2,00 € Première édition. No 12082 Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr coronavirus travailler la peur au ventre Livreurs, caissières, conducteurs

Photo Céline ESCOLANO . saif images de bus… ils continuent à faire tourner l’économie depuis un mois. Mais face aux risques pris, ils exigent des garanties. PAGES 2-5 Vendredi dernier, dans un supermarché de Montpellier.

CHLOROQUINE MENACES, DEUIL Macron- AGRESSIONS… En Seine- Raoult, Les Saint-Denis, étrange soignants l’impossible rencontre se cachent dernier à Marseille pour guérir voyage

pages 10-11 Daniel Cole . AP Enquête, pages 12-13 pages 14-15

IMPRIMÉ EN / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA. 2 u Événement France Libération Vendredi 10 Avril 2020

éditorial Des avions FedEx à Roissy, Par en janvier. Photo Laurent Joffrin Covid-19 et salariat Gilles ROLLE. RéA Egards spéciaux

Ce sont les autres combattants du front. Chaque soir la France applaudit ses soignants. De plus en plus, ces ma- nifestations de solidarité sont aussi adressées aux «petites mains» de l’épi- démie, qui assurent aux Français confi- Les deux nés les services et les approvisionne- ments sans lesquels la vie quotidienne, déjà éprouvante, deviendrait impossi- ble. Sauf à déclencher des pénuries gra- ves, à mettre tout à pied, y compris les soignants, à interrompre les communications ou à couper chauf- fage et électricité, une partie des sala- riés doivent continuer de se rendre au travail malgré les risques encourus. A font la peur une condition : que ces combattants de première ligne, qui sont loin d’être tous volontaires, soient protégés le mieux possible, sans négligence coupable ou Demandes d’indemnisations, usage du droit risque inutile. Beaucoup d’entreprises, la grande majorité sans doute, s’effor- de grève… Mobilisés pour continuer à faire cent de respecter ce contrat implicite. Mais pas toutes, ou pas suffisamment. tourner le pays, les salariés exposés D’où l’action syndicale initiée un peu partout pour faire observer sans faille quotidiennement au nouveau coronavirus les règles de sécurité et procurer à ces soldats avancés les garanties d’assu- s’organisent et exigent des garanties. rance en cas de malheur. Ces revendi- cations, ces conflits, sont légitimes. Ceux qui travaillent pour alléger le sort Par Lagha, il y a eu, depuis, des amé- par le virus, estime Solidaires. Et des autres ont droit à des égards spé- Amandine Cailhol liorations, «mais beaucoup de sa- pour cause, s’il convient de proté- ciaux. D’autant que cette lutte pour une lariés sont encore en danger». Et ger les travailleurs en urgence, la meilleure sécurité fonctionne aussi lle s’appelait Aïcha. Ils le syndicaliste d’expliquer : question de leur prise en charge comme un laboratoire. Un jour ou l’au- s’appelaient George, Cyril. «Quand un employé est malade future, doit être pensée dès à pré- tre, à moins d’entraîner l’économie E Ils n’étaient pas soignants du Covid, on lui dit de rentrer sent. dans un abîme sans fond, il faudra re- en première ligne de la lutte con- chez lui, mais les mesures ne sont «On ne peut pas dire que l’infec- prendre la vie professionnelle normale. tre l’épidémie, mais agents de pas forcément prises pour ses col- tion au coronavirus sera reconnue L’expérience de ceux qui n’auront pas caisse, conducteur de bus, agent lègues.» Comme FO et Solidaires, comme maladie professionnelle cessé leur activité sera alors précieuse. de sûreté, intérimaire ou techni- la CGT réclame que les activités pour les médecins et ne pas le faire Toute une série de gestes, d’habitude, cien. Et ils sont morts, contami- non essentielles soient stoppées. pour les caissières», pointe Domi- de précautions, de matériels, auront été nés par le nouveau coronavirus. Objectif : protéger les salariés nique Corona, secrétaire général essayés par cette avant-garde néces- Leurs histoires tragiques illus- inutilement exposés et concen- adjoint de l’Unsa. Pour le syndi- saire. En assurant sa sécurité au- trent les risques encourus par trer les moyens de protection sur cat, l’annonce faite en ce sens aux jourd’hui, on garantira aussi celle de tous ces travailleurs qui restent ceux dont la ­mission est indis- soignants, le 23 mars par le mi- tout le monde demain. • sur le pont pour fournir des biens pensable. nistre de la Santé, doit être éten- souvent ­nécessaires aux Fran- due à tous les salariés en activité. çais, mais aussi parfois superflus. «Maladie «On parle de gens qui travaillent À nos abonnés postés Elles sont aussi ­devenue des professionnelle» pour nous, qui prennent des ris- daires. De son côté, la Fnath, As- Nous avons mis en place un cir- symboles pour toutes ces «petites Mais ce scénario est loin de tenir ques, on doit être capables de les sociation des accidentés de la vie, cuit alternatif de distribution mains» en lutte pour une la corde du côté de l’exécutif, assurer. C’est la moindre des cho- a aussi élevé la voix, mais en s’ap- avec La Poste afin de livrer une meilleure protection. Un mes- alors que des entreprises comme ses», poursuit le syndicaliste. puyant sur la «création d’une grande partie d’entre vous les sage entendu par nombre d’em- Renault ou PSA se préparent à Principal intérêt, selon lui : leur “commission d’indemnisation lundis et mardis. Malheureuse- ployeurs qui, malgré les pénuries rouvrir leurs ­usines. Les salariés, garantir une meilleure couver- ­Covid-19”» pour les «personnes ment, l’édition du samedi n’est de matériel, et parfois par crainte anxieux, cherchent, eux, à se pro- ture et une prise en charge qui justifient d’une exposition au pas concernée et vous continue- de voir leurs effectifs déserter, téger par tous les moyens, multi- à 100 % par la Sécurité sociale en Covid-19, dans le cadre d’une acti- rez à tous la recevoir en décalé. ont amélioré les conditions de sé- pliant les arrêts maladie ou droits cas de ­futures séquelles après vité professionnelle ou bénévole», Pendant toute la période de con- curité sanitaire. Mais beaucoup de retrait. Mercredi, la CGT com- contamination. La semaine der- et pour leurs ayants droit en cas finement, vous recevrez un mail reste à faire. merce a lancé un appel à la grève. nière, l’Académie de médecine a de décès. De même, la CFDT a ré- les vendredis, dimanches et lundi «Les salariés sont restés trop long- Un «outil à disposition des sala- aussi préconisé que tous les tra- clamé, ce mercredi, un «dispositif soirs pour vous permettre d’accé- temps sans protection. Au- riés» qui se sentent en danger, ex- vailleurs «qui ont été exposés et exceptionnel et collectif». Car, ex- der à la version PDF du journal. Si jourd’hui on paye toute cette inac- plique son secrétaire général. La ont subi des conséquences graves plique le syndicat, «les gestes bar- malgré toutes ces mesures, vous tion», pointe Amar Lagha, fédération a aussi déposé plainte du fait de Covid-19, soient pris en rières ne suffisent pas toujours, et souhaitez suspendre la livraison secrétaire général de la CGT com- contre Carrefour pour «mise en charge au titre des maladies pro- les équipements de protections, papier tout en maintenant vos merce qui recense ­plusieurs cen- danger de la vie d’autrui» à la fessionnelles». Reste que ce dis- lorsqu’ils ne font pas défaut, ne prélèvements en soutien au jour- taines de salariés ­contaminés suite du décès, dû au Covid-19, positif est complexe, reconnaît permettent pas de protéger totale- nal, merci de nous envoyer un dans le secteur. Même constat de Aïcha, élue CGT et caissière l’institution, avec des délais im- ment». mail à l’adresse dans la logistique, notamment dans un magasin francilien. «On portants pour inscrire la maladie [email protected]. chez FedEx, où il aura fallu veut une reconnaissance en acci- au ­tableau des maladies profes- «Imputabilité d’office» Vos droits numériques seront ­attendre le décès d’un employé dent travail ou en maladie profes- sionnelles. D’où sa proposition de Reste une question, que ne man- maintenus. Nous vous remer- en intérim et une mise en de- sionnelle, explique Amar Lagha. passer d’abord par une recon- queront pas de poser certains cions très sincèrement meure par les services de l’Etat Car derrière, il y a une famille.» naissance en accident du travail. ­détracteurs de l’action syndicale : ­de votre confiance. pour que la ­direction prenne la Une question «légitime» qui se Une seconde piste qui permet- comment prouver que la conta- mesure de la ­situation (lire ci- pose aussi pour les salariés mala- trait d’éviter «des expertises lon- mination est liée à l’activité pro- contre). Certes, ­reconnaît Amar des après avoir été contaminés gues et aléatoires», ­estime Soli- fessionnelle ? De quoi agacer Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3

Domi­nique Corona, de l’Unsa : «On nous sort le même argument pour le burn-out. Mais ce qui est en jeu, c’est d’abord la reconnaissance de ces tra- Un mort à FedEx : «Il se vailleurs exposés.» «Il faut une im- putabilité d’office, explique, de son côté Catherine Pinchaud, du bureau confédéral. Il ne s’agit pas d’ouvrir une boîte de Pandore, mais de viser sentait obligé d’aller bosser» les salariés en première ou deuxième ligne, et prioritairement ceux au contact des patients ou du public.» Le décès d’un intérimaire monde en cette période, mais il était exposé», dit été victime pour continuer à travailler alors Reste à convaincre le gouverne- travaillant à Roissy des suites Denis (1), un de ses collègues proches, très qu’il se ­savait à risque. «Il se sentait obligé d’al- ment. Car, pour l’heure, «l’extension du Covid-19 a mis en lumière ému. L’avant-veille du décès, les deux intéri- ler bosser, mais il était asthmatique. Il crai- de la reconnaissance en maladie maires échangent au téléphone. «Il m’a dit qu’il gnait que s’il s’arrête, la direction mette fin à professionnelle à d’autres profes- le manque de protection des était malade, je lui ai demandé d’aller à l’hôpi- sa mission. Avec ce contexte, ils manquaient de sions n’est pas une piste envisagée», salariés. L’inspection du travail tal. Mais il ne voulait pas parce que selon lui, monde pour faire tourner l’entreprise, alors ils tranche-t-on au ministèr e de la s’est saisie du dossier. ils allaient “le garder” et il se demandait com- en jouaient un peu psychologiquement», accuse Santé et des Solidarités. Un ­sujet ment il allait payer ses factures», explique son Denis. Ce décès au sein du dépôt de Roissy, le que le ministre de la Santé, Olivier epuis plusieurs jours, les salariés de collègue. Deux jours plus tard, lorsque Denis «plus grand hub d’Europe» de l’entreprise Véran, devra aborder avec son ho- ­FedEx disent aller travailler «la peur au tente de le joindre pour prendre de ses nou­- américaine spécialisée dans le fret et le trans- mologue de l’Intérieur. Jeudi, de- D ventre». Le 24 mars, monsieur H., un velles, c’est sa fille qui décroche. «Elle m’a an- port aériens, fait craindre aux représentants vant les députés, Christophe Casta- ­intérimaire d’une soixantaine d’années qui noncé qu’il était décédé.» du personnel CGT l’explosion d’un potentiel ner a lui-même demandé que le exerçait sur le site de Roissy (Val-d’Oise) depuis «cluster». Car, selon eux, la direction au- Covid-19 soit reconnu comme une huit mois environ est décédé après avoir Pressions. Deux semaines après la mort de rait tardé à mettre en place des mesures de maladie professionnelle pour les ­contracté le Covid-19. «Ce sont des choses qui son collègue, cet intérimaire pointe du doigt protection pour ses 2 500 employés et ils policiers. • ne s’expliquent pas. Il travaillait comme tout le les pressions implicites dont ce dernier aurait ­redoutent une propagation Suite page 4 4 u Événement France Libération Vendredi 10 Avril 2020

Suite de la page 3 ­rapide de l’épidémie au sein de l’entreprise. «Ils ont compris Plus d’un mois après le début de la vague épi- qu’on ne rigolait pas, démique en France, le déroulé des événe- ments au sein de FedEx dit à quel point cer­- même s’ils ont un rôle taines entreprises ont également tardé à prendre la mesure des risques encourus. Mi- important dans février, le CSE (comité social et économique, la logistique du pays.» la nouvelle appellation des ex-comités d’entre- prise) s’envole pour l’Italie et, à son retour, dé- Un membre but mars, la zone est déjà fortement touchée du ministère du Travail par le Covid-19. A cette époque, on ne parle pas encore d’épidémie et il reste difficile d’estimer le risque réel encouru par les salariés. Mais par maine, les salariés ont enfin pu constater mesure de précaution, le délégué syndical qu’ils avaient reçu chacun ce qu’ils deman- CGT de FedEx, ­Sukru Kurak, demande à la di- daient : deux masques ­lavables, du gel hy- rection de placer l’ensemble des élus en qua- droalcoolique et une gourde, selon l’Unsa. torzaine. «Ce qui a été refusé», regrette-t-il. «FedEx a bougé, mais pas suffisamment pour Dans un courrier adressé à la direction, la CGT dire que la protection des salariés est assu- Intérim Man­power analyse aujourd’hui : «Ce rée», estime-t-on du côté du cabinet de la voyage […] pourrait être la cause de cette épidé- ministre du Travail, Muriel Pénicaud, où le mie au Covid-19 sur le hub de FedEx.» Car quel- dossier est suivi de près. «Pour nous, il peut ques jours plus tard, les premiers salariés y avoir encore mieux, mais c’est un bon dé- ­ressentent des symptômes faisant penser au part», se satisfait-on au sein du syndicat. «Il ­Covid-19 : dans la nuit du 16 au 17 mars, mon- faut surtout voir comment va être pris en sieur H. effectue son dernier service et dit à charge le protocole de lavage des masques. ses collègues qu’il «ne se sent pas bien». Le Les salariés craignent de ­ramener le ­virus à 20 mars, un manager est absent pour maladie la maison, c’est à FedEx de prendre en charge et présente des signes du coronavirus. les déchets contaminés», estime ­Laetitia Go- mez, de la CGT Intérim Adecco. «Panique». Entre les deux dates, plusieurs Un point pourrait s’avérer important : FedEx signalements sont faits par les salariés auprès doit se mettre en conformité avant ce ven- de leur direction : pas de gants, pas de mas- dredi et, en cas de non-respect, l’entreprise ques, pas de gel hydroalcoolique ni de désin- s’expose à des sanctions. «Ça sera noir ou fection du matériel quand la tâche quoti- blanc, soit ils s’y conforment et le dossier est dienne impose pourtant de travailler en clos. Soit le procès-verbal est dressé et envoyé binôme ou en trinôme. Le médecin du travail au parquet qui entame des poursuites ­pénales s’inquiète aussi de la situation et rappelle à la pour versement d’amendes, jusqu’à 10 000 eu- direction que les mesures barrières doivent ros par salarié, et /ou saisine du juge des réfé- être respectées, préconisant le port de rés pour prononcer la fermeture temporaire ­masques, de gants et de surcombinaisons. La de l’établissement», dit-on au ministère du triste série se poursuit, quand le 25, les sala- Travail. En coulisse, on assure que les choses Dans un Franprix, dans le XIe arrondissement de Paris, le 23 mars. riés sont informés du décès de monsieur H. «vont dans le bon sens». des suites du nouveau coronavirus. S’il est impossible d’estimer avec certitude où le dé- «Pris de court». Reste une question, que funt a contracté la maladie, le personnel sur chacun des intervenants du dossier FedEx se place s’inquiète du peu de protections qui pose aujourd’hui : pourquoi l’entreprise a-t- leur sont fournies par l’entreprise. Dans la elle tant tardé à protéger ses salariés ? «Ils ont nuit du 26 au 27, un cas de malaise avec toux été pris de court et se sont retrouvés dans une et vomissements est signalé sur le dépôt. situation de pénurie de masques, gants et gel», ­L’entreprise décide de faire ­évacuer et de dit-on à l’Unsa. Du côté de la CGT, on analyse ­désinfecter les lieux. les choses par le prisme politique : «Ils ont un Après le décès de monsieur H., 137 personnes rôle important aujourd’hui. Dans le dépôt sont tout de même confinées par mesure de transitent des respirateurs, des masques et sécurité et une dizaine ont été diagnostiquées d’autres produits importants en cette période. positives au Covid-19. «Il y a eu un vent de Donc ils estiment qu’ils sont un peu à l’abri de ­panique chez les embauchés et les intéri­- sanctions.» Même constat prononcé à demi- maires», note un délégué CGT. Si l’entreprise mot du côté du ministère du Travail, où l’on a pu plaider le manque d’informations quant estime tout de même : «Ils ont compris qu’on aux risques encourus au début du mois, les sa- ne ­rigolait pas, même s’ils ont un rôle impor- lariés et intérimaires regrettent à ce moment tant dans la logistique du pays.» La direction qu’elle n’ait pas davantage réagi quand le reste de FedEx assure de son côté : «La sécurité et le de la population s’attachait à respecter des bien-être de tous nos salariés sont notre prio- mesures strictes de protection. En consé- rité absolue», tout en nous faisant parvenir quence, le 28 mars, les syndicats des intéri- la liste des mesures déjà mises en place. Ils maires ­lancent un droit d’alerte pour «danger ­rappellent aussi leur rôle dans le contexte grave et imminent». Et le 30, face au risque, les ­sanitaire : «Nous sommes reconnus par les entreprises d’intérim retirent temporairement ­gouvernements du monde entier, y compris leurs délégations du site Roissy. A cette date, par le gouvernement français, comme un les salariés ont finalement reçu des masques ­acteur essentiel.» et des gants. «Un peu tard, alors qu’on les a de- Depuis ce week-end, selon nos informations, mandés en janvier», regrette Brahim Oumatat, un autre salarié de FedEx testé positif au représentant syndical Unsa FedEx. D’autant ­Covid-19 a été hospitalisé. Cet ancien intéri- que selon l’inspection du travail, ceux-ci ne maire, récemment embauché, exerce dans un sont pas renouvelés régulièrement. autre dépôt à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint- Il faut attendre un contrôle de la Direccte ­ Denis), dans des conditions similaires. Ce cas (direction régionale des entreprises, de la vient encore renforcer l’inquiétude dans le concurrence, de la consommation, du tra- dépôt. Beaucoup redoutent que la mise en vail et de l’emploi) le 2 avril au soir et une place tardive des mesures de protection, trois mise en demeure le jour suivant pour que la semaines après le début du confinement, ne situation évolue. Dans le courrier, que nous soit qu’une barrière dérisoire face à la propa- avons pu consulter, il a notamment été de- gation de l’épidémie. mandé ­à FedEx de fournir à chaque employé Gurvan KristanadjajA quatre paires de gants, quatre masques et et Coralie Schaub deux combinaisons avant lundi, 6 heures. A leur arrivée au dépôt, ce début de se- (1) Le prénom a été modifié. Un bus de la ligne 69 à Paris, le 23 mars. Photos albert facelly Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5 Carrefour, RATP, Renault : trois entreprises endeuillées

