DOSSIER

XXXXXXXXX TEXTESMADE : XXXXXX IN USA Voyage au cœur de la Major League, élite semi-profession- nelle du rugby américain qui rassemble aujourd’hui sept équipes dont une, basée à Austin, est entraînée par Alain Hyardet. Notre sport arrivera-t-il à se faire une place dans un pays qui peut devenir un nouveau lieu de développement ?

REPORTAGE À HOUSTON D’ÉMILIE DUDON PHOTOS NORMA SALINAS, DAVE SNOOK ET ICONSPORT

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analyse UN NOUVEAU MONDE Le nouveau championnat professionnel américain, la , qui a débuté fin avril et se terminera début juillet, bat son plein. Cette nouvelle compétition n’en est qu’à ses balbutiements mais ambi- tionne, d’ici dix ou quinze ans, de devenir l’une des meilleures de la planète rugby. En attendant, tout est à construire. TEXTE : ÉMILIE DUDON

om-pom girls en jupettes, hymne na- complètement différente. Et les diri- tional chanté la main sur le cœur, pro- geants de la MLR veulent mettre toutes duits dérivés en pagaille et feux d’artifice les chances de leur côté pour réussir là à la fin de certains matchs… Aux États- où le Pro Rugby avait échoué il y a deux Unis, le sport professionnel est toujours ans. Lancé avec cinq équipes en 2016, le un show et le rugby n’échappe pas à la premier championnat professionnel Avant chaque rencontre, place à l’hymne américain. Moment d’émotion pour Todd Clever (cheveux longs), règle. Le niveau de jeu, qui est à peu américain n’avait pas survécu plus d’une ancien capitaine de l’équipe des États-Unis, et ses coéquipiers d’Austin. près équivalent à celui de la Fédérale 1, saison en raison, notamment, d’un man- n’est pas encore transcendant et les stars que de préparation et d’une trop grande tinent selon lui : « Avant, une seule per- chiffre qui devrait être multiplié par ter 24, 28 ou 30 franchises comme c’est sont encore rares compte tenu d’un sa- polarisation autour de son créateur, sonne contrôlait la Ligue et le modèle deux, trois ou cinq dans les prochai- le cas dans les autres sports collectifs lary cap limité à 300 000 € environ, mais Douglas Schoninger. Jean-Baptiste n’était pas viable. Aujourd’hui, les fran- nes années. Car la Ligue va être fer- américains. Et les candidats sont déjà les clubs de la Major League Rugby met- Gobelet, ancien joueur de Biarritz, qui chises appartiennent à des propriétai- mée durant un ou deux ans afin que nombreux, à l’image de Boston, Atlanta, tent le paquet en termes d’« enter- fut de cette aventure, nous éclaire : res et la Ligue appartient elle-même le niveau de jeu augmente, en même Chicago, , Dallas, tainment » comme on dit outre- « Il avait investi sept millions de dol- aux franchises, à hauteur d’environ temps que la valeur des équipes. Pour Washington, Los Angeles ou New York. Atlantique. C’est comme ça que ça lars la première année mais il a fallu 10 % chacune. » Un système complète- poursuivre la comparaison, le droit Il est déjà acquis que New York et Dallas marche là-bas. « Le marketing est dé- en remettre autant la deuxième et il ne ment différent de ce qui se fait dans le d’entrée à la création de la Major League seront de la partie l’an prochain. Les veloppé de façon incroyable, témoigne les avait pas. Il cherchait des partenai- par exemple mais qui a déjà Soccer était de 5 millions de dollars à dossiers de Los Angeles et Washington le technicien français, Alain Hyardet, res mais il ne voulait pas ouvrir les fran- prouvé qu’il marchait très bien dans sa création, en 1995, et atteint au- sont également bien avancés. Deux qui entraîne Austin. C’est même le sec- chises, qui lui appartenaient, à des d’autres sports collectifs. jourd’hui les 200 millions de dollars. équipes canadiennes, Vancouver et teur le plus pertinent comparé aux au- propriétaires. Du coup, ça n’a pas À terme, la MLR ambitionne de comp- , devraient aussi voir leurs tres. Les réseaux sociaux sont alimen- fonctionné. » LOS ANGELES, NEW YORK, P tés en permanence. Quand on s’y plonge, L’ancien ailier et international tricolore ET WASHINGTON ATTENDUS on a l’impression que le rugby améri- à VII connaît très bien le sujet. Il a été Concrètement, les franchises payent cain, c’est de la bombe atomique. le premier Français à avoir joué là-bas, un droit d’entrée pour intégrer la Major Il faut prendre le meilleur du sport améri- D’ailleurs, si le club n’a pas de kiné pour il y a deux ans à et il reste im- League Rugby. Il était de 500 000 $ l’instant, il a en revanche un responsa- pliqué dans le projet de développement pour les sept franchises engagées en cain, le meilleur de la culture européenne ble des réseaux sociaux ! Vous saisissez des franchises de la MLR. Le modèle 2018 (environ 400 000 euros) et était et créer une identité au rugby US. le paradoxe ? » actuel, inspiré directement de la Major déjà passé à 1,6 million de dollars pour Aux États-Unis, la culture du sport est League Soccer, est beaucoup plus per- celles qui l’intégreront en 2019. Un Justin Fitzpatrick

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PROPOS RECUEILLIS PAR ÉMILIE DUDON

