Feuilleton DADVSI

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Le suivi au jour le jour des débats parlementaires relatifs à la loi « Droit d’Auteur et Droits Voisins dans la Société de l’Information » (DADVSI)

Sébastien CALMONT

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Episode 1 : « Au-delà du réel »

Résumé de la 2ème séance du mardi 7 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Après plus de 2 mois d’interruption, le débat relatif au projet de loi n° 1206 « droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information » reprend cette semaine (mardi 7 mars) à l’Assemblée nationale. On se rappellera qu’en décembre dernier, les députés avaient adopté deux amendements à l’article 1er du projet de loi, légalisant les pratiques de téléchargement des œuvres via les réseaux peer-to-peer : la fameuse « licence globale », contre l’avis du Gouvernement, et tout particulièrement du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres.

Nouveau rebondissement dans la nuit de lundi à mardi… le Gouvernement décide de retirer l’article 1er du projet de loi… provoquant la fureur d’un certain nombre de députés, notamment des députés PS. Jean-Marc Ayrault dénonce la volonté de « bafouer les droits du Parlement ». Christian Paul utilise quant à lui la notion de « contrefaçon de démocratie ». Malgré la confirmation de la légalité de cette procédure de retrait d’article par le Président de l’Assemblée (décision du Conseil constitutionnel du 26 juillet 1984), les députés PS bien renseignés indiquent qu’un tel retrait n’a jamais été fait depuis 45 ans et qu’il sera soumis au contrôle du Conseil constitutionnel. On apprendra quelques jours plus tard (le jeudi 9 mars) que le ministre a finalement réintroduit l’article 1er du projet de loi tel que modifié en décembre, provoquant le trouble chez les députés de l’opposition.

Lors de la reprise des débats, le ministre rappelle les deux principes qui guident son action : protéger le droit d’auteur, « droit fondamental et intangible » mais aussi permettre l’accès à la culture et aux œuvres grâce à l’univers numérique. Il indique avoir conclu la semaine dernière un accord entre le ministère de l’Education nationale et les différents secteurs de la création concernés par l’utilisation des œuvres à des fins pédagogiques et de recherche. Il rejette donc toute idée de licence globale qui ne permettrait pas de financer la musique et le cinéma français. Il préfère favoriser le développement des offres légales, tout en garantissant l’exercice de l’exception de copie privée, l’interopérabilité et la concurrence. Un système de sanctions graduées est mis en place (v. à ce sujet le Flash IRPI du 2 mars 2006 présentant les derniers amendements au projet de loi).

Patrick Bloche, un des plus fervents défenseurs de la licence globale au côté de Christian Paul, s’étonne qu’on souhaite transposer les Traités OMPI de 1996, « vieux de 10 ans » donc, que son collègue qualifie même de « texte préhistorique ». Il précise que la solution de licence globale ne devrait pas concerner le cinéma (pour respecter la chronologie des médias) et devrait avoir un caractère obligatoire. Finie donc la licence globale optionnelle de décembre dernier. Les positions évoluent. Après s’être réjouit que le téléchargement ne soit plus considéré comme de la contrefaçon, M. Bloche s’interroge sur le nouveau système de sanctions graduées : « l’infraction sera-t-elle constituée pour chaque acte de téléchargement ou pour chaque morceau téléchargé ? Qui fera les constatations ? Qui contrôlera ? Qui établira le lien entre l’adresse IP et l’identité de l’internaute ? ». Ce sont des questions légitimes auxquelles le ministre devra répondre. Il est encore choqué qu’on laisse au Collège des médiateurs le soin de dire combien d’exemplaires seront possibles dans le cadre de la copie privée : il sera ainsi à la fois « régulateur et arbitre des litiges ».

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C’est ensuite au tour de l’UDF, par la voie de François Bayrou, de déplorer la manière dont se déroule l’examen de ce texte, estimant que la procédure d’urgence retenue est « stupide » et qu’il faudrait mieux laisser du temps aux deux assemblées pour discuter du projet de loi. Il note pour sa part deux enjeux principaux : le logiciel libre (et donc à travers lui la crainte vis-à-vis des DRM) et la copie privée (qu’il proclame comme un droit pour les utilisateurs et qui nécessite d’assurer l’interopérabilité). Le droit à la copie privée ne peut être laissé à l’appréciation de spécialistes au sein du Collège des médiateurs, il doit être encadré par la loi. Quant au système de contravention automatique, il considère qu’il serait préférable de délivrer des avertissements via une autorité administrative obéissant aux règles légales.

Frédéric Dutoit (groupe Communistes et Républicains) demande également de lever l’urgence sur ce débat… et même de retirer ce texte de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. Il refuse le contrôle des usages privés imposé par les DRM et propose une nouvelle solution : « la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement, qui pourrait être à la fois financée par les FAI et par une taxe sur les énormes profits que génère le développement de l’e-commerce » ainsi que par une contribution forfaitaire des internautes. Il ironise sur le succès du site lancé par le ministre de la Culture (www.lestelechargements.com) sur lequel, selon lui, seulement 5% des internautes auraient laissé un commentaire favorable au texte du ministre !

Bernard Accoyer lui succède pour assurer le ministre du soutien du groupe UMP. Il en aura bien besoin le pauvre !

Didier Mathus (PS) indique qu’il veut faire mentir le grand spécialiste du droit d’auteur qu’est Emmanuel Pierrat, qui écrit dans son dernier ouvrage La Guerre des copyrights, que « les lobbies ont déjà truqué le résultat du match ».

Christine Boutin, frondeuse à l’UMP, défend la licence globale, considérant qu’elle permet une juste rémunération des artistes, grâce à l’observation des flux et des sondages sur les internautes. Nicolas Dupont-Aignan, lui aussi à l’UMP pourtant, regrette l’abandon de la licence globale et met au défi le prochain gouvernement d’envoyer des millions de contraventions aux internautes qui téléchargent !

Jean Dionis du Sejour, pour l’UDF, rappelle les inconvénients de la solution « licence globale » : injuste (pourquoi faire payer les internautes qui ne téléchargent pas d’œuvres ?), elle serait un frein au développement des abonnements internet, poserait des problèmes de répartition et serait contraire aux engagements internationaux de la .

La séance se termine sur les interventions de Martine Billard (n’appartenant à aucun groupe), Christian Paul et Patrick Bloche. La première s’inquiète des problèmes d’interprétation soulevés par le récent arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Mulholland Drive (v. le commentaire de cet arrêt dans le Flash IRPI du 2 mars 2006) et invite à ce que la loi précise que « les intérêts légitimes des auteurs ne se confondent pas avec l’amortissement des coûts de production cinématographique ». Le second estime que la « contredanse pour la musique » (la contravention de 38 euros) ne sera pas dissuasive. Le troisième termine en posant la question qui lui paraît primordiale : « faut-il considérer le téléchargement comme une exception à la copie privée » ? Le débat est ouvert…

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Episode 2 : « La petite DADVSI dans la prairie… de la copie privée »

Résumé de la 3ème séance du mardi 7 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Lors de la 3ème séance du mardi 7 mars, le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, présente l’amendement 272, censé remplacer l’article 1er du projet de loi, retiré la veille à la demande du Gouvernement. Cet amendement modifie l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle relatif aux exceptions au droit d’auteur. Il la complète même, avec quatre nouvelles exceptions : une exception pour la reproduction et la représentation par des personnes morales en vue d'une consultation strictement personnelle de l'œuvre par des personnes handicapées (atteintes d'une déficience motrice, psychique, auditive ou visuelle…) à des fins non lucratives et dans la mesure requise par le handicap, par des personnes morales et tous les établissements ouverts au public tels que bibliothèques, archives, centres de documentation et espaces culturels multimédia. Les établissements susceptibles de mettre en œuvre cette exception sont donc plus largement admis que dans le projet initial ! En outre, le texte prévoit que les documents imprimés font l'objet d'un dépôt sous la forme d'un fichier numérique pour faciliter la mise en œuvre de cette exception. une exception pour les copies effectuées par une bibliothèque ou un service d'archives accessible au public, d'œuvres protégées appartenant à leurs collections, lorsque le support sur lequel est fixée l'œuvre n'est plus disponible à la vente ou que le format de lecture est devenu obsolète, à la condition qu'elles ne visent aucun avantage commercial ou économique. Il s’agit de « copies de sauvegarde » afin de remplir la mission de conservation de ces organismes. une exception en faveur de la presse pour la reproduction intégrale ou partielle, dans un but d'information, d'une œuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, lorsqu'il s'agit de rendre compte d'événements d'actualité, lorsque cette reproduction est faite de manière accessoire ou que l'œuvre a été réalisée pour être placée en permanence dans un lieu public. L’exception de citation est donc élargie et sort de sa limitation traditionnelle aux œuvres littéraires. une exception dite de « copie technique », qui était déjà logiquement présente dans le projet de loi, étant donné que c’est la seule exception obligatoire prévue par la directive de 2001.

Cet amendement transpose également dans le Code de la propriété intellectuelle le test des 3 étapes prévu par la Convention de Berne et la directive : les exceptions doivent constituer des « cas spéciaux » et « ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur ».

Après une brève présentation de cet amendement par le ministre, c’est au tour du rapporteur, Christian Vanneste de prendre la parole pour appeler les députés de l’opposition à ne pas confondre DRM et OGM !! Les mots à trois lettres ne sont pas tous les mêmes ! Christian Paul ne manque alors pas de faire référence au très contesté CPE… mais on s’éloigne du sujet ! Le rapporteur ajoute que la France n’est pas une île et ne peut donc pas être le seul pays à mettre en place un système de licence globale.

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Patrick Bloche revient à sa fameuse question principale (v. la fin de l’épisode 1 de notre feuilleton) et affirme que « le téléchargement ne peut qu’être considéré comme une exception pour copie privée ». Et les sous-amendements suivants vont tous aller dans ce sens.

Le sous-amendement 332, qui prévoit qu’« une fois l'œuvre divulguée, l'auteur ne peut, y compris pour des raisons liées à l'évolution technique, interdire le bénéfice des droits suivants… », notamment de la copie privée, n’est pas adopté suite à l’avis défavorable du ministre et du rapporteur.

Le sous-amendement 308, défendu par Christian Paul, qui vise « à faire entrer le téléchargement dans le cadre "de l'exception copie privée" » et à appliquer une nouvelle redevance pour copie privée à la fourniture de l’accès à internet (prélèvement de deux euros sur chaque abonnement internet haut débit) est lui aussi rejeté.

Le sous-amendement 335, identique est logiquement repoussé également. Il est défendu par Frédéric Dutoit (CR) qui profite de l’occasion pour présenter son projet « d’offre publique légale ». Il s’agirait donc d’une « médiathèque numérique publique regroupant toutes les œuvres, musicales, audiovisuelles, iconographiques, enregistrements de spectacle vivant et art plastique ». Rien que ça !! Le financement serait assuré par une contribution des fournisseurs d’accès.

Le sous-amendement 366, identique là encore n’est pas plus adopté. Martine Billard explique à ce moment que les plateformes de téléchargement légales, tant encouragées par le ministre, ont rémunéré les auteurs, mais pas les titulaires de droits voisins. Elle fait ici référence à la récente action en justice de la SPEDIDAM contre les sites de téléchargement de la FNAC, SONY, APPLE…

Didier Mathus voit dans la propriété intellectuelle « une dérive considérable » et compare les industriels de la culture aux industriels du secteur des biotechnologies : les seconds souhaiteraient breveter le vivant, les premiers « veulent breveter des fichiers qui circulent sur internet ». Quelle confusion !!

Patrick Bloche revient une fois encore sur la question de savoir si le téléchargement est ou non couvert par l’exception de copie privée et renvoie à la fois au jugement du TGI de Paris du 8 décembre 2005 (http://www.legalis.net/jurisprudence- decision.php3?id_article=1575) relaxant un internaute adepte du P2P, et à la récente prise de position du Conseil économique et social qui semble assimiler le téléchargement à de la copie privée.

Pierre Cohen (PS) revient ensuite sur l’exception en faveur de l’enseignement et de la recherche, avec le sous-amendement 309 qui prévoit d’élargir le champ de l’exception de citation aux « extraits d'œuvres littéraires ou autres et reproductions ou représentations d'œuvres graphiques ou plastiques, dans la mesure justifiée par leur utilisation comme objet d'étude, d'exemple ou d'illustration dans documents indispensables à l'enseignement et à la recherche scientifique, tels que résumés ou supports de cours, sujets d'examen ou de concours, mémoires et thèses, sous les conditions que les œuvres ainsi reproduites ou représentées en tout ou en partie n'aient pas été spécialement créées à destination des établissements d'enseignement et de recherche et que la mise à disposition des documents auxquels elles sont incorporées soit circonscrite aux élèves, enseignants ou chercheurs directement concernés et ne donne lieu à aucune exploitation commerciale ». Le ministre lui répond qu’un accord vient d’être signé à ce sujet avec l’Éducation nationale.

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Patrick Bloche, sceptique, doute de la signature effective de l’accord et Jean-Pierre Brard (CR) en demande un exemplaire. Renaud Donnedieu de Vabres précise que l’accord est bel et bien signé et n’attend plus que le visa du contrôleur financier. Christian Paul repart à la charge en demandant au ministre quel sera le mécanisme prévu par cet accord, notamment s’il s’agira d’une autorisation préalable des ayant-droits, et qui paiera ?

Après une brève suspension de séance, le débat reprend avec les députés UMP Christine Boutin et Alain Suguenot. La première demande la création d’une mission d’information parlementaire et souhaite rétablir la licence globale via le sous-amendement 301. Mis aux voix, il n’est pas adopté. Le second va dans le même sens avec le sous-amendement 307, lui aussi rejeté, au grand regret de Christian Paul qui y voyait, pour le Parlement, un moyen de reconquérir son droit d’amendement, notant au passage que les décisions de justice condamnant les internautes se raréfiaient ces derniers temps.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance du 8 mars. Le feuilleton continue…

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Episode 3 : « Les deux font la paire »

Résumé de la 2ème séance du mercredi 8 mars 2006 à l’Assemblée nationale

La 2ème séance du mercredi 8 mars est plutôt confuse. Elle démarre mal avec l’intervention de Patrick Bloche sur… le régime des intermittents du spectacle. On s’éloigne donc un peu de la transposition de la directive du 22 mai 2001 ! Nouvelle suspension de séance (on les accumule), et le débat redémarre avec une nouvelle polémique : Christian Paul fait remarquer qu’un logo d’une plateforme payante de téléchargement (en l’espèce, Virgin) apparaît lorsque les internautes suivent les débats en direct à partir du site internet de l’Assemblée nationale. Stupéfaction dans l’hémicycle. Suspension de séance pour vérifier les dires du député socialiste.

Le débat reprend à nouveau et concerne tout d’abord l’exception en faveur des handicapés. Le sous-amendement 310 soutenu par Patrick Bloche, précisant que l’exception couvre également l’adaptation des œuvres, notamment leur transcription en braille, n’est pas adopté car le rapporteur et le ministre indiquent que c’est déjà prévu dans le projet de loi. Christian Paul s’interroge de son côté sur le degré de l’obligation qui pèsera sur les éditeurs pour la mise à disposition des fichiers numériques. Le ministre lui répond qu’il ne s’agira pas d’un dépôt légal géré par la BNF mais d’un dépôt directement assuré par les éditeurs eux mêmes.

La suite de la discussion concerne l’exception en faveur des bibliothèques. Christian Paul regrette que l’exception prévue par le Gouvernement soit limitée aux œuvres épuisées ou n’existant plus que dans un format obsolète. Il souhaite élargir cette exception, en restant plus proche des dispositions de la directive. Frédéric Dutoit indique que si l’œuvre est disponible à la vente, l’exception ne pourra alors plus jouer, ce qui désavantagera les œuvres françaises, selon Martine Billard, la quasi totalité des autres États membres ayant transposé cette exception dans leur droit national. Nicolas Dupont-Aignan et François Bayrou sont du même avis mais le ministre se déclare défavorable au sous-amendement 311. Il est pourtant adopté. Premier désaveu pour Renaud Donnedieu de Vabres.

C’est au tour de l’exception au profit de l’enseignement et de la recherche d’être examinée. Un certain nombre de députés préféreraient que l’exception soit prévue par la loi et non dans un accord, comme le défend le ministre. Patrick Bloche s’étonne que l’accord présenté un peu plus tôt concerne la presse, l’édition, la musique, le cinéma et les arts plastiques mais n’ait pas été signé par les syndicats de journalistes affiliés à la SCAM. En outre, en matière audiovisuelle, l’accord ne permettrait que l’utilisation à partir de l’audiovisuel hertzien non payant (TF1, France 2, France 3, Arte et la TNT), ce qui serait trop limité selon Martine Billard.

Le plus grand désordre règne ensuite dans l’hémicycle au retour d’une nouvelle suspension de séance. François Bayrou faire part à ses collègues du contenu d’une dépêche AFP qu’il vient de lire, indiquant que le Gouvernement s’apprête à réintroduire dans le débat l’article 1er retiré deux jours plus tôt (v. épisode 1 de notre Feuilleton). Toutes les discussions relatives à l’amendement 272, censé remplacer cet article, sont- elles alors caduques ? Le ministre semble confirmer le retour de l’article 1er… mais souhaite tout de même continuer de discuter des sous-amendements présentés à la suite de l’amendement 272 du Gouvernement, pour revenir ensuite à la discussion relative à l’article 1er !

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Patrick Bloche estime que cela ne servira à rien étant donné que l’amendement 272 va être retiré au profit du retour au texte de décembre dernier. Il semblerait que les premiers échos du Conseil constitutionnel sur la méthode de retrait de l’article en plein débat soient plutôt négatifs pour le Gouvernement, ce qui pourrait expliquer le soudain retour en grâce du texte.

Nouvelle suspension de séance, rejet du sous-amendement 313 relatif à l’exception en faveur de l’enseignement et de la recherche et grogne des députés PS. La séance se termine sur la dénonciation de l’amateurisme du ministre de la Culture.

Amendement 272… article 1er… ? Les deux ? La suite au prochain épisode.

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Episode 4 : « Les cinq dernières minutes »

Résumé de la 1ère et 2ème séance du jeudi 9 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Les cinq dernières minutes, c’est ce que l’on pourra retenir des deux premières séances de débat du jeudi 9 mars 2006 à l’Assemblée nationale. C’est le temps qu’il aura fallu pour rejeter la solution de la licence globale votée en décembre dernier, après des heures de discussion sur des questions de procédure.

La première séance commence avec les nombreuses demandes de retrait du texte et de création d’une mission parlementaire. François Bayrou parle de « désordre », voire même de « chaos » et « d’apocalypse », suite au retrait puis au retour de l’article 1er dans le débat, aucun article du Règlement de l’Assemblée nationale ne semblant prévoir un tel cas de figure. Le socialiste Didier Mathus reprend même la terminologie adoptée dans nos commentaires en évoquant « ce feuilleton rocambolesque des Pieds nickelés font la loi ». François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, que l’on n’avait pas encore entendu dans l’hémicycle sur ces questions, demande lui aussi le retrait du texte et la convocation d’une mission d’information parlementaire.

Le ministre de la Culture et Guy Geoffroy, vice-président de la commission des lois, en appelle au retour au débat sur le fond, précisant que lorsque celui-ci portera sur l’article 1er, tous les amendements déjà déposés ainsi que de nouveaux amendements pourront être examinés.

Bernard Accoyer (UMP) dénonce pour sa part le double langage du Parti socialiste, qui s’affiche hostile à la licence globale dans les médias (interventions de MM. Hollande et Lang, de Mme Hidalgo) mais se prononce en faveur de cette même solution au Parlement.

Le ministre réaffirme à nouveau qu’en cas de grandes différences entre les textes votés par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, il organisera des navettes supplémentaires et ne réunira donc pas de commission mixte paritaire. Il s’engage en outre à déposer, au bout d’un an, un rapport sur les effets de la loi votée.

La seconde séance suit à peu près le même scénario. Nombreux rappels au règlement, renouvellement des demandes de retrait de l’urgence par les groupes socialistes, communistes et UDF, refus du ministre de céder à leur demande, nombreuses suspensions de séance…

Christian Paul fustige le site internet lancé par le ministre de la Culture qui aurait, selon lui, coûté 200 000 euros et sur lequel 95 % des internautes se seraient déclarés hostiles aux propositions du Gouvernement.

Le Président fait remarquer qu’en près de dix heures de débats, il y a eu 99 rappels au Règlement et de nombreuses suspensions de séance et qu’il serait donc grand temps de passer au débat sur le fond. C’est enfin ce qui arrive.

Le sous-amendement 312, déposé par les députés socialistes, vise à supprimer la référence au test des trois étapes prévue dans l’amendement 272 du Gouvernement. Recevant l’avis défavorable du ministre, il n’est pas adopté.

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Le sous-amendement 302, déposé par des députés UMP, dispose que « l'auteur est libre de choisir le mode de rémunération et de diffusion de ses œuvres ou de les mettre gratuitement à la disposition du public » (nouvel article L. 131-8-1 du CPI). D’après le rapporteur, cet amendement permet de préserver le droit moral de l’auteur. Il met l’auteur « au centre du dispositif » selon Renaud Donnedieu de Vabres. Il est voté à l’unanimité des 42 suffrages exprimés, les autres députés votants s’étant abstenus, dénonçant une « mascarade ».

Le sous-amendement 381, défendu par les députés communistes, semble faire l’objet d’un assez large consensus dans l’hémicycle. Il prévoit que « dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport relatif aux modalités de la mise en œuvre d'une plateforme publique de téléchargement visant à la fois la diffusion des œuvres des jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas disponibles à la vente sur les plateformes légales de téléchargement et la juste rémunération de leurs auteurs ». Il est soutenu par le rapporteur, qui y voit un moyen de remédier aux faiblesses des plateformes légales, ainsi que par le ministre, qui reconnaît que le début de carrière des jeunes artistes relève souvent du parcours du combattant. Il est également soutenu par le groupe UDF et est donc logiquement adopté.

Le sous-amendement suivant, n° 383, s’attache à régler le sort des reporters photographiques pour lesquels la loi 93-121 de 1993 prévoyait qu’en cas d’absence d’accord professionnel sur leurs revenus complémentaires au 30 juin 1995, un décret en Conseil d’État viendrait définir leurs conditions d’assujettissement au régime de sécurité sociale. Le sous-amendement doit rendre possible de nouvelles négociations. Celles-ci doivent être encouragées pour le ministre qui se déclare donc favorable à ce sous- amendement. Il est adopté.

Nouveau scandale dans l’hémicycle… le Gouvernement demande à ce que le vote sur l’amendement 272 soit réservé (rappelons qu’il est censé remplacer l’article 1er tel qu’amendé en décembre 2005), afin de reprendre l’examen de l’article 1er, le ministre de la Culture annonçant d’entrée qu’il émettra un avis défavorable lorsque tous les amendements à l’article 1er auront été examinés.