La mort de plusieurs dans un premier temps, des «visières désinfecté, on nous donne des petites salariés foudroyés par et casquettes» avaient été fournies. lingettes qui nous permettent juste le Covid-19 provoque Mais les salariés craignent une de faire ça comme on peut», regret- bombe à retardement, alors que le te-t-il. «Tous les jours, on va tra- colère et inquiétude fort absentéisme (74 salariés ab- vailler avec le risque de tomber ma- chez les organisations sents sur 260, selon la CGT) pèse sur lade, on nous fait des beaux syndicales. les conditions de travail. «Il y a des discours, mais on ne nous donne pas tensions entre salariés, le travail des les moyens de nous protéger. A ce eur disparition tragique des absents se reporte sur les présents. jour, on n’a pas de gants, pas de mas- suites d’une contamination Les gens sont épuisés par le boulot et ques», ajoute de son côté Didier L au nouveau coronavirus a le stress. A un moment, ça va explo- Dorzile. Au dépôt d’Aubervilliers, marqué les esprits et, forcément, ser. On n’avait déjà pas une am- premier endeuillé, face au manque encore plus leurs collègues. Ces sa- biance très gaie dans la grande dis- de moyens on demande désormais larié(e) s qui étaient au contact de la tribution, là c’est pire», raconte l’élu l’aide de l’armée pour prendre le re- clientèle à la caisse d’un grand ma- CGT. Jeudi, le groupe a de son côté lais de la RATP et assurer le trans- gasin, dans les couloirs du métro ou assuré que la «priorité absolue» de port des usagers. «On nous explique à l’usine ont vraisemblablement Carrefour est «la santé de [ses] équi- qu’on est en guerre. Les premiers qui contracté la maladie à leur poste de pes ainsi que celle de [ses] clients de- doivent être au front, c’est l’armée. travail. Or les syndicats réclament puis le premier jour». Ils ont de cars, des camions, du ma- depuis le début de l’épidémie de vé- tériel. Nous, on n’est pas équipés ritables mesures de protection pour RATP : «Les collègues pour faire face à ça, on n’a pas de tous les travailleurs «en première li- sont tous très affectés» masques, on n’a rien», s’indigne gne», sans toujours être entendus, Fin mars, alors que le service est Ulysse Champion, délégué Solidai- ou trop tardivement. Après l’inquié- toujours assuré par la Régie des res RATP du dépôt. tude, l’heure est à la revendication transports parisiens, les agents du sanitaire chez Carrefour, Renault, dépôt de bus d’Aubervilliers ap- Renault : «Les salariés, Dans un Franprix, dans le XIe arrondissement de Paris, le 23 mars. à la RATP et dans toutes entreprises prennent le décès de Georges Mer- c’est chez eux où des gens tombent malades du lot, un cadre du dépôt âgé d’une qu’ils doivent être» Covid-19, parfois à en mourir. cinquantaine d’années. Dans la fou- A Cléon, en Normandie, l’usine Re- lée, beaucoup de ses collègues lui nault est à l’arrêt depuis le 17 mars, Carrefour : «A un moment, ont rendu hommage. «C’était un à la suite d’une alerte pour «danger ça va exploser» chef et c’était un ami en même grave et imminent» déposé par les Elle est une des premières salariées temps, dit Didier Dorzile, machi- syndicats. Une mesure censée limi- victime du Covid-19 dont l’histoire niste et délégué CGT qui l’a bien ter le risque de contamination a été racontée. Le 26 mars, Aïcha connu. Les collègues du dépôt l’ont des 5 500 salariés du site. Pourtant, ­Issadounène, 52 ans, caissière et aussi très mal accueilli parce que une semaine plus tard, ils ont appris élue CGT au Carrefour de Saint-De- c’était quelqu’un qui était à l’écoute. le décès d’un technicien de l’usine, nis (Seine-Saint-Denis) est décédée La chose qu’ils répètent, c’est que ça âgé de 56 ans. Après l’émotion, les après avoir été contaminée par le vi- sera plus jamais pareil après son dé- syndicats ont reçu «de nombreuses rus. «Un drame absolu», a réagi le cès.» Quelques jours plus tard, dé- questions» de la part des salariés. groupe, après avoir mis en place but avril, la RATP annonçait un au- L’une d’elles revient avec insistance : une cellule psychologique. Début tre décès, celui d’un agent de sûreté «Beaucoup se demandent si l’on n’au- avril, dans un autre magasin de l’en- de 37 ans, Cyril Boulanger, lui aussi rait pas dû fermer l’entreprise plus seigne, Bercy 2, aux portes de Paris, des suites de complications liées au tôt», rapporte William Audoux, de la les salariés ont appris la disparition coronavirus. Ce judoka de haut CGT Renault Cléon. Car à Cléon, peu d’un employé du rayon poissonne- ­niveau était adhérent du syndicat de mesures avaient été prises sur le rie, Géraud, 45 ans. «Nous n’avons SUD-RATP et encadrant au sein du site avant la fermeture. S’il est diffi- pas les résultats de l’autopsie, mais Groupe de protection et de sécuri- cile d’estimer précisément le nom- il y a de fortes suspicions. Sa collègue sation des réseaux (GPSR), basé à la bre exact de malades du Covid-19 à de rayon est en réanimation et a été gare de Lyon (Paris, XIIe). Sur les ré- défaut de tests, les syndicats ont dé- testée positive au Covid», explique seaux sociaux, les photographies nombré au moins 23 personnes pré- Ali Algul, délégué syndical CGT. Au des deux défunts souriants sont sentant des symptômes significatifs. total, selon lui, quatre cas de conta- partagées en hommage. Pour les «On a pris un gros risque», regrette mination sont avérés à Bercy 2, plus agents RATP qui continuent de tra- le syndicaliste CGT. Pour l’heure, une quinzaine de suspicions. De- vailler, leurs visages viennent rap- l’usine est toujours fermée, et seul le puis ce décès, le rayon poissonnerie peler que «l’épidémie doit être prise secteur des prototypes continue de a été placé en confinement, précise- au sérieux». Et beaucoup accusent tourner. La question des modalités t-il, et la réserve et les parties com- la direction de ne pas faire le néces- de réouverture du site agite désor- munes ont été désinfectées. Mais saire. «Là, les collègues sont tous très mais les salariés. Du côté de la direc- pour le cégétiste, il faut aller plus affectés, on arrive dans une situa- tion, qui n’a pas encore communi- loin, en fermant les rayons non in- tion où il y a des morts. On peut tous qué sur une potentielle réouverture dispensables. «Les employés ont être en contact avec le virus au bou- de ses sites français à l’arrêt, on a peur. Les mesures de sécurité sani- lot, il y a énormément d’inquiétude», tout intérêt à ce que l’activité re- taire ont été mises en place tardive- explique François-Xavier Arouls, du prenne dès que possible pour ne pas ment», poursuit-il. Exemple : les syndicat Solidaires RATP. Pour lui, trop accuser le choc durant les mois masques n’ont été mis à disposition la protection des agents n’est pas à venir. «On continue de dire qu’au que le 31 mars. «Nous avons attendu encore totalement assurée. «On est vu de la situation, les salariés, c’est que le gouvernement qui réservait dans une situation où il nous fau- chez eux qu’ils doivent être», insiste les masques aux soignants nous drait énormément de mesures de de son côté William Audoux. donne le feu vert», a répondu la di- protection. Le nettoyage des bus n’est Amandine Cailhol Un bus de la ligne 69 à Paris, le 23 mars. Photos albert facelly rection au Parisien,­ précisant que pas assuré correctement, ce n’est pas et Gurvan Kristanadjaja 6 u évènement Monde Libération Vendredi 10 Avril 2020 PRISONS La double peine de la pandémie

que plusieurs gouvernements ont probablement par surdose : après déjà appliqué. Comme l’Italie, qui a avoir pris possession de l’infirmerie, Dans le monde entier, l’épidémie de Covid-19 libéré 6 000 détenus qui avaient ils auraient avalé des médicaments moins de dix-huit mois à purger. Ou opiacés en grande quantité. souligne douloureusement le drame encore l’Iran, où 85 000 personnes Ces mouvements violents ont aussi auraient retrouvé la liberté, soit la permis des évasions, comme à Fog- de la surpopulation et de l’insalubrité carcérales. moitié de la population carcérale. gia où une cinquantaine de détenus Les recommandations de l’OMS se heurtent, En France, ce sont 8000 détenus qui se sont fait la belle. La plupart ont ont quitté les prisons en un moins. été repris les jours suivants. L’asso- dans de nombreux Etats, à des obstacles politiques ciation Antigone, principale ONG Mutineries italienne pour la défense des droits ou économiques. Le confinement de groupes déjà des prisonniers, a mis en cause le confinés est un casse-tête : la surpo- manque d’information donné aux pulation carcérale est la norme dans reclus, et regretté qu’aucune for- la plupart des pays, même occiden- mule de parloir par visioconférence Par camps de réfugiés fermés ou institu- pour maintenir le contact avec les fa- taux. L’insalubrité est une autre don- n’ait été mise en place pour mainte- François-Xavier Gomez tions psychiatriques) est une préoc- milles et le monde extérieur», ajou- née fréquente. Difficile de se laver nir le contact avec les familles. cupation majeure des institutions tait le 30 mars Malcolm Evans, pré- les mains avec un accès à l’eau limité Les mutineries ont éclaté un peu l n’a jamais été facile de gé- internationales, qui rappellent les sident du Sous-Comité des Nations ou inexistant. Dès les premières an- partout, souvent pour les mêmes rai- rer les flambées infectieuses pays à leurs obligations dans ce do- unies pour la prévention de la tor- nonces de confinement, les prisons sons : peu d’informations sur les sus- «I dans les lieux de détention, maine. Envers les détenus mais ture (SPT). Des mesures qui ont commencé à s’agiter à l’annonce pensions des visites et des permis- où les individus se tiennent près les aussi les personnels travaillant à ­consistent notamment «à envisager de la suspension des parloirs et de sions de sortie, panique face à la uns des autres», reconnaissait leur contact, dont la présence est de réduire la population carcérale en toute visite de l’extérieur. En Italie, rupture de fourniture de drogues, le 23 mars l’Organisation mondiale obligatoire. mettant en œuvre des programmes les premières mutineries ont éclaté qui entrent dans les prisons par les de la santé (OMS). La transmission «Les gouvernements doivent […] de libération anticipée, provisoire ou le 8 mars et ont touché en trois jours parloirs. A La Modelo, prison de Bo- du virus dans les lieux de privation mettre en œuvre des mesures urgen- temporaire des délinquants à faible plus de vingt centres pénitentiaires. gotá en Colombie, une révolte suivie de liberté (prisons, mais aussi cen- tes pour garantir aux détenus un ac- risque». Un impératif lorsque les ca- La plus dramatique a eu lieu à Mo- d’une tentative d’évasion le 21 mars tres de détention pour migrants, cès aux soins de santé appropriés et pacités d’accueil sont dépassées, dène, avec la mort de six détenus, s’est soldée officielle- Suite page 8 Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7

A la prison Dr-Edgar- Magalhães-Noronha, à Tremembé, non loin de São Paulo, le 16 mars. Photo Roosevelt Cassio. Reuters

Dans divers Etats du Brésil, la Defensoria Pú- blica saisit les tribunaux pour faire sortir de prison les détenus les plus exposés au risque du Covid-19. «On ne demande pas une remise de peine, ni une grâce, mais des assignations à résidence provisoires, notamment pour ceux [environ 125 000, ndlr] qui bénéficient du ré- gime semi-ouvert et sont donc plus exposés au contact social», précise Juliana Belloque. Ega- lement concernés par la recommandation du CNJ, les détenus provisoires, qui représentent près du tiers de la population carcérale. Au Brésil aussi la justice est lente, et on peut pas- ser des mois en taule avant d’être jugé.

«Courroie de transmission». A ce jour, quelque 32 000 prisonniers ont été relâchés. Mais de nombreux juges se montrent réticents. «Ils ne sont pas sensibles au problème carcéral, reprend Marina Dias Werneck. Tout comme une bonne part de l’opinion. Pourtant, les pri- sons peuvent être elles-mêmes une courroie de transmission du virus. Plus de 100 000 fonc- tionnaires y vont tous les jours pour travailler.» La droite dure arrivée au pouvoir avec le prési- dent Jair Bolsonaro est plutôt du genre à croire qu’un «bon bandit est un bandit mort». «Y compris si le Covid-19 y est pour quelque chose», ajoute la directrice de l’IDDD. Le ministre de la Justice, le très punitif Sergio Moro, est lui-même contre l’idée de relâcher des détenus, au nom de la sécurité publique. Un vrai problème au Brésil. «Nous ne pouvons pas, au prétexte de protéger les détenus, ren- dre vulnérable la population», a-t-il déclaré. Le gouvernement préconise plutôt l’isole- ment ou l’éloignement des cas suspects au sein même des pénitenciers. «Je ne vois pas comment prendre de telles mesures au Brésil sans surpeupler encore davantage l’espace ré- servé au reste des détenus», objecte Juliana Belloque, dont l’institution inspecte réguliè- rement les prisons. Sur les réseaux sociaux, l’opinion bolsonariste s’enflamme. «Les gens libres ne peuvent pas sortir de chez eux [allusion au confinement Brésil «Déjà en temps normal, pour faire face au virus], tandis que les prison- niers, eux, sont libérés pour revenir à la crimi- nalité !» s’indigne un utilisateur de Twitter. Evidemment, les bracelets électroniques il y a beaucoup de morts» sont en nombre insuffisant pour assurer le contrôle. Mais «la plupart des détenus relâ- chés sont de faible dangerosité», tempère l’uni- versitaire Rafael Alcadipani, membre du Fo-

Pour prévenir la propagation salubrité extrêmes font craindre le Océan nible qu’une fois par jour. Il rum brésilien pour la sécurité publique. Atlantique du virus dans les pénitenciers, pire. La population carcérale (la VEN. faut d’urgence les désengor- Cependant, la tension reste vive dans les pri- surpeuplés et insalubres, troisième au monde en chif- ger.» C’est désormais une re- sons, où la suspension des visites, supposée fres absolus), qui a presque commandation officielle du empêcher la propagation du virus, passe mal. des instances recommandent Amazone des assignations à résidence doublé en quinze ans, est de BRÉSIL Conseil national de justice «Au Brésil, c’est le crime organisé qui décide 773 000 prisonniers, pour PÉROU (CNJ) pour prévenir la pro- de ce qui se passe dans les prisons, reprend Al- provisoires. Mais l’opinion Brasilia seulement… 461 000 places. pagation du virus. «C’est un cadipani. Or les gangs veulent l’ordre, pour bolsonariste s’insurge. BOLIVIE Rio de Janeiro enjeu humanitaire vu l’aspect continuer à écouler la drogue en prison, et ils PAR. es prisons brésiliennes ? Des «cachots «Tuberculose». «Il n’y a particulièrement dysfonction- œuvrent en ce moment à empêcher les émeu- médiévaux», avait lâché en 2015 le mi- pas moins de huit détenus par ARG. nel de notre système péniten- tes.» Pour l’instant du moins. «La sécurité pu- L nistre de la Justice de Dilma Rousseff, cellule, parfois davantage, dé- São Paulo tiaire, renchérit Juliana Bello- blique dans le pays dépend aussi de la situa- José Eduardo Cardozo. Un baril de poudre. Et nonce Marina Dias Werneck, direc- 500 km que, dirigeante de la Defensoria tion dans les prisons, rappelle de son côté demain, peut-être, des «chambres à gaz», se- trice de l’Institut pour le droit à la Pública pour l’Etat de São Paulo. Le risque Juliana Belloque. Les gangs qui les tiennent lon un membre de la Defensoria Pública, une ­défense (IDDD), qui milite pour la désincarcé- d’avoir un grand nombre de morts dans les pri- ont des hommes à l’extérieur. Si le Covid-19 institution d’Etat assurant une assistance ration. Faire de la distanciation sociale et sons à cause du Covid-19 est réel. Il y a déjà, en commence à tuer là-dedans, ils vont réagir. Et ­juridique gratuite. Pour l’heure, un seul des prendre des mesures d’hygiène est impratica- temps normal, beaucoup de détenus qui meu- c’est cela, la vraie menace» 74 cas suspects de Covid-19 en milieu carcéral ble. Surpeuplées, les prisons sont aussi mal aé- rent de maladies pourtant contrôlées dans le Chantal Rayes a été confirmé. Mais le surpeuplement et l’in- rées, et bien souvent l’eau courante n’est dispo- pays, comme le sida ou la tuberculose.» Correspondante à São Paulo 8 u évènement MONDe Libération Vendredi 10 Avril 2020

Suite de la page 6 ment par la mort de 23 détenus, tués par la po- lice. Le bilan est sans doute plus Côte-d’Ivoire élevé. Au Sri Lanka le même jour, une mutinerie avait été déclenchée par la rumeur (infondée) que plu- sieurs prisonniers étaient positifs. Des libérations, Bilan : deux morts.

Liberté anticipée L’interdiction des visites a une autre mais «ce n’est conséquence, notamment en Asie et en Amérique latine où de nom- breux Etats n’assurent pas, faute de moyens, la nourriture aux condam- pas assez» nés. Ce sont les familles qui appor- tent les repas chaque jour. Cette possibilité étant exclue, la faim Les mesures prises a rejoint son domicile lundi pour s’ajoute à l’insalubrité et à la surpo- ne soulagent que trop deux mois de résidence surveillée, pulation. Et aux maladies, puisque peu la pression, dans sa prison devant accueillir des le milieu carcéral n’a pas attendu un système carcéral prévenus en quarantaine. le Covid-19 pour être un lieu de démuni où seuls les En Côte-d’Ivoire, le président de ­contamination massive : tubercu- l’Observatoire des lieux de déten- lose, VIH, hépatites B et C y sont dix plus aisés peuvent tion (ObsLid), Paul Angaman, sa- à cinquante fois plus présents der- améliorer leur sort. lue «une bonne nouvelle», mais il rière les barreaux que dehors. estime que «ce n’est pas assez». Pays désormais le plus touché par la ercredi matin, Amira Lo- «Au mois de février, on comptait pandémie, les Etats-Unis ont aussi bognon a rendu visite à 21 000 prisonniers pour 8 000 pla- la plus forte population carcérale au M son époux, le député ces disponibles dans le pays. Une monde, avec 2,3 millions de privés Alain Lobognon, incarcéré depuis telle promiscuité rend impossible de liberté (25 % des détenus de la le 10 mars à la maison d’arrêt d’Ag- la distanciation sociale ou le la- planète). Les mesures de précaution boville, à 70 kilomètres au nord vage régulier des mains préconisés ont été, comme pour le reste de la d’Abidjan. Son état de santé l’in- par le gouvernement, et cela ne société, tardives. Dans un témoi- quiétait beaucoup ces dernières changera pas avec gnage publié par le site d’informa- semaines. «Cette fois, il 2 000 prisonniers tion judiciaire The Marshall Project, allait mieux», a-t-elle en moins», s’in- MALI un prisonnier de l’Etat de Washing- constaté, soulagée. quiète ce spécia- BURKINAFASO ton racontait qu’on leur avait de- Sur la route du re- liste. mandé, quand ils utilisaient la ca- tour, elle raconte Dans ces condi- GUINÉE CÔTE D’IVOIRE bine de téléphone, d’enfiler une avoir appris la GHANA tions, mieux vaut chaussette sur le combiné afin d’évi- nouvelle «par té- Yamoussoukro être un détenu ter de répandre les germes. Les cas léphone». Dans fortuné ou im-

LIBERIA positifs se multiplient, les conta- le cadre de la Abidjan portant, ce qui va gions ayant été vraisemblablement lutte contre le Co- souvent de pair. introduites par les gardiens. Quel- vid-19, les autorités Océan Atlantique Amira Lobognon dit ques libérations anticipées ont été viennent d’annoncer la 100 km avoir déboursé un mil- permises, dans des maisons d’arrêt libération de 2 004 prison- lion de francs CFA (1 500 eu- locales dépendant des shérifs ou des niers, soit environ 10 % de l’effectif ros) pour améliorer le quotidien gouverneurs d’Etat : détenus âgés ou carcéral. Elle y croit un instant de son mari, qui a connu trois à quelques mois de leur libération. mais déchante vite. La mesure ne lieux de détention depuis son ar- Mais aucune décision n’a été prise vise que des détenus de droit com- restation le 23 décembre : «A Ag- pour les prisons fédérales. mun ou en fin de peine. Son mari, boville, j’ai payé toute la plomberie Dans plusieurs pays, les demandes proche de l’opposant Guillaume de la cellule, un sanitaire, une de libération de prisonniers politi- Soro (ancien chef rebelle et ex-pré- douche. J’ai aussi refait le toit qui ques se multiplient. En Iran, une sident de l’Assemblée nationale fuyait, acheté un lit, installé une Détenus recevant des appels de leurs proches dans une prison de partie des 85 000 libérés étaient aujourd’hui exilé en France), pour- moustiquaire». Lors de sa précé- derrière les barreaux depuis leur ar- suivi notamment pour tentative dente visite, le 26 mars, elle lui restation en novembre pour avoir d’atteinte à l’autorité de l’Etat, avait apporté de la nourriture et de santé des détenus, en proie à des rer, le président de l’organisation, pris part à des manifestations anti- reste en prison. «Vous savez, mal- l’eau minérale pour quinze jours maladies comme la tuberculose. avait alerté sur les conditions de gouvernementales. En Turquie, le gré tout, j’ai été ravie pour ceux qui et il avait été ausculté par le méde- Et la nourriture manque pour détention à l’issue d’une visite à la Parlement a débattu d’une loi d’am- vont bénéficier de cette libération. cin du couple. Dans les 34 lieux de ceux dont les proches n’ont pas les maison d’arrêt d’Abidjan, l’année nistie visant à libérer ou placer en Ils vivent dans des conditions très détention du pays, où le taux de moyens d’ajouter quelques vivres dernière, relayant la parole de dé- résidence surveillée 90 000 des difficiles, ils méritent d’être loin de remplissage est en moyenne aux maigres rations quotidiennes. tenus obligés de dormir à tour de 300 000 détenus du pays, mais en cette pandémie. Je suis catholique, de 300 %, la visite médicale est un rôle, faute d’espace dans les cellu- excluant ceux emprisonnés pour je suis heureuse pour eux. C’est un luxe réservé aux VIP. Le personnel Parer au plus pressé les. Le ministre de la Justice, San- «terrorisme», soit la grande majorité geste d’humanité.» soignant pénitentiaire est aussi Depuis l’apparition du Covid-19 san Kambilé, avait admis une dé- des détenus politiques. En Israël, le rare que l’attention portée à la dans le pays (384 cas confirmés, faillance : «Nos prisons ne sont plus Hamas s’est dit ouvert à une négo- La visite médicale, 48 guéris, 3 morts), les visites en adaptées.» ciation pour un échange de prison- un luxe prison ont été suspendues au Et depuis ? «Le nouveau code pénal niers avec l’Etat hébreu, là encore Le pays répond surtout à l’insis- «En février, on moins jusqu’au 16 avril – sauf ex- entré en vigueur l’an passé prévoit dans le but de désengorger les pri- tance de l’OMS, du Haut-Commis- comptait 21 000 ception, comme dans le cas du des alternatives à la détention sons et d’assurer une meilleure pro- sariat aux droits de l’homme de couple Lobognon. Les familles grâce à un recours plus fréquent au tection sanitaire. l’ONU et d’Amnesty International, prisonniers pour peuvent malgré tout faire parvenir contrôle judiciaire et à l’instaura- Dans les prisons se retrouvent les qui plaident pour un désengorge- des colis, des repas notamment, tion de travaux d’intérêt général. populations les plus vulnérables et ment des prisons au risque qu’el- 8 000 places. Une «dans le strict respect des consignes Un tiers environ des détenus sont les principaux groupes à risques : les ne deviennent les prochains telle promiscuité sanitaires». Une quarantaine a en détention provisoire», indique personnes âgées, femmes encein- foyers de la pandémie. Le Niger a également été imposée pour les Paul Angaman. Mais le problème tes, toxicomanes, malades aux été un des premiers pays africains rend impossible nouveaux entrants. Pour parer au reste l’application concrète de ces nombreuses pathologies. Mais au à s’y plier, en libérant 1 540 déte- la distanciation plus pressé, le Comité internatio- mesures : «Pour les travaux d’inté- niveau planétaire, les recomman- nus, dont des opposants. En nal de la Croix-Rouge a réalisé une rêt général, nous attendons tou- dations de peines de substitution Ethiopie, 6 000 prisonniers ont re- sociale et le lavage distribution de produits d’hygiène jours la prise d’un décret.» Une ur- pour les délits mineurs sont peu couvré la liberté, 79 au Cameroun. dans tous les centres de détention. gence, face au risque de voir suivies. Et les réponses des autori- Au Sénégal, l’ancien dictateur régulier des mains Des dizaines de milliers de savons, exploser ces bombes sanitaires tés, à de rares exceptions près, sont tchadien Hissène Habré, qui Paul Angaman président des bouteilles de gel hydroalcooli- que sont les lieux de détention. très insuffisantes pour éviter une purge une peine de prison à vie de l’Observatoire ivoirien que et de l’eau de Javel ont ainsi Florence Richard catastrophe derrière les murs. • pour «crimes contre l’humanité», des lieux de détention été livrés par camion. Peter Mau- Correspondante à Abidjan Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

