Iranica Antiqua, vol. XXXII, 1997

NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN

PAR F. VALLAT CNRS, Paris

Périodiquement, des origines de l'assyriologie à nos jours, des théories plus ou moins farfelues ont embrouillé les données essentielles pour la reconstitution de l'Histoire élamite. Mais le comble est atteint avec un article intitulé «RuÌusak — mar aÌatim: la transmission du pouvoir en Elam» qui vient de paraître dans le Journal Asiatique1.

Le problème de la succession en Elam a été abordé à plusieurs reprises2 et j'en ai présenté récemment la synthèse partielle consacrée au IIe millé- naire3. La principale conclusion de cet article consiste à démontrer que l'expression élamite ruhu-sak signifie «fils né de l'union du roi avec sa propre sœur» mais que, dans les titulatures, le plus souvent, ces deux mots n'expriment que la «légitimité» du souverain sans représenter un lien bio- logique quelconque. Comme le ruhu-sak élamite est rendu en «accadien de Suse» par mar ahati qui, en Mésopotamie, signifie «neveu», on en a déduit, depuis fort longtemps, que le pouvoir élamite passait du roi à son neveu. C'est la théorie reprise ici par Glassner qui pense pouvoir la renforcer par l'analyse de différents termes élamites concernant les liens de parenté, en particulier a'ani- et kus-huhun. Il est curieux de constater d'emblée que Glassner réfute une théorie qu'il n'a pas comprise! Ainsi, (op.cit. p. 221) il écrit: «Ils [les tenants de l'autre théorie] tirent parfois argument d'une inscription de Silhak-Insusi- nak dans laquelle celui-ci se proclame sak, «fils», de Sutruk-Nahhunte, et ruhu hanik, «rejeton bien-aimé», de Peyak (personnage du sexe féminin

1 J.-J. GLASSNER, 1994. Cette théorie avait déjà été exposée lors de la Table Ronde consacrée aux «Relations suso-babyloniennes d'Ibbi- à Kurigalzu» qui a eu lieu à Gand les 17-20 mars 1994. 2 F. VALLAT, 1978, 1985, 1990. 3 Idem, 1994. 54 F. VALLAT totalement inconnu dont on suppute, avec vraisemblance, qu'elle est sa mère), pour affirmer que sak doit renvoyer à la figure du père et ruhu à celle de la mère. Partant, ruhusak, un composé de ruhu et de sak, renver- rait au couple du père et de la mère; la tradition akkadienne viendrait com- pléter le témoignage de l'élamite en permettant de préciser que l'épouse est une sœur de l'époux, Peyak devenant, du même coup, la sœur-épouse de Sutruk-Nahhunte.» A ma connaissance, personne n'a jamais écrit que Peyak était la sœur- épouse de Sutruk-Nahhunte, ni les anciens, ni les modernes! Au contraire, cette double filiation permet de démontrer que Peyak et Sutruk- Nahhunte ne sont pas frère et sœur! En effet, Silhak-Insusinak se dit «fils» (sak) de Sutruk-Nahhunte et «fils» (ruhu) de Peyak. Mais il ne se dit jamais ruhu-sak de Sutruk-Nahhunte. C'est seulement dans l'éventua- lité où le composé ruhu-sak est utilisé qu'il y a union (souvent fictive, rappelons-le ) entre le frère et la sœur! Comment peut-on désormais suivre une théorie dont les bases sont erronées? Et pourtant, le comble n'est pas atteint! Pour nier que sak signifie «fils» par rapport au père et ruhu «fils» par rapport à la mère, Glassner prétend (op. cit. p. 223) que le dieu «Hutran est présenté, indifféremment, soit comme ruhu hanik «rejeton bien-aimé», de la déesse Kiririsa, soit comme sak hanik, «fils bien-aimé», de la même mère.» Or, cette affirmation repose sur un texte qui n'existe pas!!! En effet, le passage utilisé comme fondement de la théorie est une phrase reconstituée de manière erronée par F.W. König (EKI 49 VII):

[e d]Hu-ut--an sa-ak h[a?-ni-ik dKi-ri-ri-is-sa] «[O Gott] Hutran, gel[iebter]? Sohn der [Kiririssa]»

Mais depuis que F.W. König a publié ce texte, un joint de cette inscrip- tion a été retrouvé dans les réserves du Louvre, joint qui permet de resti- tuer le passage ainsi:

ú [mKi-tin-d]Hu-ut-ra-an sa-ak m[Pa-hi-ir-is]-sa-an-gi-ik «Je (suis) Kitin-Hutran, fils de Pahir-issan»,

4 V. SCHEIL, MDP 5, LXXVI. 5 M.-J. STEVE et F. VALLAT, 1989, 224, ligne 12. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 55 comme V. Scheil4 l'avait déjà suggéré et comme M.-J. Steve et moi l'avons montré5. Ainsi, l'élément fondamental de la théorie6 de Glassner s'écroule! Il importe maintenant de présenter une analyse des deux termes de parenté qu'il avance à l'appui de sa théorie, a'ani- et kus-huhun. Pour lui, «a'ani signale le groupe de parenté que les enfants forment avec leur mère, kus-huhun dit le groupe que ces mêmes enfants forment avec leur père». a'ani serait «la famille d'origine» tandis que kus-huhun serait la «famille d'alliance» (op.cit. p. 225-26)!