Refusant les rappels au Règlement réclamés par certains députés de l’opposition, le Président invite à poursuivre le débat sur l’amendement 105 rectifié. Ce dernier prévoit que « L'auteur ne peut interdire l'utilisation d'œuvres, dans la mesure justifiée par le but d'information poursuivi, lorsqu'il s'agit de rendre compte d’événements d'actualité, sous réserve d'indiquer, à moins que cela ne s'avère impossible, la source, y compris le nom de l'auteur ; d'annoncer des expositions publiques ou des ventes d'œuvres artistiques, dans la mesure nécessaire pour promouvoir l’événement en question, à l'exclusion de toute autre utilisation commerciale ; de reproduire des œuvres dans un cadre d'information et lorsque l'œuvre est placée dans l'espace public ou dans tout lieu accessible au public ». Le rapporteur et le ministre émettent un avis défavorable car l’amendement 272 satisfait déjà à ces hypothèses… ce dernier n’est pourtant pas voté !! Hervé Morin (UDF) évoque alors une situation « ubuesque ». L’amendement n’est pas adopté et les bancs des groupes socialistes et UDF se vident dans un brouhaha de vives protestations.

L’article 1er n’est pas adopté et, à l’unanimité des vingt-huit votants qui restent à l’Assemblée, l’amendement 272 est adopté.

Exit la licence globale donc.

La suite au prochain épisode.

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Episode 5 : « Drôle de drame »

Résumé de la 3ème séance du jeudi 9 mars 2006 à l’Assemblée nationale

L’article 1er ayant été écarté au profit du nouvel amendement 272 du Gouvernement lors de la séance précédente, le débat doit logiquement reprendre sur les amendements avant l’article 2 du projet de loi.

Les députés socialistes se plaignent de l’adoption de cet amendement dans un hémicycle qu’ils avaient déserté, comme les députés communistes ou centristes d’ailleurs. Ils déplorent également le retrait de certains amendements du Gouvernement sans en avoir été informé.

Sur le fond, la discussion commence avec l’amendement 168 qui prévoit que les dispositions du premier chapitre de la loi en cours d’examen seraient applicables « pour une durée allant jusqu'au 31 décembre 2008 », soit une sorte de période de transition de près de trois ans, après lesquels il faudrait revoir le dispositif pour l’adapter aux évolutions du secteur. Le rapporteur et le ministre s’y déclarent bien entendu opposés. L’amendement n’est pas adopté.

C’est au tour de l’article 2 d’être soumis à l’examen des députés. Il concerne les exceptions en matière de droits voisins.

Christian Paul annonce déjà que les députés PS réfléchissent à l’abrogation de cette loi dès la prochaine législature ! Analysant la répartition des sommes perçues lors du téléchargement d’un morceau de musique en ligne (environ 99 centimes d’euros par titre, 6 à 7 centimes pour les auteurs, 3 à 4 centimes pour l’interprète principal), il reproche au Gouvernement de ne pas avoir baissé la TVA à 5,5 % (16 centimes reviennent à l’État).

Patrick Bloche s’étonne que cet article 2 relatif aux droits voisins ne contienne que deux exceptions alors que l’amendement 272 relatif au droit d’auteur en contient quatre. Le ministre lui rappelle qu’il n’y a pas de droits voisins pour l’édition.

L’amendement 219, défendu par Christine Boutin, prévoit de remplacer, dans l'article L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle, le mot « bénéficiaires » par le mot « titulaires ». Rappelons que cet article consacre l’exception de copie privée en matière de droit voisin. Le changement sémantique proposé vise donc à reconnaître un véritable « droit à la copie privée » au profit des utilisateurs. Un amendement identique (n° 221) est soutenu par Christian Paul. Le rapporteur considère ces amendements comme des « icebergs » car leur partie immergée vise à assimiler le téléchargement à une copie privée. Ils ne sont pas adoptés.

L’amendement suivant, initié par le député UMP Alain Suguenot et porté par Christine Boutin, dispose que « les titulaires des droits (voisins) ne peuvent interdire les reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication en ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales, à condition que ces reproductions fassent l'objet d'une rémunération telle que prévue à l'article L. 311-4 ». En bref, de la licence globale pour les droits voisins… alors que la solution vient d’être écartée pour les droits d’auteur ! L’amendement n’est logiquement pas adopté.

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L’amendement 103, déposé par MM. Dionis du Séjour et Baguet (députés UDF), concerne l'utilisation des œuvres visant à annoncer les expositions publiques. Le rapporteur et le ministre indiquent qu’un système équivalent est déjà prévu dans l’amendement 272. Il n’est pas adopté.

L’amendement 131 propose de supprimer la référence au test des trois étapes dans le projet de loi. Avis défavorable du rapporteur et du ministre. Il n’est pas adopté.

L’article 2 est mis aux voix… et adopté.

Le Président rappelle que les articles suivants (3, 4 et 5) ont été adoptés en décembre dernier. Il indique également que le vote solennel sur le projet de loi « DAVSI » est reporté à une date ultérieure. Pas étonnant quand on voit à quel rythme le débat avance !

La discussion continue avec l’examen des amendements après l’article 5.

Le rapporteur défend des amendements (23 et 25) qui prévoient que le montant de la rémunération pour copie privée doit tenir compte des éventuelles incidences sur les usages des consommateurs de l'utilisation effective des mesures techniques. Patrick Bloche, rappelant que le Gouvernement Jospin s’est battu pour préserver la copie privée lors de la négociation de la directive à Bruxelles, s’indigne que le projet actuel prévoit encore de « taxer » des supports vierges alors même que les consommateurs ne pourront plus copier avec les DRM. Il fait également référence à la récente décision de la Cour de cassation en matière de protection technique d’un DVD (affaire Mulholland Drive, v. épisode 1 de notre feuilleton). Martine Billard (UDF) propose de trouver d’autres sources de financement, notamment auprès des plateformes payantes ou encore sur les téléphones portables. L’amendement 23 est adopté.

Une discussion commune s’installe ensuite sur un certain nombre d’amendements. L’amendement 185 fait reposer sur les FAI, et donc indirectement sur les internautes, la rémunération des ayant-droits pour les copies privées sur les réseaux P2P. Le rapporteur fait remarquer que ce dispositif aurait pour conséquence de faire payer des personnes qui pourtant ne téléchargent rien sur internet. Les amendements 94, 183 et 187 vont dans le même sens, Patrick Bloche précisant pour répondre à Christian Vanneste que le public peut choisir ou non de bénéficier de l’exception pour copie privée. Le rapporteur s’emporte un peu en comparant cette conception, proche de la licence globale, à du collectivisme. Christine Boutin lui répond que la licence globale est un système de gestion collective : « La SACEM, c’est aussi du collectivisme ? ».

La séance se termine sur le constat que le quorum pour le vote n’est pas atteint. Le vote est donc renvoyé à la prochaine séance.

À suivre…

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Episode 6 : « Friends ? Pas vraiment ! »

Résumé de la 2ème séance du mardi 14 mars 2006 à l’Assemblée nationale

La précédente séance (jeudi 9 mars) s’est conclue sans vote, faute de quorum. La séance reprend donc sur les amendements en cours d’examen la semaine dernière. L’hémicycle, qui était quasi plein quelques minutes plus tôt (présence des caméras pour les questions au Gouvernement oblige !) s’est malheureusement largement vidé... il ne reste que soixante et onze députés ! Et bientôt moins encore.

Toute la première partie des débats porte sur la volonté d’un certain nombre de députés d’étendre l’assiette de la rémunération pour copie privée aux revenus des fournisseurs d’accès à internet (amendements 94 rectifié, 96 rectifié, 183 à 185, 323) afin de s’assurer qu’ils financent la culture. Le ministre de la Culture se déclare favorable au financement par les FAI mais pas selon ces modalités, trop proches de la logique de la licence globale. Il donne l’exemple des services de VOD (vidéo à la demande) qui sont déjà soumis à une taxe de 2% pour financer le Comité de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels, ou encore celui de l’accord récemment conclu pour le cinéma qui prévoit une contribution financière nouvelle des opérateurs de cinéma à la demande.

Jean Dionis du Séjour estime pour sa part qu’il faut attendre un peu car la France est dans une situation de transition avec l’arrivée des DRM et leur impact sur la copie privée.

Les différents amendements, mis au vote, ne sont pas adoptés.

Les amendements suivants portent sur la commission dite « copie privée » (article L.311- 4 du Code de la propriété intellectuelle). L’amendement 97 prévoit de prélever 1% des sommes collectées au titre de la rémunération pour copie privée pour assurer les frais de la commission, notamment pour financer des études permettant de mieux préparer ses délibérations. Le rapporteur estime que, comme aujourd’hui, le fonctionnement de cette commission doit être financé par l’État et par le budget du ministère de la Culture, pas en prélevant un pourcentage sur les droits d’auteur collectés. Le ministre s’y déclare aussi défavorable, pour ne pas priver les auteurs d’une partie de leur rémunération. L’amendement n’est pas adopté.

L’amendement 188 prévoit quant à lui la présence des FAI dans la commission. Or, tant qu’il n’est pas prévu qu’ils contribuent à cette rémunération, il n’y a pas de raison qu’ils y soient représentés, d’après le rapporteur. Martine Billard regrette que le Gouvernement se décharge de ses responsabilités sur des commissions chargées de mettre en place des taxes à sa place. Rappelons tout de même que la rémunération pour copie privée n’est pas une taxe !

Le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, propose une nouvelle fois que les FAI contribuent au financement de la culture. Il considère que les consommateurs seront les grands perdants du texte en cours d’examen et ne comprend pas le refus du ministre.

Jean Dionis du Séjour indique que le montant de la rémunération pour copie privée n’a cessé d’augmenter…et que si, dans le futur, il venait à baisser, les membres de la commission pourront toujours prévoir de faire rentrer dans le champ d’application de la rémunération d’autres supports (ordinateurs, téléphones portables, par exemple), tout en déclarant n’être pas opposé à la mise à contribution des FAI.

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Le ministre de la Culture réaffirme son attachement à l’exception de copie privée et indique qu’il s’opposera à l’approche de la Commission européenne qui a tendance à vouloir interdire cette exception.

François Bayrou prend alors la parole pour dire que la copie privée est un « droit élémentaire », pas une exception, et qu’il n’est pas favorable à ce que ses modalités soient fixées par une commission d’experts.

L’amendement 188 n’est pas adopté.

Il en va de même pour les amendements suivants qui visent à confier à la commission « copie privée » le soin d’apprécier les conséquences des mesures techniques sur la rémunération pour copie privée, à ce qu’elle rende un rapport annuel ou à ce qu’elle accueille les FAI en son sein.

Un amendement (24) est adopté. Il prévoit que « le compte-rendu des réunions de la commission est rendu public, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'État. La commission publie également un rapport annuel, transmis au Parlement ». Patrick Bloche aurait souhaité que ce rapport soit également transmis à la Commission européenne ainsi qu’au président du futur collège des médiateurs. Didier Migaud va même jusqu’à dire qu’il est scandaleux que le Parlement soit seulement informé des décisions de la commission, alors qu’il est seul compétent pour voter les « impositions de toute nature ».

L’amendement 99 rectifié, défendu ensuite par Didier Mathus, propose de prendre en compte l’utilisation ou non des mesures techniques de protection dans la répartition entre les ayant-droits des sommes collectées. Il craint que le droit à la copie privée soit réduit à un droit à « zéro copie », comme l’aurait laissé entendre le rapporteur. Celui-ci précise qu’il n’a évoqué cette idée qu’au regard de la copie de DVD. Après avoir reçu l’avis défavorable du ministre, l’amendement est rejeté.

La discussion continue sur l’amendement 176, déposé par le groupe Communistes et Républicains, qui vise à rembourser la rémunération pour copie privée payée sur les supports enregistrables vierges par « les personnes morales ou organismes (…) qui utilisent les supports d'enregistrement à des fins médicales ou paramédicales ». L’amendement repose sur le constat que ces professionnels utilisent ces supports presque exclusivement pour le stockage de leurs données, et non pour y copier des œuvres protégées. Un débat s’installe alors sur les professionnels visés. Le rapporteur préférerait qu’on s’en tienne aux seules professions médicales, excluant le secteur paramédical ; Christian Paul voudrait l’élargir à l’hôpital et à l’école ; Martine Billard veut englober l’ensemble du secteur public… Le ministre se déclare favorable à l’amendement 177 qui limite cette disposition aux personnes qui utilisent des supports d'enregistrement « à des fins d'imagerie médicale ». C’est cette version du texte qui est adoptée à l’Assemblée nationale.

Venons en à l’examen de l’article 7 maintenant. Rappelons que celui-ci consacre la protection des mesures techniques de protection et d’information.

Le groupe UDF souhaite garantir l’interopérabilité, via son amendement 137 disposant qu’« il est accordé aux fabricants et exploitants l'ensemble des fournitures nécessaires à l'accomplissement de l'interopérabilité ». Le rapporteur et le ministre estiment que cet amendement est déjà satisfait par l’amendement 253 adopté en décembre 2005. Pour mémoire, il prévoit en substance que « les mesures techniques ne doivent pas conduire à empêcher la mise en œuvre de l'interopérabilité (…). On entend par informations

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Feuilleton DADVSI essentielles à l'interopérabilité la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour obtenir dans un standard ouvert (…), une copie d'une reproduction protégée par une mesure technique, et une copie des informations sous forme électronique jointes à cette reproduction (…) ». Renaud Donnedieu de Vabres indique aux députés que Dominique de Villepin va confier une mission à un parlementaire sur les questions relatives à l’interopérabilité.

Christian Paul rappelle que les députés socialistes sont profondément hostiles à la généralisation des DRM. Alain Suguenot considère pour sa part qu’il ne peut y avoir d’interopérabilité s’il n’y a que des logiciels propriétaires ou fermés (tels ceux de Microsoft ou Apple) et Christine Boutin considère que les DRM vont freiner le développement des logiciels libres. Martine Billard insiste sur les problèmes de sécurité des systèmes informatiques posés par les mesures techniques de protection et demande à ce que le format ouvert soit rendu obligatoire.

Après que le ministre ait rappelé que les mesures techniques de protection sont une chance pour la diversité de l’offre et que le Gouvernement a choisi de ne pas sanctionner leur contournement s’il est réalisé à des fins d’interopérabilité, l’amendement 137 est mis aux voix et est rejeté.

Le ministre souhaite obtenir l’unanimité sur ces questions… ce n’est pas gagné d’avance !

À suivre.

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Episode 7 : « No Happy Days »

Résumé de la 3ème séance du mardi 14 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Les débats continuent à propos de l’article 7 du projet de loi.

Jean Dionis du Séjour souhaite obliger les titulaires de droit à informer les consommateurs sur les limites d’usage des œuvres protégées par des mesures techniques (amendement 138). Le rapporteur indique qu’une disposition identique est prévue dans un amendement à l’article 8 (amendement 31 : « Toute limitation de la lecture d'une œuvre, d'un vidéogramme ou d'un phonogramme, ou du bénéfice de l'exception prévue au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3, résultant de mesures techniques mentionnées à l'article L. 331-5 fait l'objet d'une information de l'utilisateur. Les modalités de cette information sont fixées par décret en Conseil d'État »). Les députés de l’opposition proposent de reprendre ce qui existe sur les paquets de cigarettes, avec la mention « Copie impossible », voire « Le DRM tue » pour le toujours très ironique Christian Paul ! Cet amendement 138 n’est pas adopté.

Les socialistes proposent ensuite que le tribunal de grande instance puisse faire cesser tout usage abusif des mesures techniques de protection, à la demande du titulaire du droit, du ministre de la Culture ou de tout utilisateur (amendement 86 rectifié). Il reçoit l’avis défavorable du rapporteur et du ministre, qui ont confié cette tâche au Collège des médiateurs. L’amendement est donc rejeté.

Le député UMP Bernard Carayon veut éviter que les DRM n’empêchent la lecture d’œuvres sur certains formats (par exemple, certains CD ne peuvent pas être lus sur un ordinateur personnel). Le rapporteur et le ministre se déclarent favorables à cet amendement 233, dans un souci d’interopérabilité. Ils sont soutenus sur ce point par le groupe UDF. Les députés socialistes souhaitent que soit précisée la possibilité d’un standard DRM ouvert (sous amendement 402). L’amendement 233 est adopté, le sous-amendement 402 est repoussé.

Bernard Carayon défend ensuite un autre amendement, visant à obliger les fournisseurs de mesures techniques à communiquer le code source de leurs logiciels à la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information et à la CNIL, afin d’assurer la sécurité des ordinateurs et des réseaux accueillant de tels DRM ainsi que le respect de la confidentialité des données personnelles. Cet amendement (273) est l’occasion pour l’opposition de dénoncer les dangers des mesures techniques. Ils s’étonnent que la sécurité de l’État soit seule prise en compte, sans que la même attention soit apportée aux ordinateurs des entreprises ou des particuliers. François Bayrou estime que si les DRM permettent effectivement l’accès à distance à des données personnelles, ils devraient être interdits, et non pas soumis à une déclaration auprès de services de l’État. L’amendement est cependant adopté.

Le débat s’arrête maintenant sur l’examen de l’article 8 du projet de loi.

Le député UMP Dominique Richard se réfère à la jurisprudence de la CEDH et de la Cour de cassation pour demander à ce que, au sein du Collège des médiateurs, on distingue

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Feuilleton DADVSI bien les personnes en charge de l’instruction de celles participant à la formation du jugement.

Patrick Bloche estime qu’il n’est pas possible de confier à ce même organisme la fonction de régulateur (il fixe les conditions de mise en œuvre de l’exception de copie privée) et la fonction d’arbitre des litiges. En outre, comme d’autres députés, il insiste pour que ce soit le Parlement qui fixe le nombre de copies possibles… et non ce Collège. Surtout depuis que la jurisprudence semble exclure la copie de DVD (affaire Mulholland Drive).

Laurent Wauquier (UMP) s’étonne de cette opposition au développement des autorités indépendantes, qui ont pourtant connu un certain succès dans le passé (l’ART, le CSA ou la CNIL, par exemples).

Jean Dionis du Séjour souhaite revenir sur la conciliation des DRM et de la copie privée. Les DRM peuvent permettre de gérer les droits et de tracer les utilisations, ce qui peut avoir un impact sur la vie privée des internautes. Il réaffirme cependant que les DRM sont la solution au piratage et qu’il faut assurer l’interopérabilité. Pour lui, la loi est incomplète sur ce point… ce qui nécessitera d’y travailler à nouveau au niveau du Sénat et de la commission mixte paritaire.

Plusieurs sous-amendements se proposent de créer un « droit à » la copie privée… qui ne serait donc pas considérée comme une exception. Le rapporteur s’y déclare favorable. Le ministre également, sous réserve qu’il soit très clairement établi qu’il s’agisse bien du « droit à l’exception pour copie privée ». La nuance est fine !

Christian Paul regrette qu’on admette une copie contrôlée avec parfois « le degré zéro de l’usage », c’est-à-dire l’absence de copie.

Est évoqué le problème de la copie privée pour les programmes télévisuels, notamment ceux des éditeurs étrangers : l’amendement 6 prévoit que « les mesures techniques mises en place par les éditeurs et distributeurs de services de télévision ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher le public de bénéficier de l'exception pour copie privé ». Il recueille l’avis favorable du rapporteur et du ministre de la Culture. Il est ensuite adopté.

Une polémique s’installe alors sur le retrait d’un amendement qui avait pourtant été voté en commission des lois. Celui-ci prévoyait que le nombre de copies autorisées ne pouvait être inférieur à un. Les députés s’inquiètent de la raison du retrait de cet amendement, qui permettrait de faire disparaître la copie privée. Christian Paul parle d’un « Clémenceau permanent… ça s’en va et ça revient » ! Pour lui, l’exception ne peut être limitée. Le rapporteur répond qu’un autre amendement (259) a été adopté en commission, ce qui fait tomber l’amendement précédent (30). Pourtant, l’amendement 259 de Christian Vanneste n’est pas tout à fait identique. Il prévoit seulement que « les modalités d'exercice de la copie privée sont fixées par le collège des médiateurs mentionné à l'article L. 331-7, en fonction, notamment, du type d'œuvre ou d'objet protégé, du support et des techniques de protection disponibles ». Rien ne garantit donc qu’au moins une copie soit possible !

Perturbés par ce retrait, les députés socialistes demandent une suspension de séance…

À suivre.

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Episode 8 : « Les années collège… des médiateurs »

Résumé de la 1ère séance du mercredi 15 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Les débats relatifs à l’article 8 du projet de loi continuent et des interrogations sur le retrait de l’amendement 30 rectifié, pourtant adopté par la commission, sont à nouveau exprimées (v. la fin de l’épisode 7 précédent). Guy Geoffroy, le vice-président de la commission des lois, doit intervenir pour expliquer qu’il s’agit d’une « pratique courante » et que l’amendement 259 du rapporteur remplace l’amendement 30. Rappelons que cet amendement prévoyait un nombre de copie privé d’au moins un exemplaire. Christian Paul considère donc que le retrait de cet amendement permet la suppression de toute copie privée sur certaines œuvres. Christian Vanneste lui répond que c’est le problème très concret des DVD qui l’a poussé à modifier cette disposition : « c’était une erreur de ma part que d’indiquer un chiffre » ajoute t’il ! Il s’appuie également sur l’arrêt Mulholland Drive de la Cour de cassation. Il lui est alors immédiatement reproché de se laisser guider par les juges alors que c’est au Parlement d’orienter les tribunaux.

Didier Mathus propose, dans son sous-amendement 326, de garantir l’exception de copie privée dans la mesure où il existe une redevance pour copie privée sur les supports vierges. Christine Boutin présente le sous-amendement 299 visant également à garantir la copie privée, le Collège des médiateurs ne pouvant en limiter l’exercice. Avis défavorable du rapporteur et du ministre pour les deux.

Christophe Baguet (UDF) propose une autre piste de solution pour les DVD : l’achat d’un deuxième ou troisième exemplaire par le consommateur pour un petit supplément de prix. Son collègue Jean Dionis du Séjour s’oppose quant à lui à la création du Collège des médiateurs, considérant que la commission « copie privée » dispose déjà de pouvoirs très importants en la matière.

Tous les amendements présentés sont rejetés, sauf l’amendement 259 rectifié du rapporteur (« Les modalités d'exercice de la copie privée sont fixées par le collège des médiateurs mentionné à l'article L. 331-7, en fonction, notamment, du type d'œuvre ou d'objet protégé, du support et des techniques de protection disponibles »).