les faits du jour n La France recensait jeudi soir 12 210 morts au total depuis le début de l’épidémie en mars, dont 8 044 à l’hôpital (412 dans les dernières 24 heures) et 4 166 dans les Ehpad (929 décès). Pour la première fois, le nombre de patients en réanimation a enregistré une baisse en 24 heures, avec 7 066 patients, soit 82 de moins que mercredi. n En Arabie Saoudite, près de 150 membres de la famille royale auraient contracté le Covid-19, a révélé jeudi le New York Times, selon qui le prince Fayçal, gouverneur de Riyad, se trouverait même en soins intensifs. Le roi Salmane et le prince héritier MBS auraient été placés à l’isolement le plus total. n En Afrique du Sud, Stella Ndabeni- Abrahams, ministre de la Communication, a été placée en congé forcé pour deux mois après avoir suscité un scandale unanime. Les médias sud-africains, photos à l’appui, ont révélé qu’elle avait enfreint le confinement très strict imposé au pays pour aller déjeuner chez des amis. L’Afrique du Sud ne compte que treize décès liés au coronavirus mais enregistre déjà les plus forts taux de malades du sida et de la tuberculose au monde, ce qui fait craindre une explosion de la pandémie. n En Iran, pays du Moyen-Orient le plus frappé par le Covid-19, le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a appelé jeudi les musulmans à rester prier chez eux pendant tout le ramadan, qui démarre fin avril. Jeudi, 117 nouveaux décès ont été recensés dans le pays, ce qui porte à 4 110 morts le bilan officiel de la pandémie. n Au Royaume-Uni, un médecin qui avait écrit à Boris Johnson dès le 18 mars pour réclamer des équipements de protection pour les personnels de santé est mort du Covid-19 mercredi à l’âge de 53 ans. Alors que le Premier ministre est sorti jeudi soir des soins intensifs, le royaume a enregistré 881 morts en 24 heures, portant le nombre total de décès à 7 978. n Au Maroc, le port du masque est désormais obligatoire pour tous. Les autorités ont demandé à l’industrie textile de reconvertir sa chaîne de production, tablant sur une production de cinq millions de masques par jour dès la semaine prochaine. En début de semaine, le pays comptait plus d’un millier Jakarta, le 31 mars. Photo diffusée par le gouvernement indonésien. Photo Indonesian Ministry of Law and Human Rights. AFP. de cas et 80 morts. Indonésie «Certains dorment dans les couloirs et la cour»

Le pays craint une «flambée» jusqu’à la mi-mai, avec une épidémie qui pour- Surpeuplées, les prisons indonésiennes ont ciaux» : corruption, terrorisme et drogues. Un de l’épidémie de Covid-19 rait se renforcer jusqu’en juillet. Par manque connu plusieurs épisodes de violence ces der- second contingent de 20 000 prisonniers est de moyens et de volonté politique, très peu de nières années, dont une en février à Sumatra. à l’étude. dans les prisons, surpeuplées tests sont effectués, seuls les cas les plus graves Car avec le renforcement de lutte et de la lé- depuis le renforcement sont repérés. L’une des grosses inquiétudes gislation antidrogue depuis dix ans, les déte- Lobbys. Ce dernier projet pour désengorger de la lutte antidrogue. concerne les prisons.» nus se sont multipliés, passant de 117 000 les prisons a réveillé les lobbys antidrogue et en 2010 à 270 000, dix ans plus tard. pro-peine de mort. Surtout, il bute sur l’oppo- urgence est là. Les visites ont d’abord 31 000 libérés. Pays ar- Face au Covid-19, l’administration sition du président Joko Widodo, qui a multi- été limitées, puis suspendues dans de chipel de 264 millions d’ha- Océan pénitentiaire a désinfecté, a pris plié les déclarations contre les corrupteurs. Paci que L’ nombreux établissements péniten- bitants, l’Indonésie comp- la température, distribué du «Ce sujet reste très sensible dans la société ci- tiaires du pays. Avant que les autorités com- tait en mars 270 000 détenus PHILIPPINES gel hydroalcoolique et sus- vile, poursuit le diplomate à Jakarta, et parti-

mencent à libérer des prisonniers et des déte- pour 132 000 places repar- MALAISIE pendu l’arrivée de nouveaux cipe des griefs contre le gouvernement qui va nus de manière anticipée : environ ties dans 524 établisse- prisonniers. «Un seul cas dé- devoir trouver une mesure moins polémique.» 31 000 adultes et mineurs ont retrouvé la li- ments. «Dans certaines pro- INDONÉSIE claré peut propager très vite Mais les condamnés pour corruption repré- berté depuis la fin mars. Ils pourraient être re- vinces, le taux d’occupation l’épidémie, poursuit le diplo- sentent moins de 5 000 personnes, contre près Jakarta TIMOR joints par près de 20 000 autres prochaine- dépasse les 200 %. On a même ORIENT. mate, qui raconte la situation de 140 000 pour trafic et usage de drogues. Le Océan ment. L’Indonésie ne comptait, jeudi soir, que un centre de détention pour Indien AUSTRALIE à la prison de Cipinang, à Ja- Parti pour l’unité et le développement, mem- 3 300 cas de Covid-19 et 280 décès. «Mais nous femmes à Surabaya avec 758 %, 500 km karta. Il y a 1 000 places, mais les bre de la coalition gouvernementale, milite ne sommes qu’au début de la flambée épidémi- alerte Genoveva Alicia Karisa Sheila prisonniers sont 4 000. Certains dor- pour la libération des consommateurs de dro- que», explique un diplomate joint à Jakarta, Maya de l’Institut pour la réforme de la justice ment dans les couloirs et la cour.» gue et des petits vendeurs. «En libérant ceux la capitale, qui s’apprête à passer à un stade pénale (ICJR) à Jakarta. Les autorités assurent Conscient des risques d’une explosion de qui ont effectué les deux tiers d’une peine maxi- plus élevé de «distanciation sociale» ce ven- qu’il n’y a aucun cas déclaré à l’intérieur. En l’épidémie en milieu carcéral, le ministère de male de cinq ans, on désengorgerait les pri- dredi. «Selon des études d’universitaires et de fait, on ne sait absolument rien, il n’y a pas de la Justice a donc libéré 31 000 détenus qui sons», abonde Genoveva Alicia Karisa Sheila fonctionnaires indonésiens, nous allons assis- test. Elles cherchent à tout prix à éviter la pa- avaient purgé les deux tiers de leur peine, en Maya. Pas sûr que cela soit moins polémique. ter à une forte augmentation des nouveaux cas nique et les émeutes.» excluant les condamnés pour «crimes spé- Arnaud Vaulerin 10 u évènement Politique Libération Vendredi 10 Avril 2020

Devant l’IHU de Marseille, jeudi.

Macron en consultation surprise à Marseille

Par Stéphanie Aubert, du Covid-19 basé sur la chloro- risait un conseiller du chef de Alain Auffray quine, un antipaludéen. Décrié l’Etat, à l’issue de sa visite à et Stéphanie par une partie du monde scienti- l’IHU de Marseille. Le Président s’est rendu jeudi Harounyan fique mais très populaire parmi Photo Olivier Monge . les Français, le professeur a pré- «Vision panoramique» dans la ville pour rencontrer Myop senté au chef de l’Etat les résul- Une nouvelle étude et une ren- le professeur Didier Raoult, chantre tats de sa dernière étude portant contre qui risquent d’enflammer sur 1 000 cas, avec une guérison un peu plus un débat qui hysté- de la chloroquine. Une visite en ne visite inopinée. Jeudi virologique pour plus de 91 % des rise la classe politique et divise le après-midi, Emmanuel malades, selon les Echos. «Ces ré- public depuis un mois. Embar- préparation de son allocution de U Macron a rencontré pen- sultats vont être discutés dans le rassé, l’Elysée s’est efforcé de dant plus de trois heures le dé- cadre du conseil scientifique. Le «contextualiser» la visite à Mar- lundi soir sur la suite du confinement. sormais célèbre infectiologue Président a pris acte d’un certain seille, assurant qu’il ne s’agissait marseillais Didier Raoult, parti- nombre d’éléments et va exami- pas d’arbitrer entre pro et anti- san d’un traitement controversé ner ça avec attention», tempo­- Raoult. «Le tête-à-tête lll Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11 lll avec ­Raoult n’est pas du tout l’objet de la journée. Une vi- site ne légitime pas un protocole Didier Raoult, un électron scientifique, une visite marque l’intérêt du chef de l’Etat pour des essais thérapeutiques, qu’ils soient prometteurs ou pas», in- siste l’entourage de Macron. An- politiquement libre noncé à la dernière minute, ce déplacement vient s’inscrire Entre sa proximité de jeunesse Cette récupération a-t-elle à voir avec les orienta- représentant des étudiants, alors on se voyait dans une séquence plus large avec la droite locale, les enjeux de tions politiques du médecin ? Aucun des respon- dans les instances de la fac, rapporte ce dernier. consacrée aux recherches sur le financement et les récupérations sables interrogés par Libération ne le croit. «Il se Il était un aîné pour moi, et à cet âge-là, ça Covid-19. Mercredi soir, le Prési- fout de la droite comme de la gauche, affirme Re- compte. Puis je suis toujours resté en contact avec dent s’est entretenu avec le direc- sur fond de guéguerre entre naud Muselier, ami personnel de Didier Raoult. lui : c’est un ami personnel, comme beaucoup de teur général de l’OMS, qui pilote le Nord et le Sud, les convictions Il n’aime pas les gens qui parlent, seulement les professeurs de médecine de la région.» Double l’essai Solidarity avec 70 pays. du médiatique professeur sont gens qui font. Le faire entrer au baromètre politi- casquette aussi pour le généticien Jean-François Jeudi matin, il se faisait expliquer difficiles à cerner. que [comme l’a fait l’institut de sondage Odoxa, Mattei : celui-ci conjugue à partir des années 80 au CHU parisien du Kremlin-Bi- ndlr], c’est mal le connaître : le seul championnat une activité médicale qui le met en relation avec cêtre les avancées du programme t la droite se prit à aimer les cheveux longs. qui l’intéresse, c’est d’être dans les trois meilleurs Didier Raoult et un engagement électoral à européen Discovery. Il y a ren- Maires, parlementaires ou encore prési- mondiaux de sa discipline.» droite, qui le verra accumuler les mandats locaux contré une dizaine de médecins E dents de région : plusieurs figures du parti La chronique qu’il a tenue ces dernières années puis ­devenir, en 2002, ministre de la Santé de et de chercheurs pour avoir une Les Républicains sont devenues, ces dernières dans l’hebdomadaire le Point n’offre pas plus de . «vision panoramique de l’avancée semaines, d’enthousiastes partisans du profes- certitudes. Raoult peut y dire ses doutes vis-à-vis des recherches» sur les traite- seur Didier Raoult et de son traitement anticoro- du réchauffement climatique, ou inviter les poli- Sarkozy «très entiché» ments, les antiviraux comme les navirus à base de chloroquine. Contaminés, la tiques à s’inspirer des microbes : ceux-ci, racon- Qu’il ait ou non la fibre politique, Raoult sait à autres pistes. «Onze études ont été députée Valérie Boyer, la candidate à la mairie te-t-il, «équilibrent les recettes et les dépenses, et quel point ses projets dépendent de décisions et autorisées en France, vingt-cinq de Marseille Martine Vassal et le maire de Nice, ne conservent comme dépenses que ce qui est sus- de financements publics, et n’hésite pas à faire autres sont en cours d’examen. A Christian Estrosi, s’en sont remis ceptible de générer des recettes». jouer ses relations. Auprès de Mattei, il plaidera partir de fin avril début mai, on à son protocole. Le président des Mais le même peut, ailleurs, dé- pour la création de grands «infectiopôles» régio- aura les premiers résultats», ex- sénateurs LR, Bruno Retailleau, noncer les excès d’une «laïcité ty- naux, préfiguration des futurs instituts hospita- plique l’Elysée. plaide dès qu’il le peut pour son rannique» et d’une «identité har- lo-universitaires. Les mêmes rapports cordiaux extension. Le président de Pro- gneuse». Et voir dans le le lieront avec son successeur, Philippe Douste- Figure centrale vence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud «multiculturalisme et le métis- Blazy, cardiologue de profession. L’ex-maire de Le détour par Marseille avait à Muselier, se flatte d’avoir soutenu sage» des évolutions naturelles et Toulouse est aujourd’hui membre du conseil l’évidence une dimension beau- la démarche «dès le premier jour». souhaitables. d’administration de l’IHU de Marseille (tout coup plus politique. Depuis le Aucun n’a jugé sage d’attendre la A travers ces écrits, le professeur comme l’ex-ministre socialiste de la Recherche début de l’épidémie, le profes- fin des études en cours pour dé- apparaît d’abord comme un scep- Geneviève Fioraso), et un grand défenseur du

seur Raoult vante les vertus du fendre la démarche du médecin, Daniel Cole . AP tique, sans illusions sur la moralité nouveau «protocole ­Raoult» contre le Covid-19. dépistage massif de la popula- basé à l’Institut hospitalo-univer- ou la compétence des politiques En octobre 2016 dans le Point, le Marseillais con- tion et les performances de l’hy- sitaire (IHU) de Marseille. Tous jugent plus grave en général, dont il déplore le goût du spectacle sacrait une tribune à défendre sa candidature à droxychloroquine, associé à de priver les malades des possibles bienfaits du et les discours inconstants. A son propre sujet, la tête de l’Organisation mondiale de la santé un antibiotique, l’azithromy- traitement. Ces partisans ne se recrutent pas qu’à Raoult déplore seulement d’avoir été accusé, étu- (OMS). «Notre relation n’a strictement rien à voir cine, dans la lutte contre le coro- droite. «La chloroquine, ça marche», professe de- diant, de proximité avec le GUD, organisation avec de la poli­tique, je le respecte scientifique- navirus. Allant à l’encontre de puis un mois le socialiste Julien Dray, tandis que d’extrême droite, assurant au contraire qu’il cul- ment, assure Douste-Blazy. Ce serait très malhon- beaucoup de ses confrères qui Jean-Luc Mélenchon, sorti enchanté de son en- tivait à l’époque des opinions «anarchistes». nête de faire passer cela pour une affaire de co- considèrent que la démons­- tretien avec Raoult, veut laisser chacun libre de Dans son bureau, des photos le montrent avec pains.» tration n’est pas faite, il milite, à suivre ou non la cure. chacun des quatre derniers présidents de la Ré- En 2009, enfin, les nouveaux IHU bénéficient grand renfort de tweets et de publique. «Ses idées politiques ? Il doit en avoir, d’une partie des fonds du grand plan d’investis- ­vidéos, pour la généralisation de Des opinions «anarchistes» mais c’est surtout quelqu’un de totalement possédé sements voulu par . Deux actuels ce traitement. Chez LR, on reconnaît que certains membres du par sa passion», estime le socialiste Michel Vau- présidents de région de droite, alors au gouver- Soutenu par de nombreux parti se distinguent par leur ardeur dans le débat. zelle, président du conseil régional jusqu’en 2015. nement, sont associés au dossier : le ministre de ­responsables politiques (lire ci- «Si plus d’élus de droite ont été dépistés chez lui, Incontestables, en revanche, sont les liens an- la Santé , aujourd’hui à la tête des contre), le professeur est devenu ce n’est pas politique, c’est mathématique : à Mar- ciens et personnels de Didier Raoult avec plu- Hauts-de-France, et la ministre de la Recherche une figure centrale du débat. Au seille et dans la région, on est juste plus nom- sieurs figures de la droite sudiste. Adolescent, Valérie Pécresse, désormais présidente d’Ile-de- point que l’institut Odoxa rele- breux», relativise le premier adjoint au maire, Do- c’est dans le lycée niçois dont il est pensionnaire France. Quant à l’ex-chef de l’Etat, «il était très vait fin mars qu’il était devenu la minique Tian. En Paca, le conseil régional, le qu’il se lie d’amitié avec le jeune Christian Es- entiché de Raoult, se souvient . «personnalité politique» préférée conseil départemental et la mairie de Marseille trosi, rapporte le journaliste Hervé Vaudoit, au- Je ne sais pas s’il l’a rencontré, mais il trouvait que des Français. Dès le début de la sont tenus par la droite, ainsi que cinq des seize teur d’un livre sur l’IHU. «Didier Raoult fait par- c’était un gars formidable et en parlait avec beau- crise, les communicants de l’Ely- circonscriptions du département. «Le Sud est une tie des médecins et scientifiques dont je suis coup d’admiration». Mais ces relations ne résu- sée ont fait savoir que le chef de république à part», sourit une source chez LR, proche, qui me conseillent depuis longtemps dans ment pas l’entregent du professeur qui, à Mar- l’Etat prenait l’infectiologue croyant elle aussi à une lecture «purement géo- mes décisions en matière de santé et de recher- seille, a frappé à toutes les portes. «Sur ce dossier, «très au sérieux». Ignorant les graphique» de la plupart de ces soutiens. Et, pour che», témoigne aujourd’hui le maire de Nice. Puis tout le monde l’a soutenu, droite et gauche, il n’y mises en garde des experts qui les autres, à «la recherche d’une façon d’exister dans les années 80, l’un des premiers parrains avait pas de politique au milieu», se souvient Mi- lui expliquaient que ses métho- médiatiquement». La position de Christian Jacob, scientifiques de Raoult sera Maurice Toga. Doyen chel Vauzelle, lui aussi démarché par le médecin. des n’étaient pas ­orthodoxes, ajoute-t-on, serait majoritaire : le président de LR de la faculté de médecine, ce neurologue prend «Raoult a demandé de l’argent à tout le monde et Emmanuel Macron a souhaité a sagement recommandé «beaucoup d’humilité, son jeune confrère en affection et lui fait franchir à personne en même temps, ce qui fait son indé- l’intégrer dans le ­conseil scienti- de recul et de modestie dans les commentaires» sur de premiers échelons universitaires. Ce proche pendance, confirme Muselier. On a tous poussé fique chargé de l’éclairer sur un sujet qui divise la communauté médicale et de Charles Pasqua est aussi le patron du RPR lo- comme des fous, y compris la région et le départe- l’épidémie. Il n’est pas sûr que le scientifique. «Leur côté “je sais tout et puis voilà”, cal. Il veillera par la suite sur les premiers pas po- ment qui étaient alors à gauche.» professeur y ait ­jamais mis les ça agace même à droite, assure un observateur litiques du jeune Renaud Muselier… alors étu- Il est vrai que le projet, porté par un scientifique pieds, avant d’en claquer la avisé de LR. Mais comme certains ont totalement diant en médecine. «Je n’étais pas encore engagé de rang mondial, représente une formidable vi- porte… mais le chef de l’Etat l’ap- merdé en réclamant le maintien des municipales, en politique quand j’ai connu Didier, mais j’étais trine pour la ville et sa région. On en défend les pelle régulièrement. Après avoir ils s’agitent pour faire oublier ça.» travaux avec d’autant plus d’entrain que l’on s’est d’abord autorisé la prescription Il est vrai aussi que des traits du professeur se prê- souvent jugé, à Marseille, un peu snobé par les de l’hydroxychloroquine avant tent à la récupération. Ses défenseurs ne se pri- «[Raoult] se fout de la différents ministres de la Santé, pas si nombreux de la réserver aux seuls cas gra- vent pas d’opposer le panache du Marseillais à la droite comme de la gauche. à avoir fait le déplacement ces dernières années. ves à l’hôpital, le ­ministre de la coupable inertie des «technos parisiens». «La «Ce n’est pas parce que l’on n’habite pas à l’inté- Santé est, lui, très prudent. «J’ai droite s’est persuadée que c’est à partir des territoi- Il n’aime pas les gens qui rieur du périphérique parisien qu’on ne fait pas des éléments qui me reviennent res qu’elle retrouverait le pouvoir, commente l’ex- de science», s’est récemment plaint le médecin. des hôpitaux qui ne montrent ministre de la Santé Roselyne Bachelot. Elle a parlent, seulement les gens Il y aurait là, disent certains, une dernière clé de pas, à ce stade, un effet statisti- donc repris le mantra de la province contre Paris, qui font. Le faire entrer au lecture du dossier Raoult et de l’ardeur de ses quement significatif de l’une ou de la base contre les élites. Et Didier Raoult devient soutiens : convaincre que, dans cette crise histo- l’autre des molécules», a expliqué le héros implicite des associations d’élus, présidées baromètre politique, c’est rique, le salut pourrait venir du Sud. Olivier Véran mardi. Apparem- par des personnalités de droite.» D’autant plus que mal le connaître.» Dominique Albertini ment, Macron a voulu se forger l’intéressé clame son propre dédain des chicayas et Stéphanie Harounyan sa propre opinion, sur place. • «parisiano-parisiennes». Renaud Muselier président de Paca Correspondante à Marseille 12 u événement Société Libération Vendredi 10 Avril 2020

