t-il de quelques pré- de la sociologie et de la gers qui s’étendent à de près leur cause des diarrhées permanentes, une personne unique. noms, de quelques visages, géographie, de Bloudan perte de vue, des gens Elle crie de douleur comme si ils construisent une ligne de chemin de Vaquant à ses tâches de finira par de quelques incidents. à Beyrouth (1899), de qui circulent en train fer, mourant l’un après l’autre pour la médecin dans ce camp de Beyrouth à Paris (1920) ou étrennent les pre- je la frappais avec une hache © Lamia Ziadé gloire de l’Empereur du Japon. prisonniers perdu dans effriter Le roman de Flanagan com- et de Beyrouth au Caire mières Ford T impor- Cette tête me tuera. la jungle thaïlandaise, porte de très belles pages (1930). Imaginez un tées d’Amérique par Dans son roman La Route étroite vers s’exténuant à maintenir tout sur l’absurdité de l’exis- David Corm et ses fils. le nord lointain (Man Booker Prize en vie ses compatriotes tence, la précarité de la Pour construire son ré- Beyrouth Prenez le paquebot * * * 2014), l’Australien Richard Flanagan agonisant et procédant souvenir, mémoire et la dévastation cit, l’auteur s’appuie sur jusqu’à Marseille, et de nous raconte cet épisode peu connu parfois à des opérations individuel des destinées individuelles un prétendu manuscrit bucolique, là un wagon-lit pour la L'air en saucisses de la Seconde Guerre mondiale : la chirurgicales dans des par les événements histo- trouvé dans leur cave capitale française en- construction de la ligne Siam-Birmanie conditions horribles, ou riques. Toutefois, un dé- par un couple de re- des vahie, dans cet entre- Dans la boucherie de l'air (aussi appelée « voie ferrée de la mort ») Dorrigo ne cesse de mé- faut de taille brise l’harmo- tour à Beyrouth après deux-guerres, par des par L’Empire du Japon qui, pour cette diter sur la victoire de collectif, nie de l’ensemble : l’histoire quinze ans d’absence, vergers qui aristocrates russes aux L'air est abattu comme un fin, a eu recours au travail forcé de l’oubli : tout comme il a d’amour entre Dorrigo et soit toute la durée de la s’étendent à mœurs étranges. Rêvez taureau 180 000 civils asiatiques et 60 000 pri- effacé le visage d’Amy, des Amy est si peu convain- guerre de 1975. Il aurait à ces destinations ren- Dans la boucherie de l'air sonniers de guerre alliés. pense-t-il, le temps fini- cante qu’elle semble intro- été rédigé par un certain perte de vue, dues si proches par L'air est pelé comme un tau- ra par effriter tout sou- souffrances duite de force dans le récit Ernest Bahri, négociant le chemin de fer, la Dans cet enfer, un Australien, le jeune venir, individuel ou col- indicibles juste pour créer, artificiel- en peaux précieuses issu des gens qui Palestine, l’Égypte, reau officier médecin Dorrigo Evans, est lectif, des souffrances lement, un contrepoint à la d’une famille grecque-ca- le Soudan et au-delà. Dans la boucherie de l'air hanté par le souvenir d’Amy, l’épouse indicibles endurées par endurées thématique de la guerre et tholique établie à Damas. circulent Assistez à la réalisa- L'air est coupé en deux par la de son oncle avec laquelle il a vécu une ces prisonniers de guerre de la mort. En procédant à Ernest, « oncle Nes » tion des premières for- passion brève mais bouleversante juste réduits à un état d’escla- par ces des modifications minimes, comme l’appellent ses en train ou tunes. Fermez les yeux, scie avant de partir au front. Mais ce qui vage absolu. elle aurait pu tout simple- nièces, écrit pour ne pas étrennent les Boustani vous entraîne Comme un taureau est coupé l’obsède surtout, c’est son incapacité à prisonniers ment être éliminée sans que risquer de voir son his- dans ces « fameuses soi- en deux par la scie se rappeler du visage de cette femme, En effet, de nombreuses le roman en souffre. Même toire déformée. Son ma- premières rées à bretelles au Bain Dans la boucherie de l'air de son sourire, de son regard, de ses années plus tard, les de guerre. plus, ce dernier aurait ga- nuscrit est daté de 1940. français, celles des sa- prisonniers ayant survécu ne se sou- gné en puissance, et son élan épique Il veut le faire traduire Ford T. lons de l’hôtel Bassoul L'air est pendu en deux moi- viennent plus de grand-chose concer- n’aurait pas été brisé, de temps à autre, par un Allemand, agent ou du casino Tabaris tiés aux penderies nant ces expériences tragiques. Ce qui par des mièvreries sentimentales. de la firme Bayer, persuadé qu’après en hiver ». Il vous embarque aussi dans Comme les deux moitiés du Tous les numéros ne revient pas à dire qu’ils n’en ont pas la victoire escomptée du Führer, sa les cabarets du Caire et vous offre une été affectés : loin de là, puisque l’exis- Mais au cœur de l’ouvrage, il y a une langue sera la langue dominante de loge, c’est cadeau, pour assister à la re- taureau sont pendues aux de tence de certains en a été complètement centaine de pages qui sont décidément l’Europe. Tout porte à croire que les présentation de Aïda à l’occasion du penderies L'Orient brisée. Mais dans leurs âmes, à l’en- un chef-d’œuvre : c’est la description deux hommes seront exécutés par les remariage du roi Farouk. Certes, ces Dans la boucherie de l'air droit où aurait dû se trouver un noyau minutieuse d’une journée entière de la Français. Mais le manuscrit émerge nombreux déplacements ont des rai- Un boucher vend l'air au Littéraire douloureux de souvenirs terrifiants, il vie au camp, description qui ressuscite, plus de 70 ans plus tard et avec lui res- sons sentimentales, commerciales ou n’y a qu’un vide s’enflant progressive- avec une vraisemblance effrayante, ce suscite, sous la plume jubilatoire et pro- rituelles. La saga familiale, prétexte de poids, des morceaux d'air sont disponibles ment comme une tumeur, qui finit par chapitre négligé des abominations de digue de Rafic Boustani, une époque ce récit, a au fond moins d’importance Alors que le garçon du bou- annihiler toute signification à leurs vies. la Seconde Guerre mondiale. « Tout passionnante où le monde arabe in- que ces lieux empreints « d’élégance et cher, celui de l'air en coffrets. Pour C’est également le cas de Dorrigo, solli- finit par s’oublier », dit Dorrigo ; peut- carne un glamour qu’en Europe deux de bon goût » à jamais disparus, qui lui toute commande, cité pour écrire la préface d’un ouvrage être que l’une des fonctions de la litté- grandes guerres ont achevé de ternir. servent de toile de fond et que l’érudi- Remplit dans des boyaux d'air commémoratif sur les victimes des rature est précisément de lutter contre tion et le talent de l’auteur nous resti- des déchets d'air contactez camps japonais alors qu’il a déjà dépas- cet oubli. Prenez un album de photos jaunies, ou tuent intacts. Et fabrique des saucisses d'air. le 01-384003. sé les soixante-dix ans : abstraitement, ces vieilles cartes postales qui circulent théoriquement, il sait très bien de quoi Tarek ABI SAMRA sur les réseaux sociaux. Des jeunes Fifi ABOU DIB Traduits de l’arabe par Farès Sassine L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Dictionnaires V Questionnaire Un Orient mal connu et mal aimé de Proust à DICTIONNAIRE AMOUREUX DE avons témoigné jadis et au- plus, contrairement à Mahomet, des L’ORIENT de René Guitton, Plon, 2016, jourd’hui encore ». L’auteur chroniqueurs byzantins ou syriaques. Louis Chédid 800 p. ne manque pas de dénoncer le génocide arménien, à ce Le lecteur sera sans doute surpris jour orphelin de l’Histoire, par des mots qui trahissent bien uteur, entre et nous avertit, par ailleurs, plus que d’autres la subjectivité de autres, de qu’il reste « à peine 2% l’auteur : Abricot, Accueil, Albatros, Si nous de sujets d’origine circas- Bazar, Café, Échec et mat, Épices, nous tai- sienne dans la population Harem, Hasard, Haschisch, Inch sons sur le turque, et pas davantage Allah, Lune, Mille et Une Nuits, martyr des moines de Tibhirine (Prix dans le Caucase ». En ce qui concerne Oum Kalsoum… Véritable amoureux MontyonA de littérature et de philo- les Kurdes, il souligne que ce peuple de l’Orient, Guitton écrit souvent à la sophie de l’Académie française, Prix aujourd’hui en mal de pays a donné première personne et assume pleine- Lyautey de l’Académie des sciences, naissance à l’un des plus célèbres hé- ment sa subjectivité, notamment en D.R. Prix Liberté) et de Ces Chrétiens ros du monde arabe : Saladin. ce qui concerne les lieux, la Lumière é en 1948 à Ismaïlia, en qu’on assassine sur la condition des d’Orient, le Cheval d’Orient qui « est Égypte, dans une famille chrétiens d’Orient (Prix des Droits Même s’il n’occulte pas le présent, à l’homme ce que les ailes sont à d’intellectuels et d’artistes de l’homme), René Guitton est un Guitton semble avoir une nette pré- l’oiseau »… Nlibanais maronites, Louis Chédid écrivain et un essayiste engagé. Son