Le sens d'a-a-ni-ir/ip

Différents textes permettent de cerner le sens d'a-a-ni-ir/ip. Ainsi, une inscription des takkime7 de Hutelutus-Insusinak (EKI 60 II) men- tionne:

takkime-ume takkime igi sutu-upeni takkime ruhu-sak-upeni takkime ruhupak-upeni a-a-ni-ip-ù-pè intikka «pour ma vie, la vie de mes frères et sœurs, la vie de mes ruhu-sak, la vie de mes ruhu-pak, mes a-a-ni-ip»

Il apparaît que chaque membre de la phrase est précédé par takkime sauf a-a-ni-ip. On peut en conclure logiquement que a-a-ni-ip est une apposition, soit de l'ensemble, soit des derniers éléments. Cette ambiguïté peut être immédiatement levée grâce à une autre inscription des takkime du même Hutelutus-Insusinak, la brique dite d'Ansan8 qui, bien que plus complète que la précédente, suit un schéma analogue:

6 La méthode qui consiste à élaborer toute une théorie à partir d'un seul texte est déjà très aléatoire. Mais lorsque le texte en question est gravement mutilé, c'est absurde. En outre, F.W. KÖNIG émet des doutes sur sa propre reconstitution en écrivant sa-ak h[a?-ni-ik]. Or, si on se rapporte à la photographie (M.-J. STEVE, F. VALLAT, 1989, 236, 2, 12), il est clair que le signe qui suit sak est le déterminatif masculin, le clou vertical. 7 Les inscriptions dites «des takkime» sont des textes, généralement dédicatoires, dans lesquels un souverain sollicite la grâce divine pour sa vie (takkime) et celles de certains membres de sa famille qui sont parfois tous nommément énumérés. 8 M. LAMBERT, 1972 et E. REINER, 1973. 56 F. VALLAT

takkime-ume, takkime NP1, takkime NP2 …. takkime NP9 igi-sutu- upeme takkime fUtuk-hute-kasan, ruhu-pak Hutelutus-Insusinak-rime takkime mTemti-pitet, ruhu-sak Hutelutus-Insusinak-rime a-a-ni-ip-ú- pè intikka

«pour ma vie, la vie de NP1, la vie de NP2 … la vie de NP9, mes frères et sœurs, la vie de Utuk-hute-kasan, la ruhu-pak de Hutelutus- Insusinak, la vie de Temti-pitet, le ruhu-sak de Hutelutus-Insusinak, mes a-a-ni-ip

Ainsi, comme les 9 personnages nommément énumérés sont identifiés par une apposition: «mes frères et sœurs», les deux derniers, ruhu-pak et ruhu-sak sont les a-a-ni-ip de Hutelutus-Insusinak, comme dans le texte précédent. Le terme a-a-ni-ip apparaît donc bien comme une épithète des ruhu-sak et des ruhu-pak. Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par deux inscriptions des hut-halikpi9 de Silhak-Insusinak aujourd'hui partielles qui portaient le même texte. Le début est en EKI 47 §13 et la seconde partie en EKI 46 §11, quelques lignes médianes étant communes aux deux frag- ments. L'énumération des bénéficiaires des hut-halikpi commence par les deux prédécesseurs de Silhak-Insusinak, Sutruk-Nahhunte son «père aimé» et Kutir-Nahhunte, son «frère aîmé». Puis vient le locuteur de l'inscription, Silhak-Insusinak et son épouse Nahhunte-, sans aucune titulature. Ils sont suivis par un «frère aimé» du roi qui précède huit personnages nom- mément cités selon l'ordre de leur naissance, de Hutelutus-Insusinak à Lili-irtas10. Cette énumération se termine par:

puhu kusik-upe ak Nahhunte-utu-pe a-a-ni-ip nika-pè ur-pa-pu-up

9 Les hut-halikpi sont des «figurines» de divinités et de membres de la famille royale conservées dans le kumpum kiduia, le «temple extérieur», construit à l'extérieur de l'Acropole. Il a été partiellement détruit par les architectes de Darius lorsqu'ils ont édifié l'Apadana. Plusieurs briques portant l'inscription du kumpum kiduia (EKI 29; 32, 43, [46], 47) ont été retrouvées in situ dans les fondations à l'angle nord-est de cette salle. 10 En EKI 47, le dernier enfant de Nahhunte-Utu mentionné est Lilir-tas (8e) tandis qu'en EKI 45, il s'agit de Temti-tur-katas (7e). NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 57

La première formule puhu kusik-upe ak Nahhunte-utu-pe ne fait pas problème:

«les enfants conçus par moi et par Nahhunte-utu» qui représente une apposition située sur le même plan grammatical que les «père aimé», «frère aîné», «frère aimé», du début de l'inscription. Ces appositions servent à identifier clairement les personnages mention- nés. La seconde formule «nos a-a-ni-ip» a été interprétée de manières dif- férentes. F.W. König propose pour l'ensemble: «die Nachkommen, die von mir gezeugt wurden und von der Nahhunte-utu, unsere Verwandten, die vor mir?». Il a été suivi en ce sens par F. Grillot qui rend l'ensemble par «les enfants nés de moi et de Nahhunte-utu, nos parents, mes prédé- cesseurs»11. W. Hinz et H. Koch (ElW 1247) considèrent que urpapup est un qualificatif de a-a-ni-ip et traduisent «unsere früheren Verwand- ten». Aucune de ces explications n'est satisfaisante du point de vue de la langue élamite. Il est ainsi facile d'éliminer d'emblée l'hypothèse d'ElW: si urpapup était un adjectif qualifiant a-a-ni-ip, le possessif serait à la fin. Quant à F.W. König, il considère avec réticence, que le - u- de urpapup est le pronom personnel de première personne, (ce qu'ac- cepte F. Grillot). Mais cette interprétation va à l'encontre du sens géné- ral de l'inscription. En réalité, a-a-ni-ip apparaît comme une apposition de «les enfants conçus par moi et par Nahhunte-utu», exactement comme nous l'avons vu dans les inscriptions précédentes. Ce qu'il est intéressant de consta- ter c'est que a-a-ni-ip qualifie ici uniquement les enfants nés de l'union de Silhak-Insusinak avec Nahhunte-utu («nos») et que dans les textes précédents, ils qualifiaient les ruhu-pak et ruhu-sak de Hutelutus-Insu- sinak. Quant à urpapup, il ne peut pas représenter «mes prédécesseurs» et ce, pour différentes raisons: 1°) Les prédécesseurs sont mentionnés en tête de l'inscription. 2°) L'ordre interne du document va très clairement du plus ancien au plus jeune; c'est d'ailleurs la première fois que les enfants de Nahhunte-

11 F. GRILLOT, 1983, 8. 58 F. VALLAT utu sont énumérés selon l'ordre des naissances et non plus selon le sexe, les garçons précédant les filles. 3°) S'il s'était agi des prédécesseurs de Silhak-Insusinak, on aurait selon toute vraisemblance sunkip uripupe (EKI 13, 48) ou urpuppa (EKI 17, 28, 34, 35, 36, 40, 42, 45) «les rois antérieurs». urpapup signifie simplement «les précédents». Or, ces «précédents» sont les enfants que Nahhunte-utu a eu de ses précédents mariages, enfants qui figurent bien et nommément dans l'inscription mais qui ne sont pas représentés dans l'apposition puhu kusik-upe ak Nahhunte-utu-pe, ces puhu qui ne représentent que ceux nés de l'union de Silhak-Insusinak avec Nahhunte-utu. Cette apposition de la longue énumération des enfants est donc à com- prendre:

«les enfants conçus par moi et par Nahhunte-utu, (c'est-à-dire) nos a-a-ni-ip (et) les précédents (enfants de Nahhunte-utu)»

Une dernière inscription des takkime, diversement interprétée mérite qu'on s'y arrête un instant. Il s'agit du seul texte élamite de Siwe-palar- huhpak (EKI 3 A + B II) que F.W. König a lu et traduit:

ta-ak-me-ù-[me-ni] Am-ma-ha-as-d[u-uk-me] we-ir a-a-ni-i[r-ra?- me] a-gi pu-hi-e-[na] in-di-ik-[ga] «Für mein Leben, das der Ammahasduk, das des Samens? der Ver- wandtschaft und das ihrer (der Ammahasduk) Kinder».

A priori, on peut dire que pu-hi-e-na ne se rapporte pas à amma-hastuk, auquel cas puhi précéderait we-ir a-a-ni-ir. En outre, l'ordre hiérarchique très strict des inscriptions élamites ne serait pas respecté. Il s'agit donc bien des enfants du wer anir. ElW 15 propose de remplacer we-ir a-a-ni-i[r-ra?-me] par pi-ir a-a-ni-i[p-me] et de comprendre «… der sonstigen Verwandten». Cette interprétation est doublement impossible car, d'une part, le texte porte bien a-a-ni-ir[ … ] (et non a-a-ni-i[p …]) et, d'autre part, on ne peut pas solliciter la grâce divine pour la vie d'êtres qui n'existent plus. Les morts ne sont jamais mentionnés dans les inscriptions des takkime! NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 59

Récemment, F. Grillot et J.-J. Glassner12, tenant compte des deux inter- prétations précédentes transcrivent et traduisent:

ta-ak-me-ù-[me-ni] Am-ma-ha-as-d[u-uk-me] we-ir a-a-ni-i[p-ra- me] a-gi pu-hi-e-[na] «(pour) la mienne vie, (celle) d'Amma-hastuk, (celle) de l'héritier légitime et de son/ses enfant(s)» avec le commentaire pour we-ir a-a-ni-ip-ra compris me-r aani-p.ra: «le successeur de la famille» entendons l'«héritier légitime». Quant à J.-J. Glassner (op.cit. p. 224), à propos de ce texte, il écrit: «Siwe-palar-huhpak, après avoir rappelé qu'il est ruhusak de Siruk-duh, son prédécesseur sur le trône des sukkalmah, évoque les figures de sa mère, Amma-hastuk, d'un personnage anonyme désigné comme l'«héri- tier», we, de l'a'ani, enfin, des autres enfants de sa mère». Tout d'abord, Siwe-palar-huhpak ne mentionne pas son père Siruk-tuh mais son aïeul Silhaha13. Ensuite, rien ne permet d'affirmer qu'Amma- hastuk est la mère du roi: ou bien Amma-hastuk est un nom propre auquel cas ni le «mère», ni le possessif ne sont indiqués ou bien amma-has- tuk est un nom commun, ce qui est le plus vraisemblable. Enfin, il ne s'agit pas «des autres enfants de sa mère» mais des enfants du «succes- seur légitime». Il est donc possible de proposer une autre interprétation de ce texte:

pour ma vie, (celle) de l'amma-hastuk, (celle) du successeur légitime et (celles) de ses enfants (à lui)14»