Brett Gosper Directeur général de

Le rugby pourrait profiter de l’énorme vivier du foot américain dont l’image Le plus souffre aujourd’hui du nombre constants discussions progresser dans les prochai- saison, c’est la profondeur des bancs. Le de commotions qu’il occasionne. nes semaines quant à une possible inté- réservoir de joueurs est limité à l’heure gration en 2019 ou en 2020, avec l’objec- actuelle et certains vont le payer. » tif d’étendre le rugby à XV à tout le Cette année test est primordiale pour la grand marché continent nord-américain. Pour l’instant, Major League mais ses dirigeants avan- le développement du rugby aux USA passe cent vite et savent s’adapter. Outre une plutôt par le VII, pour plusieurs raisons : augmentation du salary cap dès la le jeu en lui-même, plus spectaculaire et saison prochaine (les discussions sont en du monde porté sur l’attaque, convient mieux aux cours pour déterminer son montant), appétences du public américain qui se d’autres mesures seront prises dans quel- Quel regard portez-vous sur la c’est qu’ils veulent faire les cho- tourne par ailleurs plus naturellement ques mois : le nombre d’internationaux Major League Rugby ? ses bien et ne sont pas pressés. vers un sport Olympique. Le fait que autorisés dans chaque équipe passera par Brett Gosper. Les USA constituent Si, à terme, un l’équipe nationale est plus performante exemple de cinq à sept lors de la deuxième le premier marché commercial du Que représente le marché améri- monde et la réussite du rugby là- cain concrètement ? mec veut enrôler qu’à XV joue également, de même que édition. D’ici là, de nombreuses franchi- bas sera une bonne nouvelle pour B. G. Nous faisons des études cha- un Beauden la présence d’une étape du circuit mon- ses qui ne possèdent pas encore de stade le rugby dans le monde entier. A que année pour établir notre base dial à VII à Las Vegas chaque année et la (elles jouent dans des enceintes de base- World Rugby, nous investissons de fans à travers le monde. Les Barrett par tenue de la Coupe du monde à VII à San ball ou de football américain pour l’instant) pour que leurs équipes nationales personnes qui se déclarent inté- exemple, Francisco fin juillet (lire en séquence devraient en être équipées. Le rugby amé- marchent bien, à XV comme à VII. ressées ou assez intéressées par Horizon). Une vraie passerelle existe en- ricain se structure doucement mais in- Nous pensons que la voie la plus le rugby sont 338 millions au rapide pour l’augmentation des niveau mondial et 32 millions aux il n’aura aucune tre les deux disciplines et le XV se déve- telligemment. Ses dirigeants ne sont pas valeurs médiatiques aux Etats- USA, comme en Chine, d’ailleurs. difficulté loppe. pressés. Ils savent qu’il faudra du temps et Unis passe par une équipe natio- C’est énorme. à débourser se laissent une dizaine d’années pour faire nale en réussite sur le plan inter- SEPT ÉTRANGERS PAR ÉQUIPE du championnat américain « l’un des tout national. Le rugby est un sport Le marché du sport collectif aux 30 millions de Le potentiel du rugby est immense ou- meilleurs de la planète rugby ». important dans les universités USA n’est-il pas saturé dollars pour le tre-Atlantique : « Il y a à peu près Justin Fitzpatrick y croit à 100 %. L’entraî- américaines mais les bons joueurs aujourd’hui avec le football amé- 350 000 millions d’Américains. Si seule- neur de Houston, qui est un ancien pi- n’avaient jusque-là nulle part où ricain, le hockey sur glace, le faire. aller pour devenir professionnels baseball et le basket ? ment 1 % d’entre eux vient au rugby, ce- lier de l’Irlande mais aussi du Castres B. G. Thierry Daupin après leurs études. Alors, la créa- C’est vrai. Si c’est le marché la fera déjà 3,5 millions de personnes. olympique, est « persuadé que dans dix tion d’une ligue telle que la MLR le plus porteur du monde, cela Vous vous rendez compte ? » Thierry ou vingt ans, le rugby américain aura va permettre de développer un reste aussi le plus concurrentiel. Il Daupin connaît lui aussi le sujet sur le changé le visage du rugby mondial. Il y bon réservoir de talents aux USA est très difficile d’exister là-bas bout des doigts. Cofondateur de la franchise a tout à faire, il faut construire des sta- et de les garder là-bas. On est au face aux sports établis. Ceci dit, là d’Austin, ce Français expatrié fait partie des, former des joueurs et des entraî- début de quelque chose. où le rugby est présent aux Etats- Unis, il progresse. Il a des affini- des pionniers de ce championnat. neurs, aller dans les écoles, donner le goût World Rugby échange beaucoup tés avec certains sports de con- Quelques semaines après le lancement du rugby aux gens mais le potentiel est avec les dirigeants de la MLR. tact, comme le hockey sur glace de la compétition, le premier bilan est en- énorme. Rien qu’à Houston, il y a 6,9 mil- Sur quoi portent les discussions ? ou le football US. Ce que les courageant selon lui : « La qualité du jeu lions d’habitants. C’est deux fois et demie B. G. Nous pouvons apporter notre Américains veulent voir, c’est du augmente à chaque journée. Ce qui est la population de l’Irlande ! Il faut pren- expertise sur tout ce qui est régu- top niveau, quel que soit le sport. intéressant, c’est que le niveau des équi- dre le meilleur du sport américain, le lation des matchs, l’anti-dopage, Quand les All Blacks ont joué à l’arbitrage, etc. Les échanges sont Chicago contre l’Irlande, il y avait pes est assez homogène. Nous avions meilleur de la culture européenne et créer nombreux et constructifs. Les 70 000 personnes au stade. C’est quelques craintes à ce sujet. , qui une identité au rugby US. Ces cinq derniè- gens de la MLR partent de loin un signe qu’il existe quelque est le favori, ne marche pas sur tout le res années, le rugby est le sport qui s’est mais ils sont très patients. C’est chose à réveiller et développer monde et les matchs sont assez accro- le plus développé ici alors pourquoi ce- ce qui est intéressant avec eux, là-bas. — chés. Ce qui fera la différence en cours de la ne marcherait-il pas ? D’autant que la