férence pour les périodes anciennes est le fils de l’écrivain Andrée et de Dictionnaire amoureux de l’Orient et les définitions qui rappellent aux Son amour pour l’Orient n’est cepen- Louis Selim, biologiste de renom- pouvait-il ne pas être à son image ? Orientaux qu’ils ont été grands et dant pas aveugle. Et c’est avec une mée internationale. Dès juillet 1948, glorieux : Abd al-Kader, Cunéiforme, D.R. grande lucidité qu’il nous livre cette la famille s’installe à Paris, ce qui Il insiste sur le fait que les Yazidis ne Hammourabi, Hiéroglyphes, Naba- d’un certain Orient, est magnifiée au 1930 font du déluge biblique « une analyse : « Le Proche-Orient a ap- n’empêche pas Louis de se sentir sont pas des « adora- téens, Soliman Ier fil des siècles, et constitue pour cer- réalité ». D’après les archéologues, porté le meilleur et le pire à l’huma- très attaché à ses racines orientales. teurs du diable » et fait le Magnifique ettains nostalgiques “l’âge d’or arabe” la tour de Babel aurait pu « s’incliner nité. Le meilleur, c’est sans nul doute Après des études de cinéma, il mentir cette rumeur « Le Proche- bien d’autres… Il qu’ils voudraient restaurer ». d’elle-même et s’affaisser sans qu’il l’idéal de justice véhiculé par les trois devient monteur, assistant. Puis, en tenace en remontant nous révèle que les fût besoin d’intervention divine » ; le grandes religions monothéistes... Le 1973, se lance dans la chanson avec aux origines de leur re- Orient a Omeyyades et les Et, parce qu’il s’agit de l’Orient, sol de cette région étant « particuliè- pire, c’est cette rage homicide qui fait un premier album, Balbutiements. ligion. Il consacre, de apporté le Abbassides « déve- le religieux est extrêmement pré- rement meuble en raison des marais de l’homme un loup pour l’homme et Vingt autres suivront. Il devient même, un passage aux loppent la médecine, sent. Abraham, Bible, Coran, Jésus, et des infiltrations de l’Euphrate tout que symbolise déjà le tragique conflit l’un des auteurs-compositeurs-in- Mandéens, adeptes de meilleur le système hospitalier, Mahomet, Mur des Lamentation, proche ». Guitton relève que, des entre Abel et Caïn. » terprètes les plus attachants de la Jean-Baptiste, dans le s’approprient le patri- Saint-Sépulcre, Soufisme… sont au trois prophètes annonciateurs des chanson française. Il est le père de but de « contribuer à et le pire à moine philosophique nombre des entrées de ce dictionnaire. trois grandes religions monothéistes, Irréprochable d’un point de vue his- quatre enfants, dont Mathieu, alias pérenniser leur exis- de l’Antiquité, l’héri- Exercice périlleux s’il en est, l’auteur « Moïse est le seul dont l’historicité torique, souvent attendrissant, cet M. Son premier livre, 40 Berges tence ». D’une ma- l’humanité. » tage des civilisations entreprend de faire la part des choses ne soit pas unanimement avérée par ouvrage modifiera très certainement blues, était un roman, paru en 1991 nière générale, il ob- perse et grecque, s’at- entre l’aspect historique et l’aspect re- des historiens ou des chroniqueurs notre regard sur bien des sujets que (Flammarion). Il vient de revenir serve sans complaisance que « tous tachent à la pensée d’Aristote qu’ils ligieux. Il compare, à titre d’exemple, contemporains ». Moïse n’a pas eu, l’on croyait connaître mais que l’on à la littérature avec Des Vies et les malheurs des chrétiens d’Orient étudient et dispensent dans les mai- la Babylone mythique à celle qui existe contrairement à Jésus, un Tacite ou connaissait mal. des blessures (Calmann-Lévy), un viennent très largement du soutien sons de la sagesse. Cette culture, qui encore aujourd’hui en Irak. Certaines un Flavius Josèphe qui témoignerait recueil de nouvelles douces-amères. faussement désintéressé que nous leur témoigne de la grandeur incontestable découvertes scientifiques des années de son existence. Il n’a pas eu non Lamia EL-SAAD Quel est le principal trait de votre caractère ? Le livre de chevet de L’opiniâtreté. Rouhi Baalbaki : L’arabe du présent Votre qualité préférée chez un Nayla Tamraz AL-MAWRID AL-ʻARABI de Rouhi Baalbaki, Dar les dictionnaires traditionnels com- originelle existe toujours mais avec Rouhi Baalbaki unit avec dextérité la homme ? La droiture. el-ʻilm lil malayin, 2016. prennent des mots devenus archaïques des rajouts et des modifications. « Un langue ancienne à la langue moderne et dépassés. Il s’est donc attelé à la dictionnaire qui n’évolue pas avec son en délaissant certains termes comme Votre qualité préférée chez une lourde tâche d’écrire un nouveau dic- temps est inutile », souligne l’auteur. pleinement dépassés. Il explique mi- femme ? octeur en droit interna- tionnaire qui a exigé treize ans de tra- Les mots doivent signifier l’état ac- nutieusement chaque mot et ses dif- La solidité. tional à l’université de vail assidu avant de voir le jour ! tuel des choses. Pour cela, l’écrivain férents emplois, utilisant souvent Harvard, copropriétaire jongle facilement avec les synonymes, des citations usuelles sans oublier les Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ? de la maison d’édition « Le mot est l’enfant du temps et du homonymes et syntaxes compréhen- mots clé ou expressions utilisés dans Qu’on n’ait pas besoin de mots pour «D Dar el-ʻilm lil malayin » et célèbre lieu. C’est le miroir de la vie et de son sibles au chercheur du XXIe siècle. Il divers pays arabe. se parler. linguiste, Rouhi Baalbaki signe son évolution, comme tout n’hésite pas non plus à dernier ouvrage, un dictionnaire arabe être vivant qui grandit employer des proverbes Quant au mode d’emploi du diction- Votre principal défaut ? moderne qui va au-delà de toutes les et se renouvelle », pré- « Un courants ou même des naire, il s’avère peu compliqué, vu que L’impatience. normes : Al-Mawrid al-ʻArabi, édité cise-t-il dans la préface versets du Saint Coran. les mots sont répertoriés alphabétique- Votre occupation préférée ? par Dar el-ʻilm lil malayin. Baalbaki d’Al-Mawrid al-ʻArabi, dictionnaire « Une langue possède ment sans aucun besoin de chercher la La création, le travail. a déjà à son actif plus de treize dic- car l’arabe, comme une énergie mobile qui racine. De plus, chaque terme est doté tionnaires en arabe et langues étran- toute langue vivante, qui n’évolue se projette dans l’ave- par les accents convenables. Afin de Votre rêve de bonheur ? gères tels que le fameux dictionnaire a incorporé à son dia- nir », explique-t-il. rendre encore la tâche plus facile, les Être perpétuellement en harmonie avec moi-même. trilingue et le dictionnaire illustré pour lecte des mots nou- pas avec son mots cherchés sont imprimés en rouge enfants. Cette collection colossale fait veaux issus du progrès Qu’est-ce qui distingue et numérotés, tandis que certains mots Ce que vous redoutez le plus ? partie du parcours de toute une vie. survenu dans différents temps est Al-Mawrid al-ʻArabi majeurs sont en grosses lettres noires. Perdre des gens que j’aime. D.R. Tel un ermite qui se cloître, il passe des domaines. Les pro- des autres diction- ’ai lu plusieurs fois La Re- heures et des heures à chercher le mot grès technologique, inutile. » naires ? Le nouveau Patience et longueur de temps ont fait Ce que vous voudriez être ? Un grand médecin qui guérit les gens. cherche de Proust et sans qui convient ou l’expression adéquate. scientifique et cultu- dictionnaire contient que Rouhi Baalbaki a su insuffler son doute, souvent, comme Al- rel ont créé la nécessité d’un dévelop- tous les mots et expressions tech- âme entière dans ses œuvres, les dic- Votre couleur préférée ? Jbertine parmi ses colliers de perle, Mais Rouhi Baalbaki est également pement et d’une modernisation de la niques nouveaux, utiles de nos jours tionnaires, matière aride rendue vi- Le bleu nuit. j’ai dû m’endormir sur la crête de un homme de son temps, orateur ex- lange avec la création de mots nou- dans tous les domaines de la connais- vante et agréable. Et c’est là que réside ses pages. ceptionnel et ancien professeur en veaux en accord avec la modernisa- sance, « comme miroir des domaines son grand mérite. La fleur que vous aimez ? La première fois je venais d’avoir droit international à l’université li- tion sans pour cela renier l’ancien hé- de l’humanité ». Un large éventail de La valériane. mon bac. C’était un été plutôt dé- banaise. Il s’est rendu compte que ritage linguistique. La racine des mots termes nouveaux est donc introduit. Effat KANAAN ABOU ASSALY L’oiseau que vous préférez ? sœuvré. Le deuil des années d’école, Le rossignol. l’angoisse de l’avenir, et la vacuité des étés beyrouthins sous le soleil, Vos auteurs favoris en prose ? tout cela me détermina à entrer dans Dumas, Maupassant, Fitzgerald, Mazen Kerbaj Roald Dahl, Pierre Lemaitre… la lecture des sept volumes comme on entre, inexpérimenté, dans