Cette restitution est fondée sur le fait que, contrairement à l'opinion généralement admise, amma-hastuk n'est pas un nom propre mais le titre porté par l'épouse-sœur (rutu-sutu) du roi, lorsqu'elle lui a donné un héri-

12 1990: 65. 13 Comme je l'ai montré dans DAFI 8 (1978) 103, le texte est à lire: Si-il-[ha-ha]. Cette dernière lecture est confirmée par M.W. STOLPER, 1982, 63, n. 61 et par ElW 1077. D'ailleurs, en élamite, le signe ÌR n'a qu'une valeur idéographique. Le nom de Siruk-tuh est toujours écrit avec ir. 14 Puhu étant un collectif, le pluriel s'impose. 60 F. VALLAT tier 15. C'est le cas, dans une inscription de Hutelutus-Insusinak (EKI 65 III), où le roi sollicite la grâce divine pour Nahhunte-utu amma-hastuk- urime «pour Nahhunte-utu, mon amma-hastuk» et c'est également une épithète de Pilkisa dans l'inscription accadienne de Temti-Agun (MDP 6, p. 23). Ensuite, il importe de souligner que cette inscription de Siwe-palar-huh- pak est atypique. Le roi, pour désigner l'héritier de la couronne, utilise l'expression we-ir a-a-ni-ir (successeur légitime) et non pas le mot sak «fils» ou ruhu-sak «fils légitime», ce qui constitue d'ailleurs un élément supplémentaire pour supposer qu'il est mort sans enfant mâle. En outre, contrairement aux autres inscriptions des takkime, l'héritier reste ano- nyme. Il semble bien que Siwe-palar-huhpak sollicite la grâce divine pour éviter une rupture dynastique16. Quoi qu'il en soit, il résulte de l'analyse des quatre exemples étudiés ci- dessus qu'a-a-ni-ip/ir est apposition: 1°) des ruhu-sak/pak de Hutelutus-Insusinak (EKI 60 et Ansan), 2°) des enfants nés de Silhak-Insusinak et de Nahhunte-utu (EKI 46- 47), 3°) du successeur (wer) de Siwe-palar-huhpak (EKI 3). Il apparaît ainsi que a-a-ni-ir/ip est à ruhu-sak (fils légitime) et à ruhu-pak (fille légitime), ce que puhu (enfants) est à sak (fils) et à pak (fille) lorsque le locuteur veut préciser la légitimité17! a-a-ni-ir/ip signifie donc «enfant(s) légitime(s)». On peut ajouter que si tous les aanip (enfants légitimes) sont des puhu (enfants) tous les puhu ne sont pas des aanip! Et dans certains cas, le locuteur insiste sur cette légitimité comme en EKI 47-46 ou, avec encore plus de force, dans l'inscription d'Ansan de Hutelutus-Insusinak. Mais dans plusieurs inscriptions, le locuteur n'éprouve pas le besoin de mettre l'accent sur cet aspect «juridique» du terme. Ainsi, nous savons

15 Comme l'expression «fils de la sœur de NP» ne constitue, le plus souvent, qu'un élément de titulature n'impliquant aucun lien biologique réel, il est possible qu'il en aille de même pour amma-hastuk. 16 Il est vraisemblable que Siwe-palar-huhpak était alors sukkalmah et non sukkal d'Elam à l'époque de Siruk-tuh (F. GRILLOT et J.-J. GlASSNER, 1990, 65): d'une part, le titre d'agrandisseur du royaume (ligawe risakki) n'est porté que par le souverain suprême et, d'autre part, dans une inscription des takkime, il aurait sollicité la grâce divine pour son père si celui-ci avait été encore vivant. 17 Rappelons ici qu'un sak est un «fils» légitime mais que le ruhu-sak possède un degré de légitimité supérieur, F. VALLAT, 1994, 4-5. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 61 que tous les enfants nés de l'union de Silhak-Insusinak avec Nahhunte-utu, sont des aanip mais dans de nombreux textes, ils sont simplement dits puhu (EKI [34], 35, 36, 41 A, 58, etc.). Si, en EKI 47-46, il éprouve le besoin de préciser qu'ils sont aanip c'est vraisemblablement en raison de la nature du texte. Il s'agit là d'une inscription des huthalikpe dans laquelle le souverain dit avoir déposé dans une chapelle les statuettes de tous les membres légitimes de la famille et la légitimité est alors un élé- ment prépondérant18. Aucune statuette d'un éventuel bâtard ne saurait entrer dans ladite chapelle! Il n'est donc pas étonnant que Hanni qui a épousé sa propre sœur (EKI 76) parle de ses puhu et que ses filles soient désignées par pak, même si ses puhu sont des aanip et ses filles des ruhu-pak! a-a-ni-ir|ip signifie bien «enfant(s) légitime(s)» et le mot n'a rien à voir avec «la famille d'origine qui s'organise autour de la mère» (comme le veut Glassner) puisque dans l'exemple d'EKI 47-46, a-a-ni-ip s'ap- plique uniquement aux enfants conçus par Silhak-Insusinak et Nahhunte- utu! Il n'est question ici ni d'oncle, ni de neveux utérins! Cet argument de la théorie de Glassner doit donc être rejeté. Par contre, le sens d'«enfant(s) légitime(s)» pour aani-r/p vient renfor- cer les propositions que j'ai émises récemment19. En effet, comme nous l'avons vu, dans EKI 47-46, seuls les enfants conçus par Silhak-Insusinak et Nahhunte-utu sont qualifiés d'aanip et comme aanip représente l'en- semble des ruhu-sak et des ruhu-pak, c'est-à-dire l'ensemble des mar ahati, les «fils de la sœur», il s'agit bien des enfants que le roi Silhak- Insusinak a eu de sa propre sœur Nahhunte-utu.

