Les Secrets Du Sorcier Jean Stablinski © La Voix Du Nord, 1994 Droits De Traduction, Reproduction Et Adaptation Réservés Pour Tous Pays
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Les secrets du sorcier Jean Stablinski © La Voix du Nord, 1994 Droits de traduction, reproduction et adaptation réservés pour tous pays. RENÉ DERUYK JEAN-YVES HERBEUVAL LES SECRETS DU SORCIER JEAN STABLINSKI Préface de Jean-Marie Leblanc LA VOIX DU NORD PRÉFACE On ne renie jamais ses élans d'adolescence, pas plus qu'on oublie ses émotions et ses modèles. Le sport nordiste, dans les années soixante, c'était Michel Bernard disputant à Michel Jazy, avec fougue et panache, la suprématie sur le demi-fond, à l'époque où l'athlétisme français rayonnait encore ; c'était Jean Degros avec ses dribbles diaboliques et son coup d'œil infaillible, entraînant une bande de copains basketteurs vers les exploits ; c'était Jean Stablinski, baroudeur de la route, copain de Jacques Anquetil mais qui se bâtissait tout seul un palmarès de champion cycliste à force de courage et d'habileté. Tous les trois vivaient dans un rayon de quinze kilomètres, dans ce Valenciennois laborieux où l'on a toujours apprécié la réussite quand elle a pour fondement le mérite. Je n'ai pas oublié le 1 500 mètres des Jeux olympiques de Rome en 1960, ni le titre de champion de France de l'A.S. Denain- Voltaire en 1965, et moins encore l'échappée finale en solitaire qui fit de Jean Stablinski un champion du monde, sur le circuit italien de Salo, en 1962. Trois grandes et belles circonstances de se sentir fier d'être Nordiste ! Vous avouerai-je pourtant que c'est le dernier exploit auquel je fus le plus sensible : diable ! moi aussi j'étais coureur cycliste. Jeune, modeste, mais coureur cycliste, et Jean Stablinski, sans peut-être le mesurer complètement, allait devenir, sinon une idole — il n'avait rien d'une « star », dans son comportement — en tout cas une formidable « locomotive » pour le cyclisme nordiste. Il allait susciter des vocations chez les jeunes, favoriser la naissance de critériums, enflammer ce qu'on n'appelait pas encore les médias, ouvrir des perspectives aux aspirants professionnels... Faste période ! Michel Bernard eut en son temps « son » livre. Jean Degros aussi, l'un et l'autre marqués du coin de l'amour de leur sport, de leur ténacité de champion et de leur enracinement de Nordiste. Pas Jean Stablinski, non moins passionné, non moins opiniâtre et non moins régionaliste, mais à qui on oublia de rendre le même hommage. Pourquoi ? Allez savoir... Le « père Stab », comme on l'appelait familièrement en fin de carrière, là où j'eus la fierté de le coudoyer un peu, n'a jamais eu d'ostensible inclination pour les honneurs et le vedettariat. Bien faire son métier, y réussir, si possible, a toujours semblé suffire à son bonheur. Et voici que, trente ans plus tard, une sorte d'injustice est réparée. Par la grâce de deux... Nordistes, bien entendu, que la passion du cyclisme rapproche et que l'admiration qu'ils vouent à Jean Stablinski, de longue date, a fini par entraîner. L'un s'appelle Jean-Yves Herbeuval, c'est un universitaire de formation, passionné de cyclisme, et l'autre a pour nom René Deruyk et il vient du journalisme sportif. Le premier permettra que j'évoque davantage la démarche de ce bon vieux compagnon de route qu'a été pour moi René Deruyk, que je connais de longue date puisque, après avoir couvert pour « La Voix du Nord » mon brin de carrière cycliste, il initia mes premiers pas dans le journalisme et m'inculqua le goût de la langue française. Je lui dois une partie de mon chemin tout comme il doit à Jean Stablinski quelques grands moments de sa carrière de reporter. J'aime à reprendre souvent la phrase de l'écrivain Henri Béraud qui disait que « c'est un véritable marchepied vers la connaissance que la fréquentation d'un camarade plus âgé » et j'eus cette chance avec René Deruyk. Lui et Jean Stablinski étaient contemporains, d'où cette connivence, cette confiance qui habita leurs relations lorsque les performances de l'un enchantaient les comptes rendus de l'autre. Ah ! comme les jeunes journalistes français d'aujourd'hui aimeraient être inspirés par les faits d'armes d'un Stablinski. De ce livre, écrit comme un concerto pour quatre mains pour pianiste, ou à la manière d'un Trophée Baracchi pour les coureurs — un relais sur les résultats sportifs et sur l'histoire du cyclisme par Herbeuval, un relais sur le déroule- ment de carrière par Deruyk — on retient la chaleur commune des deux auteurs pour leur personnage, nullement altérée par les ans. Ses résultats ? Il se vérifie dans ces pages ce que j'avais un jour ressenti lorsque, ayant gagné le modeste Grand Prix de La Couronne, au fin fond des Charentes, j'avais découvert que Stablinski avait gagné aussi, comme il gagna encore à Denain, à Orchies, à Isbergues, en Haute-Loire, aux Boucles roquevairoises... une ribambelle