une Vos poètes préférés ? relation longue et exigeante. Avant Rimbaud, Michaux, Char, Verlaine, de savoir si cela pouvait donner Baudelaire, Brassens… sens à ma vie, cela en tout cas don- Vos héros dans la fiction ? na sens à ces quelques mois malme- James Bond, Sherlock Holmes, nés par la guerre et ponctués par Cyrano de Bergerac, D’Artagnan et les rumeurs de combats, proches les trois mousquetaires. ou lointains. J’ai relu La Recherche lorsque le choix d’un sujet de doc- Vos compositeurs préférés ? Nino Rotta, les Beatles. torat devint imminent. J’étais sortie relativement blasée de mes études Vos peintres favoris ? de littérature. L’ancien m’ennuyait, Cézanne, Renoir, Picasso, Nicolas de le contemporain m’inquiétait. Et si Staël. l’inquiétude est un sentiment né- Vos héros dans la vie réelle ? cessaire quand on est dans la ving- Gandhi, Martin Luther King, les taine, je cédai néanmoins à Proust, humanitaires sur les champs de à la nostalgie de cet été tout en lon- bataille. gueur, à une autre forme d’inquié- tude, et au sentiment qu’il y avait Ce que vous détestez par-dessus tout ? là, malgré tout, quelque chose que Le cynisme. je n’avais pas su retenir. Et bien sûr je dus le relire encore, plusieurs Vos prénoms favoris ? fois même, horizontalement, verti- Mathieu, Anna, Joseph, Émilie, calement, diagonalement, de biais Emma. et de face, puisque j’en fis la ma- Les caractères historiques que vous tière même de ma recherche du- détestez le plus ? rant quelques longues années qui Hitler, Franco, Pol Pot, Staline, n’eurent d’équivalent que mon Mao… intérêt sans cesse renouvelé pour Le fait militaire que vous admirez le ce texte qui, aujourd’hui encore, plus ? m’échappe par endroits. Et puis Aucun. un jour j’ai publié ma thèse. J’étais quitte avec Marcel. Depuis, je le La réforme que vous estimez le plus ? maintiens à distance, comme on Le mariage pour tous. tient à distance quelqu’un qu’on au- L’état présent de votre esprit ? rait peur de ne plus aimer. Comme Zen. on s’éloigne parfois, craignant l’usure de l’amour et sa finitude. Je Comment aimeriez-vous mourir ? le laisse dormir, comme le narrateur Sans m’en rendre compte mais c’est violent pour les autres de ne pas dire qui, craignant de voir se réveiller au revoir. des monstres indomptés, veillait sur le sommeil d’Albertine. Propos recueillis par Jean-Claude Perrier VI Essais L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 À lire Douloureuses relations de voisinage Ghitany se souvient LIBAN-SYRIE, INTIMES ÉTRANGERS couvrant les étapes de l’évo- que la mise en tutelle du Liban confir- La frontière comme d’Élizabeth Picard, Actes Sud, 2016, lution de la Syrie et du Liban mera à partir de 1989. 400 p. et leurs rapports de domina- analyseur tion ou d’influence. La sortie de guerre du Liban et sa Picard consacre le dernier chapitre de reconstruction et la « sortie du socia- son livre à l’observation de la frontière Séparation et lisme » de la Syrie iront en parallèle libano-syrienne en tant que révélatrice lizabeth Picard au début des années 1990. Ils établi- des complexités locales et des dyna- explore dans confrontation ront sous une hégémonie du régime de miques régionales. son ouvrage, Ainsi, dans les deux pre- Damas des réseaux et des circuits d’in- Liban-Syrie, D.R. mières parties, Picard ex- fluence visibles comme invisibles, dans De Chebaa, comme « nœud des intimes étrangers, un siècle plique les constructions idéologiques, lesquels se mêlent officiers, politiques et conflits » après le retrait israélien du d’interactions sociopolitiques entre les politiques et économiques qu’ont hommes d’affaires des deux pays. Sud-Liban en 2000, à Qosayr et le D.R. Édeux entités jumelles découpées par la connues les deux pays à partir des an- Qalamoun à partir de 2013 et l’inter- Les éditions du Seuil viennent de même puissance mandataire après la nées 1920 et jusqu’à la rupture entre Distinction vention militaire du Hezbollah dans la publier Par-delà les fenêtres, le 4e volet chute de l’Empire ottoman. Elle répond Beyrouth et Damas le 15 mars 1950. guerre syrienne, la frontière internatio- (sur 5) des carnets du grand écrivain aux interrogations que suscitent l’his- Ce jour-ci, les milieux économiques La succession au sein de la famille nale se transforme en micro-frontières. égyptien Gamal Ghitany, décédé en toire croisée de ces deux entités et leurs libanais défendant leur ultralibéralisme Assad en Syrie en 2000, le court « prin- Elle reflète ainsi un processus d’éclate- 2015. Traduit par Emmanuel Varlet, parcours différents, et analyse la nature face au « capitalisme national » syrien, temps de Damas » et les interactions ment que le déplacement forcé de cen- ce livre réunit ses souvenirs des années des États libanais et syrien, leurs sys- avaient rejeté l’exigence du nouveau entre intellectuels libanais et syriens qui taines de milliers de Syriens et les divi- 1950, notamment ses premiers émois tèmes socio-économiques et les struc- régime militaire à Damas de la mise D.R. les suivent, puis la montée de l’opposi- sions confessionnelles et politiques dans amoureux. tures à travers lesquelles se sont articu- en œuvre d’une politique économique coups d’État militaires à Damas, l’auto- tion politique libanaise à « l’occupation les deux pays accélèrent. lées leurs relations difficiles. commune. ritarisme et le « socialisme » qui en dé- syrienne » créeront de nouvelles dyna- coulent (surtout avec l’arrivée du Baath miques. Soulèvement au Liban (après Cent ans après Sykes-Picot et la for- Mère Méditerranée Picard situe son livre au carrefour d’un Leur rupture va consolider deux trajec- au pouvoir en 1963) distancieront l’assassinat de Hariri) et contestation en mation des deux entités jumelles, une Le linguiste Louis- travail « de socio-histoire sur la forma- toires déjà divergentes, et va transfor- davantage la Syrie muselée du Liban Syrie (avec de nouvelles déclarations et phase d’incertitude règne donc au Jean Calvet publie aux tion des États » et de la discipline des mer « la souveraineté » en une question préservant la diversité politique et d’articles d’opposants) seront les prin- Liban comme en Syrie. Les fractures éditions du CNRS un relations internationales « telle qu’elle centrale dans la relation entre les deux culturelle au sein-même de son système cipaux traits des années 2005 et 2006. et les expériences douloureuses des ouvrage intitulé La est ouverte à la sociologie ». voisins. confessionnel consociatif, et attirant dernières décennies, de même que les Méditerranée, mer de vers ses banques les capitaux fuyant les Ce que Picard qualifie de « différentiel tendances immédiates, rendent difficile nos langues, qui montre Le livre, composé d’une introduction Les développements internationaux (la nationalisations. démocratique » est de retour avec le toute spéculation sur l’avenir des deux comme la mare nostrum présentant à la fois les thématiques et guerre froide) et régionaux (le conflit départ de l’armée syrienne du Liban. États. Il en reste que les Libanais et les est aussi un espace de langues dont la méthodologie, de sept chapitres et israélo-arabe, la montée de Nasser et le La guerre civile libanaise en 1975, Mais les crises et les failles sécuritaires Syriens, ces étrangers intimes, auront l’interaction a façonné la géopolitique. d’une conclusion en forme de « perspec- Pacte de Bagdad) auront à la fin des an- l’intervention militaire syrienne un an se succèdent à Beyrouth et paralysent à faire face de nouveau à des défis et Histoire, linguistique, sociologie et tives », s’organise autour de trois axes nées 1950 leurs répercussions en Syrie après et la volonté d’Assad de s’inves- les institutions, puis la révolution éclate questionnements communs. écologie s’imbriquent pour nous de réflexion : la séparation, la confron- (République arabe unie) et au Liban tir davantage dans les enjeux politiques en Syrie en 2011 et le pays rentre en donner cet essai brillant. tation et la distinction. Les axes suivent (confrontations politiques et commu- moyen-orientaux, marqueront le début guerre. Un nouveau contexte se dessine de leur côté une logique chronologique nautaires violentes). L’avalanche de d’une phase de domination syrienne dans la violence et les déchirures. Ziad MAJED Le Fou de Layla De tous les poètes arabes qui ont chanté l’amour parfait et impossible, VERDUN 1916 : UNE HISTOIRE FRANCO- Majnun, homme de chair et de ALLEMANDE DE LA BATAILLE d’Antoine Prost et Gère Verdun, sceau franco-allemand sang ou personnage de légende, est Krumeich, Tallandier, 2016, 320 p. sans doute l’un des plus grands. Les grâce à la volonté des combattants et Les Français ont très vite sacralisé l’autel où l’on peut, où l’on doit, com- éditions Actes Sud publient le 1er juin une logistique efficace de ce qui allait cette bataille pour laquelle