Les sens de kus-huhun et de par

Notons d'emblée que le mot composé kus-huhun dont le sens de «descendance» est assuré depuis longtemps, n'apparaît que dans les ins- criptions de Silhak-Insusinak, à une exception près, un texte de son pré- décesseur Kutir-Nahhunte (EKI 31). Il paraît donc curieux qu'il soit uti-

18 De même aujourd'hui, dans certains cas rarissimes, des actes notariaux en particu- lier, Madame X (X = le nom du mari) doit signer «Madame Y ( Y = nom de jeune fille), épouse X (X = nom du mari)». 19 F. VALLAT, 1994. 62 F. VALLAT lisé pour établir une théorie concernant l'ensemble de l'histoire élamite alors que son auteur reconnaît que la période des Sutrukides est «par- ticulière»! Fonder une théorie générale sur une particularité constitue, en effet, une démarche tout à fait particulière … et c'est un euphé- misme! ElW 568 traduit kus-huhun par «Nachkommenschaft». F.W. König a montré qu'il s'agissait, en fait, des «noch nicht lebende … spätere Kinder; zukünftiger Kinder». A son argumentation très étayée (EKI p. 93 et tableau), on peut encore ajouter un autre élément: kus-huhun est souvent employé avec une forme verbale à l'inaccompli (kus-huhun hinunka: «(pour) la descendance que j'obtiendrai» (EKI 38 VII, 44 d II, 47 §4 et probablement EKI 46 §3, 54 §3-4). En outre, comme cette «descendance» peut être celle des propres enfants de Silhak-Insusinak et de Nahhunte-utu (EKI 47 §4), le terme ne peut donc pas représenter «le groupe de parenté que les enfants forment avec le père», comme le prétend Glassner (op. cit. p. 225), ni la famille d'alliance! Par ailleurs, il existe en élamite un autre terme, ignoré par Glassner, utilisé pour désigner la «descendance». Il s'agit de par dont le sens est assuré par ses équivalents sumérien (NUMUN) et accadien (zeru), littéra- lement la «semence»20. Ce mot est généralement utilisé dans une malé- diction d'ordre général: par ani kutun «que sa descendance ne soit plus portée!»21. Mais dans un texte (EKI 54 §12), le mot par désigne spéci- fiquement la «descendance» de Nahhunte-utu:

f[dNah-hu-u]n-te-ú-tú pá-ar-e hal-ma ku-ki-it-na Puisses-tu dans le pays protéger la descendance de Nahhunte-utu!

Cet exemple permet de supposer que par est à kus-huhun, ce que aanip est à puhu et ce que ruhu-sak/ruhu-pak est à sak/pak c'est-à-dire que par signifie «descendance légitime», celle qui sera issue du mariage (réel ou fictif) du roi et de sa sœur.

20 D'après CT XVII 7 II 20, cf. ElW 109. 21 Pour les diverses interprétations de cette malédiction: ElW 109 et M.-J. STEVE, 1967, 18. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 63

Le pseudo-oncle

Maintenant, si on aborde la théorie de Glassner sous un autre angle, celui de l'«oncle», on parvient à des résultats identiques, c'est-à-dire absurdes! Ainsi, l'auteur prétend que Temti-Agun, oncle de Kutir-Nah- hunte I, a succédé à son neveu (op. cit. p. 229-230)22. Or, toute cette théo- rie est fondée sur un lapsus dans l'article de M.-J. Steve, H. Gasche, L. De Meyer23 qu'il eut été facile de confirmer ou d'infirmer! En effet, dans ce texte, on lit: «Ce sukkalmah [Kutir-Nahhunte], cependant, est toujours appelé fils de la sœur de Siwe-palar-huhpak». Or, il n'existe aucune ins- cription dans laquelle Kutir-Nahhunte se dit «fils de la sœur» (mar ahati ou ruhu-sak) de Siwe-palar-huhpak!!! Mais même si Kutir-Nahhunte avait été le «fils de la sœur» de Siwe-palar-huhpak, il eut été difficile d'accepter l'inscription au premier degré, c'est-à-dire d'admettre qu'il aurait biologiquement été le «fils de la sœur» simplement pour des ques- tions de dates! Pour la période des sukkalmah qui nous concerne ici, nous ne possé- dons que deux synchronismes clairs avec la Mésopotamie. Le premier concerne Siwe-palar-huhpak et il nous assure qu'il était encore vivant en 1765. Le second permet d'établir avec certitude que Kuk-Nasur II, le pré- tendu neveu de Siwe-palar-huhpak, était sukkalmah lors de la première année d'Ammi-≥aduqa en 1646. Or, si nous suivons Grillot et Glassner sur ce terrain, nous devons conclure qu'une période d'au moins 119 ans sépare l'oncle du neveu! Pour rester sur le thème de l'oncle, Glassner (op.cit. p. 230-231) écrit: «On comprend mieux, dès lors, l'apparente répétition d'un phénomène pour le moins étrange et difficilement explicable, phénomène selon lequel les rois élamites semblent rarement dotés d'enfants. Ni Siwe-palar-huh- pak, ni Hutelutus-Insusinak ne font état de leur propre progéniture; sem- blablement Kutir-Nahhunte II, dans une sienne inscription, fait allusion à la seule Nahhunte-utu et aux enfants de celle-ci. En réalité, les neveux suc- cédant à l'oncle, celui-ci n'a pas lieu de mentionner ses propres enfants.» Même en admettant un instant, un très court instant, que ruhu-sak ne signifie pas «fils légitime» mais «neveu», de l'époque d'Agadé à la

