La Réception Médiatique De La Participation Au Tour De France Par Les Coureurs Britanniques
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Parler d'une absence : la réception médiatique de la participation au Tour de France par les coureurs britanniques Hugh Dauncey and Geoff Hare (University of Newcastle upon Tyne) 1) La participation des Britanniques au Tour D'abord passons en revue le palmarès britannique au Tour de France. Malgré le succès dans cetaines courses d'un coureur comme Mills vers la fin du 19e siècle, les sportifs britanniques ont boudé le Tour jusqu'en 1937, année où deux Britanniques, dont le champion anglais Charley Holland, ont pris le départ, mais ne l'ont pas terminé. Ensuite il a fallu attendre 1955 avec l'arrivée d'une équipe britannique, largement sponsorisée par la marque de cycles Hercules. Son leader, un indépendant, Brian Robinson, a même décroché un classement en terminant 29e. Sur les 10 autres membres de l'équipe, il n'y a qu'un seul autre rescapé de la voiture balai, la lanterne rouge le très détendu Hoar, qui va être très applaudi à Paris. 1961 est la seule autre occasion où une équipe britannique traverse le Channel. Robinson courant donc plus ou moins seul se distingue dans ses 7 participations en gagnant deux étapes et en terminant 14e en 1956. Ainsi il a ouvert la voie à d'autres Simpson ou Hoban. Mais dans le demi-siècle de participation britannique nous constatons une relative abstinence et une maigre moisson. Voici certains chiffres comparatifs concernant les grands pays anglo-saxons participants : Pour les Britanniques, 53 coureurs mais une trentaine n'ont jamais terminé un seul Tour, aucune victoire, aucun podium même, 23 victoires d'étapes, certes, répartis entre 8 coureurs (mais sur un millier d'étapes qui ont eu lieu pendant cette période). Deux noms sont facilement cités, Simpson et Boardman, qui ont tous deux, pour des raisons différentes, n'ont pas rempli leur potentiel, quelques bons domestiques chevronnés, moins souvent cités, dont Hoban et Yates, mais un seul coureur qui ait remporté un maillot, l'Ecossais Robert Millar, meilleur grimpeur en 1984. Nous ne rentrons donc pas entièrement bredouilles, mais les comparaisons avec nos coreligionnaires anglo-saxons ne sont pas en notre faveur. L'Irlande, petit pays, un participant tardif - son premier coureur Seamus Elliott, arrive en 1956 - a donné seulement 6 coureurs en tout et pour tout, mais tous ont terminé la course, l'un d'entre eux, Stephen Roche, a gagné la course, après avoir décroché un podium, et un autre, Sean Kelly, a remporté le maillot vert non moins de quatre fois dans 12 participations - qu'il a terminées toutes. L'Australie, pays neuf, grand pays mais faiblement peuplé, participe depuis 1914, avec 24 coureurs dont 19 ont été classés. Des Australiens ont porté le maillot jaune, ont gagné des étapes, et un coureur, McEwan, a remporté en 2002 le maillot vert. Enfin, les Etats-Unis, peu friands des sports européens, participants tardifs, - depuis 1981- sont en cours de rattraper le RU en nombre de participations et de victoires d'étape, et sponsorisent une équipe. Seulement 6 sur leurs 30 coureurs n'ont pas terminé un Tour, et surtout, là où les Britanniques n'ont jamais décroché un podium, les Américains en ont gagné 10 dont 7 victoires au classement général. Sur les19 dernières courses, 10 podiums, 7 victoires sur 17 ans, c'est autrement impressionnant. En résumé, alors, le RU, - grand pays sportif, inventeur des grandes disciplines modernes au 19e siècle, inventeur de la bicyclette de sûreté en 1885, du pneu chambre à air Dunlop en 1888, leader de l'industrie du cycle européen pendant la Belle Epoque - est caractérisé, en ce qui concerne le Tour de France, par une faible participation et un taux de réussite quasi- inexistant. Donc une relative absence du Tour et un relatif échec. Pourquoi ? et avec quels effets sur le Tour lui-même ? Deux questions auxquelles nous nous proposons de répondre sous forme d'hypothèses. Dans un premier temps, cependant, examinons les attitudes anglaises vis-à-vis du Tour - la réception du Tour dans la presse, et chez différents commentateurs et coureurs - réception donc de cette relative absence - et des explications courantes qui sont données de ce relatif échec, avant d'esquisser quelques éléments d'explication. 