9730 Ira.Ant. 02 Vallat
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Iranica Antiqua, vol. XXXII, 1997 NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM PAR F. VALLAT CNRS, Paris Périodiquement, des origines de l'assyriologie à nos jours, des théories plus ou moins farfelues ont embrouillé les données essentielles pour la reconstitution de l'Histoire élamite. Mais le comble est atteint avec un article intitulé «RuÌusak — mar aÌatim: la transmission du pouvoir en Elam» qui vient de paraître dans le Journal Asiatique1. Le problème de la succession en Elam a été abordé à plusieurs reprises2 et j'en ai présenté récemment la synthèse partielle consacrée au IIe millé- naire3. La principale conclusion de cet article consiste à démontrer que l'expression élamite ruhu-sak signifie «fils né de l'union du roi avec sa propre sœur» mais que, dans les titulatures, le plus souvent, ces deux mots n'expriment que la «légitimité» du souverain sans représenter un lien bio- logique quelconque. Comme le ruhu-sak élamite est rendu en «accadien de Suse» par mar ahati qui, en Mésopotamie, signifie «neveu», on en a déduit, depuis fort longtemps, que le pouvoir élamite passait du roi à son neveu. C'est la théorie reprise ici par Glassner qui pense pouvoir la renforcer par l'analyse de différents termes élamites concernant les liens de parenté, en particulier a'ani- et kus-huhun. Il est curieux de constater d'emblée que Glassner réfute une théorie qu'il n'a pas comprise! Ainsi, (op.cit. p. 221) il écrit: «Ils [les tenants de l'autre théorie] tirent parfois argument d'une inscription de Silhak-Insusi- nak dans laquelle celui-ci se proclame sak, «fils», de Sutruk-Nahhunte, et ruhu hanik, «rejeton bien-aimé», de Peyak (personnage du sexe féminin 1 J.-J. GLASSNER, 1994. Cette théorie avait déjà été exposée lors de la Table Ronde consacrée aux «Relations suso-babyloniennes d'Ibbi-Sin à Kurigalzu» qui a eu lieu à Gand les 17-20 mars 1994. 2 F. VALLAT, 1978, 1985, 1990. 3 Idem, 1994. 54 F. VALLAT totalement inconnu dont on suppute, avec vraisemblance, qu'elle est sa mère), pour affirmer que sak doit renvoyer à la figure du père et ruhu à celle de la mère. Partant, ruhusak, un composé de ruhu et de sak, renver- rait au couple du père et de la mère; la tradition akkadienne viendrait com- pléter le témoignage de l'élamite en permettant de préciser que l'épouse est une sœur de l'époux, Peyak devenant, du même coup, la sœur-épouse de Sutruk-Nahhunte.» A ma connaissance, personne n'a jamais écrit que Peyak était la sœur- épouse de Sutruk-Nahhunte, ni les anciens, ni les modernes! Au contraire, cette double filiation permet de démontrer que Peyak et Sutruk- Nahhunte ne sont pas frère et sœur! En effet, Silhak-Insusinak se dit «fils» (sak) de Sutruk-Nahhunte et «fils» (ruhu) de Peyak. Mais il ne se dit jamais ruhu-sak de Sutruk-Nahhunte. C'est seulement dans l'éventua- lité où le composé ruhu-sak est utilisé qu'il y a union (souvent fictive, rappelons-le ) entre le frère et la sœur! Comment peut-on désormais suivre une théorie dont les bases sont erronées? Et pourtant, le comble n'est pas atteint! Pour nier que sak signifie «fils» par rapport au père et ruhu «fils» par rapport à la mère, Glassner prétend (op. cit. p. 223) que le dieu «Hutran est présenté, indifféremment, soit comme ruhu hanik «rejeton bien-aimé», de la déesse Kiririsa, soit comme sak hanik, «fils bien-aimé», de la même mère.» Or, cette affirmation repose sur un texte qui n'existe pas!!! En effet, le passage utilisé comme fondement de la théorie est une phrase reconstituée de manière erronée par F.W. König (EKI 49 VII): [e d]Hu-ut-ra-an sa-ak h[a?-ni-ik dKi-ri-ri-is-sa] «[O Gott] Hutran, gel[iebter]? Sohn der [Kiririssa]» Mais depuis que F.W. König a publié ce texte, un joint de cette inscrip- tion a été retrouvé dans les réserves du Louvre, joint qui permet de resti- tuer le passage ainsi: ú [mKi-tin-d]Hu-ut-ra-an sa-ak m[Pa-hi-ir-is]-sa-an-gi-ik «Je (suis) Kitin-Hutran, fils de Pahir-issan», 4 V. SCHEIL, MDP 5, LXXVI. 5 M.-J. STEVE et F. VALLAT, 1989, 224, ligne 12. NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 55 comme V. Scheil4 l'avait déjà suggéré et comme M.