Par rité a été lancée par l’Ordre national posé plainte contre X après avoir s’est enfui avec une quinzaine de Charles Delouche des infirmiers. Cette consultation découvert cette missive de ses voi- masques chirurgicaux. et Chloé Pilorget- en ligne, dont les résultats ont été sins : «Nous encourons un réel dan- A Paris, l’AP-HP a mis en place, de- Rezzouk rendus publics mercredi, a récolté ger de vous avoir à nos côtés, il est puis la semaine dernière, un service plus de 70 000 réponses, soit envi- préférable de vous garer loin de la ré- de sécurité matin et soir pour es- n est passé des applau- ron 20 % des professionnels inscrits. sidence. […] Si un cas se confirme au corter les soignants de l’hôpital La- dissements à la peur «Ce qui en ressort, c’est avant tout sein de la résidence, vous serez tenue riboisière, objets d’insultes et de «O d’exercer.» Alors que un besoin important en termes de pour responsable !» Le 25 mars, tentatives de vol, jusqu’au métro. plusieurs cas d’intimidations, voire protection, de blouses et de masques, Christine Cotte, infirmière libérale «Avec le confinement, les rues et les d’agressions envers des infirmiers fait savoir Martine Laplace, prési- dans le Puy-de-Dôme, a, elle, trouvé transports se sont vidés, il ne reste et soignants ont été médiatisés ces dente du conseil interdépartemen- l’arrière de sa voiture enfoncé, une plus que des personnes en grande derniers jours, «un sentiment d’insé- tal de l’Ordre des infirmiers des fois sa tournée de patients achevée. précarité (SDF, toxicomanes) dont curité» croît au sein de la profes- Landes, des Pyrénées-Atlantiques «Je ne l’ai constaté qu’en fin de mati- les difficultés sont aiguisées par la sion. «C’est une situation qui pèse et du Lot-et-Garonne. Mais 12 % des née. Dans la poussière de ma vitre période. La semaine dernière, une sur leur quotidien», assure Jean- infirmiers consultés déclarent avoir arrière, il était écrit : “Reste chez toi, collègue s’est fait agresser verbale- François Haned, président du Con- subi des pressions, des menaces ou corona”», raconte-t-elle à Libéra- ment par trois jeunes filles cher- seil régional de l’Ordre des infir- des injures, et 6 % disent avoir été tion. En exercice depuis vingt- chant une cigarette. Ici, le sentiment miers en Ile-de-France. Mercredi, la victimes d’une agression visant à sept ans, elle a porté plainte à la d’insécurité est devenu plus impor- garde des Sceaux a évoqué le sujet leur dérober du matériel.» gendarmerie : «Je ne pensais pas tant», explique Elisabeth Genest, en visioconférence devant les dépu- qu’en laissant mon caducée visible, aide-soignante et ­déléguée syndi- tés de la mission d’information sur Insultes cela m’arriverait. J’ai des collègues cale à la CGT. Désormais, il faut le Covid-19. «Nous avons des infrac- Il y a ces «mots scandaleux», dixit le à qui on a crevé les pneus ou bien adapter son quotidien, reconnaît tions liées à des personnes qui visent Premier ministre Edouard Philippe, vidé un pot de peinture sur la voi- Antoinette Tranchida, présidente des personnels médicaux, nous nourris par une peur de la contami- ture.» de l’Organisation nationale des avons souhaité qu’il puisse y avoir nation, qui se multiplient sur les pa- Et cela va parfois plus loin. Ici et là, syndicats d’infirmiers libéraux des instructions afin que les juges dé- re-brise ou les portes des domiciles des véhicules ont été fracturés. A (Onsil) : «On n’affiche plus du tout cident de sanctions fermes, s’ils le de soignants, invitant ces acteurs en Heillecourt (Meurthe-et-Moselle) notre travail. Aucun matériel n’est souhaitent», a déclaré Nicole Bel- première ligne de la lutte contre le près de Nancy, une infirmière libé- apparent dans les voitures et on ne loubet, sans toutefois avancer de Covid-19 à déménager, à «dégager» rale de 32 ans a été braquée par deux se promène plus avec notre blouse chiffres. La semaine dernière, une ou à aller s’installer à l’hôpital. hommes alors qu’elle sortait d’une dans la rue pour ne pas se faire enquête interne liée au Covid-19, au Ainsi, à Dourdan (Essonne), une visite. Après l’avoir menacée avec agresser.» Pour cette infirmière de matériel et au sentiment d’insécu- jeune infirmière en intérim a dé- un couteau à cran d’arrêt, le duo l’Isère, les gens n’ont «pas compris que les infirmiers sont aussi dému- nis qu’eux». «L’Etat nous donne 18 masques pour la semaine, on est obligés de s’organiser. On fonctionne sur des dons», soupire celle qui a pris la peine de «cacher» le matériel pouvant apparaître à travers la vitre «On ne se promène de son cabinet. Prévention Si l’émoi suscité par ces atteintes est particulièrement fort dans le con- texte sanitaire actuel, mécanique- ment amplifié par une présence sur les réseaux sociaux accrue en temps de confinement, quelle est l’am- plus avec notre pleur du phénomène ? «On nous a remonté quelques dizaines de cas, sur l’ensemble du territoire, qui re- groupent aussi bien les menaces, les extorsions ou les agressions envers les soignants que les cambriolages vi- sant du matériel médical», indique blouse dans la rue Michel Lavaud, porte-parole de la police nationale. Il note : «Ce qui est intéressant, c’est que le phénomène a émergé une semaine après le début du confinement, dès l’instant où la problématique des masques et des équipements de protection est deve- nue centrale.» Le 25 mars, la police pour ne pas se diffusait sur les réseaux sociaux un message pour prévenir des vols à la roulotte en conseillant aux person- nels de santé de cacher «les éléments distinctifs (caducée, carte profession- nelle)». Samedi, c’était cette fois un appel à préserver les bouts de papier où figurent les menaces «pour les re- faire agresser» cherches de la police scientifique» en vue d’identifier leur auteur. «Au- delà de l’aspect moral, nous voulons Le 26 mars à Paris, dans les Témoignages aussi rappeler qu’une menace est une infraction, plaide Michel Lavaud. Il Depuis le début du confinement, infirmiers et soignants faut encourager les victimes à ne pas ments auprès des professionnels de banaliser ces messages.» santé, trafic de masques, ndlr] et de sont parfois les cibles d’actes malveillants et de menaces Pour le chef du service communi- nouvelles cibles, des personnes iden- cation de la police nationale, c’est tifiables comme soignants, aux fins dans leur voisinage. Un phénomène qui reste marginal, aussi «le signe que la délinquance de récupérer notamment des mas- s’adapte» : «C’est toujours une ques- ques.» De fait, la plupart des sus- mais qui entretient un sentiment d’insécurité chez tion d’opportunité. Les délinquants pects interpellés dans les dossiers ces hommes et femmes en première ligne. se sont adaptés avec de nouvelles es- de vols sont déjà connus des servi- croqueries [arnaques à la chloro- ces. A l’instar du jeune homme quine, aux faux ordres de vire- soupçonné d’avoir agressé une gé- Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

d’une plateforme d’écoute. «Ces inci- vilités sont à la marge, concède au- carnet près de Libération Martine Laplace, présidente du conseil interdéparte- mental de l’Ordre des infirmiers des DÉCÈS Landes, des Pyrénées-Atlantiques Labeaume. et du Lot-et-Garonne. Mais on ne peut pas les nier.» Elle appelle les Dina, sa fille, victimes à faire remonter tous les si- Nicolas CHOUREAU, gnalements et à déposer plainte. son petit-fils, «Les parquets ont été appelés à la vi- et ses amis, gilance et sont extrêmement réactifs sur ce type de faits, a fortiori dans le ont la tristesse de vous contexte actuel», souligne-t-on à la faire part du décès de chancellerie, qui rappelle : «D’une façon générale, les personnels soi- Jacques KIKOÏNE gnants bénéficient d’une protection dit YANKEL pénale renforcée.» La loi prévoit en effet de plus lourdes peines pour à l’aube de ses 100 ans. des violences verbales ou physiques envers un agent «chargé d’une mis- Compte tenu des évènements sion de service public» ou «un pro- actuels dus au Covid-19, fessionnel de santé dans l’exercice ou ses obsèques ont eu lieu dans du fait de ses fonctions». la plus stricte intimité familiale. Dons de masques A Limoges, une infirmière libérale Cet avis tient lieu de faire-part et de remerciements. a porté plainte après qu’un individu lui a soutiré du gel hydroalcoolique et des masques. «Il m’a sauté dessus et il m’a dit : “Donne ton matos ou tu crèves”», a-t-elle témoigné dans le Populaire du Centre, alors que le parquet de Limoges a ouvert une enquête sur ces violences «inaccep- tables». Dans l’Hérault, une en- quête a été ouverte par le parquet de Montpellier pour «expulsion par voie de fait» après que Mélina Flo- rès, infirmière en réanimation au CHU de la ville, s’est vue contrainte de quitter son domicile sous la pres- sion de ses propriétaires, un couple de seniors craignant d’être contami- nés par le virus. «Ils ont multiplié vexations et mesures de rétorsion, comme couper l’eau chaude et le chauffage de leurs locataires, dé- brancher l’antenne télé, laisser le portail ouvert pour que leur chiot s’enfuie ou faire du bruit en pleine nuit», avait détaillé son avocat, Rémy Lévy, dans Libération. Pour autant, face à l’investissement Vous organisez sans limite des personnels médi- caux auprès des milliers de mala- un colloque, des du coronavirus, «la majorité des un séminaire, personnes sont bienveillantes», une conférence... tient à relativiser Thierry Amou- roux, porte-parole du Syndicat na- Contactez-nous tional des professionnels infir- miers, qui recense des dons de Réservations masques ou de blouses, des cagnot- tes en ligne, un gâteau ou un sac de et insertions provisions déposés sur le pas-de- la veille de 9h à 11h porte… «Après une journée mons- trueuse, ça n’a l’air de rien, mais ça pour une parution fait du bien.» Martine Laplace com- le lendemain plète : «Dans les Landes, un infir- mier s’est fait asperger d’eau alors Tarifs : 16,30 e TTC la ligne qu’il sortait de sa voiture, mais un Forfait 10 lignes : autre nous a raconté qu’un enfant 153 e TTC pour une parution lui avait apporté trois œufs de ferme 15,30 e TTC la ligne suppl. rues du IVe arrondissement. Photo Jerome Lobato pour le remercier de s’être occupé de abonnée et associations : - 10 % sa grand-mère.» Il y a quelques jours, une aide-soignante de l’hôpi- Tél. 01 87 39 80 00 néraliste de SOS Médecins à miers et de directeurs d’hôpitaux. plus touchées par le virus» : «l’Ile-de- tal de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor) Villeurbanne (Métropole de Lyon), Jean-François Haned, président du France, l’Est, mais aussi la Proven- s’est manifestée auprès du quoti- dans la nuit de samedi à dimanche, conseil régional de l’Ordre des infir- ce-Alpes-Côte d’Azur». Se voulant dien régional Ouest-France pour pour lui voler son véhicule avec miers en Ile-de-France, abonde : rassurant, il affirme que les soi- rendre publique une bonne nou- Vous pouvez nous faire tout son équipement : son casier «Les forces de l’ordre nous ont con- gnants victimes de malveillance ou velle : son propriétaire a décidé de parvenir vos textes ­judiciaire affiche une soixantaine tactés afin de nous donner quelques d’agression seront «accompagnés baisser son loyer de moitié, jusqu’à par e-mail : de mentions. Du côté de la gen­- recommandations.» Pour ce cadre sur le plan juridique» par l’Ordre, la fin du confinement. Raison invo- [email protected] darmerie, où 83 cas ont été relevés, infirmier au sein des sapeurs-pom- qui met déjà à disposition des mo- quée par l’intéressé : «C’est une fa- on fait également de la préven- piers de l’Essonne, les régions les dèles de courrier pour se constituer çon d’exprimer notre gratitude en- tion en allant au contact d’infir- plus frappées sont aussi celles «les partie civile et prévoit l’ouverture vers les soignants.» • 14 u événement Société Libération Vendredi 10 Avril 2020

Le carré musulman du cimetière de Thiais, dans le Val-de-Marne. Photo Julien MAGRE Immigration L’autre rive sans voyage

Pour les familles des victimes du Covid-19 issues de l’immigration, la douleur du deuil se double de l’impossibilité de rapatrier les dépouilles dans les pays d’origine. Les frontières sont fermées pour les vivants comme pour les morts.

Par Ramsès Kefi et Rachid Laïreche Récit

li (1) a espéré jusqu’au bout Le vieil homme, 80 ans passés, sou- conque sentiment patriotique. Au pouilles. Par le biais de contrats une acceptation des mairies et sur- rapatrier la dépouille de son haitait être inhumé en Afrique du vrai, elles plongent au plus profond souscrits (via des banques) ou en- tout, un manque global. Mais on est A grand-père en Algérie, mort Nord, près de sa femme. «Avant tout des racines de l’émigration. For- core par la législation (facilitant pa- toujours dans les nuances, souligne du Covid-19 en Seine-Saint-Denis. ça, il envisageait même de retourner ment une pelote où s’entremêlent perasse et transfert). Géopolitique la chercheuse. «Des communes vont Il y a eu tous ces jours à écumer les là-bas. D’une certaine façon, il anti- fantasme d’un retour avorté (partir de la mort : celle-ci permet à ces mettre à disposition plus de places administrations, passer des coups cipait. On l’a su après sa mort, mais de son terroir et revenir riche au- Etats, fabricants de diasporas, d’en- dans leurs cimetières, qui ne seront de fil et tout miser sur un avion- il avait même laissé une enveloppe près des siens), perpétuation d’une tretenir le lien avec leurs émigrés et peut-être pas pourvues. Et à l’in- cargo qui embarquerait encore des à mon oncle pour couvrir les frais. mémoire (offrir aux enfants une at- leurs descendants. Ces derniers verse, on aura des vides là où il va y corps d’une rive à l’autre. Et puis, le On ne se rend pas compte mais ce tache avec la terre de leurs ancêtres) ­forment d’ailleurs une catégorie avoir des besoins. Les imams sont verdict est tombé : le coronavirus deuil, qui éloigne tous les proches, ici et désir de réparer (rejoindre ceux complexe, ils envisagent plus fa­- souvent les référents des élus en la ferme toutes les frontières. La pan- comme là-bas, pourrait avoir beau- qu’on a quittés pour l’éternité). cilement leur future sépulture en matière. Les premiers représentent démie pose ses conditions, partout coup de répercussions psycholo­- Valérie Cuzol, sociologue et auteure France, sans écarter la possibilité de une certaine demande, mais pas et tout le temps. Elle modèle la giques.» Le retraité sera mis en terre de travaux sur la question, expli- rejoindre un parent au bled. toute la demande.» souffrance à sa guise, écartant de dans la commune de Seine-Saint- que : «Le choix du rapatriement est Le Nord, le Sud ou encore l’Est : ce son chemin dernières volontés, tra- Denis, où il a vécu cinq décennies. en partie lié au désordre et au désé- «Méconnaissance» printemps-ci, les carrés musulmans ditions et communions. Ali : «Le la- Son terroir bis. Le petit-fils répète quilibre produit lorsque quelqu’un L’épidémie pose désormais – et se remplissent à une vitesse triste- vage du corps, comme le veut l’islam, que chaque malheur se relativise : quitte son territoire d’origine. On concrètement – la problémati- ment folle. Des maires de Seine- est ­interdit. Une liste resserrée est «Des musulmans, comme nous, ­entre dans le cadre d’histoires de fa- que de l’islam dans les cimetières Saint-Denis, territoire d’accueil nécessaire pour l’enterrement… n’auront pas de place dans le cime- milles singulières, qui touchent aux français, que Valérie Cuzol qualifie et de surmortalité due au Covid (au Nous sommes une famille soudée et tière de leur ville.» fratries amputées.» L’interrogation «d’impensé» : «Je ne sais pas si, au moins 300 personnes ont péri à nombreuse. Comme pour d’autres, Les chiffres officiels, toujours sous-jacente a l’allure d’une gigan- fond, les élus aussi ont intégré l’idée cause du virus), gambergent très il ne nous reste plus grand-chose, si ­complexes à compiler, indiquent tesque impasse : à qui appartient que les musulmans préfèrent le fort. Gilles Poux, édile de La Cour- ce n’est le téléphone pour combler des que 75 % à 80 % des personnes de plus un corps ? A ceux qui sont res- ­rapatriement. Peut-être. Ce qui est neuve : «La commune compte moments où les proches devraient culture musulmane mourant dans tés là-bas ou ceux qui vivent ici ? certain, c’est qu’il y a une mécon- 103 nationalités et 37 % de la popu- être ensemble. Mon grand-père était le département sont en temps nor- Faut-il assurer la continuité avec les naissance autour de cela.» En 2010, lation est étrangère. Pour le mo- aimé d’un nombre incalculable de mal enterrées dans leur pays d’ori- ancêtres là-bas ou en devenir un à elle dénombrait plus de 200 carrés ment, on peut répondre à la forte de- gens. On n’imaginait pas tant de gine. Pour la première génération son tour ici ? musulmans (sur 36 000 commu- mande. La vraie difficulté concerne ­solitude et se retrouver à le pleurer d’immigrés, les raisons dépassent De leur côté, certains pays encou­- nes), puis le double en 2015. Cela les restrictions publiques. Certaines avec un masque sur le visage.» la dimension religieuse et un quel- ragent fortement le retour des dé- dénote une demande en hausse, familles nombreuses sont touchées, Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

par exemple, et tous les membres personnes réfléchissent à des entre- ponds à tous ceux qui me deman- conseillé de vite l’enterrer parce que ­parler, on se comprend. On a le souhaitent accompagner le défunt. deux en attendant la réouverture du dent d’enterrer les corps ici que la les cimetières se remplissent très ­sentiment que tout doit aller vite : Nous devons être pédagogues.» monde : l’exhumation – enterrer place de celui qui part est sous terre vite. On se retrouve seul, c’est vio- l’enterrer et partir.» Samia est à Un autre élu du département : «Per- un corps en France et le déterrer et qu’il ne faut pas faire de différence lent. Pas de réunion de famille, rien. «bout de forces». Elle craque : «Mon sonne ne peut rentrer au pays. Des ensuite­ ; l’attente – conserver coûte entre les terres dans une telle pé- Au Mali, mes tantes et oncles sont père part seul, dans une chambre, familles en détresse me jurent que que coûte la dépouille par ses riode.» Et déterrer un corps ? «Une tristes. Les voisins envoient quand sans dire au revoir à ses enfants ni leurs parents, frères ou sœurs ne ­propres moyens et à ses frais, avec fois qu’il est sous terre, il faut le lais- même des plats et prennent des nou- à sa femme et ne peut être enterré sont pas morts du coronavirus. Ils le risque d’étaler le deuil dans le ser reposer.» velles. Mais ils restent à distance, ils là où il aurait voulu. Personne ne ont un certificat qui l’atteste, mais je temps. Un imam influent en Ile-de- disent que peut-être quelqu’un de la ­mérite ça.» ne peux ouvrir les frontières.» Et : «Il France : «Je reçois des dizaines d’ap- «Une autre voix» famille est infecté.» Du bout des lèvres, un maire de ne faut pas oublier d’autres com­- pels quotidiennement, soit pour Aminata (1) a perdu sa mère, femme Samia (1) confie peu ou prou une banlieue parisienne confessera un munautés, comme les Portugais et me dire qu’un proche est malade et de ménage dans le nord de Paris, expérience similaire : «On a reçu mensonge nécessaire : le cimetière les Italiens, par exemple. Ils sont qu’il faut prier pour lui, soit pour des qui s’était arrêtée avant le confine- plusieurs appels des voisins, de la de sa commune pourrait accueillir nombreux dans le département et ­conseils quant à l’enterrement. Je ré- ment pour ne prendre aucun risque. famille. Ils parlaient tous bizarre- des musulmans défunts, mais il s’y tout aussi dévastés de ne pas enter- Trop tard, elle était malade. Son pe- ment. Le coronavirus change tout, refuse par peur d’être lui-même dé- rer les leurs là-bas.» tit frère, qui vit avec elle, est incon- même le ton des condoléances. Les bordé si certains de ses administrés Des bénévoles issus de la commu- solable : chauffeur-livreur, il pense gens prennent une autre voix. Je ne venaient à mourir en nombre. On nauté musulmane se dévouent au «Au cimetière l’avoir contaminée. «Deux jours sais pas comment l’expliquer. Peut- est dans l’inconnu et le pire n’a pas travers des réseaux sociaux pour après la visite du médecin, elle allait être qu’ils ont peur, tout simple- de plafond. Des élus craignent aussi conseiller des familles en suspens, de La Courneuve, mieux, presque plus de symptômes. ment, qu’ils comprennent que ça que l’épidémie se propage dans les coincées entre l’impossibilité du on a croisé des gens On était soulagés. J’ai appelé tout touche n’importe qui.» Son père, né foyers de travailleurs immigrés, ­rapatriement (la tradition, parfois le monde. Les voisins, la famille au dans l’est de l’Algérie, est parti la où les douches et les cantines sont tacite et jamais formulée par le dé- comme nous. Mali et les amis pour dire qu’elle ­semaine dernière. «On a une belle encore communes. Des hommes funt), la rumeur de carrés musul- Pas la peine ­allait mieux.» La rechute l’a empor- maison là-bas. Il n’a même pas eu le seuls et vulnérables. En cas de tra- mans déjà complets (le sujet est une tée. Le père d’Aminata a disparu il droit à une prière à la mosquée. Il gédie, ils reposeraient là où les fabrique à fausses informations de se parler, y a deux ans : «Ma mère ne peut le allait toujours à celle en bas de chez leurs ne pourront peut-être jamais et arnaques en tous genres) et l’ur- rejoindre en Afrique. Je suis allée nous. C’est tout. Au cimetière de se recueillir. • gence d’enterrer (comme le prescrit on se comprend.» voir un oncle qui s’occupe des rapa- La Courneuve, on a croisé des gens la religion musulmane). Certaines Samia (1) qui a perdu son père triements. Tout était bloqué. Il m’a comme nous. Pas la peine de se (1) Tous les prénoms ont été changés. 16 u expresso Libération Vendredi 10 Avril 2020

Le confinement, la BBC, ses archives LIBÉ.FR et les hanches de Tony Britts Quand la crise pointe, les Britanniques applaudissent ­le National Health Service, écoutent religieusement la reine et regardent la BBC. Depuis le début du confinement, les archives de la British Broadcasting Corpora- tion diffusent leurs joyaux sur Twitter, dont des séances de fitness des années 80 menées par le danseur Tony Britts, aux shorts moulants affolants, devenu ­en quelques jours une vedette des réseaux sociaux. A lire, et surtout à voir, dans la chronique «Bristish Stories» de notre correspondante à Londres. Capture BBC

De longs passages vocalisés, parfois presque déclamés, permettent de décrire en dé- tail les conditions de vie des plus pauvres et de faire passer des messages politiques. Tous les grands événements de ces dernières décennies (les conflits sociaux avec les paysans du Nord, les gran- des inondations, les coups d’Etat…) ont donné lieu à des chansons largement diffu- sées dans la société thaïlan- daise. En Asie du Sud-Est, ce genre d’art chanté, qui a son équivalent dans chaque pays de la région, est souvent un rare espace de liberté d’ex- pression dans des sociétés ­ultra-militarisées.