Midi Olympique Magazine 28 Midi Olympique Magazine 29 DOSSIER Las Vegas est depuis longtemps une étape importante et attendu du tournoi mondial de rugby à VII. La Coupe du monde de cette discipline aura lieu en juillet à San Francisco.

télévision fait un très bon travail de d’origine tonguienne ou samoane alors vulgarisation ». Des accords ont été trou- ils ont déjà un lien avec le rugby, expli- vés pour une couverture télévisuelle na- que Jean-Baptiste Gobelet. On compte LES FRANÇAIS À LA TRAÎNE tionale avec CBS, qui retransmet le 32 équipes en NFL, soit environ meilleur match de chaque journée plus 3 000 joueurs rémunérés mais il n’y a rien Brett Gosper, directeur général de les phases finales, une couverture ré- derrière, pas de deuxième division. Cela World Rugby, l’assure : « Le dévelop- gionale avec AT&T laisse un énorme vivier pement du rugby aux États-Unis est Sportsnet, qui diffuse de joueurs ultra-doués une bonne nouvelle pour le rugby tous les autres matchs, qui peuvent passer au dans le monde entier. » Si la LNR travaille à un partenariat avec la et digitale avec tous les rugby, où ils ont des MLR, qui pourrait voir le jour d’ici cet matchs accessibles sur les franchises chances d’atteindre le été, les clubs et investisseurs fran- tablettes et smartpho- plus haut niveau et çais se montrent frileux pour l’ins- nes. Aujourd’hui, des appartiennent à l’équipe nationale, voire tant. Les franchises américaines ont dizaines de millions les JO. La clé, c’est le dou- des échanges avec les clubs de Top des propriétaires 14 mais rien de concret à ce jour. « d’Américains peuvent et la Ligue ble cursus universitaire Ils écoutent mais ils regardent de voir du rugby à la télé entre le foot américain loin et ne se rendent pas compte chaque semaine. On appartient elle- et le rugby. Le vivier est qu’ils prennent un retard énorme estime que le rugby aux clairement dans les éco- sur les Anglo-Saxons, qui ont l’avan- même aux fran- États-Unis pourrait les. L’argent aussi. » tage de parler la même langue », chises, à hauteur déplore Thierry Daupin. Ces derniers prochainement tou- Contrairement à cer- n’ont pas attendu. Les Auckland cher 40 millions de d’environ 10 % tains autres pays ont déjà un partenariat avec supporters, dont chacune comme la France, le Los Angeles, Houston avec les 27 millions d’enfants. rapport à l’argent est Wasps, les Hurricanes sont en dis- Jean-Baptiste Gobelet cussions avancées avec Toronto. Les L’intérêt va déjà crois- très décomplexé aux exemples sont nombreux. New York sant. Seattle, par exem- États-Unis. Ainsi, le sa- parle avec de nombreux clubs fran- ple, a déjà vendu la totalité des lary cap du Top 14, qui se situe à 11 mil- çais, dont le Racing 92 ou le Stade 4 500 billets disponibles à chacun de lions d’euros, fait « doucement rigoler » français, et Toulouse échange avec Glendale mais rien de plus... Si les ses matchs à domicile. là-bas selon Thierry Daupin. « À Dallas investisseurs privés néo-zélandais, Autre facteur d’espoir : le rugby aux États- par exemple, celui qui met l’argent est le anglais, australiens ou sud-africains Unis pourrait bénéficier d’un facteur con- directeur général de l’équipe des sont déjà présents, peu d’entrepri- joncturel nouveau avec le problème des Mavericks en NBA, alors autant vous ses, de joueurs ou de techniciens commotions cérébrales qui plombe le dire qu’il a les moyens d’investir. Si, à français sont intéressés pour l’ins- tant. « J’en suis très étonné, réagit le foot US. « C’est un gros souci ici et les gens terme, un mec veut enrôler un Beauden seul coach français de la MLR, Alain cherchent d’autres sports », confirme Justin Barrett par exemple, il n’aura aucune Hyardet. J’aimerais ouvrir une brè- Fitzpatrick. Petit à petit, les jeunes athlè- difficulté à débourser 30 millions de che car il y a un vrai travail de mis- tes, issus des collèges, des lycées et des dollars pour le faire. S’offrir les meilleurs sionnaire à faire ici et que les clubs français ont tout à gagner à venir. » universités se tournent vers le rugby, à joueurs de rugby sera toujours moins VII ou à XV. La perspective de pouvoir y cher que se payer un rookie en NBA. réussir pèse beaucoup : « Un certain nom- C’est ça la différence : le rugby est très bre de joueurs de football américain sont abordable aux USA. » — DOSSIER DIGEST

ALAIN HYARDET Américains. Le sport amateur n’a pas d’inté- .Alain Hyardet est né le 28 cadre de la Coupe latine). rêt pour eux. L’approche du sport est novembre 1964 (53 ans). . complètement différente, d’ailleurs. Il a été finaliste du cham- .Il a joué trois-quarts centre à pionnat en 1995 avec Castres. J’étais venu une semaine en décembre Clermont, Béziers, Perpignan et UNE et les clubs faisaient ce qu’ils appel- Castres. .Il a été entraîneur à Perpignan, lent des « combines » : ce sont des gen- Béziers, Clermont, Montpellier, res de drafts où les joueurs paient pour .Il compte deux sélections en Marseille-Vitrolles, Perpignan équipe de France (contre l’Italie et maintenant à Austin OPPORTUNITÉ se faire voir. Nous en avons recruté deux et l’Argentine en 1995 dans le (États-Unis). comme ça. Ce sont des choses qu’on EXTRAORDINAIRE ne voit pas en France.