Les amendements suivants ont pour objectif de renforcer l’information des consommateurs. Le rapporteur et le ministre sont favorables à l’amendement 31 de la commission qui prévoit que « toute limitation de la lecture d'une œuvre, d'un vidéogramme ou d'un phonogramme, ou du bénéfice de l'exception [de copie privée] résultant de mesures techniques (…) fait l'objet d'une information de l'utilisateur ». Ils sont soutenus par le groupe UDF. L’amendement 31 est adopté.

L’article 8, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

C’est donc au tour de l’article 9, consacré au Collège des médiateurs, d’être examiné. C’est l’occasion pour Patrick Bloche de fustiger encore une fois le cumul des rôles de régulateur et d’arbitre de cette instance, ou pour Jean Dionis du Séjour de dénoncer le risque de conflit entre ce Collège et la commission « copie privée ». Pour (UMP), au contraire, l’existence de cette autorité administrative se justifie par la prise en compte des évolutions rapides des technologies, plus facilement appréhendées par des experts que par des parlementaires… ce que conteste Martine

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Billard. Elle propose d’ailleurs de supprimer l’article 9 du projet de loi. Tous les amendements allant dans ce sens sont rejetés (287, 369, 147, 91). Certains proposaient d’attribuer son rôle à la commission « copie privée », d’autres à réaffirmer le rôle des TGI. C’est l’amendement 257 du rapporteur qui est finalement adopté : « Il est créé un collège des médiateurs, chargé de réguler les mesures techniques de protection pour garantir le bénéfice de l'exception pour copie privée, ainsi que de l'exception en faveur des personnes affectées par un handicap ».

Patrick Bloche, ne pouvant donc plus s’opposer à la création de cette institution, propose d’en encadrer la composition afin d’en assurer l’indépendance. Son amendement 88 prévoit que le Collège des médiateurs est présidé par un membre de la Cour de cassation, désigné par le vice-président de la Cour de cassation, et est composé de deux membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes, et de deux personnalités qualifiées nommées par décret conjoint du ministre chargé de la Consommation et du ministre chargé de la Culture. Il lui est préféré l’amendement 34 qui dispose qu’« aucun des médiateurs ne peut délibérer dans une affaire impliquant une entreprise ou une société contrôlée, au sens de l'article L. 233-16 du code de commerce, par une entreprise dans laquelle lui-même, ou le cas échéant, une personne morale au sein de laquelle il a, au cours des trois années précédant la délibération, exercé des fonctions ou détenu un mandat ».

L’amendement suivant (35) a pour objectif de permettre la saisine du Collège « en amont » et pas seulement en cas de conflit une fois le produit mis dans le commerce. Il est sous-amendé (411) par le Gouvernement pour préciser que le Collège peut être saisi par tout bénéficiaire des exceptions, mais également par une personne morale agrée qui la représente, ce qui va plus loin que les seules associations de défense des consommateurs.

Viennent alors des amendements visant à préciser les délais de réponse du Collège lorsqu’il est saisi d’un litige. Patrick Bloche souhaiterait que ce délai soit de deux semaines et que le Collège puisse saisir la CNIL ou le Conseil de la concurrence, ainsi que la Direction générale de la sécurité des systèmes informatiques. Le rapporteur indique que la commission a rejeté cet amendement et que le délai de réponse prévu est de deux mois. Le ministre ajoute que la CNIL peut, de sa propre initiative, contrôler les traitements automatisés et que le rôle du Conseil de la concurrence n’est pas non plus remis en cause par le projet de loi.

L’amendement 90 défendu ensuite par Didier Mathus vise à permettre au Collège des médiateurs d’organiser des consultations publiques et de rédiger un rapport public. Il n’est pas adopté.

L’article 9 modifié est mis au voix et adopté dans la foulée.

La séance est suspendue.

À suivre.

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Episode 9 : « Contournement des MTP… DADVSI, fais-moi peur ! »

Résumé de la 2ème séance du mercredi 15 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Après avoir adopté un amendement (37) distinguant les mesures de protection technique pour les œuvres de celles dédiées aux logiciels, dont le régime est organisé par la directive de 1991, l’article 11 modifié est mis aux voix et adopté.

Le débat s’enchaîne sur l’article 12 du projet de loi. Il est rapidement adopté, après le vote d’un amendement (39) qui vise à utiliser le terme de « mesures techniques » pour englober à la fois les MTP et les DRM.

Après l’article 12, un certains nombre d’amendements ont pour objectif de sanctionner les éditeurs de logiciels de P2P qui ont incité les utilisateurs à télécharger des œuvres protégées. Le rapporteur, qui défend l’amendement150 (2ème rectification) cite bien évidemment les jurisprudences américaine (affaire Grokster) et australienne (affaire Kazaa) qui ont retenu la responsabilité des éditeurs de logiciels P2P ne faisant pas d’effort pour permettre la gestion des droits d’auteur sur les œuvres échangées. La responsabilité civile prévue dans la version de décembre du projet a été écartée.

Patrick Bloche et Christian Paul sont particulièrement virulents sur cet article, estimant qu’il s’agit d’une « véritable machine de guerre contre le logiciel libre » qui va condamner toute innovation dans ce secteur en France. Ils souhaitent distinguer l’outil de l’usage qui en est fait. Christian Paul propose par exemple de ne sanctionner que les éditeurs dont le logiciel est manifestement « et exclusivement » créé pour porter atteinte aux droits d’auteur. Le rapporteur émet un avis défavorable à cet amendement, considérant qu’il serait dès lors trop simple d’échapper aux poursuites en prévoyant une petite partie licite dans le logiciel.

Le sous-amendement 364 (2ème rectification) de Richard Cazenave est pour sa part adopté. Il prévoit que l’interdiction du contournement des mesures techniques n’est pas applicable « aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur ».

Frédéric Dutoit (CR) considère que tout logiciel peut servir à mettre des œuvres à disposition, mais que ce n’est pas une raison pour les interdire. Martine Billard rappelle que la France n’est pas la Chine et donc qu’internet n’est pas contrôlé a priori. Cristian Paul, citant la jurisprudence ancienne de la Cour suprême américaine (affaire Betamax), réaffirme que le logiciel en tant que tel est neutre, mais qu’il faut en sanctionner l’usage s’il est condamnable.

Le ministre, rappelant que le droit pénal est d’interprétation stricte, défend l’amendement (150) qui vise à punir (trois ans d'emprisonnement et 300 000 euros d'amende), le fait « de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés (…) ». Il veut ainsi « poursuivre pénalement ceux qui nourrissent intentionnellement le piratage par des messages publicitaires ». L’amendement est adopté à la majorité de 55 voix contre 19.

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Les discussions se focalisent maintenant sur l’article 13 relatif aux sanctions. Les députés de l’opposition se réjouissent que le projet de loi soit sorti du champ de la contrefaçon (Christian Paul va même dire que le terme de piratage est renvoyé aux manuels de droit maritime dont il n’aurait jamais dû sortir)… mais la réponse graduée proposée par le ministre fait l’objet de vives contestations, tant sur le principe que sur ses modalités de mise en œuvre. Les grandes questions qui se posent sont les suivantes : quand sera constituée l’infraction ? qui la constatera et dressera les PV ? comment seront surveillés les internautes ?

Le ministre de la Culture, parlant de « l’internet équitable » qu’il veut promouvoir, fonde son dispositif sur trois principes : « délimiter clairement la frontière entre le légal et l’illégal ; sanctionner en fonction de la gravité des fautes et des responsabilités ; faire principalement porter la répression sur l’offre illégale, sans renoncer à dissuader le téléchargement illégal ». Il assure que les sanctions seront prononcées à la suite de procédures judiciaires, se concentrant sur les personnes soupçonnées de faits graves. Le système de « réponse graduée » distingue trois niveaux de responsabilité : ceux qui donnent les moyens de contourner les mesures techniques ou incitent à le faire s’exposent à six mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende ; les « hackers » qui décryptent une mesure de protection pour eux-mêmes sont passibles d’une amende de 3750 euros ; ceux qui détiennent ou utilisent des logiciels de contournement qu’ils n’ont pas créé pourront recevoir une contravention de quatrième classe de 750 euros d’amende. Seront exclus du dispositif pénal les contournements dans le cadre de la recherche ou pour assurer l’interopérabilité.

Patrick Bloche propose de sanctionner également les personnes qui mettent sur le marché des MTP limitant l’interopérabilité. Son amendement n’est pas adopté.

Martine Billard souhaite exclure des sanctions « les actes réalisés à des fins d’interopérabilité, de sécurité informatique, de protection de la vie privée ou pour l'usage licite de l’œuvre » (sous-amendement 288). Mais le ministre s’y oppose, notamment parce que la référence à l’usage licite de l’œuvre ouvrirait la porte au contournement par chaque personne souhaitant faire une copie privée, ce qui poserait des problèmes dans le secteur du cinéma par exemple. Dans le même sens, le sous-amendement 394 de Patrick Bloche, visant à autoriser le contournement pour bénéficier des exceptions au droit d’auteur, et le sous-amendement 344 de Christian Paul, autorisant le contournement pour des actes réalisés à des fins de sécurité informatique, sont rejetés. D’autres amendements ayant les mêmes objectifs sont systématiquement repoussés.

Patrick Bloche tente alors un dernier coup d’éclat en avançant « la résistance à l’oppression, constitutionnellement garantie par l’article 2 de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen » pour réclamer que le contournement des mesures techniques ne soit pas sanctionné ! Son sous-amendement n’est pourtant pas adopté.

Tout aura été tenté pour faire plier le Gouvernement !

À suivre…

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Episode 10 : « La Dead Zone des articles 13 et 14 »

Résumé de la 2ème séance du jeudi 16 mars 2006 à l’Assemblée nationale

La séance débute avec l’examen de l’amendement 261 du Gouvernement relatif à l’article 13 du projet de loi. Rappelons qu’il encadre la protection juridique des mesures techniques contre leur contournement.

Didier Mathus, toujours aussi virulent, qualifie le ministre de la Culture de « RDVV, Renaud Donnedieu de Vabres de Vivendi », lui reprochant ainsi de céder aux pressions du grand groupe international sur ces questions.

Dominique Richard (UMP) lance une autre polémique sur la location d’un bureau proche de l’Assemblée par le député socialiste Christian Paul pour accueillir l’association UFC- Que choisir et l’ADAMI. Celui-ci se défendra un peu plus loin, se déclarant fier d’avoir organisé des débats avec ces organismes.

Le débat ne vole pas bien haut. Heureusement, le président de séance relance les discussions sur le sous-amendement 391. Défendu par , il vise à garantir l’accès des handicapés au téléchargement. L’exposé sommaire de ce sous- amendement explique que : « Pour que le bénéfice de l'exception handicapés soit réel, il importe de permettre aux personnes morales agréées d'effectuer les actes de contournement de mesures techniques d'informations nécessaires à l'accomplissement de leur mission. Sans une telle autorisation, et en l'absence de garantie sur la nature exacte du dépôt en un format ouvert mis en place par l'alinéa 7 du L. 122-5, cette exception pourrait rester toute théorique ». Le ministre répond que les amendements 272 du Gouvernement (dépôt des documents imprimés sous forme électronique) et 257 du rapporteur (rôle du Collège des médiateurs pour permettre cette exception) répondent déjà à cet objectif. Le sous-amendement n’est donc pas adopté.

Deux sous-amendements, défendus par Didier Mathus et Martine Billard, proposent d’autoriser la publication du code source ou de la documentation technique d’un logiciel interopérant pour des usages licites avec une MTP. Le ministre réaffirme que rien dans le projet de loi ne l’empêche. Là encore, les amendements sont rejetés.

Le sous-amendement suivant (294) indique que la mise en place de dispositifs de surveillance des données échangées sur internet n’est possible qu’avec l’autorisation préalable d’un juge. Le rapporteur émet un avis défavorable car le Conseil constitutionnel et la CNIL veillent déjà à ce que ce soit le cas. Amendement repoussé.

François Bayrou a déposé deux amendements (379 rectifié et 412) afin de garantir que les plateformes marchandes soient accessibles, quelque soit le navigateur utilisé : « Un service de vente ou de mise à disposition en ligne d'œuvres doit accepter les transactions avec tout logiciel client interopérable. Tout dispositif d'exclusion, dont la présence n'est pas techniquement nécessaire pour réaliser la transaction, est assimilable à un refus de vente ». Pour le rapporteur, ces dispositions n’ont pas leur place dans un texte sur le droit d’auteur. Elles ne sont pas adoptées.

Le dernier sous-amendement à l’article 261, défendu par Patrick Bloche, vise à exclure du champ d’application des sanctions la détention ou l’utilisation d’un logiciel mis au point

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Feuilleton DADVSI pour le contournement à des fins personnelles. Il n’est pas retenu et l’amendement 261, tel qu’il a été présenté par le Gouvernement, est adopté, ainsi que l’article 13 du projet de loi dans la foulée.

L’article 14 est le pendant de l’article 13 pour les droits voisins.

Didier Mathus persiste à dire que « la pénalisation massive ne fonctionnera pas ». Henri Emmanuelli, toujours aussi inspiré, ajoute qu’« il sera aussi difficile d’entraver la liberté des internautes que de passer un string à une baleine ».

Dominique Richard (UMP) précise que la contravention sera constatée par un officier de police judiciaire, à partir de l’œuvre téléchargée et que seul le Procureur pourra demander l’identité de l’internaute au fournisseur d’accès.

L’amendement 93 a tout simplement pour but de supprimer l’article 14. Repoussé par la commission et le Gouvernement, il n’est bien entendu pas adopté.

Les sous-amendements 416 et 319 rectifiés sont, de leur côté, adoptés pour garantir la sécurité des activités de recherche. Le premier prévoit qu’est sanctionnée la mise à disposition du public de moyens de contournement d’une mesure technique de protection. Le second exclu des dispositions anti-contournement les actes réalisés à des fins d’interopérabilité ou de sécurité informatique. Est également adopté le sous- amendement 417, déposé par des députés UMP, qui vise encore une fois à sanctionner la mise à disposition du public.

Un certain nombre de sous-amendements sont ensuite repoussés. Ils visent à garantir l’exception de copie privée, le secteur des logiciels libres, les téléchargements sans but lucratif, les actes réalisés à des fins de protection de la vie privée ou encore la défense des consommateurs.

Le sous-amendement 317 rectifié est adopté. Comme pour l’article 13, il prévoit que « ces dispositions [contre le contournement] ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d'interopérabilité ou de sécurité informatique, dans les limites des droits prévus par le présent code ».

La séance se termine avec l’adoption de article 14 dans sa version prévue par l’amendement 262, sous-amendé.

À suivre.

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Episode 11 : « La DADVSI est servie »

Résumé de la 3ème séance du jeudi 16 mars 2006 à l’Assemblée nationale

La discussion s’engage sur l’examen des amendements après l’article 14 et se concentre tout d’abord sur les webradios. Christian Paul défend l’amendement 339 qui vise à leur appliquer le régime de la licence légale prévue à l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle. Il considère que le droit exclusif n’a pas à s’appliquer car, dans les hypothèses de simulcasting ou de webcasting, l’œuvre n’est pas accessible à un moment choisi individuellement. Pour le rapporteur, Christian Vanneste, cette extension de la licence légale aux webradios va « ouvrir une immense brèche dans la protection des œuvres sur Internet ». Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, considère pour sa part que la licence légale se justifie pour la radio car il s’agit d’un marché secondaire d’exploitation des phonogrammes mais que le droit exclusif doit perdurer pour les webradios qui constituent un marché primaire. Des accords contractuels sont donc à encourager. Cet amendement n’est pas adopté.

Le débat revient ensuite sur les modalités de la riposte graduée, notamment sur la définition précise de l’infraction, sur sa constatation et le système de contrôle nécessaire. Le ministre apporte les précisions suivantes : « seuls le téléchargement illicite et le téléchargement illicite avec mise à disposition automatique de l’œuvre seront sanctionnés ». Les constats de téléchargement illicite seront effectués par des logiciels de P2P qui récupéreront l’adresse IP de l’internaute. L’infraction sera constatée par un officier de police judiciaire (un service spécialisé sera créé à cette fin). S’agissant des critères, il ajoute qu’« on peut imaginer des limitations dans le temps ou des seuils établis en fonction du nombre d’œuvres ou du poids des fichiers ». La priorité sera de sanctionner ceux qui tirent profit du détournement des droits d’auteur. Il indique également qu’il souhaite que les FAI informent régulièrement les internautes sur la propriété intellectuelle.

Pour Christian Paul, on passe de la riposte graduée à « la riposte dégradée », plongeant les internautes dans une insécurité juridique totale : « 38 euros ou 150 euros ? 38 euros et 150 euros ? Multipliés par combien de contraventions ? Qu’est-ce qu’un acte de téléchargement (…) ? ». Et de citer une déclaration de la présidente de l’association nationale des juges d’instance qui affirme que les juges de proximité n’auront pas le temps ni les compétences pour gérer ce système d’amendes. Le député socialiste, rappelant qu’il est également possible d’échanger des fichiers musicaux par le biais des messageries, interroge le ministre pour savoir si les dispositions du projet de loi s’appliqueront à des systèmes du type MSN.

L’amendement 263, 2ème rectification, qui vise à sanctionner « la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme mis à disposition au moyen d'un service de communication au public en ligne [ainsi que] la communication au public, à des fins non commerciales, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme au moyen d'un service de communication au public en ligne, lorsqu'elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction (…) », est adopté à la majorité de 34 voix contre 9. Thierry Mariani, député UMP, propose par l’amendement 267 de faire porter la responsabilité des échanges via les réseaux P2P sur les éditeurs de logiciels, et non plus sur les internautes. Il prévoit des mesures préventives destinées à inciter les éditeurs à

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Feuilleton DADVSI mettre en place des systèmes permettant de rémunérer les auteurs : « Lorsqu'un logiciel est manifestement utilisé pour le partage illicite d'œuvres ou d'objets protégés (…), le président du tribunal de grande instance, statuant en référé à la demande de tout titulaire des droits sur ces œuvres ou objets, peut ordonner, sous astreinte, toute mesure nécessaire à la protection desdits droits et conformes à l'état de l'art. Il peut notamment enjoindre à l'éditeur du logiciel de prendre toutes mesures pour en empêcher ou limiter l'usage illicite autant qu'il est possible. Ces mesures ne peuvent toutefois avoir pour effet de dénaturer ni les caractéristiques essentielles ni la destination initiale du logiciel ».

Pour le rapporteur, la cible est trop large. Reconnaissant que cet amendement s’inspire des travaux du CSPLA (avis 2005-2 relatif à la distribution des œuvres en ligne), il indique que cet amendement à reçu un avis défavorable de la commission des lois. Il est, à titre personnel, favorable au sous-amendement 388 de Laurent Wauquiez (UMP également) qui restreint les actions civiles aux seuls éditeurs de logiciels manifestement utilisés à une échelle commerciale sous quelque forme que ce soit, pour la mise à disposition ou l'acquisition illicite d'œuvres. Le ministre s’exprime dans le même sens. Ce sous-amendement est adopté, malgré les nombreuses critiques de députés de l’opposition. L’amendement 267 rectifié, et donc sous-amendé, est adopté.

Par l’amendement 260 du Gouvernement, le ministre propose que les FAI envoient à leurs abonnés des messages de sensibilisation sur les dangers du piratage. Un sous- amendement du rapporteur substitue au terme de « piratage », jugé péjoratif, les mots « téléchargement et mise à disposition illicites ». L’ensemble est adopté.

Toutes ces modifications permettent alors l’adoption de l’article 15.

Par la suite, le rapporteur obtient l’adoption d’un amendement remettant en cause la récente jurisprudence Parly II (Cass. 1ère civ., 1er mars 2005, pourvoi n° 02-17391, Syndicat des copropriétaires de la résidence Parly II c/ SACEM, SCAM, SACD et ADAGP, commenté dans le Flash IRPI du 18 mars 2005). Son amendement 50 prévoit que « l'acheminement, à l'intérieur d'un même ensemble d'habitations, à l'initiative du gestionnaire de cet ensemble d'habitations, du signal télédiffusé d'origine reçu au moyen d'une antenne collective, ne constitue pas une télédiffusion distincte » (article L. 122-2 du CPI). Nous sommes ici bien loin de la directive de 2001 que le projet de loi est censé transposer, mais c’est n’est pas la première fois, ni la dernière !

Deux amendements relatifs au financement de l’aide à la création sont repoussés, tout comme un amendement visant à rendre les fonds de soutien accessibles aux non adhérents des sociétés de gestion collective.

C’est alors la discussion sur les droits d’auteur des fonctionnaires qui débute. L’amendement 153 rectifié, déposé par le député UMP Patrice Martin-Lalande, exclut du champ d’application des nouvelles dispositions applicables aux fonctionnaires les « agents auteurs d'œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique », c’est-à-dire les professeurs d’université ou les conservateurs des musées, par exemples. Les universitaires qui avaient manifesté leur émotion face au projet de loi devraient donc être rassurés. Après l’adoption de cet amendement, l’article 16 est voté. Il prévoit donc de modifier l’article L. 111-1 du CPI : « L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa du présent article, sous réserve des exceptions prévues par le présent code. Sous les mêmes réserves, il n'est pas non plus dérogé à la jouissance de ce même droit lorsque l'auteur de l'œuvre de l'esprit est un

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Feuilleton DADVSI agent de l'État, d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public à caractère administratif. Les dispositions des articles L. 121-7-1, L. 131-3-1 à L. 131-3-3 ne s'appliquent pas aux agents auteurs d'œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique ».

Avant l’adoption de l’article 18 du projet de loi, des amendements sont votés pour déroger au droit de préférence accordé à l’administration en cas d’exploitation commerciale de l’œuvre dans l’hypothèse ou l’organisme employeur est un EPST (établissement public à caractère scientifique et technologique) ou un EPSCT (établissement public à caractère scientifique, culturel et technique). L’objectif est de ne pas entraver les contrats de partenariat avec des entreprises privées qui veulent savoir qui sera titulaire des droits d’auteur sur les résultats des recherches qu’ils co-financent.

L’article 18 est adopté. Il insère dans le CPI un article L. 121-7-1 ainsi rédigé : « Le droit de divulgation reconnu à l'agent mentionné au troisième alinéa de l'article L. 111-1, qui a créé une œuvre de l'esprit dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues, s'exerce dans le respect des règles auxquelles il est soumis en sa qualité d'agent et de celles qui régissent l'organisation, le fonctionnement et l'activité de la collectivité publique qui l'emploie. L'agent ne peut : 1° S'opposer à la modification de l'œuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur et à sa réputation ; 2° Exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique ».

L’article 19 est également adopté, légèrement modifié par l’amendement 57 qui précise le délai précis (6 mois) de prise en compte des observations du ministre, pour lui ouvrir la faculté de les transmettre ensuite au TGI, dans le cas où elles n'auraient pas été suivies d'effet. En effet l’article 19 prévoit que « le ministre chargé de la culture peut, à tout moment, saisir le tribunal de grande instance pour demander l'annulation des dispositions des statuts, du règlement général ou d'une décision des organes sociaux non conformes à la réglementation en vigueur dès lors que ses observations tendant à la mise en conformité de ces dispositions ou décision n'ont pas été suivies d'effet ».