Inquiétude. L’une des chansons de ces dernières ­semaines, appartenant au genre mor lam (la version plus rugueuse, plus décla- mée, plus drôle du luk thung) commence d’ailleurs par ces mots : «Frères et sœurs le monde a bien changé de- puis 2005 /Les Anciens di- saient qu’un jour le monde ­entrerait dans le chaos, qu’on mourrait pour nos excès…» Allusion au changement de Campagne de publicité diffusée en mars par la compagnie de transports de Bangkok, la RATP thaïlandaise. Capture South China Morning Post paysage politique, après les élections de 2005 remportées par un parti démocratique populiste et pro-pauvres, ren- versé quelques années plus En Thaïlande, la country «luk tard par l’armée, toujours à la tête du pays aujourd’hui. Le texte tente de faire le lien ­entre modèle de dévelop­- thung» met en musique le Covid-19 pement à tous crins, soif de pouvoir des élites militaires et arrivée du virus. Spontanées et nière, passe désormais sur appelle à «l’unité du peuple ques semaines. La ballade C’est aussi que l’art de la Cette profusion de produc- concrètes, ces toutes les radios. Elle n’est thaï contre le virus». ­romantique «Le Covid parti, chanson luk thung est assez tions culturelles révèle aussi chansons folk pas la seule à puiser son ins- je viendrai t’embrasser», par flexible et assez concret pour que les populations rurales, piration dans l’épidémie : Réalisme. Mais la particula- un maître du genre, ode aux intégrer rapidement des élé- bien qu’éloignées pour l’ins- fleurissent au gré pas moins de dix chansons rité thaïlandaise réside sans plaisirs simples de la vie et de ments de l’actualité sans pa- tant des foyers de contamina- de l’actualité et sur ce thème sont sorties ces doute dans les chansons du l’amour, fait aussi partie des raître ridicule ni déplacé, en tion, sont inquiètes et se sen- malgré la censure. deux dernières semaines en genre luk thung, la musique cartons de la semaine. «Pro­- touchant un large public. Si tent très vulnérables face au Elles expriment à ­Thaïlande. country, qui met en valeur tège-toi bien, supplie le chan- certaines chansons utilisent virus. Avec l’économie du présent les craintes Outre les vidéos pédago­- le texte et les instruments à teur, quant à moi je t’aime une langue assez poétique, pays à l’arrêt, sans aide du des Thaïlandais giques chorégraphiées, desti- ­cordes traditionnels sur des ­tellement que je me désin- notamment sur la descrip- gouvernement pour le secteur pauvres et isolés. nées à enseigner au public arrangements studio. Parti- fecte les mains avant de t’en- tion de la vie à la campagne, informel, des familles, des vil- l’art de bien se laver les mains culièrement présent dans voyer un texto.» Selon Asaree beaucoup reflètent de façon lages entiers qui dépendaient ou de prendre un ascenseur le nord-est pauvre du pays et ­Thaitrakulpanich, journaliste très réaliste, voire triviale, les des maigres sa­laires des tra- Par sans se regarder – celle spon- chez les travailleurs migrants pour le site d’information préoccupations des classes vailleurs de la ville se retrou- Carol Isoux sorisée par l’équivalent local des villes, le luk thung (lit­- Khao Sod, cette créativité ouvrières et paysannes, no- vent aujourd’hui privés de Correspondante à Bangkok de la RATP connaît d’ailleurs téralement «enfant des ri­- ­inspirée du Covid-19 est la tamment leurs difficultés tout revenu. Dans les cam­- un joli succès avec près d’un zières») décrit le plus souvent preuve que «même le virus ne matérielles et financières. pagnes, les médecins sont e Covid arrive… million de vues –, il y a aussi, la solitude loin des siens res- parvient pas à vaincre l’ob­- Les titres de certains tubes ­rares, le premier hôpital est mes larmes cou- comme en France ou ailleurs, tés au village, l’amant parti session thaïe pour le sanook, qui ont traversé des décen- souvent à des heures de route, «L lent.» Masquée de les odes au personnel soi- travailler en ville, la nostalgie (le divertissement)». Dans la nies parlent d’eux-mêmes : les villageois ne s’y rendent noir, la diva de la chanson gnant, plus intimistes, ac- d’une vie proche de la nature, ­culture thaïlandaise, rien, pas l’Estomac qui tremble, la Fille ainsi quasiment jamais ; ils populaire thaïlandaise Jin- compagnées à la guitare la souffrance de l’attente. Au- même un virus meurtrier, ne de la ferme à concombres… n’entrent pas dans les statis­- tara Poonlarp vocalise sur ­sèche par des stars comme tant de thèmes qui fonction- doit être pris trop au sérieux. Les textes thaïs peuvent se tiques nationales. Comme l’impuissance douloureuse Aed Carabao, connu pour son nent bien en ces temps de Le mot «sérieux» a d’ailleurs permettre un grand pro­- le dit une chanson mor lam : face à la montée du virus. engagement politique natio- ­semi-confinement auquel le dans le langage courant une saïsme sans risque de rebuter «Dans les campagnes, on Le titre, sorti la semaine der- naliste et anticapitaliste, qui pays est soumis depuis quel- connotation très négative. le public. meurt sans faire de bruit.»• Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 17

Evaluer ou ne pas évaluer, LIBÉ.FR telle est la question Avec le confinement, la continuité pédagogique fait ressurgir le débat sur la notation, une question à laquelle l’Education nationale a récemment apporté des précisions, tout en invoquant la «liberté pédagogique» des enseignants. Photo Getty Images

Le pic, le plateau, la vague… «Cela ne s’est pas produit depuis on ne sait plus Jean-Paul Mari suit au Ils intubaient, ventilaient, pour une mise en bière deux mille ans jour le jour le combat cherchaient une place dis­- ­immédiate. Alors «merci d’une équipe médicale ponible en réa, un lit en pro- pour les applaudissements de dans un hôpi- vince et n’avaient 20 heures, mais, merde, res- 36% qu’il n’y ait pas tal d’Ile-de- Vu de pas le temps de tez chez vous !» s’énerve une C’est la part de la perte de célébration France. l’hôpital se poser de ques- jeune médecin-urgentiste. d’activité depuis le dé- «Quatre jours de tions, sauf une Des héros ? «Je ne fais pas but du confinement congé, ah non, c’est trop !» seule, cruciale : «Va-t-on tenir cela pour avoir des médailles, publiée jeudi par l’In- de Pâques.» Dans le bureau du planning, le choc ?» Hantés par le spec- mais parce que c’est mon l’interne proteste. Abandon- tre d’un scénario «Bergame» ­métier !» see, qui l’estime à 42 % ner le travail aux urgences, à l’italienne, les médecins Personne n’est dupe. Ils pour le seul secteur mar- se retrouver chez soi, seul, à la dérive, la réa comme un ont crié dans le vide si long- chand. Dans son nou- confiné ? Finalement, il mouroir, et des convois mili- temps. Et les voilà promus veau point de conjonc- ­obtient une garde de vingt- taires en place des pompes «héros-soldats» en mission quatre heures d’affilée, la funèbres. Non, ils n’avaient sacrificielle. Allons donc ! ture, l’institut confirme pierre Vignon plus dure. pas le temps de vivre et lais- Ils savent que le discours est sa première estimation Prêtre lanceur d’alerte sur Tout semble étrange en ce ser mourir. Comment un psy, transitoire, politique. Après ? les abus sexuels et spirituels d’il y a deux semaines, moment dans les services. assis dans son fauteuil, au- Après viendra le temps du faisant état d’un recul de dans le catholicisme Certes, la réanimation reste rait-il pu comprendre tout vide, du retour sur soi, de

AFP pleine, mais les régulateurs ça ? «Notre cellule psycholo­- la routine, sans adrénaline, - 3 % du PIB sur l’année chargés de recevoir les appels gique mise en place pour les mais peuplé de cauchemars. pour chaque mois con- Du haut de la butte Montmartre, l’archevêque de Paris, de détresse ne mâchouillent soignants a reçu à peine vingt L’impuissance face à ce mal finé. La consommation Michel Aupetit, a béni jeudi la ville et la France. En ces plus leur déjeuner debout, appels en quinze jours», dit le inconnu, ce geste médical des ménages recule éga- temps d’épidémie, il s’agit de «demander sa protection leur téléphone collé à l’oreille. docteur Jean-Pierre (1). qu’on a refusé, la vision du au Seigneur», a-t-il expliqué mardi lors d’une visioconfé- La cantine est pleine, les pla- Alors ils vivaient le métier collègue et ami qui étouffe, le lement de l’ordre d’un rence de presse. La cérémonie fait figure d’exception. De- teaux-repas offerts par Potel «puissance 1 000», les nerfs regard fiévreux d’un patient tiers, comme l’illustre la puis le 17 mars, aucun office de quelque confession que et Chabot, chic rare en ban- à vif et le corps accablé de qui s’en va, et celui de sa fille forte chute des achats de ce soit n’a pu avoir lieu en public. Du coup, c’est une in- lieue, viennent du XVIe ar- ­fatigue, avec la peur d’être à qui il faut l’annoncer. Les carburant, de véhicules croyable ava­lanche de célébrations en ligne, sur You- rondissement, les urgentistes ­infectés ou de transmettre la projecteurs s’éteindront, les Tube, Facebook ou les ­sites internet, des paroisses (la traitent des non-Covid et il ar- chose aux siens à la maison, bravos cesseront, ils seront et de vêtements, ainsi messe de 7 heures du pape cartonne) et des mosquées. rive aux ambulanciers de pié- obligés, le cœur brisé, de se seuls. Oubliés ? Après, c’est là que des services d’héber- Et, pour cette semaine dite «sainte», elles se multiplient tiner, masque sur le nez, au détourner d’un malade trop qu’ils auront besoin d’écoute gement, de restauration comme des petits pains. Un activisme numérique qui, pied de leur véhicule vide. Le âgé, sans pouvoir accompa- et de psychiatres. Même si et de loisirs. Mais aussi selon le prêtre Pierre Vignon, cache mal un certain désar- pic, le plateau, la vague… où gner les morts, les endeuillés, l’hôpital en manque aussi des dépenses alimen­- roi devant une situation ­inédite : «Cela ne s’est pas produit en est-on ? On ne sait plus. la famille, privée de rituel cruellement. depuis deux mille ans qu’il n’y ait pas de célébration Jusqu’ici, les soignants vi- ­funéraire, qui n’embrassera Jean-Paul Mari taires, en baisse de 35 % de Pâques.» Lui plaide pour un retour à l’intériorité. B.S. vaient arcboutés sur la tâche. pas le visage aimé, escamoté (1) Les noms ont été modifiés. depuis début avril.

A New York, l’hôpital A Madrid, au moins des évangélistes à Central Park 3 000 morts non comptabilisés Une quinzaine de lon- Samaritan’s Purse. Une de foi de l’organisation, qui Et si l’Espagne, un des tifs» au virus ont été dépistage le plus large possi- gues tentes blanches ONG humanitaire condamne le mariage homo- pays les plus touchés comptabilisés. Allant ble, en commençant dès la ont poussé la se- chrétienne évangé­- sexuel et l’avortement. Le par la pandémie, dans ce sens, l’Insti- semaine prochaine par les maine dernière sur lique présidée par le coronavirus existe «parce l’était en fait bien da- tut de Santé Carlos-III populations les plus expo- les pelouses d’East missionnaire Franklin que l’homme a commis des vantage que ce que di- estime qu’en réalité, sées (soignants, forces de Meadow, en plein Cen- Graham, fils de feu Billy péchés : il a tourné le dos sent les chiffres officiels 5 % de la population es- l’ordre). Les causes de cette tral Park. Un hôpital de cam- Graham, figure influente de à Dieu», a affirmé Franklin (plus de 15 000 morts et pagnole – soit 2,3 millions de surmortalité font par ailleurs pagne dressé en un temps cette communauté. Au sein Graham sur Fox News. 152 446 contaminés jeudi) ? personnes – serait affectée débat. Outre une population ­record, où sont traités 40 pa- de ce courant religieux de- «Cette crise sanitaire est bien C’est une conviction parta- par le virus, de façon grave, vieillissante, – 8 millions tients dont 6 en soins inten- venu le plus important et le trop délicate pour qu’on gée par la majorité des ex- légère ou asymptomatique. d’Espagnols ont plus de 65 sifs. Et ce afin de soulager plus dynamique aux Etats- laisse les télévangélistes et perts, dont la Société espa- L’agglomération de Madrid, ans –, le sociologue Enrique l’hôpital Mont Sinaï, de l’au- Unis (80 millions d’Améri- autres marchands de foi gé- gnole d’épidémiologie, selon par exemple, pourrait être Gil Calvo signale dans le quo- tre côté de la Cinquième cains, environ 25 % de la po- rer nos besoins médicaux», laquelle plus de 90 % des contaminée à 40 % et pré- tidien El País le fait que 90 % Avenue. New York a connu pulation), le président de s’est ému Brad Hoylman, sé- cas de contagion ne seraient senter 3 000 décès non des 20-24 ans vivent chez mercredi sa journée la plus Samaritan’s Purse est l’un nateur démocrate de New pas comptabilisés par les es- comptabi­lisés. Conscient de leurs parents : «Les jeunes Es- meurtrière et compte plus des plus fervents alliés de York. Regrettant que l’inertie timations du ministère de la cette réalité et disposant en- pagnols pré­carisés contami- de 6 000 des quelque Trump. Comme pour toutes du gouvernement fédéral Santé. Les deux motifs prin- fin de millions de tests ache- nent malgré eux leurs pa- 14 600 morts recensés jus- ses opérations dans les pays ait forcé la ville «à accepter cipaux en sont le nombre dé- tés à des entreprises chinoi- rents et ces grands-parents qu’ici aux Etats-Unis. en guerre, Samaritan’s Purse la charité de tels fanatiques». risoire de tests effectués à ses, le gouvernement du qui s’occupent de leurs petits- L’hôpital temporaire a été n’a recruté que des soignants Isabelle Hanne ce jour, ainsi que le fait que socialiste Pedro Sánchez a enfants. Un modèle latin cer- bâti, financé et est géré inté- chrétiens. Les bénévoles ont Correspondante seuls les morts ayant été changé sa stratégie, qu’il en- tes convivial, mais létal.» gralement par l’organisation dû approuver la profession à New York ­préalablement donnés «posi- tend désormais baser sur le François Musseau 18 u Expresso Libération Vendredi 10 Avril 2020

L’armée tchadienne perd 52 hommes face LIBÉ.FR à Boko Haram L’opération lancée contre le groupe jihadiste Boko Haram au lac Tchad a coûté la vie à «52 militaires tchadiens», a annoncé jeudi à l’AFP le porte-parole de l’ar- mée du pays, affirmant qu’un millier de jihadistes ont été tués. ­Déployée le 31 mars, l’armée tchadienne a achevé son opération ­mercredi, chassé les jihadistes de son sol et se trouve «en profondeur sur le territoire ­du Niger et du Nigeria, en attendant que leurs troupes prennent le relais», a ajouté le colonel Azem Bermendoa Agouna. Photo AFP Armes chimiques : Damas confondu

L’Organisation pour visé. Une bombe traverse le l’interdiction des toit en relâchant du chlore. armes chimiques Au moins 30 personnes sont intoxiquées. L’attaque a cette démontre dans fois été perpétrée par un héli- un rapport publié coptère venu de Hama. Le mercredi la 30 mars, nouveau bombarde- responsabilité ment, non loin de celui du du régime syrien 24 mars. Encore un Su-22 dans des attaques parti d’Al-Shayrat et qui lar- au chlore et au sarin gue la même bombe, dite en 2017 à Latamné. M4000, contenant du sarin. Plus de 60 personnes sont ­affectées. Par Luc Mathieu Stocks. Le régime de Damas ne devrait théoriquement e 24 mars 2017, vers plus avoir de stocks permet- 6 heures du matin, tant de produire du sarin. Il L dans un champ de La- s’était engagé à les détruire tamné, petite ville de la pro- lors de son adhésion à l’OIAC. vince de Hama, une ex­- Mais, selon l’organisation, les plosion particulière s’est composants du sarin utilisé produite. Les habitants, ha- à Latamné correspondent à bitués aux bombardements, ceux de ses anciens stocks. n’ont cette fois pas reconnu Leurs conclusions précises le bruit. Ce n’était pas celui sont classifiées, mais acces­- d’un missile classique, tiré sibles aux pays membres. par un avion, ou celui d’un Ce n’est pas la première fois baril d’explosifs largué de- que Damas et son armée sont puis un hélicoptère. Ils n’ont jugés responsables d’atta- pas non plus senti une odeur ques chimiques par une ins- de chlore. Moins de bruit, et tance internationale. En 2017, pas d’odeur. le mécanisme dit JIM, qui En juin 2018, l’Organisa- ­regroupait des enquêteurs tion pour l’interdiction des de l’OIAC et de l’ONU, avait armes chimiques (OIAC) avait ­conclu à sa culpabilité pour ­conclu que l’explosion, inha- plusieurs bombardements au bituelle, était en réalité une sarin et au chlore, dont celui attaque à l’arme chimique, au de Khan Cheikhoun. sarin, un neurotoxique banni Les rapports du JIM avaient des conventions interna­- ulcéré la Russie. Moscou avait tionales. Mercredi, une autre La ville de Khan Cheikhoun a été la cible d’une frappe chimique le 4 avril 2017. Photo Omar haj kadour. AFP d’abord avancé différentes équipe d’enquêteurs de versions, parfois contradic- l’OIAC a rendu son rapport : a été obligée d’adhérer à nale d’agir, dans les enceintes de collaborer du régime de est proche de l’autoroute M5, toires, pour dédouaner Da- l’armée syrienne est respon- l’OIAC, où sont représentés ­multilatérales pertinentes, et Damas. Il se base sur des té- qui relie Alep à Damas, la ca- mas. Les diplomates russes sable. Les enquêteurs ont 192 autres pays, après le bom- de tirer les conséquences des moignages, des vidéos, des pitale. Une voie vitale pour le avaient poursuivi l’offensive abouti aux mêmes conclu- bardement de la Ghouta au ­conclusions de ce rapport», images satellites, des analy- régime syrien qui a fini par la au Conseil de sécurité. Avec sions pour deux autres bom- sarin en août 2013. Plus de note le Quai d’Orsay. «Aucune ses de restes de munitions, reprendre début février. succès. En novembre 2017, ils bardements à Latamné, le 1 400 personnes avaient été désinformation des soutiens des dossiers médicaux de vic- En 2017, Latamné était con- mettaient leur veto au renou- 25 mars 2017 au chlore, et le tuées, ­selon MSF. La Russie d’Al-Assad en Russie et en Iran times. Il permet de retracer trôlé par les jihadistes d’Ha- vellement du mandat du JIM. 30 mars 2017 au sarin. Les tente depuis plusieurs années ne pourra cacher le fait que le déroulé des attaques et yat Tahrir al-Sham et plu- La commission d’enquête trois attaques ont fait jusqu’à d’empêcher l’OIAC d’enquê- le régime est responsable de d’imputer leur responsabilité sieurs autres groupes armés. était morte. Mais dans les 3 morts et plus de 108 blessés, ter. Soit par le biais de son nombreuses attaques chimi- «aux plus hauts niveaux de Face à eux, l’armée nationale, mois qui ont suivi, les pays selon l’OIAC. L’objectif des droit de veto au Conseil de sé- ques», a déclaré le secrétaire l’armée». l’armée de l’air et les forces occidentaux, dont la France, frappes chimiques est plus de curité, soit en essayant de blo- d’Etat américain, Mike Pom- Les bombardements chi­- d’élites dites du «Tigre». ont répliqué à l’OIAC. Leur terroriser que de tuer. quer le budget de l’organisa- peo. «La communauté inter- miques sur Latamné étaient Le 24 mars, des habitants de idée : étendre les prérogatives Damas a condamné le rapport tion ou de la discréditer. nationale doit s’assurer que les passés relativement inaper- Latamné repèrent un avion de l’organisation et permettre jeudi, le qualifiant de «trom- responsables soient traduits çus. Mais quelques jours plus syrien au-dessus de la ville. à ses enquêteurs de ne pas peur», et contenant «des Témoignages. Les pays devant la justice», a ­déclaré tard, le 4 avril 2017, la ville Les enquêteurs de l’OIAC ont seulement déterminer si une ­conclusions infondées et fabri- occidentaux ont salué la pu- son homologue ­allemand, de Khan Cheikhoun, dans croisé leurs témoignages avec attaque est chimique ou non, quées». Le régime d’Al-Assad blication du rapport. «Ce tra- Heiko Maas. Une ­demande la province d’Idlib, était vi- des données de vol et des mais de désigner ses auteurs. n’a jamais reconnu avoir per- vail indépendant et impartial appuyée jeudi par le porte-pa- sée. La frappe avait tué plus images satellites. Il s’agit d’un Malgré l’opposition de la Rus- pétré d’attaques chimiques de l’OIAC conclut que du sarin role des Nations unies et par de 80 personnes. En repré- Sukhoï Su-22 de l’armée sy- sie, la commission d’enquête alors que près de 350 ont été et du chlore ont été utilisés par l’Union européenne, qui a de- sailles, Donald Trump, avait rienne, qui a décollé entre a été créée en juin 2018. Des recensées depuis le début du des unités de l’armée de l’air mandé des sanctions. ordonné des tirs de missiles 5 h 30 et 6 heures de la base investigations sont en cours soulèvement, en 2011, par du régime syrien. Il revient à Le rapport publié mercredi contre des bases syriennes. voisine d’Al-Shayrat. Le len- sur six autres bombarde- l’Institut de politique publi- présent aux membres de décrit les méthodes d’en- Les deux villes étaient alors demain, vers 15 heures, c’est ments perpétrés entre 2014 que globale, à Berlin. La Syrie la communauté internatio- quête, les sources et les refus sur la ligne de front. Latamné l’hôpital de la ville qui est et 2018. • Libération Vendredi 10 Avril 2020 u 19