L’immensité de la A. H. Deux aspects sont à prendre en Depuis février dernier et pour tâche et le niveau de compte. Il y a une partie développe- trois ans, Alain Hyardet entraîne la jeu, assez bas, ne ment avec tout ce qui est lié aux infra- j’ai été frappé par leurs carences dans franchise d’Austin en Major League vous ont-ils pas fait structures et à la création d’une ligue le jeu au pied. Mais quand on réfléchit, réfléchir ? professionnelle. Et puis il y a une par- leurs sports US n’en ont pas : on ne Rugby, le nouveau championnat pro- tie vraiment sportive. Il est nécessaire joue pas au pied au baseball, ni au bas- fessionnel américain. À 52 ans, d’être pondéré par rapport à ce qu’on ket et au foot américain. Pour ce dernier, l’ancien coach de Perpignan, Béziers, entend par « championnat profession- il n’y a qu’un seul buteur, alors pour Clermont, Montpellier et Marseille, le nel ». Ici, j’ai des athlètes mais pas des les rugbymen, ce n’est pas naturel. rugbymen. Il y a un travail colossal à Quand j’ai commencé à les faire taper seul technicien français outre- faire sur la formation. Il y a tout un tas dans un ballon, je me demandais ce Atlantique, vit une expérience complè- de sportifs mais peu de gens en mesure qu’ils faisaient. Il faut tout expliquer, tement inédite. Rencontre. de leur apporter la connaissance et la revenir aux bases. compréhension du jeu. Par exemple, Avez-vous été A. H. Quand tu débutes quelque chose, surpris ou est-ce ce n’est pas abouti et il y a tout à faire, PROPOS RECUEILLIS PAR ÉMILIE DUDON conforme à ce que c’est logique. En revanche, j’ai été sur- vous attendiez ? pris par l’enthousiasme des gens. C’est extraordinaire. Il y a une vraie soif d’apprendre. Le paradoxe, c’est que Midol Mag : Alain Hyardet. Par un concours de cir- nous sommes dans une période de for- Comment vous êtes- constances. Je collabore avec GL Events mation et qu’en même temps, il y a une vous retrouvé à sur la construction de stades aux USA. compétition à disputer. Il est difficile entraîner aux États- Je suis donc venu aux États-Unis et je me de faire les deux en même temps. Unis ? suis aperçu qu’à part pour ce qui con- cerne les sports majeurs, il n’y a pas Alors, comment A. H. J’ai pris le parti de dire qu’il fallait d’installations ici. Du coup, j’ai solli- faites-vous ? qu’on apprenne, qu’on construise et cité Thierry (Daupin, le copropriétaire que si on ne gagne pas aujourd’hui, on français de la franchise d’Austin, N.D.L.R.) gagnera demain ou après-demain. Il pour discuter avec lui. Il m’a demandé vaut mieux être dans une logique de venir travailler ici. Je me suis donc retrouvé d’apprentissage. Il s’agit surtout de don- à continuer ma mission avec GL Events ner du sens aux choses afin que les aux États-Unis et à prendre en main ce joueurs comprennent comment fonc- projet. tionnent les structures du jeu. Cela prendra un peu de temps. Avez-vous hésité à A. H. Pas une seconde. Je trouvais l’idée vous engager ? géniale et c’est une opportunité extra- ordinaire. Rendez-vous compte : vous Alain Hyardet avec son ouvreur, le jeune Français arrivez dans un pays où le sport est un Thimothée Guillimin. vrai moyen de s’élever socialement, où le rugby n’existe pas et où il faut tout créer. Je ne serais pas venu si la ligue n’avait pas été professionnelle car cela n’a pas la bonne connotation pour les