ensuite on mémorer leur sacrifice. » ses poèmes, traduits, présentés et l existe de nombreuses histoires devenir la « voie sacrée », une noria au- a multiplié les lieux de mémoire. Du annotés par André Miquel, professeur de la bataille de Verdun dont tomobile continue remarquablement côté allemand, la sacralisation a été Dès lors : « Les jeunes qui visitent au Collège de France et grand certaines sont excellentes. Celle- bien organisée. plus faible et renvoie au prodrome du Verdun sentent bien qu’il s’est passé spécialiste du monde arabe. ci, publiée à l'occasion du cen- nazisme ; elle porte sur « cette guerre là quelque chose d’exceptionnel ; ils Itenaire, a pour originalité une co-écri- Reste le statut de la bataille : « Dans de matériel (qui) démontre que la vo- éprouvent le sentiment d’être en pré- ture par un historien français et par un leurs témoignages, il est vrai, les sol- lonté ne peut être détruite par les gre- sence d’un Sacré, sans pouvoir le for- La Question syrienne historien allemand ce qui permet de dats de Verdun, français ou allemands, D.R. nades. Les corps se déchirent, mais muler ni l’expliquer. L’horreur qu’ins- Emprisonné couvrir de cette bataille devenue em- répètent qu’ils n’ont jamais rien vécu « En premier lieu, l’expérience des sol- “le corps” du soldat y mûrit, devient pire la mort de masse renvoie ici à la pendant 16 ans blématique, au moins du côté français, de tel : ce fut pour eux la pire des ba- dats français et allemands est fonda- impénétrable à la douleur. C’est un responsabilité, responsabilité des déci- par Assad père, de la Grande Guerre. Et pourtant, du tailles, et certains qui en avaient fait mentalement identique : le paysage lu- corps sur-individuel qui résiste par deurs, à celle des nations : elle fonde réfugié politique point de vue des moyens engagés et des d’autres étaient mieux placés que nous naire règne uniformément de part et volonté et par décision à toute des- l’appartenance à une autre entité poli- en Turquie, pertes humaines, elle n'a pas été la plus pour les comparer. Mais leurs récits d’autre d’une ligne de feu dont il ne truction, et qui construira à la longue tique dont elle rend évidente la néces- Yassin el-Haj importante de la guerre. ressemblent beaucoup à ceux d’autres conserve aucune trace. Le système de le nouveau corps du peuple allemand. sité par-delà les humeurs du jour et qui Saleh est une D.R. batailles : leurs lettres et leurs carnets relève entraîne certes quelques diffé- De nombreux auteurs se sont évertués n’a encore qu’un contour vague, mais figure de proue de la culture syrienne. C'est une bataille qui commence le 21 disent toujours les mêmes souffrances, rences entre les Français, à qui la noria à mettre en vie cette idéologie, dont déjà un nom : l’Europe. On dépasse ici Les éditions Actes Sud publient ce février 1916. Pour les Allemands c'est la même boue, la même soif, la même laisse espérer une rapide délivrance, et naît aussi l’idéologie SS. » la notion de “rapprochement”. Verdun mois-ci un recueil de ses articles sur une grande offensive qui dure quelques peur sous les bombes et la même mort les Allemands qui remontent en ligne ne dit pas que Français et Allemands la crise en Syrie, traduits de l’arabe semaines, pour les Français, elle couvre qui rôde, les mêmes cris des blessés, les à plusieurs reprises dans les mêmes Après 1945, on passe progressivement ne s’en veulent plus et ne se querellent par Nadia Aïssaoui, Farouk Mardam- toute l'année avec les dernières opé- mêmes horreurs. Les différences entre secteurs. De même, la relative impré- de la mémoire à l'histoire. La bataille plus, ce qui d’ailleurs ne serait pas tota- Bey et Ziad Majed. Un ouvrage très rations de reprise de terrains perdus. ce qu’ont vécu les soldats français et paration des Français, puis leur recul, change de signification : « La réconci- lement exact. Verdun dit autre chose : instructif pour qui veut comprendre Cette différence d'approche montre allemands à Verdun n’apparaissent qui les oblige à se battre sur un terrain liation franco-allemande renforce une il abolit les différences, il fait de nos les origines de la guerre en cours… que la bataille est en elle-même une guère, et pas davantage les différences non organisé à l’avance, expliquent la lecture victimaire de la guerre, sacri- ancêtres les victimes d’une même folie interprétation, un fait social construit. entre le vécu de Verdun et celui de la mauvaise qualité de beaucoup de leurs fice commun de millions d’hommes meurtrière et par là de nous, en quelque Somme, d’Ypres ou du Chemin des abris, et entraînent des pertes qu’on au- à des intérêts nationaux égoïstes. Et façon, un même peuple. Verdun ne rap- Dictionnaires amoureux C'est la bataille qui fait du lieu un sym- Dames. » rait évitées en creusant plus profond ou la mort de masse de 1914-1918 se proche pas : il unit. » Après le Dictionnaire amoureux de bole sacré pour la France en guerre. Le en utilisant plus souvent le béton. Mais trouve mise en perspective avec les gé- Shakespeare de François Laroque et livre commence par une description Les auteurs reconstituent autant que ces différences sont finalement peu im- nocides. Parce qu’il était investi déjà Une magnifique conclusion pour un le Dictionnaire amoureux de l’Orient classique, mais indispensable, des opé- possible le vécu effrayant des combat- portantes : français ou allemands, les d’une forte valeur symbolique, Verdun grand livre. de René Guitton, les éditions Plon rations militaires. Les Français ont tenu tants. C'est vraiment au sens fort du soldats de Verdun ont bien été jetés devient alors le haut lieu de la commé- publient un Dictionnaire amoureux dans des conditions épouvantables terme un enfer. dans le même enfer. » moration des victimes, et Douaumont Henry LAURENS des papes par Bernard Lecomte et un Dictionnaire amoureux de la chanson française par Bertrand Dicale, La France coloniale, plaie toujours ouverte journaliste à France-Info et au Figaro. La revendication mémorielle qu’il qui avaient été démis de leurs fonc- les « sudistes », qui n’ont jamais accepté ceux qui ont connu la tragédie algé- évoque dans son ouvrage témoigne tions, les enfants de l’immigration algé- l’indépendance de l’Algérie, le désir de rienne que pour ceux qui, notamment À voir avant tout d’un besoin de reconnais- rienne, ceux des harkis qui mettent en revanche est là avec comme figure né- dans les pays de notre région, sont au- L'Apprentie sage-femme sance des souffrances subies et d’une accusation la France dans la politique gative celle de l’Arabe hier et du musul- jourd’hui les victimes de « mémoires volonté de réintégrer dans l’his- d’abandon de leurs parents… Cette man aujourd’hui. dangereuses ». Partout dans le monde, toire nationale des mémoires demeu- communautarisation des mémoires va le passé sert d’explication aux violences rées trop longtemps périphériques. conduire à une guerre des mémoires L’importance que Stora accorde au tra- en cours, justifiant les pires horreurs. L’absence de consensus national sur menée aussi bien par les extrémistes is- vail de mémoire fait de son livre un ou- cette question est le signe, pour lui, lamistes que par les islamophobes. Pour vrage de référence utile aussi bien pour Samir FRANGIÉ que la guerre d’Algérie n’est pas ter- minée et se poursuit aujourd’hui à Publicité travers la lutte contre l’islam, nié dans sa diversité et présenté comme intégriste.

D.R. LES MÉMOIRES DANGEREUSES, DE L’ALGÉRIE Pour Stora, mettre un terme à la guerre COLONIALE À LA FRANCE D’AUJOURD’HUI de des mémoires ne consiste pas à favori- Benjamin Stora et Alexis Jenni, Albin Michel, 2016, ser l’amnésie, mais bien au contraire à 238 p. faire acte de « reconnaissance et de ré- paration ». « Si nous n’intégrons pas notre passé dans un récit global qui es Mémoires dangereuses, fruit serait unifié tout en laissant place à d’un dialogue entre l’histo- la pluralité, notre avenir est impos- rien Benjamin Stora et le ro- sible », estime, quant à lui, Alexis Jenni. Lmancier Alexis Jenni, auteur de L’Art français de la guerre (prix Goncourt Les guerres et le terrorisme, notent les D.R. 2011), analyse la logique des crispa- deux auteurs, germent dans les têtes Après son triomphe en France, tions identitaires que les attentats de où sont stockés les souvenirs de ce qui L'Apprentie sage-femme arrive janvier et novembre 2015 ont exacer- fut. Et ces souvenirs ne sont pas fa- à Beyrouth pour quatre soirées bées et se prononce en faveur d’une ciles à assumer. La guerre d’Algérie a exceptionnelles au théâtre Monnot, bataille culturelle contre la radicali- fait entre 300 et 400 000 morts parmi du 12 au 15 mai à 20h30. C'est sation par la réappropriation en com- les Algériens. 24 000 militaires fran- l'histoire d'Alice, une enfant de mun d’une histoire coloniale refoulée. çais ont été tués. Plus d’un million de nulle part qui, au cours d'un chemin paysans ont été déplacés et des dizaines initiatique, apprend à trouver sa place Stora connaît bien son sujet. Né de milliers de harkis abandonnés au dans le monde, dans une Angleterre à Constantine qu’il quitte pour la massacre… médiévale et campagnarde. Une France en 1955, il devient le grand histoire poignante mise en scène par spécialiste de l’Algérie et des guerres Les groupes porteurs de cette mémoire Felix Prader et jouée par Nathalie de décolonisation. Auteur d’une tren- ont des visions très différentes. Parmi Bécue, ex-pensionnaire de la Comédie taine d’ouvrages, il a codirigé avec son ces groupes, les Européens d’Algérie, française, qui glisse d'un personnage collègue en exil, Mohamed Harbi, La « les pieds-noirs », les officiers fran- à l'autre avec talent. Billets en vente à Guerre d’Algérie (1954-2004). çais, au nombre de plusieurs centaines, la librairie Antoine. L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Les Oliviers VII