C’est ensuite au tour de l’article 20 d’être adopté. Dans sa version modifiée par l’amendement rédactionnel 58, il dispose que « les règles comptables communes aux sociétés de perception et de répartition des droits sont établies dans les conditions fixées par le Comité de la réglementation comptable ». L’objectif est d’harmoniser les règles comptables communes aux sociétés de perception et de répartition.

Après l’article 20 est examiné l’amendement 213 défendu par le député UDF Jean Dionis du Séjour. Il vise à soumettre les sociétés de gestion au contrôle de la Cour des comptes, plutôt qu’à celui de la commission permanente de contrôle. Avis défavorable du rapporteur qui rappelle que ces sociétés ont un statut privé hors du champ de la Cour des comptes. Même avis du ministre. L’amendement n’est pas adopté. Quelques amendements déposés par des députés de l’opposition sont encore rejetés. L’un prévoit que « la publication d'une œuvre ou d'une composition musicale, d'un phonogramme, d'une œuvre graphique, photographique, d'illustration ou de dessin, emporte cession du droit de mise à la disposition du public par les abonnées de services de communication publique en ligne à une société [agréée] ». Un autre dispose que « le barème et les modalités de versement de la rémunération des auteurs, des artistes interprètes et des producteurs, ainsi que les limites de ce qui est autorisé en application de l'article L. 351-1, ici appelées conditions générales, sont librement fixés par voie de convention entre la société agréée par application dudit article, et les organisations représentant les consommateurs, en présence d'une ou plusieurs organisations de

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Feuilleton DADVSI personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ».

L’amendement 367 défendu par Dominique Richard est adopté. Il crée un mécanisme de crédit d’impôt pour les PME et TPE du secteur de la production phonographique. Il s’agit d’un crédit d'impôt au titre des dépenses de production, de développement et de numérisation d'un enregistrement phonographique ou vidéographique musical (vidéomusique ou DVD musical), plafonné à 500 000 euros par entreprise et par an. Sa mise en œuvre effective reste soumise à l’autorisation de la Commission européenne.

Le débat est assez bref en ce qui concerne les articles relatifs au dépôt légal. Rappelons qu’il s’agit d’un véritable « cavalier » car absolument pas prévu par la directive communautaire. L’article 21 est adopté sans modification de fond. Il prévoit que « les logiciels et les bases de données sont soumis à l'obligation de dépôt légal dès lors qu'ils sont mis à disposition d'un public par la diffusion d'un support matériel quelle que soit la nature de ce support. Sont également soumis au dépôt légal les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l'objet d'une communication publique en ligne ». Il en va de même pour l’article 22 qui soumet les organismes dépositaires au respect de la législation sur la propriété intellectuelle « sous réserve des dispositions particulières prévues à la présente loi ».

Après l’article 22, Patrick Bloche tente en vain d’obtenir le vote de l’amendement 214 qui impose que les œuvres faisant l'objet d'une communication publique en ligne soient déposées sous la forme d'un standard ouvert. Christian Paul s’interroge sur les motifs de rejet de cette disposition, niant la charge matérielle ou financière que cela pourrait faire peser sur les éditeurs. Le rapporteur lui répond notamment que certains éditeurs ne souhaitent pas passer par le numérique et préfèrent « une impression artisanale à l’ancienne ».

L’article 23 est mis aux voix et adopté, avec un amendement de précision permettant aux organismes chargés du nouveau dépôt légal sur internet d'obtenir du CSA et des organismes gérant les noms de domaines les informations nécessaires à la sélection des sites à archiver (notamment les données d’identification). En outre, le dépôt légal est garanti par une sanction pénale pour celui qui s'y oppose irrégulièrement.

L’article 24 relatif à la dénomination de la BNF est supprimé.

L’article 25, prévoyant une exception aux droits d'auteur et aux droits voisins limitée au bénéfice des établissements dépositaires (et des chercheurs qu'ils accréditent) pour des actes strictement nécessaires à l'accomplissement de leurs missions de collecte, de conservation et de consultation au titre de dépôt légal, est également adopté sans modification majeure.

Il en va de même des articles 26 et 27 relatifs au rôle de l’INA pour le dépôt légal.

L’article 28 est consacré au droit de suite. À l’occasion de la transposition de la directive 2001/29 du 22 mai 2001, le ministre de la Culture a souhaité transposer également la directive 2001/84 du 27 septembre 2001 relative au droit de suite au profit de l'auteur d'une œuvre d'art originale. L’article L. 122-8 du CPI prévoit donc notamment que « les auteurs d'œuvres originales graphiques et plastiques, ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, bénéficient d'un droit de suite, qui est un droit inaliénable de participation au produit de toute revente d'une œuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire

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Feuilleton DADVSI un professionnel du marché de l'art » et qu’un décret en Conseil d'État viendra préciser les conditions d'application de cet article. Il indiquera notamment le montant et les modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi que le prix de vente au dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit ou encore les conditions dans lesquelles les auteurs non ressortissants d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un État partie à l'accord sur l’EEE qui ont leur résidence habituelle en France et ont participé à la vie de l'art en France pendant au moins cinq ans peuvent demander à bénéficier de la même protection.

Enfin, l’article 29, portant dispositions transitoires, est adopté lui aussi. Il prévoit que les dispositions de l'article 5 de la présente loi n'ont pas pour effet de protéger une interprétation, un phonogramme ou un vidéogramme dont la durée de protection a expiré au 22 décembre 2002 et que les dispositions du titre II ne sont applicables aux œuvres créées antérieurement par un agent de l'État, d'une collectivité territoriale ou d'un établissement public à caractère administratif, qu'à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi. Toutefois, l'application de ces dispositions ne peut porter atteinte à l'exécution des conventions en cours lors de l'entrée en vigueur de la présente loi, lorsque celles-ci ont pour objet des œuvres créées par ces agents dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions reçues, pour l'accomplissement de la mission de service public.

Un certain nombre d’amendements sont encore examinés après l’article 29.

Patrick Bloche présente l’amendement 79 visant à supprimer la possibilité pour les sociétés de gestion collective de constituer des fichiers d’infraction sur les internautes qui auraient téléchargé des œuvres illégalement (loi du 6 août 2004 modifiant la loi « Informatique et libertés » de 1978). Il considère que les fichiers ainsi créés ne sont pas fiables. Qu’il s’agit d’un rappel à la loi, assimilable à une sanction pénale, qui ne peut donc être laissée à des sociétés privées. Que cela constitue enfin une atteinte à la liberté de conscience et à la vie privée. Le rapporteur et le ministre estiment pour leur part que ce dispositif est assez encadré et donne toute satisfaction. L’amendement n’est pas adopté.

Richard Cazenave demande ensuite une seconde délibération sur l’article 7 pour préciser les dispositions relatives à l’interopérabilité. Christian Paul et Patrick Bloche sont alors particulièrement virulents sur la manière dont s’est déroulé tout le débat. La séance est suspendue près d’une heure et va reprendre aux alentours de trois heures du matin. Un certain nombre d’amendements sont alors adoptés, avec un certain consensus (qui aura pourtant été rare durant ces discussions) pour réaffirmer que les mesures techniques de protection ne doivent pas nuire à la mise en œuvre de l’interopérabilité. L’amendement socialiste 5 est par exemple retenu. Il prévoit que « tout intéressé peut demander au président du tribunal de grande instance statuant en référé d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques de fournir les informations essentielles à l'interopérabilité. Seuls les frais de logistique sont exigibles en contrepartie par le fournisseur ». Ou encore l’amendement 6 qui proscrit l’interdiction de publier le code source et la documentation technique d'un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d'une œuvre.

L’article 7, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.

C’est ainsi que se termine le long débat, souvent enflammé, mais toujours passionnant, relatif au projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.

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Rendez-vous lors de la prochaine séance pour les explications de vote et le vote par scrutin public sur ce texte.

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Episode 12 : « The End »

Résumé du scrutin public du mardi 21 mars 2006 à l’Assemblée nationale

Après un long débat au sein de l’Assemblée nationale, qui aura débuté au mois de décembre 2005 puis repris au début du mois de mars 2006, les députés sont appelés à voter sur le texte du projet de loi « Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information », tel qu’il a été modifié au fil des amendements et sous-amendements proposés par le Gouvernement et les députés.

Sur 501 votants, 479 suffrages sont exprimés. La majorité absolue est donc de 240 voix. Le projet de loi est adopté, avec 286 voix pour et 193 voix contre.

La quasi-majorité du groupe UMP a soutenu le projet du ministre de la Culture, y voyant un équilibre « gagnant-gagnant » pour les auteurs, les artistes et les techniciens, d’une part, et les internautes, d’autre part. Les 286 votes en faveur du texte proviennent en effet exclusivement de ce groupe. Parmi les « personnalités » de droite, on peut compter notamment sur le vote positif de l’ancien premier ministre Edouard Balladur, d’Hervé de Charrette, de Patrick Devedjian, de Pierre Lellouche, de Pierre Méhaignerie ou encore de Françoise de Panafieu. À noter cependant quelques voix dissidentes dans la majorité, avec 7 votes contre (notamment pour Christine Boutin, Patrick Balkany ou Nicolas Dupont-Aignan) et 14 abstentions.

Aucun député du groupe socialiste n’a voté en faveur de ce texte. C’est au contraire un texte « perdant-perdant » qui est stigmatisé, les internautes ne bénéficiant pas d’un réel droit à la copie privée, le logiciel libre étant menacé, et les auteurs pas assez rémunérés. 138 députés PS ont voté contre. Parmi eux, le président du groupe Jean-Marc Ayrault, les virulents Patrick Bloche et Christian Paul, Julien Dray, Henri Emmanuelli, les anciennes ministres de la Justice Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu, le premier secrétaire François Hollande et sa compagne Ségolène Royal ou encore Dominique Strauss-Kahn. Arnaud Montebourg, toujours un peu « marginal », est le seul à s’être abstenu.

Au sein du groupe UDF, 24 députés ont voté contre (notamment François Bayrou, Anne- Marie Comparini, Charles de Courson ou encore André Santini) et 4 se sont abstenus. Lors de l’explication de vote, Jean Dionis du Séjour a regretté que le texte de loi s’écarte d’une « transposition fidèle et modeste de la directive », notamment avec le système du Collège des médiateurs, les lourdes sanctions contre les éditeurs de logiciels P2P ou les sanctions en cas de contournement des mesures techniques.

Chez le groupe Communistes et Républicains, on compte 18 votes contre (Alain Bocquet et Marie-George Buffet, notamment) et 3 abstentions (Maxime Gremetz entre autres). Frédéric Dutoit a fustigé les dispositions du projet de loi qui sacrifient les droits des consommateurs et le respect des libertés publiques, avec « le fantasme d’un contrôle généralisé ».

Restent enfin les députés non inscrits : 6 ont voté contre (Noël Mamère et Emile Zuccarelli, par exemples).

Rendez-vous désormais au mois de mai pour l’examen du projet de loi au Sénat… et la suite de notre feuilleton.

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Episode 13 : « 24 heures chrono »

Résumé de la séance du 4 mai 2006 au Sénat

Que peut-on retenir de cette première journée de débats au Sénat ? La discussion générale d’introduction reflète déjà les positions des différents camps.

Le ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, y rappelle son principal objectif : garantir la création dans l’univers numérique en élargissant l’offre culturelle en ligne.

Le rapporteur de la commission des Affaires culturelles, Michel Thiollière, exprime la prudence qui l’anime face au projet de transposition de la directive de mai 2001 : « on "surfe" mais où va le navire ? », dit-il. Il considère notamment que les exceptions envisagées ne sont pas adaptées et se prononce clairement en faveur d’une exception pédagogique. Il veut préciser les conditions de l’interopérabilité et créer une nouvelle autorité indépendante chargée d’en fixer les règles. S’agissant des sanctions, il attend des précisions sur les décrets à venir. Il réaffirme également l’importance du droit moral des auteurs agents publics et se félicite enfin du dépôt légal numérique ainsi que de la transposition de la directive « droit de suite » (pour de plus amples informations sur ses positions, v. son rapport n° 308 du 12 avril 2006).

Mme Morin-Desailly (UDF) regrette l’inscription de la procédure d’urgence pour ce projet de loi. Rappelant que le droit d’auteur doit demeurer un principe intangible, elle dit se méfier tout de même des « monopoles industriels ». À noter qu’elle se prononce en faveur de la participation des FAI au financement du secteur culturel.

M. Assouline (PS) fustige l’attitude du ministre qui serait à l’origine d’un conflit entre droit de la culture et droit à la culture et dénonce la mainmise de Microsoft sur cette question.

M. Dufaut (UMP) revient sur le régime des sanctions, pour rappeler notamment que les amendes ont fait leurs preuves dans d’autres pays confrontés aux mêmes problèmes de téléchargement illégal (v. en ce sens la rubrique « chiffre clé » du Flash IRPI du 10 mai 2007).

M. Seillier (Groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen) souhaite limiter les nouvelles exceptions de l’article 1er bis.

M. Retailleau (non inscrit) s’interroge sur l’étendue de la protection des artistes et affirme que sa contrepartie réside dans l’interopérabilité.

M. Ralite (Groupe Communiste Républicain et Citoyen) s’indigne que le droit moral n’ait été évoqué qu’une douzaine de fois lors des débats à l’Assemblée nationale alors même que le « marché » a été cité cent quatre-vingt fois ! Il préconise la création d’un « Conseil Beaumarchais » pour commencer déjà à réfléchir à un nouveau texte pour le futur !

M. Nogrix (UDF) déplore que les droits des producteurs fassent l’objet de l’attention exclusive du législateur, au détriment des droits des auteurs et réclame la modification de l’amendement « Vivendi » (pour mémoire, il prévoit la responsabilité de l’éditeur d’un logiciel P2P dont l’objet est d’échanger illégalement des œuvres).

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Feuilleton DADVSI

Mme Tasca (PS) insiste sur l’impossibilité de transposer le régime de l’exception de copie privée, tel qu’il a été envisagé dans la loi de 1985, à l’univers numérique. Elle refuse que l’on oppose droit d’auteur et démocratisation de la culture.

M. Cambon (UMP) encourage la pédagogie en direction du jeune public, que ce soit de la part des auteurs et artistes eux-mêmes, mais aussi de la part des collectivités territoriales. Il invite les majors à présenter rapidement une nouvelle offre culturelle originale.

Mme Blandin (Verts, rattachée au groupe PS) semble regretter la solution de la licence globale et s’inquiète de la « carte blanche » donnée aux mesures techniques de protection.

M. Lagauche (PS) lui répond, après la reprise de la discussion suite à la suspension de la séance, que la licence globale n’était pas une solution satisfaisante et que « les pirates doivent être châtiés sévèrement » !

M. Yung (PS) clôture la discussion générale en qualifiant le texte d’« auberge espagnole » tant il est technique et fourre-tout. Il préconise de changer les modèles culturels en développant des offres légales gratuites.

Avant d’entamer les discussions concrètes sur les articles du projet de loi, tel qu’il a été transmis par l’Assemblée nationale, les sénateurs du groupe CRC opposent une question préalable demandant l’arrêt des délibérations sur ce texte, la directive qu’il transpose faisant déjà l’objet d’une procédure de révision par les instances communautaires. Cette motion est rejetée.

Il est donc temps de commencer le débat sur l’article 1er du projet de loi. Rappelons qu’il avait été supprimé au mois de mars dernier par les députés au profit d’un article 1er bis (v. pour plus de détails, la fin de l’Épisode 4 de notre « Feuilleton DADVSI »). Il n’est pas rétabli par les sénateurs qui se penchent donc sur les exceptions prévues à l’article 1er bis.

Les premières discussions portent sur l’exception en faveur de l’enseignement et de la recherche.

L’amendement n° 1 du rapporteur Michel Thiollière prévoit de faire bénéficier de l’exception « la représentation ou la reproduction de courtes œuvres ou d'extraits d'œuvres, autres que des œuvres elles-mêmes conçues à des fins pédagogiques, à des fins exclusives d'illustration ou d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, et sous réserve que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés, que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur une base forfaitaire nonobstant la cession du droit de reproduction par reprographie mentionnée à l'article L. 122-10 » et précise que ces dispositions s'appliquent à compter du 1er janvier 2009. Mme Blandin et ses collègues socialistes proposent (dans le sous-amendement 203) de modifier le mot « strictement » par le mot « majoritairement » afin de ne pas limiter l’exception uniquement au bénéfice des étudiants, professeurs ou chercheurs alors que certains colloques sont ouverts à un public plus large, par exemple. Mais cet amendement sera retiré un peu plus loin dans la discussion. Différents amendements proposent des rédactions plus ou moins larges de l’exception (amendement n° 47 de l’UDF, n° 121 du PS qui y rajoute l’apprentissage…) mais c’est l’amendement n° 96 de MM. Garrec, de Raincourt, Carle et Humbert (UMP) qui est

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Feuilleton DADVSI adopté. Il consacre dans la loi l’exception pédagogique « dans le cadre de conventions triennales conclues entre le ou les ministres de tutelle et les organismes professionnels d'auteurs », assurant ainsi une base légale aux récents accords de février 2006 entre l’Éducation nationale et les ayant-droits. Le ministre y voit un « compromis » et s’y déclare donc favorable. Légèrement modifié par un sous-amendement de M. Charasse pour que soit visé « un cercle d’élèves, d’étudiants et de chercheurs », l’amendement n° 1 est adopté.

L’amendement suivant (n° 167), proposé par M. Ralite et les membres du groupe CRC, est mis aux voix. Il prévoit de compenser par une « rémunération négociée sur une base forfaitaire » le préjudice subi par les auteurs du fait de l’exception en faveur des handicapés. Mme David, qui défend cet amendement, estime que ce n’est pas aux ayant- droits de financer l’effort national en faveur des handicapés. Deux cent dix sénateurs votent contre, il n’est donc pas adopté.

Un débat s’installe ensuite sur la qualité des personnes handicapées pouvant bénéficier de l’exception. L’amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Thiollière, propose de viser les personnes atteintes « de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant, et dont le niveau d'incapacité est égal ou supérieur à un taux fixé par décret en Conseil d'État ». M. Charasse retient une vision plus étroite, limitée aux fonctions physiques et sensorielles, et propose que le taux d’incapacité soit fixé dans la loi à 50 %. Le ministre lui indique qu’il faut tenir compte des spécificités de chaque cas, avec un agrément… ce qui semble satisfaire le sénateur socialiste qui retire alors ses sous-amendements.

L’amendement suivant (n° 62), présenté également par M. Charasse, prévoit que les fichiers mis à la disposition des établissements d’aide aux handicapés sont les fichiers numériques ayant servi à l'édition des œuvres en question, fournis à la demandes des organismes d’aide (dans un délai de deux ans) et déposés au Centre national du livre, qui les met à leur disposition dans un standard ouvert. Le rapporteur s’y déclare favorable, le ministre considère quant à lui que le CNL n’a pas vocation à jouer ce rôle. Tout tombe alors d’accord sur la formulation suivante : « le CNL ou un organisme désigné par décret ».

C’est au tour de l’exception en faveur des bibliothèques d’être abordée. L’amendement n° 63 de M. Charasse propose de compléter l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle par une exception pour « les reproductions d'œuvres faisant partie du fonds des bibliothèques publiques ou conservées par des services d'archives publics, ou de dépôt légal, à condition que ces reproductions soient indispensables à leur conservation et exclusivement destinées à permettre leur consultation sur place ». L’amendement n° 6 du rapporteur est plus large car il touche également les musées. Le groupe CRC propose d’ajouter une compensation (sous-amendement n° 244), sur le modèle de ce qui a été défendu un peu plus tôt au sujet de l’exception en faveur des handicapés. Il souhaite également restreindre l’exception au profit des seuls organismes d’utilité publique (amendement n° 138). C’est l’amendement n° 6 du rapporteur qui est finalement adopté, sous-amendé (n° 106). Il prévoit donc que l’exception porte sur « les actes de reproduction d'une œuvre, effectués à des fins de conservation ou destinés à préserver les conditions de sa consultation sur place, par des bibliothèques accessibles au public, par des musées, ou par des services d'archives, sous réserve que ceux-ci ne recherchent aucun avantage économique ou commercial ».

L’exception en faveur de la presse divise alors le Sénat. Mme Blandin (rattachée au groupe PS) défend son amendement n° 199 visant à supprimer cette exception, prévue

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Feuilleton DADVSI par les députés. L’amendement 7 rectifié bis, sous-amendé, est pourtant adopté et vise « la reproduction ou la représentation, intégrale ou partielle, d'une œuvre d'art graphique, plastique ou architecturale, par voie de presse écrite, audiovisuelle ou en ligne, dans un but exclusif d'information immédiate, et en relation directe avec cette dernière, sous réserve d'indiquer clairement le nom de l'auteur. Les reproductions ou représentations, qui notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière, donnent lieu à rémunération des auteurs, sur la base des accords ou tarifs en vigueur dans les secteurs professionnels concernés. L'alinéa précédent ne s'applique pas aux œuvres, notamment photographiques ou d'illustration, qui visent elles-mêmes à rendre compte de l'information ».

Mme Blandin propose ensuite de supprimer la référence dans la loi au test des trois étapes (amendement n° 201). M. Charasse tente de le redéfinir (amendement n° 64) en prévoyant une indemnisation, « conformément à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ». Mais ces amendements sont repoussés, M. Donnedieu de Vabres indiquant que les juges appliquent déjà ce test et que son insertion dans la loi assurera une plus grande sécurité juridique.

L’amendement n° 8 rectifié, qui prévoit d’insérer dans le CPI un nouvel article L. 122-7-1 ainsi rédigé : « L'auteur est libre de mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public, sous réserve des droits des éventuels coauteurs et de ceux des tiers ainsi que dans le respect des conventions qu'il a conclues », est ensuite adopté, même si M. Charasse s’interroge sur l’utilité d’une telle disposition.

Le débat se déplace alors vers le projet de plate-forme publique de téléchargement pour les jeunes créateurs dont les œuvres ne sont pas disponibles sur les plates-formes légales de téléchargement. L’article 1er bis prévoit que dans les six mois suivant la promulgation de la loi, le Gouvernement doit transmettre au Parlement un rapport sur les modalités de la mise en œuvre d'une telle plate-forme. M. Thiollière propose de supprimer cette disposition (amendement n° 9). M. Ralite envisage pour sa part de créer « une plate-forme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, absent des plates-formes commerciales de téléchargement de mettre ses œuvres ou ses interprétations à disposition du public et d'en obtenir une juste rémunération, à hauteur de 50% au moins du prix de vente publique » ainsi que la création d'une taxe sur le chiffre d'affaires des FAI (amendement n° 139). Les socialistes demandent la suppression du mot « jeunes » du texte pour ouvrir cet outil à tous les auteurs, jeunes ou moins jeunes (amendement n° 123). L’amendement 9 est alors adopté… le rapport sur la plate-forme (et la plate-forme elle- même avec lui ?) n’existe donc plus.