2. Les discours britanniques sur les difficultés du Tour La couverture du Tour par le journal de référence The Times nous apprend beaucoup sur les attitudes anglaises. En 1937, par exemple, alors que Holland et Burl ont abandonné sans que le Times daigne remarquer leurs souffrances, les seules deux brèves commentent la première ´ Discordant cycle race: pepper thrown at Belgian team" et la deuxième annonce lapidairement et comme si cela ne pouvait vraiment concerner que les intéressés eux-mêmes : "France wins Tour de France". Dans les années 50, quand le cyclisme anglais semble vouloir découvrir un tant soit peu le Tour, le Times prolonge sa couverture, mais privilégie les commentaires sur certains aspects de la course . La couverture - qui reste toutefois mince - est fonction de la participation de coureurs des îles britanniques, et ne figure pas d'abord dans les pages sportives, mais comme une partie de la couverture de la vie d'un pays étranger. Dans toute l'année 1954 où aucun coureur britannique n'est impliqué, la couverture se résume en tout et pour tout à une brève de 3 lignes qui rapporte la victoire de Bobet. En 1955, il y a trois mentions (dont deux non dans les pages sportives), le départ et l'arrivée plus un 'light leading article' humouristique sur le caractère ennuyeux de ce sport et la nullité des performances anglaises. Le premier article mentionne au moins qu'une équipe anglaise participe pour la première fois. L'année 1956 offre trois tout petites mentions, avec deux photos dont une de Robinson. La terminologie est bâclée et quelques petites explications sur le fonctionnement du Tour montrent que les lecteurs ne sont pas censés comprendre grand-chose au Tour. Le reportage du résultat mentionne Robinson, mais s'intéresse surtout - et c'est révélateur de la prédilection du cyclisme britannique pour les performances chronométrées - au fait que le record de vitesse moyenne pour la course a été battue par Walkowiak. 1957 encore trois mentions. C'est en 1958 que la couverture s'élargit en fréquence et en nombre de lignes - il y a une mention dans les pages sportives tous les jours ou presque, et deux demi-colonnes sont accordées au reportage sur le classement final, chose inouïe. Cet ultime article parle sur un ton pédagogique mais léger, de tout ce qui entoure le Tour. Deux ou trois idées nous semblent intéressantes parce qu'elles reviennent souvent et pendant très longtemps chez d'autres commentateurs et chez les coureurs : elles concernent la difficulté technique du Tour, la notion de 'fair play' - ce concept français est cité en Anglais dans le texte - et les rapports entre le sport et le commerce : i) la caravane publicitaire et la commercialisation des maillots, qualifiées de 'vulgaire'; ii) la ressemblance du nom du vainqueur Charly Gaul avec le nom du nouveau leader du gouvernement et la prononciation ´ bizarre aux oreilles anglaises ª de son prénom; iii) l'engouement du public pour le Tour, le nationalisme des Français qui applaudissent leurs favoris nationaux plus que le victorieux luxembourgeois. Le Times parle aussi, et peut-être pour la première fois, beaucoup du fonctionnement du Tour, car on semble découvrir quelque chose de très étrange. Le correspondant affirme qu'il y a dans le Tour des technicités insoupçonnés par les adeptes des time trials. Son fonctionnement comme un sport d'équipe paraît insondable. Le journaliste du Times mentionne les histoires d'infractions à ce qu'il appelle dans le texte, en français : ´ le fair play anglais ª qui, dit-il quand même, ´ prévaut généralement ª, et déjà en 1937 - rappellons-nous - le Times avait parlé sur un ton d'amusement condescendant des inimitiés et coups bas séparant coureurs français et belges... En lisant entre les lignes de la couverture du Times nous voyons ici que les valeurs sportives britanniques sont entrées en collision avec celles du Tour - sur le professionnalisme et la commercialisation, sur son caractère intensément national, et sur l'apparent arbitraire des règlements. Nous reviendrons sur ces idées. 3. Eléments d'explication Vue cette relative absence britannique, et les explications de journalistes, de commentateurs et de coureurs sur l'impénétrabilité du Tour, le sentiment d'aliénation des structures et des valeurs ressentis par les coureurs, nous offrons en explication plus approfondie l'hypothèse suivante. Le point de référence du sport français moderne est l'invention et la codification des disciplines de sports d'équipe surtout (le foot, le rugby, ...) par les Britanniques, et leur exportation vers d'autres pays, comme la France pour le foot et le rugby, comme les pays de l'Empire pour le cricket. Situation de colonisateur en quelque sorte puisque non seulement les Anglais étaient déjà, techniquement plus évolués, donc meilleurs, donc des modèles, mais aussi les valeurs portées par ces sports étaient très particulières, très britanniques, des valeurs amateurs, fair-play, les valeurs ´ "corinthiennes", jouer pour jouer, respecter l'adversaire, respecter les règlements... L'identité sportive française quand elle a pu atteindre le stade d'indépendance, n'a pu que se définir donc par rapport à, et contre ces pratiques, ce style, ces valeurs anglaises : le flair des rugbymen français contre le jeu des avants et le jeu au pied des Anglais, le football champagne français contre le kick-and- rush plus physique et le jeu aérien des Britanniques. Or, avec la modernité précoce du Tour de France, le modèle sportif général ne s'est pas reproduit, ou du moins l'évolution du cyclisme en France semble avoir divergé du tronc commun sportif britannique avec le Tour.