Témoignage Henri Ecochard
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Témoignage d’Henri Ecochard La France Libre, la Résistance et la Déportation (Hérault, zone sud), Témoignages de François Berriot Pendant l’année scolaire, j'étais élève au Lycée, à Poitiers, jusqu'à l'âge de 12 ans, puis à Tours, jusqu’à l'âge de 17 ans, lorsqu'en juin 1940 je suis parti pour Londres. A 12 ou 13 ans, mes parents m'ont permis d'être scout, et cette expérience a beaucoup compté : elle a été l’apprentissage de la vie collective, de la « bonne action » quotidienne, du don. Pour le garçon que j'étais, qui souffrait sur les bancs du Lycée et que seule sa propre générosité faisait aimer, la vie chez les scouts a été l’occasion d'un véritable épanouissement ; je retrouverai cette atmosphère singulière de compagnonnage et de partage au sein de la France Libre où je serai sous les ordres de supérieurs à peine plus âgés que moi et aussi de deux vrais chefs, De Gaulle, « le grand Charles », et Leclerc, « le patron » Notre famille avait peu d'argent, mais mon père tenait à ce que, une fois par mois au moins, nous allions tous ensemble au cinéma. C'est donc dans une salle de cinéma, en 1935- 1936, que j'ai commencé, à l'âge de 13 ans, de comprendre ce qu'était le nazisme : j'ai vu, aux « Actualités Pathé », les chemises noires brisant les vitrines et pillant les magasins des commerçants juifs de Berlin ; j'ai su très vite qu’Hitler préparait une guerre visant à imposer sa dictature à l’Europe. Sur ce point, aussi, mon père m'a éclairé ; un jour de 1937, il est entré dans la chambre où je faisais mes devoirs et m'a tendu un livre en me disant : « Tiens, lis ce livre ; il t'intéressera et pourra t'être utile. » C'était Mein Kampf. Je l’ai lu et, malgré mes 14 ans, je l’ai tout de suite jugé : le texte était mal écrit et il donnait l’impression de folie, mais il montrait clairement que la catastrophe était possible et qu'elle approchait. Hélas, les démocraties ne faisaient rien, et je commençais à me demander pourquoi l'élite était si incapable. En 1937 toujours, mon père m'a permis de faire, durant l'été, un voyage en Hollande pour que je puisse participer, avec les scouts de France, au Jamboree; c'était un beau cadeau de sa part, car les frais de transports et de séjour étaient assez élevés. Je suis donc parti dans un train d'adolescents tous plus grands et forts que moi ; j'étais en effet petit de taille car ¡e n'ai grandi qu'à 18 ans, en Angleterre. Nous avons traversé la Belgique. En Hollande, l’accueil a été très chaleureux, dans ce camp enthousiaste où nous chantions autour de grands feux, rencontrant des garçons venus du monde entier et animés par un même idéal, ce que ¡e devais revivre plus tard à la France Libre. Baden-Powell y a refusé la participation des Jeunesses hitlériennes car elles étaient l'émanation d'un parti politique et dangereuses. A la fin de l'été 1938, il y a eu Munich. J'ai été, stupéfait. Je voyais, aux « Actualités Pathé », Chamberlain acclamé ; en France, je constatais que la plupart des gens disaient ouvertement leur soulagement. Je me sentais tout petit et faible, avec mes 15 ans, et, plus je me sentais faible, plus je me disais : « Il faut se défendre, ne pas se laisser écraser comme des rats. Il va y avoir la guerre : il faut se battre ! » Durant toute l’année scolaire 1938-1939, j'y ai pensé sans cesse, et j'ai eu l’impression que nos chefs, comme mes camarades de classe, ne voulaient pas voir la vérité, hormis trois ou quatre lycéens soit « Croix de feu » soit « communistes ». Lors de la rentrée scolaire 1939, les cours ont repris au Lycée de Tours ; la guerre était bien là, avec ses exercices de défense passive, avec les départs vers un front où l’on ne se battait pas encore. En mai 1940, la foudre est tombée. J'étais en classe de première et je devais passer la première partie du Baccalauréat. Les Allemands sont arrivés en Touraine le 12 ou le 13 juin ; le proviseur a fermé le Lycée, et, le 10, je suis allé à Airvault où mes parents avaient une maison à côté de celle de mon grand-père. Je me raccrochais encore à l'espoir qu'une résistance s'organiserait sur la Loire, car on disait que cela avait été le cas à Saumur. Soudain, mon existence a basculé. Le 17 juin 1940, à 12h30, je suis seul dans la maison familiale, mon père et ma mère étant restés à Tours, obéissant aux ordres officiels qui viennent d'interdire tout nouvel