La séance s’achève ainsi… la prochaine aura lieu mardi prochain.

À suivre…

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Episode 14 : « Exception… quand tu nous tiens ! »

Résumé de la 1ère partie de la séance du 9 mai 2006 au Sénat

Les débats reprennent en début de soirée au Sénat. Ils portent sur l’article 2 du projet de loi « droit d'auteur et droits voisins dans la société de l'information ». Rappelons pour mémoire que cet article prévoit deux nouvelles exceptions en matière de droits voisins (pour « la reproduction provisoire présentant un caractère transitoire ou accessoire… » ainsi que pour « la reproduction et la communication au public d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme… » dans le cadre de l’exception en faveur des personnes handicapées) et précise que ces exceptions « ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'interprétation, du phonogramme, du vidéogramme ou du programme ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'artiste- interprète, du producteur ou de l'entreprise de communication audiovisuelle ». M. Thiollière propose, au nom de la commission des Affaires culturelles, de rajouter dans cette liste une exception en faveur de l’enseignement et de la recherche (amendement n° 10 rectifié), au même titre que ce que prévoyait son amendement n° 1 en matière de droit d'auteur. De même, il souhaite introduire ici une exception en faveur des bibliothèques, musées et services d’archives. Sous-amendé sur la forme (on remplace notamment « représentation » par « communication au public » et on évite d’utiliser le terme « œuvre » car la disposition concerne les droits voisins), cet amendement va être adopté par les sénateurs. Pour Mme Blandin (rattachée au groupe socialiste), la référence au test des trois étapes n’est pas nécessaire. Le ministre de la Culture et de la Communication, Renaud Donnedieu de Vabres demande, comme pour le vote de l’article 1er bis, que la date d’effet de ce texte soit fixée au 1er janvier 2009, afin de laisser vivre les accords signés récemment avec l’Éducation nationale.

La discussion se poursuit par l’examen de l’article 3 du projet de loi. Il concerne les exceptions en matière de bases de données. L’amendement n° 11 de M. Thiollière y ajoute là encore une exception en faveur de l’éducation et de la recherche. Mme Blandin, logique dans sa position, réclame à nouveau, mais en vain, la suppression de la référence au test des trois étapes. Le groupe CRC propose que les exceptions ne puissent causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur, calculant ce préjudice en fonction de l’équilibre entre les conditions d’exploitation normale des œuvres et leur utilisation sociale. Encore une fois, le ministre approuve l’amendement du rapporteur, à condition que sa date d’effet soit reportée à 2009. Il prévoit donc que l'article L. 342-3 du CPI soit modifié pour permettre « l'extraction et la réutilisation d'une base de données dans les conditions définies aux deux premiers alinéas du 7° de l'article L. 122-5 » ainsi que « l'extraction et la réutilisation d'une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base, à des fins exclusives d'illustration ou d'analyse dans le cadre de l'enseignement et de la recherche, à l'exclusion de toute activité ludique ou récréative, sous réserve d'en indiquer la source, que le public auquel elles sont destinées soit strictement circonscrit à un cercle composé majoritairement d'élèves, d'étudiants, d'enseignants, et de chercheurs concernés, que la source soit indiquée et que leur utilisation ne donne lieu à aucune exploitation commerciale, et qu'elle soit compensée par une rémunération négociée sur un base forfaitaire ». Ces dispositions s'appliquent à compter du 1er janvier 2009 et ces exceptions « ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de la base de données ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du producteur de la base ».

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Un amendement socialiste (n° 127), défendu par M. Assouline, prévoit ensuite que le CSPLA remette chaque année au Parlement un rapport sur les incidences financières pour les ayant-droits des différentes exceptions prévues par la loi. Mais le ministre indique que le Gouvernement proposera un rapport global à l’article 30 bis. L’amendement n’est donc pas adopté.

M. Ralite, pour le groupe CRC, demande alors la suppression de l’article 4 relatif à l’épuisement communautaire des droits d’auteur. Mais le ministre rappelle que la directive oblige à transposer ce principe de l’épuisement. L’amendement 12 rectifié de M. Thiollière, sous-amendé par le Gouvernement, est adopté. On peut donc désormais lire à l’article 4 qu’après l'article L. 122-3 du CPI, il est inséré un article L. 122-3-1 ainsi rédigé : « Dès lors que la première vente d'un ou des exemplaires matériels d'une œuvre a été autorisée par l'auteur ou ses ayants droit sur le territoire d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, la vente de ces exemplaires de cette œuvre ne peut plus être interdite dans les autres États membres ». Et après l'article L. 211-5, il est inséré un article L. 211-6 qui va dans le même sens.

C’est au tour du rapporteur de demander à supprimer un article du projet de loi (amendement n° 13). Il s’agit de l’article 4 bis qui fait rentrer dans le champ de la licence légale les activités des webradios. M. Charasse propose un amendement identique (n° 69), estimant que les licences contractuelles garantissent une meilleure rémunération aux auteurs que la licence légale. M. Assouline, pour le groupe socialiste, va dans le même sens (amendement n° 128). Le groupe CRC, ainsi que Dominique Voynet et quelques collègues rattachés au groupe socialiste, défendent au contraire la position adoptée par les députés lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, en faveur de l’inclusion des webradios dans le champ de la licence légale. Le rapporteur et le ministre se prononcent en faveur du maintien du droit exclusif, excluant ainsi les webradios. L’article 4 bis est ainsi supprimé.

Le débat est assez bref s’agissant de l’article 5, relatif à la prolongation de la durée des droits des producteurs de phonogrammes. Seul Bernard Fournier, membre de l’UMP, préconise d’étendre également la durée des droits voisins reconnus aux producteurs de vidéogrammes mais le rapporteur et le ministre s’y opposent, la directive ne le prévoyant pas. L’article 5 est donc adopté en l’état.

M. Charasse souhaite supprimer les dispositions de l’article L. 212-7 du Code qui prévoit que « les contrats passés antérieurement au 1er janvier 1986 entre un artiste-interprète et un producteur d'œuvre audiovisuelle ou leurs cessionnaires sont soumis aux dispositions qui précèdent, en ce qui concerne les modes d'exploitation qu'ils excluaient. La rémunération correspondante n'a pas le caractère de salaire. Ce droit à rémunération s'éteint au décès de l'artiste-interprète », c’est-à-dire l’extinction de leur droit à rémunération pour les modes d’exploitation non prévus dans les contrats antérieurs à 1986, ce qui priverait de rémunération, selon M. Charasse, les enfants de Dassin, Claude François ou Coluche ! Le sous-amendement n° 282, présenté par le Gouvernement, et une partie de l’amendement du député socialiste sont adoptés : la mention de l’extinction du droit à rémunération à la mort de l’artiste est supprimée dans le Code.

Le groupe UDF tente alors à nouveau d’obtenir la contribution des FAI au financement de la culture via le paiement de la rémunération pour copie privée (amendement n° 49). S’il convient qu’une réflexion mérite d’être menée sur ce sujet, le rapporteur considère que l’amendement est prématuré. M. Donnedieu de Vabres, estime pour sa part que les récents accords sur la VDO sont plus favorables à la création que la formule proposée par le groupe UDF, qui retire donc son amendement.

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En revanche, ce même groupe réclame la suppression de l’article 5 bis qui prévoit que le montant de la rémunération pour copie privée tient compte des éventuelles incidences, sur les usages des consommateurs, de l'utilisation effective des mesures techniques. Il est soutenu dans cette voie par le groupe CRC (amendement identique n° 148). Le ministre se déclare défavorable aux deux amendements de suppression. C’est l’amendement n° 15, sous-amendé (sous-amendement n° 184) qui est adopté. Il indique que « ce montant tient compte du degré d'utilisation des mesures techniques définies à l'article L. 331-5 et de leur incidence sur les usages relevant de l’exception pour copie privée ».

L’article 5 ter relatif au compte-rendu des réunions de la commission dite « copie privée » fait également l’objet de discussions. M. Charasse appelle à plus de transparence pour les travaux de cette commission (amendement n° 71) et souhaiterait même confier à une autre autorité, plus légitime, le soin de définir le régime de la rémunération pour copie privée. Le groupe UMP souhaite seulement que le compte rendu des réunions de la commission soit rendu public, selon des modalités fixées par décret simple, pas par un décret en Conseil d'État. Le ministre accepte cette petite correction mais rejette la proposition de M. Charasse, considérant que le recours à la commission actuelle reste opportun.

Michel Thiollière demande ensuite la suppression de l’article 5 quater du projet, exonérant du paiement de la rémunération pour copie privée les personnes utilisant des supports d'enregistrement à des fins d'imagerie médicale (amendement n° 16). M. Charasse vise, de son côté, tous les usages professionnels (amendement n° 72). Pour le rapporteur, encore une fois, une réflexion d’ensemble s’impose et cet amendement est prématuré. L’amendement 16 étant adopté, l’article 5 quater est supprimé.

Jack Ralite propose alors (amendement n° 149) d’insérer un article additionnel avant l’article 6 afin d’imposer aux producteurs de phonogramme de communiquer aux SPRD les informations nécessaires à la juste répartition des droits (lieu de fixation, nationalité du producteur, année de fixation…). Mme Blandin va dans le même sens avec l’amendement n° 211. Recueillant l’avis défavorable du rapporteur et du ministre, ces deux amendements sont repoussés.

La fin de la séance va enfin se focaliser sur l’examen du fameux article 7 de la directive, consacré aux mesures techniques de protection. Vous en saurez plus demain en lisant l’épisode 15 de notre Feuilleton.

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Episode 15 : « Mesures techniques et interopérabilité... amicalement vôtre »

Résumé de 2ème partie de la séance du 9 mai 2006 au Sénat

La discussion s’anime lorsqu’il s’agit d’examiner l’article 7, qui a fait tant de bruit lors du passage du projet de loi à l’Assemblée nationale. Consacré aux mesures techniques, cet article assez riche prévoit que « les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur, d'une œuvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, sont protégées (…) ». Il définit ce qu’il faut entendre par « mesure technique » et les répute « efficaces » sous certaines conditions (lorsqu'une utilisation est contrôlée grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection, ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection). Il exclut de la définition d’une mesure technique « un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ». Les mesures techniques doivent permettre l'interopérabilité, dans le respect du droit d'auteur. Les fournisseurs de mesures techniques donnent l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité (documentation technique et interfaces de programmation nécessaires pour obtenir dans un standard ouvert une copie d'une reproduction protégée par une mesure technique, et une copie des informations sous forme électronique jointes à cette reproduction). Toute personne peut demander au président du TGI statuant en référé d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques de fournir les informations essentielles à l'interopérabilité, en ne payant que les frais de logistique engagés par le fournisseur en contrepartie. L’exception de décompilation est en outre réaffirmée. Autre point important, l’article 7 indique que « les mesures techniques ne peuvent faire obstacle au libre usage de l'œuvre ou de l'objet protégé dans les limites des droits prévus par le présent code ainsi que de ceux accordés par les détenteurs de droits ». Enfin il prévoit qu’on ne peut pas interdire la publication du code source et de la documentation technique d'un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d'une œuvre.

Jack Ralite et les membres du groupe CRC présentent une motion pour demander au Sénat le renvoi en commission de cet article 7. Le rapporteur le refuse, la commission ayant déjà beaucoup travaillé sur ce texte. La motion n’est pas adoptée.

Yann Gaillard, sénateur UMP, se dit choqué des menaces prononcées par Apple ou le ministre américain du commerce s’agissant des risques encourus avec l’obligation prévue de mettre en œuvre l’interopérabilité (coup dur pour le site i-tunes d’Apple qui fonctionne avec une DRM propre). Il regrette le passage par une nouvelle autorité indépendante. Dans le même sens, Brunon Retailleau (non inscrit) se déclare favorable à une interopérabilité de droit qui ne soit pas sous le contrôle d’une autorité indépendante et Mme Morin-Desailly (UDF) estime que c’est à la loi de fixer les règles en matière d’interopérabilité, et non à une telle autorité.

Michel Thiollière propose de séparer l’article 7 en deux. Son amendement 17 reprend les deux premiers alinéas de la version initiale du projet de loi, se calant sur les termes de la directive. Pour éviter la confusion avec le droit des brevets en la matière, il ajoute que « la protection assurée aux mesures techniques efficaces (…) ne modifie pas le régime juridique de leurs éléments constitutifs, protocoles, formats et méthodes de protection tel qu'il est défini à l'article L. 611-10 ».

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Le groupe UDF demande, dans son amendement n° 115 rectifié, à ce que soit inscrit dans la loi que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d'empêcher la mise en œuvre effective de l'interopérabilité. Les fournisseurs de mesures techniques donnent l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité ».

MM. Retailleau et Darniche, après avoir défendu un amendement allant dans le même sens (n° 189 rectifié bis), proposent dans l’amendement n° 190 rectifié bis de permettre à tout intéressé de demander au fournisseur de la mesure technique de lui communiquer les informations essentielles à l’interopérabilité et de pouvoir saisir dans un délai de soixante jours le Conseil de la concurrence en cas de refus. Les deux sénateurs excluent également que le demandeur ait à payer une contrepartie financière pour obtenir ces informations (amendement n° 191 rectifié bis).

Le groupe UDF reprend ensuite une disposition qui avait fait l’unanimité auprès des députés : les mesures techniques ne doivent pas s’opposer au libre usage de l’œuvre (sous-amendement n° 228). Il réaffirme également le bénéfice de l’exception de décompilation prévue par le Code de la propriété intellectuelle (sous-amendement n° 229). Le groupe CRC adopte la même position sur ce dernier point, évoquant la décompilation et l’ingénierie inverse (sous-amendement n° 278).

Quelques sénateurs rattachés au groupe PS s’inquiètent des atteintes que pourraient porter les mesures de protection à la vie privée des internautes et proposent donc que la mise en place de dispositifs matériels ou logiciels permettant la surveillance des données émises, traitées ou reçues par les personnes, ne soit pas permise sans autorisation préalable de l'autorité judiciaire (sous-amendement n° 284)… puis, après rectification, sans autorisation préalable de la CNIL. Ils prévoient également la possibilité de « désactiver » les mesures techniques une fois que l’œuvre n’est plus protégée par le droit d’auteur et tombe donc dans le domaine public (sous-amendement n° 285).

Michel Charasse, beaucoup plus radical, souhaite supprimer les huit derniers alinéas de l’article 7, s’interrogeant sur leur compatibilité avec la directive de 1994 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur.

Le rapporteur tente alors d’expliquer la vision de la commission des Affaires culturelles sur cet article 7. Cette dernière a souhaité distinguer clairement les mesures techniques de protection et les questions liées à l’interopérabilité.

Le ministre de la Culture et de la Communication se déclare favorable à l’amendement 17 rectifié (texte de la commission), aux sous-amendements n° 52 bis et 188 rectifié ter (qui réintroduisent la disposition prévoyant qu’un protocole, un format, un algorithme de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constituent pas en tant que tel une mesure technique), au sous-amendement n° 277 rectifié bis (qui rappelle l’existence de l’exception de décompilation prévue à l’article L. 122-6-1 du Code), à l’amendement n° 181 rectifié (qui ajoute après le mot « contrôlée » les mots « par les titulaires de droits » pour préciser que ce sont bien les auteurs qui contrôlent les mesures techniques). Il se déclare en revanche opposé notamment aux sous-amendements n° 284 et 278, qui sont pourtant adoptés par les sénateurs. Ils prévoient, nous l’avons vu précédemment, que « tout utilisateur légitime est autorisé à procéder aux travaux de la décompilation et d'ingénierie inverse nécessaires à la mise en œuvre de l'interopérabilité avec une mesure technique, dans les limites prévues à l'article L. 122-6-1 » et que la mise en place de dispositifs matériels ou logiciels permettant la surveillance des données émises, traitées ou reçues par les personnes, n’est pas possible sans autorisation préalable de la CNIL.

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À la demande de la commission, l’amendement 17 rectifié, sur lequel repose l’édifice consacrant la protection des mesures techniques, est mis aux voix par scrutin public. Sur 234 suffrages exprimés (pour 328 votants), 173 sénateurs votent pour et 61 contre. L’amendement est donc adopté et l’article 7 ainsi rédigé.

Longue soirée de débats pour nos sénateurs donc, la séance est levée à 1h30.

À suivre…

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Episode 16 : «L’Autorité qui tombe à pic »

Résumé de la 1ère partie de la séance du 10 mai 2006 au Sénat

La séance reprend après le vote de l’article 7 la veille au soir, mardi 9 mai. Un article additionnel avant l’article 7 bis fait l’objet des premiers débats. Il s’agit de l’amendement n° 18 de M. Thiollière au nom de la commission des Affaires culturelles qui met en place une nouvelle autorité indépendante : l’Autorité de régulation des mesures techniques de protection. Elle « veille à ce que la mise en œuvre des mesures techniques n'ait pas pour conséquence, du fait de leur incompatibilité mutuelle ou de leur incapacité d'interopérer, d'entraîner dans l'utilisation d'une œuvre des limitations supplémentaires et indépendantes de celles expressément décidées par le titulaire d'un droit d'auteur, d'une œuvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme ». Cette autorité peut être saisie par tout éditeur de logiciel, tout fabricant de système technique et tout exploitant de service qui souhaite améliorer l'interopérabilité des systèmes et des services existants pour obtenir une conciliation. À défaut de conciliation, l'Autorité prend une décision motivée de rejet de la demande, ou émet une injonction. Un recours est ouvert devant la Cour d'appel de Paris.

Le gouvernement obtient la modification du nom de cette autorité en supprimant les mots « de protection » afin de viser à la fois les mesures techniques de protection et d’information.

Certains sénateurs UMP proposent de préciser que l’accès des consommateurs qui doit être assuré par cette autorité ne doit porter que sur du contenu « acquis légalement », afin que l’interopérabilité ne serve pas « d’alibi à la copie incontrôlée d’œuvres » (sous- amendement n° 238 rectifié bis). Ils précisent également que l’interopérabilité doit seulement permettre la lecture de l’œuvre protégée, et non pas sa copie (sous- amendements n° 239 et 240).

Le groupe UDF veut élargir la possibilité de saisine de l’Autorité en l’ouvrant à « tout intéressé » (sous-amendement n° 268). Le rapporteur va s’y opposer par la suite.

Pierre Hérisson (UMP) encourage le rapprochement entre cette Autorité et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) pour les questions d’interopérabilité sur les réseaux de communication (sous-amendement n° 264). Sur demande du ministre de la Culture, il rectifie son texte pour prévoir que l’Autorité peut (et non doit) recueillir l’avis de l’ARCEP.

L’UDF précise que la rémunération appropriée pour l’accès aux informations essentielles à l’interopérabilité doit être limitée aux frais de logistique engagés pour les mettre à disposition, afin d’éviter qu’on impose aux petites entreprises françaises du logiciel libre des prix qu’elles ne pourraient supporter (sous-amendement n° 269).

M. Karoutchi et des collègues du groupe UMP proposent d’inscrire dans la loi (sous- amendement n° 241 rectifié bis) que « le bénéficiaire de l'interopérabilité ne peut publier le code source et la documentation technique de son logiciel indépendant et interopérant que s'il apporte la preuve avec certitude que celle-ci n'aurait pas pour effet de porter atteinte à l'intégrité du contenu, et à la sécurité et à l'efficacité de ladite mesure technique ». Cela éviterait, selon eux, la diffusion du code de la MTP qui permettrait alors en pratique de la contourner.

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Quelques amendements concernent ensuite la procédure auprès de l’Autorité de régulation (procédure contradictoire, recours suspensif) ainsi que la possibilité qu’elle aurait de saisir le Conseil de la concurrence en cas d’abus de position dominante ou de pratiques entravant la concurrence liées au mesures techniques de protection.

L’amendement n° 18 du rapporteur est alors mis aux voix et adopté à une très courte majorité (164 voix pour et 159 voix contre, la majorité absolue étant fixée à 162 voix).

Le débat se poursuit sur l’article 7 bis, une nouveauté introduite par les députés lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale. Il concerne les logiciels susceptibles de prendre le contrôle d’ordinateurs distants, que M. Retailleau (NI) qualifie de « logiciels espions ». Le texte prévoit une déclaration préalable auprès du service de l’État chargé de la sécurité des systèmes d’information pour toute importation ou transfert depuis un État membre de la Communauté, la fourniture ou l’édition de tels logiciels. On pense ici à l’émotion suscitée par la découverte d’un tel dispositif sur des CD vendus à l’été par Sony. M. Thiollière demande tout d’abord la suppression de cet article (amendement n° 19) puis retire, à l’étonnement de M. Charasse, son amendement. L’article 7 bis est donc adopté.

Le groupe CRC souhaite ensuite insérer un article additionnel pour renforcer le rôle de la CNIL : « Le traitement des données à caractère personnel par les logiciels susceptibles de traiter des œuvres protégées et intégrant des mesures techniques permettant le contrôle à distance direct ou indirect d'une ou plusieurs fonctionnalités ou l'accès à des données personnelles est soumis à l'autorisation préalable de la Commission nationale de l'informatique et des libertés » (amendement n° 173). Mais le ministre rappelle que la loi de 1978, modifiée en 2004, s’applique déjà dans cette hypothèse. L’amendement n’est pas adopté.

C’est au tour de la question sensible de l’exception pour copie privée d’être abordée, à travers l’examen de l’article 8 du projet de loi. Il prévoit notamment que « le droit au bénéfice de l'exception pour copie privée est garanti par les dispositions du présent article et des articles L. 331-7 à L. 331-9. Les titulaires de droits mentionnés à l'article L. 331-5 prennent, dans un délai raisonnable, le cas échéant après accord avec les autres parties intéressées, les mesures qui permettent le bénéfice effectif des exceptions définies aux 2°) et 7°) de l'article L. 122-5 et aux 2°) et 6°) de l'article L. 211-3 dès lors que les personnes bénéficiaires d'une exception ont un accès licite à une œuvre ou à un phonogramme, vidéogramme ou programme, que l'exception ne porte pas atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ou d'un autre objet protégé et qu'il n'est pas causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur cette œuvre ou cet objet protégé. Les titulaires de droits ont la faculté de prendre des mesures permettant de limiter le nombre de copies ». Il renvoie également au collège des médiateurs pour fixer « les modalités d'exercice de la copie privée (…) en fonction, notamment, du type d'œuvre ou d'objet protégé, du support et des techniques de protection disponibles » et exige une information des consommateurs en cas de mise en œuvre de mesures techniques sur les œuvres qu’ils achètent.