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Les animaux du zoo. font les parents ?. Magazine. Libération cept # Début de compensation 9. On la touille pour ne pas la rater Vendredi, tout est permis Documentaire. 5 épisodes. Présenté par Karine Ferri. 2, rue du Général Alain Solutions de la grille précédente avec Arthur. Divertissement. 22h50. Mamans Ados : Une de Boissieu, 75015 Paris FRANCE 5 tél. : 01 87 25 85 00 Hz. I. CÉRUSAGES. II. ONET. LEST. III. PANAMA. TE. IV. CHAMBRA. année qui va tout changer. FRANCE 2 V. OLA. KOLAS. VI. LARME. ANC. VII. ARTABAN. VIII. GB. LANÇAI. 20h55. La maison France 5. CSTAR IX. NIEL. ABUS. X. INTELLECT. XI. ESCABÈCHE. 21h00. Astrid et Raphaëlle. Magazine. Présenté par Petites annonces Vt. 1. COPROLAGNIE. 2. ENA. LARBINS. 3. RENCART. ETC. Téléfilm. Puzzle. Avec Sara Stéphane Thebaut. 22h25. 21h05. Storage Wars. Carnet 4. UTAH. MALLÉA. 5. MAKEBA. LB. 6. ALAMO. ANALE. 7. GE. Mortensen, Lola Dewaere. Silence ça pousse !. Magazine. Divertissement. 22h55. Team Media 10, bd de Grenelle CS 10817 BLANC-BEC 8. ESTRAN. AUCH. 9. STÉASCHISTE. [email protected] 22h35. Astrid et Raphaëlle. Storage Wars. Divertissement. PARIS PREMIÈRE 75738 Paris Cedex 15 Série. Fulcanelli. TF1 SÉRIES FILMS tél. : 01 87 39 84 00 20h50. Les Grosses Têtes. [email protected] FRANCE 3 Divertissement. Spéciale 21h00. Grey’s Anatomy. ◗ SUDOKU 4243 MOYEN ◗ SUDOKU 4243 DIFFICILE 21h05. La boîte à secrets. Pierre Bénichou. 22h30. Série. De la part de Cristina. Impression Divertissement. Présenté Les Grosses Têtes. Je connais ce bar. 22h40. Midi Print (Gallargues), 5 4 2 7 1 3 1 7 2 par Faustine Bollaert. 23h40. Dr House. Série. 2 épisodes. TMC POP (La Courneuve), La vie secrète des chansons. Nancy Print (Jarville), 7 1 6 9 2 3 4 8 5 1 6 6TER Divertissement. L’hymne de 21h15. Mentalist. Série. CILA (Nantes) nos campagnes. Sous haute protection. 21h05. Les Simpson. Imprimé en France 4 3 5 8 Membre de OJD-Diffusion La confiance règne.22h55. Dessin animé. Joue pas les CANAL+ Contrôle. CPPAP : 1120 C Mentalist. Série. 2 épisodes. arbitres. Luca$. Bart se fait 80064. ISSN 0335-1793. 2 1 9 4 3 3 2 1 21h00. Chamboultout. avoir. 22h15. Les Simpson. Origine du papier : France W9 Comédie. Avec Alexandra Dessin animé. 9 épisodes. 1 8 7 5 4 1 7 2 Lamy, José Garcia. 21h05. Enquête d’action. CHÉRIE 25 22h45. Tanguy, le retour. Magazine. Arnaques à 3 7 8 9 7 6 4 5 Film. domicile : les nouvelles mafias. 21h05. Tellement vrai. 23h00. Enquête d’action. Magazine. Mes animaux 2 3 8 ARTE passent avant tout. 22h50. NRJ12 Taux de fibres recyclées : 9 8 4 3 7 9 5 6 20h55. Si tu vois ma mère. Tellement vrai. Magazine. 100 % Papier détenteur de Téléfilm. Avec Félix Moati, 21h05. R.I.S. police scienti- RMC STORY l’Eco-label européen Noémie Lvovsky. 22h30. fique. Série. L’ombre du passé. N° FI/37/01 8 2 4 1 6 9 8 3 Péplum : muscles, glaives Londres-Paris. 23h05. R.I.S. 20h55. Enquête prioritaire. Indicateur d’eutrophisation : et fantasmes. Documentaire. police scientifique. Série. Magazine. La face cachée PTot 0.009 kg/t de papier SUDOKU 4242 MOYEN SUDOKU 4242 DIFFICILE des ports Français. 22h00. M6 C8 Enquête prioritaire. 5 6 7 2 4 8 3 9 1 7 3 9 4 8 5 1 2 6 21h05. NCIS. Série. 21h15. Animaux à adopter, 8 2 9 1 7 3 4 5 6 6 8 1 7 9 2 5 3 4 LCP Opération Willoughby. nouvelle famille pour une La responsabilité du 3 1 4 5 6 9 7 2 8 4 2 5 3 1 6 9 8 7 journal ne saurait être 2 9 8 3 5 7 6 1 4 5 4 8 9 6 1 2 7 3 Infiltration.22h30. NCIS. nouvelle vie. Magazine. 20h30. Débatdoc. Magazine. engagée en cas de non- Série. Dos au mur. Un 22h30. Animaux à adopter, Des ordures et des hommes. 7 4 5 6 8 1 2 3 9 3 7 6 2 5 4 8 9 1 restitution de documents. 1 3 6 4 9 2 8 7 5 9 1 2 8 3 7 6 4 5 partenaire particulier. nouvelle famille pour une 21h30. Débatdoc. Magazine. 9 8 3 7 1 4 5 6 2 8 5 4 6 2 3 7 1 9 Au nom des miens. Règle 51. nouvelle vie. Magazine. 22h00. Terra Terre. Magazine Pour joindre un journaliste Solutions des par mail : initiale du 4 5 2 9 3 6 1 8 7 1 9 7 5 4 8 3 6 2 pré[email protected] 6 7 1 8 2 5 9 4 3 grilles d’hier 2 6 3 1 7 9 4 5 8 20 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 10 Avril 2020

File d’attente sur le parking d’un supermarché de Chatsworth, près de Durban, en Afrique du Sud, Idées/ le 31 mars. Photo ROGAN WARD. Reuters

Recueilli par Catherine Calvet Bertrand Badie lus de 10 000 morts victimes du ­Covid-19 aux Etats-Unis, nouvel épi- P centre de l’épidémie après l’Asie et l’Europe. Les pays les plus développés semblent désarmés face à cette pandémie. «Jusqu’à maintenant, «L’impuissance de la puissance», dirait le politologue Bertrand Badie, auteur de l’Hégémonie contestée. Les nouvelles for- mes de domination internationale (Odile les crises sanitaires Jacob, 2019). Le multilatéralisme semble avoir disparu derrière les égoïsmes natio- naux. Pourtant, jamais nous n’avons eu autant besoin d’une telle coopération, seul remède face à la crise systémique que touchaient essentiellement nous traversons, affirme le spécialiste des relations internationales. Que pensez-vous de l’attitude des Etats par temps de coronavirus ? Dans les situations d’urgence, les Etats ont les pays du Sud» pour habitude de passer par-dessus la soli- darité internationale ou le multilatéra- Pandémies, climat, faim : le spécialiste des relations internationales lisme. En outre, la plupart des gouverne- démontre depuis longtemps que toutes les nations sont interdépendantes ments souffrent d’une forte défiance au face à des menaces planétaires qui sont liées. Les questions de santé sein de leur opinion publique : ils jouent donc de la surenchère dans l’usage de la sont celles qui atteignent les souverainetés de façon presque intime. vieille méthode du cavalier seul, à l’instar lll DR D’où la difficulté à mettre en place une solidarité internationale ? des Etats-Unis glanant le maxi- Libération Vendredi 10 Avril 2020 u 21

lll mum de masques jusque sur les Ensuite, parce que, dans l’urgence, il est L’Etat parvient aujourd’hui à sécuriser surtout, il existe un troisième danger tarmacs des aéroports étrangers. Mais de toujours plus simple d’actionner les leviers des frontières, mais parvient-il encore ­planétaire, celui de la crise alimentaire, une telles pratiques ne sont pas nouvelles, nationaux plutôt que ceux, moins élabo- à sécuriser ses propres fondements ? vraie bombe à retardement qui risque de même si ­elles étaient naguère plus oua- rés, qui existent à l’échelle internationale. La protection des frontières n’est jamais faire encore plus mal. Comme les deux au- tées : on appelait cela du doux nom de Et enfin, pour des raisons particulières, qu’un confinement à grande échelle : elle tres menaces, elle a «concurrence déloyale»… liées à la nature de la question sanitaire, est utile pour freiner la propagation du frappé les pays du «Outre On assiste aussi à un manque de soli- qui expliquent le faible poids de l’OMS à ­virus et gérer les flux, mais elle ne signifie Sud, plus que nos darité au sein même de l’Union euro- laquelle les Etats n’ont jamais voulu réelle- pas forcément un retour du nationalisme. régions. Il y a au- le changement péenne ? ment déléguer de leur souveraineté. Cette On voit, en fait, réapparaître à la faveur de jourd’hui moins de climatique, L’Union est sûrement la principale victime réticence n’est pas récente. cette crise toutes les revendications présen- 2 % de la population de cette crise. Le manque de solidarité vis- Historiquement, son prédécesseur, l’Of- tes dans les mouvements sociaux qui ont européenne qui est il existe à-vis de l’Italie est très instructif. Il est grave fice international d’hygiène publique jalonné la chronologie mondiale en 2019. affectée de malnu- de voir apparaître à nouveau cette coupure (OIHP), a toujours été marginalisé, les Après plus de trente ans de néolibéralisme, trition, mais cette un autre danger presque rituelle entre l’Europe du Nord et Etats-Unis avaient même refusé que cet le social a été dissous dans l’économie et proportion est ­planétaire, l’Europe du Sud. On l’a déjà ­connue sur la office fût intégré à la Société des nations l’Homo œconomicus prime désormais sur de 30 % en Afrique. question des réfugiés, à propos des dettes après la Première Guerre mondiale. Quand l’homme comme animal social. Toutes les Cette crise alimen- celui de la crise publiques, ou de la part respective du so- l’OMS a été créée en 1948, les délégations catégories de population qui étaient déjà taire en Afrique ris- alimentaire, cial et de l’économique. Je suis inquiet de de souveraineté se sont faites a minima : défavorisées et, plus largement, toutes cel- que de s’aggraver constater qu’à chaque crise, ce sont les mê- aussi existe-t-il très peu de conventions les qui se sentent menacées par les trans- très vite si le conti- une vraie bombe mes clivages qui se reproduisent. C’est à se sanitaires internationales qui pourraient formations économiques en cours deman- nent est lui aussi at- demander si cette division entre Nord et organiser cette coopération globale indis- daient déjà un retour du social. teint par le virus. à retardement Sud ne va pas un jour devenir définitive, pensable. L’obsession souverainiste des Les dangers qui nous guettent sont-ils C’est un risque d’ex- qui risque de faire pour donner naissance à deux Unions eu- Etats a fait qu’aujourd’hui l’OMS apparaît tous d’ordre global ? plosion non seule- ropéennes, avec deux sensibilités différen- souvent comme un tiroir vide malgré de Oui, ils sont tous de modalités différentes, ment régional mais encore plus mal.» tes, deux cultures distinctes, deux façons grandes réussites, comme en Afrique pour mais ils sont tous imbriqués. Le change- mondial, tant elle de réagir opposées. Après le Brexit, c’est assainir l’eau ou éradiquer certaines mala- ment climatique a été visible plus tôt que crée des violences sociales de toute nature, peut-être la prochaine rupture ! dies, comme la variole. le danger sanitaire, car il s’est révélé bien sans cesse plus affirmées ! Ces trois crises L’autre élément qui me semble important Pourquoi tant de résistances vis-à-vis avant à l’ensemble du monde, mais il tou- interagissent et se ressemblent sur l’essen- est l’absence de réactivité des institutions de la coopération sanitaire ? che moins l’intimité des personnes. Mais, tiel : leur nature humaine. • européennes. Le plus grave étant, bien Pour deux raisons. Les questions sani­- ­entendu, le gigantesque faux pas de Chris- taires sont celles qui touchent au plus pro- tine Lagarde qui, à la tête de la Banque fond les sensibilités nationales : elles attei- centrale européenne, a d’abord déclaré gnent les souverainetés de façon presque que les Etats devaient se débrouiller cha- intime. Elles concernent directement les cun de leur côté. On peut y ajouter l’inca- individus et les microsociétés au sein des pacité de la France et de l’Allemagne, nations. Elles touchent à quantité d’as- comme de l’ensemble des pays de la zone pects différents, la démographie, les mi- euro, à s’entendre sur la question fonda- grations, l’éducation, la culture, la reli- mentale des «coronabonds» et le peu de gion… Nous sommes, avec elles, au cœur dynamisme de la Commission et de sa des angoisses souverainistes. Il est plus fa- présidente. cile de se concerter sur des questions Images MUSIQUE La plupart des organisations interna- ­météorologiques, sur celles liées à la circu- tionales semblent dépassées, même lation aérienne ou à l’organisation des l’Organisation mondiale de la santé ? compétitions sportives… La crise actuelle est très paradoxale, car on La seconde raison est peu reluisante : jus- n’a jamais eu un tel besoin de multilatéra- qu’à maintenant, les questions sanitaires lisme. Le multilatéralisme global est touchaient essentiellement les pays du LIVRES même le seul remède face à une crise sys- Sud. On l’a vu avec Ebola en Afrique ou le témique comme celle du Covid-19. Une premier Sras, qui a principalement touché pandémie rend indispensable une coordi- l’Asie. Une pandémie comme le paludisme VOYAGES nation planétaire des politiques sanitai- n’est toujours pas résolue, probablement res. Une politique seulement nationale en parce qu’elle présente peu de risques pour

Libération Samedi 11 et Dimanche 12 Avril 2020 23 Libération Samedi 11 et Dimanche 12 Avril 2020 31

Pages 26-27 : Plein cadre / Agata Wieczorek, latex, etc. Page 34 : Cinq sur cinq / Grands écrans Page 28 : photo / Julien Lelièvre, l’art au kilomètre Page 35 : On y croit / Jay Electronica ce domaine est totalement inefficace, sur- les pays riches. C’est aussi le signe que Page 29 : Série / «DEVS», dans quel état j’erre ? Page 36 : Casque t’écoutes ? / Constance Debré tout sur le court et le moyen terme. On a l’Afrique continue d’être vue comme un besoin d’ informations statistiques globa- continent naturellement destiné à la MONDO. STUDIO C STUDIO MONDO.

les et fiables, de normes communes orga- ­souffrance. Coppola. Ford de Francis nisant l’espace sanitaire mondial, et d’une Le Conseil de sécurité des Nations unies Now Apocalypse

Affiche de Laurent Durieux pour la ressortie d’ Durieux pour la ressortie de Laurent Affiche Tous à coordination des politiques sanitaires n’a d’ailleurs jamais voulu se saisir de Ceux qui tapent l’affiche l’écoute PHOTO GUILLAUME BLOT pratiquées dans chaque pays. Surtout, il questions de santé publique. Sauf deux ré- Libération Samedi 11 et Dimanche 12 Avril 2020 37

Page 40 : Taleb Alrefai / Le marin légendaire du Koweït Page 41 : Louisa Hall / Le père de la bombe A en appel est urgent d’avoir un programme d’assis- solutions très vagues et très peu contrai- Page 44 : Shubangi Swarup / «Comment ça s’écrit» tance technique international en direc- gnantes sur la crise Ebola et deux autres,

Par FRÉDÉRIQUE FANCHETTE

ici à cent ans /qui «D’ es-tu lec- teur /pas- sionné lisant /curieux ma poésie /à tion des pays du Sud : quand ceux-ci se- très générales, sur le sida. cent ans d’ici ? /Je ne pourrai te faire parvenir /la moindre parcelle du bonheur /de cette aube printanière / comblée de sympathie /ni une fleur éclose aujourd’hui /aucun chant d’oiseau /ni une couleur /à cent ans d’ici. /Cependant veux-tu /ouvrir la porte du sud, /de ta fenêtre /face au lointain /te laisser aller /à imaginer un jour /il y a cent ans, /où une vive allégresse vint de quelque paradis / frapper au cœur du monde ?» 13 fé- vrier 1896 : Rabindranath Tagore envoie son salut de «poète en émoi», et on entend la fraîcheur de cette ront touchés, le désastre sera encore pire Ce que vous annoncez depuis long- voix ancienne, même cent vingt- quatre ans plus tard. Le texte dont est tiré cet extrait est titré, «l’An 1400», l’équivalent de 1996 dans le calendrier bengali. La joie, l’ouverture sur l’universel, la façon de saisir l’émerveillement de l’ins- tant sont là, comme un legs pré- cieux pour les lecteurs que le monde ne finira pas d’enfanter. Rabindranath Tagore (1861-1941), Prix Nobel 1913, a produit une œuvre touchant à tous les genres : la poésie, le roman, les nouvelles, le théâtre, et risquera alors de faire un nouveau tour temps semble se concrétiser avec cette l’essai. A la fin de sa vie il se mit à la peinture. Il voyagea énormément, en Europe, en Amérique, en Asie, où il faisait des conférences sur la cul- PHOTO ELLIOTT & FRY. HULTON ARCHIVE. GETTY ARCHIVE. HULTON & FRY. ELLIOTT PHOTO Feux de Bengale ture indienne et le rapprochement entre l’Occident et l’Orient. Avec son air de mage, sa barbe blanche et ses tuniques, il frappait l’opinion, fut Rééditions de vénéré, parfois moqué. Bergson le trouvait piètre philosophe. Deux livres viennent donner l’occa- sion de relire ou lire Tagore. Des Rabindranath Tagore nouvelles en poche chez Zulma et un «Quarto», chez Gallimard. Ce se- cond ouvrage est une sélection très du monde ! crise. Le cadre étatique est dépassé ? méthodique de textes, suivant un Rabindranath Tagore vers 1910. 1910. vers Tagore Rabindranath ordre chronologi- Suite page 38 Pourquoi sommes-nous si éloignés du C’est un autre paradoxe. Tout le monde se multilatéralisme alors que les dangers tourne vers l’Etat et attend de lui une solu- C’est le planétaires, en termes de santé ou tion, mais de manière ambiguë : pour faire d’environnement, n’ont jamais été si face à l’urgence, et pour réclamer d’abord FOOD week-end évidents ? et avant tout un retour du social, beaucoup Pour trois raisons. D’abord, parce qu’on plus que de l’étatique. On se tourne vers Rendez-vous chaque samedi dans surfe sur une vague néonationaliste de- l’Etat pour demander plus de protection, puis plusieurs années. Les dirigeants pri- plus de redistribution, pour restaurer la vilégient donc l’échelle nationale, dans notion d’Etat de bien-être : il semble que leurs discours et leurs pratiques, ce qui est l’insistance est plus sur le bien-être que une profonde erreur. sur l’Etat ! 22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 10 Avril 2020

Lors de l’épreuve brevet (DNB), mais les épreuves écrites de philosophie du brevet élémentaire comme du concours du bac 2018 d’entrée à l’Ecole normale ont été mainte- au lycée nues (1). A cette époque, la question des La Bruyère épreuves de rattrapage du baccalauréat ne de Versailles. se pose guère puisque les épreuves avaient Idées/ Photo BENOîT traditionnellement lieu en septembre. L’at- TESSIER. tribution des mentions est conservée. Des Reuters modalités propres sont arrêtées au niveau académique. A Amiens, les candidats sont interrogés sur les enseignements reçus avant le 30 avril. Cependant, il n’y avait, dans ces cas de crise, aucune dimension sanitaire de l’ampleur de la pandémie de Covid-19.