exode. J'écoute, à la T.S.F., le discours prononcé par Pétain, investi le matin même président du Conseil. Je suis stupéfait à chaque phrase... « Je fais don de ma personne » : pourquoi cette affirmation dénuée de sens sauf si on met sa vie en jeu ? Quand on est un chef et qu'on s'est trompé, on donne sa vie en se faisant tuer et non en acceptant que son peuple soit réduit en esclavage... Je me remémorerai cette phrase quand nos imbéciles d'amiraux, plus anti-anglais qu'anti-nazis, sans penser à la France, feront se saborder notre flotte à Toulon ; eux aussi feront « don de leur personne » en se gardant bien de « sauter » avec leurs bateaux ! « C'est le cœur serré que je demande l’arrêt des combats » : comment ? Sans négocier, alors que beaucoup de braves luttent toujours ! J'ai beau n'avoir que 17 ans, je suis bouleversé, mais, hélas, je ne suis pas au bout de mes peines. « J'ai demandé au chancelier Hitler de traiter dans l’honneur, entre soldats » : comment oser parler « d'honneur entre soldats » avec un caporal, certes génial dans la cruauté, mais voyou sanguinaire qui a emprisonné, torturé, fait mourir des milliers d'opposants allemands ? Sa manière est connue. Elu régulièrement, il a nommé, dans la semaine même de son accession à la tête de l’Allemagne, un « gauleiter » par province avec tout pouvoir de gracier ; très vite, la Gestapo a cassé, par plaisir, tout jugement légal, puis a menacé policiers et juges, qui, en quelques semaines, se sont soumis ou ont disparu... Comment oser parler d'honneur avec un dément qui met à feu et à sang l'Europe depuis la Pologne jusqu'à Tours ? Pétain n'est plus qu'un pauvre vieillard : soit il n'a plus sa raison, soit il est devenu fasciste ; auparavant, il a mal préparé notre armée afin qu'elle soit vaincue et que nous soyons livrés au peuple seigneur qui prétend dominer l'Europe... Je suis abasourdi et malheureux. Mon unique consolation est d'être seul ; j'ai toujours aimé la forêt, les beaux sous-bois, silencieux de paroles mais bruissants de vie ; pendant des heures, durant trois jours, je vais me réfugier dans la forêt voisine. Les échos que je reçois du village sont trop tristes : je suis affligé d'être seul à penser à me battre. Le 20 juin, tandis que le soir tombe, j’écoute à nouveau la radio et j’entends l’extraordinaire discours du Premier Ministre anglais, Winston Churchill, s’adressant en français au peuple de France : « Nous continuons la lutte… Nous nous battrons rue après rue, maison après maison, jusqu’au dernier souffle… Les démocraties vaincront et Hitler sera pendu… ». Je pense immédiatement que je dois partie en Angleterre pour qu’on m’y prête une arme, mais je sais que mon père déteste les Anglais depuis Jeanne d'Arc, Waterloo, Fachoda. Je comprends ses sentiments, pourtant quel autre choix ai-je, alors que les Russes se sont alliés aux Allemands, que les Américains ne bougent pas, et que l’Allemagne nazie vient de nous submerger en attendant de nous détruire ? Dans ces circonstances, les Anglais m'apparaissent comme nos seuls alliés effectifs. Mais m'accepteront-ils dans leur armée alors que nous venons de renier notre parole ? Je n'hésite pas car ils sont ma seule chance d'être un homme « propre ». Il est 21h ; depuis trois jours je n'ai pas vu ma sœur, et je vais chez elle. « Je vais partir en Angleterre demain matin. Peux-tu me prêter 100 francs car je n'ai rien ? Surtout, ne dis rien aux parents pendant une semaine et parle leur seulement si je ne suis pas revenu dans 8 jours ; explique-leur bien pourquoi je suis parti ». Ma sœur me voit si décidé qu'elle n'essaie même pas de me retenir; elle me prête gentiment l’argent que je lui demande et que je ne changerai que lors de mon arrivée en Angleterre. Le 21 juin, à 6 heures du matin, je pars donc, sur le vélo « confort » équipé de pneus « ballons » qui m'a été offert par mon père. Il fait très beau. Malgré une crevaison, vite réparée, je pédale toute la journée, sous le soleil. A 9 heures du soir, j'arrive à La Rochelle, d'où je pense m'embarquer, mais qui est déjà occupée par les Allemands. A l’entrée du port, une automitrailleuse et quatre ou cinq soldats allemands, assez calmes, barrent la voie. Je m'avance, mais les cris qui me sont lancés me convainquent de ne pas insister. Je fais le tour par une autre rue et me glisse jusqu'au port. Des bateaux de pêche sont amarrés ; je m'approche, demandant si l’un d'entre eux part en Angleterre.