de courses françaises de notoriété moyenne, qui vint enjoliver un palmarès internatio- nal déjà remarquable : il n'était pas pour lui de petite victoire, ni de public secondaire. Sa carrière ? De champion cycliste, de directeur sportif, de commerçant en cycles, elle constitue la trame d'une vie, indissolublement liée au vélo. Et cette vie-là, René Deruyk la connaît bien pour l'avoir en partie partagée. Il nous en restitue le cours avec les deux qualités qui caractérisent son approche des hommes et des événements. D'abord le souci de l'exactitude et le choix quasi maniaque du mot juste pour les décrire, voilà pour la forme. Ensuite, pour le fond, et c'est surprenant pour un auteur qui cultive la pudeur et le détachement comme des vertus rares, une espèce de tendresse complice à l'égard de son personnage, comme s'il en partageait les raisonnements et les convictions. Il est vrai que Jean Stablinski, qui nous honore depuis plusieurs années de sa collaboration sur le Tour de France, présence enjouée, dévouée, débonnaire, et tant appréciée de nos invités qu'il véhicule, qu'il instruit, qu'il cajole, ce bon Jean est un homme sociable en vérité resté trop longtemps méconnu. Et c'est vrai qu'après avoir lu ce livre, on l'apprécie encore davantage. Il était temps de nous le révéler, à l'occasion du départ du Tour de France 1994 à Lille où, promis, au milieu de la famille du vélo qui est la sienne, on se fera l'une de ces bonnes fêtes conviviales que les Nordistes apprécient tant. Oui, c'est cela, Jean Stablinski est un gars populaire. Tout simplement parce qu'il aime les gens... Jean-Marie Leblanc Directeur du Tour de France. CHAPITRE 1 LA JEUNESSE, L'APPRENTISSAGE Dans les balbutiements du XX siècle, la vie était toujours difficile pour les gens du peuple qui, en dépit des progrès réalisés, ne bénéficiaient pas encore vraiment des fruits de l'explosion industrielle. Les pays de pointe, en termes d'industrialisation, étaient, en gros, en Europe, la Grande-Bretagne, la France et l'Allemagne, qui, à défaut d'offrir la félicité à leurs ressortissants, leur proposaient du travail. La Pologne, qui avait connu tant d'avatars et en connaîtra d'autres, était essentiellement agricole. Les mines, un de ses fleurons, étaient encore dans les langes et ne pouvaient assurer le pain quotidien qu'à un million de personnes, alors que cinq millions de postulants se pressaient à leurs portes. Martin Stablewski et son épouse louaient leurs bras dans les fermes — l'immense domaine agricole était entre les mains de quelques grands propriétaires —, comme l'avaient fait, avant eux, leurs parents respectifs. Ils avaient trois enfants. Dans ces temps reculés, malgré la pauvreté, on ne rechignait pas à agrandir la famille, peut-être parce que l'on ignorait les moyens de parer à l'enfantement, mais aussi et surtout, parce que les mœurs de l'époque le voulaient, dans ce pays fort catholique, au surplus. Le siècle progressait, mais la condition des prolétaires, en Europe centrale et orientale plus qu'ailleurs, ne s'améliorait pas. Le travail manquait toujours cruellement. Beaucoup de Polonais, las de cette vie de misère, s'expatriaient : ils élisaient, pour la plupart, à l'instar des Italiens et des Belges, la France, considérée comme un Eldorado. La vérité était bien différente, mais le travail ne faisait pas défaut aux gens courageux. En 1924, Martin Stablewski céda aux sirènes et vint se fixer dans le nord de notre pays. Méfiant, quand même, il s'était gardé d'aventurer sa famille, demeurée au pays, en attendant de savoir si la situation était telle qu'on la décrivait. Lorsqu'il jugea que Dieu lui offrait une vie plus décente, en France, il fit venir les siens, la famille s'étant agrandie, entre-temps, d'un petit Léon, toujours en cette année 1924. A l'encontre de la majorité de ses compatriotes, vraisembla- blement en fonction de la conjoncture, il n'entra pas à la mine : il obtint un emploi dans une zinguerie, la "Franco- Belge", située sur le territoire de Mortagne-du-Nord. Rapide- ment, la firme, satisfaite de ses services, lui octroya, comme l'avait instauré la coutume — on appelle cela, de nos jours, avec mépris, le paternalisme — une maison dans la cité du Maroc, à Thun-les-Saint-Amand. Dans ce ménage sans histoire, qui ne roulait pas sur l'or, tout en vivant convenablement — tout est relatif, évidemment, et le jugement porté s'inscrit dans une époque déterminée —, naquit, en 1926, un garçon, que l'on prénomma Edouard. Hélas ! Le malheur, sans crier gare, s'abattit sur cette coura- geuse famille : la mère décéda, en couches. Martin, qui avait fait, en 1924, un déplacement éclair, dans son pays, afin de régler, sans doute, les dernières modalités de son installation en France, avait fait la connaissance, lors d'une visite chez des amis, de Pélagie Laskowska, une jeune fille travaillant, elle aussi, dans les fermes, mais se transformant en couturière, à ses heures.