Crise sanitaire : le précédent 2004-2006 Alors que la propagation d’une grippe aviaire de type H5N1, en 2004, fait crain- dre une possible transmission à l’homme, le ministre de l’Education nationale, comme ses autres collègues du gouverne- ment, doit élaborer un plan d’anticipation et d’organisation de ses services en cas de crise. Gilles de Robien détaille ces mesures lors de son audition par une commission parlementaire d’évaluation, le 29 mars 2006 : délivrer le brevet des collèges uni- quement à partir du livret scolaire ; le bac- calauréat, selon le moment de la déclara- tion de la pandémie, à la suite d’une seule session en septembre, ou une session allé- gée en juin avec rattrapage en septembre, voire à partir des seules épreuves écrites ou des seules épreuves orales ; enfin, retar- der le calendrier des concours de recrute- ment des professeurs, dont les oraux né- cessitent des mobilités importantes, avec des admissions qui pourraient être pro- noncées à l’automne, et un aménagement de la formation initiale. Des fermetures d’établissements sont également envisa- gées, ainsi que des mesures de «maintien de la continuité pédagogique» à distance. dans la Grande Guerre en Nord-Pas-de-Ca- Elles sont reprises en 2009 dans le plan lais. Ainsi, entre 1915 et 1918, à Lille, sont grippe A (H1N1) de , ministre de organisées dix sessions du baccalauréat, l’Education nationale jusqu’en 2012, dont Bac 2020 annulé : auxquelles s’ajoutent des sessions le directeur général de la DGESCO (Direc- ­délocalisées pour faire face aux difficultés tion générale de l’enseignement scolaire) de déplacement. est un certain Jean-Michel Blanquer. Si la création des épreuves communes de une première Seconde Guerre mondiale : contrôle continu (E3C) avait fait polémi- le bac a lieu malgré les combats que, le passage au contrôle continu com- Entre 1940 et 1944, alors que l’exode du plet pour délivrer le fameux diplôme cette printemps 1940 a entraîné de fait des fer- année est largement accepté – il était metures massives dans les départements même attendu – par les syndicats ensei- historique ? de la France septentrionale, les épreuves gnants. C’est «la moins mauvaise solution», du baccalauréat ont lieu. Celles de selon le Snes. Qu’en sera-t-il ensuite ? juin 1944 sont, en revanche, très pertur- Ce vieux débat n’est probablement pas Au cours du XXe siècle, l’éducation nationale a dû affronter bées. Les écrits, allégés des mathéma­- clos : dans la longue histoire du bac, des plusieurs crises. Dès 2004, elle s’était préparée à ce que tiques et de l’histoire, se tiennent mais médecins souhaitent, dès les années 1880, les épreuves soient remplacées par le seul contrôle continu. après le débarquement des troupes alliées son remplacement pur et simple par le en Normandie, les oraux ne peuvent se dé- contrôle continu afin de lutter contre le rouler et une nouvelle session doit être or- surmenage intellectuel des lycéens ! • e ministre de l’Education nationale, nière préventive au cours des deux conflits ganisée en octobre 1944. Dans l’académie Jean-Michel Blanquer, l’a annoncé mondiaux, pour des raisons de sécurité de Caen, des copies ont même été perdues (1) De 1981 à 1986, le brevet des collèges prenait en le 3 avril : les traditionnelles épreuves liées à la proximité des combats, aux bom- ou détruites dans les combats. La presse compte toutes les disciplines à parité sur la base du L contrôle continu. C’est Jean-Pierre Chevènement, des examens de fin d’année, en particulier bardements, le maintien de l’activité sco- collaborationniste n’hésite pas à affirmer ministre de l’Education nationale entre 1984 et 1986, qui du baccalauréat, sont annulées et rempla- laire passe notamment par l’organisation courant juillet que «les jurys ont été en gé- est à l’origine du rétablissement d’un examen terminal. cées par le seul contrôle continu. La propa- des divers examens : le certificat d’études néral plus indulgents cette année». Ce mau- gation du coronavirus a créé une situation et les brevets dans l’enseignement pri- vais procès du «bac au rabais» est aussi inédite et nécessitait des mesures excep- maire, le baccalauréat dans l’enseignement ­intenté aux bacheliers de 1968. Par tionnelles. Existe-t-il cependant des précé- secondaire, et les diplômes universitaires, dents dans notre histoire récente ? y compris les soutenances de thèse. Ils ne Avec Mai 68, on aménage Julien Cahon Au cours du XXe siècle, l’éducation natio- concernent alors qu’une faible minorité Après le mouvement social de mai 1968, nale a dû affronter plusieurs crises (militai- d’élèves et d’étudiants. Même dans les dé- une session aménagée et allégée du bacca- res, politiques ou sociales) et s’était même partements du nord de la France occupés lauréat est organisée fin juin, avec unique- préparée dès 2004 à un scénario très pro- par l’armée allemande entre 1914 et 1918, ment des épreuves orales, les conseils de che de celui que nous vivons actuellement. les examens sont maintenus et adaptés, classe étant au préalable chargés de formu- avec l’espoir d’une validation par le minis- ler une appréciation sur les aptitudes écri-

Grande Guerre : tère selon les critères habituels une fois le tes des élèves à partir de leurs livrets scolai- DR examens maintenus et adaptés conflit achevé, d’après Jean-François Con- res. Des dispositions analogues sont prises Alors qu’une partie des établissements sco- dette, auteur de la Guerre des cartables, pour le brevet d’études du premier cycle Maître de conférences à l’université de laires est fermée temporairement et de ma- 1914-1918. Elèves, étudiants et enseignants (BEPC), ancêtre du ­diplôme national du Picardie-Jules-Verne (laboratoire Caref) Libération Vendredi 10 Avril 2020 u 23

Sans souci d’ordre ni d’exhaustivité, souvenons-nous de la liberté de se mouvoir,

ous ne revien- du droit gan politique n’est plus auto- Philosophiques drons pas à la de déambuler risé à Santiago. Ce gouverne- «N normale parce ment ne veut pas non plus que la normalité était le pro- sans masque, d’un retour à la normale, mais blème.» Affiché il y a quelques il ne l’entend pas au même semaines sur un immeuble du baccalauréat sens que ses opposants. C’est de Santiago par des opposants national, du ici qu’il vaut peut-être la peine Par au gouvernement néolibéral de se demander ce qui, du Michaël FŒssel ­chilien, ce slogan a tout pour tapage nocturne monde d’avant, doit être aban- Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique ­convaincre. Même les éco­- provoqué par donné et ce qui, malgré tout, nomistes les plus orthodoxes mérite d’être préservé. ne proposent pas, du moins les clients du bar Si «le monde d’avant» signifie officiellement, d’organiser la la marchandisation de la santé, sortie en vue d’un retour à la d’en bas… la prédation sans limite de la Le monde d’avant situation normale. Chacun nature ou la psychologie de fait désormais pour soi-même la moitié de l’humanité au guerre érigée au rang de mo- le monde d’après l’expérience de ce que le confinement ? rale collective, alors il n’y a pas ­coronavirus ne vient pas de En cela, on ne peut pas dire du de risque à tourner la page. nulle part. Que gagnerait-on à coronavirus qu’il nous sur- Tout simplement parce que ces Même si notre monde n’était plus tout à fait normal, reproduire les causes qui, prend «comme un voleur dans tendances déjà à l’œuvre avant il se pourrait qu’à l’heure du confinement et dans de la réduction du nombre de la nuit», ainsi que l’annonçait l’apparition du coronavirus ont l’attente d’un après inconnu, nous prenions le temps lits d’hôpitaux à la délocalisa- Paul à propos de l’Apocalypse. aggravé ses effets dans des pro- de le regretter. tion de la production des Selon l’apôtre, «quand les gens portions considérables. Mais, moyens de survie, ont mené diront : “Quelle paix, quelle sé- à l’heure du confinement, nous curité !” c’est alors que soudain sommes encore en mesure de la ruine fondra sur eux comme nous souvenir que le monde les douleurs sur la femme en- d’avant n’était pas fait que de ceinte» (première épître aux cela. Sans souci d’ordre ni d’ex- Thessaloniciens). Pour ce qui haustivité, souvenons-nous de L'œil de Willem nous concerne, il y a bien long- la liberté de se mouvoir, du temps que les plus lucides (et droit de déambuler sans mas- les manifestants de Santiago que, du baccalauréat national, en font partie) ne disent plus du tapage nocturne provoqué «Quelle paix, quelle sécurité !» par les clients du bar d’en bas, Ils n’ont pas été étonnés d’en- de l’absence (relative) de tra- tendre une nouvelle guerre dé- çage numérique et de nos ou- clarée en temps de paix. Quant blis inconscients des gestes à l’insécurité sociale dans la- barrières. Ces expressions les quelle le suspens de l’écono- plus élémentaires d’une vie mie mondiale jette une grande «normale» étaient déjà mena- partie de la population, elle cées dans le monde d’avant, n’est pas non plus une nou- c’est vrai. Raison de plus pour veauté pour eux. se souvenir qu’elles faisaient Ce sentiment qu’il n’y a pas de que l’avant, aussi détestable hasard dans ce qui nous arrive fût-il, ressemblait parfois en- détermine le regard que l’on core à un monde. porte sur le monde d’avant. Il Les utopies du monde d’après faut toutefois reconnaître que vont se multiplier, les pro- ce monde n’avait rien de «nor- grammes autoritaires de ges- mal» si l’on entend par ce tion de l’avenir aussi. Dans le terme une organisation sociale conflit des interprétations qui et politique capable de faire nous attend, la critique du face à un événement grave monde d’avant sera détermi- sans revenir sur ses principes nante, et avec elle le refus de juridiques. D’état d’urgence en retourner à une pseudo-nor- état d’urgence, le monde malité qui a amplifié les effets d’avant a donné plus d’une fois de la crise. Mais ni la critique la preuve qu’il fonctionnait à ni l’utopie ne sont condam- l’exception érigée au rang de nées à une table rase qui ne se- norme. Bien loin de faire rup- rait que le symétrique inversé ture, la catastrophe (terroriste, de l’univers promis par les financière, écologique) était partisans de la surveillance peu à peu devenue le garant de numérique et de l’immunité sa continuité. permanente. Même un révolu- Les manifestants de Santiago tionnaire peut s’autoriser un ont eu raison de mettre en moment de conservatisme. garde contre un retour à la Pour le dire en paraphrasant normale qui, en réalité, cache- Adorno, il n’est pas vain d’être rait la perpétuation du gou- solidaire du monde d’avant à vernement par la crise. Sur- l’instant de sa chute. • tout qu’entre-temps les autorités chiliennes ont pro- Cette chronique est assurée en mulgué l’«état de catastro- ­alternance par Sandra Laugier, phe» : la présence de l’armée ­Michaël Fœssel, Sabine Prokhoris dans les rues fait qu’aucun slo- et Frédéric Worms. 24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 10 Avril 2020

Federico Fellini en janvier 1984. Photo Jack GAROFALO. PARISMATCH. SCOOP

out voyageur poursuit un nisme, un peu gourou aux entour- fantôme qui perpétuelle- nures, écrivain culte des seventies «T ment lui échappe.» Ces psychédéliques, dont Fellini dési- mots d’Aldous Huxley auraient pu rait porter à l’écran l’un des best- parrainer l’aventure singulière dont sellers, l’Herbe du diable et la petite Federico Fellini fut en 1984 le jouet fumée (1968). crédule et consentant – à moins que Cela faisait bien une quinzaine l’on découvre un jour qu’il en avait d’années que le cinéaste rêvait de le été le mystérieux instigateur… Car rencontrer. Nul doute que l’oni- enfin, comment imaginer que l’au- risme fellinien empreint de mer- Fellini à Tulum, teur de Huit et demi, veilleux devait trou- cinéaste démiurge et voyages ver un écho dans ces grand illusionniste inspirés (2/10) écrits prônant un devant l’éternel, ait rapport au monde pu ainsi se laisser embarquer dans inédit, brisant la frontière entre le un périple plus étrange encore que rêve et la réalité – le livre, reprenant ses fantasmagories gravées sur cel- les travaux d’une thèse soutenue à luloïd, s’il n’en avait pas lui-même l’université UCLA de Los Angeles, secrètement fomenté la trame ? Et était censé restituer l’enseignement pourtant… Il semble bien qu’en fait occulte d’un prétendu sorcier de la leurre sidéral de mystification, le maestro avait tribu amérindienne des Yaquis, trouvé son maître, le temps d’un nommé Don Juan Matus, mais dont voyage qu’il entreprenait au Mexi- personne, cependant, n’a jamais pu Victime plus ou moins consentante d’une que peu avant le tournage de Ginger prouver l’existence. et Fred. Lui qui refusait de quitter mystification du célèbre et controversé Rome, sa ville de cœur, parce qu’il Peyotl, marijuana avait peur de l’avion, et dont et LSD anthropologue Carlos Castaneda, ­Cinecittà était devenue en quelque Ces invitations au voyage intérieur, sorte la seconde maison et, pour ces expériences limites de décorpo- le cinéaste italien s’est rendu au Mexique tout dire, le prolongement de sa ration, de bilocation et autres influ- en 1985 à la recherche de la cité maya, bouillonnante psyché, tant il sem- ences télépathiques, dopées par blait pouvoir y matérialiser ses rê- l’absorption de plantes psychotro- dans le dessein d’y tourner un film ves les plus délirants, avait donc pes comme le peyotl (un petit cac- consenti à braver son aérophobie et tus aux propriétés hallucinogènes) chamanique qui ne verra jamais le jour. à déroger à ses propres règles, pour avaient séduit la jeunesse hippie ca- partir à la rencontre de Carlos Cas- lifornienne, qui se ruait sur les ou- Par taneda, un anthropologue américa- vrages de l’ethnologue, rêvant Nathalie Dray no-péruvien adepte du chama- «d’ouvrir les portes de la perception» Libération Vendredi 10 Avril 2020 u 25

En bas, extrait de Voyage à Tulum, BD de Manara scénarisée par Fellini. Milo Manara Ci-dessous, l’anthropologue américano-péruvien CULTURE/ Carlos Castaneda. Photo DR

et s’abreuvait de marijuana et d’aci- catan, provoquant le courroux et la des. Des petits buvards imbibés de «Le Voyage rupture avec son mentor –, ainsi LSD, glissés sous la langue, comme à Tulum» que le propre fils du producteur… autant de passeports vers des trips A l’aéroport de Los Angeles, Casta- colorés… ne se fera jamais, neda les accueille en compagnie de Un peu partout dans le monde, les du moins deux femmes qui lui sont entière- récits de sorcellerie chamanique ment dévouées. Mais à peine arrivés fascinaient, autant que la person- sous une forme à l’hôtel, des coups de téléphone nalité insaisissable de son auteur, anonymes et des missives mysté- qui avait un goût certain pour le cinématographique, rieuses mettent en garde les trois mystère et la disparition. Fellini al- Fellini ayant voyageurs contre l’écrivain péru- lait bientôt l’apprendre à ses dé- vien. Ce dernier, en prenant con- pens, lors de cette fameuse expédi- pris peur, face naissance des menaces à son en- tion qui le mènerait à Tulum, cité à la tournure contre, est pris d’une agitation qu’il maya aux racines toltèques, et peine à contrôler, se craignant la ci- qu’une série de manifestations irrationnelle des ble de quelque magie noire ou de la étranges finirait par abréger, enter- CIA… Et dès le lendemain, alors rant du même coup le projet du film événements. Aurait- qu’ils sont en route pour le Mexi- laissé dans les limbes –avant de re- il fini par croire que, le gourou et ses disciples faus- naître sous la forme d’un récit en sent compagnie aux Italiens, livrés cinq épisodes publié dans le Cor- à ses propres à eux-mêmes et bien démunis pour riere della Sera en 1986, puis d’une affabulations ? chercher le sorcier yaqui Don Juan BD, Voyage à Tulum (1990), scénari- Matus, dont évidemment ils ne sée par Fellini lui-même et dessinée trouveront jamais la trace… les, dignes d’une BD d’Hugo Pratt – nématographique, Fellini ayant pris par Milo Manara. Plusieurs versions du voyage exis- ou plutôt de Manara, puisque c’est peur, face à la tournure irrationnelle Tout commence par un coup de té- les studios de Cinecittà, mais qui fi- tent, volontiers romancées par Fel- ce dernier qui le mettra en images des événements. Aurait-il fini par léphone, en octobre 1984. Fellini nalement s’incline. Un rendez-vous lini, qui avait l’affabulation aisée. sur les indications de Fellini, auquel croire à ses propres affabulations ? vient de réaliser l’un de ses films est pris quelques mois plus tard à Mais si l’on recoupe celle qu’il resti- il prête les traits de son alter ego De retour à Rome, les menaces au les plus funèbres et fantomatiques, Los Angeles, point de départ d’une tue dans le Corriere della Sera, avec Marcello Mastroianni. Un voyage téléphone auraient continué, exi- E la nave va, et s’attelle alors au virée en terres toltèques, de Cancún celles de ses collaborateurs, il sem- imaginaire où le dessinateur, fa- geant de lui qu’il fît le film sans Cas- scénario de Ginger et Fred – vision au site archéologique de Chichén ble que le périple ait pris rapide- meux notamment pour sa BD éroti- taneda. La disparition de l’anthro- grinçante de la télé berlusco- Itzá jusqu’à Tulum. Financé par le ment la forme d’un jeu de piste, que en plusieurs volumes le Déclic, pologue, bien réelle, aura sans nienne, vulgaire, abêtissante et producteur Alberto Grimaldi, le guidé par les messages anonymes, donne libre cours à sa plume débri- doute nourri ses frayeurs. Il n’était voyeuriste –, quand au bout du fil, voyage inclut, au côté du cinéaste, leur indiquant au jour le jour la di- dée et sensuelle. pourtant pas difficile de deviner Yogi, une actrice mexicaine qui fut un de ses collaborateurs, Andrea De rection à prendre. Selon Kezich, le Les voyageurs italiens auraient que le Mexicain était probablement son assistante sur la Cité des fem- Carlo – qui publiera en 1986 un ro- biographe de Fellini, le voyage sera ainsi croisé la route d’un professeur, l’instigateur de cette machination, mes, lui annonce que Castaneda est man inspiré de cette aventure, Yu- ponctué de rencontres surnaturel- spécialiste en civilisation préco- des missives anonymes au périple à Rome et lui propose de le rencon- lombienne, d’une femme médium, erratique, jusqu’à sa désertion su- trer. Perspective inespérée pour le très belle, dotée de pouvoirs extra- bite du projet. La disparition ca- cinéaste qui avait fini par croire sensoriels, d’un sorcier indien, drant parfaitement avec cette pro- que l’écrivain n’existait pas et Don Miguel, qui les aurait initiés à pension à l’effacement, érigée en n’était qu’un nom-écran derrière des rites ancestraux. Ils auraient été viatique dans son livre le Voyage à lequel officiait une société secrète les proies d’hallucinations collecti- Itxlan (1972) : «Petit à petit tu dois d’anthropologues… ves et les témoins de phénomènes créer un brouillard autour de toi. Il inexplicables… Des voix leur inti- faut que tu effaces tout [...] jusqu’à ce Jeu de piste mant l’ordre de se rendre jusqu’à la que rien n’ait plus aucune certitude, Dans la biographie qu’il a consacrée rive lointaine de Tulum, pour y aucune réalité. Actuellement, ton au cinéaste (Fellini, sa vie et ses photographier un temple symboli- problème réside en ce que tu es trop films), le critique Tullio Kezich sou- sant la rencontre du Ciel et de la réel. Il faut que tu commences par ligne l’étonnement du cinéaste lors Terre. t’effacer toi-même.» de ce premier rendez-vous : «Casta- Et Fellini, le créateur tout-puissant neda n’avait rien d’un mage ni d’un «Grande déception» de films-mondes, se sera ainsi laissé initié. La cinquantaine, affable et La version d’Andrea De Carlo, inter- prendre au piège, devenu un pion cordial [...] mais une personnalité viewé en 2011 par Sergio R. Blanco sur la carte serpentine d’un jeu de difficile à cerner.» Fellini lui fait part pour le magazine mexicain Gato- l’oie, une marionnette égarée dans de son désir de faire un long mé- pardo (traduit et publié par Cour- un théâtre à ciel ouvert, héros d’une trage avec lui, sur un scénario creu- rier international), est nettement épopée intérieure et mentale. Le sant une mise en abyme, un film moins romanesque. Après le départ personnage d’une fiction aux ac- dans le film, l’histoire d’un cinéaste de Castaneda, ils louent une jeep, cents felliniens, qui lui aura qui se perd et échoue à porter à suivent les instructions des messa- échappé et dont, pour une fois, il ne l’écran les travaux d’un chercheur ges anonymes jusqu’à Tulum, où ils fut pas l’auteur. • sud-américain sur la mystique et le ne trouveront personne. Dépités, ils chamanisme précolombiens. Casta- rentrent à Los Angeles, «sans avoir Prochain épisode de notre série, neda, qui avait déjà éconduit les rencontré le moindre chaman, à la mercredi : Sophie Calle aux Etats-Unis. projets d’Alejandro Jodorowsky et grande déception de Fellini» qui, on de Jim Morrison, accepte contre le sait au moins depuis son film Ju- Fellini, sa vie et ses films toute attente, en insistant toutefois liette des esprits, était féru de magie de Tullio Kezich (Gallimard, pour que le tournage ait lieu au et d’ésotérisme. Sans doute est-ce la 2007). Mexique… se heurtant ainsi aux ré- raison pour laquelle le cinéaste en- ticences du ­maestro qui aurait pré- jolivera l’aventure dans les inter- Voyage à Tulum féré, comme à son habitude, créer views qu’il donnera par la suite. bande dessinée de Milo son propre monde en façonnant un Le Voyage à Tulum ne verra jamais Manara sur un scénario simulacre de décors mexicains dans le jour, du moins sous une forme ci- de Fellini (Casterman, 1990). 26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Vendredi 10 Avril 2020 culture/