ous les connaissons tous ces hommes politiques à la posture toujours agile au verbe sûr. Et pourtant, Olivier Adam, étranger au monde lorsqu'ils marchent, un nous altèrent, nous conditionnent. Si on abouti à l’élection de François Hollande. la fin du livre : une fuite apaisée, le com- bruit sourd de casseroles, de scandales, veut dire quelque chose de l’humain, on Là, je voulais questionner le problème mencement d’autre chose. Nagite chacun de leurs pas. Ces hommes ne peut s’en abstraire. Je pars de l’hu- de l’impunité. La perception qu’ont les au-dessus des lois semblent inattei- main pour travailler le social ou d’un électeurs de certains hommes politiques Vous rencontrez un succès grandis- gnables et le sont peut-être. Pourtant, fait social pour sonder l’intime. Dans qui se placent au-dessus des lois, s’en sant… Quelles relations nourrissez- un jour ils peuvent être rattrapés par les deux cas, je tente de réunir ces deux sortent toujours, en faisant usage d’une vous avec vos lecteurs ? une mort brutale et les vérités, les non- dimensions. brutalité et d’un abus caractérisé de leur dits explosent. Dans La Renverse, pouvoir. Cela pose de vraies questions J’essaie aussi d’écrire à hauteur Olivier Adam nous raconte l'histoire Vous écrivez un roman sur la place de démocratiques et alimente l’abstention d’homme. Et d’user d’un « je » qui dis d'Antoine, une victime collatérale d'un chacun au sein d'une cellule familiale. et le vote extrême. Et, même si les élec- « nous ». Cela instaure, avec les lec- scandale politico-sexuel qui a agité une N'est-ce pas une illustration de ce que teurs s’en rendent parfois complices (ils teurs une sorte de proximité. Je parle ville de province jusqu'au gouverne- l'on pourrait appeler la génération réélisent ces mêmes hommes politiques de leurs vies, de nos vies. Je suis un des ment. Sa mère, véritable Pompadour « Cronos », celle qui n'hésite pas à sa- pourtant bardés de casseroles), ce n’est leurs. Pas un « juge », mais un « cama- de ce maire-ministre était intimement crifier ses enfants ? pas seulement un sentiment, mais une rade ». Le fait d’écrire sur les classes impliquée dans cette sordide affaire. réalité suffisamment répandue pour populaires, les classes moyennes, joue Toute sa famille sera comme passée Ils sont de jeunes gens « orphelins » de qu’on l’interroge dans ses mécanismes beaucoup dans la réception de mes ro- au vitriol, flagellée par parents toujours en vie. récurrents : clientélisme, complaisance mans. Cela crée un lien quasi « frater- ce scandale qui lais- Des adolescents ou de et collusions en tous genres. Les mêmes nel » avec des lecteurs qui reconnaissent sera si peu de place à « Je pars de jeunes adultes laissés pour réflexes de défense, souvent leur vie, leur perception, leurs Antoine et son jeune l’humain compte par des parents relayés complaisamment par interrogations. frère. Quelques années tournés vers eux-mêmes, la classe politico-médiatique : « Lire plus tard, Antoine vit pour leurs ambitions, leur on crie au complot. Puis on Vos romans sont souvent en marge, ne veut rien image, leur perversion, la entreprend de décrédibiliser nous adaptés au cinéma. Appréciez- construire, il essaie de travailler conservation de leur pou- par tous les moyens les plai- vous les adaptations ? Y recoller les morceaux de voir. Totalement occupés gnants, ou les enquêteurs. élargit, participez-vous ? toute cette histoire à la- le social ou à des activités troubles Et on se retrouve avec des quelle il n'a jamais par- d’un fait dont on ne saisit que des non-lieux obtenus au béné- ajoute C’est une chance pour moi. Les ticipé. Il n'était pas de ce bribes, voilà le motif de dé- fice du doute, par manque de la réalisateurs qui s’emparent de monde, il était ailleurs, social pour part de ce livre. J’ai pensé de preuve ou de fiabilité des mes livres, « sentent » le film mais les bris de verre aux narrateurs de Patrick plaignantes, étouffement des vie à la qu’ils pourraient en tirer, dans lui entaillent encore la sonder Modiano. Et aussi à ce plaintes connexes, comme le fond comme dans la forme. peau. C'est par le récit très beau livre de Richard dans ce roman. vie. » Ils ont des personnages qui qu'il transcendera le l’intime. » Ford, Canada, dans lequel leur semblent issus de la vie non-dit, et c'est dans un une famille apparemment D.R. Votre style est très adapté à l'histoire, le réelle, auxquels ils s’identifient. Il m’ar- style magnifique qu'Olivier Adam nous sans histoire explose quand les parents Le sentiment d’étrangeté au monde Dans les livres et la mer je crois. Cela rythme utilisé épouse le récit, crée une rive de collaborer avec eux dans l’écri- raconte une histoire que l’on imagine se révèlent être des braqueurs. Dans La m’habite. Celui d’une identité trouble, vous lave et vous remplit à la fois. vraie ligne de fuite. Comment l'avez- ture du scénario, mais alors je leur dis déjà sur les écrans. Renverse, cet événement va expulser multiple, fractionnée. Comme une L’essentiel de nos vies se joue à l’inté- vous travaillé ? toujours : « Je me fiche que tu sois fidèle les enfants de leur propre vie. La ques- sorte d’inaptitude à être présent à sa rieur de nos cerveaux. C’est pour cela au livre, tout ce que je te demande, c’est C'est souvent dans les faits de société tion de la domination est au cœur de propre vie. Ce sont des traits qui me que la fiction nous aide tellement et C’est un livre mental. Ce n’est pas une d’être fidèle à ton cinéma, à tes propres que vous puisez votre source d'inspira- mon travail. Elle est sociale, culturelle, caractérisent et que je résous dans qu’elle peut parfois suffire. Nos vies narration en temps réel, mais une ten- obsessions. » Jusqu’ici, j’ai toujours été tion. Vous considérez-vous davantage économique, mais aussi familiale. La l’écriture. J’ai mis du temps, mais j’ai tiennent dans des dés à coudre. Lire tative de recomposition, de relecture et heureux de ces adaptations. Mais ce comme un écrivain du fait social que Renverse renvoie à une réalité qui s’ap- fini par comprendre que c’était une nous élargit, ajoute de la vie à la vie. d’analyse de ce qui a eu lieu dix ans plus n’est pas un hasard. Je n’accepte que si comme un auteur de l'imaginaire ? parente à une forme de maltraitance chance que de ne se sentir lié à aucune tôt. Je souhaitais un contenu chabro- le travail du réalisateur m’intéresse. Et psychologique à l’égard des enfants, de identité déterminée. De n’avoir ni mé- Vous dressez le portrait sans fard d'un lien, avec un vernis « modianesque ». si je sens qu’il a trouvé dans mon livre Chez moi, l’imagination prend racine la part de parents si préoccupés d’eux- moire ni racines. Cela offre la possibi- univers politique odieux. En France, il Ces deux facteurs m’ont conduit à tra- la matière première qui cristallise ses dans le réel. Comment vivons-nous mêmes, si narcissiques, égocentriques, lité de se réinventer, une forme de li- est rare, contrairement à d'autres pays, vailler une phrase légèrement distanciée, interrogations intimes, sociales et es- aujourd’hui et maintenant, dans la so- qu’ils les abandonnent. berté personnelle absolue. Et c’est une de trouver de tels sujets dans les livres. retenue, qui accélère quand la mémoire thétiques, du moment, je lui fais pleine ciété qui nous entoure ? Comment fait- perspective vraiment joyeuse à l’heure revient par bouffées ou réminiscences confiance. on avec l’amour, la filiation, le deuil, Antoine reconnaît qu'il n'est ni de ce d’un repli identitaire qui tend à nous Cela fait longtemps que je tourne au- traumatiques, se raidit dans le présent, les classes sociales, le travail, la poli- monde, ni de cette famille : « Je n'étais réduire et à rabougrir la France… tour du politique. À travers mon travail se fait plus circulaire et labyrinthique Propos recueillis par tique ? Dire nos vies dans ce qu’elles ont pas là avant de prendre la fuite, j'étais sur les migrants, les zones périurbaines dans l’analyse et la mise en question Laurent BORDERIE de plus intime et dans leurs aspects les déjà ailleurs. » Pourtant à la fin il re- Antoine devient libraire après cette his- et le sentiment de relégation. Mon livre du passé. Je tente d’y laisser entrer la plus collectifs est important pour moi. trouve l'espoir... Y a-t-il un peu d'Oli- toire sordide. Pouvons-nous, comme Les Lisières avait pour bruit de fond la lumière des paysages. Mais aussi celle, LA RENVERSE d’Olivier Adam, Flammarion, 2016, La société, le fait social nous traversent, vier Adam dans ce personnage ? lui, trouver refuge dans les livres ? « pré-campagne » présidentielle qui a plus intérieure, qui porte le narrateur à 267 p. Romans Le panégyrique de la folie Six personnages en quête de liens