22 Cette théorie a déjà été présentée par F. GRILLOT, J.-J. GLASSNER, 1991, 98. 23 M.-J. STEVE, H. GASCHE, L. DE MEYER, 1980, 88-89. 64 F. VALLAT période néo-élamite, il y a bien davantage de sak ou de DUMU que de ruhu- sak ou de mar ahati! — Des douze rois d'Awan, le seul dont on connaisse la filiation est «fils» (DUMU); — pour les douze rois de Simaski, trois filiations sont connues: deux sont des «fils» (DUMU et sak), le troisième est dit, à la fois, ruhu-sak et «fils» (DUMU); — à l'époque des sukkalmah: sur la trentaine de personnages qui ont exercé les fonctions de sukkalmah ou de sukkal, la moitié d'entre eux seu- lement ont laissé leur filiation. Parmi ceux-ci douze se disent «fils de la sœur de Silhaha» alors qu'aucun ne peut, physiquement, être fils de la sœur de Silhaha! En outre, plusieurs ont une double ou triple, voire qua- druple filiation! — à l'époque des Kidinuides, les deux seules filiations connues sont «fils» (DUMU); — à l'époque des Igihalkides on ne connaît que des «fils» (sak ou DUMU); — à l'époque des Sutrukides, tous les rois sont «fils» (sak); — à l'époque néo-élamite tous les rois sont «fils» (sak ou DUMU)! L'ensemble de ces sources montre que l'affirmation de Glassner est tout à fait exagérée. Quant aux trois souverains qu'il mentionne, leurs situations respectives s'expliquent aisément. Il est vraisemblable que Siwe-palar-huhpak n'a pas eu d'héritier mâle puisque c'est son frère Kuduzulus qui lui succède avant de céder lui-même le pouvoir à son propre fils, Kutir-Nahhunte I. De son côté, Hutelutus-Insusinak mentionne une ruhu-pak et un ruhu- sak sur la brique d'Ansan et plusieurs autres sur une inscription susienne. En supposant encore une fois que ruhu-sak signifie «neveu», qui donc serait le père de ces «enfants» puisque dans le cas précis, nous connais- sons tous les membres de la famille, même ceux qui n'ont jamais accédé au trône. Notons que tous les prédécesseurs de Hutelutus-Insusinak (Sutruk-Nahhunte, Kutir-Nahhunte et Silhak-Insusinak) sont des sak! Quant à Kutir-Nahhunte, dont le règne a été relativement court, chacun sait qu'il a passé plus de temps à guerroyer qu'à construire des édifices religieux porteurs de ce genre d'inscriptions. On ne lui doit que cinq textes! Cependant, par une analyse méticuleuse des inscriptions dites des takkime, F.W. König a déterminé que Nahhunte-utu avait déjà six enfants de Kutir-Nahhunte quand elle a épousé Silhak-Insusinak. En réalité, ces NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 65 six enfants ne sont pas du seul Kutir-Nahhunte puisque Nahhunte-utu avait déjà au moins deux enfants d'un précédent mariage comme le prouve EKI 31 V: «pour ma vie, celle de Nahhunte-utu et celle de ses enfants». Si elle n'avait eu alors qu'un enfant, le texte aurait dit «son fils» ou «sa fille». D'ailleurs le mot puhu (enfants) est un collectif, comme M. Lambert l'a suggéré24. Il est donc vraisemblable, même si aucun texte ne permet de l'établir avec certitude, que quelques uns de ces enfants sont de Kutir- Nahhunte. En fait, rien ne permet de penser que ruhu-sak signifie «neveu». Si les Elamites avaient voulu indiquer un «neveu», il leur était fort possible, à l'instar de l'accadien mar ahati, d'écrire sak-sutu- ou ruhu-sutu-(k/t/r/p): le «fils de la sœur». S'ils ne l'ont pas fait c'est que ruhu-sak a un sens spécifique différent, si spécifique que le terme n'existe pas en accadien. Soulignons que, dans l'accadien de Suse, mar ahati ne signifie pas «neveu» mais bien «fils de la sœur» et l'expression sous-entend «fils qu'elle a eu de son propre frère»! Pour continuer sur ce thème de l'«oncle» cher à Glassner, on relève (op.cit. pp. 220-221, n. 4): «Un chroniqueur néo-babylonien note à son tour que l'Elamite Humban-nikas (742-717) a pour successeur le «fils de sa sœur», Sutruk-Nahhunte II (717-699), lequel est renversé, plus tard, par son propre frère Hallusu-Insusinak (699-693)», théorie confirmée par la n. 30, p. 226 où on lit: «Hallusu-Insusinak, un frère de Sutruk-Nahhunte II et, par conséquent, un «fils de la sœur» de Humban-nikas, se dit lui-même «fils», sak, d'un certain Humban-tahra (EKI 77).» Ces deux citations méritent quelques commentaires: la Chronique babylonienne I, 40 dit que Sutruk-Nahunte II (717-699) est mar ahati de Humban-nikas (op. cit. 220, n. 4). Cette chronique est rédigée en accadien par un Mésopotamien et elle est destinée à des Mésopotamiens. Dans ce cas précis, mar ahati signifie bien «neveu». Par les sources élamites, nous savons que Sutruk-Nahunte II est fils (sak) de Huban-imena II. Ces deux informations conjuguées, permettent de reconstituer le schéma suivant: Huban-imena II est décédé alors que ses enfants étaient trop jeunes pour exercer le pouvoir qui est donc normalement assumé par son frère cadet Huban-nikas. A la mort de ce dernier, le pouvoir revient au fils aîné de