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Comment A. H. En axant beaucoup les exercices N’y a-t-il pas des A. H. Non parce que les joueurs me C’était simplement de l’enthousiasme. travaillez-vous ce sur la compréhension du jeu, sur les moments où vous renvoient quelque chose de très posi- La seule différence, c’est qu’il y avait genre de choses ? déplacements, sur le mouvement vous sentez, si ce tif. J’essaie de répondre à leur enthou- une vraie culture rugby. Ici, en plus du général. Pourquoi est-on dans cette n’est découragé, siasme en trouvant des solutions, manque d’organisation d’une compé- Ici, c’est vraiment zone ? Pourquoi fait-on ceci ou cela ? un peu justement. Les mecs te rendent beau- tition en train de naître, il n’y a pas la genèse du rugby Je n’arrête pas de leur poser des ques- décontenancé ? coup. Ils auraient pu refuser de s’entraî- de rugby. tions. En ce moment, nous travaillons ner à 7 heures le matin quand je le leur pro, il est très beaucoup sur le soutien intérieur. Pour ai proposé afin qu’ils puissent aller au Vous avez fait venir A. H. Non et ce serait une erreur de excitant d’être les joueurs, cela ne veut rien dire. Il travail en suivant… Mais ils sont là et quelques jeunes toute façon. Que viendraient chercher pionnier dans faut qu’ils comprennent à quoi il sert très volontaires. français (lire par aux États-Unis des pros qui ont une pour pouvoir le répéter dans des situa- ailleurs). Pourriez- vraie expertise, des vraies compétences cette histoire. tions diverses. Mais il y a le moment Sont-ils très A. H. Je ne peux pas dire qu’ils sont vous vous offrir de et qui ont gagné beaucoup d’argent en où tu dis les choses, le moment où elles différents des pros aujourd’hui. Par contre, ils ont plus gros joueurs Europe ? Ceci dit, ce sera sûrement le sont comprises et le moment où elles joueurs cet enthousiasme dont je vous parlais. aujourd’hui ? cas d’ici quelques années. Ici, tout est sont appliquées : il faut essayer de rac- professionnels que Cela me rappelle la période où j’ai com- business. L’argent n’est pas tabou. courcir ce laps de temps sachant que ce vous entraînez mencé à entraîner, en 1996 à Perpignan. de l’adversité. Actuellement, mon souci n’est pas simple car les joueurs ne sont auparavant ? C’était le début du professionnalisme, C’est la première A. H. Il y a toujours une forme de pres- est de bien retranscrire les choses. Je me pas tous professionnels. nous étions passés de trois entraîne- fois dans votre sion. Là, elle est de bien jouer. Je suis remets beaucoup en question. En ments par semaine à deux par jour et carrière que vous pressé que les choses qu’on travaille à Europe, tu travailles complètement dif- Quelles sont vos A. H. De vraiment tout structurer. Lors on n’avait jamais parlé d’argent. entraînez sans la l’entraînement soient appliquées avec féremment, sur la stratégie, sur la missions en dehors de notre premier match, par exemple, pression d’une manière de déplacer les blocs pour être du sportif ? il n’y avait rien à manger pour les joueurs descente. Que cela efficace le plus vite possible… Et puis quand nous sommes arrivés à l’hôtel. change-t-il ? il y a une vraie pression du résultat là- Il y avait juste des boîtes de fromage, de bas parce que la raison d’être, c’est jambon et de fruits. Et le lendemain, gagner. Si tu ne gagnes pas, tu déga- ils se sont nourris de sandwichs. Je leur ges. Ce n’est pas le cas ici. ai expliqué qu’il fallait faire des vrais repas… Pour le deuxième match, nous Est-ce une bouffée A. H. Oui. Je découvre tout. Ici, j’ai des n’avions pas de salle dans notre hôtel d’oxygène dans yeux d’enfant. Je découvre un pays, je donc nous avons dû aller dîner au res- votre carrière ? découvre que je vais jouer avec du taurant la veille et organiser un lunch décalage horaire, je ne l’avais jamais dans un parc le lendemain midi, avant appréhendé ! C’est extraordinaire, tout la rencontre, lors de notre promenade. est nouveau pour moi. Je suis vraiment Il faut s’adapter en permanence. dans un rôle où j’apporte quelque chose que les joueurs n’ont pas, une compé- Tout cela est A. H. Avec beaucoup de curiosité. C’est tence sur le jeu, l’organisation, sur le par- complètement comme construire une nouvelle maison : tage. Ici, c’est vraiment la genèse du inédit pour vous en tu essuies les plâtres et au fur et à rugby pro, il est très excitant d’être tant qu’entraîneur. mesure que tu la construis, tu rencon- pionnier dans cette histoire. Comment le vivez- tres des problèmes auxquels tu n’avais vous ? absolument pas pensé. Alors tu les Etes-vous venu en A. H. Ma femme est restée en France car règles un à un. famille ? elle est kinésithérapeute. Elle est venue pendant un mois, revient en juin. Peut- être qu’elle sera là à plein-temps après ? Quant à mes enfants, ils sont grands, ils ont 27 ans. Mais je n’ai pas le temps de m’ennuyer. Je suis un hyperactif ici, J’ai des athlètes il y a tellement de choses à faire ! — mais pas des rugbymen. Il y a un travail colossal Alain Hyardet expliquant un schéma de jeu à un des ses joueurs, à faire sur la Robert Drummond. formation.

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terrain

RELIGION RUGBY S’il est en plein développement et qu’on lui promet un boom sans précé- dent avec la récente mise en place de la Major League, le rugby améri- cain est encore très « artisanal ». Outre-Atlantique, manier la balle ovale relève parfois du chemin de croix.