Michèle Thiollière, toujours au nom de la commission, souhaite confier ce rôle à l’Autorité de régulation des mesures techniques, qui déterminerait le nombre minimal de copies autorisées « en fonction du type d'œuvre ou d'objet protégé, des divers modes de communication au public, et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles ». À noter qu’il prévoit d’associer les associations de consommateur à cette démarche. Le groupe UDF veut, de son côté, élargir la saisine de cette Autorité aux étudiants, enseignants et chercheurs (sous-amendement n° 53). Le ministre l’accepte après une

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Feuilleton DADVSI modification prévoyant son application à compter du 1er janvier 2009. Le sous- amendement est alors adopté. Michel Charasse désire en limiter les pouvoirs en prévoyant qu’elle pourra simplement formuler des recommandations (sous-amendement n° 75).

Quelques amendements concernent ensuite l’exception de copie privée en tant que telle : désactivation des MTP lorsque l’œuvre n’est plus protégée par le droit d'auteur afin d’en permettre la copie, garantie d’au moins une copie minimum et absence de prise en compte du support (en réaction à l’arrêt de la Cour de cassation du 28 février dernier dans l’affaire Mulholland Drive pour un DVD), copie privée en matière de télévision cryptée, estimation de la durée de vie du support si le nombre de copie est limité techniquement (le ministre indique que c’est impossible !), …

Le groupe CRC revient sur le fonctionnement de l’Autorité de régulation et insiste pour que la contestation de ses décisions se fasse d’abord devant le TGI puis devant la Cour d’appel de Paris (sous-amendement n° 253).

Le sous-amendement n° 248 qui prévoit, sur l’initiative du groupe CRC là encore, de remplacer le mot « exception » par le mot « droit » pour qualifier la copie privée, est soumis aux voix par scrutin public et largement repoussé : 201 voix contre et seulement 27 pour !

L’amendement n° 20 rectifié bis, sous-amendé, est ensuite adopté. L’article 8 prévoit donc que « le bénéfice de l'exception pour copie privée et des exceptions mentionnées au présent article est garanti conformément aux dispositions suivantes. L'Autorité de régulation des mesures techniques visée à l'article L. 331-7 veille à ce que la mise en œuvre des mesures techniques de protection n'ait pas pour effet de priver les bénéficiaires des exceptions définies au 2°, à compter du 1er janvier 2009, au e du 3°, aux 7° et 8° de l'article L. 122-5 ainsi qu'aux 2°, 6° et 7° de l'article L. 211-3 de leur exercice effectif. Elle détermine les modalités d'exercice des exceptions précitées et fixe notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception pour copie privée, en fonction du type d'œuvre ou d'objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles » (art. L. 331-6). Si les titulaires de droits se voient reconnaître la possibilité de limiter le nombre de copies via l’insertion de MTP, ils doivent cependant prendre « les dispositions utiles pour que leur mise en œuvre ne prive pas les bénéficiaires des exceptions visées à l'article L. 331-5 de leur exercice effectif », en accord notamment avec les associations agréées de consommateurs. Le test des trois étapes est ici réintroduit avec l’obligation de « veiller à ce qu'elles [ces dispositions] n'aient pas pour effet de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droits sur l'œuvre ou l'objet protégé, ni de porter atteinte à son exploitation normale » (art. L. 331-6-1). Une réserve est apportée dans la cadre de relations contractuelles entre les parties : « Les titulaires de droits ne sont cependant pas tenus de prendre ces dispositions lorsque l'œuvre ou un autre objet protégé par un droit voisin sont mis à disposition du public selon des dispositions contractuelles convenues entre les parties, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit » (art. 331-6-2). La disposition concernant les chaînes cryptées est également adoptée. L’article L. 331-6- 3 dispose ainsi que « les éditeurs et les distributeurs de services de télévision ne peuvent recourir à des mesures techniques qui auraient pour effet de priver le public du bénéfice de l'exception pour copie privée, y compris sur un support et dans un format numérique, dans les conditions mentionnées au 2° de l'article L. 122-5 et au 2° de l'article L. 211-3. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel veille au respect de ces obligations dans les

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Feuilleton DADVSI conditions définies par l'article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ». Le consommateur doit aussi être informé des MTP qui protègent l’œuvre (art. L. 331-6- 4). S’agissant de la saisine de l’Autorité de régulation, elle est ouverte à « toute personne bénéficiaire des exceptions désignées aux 2° et 8° de l'article L. 122-5 ainsi qu'au 2°, à compter du 1er janvier 2009, au e du 3° et au 7° de l'article L. 211-3 ou toute personne morale agréée qui la représente » (art. L. 331-6-5) ainsi qu’aux « personnes morales et (…) établissements chargés, en application du 7° de l'article L. 122-5, de réaliser des reproductions ou des représentations d'une œuvre ou d'un objet protégé adaptées aux personnes handicapées » (art. L. 331-6-6). Il est prévu que « dans le respect des droits des parties, l'Autorité de régulation des mesures techniques favorise ou suscite une solution de conciliation. Lorsqu'elle dresse un procès-verbal de conciliation, celui-ci a force exécutoire ; il fait l'objet d'un dépôt au greffe du tribunal d'instance. À défaut de conciliation, l'Autorité de régulation des mesures techniques, après avoir mis les intéressés à même de présenter leurs observations, prend une décision motivée de rejet de la demande ou émet une injonction prescrivant, au besoin sous astreinte, les mesures propres à assurer le bénéfice effectif de l'exception. L'astreinte prononcée par l'autorité est liquidée par cette dernière. Ces décisions, ainsi que le procès-verbal de conciliation, sont rendues publics dans le respect des secrets protégés par la loi. Elles sont notifiées aux parties qui peuvent introduire un recours devant la cour d'appel de Paris. Le recours a un effet suspensif » (art. L. 331-6- 7). Enfin, un décret en Conseil d'État viendra préciser les conditions d'application des articles L. 331-6 à L. 331-6-7 (art. L. 331-6-8).

À suivre…

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Episode 17 : « P2P… traques sur Internet »

Résumé de la 2ème partie de la séance du 10 mai 2006 au Sénat

La séance se poursuit par l’examen de l’article 9. Dans le texte émanant de l’Assemblée nationale, il s’agissait de fixer le rôle et la composition du Collège des médiateurs. On a vu dans l’épisode précédent que cette institution a disparu au Sénat et a été remplacée par l’Autorité de régulation des mesures techniques.

La sénatrice socialiste Catherine Tasca, se référant encore au Collège des médiateurs, souhaite en améliorer la représentativité en l’appuyant à la fois sur le CSPLA, la commission « copie privée » et la commission chargée du contrôle des comptes des SPRD. Elle s’oppose ainsi à la création d’une nouvelle entité.

L’amendement n° 210 déposé par des sénateurs rattachés au groupe socialiste propose tout simplement de supprimer l’article 9. Est stigmatisée ici l’atteinte portée aux compétences du Parlement, la nouvelle « autorité » exerçant à la fois des pouvoirs de régulation et d’arbitrage. Mis aux voix, cet amendement n’est pas adopté (120 pour et 161 contre).

L’amendement n° 21 rectifié bis est défendu par le gouvernement. Il prévoit que « l'Autorité de régulation des mesures techniques de protection assure une mission générale de veille dans les domaines des mesures techniques de protection et d'identification des œuvres et des objets protégés par le droit d'auteur ou par les droits voisins », avec remise d’un rapport annuel au gouvernement et au Parlement sur les évolutions constatées dans ce domaine et leur impact prévisible sur la diffusion des contenus culturels ainsi que sur le périmètre de la copie privée. Composée de cinq membres nommés par décret (le président de la commission, un conseiller d'État, un magistrat de l'ordre judiciaire, un conseiller maître à la Cour des Comptes et un membre désigné en raison de ses compétences en matière de technologies de l'information) et élus pour six ans (avec un certain nombre d’incompatibilités), l'Autorité de régulation peut faire appel à des experts. Ses décisions sont prises à la majorité des voix. Cet amendement reçoit l’avis favorable du rapporteur et est adopté par scrutin public (167 voix pour et 122 voix contre).

Le groupe CRC souhaite élargir la composition de cette entité en l’ouvrant à des représentants des sociétés d’auteur, des organisations professionnelles et des internautes (sous-amendement n° 254), mais cette disposition est repoussée.

L’article 10 fait ensuite l’objet de l’examen des sénateurs. Prévoyant d’insérer un nouvel article L. 331-10 dans le Code de la propriété intellectuelle, il concerne les informations électroniques relatives au régime des droits afférents à l’œuvre.

Pour le groupe CRC, ces informations doivent être disponibles dans un format ouvert au public (amendement n° 156), sans coût ni condition. Cet amendement n’est pas adopté et l’article 10 est voté sans plus ample débat. Il dispose donc que « les informations sous forme électronique concernant le régime des droits afférents à une œuvre, autre qu'un logiciel, une interprétation, un phonogramme, un vidéogramme ou un programme, sont protégées dans les conditions prévues au présent titre, lorsque l'un des éléments d'information, numéros ou codes est joint à la reproduction ou apparaît en relation avec la communication au public de l'œuvre, de l'interprétation, du phonogramme, du

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Feuilleton DADVSI vidéogramme ou du programme qu'il concerne. On entend par information sous forme électronique toute information fournie par un titulaire de droits qui permet d'identifier une œuvre, une interprétation, un phonogramme, un vidéogramme, un programme ou un titulaire de droit, toute information sur les conditions et modalités d'utilisation d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, ainsi que tout numéro ou code représentant tout ou partie de ces informations ».

L’article 11 du projet de loi complète l’article L. 332-1 du Code pour faire rentrer les atteintes aux MTP dans le champ d’application de la saisie-contrefaçon. Annie David (CRC) déplore que la culpabilité des internautes utilisant les systèmes de P2P soit ainsi présumée. Son groupe a déposé un amendement visant à supprimer cet article (amendement n° 157). Il reçoit bien évidemment l’avis défavorable du rapporteur et du ministre est n’est donc pas adopté. L’article 11 reste donc identique à la version de l’Assemblée nationale.

L’article 12, dans la continuité, prévoit que « les officiers de police judiciaire compétents peuvent procéder, dès la constatation des infractions prévues aux articles L. 335-4 à L. 335-4-2, à la saisie des phonogrammes et vidéogrammes reproduits illicitement, des exemplaires et objets fabriqués ou importés illicitement, de tout exemplaire, produit, appareil, dispositif, composant ou moyen portant atteinte aux mesures techniques et aux informations mentionnées respectivement aux articles L. 331-5 et L. 331-10 ainsi qu'à la saisie des matériels spécialement installés en vue de tels agissements ». Mme Morin-Desailly (UDF) rappelle que la directive exige des sanctions proportionnées, dissuasives et efficaces. Si elle se réjouit du retour à des sanctions proportionnées dans le projet de loi tel qu’adopté par les députés, elle considère qu’elles ne seront pas dissuasives dans ce sens qu’il sera impossible de poursuivre les internautes en pratique. Elle regrette les mesures préventives et pédagogiques qui étaient prévues dans le projet à l’origine.

L’amendement n° 158 de Jack Ralite pour le groupe CRC, visant à la suppression de cet article, est à nouveau repoussé. L’article 12 est donc adopté.

L’article 12 bis organise le régime des sanctions : « Est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende, le fait : 1° D'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un dispositif manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés ; 2° D'inciter sciemment, y compris à travers une annonce publicitaire, à l'usage d'un logiciel mentionné au 1°. Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur ».

Le groupe CRC demande encore la suppression de cet article, tout comme un groupe de sénateurs rattachés au PS, considérant que ces dispositions peuvent remettre en cause certains usages licites. Leurs amendements ne sont pas retenus.

Un certain nombre d’amendements proposent de remplacer « manifestement » par « explicitement » mais le rapporteur estime que l’article 12 bis est déjà assez précis quant à l’intention délictuelle et la vocation coupable du logiciel P2P concerné.

Michel Thiollière souhaite seulement remplacer le mot « dispositif » par celui de « logiciel » et supprimer le dernier alinéa du texte, qu’il considère comme superflu (amendement n° 22). L’article 12 bis, ainsi modifié, est alors adopté.

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L’article 13, toujours dans le domaine des sanctions pénales, dispose que le fait de porter atteinte à une MTP ou à un élément d’information est puni de 3 750 € d'amende. Est également puni de six mois d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende, « le fait de procurer ou proposer sciemment à autrui, directement ou indirectement, des moyens conçus ou spécialement adaptés pour porter atteinte à une mesure technique efficace (…) en fabriquant ou en important une application technologique, un dispositif ou un composant, à des fins autres que la recherche ; en détenant en vue de la vente, du prêt ou de la location, en offrant à ces mêmes fins ou en mettant à disposition du public sous quelque forme que ce soit une application technologique, un dispositif ou un composant ; en fournissant un service à cette fin ; en incitant à l'usage ou en commandant, concevant, organisant, reproduisant, distribuant ou diffusant une publicité en faveur de l'un des procédés (…) ». Le texte précise que ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d'interopérabilité ou de sécurité informatique. Les mêmes sanctions sont applicables pour « le fait de procurer ou proposer sciemment à autrui, directement ou indirectement, des moyens conçus ou spécialement adaptés pour supprimer ou modifier, même partiellement, un élément d'information visé à l'article L. 331-10, dans le but de porter atteinte à un droit d'auteur, de dissimuler ou de faciliter une telle atteinte ». Est également puni de six mois d'emprisonnement et de 30 000 € d'amende, « le fait, sciemment, d'importer, de distribuer, de mettre à disposition du public sous quelque forme que ce soit ou de communiquer au public, directement ou indirectement, une œuvre dont un élément d'information mentionné à l'article L. 331-10 a été supprimé ou modifié dans le but de porter atteinte à un droit d'auteur, de dissimuler ou de faciliter une telle atteinte ». Là encore, ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins de recherche, d'interopérabilité ou de sécurité informatique.

Le groupe CRC propose de supprimer les peines d’emprisonnement en cas d’atteinte aux MTP (amendement n° 178). Il se heurte à l’opposition du ministre qui rappelle que l’internaute ne risque plus la prison mais qu’en revanche, celui qui fournit les moyens de contourner les mesures techniques doit être sanctionné plus sévèrement.

L’amendement n° 215 vise à élargir l’exclusion des dispositions de l’article 13 aux « actes réalisés à des fins d'interopérabilité, de recherche, de sécurité informatique, de protection de la vie privée, ou pour l'usage licite de l'œuvre ou de l'objet protégé ». Il n’est pas adopté.

M. Thiollière, au contraire, supprime la référence à l’interopérabilité dans son amendement n° 23… mais sans plus de succès. Son amendement est également repoussé.

L’article 13 est donc adopté sans modification par rapport à sa version votée à l’Assemblée nationale. Il en va de même de l’article 14, qui transpose les mêmes sanctions en matière de droits voisins.

L’article 14 bis traite du téléchargement, prévoyant que « les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables à la reproduction non autorisée, à des fins personnelles, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme mis à disposition au moyen d'un service de communication au public en ligne. Elles ne s'appliquent pas non plus à la communication au public, à des fins non commerciales, d'une œuvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme au moyen d'un service de communication au public en ligne, lorsqu'elle résulte automatiquement et à titre accessoire de leur reproduction dans les conditions visées au premier alinéa. Les actes visés aux deux alinéas précédents constituent des contraventions prévues et réprimées par décret en Conseil d'État ».

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L’amendement n° 25 rectifié de la commission des Affaires culturelles est adopté. Il précise que la contravention s’applique dans le cadre des logiciels d’échange pair à pair. L’amendement n° 56 du groupe UDF va dans le même sens. Le groupe CRC exclut la contravention pour les actes de reproduction à des fins d’usage privé, ne souhaitant sanctionner que la mise à disposition de l’œuvre pendant le téléchargement (amendement n° 182). Il reçoit un avis défavorable du rapporteur qui estime que « le chargement illicite ne peut pas être assimilé à une copie privée ».

L’article 14 bis, ainsi modifié, est adopté par les sénateurs.

La discussion continue sur la façon dont vont être constatées les infractions. L’amendement n° 105 de Gérard Longuet prévoit que « lorsqu'elles sont effectuées par des dispositifs, logiciels ou tout autre moyen informatique ou électronique ayant fait l'objet d'une homologation par arrêté conjoint du ministre de la culture et du ministre de l'intérieur, les constatations relatives aux reproductions ou représentations illicites au moyen d'un service de communication au public en ligne font foi jusqu'à preuve du contraire. Pour l'application des dispositions relatives à l'amende forfaitaire, le lieu du traitement automatisé des informations nominatives concernant les constatations effectuées par les appareils de contrôle automatisé est considéré comme le lieu de constatation de l'infraction ». Le rapporteur estime que cet amendement, tel qu’il est rédigé, ne présente pas toutes les garanties procédurales relatives à l’identification des auteurs de l’infraction. Le ministre rappelle qu’il ne souhaite pas appliquer un contrôle massif sur le Net et rassure le sénateur, qui retire alors son amendement.

Dans son amendement n° 102, ce même sénateur renforce les sanctions prévues contre l’internaute qui télécharge illégalement pour les porter à 3750 euros d’amende dès qu’il a téléchargé ou mis à disposition au moins vingt œuvres audiovisuelles ou deux cent autres types d’œuvres. Des députés UMP élèvent légèrement ce seuil à 25 et 250 œuvres (amendement n° 273 rectifié). Le rapporteur rappelle que le projet de loi, dans sa version au Sénat, n’a pas voulu instaurer un délit pour ces actes. Il se prononce donc contre ces amendements, tout en interrogeant le ministre sur la manière dont il compte constater les infractions. Le ministre lui répond qu’une contravention plus lourde en cas de téléchargement important sera créée par décret par la gouvernement. S’agissant de la recherche des infractions, il indique que les œuvres seront surveillées sur les logiciels d’échange, par la police ou la gendarmerie, relevant les adresses IP et demandant ensuite l’identification des abonnés auprès des FAI, le juge statuant toujours au final sur la condamnation ou la relaxe de l’internaute.

Après une suspension de séance de deux heures, la séance reprend avec l’examen de l’amendement n° 103 de MM. Dufaut et Longuet (UMP) prévoyant de responsabiliser le titulaire de l’abonnement internet en exigeant qu’il sécurise son accès afin d’éviter l’utilisation de son poste pour des activités de partage illicite. Il est adopté après avoir reçu un avis favorable du rapporteur et du ministre.

L’article 14 ter, consacré à des dispositions rédactionnelles, est adopté sans réel débat (seulement un amendement de coordination).

L’article 14 quater est en revanche plus discuté. Rappelons qu’il organise le régime de responsabilité civile des éditeurs de logiciels P2P. Les sénateurs socialistes et communistes en demandent en vain la suppression (amendements n° 134 et 164).

Le rapporteur propose une nouvelle rédaction pour cet article (amendement n° 26 rectifié). Le nouveau chapitre VI inséré dans le Code de la propriété intellectuelle

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Feuilleton DADVSI concerne la « prévention du téléchargement illicite » et prévoit de constituer un « registre public » dans lequel les auteurs inscrivent les informations d’identification et de gestion des droits relatifs à leurs œuvres en ligne. S’agissant de la responsabilité civile des éditeurs de logiciels P2P, l’amendement confie au président du TGI, statuant en référé, le soin d’ordonner sous astreinte à l’éditeur « toutes mesures nécessaires à la protection » des droits des auteurs. La commission avait pourtant quelques jours plus tôt voté contre le principe de la responsabilité civile des éditeurs. C’est donc un véritable revirement sur cette question. Mis aux voix, cet amendement est adopté à une légère majorité (165 voix pour, 145 voix contre) et devient donc l’article 14 quater.

MM. Dufaut et Longuet s’intéressent ensuite aux règles de compétence en matière de propriété littéraire et artistique. Ils veulent centraliser les conflits en la matière entre les mains des TGI et cours d’appels auxquels ils sont rattachés, sauf pour les contraventions, relevant du tribunal de police. Le ministre leur répond que c’est déjà le cas, et ils retirent leur amendement.

L’article 14 quinquies, qui prévoit une obligation de sensibilisation des abonnés par les FAI, est adopté rapidement, modifié par un seul amendement (n° 27) prévoyant qu’un décret en Conseil d’État fixera les modalités de diffusion des messages de sensibilisation.

Deux amendements identiques (n° 45 pour l’UMP et 57 pour l’UDF) prévoient qu’« un service de vente ou de mise à disposition en ligne d'œuvres, interprétations, phonogrammes, vidéogrammes ou programmes audiovisuels, doit accepter les transactions avec tout logiciel client interopérable. Tout dispositif d'exclusion, dont la présence n'est pas techniquement nécessaire pour réaliser la transaction, est assimilable à un refus de vente ». Mais Michel Thiollière rappelle que l’Autorité de régulation des mesures techniques a vocation à traiter ces questions. Les amendements ne sont donc pas adoptés.

Le débat en vient aux bases de données à travers l’examen de l’article 15 du projet de loi. Celui-ci protège les mesures techniques efficaces ainsi que les informations électroniques relatives au régime des droits du producteur mises en œuvre sur les bases de données et exige des producteurs qu’ils prennent dans un délai raisonnable toutes les mesures qui permettent de bénéficier des exceptions prévues par le Code. Légèrement amendé (coordination, remplacement du collège des médiateurs par l’autorité de régulation…), cet article est adopté. Le groupe CRC propose d’insérer un nouvel article additionnel concernant le contenu des droits des artistes-interprètes. Il soumet à l'autorisation écrite de l'artiste-interprète, « la fixation de sa prestation, sa reproduction, sa mise à disposition du public par la vente, l'échange, le prêt et le louage, et sa communication au public, y compris sa mise à la disposition du public, par fil ou sans fil, de manière que chacun puisse y avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l'image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l'image. Cette autorisation et les rémunérations auxquelles elle donne lieu sont régies par les dispositions des articles L. 762-1 et L. 762-2 du code du travail, sous réserve des dispositions de l'article L. 212-6 du présent code. En ce qui concerne spécifiquement la location, les titulaires du droit voisin, tels les artistes-interprètes, bénéficient d'un droit à rémunération équitable payée par les personnes qui louent des phonogrammes ou des vidéogrammes. Ce droit à rémunération équitable doit être exercé par une société de perception et de répartition des droits agréée à cet effet par le Ministre chargé de la Culture. Cet agrément est délivré en considération des critères énumérés à l'article L. 132-20-1. Un décret en Conseil d'État fixe les conditions de délivrance et de retrait de l'agrément ». Malgré l’avis défavorable du rapporteur et du ministre, l’amendement n° 165 est mis aux voix et adopté.