-J. Steve et moi l'avons montré5. Ainsi, l'élément fondamental de la théorie6 de Glassner s'écroule! Il importe maintenant de présenter une analyse des deux termes de parenté qu'il avance à l'appui de sa théorie, a'ani- et kus-huhun. Pour lui, «a'ani signale le groupe de parenté que les enfants forment avec leur mère, kus-huhun dit le groupe que ces mêmes enfants forment avec leur père». a'ani serait «la famille d'origine» tandis que kus-huhun serait la «famille d'alliance» (op.cit. p. 225-26)! Le sens d'a-a-ni-ir/ip Différents textes permettent de cerner le sens d'a-a-ni-ir/ip. Ainsi, une inscription des takkime7 de Hutelutus-Insusinak (EKI 60 II) men- tionne: takkime-ume takkime igi sutu-upeni takkime ruhu-sak-upeni takkime ruhupak-upeni a-a-ni-ip-ù-pè intikka «pour ma vie, la vie de mes frères et sœurs, la vie de mes ruhu-sak, la vie de mes ruhu-pak, mes a-a-ni-ip» Il apparaît que chaque membre de la phrase est précédé par takkime sauf a-a-ni-ip. On peut en conclure logiquement que a-a-ni-ip est une apposition, soit de l'ensemble, soit des derniers éléments. Cette ambiguïté peut être immédiatement levée grâce à une autre inscription des takkime du même Hutelutus-Insusinak, la brique dite d'Ansan8 qui, bien que plus complète que la précédente, suit un schéma analogue: 6 La méthode qui consiste à élaborer toute une théorie à partir d'un seul texte est déjà très aléatoire. Mais lorsque le texte en question est gravement mutilé, c'est absurde. En outre, F.W. KÖNIG émet des doutes sur sa propre reconstitution en écrivant sa-ak h[a?-ni-ik]. Or, si on se rapporte à la photographie (M.-J. STEVE, F. VALLAT, 1989, 236, 2, 12), il est clair que le signe qui suit sak est le déterminatif masculin, le clou vertical. 7 Les inscriptions dites «des takkime» sont des textes, généralement dédicatoires, dans lesquels un souverain sollicite la grâce divine pour sa vie (takkime) et celles de certains membres de sa famille qui sont parfois tous nommément énumérés. 8 M. LAMBERT, 1972 et E. REINER, 1973. 56 F. VALLAT takkime-ume, takkime NP1, takkime NP2 …. takkime NP9 igi-sutu- upeme takkime fUtuk-hute-kasan, ruhu-pak Hutelutus-Insusinak-rime takkime mTemti-pitet, ruhu-sak Hutelutus-Insusinak-rime a-a-ni-ip-ú- pè intikka «pour ma vie, la vie de NP1, la vie de NP2 … la vie de NP9, mes frères et sœurs, la vie de Utuk-hute-kasan, la ruhu-pak de Hutelutus- Insusinak, la vie de Temti-pitet, le ruhu-sak de Hutelutus-Insusinak, mes a-a-ni-ip Ainsi, comme les 9 personnages nommément énumérés sont identifiés par une apposition: «mes frères et sœurs», les deux derniers, ruhu-pak et ruhu-sak sont les a-a-ni-ip de Hutelutus-Insusinak, comme dans le texte précédent. Le terme a-a-ni-ip apparaît donc bien comme une épithète des ruhu-sak et des ruhu-pak. Cette interprétation est d'ailleurs confirmée par deux inscriptions des hut-halikpi9 de Silhak-Insusinak aujourd'hui partielles qui portaient le même texte. Le début est en EKI 47 §13 et la seconde partie en EKI 46 §11, quelques lignes médianes étant communes aux deux frag- ments. L'énumération des bénéficiaires des hut-halikpi commence par les deux prédécesseurs de Silhak-Insusinak, Sutruk-Nahhunte son «père aimé» et Kutir-Nahhunte, son «frère aîmé». Puis vient le locuteur de l'inscription, Silhak-Insusinak et son épouse Nahhunte-utu, sans aucune titulature. Ils sont suivis par un «frère aimé» du roi qui précède huit personnages nom- mément cités selon l'ordre de leur naissance, de Hutelutus-Insusinak à Lili-irtas10. Cette énumération se termine par: puhu kusik-upe ak Nahhunte-utu-pe a-a-ni-ip nika-pè ur-pa-pu-up 9 Les hut-halikpi sont des «figurines» de divinités et de membres de la famille royale conservées dans le kumpum kiduia, le «temple extérieur», construit à l'extérieur de l'Acropole. Il a été partiellement détruit par les architectes de Darius lorsqu'ils ont édifié l'Apadana. Plusieurs briques portant l'inscription du kumpum kiduia (EKI 29; 32, 43, [46], 47) ont été retrouvées in situ dans les fondations à l'angle nord-est de cette salle. 10 En EKI 47, le dernier enfant de Nahhunte-Utu mentionné est Lilir-tas (8e) tandis qu'en EKI 45, il s'agit de Temti-tur-katas (7e). NOUVEAUX PROBLEMES DE SUCCESSION EN ELAM 57 La première formule puhu kusik-upe ak Nahhunte-utu-pe ne fait pas problème: «les enfants conçus par moi et par Nahhunte-utu» qui représente une apposition située sur le même plan grammatical que les «père aimé», «frère aîné», «frère aimé», du début de l'inscription. Ces appositions servent à identifier clairement les personnages mention- nés. La seconde formule «nos a-a-ni-ip» a été interprétée de manières dif- férentes. F.W. König propose pour l'ensemble: «die Nachkommen, die von mir gezeugt wurden und von der Nahhunte-utu, unsere Verwandten, die vor mir?».