TEXTE : ÉMILIE DUDON

ù que vous habitiez en France, en SaberCats de Houston, international à Grande-Bretagne, en Afrique du Sud VII jamaïcain, est professeur de sport Ancien joueur d’Agen, Osea Kolinisau, ou en Nouvelle-Zélande, vous trouve- dans le civil. « Avant et après mon tra- ici ballon en main, champion olympique avec rez un club de rugby près de chez vous vail, je pars m’entraîner, témoigne-t-il. les Fidji en 2016, est une star de l’équipe d’Austin si vous souhaitez y jouer. Et vous pen- C’est un rythme un peu difficile à te- où joue aussi son compatriote Josua Vici. serez que c’est normal, bien sûr. Aux nir par moments mais j’ai la chance États-Unis, il n’y a rien de normal. Le d’avoir une épouse qui m’aide beau- rugby ne fait pas exception. S’il est pré- coup. Je suis crevé quand je rentre le international moins de 20 ans amé- qu’ils y mettent. En fait, la situation stade, la grande majorité doit pour sent outre-Atlantique depuis aussi long- soir mais participer au lancement du ricain grâce à un grand-père né à est un peu similaire à celle qu’on con- l’instant louer des infrastructures, la temps qu’en Europe, il reste loin, très rugby professionnel aux USA est une Boston… « Cette situation était hy- naissait en Europe il y a vingt ans, plupart du temps à des lycées. Par loin derrière le football américain, le chance formidable et je ne laisserai ma per frustrante. » Tout juste diplômé, avant que le professionnalisme ne exemple, à Austin, les joueurs ne peu- baseball, le basketball ou le hockey sur place pour rien au monde. Nous écri- ce joueur de 26 ans a vu sa situation s’installe complètement. » Quand il vent pas se doucher, pour l’instant, glace. Alors, jouer au rugby aux États- vons un bout d’histoire et c’est excep- évoluer positivement. Il a attendu sa s’agit de jouer au rugby, les Américains après les entraînements. Petit à pe- Unis relève un peu du parcours du com- tionnel. » licence en s’entraînant comme tout sont habitués à galérer. Si toutes les tit, les moyens arrivent mais on est battant. Même quand vous évoluez dans le monde. Ce qui lui a permis d’obser- franchises de Major League se sont très loin des standards du Top 14 et du le championnat professionnel lancé le COMME IL Y A 20 ANS EN FRANCE ver avec admiration ses coéquipiers : engagées à construire leur propre Pro D2, voire de la Fédérale. 21 avril dernier… Parmi les sept équipes Paul Mullen, lui, est professionnel à « Les lundis, mardis et jeudis matins, engagées, un à deux tiers des joueurs 100 %. Il vient juste d’être autorisé à nous sommes à la salle de muscula- sont semi-pros. Alors en marge des Osea jouer : Irlandais, pilier international tion de 6 heures à 8 heures, puis nous Kolinisau, Todd Clever et autres inter- chez les moins de 18 ans et moins de nous entraînons à nouveau le soir, nationaux qui vivent de leur sport, voient 19 ans avec le XV du Trèfle, il est venu de 19 heures à 21 heures. Quand je Cette année, nous avons investi dans O souvent leur voiture et leur maison aux États-Unis pour poursuivre ses vois certains de mes coéquipiers qui un bus. Bon, c’est un membre du club payées par leur franchise, les autres études d’ingénierie marine. Il ne pou- se lèvent le matin, vont à la muscu, sont contraints de conserver leur métier, vait être embauché par les SaberCats enchaînent avec leur journée de bou- qui le conduit. Mais au moins, cela et enchaînent deux journées de travail car il ne possèdait qu’un visa étudiant lot… Ils doivent parfois poser des permet de nous déplacer en équipe. trois à quatre fois par semaine. C’est le et que le rugby n’est pas en relation jours de congés quand on joue le ven- cas de Kenneth Hepburn. Le pilier des avec ses études. Cela, bien qu’il soit dredi. C’est énorme, l’investissement Hunter Nezath

Midi Olympique Magazine 36 Midi Olympique Magazine 37 DOSSIER En chiffres... 7 Comme le nombre équi- pes engagées aujourd’hui en Major League Rugby. Ce sont : Austin, Denver, Houston, la Nouvelle-Orléans, Julian Perrin (photo ci-contre), ancien ouvreur de Rumilly, est un expatrié qui Salt Lake City, pratique le rugby chez les amateurs. San Diego et Seattle. Le championnat professionnel (page de droite, photo du haut) se joue souvent Pour sa première saison devant des tribunes vides. la compétition se déroule Le rugby américain (page de droite, photo du bas) pèse aujourd’hui 125 000 licenciés, d’avril à juin. Les demi- jeunes et amateurs compris. finales sont prévues le 30 juin et la finale le 7 juillet. L’année pro- chaine, le championnat débutera en janvier. 2 588 Comme le nombre de clubs que comptent les États-Unis. À titre de PAS DE TERRAIN, on ne se douche pas après les entraîne- comparaison, la FFR en Je suis crevé quand PAS DE VESTIAIRE, PAS DE BUS ments et les matchs, on prend sa pro- totalise 1798. Batailler, c’est le lot d’un peu tout le pre voiture pour les déplacements, il je rentre le soir mais monde. Encore plus des joueurs ama- n’y a pas toujours de tribunes au bord des participer au lance- teurs. Ancien ouvreur de Rumilly stades. Ces conditions ne sont pourtant (Fédérale 1), Julian Perrin a porté les pas rédhibitoires pour les Américains, ment du rugby pro- couleurs du West Houston Rugby Club comme l’explique Hunter Nezath, le pré- 125 000 fessionnel aux USA durant trois saisons. Expatrié français, sident du West Houston Rugby Club : il est allé de surprise en surprise quand « Tout cela est normal pour nous. Nous Comme le nombre de est une chance for- il a découvert le rugby américain. Il ra- n’avons jamais connu autre chose ! Notre licenciés rugby aux conte : « Les installations sont précai- club possède deux équipes séniors et États-Unis. Ce chiffre a midable et je ne lais- res ici. Les joueurs sont par exemple une école de rugby mais pas de terrain, progressé de 14% cette serai ma place pour obligés de venir avant le match pour de vestiaires ou de club house. En fait, année. Dans le même rien au monde. Nous tracer les lignes sur le terrain et instal- nous louons tout aux écoles environ- temps, il a baissé de ler la main courante. Il n’y a pas de dou- nantes. Cette année, nous avons inves- étant plus prompts à investir et l’école qu’ailleurs les fameuses valeurs qui 4,5% en France où l’on écrivons un bout de ches non plus. Pour autant ce n’était ti dans un bus. Bon, c’est un membre de rugby attirant de plus en plus de disparaissent dans le reste du monde. recense 380 000 pas tellement décourageant. Ça m’a un du club qui le conduit. Mais au moins, jeunes, des étoiles olympiques plein Hunter Nezat conclut : « Pour vous il- joueurs. l’histoire et c’est peu rappelé l’école de rugby, où on ar- cela permet de nous déplacer en équipe. les yeux depuis la réintroduction du lustrer cet état d’esprit, je vais vous ra- exceptionnel. rivait au stade en tenue, prêt à jouer… Le Pour les troisièmes mi-temps, nous VII aux JO. conter une histoire : en 2013, nous rugby en lui-même est beaucoup moins louons une salle pour presque rien à un avons joué toute la saison avec un cer- Kenneth Hepburn technique et les joueurs étrangers ai- bar près de chez nous. Pour jouer au 125 000 LICENCIÉS tain nombre de vétérans dans notre dent énormément les américains au ni- rugby ici, il faut en avoir très envie. D’au- Souvent venus au rugby par le lycée, équipe. Le plus vieux avait plus de 60 67 000 veau des bases du jeu. J’ai été surpris tant qu’à Houston, il fait souvent très les 125 000 joueurs américains, qu’ils ans. Ils avaient continué si longtemps qu’il y ait si peu de moyens quand on chaud. Les conditions climatiques peu- soient professionnels amateurs, ont pour pouvoir jouer un jour avec leurs Comme le nombre de voit l’argent dépensé dans les quatre vent être très dures parfois. Mais on ça en commun qu’ils se sacrifient pres- fils. Ils l’ont fait toute cette saison-là billets déjà vendus pour sports majeurs mais le fait que le rug- aime ça et le club se développe très bien que tous pour pouvoir pratiquer leur et nous avions quatre ou cinq pères et la Coupe du monde de by dispose d’une ligue professionnelle ces dernières années. » sport. Simplement mus par une passion fils qui jouaient ensemble. C’était fan- rugby à VII qui se joue- devrait désormais l’aider. » Son budget a même été multiplié par qui leur donne une force incroyable. tastique. » Le rugby américain est dé- ra à San Francisco Quand on joue au rugby aux États-Unis, dix en deux ans, les sponsors locaux Là-bas, le rugby arbore sûrement plus cidément très surprenant. — du 20 au 22 juillet.