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L’article 15 bis, qui fait ensuite l’objet de toute l’attention des sénateurs, concerne le renversement de la jurisprudence Parly II de la Cour de cassation du 1er mars 2005 (v. le Flash IRPI du 18 mars 2005 pour plus de détails). Le texte adopté par les députés prévoit que « l'acheminement, à l'intérieur d'un même ensemble d'habitations, à l'initiative du gestionnaire de cet ensemble d'habitations, du signal télédiffusé d'origine reçu au moyen d'une antenne collective, ne constitue pas une télédiffusion distincte » (art. L. 122-2). Michel Charasse critique la jurisprudence de la Cour de cassation et propose une nouvelle rédaction pour cet article 15 bis : « L'autorisation de télédiffuser une œuvre par voie hertzienne comprend la distribution de cette télédiffusion sur les réseaux internes aux immeubles ou ensembles d'immeubles collectifs à usage d'habitation installés par leurs propriétaires ou copropriétaires, ou par les mandataires de ces derniers, à seule fin de permettre le raccordement de chaque logement à des dispositifs collectifs de réception des télédiffusions par voie hertzienne normalement reçues dans la zone ». Le ministre s’y déclare favorable sous réserve de limiter cette disposition à la réception des chaînes gratuites et si le raccordement a lieu à des fins non commerciales. Mais comment distinguer quand les antennes recevront à la fois des chaînes gratuites et payantes ? Renaud Donnedieu de Vabres s’en remet alors à la sagesse du Sénat… qui adopte l’amendement de M. Charasse, sans distinguer selon le caractère gratuit ou non des chaînes reçues.

Le groupe CRC tente à nouveau d’introduire dans le débat l’idée d’une mise à contribution des FAI pour financer le secteur culturel. Jack Ralite propose ainsi de créer une taxe de 0,5 % sur le chiffre d'affaires des FAI, ainsi que sur le chiffre d'affaires réalisé en France par les fabricants de matériel informatique (amendement n° 171 rectifié). Il reçoit un avis défavorable du rapporteur puis du ministre, qui préfère encourager la voie contractuelle.

Le même Jack Ralite défend ensuite la création d’un établissement public à caractère administratif, placé sous l'autorité du ministère de la Culture, chargé, en collaboration avec les FAI, « d'observer l'audience en ligne des œuvres musicales et cinématographiques et de calculer la juste rémunération des ayants droits y correspondant ». Il prévoit que les SPRD concluront une cession de droits avec les FAI qui feront payer à leurs abonnés le prix correspondant aux œuvres téléchargées calculé par ledit établissement public. Sur le modèle de la Carte orange, l'État et les collectivités locales qui le souhaiteraient pourraient prendre à leur charge la facture de l'usager, en fonction de son revenu ! Ce dispositif n’est pas adopté par les sénateurs, même si la piste est qualifiée de « généreuse » par le rapporteur.

À suivre…

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Episode 18 : « Un cavalier… qui surgit hors de la nuit ! »

Résumé de la 3ème partie de la séance du 10 mai 2006 au Sénat

La discussion continue autour des articles 16 à 18 du projet de loi, consacrés au droit d’auteur des agents publics. Rappelons (et regrettons le, par la même occasion !) qu’il s’agit d’un véritable « cavalier législatif », la directive du 22 mai 2001 ne traitant bien évidemment pas de cette question.

L’article 16 complète le troisième alinéa de l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle pour prévoir qu’il n’est pas dérogé à la jouissance du droit d’auteur « lorsque l’auteur de l’œuvre de l’esprit est un agent de l’État, d’une collectivité territoriale, d’un établissement public à caractère administratif, d’une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale ou de la Banque de France ». On reconnaît donc expressément à l’auteur agent public la titularité des droits d’auteur. Mais nous verrons ensuite que c’est pour mieux y déroger ! Notons tout de même que le régime particulier mis en place pour les agents publics ne concerne pas les « agents auteurs d'œuvres dont la divulgation n'est soumise, en vertu de leur statut ou des règles qui régissent leurs fonctions, à aucun contrôle préalable de l'autorité hiérarchique ». Les universitaires qui s’inquiétaient de la mise en place de ce régime pour leur liberté et leur indépendance scientifique seront rassurés.

Jack Ralite en profite pour proposer d’exclure la compétence des conseils des prud’hommes en cas de conflit entre un auteur salarié et son employeur en matière de droit d'auteur (amendement n° 170). Le ministre lui répond qu’il va consulter le CSPLA sur cette question et donne un avis défavorable à cet amendement, qui n’est pas adopté.

L’article 16 reçoit l’approbation des sénateurs.

L’article 17 réduit les prérogatives de droit moral reconnues à l’auteur agent public. Ce dernier ne peut s’opposer « à la modification de l'œuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation » et ne peut « exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique ». Des sénateurs socialistes tentent en vain de défendre le droit à l’intégrité de l’œuvre (amendements n° 219, 220 et 221) mais le ministre émet un avis défavorable.

L’article 17 est adopté sans modification.

L’article 18 règle les questions relatives au droit patrimonial des agents public créateurs. Il dispose que « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une œuvre créée par un agent de l'État dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'État. Pour l'exploitation commerciale de l'œuvre mentionnée au premier alinéa, l'État ne dispose envers l'agent auteur que d'un droit de préférence. Cette disposition n'est pas applicable dans le cas d'activités de recherche scientifique d'un établissement public à caractère scientifique et technologique ou d'un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, lorsque ces activités font l'objet d'un contrat avec une personne morale de droit privé » (art. L. 131-3-1). Cela couvre à la fois les collectivités territoriales, les établissements publics à caractère administratif, les autorités administratives indépendantes dotées de la personnalité morale et la Banque de France pour les œuvres créées par leurs agents dans l'exercice de leurs

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Feuilleton DADVSI fonctions ou d'après les instructions reçues. Un décret en Conseil d'État viendra notamment fixer les conditions dans lesquelles un agent public peut être intéressé aux produits tirés de l’exploitation de son œuvre lorsque l’administration aura retiré un avantage d'une exploitation commerciale ou non commerciale de cette œuvre.

Mmes Blandin, Boumediene-Thiery, Voynet et M. Desessard (rattachés PS) présentent un amendement garantissant que le nom de l’auteur sera toujours mentionné, mais le rapporteur et le ministre leur rétorquent que la cession prévue dans la loi au profit de l’administration ne porte pas atteinte au droit de paternité.

L’article 18 est adopté sans plus de débat.

Michel Charasse avance ensuite deux amendements (n° 79 et 80) relatifs au fonctionnement des sociétés de gestion collective. Se référant au rapport annuel de la Commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits, présidée par Bernard Menasseyre, il souhaite que les titulaires de droits puissent, sur leur demande, être admis comme associés d’une SPRD, qu’ils puissent exercer individuellement certains de leurs droits ou encore en confier la gestion à une autre société de gestion collective. Il demande également à ce que les produits financiers et patrimoniaux de ces sociétés soient intégralement reversés aux auteurs.

Le ministre de la Culture lui répond que les auteurs peuvent librement quitter les sociétés de gestion collective quand ils le souhaitent, qu’ils peuvent déjà fractionner leurs apports de droits, que les autorités de la concurrence peuvent être saisies en cas de pratiques abusives et que ces sociétés sont soumises à un devoir de loyauté à l’égard de leurs membres. Les deux amendements sont repoussés.

La suite de la discussion porte alors sur l’article 19 qui prévoit l’intervention du ministre de la Culture dans l’hypothèse où des dispositions des statuts, du règlement général ou d'une décision des organes sociaux des SPRD seraient non conformes à la réglementation en vigueur. Dans ce cas, le ministre peut saisir le TGI pour les obliger à mettre en conformité ces dispositions ou décisions. Un amendement (n° 83 de M. Charasse) est adopté sur ce texte, pour allonger le délai de mise en conformité (deux mois si l’intervention de l’assemblée des associés n’est pas nécessaire, six mois dans le cas contraire). L’article 19 ainsi modifié est adopté.

Michel Charasse présente ensuite un amendement (n° 84 rectifié) visant à renforcer l’information des associés, en se fondant sur l’article 1855 du Code civil (« Les associés ont le droit d'obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d'un mois »). Avis favorable du rapporteur mais défavorable du ministre. L’amendement est adopté et devient donc article additionnel.

Le groupe UDF souhaite augmenter le pourcentage de la rémunération pour copie privée destinée à financer des actions d’aide à la création, de formation des artistes et à la diffusion du spectacle vivant (amendement n° 59). De 25 % on passerait à 30 %. Michel Charasse propose tout l’inverse, en diminuant cette ponction, pour la faire passer à 5 % seulement, considérant que cet argent appartient aux auteurs. Ces deux amendements sont rejetés. On reste donc au taux actuel de 25 %.

Michel Charasse, persévérant, désire alors limiter les actions financées par cette contribution. Son amendement n° 86 tente de les définir restrictivement. Il est adopté, malgré l’avis défavorable du ministre. Il s’agit donc « pour l'aide à la création, des

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Feuilleton DADVSI concours apportés à la création d'une œuvre, à son interprétation, à la première fixation d'une œuvre ou d'une interprétation sur un phonogramme ou un vidéogramme ; pour l'aide à la diffusion du spectacle vivant, des concours apportés à la production, à la représentation et à la promotion des spectacles vivants ; pour l'aide à la formation, des concours apportés à des actions de formation d'auteurs ou d'artistes-interprètes ».

Nouvel amendement sur l’article 20 du sénateur socialiste, décidément très concerné par les questions de gestion collective : il veut généraliser le régime du mandat (amendement n° 87). Il estime en effet que « l'"apport cession" pose un certain nombre de problèmes. Il s'agit d'un "contrat innommé", qui ne s'analyse ni comme un apport en société ni comme un apport à titre onéreux. Quant à la qualification de "contrat fiduciaire", elle est de pure fantaisie, la fiducie n'existant pas en droit français, en tout cas, pas encore. Il ne comporte pour l'associé que des désavantages par rapport au mandat. Il a pour effet d'incorporer les droits aux actifs de la société, ce qui interdirait aux associés d'en recouvrer la propriété en cas de procédure collective. Il n'est en rien indispensable pour donner aux SPRD les moyens d'exercer leur mission ». Cet amendement n’est pas adopté et l’article 20 est adopté sans modification.

L'amendement n° 88, présenté par M. Charasse, qui prévoit que « les sociétés de perception et de répartition des droits constituent, pour mener les actions de prévoyance de solidarité et d'entraide bénéficiant à leurs associés ou aux ayants droit de ces derniers, des personnes morales de droit privé régies par les dispositions du code de la mutualité » est retiré suite à l’avis défavorable du rapporteur et du ministre.

L’article 20 bis organise un système de crédit d’impôt pour les dépenses de production d’œuvres phonographiques. Il prévoit que « les entreprises de production phonographique au sens de l'article L. 213- 1 du Code de la propriété intellectuelle, soumises à l'impôt sur les sociétés et existant depuis au moins trois années, peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de production, de développement et de numérisation d'un enregistrement phonographique ou vidéographique musical (vidéomusique ou disque numérique polyvalent musical) (…), à condition de ne pas être détenues, directement ou indirectement, par un éditeur de service de télévision ou de radiodiffusion ». Un certain nombre de conditions doivent être remplies pour en bénéficier, notamment que les productions soient réalisées avec le concours de personnel non permanent de l'entreprise, par des entreprises et industries techniques liées à la production phonographique qui sont établies en France ou dans un État membre de l'Espace économique européen, pour des productions phonographiques d'albums de nouveaux talents et de compositeurs européens ou d'artistes-interprètes de musiques instrumentales qui n'ont pas dépassé le seuil de 100 000 ventes pour deux albums distincts précédant ce nouvel enregistrement, etc.

Ce crédit d'impôt est égal à 20 % du montant total des dépenses engagées (frais de personnel, dépenses liées à l'utilisation des studios d'enregistrement ainsi qu'à la location et au transport de matériels et d'instruments, frais de répétition, dépenses engagées afin de soutenir la production de concerts de l'artiste ou liées à la création d'un site internet qui lui est dédié. La somme des crédits d'impôt calculés au titre des dépenses éligibles ne peut excéder 500 000 € par entreprise et par exercice.

Quelques amendements de précision, acceptés par le gouvernement, sont adoptés sur ce dispositif. L’article 20 bis, ainsi modifié, est ensuite adopté, ainsi que l’article 20 ter qui complète la loi n° 98-261 du 6 avril 1998 portant réforme de la réglementation comptable et adaptation du régime de la publicité foncière.

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Feuilleton DADVSI

Michel Thiollière défend alors un amendement (n° 35) qui indique que « les accords relatifs à la rémunération des auteurs conclus entre les organismes professionnels d'auteurs ou les sociétés civiles d'auteurs (…) et les organisations représentatives d'un secteur d'activité, peuvent être rendus obligatoires à l'ensemble des intéressés du secteur d'activité concerné par arrêté du ministre chargé de la culture ». Il s’agit d’étendre à tout un secteur des accords collectifs relatifs à la rémunération des auteurs. Michel Charasse s’étonne de cet amendement et de l’avis favorable du ministre, considérant que cette disposition serait contraire à tous les principes du droit des contrats, les droits d’auteur n’étant pas fixés par des accords collectifs. L’amendement est pourtant adopté et devient article additionnel.

L’article 21 et l’article 22 sont adoptés dans la foulée, sans modification. Ils prévoient le système du dépôt légal électronique. Le premier dispose que « les logiciels et les bases de données sont soumis à l'obligation de dépôt légal dès lors qu'ils sont mis à disposition d'un public par la diffusion d'un support matériel, quelle que soit la nature de ce support. Sont également soumis au dépôt légal les signes, signaux, écrits, images, sons ou messages de toute nature faisant l'objet d'une communication au public par voie électronique ». Le second précise que « les organismes dépositaires doivent se conformer à la législation sur la propriété intellectuelle sous réserve des dispositions particulières prévues par le présent titre ».

L’article 23, très légèrement amendé (amendement de précision) est également adopté. Il prévoit notamment que les organismes dépositaires procèdent à la collecte des documents numériques de toute nature mis à la disposition du public ou de catégories de public. Ils en informent les personnes concernées et peuvent procéder eux-mêmes à la collecte selon des procédures automatiques ou en déterminer les modalités en accord avec ces personnes. Les conditions de sélection et de consultation des informations collectées sont fixées par décret en Conseil d'État pris après avis de la CNIL.

L’article 24 demeure supprimé (pour mémoire, il prévoyait simplement dans le projet de loi initial de remplacer les mots « bibliothèque nationale » par « Bibliothèque nationale de France » dans la loi de 1992 relative au dépôt légal).

Les articles 25 et 25 bis sont adoptés sans débat. Ils prévoient de nouvelles exceptions au droit d’auteur en faveur des organismes dépositaires. L'auteur ne peut donc pas interdire aux organismes dépositaires la consultation de l'œuvre sur place par des chercheurs dûment accrédités par chaque organisme dépositaire sur des postes individuels de consultation dont l'usage est exclusivement réservé à ces chercheurs, ni la reproduction d'une œuvre, sur tout support et par tout procédé, lorsque cette reproduction est nécessaire à la collecte, à la conservation et à la consultation sur place. Il en va de même pour les droits voisins et les bases de données.

L’amendement n° 37 de Michel Thiollière, au nom de la commission, insère un article additionnel dans le projet de loi pour mettre en place un régime simplifié d’autorisation, de calcul et de versement des rémunérations dues aux artistes-interprètes par l’INA lors de l’exploitation de ses archives : « par dérogation aux articles L. 212-3 et L. 212-4 du Code de la propriété intellectuelle, les conditions d'exploitation des prestations des artistes-interprètes des archives audiovisuelles et sonores (…) et les rémunérations auxquelles ces exploitations donnent lieu sont régies par des accords conclus entre les organisations de salariés représentatives des artistes-interprètes et l'institut. Ces accords doivent notamment préciser le barème des rémunérations et les modalités de versement de ces rémunérations ».

Michel Charasse défend un sous-amendement à cette disposition prévoyant que le niveau de rémunération peut être fixé par référence à des barèmes établis par des accords. Il

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Feuilleton DADVSI considère que l'INA spolie les auteurs et les artistes-interprètes et que l’amendement de la commission est inacceptable car l’INA n’est pas employeur et les syndicats ne peuvent contracter à la place des salariés sur ces questions.

La commission et le ministre étant défavorables à ce sous-amendement, il est repoussé. L’amendement de la commission est, quant à lui, adopté et devient article additionnel.

Les articles 26, 26 bis et 27 sont ensuite adoptés. Ils attribuent à l’INA, à la Bibliothèque nationale de France ainsi qu’au CNC la mission de collecter les données dans le cadre du dépôt légal numérique.

C’est au tour du droit de suite d’être abordé. Nouveau « cavalier législatif » introduit par le ministre dans le projet de loi lors de son examen devant l’Assemblée nationale, l’article 28 A modifie l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle pour prévoir que les auteurs d'œuvres originales graphiques et plastiques, ressortissants d'un État membre de la CE ou d'un État partie à l'accord sur l’EEE, bénéficient d'un droit de suite, inaliénable, de participation au produit de toute revente d'une œuvre après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsque intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art. Cette disposition vise les œuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en quantité limitée par l'artiste ou sous sa responsabilité. À la charge du vendeur, la responsabilité de son paiement incombe au professionnel intervenant dans la revente. Les auteurs non européens et leurs ayants droit peuvent bénéficier du droit de suite sous condition de réciprocité. Il est enfin prévu qu’un décret en Conseil d'État précise notamment le montant et les modalités de calcul du droit à percevoir, ainsi que le prix de vente au-dessus duquel les ventes sont soumises à ce droit.

Un premier amendement de précision de Michel Thiollière est adopté, remplaçant le mot « revente » par le mot « vente ». Un second amendement de Yann Gaillard (UMP) prévoit qu’un accord peut intervenir entre le vendeur et le professionnel réalisant la vente permettant à ce dernier de se substituer au vendeur pour l’accomplissement de ses obligations. Il est également adopté. Un dernier amendement vient encore modifier le texte en précisant que ce droit ne s'applique pas lorsque le vendeur a acquis l'œuvre directement de l'auteur moins de trois ans avant cette vente et que le prix de vente ne dépasse pas 10 000 euros.

L’article 28 A, ainsi modifié, est ensuite adopté.

L’article 29 comprend des dispositions transitoires pour la mise en œuvre de la loi. La prolongation de la durée des droits voisins (art. 5 du projet) ne s’applique pas, par exemple, si l’interprétation, le phonogramme ou le vidéogramme n’est plus protégé au 22 décembre 2002. S’agissant du nouveau régime des créations réalisées par des agents publics, il ne sera applicable aux œuvres créées antérieurement à la loi qu’à compter de l’entrée en vigueur de cette dernière.

L’article 30, qui modifie une numérotation du Code du patrimoine, est lui aussi adopté.

À suivre…

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Episode 19 : « Au nom de la loi ! »

Résumé de la dernière partie de la séance du 10 mai 2006 et du scrutin public au Sénat

Au nom de la commission des Affaires culturelles, Michel Thiollière présente un amendement (n° 40) prévoyant que, dans les dix-huit mois suivant la promulgation de la loi, le gouvernement devra présenter un rapport au Parlement, sur la mise en œuvre des dispositions de transposition de la directive de 2001 ainsi que sur celles relatives au dépôt légal électronique.

Le groupe socialiste souhaite étendre la portée de ce rapport aux modalités de mise en œuvre d’une plate-forme publique de téléchargement pour les auteurs et artistes- interprètes absents des plates-formes commerciales de téléchargement (sous- amendement n° 258). À la différence de la disposition retenue par les députés en mars dernier, les sénateurs socialistes ouvrent cette solution à toutes les œuvres, pas seulement à celles des jeunes talents.

Jack Ralite va un peu plus loin (sous-amendement n° 256) en proposant que cette plate- forme publique bénéficie « à tout créateur vivant » et permette une rémunération à hauteur de 50 % au moins du prix de vente publique !

David Assouline (PS) défend un sous-amendement (n° 274) prévoyant que le rapport du gouvernement devrait proposer la mise en œuvre d’un dispositif de taxation du chiffre d’affaires des FAI pour financer la plate-forme publique.

Michel Thiollière indique que la commission est favorable au sous-amendement de M. Ralite, à condition de supprimer la référence à la rémunération de l’auteur. Le ministre va dans le même sens, rejetant l’idée d’une taxation des FAI. L’amendement n° 40 est donc adopté, légèrement modifié par le sous-amendement n° 256 rectifié, et devient article additionnel.

L’amendement (n° 176) de Jack Ralite, examiné ensuite, est assez intéressant ! Outre qu’il envisage de limiter la force exécutoire de la loi au 31 décembre 2008, il prévoit surtout la création d’un « Conseil Beaumarchais – internet – responsabilité publique ». Composé de dix parlementaires, dix artistes, dix universitaires et chercheurs (dont deux juristes), dix acteurs de l'internet (cinq industriels et cinq utilisateurs, dont deux bibliothécaires) et quatre journalistes professionnels, sa mission serait de « réfléchir aux meilleures solutions destinées à garantir de façon évolutive les droits d'auteurs et la liberté d'accès aux réseaux de communication électronique dans le cadre défini par la CNIL ». Chargé de réaliser une veille internationale sur les évolutions en cours, il devrait faire des propositions au Parlement et au gouvernement.

Le rapporteur et le ministre émettent un avis défavorable, rappelant le rôle de l’Observatoire des usages numériques culturels et du CSPLA en cette matière. L’amendement n’est pas adopté.

Il est temps de conclure cette séance par les explications de vote et le scrutin public.

Mme Blandin annonce que les Verts voteront contre ce projet de loi. Elle considère que les artistes, les petits producteurs, les internautes et les éditeurs de logiciels libres sont

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Feuilleton DADVSI les grands perdants avec ce texte, au profit des FAI, des constructeurs informatiques ou des gestionnaires de réseau. M. Ralite, pour le groupe CRC, déplore que la copie privée soit mutilée et rejette ce projet. MM. Assouline et Lagauche, pour le groupe PS, stigmatisent le risque d’une concentration des industries et regrettent le refus de mettre les FAI à contribution pour financer les industries culturelles. Ils ne voteront pas ce projet. M. Darniche et ses collègues non inscrits déclarent vouloir s’abstenir lors du vote, le texte modelé par le Sénat étant plus restrictif que celui de l’Assemblée, notamment en matière d’interopérabilité. Mme Morin-Desailly annonce elle aussi l’abstention du groupe UDF, les sanctions n’étant guères satisfaisantes. Pour Mme Tasca enfin, ce texte n’est qu’une étape.

Mis aux voix par scrutin public, le projet de loi est adopté avec 164 voix pour et 128 voix contre, sur 329 votants et 292 suffrages exprimés. On compte, par exemple, Jean- Claude Gaudin, Francis Grignon, Charles Pasqua ou encore Jean-Pierre Raffarin parmi les sénateurs ayant voté pour ce texte. Robert Badinter, Michel Charasse, , Pierre Mauroy ou encore Dominique Voynet ont, quant à eux, voté contre.