EN ATTENDANT BOJANGLES l’arithmé- comprendre la déci- Plusieurs histoires mystérieuses traversent le dernier roman de l'écrivain d’Olivier Bourdeaut, Finitudes, tique et la Le roman de sion de ses parents et français Olivier Rolin. De quoi déboussoler le lecteur assoiffé d'ordre 2016, 159 p. littérature à perpétuer cet esprit avec des Bourdeaut est d’anticonformisme. et de logique. Une métaphore sur la littérature et les rapports que nous chansons. ’est dans un Dans un une ode à la Le roman de tissons avec elle. univers luna- coin de Bourdeaut est une VERACRUZ d’Olivier Rolin, Verdier, 2016, 128 p. tique et bis- leur salon vie, émaillé ode à la vie, émaillé cornu qu’Oli- enchanté, d’accents d’accents tragiques vierC Bourdeaut campe ils accu- étouffés par la do- ariana a soudainement dis- ses personnages dans son mulent tragiques minance d’une to- paru. C'était un jour de premier roman En atten- les enve- nalité picaresque. juin 1990. Le narrateur de dant Bojangles. Dans sa première loppes de la poste étouffés par Entre deux voix nar- DVeracruz attendait « la jeune chan- tentative, Bourdeaut n’est pas pusil- qu’ils considèrent ratives, celle du fils teuse cubaine » au « bar El Ideal, calle lanime dans son expression littéraire. comme une intrusion la dominance et celle du père (oc- Morelos ». Mais « l'étoile de la revue Prodigieusement, il agrémente ses anormale de « l’exté- casionnellement), Tropicana de la Havane, qui préten- phrases de tournures stylistiques inat- rieur » tant abhorré d’une tonalité le lecteur vit le tra- dait non sans quelque excès être el tendues, de mots d’esprit, d’humour jusqu’au moment où gique d’un homme cabaret más fabuloso del mundo » ne tordant. Le tout se conjugue avec une l’inspecteur des im- picaresque. qui lutte par amour se présenta jamais au rendez-vous. légèreté et une élégance qui font de pôts vient leur annon- contre les états Une étoile filante en somme. Depuis, son roman un des plus lus en France. cer leur faillite. Désarçonnée, la mère d’âme de sa femme et un enfant qui l'homme qui s'adresse à nous lecteurs les accumule au centre de son salon voit sa vie se dérouler sous ses yeux vit avec le souvenir de celle qu'il assi- Mr Bojangles, chanson interpré- pour en faire un brasier. Les psycholo- comme un roman. L’emboîtement par mile volontiers à « un elfe, un feu fol- tée par Nina Simone dans les années gues la traitent de démente et elle est moments confère au roman sa dimen- let, une gueule d'amour ». 70, forme la toile de fond de ce récit internée dans un asile qu’elle trans- sion duale à l’instar de la vie dont © Hermance Triay percutant. Ce titre repasse en boucle forme en un endroit de fête. Avec son les codes ont beau être bien définis Nous n'en apprendrons pas davan- vendus illégalement, ceux-ci sont dis- fille, c'était Sabina, la fille du colo- dans le roman et surgit derrière les mari et son fils, elle peaufine un plan mais demeurent irrationnels. La fa- tage sur la disparue. Pas plus d'ail- simulés dans des livres : « Les formats, nel, c'était Sofia, la fille de l'évêque. mots, au détour d’une phrase et à de fugue et ils réussissent à rejoindre mille Bojangles ne se tient pas à car- leurs sur cet homme qui nous parle, les tomaisons, le nombre de pages, Que des S. » Trois hommes et une chaque fluctuation émotionnelle. À leur « château en Espagne » où ils vi- reau mais va envers et contre tout à venu au Mexique pour d'apparents permettaient de déterminer avec pré- femme dans un huis clos caribéen prêt la fois triste et gai, il sera symbolique vront jusqu’au suicide de la mère dans la rencontre de la dimension fantas- motifs professionnels : « J'avais été in- cision la quantité, le type et le calibre à tout moment à voler en éclats : voi- du récit qui varie, telle une structure un lac telle une Ophélie rêveuse. Le mée de la réalité, non sans inviter les vité à l'université de l'État à pronon- des cigares à expédier, dont les prix là le décor de cette seconde scène de psychologique bipolaire, entre des père, fidèle à la promesse faite le jour lecteurs à les rejoindre dans leur folie. cer des conférences sur Proust. » Mais ne cessaient de grimper depuis l'in- Veracruz. états d’âmes foncièrement antago- de leurs noces à sa femme, ne tardera Jubilatoire. il ne faut sans doute pas se conten- terdiction des importations décrétée nistes : folie et résignation, légèreté et pas à la suivre. Le fils réussit non cré- ter de cette seule raison. Sinon, com- par le gouvernement américain. » Ses Dernier acte : le retour du narrateur accablement, rires et chaudes larmes. dulement mais comme par évidence à Maya KHADRA ment comprendre ces mots : « Ce pays lecteurs le savent bien : Olivier Rolin qui n'en finit plus de vivre avec le De cette dichotomie entre des sensa- d'ailleurs, comme la Russie, a de l'in- abrite volontiers dans ses livres hors- souvenir de Dariana et qui, comme tions et des émotions irrégulières, sur- dulgence pour les hommes ivres. » ? la-loi et individus en rupture de ban. nous, lecteurs, s'interroge sur son git une palette de personnages fan- Souvent, dans l'œuvre d'Olivier lien avec ces récits. Mais pourquoi, tasques : Georges, mythomane et mari Rolin, le déplacement se mue en exil. Alonso est de ceux-là. Cet ancien après tout, faudrait-il chercher une fou amoureux de sa femme « un peu Intérieur pour commencer. homme d'église a été contraint d'aban- quelconque logique à leur enchaîne- fêlée » aux dires de son fils (narra- donner les ordres pour avoir multiplié ment ? Pourquoi ne pas tout simple- teur), l’Ordure, un sénateur atypique Les heures s'égrènent et Dariana de- les péchés de chair. Depuis, les autres ment nous abandonner à la littérature et Madame Superfétatoire, un oiseau meure aux abonnés absents. Et si membres de la bande le surnom- qui n'a jamais cherché à délivrer un tropical hors du commun. c'était elle qui, un jour, se manifes- ment « par dérision » Ignace, en réfé- message de vérité. Ou seulement de tait une nouvelle fois, en faisant par- rence à Loyola, fondateur de l'ordre « mentir-vrai » comme disait Aragon. Le vecteur directeur du récit est la venir au narrateur un pli expédié par des jésuites. C'est le cas de Susana, la démence qui s’allie à la joie de vivre. la poste ? Il ne comporte « aucune in- femme du chef de clan, sur laquelle Dans cette famille vivant en dehors des dication de provenance, aucun mot lorgne le curé défroqué qui passe dé- Mais c'est sans doute plus fort que clous, c’est la fête perpétuelle, les cock- d'accompagnement. Il contenait les sormais une partie de son temps à lui nous. Quand, en fin de roman, deux tails à flots, les réceptions pompeuses quatre récits, brefs et terribles, qu'on réciter des poèmes en espérant enfin corps calcinés surgissent brusquement et le déni des règles. C’est la compli- va lire ». Commencent alors des his- s'attirer ses bonnes grâces. dans l'histoire, notre réflexe de lecteur cité entre une mère farfelue, convain- toires dans l'histoire, sorte de struc- est encore de nous interroger sur le cue que son mari est sorti d’un ancien ture littéraire gigogne. Quatre nou- Il n'est pas le seul à être obnubilé sens d'une telle intrusion. portrait de soldat prussien, le père veaux personnages entrent en scène. par cette femme. El Griego, dernier qui attribue à sa femme excentrique personnage de ce singulier quatuor, Comme si seules des réponses précises un prénom différent à chaque fois Les différents éléments de cette bande attend lui aussi son heure. Quand il pouvaient nous consoler de notre dé- qu’il s’adresse à elle et un fils faisant sur laquelle règne un certain Miller partageait encore sa vie, ce dernier sir de savoir. l’école buissonnière non sans la béné- ont au moins un lien entre eux : la adorait affubler la Señora de diffé- diction des parents qui lui apprennent contrebande de cigares. Avant d'être rents sobriquets : « C'était Susana, ma