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les Français À LA CONQUÊTE DE L’OUEST Après Jean-Baptiste Gobelet, qui avait joué pour San Diego en 2016 à l’occasion du feu ProRugby, le championnat professionnel américain a vu débarquer d’autres Français. Ils sont quatre, exactement, qui évoluent dans l’équipe de Houston entraînée par Alain Hyardet. Quatre jeunes joueurs qui ont fait le choix de quitter la France pour continuer à vivre du rugby et surtout tenter une expérience inédite outre-Atlantique. TEXTE : ÉMILIE DUDON

ouston, 25 avril 2018. Sur le terrain de autres étrangers de l’équipe, pour ame- football américain d’un petit lycée texan, ner sa science du rugby à cette équipe reconverti en terrain de rugby pour l’oc- qui, comme toutes les formations amé- Thimothée Guillemin, l’un des quatre Français jouant pour Austin en plein casion, quelques joueurs crèvent l’écran. ricaines, en manque cruellement pour échauffement le sourire aux lèvres. Il y a l’ancien capitaine de l’équipe fid- l’instant. jienne championne olympique à Rio, « La plupart des joueurs ici sont des Osea Kolinisau, et son compatriote Josua athlètes mais pas des rugbymen. Il faut il ne faut pas trop crier sur eux ou leur partir à l’étranger. J’ai entendu parler j’ai débarqué aux états-Unis. » Vici, fers de lance des Sabercats, les in- tout expliquer, revenir aux bases alors, montrer qu’on est agacé et ça chauffe de ce projet à Austin. Thierry Daupin, ternationaux américains Todd Clever nous faisons venir des joueurs fran- un peu parfois… Mais l’ensemble des le responsable du club, est français et LE RÊVE AMÉRICAIN et Kyle Sumsion, anciens coéquipiers çais. Chez nous, ils ne peuvent « pas joueurs travaille pour l’équipe ainsi originaire de Nîmes, comme moi. Je Le jeune ouvreur n’est pas le seul chez les Eagles devenus adversaires passer le cut », mais ils ont de l’envie, de nous vivons très bien ensemble au fi- suis entré en contact avec lui et cela Français de l’effectif. Il a été rejoint par d’un jour, ou encore l’Australien Sione la fraîcheur et ils apportent une vraie nal. Ici, il y a des athlètes exceptionnels s’est fait très rapidement. En un mois, Victor Comptat il y a quelques semai- Fangaiuiha, véritable bombe dans la li- plus-value, notamment sur le plan de qui s’investissent beaucoup pour ap- j’avais mon visa et en octobre 2016, nes. Le 10 avril exactement, soit onze gne d’attaque d’Austin. Il y a aussi l’ou- la culture rugby et de la technique », prendre le rugby. » vreur de l’équipe texane, Thimothée témoigne l’entraîneur français d’Austin, Formé à Nîmes puis Montpellier, Guillimin. Comme son patronyme le Alain Hyardet. Son joueur poursuit : Thimothée Guillemin, aujourd’hui laisse deviner, il est français. Auteur « Nous sommes un certain nombre âgé de 22 ans, a rejoint Austin il y a d’une excellente deuxième mi-temps d’étrangers et certains voient cela d’un un an et demi après avoir claqué la Je pourrais être dans un petit apparte- notamment – et de son premier essai mauvais œil ici. Je pense au contraire porte d’Agen fâché avec le rugby fran- ment à Nîmes, à jouer au rugby et avec de la saison après une prise d’intervalle que c’est très bien pour le rugby aux çais : « Je suis parti après ma première et une feinte d’école -, l’ancien interna- États-Unis. Cela permet aux Américains saison là-bas. J’avais fait un match en un boulot un peu moyen à côté... H tional tricolore chez les moins de 16 et qui veulent jouer à un haut niveau de professionnel en Challenge européen Au lieu de cela, je vis aux States, dans les moins 18 ans, se balade dans cette progresser. C’est vrai, ce n’est pas fa- mais j’avais joué en Espoirs toute l’an- Major League Rugby que l’on promet cile tous les jours parce qu’il faut vrai- née et cela s’était très mal passé. J’avais un quartier très chic, j’ai ma licence très belle dans quelques années mais ment leur apprendre les bases. C’est des différends personnels avec l’en- américaine. C’est génial ! qui affiche, pour l’heure, un niveau de frustrant parfois. En plus, la mentalité traîneur et j’étais un peu dégoûté du Fédérale 1. Il est là, avec la majorité des américaine est un peu particulière : rugby en France alors je cherchais à Thimothée Guillimin