Pour clôturer ces débats, Renaud Donnedieu de Vabres se réjouit que ce texte permette le développement d’une nouvelle offre en ligne et assure une certaine sécurité juridique aux professionnels. « Le bateau est arrivé à bon port… » déclare-t-il ! Espérons le…

Pour consulter la « petite loi » adoptée par le Sénat : http://ameli.senat.fr/publication_pl/2005-2006/269.html

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Episode 20 : « C’était la dernière séance… »

Résumé des séances du 30 juin 2006 à l’Assemblée nationale et au Sénat

L’épisode 19 de notre Feuilleton DAVSI s’était achevé sur le vote du projet de loi par le Sénat, le 10 mai dernier. Depuis, le texte a été soumis à la commission mixte paritaire (v. les commentaires dans le Flash IRPI du 29 juin 2006), au grand regret des parlementaires de l’opposition qui espéraient la levée de l’urgence par le ministre de la Culture et donc une seconde lecture du projet. Encore un peu remanié par la CMP, le projet de loi est donc à nouveau soumis aux députés et aux sénateurs lors des séances du 30 juin à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Commençons par la séance à l’Assemblée nationale. En introduction, Christian Vanneste, rapporteur à la CMP avec le sénateur Michel Thiollière, se réjouit qu’on soit passé de vingt-neuf articles dans le projet initial à une bonne soixantaine dans la version finale. Est-ce pourtant un gage de qualité ? Il justifie l’absence de seconde lecture du texte, pourtant promise par Renaud Donnedieu de Vabres en cas de positions différentes entre les deux chambres, considérant qu’il n’existait aucun décalage important entre l’Assemblée et le Sénat… ce qui se trouverait d’ailleurs illustré par le fait qu’il ait présenté plus de cinquante propositions de modifications conjointement avec son homologue du Sénat devant la CMP. Et d’énoncer alors les principaux apports de la version adoptée en commission mixte paritaire : la limitation de la portée de l’exception pédagogique par l’exclusion des partitions de musique et des œuvres réalisées pour une édition numérique de l’écrit (art. 1er bis) ; le rétablissement de l’article 4 bis qui prévoit un système de rémunération équitable due par les chaines de TV pour la diffusion de phonogrammes de programmes audiovisuels ; la mise en place d’une exception en faveur des procédures parlementaires de contrôle (art. 4 ter) ; l’exclusion de l’assiette de la rémunération pour copie privée des actes ayant déjà donné lieu à compensation financière au bénéfice des ayants droit (art. 5 bis) ; la précision que les mesures techniques ne doivent pas empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité (art. 7), garantie par l’Autorité de régulation des mesures techniques qui devra trancher les litiges dans un délai de deux mois (art. 8) ; l’exclusion du champ de la responsabilité pénale de l’édition et de l’utilisation de logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur (art. 12 bis), etc.

Le ministre de la Culture évoque les quatre-vingts heures de débat en séance publique à l’Assemblée avant de demander aux députés qui voteront la loi d’en être fiers ! Il rappelle les deux grands principes qui ont sous-tendu le projet : respect du droit d’auteur et accès le plus large possible aux œuvres. Se félicitant que la France soit un pays pionnier en ce qui concerne l’interopérabilité, il ajoute que la copie privée est garantie, tout comme l’avenir du logiciel libre. Il insiste encore sur la différenciation des sanctions, sur les deux nouvelles exceptions importantes (handicapés et pédagogie) ainsi que sur la prochaine réflexion qui sera menée sur la mise en place d’une plateforme publique de téléchargement de musique. Autre avancée majeure d’après lui, le crédit d’impôt pour la musique. De quoi permettre donc le développement d’une offre légale tant attendue par les Français.

S’en suit la réaction des différents représentants de l’opposition, tous très critiques sur le texte et sur la méthode de travail qui a été adoptée pour y parvenir.

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Patrick Bloche (PS) y dénonce un « scandaleux détournement » de la transposition de la directive au profit des « géants du logiciel à visée monopolistique ». Il regrette notamment que seules les sociétés puissent saisir l’Autorité de régulation, alors que des développeurs bénévoles et des consommateurs seraient susceptibles d’être concernés. Il indique que le groupe socialiste a présenté une exception d’irrecevabilité car le projet serait contraire à la Constitution : atteinte au principe d’intelligibilité de la loi, au principe de légalité des délits et des peines, au droit à la vie privée, etc. Guy Geoffroy lui répond que l’UMP rejettera cette exception d’irrecevabilité… on s’en doutait. Frédéric Dutoit (groupe Communistes et Républicains) dénonce lui aussi le contrôle absolu des maisons de disques et des industriels sur les modes de diffusion de la culture. François Bayrou (UDF) ne se fonde pas sur la Constitution pour annoncer qu’il votera l’exception d’irrecevabilité, mais sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, dont l’article VI prévoit que « les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à [la] formation [de la loi] » qui doit être la même pour tous. Le retrait de l’article 1er puis l’introduction d’un amendement pour ensuite rétablir l’article 1er n’est pas, selon le Président de l’UDF, conforme à cette disposition. Didier Mathus (PS) regrette pour sa part l’amateurisme du ministre, l’importance des lobbies ou encore la substitution d’un modèle proche du Copyright américain au modèle français du droit d’auteur. Martine Billard (non inscrite) demande encore une fois à ce que l’urgence soit levée, estimant que le texte actuelle ne protège pas les auteurs mais légalise les protections techniques, sans garantir l’interopérabilité.

Vient alors le temps des explications de vote. Dominique Richard (UMP) rappelle que la France fait l’objet d’une procédure d’avis motivé de la part de la Commission européenne et s’expose donc, si elle ne transpose pas rapidement la directive communautaire, à de lourdes sanctions financières. Christian Paul (PS) dénonce « le passage en force » du gouvernement sur ce projet, Frédéric Dutoit son « comportement déloyal », la loi ayant été rédigée, d’après lui, par et pour les industriels. Jean Dionis du Séjour (UDF) estime également que le choix de l’urgence est un mauvais choix. Il considère que le projet de loi s’écarte trop de la transposition de la directive de 2001, notamment avec la création de cette nouvelle autorité indépendante qu’est l’Autorité de régulation des mesures techniques. Il se déclare également opposé aux lourdes sanctions pour les éditeurs de logiciels de P2P n’incluant pas la gestion des MTP. Il annonce qu’il s’abstiendra lors du vote ! Dominique Richard revient alors sur le temps passé sur ce texte : « plus de cinquante- sept heures de débat en séance publique en mars, et quatre-vingts heures au total à l’Assemblée nationale : c’est le cinquième débat le plus long depuis le début de la législature » ! Il critique ensuite le projet socialiste pour les présidentielles sur ce thème et les déclarations récentes de la candidate Ségolène Royal en faveur de la licence globale. Deux nouveaux amendements portant sur le texte de la CMP sont ensuite examinés et reçoivent un avis favorable du ministre. Le premier vise à lever le gage portant sur la mesure fiscale en faveur de la production phonographique, le second assure la correction d’une erreur matérielle à l’article 2. Ils sont tous les deux adoptés.

L’ensemble du projet, ainsi modifié, est alors adopté par les députés. Seuls les députés UMP ont voté pour. Les socialistes, qui ont voté contre ce texte, annoncent qu’ils saisiront le Conseil constitutionnel très rapidement.

Qu’en est-il des débats le même jour au Sénat ?

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Feuilleton DADVSI

Ils commencent par un rappel au règlement de Jack Ralite (PS) qui fait part de la récente consultation de la Commission européenne (sur la réforme des prélèvements du droit d’auteur) et ses incidences probables sur le texte adopté par la CMP.

Michel Thiollière, rapporteur pour le Sénat, rappelle que la France est un des plus mauvais élèves européens en matière de transposition des textes communautaires et qu’il est donc grandement temps de voter en faveur du projet de loi. Ce dernier repose, selon lui, sur le triptyque « liberté, égalité, fraternité ». Liberter de télécharger sur Internet mais aussi de créer et de diffuser sa création. Egalité de tous face aux écrans (qui justifie notamment l’exception en faveur des handicapés et l’exception pédagogique). Fraternité « pour s’évader de tous les ghettos », ce qui n’est possible que si les MTP n’entravent pas l’accès à la culture. Il loue ensuite les mérites d’un « texte d’équilibre » avant de céder la parole au ministre de la Culture qui expose logiquement la même position que celle exprimée à l’Assemblée nationale.

David Assouline (PS) critique la « mascarade pathétique » en CMP et regrette l’absence d’une seconde lecture. Il s’interroge sur les moyens qui seront accordés à ce nouveau « machin » qu’est la nouvelle autorité administrative indépendante chargée de garantir l’interopérabilité. Prenant la parole aux noms des socialistes et des verts, il annonce qu’ils voteront tous contre ce texte.

Jack Ralite revient sur le rôle des lobbies (Apple, Microsoft, Google, le Medef) et sur la difficulté d’application du projet de loi pour justifier son vote négatif. Il relance son idée de créer un conseil appelé « Beaumarchais – Internet – Responsabilité publique » (v. l’épisode 19 de notre Feuilleton DAVSI) pour préparer une alternative au projet de loi actuel.

Catherine Morin-Desailly (UDF) regrette que trop peu de sénateurs se soient impliqués dans ce débat. Sa principale satisfaction concerne l’exception pédagogique ainsi que l’exception en faveur des bibliothèques, archives publiques et musées. Elle s’inquiète cependant de la mise en œuvre de l’interopérabilité. Elle s’oppose à ce que l’Autorité de régulation détermine l’interopérabilité au cas par cas. Elle souligne également les dangers des DRM et critique le régime de sanctions prévues par le texte. L’UDF ne votera donc pas le texte issu de la CMP.

Jacques Valade, président de la commission des Affaires culturelles se félicite au contraire des positions arrêtées en CMP. Pour lui l’Autorité de régulation pourra être une source d’inspiration pour les futurs textes de loi en matière de droit d’auteur.

La discussion générale étant close, les deux amendements évoqués lors de l’analyse de la séance à l’Assemblée nationale sont examinés et adoptés.

Viennent alors les explications de vote. Nous ne reviendrons pas sur les positions très clairement exprimées par les sénateurs. Pour résumer, les sénateurs UMP déclarent qu’ils voteront le texte… et tous les autres affirment qu’ils voteront contre !

Mis au vote, le projet de loi est alors adopté.

Il ne nous reste maintenant plus qu’à attendre la décision du Conseil constitutionnel qui sera très certainement saisi par les parlementaires socialistes. Ainsi ce termine notre Feuilleton DADVSI… c’était la dernière séance… et sur le Feuilleton DADVSI le rideau est tombé.

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Feuilleton DADVSI

Assemblée nationale, discussion en séance publique du vendredi 30 juin 2006 Sénat, discussion en séance publique du vendredi 30 juin 2006

Texte de la loi, adoptée le 30 juin 2006

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Feuilleton DADVSI

Episode 21 : « Chérie, j’ai rétréci la DADVSI ! »

La loi devant le Conseil constitutionnel

On croyait notre Feuilleton DADVSI terminé avec l’adoption du projet de loi par le Sénat et l’Assemblée nationale le 30 juin dernier. Il n’en est rien. Nouveau rebondissement, le Conseil constitutionnel censure une bonne partie du texte dans sa très récente décision du 27 juillet.

C’est le groupe socialiste, auquel se sont joints des députés centristes (François Bayrou et Hervé Morin, par exemples), verts (Yves Cochet, Noël Mamère) et communistes (Jean- Pierre Brard, André Chassaigne), qui est à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel. Il fonde son recours à la fois sur des arguments de forme et de fond.

Sur la forme, c’est la procédure législative elle-même qui est critiquée, notamment le retrait puis la réintroduction, en pleine discussion, de l’article 1er du projet par le gouvernement, ainsi que les modifications substantielles apportées lors du passage en commission mixte paritaire. Pour les signataires du recours, le principe de sincérité et de clarté des débats de la procédure législative a ainsi été violé.

Sur le fond, les députés signataires critiquent tout d’abord l’application du test des trois étapes, qu’ils qualifient d’« obligation légale indéterminée et impossible », les bénéficiaires de l’exception n’étant pas en mesure de savoir « si les conditions techniques ou économiques de l’exploitation de telle œuvre en particulier, en fonction de la stratégie des opérateurs, selon les marchés, portent ou non atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et causent ou non un préjudice injustifié aux intérêts légitimes des auteurs ». L’imprévisibilité de la loi conduirait alors à de possibles comportements « d’autorestriction des utilisateurs » ou de censure, qui serait nuisible au développement de la société de l’information.

Ils considèrent ensuite que la définition de l’infraction relative à l’édition, la mise à disposition et la communication au public d’un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres est imprécise, alors qu’elle est sanctionnée par de lourdes peines (trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende). Ils fustigent encore l’absence de définition de la cause d’exonération de cette responsabilité pénale, à savoir les cas où le logiciel est « destiné au travail collaboratif, à la recherche ou à l’échange de fichiers ou d’objets non soumis à la rémunération du droit d’auteur ». Là encore le principe de clarté et d’intelligibilité de la loi serait mis en cause, ainsi que celui de la légalité des délits et des peines.

Ils regrettent également l’absence de définition de la notion d’interopérabilité et l’impossibilité pour les consommateurs de saisir l’Autorité de régulation des mesures techniques, rendant alors impossible le recours effectif pour assurer le respect du principe d’interopérabilité.

Un autre argument repose sur l’absence de garantie pour le contrôle et le mode de preuve des infractions. En effet, la surveillance des réseaux nécessitera un contrôle automatisé très large et constant, qui nécessite que le législateur mette en place des garanties, notamment pour le respect de la vie privée. Or ce n’est pas le cas dans le projet de loi !

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Feuilleton DADVSI

Ils avancent encore que le fait de sanctionner l’échange de fichiers soumis à rémunération du droit d’auteur introduit une discrimination non conforme à la Constitution pour défaut de justification objective car le droit d’auteur n’est pas seulement un droit à rémunération mais est aussi un droit d’autoriser ou d’interdire l’usage de son œuvre. Même l’usage à titre gratuit doit donc pouvoir être contrôlé par l’auteur. Les signataires du recours affirment ainsi qu’« il est (…) injustifié, et même contraire, à cet objectif [de protection des titulaires de droits de propriété intellectuelle] de distinguer entre le secteur marchand et le secteur non marchand ». Sans compter que les droits voisins ne sont pas visés par le texte, ce qui constitue une « discrimination flagrante » et « injustifiable ».

Autre discrimination stigmatisée dans le recours, celle effectuée entre les logiciels de P2P et les autres moyens de communication (forums, messagerie instantanée…) susceptibles, eux aussi, de permettre l’échange d’œuvres protégées. Cette différence de traitement pénal ne reposerait sur aucun motif précis.

L’article 44 de la loi est également critiqué, en ce qu’il dépossède les artistes interprètes de leurs droits en permettant à des organisations de salariés représentatives de négocier avec l’INA, sans que le législateur ait pu justifier d’un motif précis d’intérêt général légitimant cette atteinte.

Les députés réprouvent aussi le nouveau régime de la copie privée mis en place par la loi. Ils y voient une « atteinte disproportionnée à la propriété privée en matière d’œuvres de l’esprit, aux droits des destinataires de ces mêmes œuvres et à la protection de la vie privée comme principes de portée constitutionnelle ». Ils s’opposent à la possibilité pour les ayants droit de « limiter le nombre de copies », à la sanction prévue pour le téléchargement (alors même qu’ils considèrent que la jurisprudence a souvent tendance à l’assimiler à de la copie privée) et refusent qu’on subordonne cette exception à la licéité de la source copiée. Ils s’interrogent encore sur le rôle respectif de l’autorité indépendante et du juge dans la fixation du nombre minimal de copies possibles, ainsi que sur les conséquences de cette fixation sur la rémunération pour copie privée, estimant que les ayants-droit seront dans « une incertitude juridique et économique incompatible avec un exercice paisible de leurs droits. La même incertitude prévaudra pour les usagers qui pourront croire en toute bonne foi à la licéité de leur pratique et se voir pourtant sanctionnés.

Enfin, il est reproché à la loi de ne pas avoir précisé les critères et les modalités de contrôle et de preuve permettant d’établir que la copie privée a bien été réalisée à partir d’un accès licite à l’œuvre.

Pour toutes ces raisons, ils demandent au Conseil constitutionnel de se saisir d’office de la question de la conformité à la Constitution, tant dans la forme que dans le fond, de la loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information. Dans sa décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, le Conseil constitutionnel répond aux différents griefs avancés dans le recours qui lui a été adressé. S’agissant de la forme, c’est-à-dire du déroulement de l’examen du projet au Parlement, le Conseil constitutionnel ne sanctionne pas le gouvernement. Même s’il juge irrégulier le retrait de l’article 1er au cours des débats (estimant qu’un tel retrait priverait les parlementaires de l’exercice effectif de leur droit d’amendement garanti par la Constitution), il considère que la réintroduction de cette disposition, avant tout vote sur d’autres points du projet de loi, corrige cette irrégularité et ne vicie donc pas la procédure législative. Quant aux nombreux amendements présentés en commission mixte paritaire, le Conseil constitutionnel n’y trouve rien à redire, étant donné qu’ils étaient en relation directe avec les dispositions restant en discussion.

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Ce n’est donc pas sur la forme, mais bien sur le fond, que le Conseil constitutionnel va censurer la loi. Après avoir rappelé une définition des normes applicables au contrôle du contenu de la loi (objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi, principe de légalité des délits et des peines, droit au recours effectif, droits de la défense, droit à un procès équitable, principe d’égalité, droit de propriété) puis énoncé les obligations propres à la loi de transposition de la directive du 22 mai 2001, le Conseil se prononce sur les différents articles mis en cause dans la loi.

Il rejette tout d’abord les arguments liés à l’imprécision du test des trois étapes et considère même que ce test à une portée générale pour toutes les exceptions. Cela signifie que le juge devra le prendre en compte en cas de conflit portant sur une exception. On peut regretter que ce « test » ne soit pas voué à être seulement pris en compte par le législateur lorsqu’il prévoit de créer une exception, comme c’était le cas à l’origine de sa création, dans la Convention de Berne. Les questions posées par l’arrêt Perquin de la Cour de cassation du 28 février dernier (v. Flash IRPI du 2 mars 2006), qui demande aux juges d’appel d’appliquer le test des trois étapes, restent donc d’actualité.

S’agissant de la conciliation de l’interopérabilité avec le recours aux mesures techniques et son impact sur le respect des droits de propriété intellectuelle, le Conseil considère que la référence aux seuls droits d'auteur dans l’article 13 de la loi doit être lue comme renvoyant également aux droits voisins. Il ajoute que l’article 14, qui prévoit que l’Autorité de régulation doit garantir l’interopérabilité dans le respect des droits des parties, doit être entendu comme s’appliquant à la fois aux titulaires de droits d'auteur ou de droits voisins et aux titulaires de droits sur les mesures techniques. Quant à l’impossibilité pour les consommateurs de saisir cette autorité indépendante, le Conseil estime que cette différence de traitement n’est pas contraire à la Constitution, en ce qu’elle est en rapport direct avec la finalité poursuivie (obtention d’informations techniquement complexes et pouvant relever du secret industriel).

Considérant que le législateur laisse un délai raisonnable aux titulaires de droits pour prendre les dispositions utiles pour que les mesures techniques de protection ne fassent pas obstacle à l’exercice effectif de ces exceptions, avant que l’Autorité de régulation n’intervienne pour déterminer le nombre minimal de copies autorisées, le Conseil considère que « le législateur a défini de façon suffisamment précise les règles qui doivent présider à la conciliation des mesures techniques de protection et des exceptions ». S’agissant de l’accès licite à l’œuvre, le Conseil valide là encore le texte de la loi car elle prévoit que c’est « dans la mesure où la technique le permet » que le bénéfice des exceptions pourra être subordonné à un accès légal. Il rejette également l’argument reposant sur la rupture d’égalité entre les titulaires de droits quant à la rémunération pour copie privée car la loi prévoit justement que le montant de cette rémunération tient compte du degré d’utilisation des mesures techniques.

C’est l’article 21 (surnommé amendement Vivendi lors des débats) qui est le premier censuré. Exonérant de toute responsabilité pénale les éditeurs de logiciels destinés au « travail collaboratif », il méconnait, selon les sages du Conseil constitutionnel, tant le principe de légalité des délits et des peines que le principe d’égalité : le dernier alinéa de cet article « n’est ni utile à la délimitation du champs de l’infraction définie par les trois premiers alinéas de cet article, ni exhaustif quant aux agissements qu’ils excluent nécessairement », sans compter qu’il laisse également sans protection les intérêts moraux des auteurs ayant renoncé à obtenir une rémunération.

Le Conseil censure également les articles 22 et 23 en ce qu’ils font échapper à la sanction pour contournement des mesures techniques de protection les actes réalisés à des fins

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Feuilleton DADVSI d’interopérabilité : « considérant que le législateur a fait de l’"interopérabilité" un élément qui conditionne le champ d’application de la loi pénale ; qu’il devait en conséquence définir en des termes clairs et précis le sens qu’il attribuait à cette notion dans ce contexte particulier ; qu’en s’abstenant de le faire il a porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines ».

Est également déclaré contraire à la Constitution l’article 24 en ce qu’il prévoit un régime de contravention pour les internautes qui téléchargeraient des œuvres via des logiciels pair à pair. Le Conseil indique que « les particularités des réseaux d’échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu’instaure la disposition contestée ». Cette censure a pour conséquence de renvoyer au droit commun de la contrefaçon pour de tels agissements, et donc à de possibles peines d’emprisonnement et de lourdes amendes.

Le Conseil conclut enfin par le rejet des griefs avancés contre l’article 44 de la loi, concernant les droits des artistes interprètes dans leurs rapports avec l’INA pour l’exploitation des archives audiovisuelles : « le législateur a pu habiliter les syndicats représentant les artistes-interprètes à conclure avec l’Institut des accords fixant les conditions d’exploitation des archives en contrepartie d’une rémunération équitable ».

Ce sont donc quelques unes des principales innovations du texte, voulues par le ministre de la Culture, qui sont rejetées par le Conseil constitutionnel. Pourtant, dans son communiqué du 27 juillet, le ministre se réjouit que les sages aient validé la procédure parlementaire suivie lors de l’examen du projet de loi ainsi que l’essentiel de la loi. Regrettant un retour aux peines d’emprisonnement pour les internautes (quel effet pervers de la saisine des socialistes !), il indique qu’il va saisir le Garde des Sceaux afin de limiter les poursuites pénales aux cas de téléchargement les plus graves.

À suivre dans les prétoires donc…

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