William IRIGOYEN D.R. VIII Portrait L'Orient Littéraire n°119, jeudi 5 mai 2016 Patti Smith, clocharde céleste et fan de café L'enfant terrible du rock américain, anti rock- C'est un peu la même veine qu'elle Greenwich Village, qui a fermé et à qui explore à nouveau avec M Train, éga- elle dédie une espèce de requiem. Ou star, privilégie de plus en plus la littérature. lement scandé par ses photos en noir et encore cette maison délabrée qu'elle a blanc. Une sorte de boîte à mémoire, achetée à Ocean Beach, et qui essuya, M TRAIN de Patti Smith, traduit de accompagné d'une tranche mais sous un angle original : les cafés juste après, une sacrée tempête. Elle l'anglais (États-Unis) par Nicolas de pain de seigle et d'un peu où elle passe le plus clair de son temps. s'en est remise. Comme sa propriétaire, Richard, Gallimard, 2016, 264 p. d'huile d'olive. Ce régime C'est là qu'elle se réfugie, dans un re- dont la vie a connu bien des aventures, quasiment-méditerranéen, dit latif anonymat. Pour Patti Smith, qui et aussi des deuils : Mapplethorpe, « crétois », serait-il la source ne se considère pas comme une rock donc, puis tous « ses » hommes : son orsque Patti de cette énergie créatrice qui star et n'a jamais voulu vivre comme père Grant, un ouvrier modeste et Smith vient à la porte, de cette seconde telle, se promène à pieux, le guitariste Paris – son pre- jeunesse qu'elle se plaît à pied dans les rues Fred « Sonic » Smith, mier voyage savourer ? À 70 ans (à la fin et bavarde volon- « Maintenant, son mari et le père de en France re- de l'année), on a l'impression tiers – à force de lire ses deux enfants, mort monte à 1969, sur les traces d'Arthur que Patti Smith a envie de rattraper le nos poètes, Nerval, je suis plus subitement en 1994, Rimbaud,L son dieu, sa source d'inspi- temps, non point « perdu », car elle a Rimbaud, dans le un mois à peine avant ration première –, ne la cherchez pas mené, depuis 1975 et son premier al- texte, elle comprend vieille que Todd, son frère chéri… sur la Rive droite, dans les grands hô- bum, Horses, une carrière exemplaire bien le français, mon amour, tels des Champs-Elysées, les boutiques d'auteur-compositeur-interprète, ce- le parle même un « Maintenant, je suis fashion du faubourg Saint-Honoré, ou lébrée, admirée, respectée. Mais de peu – avec les fans que mes amis plus vieille que mon les clubs bling-bling. Elle habite Saint- consacrer le temps qui lui reste à autre qui la reconnaissent, amour, que mes amis Germain-des-Prés, court les librairies chose, autrement plus essentiel à ses la gloire qui lui est défunts. » défunts », confie Patti et les musées et ne manque jamais de yeux : la littérature. échue serait presque Smith, tendre et émou- se rendre, comme en pèlerinage, sur la © Gasper Tringale un malentendu ! C'est dans les cafés vante. La littérature, surtout comme tombe de Jim Morrison, son idole, au Après Leonard Cohen, Bob Dylan, années 90. Mais le véritable démar- livre était bouleversant, remporta le qu'elle travaille, notant tout ce qui lui elle la pratique, spontanée, person- cimetière du Père-Lachaise. Lui aussi, Jim Morrison, donc, ou encore Nick rage de sa seconde carrière, c'est Just National Book Award, et connut un passe sous la plume, et qui finira par nelle, peut aider à vivre. Même modes- vers la fin de sa vie, lassé des Doors Cave, Patti Smith, artiste « intello », Kids, paru aux États-Unis en 2010 succès international. Ensuite, il y eut donner quelque chose. Ou pas. « Ce tement. « Tous les écrivains sont des et de la gloire, se rêvait plus en poète marquée pour toujours par l'avant- (traduit en France chez Denoël, puis Glaneurs de rêves (Gallimard, 2014), n'est pas facile d'écrire sur rien », pré- clochards, écrit-elle. Puissé-je un jour qu'en chanteur. garde du New-York des années 70 repris en « folio »), un magnifique illustré de polaroïds, un autre de ses vient-elle au début de son livre. Mais il être comptée parmi vous. » Voeu exau- – cette ville où elle vit encore au- récit autobiographique où elle racon- talents – elle dessine et peint égale- est des « riens » qui font sens, associés cé : Patti Smith, clocharde céleste et fan On la trouve tous les matins dans un jourd'hui, seule, où toutes les disci- tait son histoire avec le photographe ment –, un bref recueil de souvenirs, à des lieux qui marquent. Comme ce de café. coin du Café de Flore, en train de lire, plines artistiques se mêlaient, avait Robert Mapplethorpe, son amour de comme autant d'instantanés resurgis café 'Ino, son favori, situé juste en face d'écrire, de rêver, buvant un café noir, bien publié quelques livres, dans les jeunesse, mort du sida en 1989. Le du passé. de son appartement de bohémienne, à Jean-Claude PERRIER Beau-livre Roman Douaihy, l'équilibriste Enquête d’identité THE ART OF SALIBA DOUAIHY de P. Jean cheval qui redouble le paysage de qui ignoraient tout de ses travaux anté- LA COLOMBE ET LE MOINEAU de Khaled Osman, durant les mois du récent soulèvement Sader A.M.O. (édité par Abb. Antoine la vallée de la Qadicha dans rieurs repéraient, en voyant ses toiles, Vents d’ailleurs, 2016, 175 p. populaire qui a accompagné la révolu- Daou A.M.O.), anglais/arabe, Fine Arts laquelle l’église est située un apprentissage dans l’art sacral et tion égyptienne. Publishing, 2015, 213 p. + 107 p. et dont les couleurs ont que les critiques qu’il recevait dans son retenu les leçons du fau- atelier parlaient d’une œuvre singulière haled Osman s’est d’abord Le roman s’ouvre sur un coup de fil visme, les grands moments « apportée par un artiste d’Orient ». En fait connaître comme tra- reçu par Samir et qui l’informe que son e n’est pas évangéliques se retrouvent cela, Saliba Douaihy ne diffère pas des ducteur, un traducteur pro- frère jumeau, Hicham, resté au pays, se une invitation avec des personnages surdi- grands peintres abstraits qui ont cher- lixe et talentueux puisque trouve à l’hôpital et qu’il réclame que D.R. au ravissement, mensionnés en drapés somp- ché à affirmer la présence du spirituel en Kson travail a été primé à diverses re- l’on transmette à Samir sa requête : celle entre fidélités aux appartenances tradi- mais un vrai ravis- tueux. Douaihy donne à la plu- leur art et à rattacher leur travail à une prises notamment par l’Académie de revenir au Caire avec une dénommée tionnelles et désir d’émancipation et de sementC que procurent les toiles de part des traits libanais et les habille vision religieuse ou métaphysique plus française qui lui a décerné un prix en Lamia. Samir fait part de ce coup de fil participation à la culture du pays d’ac- Saliba Douaihy (1910-1994) dans ce selon les coutumes locales. La synthèse vaste. 1988 pour ses traductions de Naguib à sa compagne Hélène sur un ton éva- cueil. Le regard porté par les Français livre consacré à son art et si bien illus- est puissante même quand elle n’est Mahfouz. Et le grand prix du roman sif, minimisant le tremblement de terre sur l’islam et le monde arabe est aus- tré. Ce sont particulièrement les pages pas toujours originale. Elle confirme Une approche plus profane demeure arabe a récompensé, en 2009, sa tra- intérieur que cet événement provoque si interrogé, quoique parfois de façon 73-210 de la partie anglaise (l’ouvrage le peintre dans la voie de la peinture permise et elle prend appui sur des pro- duction du roman de Gamal Ghitany en lui. Mais elle ne s’y trompe pas et trop simple. est en deux langues, ce qui veut dire que religieuse ; il ne cesse de recevoir des pos du peintre réunis en cet ouvrage. Les Poussières de l’effacement. Osman relève à quel point il est curieux qu’il les parties arabe et anglaise ne corres- commandes : Saint Jean Baptiste de Ces toiles, toutes à l’acrylique, peintes a fait ses débuts de romancier en 2011 évoque son frère comme une page de sa L’érudition de l’auteur enrichit le ro- pondent pas exactement) où se donnent Zghorta (1955-1956), Saint Charbel de en touches larges à la brosse et parfois à avec Le Caire à corps perdu, récit du vie déjà tournée, comme « une référence man de pages très documentées, no- à voir des tableaux de la période abs- Annaya (1977), Notre Dame des Cèdres la main, sans titres parce que sans sujets, retour au pays, après plusieurs années bibliographique qui serait devenue tout tamment à propos de l’expédition de traite, près de 200 œuvres, qui forment à Brooklyn (1978), Église maronite de forment, dans leur unité et leur foison- d'éloignement, d’un Égyptien installé à coup obsolète ». Et en effet ce coup Bonaparte en Égypte dont Samir a fait un vrai musée imaginaire. On ne cesse Youngstone (Ohio). Pour les réaliser, il nement, un triomphe de la surface, un depuis longtemps en Europe. Peu après de fil est non seulement le point de dé- le sujet de sa thèse, mais qui s’avèrera de les parcourir dans les deux sens, on cherche continuellement