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Thierry Daupin (photo ci-con- tre), cofondateur de la fran- chise d’Austin, est français. Victor Comptat (page de droite), deuxième ligne, est franco- américain.

jours avant la première journée de MLR : je n’ai pas d’enfant, il fallait le faire main- « J’ai fait deux jours de tests avec Alain tenant. Et je ne le regrette pas. Je m’éclate ! » Hyardet qui était venu me chercher à l’aé- roport. J’étais claqué, en plein décalage ho- 1 500 EUROS PAR MOIS raire, mais le lendemain, j’étais sur le ter- Le rêve américain, c’est aussi ce qui a ten- rain à 6 heures du matin, raconte le té Thimothée Guillimin : « J’aurais pu res- deuxième ligne, âgé de 21 ans. J’ai passé ter en France, à Nîmes avec qui j’avais eu les tests et le week-end suivant, j’étais ti- un ou deux rendez-vous. Mais l’expé- tulaire pour le premier match. Depuis, rience de la vie aux états-Unis est quelque tout s’enchaîne. » chose d’extraordinaire. Je pourrais être Je ne vais pas le L’histoire de Victor Comptat est un peu dans un petit appartement à Nîmes, à particulière : formé à Toulon par les frè- jouer au rugby et avec un boulot un peu cacher : en France, res Champ, passé par le centre de forma- moyen à côté… Au lieu de cela, je vis aux j’aurais au mieux tion de Brive puis Massy, avec qui il s’est States, dans un quartier très chic, j’ai ma entraîné toute la saison sans jouer en Pro licence américaine. C’est génial ! C’est donc proposé de venir utiliser sa com- veloppe de chaque franchise couvrant joué en Fédérale 1 D2, il est international… américain ! Né une toute autre expérience de vie. » pétence ici. » la totalité des salaires). « C’est l’équi- parce que je à Los Angeles, où travaillaient ses parents « Dream the dream », c’est aussi ce que Ce gamin, c’est Mickaël Romera, de- valent d’un contrat Espoir en France », à l’époque, le joueur possède la double mettent en avant Thierry Daupin et Alain mi de mêlée d’Oyonnax, formé à reprend Thimothée Guillimin. L’es- n’avais pas le nationalité et a disputé la Coupe du monde Hyardet contraints par un Salary cap li- Montpellier. Il a lui aussi décidé de sentiel, de toute façon, n’est pas là niveau pour le Pro des moins de 20 ans avec les Eagles. Il mité à 350 000 dollars pour recruter leurs rejoindre Austin quelques semaines pour eux : « Être les pionniers du rug- rêve de jouer le Mondial japonais de 2019 joueurs : « Le challenge est énorme pour après le début de la Major League. Il ar- by professionnel américain est très D2 ou le Top 14 et surtout le suivant, en France en 2023, ces gamins, explique leur coach. Ils dé- rive en même temps qu’un autre inter- exaltant, conclut Victor Comptat. Les alors j’ai sauté sur sous le maillot à la bannière étoilée. « Dès marrent une nouvelle aventure et se re- national chez les jeunes, l’ancien pilier états-Unis sont le plus imposant pays que j’ai eu 21 ans, j’ai reçu une invitation trouvent leaders dans une structure où, des moins de 20 ans et de Narbonne du monde et quand les Américains cette opportunité. Facebook de Thierry Daupin et nous avons en France, ils étaient complètement ef- Simon Courcoul. se mettent en tête de réussir quelque Je suis jeune, je n’ai commencé à échanger. J’en ai parlé à facés et n’existaient plus. J’ai un jeune chose, ils le font à fond. Vu les moyens Timmy (Thimothée Guillimin), avec qui joueur qui arrive. Quand je l’ai contac- UNE EXPLOSION D’ICI CINQ ANS qu’il y a ici, en termes financiers et pas d’enfant, il je jouais en sélection Paca, et je me suis té, il m’a dit : « J’ai 21 ans, je ne vais pas Professionnels à plein-temps, con- d’infrastructures, tout va très vite se dé- dit que j’allais tenter l’aventure. Cela me être conservé dans mon club et sortir du trairement à un certain nombre de velopper et d’ici quelques années, les fallait le faire permettait d’avoir une vraie carte à jouer haut niveau ne me plaît pas. Que vais-je leurs coéquipiers, ces jeunes Français meilleurs joueurs européens vien- maintenant. Et je pour la sélection. Je ne vais pas le cacher : faire ? Aller en Fédérale 1 ou 2, arrêter ne vivent pas le grand luxe. Pour l’ins- dront finir leur carrière aux États-Unis. en France, j’aurais au mieux joué en le rugby ? » Ce gamin jouait depuis tou- tant, ils gagnent environ 1 500 euros Je suis sûr que le rugby va exploser ne le regrette pas. Fédérale 1 parce que je n’avais pas le ni- jours, il était passé par les sélections par mois (aux États-Unis, c’est la Ligue dans les deux ou cinq ans à venir. Ça Je m’éclate ! veau pour le Pro D2 ou le Top 14 alors j’ai moins de 16 ans et moins de 18 ans, à la qui paie les joueurs chaque mois après va devenir monstrueux et nous, on sauté sur cette opportunité. Je suis jeune, fin, il a été rejeté par le système. Je lui ai avoir reçu en début de saison une en- aura été là depuis le départ. »— Victor Comptat

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