24 M. LAMBERT, 1955, 151. Mais le sens de «princes» qu'il propose alors est trop res- trictif. 66 F. VALLAT

Huban-imena II, Sutruk-Nahunte II. Cette interprétation permet d'accorder les sources mésopotamiennes aux sources élamites: il n'y a aucune contra- diction entre elles puisque Sutruk-Nahunte est le fils de Huban-imena (sources élamite) et qu'il succède à son oncle Huban-nikas qui avait assuré la régence (source mésopotamienne). En ce qui concerne Hallusu, la confusion est totale! Dans une étude consa- crée à l'époque néo-élamite25, je démontre que le Hallusu des sources méso- potamiennes ne peut pas être le Hallutas-Insusinak des textes élamites: du point de vue de la langue élamite, il est absolument impossible que les ins- criptions de Hallutas-Insusinak soient contemporaines de celles de Sutruk- Nahunte II. Ces dernières appartiennent manifestement à un état antérieur de la langue élamite. En conséquence, le Hallusu des sources mésopotamiennes est bien le frère de Sutruk-Nahunte II et donc le fils de Huban-imena II et le Hallutas-Insusinak des textes susiens est bien le fils de Huban-tahra II. Ce sont deux personnages différents! Ainsi, il n'y a plus aucune contradiction entre les sources élamites et les sources mésopotamiennes.

Les termes de parenté et autres

Enfin, les autres termes de parenté de la langue élamite sont tout aussi maltraités par Glassner que ceux qui précèdent: hamit (op.cit. p. 235) n'est pas hapax legomenon. On le retrouve dans le nom du roi Atta-hamiti-Insusnak (EKI 86 III; 87 I, IV) ainsi que sur la tablette nucléiforme publiée par V. Scheil dans RA 24 (1927) 43: [ … s]u- gìr ha-mi-ti na-[ap-pi-pè-na] et ha-mi-ti-ri! Pour Glassner, hatik (op.cit. p. 236) signifie «préféré» dans les inscrip- tions de Hutelutus-Insusinak EKI 61 A I, 62 I et 63 I. Or, le mot hatik est reconstitué en EKI 62 et 63. Il n'apparaît donc qu'en EKI 61 A, un frag- ment publié par V. Scheil sans autographie ni photographie mais qui a été complété par trois duplicata publiés par M.-J. Steve (MDP 53, no 20) qui émet déjà des doutes sur l'existence de ce terme. D'autres duplicata de cette même inscription sont conservés dans les Musées de Suse et de Téhéran. Sur la dizaine d'exemplaires connus, tous portent clairement sak hanik. Selon toute vraisemblance, hatik n'existe pas!

25 F. VALLAT, 1996. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 67

L'hypothèse de Glassner selon laquelle hanik pourrait signifier «cadet» (op.cit. p. 235) est insoutenable. Si «cadet» peut qualifier un frère ou une sœur, un fils ou une fille, il ne peut guère s'appliquer à un père ou à une mère! Appliqué à une épouse, cela impliquerait une polygamie qui n'est jamais documentée. En outre, dans une vingtaine d'inscriptions, différents souverains se disent «serviteur hanik de telle ou telle divinité». On ima- gine mal, dans ces éléments de titulature, qu'il puisse s'agir d'un «servi- teur cadet»! Enfin, il importe de souligner que hanik est un participe passé passif du verbe hani- employé sous différentes formes dans diverses expressions! Glassner écrit d'autre part (op. cit. p. 227): «Ruhusak pourrait-il dési- gner, outre le neveu utérin, le petit-fils? Nombreuses sont, en effet, les langues où le même terme évoque, tout à la fois, le petit-fils et le neveu utérin. Dans le cas de l'Elam, on ne saurait l'affirmer.» C'est, une fois encore, mal connaître les inscriptions élamites puisque ruhu-sak est attesté au tout début de l'inscription de Behistun (I, 1-226) où Darius se dit:

mmi-is-tá-ás-pá sá-ak-ri mIr-sá-ma mru-uh-hu-sá-ak-ri «fils de Hystaspe, petit-fils d'Arsamès»

L'ignorance des sources élamites de Glassner nous a permis d'éviter un long développement car ce ruhhu-sakri est rendu, dans la version vieux- perse, par napa dont a largement parlé, entre autres, E. Benvéniste27, déve- loppement qui n'aurait d'ailleurs rien apporté car d'une part, à ma connaissance, l'élamite n'est pas une langue indo-européenne et, d'autre part, à l'époque achéménide la civilisation élamite s'est fondue dans les institutions perses et mèdes! Les explications de Glassner (op. cit. p. 236) à propos de la triple filia- tion de Hutelutus-Insusinak qui se dit «sak de Kutir-Nahhunte et de Sil- hak-Insusinak», «sak de Sutruk-Nahhunte, de Kutir-Nahhunte et de Sil- hak-Insusinak» et «ruhu-sak de Silhaha» sont tout aussi fantaisistes! Selon toute vraisemblance, Hutelutus-Insusinak est né de l'union de Sutruk-Nahhunte avec Nahhunte-utu. Cette union d'un père avec sa fille