à approfon- hommage à la couleur, une célébration son arrivée au Caire cependant, un inci- part d’une enquête quasi policière pour être aussi à la source de sa brouille avec n’arrête pas d’en découvrir l’unité et la dir et étendre ses sources (art byzantin, de la vue, un éloge de la vie. Si l’on peut dent imprévu va provoquer son amné- retrouver la trace de la fameuse Lamia, son jumeau. Les échanges entre Samir richesse. Les tableaux diffèrent peu en enluminures de manuscrits syriaques, parler de miracle séculier, c’est pour ca- sie et l'obliger à partir à la recherche de ancienne compagne de Hicham venue et Hélène tournent eux aussi fréquem- arts antiques ractériser la facilité (toute d’apparence) lui-même. Il entreprend ainsi une véri- elle aussi en France à la recherche d’une ment autour de poèmes-phares de la mésopotamien et avec laquelle Douaihy a pu construire table enquête pour retrouver son iden- liberté dont les femmes sont évidem- culture arabe, classique ou contem- perse…), à renou- un style abstrait, entre Mondrian et tité. Curieusement, ses souvenirs les ment privées en Égypte, mais il est éga- poraine, et sont l’occasion d’analyses veler l’art ecclésial Rothko, mais indépendant de chacun plus précis sont ceux qu'il a gardés des lement le déclencheur d’une quête inté- fines et pertinentes ; même si l’on peut maronite en « l’in- d’eux et bien plus génial que le Hard- poèmes arabes qui ont marqué sa sen- rieure à la faveur de laquelle Samir va regretter que l’érudition prenne par- tégrant » dans une edge painting. Il ne se restreint pas à sibilité... Ce rappel n’est pas inutile car s’interroger sur son identité profonde. fois le pas sur la dimension proprement « synthèse liba- certaines couleurs et n’exclut pas les son nouveau roman La Colombe et le Car Samir a en partie renié son passé romanesque et dédouane l’auteur d’un naise en général et courbes. S’il « répète une unique forme moineau qui vient de paraître et qui est et l’héritage d’une Égypte engluée dans travail plus approfondi sur ses person- proche orientale abstraite », il ne cesse de la casser dans en lice pour le prix littéraire de la Porte le sous-développement et l’immaturité nages et leurs motivations. La narration byzantino-arabo- la joie de couleurs audacieuses, harmo- Dorée, entretient plus d’un lien avec le politique, conséquences de longues dé- n’en reste pas moins élégante et fluide asiatique en par- nieuses ou contrastées, et de produire précédent. On y retrouve un Égyptien cennies de dictature, mais il a également et se termine sur une note d’optimisme ticulier ». Sa quête les possibilités infinies de ses configura- installé en France, Samir, et qui semble rompu avec sa famille pour des motifs mesuré, avec la détermination de Samir le conduit, d’une tions. Comme il l’affirme lui-même, « la avoir rompu les liens avec son pays, sans doute moins nobles qu’il n’y pa- à se situer non du côté de « l’Histoire part à apprivoiser précision n’est pas réellement une ques- même si cette rupture volontaire est en raît à première vue. L’enjeu du roman déjà écrite » mais du côté de « ceux qui l’architecture de tion de géométrie, mais une question réalité à la source de son mal de vivre. est donc le dévoilement du « péché ori- sont bel et bien en train de l’écrire, ici et la lumière dans de lumière, d’équilibre entre différentes Samir a néanmoins gardé des liens puis- ginel » de Samir, qu’il se cache autant maintenant ». D.R. le vitrail (si les intensités de lumière qui crée un mou- sants avec l’héritage culturel arabe qu’il à lui-même qu’à la belle Hélène. Mais variant beaucoup. Ils rivalisent dans bombardements guerriers nous ont fait vement interne en lequel les surfaces enseigne à l’université. L’action se situe aussi la réflexion sur les identités clivées Georgia MAKHLOUF l’éblouissement et le renouvellement, perdre les réalisations de Annaya, celles semblent définies avec précision ». imposent cette époque dans l’ensemble d’Amérique restent sauves), d’autre part de l’œuvre et cette œuvre dans l’histoire à donner une place visuelle importante à Outre la période abstraite, à côté d’elle, de la peinture. la calligraphie syriaque et coufique ; elle on trouve des tableaux revisitant les pay- devient un élément essentiel au carre- sages libanais, particulièrement Ehden Le clin d'œil de Nada Nassar-Chaoul La période abstraite commence en 1950 four de la tradition, de la rhétorique, du et la vallée sainte. On gagnerait à les avec le départ de l’artiste aux États- mysticisme et de la modernité figurative voir rassemblés, à les confronter à ceux Unis, peut-être en parallèle avec la des- et abstraite. qui ont précédé le long séjour améri- Une soubrette high-tech tinée de Gibran, peut-être sur le conseil cain. Ils réinvestissent l’abstraction dans vant, dans ragoût. Cela sans peler les légumes du déjeuner, est fort de Georges Schehadé qui lui « murmu- De la période libanaise à la période le naturalisme et font un usage nouveau une bonne compter son vau- occupée devant l’écran de son ordina- ra » un soir dans son atelier : « Saliba, le new-yorkaise (1950-1975), y a-t-il des volumes et des surfaces sans perdre maison liba- rien de grand frère teur. Elle vous lance un regard cour- monde nous a dépassés de beaucoup, et rupture ? Toute référence à l’objet est la couleur locale. Curieusement, ils sont naise bour- qui en profitait roucé. Visiblement, vous la dérangez. nous, nous nous contentions de raconter abandonnée. La coupure est forte, in- parfois préfigurés dans ceux de la fin des geoise,A on trouvait pour lui prendre Elle et sa bande de copines bruyantes des histoires. » Pourtant à quarante ans, déniable, évidente. Son ampleur lui a années 1940. Un grand artiste ne cesse tout bonnement – c’est son argent et se sont sur Skype et bavardent avec force le peintre né à Ehden, qui a fréquenté souvent été reprochée sous le prétexte de bousculer les lignes, de se perdre et le cas de le dire – une soûler la gueule. jacasseries avec leurs filles au Sri- l’atelier de Habib Srour (1928-1932) qu’il n’a cherché qu’à satisfaire un pu- de se retrouver. bonne. Oui, oui, ça Lanka. Quand elles ne visionnent pas avant d’aller en France parfaire sa for- blic différent. Mais lui-même a toujours s’appelait une bonne, ni Convenablement sur Facebook les photos du mariage mation à l’École nationale supérieure affirmé que de nombreuses personnes Farès SASSINE « une aide ménagère préposée mise dans sa robe à bollywoodien d’une nièce nantie. des Beaux-Arts à Paris (1932-1936) et aux cuisines », ni « une as- carreaux, son tablier de Paul Albert Laurens, s’est déjà taillé sistante en arts ménagers ». à feston et son petit Vous n’osez même pas lui demander un une place de choix aux premiers rangs Ladite jeune fille était bonnet, on la trou- café. C’est que c’est l’heure de Pinball, de l’art pictural au Liban. Outre sa maî- modeste, docile et ser- vait généralement son jeu préféré ou de Tetris, vous ne trise des conventions de la représenta- viable, s’accommodant dans sa cuisine, oc- vous souvenez plus très bien. tion classique, de la couleur comme du de bon cœur du carac- cupée à peler l’oi- dessin, il fait preuve d’une originalité tère acariâtre de belle- gnon et à piler l’ail, Quand à votre tisane du soir, autant certaine dans la saisie de l’homme (par- maman, des sautes humbles tâches l’oublier. Elle est sur Whatsapp soi-di- ticulièrement le paysan) et du paysage d’humeur de Monsieur dont elle s’acquit- sant à bavarder avec son fils qui a tou- libanais comme l’attestent ses huiles et des caprices du petit tait consciencieu- jours des « problems ». Vous n’osez pas d’alors. Une grande opportunité lui est dernier qu’elle idolâ- D.R. sement sans rechi- interrompre un dialogue si noblement donnée dès son retour au pays, celle de trait littéralement. gner, avant de faire la vaisselle, de la maternel. Ce qui ne vous empêche pas peindre le plafond et les hautes parois sécher et de ranger sa cuisine comme de penser – vous avez mauvais esprit – de l’église patriarcale de Dimane. La D’ailleurs, les dimanches, elle préfé- Madame le lui avait appris. qu’il s’agit plutôt de son amant et commande le conduit à voir grand, le rait rester tranquillement au chaud à qu’elle est sur Viber. replonge dans ses sources montagnardes la maison avec le petit plutôt que de Aujourd’hui, en entrant dans sa cui- et pieuses, l’oblige à se confronter, pour se taper un long trajet en bus jusqu’à sine, on éprouve comme un choc. On Pas étonnant que votre compte in- chaque scène religieuse, aux maîtres de son village haut perché où il faisait se croirait dans une salle de marché à ternet s’épuise si vite. Pas autant que la peinture occidentale, classiques ou froid et où on mangeait un mauvais Londres. C’est que Koumari, loin de vous. baroques. À l’intérieur d’un grand fer à D.R.