3 Avec l’enfant du futur Avant que l’humanité confinée ait à se projeter dans un monde d’après, la Britanni- En guerre contre l’ennui : que Laura Marling – précieux talent de la scène folk UK doté d’un vibrato terrassant à la Judee Sill – se piquait de préméditer son propre futur. Un temps à venir dans lequel un campus comique, un elle serait la mère d’une fille, qu’elle aurait à «guider» dans un monde particulièrement impitoyable à l’endroit des femmes, et qui de- vait lui inspirer un sixième album peut-être vibrato et une sirène tatouée plus lunaire, mais aussi plus inspiré. Elle a pris la décision d’en avancer la sortie de quel- Chaque jour de la semaine, ques semaines pour nous accompagner dans 2 ce moment de vertige et on chérit son geste «Libération» vous propose avec ferveur, tant on entrevoit, à l’écoute une sélection culturelle d’Only the Strong ou For You, que ces «étran- adaptée à la vie en ges chuchotements» sont faits de la fibre qu’il confinement, en attendant nous faut pour tenir le coup – et regarder de- la capitulation du Covid-19. main un peu plus paisiblement. O.L. Laura Marling Song for Our Daughter (Partisan/Pias). 1 Avec des peaux de banane Lorsqu’en 2009 paraissait Commu- nity, son showrunner, Dan Harmon, n’était 4 Avec un tube de Cher pas encore le cerveau de la (non moins gé- Si vous êtes vraiment impatient, ren- niale) série Rick et Morty, et l’acteur Donald dez-vous à la 15e minute de cette merveille de Glover, plus connu aujourd’hui pour sa per- film de danse : un grand dadais actionne le sona de rappeur Childish Gambino, était loin bouton «play» de son poste radio-CD, entame d’électriser les foules de Coachella. La série une choré en langue des signes imaginaires a elle-même avancé masquée à ses débuts, sur Believe de Cher, et fait apparaître, par la grimée d’un postiche de sitcom classique sur seule force de son imagination, un genre de les péripéties d’un groupe d’étudiants de sirène tatouée des quartiers prolos de Nor- community college – campus de la deuxième folk, agitant de grands cerceaux en brassière chance pour outsiders en quête d’un diplôme rouge, tongs et mini en jean. Génie. The Cost

au rabais. Le lâcher de brides a révélé un NHK of Living, réalisé en 2004 par Lloyd Newson, ­prodige de métafiction comique, baladant reste un des rares exemples réussis de choré- les personnages sur un chemin semé de réfé- 3 graphie tournée spécialement pour une ca- rences pop (film de mafia, comédie musicale, méra. Inventant un langage gestuel tout à lui, teen movie…), mais aussi piégé de peaux de fait de gestes idiosyncrasiques, de danses bananes – chaque intrigue se jouant au degré de club épileptiques et de contemporain, ce fort du pastiche. Netflix, fort inspiré, offre une buddy movie entre homme-tronc et son pote rétro feel good des six saisons, dispos depuis percé à l’arcade est un hommage aux marges, le 1er avril. S.O. aux freaks, et à leur pouvoir de sublimation A voir sur Netflix. par la danse. È.B. https://vimeo.com/74966965

2 Avec magie et mauvaise foi Toujours pas rassasié après avoir 5 Avec moult précautions ­réenglouti l’intégralité des films du studio Oubliez tout ce que vous pensiez sa- Ghibli en streaming ? Il vous reste les cou­- voir de la télé-réalité – tentatrices en mono- lisses. Et comme Hayao Miyazaki ne fait ja- kini, mâles alpha luisants, baise dans la pis- mais rien à moitié, il a passé une dizaine d’an- cine, appât du fric, grandes gueules, non mais nées en compagnie des caméras de la NHK, allô, quoi. Inspirez, expirez, regardez Terrace la télévision publique japonaise. De la nais- House. Cette télé-réalité japonaise, diffusée sance de Ponyo au faux finale du film Le vent pour la première fois en 2012 sur Fuji Televi- se lève, la série documentaire Ten Years With sion et reprise depuis par Netflix, rassemble Miyazaki permet d’accéder à une vie de rou- chaque saison, dans un appartement meublé

tine, de café-clope, de doutes à la hauteur du Justin Tyler Close avec goût, six jeunes hommes et femmes en degré d’exigence que le cinéaste se fixe. Entre quête d’amour et de reconnaissance, qui riva- deux escapades au supermarché, on assiste 4 lisent de politesse, de précautions, prennent à ses brutales colères et, chose plus rare, à des soin les uns des autres, s’entraident, et mû­- accès de mauvaise foi qui désamorcent un rissent tous ensemble. Le montage est élé- peu le culte de la personnalité. Disponible gant, et les séquences subtilement entrecou- gratuitement depuis quelques mois en an- pées de réactions hilarantes servies par un glais, les quatre épisodes de quarante-neuf panel de célébrités japonaises commentant minutes chacun viennent d’être sous-titrés l’épisode en même temps que nous. A pre- en français par la NHK, ce qui dit beaucoup mière vue, il ne se passe rien dans Terrace de l’universalité des films du maître. M.C. House, mais le peu qu’il s’y passe, en réalité, Ten Years With Miyazaki 4 × 49mn est spectaculaire : voilà une télé-réalité qui https://www3.nhk.or.jp/nhkworld/en/ nous exhibe non le pire, mais une certaine ondemand/program/video/ 5 idée du meilleur de l’espèce humaine. M.K.

10yearshayaomiyazaki/?type=tvEpisode& DV8 Physical Theatre Netflix Terrace House sur Netflix. Libération Vendredi 10 Avril 2020 u 27

Après avoir subi les foudres de l’opinion publique, le stand- upper a repris son écriture en main. Photo Louis C.K.

«Sincerely Louis C.K.», plates excuses

Accusé fin 2017 après qu’eurent été dévoilés ton et mis en ligne ce week- plus d’un an après le scandale, nous tendre pour nous em- vautrait, nu, livré à l’au- d’exhibitionnisme, par le New York Times les té- end sur son site. Un «comedy l’humoriste se produisait à mener vers ce que nous dience. En 2020, il a repris l’humoriste moignages de plusieurs fem- special» d’une heure, télé- Paris, au Théâtre du Petit n’avions vraiment pas envie son écriture en main mais mes révélant que l’humoriste chargeable pour 7,99 dollars Saint-Martin, un spectacle de voir. Il n’y a guère que ­paraît indécis : son humour américain vient Louis C.K. avait eu, de façon (environ 7,30 euros) sur son discrètement annoncé le ma- quand il revient, ponctuelle- a changé, indéniablement, de mettre en ligne répétée, la fâcheuse tendance site et destiné «à ceux qui ont tin même sur la page Face- ment, à son histoire person- mettant la pédale douce sur son seul-en-scène de s’astiquer le manche de- besoin de rire quand tout est book du New York Comedy nelle et ses turpitudes, qu’il l’humour physique (et sexuel) enregistré avant vant elles sans leur consente- merdique». Night in Paris. D’emblée, il se parvient à nous arracher un outrancier qui participait à la pandémie, ment explicite. ­Entre-temps, saisissait du malaise dans la sourire. Le reste : blagues rin- sa moelle – mais au profit de mais peine à Blanche l’a «pécho», comme Premier jet. Rire quand salle, s’emparait de cette cées sur les végans, le tri sé- quoi ? On attend encore le se renouveler. elle l’affirmait en recevant tout est merdique, c’est là, de- merde noire dans laquelle il lectif, Auschwitz, les chiens ­renouveau, et on l’espère, son deuxième molière de puis toujours, le talent indis- s’était mis à la seule force de sa qui sont vraiment trop bêtes ­ardemment. Dans le géné­- l’humour ; et pour ce qui est cutable de Louis C.K. : la triste bite, et livrait un specta- ha-ha… Le malaise est réel, rique final de son spectacle, e fait qu’on puisse de notre société moderne, merde du monde ambiant, cle brillant de trois quarts mais il n’est plus au bon Louis C.K. remercie Blanche mettre dans le collectivement assignée à do- bien sûr, mais surtout son d’heure, à la fois fendard et ­endroit. Gardin, «une âme courageuse, «L même sac un pro- micile, elle complique bien corps merdique, sa vie conju- plein d’émotion, animé par hilarante et belle». Elle n’a eu ducteur qui viole des actrices la tâche à qui­conque envi­- gale merdique, ses enfants l’humour du ­désespoir. De ce Indécis. Comment conti- de cesse de marteler à quel et un mec dont le fétichisme, sagerait de pécho autre- merdiques, son alimentation premier jet amplement rodé nue-t-on de vivre après un ca- point il l’avait inspirée – peut- c’est de se masturber devant ment qu’en FaceTime. C’est merdique, sa vie sexuelle et remanié, il ne reste hélas taclysme, qu’il soit personnel être est-il temps d’échanger des femmes en leur deman- dans ce contexte inédit que merdique et… les conséquen- plus grand-chose dans Since- ou sanitaire ? Deux choix se les rôles. dant s’il peut le faire, ça veut Louis C.K. a choisi de faire ces merdiques de sa vie rely Louis C.K. Ratissant un présentent : faire comme Marie Klock bien dire qu’il y a un gros pro- son retour avec Sincerely sexuelle. Louis C.K. est une champ de sujets plus large, si tout était comme avant, blème de nuances dans notre Louis C.K., spectacle mi-fi- merde, se met en scène en l’humoriste va moins loin, ou regarder le cataclysme Louis C.K. société moderne», déclarait gue mi-raison enregistré en tant que tel, et nous met, par moins profond, et souvent, on en face, et changer. En 2018, Sincerely Louis C.K. Blanche Gardin à Télérama public avant la pandémie au procuration, le nez dans la nô- attend en vain la main qu’il Louis C.K. embrassait ses ca- A voir sur https:// en janvier 2018, peu de temps Warner Theatre de Washing- tre. En décembre 2018, un peu sait d’ordinaire si habilement taclysmes personnels et s’y louisck.com / Les codes informatifs de Raphaël Bastide

et transforme l’incertitude en Avec «Evasive. tech», donnée stimulante et l’urgence le net artiste propose en énergie positive : «Evasive. un journal de bord tech essaye de trouver de la beauté dans ce que nous vivons. Si cette quotidien de son période est perturbante, elle nous confinement, entre permet de considérer les choses marathon poétique autrement, d’oublier un quotidien et d’en inventer un nouveau.» et défi technologique. Le net artiste, aussi enseignant en école d’art, n’en est pas à son premier marathon du genre. En est un journal de bord novembre, Raphaël Bastide avait à part, à la fois mélanco- produit pendant trente jours le C’ lique, claustrophobe et magmatique https://otherti.me, interactif, avec, parfois, quelques subtil mélange diariste de photo- billes de lueurs colorées… Eva- graphies, d’animations, de mor- sive. tech, très beau projet de Ra- phings et de GIF… Avec Evasive. phaël Bastide, est un marathon tech, le virtuose du Web flirte numérique de la quarantaine avec le fantastique sombre de

qui avance sans vraiment savoir R. Bastide la Vénus d’Ille (Mérimée) ou le où il va, au gré des idées et de film la Mouche (Cronenberg). Son l’humeur de son auteur. De ses ­jaunes ses sensations : dans le récit tâtonne. De cette imper- ne m’est pas possible de remettre projet vient d’être sélectionné capacités techniques aussi. cet environnement sombre fection et de l’identité mysté- le travail au jour suivant, je conti- par le Chronus Art Center (CAC) Tous les jours, depuis le début et hostile, il est épuisé, suffoque, rieuse du narrateur naît le sel de nue, jusqu’à avoir un résultat à de Shanghai pour «We = Link : du confinement, l’artiste code s’inquiète, se perd dans des ce carnet de voyage du confine- la hauteur de ce que je projette. Ten Easy Pieces», une exposition un nouveau chapitre de son récit ­méandres puis s’accroche à des ment, à l’image du saut dans l’in- Le lendemain, je redécouvre ce que internationale d’art en ligne, ­hybride, entre site internet poé­- éléments tangibles, une écorce connu que nous impose la crise j’ai codé durant la nuit dans une ­réalisée en collaboration avec tique, journal graphique et défi d’arbre, une odeur de champi- sanitaire. Le profil du ­conteur «se sorte de frénésie.» Le nez dans le le centre d’art Nabi de Séoul informatique. Tout est parti, gnon, une brise d’air frais. dessine au fur et à mesure du récit, guidon, l’esprit immergé dans sa et le site Rhizome du New le premier jour, d’un petit dessin Un jour, il plonge sous terre j’ignore encore les détails de son programmation, Raphaël Bastide ­Museum de New York. de pixels qui pousse sur une terre ­et explore des souterrains ; celui identité», explique Raphaël Bas- ne produit pas un récit sur l’ac- Clémentine Mercier brûlée, comme une végétation d’après, il se cramponne à une tide, obstiné, mais pas très frais tualité mais découvre après coup fragile s’accroche à la vie dans échelle, est aveuglé par des trous puisqu’il a terminé la veille sa des échos avec elle. Confiné dans https://evasive.tech/ un paysage en ruine. Un narra- de lumière, hypnotisé par des page à 4 h 30 du matin… «J’ai dû son atelier de Bagnolet, l’auteur http://www.chronusartcenter.org/ teur invisible livre en sous-titres ­astres qui clignotent. Forcément, apprendre à gérer des scènes 3D. Il travaille avec les moyens du bord en/welink-ten-easy-pieces/ Libération Vendredi 10 Avril 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

La période est propice au surgissement de nouveaux person- nages médiatiques qui profitent de la perte de crédit de la pa- Le droit de savoir role officielle. Lecteur de la revue The Lancet et connaissant très bien l’Italie, où il a vécu six ans jusqu’en 2019, Di Vizio a Fabrice Di Vizio Cet avocat très chrétien mène vu venir de loin la crise. Sur Twitter, il réclame depuis début mars des masques FFP2 et des tests et se demande pourquoi une des nombreuses plaintes d’un collectif de médecins on n’utilise pas massivement la chloroquine en France. «Je fais du Raoult. C’est le même état d’esprit, le côté fonceur», contre le gouvernement pour sa gestion de la pandémie. dit-il, sans être un partisan absolu du Marseillais. Depuis qu’il s’est spécialisé dans la défense des médecins libé- raux, Fabrice Di Vizio n’a de cesse de dénoncer leurs conditions de travail et les pressions des autorités de surveillance. Dans des vidéos intitulées Silence on soigne, qu’il réalise avec sa femme, productrice, il interviewe des praticiens et alerte sur leurs taux élevés de burn-out et de suicides. Il gagne une partie de ses revenus en leur conseillant de s’expatrier dans des pays où ils seraient mieux traités. Avant cette crise, selon lui, cette détérioration du métier n’intéressait personne. Il juge que, chez nous, les migrants étaient mieux défendus que le généra- liste de campagne. On tousse, gêné. Mais l’homme, qui a com- mencé sa carrière dans le droit aux étrangers, assume. Fils d’immigrants italiens, père dans le bâtiment et mère à la chaîne, né et ayant grandi en Seine-Saint-Denis, Di Vizio n’est pas spécialement croyant, en- fant. En 1995, il a une révéla- tion lors d’un enterrement. 7 août 1974 Naissance. «J’ai fait une rencontre 1996-2002 Etudes d’amour profonde qui a guidé de droit à Paris-II. le reste de ma vie.» Avec Jésus, 2013-2019 précise celui qui se met à sui- S’exile en Italie. vre des cours de philosophie 19 mars 2020 sur Aristote et Dieu. ­Inquiet Lancement d’une société «en crise du don du collectif C19. de soi», il est nommé «secré- taire national» du FRS (futur Parti chrétien-démocrate, le PCD) pour la présidentielle de 2007. Envoyé par son parti draguer les médecins, il est sé- duit par leur dévotion. Cet engagement politique, auquel il a mis fin, en dit pas mal sur le personnage. Lorsqu’on appelle Christine Boutin, elle nous dit, désolée, qu’elle n’a aucun sou- venir de lui. Après vérification, elle ne retrouve pas non plus son nom dans ses fiches. Interloqué, on rappelle Di Vizio. Il nous transfère des mails de l’époque et nous parle d’un certain Eric de Laforcade. Las, ce dernier «n’a pas souvenance». Jean- Frédéric Poisson, l’ex-député des et actuel président du PCD, confirme, lui, l’ancien engagement de l’avocat. Il évo- que quelqu’un de «déterminé», «bon juriste», mais, ajoute : «Je le connais peu.» A discuter avec Di Vizio, on avait pourtant l’impression qu’ils étaient presque intimes. Cet étrange jeu du «Qui est-ce ?» recommence avec François-Xavier Bellamy. L’avocat le «connaît bien» mais l’inverse n’est pas vrai. Le tru- blion penche toujours de ce côté-là de l’échiquier politique. Il est contre le mariage pour tous ou la PMA pour toutes, et avait une préférence pour Fillon en 2017. Grossir son importance dans une organisation dix ans après, vanter des amitiés avec des personnalités à qui on a juste serré la main, magnifier un peu sa vie, ce sont des petites vanités assez courantes. Cela dit aussi un caractère, qui peut faire douter du reste. «C’est un embobineur sympathique, un peu fantasque, pas très fiable, raconte un ancien client mécontent. n a d’abord découvert l’existence de la plainte. Des cen- «Je suis quelqu’un de profondément modéré. Je m’en veux de Il était très cher pour ses maigres prestations. Il voulait tout taines de praticiens réunis dans le collectif C19 s’atta- m’être mis en colère à la télé.» Ce n’est pas son genre, jure-t-il, le temps monter des actions de groupe pour prendre une dîme O quent à Agnès Buzyn et à Edouard Philippe. Ils leur re- avant de nuancer en racontant que ses trois enfants lui ont sur chaque personne. Et, à la fin, il laissait les gens au bord prochent de ne pas avoir pris suffisamment de mesures contre dit qu’il était capable de bien pire. Derrière sa chaise, on peut de la route. Je connais des confrères dans ce collectif. Je leur l’épidémie, alors qu’ils auraient eu conscience de sa dangero- apercevoir une statue de chevaux, signe de sa passion pour ai dit : “Attention !”» Au contraire, Emmanuel Sarrazin de SOS sité. Puis on l’a vu lui : Fabrice Di Vizio, leur avocat, spécialiste l’équitation. La famille s’est installée dans ce coin l’année Médecins à Tours, membre du collectif C19, vante «son bagage dans la défense des professionnels de santé, éructant sur ­dernière pour suivre l’une de ses filles ados, en sport-études, très pointu. C’est quelqu’un qui comprend vite, lit beaucoup CNews. «Il paraît qu’il faut dire les choses. excellente cavalière. et s’interroge». Je vais vous dire les choses. On a eu une ges- Face à nous, Fabrice Di Vizio est sympa- A la fin de notre discussion, revenant à Didier Raoult, Fa- tion calamiteuse d’une crise sanitaire que Le Portrait thique, calme, souriant et, au début, pon- brice Di Vizio, qui rêve de prendre sa retraite dans les dix ans tout le monde a annoncée […]. Moi, j’ac- déré. Très vite, pourtant, au fil des nom- et d’ouvrir un ranch spirituel aux Etats-Unis, parle autant de compagne des professionnels de santé qui vont travailler la peur breuses anecdotes qu’il raconte, ses derniers cheveux se l’infectiologue que de lui-même : «Il a un côté détonnant, anti- au ventre […], alors je vais vous dire, les problèmes de communi- dressent sur sa tête et il part dans les aigus et un peu dans tous système. Je ne suis pas contre, mais je ne sais jamais quoi penser cation [du gouvernement], c’est le dernier de mes problèmes. […]. les sens. Avant de redescendre. Il jure qu’il n’a rien contre des antisystèmes. S’il faut s’en méfier ou au contraire…» Au Il aurait fallu arrêter de communiquer et agir.» La vidéo fait Agnès Buzyn, qu’il respecte et admire son parcours. S’il a point d’en faire partie ? «En tout cas, je ne supporte pas les vite le tour du Web, relayée comme un coup de gueule salutaire. porté plainte, finalement, c’est presque pour la protéger, ­conformistes, ceux qui font comme tout le monde… Je me méfie Chez les soignants ou dans la société civile, ils sont nombreux ­sinon les médecins «seraient allés avec une fourche au minis- de moi aussi… Croyez-moi, je me méfie pas mal de moi.» • à en vouloir à l’Etat. Les plaintes, en cours ou en préparation, tère». Les aveux de l’ancienne ministre au Monde ont été de s’amoncellent, comme les pétitions (celle pour soutenir le col- trop. «Je ne supporte pas qu’on prenne en otage la vérité. Par Quentin Girard lectif C19 rassemble 72 000 signatures). ­Je déteste le mensonge.» «C’est plus grave que l’affaire du sang PhotO jérôme bonnet Derrière son ordinateur, dans sa maison des Yvelines, Fabrice contaminé», ajoute celui qui a saisi la Cour de justice de la En raison du confinement, les entretiens et photos du Di Vizio, 45 ans, dodeline de la tête et s’excuserait presque : ­République. Mais aussi, carrément, l’OMS et l’ONU. portrait de dernière page peuvent être réalisés à distance.