26 A tout hasard, je signale à Glassner l'existence, depuis près de dix ans, d'un dic- tionnaire élamite dû à W. HINZ et H. KOCH (= ElW) où il aurait pu découvrir l'existence de ce ruhu-sakri ! 27 E. BENVENISTE, 1966: 208, 231 ss, 236, 265. 68 F. VALLAT est tout à fait exceptionnelle, même en Elam. Il est donc possible qu'il n'y ait pas eu de terme spécifique pour désigner le rejeton d'une telle union. Dans tous les cas, s'il a existé, il n'est pas documenté. Quoi qu'il en soit, il apparaît que Sutruk-Nahhunte est le père biologique de Hutelutus-Insu- sinak et que Kutir-Nahhunte et Silhak-Insusinak sont ses pères putatifs, ce qui explique les différentes titulatures de ce souverain. Enfin, l'expression «fils de la sœur de Silhaha», utilisée par Hutelutus-Insusinak plus de huit siècles après l'existence de son célèbre prédécesseur Silhaha, montre, à l'évidence, qu'il s'agit d'un élément de titulature!

Il faudrait, pour être complet, relever toutes les «petites erreurs» de Glassner. Mais comme elles n'ont pas de conséquences importantes pour la théorie qu'il présente, je me contenterai de mentionner celles qui pour- raient nuire à de futures recherches: — Hutran-tepti n'a pas régné «aux lendemains de la chute d'Ur» (op.cit. p. 228) mais à la fin de l'époque d'Ur III! — Le Kuk-Nasur qui est dit «fils de Silhaha» (sur la tablette MDP 28, p. 11) n'est pas ainsi désigné par «une erreur commise par un écolier» (op. cit. p. 228, n. 44). Le texte fait allusion à Kuk-Nasur I, le contempo- rain de Kuk- et de Kuk-Kirmas! — Glassner parle «des enfants des deux unions de Nahhunte-utu» (op.cit. p. 225) alors que trois sont explicites et qu'une quatrième est implicite. En effet, dans une inscription des takkime, Kutir-Nahhunte (EKI 31 V) mentionne: «pour ma vie, (celle) de Nahhunte-utu et (celles) de ses enfants [à elle]», ce qui implique que Nahhunte-utu a eu au moins deux enfants d'une précédente union, vraisemblablement avec son père Sutruk- Nahhunte. Qu'elle fut également l'épouse de Silhak-Insusiank est assuré par de nombreux textes. Quant à la quatrième union de cette reine, elle est déduite des inscriptions de Hutelutus-Insusinak qui mentionnent Melir- Nahhunte, une fille qu'il a probablement eu de son union avec sa mère28. A propos de Melir-Nahhunte la confusion est d'ailleurs totale (op.cit. p. 234 et n. 67): le fragment EKI 62 a été complété par deux autres briques qui fournissent un texte aujourd'hui complet29 où il n'est pas question de Melir-Nahhunte mais d'une autre princesse, Isnikarab-huhun! Quant à

28 Sur ces deux aspects, F. VALLAT, 1994, 4-5. 29 F. VALLAT, 1985, 43-45. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 69

EKI 61 A et EKI 63, ils appartiennent à la même inscription comme l'a montré M.-J. Steve30. Par contre, Glassner omet l'inscription d'Ansan dans laquelle Hutelutus-Insusinak mentionne Melir-Nahhunte parmi ses «frères et sœurs». J'ai exposé ailleurs les arguments qui permettent de considérer Melir-Nahhunte comme la fille née de l'union de Hutelutus-Insusinak avec sa mère Nahhunte-utu. L'argument selon lequel Melir-Nahhunte n'appa- raît pas dans les textes de Silhak-Insusinak (ce qui est vrai!) n'implique pas forcément que Melir-Nahhunte ne soit pas une fille de Nahhunte- utu!!! Mais avant d'être la fille de Hutelutus-Insusinak, elle est sa sœur car née de la même mère. C'est l'utérinité qui est alors l'élément direc- teur31.

En réalité, ces «nouveaux» problèmes de succession en Elam ne sont que le fruit d'une méconnaissance des sources élamites32. Si Glassner s'in- téressait davantage aux Dogons et autres Trobriands qu'il appelle à la res- cousse pour établir la confusion dans l'Histoire de l'Elam, il rendrait un grand service à l'élamitologie!

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30 M.-J. STEVE, 1987, no 20. 31 F. VALLAT, 1994, 4-5. 32 Manisfestement Glassner méconnaît de nombreux textes essentiels pour le problème abordé ici. Il ignore en particulier que: — EKI 49 a été complété par M.-J. STEVE et F. VALLAT, 1989; — EKI 61 A, 63 et 64 appartiennnent à une seule et même inscription dont le texte complet a été publié par M.-J. STEVE, 1987, no 20; — EKI 61 B et 61 C ont été complétés par F. VALLAT, 1978; — EKI 62 a été complété par F. VALLAT, 1985. 70 F. VALLAT

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